L’union UGT-CNT et le renforcement de
l’unification des forces dans le régime républicain ne pouvaient
pas aller sans contradictions, dont la première victime fut
Francisco Largo Caballero. Son positionnement visant à placer le
PSOE comme seul guide au-delà de la mêlée ne pouvait plus
fonctionner après la crise de 1937, qui le voit être remplacé par
Juan Negrín, également du PSOE.
Ce dernier était moins à gauche politiquement, mais il était un fervent partisan de l’unité républicaine, de l’unification des forces, de leur rationalisation.
Juan Negrín
Son nouveau gouvernement, en mai 1937, fut composé de trois membres du PSOE, deux de la Gauche Républicaine, un de la Gauche Républicaine de Catalogne, un du parti de l’Union Républicaine, deux du PCE, un du PSUC, un du Parti Nationaliste Basque, la CNT préférant rester à l’écart le temps en quelque sorte de « digérer » la situation, avant donc de revenir en avril 1938.
Ce gouvernement d’avril 1938 se composait comme
suit : quatre ministres PSOE (Premier ministre ainsi que Défense
nationale, État, Intérieur, Justice), un du PCE (Agriculture), un
de la CNT (Santé publique et Éducation), trois de la Gauche
Républicaine (Finances et Économie, Travaux publics et un sans
portefeuille), un de la Gauche Républicaine de Catalogne (Travail et
Assistance sociale), un du parti de l’Union Républicaine
(Communications et Transports), un du Parti Nationaliste Basque (sans
portefeuille).
Cette disposition reflétait l’esprit d’union, dans un esprit républicain, avec en arrière-plan la CNT et l’UGT formant le noyau dur du régime, ce qui devait s’accompagner pour ces syndicats, bien sûr, d’une avancée sociale formidable lorsque la victoire serait atteinte. Le PCE était le fer de lance de cette opération de modernisation de la République, afin d’en faire un bastion imprenable.
Le poing levé rapproché de la tête, symbole du Front populaire
Juan Negrín apparaissait ainsi comme celui qui
tenta de sauver la mise coûte que coûte, en profitant de
l’unification des forces politiques pour renforcer l’économie de
guerre et se maintenir en considérant que la Seconde Guerre
mondiale, qui ne pouvait être qu’imminente, modifierait les rapports
de force ; la République sachant se maintenir, vaille que
vaille, si l’Espagne n’avait plus le soutien germano-italien.
C’est la raison pour laquelle fut décidé le
départ des Brigades Internationales, comme opération diplomatique
internationale appelant au désengagement, et que son programme
en Treize points, du 30 avril 1938, visait à
l’unité la plus large et se voulait un programme d’accord faisant
vaciller le camp de l’armée franquiste :
Assurer l’indépendance absolue et
la totale intégrité de l’Espagne
Départ des troupes étrangères
République démocratique avec un
gouvernement jouissant de toute l’autorité
Référendum pour déterminer la
structure juridique et sociale de la République espagnole
Libertés régionales sans nuire à
l’unité espagnole.
Liberté de conscience et de culte
garantie par l’état
Garantie de la propriété légitime
et protection des moyens de production
Démocratie paysanne et abrogation
de la propriété semi-féodale
Législation sociale qui garantit
les droits du travailleur
Amélioration culturelle, physique
et morale de la race
Armée au service de la nation, sans
l’influence des partis
La guerre n’est plus considérée
comme instrument de la politique nationale
Amnistie large pour les Espagnols
qui veulent reconstruire et fortifier l’Espagne
L’armée de Franco, bien supérieure
militairement, comptait toutefois aller jusqu’au bout ; Juan
Negrín le savait et résumait par conséquent sa pensée ainsi :
« Continuer de se battre, parce
qu’il n’y avait pas d’autres choix, même si vaincre n’était pas
possible, sauver donc ce qui pouvait l’être – et au bout du compte
notre respect de soi-même… Pourquoi continuer de résister ?
Simplement parce que nous savions ce que la capitulation
signifierait. »
En décembre 1938, le gouvernement fut obligé de quitter Barcelone pour Gérone, puis pour Figueras, les troupes franquistes envahissant en deux mois la Catalogne, provoquant une fuite de 400 000 personnes vers la France.
Dans la foulée, la Grande-Bretagne et la France, qui avaient pratiqué un blocus maritime de « non-intervention », reconnurent le régime. Le maréchal Pétain devint le nouvel ambassadeur de France en Espagne et les accords Bérard-Jordana franco-espagnols furent mis en place, établissant une sorte de bon voisinage diplomatique.
L’esprit de capitulation prédomina alors dans le
reste du territoire républicain. Julián Besteiro, un socialiste
tentant d’amener les Britanniques à promouvoir une sorte de
compromis, et le militaire Segismundo Casado, organisèrent une junte
militaire afin de renverser le régime.
Un Consejo de Defensa Nacional (Conseil
de Défense National) fut érigé en mars 1939, appelant à la
capitulation, ce que réfutaient Juan Negrín, tant qu’il n’y avait
pas de garanties certaines, et bien sûr les communistes, qui furent
alors les grandes cibles militaires du coup d’État, notamment à
Madrid, où fut même exécuté Luis Barceló, dirigeant du premier
corps d’armée du Centre.
Le coup de force réussit, au prix de 2000 morts, avec l’appui de la CNT (et notamment du militaire Cipriano Mera qui dirigea l’écrasement des communistes à Madrid), et de l’aile droite de l’UGT, nommant chef du gouvernement le général José Miaja. Mais Franco refusa quoique ce soit d’autre que la capitulation totale.
La zone républicaine en février 1939
Le 1er avril 1939, Franco put ensuite annoncer la
victoire finale, alors que furent exécutés 50 000 personnes dans la
foulée, 500 000 autres étant emprisonnées.
Quant au coup d’État, il eut tout de même le
mérite du point de vue franquiste de dédramatiser la fin de la
République, de la transformer en capitulation politique.
Il est significatif sur ce plan que le cénétiste Cipriano Mera fut par la suite gracié et expulsé par le régime fasciste de Franco en 1946, qu’un bateau anglais amena José Miaja au Mexique avec sa famille, tandis que Segismundo Casado exilé en Amérique latine put revenir sans soucis en Espagne dès 1961, tentant même sans succès de réintégrer l’armée.
Ce qui caractérise l’Espagne républicaine, c’est la prédominance de l’esprit révolutionnaire, les masses s’engouffrant dans les organisations de gauche, mais aussi dans les deux syndicats : l’Union General de Trabajadores (UGT) fondé en 1888 et lié au PSOE, la Confederacion National del Trabajo (CNT), fondée en 1910 et ayant comme objectif le communisme libertaire.
Affiche de la CNT : Dans les champs et les usines, aux syndicats !
La lutte contre le fascisme avait galvanisé les
masses, renforçant leur détermination, mais aussi leur conscience
de la situation. Deux dynamiques s’entrecroisaient alors, se
soutenant et se confrontant.
La CNT était extrêmement puissante en Catalogne,
son bastion ; elle représentait, de par sa tradition, une force
capable d’organiser. C’était d’une valeur inestimable alors que la
société devait se réorganiser.
La décentralisation, source de faiblesse pour la CNT en raison de l’absence de ligne politique claire, s’avérait excellente pour prendre des initiatives à la base, par les milices tout d’abord, la gestion d’entreprises ensuite.
Affiche de la CNT-FAI : Dans les champs et les usines, aux syndicats !
L’UGT était très faible en Catalogne, mais
disposait d’une qualité que la CNT n’avait pas : la liaison
avec le PSOE qui permettait une grande capacité politique et donc
des choix pouvant être décisifs. Cela est d’autant plus vrai que le
PCE participait à cet élan transformant tant l’UGT que le PSOE en
organisations révolutionnaires.
En octobre 1937, le comité national de l’UGT avait nommé ses dirigeants, pratiquement tous du PSOE, avec une toute petite minorité du PCE, mais malgré tout avec une tendance essentielle à l’unité.
Camarade : pour l’alliance UGT CNT
C’est cela qui changeait tout, alors que la ligne
ultra, avec le POUM et une partie de la CNT, avait
été mise de côté. L’unification était inévitable, restait à
savoir de quelle manière.
De fait, dès juillet 1937, le principe de
systématiser à tous les niveaux du pays les comités UGT-CNT avait
été mis en avant par les deux syndicats. Il semblait
inconcevable qu’il y ait deux syndicats majeurs, avec tous deux plus
d’un million de membres, prétendant avoir les mêmes objectifs
révolutionnaires.
Reste que cela posait problème quant à l’unité à réaliser, à l’unification : s’agissait-il d’un saut qualitatif, ou simplement d’un moyen pour la CNT de phagocyter le gouvernement, qui était sous hégémonie du PSOE ?
UGT CNT Unité ouvrière pour écraser le fascisme
La CNT voulait-elle réaliser un gouvernement
syndical, ce que refusaient l’UGT, le PSOE et le PCE ?
Inversement, ces dernières accepteraient-elles les exigences de la
CNT concernant les initiatives à la base ?
L’unité d’action, décidée en 1938, montre
qu’il s’agissait bien, chez tous, d’aller dans le sens de
l’unification. L’UGT et la CNT reconnurent le gouvernement, tout en
se présentant en quelque sorte comme la colonne vertébrale du
régime. Toute une série de meetings fut menée sur le territoire
républicain, afin de présenter l’alliance des travailleurs
révolutionnaires comme une force essentielle de soutien au
gouvernement.
Tant la CNT que la FAI adhérèrent de ce fait au Front populaire, la CNT ayant de nouveau un ministre au gouvernement.
Vers l’unité d’action de la classe ouvrière pour la victoire dans la guerre et dans la révolution des travailleurs d’Espagne, unissons-nous !
C’était une victoire historique pour le mouvement
ouvrier, car cela témoignait de la capacité à s’unir face à
l’adversité, de se lancer dans la bataille pour la production.
La CNT n’avait plus rien à voir avec une organisation excellente dans son organisation à la base, mais totalement velléitaire dans ses projets, voire franchement aventuriste. A partir du moment où elle avait accepté d’avoir des ministres, elle rompait avec sa culture, s’étant toujours vantée jusque-là de ne jamais avoir eu de permanents.
UGT CNT, une puissance qui en résulte
La CNT avait surtout compris que la situation
catalane était particulière, que le reste de l’Espagne connaissait
une situation totalement différente, sans parler évidemment des
zones dominées par l’armée putschiste, où la terreur assassinait
tous les cadres révolutionnaires.
Elle contribuait à la dynamique générale avec
sa propre expérience, très riche, d’organisation ouvrière. Cela
avait un prix toutefois. L’absence d’expérience politique faisait
que la situation exigeait une centralisation que la CNT ne savait pas
gérer.
Un comité national fut mis en place, ses
décisions données aux comités régionaux tenues clandestines
pour des raisons de sécurité, un comité exécutif se chargeant
finalement des choix politiques, laissant à la base de simples
aspects économiques.
Cela provoqua une cassure historique avec les courants ultras de l’anarchisme, ainsi qu’avec les forces anarcho-syndicalistes dans le monde.
Affiche de la CNT pour l’unité syndicale, avec un foulard rouge et un foulard rouge et noir.
Le PSOE avait de son côté également changé ;
la ligne de Largo Caballero était remise en cause : il
apparaissait clairement que le PSOE n’était pas en mesure d’agir
seul. La conception d’un PSOE menant seul la révolution s’effondrait
exactement comme s’était écroulée la social-démocratie
autrichienne. Un « parti socialiste » pratiquement
communiste sans l’assumer sombrait dans des contradictions
fondamentales.
Quant au PCE, tout cela était finalement la clef
de voûte de son travail politique : l’unification de toutes les
organisations ouvrières, une unité complète des masses, voilà ce
qui composait la ligne de l’Internationale Communiste comme base
sur lequel devait s’élever un Front populaire (puis une Démocratie
populaire).
C’était le sens de la fondation des Juventudes
Socialistas Unificadas (JSU), en 1936, avec comme socle
l’unification de la Unión de Juventudes Comunistas de
España et des Juventudes Socialistas de España.
Il s’agissait d’une dynamique en deux temps : l’unité-unification devait former le noyau d’un régime ayant une démarche républicaine pour ne pas perdre la petite-bourgeoisie ni la bourgeoisie libérale.
Affiche de la Fédération ibérique des Jeunesses Libertaires en faveur de l’unité UGT CNT
Le problème était ici que la position unificatrice du PCE rentrait en conflit avec la ligne de la CNT, qui était de pousser l’UGT à ce que toute la société passe sous la coupe des syndicats. Cela ne posait pas en soi de problèmes au PCE, à part qu’il s’agissait de ne pas s’aliéner les classes non révolutionnaires pourtant alliées au régime pour des raisons historiques, ni non plus de basculer dans ce que le PCE considérait être un « égoïsme syndical ».
Nouvelle Espagne antifasciste
Le grand souci était celui de l’efficacité :
dans le cas d’entreprises réduites au niveau familial, la
productivité était faible. Dans tous les cas, les collectivisations
tendaient à renforcer la décentralisation, ou un basculement vers
le syndicat, au lieu de vers le gouvernement central en plein
affrontement militaire avec l’armée putschiste disposant désormais
d’un vaste territoire.
Le PCE était, pour cette raison, doté d’un grand
prestige chez les officiers, chez les diplômés, apparaissant comme
ferme militairement, mais temporisant socialement, ce qui rassurait
la petite-bourgeoisie et faisait de l’aile droite du PSOE une alliée.
Tout dépendrait donc de la capacité de la CNT à ne pas vouloir aller trop vite, à l’opposé de ce qui avait été le plus souvent fait jusque-là. Le problème fut alors le manque de temps : l’armée putschiste n’avait pas attendu ce gigantesque éclaircissement au sein du camp républicain.
Au début de l’année 1937, l’Espagne républicaine est sur la défensive ; elle a su défendre Madrid, elle profitait de l’aide de l’U.R.S.S. et des Brigades Internationales, mais l’initiative restait dans le camp du putsch de Francisco Franco.
Affiche du PSU : Les nuits sont fraîches, travaille pour le front
Le 8 février, l’armée putschiste prenait ainsi l’importante ville de Málaga, pratiquant meurtres et viols en masse, au point d’horrifier l’armée italienne.
Lors de cette bataille, les milices, la plupart anarchistes, n’étaient pas réorganisées dans l’Armée Populaire Républicaine, et n’appliquaient pas des méthodes modernes : on ne trouvait ni tranchées, ni barrages. C’était un exemple, parmi tant d’autres, de l’esprit anarchiste refusant le centralisme et les grades, au profit de l’esprit milicien.
Les forces de l’armée populaire républicaine
L’urgence de la situation accéléra le processus
de maturation des contradictions. En avril, la ville de
l’indépendance basque, Guernica, fut bombardée par la légion
Condor ; elle est prise dans la foulée, tout comme rapidement après
Bilbao. C’est ensuite l’Aragon qui tombe, puis la ville de Santander.
L’offensive républicaine pour soulager Madrid dans la bataille de Brunete échoua également ; les Brigades Internationales y virent un tiers de leurs membres tués, un autre tiers blessé ; au total, cette bataille causa la mort de 20 000 personnes du côté républicain (contre 17 000 chez les « nationaux »), avec la perte également de la moitié de l’aviation, pour un gain de 5 km. Le Nord-Ouest de l’Espagne, qui résistait encore, tomba finalement aussi.
Nécrologie dans l’organe du 5e régiment de Buenaventura Durruti, grande figure communiste libertaire, salué ici comme un un héros du peuple
Par contre, la bataille du Jarama, au prix du
sang, se termina par un statu quo, empêchant Madrid d’être coupé
du Nord-Est encore libre, ce à quoi contribua également la victoire
dans la bataille de Guadalajara. L’armée putschiste se rapprocha
cependant tellement de Valence, la nouvelle capitale, que le
gouvernement républicain dut être évacué en novembre à
Barcelone.
Entre-temps, dans cette même ville, l’ultra-gauche avait profité de l’atmosphère de tension pour réaliser un coup de force. Elle profita pour cela du fait que, afin de pacifier cette dernière ville et d’éviter les tensions internes multiples entre la CNT et la République pour le contrôle des patrouilles, la manifestation du premier mai fut annulée.
Affiche du PSU : La cinquième colonne est un péril
En l’absence d’esprit unitaire, la moindre
étincelle pouvait provoquer des troubles, qui partirent
effectivement, le lendemain, de la prise de contrôle du central
téléphonique par les gardes d’assauts républicains en raison du
refus fréquent des téléphonistes CNT de faire suivre les messages
gouvernementaux, n’hésitant pas à interrompre même le président
de la République, le ministre de la marine et de l’Armée de l’air,
le président de la Généralité de la Catalogne.
La CNT répondit à la visite des gardes d’assaut par des coups de feu et dans la foulée, sur la principale place, des barricades sont érigées à l’initiative de l’ultra-gauche, composée principalement des « Amis de Durruti », du Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, des « léninistes-bolcheviques » et des jeunesses anarchistes.
Des affiches furent collées dans la ville, appelant à l’exécution des dirigeants socialistes et républicains, au nom de la révolution.
Dans les semaines qui précédèrent
l’insurrection, les « Amis de Durruti » avaient collé
des affiches avec cet appel :
« Agrupación de Los Amigos de Durruti. A la classe
travailleuse :
1 – Constitution immédiate d’une Junte révolutionnaire
formée par les ouvriers de la ville, de la campagne et par les
combattants.
2 – Salaire familial. Carte de rationnement. Direction de
l’économie et contrôle de la distribution par les syndicats.
3 – Liquidation de la contre-révolution.
4 – Création d’une armée révolutionnaire.
5 – Contrôle absolu de l’ordre public par la classe
travailleuse.
6 – Opposition ferme à tout armistice.
7 – Justice prolétarienne.
8 – Abolition des échanges de personnalité. [N.D.T. :
Echange entre Franco et la République de prisonniers antifascistes
contre des prisonniers fascistes.]
Travailleurs, attention ! Notre regroupement
s’oppose à l’avancée de la contre-révolution. Les décrets sur
l’ordre public, soutenus par Aiguadé, ne seront pas appliqués.
Nous exigeons la liberté de Maroto et des autres camarades détenus.
Tout le pouvoir à la classe travailleuse. Tout le
pouvoir économique aux syndicats.
Contre la Généralité, la Junte révolutionnaire. »
Voici le contenu d’un tract des « Amis de
Durruti » du début de mai 1936 :
« CNT – FAI Agrupación de Los Amigos de Durruti.
TRAVAILLEURS !
Une junte révolutionnaire. Exécution des coupables.
Désarmement de tous les corps armés. Socialisation de l’économie.
Dissolution des partis politiques qui ont agressé la classe des
travailleurs.
Ne cédons pas la rue. La révolution avant tout. Nous
saluons nos camarades du POUM qui ont fraternisé dans la rue avec
nous.
VIVE LA REVOLUTION SOCIALE ! A BAS LA
CONTRE-REVOLUTION ! »
Voici le texte d’un tract diffusé au même
moment, dans le même esprit, par les bolcheviques-léninistes,
c’est-à-dire les trotskystes :
« VIVE L’OFFENSIVE REVOLUTIONNAIRE ! Aucun
compromis ! Désarmement de la Garde nationale républicaine et
des gardes d’assaut réactionnaires.
C’est le moment décisif. Plus tard il sera trop tard.
Grève générale dans toutes les usines, sauf celles qui
sont liées à la poursuite de la guerre, jusqu’à la démission du
gouvernement réactionnaire.
Seul le pouvoir ouvrier peut assurer la victoire.
Armement total de la classe ouvrière ! Vive l’unité d’action
C.N.T.-F.A.I.-P.O.U.M. ! Vive le front révolutionnaire du
prolétariat ! Comités de défense révolutionnaires dans les
ateliers, les usines et les districts ! »
Cette ultra-gauche proposa à la CNT de renverser le régime, mais celle-ci refusa et appela à cesser tout combat, alors que le PCE fut aux premières loges pour s’affronter militairement au coup de force.
Finalement, la République parvint à pacifier les
rues, au moyen de 6000 gardes d’assaut, dont une partie importante
était anarchiste, saluant le drapeau noir et rouge de la CNT en
passant devant son siège, alors que l’aviation annonce aux 28e
division, ancienne colonne Ascaso, et 29e division du POUM qu’elles
seront bombardées si elles continuent leur marche sur Madrid. La
tentative de coup d’État aura fait 500 morts.
Les « Amis de Durruti » furent en
conséquence exclus de la CNT. C’était un symbole déchirant pour la
CNT : Buenaventura Durruti avait été la grande figure
insurrectionnelle de la CNT, la grande figure de l’idéologie des
milices, lui-même avait été tué à Madrid en 1936, reparti au
combat alors que sa colonne avait été pratiquement anéantie
quelques jours auparavant, 400 personnes survivant sur 3000.
Le groupe des « Amis de Durruti »,
rassemblant plusieurs milliers de personnes, possédait une véritable
légitimité anarchiste, sa ligne étant celle de la CNT
historiquement.
Voici ce que les « Amis de Durruti »
reprochaient à la CNT, dans leur organe El Amigo del
Pueblo (l’ami du peuple), en février 1938 :
« Lorsqu’une organisation a passé toute sa vie à
défendre la révolution sociale, elle a l’obligation de la faire
lorsque précisément l’occasion s’en présente. En juillet, la
conjoncture y était favorable. La CNT devait se jucher jusqu’au
sommet de la direction du pays, en donnant des coups de pieds qui en
auraient fini avec tout ce qui était archaïque, avec tout ce qui
était vétuste, et ainsi nous aurions gagné la guerre et nous
aurions gagné la révolution.
Mais c’est tout le contraire qui se produisit. C’est
la collaboration avec la bourgeoisie dans les sphères étatiques qui
fut choisie, au moment précis où l’Etat éclatait en mille
morceaux. »
C’était là un idéalisme le plus complet.
Inversement, en choisissant de ne pas renverser la République, la
CNT montrait qu’elle avait rompu avec sa perspective
insurrectionnelle et compris la nature du nouveau régime, allant
dans le sens de l’unification des forces révolutionnaires.
Quant au Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (Partido Obrero de Unificación Marxista), sa tentative d’appuyer les « Amis de Durruti » tant militairement que politiquement, ou encore pratiquement avec leur imprimerie, lui coûta très cher.
Affiche de la JSU dénonçant le POUM pour sa ligne anti-Front populaire
Dirigé par un ancien secrétaire national de la
CNT, Andreu Nin qui fut retrouvé exécuté, le POUM a été la cible
d’une offensive tout azimut de la part du PCE.
Aux yeux du PCE, la tentative d’insurrection à Barcelone montrait que le POUM était une cinquième colonne, terme utilisé par les franquistes pour désigner leurs partisans clandestins au sein du territoire républicain.
Affiche anti-POUM appelant à démasquer le masque du provocateur fasciste
Le PCE fit pression et obtient que le POUM, dont le positionnement était en fin de compte anti-antifasciste, dans l’esprit trotskyste, soit interdit pour ses activités anti-républicaines ; fort de quelques milliers de membres, il n’existait en tant que tel qu’en Catalogne.
Deux forces principales existaient à gauche au
moment du coup d’État militaire de Francisco Franco : le
gouvernement, d’esprit libéral-démocratique et socialisant, ainsi
que la CNT. Le premier entendait maintenir le régime, suivant une
ligne de front antifasciste, sans armer les masses pour autant ;
la seconde entendait armer les masses, mais sans se préoccuper du
régime ni du front antifasciste.
Les deux furent obligés de composer, en raison de la situation : sans un régime centralisé, on ne pouvait faire face à l’armée de Franco et sans les masses, la lutte était impossible.
L’armée populaire est l’armée de la république
On comprend l’impact énorme que pouvait avoir le Parti Communiste d’Espagne (PCE), qui se positionnait à la fois pour le front antifasciste, ainsi que pour l’armement des masses.
Ouvriers, paysans, soldats, intellectuels, renforcez les rangs du Parti Communiste
Cette combinaison s’avérait d’autant plus juste avec la situation de Madrid. La CNT y était peu présente et lorsque le gouvernement décida de quitter précipitamment la ville menacée pour s’installer à Valence, c’est le PCE qui assuma le combat.
D’abord gagner la guerre, moins de discours vains !
Voici comment le journaliste soviétique Mikhail
Koltzov raconte ce qu’il a vu le 6 novembre 1936 :
« Je me mis en route pour le ministère de la guerre, au commissariat pour la guerre. Il n’y avait pratiquement personne. J’allais aux bureaux du premier ministre. Le bâtiment était fermé. J’allais au ministère des affaires étrangères. C’était déserté.
Au bureau de censure de la presse étrangère un officiel me dit que le gouvernement, deux heures auparavant, avait reconnu que la situation à Madrid était désespérée et était déjà parti. Largo Caballero avait interdit la publication de la moindre information au sujet de l’évacuation « afin d’éviter la panique ».
J’allais au ministère de l’intérieur. Le bâtiment était pratiquement vide. J’allais au comité central du Parti Communiste. Une réunion plénière du Bureau Politique s’y tenait. Ils me dirent que ce même jour Largo Caballero avait subitement décidé d’évacuer.
Sa décision a été approuvée par la majorité du cabinet. Les ministres communistes voulaient rester, mais il leur avait été rendu clair qu’un tel pas discréditerait le gouvernement et qu’ils étaient obligés de partir comme tous les autres.
Même les plus connus dirigeants des différentes organisations, pas plus que les départements et agences d’État, avaient été informé du départ du gouvernement. Ce n’est qu’au dernier moment que le ministre dit au chef de l’équipe centrale générale que le gouvernement partait. »
Mikhail Koltzov raconte alors qu’il continue de visiter tous les bâtiments, sans trouver personne. Les portes étaient toutes ouvertes, tout était abandonné sur place. Le PCE s’est alors retrouvé en première ligne, formant le noyau dur des forces armées défendant Madrid, transformant cette ville en bastion inexpugnable de la révolution. Madrid était la forteresse, la ville invincible de l’antifascisme.
Appel du 5e régiment : Pour défendre Madrid enrôle toi dans les 4 bataillons de choc
Le PCE était arrivé très difficilement à ce
niveau d’organisation. Il est pourtant né très tôt, dès 1921, de
la fusion du Parti Communiste Espagnol fondé en
1919 par des jeunes socialistes et du Parti Communiste
Ouvrier Espagnol fondé en 1920 par des socialistes,
notamment dans les régions de Bizkaye et des Asturies.
Son dirigeant, Antonio García Quejido (1856-1927), est une figure du PSOE, dont il avait été le rédacteur de son organe de presse, El Socialista, et pas moins que l’un des fondateurs de l’UGT, dont il fut le premier dirigeant.
Affiche antifasciste du syndicat national ferroviaire UGT durant la guerre civile
Comme la plupart des Partis Communistes au moment
de leur création cependant, il existait de profondes divergences au
sein de la direction, avec notamment des influences gauchistes. En
1925, il existait pas moins de trois lignes différentes, plus une
s’étant établie à l’extérieur du PCE et en exil, à Paris, sous
le nom de Groupe Communiste Espagnol.
De fait, lorsque la monarchie s’effondre en 1931,
le PCE avait moins de 1500 membres et l’Unión de Juventudes
Comunistas 400.
La nouvelle situation, marqué par un calme institutionnel et la légalisation, permit très rapidement une légère amélioration, avec 11000 membres et 6000 pour l’Unión de Juventudes Comunistas, obtenant 50 000 voix aux élections parlementaire.
Panneau durant la guerre civile avec un portrait de Staline soulignant l’appui soviétique
Le Parti Socialiste Unifié de Catalogne,
quant à lui, issu de la fusion du PSOE et du PCE, formant la section
relativement autonome de ce dernier en Catalogne, possédait 800
membres. Dans le même sens fut formé un PC d’Euzkadi.
Le PCE intégra également la Izquierda Revolucionaria
y Antiimperialista et le Partido Social
Revolucionario ; sa tentative de fonder un syndicat,
la Confederación General del Trabajo Unitario, échoua
relativement, avec 37 000 membres en 1932.
Sa ligne politique était cependant la plus
cohérente et la plus conséquente. Dès le départ, le PCE a posé
une ligne anti-féodale, consisant à attaquer la persistance des
grandes propriétés terriennes, à souligner la question des
minorités nationales, à dénoncer la monarchie et la féodalité
prédominant politiquement, à appeler à la formation d’un bloc
populaire.
Ses exigences étaient la démission du
gouvernement et de nouvelles élections avec libre-expression pour la
gauche, la libération des prisonniers politiques et l’amnistie, la
confiscation des terres des grands propriétaires et redistribution
gratuites aux paysans et ouvriers agricoles, le rétablissement du
statut spécial de la Catalogne et droit à l’auto-détermination de
la Catalogne, du Pays Basque et de la Galice, la baisse des impôts
des paysans, petits-commerçants, artisans et industriels,
l’amélioration des conditions de vie, l’épuration de l’armée des
éléments fascistes et dissolution des organisations fascistes.
Avec son positionnement de plus grand partisan du Front antifasciste sur la base du dénominateur commun du refus du coup d’État et de mobilisateur acharné dans les masses, le PCE apparaissait comme la force la plus conséquente. C’est la raison pour laquelle que la ligne du PCE fut politiquement la plus efficace : le 1er mai 1936, 600 000 personnes défilèrent à Madrid dans les comités du Front populaire lancés à l’initiative du PCE.
Le bonnet phrygien aux couleurs républicaines espagnoles, avec les drapeaux de la république, de la CNT, suivis de deux autres aux symboles communistes
Le PCE progressa alors de manière fulgurante, disposant d’une presse avec plusieurs journaux, dont le Mundo Obrero, d’une association ayant un grand impact comme l’Asociación de Amigos de la URSS et surtout d’un nouveau jeune dirigeant, José Díaz.
José Díaz
En novembre 1933, le PCE obtint son premier
député, ayant obtenu 170 000 voix, avant d’en avoir 17 lors des
élections de 1936 lors de la victoire du Front populaire. Le nombre
d’adhérents explose alors : s’il y avait un peu plus de 19 000
membres en 1935, en février 1936 le PCE en a 30 000, un mois plus
tard 50 000, en avril 60 000, en juin 84 000, début juillet 100 000.
Début 1937, le chiffre sera de 200 000, puis rapidement de 300 000
et même de pratiquement 500 000.
En avril 1936 fusionnèrent également les jeunesses socialistes et communistes, devenant la Juventud Socialista Unificada, liée au PCE, qui avait pas moins que 350 000 membres en 1937.
Affiche de la JSU : L’alliance nationale de la jeunesse, garantie de la victoire
L’Armée Populaire Républicaine elle-même se
constituait en s’appuyant sur le Parti Communiste d’Espagne et son
école de cadres formant à la chaîne des responsables de haut
niveau.
Sur les 7000 promotions dans l’armée en 1938, la grande majorité consiste en des communistes ; dans les six sections de l’armée républicaines, on avait 163 commandants de brigades étant communistes et 33 anarchistes, 61 commandants de divisions communistes et 9 anarchistes, 15 commandants de corps d’armées communistes et 6 anarchistes, tandis que pour les postes de commandants, on avait 3 communistes, 2 sympathisants communistes et un non-communiste.
Affiche du PSU et de la CGT : Plus d’hommes ! Plus d’armes ! Plus de munitions !
Ce succès communiste aboutissait inévitablement à des tensions avec les autres courants révolutionnaires, ce que tenteront d’utiliser les trotskystes par un soulèvement anti-républicain à Barcelone, en 1937.
Il n’est pas possible de comprendre la guerre d’Espagne sans saisir climat de terreur et de contre-violence systématiques qui ont régné. La situation était marquée par des urgences, des choix difficiles pour les républicains, alors que la ligne de l’armée de Francisco Franco était exterminatrice et justifiée idéologiquement, depuis 1937, par les Falange Española Tradicionalista y de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista, fusion idéologique des troupes d’extrême-droite pour mobiliser la population dans une orientation désormais fasciste.
Affiche de l’UGT : c’est l’alerte contre le fascisme
On a un exemple parlant de la violence régnant alors avec les troupes basques décidant en 1936 de capituler face à l’armée de Francisco Franco à San Sebastián, afin de préserver la ville de la destruction, et exécutant les miliciens anarchistes opposés à la reddition.
Dans un même esprit jusqu’au-boutiste, lors de la prise de Tolède la même année, une quarantaine d’anarchistes à cours de munitions préféra incendier le bâtiment où ils étaient plutôt que de se rendre, alors qu’en même temps les troupes nationalistes tuèrent à l’hôpital de la ville les docteurs, les infirmières et les blessés.
Appel du 5e régiment des milices populaires à rejoindre le première compagnie anti-tankiste
La ligne de l’armée putschiste était, en
effet, très simple et correspondait aux intérêts de l’armée,
des grands propriétaires terriens et de l’Église. Elle consistait
en la liquidation pure et simple de tous les individus liés à une
culture idéologique de gauche, ainsi que libérale ou franc-maçonne.
La prise de villes et les conquêtes territoriales
s’accompagnaient par conséquent systématiquement par
l’extermination en masse des responsables et cadres de la
gauche, suivis d’une purge dans la société elle-même, le tout
accompagné de viols.
8000 personnes furent exécutées à Séville, 10 000 à Cordoue, 4 000 à Badajoz. Des milliers de civils fuyant la ville de Málaga furent massacrés par l’aviation et des bombardements depuis les navires, alors que 3500 personnes seront assassinées la première semaine suivant la prise de la ville, puis 17 000 les années suivantes.
Affiche républicaine dénonçant le camp des nationaux
Le bombardement de la ville de Durango en mars 1937 par l’aviation allemande à la demande de l’armée de Francisco Franco visa même directement la population civile : d’abord, en bombardant l’église au moment de la messe, puis en repassant ensuite lorsque étaient arrivés les pompiers et les ambulances depuis Bilbao.
Affiche républicaine appelant à évacuer Madrid devant les bombardements
Les exemples sont innombrables et toujours
difficilement documentés de par la chape de plomb établi par le
régime à ce sujet par la suite ; aujourd’hui encore, on trouve
ainsi régulièrement des charniers datant de l’époque de la guerre
civile. Les chiffres concernant les gens exécutés sommairement vont
de 40 000 à 400 000.
Au cours de ce processus, l’Armée espagnole
utilisa notamment comme troupes de chocs les « regulares »,
membres des Fuerzas Regulares Indígenas, volontaires
marocains encadrés par des officiers pour des opérations de
massacre. Au nombre de 30 000 dès le départ, ces troupes furent les
plus décorées de toute l’armée.
L’Église approuva entièrement ces massacres,
de manière ouverte, avec à la fois un soutien intérieur et
extérieur. Le cardinal Isidro Gomá y Tomás (1869-1940) fut
ici d’une aide précieuse sur le plan idéologique, légitimant la
terreur la plus sanglante, au nom de l’affirmation d’un État
assumant la confession catholique romaine.
Quant au Vatican, il émit des positions soutenant
sans critique aucune les putschistes. Voici ce que dit la
l’encyclique du pape Pie XI, Divini Redemptoris, en
mars 1937 :
« Horreurs du communisme en Espagne.
20. Et là où, comme en Notre chère Espagne, le fléau
communiste n’avait pas eu le temps encore de faire sentir tous les
effets de ses théories, il s’est déchaîné, hélas ! avec une
violence plus furieuse.
Ce n’est pas l’une ou l’autre église, tel ou tel couvent
qu’on a abattus, mais quand ce fut possible, ce sont toutes les
églises et tous les couvents et toute trace de la religion
chrétienne qu’on a voulu détruire, même quand il s’agissait des
monuments les plus remarquables de l’art et de la science !
La fureur communiste ne s’est pas contentée de tuer des
évêques et des milliers de prêtres, de religieux et de
religieuses, s’en prenant plus particulièrement à ceux et à celles
qui justement s’occupaient avec plus de zèle des ouvriers et des
pauvres, mais elle fit un nombre beaucoup plus grand de victimes
parmi les laïques de toute classe, qui, encore maintenant, chaque
jour, peut-on dire. sont massacrés en masse pour le seul fait d’être
bons chrétiens ou du moins opposés à l’athéisme communiste.
Et cette épouvantable destruction est perpétrée avec
une haine, une barbarie, une sauvagerie qu’on n’aurait pas cru
possibles en notre temps. Aucun particulier de jugement sain, aucun
homme d’État, conscient de sa responsabilité, ne peut, sans frémir
d’horreur, penser que les événements d’Espagne pourraient se
répéter demain en d’autres nations civilisées. »
Ce soutien aux massacres de l’armée de Francisco
Franco par l’Église a traumatisé très profondément les
principaux intellectuels catholiques français, auparavant
pro-franquistes, qu’étaient François Mauriac, Georges
Bernanos, Jacques Maritain.
Georges Bernanos racontera en 1938 dans Les
Grands Cimetières sous la lune ce qu’il a vu, les
massacres franquistes et le soutien de l’Église catholique. En
voici un extrait significatif, où des républicains sont brûlés
vifs :
« On conduisit le bétail jusqu’à la plage où
on le fusilla sans se presser, bête par bête. Je ne mets nullement
en cause l’évêque archevêque de Palma ! il se fit
représenter, comme d’habitude, à la cérémonie, par un certain
nombre de ses prêtres qui, sous la surveillance des militaires,
offrirent leurs services à ces malheureux. On peut se représenter
la scène : « Allons, padre, celui-là est-il prêt ?
– Une minute, monsieur le capitaine, je vais vous le donner tout de
suite. »
Leurs excellences affirment avoir obtenu, dans de
pareilles conjonctures, des résultats satisfaisants, que m’importe !
Le travail achevé, les Croisés mirent les bestiaux par
tas, absous et non absous, puis les arrosèrent d’essence que l’on
appelle là-bas gazoline.
Il est bien possible que cette purification ait revêtu
alors, en raison de la présence des prêtres de service, une
signification liturgique.
Malheureusement je n’ai vu que le surlendemain ces
hommes noirs et luisants, tordus par la flamme. Un goudron puant
sortait d’eux, par rigoles, et fumait sous le soleil d’août. »
Voici également comment il décrit les purges
menées :
« Dès lors, chaque nuit, des équipes recrutées
par lui opérèrent dans les hameaux et jusque dans les faubourgs de
Palma. Où que ces messieurs exerçassent leur zèle, la scène ne
changeait guère.
C’était le même coup discret frappé à la porte de
l’appartement confortable, ou à celle de la chaumière, le même
piétinement dans le jardin plein d’ombre, ou sur le palier le même
chuchotement funèbre, qu’un misérable écoute de l’autre côté
de la muraille, l’oreille collée à la serrure, le cœur crispé
d’angoisse. – « Suivez-nous ! » – … Les mêmes
paroles à la femme affolée, les mains qui rassemblent en tremblant
les hardes familières, jetées quelques heures plus tôt, et le
bruit du moteur qui continue à ronfler, là-bas, dans la rue.
« Ne réveillez pas les gosses, à quoi bon ?
Vous me menez en prison, n’est-ce pas señor ?
– Perfectamente », répond le tueur, qui parfois n’a
pas vingt ans.
Puis c’est l’escalade du camion où l’on retrouve
deux ou trois camarades, aussi sombres, aussi résignés, le regard
vague … Hombre ! La camionnette grince, s’ébranle. Encore
un moment d’espoir, aussi longtemps qu’elle n’a pas quitté la
grand-route.
Mais voilà déjà qu’elle ralentit, s’engage en
cahotant au creux d’un chemin de terre. « Descendez ! »
Ils descendent, s’alignent, baisent une médaille, ou seulement
l’ongle du pouce.
Pan ! Pan ! Pan ! – Les cadavres sont
rangés au bord du talus, où le fossoyeur les trouvera le lendemain,
la tête éclatée, la nuque reposant sur un hideux coussin de sang
noir coagulé.
Je dis fossoyeur, parce qu’on a pris soin de faire ce
qu’il fallait non loin d’un cimetière. L’alcade écrira sur
son registre : « Un tel, un tel, un tel, morts de
congestion cérébrale ». »
Le philosophe espagnol Miguel de Unamuno
(1864-1936), qui soutenait l’armée putschiste, fut mis de côté par
le régime pour sa vive dénonciation des crimes de guerre, exprimant
son dégoût devant les meurtres sans justification et le slogan
« ¡Viva la muerte! » (« Vive la
mort ! ») des insurgés :
« J’ai dit que l’Espagne serait sauvée par la
civilisation chrétienne occidentale, mais les méthodes ne sont pas
civilisées mais militarisées, non pas occidentales mais africaines,
non pas chrétiennes, mais catholiques à la traditionnaliste
espagnole, c’est-à-dire anti-chrétiennes. »
Une contre-violence implacable s’organisera
également du côté républicain. A l’opposé de la répression
sanglante organisée et méthodique du côté de l’armée putschiste,
l’approche fut spontanée, relevant de l’esprit des sortes de
comités de salut public qu’étaient les initiatives révolutionnaires
locales, avec notamment les checas.
Chaque organisation mit en place rapidement sa Checa, terme repris à la Tchéka soviétique, c’est-à-dire d’une police secrète disposant de vastes locaux pour procéder à des interrogatoires et des exécutions.
Campagne d’agitation du 5e régiment
L’État central aurait aimé faire en sorte de
respecter des processus légaux, mais les forces révolutionnaires
considéraient que l’enjeu dépassait cela, à quoi s’ajoutait la
colère de la population. Entre amener des prisonniers nationalistes
depuis Madrid assiégée dans une prison dans l’arrière-pays ou les
fusiller et partir au front, le choix était vite fait.
Les bombardements, notamment, provoquèrent des révoltes violentes dont les prisonniers « nationalistes » furent victimes. Témoignage de la force de cette vindicte, un exemple terrible fut le lynchage d’un pilote d’avion ayant sauté en parachute, que la foule avait pris pour un Allemand de la légion Condor aidant militairement Francisco Franco, alors qu’il s’agissait en réalité d’un soviétique au service de la République.
Journal du 5e régiment : Femme ! demande ton poste dans les 4 bataillons de choc
La philosophe Simone Weil (1909-1943), qui avait
rejoint la CNT durant la guerre d’Espagne avant de plonger
définitivement dans le mysticisme chrétien, participant d’ailleurs
ensuite en France à un réseau « planiste » et
corporatiste, écrivit une lettre à George Bernanos, comme pour se
poser en équivalent catholique du côté républicain, dans une même
réfutation de la « mort » :
« Mais les chiffres ne sont peut-être pas
l’essentiel en pareille matière. L’essentiel, c’est l’attitude
à l’égard du meurtre.
Je n’ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même
parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener
– ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et
inoffensifs – je n’ai jamais vu personne exprimer même dans
l’intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la
désapprobation à l’égard du sang inutilement versé.
Vous parlez de la peur. Oui, la peur a eu une part dans
ces tueries ; mais là où j’étais, je ne lui ai pas vu la part
que vous lui attribuez. Des hommes apparemment courageux – au
milieu d’un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon
sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de «
fascistes » – terme très large. »
Antoine de Saint-Exupéry, catholique qui fut
correspondant de guerre en Espagne, ne prit pareillement pas partie,
dénonçant les républicains :
« Ici on tue comme on déboise »
En réalité, les exécutions se faisaient ainsi
par dizaines, et non par centaines et encore moins par milliers comme
dans le camp « nationaliste » ; la seule exception
consistait en les opérations, surtout anarchistes, contre le clergé,
qui furent régulières et sanglantes, et la liquidation de 2000
prisonniers sur 10 000 au moment de la bataille de Madrid.
Au total, environ 40 000 personnes furent les
victimes du camp républicain, le plus souvent de manière
désordonnée, sans vision d’ensemble, dans l’urgence afin de faire
face au coup d’État fasciste.
En arrière-plan, cela posait la question de la perspective générale, centralisée, de la question des priorités.
L’U.R.S.S. ne se contenta pas de fournir des armes, ainsi que de très nombreux conseillers militaires afin de suppléer à l’absence de cadres dans l’armée, ceux-ci état en écrasante majorité passés au coup d’État. Elle lança également, par l’intermédiaire de l’Internationale Communiste, à la mise en place de Brigades Internationales.
Une colonne des Brigades Internationales
Le 16 octobre 1936, Staline avait envoyé
le télégramme suivant au secrétaire général du PCE, Jose Diaz,
qui fut publié dans le Mundo Obrero (Monde
ouvrier) et annonça l’esprit de l’initiative :
« Le peuple travailleur de l’Union Soviétique ne fait que remplir sa tâche quand il fait ce qu’il peut pour aider les masses révolutionnaires en Espagne. Il sait que la libération de l’Espagne de l’oppression de la réaction fasciste n’est pas une affaire privée des Espagnols, mais la cause commune de l’entière humanité progressiste. »
Tous les peuples du monde sont dans les Brigades Internationales aux côtés du peuple espagnol
Les Brigadas Internacionales furent constituées le 22 octobre 1936 ; elles étaient constituées de volontaires, initialement des Partis Communistes de nombreux pays du monde, devant rejoindre l’Armée républicaine. Le centre de recrutement était à Paris, supervisé par Karol « Walter » Świerczewski, l’un des principaux commandants de brigades par la suite (puis général de l’Armée rouge, général polonais lors de la bataille de Berlin).
Les premiers bataillons formés étaient regroupés dans la 11e Brigade, appartenant légalement à l’Armée républicaine ; très rapidement différentes brigades furent formées et leur composition enfin stabilisée dans la première partie de 1937, après des changements selon les langues parlées afin de faciliter les communications, la formation d’une presse interne, la questions des soins hospitaliers, etc.
Les Internationaux, unis aux Espagnols pour lutter contre l’envahisseur
Il st à noter que sur le plan de la santé, le
communiste canadien Norman Béthune joua un rôle important, étant
le premier à systématiser la transfusion sanguine lors des
interventions sur les fronts militaires, rejoignant par la suite
l’Armée rouge chinoise, Mao Zedong ayant porté une grande
attention à saluer sa mémoire.
Le premier bataillon fut fondé le 19 octobre
1936, étant surtout composé de Polonais, mais également de gens de
pratiquement tous les pays slaves. Il avait comme nom Dombrowski, du
nom du révolutionnaire polonais Jarosław Dombrowski qui
fut général de la Commune de Paris de 1871.
Le second fut le bataillon Commune de Paris, fondé un peu plus tôt, le 22 octobre 1936, principalement composé de Français et de Belges, mais également de gens de Grande-Bretagne et d’Amérique du Nord.
Le Front populaire de Madrid au Front populaire du monde – hommage aux Brigades Internationales
Le troisième bataillon formé fut celui d’Edgar
André,formé en 28 octobre 1936. Le nom est celui de l’ouvrier
portuaire Edgar André membre du Parti Communiste d’Allemagne en
1933, torturé à mort par les nazis pendant trois ans et demi puis
exécuté en 1936. Sa dernière déclaration fut la suivante :
« Votre honneur n’est pas mon honneur, car des
visions du monde nous séparent, des classes nous séparent, un
profond gouffre. Si vous deviez rendre l’impossible possible et
amener un combattant innocent au billot [pour avoir la tête tranchée
à la hache], alors je suis prêt de faire ces pas difficiles. Je ne
veux pas de grâce ! J’ai vécu en tant que combattant et je
mourrai en tant que combattant, avec comme derniers mots : vive
le communisme. »
Le quatrième bataillon fondé, le 29 octobre 1936, avait comme nom Garibaldi, républicain ayant joué un rôle historique dans l’unification de l’Italie ; il était surtout composé d’Italiens.
L’unité de l’armée et du peuple sera l’arme de la victoire [le drapeau républicain côtoie le drapeau des Brigades Internationales]
Le 10 novembre 1936 furent fondés deux
bataillons, un s’appelant bataillon Thaelmann, du
nom du secrétaire général du Parti Communiste d’Allemagne
emprisonné par les nazis, l’autre le bataillon Franco-Belge, qui
prit ensuite le nom d’André Marty, du nom du leader de
la mutinerie de l’armée française de la mer Noire en 1919, lui même
était membre des Brigades.
S’ensuivirent toute une série de bataillons fondés sur le même modèle. On a ainsi le bataillon Louise Michel, composé de Français et de Belges, du nom d’une des figures de la Commune de Paris, le bataillon Tchapaiev, composé de multiples nationalités de l’Est de l’Europe, du nom du commandant de l’Armée rouge russe en 1919.
Le Front populaire de Madrid au Front populaire du monde – hommage aux Brigades Internationales
On a le bataillon Henri
Vuillemin, composé de Français (du nom d’une figure
communiste française), ainsi que les bataillons Rakoski (du
nom de Mathias Rakoski, chef historique communiste ukrainien) et Adam
Miskiewicz (composé de Polonais et d’autres slaves, du nom
du poète national polonais).
On a le Bataillon 12 février, composé
uniquement d’Autrichiens, qui fut fondé en juin 1937 ; le 12
février 1934 fut la date d’un putsch austro-fasciste et de la
résistance ouvrière s’ensuivant.
On a également le Bataillon Hans Beimler, enfin, qui était composé surtout de Scandinaves et de Néerlandais ; fondé en mars 1937, son nom est celui du commissaire politique du bataillon Thaelmann tombé lors de la bataille de Madrid, deux millions de personnes allant par la suite saluer son cercueil.
Avec surtout des Français, on a les bataillons La
Marseillaise, Henri Barbusse, Vaillant-Couturier, Six Février ;
d’Amérique du Nord principalement, on a les bataillons Abraham
Lincoln, Georges Washington, Mackenzie-Papineau, d’Amérique
du Sud, le bataillon Spagnolo. Furent également
formés des bataillons Masaryk, Dimitrov, etc.
La raison de cette mobilité fut les importantes pertes des Brigades Internationales, qui formaient des bataillons de choc ; le nombre de brigadistes tués atteint, selon les sources, les 10 000 personnes au moins. Il fallait réorganiser les bataillons, tout en les inscrivant au mieux dans l’Armée Populaire de la République.
Les groupes et volontaires étrangers dans les rangs républicains
On considère que grosso modo pratiquement 60 000 personnes ont participé aux Brigades Internationales, avec une rotation faisant qu’il y avait à chaque fois 20 000 brigadistes présents. 53 nationalités étaient représentées, avec grosso modo 9000 Français, 5000 Allemands, 3350 Italiens, 3000 Polonais, 3000 Soviétiques, 2800 Américains, 2300 Britanniques, 1600 Belges, 1500 Autrichiens, 1500 Tchécoslovaques, 800 Cubains.
La guerre d’Espagne fut une guerre défensive des
progressistes ; il y eut bien entendu des avancées sociales et
culturelles considérées comme nécessaires par tout le monde, mais
les exigences étaient fort différentes et l’aspect principal était
celui la dimension protectrice.
Il s’agissait de faire front, ce qui n’allait pas sans contradictions donc puisque les exigences des uns ou des autres pouvaient entrer en conflit avec le processus.
Trois membres du bataillon féminin des milices populaires à Madrid
Déjà, il existait une contradiction entre le
gouvernement républicain, lié à un État dont la force armée
s’était effondrée, et les syndicats l’ayant protégé du coup
d’État militaire. Ces syndicats avaient été reconnus par la
République, parfois même armés, reste que ceux-ci avaient formé
dès le coup d’État leurs propres structures.
Le président de la Généralité de la Catalogne,
Lluís Companys, se voyait donc devoir entrer en collaboration
avec un Comitè Central de Milícies Antifeixistes (Comité central
des milices antifascistes), regroupant toute la gauche
révolutionnaire et indépendantiste catalane.
Ses dirigeants se répartissaient comme suit :
CNT 4 postes, UGT 3 postes, Gauche Révolutionnaire Catalane 3
postes, Parti Socialiste Unifié de Catalogne (fusion notamment du
PSOE et du PCE en Catalogne) 1 poste, Parti Ouvrier d’Unification
Marxiste (marxiste proche du trotskysme) 1 poste, Action Catalane
Républicaine 1 poste, enfin 1 poste pour un syndicat de viticulteurs
sans terre et 2 pour des responsables militaires nommés par la
Généralité catalane.
La situation n’était pas propre à la Catalogne ; on trouvait aussi notamment un Comité Exécutif Populaire de Valence, un Conseil Régional de Défense de l’Aragon, un Comité de Salut Public de Malaga, un Comité de Guerre de Gijon, un Comité Populaire de Sama de Langreo, etc.
La Gauche Républicaine à l’avant-garde contre le fascisme international, par la municipalité de Valence
La République accorda également son autonomie au
pays basque non occupé par l’armée de Francisco Franco (Viscaya et
Guipúzcoa), sous le nom d’Euzkadi et dans la foulée l’armée
basque, l’Euzko Gudarostea, mobilisa 100 000 personnes.
La Catalogne, cependant, présentait une grande
particularité. En effet, c’était le bastion de la CNT, qui se
posait comme organe d’organisation des masses pour la période
post-révolutionnaire elle-même. Si donc, la CNT est en mesure de
pratiquer ce qu’elle appelle le communisme libertaire, alors
elle le fait immédiatement.
Ce n’est même pas un choix rationnel, c’est dans
les principes même de l’organisation, qui se veut dès à présent
la structure horizontale et fédéraliste conforme au « communisme
libertaire ».
Par conséquent, dans les zones catalanes contrôlées par la CNT, la production était sous contrôle ouvrier à 75 %, ce qui est bien moins le cas dans les zones contrôlées par l’UGT.
Tramway aux couleurs de la CNT à Barcelone
Comme la production industrielle catalane représentait les 2/3 de celle de l’Espagne, cela signifie qu’une partie significative était socialisée, principalement par la CNT.
La CNT disposait donc de collectivités de pêches, de spectacles publics (Espectáculos Públicos de Barcelona Socializados avec 10 000 employés), des services de transports (3322 employés sur 3442 étant à la CNT), d’usines textiles comme La España Industrial ou métallurgiques comme Hispano Suiza et Rivière, de la production électrique (Servicios Eléctricos Unificados de Catalunya avec 11500 employés), etc.
La situation était similaire dans les campagnes,
70 % des terres catalanes étaient expropriées, mais la
question agraire était tellement explosive que cela fut également
vrai ailleurs : 70 % des terres furent expropriées en
Aragon n’étant pas sous contrôle des putschistes, 91 % en
Estrémadure républicaine, 58 % en Castille – La Manche, 53 %
en Andalousie républicaine, 13 % dans la communauté de
Valence.
Au total, 54 % de la superficie agricole de
la République avait été expropriée.
Le communisme libertaire fut même proclamé en
Aragon, avec à peu près 450 collectivités rurales, pratiquement
toutes aux mains de la CNT, sauf une vingtaine liées à l’UGT. Dans
la communauté de Valence, sur les 353 collectivités, 264 étaient
dirigées par la CNT, 69 par l’UGT, 20 de manière mixte par les deux
syndicats, alors que fut formé un Conseil d’exportation agricole
régional par les deux syndicats, gérant eux-mêmes l’exportation
des oranges en Europe ; la ville d’Alcoy vit son industrie et
ses services passés entièrement dans les mains des syndicats.
Cette situation était bien entendu intenable, de par l’existence d’un double pouvoir, avec d’un côté principalement la CNT faisant cavalier seul, de l’autre la République, avec à sa tête Francisco Largo Caballero, le dirigeant de l’aile gauche du PSOE, en tant que premier ministre du « gouvernement de la victoire ».
Front populaire ! Front de la victoire de la liberté !
La République avait pris les initiatives
suivantes, dès le départ : révocation des fonctionnaires
sympathisant avec le coup d’État, nationalisation des chemins de
fer, jeu sur les prix des produits alimentaires et des vêtements,
confiscation des grandes propriétés rurales, fermeture des
institutions religieuses, instauration de tribunaux populaires, etc.
A cela s’ajoutait la nécessité de refonder une armée en tant que telle, qui prit le 28 octobre 1936 le nom d’Ejército Popular de la República (Armée Populaire de la République), avec formation immédiate de brigades mixtes, afin d’intégrer les milices populaires, et le rappel de toutes les personnes ayant fait leur service militaire depuis 1932.
Toutes les milices placées dans l’armée populaire
Il s’agissait également d’unifier les
« patrouilles de contrôle », formations mises en place
par les syndicats et menant des opérations de police.
Dans ce processus fut formé, en novembre, le
second « gouvernement de la victoire ». Francisco Largo
Caballero en était encore le premier ministre, mais les
organisations révolutionnaires autres que le PSOE, qui assumait
ouvertement la nécessité de la révolution également,
s’intégraient au gouvernement en tant que tel.
Outre Francisco Largo Caballero, l’aile gauche du PSOE possédait les ministères de l’intérieur et des affaires étrangères et constituait donc le principal parti, l’ossature du régime. Deux autres membres du PSOE, de l’aile modérée, étaient aux postes des finances, ainsi que de l’industrie et du commerce, de la marine et de l’air.
Affiche de l’UGT : Travailleurs! Tous contre le fascisme!
La Gauche Républicaine disposait du ministère
des travaux publics, la Gauche Républicaine catalane celui du
travail et de la santé, l’Union Républicaine celui des
communications et de la marine marchande.
Le PCE, lui, était aux commandes des ministères
de l’Agriculture, de l’Éducation et des Beaux-arts ; la CNT
elle-même avait des ministères (Santé et assistance sociale,
Justice, Commerce, alors que l’Industrie va à un des signataires du
manifeste des 30).
L’armée putschiste étant aux portes de Madrid, les 510 tonnes d’or de la banque d’Espagne furent évacuée et envoyée en U.R.S.S., alors que cette dernière fournissait de l’armement autant que possible. Au total, l’U.R.S.S. aura fourni 1500 tonnes de poudre, 862 millions de cartouches, 500 000 fusils, 50 000 grenades, 3,4 millions de projectiles d’artillerie, plus de 15 000 mitrailleuses, plus de 1500 canons, plus de 700 tanks et véhicules blindés, plus de 800 avions, 110 000 bombes pour avions.
Mise en avant de Staline dans le camp républicain espagnol
Ce soutien fut décisif alors que l’armée
putschiste pénètre dans Madrid et que la bataille fait rage, au
niveau de la Cité Universitaire et de son parc boisé, au nord-est
de la ville. Dans le prolongement, les unités de tanks T-26 fournis
par l’U.R.S.S. ainsi que les 132 avions utilisés dans la
contre-offensive permettent de battre l’ennemi.
La Cité Universitaire resta alors la ligne de front, jamais l’armée putschiste n’osera plus jamais attaquer Madrid pour tout le reste de la guerre d’Espagne.
Au cours de cette défense de Madrid étaient également intervenues des unités dont la renommée fut résolument glorieuse : les Brigades Internationales.
Les forces libérales de gauche et républicaines firent le choix de refuser le coup d’État, mais les masses populaires elles-mêmes prirent immédiatement l’initiative, l’UGT et la CNT déclarant une grève générale.
La carte en août-septembre 1936 : en bleu les zones sous contrôle nationaliste, avec leur progression en vert. En rouge, les zones républicaines.
A Barcelone, la CNT avait lancé la bataille pour le contrôle des arsenaux, alors que s’opposait au coup d’État les organismes policiers qu’étaient la Garde Civile et la Garde d’Assaut.
Barcelone le 19 juillet 1936
A Madrid, les masses avaient pris d’assaut la
caserne de la Montana, sous l’impulsion des Milicias
Antifascistas Obreras y Campesinas (Milices Antifascistes
Ouvrières et Paysannes) existant depuis 1934, comme organisme généré
du Parti Communiste d’Espagne.
Elles se transformèrent rapidement en cinq régiments de défense de Madrid, le cinquième étant la plus connue, en tant que Quinto Regimiento de Milicias Populares (cinquième régiment de milices populaires), intervenant avec succès contre une opération des « nationaux » pour prendre Madrid et devenant l’une des plus fameuses brigades de choc de la République.
Le Quinto Regimiento de Milicias Populares
Les situations dépendaient du rapport de force et
de la capacité de l’armée putschiste à s’organiser assez
rapidement et à faire face à la contre-offensive républicaine.
Dans de nombreux cas, les « nationaux »
s’enfermèrent dans des casernes, attendant l’arrivée hypothétique
des troupes.
Dans certains cas, le plan échouait, comme à Albacete où la Garde Civile fut écrasée le 25 juillet, alors que deux jours après à Saint-Sébastien la caserne de Loyola se rendait, et que celle de Valence était prise le 31 juillet.
Dans d’autres, c’était un triomphe, le plus
fameux pour les « nationaux » étant la défense du 19
juillet au 26 septembre de l’Alcázar de Tolède, forteresse avec des
murs de pratiquement quatre mètres d’épaisseur, rassemblant plus de
mille nationaux et leurs familles. Les « nationaux »
avaient emmagasiné de la nourriture, plus d’un million de munitions,
de l’armement, pris des otages, etc.
L’armée des « nationaux » intervint finalement in extremis, alors que la forteresse allait être prise.
La bataille de l’Alcázar de Tolède
Les cas opposés existaient aussi : la ville
de Sigüenza fut prise aux unités de la CNT, du PCE et de l’UGT,
alors que les 800 derniers combattants tenaient coûte que coûte,
regroupés dans une cathédrale.
Les principales villes restaient en tout cas républicaines. Et le 19 juillet, la communiste Dolores Ibarruri, qui sera surnommée « La Pasionaria », tint un discours fameux, du balcon du ministère de l’intérieur à Madrid, où fut prononcée l’expression « No Pasaran », «Ils ne passeront pas », qui devient le grand mot d’ordre antifasciste.
« La Pasionaria » lors de son discours à Madrid
Le régime républicain ne cédait pas et l’Espagne se vit donc coupée en deux, l’armée putschiste organisant une Junta de Defensa Nacional et organisant un second État pour administrer les zones sous son contrôle, avec notamment les villes de Pampelune, Saragosse, Oviedo, Salamaque, Avila, Ségovie, Cadiz et Séville.
Le Quinto Regimiento de Milicias Populares, force de choc de l’antifascisme à Madrid
Du côté des « nationaux », comme se
désignent les partisans du putsch, il y a également le soutien
décisif du Portugal, subissant la dictature d’António de Oliveira
Salazar. Les ports portugais vont servir d’interface pour
les soutiens matériels de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste,
qui ont joué un rôle crucial lors du putsch lui-même pour le
transport aéroporté des troupes.
L’Allemagne nazie avait reçu, en effet, une
demande d’aide de la part des « nationaux », et elle mit
en place l’Operation Feuerzauber (« Opération
Feu magique »), ce qui aboutit progressivement à la mise en
place d’une Légion Condor dont l’existence fut
niée jusqu’en 1939.
Une centaine d’avions épaulait ainsi les « nationaux », qui profitaient également de 10 000 soldats allemands, le plus souvent des cadres et des spécialistes, ainsi que de matériel (artillerie, chars, véhicules, etc.).
1808, 1936, de nouveau pour notre indépendance
Du côté italien furent envoyés au départ 3000
soldats dès décembre 1936, puis finalement pas moins de 75 000
soldats, formant des Corpo Truppe Volontarie, dont les
divisions ont des noms évocateurs : « Dio lo Vuole »
(Dieu le veut), « Fiamme Nere » (Flammes
noires), « Penne Nere » (Plumes noires),
« Littorio »… A cela s’ajoute une légion
portugaise de 12 000 hommes partie rejoindre les « nationaux »
espagnols.
Le camp des « nationaux » disposa donc
rapidement de très bons cadres militaires, à quoi s’ajoutait le
fait que l’élite de l’armée, présente au Maroc colonisé et forte
de 35 000 hommes, était entièrement avec elle.
C’est pour cette raison que Francisco Franco, à la mort accidentelle de José Sanjurjo, devint le chef du putsch : l’armée marocaine l’estimait, lui-même ayant été le chef de l’académie militaire, et ayant dirigé lui-même l’écrasement de la révolution des Asturies en 1934.
Francisco Franco et les généraux rebelles durant la guerre d’Espagne
Le putsch militaire fut à ce titre implacable,
dans la tradition anti-populaire instaurée dans les Asturies : tous
les responsables de la gauche sont assassinés, les maires comme les
fonctionnaires, ainsi que les cadres des organisations et syndicats.
L’armée est épurée elle-même durant ce processus ; les
organisations conservatrices et fascistes sont intégrées dans
l’opération.
Le massacre de la ville de Badajoz, avec 4 000 personnes massacrées, est même présenté comme exemple en cas d’opposition au coup d’État. Le régime proposé était clair et sa démarche aisément lisible et lorsque la Junta de Defensa Nacional, basée à Burgos, fit de Francisco Franco le 29 septembre 1936 le Generalísimo, il était évident aux yeux de tous que l’objectif était la prise par l’armée du pouvoir totale.
5e régiment : Citoyens, Madrid a besoin de vous pour sa défense
Du côté républicain, la situation était inverse sur le plan militaire : il n’y avait que très peu d’officiers n’ayant pas rejoint les « nationaux » ou déserté ; 1/3 du matériel militaire seulement se situe dans sa partie géographique.
C’est très clairement l’absence de cadres militaires qui fit échouer l’offensive de Cordoue, en août 1936 et la situation semblait ne pas pouvoir s’améliorer : la France et l’Angleterre, deux démocraties bourgeoises, n’intervenaient pas. La France ferma même ses frontières le 8 août. Une réunion internationale à Londres, le 9 septembre 1936, vit cette position soutenue par 23 pays.
Seulement deux pays s’engagent à soutenir la République : le Mexique et l’U.R.S.S., pays se situant tous deux loin géographiquement mais leur intervention fut un élément décisif, alors que se profilait la première bataille générale : celle pour Madrid.
Madrid sera la tombe du fascisme
L’armée putschiste contrôlait une partie du nord-ouest et la pointe au sud, ainsi que le nord du Maroc. Il lui fallait contrôler sur toute la frontière avec le Portugal, pays l’appuyant, et surtout tenter de prendre Madrid le plus rapidement possible.
La libération des 30 000 prisonniers politiques par le Front populaire et l’instauration d’un gouvernement de centre-gauche soutenue par la gauche apparaît immédiatement comme une tendance terrible pour les forces conservatrices, car montrant le Front populaire capable d’une grande stabilité de par sa conquête du centre et d’un grand élan de par le renforcement de la gauche révolutionnaire.
Affiche du Parti Communiste d’Espagne en faveur du vote pour le Front populaire pour favoriser l’amnistie effectivement réalisée ensuite
Initialement, la République apparaissait comme une sorte de tampon entre les forces conservatrices et progressistes ; dans ses deux premières années, la répression républicaine avait fait à gauche 400 morts, 3.000 blessés, 9.000 arrêtés, 160 déportés, 160 saisies de journaux ouvriers (et 4 de journaux d’extrême-droite).
Le Front populaire apparaissait comme un changement dans le précaire équilibre, d’autant plus que cela succédait à la tentative échouée de l’extrême-droite de faire pencher la balance dans l’autre sens.
Des mouvements de masse s’exprimèrent d’ailleurs
immédiatement et l’agitation gagna les campagnes. Apparut alors
une atmosphère de guerre civile, avec des affrontements armés très
brutaux : pour saisir cette tension régnante, il faut saisir
que les forces conservatrices possédaient, en effet, deux factions
de plus, pratiquant une ligne agressive de provocations et
d’affrontements.
Dès les années de gouvernement de droite, ces
deux factions menaient une vaste agitation pour apparaître comme la
seule vraie alternative ; avec la victoire du Front populaire, à
la pression des forces conservatrices s’ajoutaient l’intervention de
ces deux factions cherchant à provoquer le chaos et à polariser.
Tout d’abord, il y a la Falange Española – phalange espagnole – fondée en 1933 par José Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur Miguel Primo de Rivera, ainsi que par Julio Ruiz de Aida, aviateur qui avec un frère de Francisco Franco pilota le vol transatlantique de l’hydravion Plus Ultra.
José Antonio Primo de Rivera, en 1934
Son modèle est l’Italie fasciste et son objectif
la formation de troupes de choc – les chemises bleues – pour
un coup de force ; électoralement elle ne dépassa pas les
0,7 % et les 15000 membres.
Toutefois, les phalangistes étaient capables de
mener des opérations, leur ligne étant immédiatement pratique et
se construisant dans l’offensive anti-communiste. José Antonio Primo
de Rivera résumera son option en disant, de manière typique dans la
démagogie nationale et sociale :
« Quand on outrage la Justice et la Patrie, la
seule dialectique qui vaille est celle des poings et des pistolets. »
L’arrière-plan idéologique consiste en une sorte
de traditionalisme révolutionnaire, dans une veine romantique
célébrant un passé idéalisé. José Antonio Primo de Rivera
formule cela notamment ainsi :
« Rendre aux hommes l’ancienne saveur de la règle
et du pain ; voilà la tâche de notre temps.
Leur faire voir que la règle vaut plus que le
déchaînement ; que même pour se déchaîner parfois il faut
être sûr de pouvoir revenir à un point d’attache fixe.
Et d’autre part, dans le domaine économique faire que
l’homme remette les pieds sur la terre, le lier d’une manière
plus profonde à ses choses : au foyer où il vit et à l’œuvre
quotidienne de ses mains.
Conçoit-on une forme plus féroce d’existence que
celle du prolétaire qui vit peut-être pendant quatre lustres en
fabriquant la même vis dans le même atelier immense sans jamais
voir complet l’objet dont va faire partie cette vis et sans être
lié à l’usine par autre chose que par la froideur inhumaine de la
feuille de paye ?
Toutes les jeunesses conscientes de leur responsabilité
s’efforcent de redresser le monde (…).
Tout ceux qui comme nous sont venus au monde après des
catastrophes comme celle de la Grande guerre et comme la crise, et
après des événements comme la dictature et la République
espagnole, sentent, ce qui est latent en Espagne, le besoin dont
chaque jour réclame avec plus d’insistance la réalisation au
grand jour – et je le soutins ici l’autre nuit – d’une
révolution.
Cette révolution a deux veines : la veine d’une
justice sociale profonde et qu’il n’y a pas d’autre remède que
d’implanter et la veine d’un sentiment traditionnel profond,
d’une moelle traditionnelle espagnole qui peut-être ne réside pas
où beaucoup de gens le pensent et qu’il faut à tout prix
rajeunir. »
José Antonio Primo de Rivera
José Antonio Primo de Rivera prône un mouvement anti-mouvement, un mouvement révolutionnaire contre-révolutionnaire, une ligne matérielle anti-matérielle :
« Ce mouvement présent n’est pas un parti, mais plutôt un anti-parti, un mouvement, nous le proclamons, qui n’est ni de droite, ni de gauche.
La droite, au fond, aspire à maintenir une organisation
économique qui s’est montrée incapable et la gauche a anéantir une
organisation économique, détruisant dans ce bouleversement les
réalisations bonnes qui auraient pu être maintenues.
D’un côté comme de l’autre, ces idées sont appuyées
par des considérations spirituelles.
Tous ceux qui nous écoutent de bonne foi savent que ces
considérations spirituelles ont leur place dans notre mouvement,
mais que pour rien au monde, nous ne lierons notre destinée à un
groupe politique ou une classe sociale se rangeant sous la
dénomination arbitraire de droite ou de gauche.
La Patrie est
un tout comprenant tous les individus de quelque classe sociale que
ce soit. La patrie est une synthèse transcendantale, une synthèse
indissoluble devant atteindre des buts qui lui sont propres. Nous,
que cherchons-nous ? Que le mouvement présent et le Gouvernement
qu’il créera soit un instrument ayant une autorité agissante au
service de cette unité constante, de cette unité irrévocable qui
s’appelle «La Patrie». »
A ce titre, le mouvement se veut ouvertement
idéaliste et romantique, voire franchement poétique :
« Je crois que le drapeau est brandi. Nous allons
le défendre joyeusement, poétiquement.
Certains estiment que pour s’opposer à la marche d’une
révolution, il faut, pour grouper les volontés contraires, proposer
des solutions mitigées et dissimuler dans sa propagande, tout ce qui
pourrait éveiller un enthousiasme, éviter toute position énergique
et absolue.
Quelle erreur ! Les peuples n’ont jamais été plus
remués que par les poètes et malheur à celui qui ne saura opposer
une poésie créatrice à une poésie dévastatrice.
Pour
notre idéal, soulevons ces aspirations de l’Espagne,
sacrifions-nous, renonçons-nous, et nous triompherons, le triomphe
(en toute franchise) nous ne pourrons l’obtenir aux prochaines
élections. Aux prochaines élections votez pour celui qui vous
paraîtra le moins mauvais.
Notre Espagne ne sortira pas de ces élections. Notre
place n’est pas là dans cette atmosphère trouble, lourde, comme
celle d’un bordel, d’une taverne après une nuit crapuleuse Je
crois que je suis candidat, mais sans foi, ni respect; je l’affirme
dès maintenant, au risque de détourner de moi les électeurs.
Cela m’est égal. Nous n’allons pas disputer aux
familiers les restes de ces banquets pourris; notre place est au
dehors, bien que provisoirement nous puissions y assister.
Notre place est à l’air libre, sous la nuit claire,
l’arme au bras, sous les étoiles. Que les autres continuent leur
festin.
Nous resterons dehors, sentinelles fermes et vigilantes,
pressentant l’aurore dans l’allégresse de nos cœurs. »
L’hymne de la phalange, Cara al sol, qui
devint l’hymne du régime franquiste lui-même, correspond
entièrement à ce romantisme :
Cara al sol con la camisa nueva (Face au soleil avec ma
nouvelle chemise) que tú bordaste en rojo ayer, (que tu brodas de
rouge hier,) me hallará la muerte si me lleva (Si la mort me
cherche elle me trouvera) y no te vuelvo a ver. (et je ne te
reverrai plus jamais.)
Formaré junto a mis compañeros (Je
serai aux côtés des camarades) que hacen guardia sobre los
luceros, (qui montent la garde sur les étoiles,) impasible el
ademán, (l’attitude impassible) y están presentes en nuestro
afán. (et qui sont, présents dans notre effort.)
Si te dicen
que caí, (Si on te dit que je suis tombé,) me fuí al puesto que
tengo allí. (c’est que je m’en serai allé au poste qui m’attend
dans l’au-delà.)
Volverán banderas victoriosas (Ils
reviendront victorieux, les drapeaux) al paso alegre de la paz (au
pas allègre de la paix,) y traerán prendidas cinco rosas: (et
cinq roses seront attachées) las flechas de mi haz. (Aux flèches
de mon faisceau.)
Volverá a reír la primavera, (Il rira de
nouveau le printemps,) que por cielo, tierra y mar se espera. (que
les cieux, la terre, la mer espèrent.)
Arriba escuadras a
vencer (Debout, légions, courez à la victoire,) que en España
empieza a amanecer. (qu’une aube nouvelle se lève sur l’Espagne.)
La conclusion de l’hymne se faisait bras tendu,
aux cris successifs de España! ¡Una! (Espagne !
Une !), ¡España! ¡Grande! (Espagne !
Grande !), ¡España! ¡Libre! (Espagne !
Libre !), ¡Arriba España! (Debout
l’Espagne !).
Ensuite, il y a la Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista – Union d’Offensive National-Syndicaliste –, formée en 1931 par Ramiro Ledesma Ramos, qui vise la formation d’une organisation de masse, une sorte de CNT nationaliste, sur la base d’une idéologie national-révolutionnaire.
José Antonio Primo de Rivera et Ramiro Ledesma Ramos
Ramiro Ledesma Ramos, maîtrisant bien la langue
allemande, est pétri de philosophie idéaliste allemand, de Johann
Gottlieb Fichte à Friedrich Nietzsche, et profondément marqué
par Oswald Spengler et sa théorie conservatrice
révolutionnaire du déclin de l’occident. C’est un véritable
intellectuel, qui tente de théoriser une voie propre au fascisme
espagnol.
C’est le sens de sa conception du
national-syndicalisme, permettant l’établissement d’une société à
la fois hiérarchique et égalitaire car corporatiste, pavant la voie
à une nouvelle dimension impériale pour l’Espagne, conformément
aux exigences d’une époque qu’il voit comme renversant partout les
valeurs du libéralisme.
Dans son ouvrage La conquête de l’Etat,
Ramiro Ledesma Ramos résume notamment sa ligne idéologique en
deux points :
« Nos griffes espagnoles – symboles d’Empire – serreront le rapace capitalisme étranger. »
« Face aux libéraux nous sommes actuels. Face aux intellectuels nous sommes impériaux. Vivent les valeurs espagnoles ! »
Si la ligne de José Antonio Primo de Rivera est
celle de la formation d’une organisation de cadres fascistes en
faveur du coup de force, Ramiro Ledesma Ramos est lui un adepte
de la « mobilisation totale » telle que conceptualisée
historiquement dans les milieux « nationaux-bolcheviks ».
Ramiro Ledesma Ramos est un adepte de la
militarisation de masse, en tant que mouvement fasciste :
« La jeunesse espagnole actuelle a devant elle une
étape comparable à celle qu’ont traversée tous les peuples et
toutes les races au commencement de leur expansion et de leur
croissance. Une étape également comparable à celle de tous ceux
qui se savent prisonniers, cernés et entourés d’ennemis.
La première chose à faire en pareil cas est la suivante
et seulement la suivante : IL FAUT ÊTRE DES SOLDATS.
La jeunesse d’Espagne se trouve maintenant devant ce
très exigeant dilemme : ou se militariser ou périr. Il est
impossible de l’ignorer. »
Les deux organisations fusionnent historiquement en 1934, avec comme mots d’ordre « Arriba Espana ! Espana Una Grande y Libre ! », « Por la Patria, el Pan y la Justicia ! » ; leur symbole consistant en un drapeau reprenant les couleurs anarchistes (le rouge et le noir), à quoi sont associés le faisceau de cinq flèches et un joug, blasons respectifs d’Isabelle Ire de Castille et de Ferdinand V d’Aragon.
Affiche de l’extrême-droite espagnole
José Antonio Primo de Rivera en devient le
dirigeant, Ramiro Ledesma Ramos en est le théoricien, qui a
d’ailleurs la carte numéro 1 de par l’antériorité de son
mouvement. Les tensions apparaissent cependant rapidement, Ramiro
Ledesma Ramos regrettant le manque d’interventionnisme social
alors qu’il y a la révolution dans les Asturies ; il est alors
exclu.
José Antonio Primo de Rivera tente alors, sans
succès, de rejoindre le « bloc national » formé par la
CEDA, ainsi que les monarchistes de Rénovation espagnole et
de la Communion traditionalistes, avec également les
agrariens, les radicaux et les républicains conservateurs.
Finalement, dans un contexte d’affrontements en
1936 – la ligne des phalangistes étant de chercher
systématiquement la confrontation – il est procédé à
l’arrestation de José Antonio Primo de Rivera, puis de Ramiro
Ledesma Ramos ; ce dernier tenta d’arracher son arme à des
policiers et fut tué dans l’action, José Antonio Primo de Rivera
est plus tard fusillé.
Dans ce contexte d’interventions armées, José Castillo, membre du PSOE et lieutenant de la Garde d’Assaut – un corps policier particulièrement pro-républicain – est exécuté par un commando phalangiste, le 12 juillet 1936. En réponse, José Calvo Sotelo, monarchiste et principal dirigeant de la faction ultra des forces conservatrices, est exécuté par un commando de la Garde d’Assaut et des Jeunesses Socialistes.
Cela est pris comme prétexte pour une partie de l’armée qui avait déjà organisé un vaste plan pour un coup d’État. Le nouveau gouvernement de Front populaire avait compris cette menace et déplacé les généraux présentant une menace : Francisco Franco fut envoyé aux îles Canaries, Manuel Goded aux îles Baléares, Emilio Mola à Pampelune.
Francisco Franco en 1930
Cela n’empêche pas la conjuration militaire, et à
la suite de l’exécution de José Calvo Sotelo, le
multi-millionnaire Juan March finança un avion pour que le général
Franco, jusque-là encore attentiste, puisse aller au Maroc, prend le
contrôle des troupes et organise un putsch militaire le 17 juillet,
avec un écho immédiat en Espagne.
Sur 170 000 soldats, 83 000 rejoignent le coup
d’État, ainsi que 50% des généraux, 30% des colonels et
lieutenants-colonels et 80% des jeunes officiers capitaines et
lieutenants, galvanisés tant par le nationalisme des forces
conservatrices que les appels fascistes des phalangistes à une
insurrection généralisée pour régénérer le pays.
Le premier ministre Santiago Casares Quiroga, de
la Gauche Républicaine, démissionna alors, incapable de faire face
à l’événement. Il fut remplacé par Diego Martínez Barrio de
l’Union Républicaine, qui échoua à négocier et fut remplacé au
bout de quelques heures.
Arriva alors José Giral, de la Gauche Républicaine, partisan de faire bloc avec toute la gauche pour contrer le coup d’État et donc d’armer les organisations de celle-ci. C’était le début de la guerre civile.
Lorsque diverses affaires ébranlèrent le
gouvernement en 1936, notamment une affaire de roulette truquée
(le Straperlo) soutenue par le ministre de l’intérieur,
le président préfère dissoudre l’assemblée que nommer le
dirigeant de la CEDA, José María Gil-Robles, comme premier
ministre. Un tel triomphe de la CEDA aurait amené une atmosphère de
guerre civile et seules des élections pouvaient vérifier quel était
le rapport de force.
Or, la situation était particulièrement
tranchée, tant depuis la répression massive suivant la révolution
des Asturies en Espagne qu’avec l’exemple terrible
du national-socialisme allemand. Par conséquent, la gauche fit
en sorte de s’unir, au sein d’un Front populaire.
On retrouve ainsi, dans cette alliance, des forces
républicaines plus ou moins libérales, avec Manuel Azaña et
la Izquierda Republicana (Gauche Républicaine),
le Partido Republicano Democrático Federal (Parti
Républicain Démocrate Fédéral), la Unión
Republicana (Union Républicaine).
Ce sont eux qui en sont le noyau dur, avec le PSOE ; ils déterminent le programme du pacte – programme de Front populaire, établi à la mi-janvier 1936.
Le symbole du Front populaire
On y trouve ainsi la libération des prisonniers
politiques arrêtés après novembre 1933, la réintégration des
fonctionnaires suspendus ou licenciés pour des raisons politiques,
la révision de la loi sur l’ordre public, des enquêtes sur les
violences policières.
Sur le plan économique, le programme soutenait
les petites entreprises et comptait étendre les interventions de
l’État dans les travaux publics, ainsi qu’instaurer un nouveau
système d’impôts.
Le programme du Front populaire était, de fait, une actualité incontournable. Il s’agissait de faire avancer de nouveau la révolution bourgeoise démocratique, en s’opposant frontalement aux forces féodales.
Cela ne semblait pas « révolutionnaire »
en apparence du point de vue marxiste ou anarchiste, mais c’était
incontournable historiquement : les marxistes le savaient, les
anarchistes le sentaient.
Pour cette raison, soutiennent de l’intérieur ce
pacte, en étant seulement pour ainsi dire « présents »
ou témoins, le PCE, la Fédération Nationale
des Jeunesses Socialistes, l’UGT, le Parti
Syndicaliste.
Appuie cette alliance un regroupement du même
type, le Front d’Esquerres de Catalunya (Front des
Gauches de Catalogne), avec dix organisations de la gauche catalane,
la principale étant la Esquerra Republicana de
Catalunya (Gauche Républicaine de Catalogne).
Appuie également cette alliance la CNT,
qui pour la première fois ne mène pas campagne pour le boycott des
élections. La CNT se retrouvait piégée : elle était
anti-politique et anti-parlementaire, se considérait comme la seule
organisation possible des masses, mais elle devait composer avec la
réalité.
Les élections de février et mai 1936 montrèrent la polarisation de la société espagnole. Le Front populaire obtint 3,75 millions de voix, le Front de la gauche catalane 700 000 voix, ce qui donnait un total de 4,451 millions de voix, contre 4,375 millions de voix aux forces conservatrices.
Le centre, de son côté, s’effondrait, avec 333
000 voix.
En raison cependant du système électoral donnant
une prime au gagnant – 80 % des sièges dès qu’on dépasse
50 %, le reste allant aux autres partis – le Front populaire
obtint 285 sièges, les forces conservatrices 131, le centre 57.
Le PSOE avait ainsi 99 sièges, la Gauche Républicaine 87, l’Union Républicaine 37, la Gauche Républicaine de Catalogne 21, le PCE 17.
L’Espagne vote pour les gauches
Le gouvernement, toutefois, ne fut composé que de
l’Izquierda Republicana (Gauche Républicaine) et de l’Unión
Republicana (Union républicaine), même le PSOE n’y participa pas.
En juin, Manuel Azaña, seul candidat, fut élu président par les
élus, selon le même principe : la gauche soutenait les
républicains, les libéraux-progressistes, mais son programme était
bien différent.
Cette dépendance du gouvernement vis-à-vis de la gauche et les grandes mobilisations de masse qui suivirent la victoire conférèrent un caractère explosif à la situation.
La « révolution des Asturies » marqua
très profondément les masses populaires espagnoles et posa un lourd
problème à la CNT. La CNT avait, en effet, participé comme
observateur à la réunion secrète à Saint-Sébastien qui avait mis
en place le principe de renversement du régime.
Si elle avait soutenu indirectement l’initiative, elle avait par contre ouvertement appelé à l’abstention aux élections de 1933, contribuant clairement à la victoire électorale des forces conservatrices, qui avaient mené une répression importante, notamment contre la CNT.
Appel à l’abstention de la CNT aux élections de 1933 : hommes libres, ne votez pas !
L’union générale populaire aux Asturies
contrariait également la ligne de la CNT qui était de se poser
comme seule organisation générale des masses. Une rectification
semblait alors clairement nécessaire, la CNT ne pouvant plus faire
cavalier seul.
La question républicaine heurtait, en fait, de
plein fouet la nature même de la CNT. L’objectif de la CNT était de
parvenir à combiner la revendication sociale et une organisation
immédiatement conforme au projet de société appelé
« communisme libertaire », consistant en un collectivisme
décentralisé et fédéraliste.
La CNT est donc plus qu’un syndicat, du moins à
ses propres yeux : elle est la structure organisationnelle de la
société future, présente dès aujourd’hui. Elle a d’autant plus
cette considération qu’elle est née en Catalogne, région la plus
industrialisée du pays, et que son essor semble inexorable.
Née en 1910, en tant que syndicat appelé Solidaridad Obrera (« Solidarité Ouvrière ») avec un noyau dur de 26 571 personnes dès le départ, l’organisation devient, à son congrès de 1911 la Confederación Nacional del Trabajo, Confédération Nationale du Travail, membre de l’AIT (association internationale des travailleurs, regroupant des structures anarcho-syndicalistes).
Solidaridad Obrera devient la Confederación Nacional del Trabajo
Appelant immédiatement à la grève générale,
ce qui lui vaut une interdiction jusqu’en 1914, cela ne
l’empêche pas d’organiser une grève générale avec l’UGT en
1917. Au congrès de Madrid, en 1919, la CNT dispose de 705 512
adhérents, dont 424 578 en Catalogne.
Cela lui permet de traverser avec succès les
années de plomb allant de 1919 à 1923, où aux pistoleros exécutant
des dirigeants, notamment de la CNT, répondent des actions armées
anarchistes. La dictature établie en 1923 paralyse cependant
profondément la CNT, qui a fait le choix de l’anarchisme dans une
approche uniquement syndicaliste et rejette par conséquent la
politique.
L’illégalité nuit profondément à
l’organisation et l’instauration de la Seconde République ne fit que
prolonger la crise, qui s’exprime par un conflit entre deux tendances
proposant des solutions différentes.
La première, celle qui prédomine, s’appuie sur
une minorité ayant formé une structure semi-clandestine à
l’intérieur de la CNT, la Federación Anarquista
Ibérica (FAI), qui prit ce nom afin d’être organisée
tant en Espagne qu’au Portugal.
La FAI entendait donner à la CNT un tournant politique, sur une base strictement anarchiste cependant, c’est-à-dire rompant avec le syndicalisme économique et social pour une ligne ouvertement insurrectionnelle, fondé sur l’action directe.
Tierra y Libertad (Terre et liberté), organe de la FAI à Barcelone. Ici en 1934 : La question n’est pas gouvernement de droite ou gouvernement de gauche, mais république bourgeoise ou communisme libertaire.
La CNT tenta alors plusieurs fois de lancer un
processus insurrectionnel, comme en janvier 1932, en janvier et en
décembre 1933, avec à chaque fois de très violents échecs.
Cela est prétexte à une critique virulente, menée de la part de militants souvent plus âgés et ayant exercé de lourdes responsabilités dans la CNT.
Organisés autour d’Ángel Pestaña et de Joan Peiró, et ayant été notamment responsables du journal de la CNT, Solidaridad Obrera, un groupe de trente personnes signent un manifeste, en août 1931, appelant à une participation à la vie sociale générale, afin de s’imposer au fur et à mesure comme la principale force, également à travers les revendications minimales.
Durant la dictature, Ángel Pestaña appelait
déjà à participer aux élections des comités paritaires afin de
parvenir à exister légalement, cette ligne fut qualifiée de
« possibiliste ».
La ligne des « trentistes »
renouvelait simplement cette approche, considérant que le nouveau
régime n’était pas encore considéré par les masses comme
entièrement pourri, que la crise économique était extrême, la
situation précaire, qu’il ne fallait donc pas avoir une conception
abstraite de la révolution, attaquant très violemment la FAI pour
ses initiatives insurrectionnelles utilisant pratiquement la CNT
comme levier.
On lit dans le manifeste :
« La confédération est une organisation
révolutionnaire, pas une organisation qui cultive le spectacle, la
mutinerie, qui utilise la violence pour la violence, la révolution
pour la révolution.
C’est pourquoi nous nous adressons à tous les militants.
Nous leur rappelons que la situation est sérieuse est que chacun
porte la responsabilité de ses actions et de ses lacunes.
Quand on participe aujourd’hui, demain ou après-demain à
des mouvements révolutionnaires, on ne doit pas oublier qu’on a une
responsabilité par rapport à la C.N.T. ; une organisation, qui
a le droit de se contrôler elle-même, de surveiller ses propres
activités, d’agir de sa propre initiative et selon sa propre
volonté.
La confédération décide, quand et sous quelles
conditions elle agit. Elle les personnes et les moyens pour imposer
ce qu’elle doit faire. »
Une tension extrême existait donc entre une
minorité agissante, prônant l’insurrection, et une autre minorité
s’affirmant comme démocratique à la base et ouverte aux
revendications mêmes minimales.
Le conflit s’exprima ouvertement dès la fin de la dictature : les « trentistes » furent expulsés, Ángel Pestaña fonda en 1932 un Parti Syndicaliste.
Affiche du Parti Syndicaliste
La question au sein de la CNT restait pourtant irrésolue dans la première partie des années 1930 : fallait-il mener une ligne à la fois contre les conservateurs et la gauche, ou bien considérer les conservateurs comme la priorité ? La CNT sera alors amené très vite à devoir faire ses choix.
Le maintien de la féodalité permit aux forces conservatrices de maintenir leur existence et de se restructurer. Elles se fédérèrent rapidement après leur défaite de 1931 et dès 1933 exista une Confederación Española de Derechas Autónomas (Confédération Espagnole des Droites Autonomes – CEDA), rassemblant de multiples courants et disposant également d’une Juventudes de Acción Popular, section de jeunesse pratiquant le combat de rue.
Meeting de la CEDA en 1935
L’impact fut tel que les élections parlementaires
de 1933 – les premières où les femmes pouvaient également voter
– furent une défaite terrible pour le gouvernement. La gauche
obtint un peu plus de 3,1 millions de voix, les conservateurs un peu
plus de 3,3 millions de voix, les centristes un peu plus de 2
millions de voix.
En apparence, on avait un équilibre relatif, mais avec le système électoral, cela donna 115 sièges pour la CEDA, contre 59 seulement pour le PSOE.
Affiche de la CEDA
Le Parti Républicain Radical, de son côté, obtenait 102 sièges, le Parti Agraire Espagnol 30 sièges, le Parti Républicain Conservateur 17 sièges.
L’Action Républicaine du premier ministre n’obtenait que 5 sièges, le Parti Communiste d’Espagne quant à lui disposait de son premier député.
José Díaz, dirigeant communiste, à Séville
Les forces catalanes restaient puissantes : la Lliga Regionalista (Ligue Régionaliste) avait 24 sièges, la Gauche Républicaine de Catalogne 17 sièges.
Le nouveau gouvernement fut alors dirigé par le
Parti Républicain Radical, en alliance avec la CEDA, qui
bloqua alors toutes les réformes. Les masses réagirent par des
grèves : 1127 en 1933, avec plus de 843 000 grévistes, 594 en
1934, avec plus de 741 000 grévistes.
L’année 1934 fut notamment marquée par l’entrée
au gouvernement de ministres de la CEDA en octobre 1934, ce qui
provoqua immédiatement une réaction importante dans les masses, de
manière unanime, notamment avec le PSOE ayant renoué avec une ligne
de gauche par l’intermédiaire de Francisco Largo Caballero.
Des grèves eurent lieu dans les grandes villes
(Barcelone, Madrid, Valence, Oviedo, Séville, Cordoue) ; avec
des affrontements meurtriers dans tout le pays. Il était
considéré qu’il y avait, avec la CEDA au pouvoir, clairement le
risque d’une vague réactionaire généralisée.
Le fait le plus marquant fut la vaste insurrection
des Asturies, au nord de l’Espagne, produite par l’unité à la base
de la CNT (au niveau local) et de l’UGT, du PSOE et du PCE. Voici le
document commun des deux syndicats en mars 1934, donnant naissance à
un pacte :
« Les organisations soussignées U.G.T. et C.N.T.
conviennent entre elles de reconnaître que, face à la situation
économique et politique du régime bourgeois d’Espagne, l’action
unitaire de tous les secteurs ouvriers s’impose avec l’objet exclusif
de promouvoir et de mener à bien la révolution sociale.
A telle fin chaque organisation signataire s’engage à
accomplir les termes de l’engagement fixés ainsi dans ledit pacte :
1) Les organisations signataires de ce pacte
travailleront d’un commun accord jusqu’au triomphe de la révolution
sociale en Espagne et la réussite de la conquête du pouvoir
politique et économique pour la classe travailleuse, dont la la
réalisation concrète immédiate sera la République Socialiste
Fédérale.
2) Pour parvenir à cette fin, on constituera à Oviedo
un Comité exécutif représentant toutes les organisations ayant
adhéré au dit pacte, qui agira en accord avec un autre de type
national et d’un caractère identique répondant aux nécessités de
Faction générale à développer dans toute l’Espagne.
3) Comme conséquence logique des conditions 1) et 2) du
dit pacte, il est entendu que la constitution du Comité national est
une prémisse indispensable (au cas où les événements se déroulent
normalement) pour entreprendre toute action en relation avec
l’objectif de ce pacte, pour autant que ce pacte s’efforce et
prétende à la réalisation d’un fait national. Ce futur Comité
national sera le seul habilité à pouvoir ordonner au Comité qui
s’installera à Oviedo les opérations à entreprendre en relation
avec le mouvement qui éclatera dans toute l’Espagne.
4) Dans chaque localité des Asturies sera constitué un
Comité qui devra être composé par des délégations de chacune des
organisations signataires de ce pacte et par celles qui, apportant
leur adhésion, seront admises dans le Comité exécutif.
5) A partir de la date de signature de ce pacte cesseront
toutes les campagnes de propagande qui pourraient gêner ou aigrir
les relations entre les diverses parties alliées, sans pour cela
signifier l’abandon du travail serein et raisonnable entrepris au
compte des diverses doctrines préconisées par les secteurs qui
composent l’Alliance ouvrière révolutionnaire, et conservant, à
telle fin, leur indépendance organique.
6) Le Comité exécutif élaborera un plan d’action qui,
moyennant l’effort révolutionnaire du prolétariat, assurera le
triomphe de la révolution dans ses différents aspects, et sa
consolidation selon les normes d’une convention à établir
préalablement.
7) Deviendront des clauses additionnelles au présent
pacte tous les accords du Comité exécutif, dont l’observance est
obligatoire pour toutes les organisations représentées, ces accords
étant de rigueur tant durant la période préparatoire de la
révolution qu’après le triomphe, étant bien entendu que les
résolutions du dit Comité s’inspireront du contenu du pacte.
8) L’engagement contracté par les organisations
soussignées cessera au moment où la République Socialiste Fédérale
aura constitué ses propres organes, élus librement par la classe
travailleuse et par le procédé qui a régi l’œuvre révolutionnaire
découlant du présent pacte.
9) Considérant que ce pacte constitue un accord des
organisations de la classe ouvrière pour coordonner leur action
contre le régime bourgeois et l’abolir, les organisations qui
auraient une relation organique avec des partis bourgeois les
rompront automatiquement pour se consacrer exclusivement à parvenir
aux fins que détermine le présent pacte.
10) De cette Alliance révolutionnaire fait partie, pour
être préalablement en accord avec le contenu de ce pacte, la
Fédération socialiste asturienne.
Asturies, 28 mars 1934 »
Cela permit une action d’une grande efficacité
début octobre, en tant qu’alliance UHP (Uníos
Hermanos Proletarios – Unissez-vous, frères
prolétaires), alors que des ministres CEDA étaient intégrés
au gouvernement.
Des milices populaires furent formées par les
mineurs, aboutissant à une armée rouge de 30 000 personnes et 50
000 autres mobilisées, alors qu’une vingtaine de casernes de la
garde civile furent prises d’assaut, avec une prise ce contrôle des
centrales électriques, des ateliers de métallurgie, etc. et enfin
de points importants de la ville d’Oviedo, sans parvenir toutefois à
prendre la principale caserne militaire.
Il s’ensuivit treize jours d’affrontements avec
l’Armée dirigée par le général Franco, notamment au moyen de
troupes coloniales marocaines pratiquant le pillage et la viol ;
la défaite coûta la vie à au moins 2000 révolutionnaires, au
moins 7000 étant blessés et 30 000 emprisonnés, alors que le PCE
apparut comme l’organisation la plus combative et le plus décidée.
Le gouvernement interdit de nombreux journaux de la gauche, suspendant des centaines de municipalités, et la torture fut utilisée systématiquement.
La seconde république était portée par un arc
allant du PSOE à la droite libérale, en étant soutenue au moins
indirectement par les révolutionnaires communistes et anarchistes.
Cela suffisait pour abattre la monarchie ayant échoué dans son
programme de corporatisme avec Miguel Primo de Rivera, mais
les défis restaient de taille.
Pour ce faire, le régime était monocaméral : l’assemblée élue permettait la formation d’un gouvernement capable de prendre des décisions fortes, avec un président servant de « soupape de sécurité » en pouvant procéder, deux fois, à la dissolution de l’assemblée.
Le régime escomptait donc faire avancer les réformes, à petits pas, mais de manière certaine et cela nécessitait l’affrontement avec l’Église, avec la question de l’éducation comme aspect principal.
La bourgeoisie devait, en effet, former de
nouveaux esprits, adaptés aux nouvelles formes idéologiques et
culturelles. Il y avait cependant le souci de l’analphabétisme,
touchant entre 30 et 40 % de la population. Le gouvernement y
répondit par la création de 7000 nouvelles écoles, de 7000 postes
d’instituteurs, augmentant de 20 à 40 % les salaires de ces
derniers, puis de 13 000 écoles en 1932.
Mais de l’autre côté, il existait un obstacle,
bien plus difficile à surmonter, qui était le poids de l’Église
catholique. 400 000 élèves étaient éduqués par des congrégations
religieuses et une interdiction ne suffisait pas si la Seconde
République n’était pas en mesure de les intégrer.
L’interdiction en elle-même était difficile à mettre en place : en 1930, il y avait un religieux pour 493 personnes, c’est-à-dire une véritable armée de 31 000 prêtres, 20 000 moines, 60 000 religieuses, 5000 couvents.
Il fallait donc abattre l’Église comme
institution éducative, pour que la Seconde République puisse
s’établir fermement. Le président du conseil Manuel Azaña expliqua
dès 1931 au parlement que « L’Espagne a cessé d’être
catholique ».
De fait, le 11 mai 1931, un vaste mouvement de
manifestations dans plusieurs villes culmina dans des attaques contre
des églises auxquelles sont mises le feu, alors que le journal
conservateur A.B.C. est assiégé ; dans la
foulée les journaux A.B.C. et El
Debate sont interdits, le cardinal Segura expulsé, alors
que Manuel Azaña refuse longtemps de faire intervenir la police,
disant : « je préfère voir détruire toutes les
églises plutôt que risquer la vie d’un seul républicain ».
C’est une affirmation politique très claire de la séparation de l’Église et de l’État, avec l’arrêt de la subvention du culte catholique par le régime et même l’interdiction des jésuites. Cependant, cela fait de l’Église un ennemi ouvert du régime.
Un autre ennemi consiste en l’Armée, que le
régime tenta de réformer, annulant les promotions pour faits de
guerre durant la dictature, fermant l’Academia General
Militar dirigée par Fancisco Franco. L’armée restait
cependant de type féodal-monopoliste : si elle n’avait que 100
000 hommes, elle disposait de 17 000 officiers et de plusieurs
centaines de généraux.
10 000 officiers hostiles au régime acceptèrent
de partir en conservant leurs soldes, mais ceux qui restèrent
n’étaient pas fidèles au régime pour autant : dès août 1932
le le général José Sanjurjo tenta de renverser le
gouvernement par la force, dans ce qui sera appelé la Sanjurjada.
Sanjurjo avait, en tant que gouverneur de
Saragosse, soutenu le pronunciamento de Miguel Primo de Rivera, pour
soutenir la république en 1931 alors qu’il était depuis 1928 chef
de la Guardia Civil (l’équivalent de la gendarmerie).
A l’échec de son coup de force, il fut condamné
à mort, sa peine étant commuée en prison à vie ; il est
finalement exilé en 1934. Par la suite, c’est lui qui aurait
dû diriger la guerre d’Espagne du côté nationaliste, à la
place de Francisco Franco, s’il n’était pas décédé lors d’un
accident d’avion en juillet 1936.
Le régime ne pouvait donc pas compter sur une armée fidèle – rendant tout à fait juste l’analyse faite par Friedrich Engels, cinquante années auparavant.
Le troisième élément posant souci, à côté de
l’Église catholique et de l’Armée, était la question agraire.
L’Espagne avait alors 24,6 millions d’habitants, avec 2 millions de
paysans sans terre et 20 000 grands propriétaires terriens possédant
la moitié des terres.
En septembre 1932 fut créé un Institut de
réforme agraire, mais sans réels moyens d’agir, alors qu’il
devait procéder à l’inventaire des terres des grands propriétaires
pour leur confisquer leurs biens. Des expropriations partielles ou
totales, indemnisées, devaient également être menées afin de
démanteler la féodalité agricole.
En pratique, quasiment rien ne fut fait et la réforme agraire resta lettre morte. A la fin de 1933, seulement 4 339 paysans avaient reçus un total de 24 203 hectares. En 1934, les chiffes étaient de 12 260 paysans ayant reçu 116 937 hectares.
Densité de la population en habitants au kilomètre carré
Enfin, un quatrième aspect vient s’ajouter.
L’Espagne, de par sa base féodale encore présente au début du XXe
siècle, n’avait pas réalisé son unification nationale. Des
nationalités purent par conséquent se développer au sein même de
l’Espagne, à partir du moment où il existait une bourgeoisie pour
lui donner naissance.
Cela était surtout vrai pour la Catalogne, mais
également en partie vrai pour le Pays basque ainsi que la Galice. De
fait, en 1931, le dirigeant indépendantiste Francesc Macià proclama
l’indépendance de la Catalogne au sein d’une « République
fédérale ibérique », étant donné que les résultats
électoraux étaient écrasants en faveur de cette direction.
La seconde république accorda alors une vaste
autonomie à la Catalogne, sauf sur le plan fiscal, éducatif et
militaire ; la question d’une possible indépendance restait
toutefois complète.
C’était une question cruciale, de par l’importance économique de la Catalogne, dont la capitale Barcelone dépassait le million d’habitants alors, contre 950 000 à Madrid, 320 000 à Valence, 228 000 à Séville, 188 000 à Malaga.
La question basque était bien plus compliquée,
surtout que le principal fondateur du nationalisme basque, Sabino
Arana (1865-1903), avait développé une rhétorique romantique
de type racialiste et ultra-catholique, présentant les Basques comme
les seuls vrais catholiques préservés de l’invasion
arabo-musulmane.
Les mots d’ordre témoignent de la nature de
l’entreprise : « Dieu et l’ancienne loi »,
« Les Basques pour Euzkadi et Euzkadi pour Dieu »,
etc. ; Sabina Arana fonda le Euzko Alderdi
Jeltzalea (Parti Nationaliste Basque) et créa également
un drapeau avec la croix catholique placé en son centre.
Les élus basques ne soutinrent pas la
constitution du nouveau régime, se plaçant de fait à l’écart de
celui-ci ; la Seconde République espagnole n’alla donc pas à
la rencontre de la question basque, celle-ci restait posée.
La Seconde République espagnole avait donc bien saisi le problème féodal, mais apparaissait comme incapable de le surmonter. La révolution bourgeoise démocratique restait absolument inachevée.
La chute de la réforme générale par Miguel
Primo de Rivera scella la fin du régime. A son départ, c’est
le général Dámaso Berenguer, chef de la maison militaire du roi,
qui prend le relais ; la période où il gouverna fut ensuite
appelée la « dictablanda », « blanda »
signifiant molle et remplaçant « dura », « dure »,
dans le mot dictature en espagnol (« dictadura »).
Il est remplacé finalement par l’amiral Juan
Bautista Aznar-Cabañas, qui est obligé de gérer une transition, la
bourgeoisie ne soutenant plus le régime. Un comité fut même fondé
en août à Saint-Sébastien pour organiser un soulèvement, avec
comme base les principes suivants :
« Un besoin passionné de Justice jaillit des entrailles de la Nation. Plaçant ses espoirs dans une République, le peuple est déjà dans la rue. Nous aurions voulu faire connaître les désirs du peuple par les moyens légaux, mais cette voie nous a été barrée.
Quand nous avons demandé la Justice, on nous a refusé la Liberté. Quand nous avons demandé la Liberté, on nous a offert un parlement croupion analogue à ceux du passé, fondé sur des élections frauduleuses, convoqué par une dictature, instrument d’un roi qui a déjà violé la Constitution.
Nous ne recherchons pas la solution extrême, une révolution, mais la misère du peuple nous émeut profondément.
La Révolution sera toujours un crime ou une folie tant qu’existent la Loi et la Justice. Mais elle est toujours juste quand domine la Tyrannie. »
Les préparatifs échouèrent alors que la
garnison de Jaca se souleva seule en décembre et fut violemment
réprimée, les capitaines Fermín Galán et Angel García Hernandez
étant fusillés à Huesca, les dirigeants républicains arrêtés,
provoquant un émoi dans l’opinion publique.
En conséquence, le 23 mars 1931, la censure est
finalement abolie, les libertés d’association et de réunion
établies, des élections municipales organisées le 12 avril.
Les résultats témoignent du fait que la bourgeoisie a abandonné le régime : les monarchistes obtiennent 40 324 élus municipaux et 10 mairies de capitales de province, contre respectivement 36 282 et 37 pour les républicains et les socialistes (67 et 0 pour les communistes), alors qu’en Catalogne les forces régionalistes obtiennent plus de 4000 élus, contre moins de 350 pour les socialistes et les monarchistes.
Les élections espagnoles de 1931
Il y a ainsi trois blocs :
– les campagnes féodales soutenant la monarchie,
avec les forces féodales, traditionalistes, conservatrices,
libérales conservatrices ;
– les villes soutenant la République, avec les
socialistes, les radicaux, la droite libérale républicaine ;
– la Catalogne choisissant la voie de l’autonomie,
portée par une bourgeoisie florissante et une gauche républicaine
très puissante.
Dans ce contexte, la féodalité est obligée de reculer : le Roi quitte le pays afin d’éviter son implosion, sans pour autant abdiquer. En conséquence, la république est proclamée, la Catalogne devenant une « généralité », c’est-à-dire une province autonome.
Drapeau de la seconde république espagnole
Cette république se veut libérale et sociale, se
désignant comme « République démocratique de
travailleurs de toute nature, organisée sous le régime de la
Liberté et de la Justice » ; elle profite des succès
électoraux républicains.
Dans la foulée de la chute du régime, ce sont en
effet les modernistes et les réformistes sociaux qui prédominent.
De plus, les élections accordaient une prime au gagnant en termes de
sièges de députés, privilégiant les coalitions, et donc la
coalition républicaine.
Armoirie de la seconde république espagnole
Malgré l’instabilité parlementaire, on peut considérer qu’aux élections parlementaires de juin – novembre 1931, pour l’assemblée constituante, le PSOE obtient 24,5 % des sièges, la parti républicain radical 19,1 %, le parti républicain radical socialiste 13 %, Action Républicaine 5,5 %, la droite libérale républicaine 5,3 %.
On aurait tort cependant de penser que le
processus fut linéaire et le succès définitif. Les trois blocs
vont continuer à s’affronter : c’est leur rapport qui détermine
ce que va être la guerre d’Espagne.
C’est d’ailleurs un dirigeant de la droite
libérale républicaine, Niceto Alcalá-Zamora, qui devint en juin
premier ministre, démissionnant en novembre pour s’opposer à la
séparation de l’Église et de l’État, mais devenant président de
la république en décembre, et ce jusqu’en 1936.
La seconde république espagnole se pose dès le départ comme un savant équilibre entre les trois blocs, espérant que les avancées permettraient de dépasser les contradictions.
L’armée avait un rôle essentiel dans l’État espagnol, servant de colonne vertébrale à un régime caractérisé par la toute-puissance des caciques locaux. C’est la raison pour laquelle le général Miguel Primo de Rivera (1870-1930), capitaine général de Catalogne, organisé un pronunciamiento, c’est-à-dire un coup d’État militaire.
Dans son Manifeste « au pays et à l’armée », le 13 septembre 1923, Primo de Rivera appela à se débarrasser de « la propagande communiste impunie », de « l’impiété et de l’inculture », de « l’indiscipline sociale », de « la justice influencée par la politique ». Par conséquent, c’est un directoire militaire qui prend le contrôle du pays, pendant deux ans, puis un directoire civil.
L’annonce du coup d’État du général Miguel Primo de Rivera en 1923 à Madrid
Miguel Primo de Rivera met en place une société
de type corporatiste, notamment au niveau municipal, avec à chaque
fois des représentants militaires comme délégués représentant
l’État. C’était une réorganisation de la domination féodale,
par l’intermédiaire d’une réimpulsion, d’une modernisation au moyen
du corporatisme.
L’Unión Patriótica, seul mouvement
autorisé, était ouvert à tous les gens « de bonne
volonté » ; Miguel Primo de Rivera le définira
comme « un parti central, monarchique, tempéré et
sereinement démocratique ». La démarche était de
régénérer le pays, selon la perspective social-chrétienne
traditionnelle, de manière cléricale-autoritaire s’il le fallait.
En pratique, tous les secteurs de l’économie
étaient régulés administrativement, au moyen d’organismes
corporatistes liées au Consejo de Economía Nacional ;
le régime privilégia également l’autarcie, avec le protectionnisme
comme moyen d’éviter la concurrence et les crises.
Une Organización Corporativa Nacional fut aussi mise en place pour gérer les conditions de travail et les encadrer dans le sens du régime ; de fait, dès le départ, les grèves passèrent, de 1923 à 1924, de 495 à 165, de 1,2 million de grévistes à 529 000.
Miguel Primo de Rivera et le roi, en février 1925
Dans les secteurs demandant de lourds moyens,
comme les infrastructures, les transports, l’État intervint
directement, transformant le pays en capitalisme monopoliste d’État.
9 455 kilomètres de routes sont construites en six ans, contre 2 756
seulement les cinq années précédentes ; l’irriguation fut
développée afin de renforcer la production agricole restée
féodale.
Le régime subventionna la Transmediterránea et la Transatlántica, forma la Compañía telefónica nacional en concédant le secteur du téléphone à l’américain ITT en partenariat avec des fonds espagnols, sous supervision de l’État. Il nationalisa le secteur du pétrole (importation, distribution, vente) pour former la société CAMPSA appartenant aux différentes banques espagnoles, remit le monopole du tabac marocain à l’homme d’affaires espagnol Juan March.
Le symbole de l’Unión Patriótica
La ligne était cependant plus subtile qu’il n’y
paraît, au-delà d’une démarche ultra-conservatrice, exprimant les
intérêts directs de la féodalité devenant monopoliste. En effet,
la bourgeoisie catalane a, initialement, ouvertement soutenue
l’initiative. La féodalité savait qu’elle devait conjuguer des
forces anciennes et nouvelles pour se maintenir.
Il y a ici une alliance de fond, dans l’esprit
d’une modernisation, par l’alliance entre les grands propriétaires
terriens et la haute bourgeoisie d’affaires, sous l’égide de
l’armée. Cela se fit surtout aux dépens de la CNT, qui pendant
toute la dictature de Miguel Primo de Rivera – soit jusqu’en 1930 –
fut pratiquement démantelée par « l’état de guerre »
mis en place, et contre le Parti Communiste d’Espagne en tant que
fraction démocratique la plus avancée idéologiquement.
En pratique, le développement tant de la CNT que
du PCE était « gelé ». Le régime tenta également,
pour ce faire, d’avoir des rapports qui ne soient pas trop hostiles
avec l’UGT et même le PSOE, par l’intermédiaire de leur dirigeant
Julián Besteiro.
Le plan échoua cependant devant la résistance de la base du PSOE ; la dévaluation de la monnaie acheva également de briser l’alliance féodalité – haute bourgeoisie d’affaires, de par la pression de la bourgeoisie en général. Le régime devait se transformer et céda la place à la Seconde République. Les années 1920 étaient l’expression d’une crise générale, qui devait inévitablement se résorber.