Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La voie pacifique au socialisme selon le XXe congrès du PCUS

    Dans son long rapport, Nikita Khrouchtchev assume les thèses de la voie pacifique au socialisme. C’est là une thèse de la plus haute importance, qui va être la grande pierre d’achoppement au début des années 1960 dans le Mouvement Communiste International. Toute la jeune génération marxiste-léniniste refusant le révisionnisme va faire du rejet de cette thèse la pierre angulaire de son identité politique.

    La Chine populaire dirigée par Mao Zedong va être au centre de la critique de cette thèse et le principal point de référence alors pour la lutte armée comme stratégie révolutionnaire.

    Cette thèse semble tomber du ciel, mais elle découle en fait du principe de coexistence pacifique. La nouvelle bourgeoisie s’affirmant en URSS devait forcément aller dans le sens de la collusion avec les pays capitalistes pour parvenir à un accord.

    D’où la démarche relativiste de Nikita Khrouchtchev dans son rapport :

    « Nos ennemis aiment à nous représenter, nous, les léninistes, comme des partisans de la violence en toutes occasions.

    Il est vrai que nous reconnaissons la nécessité de la transformation révolutionnaire de la société capitaliste en société socialiste. C’est ce qui distingue les marxistes révolutionnaires des réformistes et des opportunistes.

    Il est, en effet, hors de doute que, pour maints pays capitalistes, le renversement par la violence de la dictature bourgeoise et l’aggravation brutale de la lutte de classe qui l’accompagne sont inévitables.

    Mais les formes de la révolution sociale sont diverses. Quant on prétend que nous voyons dans la violence et la guerre civile l’unique moyen de transformer la société, on émet un postulat qui ne correspond pas à la réalité. »

    En fait, le véritable moteur idéologique de cette thèse consiste en le principe d’un capitalisme désormais « organisé », comme l’affirme Eugen Varga. On a ici la base pour la transformation des Partis Communistes en outils pour la politique extérieure l’URSS, qui iront par la suite jusqu’à l’expansionnisme militaire.

    C’est en ce sens qu’il faut comprendre le propos de Nikita Khrouchtchev comme quoi :

    « La conquête d’une solide majorité parlementaire s’appuyant sur le mouvement révolutionnaire du prolétariat et des travailleurs créerait pour la classe ouvrière des divers pays capitalistes et anciennement coloniaux les conditions nécessaires pour des transformations sociales radicales. »

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  • Le rejet du caractère inéluctable de la guerre impérialiste au XXe congrès du PCUS

    Le leitmotiv de Nikita Khrouchtchev quant à la question internationale, dans son très long rapport (faisant cent pages), c’est l’affirmation que la guerre n’est pas inéluctable. Nikita Khrouchtchev se fait ici le porte-parole assumé de la tendance représentée par Eugen Varga, qui avait fait vaciller le Parti dans l’immédiate après-guerre.

    Cette tendance reprit la main, dans les failles du XIXe congrès, dès la mort de Staline.

    Immédiatement, la presse soviétique abandonna toute dénonciation des États-Unis, y compris pour de récents incidents. La collaboration avec ce pays durant la Seconde Guerre mondiale fut mise en valeur. La presse américaine, ainsi que les radios, reçurent des visas le 25 mars 1953 pour une semaine de visite de Moscou.

    Cette approche se généralisa à tous les niveaux diplomatiques, avec une véritable offensive de charme envers les diplomates et des communiqués officiels particulièrement mesurés.

    À l’arrière-plan de la liquidation de l’appareil de sécurité d’État, on a toute une nouvelle mise en perspective, celle de l’URSS séparée du monde et acceptant un rapport pacifique-bourgeois avec les pays capitalistes, alors que les forces productives sont développées sans bataille idéologique.

    C’est la rencontre de la faction portée par l’analyse d’Eugen Varga et des erreurs du XIXe congrès de 1952.

    Les délégations étrangères au XXe congrès du PCUS

    Voici la thèse fondamentale de Nikita Khrouchtchev dans son rapport, reprenant directement les arguments d’Eugen Varga et reflétant la capitulation devant l’impérialisme pour une clique bureaucratique aspirant à devenir bourgeoisie :

    « Les marxistes doivent prendre en considération la possibilité de conjurer les guerres à notre époque, s’ils tiennent compte des changements de portée historique mondiale qui se sont produits au cours des dernières années (…).

    A l’heure actuelle la situation a foncièrement changé. Le camp mondial du socialisme est né, et il est devenu un atout puissant. Les forces de la paix y trouvent non seulement des moyens moraux, mais également les possibilités matérielles de prévenir l’agression.

    Au surplus, il existe actuellement un groupe d’États ayant une population s’élevant à des centaines de millions d’habitants qui luttent activement contre la guerre. Le mouvement ouvrier, dans les pays capitalistes, constitue de nos jours une force considérable. Le mouvement des partisans de la paix est né et est devenu un facteur puissant (…).

    Les guerres ne sont pas inévitables, elles ne sont pas fatales. Pour empêcher les impérialistes de déclencher la guerre et, au cas où ils oseraient le faire, pour infliger une riposte foudroyante aux agresseurs et déjouer leurs plans, il faut que toutes les forces engagées, contre la guerre soient en alerte et qu’elles fassent front, unies, sans relâcher pourtant leurs efforts dans la lutte pour le maintien de la paix. »

    On notera que, si l’on ne parvient pas à voir la thèse d’Eugen Varga au filigrane du propos de Nikita Khrouchtchev, alors cela peut très largement sonner comme les thèses du XIXe congrès, avec l’affirmation du camp de la paix (le XIX congrès considérant cependant que la guerre est inévitable car liée à la nature même du capitalisme).

    Nikita Khrouchtchev présente toutefois un élément nouveau : la dimension subjectiviste dans le rapport à la guerre, conforme aux intérêts de la clique qu’il représente pour une « coexistence pacifique » avec l’impérialisme :

    « D’ordinaire, souligne d’ailleurs M. Khrouchtchev, l’on n’envisage qu’un aspect de la question : l’infrastructure économique des guerres sous l’impérialisme. Mais cela est insuffisant.

    La guerre n’est pas seulement un phénomène économique. Le rapport des forces de classe, des forces politiques, le degré d’organisation et la volonté consciente des hommes ont une grande importance pour déterminer si la guerre aura lieu ou non.

    Bien plus, dans certaines conditions, la lutte des forces sociales et politiques d’avant-garde peut, à cet égard, jouer un rôle décisif. »

    Cette thèse sera très largement développée par la suite par l’URSS et l’un de ses principaux fronts idéologiques, notamment dans les pays capitalistes.

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  • Le rapport du Comité Central au XXe congrès du PCUS

    C’est Nikita Khrouchtchev qui lut le rapport du Comité Central du PCUS au XXe congrès, et ce dès le premier jour, soit le 14 février 1956.

    Le rapport se divise en trois parties :

    – la première concerne la « position internationale de l’Union Soviétique », avec une insistance sur la coexistence pacifique et le dépassement du camp capitaliste ;

    – la seconde concerne la « situation interne de l’URSS », avec une présentation résolument optimiste de la situation dans l’industrie et les transports tout d’abord, de l’agriculture ensuite, ainsi que de « l’accroissement des standards matériels et culturels du peuple soviétique » et de « la consolidation et le développement prolongés du système d’État et social soviétique ;

    – la troisième concerne le Parti.

    Le XXe congrès du PCUS

    Nikita Khrouchtchev explique dès les premières phrases que si la période depuis le XIXe congrès fut courte (trois ans et quatre mois), elle est l’une des plus importantes de l’histoire du Parti.

    Le travail mené permet en effet, selon lui une avancée fondamentale dépassant ce qui était retardé, et ce dans le cadre de l’existence de deux systèmes à l’échelle mondiale.

    Nikita Khrouchtchev mentionne la croissance économique en URSS, dans les démocraties populaires de l’Est européen, de la Chine, ainsi qu’en Yougoslavie ; le fait de mentionner ce dernier pays, considéré pourtant comme fasciste à la fin des années 1940, est déjà clairement l’expression d’un choix idéologique fait en amont. Il parle d’ailleurs de « la normalisation des relations avec la Yougoslavie fraternelle ».

    Reprenant les thèses du XIXe congrès, il expose un camp capitaliste se ratatinant économiquement et où les forces favorables à la guerre n’ont pas le dessus. Il en conclut que la voie au socialisme peut prendre dans ce contexte des formes multiples.

    S’ensuit, logiquement et dans le même esprit, un très long panorama de la situation économique de l’URSS, présentée en long et en large, tout comme ce fut le cas au XIXe congrès. L’accent est mis sur la prétendue réussite du 5e plan quinquennal, marqué par une augmentation des salaires ouvriers de 39 % et des paysans de 50 %.

    Les objectifs sont en conséquence audacieux : passer à une journée de sept heures de travail (de six heures pour les mineurs).

    Le XXe congrès du PCUS

    On est ici clairement dans la ligne du XIXe congrès. Celui-ci avait instauré une direction collective. Nikita Khrouchtchev cherche à la renforcer à tout prix en chargeant Beria de nombreux crimes censés avoir diviser le Parti – une manière d’ôter toute dimension idéologique aux troubles ayant agité le Parti.

    Nikita Khrouchtchev réhabilite ainsi la faction du Parti de Leningrad qui fut liquidé par le PCUS(b) dans l’après-guerre pour avoir tenté de faire sécession avec la ville afin de former une sorte de « royaume indépendant » au sein de l’URSS. Et il précise qu’il s’agit de revenir aux normes de Lénine concernant le Parti, qui « par le passé ont fréquemment été violées ».

    Nikita Khrouchtchev mentionne également le précis d’histoire du PCUS(b), qui a servi de « base pour la propagande » pendant 17 années. Étant donné que la « glorieuse histoire du Parti » doit servir pour l’éducation, il serait nécessaire de publier un nouvel ouvrage à ce sujet – Nikita Khrouchtchev ne fait aucune critique, présentant cela comme une tâche de mise à jour.

    Il profite ici encore de la ligne du XIXe congrès.

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  • La référence à Staline au XXe congrès du PCUS

    De la même manière que le nom de Staline disparut des principaux organes de presse soviétiques juste avant le congrès, pour l’ouverture du congrès les orateurs soviétiques du congrès ne mentionnèrent pratiquement jamais celui qui avait dirigé le Parti pendant plusieurs décennies.

    Il n’y eut que trois exceptions, si l’on met de côté les discours des délégués français et chinois.

    Nikita Khrouchtchev demanda aux délégués de se lever en mémoire des dirigeants communistes morts depuis le dernier congrès, mentionnant Staline parmi d’autres.

    Le XXe congrès du PCUS

    Nikita Khrouchtchev dit ensuite plus tard simplement que la mort de Staline n’avait pas provoqué dans les rangs communistes la confusion espérée par les ennemis du socialisme. La formule est sobre :

    « Peu après le XIXe congrès, la mort a enlevé de nos rangs Joseph Vissarianovitch Staline. Les ennemis du socialisme espérant que cela provoquerait de la confusion dans les rangs du Parti, de la discorde dans la direction, de l’hésitation dans l’application de sa politique intérieure et extérieure. »

    Anastas Mikoyan, quant à lui critiqua l’ouvrage de Staline Les problèmes économiques du socialisme, le 16 janvier. C’était là la première remise en cause ouverte. Il demanda une « révision critique » de principes de l’ouvrage, considéré comme dogmatique. Il dit notamment à ce sujet :

    « Quand on analyse la situation économique du capitalisme contemporain, il devient douteux que les théories exposées par Staline dans Les Problèmes économiques du socialisme en U. R. S. S. concernant les États-Unis, l’Angleterre et la France, et selon lesquelles, après la scission du marché mondial, le volume de la production de ces pays diminuera, puissent nous aider ou qu’elles soient correctes. »

    Anastas Mikoyan reprend ici les thèses d’Eugen Varga et effectivement la théorie de celui-ci des pays capitalistes comme étant devenus « organisés », comme « capitalistes monopolistes d’État », deviendra bientôt officiel en URSS.

    Il remit également en cause, de manière brutale, le Précis d’histoire du PCUS(b). Anastas Mikoyan parla également d’historiens qui avaient compris qu’il y avait une explication non marxiste de certains « événements » de la guerre civile, de « dirigeants du Parti qualifiés de manière erronée d’ennemis du peuple plusieurs années après les événements ».

    Il mentionna à ce sujet, « fraternellement », Vladimir Antonov-Ovseïenko et Stanislav Kosior, purgés tous deux en 1938 ; il conclut son discours par une longue référence à Lénine et au souci de celui-ci de l’unité du Parti.

    Le XXe congrès du PCUS

    L’historienne Anna Pankratova, rédactrice en chef de Questions d’histoire prit également la parole et critiqua la lecture de l’histoire faite jusqu’à présent, notamment concernant les années 1930, reprenant le même argument que Mikoyan.

    Pour le reste, il n’y eut pas de références à Staline, que ce soit pour un éloge ou une critique, à part par Chu Teh et Maurice Thorez, délégués internationaux au congrès respectivement chinois et français.

    Maurice Thorez parla ainsi du PCUS comme « modèle de la ferme adhésion aux principes et d’une fidélité sans faille aux grandes idées de Marx, Engels, Lénine et Staline ». Ce passage fut applaudi par le congrès. Chu Teh souligna le fait que le PCUS avait été nourri du travail de Staline.

    Le XXe congrès du PCUS

    Le XXe congrès était en fait déjà étranger à la question idéologique de Staline. Ce qui était mis en avant, c’était la direction collective, les « normes léninistes de la vie du Parti », la démocratie dans les rangs du Parti, la « légalité socialiste », avec une critique du « culte de la personnalité » impersonnelle.

    C’était là dans la droite ligne du XIXe congrès, avec la dénonciation du « culte de la personnalité » ajoutée et développée par la clique de Nikita Khrouchtchev.

    Il est à noter que Lazare Kaganovitch, historiquement un proche de Staline avec Molotov, chercha à arrêter le processus en cours, en affirmant que les questions avaient été réglées :

    « Après le XIXe congrès du Parti, le Comité Central a hardiment (par hardiment j’ai en vue quelque chose en rapport avec les principes, la théorie) soulevé la question de la lutte contre le culte de la personnalité.

    Ce n’est pas une question facile. Mais le Comité Central lui a donné une réponse correcte, marxiste-léniniste, conforme à l’esprit de parti. »

    Lazare Kaganovitch parla également de la « bande fasciste-provocatrice » de Lavrenti Beria, ayant ainsi clairement en tête d’en faire le bouc-émissaire pour sauver ce qui pouvait l’être. C’était en total décalage avec les tendances dominantes dans le PCUS.

    Il faut noter également une allusion, celle de l’écrivain Mikhaïl Cholokhov. Lors de sa prise de parole, il dressa un parallèle entre l’Union des écrivains et le Parti :

    « Qu’avons-nous fait après la mort de Gorki ? Nous avons mis en place une direction collective dans l’Union des écrivains, avec Fadeev à sa tête (…). Fadeev s’est montré un secrétaire général aimant le pouvoir et ne voulant pas tenir compte du principe de collégialité dans son travail ».

    En fait, les propos sont un parallèle strict avec les thèses de Nikita Khrouchtchev. Voici ce que Mikhaïl Cholokhov disait déjà en 1954, au second congrès des écrivains soviétiques :

    « Beaucoup de défauts et d’erreurs dans le travail de l’Union des écrivains peuvent s’expliquer par le fait que ces vingt dernières années, le principe de direction collective a été loin d’être observé en son sein (…).

    Les écrivains veulent être assurés d’une direction collective réelle dans l’Union [des écrivains], ils veulent un Présidium relativement large possédant les pleins droits de décision concernant l’Union entre les sessions de la direction, et ils veulent aussi que le secrétariat de l’Union soit un organe subordonné à la direction et au Présidium. »

    Ainsi, à l’arrière-plan, dans l’élan du XIXe congrès et de sa « direction collective », avec la décapitation de l’appareil de sécurité d’État, on avait déjà la base pour une remise en cause idéologique générale.

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  • La nature du XXe congrès du PCUS

    Le XXe congrès du PCUS se tint du 14 au 25 février 1956. Il s’est tenu, comme le précédent, dans le Grand Palais du Kremlin. Étaient présents 1 355 délégués représentant chacun 5 000 membres, ainsi que 81 délégués avec uniquement une voix consultative.

    Ce qui était exposé était d’une ambition démesurée. Le nouveau plan quinquennal devait connaître une augmentation des investissements de 67 % par rapport au précédent. Les objectifs pour 1960 étaient bien sûr très précisément chiffrés et exigeaient une progression vertigineuse (étaient prévues une production de 593 millions de tonnes de charbon, 53 millions de tonnes de fonte, 330 000 tonnes de fibres artificielles, 1 840 000 tonnes de huiles végétales, etc.).

    La production de viande était censée pas moins que doubler. Il était prévu de fournir à l’agriculture du matériel en masse : 1 650 000 tracteurs, 560 000 moissonneuses-batteuses.

    Le XXe congrès du PCUS

    En rapport avec cette perspective grandiose plaçant le communisme finalement comme une affaire de génération – cela sera ouvertement dit tel quel dans les années qui suivirent – le PCUS se voyait donner une sorte de qualité suprême.

    Ainsi, la modification du programme du Parti devait être déjà être menée auparavant, mais la Seconde Guerre mondiale empêcha la réalisation de ce travail. Une commission fut finalement constituée à cet effet lors du XIXe congrès, en 1952.

    Elle était constituée de dix membres et présidée par Staline. Au XXe congrès, il n’en restait pratiquement rien. Staline était décédé. Viatechslav Molotov avait été blâmé, Georgi Malenkov mis de côté. Laurenti Beria avait été fusillé. Paul Youdine avait été nommé ambassadeur en Chine en décembre 1953. D.I. Tchesnikov, l’un des deux rédacteurs de l’organe théorique Kommunist, où en janvier il dénonçait « les capitulards qui insistent pour que l’on apaise les impérialistes », avait été purgé en mars 1953.

    Nikita Khrouchtchev annonça alors quelque chose n’ayant rien à voir : la future mise en place d’un programme valable pour tous les Partis Communistes dans le monde. Cela correspondait à la lecture du XIXe congrès de la situation de l’URSS, îlot censé aller au communisme à court terme et de ce fait modèle technique-pratique pour le reste du monde.

    Le XXe congrès du PCUS

    Tout cela était rendu possible par la modification de la base du Parti. Il avait déjà été remarqué qu’au XIXe congrès, le nombre de membres du Parti avait largement grossi par rapport au congrès précédent de 1938. Une nouvelle génération avait émergé, coupée de beaucoup des expériences faites.

    C’est encore plus vrai pour le XXe congrès. Le PCUS a désormais 6 795 896 membres et 419 609 candidats. C’est 330 000 membres de plus qu’au congrès précédent. Le nombre de membres du Parti a doublé depuis 1940.

    À cela s’ajoute un autre aspect, fondamental. Entre le 1951 et 1956, l’enseignement supérieur soviétique a formé autour de 1 120 000 personnes, soit 72 % de plus que les cinq années précédentes. Ces chiffres donnés par Nikita Khrouchtchev correspondent certainement à la vérité, puisque l’après-guerre avait été caractérisé par une difficulté extrême de par les dégâts causés par les nazis.

    Cela signifie qu’apparaît ici une nouvelle intelligentsia, issue de l’élan précédent mais coupée de celui-ci idéologiquement. Des jeunes intègrent les strates supérieures de l’URSS en étant simplement intégrés dans le discours instauré en 1952 selon laquelle les forces productives sont l’essentiel.

    C’est d’autant plus vrai que l’enseignement supérieur est centralisé dans quelques villes : Moscou, Leningrad, Kiev, Tbilissi, Kharkov, Bakou, Tachkent, Minsk.

    Le XXe congrès du PCUS

    Le paradoxe est que du côté des délégués, il y a une baisse du niveau d’études. 758 délégués ont un niveau universitaire (contre 793 en 1952), 276 celui du bac (223 en 1952), 292 un niveau inférieur au bac (176 en 1952). Il y aurait également une prolétarisation, avec deux fois plus de délégués étant travailleurs industriels et deux fois plus de kolkhoziens, pour autant qu’il soit possible de faire confiance à ces chiffres.

    Il y a ici un phénomène difficile à appréhender, mais témoignant dans tous les cas d’une modification des délégués par rapport au congrès précédent. C’est encore plus vrai sur le long terme : 30 % des délégués ont rejoint le Parti à partir de 1946. Cela souligne également la rapidité avec laquelle ils sont arrivés jusqu’au statut de délégués.

    Il y a également un vieillissement. Comme au congrès précédent, les quarantenaires représentent la majorité des présents, mais les plus de cinquante ans, auparavant 15,3 % des présents, en forment désormais 24 %.

    Le XXe congrès du PCUS

    Cette ambition démesurée et cette nouvelle « génération » s’associent avec un phénomène frappant : la stabilité de la direction. L’ensemble du Présidium et du secrétariat du Comité Central a été réélu au XXe congrès du PCUS, sans aucune modification.

    Le Présidium est composé de Nikita Khrouchtchev, Nicolas Boulganine, Lazare Kaganovitch, Kliment Vorochilov, Anastas Mikoyan, Maksim Sabourov, Pierre Pervoukhine, Georges Malenkov, Viatcheslav Molotov, Michel Souslov et Alexeï Kirichenko.

    Le Secrétariat est composé de Nikita Khrouchtchev (comme premier secrétaire), Nicolas Belaev, Pierre Pospelov, Michel Souslov, Dimitri Chepilov, Leonid Brejnev et Ekaterina Fourtseva. Les trois derniers nommés sont également suppléants du Présidium. Leonid Brejnev succédera par la suite à Nikita Khrouchtchev à la tête du pays.

    Cette situation était là un triomphe pour la direction, qui s’était néanmoins débarrassé de nombreux éléments.

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  • Le contexte du XXe congrès du PCUS

    On a comme aspects essentiels du contexte du XXe congrès :

    – la sécurité d’État a été décapitée ;

    – le gouvernement a été mis au pas ;

    – le PCUS est centralisé autour du Présidium ;

    – une nouvelle génération arrive sur la scène des postes à responsabilité ;

    – le XIXe congrès a ouvert un immense espace à la thèse des forces productives ;

    – le PCUS a été contaminé par les thèses d’Eugen Varga lancées après 1945 et visant à une gestion bourgeoise – « neutre » de la réalité soviétique.

    La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État ont permis à la clique ayant pris le contrôle du Parti et du gouvernement d’avoir les coudées franches.

    La mise de côté de Georgi Malenkov marqua le triomphe de la clique contrôlant le Parti. De ce fait, le thème de la « direction collective » devint le grand mot d’ordre servant à structurer une nouvelle bourgeoisie.

    Une publication tirée à 160 000 exemplaires – Les statuts du Parti Communiste d’Union Soviétique – la loi fondamentale de la vie du Parti – fut diffusée par la Société pansoviétique de diffusion de la connaissance politique et scientifique. Elle saluait les décisions prises par la direction à la suite de « l’affaire Beria », affirmant que :

    « Les décrets de la session de juillet [1953] du Comité Central du Parti ont une grande signification pour le développement de la démocratie interne du Parti, la critique et l’auto-critique, et dans l’élévation du niveau de collectivité à la direction du Parti.

    La session a résolument condamné la « théorie » idéaliste du culte de la personnalité qui est étranger au marxisme-léninisme et qui a connu une certaine dissémination dans notre presse et notre propagande orale.

    Au moyen de cette « théorie » anti-marxiste, certains travailleurs du Parti ont cherché à justifier une pratique vicieuse dans leur activité, faisant que les principes léninistes de démocratie interne ont été remplacés par le commandement bureaucratique d’une seule personne. »

    Il s’agit d’une critique très nette de l’appareil de sécurité d’État et de Staline, c’est-à-dire du fait de prendre des décisions en raison de l’idéologie – ce qui apparaît comme « unilatéral » pour la nouvelle bourgeoisie dont la clique de Nikita Khrouchtchev est à ce moment-là le seul représentant, celle représentée par Georgi Malenkov, la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, ayant perdu la bataille factionnelle.

    Il n’y eut d’ailleurs aucune réunion du Comité Central entre juillet 1955 et le XXe congrès : c’est le Présidium qui avait les clefs du Parti.

    La seule tâche à l’horizon fut la parution par la Pravda, le 13 février 1956, la veille du congrès, d’un article de Bolesław Bierut, le dirigeant communiste polonais, expliquant qu’était appliqué en Pologne le principe de Lénine et de Staline de priorité à l’industrie lourde. Bolesław Bierut décédera peu après la tenue du XXe congrès, encore à Moscou ; il est à peu près clair qu’il a été empoisonné.

    Les organes des Comités Centraux des partis des différentes républiques se positionnèrent également de manière très différente pour l’ouverture du XXe congrès. Staline fut mentionné positivement avec également une image dans les publications d’Ukraine, de Biélorussie, d’Ouzbékistan, de Lettonie et de Géorgie, mais il n’y eut rien sur lui dans celles d’Arménie, de Moldavie, ni de la république karélo-finlandaise. Celles du Kazakhstan, du Turkménistan, d’Estonie et de Kirghizie mentionnèrent son nom, celle du Tadjikistan publia une photographie.

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  • Le rapport du PCUS à Staline entre 1953 et 1956

    Il n’était évidemment pas possible pour les révisionnistes de rejeter Staline d’un coup. Les masses avaient compris la valeur de Staline. Il n’était plus possible de renverser la tendance en ce sens. Il fallait donc l’étouffer.

    Cet aspect est très important. Vu de l’extérieur de l’URSS, le PCUS a procédé à une « déstalinisation », à un rejet massif. Mais vu de l’intérieur, cela était présenté comme une « rectification », les points fondamentaux étant résolument masqués aux masses.

    Cela a amené d’ailleurs certains à sous-estimer le rejet de Staline par la clique dirigeante de l’URSS, alors qu’il a été total. Seulement, il n’a pas été public, l’URSS devenant un pays social-impérialiste où la bourgeoisie était littéralement une caste à part.

    On peut ainsi voir qu’entre le XIXe et le XXe congrès, soit entre 1952 et 1956, il n’y a pas de modification franchement apparente quant à la référence à Staline par le Parti dirigeant l’URSS.

    L’immense Staline

    Il y avait quelques gommages déjà fait, cependant. Les slogans du premier mai mis en avant à partir du 21 avril 1953 appelaient eux-mêmes à la « coexistence pacifique » internationale, à la légalité socialiste, le nom de Staline étant pratiquement omis.

    La constitution fut désormais qualifiée de « soviétique » et non plus de relevant de Staline, la jeunesse communiste, auparavant Komsomol de Lénine et Staline, devint l’Union Communiste pansoviétique de la jeunesse.

    En fait, dans les quinze jours suivant la mort de Staline, il y eut un processus d’abandon de la référence à Staline, de manière insidieuse : ses citations ne lui furent plus attribuées, il ne fut plus fait référence à ses œuvres majeures lorsqu’on parlait de lui. Les mesures suivant sa mort, telles que les vastes amnisties et la réduction de prix, furent annoncées sans faire référence à lui.

    On a un bon exemple de l’approche générale avec l’article d’avril 1953 dans la Pravda, écrit par le rédacteur Slepov au sujet de la vie du Parti, qui souligne la supériorité de la direction collective sur la « domination des mesures administratives », tout en se revendiquant de Staline.

    L’éditorial du 27 mai 1953 de la revue Kommunist dénonce également le culte de la personnalité, mais en s’appuyant sur des affirmations en ce sens de Lénine et de Staline. On lit à ce sujet :

    « Notre parti lutte résolument contre le culte de la personnalité, contre l’attribution à l’individu de traits surnaturels, contre l’adoration du chef, contre l’ignorance du rôle des masses, des classes et du parti. Loin de stimuler l’initiative et l’activité des masses, de tels cultes les incitent à la passivité.

    Les fondateurs du communisme, Marx, Engels, Lénine, Staline, étaient hostiles au culte de la personnalité. »

    Le Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique publia également un document le mois suivant sa mort, le 27 juillet 1953, avec comme prétexte le 50e anniversaire du second congrès du Parti. Ce document traitait de l’histoire du Parti, sous la forme de thèses, et plaçait tout sous l’égide de Lénine, Staline ne devenant plus qu’une simple référence en rapport avec le Parti.

    C’était une réécriture de l’histoire en faveur de la thèse selon laquelle depuis la mort de Lénine, il y aurait eu une direction collective à l’œuvre, dont Staline n’aurait été qu’un rouage – la grande thèse du XXe congrès est d’affirmer qu’il avait finir par mal agir à ce niveau.

    Le XXe congrès n’est pas une remise en cause de Staline – il est une dénonciation de Staline comme prétendu élément de la direction collective.

    La période entre les XIXe et XXe congrès est celle de la mise en place de la direction collective, conformément aux exigences du XIXe congrès, mais avec en pratique la liquidation assumée de la forme précédente d’organisation du Parti et de son contenu.

    Malenkov avait mis l’accent, en mai 1953, sur les biens courants ; c’est indirectement au nom de Staline que cela fut réfuté par Nikita Khrouchtchev qui rappela le juste combat contre la « déviation droitière » de la fin des années 1920, qu’avait justement combattu Staline.

    Nikita Khrouchtchev nomma Boulganine premier ministre à la place de Georgi Malenkov et le présenta comme :

    « l’un des frères d’arme les plus proches du continuateur de la cause de Lénine, Joseph Vissarianovitch Staline »

    Dans son discours d’intronisation, Boulganine expliqua que son gouvernement

    « suivrait les instruction du grand Lénine et du continuateur de sa cause, J. V. Staline »

    Tant lors des mois de décembre 1954 que 1955, l’anniversaire de la naissance de Staline fut largement célébrée.

    Le 7 janvier 1955, lors d’un meeting du Komsomol, Nikita Khrouchtchev expliqua qu’il avait influencé Staline au sujet d’une importante question politique, celle sur la mise en place d’un impôt sur les gens non mariés et sans enfants. Georgi Malenkov, qui allait être démis un mois après et était le seul autre membre du Présidium présent alors, monta à la tribune pour confirmer ces propos.

    Et à la fin de l’année 1955, le dictionnaire encyclopédique présente Nikita Khrouchtchev comme :

    « l’un des plus proches compagnons d’arme de J.V. Staline »

    Un article pour le 76e anniversaire de la naissance de Staline, paru dans Kommunist, ne mentionne également que trois noms : Lénine, Staline, Nikita Khrouchtchev.

    L’agence TASS annonça le 12 janvier 1956 la parution prochaine du 14e volume des œuvres de Staline, couvrant la période 1934-1941. Les treize premiers avaient été publiés de 1946 à 1951 et même s’il y a l’annonce, on voit que la période d’après 1934 a posé un réel problème après 1953. Il ne fut d’ailleurs jamais publié.

    Le premier numéro de 1956 de Kommunist, en janvier, contient également un article de l’idéologue Mikhail Kammari, rédacteur en chef depuis 1954 (et jusque 1959) de la revue Questions de philosophie. Dans son article sur Le rôle des masses populaires dans le développement de la vie spirituelle de la société, il fait référence de manière positive à Staline.

    L’arrivée du XXe congrès bouleversa la donne, comme le reflètent les prises de positions.

    Ainsi, à partir du 23 janvier 1956, la Pravda ne mentionne plus Staline.

    L’immense Staline

    La biographie de Lénine publiée par l’Institut Marx – Engels – Lénine – Staline mentionne de manière moins importante Staline comme successeur de Lénine et ce dernier est pris comme argument pour justifier la « direction collective », avec une critique sous-jacente de Staline. Nikita Khrouchtchev apparaît à la fin comme le représentant du PCUS, avec un extrait de lui soulignant l’importance de l’industrie lourde et rejetant la ligne de Georgi Malenkov comme « anti-léniniste ».

    Au meeting du Komsomol, le 21 janvier 1955, Nikita Khrouchtchev ne mentionna pas Staline, contrairement à l’année d’avant où il racontait en être proche.

    Avant la conférence du Parti du 4 février 1956, le Comité Central du Parti et le Conseil des ministres salua le 75e anniversaire de Vorochilov, mais sans référence à Staline, seulement à Lénine.

    Le numéro de Kommunist, l’organe théorique, publié le 9 février, ne contient pas une seule fois le nom de Staline. Une réunion des lecteurs de Problèmes d’histoire se réunit les 25, 27 et 28 janvier 1956, traitant notamment de la question de l’histoire du Parti et remettant en cause le Précis d’histoire du PCUS(b), sans toutfois oser s’en prendre encore à Staline qui est pourtant le maître d’oeuvre de cet ouvrage.

    Pour l’ouverture du XXe congrès, la Pravda ne salua que Lénine.

    Ce n’est que dans les bas échelons du Parti que Staline était encore une référence, ainsi qu’en Géorgie, et pour les formes dans les grandes réunions à la veille du XXe congrès : Ekaterina Fourtseva, lors de la préparation de celui-ci par le Présidium le 17 janvier, parle encore des grands enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline. Elle modifia par la suite radicalement son point de vue.

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  • L’affrontement entre Georgi Malenkov et Nikita Khrouchtchev

    À la mort de Staline, il y a deux principales figures : Georgi Malenkov, président du conseil des ministres de l’URSS et Nikita Khrouchtchev, secrétaire du Comité Central du PCUS. La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS se fondent sur leur alliance, comme la résolution du Comité Central du PCUS l’expose parfaitement.

    Leurs lignes différaient cependant de manière assez prononcée.

    Nikita Khrouchtchev et Georgi Malenkov

    Nikita Khrouchtchev fit ainsi la promotion de l’agriculture dans les « terres vierges », se situant en Asie centrale dans la région de la Volga. Le projet fut un échec, mais lui accorda du prestige, de par son accentuation sur la question de l’agriculture, un vrai problème en URSS.

    Nikita Khrouchtchev fit ici office de stabilisateur, de celui qui veut continuer l’élan de la grande industrie tout en corrigeant le tir pour l’agriculture.

    Georgi Malenkov, quant à lui, mit l’accent sur la consommation de biens courants. Il apparaissait ici comme un modificateur, cherchant à changer d’axe l’économie et à l’accentuer sur une perspective non pas de construction, mais de consommation élargie.

    Ici, Georgi Malenkov agissait en fait conformément au XIXe congrès, qui affirmait qu’on était passé à l’étape de l’édification du communisme et qu’il fallait élever le niveau des biens de consommation.

    La base idéologique du XIXe congrès était cependant erronée. Cela fait qu’il se situait en décalage historique avec l’émergence d’une vaste bureaucratie incrustée dans le Parti et œuvrant à déformer, non pas à transformer la situation. Naturellement cette transformation impliquait un saut qualitatif (en le social-impérialisme soviétique), toutefois la nouvelle bourgeoisie n’en avait pas conscience ; elle émergeait comme tendance historique accompagnée d’une considération subjective conforme à la lecture de ses propres exigences, à travers le révisionnisme.

    Cela est d’autant plus vrai que Georgi Malenkov était porté par la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, pas dans le PCUS.

    Timbre vietnamien de 1954 avec Georgi Malenkov, Ho Chi Minh, Mao Zedong

    Lorsqu’il annonce les mesures gouvernementales au Soviet suprême, le 8 août 1953, il les présente même comme relevant « du gouvernement et du Comité Central », ce qui était une entorse fondamentale au protocole soviétique dans l’ordre des termes employés, puisque le Parti a la primauté sur le gouvernement. L’usage voulait donc qu’on dise : « du Comité Central et du gouvernement ».

    Georgi Malenkov répéta la formule même cinq fois dans son discours. En voici un extrait :

    « À présent, nous disposons de toutes les données nécessaires pour accroître la production de biens de consommation. Le volume atteint jusqu’ici ne saurait nous satisfaire.

    Pour assurer le relèvement constant du niveau de vie de la population, il nous faut développer davantage notre industrie légère. Le gouvernement et le parti estiment qu’il est indispensable d’augmenter également les investissements dans les industries alimentaires et dans l’agriculture afin que la production d’articles de consommation courante soit substantiellement accrue (…).

    Nous devons amener l’industrie de construction de machines et autres entreprises de l’industrie lourde à produire des articles de consommation courante.

    Notre tâche urgente est maintenant à augmenter considérablement, au cours des deux ou trois années à venir, l’approvisionnement de la population en produits des industries légère et alimentaire. »

    Ainsi, comme la ligne de Georgi Malenkov impliquait une restructuration partielle de l’économie sous la supervision de la clique bureaucratique gouvernementale qui elle-seule allait être préservée, au profit d’une modification en profondeur de l’appareil aux dépens du Parti, il fut mis de côté par la clique dirigeante du PCUS.

    Il démissionna en février 1955 à la suite d’une violente attaque de Dimitri Shepilov. Celui-ci écrit dans la Pravda (dont il était rédacteur en chef) du 24 janvier 1955 :

    « Si la théorie de ceux qui préconisent un développement de l’industrie légère au détriment de celui de l’industrie lourde était appliquée, elle aboutirait à désarmer le peuple soviétique (…).

    Ce n’est pas parce que l’U.R.S.S. atteint les sommets de l’industrialisation, ni sous prétexte qu’en U.R.S.S. la production a pour seul but de satisfaire aux besoins de la consommation, que l’économie soviétique doit se séparer du communisme en en déplaçant le centre de gravité sur l’industrie légère. »

    Georgi Malenkov fut remplacé par un proche de Nikita Khrouchtchev, Nicolaï Boulganine.

    Ce succès de Nikita Khrouchtchev poussa Vyatislav Molotov à rentrer dans la bataille : il tint alors au Soviet Suprême un discours particulièrement critique sur la politique étrangère menée. Le conflit fut inévitable, surtout alors que Nikita Khrouchtchev et Nicolaï Boulganine partirent à Belgrad en mai et en juin 1955, afin de rétablir les relations avec la Yougoslavie titiste.

    Vyatislav Molotov resta sur ce point fidèle à la ligne de l’époque de Staline, suivant lequel la Yougoslavie était un État fasciste : cela lui valut un blâme de la part du Comité Central lors de sa session de juillet 1955.

    Vyatislav Molotov avait également affirmé dans un discours, le 8 février 1955, que :

    « À côté de l’Union Soviétique, où les fondations d’une société socialiste ont déjà été construites, il y a également les démocraties populaires, qui n’ont fait que le premier pas, même si hautement important, en direction du socialisme. »

    Cela impliquait que le socialisme n’avait pas été construit en URSS, seulement ses fondations. Il dut se résoudre à écrire une lettre d’autocritique à ce sujet dans la revue Kommunist, à la fin de l’été 1955, ce qui montre l’approfondissement de sa mise à l’écart entre les deux dates.

    Sa position était alors carbonisée et en juin 1956, alors que Tito allait en visite à Moscou, il fut au préalable remplacé par Dimitri Shepilov à la tête du ministère des affaires étrangères, afin de bien souligner le nouveau rapport à la Yougoslavie.

    Parallèlement, Lazare Kaganovitch était également rentré dans la bataille. Il fut nommé président d’un nouveau Comité d’État sur le travail et les salaires en mai 1955, mais les discours qu’il tint, notamment celui du 7 novembre 1955, soulignaient l’importance de la théorie marxiste-léniniste.

    Cela lui valut d’être éjecté de son poste en juin 1956 et nommé en septembre ministre de l’industrie des matériaux de construction. Entre-temps avait eu lieu le XXe congrès.

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  • L’explication officielle de «l’affaire Beria» et le développement des forces productives

    La fin de la résolution du PCUS sur « l’affaire Beria » se situe dans le prolongement logique des autres points. Ceux-ci avaient souligné l’alliance de Georgi Malenkov (point 3) et de Nikita Khrouchtchev (point 4), autour du gouvernement et de la clique dirigeante du Parti respectivement, puis dénoncé Lavrenti Beria comme chef de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS.

    La dernière partie de la résolution explique donc que l’appareil de sécurité d’État de l’URSS doit se soumettre au Parti et qu’il s’agit désormais de se concentrer sur le développement des forces productives.

    En filigrane, il y a une dénonciation de Staline, mais sur le plan formel cela n’est pas assumé, puisque cela passe par la dénonciation de Beria et de l’appareil de sécurité d’État.

    7. La session plénière du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique décide :

    a) D’approuver pleinement les mesures décisives prises en temps utile par le Présidium du Comité central du PCUS afin d’éliminer les actions criminelles anti-Parti et anti-État de Béria comme seules justes.

    b) Pour les actes de trahison visant à saper l’État soviétique, expulser L. Beria en tant qu’ennemi du parti et du peuple soviétique du rang des membres du Parti Communiste de l’Union soviétique, le faire juger (…).

    Notre parti doit tirer les leçons politiques de l’affaire Beria et en formuler les conclusions nécessaires pour ses activités futures.

    Premièrement. Il est nécessaire de renforcer la direction du Parti à tous les niveaux du parti et de l’appareil d’État. Éliminer les anomalies graves qui se sont développées ces dernières années dans la vie de parti et les méthodes de direction du parti.

    La tâche consiste à assurer la mise en œuvre exacte des principes de la direction du Parti élaborés par Lénine et des normes de vie du Parti, le strict respect des exigences de la Charte du PCUS sur le calendrier de la convocation des congrès du parti, des plénières du Comité central et du travail régulier de tous les organismes centraux et locaux du Parti.

    Le principe suprême de la direction partidaire dans notre Parti est la direction collective.

    Seule l’expérience politique collective, la sagesse collective du Comité central, fondée sur la base scientifique de la théorie marxiste-léniniste, garantit la justesse de la direction du Parti et du pays, l’unité et la cohésion inébranlables du Parti et la construction réussie du communisme dans notre pays. La tâche consiste à observer strictement les principes de la direction collective dans tous les organes du Parti.

    Il est nécessaire de contrôler régulièrement le travail de toutes les organisations et de tous les départements afin de mettre fin au travail incontrôlé de tout employé, quel que soit son poste, sachant que la direction partidaire de toutes les organisations est la condition principale de la réussite de leur travail.

    Et inversement, le retrait du contrôle du parti conduit inévitablement à un échec du travail, à sa corruption.

    Deuxièmement. Il est nécessaire de remédier à la mauvaise situation qui s’est produite au fil des années, lorsque le ministère de l’Intérieur a effectivement été perdu du contrôle du Parti.

    Une des raisons pour lesquelles les tentatives aventuristes, anti-parti et anti-soviétiques de Beria de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement se sont avérées possibles est que des rapports incorrects et anormaux s’étaient développés entre le Parti et les organes du ministère de l’Intérieur.

    Le ministère de l’Intérieur est devenu arbitraire dans le système de l’État socialiste.

    En fait, au cours des dernières années, le contrôle effectif et la direction collective du parti sur les organes du Ministère de l’intérieur ont été perdus.

    Tout cela a permis à divers carriéristes et aventuriers ennemis du Parti qui se rendaient au ministère des affaires intérieures d’essayer d’utiliser son appareil pour terroriser, intimider et discréditer les cadres honnêtes du Parti et de l’État soviétique voués au communisme.

    De plus, il s’est avéré que les éléments hostiles et carriéristes de l’appareil du ministère des affaires intérieures ont tenté de saper et de discréditer les cadres dirigeants du Parti, y compris ses personnalités.

    Les organisations du parti sont tenues de contrôler systématiquement et en permanence toutes les activités des organes du ministère de l’Intérieur dans le centre et dans les localités (…).

    Troisièmement. La vigilance révolutionnaire des communistes et de tous les travailleurs doit être renforcée de toutes les manières dans l’ensemble du travail des organisations du parti et des organisations soviétiques. Il faut se rappeler et ne jamais oublier l’environnement capitaliste, qui envoie et enverra parmi nous ses agents pour des activités subversives (…).

    Quatrièmement. La force et l’invincibilité du Parti communiste résident dans son lien inextricable avec le peuple.

    Les organisations du parti sont obligées de renforcer et d’élargir constamment les rapports du parti avec les masses, de prendre en compte les revendications des travailleurs et de manifester le souci quotidien d’améliorer le bien-être matériel des travailleurs, des agriculteurs, de l’intelligentsia et de tout le peuple soviétique, tout en veillant au respect de ses intérêts.

    Cinquièmement. Le devoir sacré de notre parti tout entier est la consolidation de l’amitié indestructible des peuples de l’URSS, le renforcement de l’État socialiste multinational, l’éducation du peuple soviétique dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien et la lutte décisive contre toutes les manifestations du nationalisme bourgeois. Il est nécessaire d’éliminer les conséquences des destructions de Beria dans le domaine des relations nationales.

    Sixièmement. Le système socialiste offre d’énormes avantages et possibilités pour une nouvelle et encore plus puissante montée en puissance de notre économie et de notre culture et pour une nouvelle augmentation du bien-être matériel de la population. Nous disposons de ressources naturelles inépuisables, d’équipements performants de première classe dans l’industrie et l’agriculture, d’un personnel hautement qualifié composé de travailleurs et de spécialistes.

    Mais il serait faux d’oublier que nous avons également des tâches économiques urgentes non résolues, en particulier pour le développement de l’agriculture (élevage, culture de légumes, etc.). Nous avons toujours des difficultés de croissance bien connues liées à la résolution de la tâche gigantesque consistant à satisfaire au mieux les besoins matériels et culturels sans cesse croissants des travailleurs.

    Les organisations de partis, soviétiques, syndicales et du Komsomol doivent mobiliser et organiser les forces créatrices du peuple afin de tirer pleinement parti de nos réserves et de la possibilité de résoudre toutes ces tâches, de mener à bien et de dépasser le plan de développement quinquennal de l’URSS, telles que définies par le XIXe Congrès du parti.

    Septièmement. Les intérêts vitaux du parti exigent une amélioration significative de l’ensemble de la cause de la propagande partidaire et du travail politique et éducatif parmi les masses.

    Il est impératif que les communistes étudient la théorie marxiste-léniniste, non pas dogmatiquement, mais qu’ils comprennent la nature créatrice du marxisme-léninisme et n’apprennent pas des formulations et des citations individuelles, mais l’essence d’un enseignement révolutionnaire mondial de Marx – Engels – Lénine – Staline qui transforme tout.

    Notre propagande doit éduquer les communistes et le peuple tout entier, dans un esprit de confiance, à l’invincibilité de la grande cause du communisme, dans l’esprit de dévouement désintéressé pour notre parti et la patrie socialiste. »

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  • L’explication officielle de «l’affaire Beria» et le rejet de l’appareil de sécurité de l’Etat

    La résolution du PCUS sur « l’affaire Beria » expose donc tout d’abord le contexte général, dans l’esprit du XIXe congrès (points 1 et 2), avant de passer à un examen critique, le point 3 reprenant les thèses de Georgi Malenkov, le point 4 celles de Nikita Khrouchtchev.

    Les points 5 et 6 présentent la rencontre des points 3 et 4, puisque Lavrenti Beria se voit accusé d’avoir voulu nuire au Parti (dont Nikita Khrouchtchev est à la tête en pratique), ainsi qu’au gouvernement (dont Georgi Malenkov est à la tête).

    Et s’il a pu faire cela, c’est parce qu’il a dirigé l’appareil de Sécurité d’État. La liste des accusations affabulatrices tourne systématiquement autour de cet aspect.

    « 5. Il faut tenir compte de la particularité de la position du Parti Communiste dans le système de l’État soviétique. Notre Parti est le seul parti du pays et, de plus, il joue le rôle de chef indiscutable dans les orientations de l’État socialiste. La direction du Parti est une condition déterminante pour la force et la stabilité du système soviétique.

    Dans le même temps, il convient de rappeler que la position de monopole du Parti a aussi ses côtés obscurs lorsque la vigilance révolutionnaire dans nos rangs contre l’ennemi de classe est affaiblie.

    Nous oublions souvent que les ennemis, se déguisant habilement en communistes, ont essayé et essaieront d’infiltrer le Parti en faveur de leurs objectifs ennemis, de leur carrière et de leurs fonctions subversives en tant qu’agents des puissances impérialistes et de leurs services de renseignements.

    6. A cet égard, le Plenum du Comité central estime nécessaire d’attirer l’attention de la partie au cas de Béria, exposée par le Présidium du Comité central en tant qu’agent de l’impérialisme international.

    Comme vous pouvez le voir maintenant, Beria, se déguisant intelligemment, avec diverses fraudes de carrière, a gagné la confiance de J.V. Staline.

    Les activités criminelles anti-Parti et anti-État de Beria, profondément cachées et déguisées pendant la vie de J.V. Staline, commencèrent à se déployer pas à pas après sa mort, lorsque les ennemis de l’État soviétique intensifièrent leurs activités anti-soviétiques subversives. Devenu impudent et sans bornes, Beria a récemment commencé à révéler son vrai visage d’ennemi du Parti et du peuple soviétique.

    Quels étaient les actes criminels et les desseins perfides de Beria?

    Après la mort de J.V. Staline, le Comité central et son Présidium avaient pour principale préoccupation de veiller à l’unité de la direction du Parti et du gouvernement, sur la base des principes marxistes-léninistes, afin de mener à bien les tâches fondamentales de l’édification d’une société communiste.

    Par des actions intrigantes insidieuses, Beria a essayé de diviser et de séparer le noyau dirigeant léniniste-stalinien de notre parti, de discréditer tant les dirigeants du Parti que du gouvernement, afin de renforcer son « autorité » et de réaliser ses projets criminels anti-soviétiques.

    Après avoir occupé le poste de ministre de l’Intérieur de l’URSS, Beria a tenté d’utiliser l’appareil du ministère de l’Intérieur afin de déployer sa fraude pénale pour s’emparer du pouvoir. En tant que vil provocateur et ennemi du parti, il a commencé par tenter de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement, en utilisant les organes du ministère de l’Intérieur au centre et dans les localités contre le Parti et ses dirigeants, contre le gouvernement de l’URSS.

    Béria a utilisé les gardes des membres du Présidium du Comité central pour espionner les dirigeants du Parti et du gouvernement. Il a établi la procédure concernant les rapports obligatoires de ses agents sur la localisation des dirigeants du Parti et du gouvernement et sur qui ils rencontrent; une écoute et l’enregistrement de leurs conversations téléphoniques, etc. ont été organisés.

    Comme cela a maintenant été prouvé, Beria a réintégré le personnel du ministère de l’Intérieur contre le Parti en exigeant qu’ils se considèrent comme indépendants du parti.

    Ainsi, Beria a enfreint de manière criminelle le décret du 4 décembre 1952 du Comité central du PCUS, « Sur la situation du MGB [ministère de la sécurité d’État] », adopté durant la vie de J.V. Staline et avec sa participation, qui soulignait la nécessité de « mettre fin de manière décisive aux activités incontrôlées des organes du ministère de la Sécurité de l’État et de placer leur travail au centre et dans les localités sous le contrôle systématique et constant du parti. »

    De plus, Beria, en le cachant au Comité central et au gouvernement, a ordonné aux organes locaux du ministère de l’Intérieur de contrôler les organisations du Parti, de fabriquer de faux documents sur les travailleurs du Parti, ainsi que sur les organisations du Parti et soviétiques.

    Les honnêtes communistes, employés du ministère de l’Intérieur, qui considéraient que ces attitudes anti-parti étaient fausses, Béria les a soumis à la répression. 

    Ainsi, par exemple, le chef du département du ministère des Affaires intérieures de la région de Lviv [en Ukraine], le camarade Strokach seulement parce qu’il a informé le secrétaire du comité régional du Parti de Lviv de l’ordre qu’il avait reçu pour recueillir des données négatives sur le travail des organisations du parti et des cadres du parti, a été renvoyé par Beria en juin 1953, avec menace de l’arrêter et de l’envoyer dans dans un camp.

    Biffant de manière criminelle les exigences de la Charte du parti concernant la sélection de cadres pour leurs qualités politiques et effectives, Beria a nommé des employés du ministère de l’Intérieur sur la base de sa loyauté personnelle à son égard, sélectionner des personnes suspectes étrangères au Parti, en même temps qu’il a expulsé des employés précédemment envoyés par le Comité central auprès du ministère des Affaires intérieures et des organisations locales du Parti.

    Comme établi par les faits, Beria, même pendant la vie de J.V. Staline, et surtout après sa mort, sous divers faux prétextes, empêchait de toutes les manières possibles la solution des problèmes les plus urgents pour le renforcement et le développement de l’agriculture. 

    Maintenant, il ne fait aucun doute que cet ennemi vil du peuple s’était fixé pour objectif de saper les fermes collectives et de créer des difficultés pour l’approvisionnement en nourriture du pays.

    Beria cherchait par diverses méthodes insidieuses à saper l’amitié des peuples de l’URSS – le fondement des fondements d’un État socialiste multinational et la condition principale de tous les succès des républiques soviétiques soeurs. 

    Sous le faux prétexte de lutter contre les violations de la politique nationale du parti, il a tenté de semer la discorde et l’inimitié entre les peuples de l’URSS, afin d’activer des éléments nationalistes bourgeois dans les républiques de l’Union.

    La figure politique ennemie, Beria, était particulièrement évidente lors de la discussion de la question allemande à la fin du mois de mai de cette année.

    Les propositions de Beria sur cette question se résumaient à l’abandon de la construction du socialisme en République démocratique allemande et à la transformation de la RDA en un État bourgeois, ce qui aurait signifié une reddition directe aux forces impérialistes.

    Dans le même temps, Beria est devenu si impudent que, sous couvert de la lutte contre les imperfections et les excès dans la construction de fermes collectives dans les pays de démocratie populaire et en RDA, il a commencé à formuler des vues anti-collectives sur les fermes, jusqu’à la proposition de dissoudre les fermes collectives dans ces pays (…).

    Au cours des tout derniers jours, les agents de Beria ont révélé les intentions criminelles de ses agents en vue d’établir une relation personnelle avec Tito et Rankovich en Yougoslavie.

    En 1919, lors de l’occupation britannique de Bakou, Beria servit en Azerbaïdjan dans les statistiques de la Garde Blanche, Musavat, et cacha ses activités perfides au Parti.

    Le Plénum du Comité central du PCUS estime qu’il est établi que Béria a perdu la nature de communiste, est devenu un bourgeois dégénéré et est devenu en réalité un agent de l’impérialisme international. une politique capitularde qui conduirait finalement à la restauration du capitalisme. »

    On a ainsi, avec la remise en cause de Lavrenti Beria, la remise en cause de l’ensemble de l’appareil de sécurité d’Etat d’URSS.

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  • Le PCUS, les deux factions et l’explication officielle de «l’affaire Beria»

    Voici les principaux extraits du début de la résolution de la session du Comité Central du PCUS intitulé « À propos des actions criminelles anti-Parti et anti-État de Beria », adoptée à l’unanimité le 7 juillet 1953.

    C’est un document d’autant plus important qu’il ne parle que dans une partie de « l’affaire Beria », cherchant en même temps à donner une certaine définition de l’URSS, avec déjà un pas largement fait en direction du XXe congrès.

    Le début de la résolution ne parle ainsi pas du tout de Lavrenti Beria, mais se concentre sur une « évaluation » de la situation de l’URSS.

    Les points 1 et 2 relèvent du même esprit que le XIXe congrès et ne disent pas des choses différentes sur le fond. Il y a deux systèmes, l’un se renforce, l’autre s’effondre, etc.

    « Après avoir entendu et discuté du rapport du camarade G.M. Malenkov sur les actions criminelles anti-Parti et anti-État de Béria, l’assemblée plénière du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique établit :

    1. A la suite de la mort de J.V. Staline, l’ensemble du monde bourgeois tablait sur l’affaiblissement de l’État soviétique, sur la division et la confusion qui régneraient dans la direction de notre Parti et de notre État, sur l’affaiblissement des liens du Parti avec le peuple. Mais ces calculs des ennemis ont été renversés.

    Le Comité central du Parti au cours des quatre mois qui ont suivi la mort de J.V. Staline a assuré la direction ininterrompue et appropriée de toute la vie du pays, a très bien réuni le Parti et le peuple autour des tâches de construction du communisme, de renforcement du pouvoir économique et de défense de notre pays et d’amélioration continue des kolkhoziens, de l’intelligentsia, de tous les peuples soviétiques.

    En appliquant les décisions du 19e Congrès du PCUS, le Parti assura une puissante poussée dans tous les secteurs de l’économie nationale.

    La nouvelle initiative de paix lancée par le gouvernement soviétique a permis de renforcer davantage la position internationale de l’URSS, de renforcer l’autorité de notre pays et de renforcer considérablement le mouvement mondial pour la préservation et la consolidation de la paix.

    2. Les succès de l’Union soviétique dans la construction du communisme, la progression constante sur la voie du socialisme dans les pays de démocratie populaire en Europe, ainsi que la puissante reprise de l’économie et de la culture de la grande République populaire de Chine, le développement du mouvement ouvrier dans un certain nombre de pays capitalistes et la lutte de libération nationale dans de nombreux pays – tout cela signifie une augmentation considérable de la force et du pouvoir du camp démocratique et du mouvement de libération mondiale.

    Dans le même temps, dans le camp impérialiste, la crise générale du capitalisme et l’affaiblissement de l’ensemble du système capitaliste se sont aggravés, de même que les difficultés économiques, le chômage, les coûts élevés et l’appauvrissement des travailleurs.

    En raison de l’expansion effrénée de l’impérialisme américain et de la dictature impudente de son côté vis-à-vis de ses partenaires plus faibles et de ses satellites, les contradictions au sein du camp capitaliste s’aggravent.

    Ainsi, tout le cours du développement mondial témoigne de la croissance constante des forces de la démocratie et du socialisme, d’une part, de l’affaiblissement général des forces du camp impérialiste, de l’autre, qui suscite une profonde inquiétude parmi les impérialistes et provoque une vive activation des forces impérialistes réactionnaires, leur désir fébrile de saper la puissance croissante des forces internationale du camp de la paix et due socialisme, et surtout sa force dirigeante – l’Union soviétique.

    Cela se traduit par la course effrénée aux armements des pays capitalistes, par des aventures militaires, par des tentatives de pression accrue sur l’URSS, par l’organisation de toutes sortes de provocations et de sabotages dans les pays du camp démocratique, pour lesquels des centaines de millions de dollars sont alloués. 

    Les impérialistes cherchent un soutien dans les pays de démocratie et de socialisme sous la forme de divers renégats et d’éléments en décomposition, et intensifient les activités subversives de leurs agents.

    Les points 3 et 4 sont très révélateurs de parce qu’ils expriment le point de vue de deux factions différentes.

    Ils correspondent à des critiques de la situation, et ce :

    – pour le point 3 dans l’esprit de Georgi Malenkov (comme quoi il faut renforcer la production de biens de consommation),

    – pour le point 4 dans l’esprit de Nikita Khrouchtchev (comme quoi il faut « rétablir » la direction collective).

    Le point 4 contient déjà les fondements de la dénonciation du « culte de la personnalité ».

    3. Le pays soviétique, doté d’un pouvoir indestructible et de forces créatrices, avance avec succès sur la voie de la construction du communisme. Nous avons une industrie socialiste puissante, une industrie lourde complètement développée, qui est à la base des fondements d’une économie socialiste. Notre secteur de l’ingénierie est en forte progression, fournissant à tous les secteurs de l’industrie, des transports et de l’agriculture une technologie moderne (…).

    Tous ces succès dans le développement de l’économie socialiste et dans la construction culturelle sont devenus possibles grâce à la forte alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie collective, à l’amitié croissante des peuples de l’URSS, à la consolidation constante de l’unité morale et politique du peuple soviétique et à la mise en œuvre cohérente des politiques élaborées par le Parti communiste.

    Avec tout cela, comme avant, le Parti ne doit pas sous-estimer les difficultés et les faiblesses existantes dans notre construction économique et culturelle.

    Nous ne devons pas oublier que notre pays a traversé les plus grandes épreuves causées par la guerre, qui a dévasté la plus grande partie du pays et fait de nombreuses victimes.

    Au fil des ans, il a fallu déployer des efforts considérables pour guérir les blessures graves et éliminer les effets de la guerre.

    Il faut admettre que nous avons de nombreuses entreprises industrielles en retard et même des industries individuelles. De nombreuses fermes collectives et des zones agricoles entières sont en mauvais état. Les rendements des cultures et la productivité du bétail sont faibles et ne correspondent pas à l’augmentation des équipements techniques de l’agriculture et aux opportunités inhérentes au système de la ferme collective. De ce fait, nous ne répondons toujours pas suffisamment aux besoins matériels croissants et aux besoins culturels de notre population.

    Nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait qu’avec l’abolition des classes exploiteuses dans notre pays, les vestiges du capitalisme dans l’esprit des gens sont loin d’avoir disparus et qu’il existe de graves lacunes en matière d’éducation communiste du peuple soviétique.

    Ce serait oublier les fondements du marxisme-léninisme si nous cessions de compter sur le fait qu’il existe un environnement capitaliste qui envoie ses agents parmi nous, à la recherche de personnes prêtes à trahir les intérêts de la Patrie et à remplir les tâches incombant aux impérialistes pour saper la société soviétique.

    4. Notre parti est la force organisatrice et inspirante de la société soviétique. Grâce à la bonne direction du Parti, le peuple soviétique a remporté des victoires historiques dans le monde en faveur de la construction d’une société communiste.

    Cependant, les activités de notre parti présentent des lacunes importantes, à la fois dans un certain nombre de secteurs de la construction économique et dans le domaine de l’éducation communiste des travailleurs.

    Il faut bien admettre que nous avons de graves lacunes dans le respect des normes établies par le grand Lénine, des principes bolcheviques de la direction du Parti.

    Au fil des ans, nous avons accumulé d’importantes anomalies dans ce domaine. Il n’est pas justifié que sept ans seulement après la fin de la guerre et 13 ans après le 18ème Congrès, le 19ème Congrès du parti ait été convoqué. Pendant plusieurs années, les assemblées plénières du Comité central du parti ne se sont pas réunies.

    Pendant longtemps, le Bureau Politique n’a pas fonctionné normalement. Les décisions sur les questions les plus importantes du travail d’État et de la construction économique étaient souvent prises sans une étude préalable appropriée et sans discussion collective au sein des principaux organes du parti, comme le prévoyait la Charte du parti.

    En raison de telles anomalies dans l’organisation des activités du Comité central, le travail collectif n’a pas été assuré, de même que la critique et l’autocritique. La présence de telles anomalies conduisait en fait parfois à des décisions insuffisamment étayées et à une diminution du rôle du Comité central en tant qu’organe de direction collective du parti.

    À cet égard, il convient également de reconnaître qu’il est anormal que la propagande de notre parti au cours des dernières années s’écarte de la conception marxiste-léniniste de la question du rôle de l’individu dans l’histoire.

    Cela s’est traduit par le fait que, au lieu d’expliquer correctement le rôle du Parti communiste en tant que véritable moteur de l’édification du communisme dans notre pays, la propagande du parti s’est souvent perdue dans le culte de la personnalité, ce qui a entraîné une diminution du rôle du parti et de son centre, des activités créatrices des masses du parti et des larges masses du peuple soviétique. 

    Cette orientation du travail de propagande est en contradiction avec les dispositions bien connues de Marx sur le culte de la personnalité. »

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  • Le PCUS et l’explication officielle de «l’affaire Beria»

    Le coup de force contre la tête de l’appareil de sécurité d’État empêchait une initiative de l’État socialiste dans son rapport au Parti. Il est évident que de hauts responsables militaires ont joué un rôle, puisque des forces armées sont intervenues au Kremlin et que la clique de Nikita Khrouchtchev a été clairement appuyée par l’armée durant cette période.

    De fait, l’armée qui joua un rôle toujours subordonné à l’appareil de sécurité d’État en URSS s’est vue confier un rôle prééminent par la suite, avec un immense appareil militaro-industriel engloutissant une partie faramineuse des richesses du pays. Dans les années 1980, le complexe militaro-industriel représentait 25 % du PIB et les 3/4 des recherches et développement.

    Cette décapitation de l’appareil de sécurité d’État est donc à considérer comme la grande opération contre le principal verrou barrant la route à la prise du contrôle du pays par le Présidium du PCUS.

    Staline, sa fille Svetlana, Lavrenti Beria

    Il faudra par ailleurs plus de dix jours avant qu’une explication de l’affaire soit produite par le PCUS. Une fois cette explication faite, Lavrenti Beria servit de bouc-émissaire, avec toutefois une extrême prudence pour le procès.

    On apprit ainsi seulement le 16 décembre que l’enquête à son sujet était terminée et le 24 décembre, il fut annoncé que Lavrenti Beria avait été jugé et exécuté la veille. Là encore, la presse soviétique n’aborda la question que très brièvement.

    On a ainsi tous les ingrédients d’un coup d’État et cela se lit jusqu’à la résolution de la session du Comité Central du PCUS intitulé « À propos des actions criminelles anti-Parti et anti-État de Beria », adoptée à l’unanimité le 7 juillet 1953.

    La résolution ne traite qu’en partie de « l’affaire Beria », posant concrètement une véritable base idéologique nouvelle. La restructuration continua par ailleurs par la suite. Le personnel dirigeant de républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan connut une purge dans l’année qui suivit, pour « manquement » au « caractère collégial » dans la gestion de la direction.

    Serge Krouglov, nommé ministre des affaires intérieures après la liquidation de Lavrenti Beria, fut lui-même mis de côté à la veille du XXe congrès.

    Pour également bien asseoir son coup, le Comité Central du PCUS produisit un document particulièrement long, réservé aux cadres, devant être étudié toujours sous supervision. Il consistait en une sorte de biographie détaillée accusant Lavrenti Beria de crimes aux différentes époques de sa vie.

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  • La mort de Staline et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

    Le 26 juin 1953, Lavrenti Beria était intercepté chez lui et immédiatement exécuté. Officiellement, il aurait été emprisonné pour passer en procès à la fin de l’année, étant condamné à mort et exécuté seulement le 23 décembre.

    C’est en réalité un coup de force contre l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, dont Lavrenti Beria était à la tête.

    On parle ici de la plus grande figure organisationnelle de l’URSS avec Joseph Staline, ces deux communistes faisant office de véritable tandem géorgien. Lavrenti Beria est à partir de la fin des années 1930 le principal responsable de la sécurité du pays, jouant un rôle de premier plan dans la guerre mondiale, notamment comme responsable des services de contre-espionnage du SMERSH (acronyme de « mort aux espions ! »).

    Lavrenti Beria

    Au moment de sa mort, Lavrenti Beria était membre du Présidium du Comité central du PCUS, premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, ministre des affaires intérieures, héros du travail socialiste, maréchal de l’Union soviétique, responsable du programme atomique soviétique. C’est également lui qui, sur la place rouge, fut l’un des trois orateurs de l’oraison funèbre pour Joseph Staline, le 9 mars 1953.

    L’accusation, fantasmagorique, veut qu’il ait été un espion à la solide de l’impérialisme ayant tenté de monter un coup d’État par l’intermédiaire des services secrets ; tout cela serait étayé par de nombreux documents du procès et même un long « aveu ».

    À cela s’ajoute l’accusation d’avoir soi-disant régulièrement enlevé des femmes pour les violer et ensuite les faire fondre à l’acide sulfurique dans sa salle de bains ou bien les broyer dans un concasseur de pierres !

    On a ici une véritable opération militaire accompagné d’une campagne d’intoxication psychologique, qui a commencé dès le lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953, et qui vise à la destruction de l’appareil de sécurité.

    Lavrenti Beria

    A.A. Epyshev, vice-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS, est démis de ses fonctions le 11 mars 1953. B.C. Ryasnoy, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la seconde direction principale chargée du contre-espionnage, responsable de la garde personnelle de Staline depuis mai 1952, est démis le même jour.

    S.R. Savchenkjo, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la première direction principale chargée du renseignement, est démis le 17 mars 1953.

    Cette liste est encore longue et concerne en fait les hauts cadres de la sécurité d’État. Car, en décembre 1952, le PCUS a voulu la fusion du ministère de la sécurité d’État et de celui des affaires intérieures et c’est Lavrenti Beria qui prit la tête de la nouvelle structure au moment de la mort de Staline. Or, il semble à peu près clair que Staline n’a pas eu une mort naturelle et Lavrenti Beria avait commencé une enquête, qui eut immédiatement comme réponse son exécution.

    De plus, Lavrenti Beria était devenu le chef de file de l’application de la légalité socialiste dans l’esprit de la constitution de 1936. Il avait déjà souligné cette dimension lors de l’oraison funèbre de Staline et avait promulgué un ordre secret, le 4 avril 1953, appelant à l’interdiction de « l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ».

    L’ordre souligne le point suivant :

    « Ces méthodes vicieuses d’enquêtes orientaient les efforts du personnel opérationnel sur le mauvais chemin et l’attention des organes de sécurité de l’État était détournée de la lutte contre les véritables ennemis de l’État soviétique. Je commande d’interdire strictement l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ; dans le cadre de l’enquête, respectez scrupuleusement les normes du code de procédure pénale (…).

    Familiariser toute la structure opérationnelle des organes du ministère de l’Intérieur avec cet ordre et avertir qu’à partir de maintenant, non seulement les auteurs directs, mais également leurs dirigeants seront tenus responsables des violations du droit soviétique. »

    L’affirmation de cette légalité étatique était un obstacle fondamental pour le Présidium du PCUS. En effet, si l’on suivait les dispositions du XIX congrès de 1952, il n’y avait plus de secrétaire général, simplement une direction collective devant assurer l’édification du communisme, c’est-à-dire gérer au mieux les forces productives.

    Or, si cela était faux idéologiquement, il restait une base : si le Parti basculait dans une démarche incorrecte, il restait l’appareil d’État pour contre-balancer la chose. Celui-ci continuait de fonctionner selon les principes établis.

    Il fallait donc absolument le démanteler du point de vue de la clique formée principalement de Nikita Khrouchtchev, Léonid Brejnev, Mikhail Souslov… qui entendait diriger le pays par en haut et non pas simplement avoir une fonction « administrative » comme le formulait le XIXe congrès de 1952.

    Lavrenti Beria

    La liquidation de nombreux cadres de la Sécurité d’État dès la mort de Staline culmina donc en l’exécution de Lavrenti Beria, ainsi que celle de plusieurs très hauts responsables condamnés lors du même procès fictif :

    – Leo Vlodzimirsky, alors dirigeant de l’unité d’enquête sur les affaires particulièrement importantes du ministère de l’intérieur ;

    – Vsevolod Merkulov, alors ministre du Contrôle de l’État de l’URSS (1950-1953), responsable de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS de 1938 à 1941, général depuis 1945, commissaire du peuple (puis ministre) de la Sécurité de l’État de l’URSS (1941, 1943-1946);

    – Vladimir Dekanozov, alors ministre des affaires intérieurs de Géorgie, membre du Comité central du PCUS (b) de 1941 à 1952, ancien responsable adjoint de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS, ancien commissaire populaire adjoint aux affaires étrangères et représentant extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS en Allemagne (1940-1941);

    – Bogdan Kobulov, alors premier sous-ministre des Affaires intérieures de l’URSS, après avoir été une figure clef du NKVD pour plusieurs postes, notamment chef de l’unité d’enquête du NKVD de l’URSS , puis chef de la direction économique principale du NKVD de l’URSS (1938-1939) ;

    – Sergey Goglidze, alors figure du ministère des affaires intérieurs de l’URSS et responsable de la 3e direction (contre-espionnage dans l’armée et la marine soviétiques), notamment ancien vice-ministre de la sécurité d’État, ancien dirigeant du troisième département (contre-espionnage militaire) du ministère de la Sécurité d’État, ancien responsable de la direction principale pour la protection des chemins de fer et du transport par voie navigable du ministère de la Sécurité de l’État de l’URSS, ancien commissaire du peuple aux affaires intérieures de l’URSS, ancien chef du bureau du NKVD de la République socialiste soviétique de Géorgie, ancien ministre de la Sécurité d’État d’Ouzbékistan ;

    – Pavel Meshik, alors ministre de l’Intérieur de la République socialiste soviétique d’Ukraine et chef adjoint de la 1re Direction principale du Conseil des ministres de l’URSS (chargé de la construction de la bombe atomique), notamment ancien chef adjoint de la direction principale du SMERSH, ancien dirigeant du département des enquêtes de la direction économique principale du NKVD de l’URSS, ancien dirigeant premier département (commissariats industriel et alimentaire) de l’institution d’État du NKVD ;

    Tant Lavrenti Beria que les autres responsables ont été incinérés après leur exécution.

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  • Les contradictions en URSS au lendemain du XIXe congrès

    À partir de 1952 – et non pas à partir de la mort de Staline le 5 mars 1953 – le PCUS est régi de manière collégiale, par une direction collective s’appuyant sur le Présidium du Comité Central, lui-même sévèrement encadré par le Comité Central.

    Or, il restait un appareil centralisé par définition même, celui de l’appareil de sécurité d’État.

    Il y a ici une contradiction qui s’est posée historiquement, de par l’erreur du XIXe congrès, qui considérait que le socialisme avait été instauré et que l’URSS rentrait dans la période d’édification du communisme.

    Il ne pouvait pas y avoir en même temps une direction collective et un appareil de sécurité centralisé existant dans l’État et à côté du Parti. Tant la centralisation des services de sécurité autour d’une figure historique, Lavrenti Beria, que le maintien des camps de travail (donnant par définition une importance aux services de sécurité), rentrait en conflit avec la démarche lancée au XIXe congrès.

    Celle-ci posait d’ailleurs la liquidation des camps de travail. Dans la même logique, la peine de mort avait été supprimée en 1947, mais finalement réinstaurée en 1950 devant les affaires d’espionnage.

    Il fut donc décidé que la gestion des camps de travail devait passer au ministère de la justice. Une amnistie importante fut également décidée le 27 mars 1953.

    Drapeau de l’URSS du 5 décembre 1936 au 19 août 1955

    Restait la question de l’appareil de sécurité au sens ouvert (telle la police) et celui au sens fermé (contre-espionnage). On en était alors à une fusion du MGB et du MVD – le ministère de la sécurité d’État et le ministère des affaires intérieures. Dans 12 républiques sur 15, ce fut le responsable du MGB qui passa responsable du MVD.

    Mais il y a ici plus important encore : la République soviétique de Russie n’avait pas de MVD propre – c’était celui au niveau pansoviétique qui en assumait la fonction. C’est dire le caractère essentiel de son rôle, sa puissance.

    L’une des premières décisions du MVD, désormais dirigé par Lavrenti Beria, fut une critique en règle, dans la Pravda du 4 avril 1953, du MGB pour son enquête sur le complot des médecins accusés d’avoir joué un rôle dans des accusations d’empoisonnement. Le MVD prétendit que les aveux avaient été forcés et que l’enquête n’avait pas été légale. Les médecins furent libérés, des responsables du MGB arrêtés, l’informatrice de l’affaire, Lydia Timsshuk, se vit enlever l’ordre de Lénine reçu pour l’occasion.

    Cette démarche fut très inattendue ; la revue de mars du Komosomol (la jeunesse communiste), sortie elle-même le 4 avril, contient ainsi un article de dénonciation de l’espionnage et célébrant l’exemple de Lydia Timsshuk.

    Le 10 avril 1953, les Izvestia prolongèrent la remise en cause en affirmant qu’il s’agissait d’une initiative antisémite prenant comme prétexte un pseudo-complot de médecins juifs. La presse soviétique accusa parallèlement le style de travail de la direction du Parti en Géorgie, ce qui se prolongea par la suite. Il s’ensuivit une remise en cause de la purge de 1951-1952 et le rétablissement de ceux mis de côté.

    On a là en fait une bataille factionnelle qui se jouait dans le Parti, avec le conflit entre le Parti passé sous direction collégiale et l’appareil de sécurité d’État resté centralisé.

    La tension fut à son comble à l’occasion d’un opéra. Celui-ci, intitulé Les décabristes, relatait la révolte contre le tsar d’une partie de l’aristocratie. Le 27 juin 1953, tout le Présidium du PCUS y assistait, à l’exception de Lavrenti Beria et de deux membres suppléants, l’arménien Vladimir Bagirov et le russe Léonid Melnikov.

    Dans la journée, plusieurs dizaines de tanks accompagnés d’autres véhicules militaires étaient arrivées par le train à Moscou et commençaient à se déployer dans la ville. Ce dispositif militaire connut une amplification dès la tombée de la nuit et cela jusqu’au 30 juin. Il semble que certaines unités dépendaient de l’appareil de sécurité d’État, d’autres de l’armée.

    Cette situation, clairement de crise, fut également accompagnée par la suite d’au moins deux articles marquants. Le premier fut publié sans signature dans la Pravda du 4 juillet 1953 ; citant notamment Staline, il souligna l’importance de la direction collective, de la soumission des communistes à la volonté de la majorité du Parti.

    Le second consista en l’éditorial des Izvestia du 7 juillet et s’appuyait sur Les problèmes économiques du socialisme, écrit par Staline à l’occasion du XIXe congrès de 1952, et expliquait qu’un dirigeant négligeant la théorie ne peut pas assumer sa fonction.

    On peut considérer que le premier document représente la ligne de la direction collégiale du Parti, le second vraisemblablement de la ligne idéologique maintenue, soutenue par l’appareil de sécurité d’État, mais il est difficile d’y voir clair, car la journée de crise du 27 avait été précédé, la veille, de la liquidation du dirigeant de l’appareil de sécurité d’État, Lavrenti Beria.

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  • PCE(r) : En première ligne

    Histoire du Parti Communiste d’Espagne (reconstitué)
    (des origines au II Congrès)

    Éditeur : Collectif Francisco Javier Martínez Eizaguirre 
    Juin 2004

    Introduction

    1. La fundation de l’OMLE dans l’exil
      1.1 Pire que la guerre: l’aprèsguerre fut encore
      1.2 La dégénérescence révisionniste du PCE
      1.3 L’essor du mouvement ouvrier et populaire
      1.4 La confluence de plusieurs groupes communistes à Bruxelles
      1.5 Les deux fédérations de l’intérieur: Cadix et Madrid
      1.6 Pour un centre unique de toute l’Organisation
    2. Le changement d’orientation
      2.1 La V Réunion Générale
      2.2 La lutte contre le spontanéisme
      2.3 Organiser à la classe ouvrière en étroite relation avec le Parti
      2.4 L’orientation dans le travail de propagande
      2.5 La fusion des communistes galiciens avec l’OMLE
      2.6 Les tentatives de reformer le parti révisionniste depuis l’intérieur
      2.7 La Grève Générale Révolutionnaire de Vigo et la fusion d’Organisation Ouvrière avec l’OMLE
    3. La célébration de la Ière Conférence
      3.1 Préparation de la Conférence
      3.2 Les résolutions de la Conférence
      3.3 La professionnalisation des cadres
      3.4 L’ouverture du régime commence
      3.5 L’style communiste dans le travail de propagande et d’agitation
      3.6 Les premières arrestations
      3.7 Les erreurs de l’été
      3.8 Convocation du Congrès reconstitutif
    4. La bataille contre la réforme fasciste
      4.1 Le Congrès reconstitutif du Parti
      4.2 L’été de la terreur
      4.3 IBM et le système offset dans l’appareil de propagande
      4.4 Le prolétariat a désormais son avantgarde
      4.5 Apprendre le maniement des armes
      4.6 Du silence à l’intoxication, et toujours la terreur
      4.7 Transit pacifique à la démocratie ou processus révolutionnaire ouvert?
      4.8 La création du Comité de Lien
      4.9 Critique des méthodes bureaucratiques de direction
    5. Une vraie campagne d’encerclement et d’anéantissement
      5.1 Le IIème Congrès du Parti
      5.2 L’arrestation du Comité Central
      5.3 Les pactes de la Moncloa
      5.4 Le dilemme international

    Introduction

    La situation politique en Espagne pendant les années 60, lorsque l’OMLE (Organisation des Marxistes Léninistes d’Espagne) était en période de formation, était caractérisée se par trois traits fondamentaux : le régime fasciste régnant, l’essor du mouvement ouvrier et populaire, et le révisionnisme qui s’était emparé du Parti Communiste.

    Par opposition à d’autres pays, le fascisme en Espagne s’était imposé en 1939, après trois années de guerre et pas pacifiquement, au moyen d’élections. Cela octroya aux militaires un rôle décisif dans le régime: à la différence des autres chefs fascistes européens, Franco était général de l’Armée. C’est pourquoi ce qui singularisa le franquisme par rapport à ses homologues italiens et allemands fut précisément le rôle décisif des militaires aussi bien pendant la guerre qu’à l’après-guerre.

    Le fascisme en Espagne n’a pas qu’il duré seulement quelques années mais il est resté en place, avec diverses vicissitudes, jusqu’à nos jours, en forgeant la classe ouvrière et la dotant d’une expérience de luttes que très peu d’autres ont connue. La lutte de classes en Espagne a été et continue à être profondément marqué par la guerre civile et par une domination fasciste postérieure et prolongée. La liquidation du PCE(r) contribua à cela dans une grande mesure bien qu’il ait continué la lutte de résistance après la défaite de la République.

    Comme signale le Programme du PCE(r):

    Le fascisme a réussi à écraser les organisations syndicales et les partis démocratiques, mais pas le Parti de la classe ouvrière. Le PCE a poursuivi la lutte dans les usines, les mines, les villes et les campagnes.

    Le coup le plus dur, celui qui a détruit le Parti, n’est pas arrivé par la répression, mais par le travail de sape mené dans son sein par le révisionnisme carrilliste […] Cette activité contre-révolutionnaire a été possible à cause des mêmes faiblesses, insuffisances et erreurs traînées par le Parti depuis l’étape antérieure, jamais analysées à fond ni, par conséquent, corrigées […]

    À tout cela, il faut ajouter d’autres facteurs comme la dispersion de la direction, l’attention nulle prêtée au développement de la théorie révolutionnaire et à la formulation d’une ligne politique adaptée aux nouvelles conditions de l’Espagne, ainsi que le progressif abandon des principes léninistes de fonctionnement et d’organisation. De cette façon, se sont créées les conditions qui ont permis à l’opportunisme de se développer dans les rangs du Parti et d’attendre l’occasion propice pour prendre la direction et faire triompher son œuvre destructive, sans que les vieux dirigeants, pétris de dogmatisme et d’habitudes conciliatrices, fussent capables de l’empêcher […]

    Vers le milieu des années 60, dans les pays capitalistes de haut niveau de développement économique, surgit parmi la jeunesse un puissant mouvement de contenu clairement politique. Déjà, à l’intérieur de ces pays, apparaissaient tous les symptômes de la nouvelle phase de la crise générale du système, en gestation après la courte période d’essor économique de la post-guerre. Les théories au sujet d’une prétendue société post-industrielle – où disparaîtraient les crises économiques et la lutte de classes pour faire place à l’entente et au bien-être général, à une société de consommation et à un développement économique soutenu – s’écroulèrent comme un château de cartes, si bien que la critique du système capitaliste a réoccupé le premier plan de l’actualité […]

    Ce mouvement de critique du capitalisme sera stimulé par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne Chinoise et par la critique marxiste-léniniste effectuée par le PCCh et les communistes d’autres pays contre les thèses révisionnistes : la transition pacifique et parlementaire au socialisme, l’État de tout le peuple, l’émulation économique entre le socialisme et le capitalisme, etc.

    À la fin de la décennie, deux événements nouveaux et importants, qui ébranlèrent la vie de tous les pays, sont venus s’ajouter aux précédents: l’héroïque lutte de résistance du peuple vietnamien contre l’agression nord-américaine et le mouvement de masses, de caractère révolutionnaire, déclanché au mois du mai 1968 à Paris et dans d’autres villes de France.

    La crise économique capitaliste mondiale a eu aussi une forte répercussion en Espagne, à un moment où les plans de développement industriel touchaient au but, le régime entrait en plein dans une crise politique et commençait, prudemment, la manœuvre ‘d’ouverture’ par laquelle il cherchait une sortie. Le mouvement ouvrier et populaire s’était remis des effets de la défaite supportée en 1939 et des longues années de terreur fasciste ouverte et, étant donné que la politique de réconciliation carrilliste et ses consignes pour une ‘grève nationale pacifique’ avaient échoué, il commençait à s’orienter sur la voie de la résistance et de la lutte armée.

    Ce contexte général donnera lieu à l’apparition du nouveau mouvement ouvrier organisé. L’Organisation des Marxistes-Léninistes d’Espagne (OMLE) fut une des premières organisations communistes nées à cette période (1968). C’est en partant d’elle, qu’on reconstruira le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière, dont la nécessité se faisait sentir depuis déjà longtemps.

    1. La fondation de l’OMLE dans l’exil

    1.1 Pire que la guerre: l’après-guerre fut encore

    Après la guerre, il n’y eut pas un seul instant de paix. La répression de l’après-guerre a occasionné plus de dommages encore aux organisations communistes, ouvrières et paysannes, qui ont été férocement pourchassés et leurs dirigeants assassinés par milliers. L’importance de la répression n’a pas eu parangon dans l’histoire: Le fascisme es Espagne chercha à raser toute trace des communistes espagnols. Les prisons débordèrent et il a fallu que les camps de concentration prennent leur place, des espaces à plein air, clôturés et fortement surveillés. À la fin de la guerre, la propagande officielle changea leurs noms pour d’autres comme ‘des camps de travail’, ‘des bataillons disciplinaires’, ‘des colonies pénitentiaires militarisées’, etc. Les prisonniers vivaient mal cette situation, soumis aux intempéries, à la faim, aux plaies et aux maladies(1).

    Aujourd’hui encore, l’Armée n’a pas autorisé l’accès des archives de la répression aux historiennes (2). Cependant d’après les données officielles de l’époque, 8 pour cent de la population passa par le bagne pendant l’après-guerre; environ un million de personnes ont été condamnées par les conseils de guerre les six premières années de l’après-guerre, la plus part à la peine de mort, accusées de rébellion militaire.

    On évalue les fugitifs entre 700.000 et 800.000, dont un demi-million fuirent, à la fin des combats ; presque la moitié revint ; il y en eut 300.000 qui ne purent jamais rentrer de l’exil et 35.000 qui décédèrent, victimes de la faim et des maladies, dans les camps de concentration français et d’Afrique du Nord, une quantité à la quelle il faut encore ajouter les 7.000 des camps de concentration nazis.

    Les communistes et d’autres antifascistes assassinés depuis la guerre s’élèvent à quelque 200.000 (3). Le régime de Franco n’eut aucune compassion pour l’Armée républicaine, vaincue et désarmée.

    Les plus hauts responsables de ce massacre gigantesque, des procureurs militaires comme José Solís Ruiz ou Carlos Arias Navarro occupèrent, ensuite, les plus hauts postes du régime. Les partis, syndicats et associations, liés de loin ou de près au Front Populaire, furent dissous et leurs biens confisqués, tout en étant l’objet d’un pillage organisé sur lequel de nombreux oligarques actuels fondèrent leurs immenses fortunes.

    Cependant, le chiffre des prisonniers, morts, exilés n’épuise pas le chapitre répressif de la première époque franquiste. Il y eut aussi un secteur très important de la population qui a perdu pour toujours son poste de travail; d’autres n’ont plus jamais réussi à exercer leur profession et beaucoup d’entre eux eurent à supporter des humiliantes enquêtes d’aptitude. Les républicains devaient toujours porter des sauf-conduits et certificats de bonne conduite, ce qui les transformait en parias. Incarcérés, torturés, assassinés, exilés…

    Le fascisme n’en eut pas assez et déchaîna une vaste épuration si bien que, la moindre suspicion d’opposition, donnait lieu à des représailles. Des parents de communistes et de républicains furent aussi persécutés et obligés d’abandonner leurs professions et leurs emplois, en même temps que leurs propriétés étaient confisquées.

    Quelque 300.000 fonctionnaires de la République perdirent leur poste de travail, un chiffre qui est encore plus significatif si on considère que, par exemple, 80 pour cent des maîtres d’école furent renvoyés. Les chiffres seraient encore plus élevés si nous considérions ceux qui furent expulsés par des tribunaux d’honneur dans le corps du fonctionnariat et le corps professionnel; le nombre est très difficile à mesurer pour le moment ; en 1969 il y avait encore des enquêtes en cours contre des maîtres de l’Éducation Nationale.

    On instaura, partout en Espagne, une censure implacable et absolue sur la presse, la radio ou le théâtre. Le jour du soulèvement, pendant une allocution en Pampelune, le général Mola l’avait très clairement averti: Il faut semer la terreur, il faut laisser la sensation de maîtrise absolue, en éliminant sans aucun scrupule et aucune hésitation tous ceux qui ne partagent pas nos idées.

    Le niveau de vie des masses est descendu à des niveaux insoupçonnés. À la fin de la guerre, un quart de la population courrait le risque de mourir de faim (4) et pas parce que la nourriture manquait sinon parce que, pendant la seconde Guerre Mondiale, la spéculation gigantesque et les exportations en tout genre dans l’Allemagne de Hitler ont désapprovisionné le marché intérieur.

    L’oligarchie accumula d’immenses fortunes par les travaux forcés de centaines de milliers de prisonniers de guerre qui grossirent les bataillons de travailleurs.

    Les entreprises du bâtiment, florissantes pendant les années soixante, accumulèrent leur capital aux dépens de la main d’œuvre gratuite apportée par les antifascistes réduits à l’esclavage (5). Mais aussi les entreprises minières d’Almadén, la MSP à Ponferrada, Duro Felguera et celles de la métallurgie comme Babcock & Wilcox, la Maquinista et autres. La dénutrition et l’avitaminose entraînèrent une vague d’épidémies qui affectèrent l’ensemble de la population. Les chroniques de l’Espagne de l’après-guerre sont remplies d’épisodes du marché noir d’un côté et de la faim de l’autre. À la démoralisation de la défaite, venait s’ajouter la recherche quotidienne du pain.

    Des nombreuses fortunes et des nombreuses promotions dans l’échelle du pouvoir économique se construisirent à cette période, grâce aux bénéfices du marché noir, de la faim et de la spéculation de l’après-guerre.

    En plus de l’état de guerre permanent, l’Espagne endura une véritable économie de guerre durant les années de l’autarcie: jusqu’à 1962, des militaires étaient à la tête de ministères comme celui de l’Industrie et du Commerce, des Travaux publies ou de la Direction de l’Institut National de l’Industrie et des grands monopoles de l’État. L’oligarchie amassa des richesses fabuleuses dans le cadre épouvantable du chômage, de la faim et des maladies (6).

    Donc, l’État fasciste n’a pas constitué un empêchement pour qu’un processus intense d’accumulation capitaliste s’ouvrait mais au contraire: il fut l’un de ses grands moteurs, grâce à la coercition persistante sur le prolétariat. Le régime changea tout ce qu’il était obligé de changer pour le bénéficie de l’oligarchie financière et des propriétaires fonciers.

    Il l’a fait au moment où il fallait le faire sans tenir compte de ceux à qu’il pouvait porter préjudice. Sous une propagande officielle triomphaliste qui avait l’air d’une domination monocorde des grands hiérarchies du régime, était sous-jacente une guerre sourde des camarillas en lutte permanente pour le contrôle de l’appareil de l’État: phalangistes, carlistes, catholiques, monarchistes, technocrates, militaires, etc., se succédaient ou coexistaient dans les hauts postes de l’Administration, dans un équilibre difficile soutenu uniquement par le besoin d ‘exploiter les masses populaires et de noyer dans le sang n’importe quelle opposition à leurs projets.

    Depuis le début des années 50, le capital monopoliste avait décidément opté pour la voie de la modernisation puisque la voie de l’autarcie et du corporatisme s’étaiit rapidement épuisé. Au milieu des années 50, la reforme administrative de l’État a été entamé, ce qui correspondait a des critères technocratiques qui vont permettre l’accumulation et la concentration du capital des années soixante et la reforme politique des années soixante-dix.

    Le point de départ de tout ce processus est la création, en décembre 1956, de l’Office de Coordination et de Programmation économique, dirigé par Lopez Rodó, sous la tutelle directe de l’Amiral Carrero Blanco. Son premier résultat fut, l’année suivante, la Loi de Régime Juridique de l’Administration de l’État, dont l’article 13.6 établissait, parmi les compétences de la Présidence du Gouvernement -c’est-à-dire, de l’amiral Carrero Blanco- l’élaboration de plans de développement économique. Cette réforme administrative a précédé les plans de développement qui, à leur tour, renfermaient d’importantes mesures administratives.

    Sous le gouvernement des catholiques de l’Opus Dei, l’oligarchie entreprit, en 1959, un plan ambitieux d’expansion économique, avec la collaboration active des USA, des autres puissances occidentales et du Vatican. Il agissait d’en finir avec l’autarcie et d’introduire l’Espagne dans le circuit économique impérialiste qui, en ces années là, commençait à resurgir du marasme de la guerre mondiale.

    Toutefois, l’Espagne se trouvait à l’époque sur le bord de la cessation de paiement ; il était impossible de renouveler l’appareil productif sans faire des importations ; la nourriture était rationnée et l’appareil productif sur le point de se paralyser. L’un des objectifs fondamentaux du Plan de Stabilisation de 1959 fut donc la convertibilité de la peseta pour profiter de la conjecture mondiale et faciliter l’intégration de l’économie espagnole dans l’économie internationale.

    À partir de 1959, la scène économique espagnole va changer radicalement: d’un pays sous-développé et à moitié féodal, l’Espagne en vient à s’intégrer à la liste des pays capitalistes monopolistes d’État.

    Dans la décennie des années 60, des taux de croissance annuelles d’environ 7 pour cent ont été obtenus. Beaucoup de choses ont changé très rapidement, non seulement sur le plan politique mais aussi sociologique. La campagne se dépeupla, tant par l’effet de l’émigration à l’extérieur (deux millions de journaliers) qu’à l’intérieur, vers les nouveaux pôles industriels. On peut calculer que l’émigration intérieure, de la campagne vers la ville, a été de trois millions et demi de travailleurs entre les années 1962 et 1970.

    La main d’œuvre agricole, qui constituait la moitié de la force de travail en 1959, se réduisit drastiquement jusqu’à se situer à 12 pour cent en 1977. Espagne avait cessé d’être un pays agricole et les anciennes structures du féodalisme disparaissaient.

    Naturellement, le chômage, l’une des plaies de la période autarcique, disparut de façon foudroyante et il se produisit un agrandissement des villes qui changea soudainement leur physionomie, presque du jour au lendemain, avec l’apparition de nouveaux quartiers et de banlieues où les ouvriers s’entassèrent, dans des conditions lamentables par manque de logements, de services de santé, d’hygiène, de transports en commun, etc.

    La population paysanne vieillit et, par contre, le prolétariat dans les usines était très jeune: une nouvelle génération assimila rapidement les nouvelles coutumes urbaines et adopta les nouvelles habitudes. En 1970, pour une population active inférieure à 13 millions, il existait plus de trois millions de travailleurs à l’étranger.

    Dans ce processus, ce furent les ouvriers et les paysans qui, encore une fois, supportèrent les plans de règlement et de surexploitation. Les grèves étaient sanctionnées en tant que délit de rébellion militaire et les libertés les plus fondamentales étaient absentes.

    Le développement économique des années soixante fut lié directement et étroitement à la misère des larges masses de travailleurs; mais pas seulement à cela: ce développement fut aussi lié au terrorisme du régime fasciste. L’oligarchie financière s’est servie de l’État comme moyen essentiel de sa politique économique, pour multiplier ses profits et pour renforcer sa domination sur tous les secteurs de l’économie (7).

    L’accumulation accélérée de capital des années 60 était rattachée à l’extérieur par trois liens fondamentaux: les importations de capital, l’émigration et le tourisme.

    Alors se déclencha un processus à l’opposé du précédent, fondé sur l’autarcie, l’interventionnisme et la voie prussienne dans le développement agraire. L’ouverture à l’extérieur était une exigence fondamentale puisque les réserves de devises étaient pratiquement épuisées, l’Espagne manquait de la moindre capacité d’endettement et l’envolée de l’inflation était spectaculaire. En conséquence, cette croissance aurait été impossible si l’impérialisme n’avait pas cautionné les plans du régime.

    Dans une grande mesure, les plans économiques ont été dessinés aux USA de façon directe ou à travers les organismes financiers internationaux comme la Bande Mondiale ou le Fond Monétaire International.

    Le soutien de l’impérialisme, notamment américain, eut un double objectif économique et militaire. En février 1940, le Chase National Bank accorda déjà un premier prêt de 25 millions de dollars au gouvernement de Madrid pour l’achat de nourriture; la même année, du mois de mai, les impérialistes autorisent l’Export Import Bank à ouvrir une ligne de crédit allant jusqu’à 62,5 millions, destiné à favoriser le commerce extérieur des oligarques espagnols, etc.; en 1950, le Sénat américain approuve un emprunt officiel de l’Espagne (8).

    Les États-Unis ont fourni l’armement de l’Armée et la police fasciste et, en échange, le régime autorisa l’utilisation des ports espagnols à la Marine de guerre et à l’Armée de l’Air des USA. La présence nord-américaine sur le territoire espagnol et son appui à l’extérieur permet au régime de concentrer ses forces sur l’écrasement de la résistance intérieure. L’Armée américaine et l’Armée espagnole réalisaient des grandes manœuvres mixtes, basées sur l’écrasement d’insurrections internes (9).

    Non moins important fut le progressif appui diplomatique. L’ONU autorisa l’entrée de l’Espagne qui, peu après, réussit son entrée dans la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation) et qui signa un concordat avec le Vatican. Le processus culmina en 1953 avec les accords militaires et économiques grâce auxquels les bases militaires de Rota (Cadix), Morón (Séville), Torrejón (Madrid) et Sanjurjo (Saragosse) ont été construites. Ainsi, l’Espagne devint une plate-forme d’agression contre les pays socialistes et contre les États émergents du Tiers Monde et, plus particulièrement, du Moyen Orient.

    La collaboration était mutuelle et concernait aussi bien le domaine militaire que le domaine économique. En échange des bases militaires, le régime reçut un ballon d’oxygène vital pour assurer la permanence de sa domination à long terme. Les puissances impérialistes appuyaient la continuité du fascisme en Espagne et accompagnaient son projet d’ouverture économique.

    Entre 1961 et 1964, le Produit Intérieur Brut augmenta, en moyenne, au rythme annuel des 7 pour cent. L’envoi de devises par l’émigration est passé de 55 millions de dollars en 1960 à 469 millions en 1970. Les devises envoyées par mandat postal par nos travailleurs entre 1960 et 1966 surpassent la somme de capital social de toutes les banques privées en 1965 (10).

    L’émigration éleva les salaires des journaliers et obligea à la mécanisation des labours dans la campagne, tout en provoquant la faillite de la petite exploitation agricole traditionnelle. À partir de 1968 immédiatement derrière les journaliers ce sont les petits propriétaires ruraux qui émigrent. Pareillement, la vieille aristocratie des propriétaires terriens, l’un des piliers du fascisme, perdit du terrain très vite et finit par fusionner avec le capital financier.

    L’État compensa les grands propriétaires fonciers de la diminution de la rente de la terre -grâce aux prêts à bas taux d’intérêt-, tout en soutenant artificiellement les prix agricoles, ainsi que par des dédommagements pour l’amélioration et la modernisation de leurs propriétés rurales à travers l’Institut National de la Colonisation.

    L’aristocratie déplaça ses capitaux vers les finances, ce qui réduisit les tensions existantes entre les deux secteurs de l’oligarchie et contribua à l’accumulation accélérée de capital. Le pouvoir de l’aristocratie des grands propriétaires fonciers ne pouvait se maintenir que dans un cadre sociologique essentiellement agraire et au prix d’une politique économique et agricole fortement protectionniste et interventionniste (11). C’est justement cela qui changea en 1959. L’Espagne était déjà un pays de capitalisme monopoliste.

    L’État terroriste implanté en 1939 sur plus d’un million de morts fut l’instrument qui rendit possible la gigantesque accumulation de capital dont la propagande fasciste se flatta en parlant de paix et de bien-être. Ce fut un développement capitaliste lié au terrorisme d’État. Mais le développement capitaliste créa en même temps les conditions pour en finir avec ce système.

    La conversion de l’Espagne, un pays semi-féodal, avec une économie basée sur l’agriculture, en un pays capitaliste, avec une industrie développée, fait que le prolétariat devint la classe la plus nombreuse de la population, qui agit comme avant-garde du peuple dans la lutte contre le fascisme. Par conséquent, en 1970, l’Espagne n’était plus un pays semi-féodal et il n’y avait pas de révolution démocratico-bourgeoise à réaliser.

    La transformation économique de l’Espagne s’est produite sans qu’il y ait une révolution au sens strict ; mais cela ne veut pas dire qu’elle s’est effectuée de façon pacifique. La persistance du régime témoigne le contraire: le fascisme s’a servir au capital financier pour noyer dans le sang les contradictions aiguës qu’entraînait cette transformation.

    Les révisionnistes parlèrent démagogiquement des restes du féodalisme, qui persistaient dans la société espagnole, pour essayer ainsi de justifier leurs agissements destinés à attacher les ouvriers au char de la bourgeoisie. Finalement, l’Espagne n’était pas non plus une colonie de l’impérialisme yankee, comme certains groupes petits-bourgeois l’affirmaient. Au contraire, c’était déjà un pays capitaliste avec un degré relativement avancé d’industrialisation: en Espagne, l’oligarchie détenait directement le pouvoir économique et politique, mais le prolétariat constituait la force principale.

    La résistance à l’oppression et à l’exploitation fasciste-monopoliste ne s’arrêta pas en 1939, à la suite de la défaite momentanée des forces populaires; elle a continué à se développer et à s’accroître à tel point que la position des forces sociales en lutte a changé par rapport aux années quarante.

    Dans le Programme du PCE(r), cette période historique est résumée de la façon suivante :

    Le fascisme fut l’instrument principal que l’oligarchie propriétaire terrienne et financière utilisa pour soumettre les masses populaires et pour mener à bien le développement économique du pays par la voie monopoliste. Ce caractère double, monopoliste (impérialiste) et en même temps fasciste, est la caractéristique principale de l’État espagnol.

    En développant la grande industrie, l’agriculture capitaliste, le commerce à grande échelle, les transports, etc., et en menant à bien la fusion de tous les secteurs économiques avec la Banque et l’État à son service, l’oligarchie a créé les conditions matérielles pour la réalisation du socialisme puisqu’elle a fait grandir le prolétariat et l’a élevé à l’école d’une guerre civile quasi permanente […]

    Le fascisme est la superstructure politique, juridique, idéologique, etc., qui correspond au système d’exploitation monopoliste implanté en Espagne en 1939. Il s’est développé avec lui et il se maintient aujourd’hui encore comme forme de pouvoir parce qu’ils ne pourraient pas exister l’un sans l’autre.

    1.2 La dégénérescence révisionniste du PCE

    Ce ne fut pas l’oligarchie ni son régime de terreur, ce ne furent pas les promenades et les assassinats à l’aube, qui en finirent avec le Parti communiste d’Espagne. Ce fut le révisionnisme, niché dans son sein, qui permit au régime de se maintenir au pouvoir et, de plus, en étant sûr d’un calme au moins relatif.

    Avec Santiago Carrillo au Secrétariat général du Parti depuis 1956, le PCE finit par proposer l’embrassade du peuple et de ses irréconciliables ennemis fascistes. Les révisionnistes abandonnèrent même l’idée de recourir aux armes contre le régime.

    Au contraire, depuis le début des années soixante, Carrillo commença à négocier avec Franco, non seulement à l’insu des travailleurs espagnols, mais même des adhérents de son parti, qu’il n’informa jamais de ses manigances. En 1973, les négociations continuèrent à Bucarest par l’intermédiaire de Ceaucescu (ami intime de Carrillo), avec le général Díez Alegría et le colonel San Martín, deux hommes des services secrets de l’amiral Carrero Blanco.

    La nouvelle stratégie symbolisée par des consignes telles que la réconciliation nationale, le pacte pour la liberté ou la grève générale pacifique(12), impliquait la renonciation aux méthodes révolutionnaires, mais était dépourvue de contreparties de la part du régime qui n’hésita pas à faire fusiller Grimau ainsi que les anarchistes Granados et Delgado en 1963. Les carrillistes se réconcilièrent avec le fascisme, mais le fascisme ne se réconcilia avec personne.

    On peut dire qu’à ce moment se termina une étape de l’opposition antifranquiste, prolongation de la Guerre civile, et que s’amorça une nouvelle, même dans l’aspect générationnel.

    Sans qu’on puisse dire que les activités armées aient cessé complètement, des phénomènes plus massifs firent leur apparition, focalisés sur les grands noyaux industriels, différents des noyaux armés qui avaient opéré dans la montagne. L’Université également commença à se transformer en un foyer d’agitation quasi permanente, indice de l’incorporation de secteurs sociaux plus larges à la lutte.

    Les révisionnistes justifiaient leur stratégie de collaboration avec les éléments dynamiques de l’oligarchie en faisant allusion à certaines frictions supposées au manque de corrélation entre la croissance économique et l’immobilisme politique, entre l’infrastructure économique et la superstructure politique (13).

    Carrillo et son parti ne parlaient que de dictature et de franquisme, en les considérant comme un régime personnaliste qui tournait autour du général Franco et de sa famille. La démocratie arriverait si on éliminait du pouvoir ce cercle étroit et ses collaborateurs. C’est justement à cause de cette influence du révisionnisme qu’en Espagne on parlait du franquisme à la place de fascisme, comme s’il s’agissait d’un régime personnel qui jamais n’exista.

    Le PCE considérait le régime comme quelque chose d’étranger à la nature de classe de la bourgeoisie monopoliste, comme un obstacle à ses projets. Les révisionnistes cachaient que le fascisme -comme disait Dimitrov- n’était que la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du grand capital (14).

    Ils cachaient la nature de classe du fascisme, en plus de cacher que la grande bourgeoisie avait besoin du fascisme pour poursuivre et intensifier l’accumulation capitaliste et pour consolider sa domination politique. Le régime, loin d’y être un obstacle, était sa meilleure et plus efficace arme. L’oligarchie va se servir de l’État comme principal instrument pour la soumission et l’exploitation des masses ouvrières et populaires, mais aussi va utiliser l’État comme moyen essentiel de sa politique économique.

    Très tôt, l’OMLE prêta grande attention à la caractérisation du régime et maintint que ce facteur politique était déterminant pour élaborer une stratégie conforme aux besoins du prolétariat espagnol.

    Le fascisme avait surgi de la liquidation des libertés démocratiques révolutionnaires, conquises par des décennies de luttes et, par conséquent, elles ne pouvaient être regagnées qu’en en finissant avec le régime. Cela ne voulait dire en aucune façon qu’il soit nécessaire de développer une révolution démocratique bourgeoise, puisque le régime des monopoles l’avait dépassée pour l’essentiel.

    Cependant, la persistance du fascisme empêchait de faire le saut vers la dictature du prolétariat et le socialisme, sans tenir compte de la nécessité de pratiquer, pendant une brève période, la démocratie la plus large et la plus résolue, afin de préparer les masses et les gagner à la cause du socialisme.

    Ce principe de base commençait à différencier l’OMLE des révisionnistes et aussi d’autres groupes soi-disant de gauche de l’époque. En effet, non seulement les révisionnistes s’alliaient avec le diable -comme ils disaient eux-mêmes-, mais, en réalité, tous les groupes de gauche soutinrent des semblables positions idéologiques et politiques, en marchant à l’ombre de l’oligarchie. Ce qui singularisait ces groupes est qu’ils ne prenaient pas en considération la nature fasciste du régime et insistaient sur une supposée dépendance de l’Espagne de l’impérialisme nord-américain, qu’ils considéraient comme l’ennemi principal, laissant l’oligarchie autochtone à l’écart.

    À la fin des années soixante, une série d’évènements internationaux remirent en question tous les bobards révisionnistes: la Révolution culturelle chinoise, la guerre de Vietnam, la révolution cubaine, l’assassinat du Che en Bolivie et, finalement, le mai français. Ainsi surgit un puissant mouvement de la jeunesse d’une nette teneur anti-impérialiste.

    Le nouveau mouvement révolutionnaire qui surgit à la fin des années soixante avait une nette teneur anti-impérialiste non seulement du fait de la guerre de Vietnam, mais aussi grâce à la force des jeunes États émergents en Afrique et Asie, qui venaient de rompre avec le colonialisme et d’obtenir leur indépendance. De ce fait, à côté d’une juste dénonciation du révisionnisme, les mouvements de gauche traînaient toute une conception petite-bourgeoise tiers-mondiste.

    La crise économique des pays capitalistes, qui commence en 1968 et qui va s’aiguiser en 1973, s’ajoute à cette crise du révisionnisme. Les luttes acquièrent un caractère massif et la bourgeoisie ne peut pas faire appel aux masses. En Espagne, étaient apparus de nouveaux courants petits-bourgeois, comme le Front de Libération Populaire et, plus tard, d’autres comme le Mouvement communiste, l’Organisation Révolutionnaire de Travailleurs, etc., avant même que n’éclatent publiquement les divergences au sein du mouvement communiste.

    Ce ne fut pas non plus par hasard qu’autant de groupes de caractéristiques semblables apparurent. Ces courants n’auraient jamais autant proliféré s’il n’y avait pas eu la décomposition révisionniste.

    En tout cas, le phénomène gauchiste montrait les conditions dans lesquelles se trouvait un large secteur de la petite-bourgeoisie en Espagne, privé de libertés et continuellement saigné à blanc par les monopoles. Ce secteur s’enhardit par la renaissance des luttes du prolétariat et des éléments qui essayaient de s’organiser, sortirent de ses rangs. Cependant, ils ne pouvaient se présenter devant les masses avec l’idéologie vermoulue de la bourgeoisie et se couvraient donc de la phraséologie marxiste.

    Aussi au sein du PCE -déjà aux mains des carrillistes-, s’est manifestée depuis 1963 une forte opposition contre le révisionnisme, surtout dans les organisations résidantes à l’étranger.

    Cette opposition réussit à se regrouper et de là sortit le PCE(m-l), sur une base Programmatique qui était une mauvaise copie, taillée dans le programme du PCCh pour la Révolution démocratique populaire ou la Nouvelle démocratie en Chine, lorsque ce pays demi-féodal avait été envahi par le Japon. De façon qu’à la place du Japon, le PCE(m-l) décida, dans un effort d’originalité, que l’Espagne serait une colonie de l’impérialisme yankee.

    Plus tard, l’aggravation de la crise capitaliste et les grandes vagues de luttes de la classe ouvrière provoquèrent une autre importante scission dans le parti révisionniste en Catalogne, dont surgit le PCE(i), qui ne prit pas en considération l’existence d’un régime politique fasciste en Espagne, même s’il établissait correctement la nécessité d’une révolution de type socialiste.

    À l’origine, les énoncés politiques de l’OMLE n’étaient pas moins confus que ceux de tous ces groupes à qui, depuis le début, nous posions la question de l’unité. Mais ils n’acceptèrent pas parce qu’ils considéraient avoir déjà reconstruit le Parti, alors qu’en réalité, la seule chose qu’ils faisaient était de traîner derrière le parti carrilliste.

    1.3 L’essor du mouvement ouvrier et populaire

    En Espagne, en raison du profond changement économique des années soixante, on observe l’incorporation de larges secteurs sociaux à la lutte antifasciste. De plus, s’est produit la relève des générations, appréciable lors des luttes des étudiants au milieu des années cinquante.

    Le conflit des étudiant de l’Université de février 1956 amorce la création d’une constellation gauchiste qui essaie de remplir -de façon rhétorique, la plupart du temps- le vide laissé par la trahison du parti communiste.

    C’est un moment d’essor où le mouvement de résistance souffre, néanmoins, d’une énorme désorientation et d’une forte faiblesse idéologique, politique et d’organisation. Le Parti communiste se voit dépassé par la propre lutte des masses et sa stratégie fait naufrage, ce qui est vérifiable lors de l’échec de la grève générale de 24 heures, convoquée pour le 18 juillet 1959.

    L’extension quantitative de l’opposition fur accompagnée d’une grande fragilité qualitative, d’un manque alarmant de direction politique. C’est ce qui explique la paradoxe que, malgré l’accroissement de la lutte antifasciste, la décennie des années soixante soit celle de la stabilité maximale de la dictature. Une situation qui se prolongera jusqu’en 1969, l’année où commence la crise politique du régime, suivie tout de suite de l’économique. L’Université servit de détonateur pour le premier état d’exception décrété, en février 1956.

    L’augmentation des luttes ouvrières, plus part, obligea à la rédaction d’une nouvelle Loi d’ordre public, le draconien Décret du Banditisme et du terrorisme de 1960 et, finalement, à la création du Tribunal d’ordre public, en 1963.

    Les formes d’opposition massive au régime qui commençaient à éclater ces années-là son quantifiables par la croissance de certaines catégories de délits attribués au Tribunal d’ordre public comme les manifestations, la propagande ou l’association illégale qui ont augmenté à un rythme moyen très proche des 8 pour cent par an depuis 1969.

    L’importance de l’activité armée révolutionnaire est reflétée par le fait que, en 1974 et 1975, sur les 3.000 procès instruits par les tribunaux militaires, 740 étaient spécifiquement militaires.

    L’apparition du Tribunal d’ordre public servit seulement à alléger le volume de travail des conseils de guerre en affaires de gravité, telles que les suppositions d’association, propagande ou manifestation illégales. Cependant, le meilleur indice du caractère des années soixante apparaît dans le fait qu’en 1966 ne soit comptabilisé aucun conflit du travail pour des motifs politiques, sociaux ou de solidarité.

    Ce furent aussi les années où le régime s’offrit le luxe de promulguer des lois comme celle d’Association (1964) et celle de la Presse; ou bien de promouvoir des élections syndicales, d’annuler des responsabilités civiles ou de convoquer le référendum de la Loi organique de l’État, tout cela en 1966.

    L’essor du mouvement ouvrier commença en 1962 avec les mobilisations en Euskal Herria et aux Asturies, bien qu’à ce moment le révisionnisme réussit à détourner les luttes pendant un certain temps.

    La Lois des Conventions collectives de 1958 était suspendue pour mettre en marche le plan de stabilisation et les premières conventions commencèrent à être négociées en 1961, suivies de mobilisations conséquentes, car les salaires étaient gelés depuis 1957 et la situation des masses extrêmement précaire. La lutte se déclencha contre le gel des salaires, les maxima salariaux et la politique de se serrer la ceinture.

    En février 1962, toute une série de grèves éclata dans la Sidérurgie Basconia à Bilbao, la Bazán à Cadix, Matériaux et Constructions à Valencia et Carbones de Berga à Barcelone. Au mois d’avril, les grèves s’étendirent à l’ensemble des mines des Asturies et se prolongèrent jusqu’au mois de juin, incluant des entreprises électriques, métallurgiques et chimiques d’Euskal Herria, León, Catalogne et Madrid, de même que les mines de Río Tinto à Huelva, Linares (Jaén) et Puertollano (Ciudad Real) et des journaliers d’Andalousie et d’Estrémadure.

    Ce fut le plus large mouvement de grève depuis la fin de la guerre, ce qui obligea le régime à déclarer l’état d’exception dans les Asturies, le Gipúzkoa et la Bizkaia. Pendant la première semaine, la police arrêta 100 antifascistes. Les manifestations se reproduisirent l’année suivante à partir le mois de juin et se prolongèrent jusqu’en novembre.

    Le mouvement ouvrier et populaire s’était rétabli des effets de la défaite de 1939 et des longues années de terreur fasciste ouverte et, une fois échouée la politique de réconciliation et les consignes du révisionnisme carrilliste pour une grève générale, les masses commençaient à se diriger sur la voie d’une lutte décidée et résolue.

    C’est à cette époque qu’apparurent les caractéristiques qui marquèrent la nature de ce mouvement: les grèves économiques se transformant en véritables batailles politiques. Entre 1967 et 1971, 45 pour cent des grèves furent des grèves de solidarité ou bien de nature nettement politique (15).

    Les manifestations de rue débouchèrent sur de durs affrontements avec la police et les ouvriers gagnèrent la solidarité de toute la population, qui seconda leurs appels; leurs luttes devinrent des véritables vagues de protestation qui visaient contre la structure même de l’État.

    Pendant les manifestations de 1962, surgissent les premières Commissions ouvrières, instruments de lutte et d’organisation indépendante des travailleurs. Ces Commissions étaient élues de façon démocratique dans les assemblées d’usine et négociant avec le patronat en marge des syndicaux verticaux et des voies légales ; une fois leur tâche finie, les commissions se dissolvaient (16).

    Cette méthode empêchait le travail policier de contrôle. Lors des grèves de 1962, les révisionnistes n’eurent rien à voir avec l’apparition des Commissions ouvrières puisque tout leur travail syndical se développait à travers un modèle d’organisation bien différent: l’Opposition Syndicale ouvrière qui, comme l’indique son propre nom, prétendait développer sa tâche d’opposition à l’intérieur du syndicat fasciste.

    Cependant, on ne peut pas non plus négliger le caractère spontané de ces manifestations et l’absence de direction politique.

    Le fait que des protestations d’une telle ampleur puissent se déclencher en absence d’une direction politique n’est concevable qu’en raison de la dure situation d’exploitation et de cherté de la vie, de la répression brutale déclenchée par le régime et, finalement, de la haine et la conscience antifasciste enracinée dans le prolétariat. Ainsi, des luttes débutant par des revendications professionnelles élémentaires débordent et deviennent de véritables batailles politiques contre le fascisme.

    En août 1966, se produisit un large mouvement de grèves qui embrassa le bassin minier du Nalon et du Caudal, la Duro Felguera et Chemins de Fer de Langreo aux Asturies; les ouvriers de Babcock, de Firestone et d’Hispano Olivetti à Barcelone firent aussi de la grève ; à Madrid, les ouvriers de Perkins, Marconi, Ibérica d’Électricité, Kelvinator, Standard, AEG, etc. arrêtent le travail. Le 30 novembre de cette même année commença la grève de Laminaciones de Bandas en Frío d’Echevarri, une grève qui durera plusieurs mois.

    En janvier 1967, les ouvriers de la Seat, de la Maquinista et Olivetti, à Barcelone, se mobilisèrent pour empêcher les licenciements de 3000 grévistes des mines des Asturies. De fortes manifestations et d’affrontements avec la police eurent lieu dans les rues et les places de Madrid. En Catalogne aussi, plus de 45 entreprises du textile de Sabadell et Tarrasa, ainsi que les ouvriers de Siemens, Uralita et d’autres entreprises, se solidarisèrent avec les mineurs de Mieres. En avril, l’état d’exception fut décrété à Bizkaia.

    Les étudiants des universités se mobilisèrent également. Toutes ces luttes eurent leur couronnement dans les actions de masses du 27 octobre, dans la ceinture industrielle de Madrid où plus de 25.000 ouvriers s’affrontèrent ouvertement à la police à Getafe, San Blas, Place d’Atocha, etc.

    Telle était la situation réelle du mouvement ouvrier des années soixante, tandis que la politique révisionniste suivait d’autres vois bien différentes. Au commencement même des grèves de 1962, la police arrêta les dirigeants de l’Opposition syndicale ouvrière, c’est pourquoi les révisionnistes changèrent leurs projets et jetèrent les yeux sur les Commissions ouvrières. Tous les projets révisionnistes, soutenus par les phalangistes du syndicat vertical visèrent à institutionnaliser la commission de délégués et à les intégrer au syndicat officiel.

    Pour en convaincre les ouvriers, ils convoquaient des grèves liquidatrices, prédestinées à l’échec. D’un côté, au moyen de ces grèves, les révisionnistes essayaient de démontrer l’inutilité des méthodes révolutionnaires de lutte et la nécessité d’entrer dans la légalité et les institutions fascistes.

    D’autre côté, les révisionnistes utilisaient ces épreuves de force pour faire chanter le régime et l’amener à la table de négociations. Ils essayaient de conquérir la Direction et le contrôle du mouvement ouvrier, désorganisé mais menaçant, pour gagner en respectabilité et capacité de négociation.

    Néanmoins, comme nous disons, le fascisme ne se réconcilie avec personne, pas même avec les révisionnistes; en mars 1967, le Tribunal suprême déclara les Commissions ouvrières hors la loi. À partir de ce moment-là, les ouvriers les plus combatifs étant à découvert, les arrestations seront massives puisque l’action légale et ouverte avait permis la police de repérer les ouvriers les plus avancés.

    De nombreux autres furent licenciés de leurs entreprises et les enquêtes se multiplièrent.

    La démoralisation, la discorde et la confusion se répandirent: Les révisionnistes ont chevauché chaque lutte dans la nette intention de désorganiser encore plus et de diviser les ouvriers; ils ont placé leurs meilleurs hommes au syndicat où en prison lorsqu’ils refusaient de suivre leur jeu; ils ont désarmé la classe ouvrière et le reste du peuple face à la répression fasciste, en prêchant des idées pacifistes et conciliatrices et ils ont essayé de démoraliser en provoquant de continuelles ‘grèves générales’. De cette façon, le révisionnisme agit en avant-garde du capital financier dans les rangs ouvriers et, par conséquent, est leur ennemi le plus dangereux, l’agent du fascisme que nous devons combattre sans trêve (17).

    Durant les années 1967 et 1968, les révisionnistes commencèrent à perdre de l’influence, la crise économique se déclancha et le gouvernement ordonna le gèle des salaires. Au mois d’avril 1968, l’état d’exception fut décrété. Au mois de juillet Etxebarrieta fut assassiné par la Garde civile et plus de 5.000 personnes participèrent à son enterrement.

    Au mois d’août, l’organisation indépendantiste exécuta le célèbre tortionnaire Melitón Manzanas. Le 25 janvier 1969, le gouvernement décréta l’état d’exception partout en Espagne ; toutefois, il fut incapable d’empêcher le déclanchement des grèves dans la métallurgie à Bilbao, aux Altos Hornos de Sagunto et au Ferrol, où la grève de Peninsular Maderera dura 37 jours.

    En 1969, le nombre de grèves réalisées en Espagne, par rapport à l’année précédente, passe de 309 à 491, selon les données statistiques nationales. Ce formidable mouvement de grève à caractère politique révolutionnaire aggrava la crise interne du système. Le scandale Matesa sera le prétexte qui mènera les deux secteurs fondamentaux de l’oligarchie à un affrontement ouvert.

    Les travailleurs remettent en pratique les anciennes méthodes de lutte et la répression est de plus en plus brutale.

    Le mouvement ouvrier n’est pas paralysé pour autant, au contraire les heures de grève enregistrées et le nombre de grévistes augmentent chaque année. Les grèves de solidarité et les grèves politiques commencent, les ouvriers occupent les usines et les délégués syndicaux démissionnent.

    Des mobilisations à caractère quasi insurrectionnel ont lieu dans de nombreuses localités ; en plus des ouvriers, y participent de nombreux secteurs sociaux.

    Les méthodes de lutte que la classe ouvrière met en pratique sont les mêmes: les assemblées de travailleurs qui deviennent véritables organismes démocratiques où se forge l’unité et où des accords sont conclus ; les grèves politiques ou de solidarité qui entraînent d’innombrables secteurs de la population ; des manifestations sont convoquées ; des barricades se lèvent; des usines sont occupées et les patrons sont séquestrés ; les piquets de grève deviennent des détachements de combat qui s’affrontent quotidiennement à la police.

    Pour la première fois apparaît ce qui sera, peu de temps après, l’une des formes de lutte le plus significative: les grèves zonales généralisées et semi-spontanées, en ayant un contenu de solidarité anti-répressive.

    En général, il s’agira d’actions développées à la suite d’une répression violente -et très souvent sanglante-, d’une grève ou d’une manifestation ouvrière ou populaire. Une action où la presque totalité de la population travailleuse prendra part et qui comportera fréquemment la mise en pratique de la violence de masses face à l’agression des forces répressives (18).

    Bien de fois, les manifestations adoptent la forme de guérilla urbaine: à la place des occupations d’églises et des listes de signatures, préconisées par les révisionnistes, se produisent des assauts effectués par de petits groupes pour distribuer des tracts, placer de banderoles, faire des graffitis, préparer des sabotages ou dresser des barricades (19).

    La police se montrait impuissante parce que, lorsqu’elle arrivait sur place, les manifestants avaient disparu pour se rendre à un autre endroit.

    Après la brutale répression de l’après-guerre, les masses avaient perdu la peur du fascisme. Un important progrès de la conscience politique et de la capacité de lutte des ouvriers était en train de se produire.

    Non seulement les méthodes de lutte se développaient en marge de la légalité, mais contre cette légalité elle-même: il y avait des grèves bien que ce soit un délit, des piquets se formaient malgré la répression, on participait à des manifestations malgré la violence policière, les coups de feu, etc.

    Le mouvement ouvrier tourna le dos aux carrillistes, mais il continua à être désorganisé et à agir instinctivement et spontanément. Depuis lors, la situation n’a pas changé substantiellement parce que le mouvement spontané, de lui-même, ne peut rien faire de plus ; c’est aux communistes que revient la tâche de doter le mouvement ouvrier de la tactique et l’organisation nécessaires à poursuivre la lutte pour atteindre ses objectifs politiques de classe.

    1.4 La confluence de plusieurs groupes communistes à Bruxelles

    L’Organisation de Marxistes-Léninistes d’Espagne fut l’une des premières organisations nées en l’exil à la fin des années soixante, dans cette période d’essor du mouvement ouvrier et populaire.

    En partant de l’OMLE, le parti révolutionnaire dont la classe ouvrière avait besoin fut reconstitué. Cependant, comme il arrive toujours avec chaque mouvement nouveau en gestation, l’OMLE était au début une organisation très faible et portait toutes les tares idéologiques et politiques caractéristiques du moment.

    Ce serait plus tard que l’OMLE deviendrait un véritable détachement communiste, au travers d’un long processus de travail politique qui permettrait de mieux assimiler et appliquer le marxisme-léninisme aux conditions de l’Espagne.

    Ce n’est pas par hasard que l’OMLE, de même que d’autres groupes, surgit en l’exil. Une organisation de ce caractère n’était pas possible à l’intérieur de l’Espagne, où les fascistes et les révisionnistes se préoccupaient à l’unisson d’empêcher que les ouvriers puissent avoir l’accès aux œuvres du marxisme-léninisme, à l’expérience des exilés qui poussaient à la révolution en Espagne.

    Ces conditions n’existaient pas à l’intérieur, où les ouvriers les plus avancés ne se méfiaient que d’une façon instinctive de certaines manœuvres des carrillistes.

    Comme on l’exposa quelques années plus tard: L’époque de la fondation de l’OMLE fut une période d’une grande confusion parce que c’était alors que beaucoup de personnes inquiètes commençaient à se poser à nouveau tous les problèmes de la lutte de classes en Espagne. Le révisionnisme ne trompait plus; c’était alors qu’il commença vraiment à battre en retraite, que sa Ligne s’effondra et qu’on en découvrit une nouvelle (20).

    On peut dire que le noyau initial de l’OMLE naquit en France de la fusion de plusieurs groupes, parmi lesquels il y en avait deux qui se détachaient, non seulement par le nombre de leurs membres, mais aussi, et particulièrement, par leur fidélité à la cause révolutionnaire et par les expériences et les habitudes acquises en matière d’organisation.

    Le premier se rassemblait autour du journal Mundo Obrero Revolucionario; il était le résultat d’une scission qui eut lieu en 1964 au sein de l’organisation du parti carrilliste en Suisse.

    Cet organe de presse obtint la reconnaissance et le soutien du Parti Communiste de Chine, à l’époque où ledit Parti soutenait le mouvement marxiste-léniniste des pays de l’Europe occidentale. Son dirigeant le plus marquant était un ancien cadre du PCE (Suré) qui s’était distingué pendant la guerre révolutionnaire comme dirigeant de la guérilla et qui bénéficiait d’une grande influence parmi les communistes exilés.

    Malgré le soutien que le Parti Communiste chinois et l’Humanité nouvelle en France accordaient à cette organisation, au milieu des années soixante, elle traversa une période de crise après laquelle les militants de base réussirent à former -à la fin de 1967- un nouveau Comité de coordination à Paris, avec le but de reconstituer le Parti communiste.

    L’autre groupe qui prit part active à la fondation, et qui par la suite aura une importance spéciale dans l’OMLE, est l’Organisation communiste marxiste-léniniste, dont Francisco Javier Martínez Eizaguirre était à la tête à Paris; il était un ouvrier basque né à Erandio (Bizkaia), provenant des Comités de Soutien à la Lutte de Libération du peuple vietnamien et des organisations guevaristes partisanes d’organiser la lutte armée en Espagne.

    Martínez Eizaguirre fut membre actif du Comité des Commissions Ouvrières jusqu’au moment de sa rupture avec les carrillistes. L’Organisation communiste marxiste-léniniste avait aussi dans ses buts la reconstruction du Parti Communiste.

    Les autres membres de l’Organisation en herbe étaient aussi militants des Comités de soutien à la Lutte de Libération du peuple vietnamien et jouèrent un rôle remarquable parmi l’émigration espagnole et durant les événements de mai 1968 à Paris et dans d’autres villes de France. Parmi ces derniers, il y avait plusieurs jeunes en relation avec des ouvriers et des étudiants de Madrid.

    En pleine explosion de mai 1968, des représentants de ces groupes eurent une série de discussions à Paris, où finalement il fut décidé de réaliser un travail politique commun. On fit des préparatifs pour mener à bien une Conférence, en créant un Comité de Liaison où chacun des groupes intéressés au projet eut sa représentation.

    Compte tenu la dispersion régnante parmi les communistes opposés à la politique de réconciliation nationale préconisée par les carrillistes, la Conférence ne se proposa que tenter de grouper les forces pour reconstruire le Parti, puisqu’on considérait que le Parti Communiste d’Espagne, avec sa ligne politique révolutionnaire, avait cessé d’exister aux mains de Carrillo et ses partisans. Il était nécessaire, avant tout, de se mettre au travail pour relever le Parti sur la base d’un programme révolutionnaire marxiste-léniniste.

    La Conférence constitutive de l’Organisation eut lieu à Bruxelles en novembre 1968 et 25 militants de deux groupes y participèrent. Tous se sentaient fortement influencés par l’expérience de la Révolution chinoise, ce qui se manifesta lors de la Conférence au moment d’adopter les résolutions relatives à la ligne politique.

    On explique de cette façon qu’ils définirent l’Espagne comme étant un pays semi-féodal et colonial, oppressé et exploité par l’impérialisme yankee et qu’en accord avec ces postulats, ils établirent une Ligne de lutte et d’alliance de classes pour la libération nationale.

    À cette époque-là, l’OMLE créa les Commissions Ouvrières de quartier parmi les travailleurs émigrants de Paris, participa à la Ière assemblée de Commissions Ouvrières d’Europe en juin 1970 et dirigea l’organisation de masses L’Émigrant, qui éditait un journal portant le même nom: Alors, l’OMLE était complètement immergé dans le mouvement de gauche qui dénonçait le révisionnisme d’une façon littéraire pour pratiquer le suivisme; c’est-à-dire qu’elle restait à l’ombre du PCE, en soutenant la même ligne. Les exilés et les émigrants avaient un rôle important pour mettre en relief l’inexistence d’un vrai parti communiste et la nécessité de le reconstruire; ils commencèrent à percevoir les problèmes avant que ne le fassent les ouvriers avancés d’Espagne, dû à leur contact avec le mouvement communiste international, mais ils étaient fort limités à cause de leur éloignement du pays. Cela ne leur permettait pas d’apercevoir la réalité de l’Espagne (21).

    Bien qu’à la Conférence de Bruxelles ils aient formé un Comité Central et une Commission exécutive pour diriger tout le travail politique, ils négligèrent le centralisme démocratique. L’Organisation se structura en diverses fédérations, toutes à l’étranger. Seul un petit nombre de militants fut envoyé à l’intérieur, où ils constituèrent deux autres fédérations à Madrid et à Cadix.

    Pour la propagande fut pareil. L’OMLE avait commencé la diffusion d’un journal unique (Bandera Roja) édité à Paris, mais l’éloignement les empêchait de refléter la situation réelle d’Espagne.

    Ces premiers problèmes auxquels l’Organisation se heurta peu après sa naissance s’aggravèrent à cause des désaccords et des contradictions qui opposaient chacune des fédérations à la Direction. Le Comité Central et le Comité exécutif commençaient à faire eau de toute part. Plusieurs réunions générales de représentants de chacune des fédérations avec le Comité Central eurent lieu; c’étaient des réunions où se manifestait, toujours, un plus grand nombre de problèmes sans résolution, en même temps que le travail politique de toute l’Organisation stagnait.

    Seul Eizaguirre, à la tête d’une poignée de militants de la fédération de Paris, et d’autres militants qui développaient leur travail à l’intérieur poursuivirent le travail malgré les difficultés. Membre fondateur de l’Organisation, Eizaguirre resta ferme à sa place à travers tous les avatars et les désagréments de la lutte révolutionnaire, à travers les querelles des groupes politiques de l’émigration et de la dissolution presque totale de l’OMLE avant de contacter les groupes communistes de l’intérieur.

    Dans une bonne mesure, on lui devait les progrès de l’Organisation. Il avait porté sur ses épaules la plus grande partie du travail politique et les frais économiques qui en découlaient, avant que soit constitué le Centre dirigeant. C’était lui qui avait assuré pendant longtemps l’édition de l’organe de presse et son introduction en Espagne.

    L’une des consignes les plus importantes de cette première époque était la nécessité de l’union, de regrouper tous les communistes autour de la tâche de reconstruire le Parti, ce qui n’était pas conçu comme une tâche exclusive de l’OMLE, mais de tous les groupes qui avaient rompu avec le révisionnisme.

    On peut dire que cette simple consigne fut celle qui sauva l’OMLE, contrairement aux autres groupes de l’époque: Il y avait quelque chose qui la différenciait des autres organisations, car tandis que les autres étaient déjà le ‘Parti’, l’OMLE cherchait sa reconstruction et, malgré qu’elle ait une ligne incorrecte, on pouvait encore faire quelque chose avec elle. Cela amena l’organisation à une promotion de camarades plus liés aux conditions du pays. Logiquement, la lutte idéologique interne commença dès le moment même où on commença à travailler (22).

    L’OMLE fut la seule organisation qui ne surgit pas comme étant le Parti, mais qui se proposait de le reconstruire. Cependant, comme le temps le démontrera, cette reconstruction ne découlerait pas de l’union avec d’autres groupes dits communistes, mais de la critique implacable de ceux-ci.

    Trois longues années s’écoulèrent avant de nous en rendre compte.

    1.5 Les deux fédérations de l’intérieur: Cadix et Madrid

    En même temps que les fédérations de l’étranger se dissolvaient, opposées les unes aux autres et ne surmontant pas les nombreux problèmes, le travail de l’Organisation à l’intérieur progressait. Les militants, peu nombreux, qui réalisaient leur travail politique clandestin à l’intérieur réussirent à établir le contact avec certains groupes d’ouvriers et d’étudiants à Madrid et à Cadix et commencèrent à diffuser le journal, Bandera Roja, édité par l’Organisation en France par leur biais. On commença à créer de cette façon les conditions pour le développement de l’OMLE.

    Au début de l’activité de l’Organisation en Espagne, au seuil des années soixante, les quartiers de Vallecas et de Quintana à Madrid furent la base principale du travail. C’est à partir de ces quartiers que le rayon d’action de l’OMLE s’étendra aux autres quartiers, aux usines et aux facultés pour ensuite développer son activité à d’autres régions et à toutes les nationalités de l’État sur une base d’organisation plus solide.

    Enrique Cerdán Calixto, Pepa Alarcón Lafuente et beaucoup d’autres furent militants de cette première heure de l’organisation à Madrid. Ces jeunes apprirent bientôt, à travers la lutte, ce que beaucoup d’ouvriers savaient déjà alors: que le parti révisionniste et sa politique de réconciliation n’étaient qu’un bobard que la bourgeoisie utilisait contre les travailleurs. Ils apprirent aussi à faire des graffitis, à distribuer de tracts, à fabriquer des cocktails Molotov et à organiser des commandos d’agitation pour la dénonciation politique.

    L’été de 1970, ils dénoncèrent, par exemple, les assassinats d’ouvriers du bâtiment à Grenade ; plus tard, ils firent appel à la lutte contre l’état d’exception décrété par le Gouvernement au Pays Basque et participèrent aux manifestations de solidarité avec les accusés devant le conseil de guerre de Burgos, en décembre de cette année.

    Cette première poignée de jeunes avait beaucoup d’enthousiasme et de volonté; toutefois, les problèmes de toute sorte qu’ils devaient affronter étaient nombreux et, à cette époque-là, les solutions adéquates manquaient toujours. Leurs idées en matière d’organisation étaient erronées et ils manquaient d’expérience de travail de parti.

    En outre, la direction de l’Organisation était bien loin d’avoir établi clairement une stratégie et une tactique politiques, c’est pourquoi l’Organe central se contentait de diffuser des idées vagues sur une hypothétique domination impérialiste yankee en Espagne et des consignes de lutte pour la République Démocratique populaire.

    Par ailleurs, on ne savait pas très bien comment mettre en pratique l’idée de la reconstruction du Parti, la seule idée vraiment claire et juste sur laquelle on devait baser la plus grande partie du travail à ce moment-là.

    Depuis ces jours, à l’OMLE on apprit tout en marchant: le sens profond de la solidarité qui animait ces jeunes, le vif instinct de classe des ouvriers, la clandestinité et la lutte contre l’État capitaliste détesté, si enracinés parmi la classe ouvrière d’Espagne, firent au début ce que le marxisme-léninisme ne pouvait faire, simplement parce qu’on ne le connaissait pas.

    Cette ignorance était l’héritage de trente ans de dictature fasciste et surtout de beaucoup d’années de désorganisation et de confusion fomentées par le révisionnisme. La répression fasciste et le révisionnisme avaient conspiré contre le mouvement ouvrier, mais ils ne purent étouffer l’instinct de classe.

    Les premiers pas sont faits aussi à Cadix à cette époque. Dans cette ville, la naissance de l’OMLE pivotait autour du groupe de théâtre Quimera, Théâtre populaire. Ce groupe avait des caractéristiques très particulières. Ses membres étaient tous travailleurs, et lors de ses représentations ils se préoccupaient plus du fond, du contenu, que des formes ; ils se consacraient plutôt à faire de l’agitation qu’à jouer des œuvres artistiques.

    José María Sánchez Casas était à sa tête ; c’était un autodidacte ; son père travaillait comme employé dans un magasin et sa mère était cuisinière chez de citoyens huppés. Sánchez Casas travaillait sur le quai de Cadix. Le groupe de théâtre attira l’attention non seulement des autorités, qui tentaient d’empêcher ses représentations en envoyant la Garde civile, mais aussi de différents groupes politiques de gauche.

    L’été de 1969, un jeune, qui sera surnommé après Le Français, apparut dans les locaux où ils répétaient l’œuvre de Bertotl Brecht La Vie de Galilée. Ce jeune donna quelques exemplaires du journal Bandera Roja aux membres du groupe de théâtre. Lors de sa deuxième visite à Cadix, quelques mois après, il portait un duplicateur et la proposition de s’organiser dans l’OMLE.

    Sánchez Casas et son groupe ne savaient pas plus de l’Organisation que ce qu’ils avaient lu dans ces numéros de Bandera Roja, mais ils avaient remarqué quelque chose qui le rendait différent des autres journaux édités par d’autres groupes opportunistes de gauche et ils décidèrent d’y adhérer. Trois formèrent le noyau de l’Organisation de l’OMLE à Cadix, parmi lesquels Sánchez Casas.

    Au début, les actions politiques de ce groupe étaient sporadiques et le spontanéisme y prédominait; de plus, ils ne trouvaient pas de directives précises pour les orienter dans leur travail dans le journal arrivé de France par la poste. Les seuls contacts qu’ils avaient avec la Direction consistaient dans les visites qui leur venaient de Madrid tous les six mois.

    Pourtant, le noyau commencera bientôt à développer une activité énorme. Le groupe de théâtre servait d’agglutinant pour de nombreux jeunes travailleurs de la localité et d’organe de propagande. On jouait des œuvres où on criait les consignes diffusées en tracts clandestins auparavant par toute la ville. Des réunions avaient lieu avec tous ces jeunes dans les locaux où le groupe de théâtre répétait et on y discutait sur les problèmes politiques et syndicaux.

    Toutefois, on ne pouvait encore parler d’une vraie organisation communiste ; on agissait plus par intuition et par élan de rébellion devant la répression et l’exploitation que les masses travailleuses subissaient.

    Ces jours-là, on prit contact avec Juan Carlos Delgado de Codes, qui étudiait la Navigation et qui travaillait comme concierge à l’ordre des médecins de Cadix pour se payer les études. C’était un jeune décidé qui donna des signes d’une capacité d’analyse peu commune dès le premier moment.

    D’origine ségovienne, la politique fut toujours la raison de sa vie, et la lutte de classes, la lutte pour le socialisme, la seule politique possible ; il sera assassiné à Madrid, Place de Lavapiés, en avril 1979 d’une balle dans la nuque.

    Plus tard, on réussit à établir des contacts dans les chantiers navals de Cadix et dans la corporation du bâtiment ; quelques-uns étaient militants des Jeunesses ouvrières catholiques et des Commissions Ouvrières, aussi attirés pour la propagande de l’OMLE qui commençait à se répandre à Cadix. À une occasion, les responsables de la propagande avaient besoin d’une cachette pour le duplicateur et ils décidèrent d’en parler avec un jeune ouvrier du bâtiment qui méritait leur confiance.

    Il s’appelait Juan Martín Luna. On lui parle de l’affaire et Luna n’hésita pas un seul moment. Depuis lors, il s’engagea dans l’Organisation étant l’un de ses militants les plus actifs. Malgré sa jeunesse, Martín Luna gagna bientôt le respect de tous ses camarades, beaucoup d’entre eux plus âgés; il fit des meetings et du prosélytisme, organisa des groupes de sympathisants dans le bâtiment et promut quelques luttes ; c’étaient les débuts d’un travail de parti auquel il consacra toute sa vie.

    À cette époque, un fait capital se produisit dans l’OMLE. Manuel Pérez Martínez venait de sortir de la prison de Carabanchel (Madrid) – où il était resté quelques mois pour un délit de propagande et d’association illégale – et il prit contact avec l’Organisation dans son quartier, El Pozo del Tío Raimundo.

    Il apportera au groupe initial de l’OMLE à Madrid des choses fondamentales, dont elle avait manqué jusqu’alors: de l’expérience dans le travail de parti, des idées précises sur la façon dont il ne fallait pas continuer à travailler et la connaissance des principes fondamentaux du marxisme-léninisme.

    Manuel Pérez Martínez était un ouvrier du bâtiment comme son père. Il avait milité dans le PCE depuis 1963, dès sa jeunesse la plus précoce, jusqu’à 1968, date où il se sépara avec d’autres camarades du parti à la suite d’une assemblée des Commissions Ouvrières qui eut lieu dans le village de San Fernando de Henares, aux alentours de Madrid.

    Il avait créé l’organisation des Jeunesses Communistes à Vallecas et il dirigea les luttes des habitants du quartier du Pozo del Tío Raimundo pour l’amélioration des conditions de vie, avec de jeunes militants catholiques. En 1965, répondant à un appel de tracts faits par les jeunes des deux tendances, les habitants du Pozo et d’Entrevías firent une grève du transport public. Lors de cette grève, de nombreux groupes d’ouvriers détruisirent la pratique totalité des véhicules de l’entreprise Vallejo. Le service fut amélioré immédiatement.

    Stimulés par ces réussites, les jeunes qui avaient dirigé cette action de masses décidèrent d’étendre leur coopération à d’autres camps d’activité. C’est ainsi que naîtra la première Commission ouvrière de la jeunesse – intégrée par de jeunes communistes et catholiques -, une expérience qui donnera lieu les années suivantes à un large mouvement organisé de la jeunesse ouvrière à Madrid et dans d’autres capitales. La Direction carrilliste tentera bientôt d’utiliser ce mouvement de la jeunesse pour ses tractations politiques avec la bourgeoisie.

    Manuel Pérez Martínez et d’autres camarades s’opposèrent dès le début, de la façon la plus résolue, à ces manœuvres et à toute renonciation à la lutte révolutionnaire pour faire un marché avec la bourgeoisie monopoliste. Il y avait longtemps qu’ils critiquaient au sein du parti carrilliste la ligne idéologique et la politique réformiste et traîtresse de la Direction.

    Ces critiques s’accentuèrent à mesure que le temps s’écoulait et que la trahison carrilliste aux intérêts ouvriers était de plus en plus claire, jusqu’au moment où Pérez Martínez et ses camarades décidèrent de dénoncer publiquement et ouvertement les carrillistes, et rompirent avec eux et avec les Commissions Ouvrières de la jeunesse qu’ils contrôlaient.

    Cette rupture toucha de nombreux jeunes ouvriers et étudiants, qui n’hésitèrent plus à l’heure de s’affronter aux carrillistes ; cela ouvrira la porte à tout un courant de critique du révisionnisme et à la création des nombreux groupes qui conformeront plus tard le mouvement de la gauche radicale à Madrid et dans d’autres endroits.

    Cependant, bientôt se fera sentir la nécessité d’une organisation unifiée, qui agisse conformément aux principes idéologiques et politiques et aux normes de fonctionnement marxiste-léniniste.

    Entre-temps, Manuel Pérez développait une large activité de propagande des idées communistes et pour l’organisation syndicale des ouvriers du bâtiment. Ces activités se feront remarquer plus tard, durant la grève du bâtiment de septembre 1971 et dans celles qui auront lieu à Madrid les années suivantes, des grèves où les Cercles Ouvriers du bâtiment, promus par l’OMLE, feront sentir leur présence de plus en plus.

    Le travail développé par Manuel Pérez Martínez parmi les ouvriers et la jeunesse l’emmènera à la prison de Carabanchel le printemps de 1970. En sortant de prison, il s’engagea dans l’OMLE dans un groupe composé d’ouvriers et d’étudiants qui avaient rompu avec le révisionnisme auparavant, après être passés par l’épreuve du feu des débats et des dissensions sur n’importe quoi dans le meilleur style de l’époque, avant d’élaborer patiemment de justes conclussions politiques.

    L’incorporation de ces nouveaux militants à l’OMLE se fit sentir rapidement dans l’organisation de Madrid, et leurs idées se reflétèrent dans le travail politique. Bientôt, on commença à organiser des cellules dans les quartiers, dans les entreprises, dans l’université, et petit à petit le libéralisme et la copinage régnants dans les relations des camarades furent bannis. On commença à étudier et à discuter à tous les niveaux les textes marxistes dont on disposait.

    On obtint aussi un duplicateur qui se substitua à celui emprunté qu’on utilisait, et on commença à éditer de tracts d’agitation qui analysaient la réalité quotidienne sur les lieux de travail et dans les quartiers. Bandera Roja arrivait encore de Paris, mais il s’éloignait de plus en plus des vrais problèmes et ne répondait plus aux exigences du travail pratique.

    On commença à entreprendre avec fermeté beaucoup de tâches, à analyser les événements politiques et les luttes des ouvriers en Espagne et à diffuser des consignes d’organisation, d’unité et de résistance, tous convaincus que ce qu’ils ne feraient pas pour reconstruire le Parti, personne ne le ferait. Pour toutes ces raisons, 1971 allait devenir une année clef et pas seulement pour l’organisation de Madrid.

    Le Premier mai de cette année-là, l’OMLE organisa des manifestations, ou plutôt des sauts de type commando, à Palomeras et dans la zone d’Ascao, l’une durant la matinée et l’autre durant la soirée. La manifestation du matin à Palomeras fut l’une de celles qui se gravent dans la mémoire: en plein soleil et avec tout le quartier dans la rue en criant À bas le fascisme ! et en saluant les drapeaux rouges.

    Divers piquets avaient passé toute la nuit à faire des graffitis avec des seaux et des pinceaux. Les rues des quartiers d’El Pozo et de Palomeras parurent remplies de consignes de Vive le Premier mai et Boycott des élections syndicales: l’impact parmi les gens fut immense et entraîna la venue d’une tradition d’agitation qui accompagnera partout l’OMLE, et après le PCE(r).

    La manifestation commença à midi dans la rue Pedro Laborde et finit à Palomeras Bajas, à côté la voie du chemin de fer. On parcourut tout le quartier, en pendant des drapeaux rouges sur les câbles électriques et en distribuant des tracts qui expliquaient uniquement le cas des dix ouvriers pendus à Chicago, parce qu’une manifestation du Premier mai ces années-là n’avait pas besoin de beaucoup d’explications.

    Quelque deux cents personnes l’avaient commencé et plus de mille la finirent, une demi-heure plus tard. La police et les sapeurs-pompier arrivèrent pour retirer les drapeaux. Cette manifestation fut une grande fête ; le prêtre Llanos et son cortège de soutanes – parmi lesquelles se détachait le prêtre Palatin, ensuite conseiller municipal avec le PSOE d’où il passa au ministère de l’Intérieur – commencèrent à se préoccuper de l’activité de l’OMLE dans le quartier, qui en peu de temps leur arrachait leur pouvoir sur ce laboratoire d’expérimentation sociale avant-gardiste de la hiérarchie ecclésiastique.

    Les luttes de l’usine Manufactures textiles, dans la banlieue de Vicávaro, furent un fait important pour l’organisation de Madrid aux alentours de cette date. Les conditions de travail dans l’usine étaient vraiment misérables, plus encore que dans les autres usines du textile ; en outre, la direction tenta un licenciement collectif des travailleuses, parmi elles une camarade.

    Cependant, un nombreux cercle d’ouvrières restait à l’intérieur et elles réussirent à arrêter le travail avec les consignes de réadmission, contre la régulation du personnel et pour toute une série d’améliorations. La réponse du patronat fut la procédure de crise et la fermeture définitive de l’usine. Ses portes ne furent jamais ouvertes à nouveau, mais le groupe d’ouvrières à la tête de ces luttes sera la base de l’organisation du textile à Madrid dans les années suivantes et du travail de parti de l’OMLE dans cette branche industrielle.

    1.6 Pour un centre unique de toute l’Organisation

    La Conférence de constitution de l’OMLE avait eu une grande importance parce qu’on y formula d’une façon claire et concrète l’objectif principal des communistes en ces moments-là: le Parti n’existait plus, il avait été désagrégé par les agents de la bourgeoisie infiltrés au sein de la classe ouvrière et, par conséquent, il fallait se mettre au travail pour le reconstruire.

    Les premiers pas faits dans cette direction commençaient à mettre en évidence deux conceptions opposées. D’une partie, ceux qui soulignaient, Manuel Pérez en tête, la nécessité d’un seul Centre dirigeant pour toute l’Organisation et qui faisaient de la contradiction entre le peuple et l’État fasciste la contradiction principale de la société, et d’une autre, les partisans du polycentrisme (de la structure fédérative de l’organisation), qui continuaient à parler de l’Espagne comme étant une colonie yankee.

    Ces différences politiques de fond se reflétaient, surtout, à l’heure de mettre en pratique un fonctionnement et un style de travail vraiment léniniste pour la reconstruction du Parti. L’affrontement avec les vieilles conceptions connut un premier point critique à la suite du deuxième appel à la grève générale dans le bâtiment que lancèrent les Commissions ouvrières en septembre 1971 à Madrid.

    Lors de leur premier appel, l’année précédente, les révisionnistes avaient réussi à entraîner derrière eux toutes les organisations de gauche, y compris l’OMLE. Maintenant, par contre, on comptait déjà sur cette expérience.

    Manuel Pérez travaillait alors sur le chantier de l’Université de Cantoblanco et connaissait fort bien la situation d’effervescence dans le secteur: un appel de ce genre était criminel, comme l’avait été l’antérieur, car il ne servait qu’à augmenter la discorde, à paralyser les multiples luttes partielles et à manœuvrer tout le mouvement au profit de la réconciliation, la chose la plus contraire au sentiment des ouvriers. Il fallait donc dénoncer cet appel comme une provocation.

    Toutefois, tout le monde n’était pas d’accord dans l’OMLE avec ce point de vue. On avait accepté par majorité quelques mois auparavant la consigne de Boycott des élections syndicales, contre les propositions des carrillistes de remporter le Syndicat Vertical; en revanche, maintenant, il y avait ceux qui considéraient plus pratique de ne pas descendre de la charrette de Commissions Ouvrières et de continuer à leur traîne en appuyant l’appel. Manuel Pérez réussit à imposer son point de vue au sein du Comité Local de Madrid et fut responsable d’organiser la campagne.

    On fit des réunions avec les ouvriers, on distribua des tracts avec la consigne de Boycott de la provocation bourgeoise et on organisa des assemblées explicatives et de piquets dans les centres de travail pour dénoncer la grève comme liquidatrice. C’est de cette façon -disait le numéro 15 de Bandera Roja quelques mois après- que l’OMLE se mit à la tête du mouvement et commença à indiquer le chemin.

    Cette campagne apprit aux militants et aux sympathisants ce qu’est le révisionnisme plus que toutes les critiques parues dans Bandera Roja jusqu’alors, et aussi comment on devait le combattre dans la pratique si on voulait reconstruire le Parti, diriger le prolétariat et cesser d’être un petit groupe de plus de gauchistes faisant la sieste à l’ombre des carrillistes et traînés par leur inertie réformiste. La clef était de rompre réellement et définitivement avec le révisionnisme, de se mettre à la tête de la classe ouvrière et non de rester toujours à sa queue.

    Ceci fut la première expérience pratique où l’OMLE se mit réellement à la tête du prolétariat. Une époque nouvelle commençait. Derrière restait une Organisation qui, comme celles surgies du révisionnisme, n’accumulait que confusion politique et d’organisation.

    On rompit définitivement avec cette pratique, mais il fallait rompre aussi avec beaucoup d’autres choses. Maintenant, la bataille était dans les rangs mêmes de l’Organisation. La Vème Réunion générale convoquée pour octobre 1971 marquera le début de cette nouvelle étape.

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