L’adhésion du Parti socialiste SFIO à l’Internationale Communiste lors du congrès de Tours de décembre 1920 reflète un parcours très compliqué en cette direction ; ce fut tellement le cas qu’au sens strict, la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste est plus symbolique qu’autre chose.
Les raisons à cela sont multiples et se combinent.
1. Tout d’abord, le Parti socialiste SFIO est étranger à la tradition social-démocrate. Il ne fait pas du marxisme ni sa référence systématique, ni sa doctrine en tant que tel. Il n’a pas de système de pensée fermé, mais un style : l’union de tous les « socialistes » voulant dépasser le capitalisme, quelles que soient leurs approches, quels que soient leurs choix, etc.
Le Parti vit à côté du syndicat – la CGT – et admet la séparation des deux entités, sans parler de la subordination du syndicat au Parti, inconcevable pour les syndicalistes et même pour les socialistes.
Comme le bolchevisme est une évolution de la social-démocratie russe, il aurait fallu que le Parti socialiste SFIO passe à la tradition social-démocrate puis au bolchevisme. Cela ne fut nullement vu.
La conséquence, on s’en doute, est que rapidement les socialistes pro-IIIe Internationale s’apercevront qu’ils se sont fourvoyés ; bien souvent ils refuseront de se remettre en cause et ils partiront. Les années suivant la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste sont marquées par des départs en série, y compris au plus haut niveau.
Le chef de file des partisans de la IIIe Internationale lors du congrès de Tours, Ludovic-Oscar Frossard, qui devint le premier dirigeant historique de la Section Française de l’Internationale Communiste, démissionnera dès janvier 1923, pour rejoindre la Section Française de l’Internationale Ouvrière « maintenue ».
2. Le problème qu’on a avec les anciens socialistes est également valable pour les nouveaux adhérents, arrivés en 1919-1920 en ayant l’impression qu’être en phase avec la révolution russe, c’était adopter le style « socialiste ». Les exigences de la IIIe Internationale n’en apparaîtront que plus rudes.
En 1919, le Parti socialiste SFIO a autour de 130 000 adhérents ; en 1920, au congrès de Tours, il s’appuie sur 178 372 adhérents.
En 1921, la Section Française de l’Internationale Communiste a 109 391 adhérents ; en 1922 elle n’en a plus que 78 828. En 1923, elle n’en a plus qu’autour de 45 000.
En 1924, elle en a 70 000, pour retomber à 60 000 en 1925. Il y a 55 000 adhérents en 1926, 54 000 en 1927, 52 000 en 1928, chiffre qui restera grosso modo le même jusqu’en 1934. Et encore faut-il considérer que seule une moitié des adhérents est réellement active.
La Section Française de l’Internationale Communiste a été un lieu de projection et il y a une incapacité majeure des gens la rejoignant à s’adapter aux exigences de l’Internationale Communiste.
3. Les délégués présents au congrès de Tours ne représentaient, de fait, pas réellement les adhérents. Eux-mêmes l’expliquent lors des présentations des votes sur la IIIe Internationale dans chaque Fédération : une grande partie des adhérents n’a tout simplement pas participé !
De plus, ceux qui ont participé ne savaient pas exactement de quoi il en retournait. Nombre de Fédérations votent pour la IIIe Internationale… tout en soulignant l’exigence de l’unité et en réfutant toute exclusion de la minorité. C’est là une incompréhension totale du bolchevisme, des 21 conditions pour l’adhésion à la IIIe Internationale.
La majorité de la Fédération socialiste de l’Ain, par la voix de René Nicod, proposa ainsi une motion d’ajournement, avec comme motif le constat tout à fait réaliste comme quoi :
« L’effondrement de l’unité socialiste serait en France la première défaite de l’Internationale socialiste et la première grande victoire de la bourgeoisie capitaliste.
Si ce n’est pas le Parti tout entier, mais si c’est un parti amputé qui entre à l’Internationale d’action désirable – que ce soit la IIIe ou que soit une autre – la portée de cet événement sera considérablement amoindrie.
Or, le Parti socialiste constate que sur cette question particulière de l’adhésion ou de la non-adhésion à la IIIe Internationale, ses militants les plus qualifiés, ceux qui sont les plus imprégnés de sa doctrine, ceux qui sont les plus fidèles à sa tradition, sont presque partout en complet désaccord quant à la valeur socialiste ou à l’opportunité d’une décision immédiate.
Ce désaccord, qui oppose artificiellement des hommes qui, hier encore, semblaient en parfaite communion d’idées quant à la doctrine, à l’organisation, aux méthodes de propagande et d’action du Parti, est dû à ce que les thèses de Moscou et les conditions préalables posées à l’adhésion de la IIIe Internationale n’ont généralement pas été étudiées et jugées en elles-mêmes, mais en fonction de ce grand événement qu’est la Révolution russe. »
Cette motion visait dans les faits à temporiser en faveur d’une unité des restes de la seconde Internationale (qui deviendra ce qu’on appellera la « seconde et demie », avec Vienne comme centre névralgique) et de la IIIe Internationale. Ce n’était là pas réaliste, mais cela reflète l’approche « socialiste », incapable de saisir les choses de manière idéologique.
D’ailleurs, l’ensemble du Parti socialiste SFIO est grosso modo en accord avec cette approche. Même les partisans de la IIIe Internationale soulignent que, finalement, l’adhésion à celle-ci ne changera pas immédiatement quoi que ce soit, qu’il n’y aura pas d’expulsions de membres, que les traditions sont préservées : elles seraient simplement améliorées, le bolchevisme étant une technique, une « exigence », etc.
4. Les seuls qui avaient réellement compris les exigences du bolchevisme s’y opposaient. Sachant qu’ils allaient être en minorité au congrès de Tours, ils ont savonné la planche, préparé la scission de manière particulièrement machiavélique afin de passer pour des martyrs du sectarisme et du dogmatisme. Le plan réussira à merveille, les partisans de la IIIe Internationale, plus volontaires qu’autre chose, ne remarqueront même pas comment ils se font piégés.