Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La crise de 1934 en Espagne

    Le maintien de la féodalité permit aux forces conservatrices de maintenir leur existence et de se restructurer. Elles se fédérèrent rapidement après leur défaite de 1931 et dès 1933 exista une Confederación Española de Derechas Autónomas (Confédération Espagnole des Droites Autonomes – CEDA), rassemblant de multiples courants et disposant également d’une Juventudes de Acción Popular, section de jeunesse pratiquant le combat de rue.

    Meeting de la CEDA en 1935

    L’impact fut tel que les élections parlementaires de 1933 – les premières où les femmes pouvaient également voter – furent une défaite terrible pour le gouvernement. La gauche obtint un peu plus de 3,1 millions de voix, les conservateurs un peu plus de 3,3 millions de voix, les centristes un peu plus de 2 millions de voix.

    En apparence, on avait un équilibre relatif, mais avec le système électoral, cela donna 115 sièges pour la CEDA, contre 59 seulement pour le PSOE.

    Affiche de la CEDA

    Le Parti Républicain Radical, de son côté, obtenait 102 sièges, le Parti Agraire Espagnol 30 sièges, le Parti Républicain Conservateur 17 sièges.

    L’Action Républicaine du premier ministre n’obtenait que 5 sièges, le Parti Communiste d’Espagne quant à lui disposait de son premier député.

    José Díaz, dirigeant communiste, à Séville

    Les forces catalanes restaient puissantes : la Lliga Regionalista (Ligue Régionaliste) avait 24 sièges, la Gauche Républicaine de Catalogne 17 sièges.

    Le nouveau gouvernement fut alors dirigé par le Parti Républicain Radical, en alliance avec la CEDA, qui bloqua alors toutes les réformes. Les masses réagirent par des grèves : 1127 en 1933, avec plus de 843 000 grévistes, 594 en 1934, avec plus de 741 000 grévistes.

    L’année 1934 fut notamment marquée par l’entrée au gouvernement de ministres de la CEDA en octobre 1934, ce qui provoqua immédiatement une réaction importante dans les masses, de manière unanime, notamment avec le PSOE ayant renoué avec une ligne de gauche par l’intermédiaire de Francisco Largo Caballero.

    Des grèves eurent lieu dans les grandes villes (Barcelone, Madrid, Valence, Oviedo, Séville, Cordoue) ; avec des affrontements meurtriers dans tout le pays. Il était considéré qu’il y avait, avec la CEDA au pouvoir, clairement le risque d’une vague réactionaire généralisée.

    Le fait le plus marquant fut la vaste insurrection des Asturies, au nord de l’Espagne, produite par l’unité à la base de la CNT (au niveau local) et de l’UGT, du PSOE et du PCE. Voici le document commun des deux syndicats en mars 1934, donnant naissance à un pacte :

    « Les organisations soussignées U.G.T. et C.N.T. conviennent entre elles de reconnaître que, face à la situation économique et politique du régime bourgeois d’Espagne, l’action unitaire de tous les secteurs ouvriers s’impose avec l’objet exclusif de promouvoir et de mener à bien la révolution sociale.

    A telle fin chaque organisation signataire s’engage à accomplir les termes de l’engagement fixés ainsi dans ledit pacte :

    1) Les organisations signataires de ce pacte travailleront d’un commun accord jusqu’au triomphe de la révolution sociale en Espagne et la réussite de la conquête du pouvoir politique et économique pour la classe travailleuse, dont la la réalisation concrète immédiate sera la République Socialiste Fédérale.

    2) Pour parvenir à cette fin, on constituera à Oviedo un Comité exécutif représentant toutes les organisations ayant adhéré au dit pacte, qui agira en accord avec un autre de type national et d’un caractère identique répondant aux nécessités de Faction générale à développer dans toute l’Espagne.

    3) Comme conséquence logique des conditions 1) et 2) du dit pacte, il est entendu que la constitution du Comité national est une prémisse indispensable (au cas où les événements se déroulent normalement) pour entreprendre toute action en relation avec l’objectif de ce pacte, pour autant que ce pacte s’efforce et prétende à la réalisation d’un fait national. Ce futur Comité national sera le seul habilité à pouvoir ordonner au Comité qui s’installera à Oviedo les opérations à entreprendre en relation avec le mouvement qui éclatera dans toute l’Espagne.

    4) Dans chaque localité des Asturies sera constitué un Comité qui devra être composé par des délégations de chacune des organisations signataires de ce pacte et par celles qui, apportant leur adhésion, seront admises dans le Comité exécutif.

    5) A partir de la date de signature de ce pacte cesseront toutes les campagnes de propagande qui pourraient gêner ou aigrir les relations entre les diverses parties alliées, sans pour cela signifier l’abandon du travail serein et raisonnable entrepris au compte des diverses doctrines préconisées par les secteurs qui composent l’Alliance ouvrière révolutionnaire, et conservant, à telle fin, leur indépendance organique.

    6) Le Comité exécutif élaborera un plan d’action qui, moyennant l’effort révolutionnaire du prolétariat, assurera le triomphe de la révolution dans ses différents aspects, et sa consolidation selon les normes d’une convention à établir préalablement.

    7) Deviendront des clauses additionnelles au présent pacte tous les accords du Comité exécutif, dont l’observance est obligatoire pour toutes les organisations représentées, ces accords étant de rigueur tant durant la période préparatoire de la révolution qu’après le triomphe, étant bien entendu que les résolutions du dit Comité s’inspireront du contenu du pacte.

    8) L’engagement contracté par les organisations soussignées cessera au moment où la République Socialiste Fédérale aura constitué ses propres organes, élus librement par la classe travailleuse et par le procédé qui a régi l’œuvre révolutionnaire découlant du présent pacte.

    9) Considérant que ce pacte constitue un accord des organisations de la classe ouvrière pour coordonner leur action contre le régime bourgeois et l’abolir, les organisations qui auraient une relation organique avec des partis bourgeois les rompront automatiquement pour se consacrer exclusivement à parvenir aux fins que détermine le présent pacte.

    10) De cette Alliance révolutionnaire fait partie, pour être préalablement en accord avec le contenu de ce pacte, la Fédération socialiste asturienne.

    Asturies, 28 mars 1934 »

    Cela permit une action d’une grande efficacité début octobre, en tant qu’alliance UHP (Uníos Hermanos Proletarios – Unissez-vous, frères prolétaires), alors que des ministres CEDA étaient intégrés au gouvernement.

    Des milices populaires furent formées par les mineurs, aboutissant à une armée rouge de 30 000 personnes et 50 000 autres mobilisées, alors qu’une vingtaine de casernes de la garde civile furent prises d’assaut, avec une prise ce contrôle des centrales électriques, des ateliers de métallurgie, etc. et enfin de points importants de la ville d’Oviedo, sans parvenir toutefois à prendre la principale caserne militaire.

    Il s’ensuivit treize jours d’affrontements avec l’Armée dirigée par le général Franco, notamment au moyen de troupes coloniales marocaines pratiquant le pillage et la viol ; la défaite coûta la vie à au moins 2000 révolutionnaires, au moins 7000 étant blessés et 30 000 emprisonnés, alors que le PCE apparut comme l’organisation la plus combative et le plus décidée.

    Le gouvernement interdit de nombreux journaux de la gauche, suspendant des centaines de municipalités, et la torture fut utilisée systématiquement.

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  • Les obstacles féodaux à la seconde république espagnole

    La seconde république était portée par un arc allant du PSOE à la droite libérale, en étant soutenue au moins indirectement par les révolutionnaires communistes et anarchistes. Cela suffisait pour abattre la monarchie ayant échoué dans son programme de corporatisme avec Miguel Primo de Rivera, mais les défis restaient de taille.

    Pour ce faire, le régime était monocaméral : l’assemblée élue permettait la formation d’un gouvernement capable de prendre des décisions fortes, avec un président servant de « soupape de sécurité » en pouvant procéder, deux fois, à la dissolution de l’assemblée.

    Le régime escomptait donc faire avancer les réformes, à petits pas, mais de manière certaine et cela nécessitait l’affrontement avec l’Église, avec la question de l’éducation comme aspect principal.

    La bourgeoisie devait, en effet, former de nouveaux esprits, adaptés aux nouvelles formes idéologiques et culturelles. Il y avait cependant le souci de l’analphabétisme, touchant entre 30 et 40 % de la population. Le gouvernement y répondit par la création de 7000 nouvelles écoles, de 7000 postes d’instituteurs, augmentant de 20 à 40 % les salaires de ces derniers, puis de 13 000 écoles en 1932.

    Mais de l’autre côté, il existait un obstacle, bien plus difficile à surmonter, qui était le poids de l’Église catholique. 400 000 élèves étaient éduqués par des congrégations religieuses et une interdiction ne suffisait pas si la Seconde République n’était pas en mesure de les intégrer.

    L’interdiction en elle-même était difficile à mettre en place : en 1930, il y avait un religieux pour 493 personnes, c’est-à-dire une véritable armée de 31 000 prêtres, 20 000 moines, 60 000 religieuses, 5000 couvents.

    Il fallait donc abattre l’Église comme institution éducative, pour que la Seconde République puisse s’établir fermement. Le président du conseil Manuel Azaña expliqua dès 1931 au parlement que « L’Espagne a cessé d’être catholique ».

    De fait, le 11 mai 1931, un vaste mouvement de manifestations dans plusieurs villes culmina dans des attaques contre des églises auxquelles sont mises le feu, alors que le journal conservateur A.B.C. est assiégé ; dans la foulée les journaux A.B.C. et El Debate sont interdits, le cardinal Segura expulsé, alors que Manuel Azaña refuse longtemps de faire intervenir la police, disant : « je préfère voir détruire toutes les églises plutôt que risquer la vie d’un seul républicain ».

    C’est une affirmation politique très claire de la séparation de l’Église et de l’État, avec l’arrêt de la subvention du culte catholique par le régime et même l’interdiction des jésuites. Cependant, cela fait de l’Église un ennemi ouvert du régime.

    Un autre ennemi consiste en l’Armée, que le régime tenta de réformer, annulant les promotions pour faits de guerre durant la dictature, fermant l’Academia General Militar dirigée par Fancisco Franco. L’armée restait cependant de type féodal-monopoliste : si elle n’avait que 100 000 hommes, elle disposait de 17 000 officiers et de plusieurs centaines de généraux.

    10 000 officiers hostiles au régime acceptèrent de partir en conservant leurs soldes, mais ceux qui restèrent n’étaient pas fidèles au régime pour autant : dès août 1932 le le général José Sanjurjo tenta de renverser le gouvernement par la force, dans ce qui sera appelé la Sanjurjada.

    Sanjurjo avait, en tant que gouverneur de Saragosse, soutenu le pronunciamento de Miguel Primo de Rivera, pour soutenir la république en 1931 alors qu’il était depuis 1928 chef de la Guardia Civil (l’équivalent de la gendarmerie).

    A l’échec de son coup de force, il fut condamné à mort, sa peine étant commuée en prison à vie ; il est finalement exilé en 1934. Par la suite, c’est lui qui aurait dû diriger la guerre d’Espagne du côté nationaliste, à la place de Francisco Franco, s’il n’était pas décédé lors d’un accident d’avion en juillet 1936.

    Le régime ne pouvait donc pas compter sur une armée fidèle – rendant tout à fait juste l’analyse faite par Friedrich Engels, cinquante années auparavant.

    Le troisième élément posant souci, à côté de l’Église catholique et de l’Armée, était la question agraire. L’Espagne avait alors 24,6 millions d’habitants, avec 2 millions de paysans sans terre et 20 000 grands propriétaires terriens possédant la moitié des terres.

    En septembre 1932 fut créé un Institut de réforme agraire, mais sans réels moyens d’agir, alors qu’il devait procéder à l’inventaire des terres des grands propriétaires pour leur confisquer leurs biens. Des expropriations partielles ou totales, indemnisées, devaient également être menées afin de démanteler la féodalité agricole.

    En pratique, quasiment rien ne fut fait et la réforme agraire resta lettre morte. A la fin de 1933, seulement 4 339 paysans avaient reçus un total de 24 203 hectares. En 1934, les chiffes étaient de 12 260 paysans ayant reçu 116 937 hectares.

    Densité de la population en habitants au kilomètre carré

    Enfin, un quatrième aspect vient s’ajouter. L’Espagne, de par sa base féodale encore présente au début du XXe siècle, n’avait pas réalisé son unification nationale. Des nationalités purent par conséquent se développer au sein même de l’Espagne, à partir du moment où il existait une bourgeoisie pour lui donner naissance.

    Cela était surtout vrai pour la Catalogne, mais également en partie vrai pour le Pays basque ainsi que la Galice. De fait, en 1931, le dirigeant indépendantiste Francesc Macià proclama l’indépendance de la Catalogne au sein d’une « République fédérale ibérique », étant donné que les résultats électoraux étaient écrasants en faveur de cette direction.

    La seconde république accorda alors une vaste autonomie à la Catalogne, sauf sur le plan fiscal, éducatif et militaire ; la question d’une possible indépendance restait toutefois complète.

    C’était une question cruciale, de par l’importance économique de la Catalogne, dont la capitale Barcelone dépassait le million d’habitants alors, contre 950 000 à Madrid, 320 000 à Valence, 228 000 à Séville, 188 000 à Malaga.

    La question basque était bien plus compliquée, surtout que le principal fondateur du nationalisme basque, Sabino Arana (1865-1903), avait développé une rhétorique romantique de type racialiste et ultra-catholique, présentant les Basques comme les seuls vrais catholiques préservés de l’invasion arabo-musulmane.

    Les mots d’ordre témoignent de la nature de l’entreprise : « Dieu et l’ancienne loi », « Les Basques pour Euzkadi et Euzkadi pour Dieu », etc. ; Sabina Arana fonda le Euzko Alderdi Jeltzalea (Parti Nationaliste Basque) et créa également un drapeau avec la croix catholique placé en son centre.

    Les élus basques ne soutinrent pas la constitution du nouveau régime, se plaçant de fait à l’écart de celui-ci ; la Seconde République espagnole n’alla donc pas à la rencontre de la question basque, celle-ci restait posée.

    La Seconde République espagnole avait donc bien saisi le problème féodal, mais apparaissait comme incapable de le surmonter. La révolution bourgeoise démocratique restait absolument inachevée.

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  • L’instauration de la seconde république en Espagne

    La chute de la réforme générale par Miguel Primo de Rivera scella la fin du régime. A son départ, c’est le général Dámaso Berenguer, chef de la maison militaire du roi, qui prend le relais ; la période où il gouverna fut ensuite appelée la « dictablanda », « blanda » signifiant molle et remplaçant « dura », « dure », dans le mot dictature en espagnol (« dictadura »).

    Il est remplacé finalement par l’amiral Juan Bautista Aznar-Cabañas, qui est obligé de gérer une transition, la bourgeoisie ne soutenant plus le régime. Un comité fut même fondé en août à Saint-Sébastien pour organiser un soulèvement, avec comme base les principes suivants :

    « Un besoin passionné de Justice jaillit des entrailles de la Nation. Plaçant ses espoirs dans une République, le peuple est déjà dans la rue. Nous aurions voulu faire connaître les désirs du peuple par les moyens légaux, mais cette voie nous a été barrée.

    Quand nous avons demandé la Justice, on nous a refusé la Liberté. Quand nous avons demandé la Liberté, on nous a offert un parlement croupion analogue à ceux du passé, fondé sur des élections frauduleuses, convoqué par une dictature, instrument d’un roi qui a déjà violé la Constitution.

    Nous ne recherchons pas la solution extrême, une révolution, mais la misère du peuple nous émeut profondément.

    La Révolution sera toujours un crime ou une folie tant qu’existent la Loi et la Justice. Mais elle est toujours juste quand domine la Tyrannie. »

    Les préparatifs échouèrent alors que la garnison de Jaca se souleva seule en décembre et fut violemment réprimée, les capitaines Fermín Galán et Angel García Hernandez étant fusillés à Huesca, les dirigeants républicains arrêtés, provoquant un émoi dans l’opinion publique.

    En conséquence, le 23 mars 1931, la censure est finalement abolie, les libertés d’association et de réunion établies, des élections municipales organisées le 12 avril.

    Les résultats témoignent du fait que la bourgeoisie a abandonné le régime : les monarchistes obtiennent 40 324 élus municipaux et 10 mairies de capitales de province, contre respectivement 36 282 et 37 pour les républicains et les socialistes (67 et 0 pour les communistes), alors qu’en Catalogne les forces régionalistes obtiennent plus de 4000 élus, contre moins de 350 pour les socialistes et les monarchistes.

    Les élections espagnoles de 1931

    Il y a ainsi trois blocs :

    – les campagnes féodales soutenant la monarchie, avec les forces féodales, traditionalistes, conservatrices, libérales conservatrices ;

    – les villes soutenant la République, avec les socialistes, les radicaux, la droite libérale républicaine ;

    – la Catalogne choisissant la voie de l’autonomie, portée par une bourgeoisie florissante et une gauche républicaine très puissante.

    Dans ce contexte, la féodalité est obligée de reculer : le Roi quitte le pays afin d’éviter son implosion, sans pour autant abdiquer. En conséquence, la république est proclamée, la Catalogne devenant une « généralité », c’est-à-dire une province autonome.

    Drapeau de la seconde république espagnole

    Cette république se veut libérale et sociale, se désignant comme « République démocratique de travailleurs de toute nature, organisée sous le régime de la Liberté et de la Justice » ; elle profite des succès électoraux républicains.

    Dans la foulée de la chute du régime, ce sont en effet les modernistes et les réformistes sociaux qui prédominent. De plus, les élections accordaient une prime au gagnant en termes de sièges de députés, privilégiant les coalitions, et donc la coalition républicaine.

    Armoirie de la seconde république espagnole

    Malgré l’instabilité parlementaire, on peut considérer qu’aux élections parlementaires de juin – novembre 1931, pour l’assemblée constituante, le PSOE obtient 24,5 % des sièges, la parti républicain radical 19,1 %, le parti républicain radical socialiste 13 %, Action Républicaine 5,5 %, la droite libérale républicaine 5,3 %.

    On aurait tort cependant de penser que le processus fut linéaire et le succès définitif. Les trois blocs vont continuer à s’affronter : c’est leur rapport qui détermine ce que va être la guerre d’Espagne.

    C’est d’ailleurs un dirigeant de la droite libérale républicaine, Niceto Alcalá-Zamora, qui devint en juin premier ministre, démissionnant en novembre pour s’opposer à la séparation de l’Église et de l’État, mais devenant président de la république en décembre, et ce jusqu’en 1936.

    La seconde république espagnole se pose dès le départ comme un savant équilibre entre les trois blocs, espérant que les avancées permettraient de dépasser les contradictions.

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  • La crise générale des années 1920 en Espagne

    L’armée avait un rôle essentiel dans l’État espagnol, servant de colonne vertébrale à un régime caractérisé par la toute-puissance des caciques locaux. C’est la raison pour laquelle le général Miguel Primo de Rivera (1870-1930), capitaine général de Catalogne, organisé un pronunciamiento, c’est-à-dire un coup d’État militaire.

    Dans son Manifeste « au pays et à l’armée », le 13 septembre 1923, Primo de Rivera appela à se débarrasser de « la propagande communiste impunie », de « l’impiété et de l’inculture », de « l’indiscipline sociale », de « la justice influencée par la politique ». Par conséquent, c’est un directoire militaire qui prend le contrôle du pays, pendant deux ans, puis un directoire civil.

    L’annonce du coup d’État du général Miguel Primo de Rivera en 1923 à Madrid

    Miguel Primo de Rivera met en place une société de type corporatiste, notamment au niveau municipal, avec à chaque fois des représentants militaires comme délégués représentant l’État. C’était une réorganisation de la domination féodale, par l’intermédiaire d’une réimpulsion, d’une modernisation au moyen du corporatisme.

    L’Unión Patriótica, seul mouvement autorisé, était ouvert à tous les gens « de bonne volonté » ; Miguel Primo de Rivera le définira comme « un parti central, monarchique, tempéré et sereinement démocratique ». La démarche était de régénérer le pays, selon la perspective social-chrétienne traditionnelle, de manière cléricale-autoritaire s’il le fallait.

    En pratique, tous les secteurs de l’économie étaient régulés administrativement, au moyen d’organismes corporatistes liées au Consejo de Economía Nacional ; le régime privilégia également l’autarcie, avec le protectionnisme comme moyen d’éviter la concurrence et les crises.

    Une Organización Corporativa Nacional fut aussi mise en place pour gérer les conditions de travail et les encadrer dans le sens du régime ; de fait, dès le départ, les grèves passèrent, de 1923 à 1924, de 495 à 165, de 1,2 million de grévistes à 529 000.

    Miguel Primo de Rivera et le roi, en février 1925

    Dans les secteurs demandant de lourds moyens, comme les infrastructures, les transports, l’État intervint directement, transformant le pays en capitalisme monopoliste d’État. 9 455 kilomètres de routes sont construites en six ans, contre 2 756 seulement les cinq années précédentes ; l’irriguation fut développée afin de renforcer la production agricole restée féodale.

    Le régime subventionna la Transmediterránea et la Transatlántica, forma la Compañía telefónica nacional en concédant le secteur du téléphone à l’américain ITT en partenariat avec des fonds espagnols, sous supervision de l’État. Il nationalisa le secteur du pétrole (importation, distribution, vente) pour former la société CAMPSA appartenant aux différentes banques espagnoles, remit le monopole du tabac marocain à l’homme d’affaires espagnol Juan March.

    Le symbole de l’Unión Patriótica

    La ligne était cependant plus subtile qu’il n’y paraît, au-delà d’une démarche ultra-conservatrice, exprimant les intérêts directs de la féodalité devenant monopoliste. En effet, la bourgeoisie catalane a, initialement, ouvertement soutenue l’initiative. La féodalité savait qu’elle devait conjuguer des forces anciennes et nouvelles pour se maintenir.

    Il y a ici une alliance de fond, dans l’esprit d’une modernisation, par l’alliance entre les grands propriétaires terriens et la haute bourgeoisie d’affaires, sous l’égide de l’armée. Cela se fit surtout aux dépens de la CNT, qui pendant toute la dictature de Miguel Primo de Rivera – soit jusqu’en 1930 – fut pratiquement démantelée par « l’état de guerre » mis en place, et contre le Parti Communiste d’Espagne en tant que fraction démocratique la plus avancée idéologiquement.

    En pratique, le développement tant de la CNT que du PCE était « gelé ». Le régime tenta également, pour ce faire, d’avoir des rapports qui ne soient pas trop hostiles avec l’UGT et même le PSOE, par l’intermédiaire de leur dirigeant Julián Besteiro.

    Le plan échoua cependant devant la résistance de la base du PSOE ; la dévaluation de la monnaie acheva également de briser l’alliance féodalité – haute bourgeoisie d’affaires, de par la pression de la bourgeoisie en général. Le régime devait se transformer et céda la place à la Seconde République. Les années 1920 étaient l’expression d’une crise générale, qui devait inévitablement se résorber.

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  • L’Espagne face au système féodal

    La réaction avait dû accorder en 1869 une constitution libérale ; avec l’échec de la République, la constitution de 1876 qui la remplace rétablit un ordre particulièrement autoritaire.

    C’est l’armée qui a rétabli la dynastie des Bourbons et placé Alphonse XII sur le trône ; à côté de la chambre des députés, avec élections au suffrage universel pour les hommes, on a un sénat résolument féodal, composé de la famille royale, des grandes familles aristocratiques, des plus hauts responsables ecclésiastiques, des dirigeants de l’armée, des plus hauts membres de l’administration, ainsi que de personnes nommés à vie par le roi et de membres élus au suffrage indirect par les grands corps d’État et les plus riches contribuables.

    Alphonse XII et la reine Marie-Christine

    On a ainsi un système féodal renouvelé, où prédominent les « caciques », des figures féodales locales ayant pratiquement tout pouvoir décisionnaire.

    Le pays n’était ainsi pas unifié culturellement et économiquement, maintenant une sorte de localisme et d’éloge du particularisme, alors que de toutes manières l’État central, tout à fait arriéré, apparaissait uniquement comme une force bureaucratique.

    Le régime est logiquement particulièrement faible ; il ne peut pas maintenir ses colonies, perdant les dernières qu’il possédait en 1889 (Cuba, Puerto Rico et les Philippines), échouant dans sa tentative de colonisation du Nord du Maroc (1909-1925).

    Sa tentative de pressuriser la bourgeoisie amène à un affrontement avec sa partie catalane, zone où le capitalisme est le plus dynamique ; en 1898, 150 corporations de Catalogne pratiquent pendant trois mois une fermeture des caisses, refusant de payer les impôts.

    Cet affrontement fait de la Catalogne la région-phare de l’affrontement avec le féodalisme ; les œuvres de l’architecte Antoni Gaudí (1852-1926) témoigne de cet esprit national.

    La Casa Batlló à Barcelone, réalisé de 1904 à 1906, conçu par l’architecte Antoni Gaudí.

    Le « modernisme » de la bourgeoisie catalane, associé au rejet du centralisme d’un État considéré comme parasitaire (car en fait féodal), donna un vigoureux élan à l’anarchisme, idéologie prônant l’autogestion et l’anticléricalisme, dans un esprit individualiste.

    L’anarchisme catalan développa même une telle dynamique qu’il put canaliser l’ensemble des révoltes s’étant développées dans la seconde partie du XIXe siècle. Les révoltes paysannes avaient pris un élan spontané, exigeant l’indépendance sociale et basculant ainsi déjà facilement dans les thèses anarchistes.

    Les paysans sans terre d’Andalousie, notamment, affrontaient vigoureusement les propriétaires terriens ; un exemple connu fut la révolte de Jerez en 1892, 4 000 paysans prenant en armes la ville en revendiquant l’anarchie, alors qu’après la répression qui s’ensuivit, une tentative d’attaque à la bombe fut faite contre le général Martinez Campos.

    La Confederación Nacional del Trabajo (Confédération Nationale du Travail) fut le prolongement de cette intense activité anarchiste commençant dans les années 1870 et connaissant donc toutes les variantes : pacifistes, partisans de la propagande armée, syndicalistes. La CNT fut en tant que tel le produit du courant anarcho-syndicaliste ; fondée en 1911, elle se développa dès la seconde moitié des années 1910, avec pas moins de 700 000 adhérents.

    L’emblème de la CNT, avec Hercule et le lion de Némée

    Une des grandes raisons fut que la CNT ne s’organisa pas uniquement en métiers, en branches, comme son concurrent social-démocrate l’UGT, mais comme syndicat unique. Une autre raison est que l’anarchisme transportait avec lui une violence qui permettait de se confronter aux traditions féodales que, en pratique, la social-démocratie évitait par incompréhension de la situation du pays.

    La CNT était un syndicat combatif ; sa grève de quatre jours, dite La Canadiense, à l’entreprise électrique Barcelona Traction, Light and Power Company limited, appartenant à une banque canadienne, paralysa l’économie et fut un acte majeur pour obtenir la journée de huit heures de travail.

    Rassemblement lors de la grève de 1919
    de  La Canadiense

    Le mouvement anarchiste disposait même de pistoleros, rendant coup pour coup aux assassins payés par la bourgeoisie industrielle et ceux des « Syndicats Libres » liées aux forces catholiques et monarchistes, avec en arrière-plan pas moins de 300 assassinats politiques durant ce qui fut appelé les « anos del pistolerismo ». Les premiers ministres Eduardo Dato Iradier, en 1921, Canalejas, en 1912 et Antonio Cánovas del Castillo, en 1898, périrent sous des balles anarchistes.

    Parallèlement eurent lieu des soulèvement paysans violents, inspirés par la révolution bolchevique dans le Sud du pays, du printemps 1918 au printemps 1920 et appelés « Trienio Bolchevique ».

    Le mouvement était pourtant bien éloigné de la social-démocratie. A certains égards, le mouvement ouvrier était, malgré l’arriération économique du pays, assez conscient et puissant pour fonder un Partido Socialista Obrero Español (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) en 1879, ainsi que, neuf ans plus tard, un syndicat, l’Unión General de Trabajadores – Union Générale des Travailleurs. Le PSOE fit même partie des membres fondateurs de la seconde Internationale, regroupant les membres internationaux de la social-démocratie.

    A la différence cependant de l’Allemagne, de l’Autriche et de la France, la classe ouvrière espagnole n’était pas aussi développée, et par conséquent faible numériquement. L’UGT n’avait que 35.000 affiliés en 1908, 127.000 en 1914 ; le dirigeant du PSOE, Pablo Iglesias, n’arriva au parlement qu’en 1910.

    Antonio García Quejido, dirigeant de l’UGT à la fin du XIXe siècle, par la suite responsable de l’organe du PSOE El Socialista, en première ligne pour la fondation du Parti Communiste d’Espagne

    Ce fut la révolution de 1917 qui bouleversa la donne. Les bolcheviks avaient fait un appel aux révolutionnaires d’Espagne, principalement à la gauche du PSOE et ce dernier tenta, à la suite de son congrès de décembre 1920, de maintenir une ligne d’appartenance à la seconde Internationale et de soutien à la troisième, appelant à l’unité.

    De son côté, la Fédération de la Jeunesse Socialiste (FJS) appela de son côté à rejoindre la troisième Internationale.

    Finalement, en février 1920, 1000 des 5000 membres de la FJS fondèrent le Parti Communiste d’Espagne, qui resta cependant insignifiant, tant numériquement que de par son influence idéologique et culturelle.

    Le PSOE, qui était passé la même années à 53 000 membres, contre 16 000 l’année précédente, envoya alors un délégué à Moscou, à une réunion de l’Internationale Communiste, ce que firent également la CNT et le PCE. Seul le PCE reconnut les règles de la IIIe Internationale, le PSOE et la CNT les rejetant.

    Pourtant, ni la CNT, ni le PSOE et l’UGT, ni le PCE n’étaient en mesure de faire face à la crise de régime aboutissant à une dictature militaire.

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  • Féodalité, cléricalisme, rôle de l’armée en Espagne

    La guerre d’Espagne a été un des grands événements du XXe siècle ; depuis notre pays, nous avons assisté pratiquement aux premières loges à cette grande bataille entre d’un côté les forces conservatrices et fascistes, de l’autre les forces républicaines et démocratiques.

    Pour comprendre la signification de cette guerre, qui a tellement marqué les esprits, il faut saisir la nature de l’Espagne à cette époque. Ce pays a connu une histoire particulièrement tourmentée, en raison des succès de la féodalité suite à sa « découverte » de l’Amérique, et par conséquent l’absence de révolution bourgeoise démocratique comme en France.

    Cette évolution contre-nature est à la base même des terribles contradictions de la société espagnole, qui aboutirent justement en la situation débouchant sur la guerre d’Espagne.

    Voici comment Friedrich Engels présente la contradiction propre à l’évolution de la féodalité espagnole :

    « A quel point, à la fin du XVe siècle, la féodalité est minée et rongée intérieurement par l’argent, la soif d’or qui s’empara à cette époque de l’Europe occidentale en donne une démonstration éclatante.

    C’est l’or que les Portugais cherchaient sur la côte d’Afrique, aux Indes, dans tout l’Extrême-Orient ; c’est l’or le mot magique qui poussa les Espagnols à franchir l’océan Atlantique pour aller vers l’Amérique ; l’or était la première chose que demandait le Blanc, dès qu’il foulait un rivage nouvellement découvert.

    Mais ce besoin de partir au loin à l’aventure, malgré les formes féodales ou à demi féodales dans lesquelles il se réalise au début, était, à sa racine déjà, incompatible avec la féodalité dont la base était l’agriculture et dont les guerres de conquête avaient essentiellement pour but l’acquisition de la terre.

    De plus, la navigation était une industrie nettement bourgeoise, qui a imprimé son caractère antiféodal même à toutes les flottes de guerre modernes. »

    La décadence de la féodalité et l’essor de la bourgeoisie

    L’Espagne est donc une féodalité triomphante, mais cela ne saurait exister et il y a donc un capitalisme qui se développe de manière désarticulée, à travers la féodalité elle-même. Toutefois, la colonisation n’est pas la seule raison pour laquelle l’Espagne s’est empêtrée dans la féodalité.

    En effet, on se souvient que la péninsule ibérique avait subi en grande partie une conquête et une domination arabo-musulmane pendant une longue période. De 711 à 1492, Al-Andalus a été un territoire dont la « reconquête » a été le grand objectif des forces féodales espagnoles qui, une fois le terrain regagné, ont systématisé une répression idéologique et culturelle massive.

    L’idéologie catholique a donc triomphé en Espagne avec une profonde dimension baroque et une très vaste mobilisation des masses. La force de la réaction est telle que lorsque Ferdinand VII décéda en 1833 et que sa fille lui succéda, cela fut prétexte à un mouvement ultra-conservateur, qu’on appelle les « carlistes », qui exigea que ce soit le frère du roi, Charles (Carlos en espagnol), qui lui succède. Les carlistes se maintinrent pendant plus d’un siècle comme courant « ultra ».

    L’Espagne n’a donc pas connu de révolution bourgeoise démocratique comme en France ; la tentative d’instaurer une république échoua rapidement, la première république n’existant que de février 1873 à décembre 1874.

    C’est durant cette période éphémère que Friedrich Engels, dans un article intitulé La République en Espagne, présente la situation, en mars 1873 :

    « Mais pour que cette lutte de classe entre bourgeoisie et prolétariat ait une issue décisive, il faut que les deux classes soient suffisamment développées dans le pays concerné, du moins dans les grandes villes.

    En Espagne, ce n’est le cas que dans certaines parties du pays. La grande industrie est relativement développée en Catalogne ; en Andalousie et dans quelques autres régions prédominent la grande propriété foncière et la culture extensive — propriétaires terriens et salariés ; sur la plus grande partie du territoire, petite paysannerie dans les campagnes, artisanat et petit commerce dans les villes.

    Les conditions pour une révolution prolétarienne y sont encore relativement peu développées, et c’est précisément pour cette raison qu’il y a encore énormément à faire en Espagne pour une république bourgeoise. Elle a ainsi avant tout la tâche de déblayer le théâtre pour la lutte de classe à venir.

    En premier lieu, il faut dans ce but abolir l’armée et installer une milice populaire.

    Géographiquement, l’Espagne est si heureusement située qu’elle ne peut être attaquée sérieusement que par un seul voisin, et cela encore que sur le front étroit des Pyrénées ; un front qui ne fait même pas un huitième de son périmètre total.

    En plus, les conditions topographiques sont telles qu’elles présentent autant d’obstacles à la guerre de mouvement des grandes armées qu’elles offrent de facilités à la guerre populaire irrégulière.

    Nous l’avons vu sous Napoléon qui envoya à certains moments jusqu’à 300.000 hommes en Espagne, lesquels échouèrent toujours devant la tenace résistance populaire. ; nous l’avons vu d’innombrables fois depuis et le voyons encore aujourd’hui à l’impuissance de l’armée espagnole contre les quelques bandes de carlistes dans les montagnes.

    Un tel pays n’a pas de prétexte pour une armée. En même temps, depuis 1830, l’armée n’a été en Espagne que le levier de toutes les conspirations de généraux qui renversent tous les deux ou trois ans le gouvernement par une révolte militaire, pour placer de nouveaux voleurs à la place des anciens.

    Dissoudre l’armée espagnole signifie libérer l’Espagne de la guerre civile. Ce serait donc la première exigence que les travailleurs espagnols auraient à poser au nouveau gouvernement.

    L’armée supprimée, disparaît aussi la raison principale pour laquelle notamment les Catalans réclament une organisation fédérale de l’État.

    La Catalogne révolutionnaire, pour ainsi dire la grande banlieue ouvrière de l’Espagne, a, jusqu’à maintenant, toujours été opprimée par de fortes concentrations de troupes, comme Bonaparte et Thiers opprimèrent Paris et Lyon.

    C’est pourquoi les Catalans ont réclamé la division de l’Espagne en États fédéraux à administration autonome. Si l’armée disparaît, la principale raison de cette exigence disparaît ; l’autonomie pourra fondamentalement s’obtenir sans la destruction réactionnaire de l’unité nationale et sans la reproduction d’une Suisse en plus grand.

    La législation financière espagnole va, du début à la fin, à l’encontre du bon sens, tant en matière de fiscalité intérieure qu’en ce qui concerne les taxes douanières. Ici, une république bourgeoise pourrait faire beaucoup.

    Même remarque en ce qui concerne la confiscation de la propriété foncière de l’Église, propriété souvent confisquée, mais toujours reconstituée, et enfin avant tout en ce qui concerne les voies de communication qui nulle part ailleurs n’ont plus besoin de rénovation qu’ici.

    Quelques années de république bourgeoise, calme, prépareraient en Espagne le terrain pour une révolution prolétarienne d’une manière qui devrait surprendre même les travailleurs espagnols les plus progressistes.

    Au lieu de réitérer la farce sanglante de la dernière révolution, au lieu de faire des révoltes isolées, toujours faciles à réprimer, espérons que les travailleurs espagnols utiliseront la république pour s’unir plus fermement et s’organiser en vue de la révolution à venir, d’une révolution qu’ils domineront.

    Le gouvernement bourgeois de la nouvelle république ne cherche qu’un prétexte pour écraser le mouvement révolutionnaire et fusiller les travailleurs, comme le firent les républicains Favre et consorts à Paris. Puissent les travailleurs espagnols ne pas leur donner ce prétexte ! »

    De manière visionnaire, Friedrich Engels a vu l’importance de l’armée et son intervention systématique en faveur de la réaction, empêchant toujours l’avènement de la république bourgeoise elle-même.

    La bourgeoisie, arrivant tard, craint la révolution sociale et bascule, de fait comme en Allemagne, aisément dans le camp de la réaction, fut-il féodal et clérical. C’est précisément cette situation qui est au cœur de la guerre d’Espagne.

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  • Sans l’Édit de Nantes, il n’y avait plus d’État

    La révolution française était ainsi sur le plan du contenu bien plus proche d’Henri IV, de par les forces sociales en action. Le grand paradoxe est que le protestantisme fut utilisé pour moderniser l’appareil d’État, contre les forces anciennes de la féodalité, mais que le protestantisme fut abandonné par pragmatisme.

    Henri IV se plaçait clairement au-dessus des religions et il ne reconnaissait leur existence que dans une logique pratique. En ce sens, il annonce absolument Richelieu. Il développe l’économie politique de la monarchie absolue et il contribue à donner à la culture politique française le culte du sens politique, du « flair ».

    Le catholicisme était, en tout cas, clairement pour qu’Henri IV bascule dans la répression sanglante des protestants. La pression catholique en faveur du massacre des protestants ne cessera jamais. En ce sens, l’Édit de Nantes n’a été qu’un compromis temporaire, qui n’a jamais été accepté par l’Église catholique.

    La suppression des protestants n’aura pourtant pas lieu, pour toute une période, le développement de la monarchie absolue stabilisant le régime pour quatre-vingt ans. Ce n’est que quand la monarchie absolue atteindra son apogée que le protestantisme sera supprimé, comme toutes les forces sociales s’opposant au pouvoir royal, à l’État forgé depuis François Ier.

    Il en ira ainsi plus d’une logique de modernisation étatique que d’une volonté de rendre catholique tout le pays, même si justement l’unité catholique, en même temps, correspond aux attentes d’unification complète de la monarchie absolue.

    Il ne faut donc pas s’étonner que le catholicisme a toujours cherché à provoquer les événements, comme avec le fameux assassinat d’Henri IV, le 14 mai 1610, par François Ravaillac. Il fut présenté comme ayant agi seul, mais cela participe au minimum à toute une tendance catholique ultra. Il y eut d’ailleurs pas moins de 18 tentatives d’assassinat contre Henri IV.

    Comment s’étonner de cela, alors qu’en juin 1591, les bulles papales affichées sur Notre-Dame de Paris affirmaient « l’excommunication contre les prélats, les nobles et les gens du Tiers qui s’obstineraient à rester fidèles à l’hérétique ».

    Le catholicisme, en tant que force féodale de la première période, celle de l’âge roman puis de l’âge gothique, ne pouvait que craindre la force féodale de la seconde période, la monarchie absolue.

    La monarchie absolue était le processus inévitable, produit par le triomphe d’une faction féodale contre les autres, appuyée par le développement des échanges économiques, la formation d’un marché national, et donc d’une bourgeoisie nationale.

    L’Édit de Nantes ne fut donc pas l’expression subjective de la monarchie absolue tendant à affirmer l’unité culturelle au-delà des religions. Il faut se tourner vers l’Inde, avec Ashoka ou encore le Sul-e-Kuhl, pour voir la monarchie absolue essayer d’outrepasser les différences religieuses, dans un sens progressiste.

    Chez Henri IV, l’Édit de Nantes ne fut qu’une nécessité tactique. Les catholiques et les protestants se battaient pour l’État. Sans l’Édit de Nantes, il n’y avait plus d’État. Mais cet État ne pouvait être porté ni par le catholicisme réactionnaire, ni par le trop faible protestantisme. La monarchie absolue pouvait émerger, s’appuyant sur le plus fort, profitant du plus faible, pour unifier les territoires et faire entrer la France, nouvelle nation en tant que telle, dans une nouvelle étape culturelle.

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  • Henri IV, «un sage roi estant comme un habile apothicaire»

    Au moment de l’Édit de Nantes, le régime est pacifié, d’une manière telle que les esprits en sont durablement frappés. Dans son Théâtre d’agriculture et ménage des champs, Olivier de Serres y parle d’une population qui « demeure en sûreté publique, sous son figuier, cultivant sa terre, comme à vos pieds, à l’abri de Vôtre Majesté, qui a à ses côtés la justice et la paix ».

    Une formule d’Henri IV passa à la postérité, donnant de lui une image paternaliste, celle d’un souverain soucieux de son peuple :

    « Si Dieu me prête vie, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon royaume qui n’ait les moyens d’avoir le dimanche une poule dans son pot ! »

    Dans un ouvrage publié peu après la mort d’Henri IV, Les amours du Grand Alcandre, l’un de ses propos est rapporté de la manière suivante :

    « un sage roi estant comme un habile apothicaire qui, des plus meschans poisons compose d’excellens antidotes, et des vipères en fait de la thériaque. »

    Henri IV fait l’éloge du savoir-faire politique : lui-même fut protestant converti au catholicisme pour devenir roi, mais cela ne l’empêche nullement de mener la vie décadente typique des rois de la première période de la monarchie absolue. Dans une même veine pragmatique, n’ayant pas d’enfant, il annule son premier mariage, pour se remarier avec Marie de Médicis, la plus riche héritière en Europe à ce moment-là.

    Entourage de Toussaint Dubreuil  (1561–1602),
    Henri IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne

    La situation est tellement favorable à la monarchie absolue qu’Henri IV peut se permettre d’accélérer les travaux du Louvre, des châteaux de Saint-Germain et de Fontainebleau, contribuant à former un nouveau réseau de rues et de places pour Paris. Il est à l’origine du Pont Neuf, de la Place Royale, qui deviendra la place des Vosges, ainsi que de la place Dauphine, prévue pour être entourée de commerces aux rez-de-chaussée de blocs d’habitation.

    Il programma la fondation de plusieurs institutions telles qu’une bibliothèque à l’usage des savants ou une académie encyclopédique intégrant un jardin botanique et un théâtre d’anatomie. Il fait en sorte que les sculpteurs soient français, et non plus italiens.

    L’impact culturel fut de très grande ampleur et le plus grand symbole en est que le roman le plus célèbre du XVIIe siècle, l’Astrée, fut dédié par son auteur Honoré d’Urfé, à Henri IV, ce « grand Roi, la valeur et la prudence duquel l’a rappelé le Ciel en terre pour le bonheur des hommes ».

    Astrée est à l’époque une femme présentée avec des épis de blé dans les cheveux, une corne d’abondance dont sortent des fruits et des fleurs. On retrouve dans le roman la figure très symbolique d’Alcippe : père de Céladon qui est l’amant d’Astrée, il a passé une vie houleuse de chevalier errant avant de devenir berger et fermier, avec son « épée en coutre [fer du soc de la charrue] pour ouvrir la terre et non pas le flanc des hommes ».

    On a là le symbole de la pacification et du progrès permis par la monarchie absolue. Un autre exemple est Le Labyrinthe royal de l’Hercule Gaulois triomphant du jésuite André Valladier, qui présente en 1600 le triomphe à l’antique du roi. Henri IV est assimilé à son ancêtre Hercule – avec même une pseudo-généalogie fournie pour l’occasion – avec une épée oscillant entre une massue et le caducée de Mercure qui symbolise la paix.

    Le Labyrinthe royal de l’Hercule Gaulois triomphant 

    On ici l’établissement de la monarchie absolue de manière solide, et il est intéressant de voir comment ce redémarrage historique a pu être littéralement stylisé sous la forme d’un âge d’or pour l’économie, la paix et la tolérance.

    Ainsi, en 1723, Voltaire se lancera également dans un éloge d’Henri IV, avec un poème en dix parties intitulé La Henriade. Il fut dédié à la reine d’Angleterre Elisabeth, Louis XV yant refusé l’œuvre, tout en envoyant deux mille écus pour aider Voltaire.

    Après la révolution française, au moment de la restauration, la période royale d’Henri IV fut présentée comme un âge idéal, comme un contre-modèle en apparence, puisque l’économie et la tolérance étaient également des valeurs au cœur des Lumières et de la révolution française.

    A cet effet, une chanson du XVIe siècle fut reprise, son texte modifié. La mélodie provient d’un chant populaire de Noël et à une danse appelée « Les Tricotets ». Voici le texte original de la chanson connue sous le nom de « Vive Henri IV » :

    « Vive Henri quatre
    Vive ce Roi vaillant
    Ce diable à quatre
    A le triple talent
    refrain
    De boire et de battre
    Et d’être un vers galant
    De boire et de battre
    Et d’être un vers galant

    Au diable guerres
    Rancunes et partis
    Commes nos pères
    Chantons en vrais amis
    refrain
    Au choc des verres
    Les roses et les lys
    Au choc des verres
    Les roses et les lys

    Chantons l’antienne
    Qu’on chant’ra dans mille ans
    Que Dieu maintienne
    En paix ses descendants
    refrain
    Jusqu’à c’e qu’on prenne
    La lune avec les dents
    Jusqu’à c’e qu’on prenne
    La lune avec les dents

    Vive la France
    Vive le roi Henri
    Qu’à Reims on danse
    En disant comme Paris
    refrain
    Vive la France
    Vive le roi Henri
    Vive la France
    Vive le roi Henri »

    Voici le texte de la chanson à la restauration :

    « Fils d’Henri quatre,
    O Louis ! ô mon Roi !
    S’il faut se battre,
    Nous nous battrons pour toi ;
    En vrai diable à quatre,
    Je t’en donne ma foi.

    Vive Alexandre !
    C’est l’ami des Bourbons ;
    C’est pour nous rendre
    Un roi que nous aimons,
    Qu’il vient nous défendre,
    Avec ses escadrons.

    Bon Roi de France,
    Si longtemps attendu,
    La Providence
    Enfin nous a rendu
    La paix, l’espérance,
    Cela nous est bien dû.

    Toi, d’Angoulême,
    Fille de tant de Rois ;
    La vertu même.
    Mille échos, mille voix
    Disent que l’on t’aime
    Comme on aime d’Artois.

    Chant d’allégresse,
    Chant du coeur, chant d’amour,
    Redis sans cesse,
    Et redis nuit et jour
    Que dans notre ivresse
    Nous chantons leur retour. »

    Des vers furent également ajoutés en l’honneur de Louis XVIII :

    « Du fils de France
    Sur nous l’étoile luit ;
    C’est la clémence
    Qui vers nous le conduit :
    La paix le devance,
    Et le bonheur le suit.

    A ce bon maître
    Notre cœur appartient,
    Pour nous soumettre,
    Par l’amour il nous tient.
    Henri va renaître
    Dès que Louis revient.

    Elle est tarie
    La source des malheurs.
    O ma patrie !
    Mets fin à tes douleurs ;
    La main de Marie
    Vient essuyer tes pleurs.

    Comme Antigone,
    Doux appui de son Roi,
    Loin de son trône
    Elle bannit l’effroi.
    Du Dieu qui la donne,
    France, bénit la loi. »

    Ces paroles sont très hypocrites, puisque la restauration mettait en avant une monarchie autocratique fondamentalement liée au catholicisme, dans un esprit ultra-réactionnaire. Henri IV mettait quant à lui en avant une monarchie absolue dont le cœur est politique et dont la base sert en pratique précisément la bourgeoisie.

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  • Maximilien de Béthune, duc de Sully

    La question du pouvoir d’État était bien entendu fondamentale, au-delà des réformes économiques, même si bien sûr les deux sont dialectiquement liées puisque Henri IV apparaît comme celui qui historiquement doit résoudre la crise de croissance de la monarchie absolue.

    Une figure essentielle fut ici le protestant Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641), qui fut extrêmement proche d’Henri IV et dont une phrase est ici très connue :

    « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vraies mines et trésors du Pérou. »

    On a là une logique qui est celle, non pas de la colonisation féodale comme menée par l’Espagne en Amérique, mais de la valorisation des richesses nationales. Ici, on a une démarche typiquement protestante et on ne sera guère étonné que des capitaux venus des Pays-Bas, place-forte du capitalisme et du protestantisme, furent utilisés pour assécher une partie du marais poitevin, au moyen d’ingénieurs flamands protestants réfugiés.

    Maximilien de Béthune (1559-1641), duc de Sully,
    peinture de l’école française du XVIe siècle

    Sully fit en sorte d’unifier le marché national, en supprimant une quantité importante de péages, en permettant la liberté du commerce des grains, en organisant un réseau de voies de communication, notamment par des canaux tel que celui de Briare reliant la Seine à la Loire. À ce titre, il était grand voyer de France : responsable des routes, il organisa leur réfection et fit planter des ormes aux bords des routes en prévision des besoins de la marine.

    Car Sully s’occupait également des questions militaires. Surintendant des fortifications et grand maître de l’artillerie de France, il se chargea de cumuler les armes et munitions dans l’arsenal, ainsi que de fortifier les défenses aux frontières. Lui-même avait participé auparavant à toutes les batailles protestantes, étant plusieurs fois blessé.

    C’est à ce titre que Henri IV lui confia ses responsabilités, ayant une totale confiance en lui, le nommant également surintendant des finances, pour surveiller les comptes.

    On est ici tellement dans une démarche d’appareil d’État que, alors qu’il était protestant lui-même, Sully conseilla à Henri IV de se convertir au catholicisme et joua un rôle pour convaincre des responsables catholiques de la Ligue de soutenir le pouvoir royal.

    Oeconomies d’Estat, oeuvre de 1639 de Sully

    C’est là particulièrement significatif du rôle joué par Henri IV. De fait, ce dernier mit au pas les institutions ayant profité de la guerre des religions pour s’émanciper du pouvoir royal : les échevinages, les états provinciaux, les cours souveraines, les corps intermédiaires, des collèges d’officiers, des assemblées d’ordre.

    Il fit également en sorte de se procurer des revenus en modifiant le statut de la « noblesse de robe », c’est-à-dire les postes administratifs permettant de s’intégrer aux institutions. L’hérédité des offices ne fonctionnait qu’avec une résignation quarante jours auparavant ; une taxe annuelle valant le soixantième de la valeur de l’office permit d’outrepasser cela.

    Cela rapporta un million de livres, notamment avec un groupe de financiers protestants. De 1596 à 1635, le prix moyen d’une charge de conseiller au parlement de Paris passa de 10 000 à 120 000 livres.

    Henri IV fit en sorte de briser les rapports de soumission au sein de l’aristocratie, qui formaient un clientélisme opposé à la monarchie absolue. Il arracha aux gouverneurs les pouvoirs non militaires, c’est-à-dire politiques, financiers et judiciaires. Il plaça ses hommes dans les places fortes les plus importantes.

    Il retira au connétable le commandement des armées, ainsi qu’au colonel général de l’infanterie, Jean-Louis de Nogaret, duc d’Epernon, le choix et la promotion d’une partie des officiers.

    Frans Pourbus le Jeune  (1569–1622),
    Buste de Henri IV portant la croix du Saint-Esprit

    La haute noblesse tenta de saboter le processus, ce qui exigea des réponses militaires. Une opération fut également menée en 1605 dans le Limousin contre les vassaux du duc de Bouillon, puis contre ce dernier à Sedan, où une garnison royale s’installe en 1606.

    Mais c’est surtout en 1602 la conjuration de l’un de ses proches, Charles de Gontaut, duc de Biron, pair et maréchal de France, appuyé par l’Espagne, qui eut le plus de retentissement.

    Le pape fut très inquiet de cette opération de déstabilisation réalisée alors que la monarchie absolue semblait revenue pour de bon dans le giron catholique. Il dénonça vivement le duc de Biron – qui fut exécuté à la Bastille – et l’Espagne fut critiquée par un rapprochement avec la France.

    C’était là un coup de maître politique, renforçant la monarchie absolue mais montrant bien le caractère relatif de l’édit de Nantes.

    Dès 1603, Henri IV autorise le retour des jésuites en France ; le Vatican, de son côté, accorde une dispense de consanguinité à la soeur d’Henri IV, Catherine de Bourbon qui est protestante, reconnaissant son mariage avec le duc de Bar, fils du duc de Lorraine et catholique.

    En 1604, le cardinal Del Bufalo, nonce en France, intervient comme intermédiaire entre la France et l’Espagne pour en terminer avec une guerre des tarifs. Henri IV fit don en 1604 de l’abbaye de Clairac, le Vatican plaçant en 1608 une statue d’Henri IV sous le porche de la cathédrale de Rome. Entre-temps, en 1605, c’est le cardinal de Florence, pro-francais, qui devient le pape Léon XI.

    La monarchie absolue dépassait sa crise, relançant le processus de son affirmation comme plus haut développement de la féodalité, permettant à la nation d’exister par le marché et par là renforçant la bourgeoisie.

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  • L’Édit de Nantes et le renforcement du marché national

    L’Édit de Nantes fut le point de départ du rétablissement de l’ordre royal, ce qui signifie pour la population principalement la remise en ordre de l’agriculture, et pour la bourgeoisie la possibilité de produire et de commercer.

    Ce rétablissement de l’ordre, à ce moment de l’histoire de France, signifie le renforcement de la base nationale, par le renforcement du marché national s’étant développé et ayant permis à François Ier d’apparaître comme figure historique.

    La guerre des religion en France apparaît historiquement non pas comme une crise propre à la féodalité comme ce fut le cas dans les vastes guerres hussites et les luttes de classes immenses qu’elles exprimaient, mais comme une crise de croissance propre à l’émergence de la monarchie absolue.

    Henri IV et la famille royale : son épouse Marie de Médicis et ses quatre enfants Louis XIII, Élisabeth, Christine et Monsieur d’Orléans.

    Les guerres hussites sont apparues au début du processus d’émergence de la monarchie absolue, les guerres de religion en France à la fin de celui-ci.

    La tâche historique d’Henri IV est la remise en place de la base ayant permis les avancées jusqu’à présent, que la guerre de religion, telle une crise de croissance, avait troublées.

    L’économie tournait, en effet, au ralenti en raison des guerres de religion, des brigands qui profitaient massivement de la situation, de la peste bubonique notamment dans les villes en Picardie et en Champagne. L’autodéfense paysanne face aux brigands pouvait également se tourner contre l’aristocratie ou le pouvoir royal, s’opposant par la force aux impôts.

    L’une des mesures les plus importantes fut une décision de mars 1595 faisant qu’on ne pouvait plus confisquer aux laboureurs endettés la culture, les animaux et les instruments. C’était là une logique relevant d’une conception indéniablement calviniste du travail, une mesure similaire étant préconisée par Jean Calvin.

    En 1596, Henri IV décida également l’abandon de la perception des années de tailles échues, ce qui fut répété jusqu’en 1599, alors que la taille annuelle vit son taux s’abaisser.

    Henri IV profita ici de l’activité menée par le protestant Barthélemy de Laffemas (1545-1612), auteur d’un mémoire pour dresser les manufactures et ouvrages du royaume, ainsi que de nombreux écrits sur le sujet, dont les titres sont éloquents, comme par exemple :

    « Source de plusieurs abus et monopoles qui se sont glissez et coulez sur le peuple de France, depuis trente ans ou environ, à la ruyne de l’Estat, dont il se trouve moyen par un règlement général d’empescher à l’advenir tel abus, présenté au Roy et à nosseigneurs de l’assemblée » (1596)

    « Reiglement général pour dresser les manufactures en ce royaume et couper le cours des draps de soye et autres marchandises qui perdent et ruynent l’État. Avec l’extraict de l’advis que MM. de l’Assemblée tenue à Rouen ont baillé à S. M., que l’entrée de toutes sortes de marchandises de soye et laines manufacturées hors ce royaume, soient deffendues en iceluy. Ensemble le moyen de faire les soyes par toute la France » (1597)

    « Les Trésors et richesses pour mettre l’Estat en splendeur et monstrer au vray la ruine des François par le trafic et négoce des estrangers » (1598)

    « VIIe traicté du commerce, de la vie du loyal marchand, avec la commission du Roy, et bien qu’il faict aux peuples et royaumes » (1601)

    « La Façon de faire et semer la graine de meuriers, les eslever en pepinieres, & les replanter aux champs : gouverner & nourrir les vers à soye au Climat de la France, plus facilement que par les memoires de tous ceux qui en ont escript » (1604)

    « La Ruine et disette d’argent, qu’ont apporté les draps de soyes en France, avec des raisons que n’ont jamais cogneu les François, pour y remédier » (1608)

    Contrôleur général du commerce, Barthélemy de Laffemas organisa la commission du commerce, de 1601 à 1604 et développa le principe de chambres par métiers. Furent également mises en place des manufactures, des verreries, des tissages de toiles et de soieries, afin d’éviter les importations.

    Le parcours de Barthélemy de Laffemas est très parlant de la manière dont Henri IV a su s’entourer de gens lui devant tout. Barthélemy de Laffemas vient en effet d’un milieu pauvre : il dut quitter le Dauphiné pour devenir tailleur en Navarre. Le futur Henri IV le prend alors sous son aile et il devient chaussetier des écuries, tailleur-valet de chambre, puis marchand de l’argenterie, Henri IV le tirant d’affaires par la suite avec ses créanciers.

    Dans la même perspective de mise en place d’une économie politique propre à la monarchie absolue, il y a l’étude du protestant Olivier de Serres (1539-1619), intitulée Théâtre d’agriculture et ménage des champs, synthèse de plus de mille pages de ses expériences, et divisée en huit parties :

    « Du devoir du mesnager, Du labourage des terres, De la culture de la vigne, Du bétail à quatre pieds, De la conduite du poulailler, Du jardinage, De l’eau et du bois, De l’usage des aliments »

    Olivier de Serres

    Originaire du sud de la France, Olivier de Serres se plaçait en pratique dans la démarche de l’empirisme, du matérialisme. Il fit de sa ferme du Pradel un lieu d’expérimentation afin d’arriver à une ferme modèle, créant notamment un canal d’irrigation d’un kilomètre. Il introduit le houblon, le maïs, la garance. Il tente d’extraire le sucre de la betterave et diffuse des connaissances précises sur la culture des vignobles.

    L’ouvrage fut diffusé aux frais du roi lui-même qui poussait des grands marchands à soutenir cette perspective. Il y aura 19 rééditions de l’ouvrage de 1600 à 1675, avant que l’ouvrage ne disparaisse jusqu’à la révolution française en raison du protestantisme de son auteur.

    Furent alors tentés l’élevage du mûrier et l’élevage du ver à soie à Paris, Orléans, Tours et Lyon, réussissant au Languedoc et au Dauphiné. 20 000 pieds de mûriers sont plantés aux Tuileries et 10 000 à Saint-Germain-en-Laye, quatre millions de plants sont cultivés en Provence et Languedoc. Henri IV fit même ordonner en 1602 que chaque paroisse possède une pépinière de mûriers et une magnanerie, c’est-à-dire un élevage de vers à soie.

    L’objectif était de donner naissance, par en haut, à une industrie de soieries, de draps d’or et d’argent, qui dispose immédiatement d’appuis systématiques, notamment par le statut de monopole dans ce secteur. Dans une même logique, Henri IV entendait créer des compagnies pour les Indes orientales et occidentales.

    C’était une offensive tous azimuts pour le renforcement du marché national.

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  • La signification de l’Édit de Nantes

    L’Édit de Nantes est promulgué le 13 avril 1598. Il a fallu deux années de négociation pour arriver un texte acceptable ou tout au moins relativement gérable par le pouvoir royal, aux dépens des factions catholique et protestante.

    Trente années de troubles provoqués par d’incessantes guerres de religion et d’influences extérieures imposaient au pouvoir royal, pour se maintenir, de stabiliser à tout prix la situation, au moins pour un temps. La dimension nationale l’emporterait : en pratique, c’est sur la bourgeoisie que mise la monarchie absolue.

    L’Édit de Nantes est donc censé être « perpétuel et irrévocable » : en pratique il est évidemment un simple moment de stabilisation des rapports de force.

    Il consiste en 95 articles publics, 56 articles secrets, ainsi que deux brevets. L’Édit de Nantes ne reconnaît en pratique que le catholicisme comme religion officielle, le protestantisme est désigné par l’expression catholique de « religion prétendument réformée ».

    Les protestants sont ainsi seulement tolérés et ils doivent payer la dîme. Afin de les pousser à accepter l’Édit, des acquis sociaux leur sont fournis, comme l’accession théorique à tous les emplois, des postes d’officiers dans certains parlements lorsqu’il est traité des protestants.

    L’Édit de Nantes 

    On a là un aboutissement d’un processus ayant consisté en la multiplication d’Édits. On a un mouvement de balancier : à l’acceptation suit un recul puis une interdiction, le tout recommençant. Encore s’agit-il des décisions officielles, plus ou moins inappliquées.

    Le premier Édit, celui de Saint-Germain en janvier 1562, permettait la liberté de conscience et la liberté de culte en dehors des villes closes. En avril 1562 le tout est suspendu, puis rétabli à ceci près que l’Édit d’Amboise en mars 1563 limitera ensuite énormément la liberté de culte.

    En mars 1568 la paix de Longjumeau ramène une marge de manœuvre pour les protestants, mais l’Édit de Saint-Mauren septembre 1568 rétablit la répression. En août 1570 la paix de Saint-Germain est favorable au protestantisme, mais on va alors vers la Saint-Barthélemy en 1572.

    À ce moment-là, la question militaire s’associe à celle de la liberté de culte. Les protestants obtinrent à partir de là des « places de sûreté », par exemple avec l’Édit de Boulogne en 1573. Elles furent toujours au nombre de quatre : La Rochelle et Montauban, ainsi que Cognac et La Charité, puis Nîmes et Sancerre.

    Par la suite, la « paix de Monsieur » en mai 1576, avec l’Édit de Beaulieu, leur nombre passa à huit.

    La situation était celle d’une formidable avancée pour les protestants : la liberté de culte était générale sauf à Paris et dans les résidences royales, liberté de conscience, réhabilitation et indemnisation des victimes de la Saint-Barthélemy, accession possible à tous les emplois y compris militaires, chambres à parties égales pour garantir l’équité dans la justice, grâces et faveurs pour les chefs protestants. Dès octobre 1577 toutefois, l’Édit de Poitiers restreint la liberté de culte prévue.

    Le traité de Nérac en février 1579 maintient le statu quo, mais le nombre de places de sûreté passe à 16, pour six mois. La Paix de Fleix, en novembre 1580, prolonge ce traité de six ans.

    Avec l’Édit de Nantes, les protestants voient leur culte autorisé de manière relative : seulement là où il était pratiqué à la fin d’août 1597, ainsi que dans deux villes par bailliage et chez les seigneurs hauts justiciers.

    Afin de gagner la direction protestante, les synodes provinciaux et nationaux sont reconnus, et les accords secrets accordent des garanties militaires. 150 lieux de refuges sont reconnus, dont 51 places de sûreté, avec des garnisons et des gouverneurs protestants payés par le roi.

    Ces accords secrets sont d’ailleurs accordés par le roi lui-même et ainsi non pas soumis à l’enregistrement des cours souveraines.

    L’évolution de la situation à la fin du XVIe siècle,
    par le Musée Virtuel du Protestantisme

    Militairement, la sécurité des protestants semblait enfin relativement assurée. Cependant, l’approche est d’une certaine manière une erreur grossière. Ce qui semble un avantage est en effet ici problématique, car cela signifie qu’on est là dans une logique pragmatique, qui contourne l’opinion publique.

    La bataille pour celle-ci est à la base même oubliée. Les protestants se posent comme force à la marge, négociant des avantages spécifiques, avec à l’esprit seulement les questions pratiques à court terme : politiquement c’est un désavantage.

    D’ailleurs, Henri IV va mettre deux années pour que chaque parlement existant en France finisse par reconnaître l’Édit. Les assemblées du clergé ne cesseront, année après année, d’appeler à supprimer «l’hérésie ». Quant à la monarchie absolue, elle prend les choses comme elles sont, et si le catholicisme est majoritaire et que le pape lâche du lest, alors le choix est rapidement fait.

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  • La dernière conversion d’Henri IV

    Ayant installé son gouvernement en Touraine après l’échec de la prise de Paris, Henri IV parvient à lancer une offensive militaire et à écraser la Ligue à Ivry en mars 1590. La question nationale, permise dans son existence même par la monarchie absolue, va alors se poser dans toute son ampleur.

    Henri IV dans les années 1590

    Le soutien espagnol provoque un trouble certain sur le plan de la conscience nationale, qui saisit que l’éventuel succès de la Ligue renforcerait l’Espagne aux dépens de la France, voire briserait la France, en renforçant la féodalité de type médiéval.

    Joue ici un rôle important la publication d’un accord secret signé à Joinville, dit de la « Sainte Ligue », entre l’Espagne et la Ligue, et la révélation que le roi d’Espagne avait tenté de placer sur le trône français plusieurs personnes : sa propre fille, son frère qui était un archiduc autrichien, le cardinal de Bourbon (oncle de Henri IV), etc.

    La Ligue elle-même en arrive à se diviser en deux, le comité gérant Paris étant décapité au bout d’un affrontement entre une tendance catholique ultra et une tendance bourgeoise plus mesurée.

    Dans ce contexte d’enjeu national, les parlements existant en France alors se divisent de plus en plus et Henri IV obtient un appui toujours plus grand, dans la mesure où il relève de l’option nationale. C’est précisément à ce moment là que Henri IV fait annoncer par l’archevêque de Bourges qu’il va devenir catholique.

    C’est une option pragmatique qui fait littéralement basculer dans le camp de la monarchie absolue des pans entiers du catholicisme, justement en raison de la base nationale.

    Henri IV abjure le protestantisme en juillet 1593, lors d’une cérémonie publique à Saint-Denis. Il rentre dans l’église, l’archevêque lui demande qui il est, Henri IV répond « Je suis le roi ! »

    S’ensuit le dialogue suivant, Henri IV s’agenouillant sur un carreau présenté par le cardinal :

    « – Que demandez-vous ?

    – Je demande être reçu au giron de l’Eglise catholique, apostolique et romaine.

    – Le voulez-vous ?

    – Oui, je le veux et je le désire. Je proteste et jure, devant la face du Dieu tout puissant, de vivre et mourir en la religion catholique, apostolique et romaine, de la protéger et défendre envers tous, au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à toutes hérésies contraires à ladite Église. »

    Nicolas Baullery  (–1630),
    L’abjuration d’Henri IV, le 25 juillet 1593,
    en la basilique de Saint-Denis

    Henri IV est couronné Roi de France en février 1594 à Chartres, à défaut d’avoir pu aller à Reims qui était sous le contrôle de la Ligue catholique. Enfin, le pape Clément lui accorde l’absolution au bout d’un certain temps, en novembre 1595. Henri III fut alors le dernier de la maison des Valois, Henri IV le premier de la maison des Bourbons.

    Armoiries du roi Henri IV

    Henri IV apparaît donc comme quelqu’un possédant la légitimité générale et il rassemble au fur et à mesure des troupes pour vaincre la présence espagnole : d’abord lors de la bataille de Fontaine-Française qui libère la Bourgogne, en juin 1595, ensuite et surtout dans le siège d’Amiens qui dura six mois avec également une contre-offensive espagnole, en 1597.

    L’Espagne est alors battue, étant également à bout de ressources (elle n’a par ailleurs que 8 millions d’habitants, contre 20 pour la France) ; le traité de paix franco-espagnol est signé à Vervins en mai 1598 et la France retrouve ses frontières de 1559, revenant au premier plan.

    Restent les problèmes franco-français, liés à l’influence espagnole et au catholicisme ultra. Henri IV engage des négociations avec les trente villes de la Ligue, avec qui furent faits des accords un par un.

    Portrait équestre de Henri IV (1553-1610),
    roi de France, XVIe siècle

    Bordeaux, par exemple, vit ses privilèges renouvelés en 1591 : le maire et les jurats disposent de la garde et des clefs de la ville, ainsi que des tours aux portes de celle-ci. On trouve la même question des tours dans le traité concernant la ville de Lyon, où l’on peut lire : « Que le Roy ne batiroit jamais de citadelles en leur ville, que dans leurs coeurs et bonnes volontez ».

    La ville de Lyon obtient de ne pas avoir à entretenir de garnison royale, de conserver ses privilèges pour les foires, les manufactures de soie et de draps d’or et d’argent, d’être exemptée de tailles, de bans et d’arrière-bans, etc.

    Mais surtout, Henri IV procède à la corruption, qui a un coût massif : 32 millions de livres, pas moins d’une année d’impôts ! Et encore s’agit-il d’un chiffre qui ne tient pas compte des articles secrets, ni de la distribution de postes richement rémunérés.

    L’entrée à Paris fut par exemple achetée 1 million 695 mille livres et une charge de maréchal au comte de Brissac. Le marquis de Vitry fut acheté 168 890 livres, à quoi s’ajoutent une charge de capitaine des gardes et le gouvernement de Meaux, le duc de Mercoeur fut acheté deux millions de livres !

    Et c’est justement en se rendant à Nantes au printemps 1598 pour signer l’accord avec le duc de Mercoeur que Henri IV va pouvoir alors officialiser le fameux Édit. Il lui fallait en effet trouver un terrain d’entente avec les protestants.

    Il avait fait un premier pas, extrêmement restreint, en juillet 1591, avec l’Édit de Mantes rétablissant l’Édit de Poitiers de 1577, accordant de faibles droits aux protestants. Il fallait cette fois à Henri IV aller plus loin.

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  • Catholicismes pro-espagnol et politique au moment de l’Édit de Nantes

    Successeur de Henri III, Henri de Navarre procède par étapes. Tout d’abord, il lui faut trouver un terrain d’entente avec le pape et les catholiques, tout en contournant la faction catholique française alliée au roi d’Espagne. C’est la seule possibilité de rétablir une stabilité politique et économique relative, et par là relancer le processus de monarchie absolue.

    Cela passe par l’écrasement immédiat des forces royalistes partisanes d’une option catholique, commandées par Anne de Joyeuse (1560-1587) et battues à la bataille de Coutras, en octobre 1587.

    Anne, duc de Joyeuse (1560-1587), tiré de Portraits dessinés de la Cour de France, XVIe siècle

    Pour montrer les rapports étroits entre toutes ces figures, une anecdote est ici assez exemplaire. Il s’avère que Henri III avait confisqué une bague avec un diamant et un rubis rouge à Marguerite de Valois, la future femme d’Henri IV. La raison en fut que celle-ci accusait Anne de Joyeuse d’interférence dans la politique royale. La bague fut remis Anne de Joyeuse, le plus important des « mignons ».

    Ce terme désigne des personnes extrêmement proches du roi, des « favoris », qui ont le droit de s’habiller comme lui, voire de coucher dans la même chambre ou encore le même lit. On a là un « raffinement » en fait décadent : les courtisans autour du roi se poudrent, se frisent les cheveux, portent des boucles d’oreille, de la dentelle, de grandes fraises. 

    Le peintre romantique Charles Durupt les présente, de manière provocatrice, en les montrant regarder dédaigneusement le cadavre du duc de Guise, chef des catholiques, assassiné.

    Représentation du 19e siècle de la mort de Henri de Guise : Charles Durupt (1804-1838), Henri III poussant du pied le cadavre du duc de Guise

    On a ici des mœurs décadentes – rejetées tant par les factions catholique que protestante – qui montrent bien à quel point la monarchie était à un tournant.

    Avec ce statut de « mignon », Anne de Joyeuse était le gardien des chambres royales : il avait le droit de porter les couleurs royales. Lui-même était marié avec Marguerite de Lorraine, une demi-soeur de la reine, le couple recevant à l’occasion du mariage 300 000 écus et Anne de Joyeuse la seigneurie de Limours, alors que le vicomté de Joyeuse fut érigé en duché-pairie avec préséance sur tous les autres ducs et pairs excepté les princes du sang.

    Par la suite – il n’a alors que 21 ans – il devient grand-amiral de France. Partisan acharné de la cause catholique – il est ainsi notamment à l’origine du « massacre de Saint-Eloi » coûtant la vie à 800 protestants en 1587 à La Mothe-Saint-Héray – il représentait un tendance monarchiste catholique relativement légitimiste.

    Tentant de renforcer la faction catholique ainsi que la faction catholique royale, il se lance dans la bataille anti-protestante. Capturé lors de la bataille de Coutras, il est exécuté en punition du massacre de Saint-Eloi, malgré sa proposition d’une rançon de 100 000 écus.

    Bataille de Coutras, gravure coloriée de Frans Hogenberg (1535-1590)

    Politiquement, c’était une figure importante qui était éliminée. Sa défaite était capitale pour Henri IV, sa disparition un avantage indéniable.

    Cela forçait le camp catholique à se présenter comme tel, hors continuité monarchique directe, et cela donnait de l’espace à ceux qui furent alors appelés les « politiques ».

    Il s’agissait d’une fraction catholique légitimiste, maintenant l’accent sur le pouvoir royal et la stabilité étatique, portée notamment le duc d’Alençon, le prince de Condé, le maréchal de Montmorency, avec comme principal théoricien Jean Bodin, auteur en 1576 des Six livres de la République.

    Elle profitait d’un large courant d’idée appelant à se focaliser sur l’État plus que sur la religion. Telle était la démarche du chancelier Michel de L’Hospital, l’avocat au Parlement de Paris Étienne Pasquier auteur en 1561 de l’Exhortation aux princes (1561), le juriste Guy Coquille, l’avocat général au Parlement de Toulouse Pierre de Belloy, les protestants François de La Noue et Guillaume du Bartas.

    Une œuvre représentative de ce courant fut celle signée d’un collectif de bons citoyens « demeurés français en politique et gallicans en religion », la Satyre Ménippée : de la Vertu du Catholicon d’Espaigne et de la tenuë des estats de Paris, en 1583.

    De la Vertu du Catholicon d’Espaigne et de la tenuë des estats de Paris, dans une édition tardive (1711)

    Le courant catholique légitimiste représentait donc pour Henri IV un souci, mais nullement une priorité. Il fallait battre surtout la Ligue catholique, commandée par le duc de Mayenne qui avait succédé aux Guise assassinés. Celui-ci mène immédiatement une campagne militaire pour écraser Henri IV, mais ce dernier parvient à lui échapper, puis à obtenir une première victoire à Arques en septembre 1589.

    Il tente alors de prendre Paris, mais échoue : des troupes espagnoles aident les villes de Paris et de Rouen (qui est à ce moment le premier port français) à faire face aux sièges menés par Henri IV.

    C’est là un moment clef, le tournant. Henri IV va profiter de la base formée par la monarchie absolue pour réaliser sa propre mise en valeur en tant que dirigeant de la bataille anti-espagnole, forçant de larges courants catholiques à basculer dans son camp, à faire de l’unité française une priorité, au-delà de la question religieuse.

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  • Avec Henri IV, Une équipe de protestants pour la modernisation du pays

    La question n’est donc nullement le simple rapport catholicisme – protestantisme. Il faut bien avoir à l’esprit qu’on est déjà dans une situation où la féodalité de l’ancien Moyen-Âge disparaît. La monarchie absolue est déjà présente en grande partie. C’est la raison pour laquelle les états généraux n’ont pas été convoqués de 1484 à 1560.

    Le régime est déjà centralisé, et se forge un appareil d’État qu’il lui faut assumer. La création de postes administratifs rémunérés mais exigeant un prix d’entrée provoque une explosion des salaires à payer : on passe de 1,2 millions de livres par an à cinq millions en 1585.

    Si l’on met de côté le protestantisme de la partie sud de la France qui est lié pour beaucoup aux notables ayant des velléités d’autonomie, les protestants apparaissent ici comme l’expression la plus moderne, la plus intellectuelle du courant culturel porté par la monarchie absolue. Le protestantisme est une religion de gens cultivés, de bourgeois c’est-à-dire de marchands et de commerçants dont l’activité a donné naissance aux bourgs, ainsi que d’artistes et d’intellectuels.

    Au départ du protestantisme français, on ne trouve peu ou pas de gentilshommes, même si Catherine de Bourbon, sœur du roi, fait partie initialement des protestants, avant son mariage forcé avec un prince lorrain ultra catholique.

    La force du protestantisme tient véritablement aux figures les plus cultivées, les plus intellectuelles du pays. Pour cela il faut regarder ce qui se passe à Paris, car elles ont réussi à se lier au pouvoir royal qui, quittant la féodalité du Moyen-Âge, se modernise, formant les bases de l’État moderne.

    Les 15 000 protestants parisiens ne forment que 1/20 de la population, mais ils sont très liés au pouvoir royal. Il y a même des cérémonies religieuses de 1500 personnes dans la salle des Cariatides du Louvre, avant que ne s’installent des temples à la périphérie parisienne : à Grigny, puis à Ablon et enfin à Charenton, toujours plus proche de la capitale, dans le dernier cas, la Seine servant de moyen de transport.

    Les protestants parisiens sont souvent fonctionnaires royaux, ou bien fournisseurs royaux. On les retrouve dans l’entourage le plus proche du roi, le plus connu d’entre eux étant le duc de Sully, Maximilien de Béthune, lors du règne d’Henri IV. Mais on a également le secrétaire de la Chambre des finances Nicolas de Rambouillet, le trésorier général de France Claude Hérouard, le trésorier général de la cavalerie légère Jean du Jon, le trésorier général de la Maison de Navarre (et par ailleurs banquier) Gédéon Tallemant, le contrôleur général du commerce Barthélemy Laffemas.

    On retrouve ici un aspect économique évident et il est significatif qu’un catholique important qui se convertisse soit Gilles de Maupeou, l’intendant des finances (et grand-père de Nicolas Fouquet). On retrouve des cas similaires avec le maître des comptes Antoine Le Maistre ou encore le maître de forges et auteur du Traité de l’économie politique Antoine de Montchrestien.

    Les arts et techniques sont également largement présents. Le peintre Jacob Bunel décora les Tuileries, dont la galerie fut terminée par l’architecte Jacques Androuet du Cerceau. Le neveu de celui-ci, Salomon de Brosse, fut également architecte et il est notamment à l’origine du palais du Luxembourg, du Collège de France, de la grande salle du Palais de Justice.

    Parmi les autres figures artistiques, on a les poètes Théodore Agrippa d’Aubigné et Guillaume du Bartas, les sculpteurs Ligier Richier et Jean Goujon, le céramiste Bernard Palissy,

    On a aussi le musicien Claude Goudimel, l’ingénieur Jean Erard qui travailla dans les fortifications, Salomon de Caus qui fut hydraulicien (auteur de Raison des forces mouvantes), s’occupa des jardins de Louis XIII et travailla à installer à Paris des fontaines et à enlever les boues, alors que le médailleur Philippe Danfrie et Guillaume Dupré furent directeurs de la monnaie et s’occupaient des effigies royales.

    L’orgue automatique hydraulique de Salomon de Caus, d’après le Hortus Palatinus (1621)

    Ce protestantisme est d’un haut niveau intellectuel, la monarchie absolue ne peut pas se passer de lui. Toutefois, ce protestantisme est faible numériquement, alors que le catholicisme est majoritaire et agressif au possible. Telle est la situation à laquelle fait face Henri IV.

    Il a besoin d’une équipe de protestants pour la modernisation du pays, mais le pays n’est pas prêt à l’admettre. L’Édit de Nantes va être un moyen politique de dépasser cette contradiction – aux dépens historiquement du protestantisme, et privant la France ici d’une grande partie de sa dimension progressiste.

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  • Henri III et Henri IV

    Le matérialisme dialectique enseigne non seulement que le moteur d’un phénomène est sa contradiction interne, mais également qu’il y a plusieurs aspects, dont un seul est le principal. Bien entendu, l’aspect principal peut changer, et le saisir est la clef pour comprendre le phénomène.

    Saisir les événements en rapport à l’Édit de Nantes demande donc une grande précision, car il ne s’agit nullement de voir les choses comme un simple affrontement entre catholiques et protestants.

    Si Paris s’était soulevé contre Henri III, c’était sous l’effet de l’action de la Ligue, la faction catholique. Elle était pour l’écrasement des protestants et l’alliance ouverte avec l’Espagne : elle se méfiait de la faction royale et de Henri III qu’elle considérait logiquement comme enclin au compromis en raison d’une démarche pragmatique servant en priorité la systématisation de la monarchie absolue.

    C’était d’autant plus vrai que Henri III n’avait pas d’enfant et que son successeur était Henri de Navarre, un protestant lié à la famille royale.

    François II Bunel (1522-1599), Procession de la Ligue dans l’Ile de la Cité

    Henri de Navarre était né d’un père catholique, Antoine de Bourbon, qui était le descendant du roi Louis IX, et d’une mère protestante, Jeanne d’Albret, reine de Navarre.

    Il fut baptisé catholique, mais son éducation resta influencée par le calvinisme, qui prédominait en Navarre. À neuf an, il a déjà changé trois fois de religion ; au total, il en changera six fois.

    Henri de Navarre se retrouva au coeur de la Saint-Barthélemy, et le fait qu’il ait survécu témoigne de son importance dans la famille royale. Le grand massacre eut lieu justement alors que les principaux responsables protestants venaient à Paris assister à son propre mariage avec la soeur du roi Charles IX, Marguerite de Valois. Celle-ci étant est catholique, le mariage est célébré sur le parvis de Notre-Dame, Henri de Navarre refusant d’entrer dans l’église.

    La Saint-Barthélemy se déroule quelques jours après, mais il fut protégé par son statut de prince de sang : il se reconvertit alors au catholicisme afin de sauver sa situation.

    Médaille commémorative de 1572, à l’effigie du pape Grégoire XIII, avec le revers une présentation du massacre de la Saint-Barthélemy.

    Au bout de divers pérégrinations, il est accepté mais passe tout de même 39 mois otage à la cour. Il oscille ensuite dans son parcours, préservant systématiquement l’option devant faire de lui un roi, au-delà de l’opposition entre catholiques et protestants.

    Il mène également une vie décadente typique de la royauté de l’époque de François Ier, avec la chasse, les jeux, les coucheries mêlées de galanterie et d’esprit de courtisans. Il se situe impeccablement dans le courant de la royauté sur le plan culturel.

    Quelle serait donc la position réelle de la monarchie tendant à devenir absolue, par rapport à cet éventuel roi marqué par le protestantisme ? L’Eglise catholique n’avait pas une entière confiance en les priorités royales, loin de là.

    Une alliance temporaire se fit donc entre la Ligue et Henri III, sur une base précaire. La Ligue cherchait à bloquer la faction royale dans le camp catholique, tandis que Henri III n’était pas assez puissant pour progresser seul.

    Henri de Navarre se vit déchu de ses droits ; Henri de Guise, chef de la Ligue, battit des troupes étrangères pro-protestantes venues d’Allemagne et de Suisse, se faisant acclamer à Paris, exigeant pour lui la Picardie et exerçant une pression énorme sur le roi, obligé alors de fuir à Blois.

    Henri de Guise était prêt à renverser le roi, grâce à l’appui du roi d’Espagne, qui avec l’invincible armada avait même tenté d’attaquer l’Angleterre.

    Henri III eut alors comme réponse d’organiser l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, afin de faire triompher la faction royale et de battre la Ligue. Dans ce cadre, Henri III se rapprocha également du futur Henri IV, dont il avait besoin. C’était un renversement d’alliance, mais maintenant toujours la monarchie au centre politique.

    Henri III fut alors lui-même assassiné par un moine en représailles, un acte d’une portée telle – le régicide étant le crime absolu – qu’on voit le degré d’antagonisme existant.

    Henri de Navarre devait alors logiquement lui succéder; Henri III le désigna même sur son lit de mort.

    Tapisserie du XVIe siècle :
    Henri III sur son lit de mort désigne Henri Navarre comme son successeur

    Mais Henri de Navarre était lié au protestantisme et la faction royaliste se méfiait de lui, tandis que la Ligue catholique entendait tout faire pour le refuser.

    L’Édit de Nantes va se produire comme compromis historique. Aucune faction n’arrivant à l’emporter, les compromis étaient paradoxalement inévitables… et temporaires.

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