Le 8e congrès du PCF

Où en est le Parti communiste (SFIC) avec la modification ouverte en 1934 et vécu tout au long de l’année 1935 ? Son 8e congrès, à Lyon-Villeurbanne, les 22-25 janvier 1936, nous le dit.

Le parti s’appuie sur 74 400 membres, contre 28 000 en 1933 : en deux ans, il a plus que doublé. Il faut de plus ajouter les 25 000 membres de la Jeunesse communiste.

La région parisienne reste son socle, avec 28 000 membres y résidant. Suivent le Nord (8 000 membres) et la région de Marseille (6 250 membres).

L’Humanité tire à plus de 200 000 exemplaires, soit une augmentation d’un tiers par rapport à deux années auparavant, mais surtout le quotidien a un grand succès lors d’événements marquants. Ainsi, lors de l’agression de Léon Blum par l’Action française, le tirage est de 640 000 exemplaires.

Signe par contre du niveau idéologique catastrophique du Parti communiste (SFIC), son organe théorique Les Cahiers du Bolchevisme n’est tiré qu’à 4 000 exemplaires ; même L’Avant-Garde, hebdomadaire de la Jeunesse communiste, ne tire qu’à 40 000 exemplaires.

L’Université ouvrière mise en place à Paris propose de son côté 32 cours hebdomadaires (économie politique, radio, métallurgie, physique, langues vivantes, philosophie…), mais seulement 2 292 personnes y sont passées en 1934-1935.

Le Parti ne dépasse par un horizon syndicaliste, et ici un regard sur les 668 délégués au Congrès est nécessaire.

Si on met de côté les 49 membres du Comité central également présents, on peut voir que ces délégués ont surtout entre 26 et 40 ans ; comme on le sait ce sont pratiquement tous des hommes : il n’y a que 23 femmes au grand total, c’est-à-dire en comptant les « invités » également (soit 844 personnes au total).

Les délégués ont adhéré au Parti communiste (SFIC) de manière relativement équitable dans les différentes périodes (33 avant 1920, 97 en 1920-1923, 65 en 1924-1926, 84 en 1927-1929, 93 en 1930-1932, 41 en 1933, 104 en 1934, 49 en 1935).

Par contre, certaines professions y ont poids bien plus important que les autres : on a 215 métallurgistes, 95 employés, 55 travailleurs du bâtiment et terrassiers, 43 cheminots, 37 artisans et petits commerçants, 36 petits paysans, 31 techniciens ou enseignants ou médecins, 20 travailleurs du textile.

Mais, surtout, les délégués reflètent le milieu syndical. 381 délégués sont membres des syndicats où ils sont actifs, ce qui leur accorde la majorité par rapport aux cadres du parti en tant que tel (164 membres des bureaux régionaux, 96 membres de comités régionaux, 185 membres de comités de rayons, 67 membres des bureaux de cellules), ainsi que par rapport aux élus (1 sénateur, 32 députés et conseillers généraux et d’arrondissements, 83 maires, adjoints et conseillers municipaux).

Le Parti communiste (SFIC) avait mis en place la bolchevisation, c’est-à-dire la systématisation des cellules d’entreprise. La démarche n’a pas abouti : il y a 201 délégués de cellules d’entreprises industrielles et 26 délégués des cellules d’administration, alors qu’il y a 403 délégués des cellules de rue, de quartier ou locales, ainsi que 29 délégués des cellules de village.

C’est l’arrière-plan de l’opportunisme représenté par Maurice Thorez. Le Parti communiste (SFIC) est un parti syndicaliste, dont la démarche est vogue la galère. Lors de son intervention au début du congrès, Marcel Cachin, qui fait office de vieux sage du Parti, tient des propos exemplaires du pragmatisme régnant :

« Alors, je laisserai à mon ami Maurice [Thorez] le soin, je ne dis pas de nous justifier devant les très jeunes gens qui disent le Parti communiste devient bourgeois, le Parti communiste devient union sacrée, le Parti communiste devient militariste.

Non. Il n’y a pas ici un camarade auquel je ferais injure en répondant à de pareilles imbécillités, à de pareilles sottises. Non, Camarades, le Parti communiste est le disciple de LÉNINE et LÉNINE, lui, a dit : Quand tu auras un obstacle que tu ne pourrais pas attaquer de front, tu tourneras un peu, tu sauras reculer de temps en temps, c’est pour mieux avancer.

Et ceux qui ne comprennent pas cela ne comprennent rien à la dialectique matérialiste, dont la justesse nous a été démontrés si magnifiquement, théoriquement et dans l’action.

C’est pourquoi, dans notre campagne pour l’unité, nous sommes à l’heure actuelle les meilleurs défenseurs de l’unité, de l’unité sur tons les terrains et du Rassemblement Populaire.

C’est pour cela que notre Parti, est devenu si persuasif pour l’ensemble des prolétaires et que son prestige s’est extrêmement étendu. Et nous n’avons pas à reculer dans cette voie. »

L’intervention de Léonce Granjon de la Jeunesse communiste témoigne de manière assez hallucinante de la dilution du Parti communiste (SFIC) dans le front, avec une démarche syndicaliste assumée :

« Qu’était jusqu’ici la Jeunesse Communiste ?

Elle était encore trop un Parti Communiste de la Jeunesse. Par exemple Comme le Parti, elle était construite sur la base du centralisme démocratique.

Comme le Parti, elle demandait à ses adhérents de reconnaître la nécessite de la dictature du prolétariat. Elle exigeait de ses membres la même discipline, le même travail et, en conséquence, elle lui ressemblait par son organisation qui avait et qui a encore, ses régions, ses rayons, ses cellules.

Ainsi comprise, et ainsi construite, la Jeunesse Communiste resterait un Parti Communiste des Jeunes et ne pourrait guère grandir plus vite qu’elle grandit.

Il faut maintenant changer cela, et bien nous convaincre nous-mêmes qu’il n’y a pas deux Partis Communistes, un pour les adultes, et un pour les jeunes, mais qu’il ne peut y en avoir qu’un seul.

La tâche que nous avons à accomplir est celle-ci :

Unir tous les jeunes gens, toutes les jeunes filles du Peuple de France dans la défense des intérêts qui leur sont communs pour la sauvegarde de leurs libertés et de leur vie.

Unir tous les jeunes gens et les jeunes filles sans distinction d’opinion, de religion, de condition sociale même, à l’exception naturellement, de la jeunesse dorée des 200 familles qui pillent le pays et sont responsables des malheurs de la jeune génération.

Cette union, nous n’avons pas la prétention de la réaliser au sein de la Jeunesse Communiste, précisément parce que les jeunes de notre pays ont des opinions, des conceptions philosophiques et des préoccupations diverses, parce qu’ils sont en grande partie organisés dans des formations qui correspondent à ces préoccupations et à leurs opinions.

Cette union, nous la réaliserons en prenant les jeunes tels qu’ils sont avec leurs organisations auxquelles ils tiennent avec leurs opinions différentes et même sur certains points opposés.

Cette union, il ne faut pas attendre, pour la faire, que toute la jeunesse soit d’accord en vue de l’étude du marxisme-léninisme et veuille bien adhérer à notre Jeunesse Communiste.

Il faut la faire le plus vite possible et lui trouver les formes comités, rassemblements, cartels, congrès, etc., qui correspondent dans chaque ville ou localité à tel ou tel objectif particulier à atteindre.

Nationalement, cela suppose une collaboration entre toutes les organisations de la Jeunesse à laquelle, à l’exception des organisations purement fascistes, il nous reste encore à trouver les formes.

Mais, précisément, pour réaliser cette tâche et pour donner à cette masse partagée entre les courants d’opinions les plus divers une orientation qui permette à la jeunesse de trouver sa voie, il faut transformer notre propre organisation la Jeunesse Communiste.

Il faut qu’elle-même puisse être une organisation beaucoup plus souple et plus large qu’elle n’est actuellement.

La Jeunesse Communiste doit devenir une organisation de masse, sans parti, des jeunes.

Elle doit pouvoir grouper dans son sein tous les jeunes gens désireux de connaître les idées communistes, d’étudier la politique communiste, le marxisme-léninisme, tous les jeunes désireux de s’unir pour défendre leurs intérêts les plus divers.

Ces jeunes gens et ces jeunes filles doivent trouver dans la Jeunesse Communiste tout ce qui correspond à leurs besoins, à leur activité. Ils doivent pouvoir y étudier, s’y grouper pour la lutte, s’y distraire.

Ces jeunes gens peuvent venir des horizons les plus divers, être révolutionnaires, démocrates, chrétiens, libre-penseurs.

Comme on le voit, il ne s’agit plus d’un parti communiste des Jeunes, mais bien d’une organisation de masse dont les limites sont reportées très au loin de celles qui enserrent l’actuelle jeunesse communiste.

Ces limites seront déterminées seulement par le fait que la Jeunesse Communiste se fixe comme rôle l’éducation de ses membres dans le sens de la lutte des classes, du marxisme-léninisme, de l’internationalisme prolétarien.

En son sein plusieurs courants d’opinions pourront se manifester car les jeunes gens qui y adhérent, s’ils y viennent pour étudier la doctrine et les méthodes communistes ne seront pas encore des communistes.

La plus large démocratie y devra régner.

La Jeunesse Communiste sera donc d’un caractère tout différent de celui du Parti. Elle en sera indépendante entièrement.

Cependant, elle se fixe comme une tâche importante de persuader tous ses membres de la nécessité d’une liaison permanente avec l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat Le Parti Communiste.

Nous allons donc transformer toute l’organisation de la Jeunesse Communiste et lui donner une base correspondante à l’activité nouvelle qu’elle devra avoir.

Les cellules vont disparaître pour faire place à des groupes, des foyers, des cercles. »

Enfin, le manifeste du congrès, publié en brochure à 200 000 exemplaires seulement, exprime le basculement opportuniste thorézien du Parti communiste (SFIC), dont il ne se remettra jamais sur le plan idéologique. Le Parti communiste (SFIC) est un parti syndicaliste.

« Pour le salut du Peuple français

MANIFESTE DU VIIIe CONGRES NATIONAL DU PARTI COMMUNISTE (S.F.I.C.)

Un vent de détresse souffle sur notre beau pays de France, dont les richesses, au lieu de servir à embellir et à rendre plus heureuse la vie des hommes, sont accaparées par une minorité malfaisante de parasites.

Les magnats du Comité des Forges réalisent, malgré la crise, des millions et des millions de bénéfices, mais les salaires des ouvriers ont été réduits dans d’énormes proportions, tandis que s’étend ta plaie du chômage.

Les régents de la Banque de France, les de Wendel, les Rothschild accumulent de scandaleux profits, mais les traitements des fonctionnaires et des travailleurs des services publics ont été diminués à plusieurs reprises.

Les marchands de canons, les Schneider, les Hotchkis et autres, s’enrichissent de la vente de matériel de guerre à l’Etat, mais les pensions des mutilés et des victimes de la guerre ont subi deux prélèvements de 3 et 10 p. 100.

Les marchands d’engrais, Kuhlmann et Saint-Gobain, les marchands de fer et les spéculateurs drainent des millions et des millions, mais les paysans qui ne peuvent vendre leurs produits ou qui les vendent à vil prix, sont poussés à la ruine, en même temps que salaires et traitements sont frappés.

Les rois du commerce, les maitres de la finance réalisent des gains monstrueux sur la détresse de l’Etat et de l’Epargne, mais les petits commerçants, subissant le contre-coup de la misère des masses populaires, sont en grand nombre acculés à la faillite.

De nombreux intellectuels, ingénieurs, artistes et architectes, au lieu de pouvoir mettre leurs connaissances et leur talent au service de la société, sont contraints à l’inactivité.

La grande misère des laboratoires de France fait rougir de honte.

Les compressions faites sur tes dépenses de l’instruction publique aboutissent à l’augmentation du nombre des illettrés. Les privations imposées aux populaires, la politique néfaste des pouvoirs publics accroissent la mortalité infantile, la dégénérescence physique, la dénatalité et la dislocation de la famille.

C’est dans cette situation que s’élargit la tache noire de l’ignorance, et que s’étale la navrante détresse du sport français.

VOILA CE QU’ILS FONT DE LA FRANCE !

Voilà la politique des deux cents familles, qui se solde par la misère du peuple par l’affaiblissement du rayonnement intellectuel de la France.

Notre pays qui aux grandes heures du passé, et particulièrement pendant la Révolution française, fut un phare vers lequel se tournaient tous les peuples, gémit aujourd’hui sous le poids de l’oppression de la bande des ennemis de la nation responsables de l’appauvrissement des masses populaires, de la corruption et des scandales, de la désespérance qui s’empare de notre magnifique jeunesse, se demandant avec angoisse de quoi demain sera fait pour elle.

C’est dans un des pays tes plus riches du monde, aux ressources variées, aux possibilités énormes de production industrielles et agricoles que le peuple est ainsi plongé dans la misère.

Voilà ce qu’ils font de notre beau pays, ceux dont ta richesse insolente est faite des malheurs de ta population laborieuse.

Ils voudraient encore aller plus loin, étouffer la liberté et nous ramener en arrière. Ils voudraient détruire l’oeuvre de quatre révolutions et des héroïques combats que livrèrent nos pères.

Ils voudraient anéantir ce que conquirent nos aînés de la grande Révolution sous les plis du drapeau tricolore.

Ils voudraient étrangler la République, dont la lutte glorieuse des communards de Paris, sous les plis du drapeau rouge, assura le succès contre les partisans de la monarchie et de l’empire.

Ils voudraient instaurer dans notre pays le régime que Mussolini et Hitler font subir au grand peuple allemand que nous saluons dans la personne d’Ernst THAELMANN, héros de l’anti-fascisme, et au noble peuple italien que nous saluons dans la personne du lutteur antifasciste GRAMSCI.

Les ennemis du peuple, les La Rocque, les Maurras, les Taitinger, les Jean Renaud qui, avec cynisme, font appel à la violence contre la population française, et qui obéissent aux ordres de deux cents familles, voudraient faire régner l’esclavage sur notre pays.

Ils voudraient, dans l’esprit même des directives données par leurs inspirateurs étrangers, que le peuple de France soit privé de liberté pour pouvoir plus aisément le conduire à la guerre, le fascisme c’est la guerre.

LES FAUTEURS DE GUERRE A L’ŒUVRE !

Partout où le fascisme a triomphé, la politique de guerre triomphe.

Le Japon poursuit la conquête de la Chine et menace non seulement les Soviets chinois et l’Union Soviétique, mais vise aussi à la domination du Pacifique.

L’Allemagne d’Hitler, qui a refusé de signer les pactes de paix, menace non seulement l’Union Soviétique, mais les pays Baltes, la Tchécoslovaquie, l’Autriche, sans parler de la France, à laquelle un nouveau Sedan, succédant à un nouveau Sadowa, pourrait un jour lui permettre de régler son compte selon les prévisions de Mein Kampf.

L’Italie de Mussolini est engagée dans la guerre d’Abyssinie, violant le droit à l’indépendance’ d’un petit peuple, piétinant les pactes, et menaçant la paix mondiale. Ainsi le chef du fascisme tente dans une expédition sanglante d’échapper aux conséquences de sa politique d’asservissement du peuple italien.

Le gouvernement de Mussolini a été encouragé dans cette politique criminelle, qui soulève la réprobation universelle, par Laval, dont les accords de Rome furent repoussés à la Chambre par les seules voix du Parti communiste.

Et dans notre pays, des voix s’élèvent pour soutenir les agissements criminels des gouvernants qui se préparent à incendier et à ensanglanter le monde.

Ce sont des hommes comme Louis Bertrand, des chefs fascistes comme Trochu et de La Rocque, qui se prosternent devant Hitler, et veulent organiser des corps de volontaires français pour Mussolini.

Les traîtres de Coblentz ont de dignes successeurs. Ceux d’hier étaient avec le roi de Prusse contre nos pères, les soldats de Valmy. Ceux d’aujourd’hui sont avec le Duce d’Italie, avec le Führer d’Allemagne, et avec le Mikado du Japon contre la nation française.

Il est temps d’arrêter cette course à l’abîme, cet enlisement du peuple dans la misère, cet acheminement vers l’esclavage fasciste et vers la guerre.

Contre ceux qui conduisent ainsi notre pays à la déchéance et à la ruine, le Parti communiste appelle à la réconciliation de tous ceux qui, victimes des mêmes maux sont dressés les uns contre les autres par quelques parasites, dont le règne ne peut subsister que par la division des masses populaires.

PEUPLE FRANÇAIS !

Ouvriers, employés, paysans, fonctionnaires, petits commerçants et artisans, intellectuels et anciens combattants, hommes, femmes, jeunes.

Tous doivent s’unir dans une même volonté de paix. Dans une même volonté de se défendre contre tes responsables de la misère et de l’insécurité de notre pays.

A la politique néfaste des deux cents familles, le Parti communiste oppose un programme d’action et de rassemblement du peuple français.

Le Parti communiste qui veut UNE FRANCE LIBRE, FORTE ET HEUREUSE appelle les masses populaires à s’unir :

Peur défendre la liberté :

Par l’application immédiate de la loi sur la dissolution des ligues fascistes et par des poursuites contre les chefs factieux qui provoquent au meurtre et à la violence contre le peuple.

Par l’épuration de l’armée des officiers royalistes et fascistes, l’octroi des libertés politiques aux soldats et le soutien des officiers républicains contre les factieux.

Par le maintien des droits du Parlement en matière budgétaire.

Par l’extension de la loi de 1884 sur le droit syndical à toutes les catégories professionnelles, sans distinction, en particulier pour les fonctionnaires.

Par la représentation proportionnelle pour toutes les assemblées législatives, départementales et communales et le vote des femmes.

Par l’amnistie pour toutes les victimes des luttes populaires.

Pour la défense de la paix :

Par la collaboration des peuples en vue de l’organisation de la sécurité collective englobant tous tes pays.

Par l’ouverture d’une enquête sur la politique extérieure de M. Laval, qui a favorisé les entreprises guerrières du fascisme.

Par le contrôle de la fabrication et du commerce des armes.

Par l’action contre toute augmentation du temps de service militaire et pour la défense des revendications des soldats (augmentation du prêt transport gratuit en chemin de fer, allocations aux soutiens de famille).

Par le développement d’une vaste action populaire en vue de paralyser la politique de guerre de Mussolini, et en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Par la lutte contre la haine chauvine et pour le développement de la fraternité entre les peuples.

Par l’action pour le désarmement général dont les propositions soviétiques ont fourni la base.

Par la ratification et l’application loyale du pacte franco-soviétique.

Pour défendre le pain des travailleurs :

Par l’action contre toute diminution de salaires et traitements et pour la récupération des sommes perdues en application des décrets-lois et des mesures patronales.

Par la semaine de 40 heures sans diminution de salaires.

Par le contrat collectif et la révision de la loi des assurances sociales, en vue de son extension, et de l’augmentation des prestations.

Par l’amnistie et la réintégration pour tous les fonctionnaires frappés en raison de leur action syndicale.

Par l’institution de délégués à l’hygiène et à la sécurité dans toutes les entreprises.

Par l’inscription obligatoire de tous les chômeurs et l’ouverture de fonds de chômage dans toutes les communes.

Par l’exonération du loyer aux chômeurs et la révision générale de la loi sur les loyers.

Par l’abrogation de la réforme fiscale de 1934, la suppression de la taxe sur le chiffre d’affaires et des impôts sur les objets de première nécessité.

Par la réforme de la fiscalité et l’établissement d’un impôt progressif unique sur le revenu.

Par la déchéance du Conseil de Régence et la nationalisation de la Banque de France, qui doit être la Banque de la France.

Par un prélèvement progressif sur les grosses fortunes au-dessus de 500.000 francs afin de faire payer les riches et soulager les pauvres.

Par le moratoire des dettes, la révision des baux, des billets de fonds, et l’institution de la propriété commerciale, intégrale pour tes petits commerçants.

Par la revalorisation des produits agricoles, le moratoire des dettes agricoles, par des prêts sans intérêt, et des secours aux paysans travailleurs ruinés par la crise, par la réduction des impôts, des fermages et l’extension des lois sociales aux ouvriers agricoles.

Telles sont les revendications pour lesquelles lutte le Parti communiste, et dont le succès dépend de l’union du peuple de France.

LA RÉCONCILIATION FRANÇAISE

Les deux cents familles voudraient que le peuple de France soit partagé en deux camps, parce que cela correspond à leur volonté de guerre civile.

Sans doute nous avons riposté à la politique de division des ennemis du peuple, mais il faut faire mieux, les chefs factieux, agents du capital financier, trompent des hommes dont la place est dans les rangs du peuple pour défendre le pain, la paix, la liberté.

Personne ne peut ignorer que si aujourd’hui le Front populaire unit de larges masses de travailleurs, sans distinction d’opinions, c’est grâce à la volonté unitaire inébranlable, dont a fait preuve notre grand Parti communiste.

Pendant treize ans, notre Parti a lutté pour que se réalise l’unité d’action entre travailleurs socialistes et communistes, prélude et condition de la marche au parti unique du prolétariat, que veulent tes communistes.

Ces efforts persévérants, préparèrent le rassemblement des masses pendant les journées de février 1934, au cours desquelles notre Parti organisa la première riposte antifasciste du peuple de Paris, le 9 février, place de la République.

Ces efforts devaient, par la suite, aboutir à la conclusion du pacte d’unité d’action entre le Parti communiste et le Parti socialiste, signé le 27 juillet 1934.

Ces efforts persévérants, préparèrent le rassemblement populaire et à la grandiose manifestation du 14 juillet 1935. Ainsi, grâce an Parti communiste, parti des travailleurs, qui poursuit l’objectif d’instauration de la République française des Soviets, les masses populaires se sont unies et ont arrêté la marche du fascisme.

Sans cette union, la nuit noire se serait abattue sur notre pays.

Les camps de concentration et les prisons seraient peuplés de partisans de la liberté, et peut-être la guerre aurait-elle déjà aligné de nouveaux régiments de croix blanches dans les vallons et les plaines.

L’union qui nous a sauvés jusqu’à maintenant des malheurs du fascisme peut seule nous sauver définitivement.

C’est pourquoi le Parti communiste, dont tous les actes tendent à servir le peuple, et dont les membres ne recherchent ni avantages personnels, ni portefeuilles ministériels, est le parti de :

L’UNION DE LA NATION FRANÇAISE

La nation française, c’est le peuple admirable de notre pays, au cœur généreux, à la fière indépendance et au courage indomptable.

La nation française, c’est cette somme de glorieuses traditions et de généreuses aspirations, que piétinent les tenants du fascisme.

La nation française, c’est la pléiade des intellectuels et des représentants de la science qui, devant la décadence de notre pays, se tournent de plus en plus nombreux vers le grand idéal humain qu’est le communisme.

La nation française, c’est le prolétariat magnifique amoureux de son travail, en qui vivent les souvenirs de 1793, de 1830, de 1848 de 1871, et en qui s’incarnent les grands espoirs de l’avenir.

La nation française, c’est la masse des paysans, des fils de Jacques Bonhomme qui, maintes fois, se levèrent contre leurs oppresseurs et qui, pendant la grande Révolution, brûlèrent les titres de propriété des comtes et des marquis, dont les descendants voudraient aujourd’hui faire revivre leurs vieux privilèges.

La nation française, c’est cette magnifique jeunesse qui, toujours a incarné les plus pures vertus d’abnégation et de vaillance et en qui sont latentes aujourd’hui les qualités des devanciers qui écrivirent de magnifiques pages de notre histoire.

L’union de la nation française seule peut redonner à la France le rayonnement qu’elle a perdu.

Seule cette unité peut arrêter la course à l’abîme et faire de notre pays, que nous aimons, un pays fort de l’amour inspiré a tous les peuples.

Le peuple de France veut la paix dans la fraternité internationale. Avec le Parti communiste, il salue dans l’Union soviétique le rempart de la paix et la grande espérance de fraternité humaine.

Il salue dans le peuple allemand, le peuple des penseurs et des philosophes que martyrise Hitler.

Il salue dans le peuple italien, le peuple des artistes et de la civilisation latine que Mussolini tient sous sa botte.

Il salue dans la fraternité de combat de tous les peuples contre les ennemis de la paix et de la liberté, la garantie des victoires de demain.

De plus en plus nombreux sont ceux qui, conscients des services rendus par le Parti communiste à la grande cause de la liberté, voient peu à peu que la véritable libération des hommes ne se fera qu’avec la victoire du communisme, qui assure la souveraineté du travail.

La victoire du communisme a non seulement dans un grand pays de 180 millions d’habitants, supprimé le chômage et assuré du travail à tous, mais elle a donné jour a un homme nouveau, l’homme qui, cessant d’être un loup pour l’homme, est un frère pour l’homme.

C’est pourquoi ceux qui ne veulent pas retomber dans l’ornière de la barbarie sont amenés non seulement à s’unir aux communistes, dans l’immédiat, mais à voir que notre Parti lutte pour le bonheur des hommes dans le travail, la paix, la liberté et la prospérité.

PEUPLE FRANÇAIS, c’est pour ton salut que nous te convions â l’union. Le Parti communiste, héritier de Babeuf, de Jaurès, de Guesde et de tous les pionniers du socialisme, t’appelle à l’unité, lui qui lutte sous le drapeau de Marx, Engels, Lénine, Staline, pour te défendre aujourd’hui et pour te libérer demain.

En premier lieu, après les minutes d’intense émotion que les deux cents familles !

En avant sons le drapeau du Front populaire du pain, de la paix et de la liberté !

En avant pour une France libre, forte et heureuse !

Vive le Parti Communiste Français !

Vive l’Internationale Communiste !

Vive la République Française des Soviets ! »

On ne sera pas étonné que Maurice Thorez, dans son discours de clôture du 8e congrès, présente comme la « revendication essentielle » le désarmement et la dissolution des ligues. Dans les faits, le Parti communiste (SFIC) est passé du culte gauchiste de la casquette ouvrière à la fascination du cadre syndicaliste et municipal pour le costume.

Ses activistes sont syndicalistes et élus municipaux ; il n’y a pas d’analyse historique de la France et le Parti ne maîtrise pas l’idéologie pour assumer une quelconque direction.

Lorsque fin janvier 1936 est annoncée l’unité CGT pour un congrès d’unité début mars, tout est perdu : le Parti communiste (SFIC) est obligé de suivre et de faire profil bas, l’idéologie syndicaliste protège son autonomie anti-parti, comme en témoigne la déclaration commune socialiste-communiste, d’une extrême prudence par rapport à la susceptibilité syndicaliste :

« Chers Camarades,

Le Parti communiste et le Parti socialiste qui veulent l’unité de la classe ouvrière,
saluent les représentants des syndicats réunis à Toulouse, dans une même C. G. T.
Le premier Congrès de la C.G.T. unifiée marquera une grande date dans l’histoire
du mouvement ouvrier français.

L’union ainsi réalisée rapproche l’heure de la libération des masses travailleuses.
Vive la C. G. T. unifiée !

Vive l’unité de la classe ouvrière pour la défense de son pain et pour la victoire
sur les forces de fascisme et de guerre !

LE PARTI COMMUNISTE
LE PARTI SOCIALISTE »

Les élections d’avril-mai 1936, avec la victoire électorale du Front populaire, finira d’intégrer le Parti communiste (SFIC) dans le panorama politique bourgeois, jusqu’à la catastrophe de 1940 où la fidélité à l’URSS le forcera à reprendre un positionnement antagonique, du moins pendant la seconde guerre mondiale et l’immédiate après-guerre.

=>Retour au dossier sur Le Parti communiste (SFIC)
et la construction du Front populaire en 1934-1935

La loi de dissolution des ligues d’extrême-droite et la loi du 10 janvier 1936

Le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) ont intégré qu’il fallait la convergence avec les radicaux. Lorsque le 11 novembre 1935, 100 000 anciens combattants défilent, en exigeant du gouvernement différents droits, ils ont le soutien de 150 000 manifestants, avec l’appui complet du Parti communiste (SFIC).

Tout le discours du Parti communiste (SFIC) vise à dire que l’extrême-droite est au service soit de l’Allemagne nazie soit de l’Italie fasciste, que le gouvernement Laval est réactionnaire et en collusion avec l’extrême-droite, que par conséquent il faut sauver la France, les Français et « les libertés ». La dénonciation de la bourgeoisie est effacée au profit des attaques contre « l’oligarchie » et les références à la révolution française deviennent une norme.

Ce qui est dénoncé, c’est l’esprit de « guerre civile », considéré comme une discorde menaçant la France, et même la défense de la valeur du franc est prétexte à des revendications patriotiques et des appels à la stabilité.

La mise en avant de l’URSS rentre dans ce cadre, car l’URSS est considérée comme un facteur international de paix et un allié pour la France ; ici on est très clairement en convergence avec les radicaux qui voient en l’URSS une force capable de faire contrepoids à l’Allemagne.

Le Parti communiste (SFIC) se présente donc comme le vrai artisan de la « réconciliation française », car avec le Front populaire il y a le moyen de dissoudre et de désarmer les ligues.

Celles-ci, indéniablement, pratiquent un jeu absurde. Malgré qu’elles aient été mises totalement dans les cordes en février 1934, elles continuent un jeu agressif qui déplaît fortement à l’opinion publique française.

Il y a ainsi de nombreux morts, en plus des nombreuses agressions et attaques.

Albert Perdreaux est assassiné par les Jeunesses patriotes, le 12 février 1934, à Chaville ; Joseph Fontaine est tué par les Camelots du Roi le 11 avril 1934, à Hénin-Liétard.


Jean Lamy est assassiné le 15 mai 1934 par les Jeunesses patrio
tes à Montargis ; Paul Dejean est tué en mai 1935, par les Camelots du Roi à Toulouse, Marcel Cayla en juin 1935, par les Croix-de-Feu, à
 Moissac.


À chaque fois, les assassins s’en sortent, ou bien sont condamnés à des peines infimes. D’où la pression immense pour la dissolution des ligues.

La loi du 10 janvier 1936 va en ce sens jouer un rôle immense dans l’histoire de France, et de manière erronée on l’attribue au Front populaire. En réalité, elle date du gouvernement dirigé par Pierre Laval. Celui avait été maire et député SFIO dans les années 1920, avant de passer à droite ; il sera ensuite la grande figure de la collaboration avec l’Allemagne nazie aux côtés du maréchal Pétain.

Dans les années 1930, il est plusieurs fois ministre (Intérieur, Affaires étrangères, Travail, Colonies) et surtout président du Conseil des ministres (soit l’équivalent du « super » premier ministre) du 7 juin 1935 au 24 janvier 1936.

Le Parti communiste (SFIC) le dénonce comme très favorable à l’Italie fasciste et aux Croix-de-feu de La Rocque ; en pratique Laval, un opportuniste manoeuvrier professionnel, fonctionne avec une majorité bricolée, passant par des décrets-lois pour mettre en place une politique économique de déflation, abaissant notamment de 10 % les salaires des fonctionnaires.

Sauf que les radicaux en ont assez des ligues et que le parlement, dont l’existence même est menacée par l’extrême-droite faisant de l’antiparlementarisme sa raison d’être, a donc décidé de passer à l’action.

Naturellement, la mise en place de la loi profite de la pression du Front populaire ; néanmoins, ce n’est pas le Front populaire qui met la loi en place : c’est très important pour bien comprendre que cette loi est portée par une partie de la bourgeoisie elle-même, celle-ci ne s’alignant pas sur l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste.

Que dit la loi du 10 janvier 1936 ? Tout d’abord, il faut bien saisir que c’est une loi, produite par un décret-loi gouvernemental. C’est une décision administrative du gouvernement qui, justement, autorise celui-ci (ou le président) à dissoudre une association de type loi de 1901.

La loi de 1901 précise déjà dans quelle mesure une association peut être dissoute : en cas d’une cause ou d’un objet illicite, en cas d’activités contraires à la loi ou aux bonnes mœurs, qui viseraient à changer la « forme républicaine du gouvernement » ou bien « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ».

La loi de 1936 permet d’être plus rapide déjà, et ensuite elle vise en particulier la dimension militaire des associations.

Son premier article stipule ainsi que :

« Seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

1° Qui provoqueraient à des manifestations armées dans la rue ;

2° Ou qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d’éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

3° Ou qui auraient pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement. »

Le deuxième article prévoit la répression en cas de maintien ou éventuellement de reconstitution ; le troisième article annonce la confiscation des biens et armes de l’association ; l’article 4 aborde l’application pour l’Algérie et les colonies.

La loi n’impliquait aucune répression immédiate, mais elle fut mise en pratique immédiatement après son instauration. Le principal dirigeant du Parti socialiste (SFIO), Léon Blum, revenant en voiture du parlement le 13 février 1936, eut en effet le malheur de tomber dans le convoi de l’Action française accompagnant le cercueil de Jacques Bainville, un de ses principaux cadres.

Des ouvriers du bâtiment d’un chantier voisin purent sauver Léon Blum, qui manqua de se faire tuer alors qu’il avait été sorti de la voiture et roué de coups.

Cela se déroulait juste après l’anniversaire de la révolte antifasciste qui avait suivi le 6 février 1934, 150 000 personnes défilant à Paris le 9 février 1936 : l’émotion fut énorme. Une gigantesque manifestation s’ensuivit le 16 février à Paris, de Panthéon à Nation, avec sans doute autour de 500 000 personnes.

Le même jour, le Front populaire triomphait aux élections en Espagne : la journée fut un incroyable marqueur politique. La grande revendication fut alors, comme il se doit, l’interdiction des ligues.

Voici le communiqué commun socialiste-communiste :

« CONTRE LE FASCISME ASSASSIN

Le Comité de Coordination du Parti Socialiste et du Parti Communiste, réuni le 20 février 1936, se félicite du caractère grandiose de la manifestation populaire du 16 février dernier, organisée à la suite de l’odieux attentat des bandes royalistes contre le camarade Léon BLUM.

Sûr d’être l’interprète de la population laborieuse de France, le Comité de Coordination s’étonne :

Que les mesures indispensables de protection des libertés publiques n’aient pas été prises par le gouvernement ;

Que des hommes, comme M. Maurras, et des journaux, comme l’« Action Française », continuent d’avoir la liberté de provoquer les assassinats ;

Que la dissolution des ligues et groupements d’« Action Française » ne soit pas encore effective.

Ces actes de tolérance donnent aux factieux de nouvelles raisons de poursuivre leur activité criminelle de préparation à la guerre civile.

Le Comité de Coordination s’élève avec force contre les lenteurs apportées par le gouvernement à l’application de la loi aux bandes royalistes, tandis que des défenseurs de la liberté sont emprisonnés.

II est inadmissible de voir M. Charles MAURRAS en liberté tandis que le camarade communiste COUTANT, âgé de 78 ans, est en prison, comme gérant de journal, pour des articles de presse relatant des décès de soldats dans les casernes, tandis que les camarades communistes LABESSE et GIRAUT sont eux aussi emprisonnés pour le même motif.

Il est également inadmissible que les cambrioleurs du siège de la Fédération Socialiste de la Seine soient acquittés et que I’ « Humanité » et d’autres journaux prolétariens soient l’objet de poursuites.

Lé Comité de Coordination appelle les organisations socialistes et communistes et tous les travailleurs à exiger l’application de la loi contre les factieux et la libération immédiate des militants qui ont lutté pour la cause du peuple.

LE COMITE DE COORDINATION DU PARTI SOCIALISTE ET DU PARTI COMMUNISTE. »

Néanmoins, en pratique, le jour même de l’agression contre Léon Blum, le conseil des ministres organisa une réunion où, sous l’égide d’Albert Sarrault nommé à la fois président du conseil et ministre de l’Intérieur trois semaines auparavant, est décidée la dissolution de la Ligue d’Action française, de la Fédération nationale des Camelots du roi et de la Fédération nationale des étudiants d’Action française.

Le Conseil d’État valida la décision par l’arrêt d’Assemblée publique Sieurs de Lassus, Pujo, et Real del Sarte du 4 avril 1936 ; le juge administratif alla jusqu’à considérer qu’il était légal de prendre en compte l’activité de l’Action française avant l’instauration de la loi du 10 janvier 1936.

Il était en effet visible sans ambiguïtés que l’Action française « tend au rétablissement de la monarchie par tous moyens, notamment par l’emploi de la force » et que « les trois groupements dissous concourent par leur activité à la réalisation de cet objet ».

La décision de la dissolution de l’Action française procède donc d’un gouvernement dirigé par le radical Albert Sarraut, qui ministre de l’Intérieur en 1927 avait expliqué que « le communisme, voilà l’ennemi ! ».

C’est un aspect à bien comprendre pour ne pas perdre de vue le rôle et le poids des radicaux dans cette phase historique.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

L’union Parti communiste-Parti socialiste en convergence avec les radicaux: les « deux cents familles »

La nomination de Pierre Laval comme chef du conseil en juin 1935 et sa décision de gouverner par décrets-lois est prétexte à une grande polarisation de la part du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) ; comme il s’agit de désormais toujours intégrer les radicaux dans la perspective, on passe à un discours « national ».

Les décrets-lois ne représenteraient que les intérêts d’une poignée de capitalistes, qui plus est vendus à l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste ; il faut l’unité nationale la plus large pour empêcher le désastre.

C’est le moment où commence l’expression « deux cents familles » pour désigner une oligarchie ; le Parti communiste (SFIC) va l’employer avec une grande régularité. Son mot d’ordre est de parler du « fascisme agent de l’étranger et des 200 familles qui divisent la nation française ».

L’origine de l’expression est pourtant à chercher les radicaux, puisque c’est Édouard Daladier qui l’emploie le premier lors du congrès du Parti radical-socialiste à Nantes en octobre 1934.

Voici ses propos :

« Ce sont deux cents familles qui, par l’intermédiaire des conseils d’administration, par l’autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l’économie française mais de la politique française elle-même.

Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit.

Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse. »

L’appel commun socialiste-communiste de la fin juillet 1935 exprime cette ligne « nationale » :

« À bas les décrets-lois de misère

Les mesures déflationnistes que vient de prendre le gouvernement Laval constituent une véritable provocation l’égard de tous les travailleurs des Services publics, des pensionnés et de l’ensemble des producteurs.

C’EST UN VÉRITABLE ATTENTAT CONTRE LA NATION.

En s’attaquant directement aux conditions d’existence d’une grande partie de la population le gouvernement montre une fois de plus au patronat la voie à suivre pour diminuer les salaires des travailleurs de l’industrie privée.

Ces mesures dites d’économies frappent les petites gens au lieu de s’attaquer au grand capital.

Onze milliards enlevés à la circulation dans le pays, cela signifie des milliers de faillites de petits commerçants, une aggravation de la misère à la campagne, l’accentuation du marasme économique et la paralysie croissante de l’activité industrielle.

Les décrets-lois qui abaissent les conditions d’existence du monde du travail ne résoudront nullement tes difficultés financières, au contraire ils mettront le franc en danger.

Le Parti communiste et le Parti socialiste nettement opposés à la politique de déflation et soucieux de soutenir l’action des masses frappées par les décrets-lois de misère, décident

1° D’appeler les organisations communistes et socialistes aider de toutes leurs forces au rassemblement de tous les groupements directement intéressés à l’action contre les décrets-lois (Syndicats, associations d’anciens combattants, etc.), et à soutenir toute action contre les décrets-lois qui frappent, les travailleurs

2° D’inviter les municipalités des deux Partis à préparer eh commun un plan d’action pour organiser la protestation contre les décrets-lois portant atteinte aux intérêts de la population laborieuse

3° D’inviter les conseillers généraux de la Seine, des deux Partis, à demander la réunion du Conseil général, afin d’examiner les conséquences des décrets-lois sur le budget départemental et pour organiser ta défense de tous les travailleurs des Services publics. Les conseillers généraux de province des deux Partis agiront de même.

CONTRE LA POLITIQUE DE MISÈRE DES DÉCRETS-LOIS

POUR DÉFENDRE LE PAIN, GARANTIR LA PAIX ET SAUVEGARDER LA LIBERTÉ

VIVE L’UNITÉ D’ACTION DES TRAVAILLEURS

LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C. LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O. »

L’opposition à Pierre Laval est très forte, et 50 000 fonctionnaires n’hésitent pas à manifester contre leurs baisses de salaires (de 10%) à Paris malgré l’interdiction. Les manifestations vont également se multiplier dans le pays.

Cet autre appel commun socialiste-communiste de la fin juillet 1935 reflète comment, malgré l’alignement sur les radicaux, il y a la tentative d’utiliser la situation pour ancrer des valeurs du mouvement ouvrier.

« VIVE L’UNITÉ D’ACTION POUR LA PAIX ET LA LIBERTÉ

Dans tout le pays l’ardente volonté de paix et de liberté du peuple de France s’est magnifiquement exprimée te 14 juillet.

Le Parti socialiste et le Parti communiste se félicitent d’avoir préparé les voies de ce magnifique rassemblement des énergies populaires EN SIGNANT, LE 27 JUILLET 1934, LE PACTE D’UNITÉ D’ACTION.

Aussi cette date mérite-t-elle d’être commémorée par les travailleurs.

Le Parti communiste et le Parti socialiste appellent les masses laborieuses à célébrer l’anniversaire de la signature du Pacte et à confondre dans un même acte de foi révolutionnaire leur volonté d’unité, leur volonté de liberté et de paix.

Partout où cela sera possible, les organisations socialistes et communistes se feront un devoir d’organiser en commun, fin juillet ou début d’août, des réunions, fêtes populaires ou démonstrations,

1° pour commémorer la signature du pacte d’unité d’action, qui a permis d’infliger de retentissants échecs au fascisme et qui est le prélude de l’unité totale de la classe ouvrière

2° pour manifester à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration de guerre notre volonté inébranlable de défendre la paix et de lutter avec tous les peuples contre les fauteurs de guerre

3° pour honorer en Jean-Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914, la première et la plus grande victime de la guerre, le valeureux défenseur de la paix, l’ennemi implacable des puissances de ruine et de guerre, le prestigieux tribun du peuple

4° pour honorer la mémoire de Jules Guesde (mort le 28 juillet 1922), le vulgarisateur du marxisme en France, qui a tant contribué à donner au prolétariat français le sentiment de sa force et de son indépendance de classe.

Nous faisons appel à tous les partisans de la paix et de la liberté dont la cause se confond, car si le fascisme triomphait en France la guerre serait aussitôt à l’ordre du jour, pour commémorer ces anniversaires avec les socialistes et les communistes dans un même sentiment de confiance et d’espérance dans un avenir meilleur.

À bas la guerre
A bas le fascisme
Pour la paix et la liberté
Vive l’unité

LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O.

LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C. »

En août 1935, une grève des arsenaux à Toulon affronte la répression policière et des provocations, deux ouvriers se faisant tuer. Sont ensuite présentes à leurs obsèques 30 000 travailleurs. Un autre décès va fortement marquer les esprits, celui d’Henri Barbusse, le fameux auteur du roman Le feu qui n’a eu de cesse de travailler pour le Parti communiste (SFIC) depuis sa fondation. 300 000 personnes accompagnent son cercueil le 7 septembre 1935.

Alors qu’on avance vers les élections parlementaires d’avril-mai 1936, les choses sont claires : l’union pratique socialiste-communiste est inébranlable et la convergence avec les radicaux – contre les grosses fortunes, pour les libertés, pour la république, contre la guerre – est l’arrière-plan fondamental.

Voici la plate-forme commune du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) établie en septembre 1935 :

« Les grands capitalistes mettent tout en œuvre pour faire peser le poids de la crise sur les masses laborieuses dont les conditions d’existence ont été considérablement avilies.

Cette situation a été encore aggravée par les décrets-lois du gouvernement Laval qui ne frappent pas seulement les travailleurs de l’Etat, les anciens combattants et par répercussion la masse des salariés. Les décrets-lois portent également atteinte à l’ensemble de l’économie nationale en diminuant la capacité de consommation des masses populaires et ils mettent le franc en danger.

Il faut COMBATTRE une telle politique de spoliation et de misère.

Il faut défendre le pain des travailleurs.

– par la revalorisation des salaires et traitements ;

– par l’abrogation des décrets-lois qui atteignent si cruellement les conditions d’existence des travailleurs des services publics, des pensionnés, des retraités, des assistés de toutes catégories ;

– par la rupture avec l’absurde et inique politique de déflation qui, en comprimant férocement- le niveau de vie des masses laborieuses, ne fait qu’aggraver la misère paysanne, industrielle, le marasme commercial ;

– par une action cohérente et méthodique orientée vers le développement de ta capacité d’achat des travailleurs-consommateurs, seul moyen d’atténuer tes effets de la crise de l’économie capitaliste.

Il faut défendre le PAIN des -travailleurs en assurant à tous des SALAIRES NORMAUX par la généralisation des conventions collectives de travail soumises au contrôle ouvrier.

Il faut défendre le PAIN des paysans en leur garantissant des PRIX RÉMUNÉRATEURS pour la vente de leurs produits notamment par l’institution d’offices publics agricoles, le développement des coopératives de vente en liaison avec les coopératives de consommation en ajustant le taux des baux à fermes et les redevances de métayage aux conditions économiques actuelles.

Il faut défendre le pain des CHÔMEURS en créant un fonds national de chômage et en établissant une réglementation plus humaine des allocations.

Il faut remédier à la crise de chômage en répartissant judicieusement sur la collectivité des travailleurs les disponibilités de travail, c’est-à-dire :

– en pratiquant la diminution systématique des heures de travail, l’instauration de la semaine de 40 heures, sans diminution de salaire :

– en prolongeant l’âge de la scolarité pour les jeunes ;

– en organisant la relève des travailleurs âgés de plus de 60 ans assurés de moyens suffisants d’existence, par une amélioration de la législation des A. S. ;

– en augmentant les occasions de travail par la mise en route d’une politique de grands travaux d’intérêt collectif et social, financés à l’aide de MESURES FRAPPANT LES GROSSES FORTUNES et servant de gage à l’emprunt.

Il faut DÉFENDRE LA PAIX et démasquer la politique extérieure de Laval, hypocrite et à double face qui, de plus en plus, s’écarte du système de l’assistance mutuelle et de la: sécurité collective, permettant le désarmement général.

Il faut défendre la paix par l’interdiction de la fabrication et du commerce privé des armes :

– par une action intensifiée contre le militarisme, le colonialisme, les crédits d’armement et la diplomatie secrète.

Il faut sauvegarder la LIBERTÉ :

– par le désarmement et la dissolution des ligues fascistes ;

– par le maintien et le développement des libertés démocratiques, communales et syndicales pour tous les citoyens ;

– par la défense de l’école laïque ;

– par la libération de l’État du joug de la féodalité financière, en établissant la souveraineté de la Nation sur la Banque de France par la déchéance du Conseil de régence en procédant la nationalisation des grands monopoles capitalistes qui, sans pouvoir être considérée comme un élément d’instauration du socialisme, peut se réaliser dans le cadre du système social actuel en attaquant dans les postes principaux d’où elles dominent toute la vie du pays les forces du grand capital ;

En organisant l’action contre le gouvernement Laval sur la base de cette plate-forme commune, le parti communiste et le parti socialiste revendiquent l’honneur d’être à la pointe du combat et l’exemple donné par eux permettra d’appeler à faction commune dans les meilleures conditions les diverses organisations politiques et syndicales, chacune gardant son programme général propre.

Le parti communiste et le parti socialiste pensent ainsi contribuer efficacement à la réussite d’un grand mouvement populaire capable de déterminer un changement dans la situation politique et dans l’orientation de l’action gouvernementale.

LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C.

LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O. »

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La ligne du PCF du 14 juillet 1935

Pour bien comprendre la double nature de l’initiative du 14 juillet 1935, où le Parti communiste (SFIC) se fait littéralement « manger », voici les documents concernant cette manifestation de masse.

Pour commencer, l’appel.

« Le Rassemblement du 14 juillet et les Assises de la paix et de la Liberté

Le 14 juillet 1935 : immense rassemblement de toutes les forces résolues à défendre la liberté.

Du plus humble village à la capitale, nous opposerons aux entreprises des factieux, les masses profondes celles qui travaillent, celles qui pensent, celles qui veulent une France juste et libre.

Le 14 juillet 1789, le peuple de France emportait la Bastille et révélait au monde la liberté. Cent cinquante années d’effort continu, quatre révolutions lui permirent de garder et de consolider ses conquêtes.

Nous vous appelons à reprendre la grande tradition révolutionnaire qui faisait du 14 juillet le jour du souvenir, le joue de l’espérance et de la communion des volontés populaires.

Aujourd’hui, une faction fasciste armée s’apprête à monter à l’assaut de la République et de la liberté.

Contre la souveraineté populaire, une vaste conspiration se trame pour abattre la démocratie, remplacer la loi de la majorité par la dictature de deux cent familles privilégiées, qui n’attendent que le moment de vous abattre et de vous asservir.

Contre ce suprême effort des ennemis du peuple, contre le danger imminent, nous lançons un cri de ralliement à tous ceux qui entendent libérer la Nation de l’emprise des puissances financières, nouvelle féodalité, à tous ceux qui, attachés aux conquêtes du passé, veulent préparer un avenir meilleur.

En France, depuis 1789, toutes les défaites du peuple sont nées de sa désunion.

Des démocraties voisines ont été écrasées parce que les défenseurs des libertés n’avaient pas su se dresser, résolus et unis, contre l’ennemi commun. En France, pour résister et pour vaincre, il nous faut, à nous, faire front contre cet ennemi commun.

Aucune manifestation n’aura jamais atteint l’ampleur de ce Rassemblement populaire qui déferlera, dans le calme et la dignité, à travers tout le territoire pour ce 14 juillet de résistance et de certitude.

Nous faisons le serment de rester unis pour défendre la démocratie, pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour mettre nos libertés hors de l’atteinte du fascisme.

Nous jurons, en cette journée qui fait revivre la première victoire de la République, de défendre les libertés démocratiques conquis. par le peuple de France, de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse, et au monde, la grande paix humaine.

Au nom du Comité d’organisation ; pour les 48 associations nationales déjà adhérentes :

Ligue des Droits de l’Homme, Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Amsterdam-Pleyel, C.G.T., C.G.T.U., Anciens combattants, Parti républicain radical et radical-socialiste, Parti socialiste S.F.I.O., Parti communiste S.F.I.C., Inter-groupe des partis socialistes. »

Voici les mots d’ordre de la manifestation.

« Pour libertés démocratiques
Désarmement et dissolution des ligues fascistes
Pour arracher l’État aux féodalités économiques
Pour l’organisation de la paix e du désarmement simultané, progressif et contrôlé
Du pain à tous ; aux paysans le fruit de leur peine ; aux jeunes, du travail
Pour la destruction de toutes les Bastilles
La jeunesse veut vivre par le travail, dans la paix et la liberté. »

Voici le serment de la manifestation.

« Au nom de tous les partis et groupements de liberté et des organisations ouvrières et paysannes,

Au nom du peuple de France rassemblé aujourd’hui sur toute l’étendue du territoire,

Nous, représentants mandatés ou membres du Rassemblement populaire du 19 juillet 1935,

Animés par la même volonté de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde,

Nous faisons le serment solennel de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques et pour assurer la paix humaine. »

Enfin, la catastrophe totale révélatrice s’il en fallait de la soumission à l’État : « Le salut à l’armée ». Celui qui a prononcé cette déclaration est Marc Rucart.

Il s’agit du député radical-socialiste des Vosges qui a été le rapporteur général de la commission du 6 février 1934. Le parlement voulait étudier le rapport, le président du Conseil Pierre Laval s’y opposa et ce fut le début de la fracture des radicaux avec l’aile droite du parlement. La loi du 10 janvier 1936 est le prolongement direct du rapport.

Ce « salut à l’armée » a été prononcé à l’occasion des Assises de la Paix et de Liberté, le 14 juillet 1935, parallèlement à la grande manifestation de masse.

Ces assises se sont tenues au stade Buffalo, avec 10 000 délégués, représentant la Ligue des Droits de l’Homme, le Comité des Intellectuels antifascistes, le Comité Amsterdam-Pleyel, la CGT et la CGTU, les organisations d’Anciens Combattants liées à la gauche, le Parti socialiste (SFIO), le Parti communiste (SFIC), l’Intergroupe des Partis socialistes (Socialiste de France, Socialistes français, Répuhlicains-Socialistes) et 58 autres organisations participant su rassemblement du 14 juillet.

« Dans cette immortelle déclaration française qui constitue, pour tous les peuples de toute la terre, la charte de la liberté, les hommes de 1789 ont écrit que la force publique était constituée pour la garantie des droits de l’homme.

Les républicains savent qu’ils peuvent compter sur le loyalisme de l’armée, expression de la force publique — de l’armée formée des fils du peuple entier — pour donner un démenti à tous ceux qui tenteraient d’en faire un instrument pour l’ambition d’un homme ou pour celle d’une minorité de factieux.

Ils rappellent que la force publique est à la disposition de la nation indivisible et que l’autorité gouvernementale ne saurait tolérer l’existence d’autres organisations à caractère militaire que celles qui relèvent de la suprématie du premier magistrat de la République et du contrôle de la nation.

Dans cette journée du 14 juillet, ils saluent, dans es armées de terre, de mer et de l’air — officiers, sous-officiers, soldats et marins — les forces nationales constituées pour la défense de la liberté. »

Après cela, impossible pour le Parti communiste (SFIC) de se relever de lui-même d’une telle convergence avec le capitalisme français.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La soumission du PCF aux radicaux et le 14 juillet 1935

Depuis le 9 février 1934, le Parti communiste (SFIC) pousse à un activisme en effervescence. Si les comptes n’y sont pas toujours et si c’est la région parisienne qui est la seule à être réellement agitée, il y a un engouement pour la démarche chez les socialistes.

Le 19 mai 1935, 200 000 travailleurs se rassemblent au mur des Fédérés pour célébrer la Commune de Paris de 1871 ; le 2 juin 1935, 60 000 personnes se rendent à la fête de L’Humanité à la Courneuve en banlieue parisienne.

Le 9 juin 1935, 30 000 travailleurs sont réunis au stade de Colombes dans le cadre d’une initiative pour l’enfance ouvrière.

Parallèlement à cela, les syndicats CGT et CGTU s’unissent à la base, même si leurs directions n’ont pas encore conclu d’accord d’unité. Les syndicats uniques sont 532 au 1er janvier 1935, 632 à la mi-avril.

Et en juin 1935, le congrès du Parti socialiste (SFIO) est amené à approuver la ligne de conduite ; le rapport moral est effectivement approuvé par 2698 mandats contre 441.

Forcément, Léon Blum constata la chose : le Parti communiste (SFIC) veut à tout prix que les radicaux soient de la partie, c’est même lui qui a pris l’initiative à ce sujet. Le Parti communiste (SFIC) veut que les radicaux assument le gouvernement, et c’est paradoxal, car le Parti communiste (SFIC) ne veut pas participer au gouvernement. Mais c’est en fait très bien, car ce faisant, le Parti communiste (SFIC) aide le Parti socialiste (SFIO) à être en mesure de former un gouvernement avec les radicaux.

Léon Blum parvient ainsi à mettre en perspective une participation gouvernementale, ce qui isole la gauche du Parti socialiste (SFIO). Deux motions s’affrontent au sujet de « la lutte pour la prise du pouvoir et contre la crise », et la motion de la Fédération du Nord bat largement, avec 2025 mandats, la motion de la Bataille socialiste, qui reçoit 777 voix.

La Bataille socialiste, Jean Zyromski en tête, appelait à refuser une participation gouvernementale avec des partis bourgeois et à aller dans le sens de militariser le Parti pour aller dans le sens de la prise du pouvoir.

C’est la défaite de l’aile gauche du Parti socialiste (SFIO), et elle ne s’en remettra pas. Il y a ici un moment raté pour cette aile gauche et le Parti communiste (SFIC) ; du moment qu’on allait dans le sens de placer les radicaux au centre du jeu politique, la fenêtre de tir se refermait.

À partir de juin 1935, et jusqu’à la victoire électorale du front populaire en 1936, on tend de plus en plus au soutien à la République, au refus de la guerre civile – à rebours de la proposition révolutionnaire de renversement du régime.

En témoigne cet appel socialiste-communiste du 19 juin 1935 :

« CONTRE LES FOMENTATEURS DE GUERRE CIVILE

Le colonel comte de La Rocque, mettant à profit la tolérance et la complicité gouvernementales, prépare la guerre civile contre les masses laborieuses de notre pays.

Une aviation des Croix de feu est constituée, des autos, des motos et des armes modernes de toutes sortes sont entre les mains des hommes du 6 février.

Le Parti socialiste et le Parti communiste, qui depuis de longs mois luttent en commun pour le désarmement et la dissolution des ligues fascistes, ont décidé de demander au gouvernement et à la Chambre des députés la confiscation immédiate des armes modernes dont disposent les bandes fascistes.

Le Comité de Coordination du Parti socialiste et du Parti communiste fait appel à tous ceux qui veulent s’associer à cette action contre le fascisme. Il recommande aux sections socialistes, aux rayons et cellules communistes, d’organiser des protestations auprès des préfectures, des sous-préfectures, des parlementaires et des municipalités contre les armements des bandes fascistes.

L’UNITÉ D’ACTION BARRERA LA ROUTE AU FASCISME

LE PARTI COMMUNISTE, LE PARTI SOCIALISTE »

L’appel à « des protestations auprès des préfectures, des sous-préfectures, des parlementaires et des municipalités contre les armements des bandes fascistes » est très clairement une soumission aux radicaux et au régime « républicain ».

À partir de là, tout va se dérouler en ce sens. Tout d’abord, il y a au parlement la volonté de débattre sur le « Rapport général fait au nom de la Commission d’enquête chargée de rechercher les causes et les origines des évènements du 6 février 1934 » réalisé par le radical Marc Rucart.

Néanmoins, le gouvernement s’y oppose, ce qui amène les radicaux à basculer ouvertement.

En juin 1935 s’opère alors ouvertement une unité entre le Parti radical, la Ligue des Droits de l’Homme, la CGT et la CGTU ; un grand meeting est réalisé à la Mutualité le 4 juillet.

Une Association Internationale des Écrivains pour la défense de la culture est fondée à la suite d’un congrès international d’écrivains ; plusieurs milliers de personnes manifestent dans des petites villes dans toute la France, alors que le 14 juillet est choisi comme date pour l’expression unitaire du Front populaire se mettant en place.

Les Croix-de-Feu, une force énorme numériquement, tenta de s’y opposer, mais en raison des remous internes, seulement 17 000 Croix-de-feu se réunirent place de l’Étoile à Paris le 14 juillet.

Pour le Front populaire, c’est par contre un triomphe : 500 000 personnes manifestent à Paris, 100 000 à Marseille, 60 000 à Toulouse, 30 000 à Nîmes, à Bordeaux et à Saint-Étienne, 25 000 à Lyon, 20 000 à Toulon et à Lorient, 15 000 à Rouen, à Tours, au Havre, à Brive-la-Gaillarde, à Oran et à Périgueux, 12 000 à Clermont-Ferrand, 10 000 à Sète et à Carcassonne, 8 000 à Nice, à Bergerac, à Tarbes et à Cherbourg, 6 000 à Montauban, à Avignon, à La Rochelle, à Dijon, à Auxerre et à Castres, 5 000 à Amiens, à Belfort, à Boulogne-sur-Mer, à Bourges, à Brest et à Châteaulin (sur le canal de Nantes à Brest), 4 000 à Nouzonville, 3 000 à Carmaux, à Vienne, à Orange, à Pau, à Reims, à Châlons-sur-Marne… avec également la veille 50 000 à Lille, 20 000 à Toulouse, 5 000 à Arras.

Pour le 14 juillet, 800 000 bonnets phrygiens sont ainsi fabriqués : c’est même le seul symbole officiel, avec le drapeau français. Les drapeaux rouges sont en effet… interdits par le Comité d’organisation. Le service d’ordre est quant à lui muni d’un brassard rouge marqué d’une bande bleue.

C’est une soumission complète aux radicaux et une capitulation en rase campagne pour le Parti communiste (SFIC), qui va commencer alors à « assimiler » le drapeau rouge et le drapeau français afin de masquer la réalité.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Faiblesse du PCF et élargissement du Front populaire aux radicaux

Le principal problème du Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) en février 1935, c’est d’avoir raison. Les masses considèrent qu’ils ont raison d’agir contre le fascisme et de s’unir. Cependant, le souci est que cela ne change pas fondamentalement grand-chose.

Le Parti communiste (SFIC) connaît ainsi toujours la répression, même si elle n’a pas l’ampleur des années précédentes. Le 6 avril, son siège est perquisitionné, pour des motifs d’espionnage officiellement, bien qu’il soit très clair que c’était une réponse à la nouvelle campagne menée contre l’instauration d’un service militaire de deux ans. Les responsables de L’Humanité affrontent également régulièrement les foudres de la justice prompte à accuser le quotidien.

Mais surtout, les masses restent encore à l’écart. On a l’image d’un Front populaire produit par un engouement de masses ; en réalité, c’est le Front populaire qui va produire cet engouement. Les masses ne participeront au Front populaire que lorsque sa légitimité sera complète.

En 1935, on est encore dans l’affirmation de l’unité antifasciste, sa constitution en proposition de Front populaire. Et il est clair que ne sachant pas quoi faire, le Parti communiste (SFIC) a l’idée d’intégrer les radicaux, afin d’intégrer enfin le paysage politique, de se voir valider, de trouver un débouché au front populaire que lui-même n’entrevoit pas.

Concrètement, le 13 avril, un meeting antifasciste du Parti communiste (SFIC) attire 30 000 travailleurs, puis le lendemain 10 000 à Ivry-sur-Seine, 5 000 à Bezons, 2500 à Sevran, 1000 à Montreuil, alors qu’il y avait seulement 2500 manifestants à Carpentras. C’est révélateur : l’unité Parti socialiste (SFIO) – Parti communiste (SFIC), c’est avant tout celle faite par les sections de Paris et de banlieue des deux partis.

C’est là le noyau dur de la classe ouvrière organisée, la seule zone géographique où il y a vraiment suffisamment de densité pour que soit ouvert un réel espace politique, finalement assez restreint malgré son impact.

Cela se lit très bien avec l’échec complet du premier mai 1935. On trouve deux meetings à Paris (avec 8 000 personnes à Japy et 6 000 à Huyghens), cinquante meetings en banlieue (dont 6 000 à Gennevilliers), dont douze de syndicats unitaires, mais… pas de manifestation.

Et cela, car le régime l’a interdit. Autrement dit, le Parti socialiste (SFIO) et le Parti communiste (SFIC) n’ont pas les moyens d’imposer une manifestation parisienne pour une date pourtant hautement symbolique, et ce malgré l’élan et l’esprit unitaire.

Il y a, au moins, eu la grève générale dans le bâtiment, une grève importante dans la métallurgie, ainsi que dans l’aviation.

Mais s’il y a des manifestations dans le reste du pays, elles sont tout sauf massives : 35 000 à Marseille, 20 000 à Lille, 12 000 à Lyon, 12 000 à Mulhouse, 6 000 à Toulouse, 6 000 à Saint-Étienne, 5 000 à Douai, 4 000 à Lens, 4 000 à Tours, 4 000 à Sidi Bel-Abbès (Algérie française), 3 000 à Grenoble, 3 000 à Amiens, 3 000 à Limoges, 2 500 à Arles, 2 500 à Montceau-les-Mines, 2 000 à Hénin-Liétard, 1500 à Neuves-Maison (non loin de Nancy avec une importante mine de fer).

Au total, 156 000 travailleurs ont fait grève, et il y a eu des meetings dans 63 villes. Ce n’est pas rien, mais c’est en décalage avec l’idée d’une classe ouvrière mobilisée et sur des charbons ardents.

Maurice Thorez est ici la grande figure du Parti communiste (SFIC), car il exprime la réponse à cette question, même si de manière opportuniste, car pour lui il faut accepter de jouer jusqu’au bout le jeu de l’intégration.

Il ne s’en cache pas et toutes ses positions le reflètent. Il le dit même ouvertement lors de son Discours au 7e congrès de l’Internationale communiste le 3 août 1935, intitulé « Les succès du front unique antifasciste ».

Son but, c’est de faire en sorte non pas qu’il y ait une unité antifasciste contre le régime, mais en lui, et cela passe par les radicaux. C’est une ligne de soutien au régime car républicain, avec les centraux, donc de fait la franc-maçonnerie et toute l’idéologie des « droits de l’Homme » propre à la bourgeoisie française.

« Le Parti mena une campagne soutenue dans la presse, par affiches, dans les meetings et à la tribune de la Chambre.

À la veille de chacun des deux congrès du parti radical, à Nantes, en octobre [1934], et à Lyon en mars [1935], le Parti communiste organisa de grands meetings où les représentants du Comité central exposèrent notre conception du Front populaire, en s’adressant tout particulièrement aux délégués radicaux.

Une longue discussion publique s’engagea avec le parti socialiste. Mais les ouvriers et les petites gens acclamaient le Front populaire. La formule et son contenu triomphèrent dans les masses au cours des dernières élections municipales. Les adversaires bourgeois fascistes eux-mêmes n’emploient plus d’autre expression pour désigner le large rassemblement antifasciste qui s’opère peu à peu sous l’influence de notre politique.

À la fin du mois de mai, le Parti décida d’étendre encore le Front populaire et de s’adresser aux partis de gauche en vue d’une action contre les ligues fascistes, pour déposer au Parlement une résolution exigeant du gouvernement le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.

La fraction communiste, alors composée de 9 députés sur 615 que compte la Chambre, prit l’initiative d’une réunion des groupes parlementaires de gauche. Le parti socialiste, invité, s’associa à notre initiative.

Le parti radical, le parti républicain-socialiste, le parti socialiste de France (néo-socialiste), le groupe des indépendants de gauche et le groupe pupiste (composé de dissidents de notre Parti communiste) répondirent à la convocation. La réunion eut lieu le 30 mai [1935].

La discussion s’engagea sur la déclaration faite par le représentant du Parti communiste. Nous avons, nous communistes, avons-nous dit, la volonté de battre le fascisme. Les élections municipales et cantonales montrent que la majorité du pays est contre la politique dite d’Union nationale qui fraye la voie au fascisme.

Cette majorité peut trouver une expression ici même, à la Chambre, les groupes qui ont répondu à notre invitation constituant la majorité de cette Chambre. Si cette majorité veut appliquer un programme frappant les riches et les spéculateurs, soulageant les pauvres et les chômeurs, nous, communistes, nous soutiendrons cette mesure.

Si cette majorité veut défendre les libertés démocratiques, non pas en paroles mais en prenant des mesures efficaces, telles que le désarmement et la dissolution des ligues fascistes, l’arrestation de leurs chefs, nous soutiendrons ces mesures.

Une telle politique, avons-nous ajouté, créerait, en outre, les conditions les meilleures pour le maintien de la paix et elle aurait notre appui non seulement au Parlement, mais dans tout le pays.

L’impression fut considérable. Nos déclarations furent renouvelées en séance publique, à la tribune de la Chambre.

Le soir même, le gouvernement Flandin était renversé.

Nous avions donné un peu plus d’audace aux députés radicaux. »

Il y a effectivement une instabilité terrible sur le plan gouvernemental. Édouard Daladier avait été éjecté à peine nommé à la suite du 6 février 1934 ; Gaston Doumergue qui l’avait suivi dura neuf mois.

Le gouvernement Flandin, dont parle Maurice Thorez, est rejeté au bout de six mois par le parlement (353 voix contre 202), et immédiatement dans la foulée le gouvernement Bouisson tombe début juin (264 voix contre 262), au bout de quelques jours. Pierre Laval va s’installer au poste pour six mois, en convergeant avec les ligues d’extrême-droite et en gouvernant à coups de décrets-lois.

Et, au cours de ce processus, un phénomène majeur se produit est avec les élections municipales des 5 et 12 mai 1935, ce qui marque un tournant.

En effet, si les socialistes et les communistes progressent, les radicaux reculent et cela va les forcer à prendre la décision de se rapprocher ou non des premiers. C’est ce dont parle Maurice Thorez dans son compte-rendu à l’Internationale communiste.

Pour les 858 communes de plus de 5 000 habitants et chefs-lieux d’arrondissements, les résultats sont les suivants :

– pour le Parti communiste (SFIC) (y compris les « dissidents » définis par le ministère) 90 communes, soit 43 de plus ;

– pour le Parti socialiste (SFIO) 169, soit 6 de moins mais le chiffre reste élevé.

Le « Parti d’unité prolétarienne » obtient une commune, les Socialistes indépendants 3, les Socialistes de France du néo-socialiste Déat, 15.

Les Républicains-socialistes en obtiennent 33, soit 9 de moins ; le Parti Radical en a 222, en perdant 4 ; les Radicaux indépendants 51, soit 4 de moins ; l’Alliance démocratique composée des républicains de gauche en a 146, soit 11 de moins.

Le Parti démocrate populaire en obtient 9, la Fédération républicaine 103, les conservateurs 10.

Ce n’est pas pour rien que L’Humanité assume le 13 mai, le lendemain du second tour, le slogan « Vive la ceinture rouge de Paris ! » sur sa page de garde.

Et on lit :

« Dans la Seine, où nous avions avant les élections 9 municipalités, nous sommes actuellement à la tête de 27, comptant 718.000 habitants.

— Les socialistes ont 9 mairies (234.000 habitants), les pupistes et le groupe de Saint-Denis, 5 (206.000), les néo.socialistes, 5 (153.000).

— Les divers partis réactionnaires et fascistes, en recul très sérieux, ne conservent que 35 municipalités (749.000 habitants) contre 52. »

Ce n’est pas tout : suivent immédiatement les élections du conseil général de la Seine. Il est composé de 90 conseillers municipaux de Paris et de 50 conseillers généraux élus de banlieue ; Paris a alors 2,8 millions d’habitants, le reste du département de la Seine, soit la banlieue, a 2,1 millions d’habitants.

Dès le premier tour fin mai 1935, le Parti communiste (SFIC) obtient 12 élus (Ivry-sur-Seine, Asnières, Montreuil, Pantin, Vanves, Noisy, Villejuif, Puteaux, Aubervilliers) ; 13 élus viennent s’ajouter au second tour début juin.

Ces élus s’ajoutent aux élus du Conseil municipal de Paris, ce qui fait que le Parti communiste (SFIC) devient le premier parti au Conseil général de la Seine. Il s’appuie sur 33 élus au total, contre 12 aux socialistes, 9 au Parti d’unité prolétarienne, 1 élu antifasciste, 4 radicaux, 1 socialiste indépendant, 7 radicaux et républicains socialistes, 5 néo-socialistes, 68 réactionnaires et fascistes dont 1 doriotiste.

C’est donc Georges Marrane, Parti communiste (SFIC), qui devient président du Conseil général de la Seine.

Autrement dit, les radicaux reculent et s’écartent de la droite, au moment où les socialistes et les communistes profitent d’une dynamique.

L’unité entre les trois, qui consiste en le Front populaire, va alors être possible pour deux raisons. La première, c’est que les radicaux veulent supprimer les ligues, et que le Parti communiste (SFIC) accepte de basculer dans l’idéologie républicaine afin d’assurer l’alliance.

Ensuite, en mai 1935 est signé un traité franco-soviétique d’assistance mutuelle. Cela pousse d’autant plus le Parti communiste (SFIC) à accepter des compromis, alors que les radicaux, expression de la bourgeoisie ne voulant pas s’aligner sur l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste (alors encore concurrentes l’une de l’autre), ont tout à gagner d’une telle séquence pour conserver leur place centrale.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

L’unité d’action antifasciste en 1934-1935

Les années 1934-1935 sont marquées par la multiplication des agressions et provocations fascistes, avec des défilés ou des petites attaques. La présence d’armes à feu est récurrente et régulièrement des caches d’armes, parfois très importantes, sont découvertes par la police.

Les ligues d’extrême-droite ne cachent d’ailleurs pas leur dimension paramilitaire ou militaire, les Croix-de-feu disposant même d’une petite aviation.

Les initiatives du pacte socialiste-communiste reflètent la situation politique pour les deux partis. On a le côté pratique, rentre-dedans du Parti communiste (SFIC), qui a tellement plu aux ouvriers en général à partir du 9 février 1934 ; on a la dimension programmatique-gouvernementale du Parti socialiste (SFIO), gage de « réalisme » et de sérieux.

Voici un appel commun de la mi-janvier 1935, qui explique bien la situation alors et reflète l’équilibre socialiste – communiste dans la démarche.

« Appel du Comité de coordination

RENFORÇONS L’UNITÉ D’ACTION
contre les provocations fascistes
et pour le soutien des luttes ouvrières

Les bandes fascistes mises en échec par l’unité d’action cherchent leur revanche.

Avec la tolérance du gouvernement Flandin, elles intensifient leurs menaces et leurs provocations.

Le 8 janvier dernier, à la salle Bullier, les dirigeants des bandes fascistes, parmi lesquels se trouvaient plusieurs topazes qui s’illustrèrent le 6 février 1934, ont directement fait appel au meurtre des antifascistes.

Ces ennemis du peuple, à la solde des grandes puissances financières, ont déclaré vouloir user de « TOUS LES MOYENS » et ont menacé d’ « EMPLOYER LA FORCE » pour aboutir à leurs fins.

Les provocations à l’assassinat complètent les manœuvres militaires auxquelles se livre le colonel de La Rocque à la tête de ses « croix de feu ».

Le 6 janvier, l’agent du grand capital, La Rocque, a transporté 6.000 hommes de Paris à AMIENS, préparant ainsi ses troupes aux attaques de grand style contre les travailleurs et leurs organisations.

IL FAUT S’OPPOSER, AVEC LA PLUS GRANDE ÉNERGIE, AUX MENÉES FASCISTES QUI PRÉPARENT UN NOUVEAU 6 FÉVRIER.

De plus, dans différentes villes de France, les ouvriers sont en lutte pour défendre leurs conditions de vie. Les métallurgistes de Trith-Saint-Léger, les gantiers de Millau, les typos de Grenoble et les travailleurs de l’habillement de Lille sont en grève. Les protestations contre les diminutions de salaires se « multiplient, les chômeurs réclament l’amélioration de leur situation.

Le Parti socialiste et le Parti communiste assurent tous les travailleurs en lutte contre le patronat et les pouvoirs publics, de leur solidarité et de leur fraternel appui.

Nous faisons appel à l’ensemble des travailleurs pour que la solidarité en faveur des ouvriers en lutte soit effective, pour que partout, dans les villes et les villages, soit préparée ̃sans délai la résistance aux attaques des fascistes.

Les fédérations et sections socialistes et les régions, rayons et cellules communistes, doivent, ensemble, de toute urgence :

1° Organiser des collectes en faveur des grévistes

2° Appuyer sur tous les terrains les revendications des chômeurs

3° Développer une grande campagne publique contre les ligues fascistes que tolère lé gouvernement, Flandin. Mobiliser les masses travailleuses pour réclamer le désarmement et la dissolution de ces ligues.

EN AVANT, TOUJOURS EN AVANT, DANS LA VOIE DE L’UNITÉ, SEULE CAPABLE DE PAIRE RECULER L’OFFENSIVE DU CAPITAL ET DE BATTRE LE FASCISME.

Le Comité de coordination du Parti socialiste (S. F. I. O.)
et du Parti communiste (S. F. I. C.) »

Concrètement, la pression populaire a bloqué les ligues, qui sont incapables de profiter de leur élan du 6 février 1934. Si elles sont actives ou hyper-actives, elles ne profitent pas d’un ressort dans leur démarche, et le mouvement ouvrier parvient à les isoler.

Car la tendance est générale et fin janvier 1935, l’unité socialiste-communiste peut appeler à l’élargissement de son activité antifasciste ; cette ouverture marque dans les faits la naissance du Front populaire.

« NOTRE LUTTE CONTRE LE FASCISME,

(Décision du Comité de coordination du Parti socialiste et du Parti communiste.)

La décision prise par les organisations antifascistes de ne pas tolérer le renouvellement du 6 février 1934, a déterminé les ligues, fascistes à renoncer à manifester dans la rue à cette date.

Néanmoins aussi bien en province qu’à Paris les travailleurs demeureront vigilants et prendront les mesures qui leur permettraient de riposter promptement à toute tentative de manifestations fascistes le 6 février.

Au surplus, le Comité de coordination du Parti communiste et du Parti socialiste appelle les travailleurs à commémorer l’anniversaire de la grandiose manifestation populaire antifasciste du 12 février 1934.

Pour que ces démonstrations aient toute l’ampleur désirable, le Comité de coordination, dans sa séance du 29 janvier 1934, a décidé d’inviter les organisations socialistes et les organisations communistes à prendre contact dès maintenant et à appeler à coopérer aux manifestations toutes les organisations antifascistes.

En ce qui concerne la Région parisienne, les secrétaires des régions et cellules communistes, des sections et groupes socialistes (adultes et jeunes) sont invités à se réunir, demain soir vendredi, à 20h30, dans la grande salle de la Maison des Syndicats, 33, rue de la Grange-aux-Belles, Paris (10e).

Un représentant du Parti communiste et un représentant du Parti socialiste (membres tous les deux du Comité de coordination) leur fourniront toutes informations et directives utiles. (Un contrôle rigoureux sera fait à l’entrée de la réunion.)

Le Comité de coordination du Parti communiste et du Parti socialiste. »

La grande peur du 6 février 1935, qui fut en pratique une défaite totale des ligues par leur incapacité à agir tant sur le plan de la qualité que de la quantité, produisit même une rencontre de cadres socialistes et communistes en masse, à la Grange-aux-Belles, une première depuis 1920.

C’est en fait toute la scène politique socialiste et communiste parisienne qui vit alors dans la hantise d’un triomphe fasciste ; le 10 février 1935, 100 000 travailleurs manifestèrent à Paris pour célébrer la mobilisation du 9 février 1934, plusieurs meetings ayant lieu le 12.

Il se pose alors le problème de savoir quoi faire. Car à partir du 6 février 1935, il était clair que sur le plan de la tendance historique, le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) avaient le dessus sur les Ligues. Encore fallait-il savoir choisir ce qu’il fallait faire par la suite.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La ligne revendicative syndicaliste du PCF en 1934

À la fin de l’année 1934, on est encore dans une phase ascendante pour le Parti communiste (SFIC) : il se fait happer, mais ce n’est pas l’aspect principal, d’où le fait qu’il ne le remarque pas. Seuls comptent à ses yeux les succès engrangés, avec la sortie de l’isolement et l’élargissement de son influence.

On a ici au mois d’octobre la fusion des syndicats de cheminots CGT et CGTU du réseau PLM, augurant l’unité syndicale.

Le 24 octobre 1934, 30 000 travailleurs se réunissent à l’appel du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) à Paris dans les salles Bullier et Wagram, ainsi qu’en banlieue parisienne à Montreuil au Palais des Fêtes et au Casino, et organisés au dernier moment à la Grange-aux-Belles à Paris et à Courbevoie, encore en banlieue parisienne.

Le 11 novembre, plusieurs dizaines de milliers d’anciens combattants défilaient à l’appel commun, soutenus par 100 000 travailleurs.

Et les 23-23 décembre 1934, l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail liée au Parti socialiste (SFIO) (avec autour de 7 000 membres) et la Fédération sportive du travail lié au Parti communiste (SFIC) (avec autour de 11 000 membres) fusionnent en la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).

Une dénonciation de la guerre dans le Populaire, le quotidien du PS SFIO

Fort de ces succès, le Parti communiste (SFIC) va établir un profil se voulant propositionnel. Ce qui se passe, c’est que pour le Parti socialiste (SFIO), l’actualité consiste en l’instabilité gouvernementale, chronique dans la troisième République. L’objectif, c’est de jouer sur ce plan en se présentant comme la seule force stable et rassurante.

Du côté du Parti communiste (SFIC), il y a par contre l’interprétation que l’instabilité est due au régime. Néanmoins, en se tournant vers l’unité, conçue comme toujours la plus large, il n’est plus possible de proposer le renversement révolutionnaire.

Le Parti communiste (SFIC) fait alors absolument tout pour se présenter comme la force rassurante, qui permet la stabilité à tout prix.

On a ici quelque chose de fondamental, qui explique pourquoi lorsqu’il y aura un gouvernement de Front populaire en 1936, le Parti socialiste (SFIO) prendra la tête du gouvernement, alors que le Parti communiste (SFIC) refusera d’y participer.

Il est en ce sens très intéressant de connaître ce qu’est, en novembre 1934, le programme du Parti communiste (SFIC), qui est présenté dans une lettre de son Bureau politique au Parti socialiste (SFIO). Voici ce que cela donne, et ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit d’une sorte de programme d’un parti syndicaliste.

Pour le Parti communiste (SFIC), de manière officielle, ce qui compte c’est seulement la révolution. Auparavant, il n’y a que celle-ci qui comptait. Désormais, la vie politique compte également, et comme ce n’est pas la révolution, alors la ligne est celle des revendications syndicales, celle des syndicalistes à prétention révolutionnaire.

« Le programme communiste

POUR LES OUVRIERS, LES CHEMINOTS ET LES FONCTIONNAIRES

Contre toute diminution de salaires et traitements.
Abrogation des décrets-lois.
Semaine de 40 heures, sans diminution de salaires.
Amnistie et réintégration pour tous les fonctionnaires frappés pour action syndicale.
Institution de délégués ouvriers à l’hygiène et à la sécurité dans toutes les entreprises.

POUR LES CHÔMEURS

Inscription obligatoire de tous les chômeurs et droit à l’allocation pour tous.
Ouverture de fonds de chômage dans toutes les communes.

POUR LES PAYSANS

Paiements d’allocations die crise à tous ceux qu’atteint la mévente.
Moratoire des dettes (hypothèques, fermages, redevances).
Institution de l’assurance contre les calamités agricoles.
Révision de la loi sur les fermages (baux à plafond…) et le statut de métayage.

POUR LES PETITS COMMERÇANTS ET ARTISANS

Moratoire des dettes.
Révision des baux et des billets de fonds.
Institution de la propriété commerciale intégrale.

POUR LES LOCATAIRES

Révision de la loi sur les loyers.
Moratoire des loyers aux chômeurs.

POUR LES MAL-LOTIS

Moratoire des taxes syndicales.

POUR LES ANCIENS COMBATTANTS.

Maintien des droits acquis.
Abrogation des décrets-lois frappant les anciens combattants.

POUR LES SOLDATS

Contre toute augmentation du temps de service militaire.
Augmentation du prêt.
Transport gratuit en chemin de fer, la franchise postale.
Allocation aux soutiens de famille.

LÉGISLATION SOCIALE

Abrogation des décrets-lois réduisant les crédits d’assistance publique, vieillards, médicale, etc…
Révision de la loi des assurances sociales en vue de son extension et de l’augmentation des prestations.

IMPÔTS

Abrogation de la réforme fiscale de 1934.
Suppression de la taxe sur le chiffre d’affaires et des impôts indirects sur
les objets de première nécessité.
Réforme de l’impôt général et cédulaire sur le revenu en vue d’instituer des abattements, à la base et une progression plus équitable.

Répression de la fraude fiscale.
Défense du franc contre les spéculateurs à la baisse et les exportateurs de capitaux.

Révision des marchés et dommages de guerre et adjudications des fortifications de l’Est.

OUVERTURE DE GRANDS TRAVAUX D’UTILITÉ OUVRIÈRE ET PAYSANNE

Constructions d’écoles, d’hôpitaux, de sanas, d’habitations à bon marché, etc…

POUR LA DÉFENSE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES, CONTRE LE
FASCISME ET LA GUERRE

Désarmement et dissolution des ligues fascistes qui organisent la guerre civile.

Représentation proportionnelle pour toutes les assemblées législatives, départementales et communales, retour au mandat de quatre ans.

Extension de la loi de 1884 sur le droit syndical à toutes les catégories professionnelles sans distinction, en particulier pour les fonctionnaires.

Maintien des droits du Parlement en matière d’initiative budgétaire.

Dissolution de la Chambre et élections immédiates pour permettre au pays de se prononcer sur la réforme de l’État.

Épuration de l’armée des officiers royalistes et fascistes.

Désarmement général sur les bases proposées par l’Union soviétique.

Contrôle de la fabrication et du commerce des armes.

Organisation d’une puissante autodéfense de masse. »

Cette question revendicative n’est pas le produit d’une analyse, d’un choix conscient ; le Parti communiste (SFIC) agit sur le tas et fait avec ce qu’il a, à savoir sa tradition syndicaliste révolutionnaire. Dans les faits, l’activité principale du Parti communiste (SFIC), c’est la CGTU.

Comme les événements vont se précipiter avec les ligues d’extrême-droite, le Parti communiste (SFIC) va d’autant moins réfléchir à tout cela qu’il profite de la situation. Cela va impliquer toutefois qu’il se fait satelliser, d’abord par les socialistes, ensuite par les radicaux.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Le tandem Parti communiste (SFIC) – Parti socialiste (SFIO) en 1934

Dès le pacte signé entre le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO), les communiqués communs sont réguliers, que ce soit pour l’évaluation de la situation ou bien des appels, comme celui du 11 novembre 1934. La dimension de remise en cause du régime disparaît forcément, vu que le Parti socialiste (SFIO) se pose à l’intérieur de celui-ci.

Le Parti communiste (SFIC) n’a aucun problème à composer, se considérant de fait désormais comme extérieur au régime, et non plus en conflit ouvert et direct avec lui.

C’est en ce sens que, finalement, c’est le Parti socialiste (SFIO) qui l’emporte dans la dynamique, car si les deux partis assument d’influer ensemble sur le cours des événements, seul le Parti socialiste (SFIO) se pose comme alternative gouvernementale directe.

L’appel du 22 novembre 1934 est tout à fait significatif de la substance du pacte Parti communiste (SFIC) – Parti socialiste (SFIO) au niveau politique :

« Doumergue est tombé. Les délégués du P.S. et du P.C. enregistrent avec fierté cette victoire remportée grâce à l’unité d’action entre les deux partis, sur les complots de pouvoir personnel.

Mais ils constatent que le second gouvernement de trêve n’a pas répudié l’héritage du premier. Le cabinet Flandin reprend deux des mesures les plus dangereuses du cabinet Doumergue le statut des fonctionnaires, l’interdiction des manifestations.

Le projet qui interdit les syndicats de fonctionnaires menace le droit syndical et le droit de grève de l’ensemble des travailleurs. Il donne au patronat l’exemple de la lutte contre l’organisation ouvrière.

Il permettrait demain au gouvernement de chasser des administrations les hommes résolus à défendre les libertés publiques et d’y introduire en masse les complices d’un coup d’Etat, comme l’a fait Dollfuss en Autriche.

Le projet Marchandeau sur les manifestations, à peine modifié par le cabinet Flandin, supprime en fait un droit essentiel conquis depuis plus d’un siècle. II met l’existence légale des partis à la merci d’une provocation policière comme celle du 11 novembre, place de la Nation.

Le gouvernement Flandin prétend qu’en brisant les syndicats il veut restaurer l’autorité de l’État, qu’il commence donc par défendre l’État contre les grandes puissances d’argent qui le tiennent en tutelle.

Il prétend qu’en réglementant les manifestations, il cherche à assurer l’ordre public, qu’il commence donc par défendre l’ordre contre les ligues fascistes qui abusent impudemment de sa complaisance.

Hier encore, à Lille, contre le colonel de La Rocque qui passait outre aux interdictions ministérielles, on dressait une simple contravention !

La vérité est claire.

Contre une agression fasciste, le peuple des travailleurs dispose de deux armes efficaces : la force de l’organisation ouvrière, la manifestation de sa puissance de masse.

Les deux projets que le cabinet Doumergue a légués au cabinet Flandin visent à les briser l’un et l’autre.

Leur combinaison tend à rendre impossible, contre une nouvelle tentative fasciste, une nouvelle journée du 12 février.

En présence de menaces aussi redoutables dirigées contre les conditions de vie des travailleurs et contre les libertés démocratiques, le parti socialiste et le parti communiste décident d’intensifier ta campagne de meetings publics et de manifestations à travers le pays.

a) Pour le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.

b) Pour le respect du droit syndical et du droit de grève pour tous les travailleurs, y compris les fonctionnaires, contre le statut des fonctionnaires et contre les décrets-lois.

c) Pour lé droit de manifestation et contre le projet Marchandeau.

Nous appelons les travailleurs des villes et des champs à se dresser pour faire échec aux plans de Flandin de l’Aéropostale, comme ils ont déjà fait échec aux plans de Doumergue de Suez.

Vive l’unité d’action des travailleurs ! »

C’est naturellement la question du fascisme qui prime dans l’activité ouverte par le pacte ; néanmoins, plutôt que lutte contre le fascisme, il vaut mieux parler de la dénonciation systématique, à base antifasciste, des ligues d’extrême-droite et de leurs activités.

Ce n’est pas le cas encore au début, comme en témoigne le 15 décembre 1934, cet appel du Comité de coordination du Parti socialiste et du Parti communiste, intitulé « Face aux ennemis des travailleurs ».

On est ici encore clairement dans le prolongement du 9 février 1934, mais cela va changer au fur et à mesure avec la focalisation unique sur les ligues.

« Les organisations fascistes de France redoublent d’activité ; leurs agissements sont couverts par le deuxième gouvernement de « trêve » comme ils l’étaient par le premier et les provocations répétées des hitlériens français témoignent de la préparation de nouvelles attaques contre les travailleurs.

A Roanne, les grévistes du textile qui défendent leur pain et celui de leurs enfants, sont l’objet de provocations odieuses de la part des forces policières. Le patronat voudrait à tout prix battre ces magnifiques lutteurs. Il se rend compte que la victoire des grévistes de Roanne serait une victoire de la classe ouvrière tout entière dans la défense des salaires.

L’offensive fasciste sur le plan international, se poursuit dans un grand nombre de pays d’Europe et tout particulièrement en Espagne et en Allemagne, tandis que dans la Sarre les masses travailleuses, hostiles à l’hitlérisme, sont l’objet de menaces et de provocations.

En vue d’alerter la population travailleuse de France et de la dresser contre les menées fascistes dans un esprit de solidarité internationale, les délégués du Parti socialiste et du Parti communiste, réunis en Comité de coordination, le 14 décembre 1934, décident

1° D’organiser à Paris, à Bayonne, à Perpignan, à Toulouse, à Narbonne, à Metz, à Strasbourg et à Forbach, de grands meetings :

a) Pour le désarmement et la dissolution des ligues fascistes ;

b) Contre l’interdiction ministérielle des manifestations, contre le projet Marchandeau et contre toute atteinte aux libertés démocratiques et aux conditions de vie des travailleurs ;

c) Pour le soutien des révolutionnaires espagnols et allemands poursuivant leur lutte héroïque et pour la libération de ceux d’entre eux qui sont entre les mains des bourreaux de Madrid et de Berlin ;

d) Pour le soutien des travailleurs sarrois dressés contre l’hitlérisme et partisans du statu quo, qui veulent que soit garanti le droit de retour de la Sarre dans une Allemagne libérée de l’hitlérisme.

2° D’entreprendre une action commune de protestation des municipalités socialistes et communistes, appuyées par les deux partis, contre le projet Régnier diminuant les droits des communes.

3° D’organiser dans le département de la Loire de grands rassemblements, populaires en vue d’aider les grévistes de Roanne dans leur lutte, de demander aux sections socialistes ainsi qu’aux rayons communistes de l’ensemble du pays, d’agir en commun pour faire circuler des listes de souscription en faveur des grévistes de Roanne. L’action commune des travailleurs fera reculer nos ennemis.

EN AVANT, LA MAIN DANS LA MAIN, POUR LA BATAILLE COMMUNE.

Le Comité de Coordination du Parti Socialiste (S.F.I.O.) et du Parti Communiste (S.F.I.C.) »

On peut voir les choses ainsi : plus on est proche du 9 février 1934, et du 12 février où l’union socialiste et communiste est effective dans la rue, plus la balance penche du côté du Parti communiste (SFIC). Plus on s’en éloigne, plus le Parti communiste (SFIC) est intégré à l’union, mais l’union n’est plus considérée comme le fait de se tourner vers lui.

On passe alors de la lutte contre le fascisme à la lutte contre les ligues d’extrême-droite, et lorsque ce passage se fait clairement, les radicaux intègrent le Front populaire.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La ligne antifasciste populaire par et pour l’unité en 1934

Le Parti communiste (SFIC) n’a qu’un seul repère en 1934 : l’élargissement du Front contre le fascisme ; c’est la seule clef dont il dispose pour exister politiquement après des années d’isolement, et il ne sait pas l’utiliser, aussi espère-t-il que tout ira de soi-même. Il y a une confiance aveugle en l’unité populaire qui est exigée par les masses, il pense comme les syndicalistes que les choses iront d’elles-mêmes.

Voici comment, le 26 octobre 1934, Marcel Cachin présente l’arrière-plan de cette démarche du Parti communiste (SFIC), dans son article « La croissance du courant populaire antifasciste » :

« Les six meetings de mercredi 24, dans la région parisienne, ont été suivis par plus de 30.000 travailleurs. Le samedi 20 à Buffalo, une foule immense avait envahi le vélodrome.

En province l’annonce de chacune des manifestations du Parti communiste et celles du front uni attire des rassemblements ouvriers d’une force et d’un allant inusités.

Le prolétariat comprend partout que les moments actuels sont chargés de lourds périls. Il se rend par masses compactes à l’appel des deux partis qui ont eu la sagesse de conclure leur accord pour l’action, car il sait que cette unité est la première condition de sa défense et de son attaque.

Un cri unanime domine en effet toutes ces assemblées qui prennent un caractère vraiment solennel, c’est celui d’unité d’action, dont le mot est acclamé comme l’expression de la volonté fervente et générale.

La foule montre par là qu’elle possède un sens politique aigu. Pourquoi faut-il donc que quelques responsables opposent à cette poussée populaire si saine une résistance qui ne fléchit pas ?

On lit dans la presse bourgeoise (qui les accueille avec une satisfaction évidente) les articles d’un député socialiste qui se déclare de plus en plus opposé au front unique. Et, d’autre part, les ouvriers commencent à manifester vigoureusement leur mécontentement de, voir accumuler les réserves, les atermoiements et même les obstacles contre l’unité par quelques chefs de la C.G.T. Les travailleurs veulent qu’intervienne au plus tôt ta solution ardemment souhaitée par tous.

Fort heureusement, ils enregistrent aujourd’hui avec une joie profonde la décision des deux fédérations de cheminots qui ouvrent la brèche par laquelle doit passer l’unité syndicale tout entière.

Déjà, samedi, sur un autre terrain, ils avaient applaudi avec nous, à l’annonce de l’unité des organisations ouvrières sportives françaises, comme un progrès dont ils apprécient toute la portée.

Ainsi, le courant vers le front ouvrier élargi devient de plus en plus fort. Il finira par s’imposer de manière irrésistible. Il agit aussi du côté des intellectuels. Et la puissante manifestation de Paris, présidée mardi par Gide, à l’occasion du congrès des Ecrivains soviétiques, trouvera dans tout le pays une répercussion, qui n’est pas près de s’éteindre.

A ce propos, il nous faut, rappeler ici l’interview donnée il y a quelques jours au Petit Journal par le colonel comte de la Rocque, qui se flattait d’avoir distribué beaucoup de ses insignes à la tête de mort à de nombreux travailleurs dégoûtés, disait-il, du contact « des apaches » que nous sommes.

Apaches ! C’est dans les rangs des nazis de La Rocque qu’on trouve des apaches armés, prêts à faire les coups de main, à mettre à nouveau le feu dans les kiosques, dans les autobus et les ministères comme au 6 février dernier.

Mais parmi les ouvriers communistes et socialistes du front uni, parmi les intellectuels venus aux idées soviétiques (et qui comptent les plus grands écrivains et les plus grands savants de l’heure présente), il n’y a que d’honnêtes gens animés de l’idéal humain le plus noble et le plus élevé.

Nous espérons que les radicaux qui siègent au Congrès de Nantes seront mis en présence des propositions de nombreuses fédérations de leur parti qui exigent le désarmement et la dissolution des ligues fascistes. Mais nous trouvons déjà dans les articles de certains de leurs leaders de droite une lamentable équivoque à laquelle il faut répondre vigoureusement.

Ils disent que les fascistes sont armés, mais que les travailleurs du front uni le sont également et que, partant, la justice réclame qu’on dissolve les uns comme les autres. Nous ne pouvons pas permettre qu’on altère ainsi la vérité.

Nul ne peut nier aujourd’hui que les ligues fascistes soient armées. Leurs chefs l’avouent cyniquement.

Les Bucard de la Solidarité française l’affirment dans leurs journaux. Nous en avons cité de nombreux extraits. Ils s’exercent au tir au revolver dans de camps d’entraînement dont la police connaît l’adresse.

Quant aux Croix de Feu, leurs sections alertées dans tout le pays défilent en formations militaires à travers Paris et Chantilly.

Les gens d’Action Française se vantent d’avoir désigné pour l’assassinat des hommes politiques nommément désignés. Des excitations au meurtre ont pu et peuvent encore se développer dans leur presse sans que les autorités s’en émeuvent.

Soixante-quinze équipes fascistes sont prêtes à se rendre au domicile de leaders communistes et socialistes.

Qui oserait comparer à cette attitude de putschistes et de meurtriers oustachis [de Croatie ayant assassiné à Marseille le roi de Yougoslavie Alexandre Ier] celle des organisations du Front uni ? Parmi ceux qui n’hésitent pas à mettre sur le même plan les fascistes et les communistes, nul ne répondra à cette question.

Mais nous savons aussi que dans les classes moyennes, qui sont les assises mêmes du parti radical, les travailleurs repoussent loin d’eux toute assimilation de cette sorte. Là, on sait que les organisations ouvrières en appellent aux grandes masses unies pour l’action et qu’elles ne poussent pas à l’assassinat, un à un, de leurs ennemis de classe.

Dans les classes moyennes, on professe pour le fascisme et ses procédés sauvages ta même répulsion violente que dans les rangs mêmes du prolétariat.

Et, par surcroît, on sait de source sûre que jamais en France le fascisme ne pourra être écarté et brisé qu’avec le concours et l’appui du peuple tout entier dont l’élite est rassemblée dans le front uni.

C’est pourquoi nous comptons déjà dans le front populaire de nombreux antifascistes venus des classes moyennes et décidés à agir avec les prolétaires pour repousser l’odieuse menace.

Ce front populaire ne peut que s’élargir. Car si son programme est essentiellement un programme de défense antifasciste, il comporte aussi des revendications précises. Les unes sont communes à tous les travailleurs les autres sont spéciales aux classes moyennes.

Le capital qui soudoie et entretient à grands frais les bandes fascistes du Front national a, seul, la responsabilité de l’immense détresse dans laquelle sont plongés chaque jour davantage les travailleurs de la classe moyenne ici comme en tous pays. »

On voit très bien comment l’antifascisme est conçu comme un levier, avec une conception mécanique. La dimension vivante de l’évolution du pays et de la politique nationale n’est pas prise en compte ; l’unité est considérée comme devant en soi aller dans le sens du Parti communiste (SFIC).

Il y a au fond l’opportunisme, parfaitement exprimé par la figure de Maurice Thorez ; en fait, le Parti communiste (SFIC) ne veut pas prendre ses responsabilités, il veut que les choses se fassent d’elles-mêmes, lui-même assumant s’il le faut, mais ne prenant jamais les commandes.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Maurice Thorez et le « Français moyen »

Le pacte avec le Parti socialiste (SFIO) est une chance inespérée pour le Parti communiste (SFIC), qui passe sur une ligne d’ouverture complète, par tous les moyens. Il se tourne vers les paysans et les petits commerçants ; il cherche par tous les moyens à ne pas apparaître comme « extérieur » à la politique française.

Il y a ici d’un côté une volonté de profiter du choc qu’a provoqué Février-1934, avec un sens marqué de l’unité du côté populaire, et un opportunisme très prononcé, car le Parti communiste (SFIC) n’a tout simplement pas les moyens de sa politique.

Habitué à une ligne gauchiste et sectaire, il doit être en mesure de désormais « discuter » et cela implique d’avoir une base idéologique forte, ce qu’il n’a pas.

De plus, les socialistes et la CGT mettent la pression pour forcer le Parti communiste (SFIC) à céder sur le plus de points possibles. Fin août 1934, la CGT refuse notamment de mettre en place un comité pour discuter de l’unité avec la CGT-U.

C’est là un aspect essentiel que ce refus de la CGT. La CGT traîne des pieds : le Parti communiste (SFIC), pour avancer, devra reculer. On passe alors dans une contorsion idéologique dont il avait déjà l’habitude et qu’il n’abandonnera désormais plus.

Le grand représentant de cette démarche contorsionniste, c’est Maurice Thorez. Voici comment le 9 septembre 1934, il fait l’éloge du Parti communiste (SFIC) comme meilleur défenseur du « Français moyen » :

« Décidément, les feuilles de la bourgeoisie ne peuvent nous pardonner l’éclat de notre manifeste et surtout l’intérêt que nous portons, nous prolétaires révolutionnaires, aux travailleurs des classes moyennes.

Les capitalistes exploitent férocement les salariés restés dans leurs usines ; ils jettent à la rue, sans secours, sans pain, des centaines de milliers d’ouvriers.

Par d’autres moyens, les parasites du capital volent aux paysans, aux artisans, aux boutiquiers, la plus grosse part du produit de leur rude labeur. Le gouvernement au service des banquiers et des industriels réduit les traitements des petits fonctionnaires, instituteurs, postiers, cheminots, etc.… et il ampute la « créance sacrée » des anciens ; combattants et victimes de la guerre.

Toute une jeunesse sort des grandes écoles, pourvue abondamment de diplômes, mais condamnée à l’inactivité et à la misère.

La bourgeoisie exploite, opprime les travailleurs de toutes conditions. Elle voudrait continuer à berner et à bafouer le « Français moyen ».

De là une grande, colère contre le Parti communiste qui a osé dresser le clair programme des revendications essentielles du « Français moyen » (…).

Nous avons dit au boutiquier et à l’artisan : les charges fiscales vous écrasent, les vautours vous grugent, les billets de fond vous ruinent, et il n’y a rien ou presque dans vos tiroirs parce que la proche du prolétaire est vide !

Nous voulons soutenir vos revendications. Nous avons de même entendu et repris les revendications des victimes de la guerre qui veulent faire cesser le prélèvement de 3 % sur leurs pensions, maintenir leurs droits acquis et obtenir de nouvelles satisfactions concernant notamment les anciens prisonniers de guerre, la prorogation des délais d’instance, etc.

Les bourgeois mentent quand ils disent que nous avons dressé un cahier de revendications démagogiques pour tromper les classes moyennes. Nous n’avons vraiment aucun effort d’imagination.

Nous avons simplement inscrit dans notre programme les revendications élaborées par les intéressés eux-mêmes. Nous avons reproduit les articles rédigés par leurs propres associations. »

Cette ligne va se renforcer d’autant plus que l’extrême-droite se militarise de manière toujours plus massive, multiplie les provocations, alors que les Croix-de-Feu possèdent une grande base de masse.

Le Parti communiste (SFIC) passe alors d’une affirmation gauchiste-syndicaliste de la guerre civile révolutionnaire à l’alignement sur la défense de la République par le désarmement des milices d’extrême-droite. Schématiquement, on en revient à quarante ans auparavant, à l’époque où les socialistes soutenaient les républicains bourgeois contre la réaction catholique et monarchiste.

Cela se reflète parfaitement dans le communiqué commun socialiste-communiste du 27 septembre 1934. On y reconnaît la logique républicaine, la tendance à une participation gouvernementale, le réformisme à tendance maximaliste.

« Les délégués du Parti Communiste et du Parti Socialiste, réunis le 26 septembre dans le Comité de Coordination, élèvent la protestation la plus vive contre les menaces du discours de M. Doumergue [président du Conseil des ministres] visant le droit syndical des fonctionnaires et les libertés publiques.

Le Comité de Coordination a examiné les conditions de la riposte ouvrière que commande sans retard ce discours de provocation.

Il a décidé en conséquence

1° De charger les deux groupes parlementaires socialiste et communiste de réclamer une convocation immédiate de la Chambre en vue du dépôt d’une proposition de résolution tendant à l’abrogation des décrets-lois et du vote de la réforme électorale avec R. P. [représentation proportionnelle] suivi de la dissolution ;

2° D’organiser dans la région parisienne et à travers tout le pays, dès le 23 octobre et au cours des semaines qui suivront, de puissantes démonstrations populaires.

Pour le Parti Communiste

CACHIN, THOREZ, GITTON, DUCLOS, ALLOYER, SOUPE, LAMPE.

Pour le Parti Socialiste

BLUM, PAUL FAURE, ZYROMSKI, E. ESCOURTIEUX, FARINET, LAGORGETTE »

Dans le même esprit, pour les élections cantonales, on trouve cela comme mot d’ordre pour le Parti communiste (SFIC) :

« Le Parti Communiste vous appelle à lutter CONTRE

toute diminution de salaires, traitements, retraites

POUR l’abrogation des décrets-lois ;

la semaine des 40 heures sans diminution de salaires ;

des contrats collectifs garantissant les salaires ;

l’assurance chômage aux frais de l’État et du patronat ;

le droit d’inscription sans restriction pour les chômeurs ;

l’ouverture de travaux d’utilité ouvrière et paysanne (écoles, hôpitaux, chemins vicinaux, travaux d’irrigation, etc.).

Dimanche, votez communiste ! »

Le Parti communiste (SFIC) s’efforce d’apparaître comme constructif ; en l’absence de possibilité révolutionnaire momentanée, il passe résolument de l’autre côté avec des propositions au sein du régime, incapable de cerner la dynamique des contraires et de formuler une perspective.

Autrement dit, pour le Parti communiste (SFIC), tout pour le Front populaire s’assimile à tout par le Front populaire, et ce Front populaire qui se forme, à travers le pacte avec les socialistes, est considéré comme fonctionnant de lui-même, allant mécaniquement dans le sens du Parti communiste (SFIC).

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Le pacte du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) en 1934

Il faut bien avoir à l’esprit le climat mondial qui existe au moment du rapprochement des socialistes et communistes de la région parisienne ; c’est en effet cela qui oblige dans les faits les rapprochements à se solidifier.

Ainsi, le Japon commence à s’affirmer comme puissance militaire et n’hésite pas à présenter l’URSS comme une cible ; en Autriche, le chancelier fasciste Engelbert Dollfuss est assassiné le 25 juillet 1934 lors d’une tentative de coup d’État nazi. On parle ici du pays où se trouvait la social-démocratie la plus puissante et la plus à gauche, qui s’est fracassée sur la répression.

Le 27 juillet 1934, le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) signent un document commun, qui forme un « pacte ».

« LE PACTE

Se sont rencontrés, hier, à la Maison des Coopérateurs, les délégués du Parti socialiste et du Parti communiste,

Savoir : THOREZ, GITTON, Jacques DUCLOS, SOUPE et MARTEL pour le Parti communiste,

Et SEVERAC, LEBAS, LAGORGETTE, DESCOURTIEUX, JUST, BLUMEL, ZYROMSKI pour le Parti socialiste.

Ils se sont mis d’accord sur le pacte dont voici le texte :

Le Comité central du Parti communiste et la Commission administrative permanente du Parti socialiste sont animés de la volonté de battre le fascisme.

Il est clair que ce but ne peut être atteint que par l’action commune des masses laborieuses pour des objectifs précis de lutte. L’intérêt de la classe ouvrière exige donc que le Parti socialiste et le Parti communiste organisent cette action commune contre le fascisme.

En présence du danger que représente le fascisme pour la population laborieuse, des attentats organisés par les bandes armées centre le prolétariat, le Parti communiste et le Parti socialiste reconnaissent la nécessité de mener d’un commun accord l’action déterminée et en précisent ainsi les modalités et les conditions :

I. Le Parti socialiste et le Parti communiste signent un pacte d’unité d’action par lequel ils s’engagent à organiser en commun et à participer avec tous leurs moyens (organisations, presse, militants, élus, etc…) à une campagne dans tout le pays, ayant pour but :

a) Mobiliser toute la population laborieuse contre les organisations fascistes, pour leur désarmement et leur dissolution ;

b) Pour la défense des libertés démocratiques, pour la R. P. [représentation proportionnelle] et la dissolution de la Chambre ;

c) Contre les préparatifs de guerre ;

d) Contre les décrets-lois ;

e) Contre la terreur fasciste en Allemagne et en Autriche, pour la libération de [l’Allemand et dirigeant du KPD] Thaelmann et de [l’Autrichien, maire de Vienne et SDAP] Karl Seitz, et de tous les antifascistes emprisonnés.

II. Cette campagne sera menée au moyen de meetings communs dans le plus grand nombre possible de localités et d’entreprises au moyen de manifestations et contre-manifestations de masses dans la rue, en assurant l’auto-défense des réunions ouvrières, des manifestations, des organisations et de leurs militants ; et en veillant toujours à ce que les conditions psychologiques, matérielles et morales, pour leur donner le maximum d’ampleur et de puissance soient réunies.

La campagne contre les décrets-lois sera menée par les mêmes moyens (meetings et manifestations), mais aussi en mettant en œuvre les méthodes d’agitation et d’organisation propres à aboutir à la réalisation d’une large action de lutte contre les décrets-lois.

Si, au cours de cette action commune, des membres de l’un ou de l’autre parti se trouvent aux prises avec des adversaires fascistes, les adhérents de l’autre parti leur prêteront aide et assistance.

III. Au cours de cette action commune, les deux partis s’abstiendront réciproquement d’attaques et critiques contre les organismes et militants participant loyalement, à l’action.

Toutefois, chaque parti, en dehors de l’action commune, gardera son entière indépendance pour développer sa propagande, sans injures ni outrages à l’égard de l’autre parti, et pour assurer son propre recrutement.

Quant aux manifestations d’action commune, elles doivent être exclusivement consacrées à l’objet commun et ne pas se transformer en débats contradictoires touchant à la doctrine et à la tactique des deux partis.

IV. Chaque Parti s’engage à réprimer les défaillances et les manquements qui pourraient se produire dans le sein de ses propres organisations en ce qui concerne l’action commune engagée.

Un comité de coordination composé de sept délégués de chacun des deux partis est constitué pour fixer le plan d’ensemble et le caractère des manifestations communes. Ce comité sera saisi des litiges et conflits qui pourraient surgir. Les décisions de ce comité seront consignées dans un procès-verbal, rédigé en commun, et portées à la connaissance des travailleurs. »

Le 29 juillet, 50 000 travailleurs vont au Panthéon à Paris en l’honneur de Jean Jaurès ; le 24 août un meeting commun est réalisé contre la menace impérialiste japonaise à l’égard de l’URSS à la salle Bullier avec 10 000 personnes. Le 2 septembre à Garches en banlieue parisienne la fête de L’Humanité est un grand succès.

Voici le programme, où on peut voir que la fête ouvre… avec les trompes de chasse d’une chasse à cour! C’est tout simplement lamentable et le fait que cela soit mis en place en dit long sur le niveau idéologique et culturel dans le PCF.

Le 21 septembre a lieu un meeting en soutien aux socialistes et communistes italiens, encore à la salle Bullier.

C’est le début d’une unité d’action socialiste-communiste qui ne s’arrêtera plus et constitue déjà le noyau dur du Front populaire en formation.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

L’irrépressible tendance à l’unité ouvrière après le 6 février 1934

La séquence du 6 février 1934 a puissamment ébranlé le mouvement ouvrier français, au point qu’il est évident pour tout le monde que rien ne peut rester pareil. Le Parti communiste (SFIC) y voit une chance, car de par sa base remuante en région parisienne, il est le premier à avoir pris l’initiative le 9 février. Il en découle un réel prestige, qu’il compte bien utiliser et cela à tout prix puisqu’il est dans une situation d’isolement complet.

Cela se ressent d’autant plus fortement qu’au prestige antifasciste se voit associé celui d’avoir généralisé l’opposition à la guerre avec le Comité Asmterdam-Pleyel. Si la lutte anti-guerre avait ébranlé les digues autour du Parti communiste (SFIC), l’antifascisme finit de les faire céder. Il y a une possibilité de sortir de la situation : le Parti communiste (SFIC) s’y précipite, et ce d’autant plus qu’il s’agit de tourner la page du chaos interne suite à la domination de la direction Barbé-Celor.

Maurice Thorez

À la fin juin 1934, Maurice Thorez fait en tant que dirigeant du Parti communiste (SFIC) son rapport à la conférence nationale, qui a comme seul thème « l’organisation du front unique de lutte antifasciste ».

Il titre le rapport « Les travailleurs veulent l’unité ! » et ses deux références pour l’unité sont le travail commun effectué dans le cadre du Comité Amsterdam-Pleyel et celui mené dans l’action syndicale.

Ce dernier point est essentiel, car Maurice Thorez prône l’unité syndicale, donnant des conditions bien précises pour cela :

– une plate-forme minimale de revendications ;

– la liberté d’opinion ;

– l’absence d’exclusion pour des motifs d’opinion divergente ;

– une discipline unitaire « contre le patronat et les fascistes » ;

– des élections démocratiques avec représentation proportionnelle.

On a ici quelque chose d’absolument essentiel, qui n’a pas été vu à l’époque, ni même depuis en fait. Le mouvement commencé en février 1934 aboutit en effet au Front populaire. Mais le Front populaire n’est pas qu’un bloc pour les élections, c’est un programme qui est soutenu par la CGT, une CGT qui s’est réunifiée au début de l’année 1936.

L’unité syndicale est même le phénomène majeur, et comme on le voit avec les conditions données par Maurice Thorez, elle s’appuie sur une base « socialiste unitaire ». Les conditions correspondent en effet ni plus ni moins qu’à la forme historique d’organisation des socialistes français, avec le droit de tendance et la représentativité.

Maurice Thorez

C’est là du pragmatisme, car la ligne de Maurice Thorez, c’est de sortir le Parti communiste de son isolement politique – l’isolement social et culturel s’estompant massivement avec Février-1934 et auparavant avec le mouvement anti-guerre d’Amsterdam-Pleyel – en parvenant à œuvrer dans une CGT unifiée de masse.

Cela veut bien entendu faire du Parti communiste (SFIC) un bras politique de l’activité syndicale, ce qui est précisément la nature du Parti communiste (SFIC) en fait. La Conférence nationale du Parti communiste (SFIC) de juin 1934 se conclut pour cette raison sur trois mots d’ordre : Front unique d’action, CGT unique lutte de classes, Alliance avec les classes moyennes.

Sauf que cela a un prix, que le Parti communiste (SFIC) ne connaît pas encore. Loin d’être un pays misérable, la France est une puissance capitaliste avec des couches intermédiaires très fortes, représentées par les « radicaux », c’est-à-dire les centristes.

Le Parti communiste (SFIC) ne peut pas le voir, car il n’a pas de lecture historique de la société française ; il ne voit pas le poids des traditions françaises, l’ampleur du scepticisme français comme mentalité dominante. En fait, le Parti communiste (SFIC) ressent ce scepticisme : c’est pourquoi il se précipite dans le Front populaire, pour acquérir une légitimité. Mais sans lecture historique, il va passer dans l’orbite des radicaux.

Avant que ce processus ne s’accomplisse politiquement, le Parti communiste (SFIC) vit donc au rythme de ses propres orientations, et celles-ci sont syndicalistes, pour une déviation présente dès sa fondation. Et le tournant syndical se concrétise début juillet 1934, lorsque la CGT Unitaire propose à la CGT un congrès de fusion, sans conditions.

C’est la fin du Parti communiste (SFIC) comme force isolée mais fière, assumant un isolement forcené pour établir une base ultra-active, dans l’idée de la « minorité agissante » si chère au syndicalisme français.

Maurice Thorez lors d’un meeting.
A l’arrière-plan, les figures de Staline, le dirigeant du Mouvement Communiste International, et d’Ernst Thälmann, le dirigeant du Parti Communiste d’Allemagne

Parallèlement, on a le meeting de Bullier le 3 juillet 1934, réunissant les socialistes de la région parisienne et le Parti communiste (SFIC) ; c’est là un aspect très important.

La gauche du Parti socialiste (SFIO), dirigée par Jean Zyromski, dispose en effet de l’hégémonie dans la région parisienne. Elle a suffisamment les coudées franches pour impulser sa propre ligne, surtout qu’au sein du Parti socialiste (SFIO), c’est le fédéralisme qui prime.

Ici encore, le Parti communiste (SFIC) pense être gagnant, car il sort de l’isolement, surtout dans la région parisienne qui est son bastion. Il n’y a pas pour autant de réelle réflexion : le Parti communiste (SFIC) se précipite et s’aligne. Et, de toutes façons, la classe ouvrière qui se met en branle n’a pas le sens des nuances politiques et ne se tourne pas vers le terrain des idées ou de la culture.

Ce qui prime, c’est la réaction effervescente au 6 février 1934. C’est pourquoi, dans la foulée du meeting du 3, se tient Paris le 8 juillet une manifestation de 100 000 personnes sur la même base d’unité des socialistes et des communistes de la région parisienne.

Avec un tel arrière-plan, le Parti communiste (SFIC) propose alors un pacte d’unité d’action au Parti socialiste (SFIO) et ce dernier accepte une discussion entre délégations à l’occasion de son Conseil national du 15 juillet, où le thème de l’unité était au premier rang des préoccupations.

C’est Léon Blum qui s’est chargé d’encadrer la question, au moyen des éditoriaux dans Le Populaire, car il est profondément inquiet. Une partie significative du Parti socialiste (SFIO) veut l’unité avec le Parti communiste (SFIC) et est prêt à une rupture interne pour l’obtenir. La tendance générale est à l’unité, cela apparaît comme indiscutable.

Aussi, Léon Blum, tout en disant qu’il ne veut rien freiner, ne cesse de présenter ce qu’il voit comme des points à souligner, des questions à soulever, des réflexions à avoir, des discussions à réaliser, etc.

C’est le sens des éditoriaux creux, visant à gagner du temps et à profiter de la faiblesse idéologique du Parti communiste (SFIC) pour apparaître comme rationnel, posé, bref « socialiste » : « Les problèmes de l’unité » (7 juillet), « L’unité d’action : les données du problème » (8 juillet), « Les problèmes de l’unité : les conditions de l’action commune » (9 juillet), « Les problèmes de l’unité : l’objet de la lutte commune » (10 juillet), « Les problèmes de l’unité : action commune et unité organique » (11 juillet), « Les problèmes de l’unité : les conditions de l’unité organique » (12 juillet), « Les problèmes de l’unité : la défense internationale contre le fascisme » (13 juillet), « Unité d’action » (14 juillet).

Le Conseil national du Parti socialiste (SFIO) accepte alors, inévitablement, l’unité d’action contre le fascisme et la guerre, posant trois conditions :

– la « bonne foi réciproque » avec la focalisation uniquement sur « l’objet commun » ;

– la « défense des libertés démocratiques » et la non-multiplication des « manifestations jusqu’au point de créer la lassitude de l’indifférence de la masse » ;

– le « contrôle de l’action commune » par un « Comité de coordination » avec les deux organisations.

3471 mandats ont soutenu l’unité, 366 s’y opposaient ; il y eut 67 abstentions. De manière notable, la victoire écrasante des tenants de l’unité ne fut pas présentée ainsi par le Parti socialiste (SFIO) et Le Populaire, qui cherchèrent à neutraliser la situation, au contraire naturellement du Parti communiste (SFIC) et de L’Humanité qui y virent une avancée de leurs propres positions.

Le Parti socialiste (SFIO) fit également en sorte qu’en même temps que le vote en faveur d’un pacte, il soit appelé à la propagande et au recrutement. L’objectif avoué était d’empêcher que la base soit « charmée » par l’activisme du Parti communiste (SFIC).

Neuf tracts furent immédiatement présentés, tentant de balayer un spectre assez large afin de satisfaire les attentes d’action de la base : Le sabotage de la République, Le sabotage de la paix, Le sabotage de l’Agriculture, Le sabotage du Travail, Le sabotage du Petit Commerce, Le sabotage de l’École Laïque, Le sabotage de la Réforme fiscale, Le sabotage de la Réforme administrative, Le sabotage des Finances par les marchands de canons.

Les thèmes choisis, comme on peut le voir, servent également à dénoncer le gouvernement et axer la contestation sur ce plan.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Le Coran, l’esclavage et le féodalisme artificiel

Le Coran assume l’esclavage ; on trouve de nombreux passages où il est expliqué que l’esclavage est juste, avec une définition relativement précise du cadre juridique. L’Islam conquérant, du 6e au 16e siècle, va systématiser l’esclavage, tant pour les hommes castrés et utilisés comme force de travail, que pour les femmes réduites au statut d’objets sexuels.

La castration était interdite par Mahomet, donc des non-musulmans se chargeaient de réaliser l’opération ; comme on le sait, le Coran soutient également la polygamie. On est ici dans une démarche relevant du mode de production esclavagiste.

On lit dans la sourate Les femmes :

3 Et si vous craignez de n’être pas justes envers les orphelins,… Il est permis d’épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n’être pas justes avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela, afin de ne pas faire d’injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille).

Et :

23 Vous sont interdites vos mères, filles, sœurs, tantes paternelles et tantes maternelles, filles d’un frère et filles d’une sœur, mères qui vous ont allaités, sœurs de lait, mères de vos femmes, belles-filles sous votre tutelle et issues des femmes avec qui vous avez consommé le mariage; si le mariage n’a pas été consommé, ceci n’est pas un péché de votre part; les femmes de vos fils nés de vos reins; de même que deux sœurs réunies -exception faite pour le passé. Car vraiment Allah est Pardonneur et Miséricordieux ;

24 et, parmi les femmes, les dames (qui ont un mari), sauf si elles sont vos esclaves en toute propriété. Prescription d’Allah sur vous ! A part cela, il vous est permis de les rechercher, en vous servant de vos biens et en concluant mariage, non en débauchés. Puis, de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur mahr [un don ] comme une chose due. Il n’y a aucun péché contre vous à ce que vous concluez un accord quelconque entre vous après la fixation du mahr, car Allah est, certes, Omniscient et Sage.

À voir cela, on se dit que le Coran n’est qu’une superstructure monothéiste – féodale à une base esclavagiste. Et c’est le cas, sauf qu’en pratique, de manière dialectique, c’est l’esclavagisme qui va servir de superstructure à une base monothéiste-féodale.

C’est cela, la particularité de l’Islam.

Mahomet a concrètement entrepris une synthèse de deux contraires qui ne pouvait être réalisée que sur une base romantique propre à un polythéisme animiste porté à son paroxysme dans une région désertique.

Ce n’est pas Dieu qui fait le Coran, bien entendu, mais au-delà, c’est par l’établissement du Coran que Mahomet atteint Dieu, en procédant à un « décodage » du monde polythéiste animiste où tout est attribué à Dieu.

Le Coran est un moyen et une fin et il combine deux visions du monde séparés normalement par des générations et une accumulation importante de forces productives. C’est cela qui fait la force, la vigueur incroyable du Coran, qui a réussi à parler à des millions de personnes liées au polythéisme animiste et c’est là sa faiblesse, car son discours palpite en permanence, sans jamais rien poser.

D’où, pour maintenir la stabilité de l’entreprise, la conception d’un Coran « incréé », qui existerait parallèlement à Dieu de toute éternité. L’idée est absurde, mais elle est magistrale, car elle justifie en permanence la conquête musulmane.

Mahomet, David et Salomon, Afghanistan, 1436.

Ce n’est pas seulement que le Coran est le message de Dieu, le message est divin en soi, il est vivant, donc il « palpite » de la même manière que l’animisme polythéiste. L’Islam est incessant et l’une des premières choses que va faire le droit musulman, ou la première chose, c’est de diviser le monde en Dar al-Islam et Dar al-Harb, en le domaine de l’Islam et le domaine de la guerre.

Qu’est-ce que cela veut dire, dans les faits ? Eh bien que l’Islam, au lieu d’établir une féodalité fondée sur la propriété foncière, va réaliser une féodalité militaire. L’Islam, lorsqu’il se développe, fonde des villes à partir des camps militaires, dont l’immense Bagdad.

On peut ainsi dire que là où en Europe la féodalité est dans les campagnes, dans l’Orient islamique elle est dans les villes. Le processus islamique prendra sa vraie maturité féodale lors de la fusion des éléments arabes et iraniens, à l’origine de l’établissement de tout le système moderne des empires islamiques, qui se prolongera avec l’empire ottoman d’une part, les Moghols de l’autre.

Mahomet entendait, avec le monothéisme, civiliser les Arabes prisonniers d’un mode de production esclavagiste décadent, mais lui-même en faisait partie ; d’où la contradiction entre ce que lui-même ait eu beaucoup d’esclaves, hommes et femmes, tout en appelant chaque musulman à affranchir son esclave.

Mahomet porte en fait la ville contre les campagnes et en même temps les campagnes contre les villes ; tout tourne autour de La Mecque et des clans arabes dispersés et du dépassement des contradictions claniques.

La Sourate La Cité résume de la manière la plus pure cet appel de Mahomet à une urbanité islamique – qui dans les faits n’existera que comme féodalisme militaire.

1 Non ! Je jure par cette Cité !

2 Et toi, tu es un résident dans cette cité –

3 Et par le père et ce qu’il engendre !

4 Nous avons, certes, créé l’homme pour une vie de lutte.

5 Pense-t-il que personne ne pourra rien contre lui ?

6 Il dit: « J’ai gaspillé beaucoup de biens. »

7 Pense-t-il que nul ne l’a vu ?

8 Ne lui avons Nous pas assigné deux yeux,

9 et une langue et deux lèvres ?

10 Ne l’avons-Nous pas guidé aux deux voies ?

11 Or, il ne s’engage pas dans la voie difficile !

12 Et qui te dira ce qu’est la voie difficile ?

13 C’est délier un joug [affranchir un esclave],

14 ou nourrir, en un jour de famine,

15 un orphelin proche parent

16 ou un pauvre dans le dénuement.

17 Et c’est être, en outre, de ceux qui croient et s’enjoignent mutuellement l’endurance, et s’enjoignent mutuellement la miséricorde.

18 Ceux-là sont les gens de la droite ;

19 alors que ceux qui ne croient pas en Nos versets sont les gens de la gauche.

20 Le Feu se refermera sur eux.

Mahomet porte, avec le Coran, l’animisme polythéiste au niveau du monothéisme, il attribue à l’humanité une responsabilité divine, qui ne pouvait s’exprimer, de par les conditions des Arabes, que dans l’esprit de conquête militaire, base d’un féodalisme construit artificiellement par les armes.

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Le Dieu du Coran et la rétribution

Le Coran est une œuvre où les menaces et leurs rappels constituent la majorité de l’œuvre. Seulement une petite minorité touche les règles religieuses et juridiques. Concernant ces derniers domaines, ce sont les hadiths, les « dits » rapportés du prophète, et la Sunna, la « tradition », qui joueront par la suite le rôle central.

Voici ce que dit la sourate Le discernement :

10. Béni soit Celui qui, s’il le veut, t’accordera bien mieux que cela : des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux ; et Il t’assignera des châteaux.

11. Mais ils ont plutôt qualifié l’Heure de mensonge. Nous avons cependant préparé, pour quiconque qualifie l’Heure de mensonge, une Flamme brûlante.

12. Lorsque de loin elle les voit, ils entendront sa fureur et ses pétillements.

13. Et quand on les y aura jetés, dans un étroit réduit, les mains liées derrière le cou, ils souhaiteront alors leur destruction complète.

Mais il n’y a pas qu’en permanence des menaces d’enfer : il y a également en permanence des promesses pour la vie après la mort. On n’est ici absolument pas dans un monothéisme développé, car sinon il y n’y aurait pas cette insistance très lourde dans tout le Coran sur une rétribution en fonction de comment on a vécu.

La sourate La Nouvelle est une excellente synthèse de ce que dit le Coran :

1 Sur quoi s’interrogent-ils mutuellement ?

2 Sur la grande nouvelle,

3 à propos de laquelle ils divergent.

4 Eh bien non ! Ils sauront bientôt.

5 Encore une fois, non ! Ils sauront bientôt.

6 N’avons-Nous pas fait de la terre une couche ?

7 Et (placé) les montagnes comme des piquets ?

8 Nous vous avons créés en couples,

9 et désigné votre sommeil pour votre repos,

10 et fait de la nuit un vêtement,

11 et assigné le jour pour les affaires de la vie,

12 et construit au-dessus de vous sept (cieux) renforcés,

13 et [y] avons placé une lampe (le soleil) très ardente,

14 et fait descendre des nuées une eau abondante

15 pour faire pousser par elle grains et plantes

16 et jardins luxuriants.

17 Le Jour de la Décision [du Jugement] a son terme fixé.

18 Le jour où l’on soufflera dans la Trompe, vous viendrez par troupes,

19 et le ciel sera ouvert et [présentera] des portes,

20 et les montagnes seront mises en marche et deviendront un mirage.

21 L’Enfer demeure aux aguets,

22 refuge pour les transgresseurs.

23 Ils y demeureront pendant des siècles successifs.

24 Ils n’y goûteront ni fraîcheur ni breuvage,

25 hormis une eau bouillante et un pus

26 comme rétribution équitable.

27 Car ils ne s’attendaient pas à rendre compte,

28 et traitaient de mensonges, continuellement, Nos versets,

29 alors que Nous avons dénombré toutes choses en écrit.

30 Goûtez-donc. Nous n’augmenterons pour vous que le châtiment !

31 Pour les pieux ce sera une réussite:

32 jardins et vignes,

33 et des (belles) aux seins arrondis, d’une égale jeunesse,

34 et coupes débordantes.

35 Ils n’y entendront ni futilités ni mensonges.

36 À titre de récompense de ton Seigneur et à titre de don abondant

37 du Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui existe entre eux, le Tout Miséricordieux; ils n’osent nullement Lui adresser la parole.

38 Le jour où l’Esprit et les Anges se dresseront en rangs, nul ne saura parler, sauf celui à qui le Tout Miséricordieux aura accordé la permission, et qui dira la vérité.

39 Ce jour-là est inéluctable. Que celui qui veut prenne donc refuge auprès de son Seigneur.

40 Nous vous avons avertis d’un châtiment bien proche, le jour où l’homme verra ce que ses deux mains ont préparé; et l’infidèle dira: « Hélas pour moi ! Comme j’aurais aimé n’être que poussière. »

C’est la rétribution. La punition vise les transgresseurs, la récompense va à ceux qui sont loyaux. On est nettement dans un « œil pour œil, dent pour dent » qui est similaire au judaïsme et le monothéisme du judaïsme est lui-même imparfait, enfermé dans la logique de l’époque de la société esclavagiste.

Le monothéisme véritable ne se focalise pas sur une rétribution future, mais sur une rétribution immédiate, car il relève d’une époque où s’affirme la conscience personnelle. Le protestantisme est à ce titre le monothéisme le plus achevé, car c’est dans la conscience de chaque personne livrée à elle-même, angoissée, que se joue ce qui, dans les monothéismes imparfaits, se joue après la mort seulement.

La sourate Les croyants est exemplaire de l’approche rétributive qu’on trouve dans tout le Coran. Ceux qui se soumettent iront au Paradis – Islam veut dire soumission, le musulman est le soumis – et ceux qui ne se soumettent pas iront en enfer.

102. Ceux dont la balance est lourde seront les bienheureux ;

103. et ceux dont la balance est légère seront ceux qui ont ruiné leurs propres âmes et ils demeureront éternellement dans l’Enfer.

104. Le feu brûlera leurs visages et ils auront les lèvres crispées.

Cette question de la rétribution est fondamentale, car elle montre comment le Coran forme un Dieu monothéiste pour un public qui relève d’un mode de production esclavagiste. Dieu, plutôt que lointain, se doit bien au contraire d’être un juge toujours aux aguets.

Un tel Dieu était inévitable de par la construction de l’Islam comme monothéisme par Mahomet, poète tentant de conjuguer les forces en présence pour effectuer un saut idéologique.

Le prologue du Coran insiste bien sur cette dimension rétributive lorsqu’il qualifie Dieu de « Maître du Jour de la rétribution » :

1. Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

2. Louange à Allah, Seigneur de l’univers.

3. Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,

4. Maître du Jour de la rétribution.

5. C’est Toi [Seul] que nous adorons, et c’est Toi [Seul] dont nous implorons secours.

6. Guide-nous dans le droit chemin,

7. le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés.

On a ici quelque chose d’essentiel, qui explique pourquoi dès la mort de Mahomet, les musulmans vont se diviser, l’Islam connaissant ensuite dans tout son parcours d’innombrables scissions et factionnalismes.

Contrairement aux apparences, l’Islam n’est pas une révélation aboutie, avec tout clef en main. Le Coran se situe dans une époque où Mahomet, un géant, a synthétisé quelque chose et ce quelque chose est le passage des Arabes à l’idéologie féodale.

Le Coran, écrit sur plus de vingt ans, s’adresse donc aux Arabes à un moment donné, faisant des reproches calibrés pour des situations très précises et en fait toute l’œuvre est remplie de récriminations, de rejets.

Le Coran est censé être un message de Dieu, un message éternel, mais en pratique il est toujours contextuel, avec un combat contre ceux qui ne se plient pas à l’initiative de Mahomet.

La sourate Le pèlerinage souligne le rigorisme de la sélection qu’on trouve dans tout le Coran :

8. Or, il y a des gens qui discutent au sujet d’Allah sans aucune science, ni guide, ni Livre pour les éclairer,

9. affichant une attitude orgueilleuse pour égarer les gens du sentier d’Allah. A lui l’ignominie ici-bas; et Nous Lui ferons goûter le Jour de la Résurrection, le châtiment de la fournaise.

La rétribution n’est donc pas à comprendre comme bons points et mauvais points en général, même si c’est en apparence cela, mais comme affirmation d’un drapeau, avec le mérite ou la punition selon le rapport qu’on a à celui-ci.

Cela témoigne de la nature forcée de l’Islam, de la dimension artificielle – mais géniale – de Mahomet. Et la preuve de cela, c’est que pour obtenir le monothéisme désiré, Mahomet devait inévitablement organiser les Arabes militairement afin d’établir un féodalisme par en haut, aux dépens des peuples voisins.

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