Le Parti communiste (SFIC) n’a qu’un seul repère en 1934 : l’élargissement du Front contre le fascisme ; c’est la seule clef dont il dispose pour exister politiquement après des années d’isolement, et il ne sait pas l’utiliser, aussi espère-t-il que tout ira de soi-même. Il y a une confiance aveugle en l’unité populaire qui est exigée par les masses, il pense comme les syndicalistes que les choses iront d’elles-mêmes.
Voici comment, le 26 octobre 1934, Marcel Cachin présente l’arrière-plan de cette démarche du Parti communiste (SFIC), dans son article « La croissance du courant populaire antifasciste » :
« Les six meetings de mercredi 24, dans la région parisienne, ont été suivis par plus de 30.000 travailleurs. Le samedi 20 à Buffalo, une foule immense avait envahi le vélodrome.
En province l’annonce de chacune des manifestations du Parti communiste et celles du front uni attire des rassemblements ouvriers d’une force et d’un allant inusités.
Le prolétariat comprend partout que les moments actuels sont chargés de lourds périls. Il se rend par masses compactes à l’appel des deux partis qui ont eu la sagesse de conclure leur accord pour l’action, car il sait que cette unité est la première condition de sa défense et de son attaque.
Un cri unanime domine en effet toutes ces assemblées qui prennent un caractère vraiment solennel, c’est celui d’unité d’action, dont le mot est acclamé comme l’expression de la volonté fervente et générale.
La foule montre par là qu’elle possède un sens politique aigu. Pourquoi faut-il donc que quelques responsables opposent à cette poussée populaire si saine une résistance qui ne fléchit pas ?
On lit dans la presse bourgeoise (qui les accueille avec une satisfaction évidente) les articles d’un député socialiste qui se déclare de plus en plus opposé au front unique. Et, d’autre part, les ouvriers commencent à manifester vigoureusement leur mécontentement de, voir accumuler les réserves, les atermoiements et même les obstacles contre l’unité par quelques chefs de la C.G.T. Les travailleurs veulent qu’intervienne au plus tôt ta solution ardemment souhaitée par tous.
Fort heureusement, ils enregistrent aujourd’hui avec une joie profonde la décision des deux fédérations de cheminots qui ouvrent la brèche par laquelle doit passer l’unité syndicale tout entière.
Déjà, samedi, sur un autre terrain, ils avaient applaudi avec nous, à l’annonce de l’unité des organisations ouvrières sportives françaises, comme un progrès dont ils apprécient toute la portée.
Ainsi, le courant vers le front ouvrier élargi devient de plus en plus fort. Il finira par s’imposer de manière irrésistible. Il agit aussi du côté des intellectuels. Et la puissante manifestation de Paris, présidée mardi par Gide, à l’occasion du congrès des Ecrivains soviétiques, trouvera dans tout le pays une répercussion, qui n’est pas près de s’éteindre.
A ce propos, il nous faut, rappeler ici l’interview donnée il y a quelques jours au Petit Journal par le colonel comte de la Rocque, qui se flattait d’avoir distribué beaucoup de ses insignes à la tête de mort à de nombreux travailleurs dégoûtés, disait-il, du contact « des apaches » que nous sommes.
Apaches ! C’est dans les rangs des nazis de La Rocque qu’on trouve des apaches armés, prêts à faire les coups de main, à mettre à nouveau le feu dans les kiosques, dans les autobus et les ministères comme au 6 février dernier.
Mais parmi les ouvriers communistes et socialistes du front uni, parmi les intellectuels venus aux idées soviétiques (et qui comptent les plus grands écrivains et les plus grands savants de l’heure présente), il n’y a que d’honnêtes gens animés de l’idéal humain le plus noble et le plus élevé.
Nous espérons que les radicaux qui siègent au Congrès de Nantes seront mis en présence des propositions de nombreuses fédérations de leur parti qui exigent le désarmement et la dissolution des ligues fascistes. Mais nous trouvons déjà dans les articles de certains de leurs leaders de droite une lamentable équivoque à laquelle il faut répondre vigoureusement.
Ils disent que les fascistes sont armés, mais que les travailleurs du front uni le sont également et que, partant, la justice réclame qu’on dissolve les uns comme les autres. Nous ne pouvons pas permettre qu’on altère ainsi la vérité.
Nul ne peut nier aujourd’hui que les ligues fascistes soient armées. Leurs chefs l’avouent cyniquement.
Les Bucard de la Solidarité française l’affirment dans leurs journaux. Nous en avons cité de nombreux extraits. Ils s’exercent au tir au revolver dans de camps d’entraînement dont la police connaît l’adresse.
Quant aux Croix de Feu, leurs sections alertées dans tout le pays défilent en formations militaires à travers Paris et Chantilly.
Les gens d’Action Française se vantent d’avoir désigné pour l’assassinat des hommes politiques nommément désignés. Des excitations au meurtre ont pu et peuvent encore se développer dans leur presse sans que les autorités s’en émeuvent.
Soixante-quinze équipes fascistes sont prêtes à se rendre au domicile de leaders communistes et socialistes.
Qui oserait comparer à cette attitude de putschistes et de meurtriers oustachis [de Croatie ayant assassiné à Marseille le roi de Yougoslavie Alexandre Ier] celle des organisations du Front uni ? Parmi ceux qui n’hésitent pas à mettre sur le même plan les fascistes et les communistes, nul ne répondra à cette question.
Mais nous savons aussi que dans les classes moyennes, qui sont les assises mêmes du parti radical, les travailleurs repoussent loin d’eux toute assimilation de cette sorte. Là, on sait que les organisations ouvrières en appellent aux grandes masses unies pour l’action et qu’elles ne poussent pas à l’assassinat, un à un, de leurs ennemis de classe.
Dans les classes moyennes, on professe pour le fascisme et ses procédés sauvages ta même répulsion violente que dans les rangs mêmes du prolétariat.
Et, par surcroît, on sait de source sûre que jamais en France le fascisme ne pourra être écarté et brisé qu’avec le concours et l’appui du peuple tout entier dont l’élite est rassemblée dans le front uni.
C’est pourquoi nous comptons déjà dans le front populaire de nombreux antifascistes venus des classes moyennes et décidés à agir avec les prolétaires pour repousser l’odieuse menace.
Ce front populaire ne peut que s’élargir. Car si son programme est essentiellement un programme de défense antifasciste, il comporte aussi des revendications précises. Les unes sont communes à tous les travailleurs les autres sont spéciales aux classes moyennes.
Le capital qui soudoie et entretient à grands frais les bandes fascistes du Front national a, seul, la responsabilité de l’immense détresse dans laquelle sont plongés chaque jour davantage les travailleurs de la classe moyenne ici comme en tous pays. »
On voit très bien comment l’antifascisme est conçu comme un levier, avec une conception mécanique. La dimension vivante de l’évolution du pays et de la politique nationale n’est pas prise en compte ; l’unité est considérée comme devant en soi aller dans le sens du Parti communiste (SFIC).
Il y a au fond l’opportunisme, parfaitement exprimé par la figure de Maurice Thorez ; en fait, le Parti communiste (SFIC) ne veut pas prendre ses responsabilités, il veut que les choses se fassent d’elles-mêmes, lui-même assumant s’il le faut, mais ne prenant jamais les commandes.
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et la construction du Front populaire en 1934-1935