Ce qui est le plus fou, c’est que Pierre Drieu La Rochelle ne départira jamais de cette posture romantique de type symboliste, surréaliste, décadentiste. A la base, il fréquente d’ailleurs le milieu surréaliste ; son ami le plus proche est alors Louis Aragon.
Mais même par la suite, alors qu’il a rompu avec le surréalisme, il maintiendra le cap de l’art comme expression des tourments individuels, annonciateurs d’une vie nouvelle. C’est la vision romantique d’une esthétisation de la vie.
Et si le fascisme lui parle de par son esthétisation de la politique, son irrationalisme, il ne comprend pas qu’il s’agit par conséquent d’une esthétique en soi. Pour lui, l’art maintient son existence de rupture subjective initiale, fondatrice.
Dans un article pour le journal argentin La Nacion, en 1939, Pierre Drieu La Rochelle explique de manière aberrante la chose suivante dans l’article Artistes et prophètes :
« Un hasard de conversation m’a remis en mémoire ce fait qui avait l’autre année éveillé en moi certaines réflexions : les Hiltériens ont banni des musées allemands l’oeuvre de Vincent Van Gogh.
Or, ce peintre violent et désespéré me paraît l’un des précurseurs de Hitler (…).
Parmi les inquisiteurs hitlériens qui ont mis au pas les différentes activités culturelles, il en est des plus conscients et qui savaient à peu près ce qu’ils faisaient. Leurs écrits et leurs discours le prouvent. Ceux-ci n’ont pas ignoré, mais renié.
Ils veulent détruire tout l’aspect convulsif de l’art des derniers lustres. Or eux-mêmes dans leur mouvement révolutionnaire sont l’expression la plus certaine du caractère convulsif de l’esprit du siècle.
Sans doute rêvent-ils de sortir de cette convulsion qui les a mis au monde (…).
Ces temps-ci, les Fascistes italiens et les Bolcheviks russes ont manifesté leur ingratitude à l’égard des audacieux giui avaient été leurs avant-coureurs par des idées et des images.
Mussolini a admis dans l’Académie italienne Marinetti vieilli et relative-ment assagi, mais il n’a pas ouvert les portes des musées à l’œuvre picturale et sculpturale des Futuristes qui avaient préfiguré de la facon la plus téméraire et la plus provocante les violences fascistes.
Les Bolcheviks ont bientôt réduit au désespoir les poètes et les peintres qui avaient salué leur avènement. Essenine et Maïakovsky se sont suicidés.
D’autres ont été réduits au silence, exilés ou fusillés. J’ai vainement cherché dans le musée de Moscou les œuvres qui avaient été en honneur aux premiers jours de la Révolution.
Certes, les œuvres de l’avant-garde française étaient encore là, les œuvres de Braque, de Léger, de Matisse, de Picasso ; mais ce n’était pas vers elles que les guides officiels dirigeaient les troupes de badauds, c’était vers les œuvres les plus conventionnelles et les plus banales de la peinture du siècle dernier. Devant cette peinture-là, guides et guidés communiaient en toute paresse.
Ils se détournaient aussi de la salle où je restai à peu près seul pendant une heure et qui renfermait l’inestimable trésor des vieilles icônes arrachées aux couvents et aux églises. »
Pierre Drieu La Rochelle ne pouvait pas ne pas savoir que le national-socialisme affirmait sa propre esthétique ; l’exposition sur « l’Art dégénéré » à Munich en 1937 ne pouvait pas lui avoir échappé, surtout que lui-même était extrêmement proche d’Otto Abetz, l’activiste idéologique et culturelle en faveur de l’Allemagne nazie, principalement avec le Comité France-Allemagne.
Pourtant, en 1937, il défend encore Braque, Léger, Matisse, Picasso, qu’il présente comme « l’avant-garde française », comme s’il était encore l’écrivain lié au milieu de ces peintres, une quinzaine d’années auparavant, comme si rien n’avait changé.
Il y a là quelque chose d’absurde. Quant aux « œuvres les plus conventionnelles et les plus banales de la peinture du siècle dernier » à Moscou, il s’agit certainement des peintures réalistes des Ambulants, œuvres d’une valeur inestimable ayant pavé la voie au réalisme socialiste.
Mais là encore, cette question esthétique a échappé à Pierre Drieu La Rochelle. Son romantisme ne conçoit pas autre chose qu’un art d’avant-garde, c’est-à-dire au mieux d’expressionnisme, au pire et plus traditionnellement de subjectivisme à prétention moderniste.