Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • MPP : L’interne est décisif

    Exrait de l’article « L’interne est décisif – le président Gonzalo est inséparable de la pensée Gonzalo », publié en 2000 (Red Sun numéro 19) par le Mouvement Populaire Pérou (organisme pour le travail à l’étranger du Parti communiste du Pérou).

    « « Il n’y a rien qui ne contienne de contradiction. » Ensuite, il faut voir où est la contradiction dans le président Gonzalo: est-ce entre une trahison envers la révolution et continuer la route de la révolution? Ou une autre ?

    Lui-même avait souligné dans l’Interview :

    « Malgré cela, nous avons toujours une contradiction entre la ligne rouge qui domine dans notre tête et la ligne contraire. Les deux se manifestent car il n’y a pas de communiste à cent pour cent, et dans notre esprit se livre la lutte de deux lignes. Cette lutte est capitale aussi pour forger les militants; notre objectif étant que la ligne rouge s’impose toujours à nous. C’est ce que nous cherchons. »

    Il est évident que le Président Gonzalo ne peut pas, non plus, être considéré comme un être monolithique, sans contradictions, comprendre cela est fondamental. Mais on doit, de même, voir la contradiction particulière qu’il a – celui d’être un Grand Dirigeant – et comprendre que c’est là que c’est là que réside la contradiction, constater que nous ne traitons pas avec un poste formel, mais une condition qui a été soulevée et a été prouvé dans la pratique révolutionnaire au cours de plusieurs décennies et qui est venu à se développer à un niveau supérieur.

    Par conséquent, au sein du Président Gonzalo, la contradiction n’est plus entre la trahison contre la révolution ou la poursuite de la voie de la révolution, ce n’est pas entre l’application du marxisme ou la révision du marxisme, mais la contradiction est entre faire une application tout à fait correcte ou faire des erreurs dues au fait d’affronter de nouveaux problèmes.

    Ce n’est pas étrange, ce n’est pas parce président Gonzalo est un surhomme ou quelque chose comme ça, c’est le résultat du développement de la lutte de classe, un résultat objectif du développement de la matière.

    Le communisme va inévitablement s’imposer dans le monde, il s’agit d’une position fondamentale que tout marxiste-léniniste-maoïste assume nécessairement, c’est une condition sine qua non pour être marxiste ; cela en raison, en dernière analyse, de la tendance de la matière à avancer; l’histoire ne se développe pas dans des cercles fermés et éternels, l’histoire va de l’avant et il est impossible de faire aller son cours en arrière.

    Le communisme ne peut pas se développer en une société de classes, car dans le communisme, les classes ont cessé d’exister avec toutes les conditions préalables à leur existence, il est impossible pour un être humain de prédire comment seront dans le communisme les rapports économiques, politiques, culturelles et sociaux entre les gens, mais, il est possible d’affirmer avec une certitude absolue, qu’il n’y aura plus, jamais plus, de classes sociales dans l’histoire humaine lorsque le communisme toujours doré sera né.

    Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas des contradictions dans le communisme, évidemment il y en aura, mais les contradictions qui amènent vers l’avant le développement de la société humaine ne seront plus entre les classes, mais d’un autre type.

    Ensuite, si les marxistes le comprennent ainsi, comme nous l’avons vu dans l’exemple de la façon dont nous comprenons le communisme, le développement de la société: pourquoi est-ce que certains ne sont pas capables de comprendre que les grands dirigeants du prolétariat, des titans comme Marx, Lénine et le Président Mao, en tant que produits du développement de la lutte des classes, ont atteint un niveau de développement dans lequel il est impossible qu’ils puissent devenir des révisionnistes?

    Ou bien est-ce que les messieurs qui « argumentent » comme quoi « il est possible que le Président Gonzalo soit l’auteur des « lettres de paix » parce parce que tout se divise en deux » pensent aussi que le fondateur du marxisme, de l’ensemble du Mouvement Communiste International, Karl Marx, serait devenu un partisan de Bakounine, s’il avait eu été en captivité isolé pendant un an et aurait reçu de fausses informations des bouchers réactionnaires allemands ?

    Est-ce que que ces messieurs croient que le grand Lénine serait devenu l’un des rats [sic] perfides de la seconde Internationale s’il avait eu été en captivité isolé pendant un an et aurait reçu de fausses informations des gendarmes du Tsar ?

    Les intellectualloïdes pensent-ils que Mao se serait transformé en capitulard s’il avait eu été en captivité isolé pendant un an et aurait reçu de fausses informations des forces génocidaires de l’impérialisme japonais ?

    Il est évident que personne ne connaissant le travail de ces trois pics ne se flétrissant pas ne peut considérer la spéculation sur leur fermeté et leur dévouement absolu à la Révolution Prolétarienne Mondiale à rien d’autre que quelque chose de grossier et stupide, car Marx, Lénine et le Président Mao sont de Grands Dirigeants, et même si nous si nous ne disons pas que le Président Gonzalo est peut-être la quatrième épée du marxisme, lui aussi est un Grand Dirigeant.

    Mais, comme un ivrogne saisit quelque chose afin de ne pas tomber, nos « théoriciens maoïstes » viennent aussi avec leur « argument » sur la torture et le « lavage de cerveau », afin de donner des fondations à leur position grossière, ce qui est trop!

    Il est impossible qu’un camarade qui a compris une pincée du Marxisme-Léninisme-Maoïsme pourrait penser que l’être humain, à travers le « lavage de cerveau », peut changer sa façon de penser et élaborer une nouvelle ligne politique et idéologique en ligne sans avoir les antécédents préalables.

    Ce qu’ils peuvent faire avec la torture et le « lavage de cerveau » est de tuer le cerveau d’une personne, de produire en lui un état « végétal », mais il n’est pas possible d’arriver à ce que la personne commence, de son propre chef, à mettre en place une nouvelle ligne idéologique-politique.

    Si le fondement de la position grossière comme quoi « le Président peut être derrière les lettres » est que l’impérialisme et la réaction, avec le soutien des rats de la LOD, ont « lavé le cerveau » du Président Gonzalo, cela signifie, en d’autres termes, qu’ils l’ont assassiné; tout cela, alors, ce sont des spéculations qui ne servent que les plans de l’ennemi et il est nécessaire que les maoïstes du monde les démasquent et écrasent, parce qu’ils sont basés sur « le principe de la cause externe » et non pas sur « la cause fondamentale du développement des choses et des phénomènes n’est pas externe, mais interne; elle se trouve dans les contradictions internes des choses » [Mao, De la contradiction] et en conséquence ils ne comprennent pas l’interrelation correcte entre les causes internes et externes qui est que: « les causes externes constituent la condition des changements, que les causes internes en sont la base, et que les causes externes opèrent par l’intermédiaire des causes internes » [Mao, De la contradiction].

    Par conséquent, le fondement philosophique de la position qu’il « est possible que le Président Gonzalo soit » est un énoncé d’une conception métaphysique qui donne de la place au subjectivisme, à l’unilatéralité et à la superficialité. »

    >Sommaire du dossier

  • Le sens de la prose poétique de Gonzalo

    En utilisant la prose poétique, Gonzalo a voulu montrer que ce qu’il dit, son esprit, est un produit du mouvement de la matière, pas un produit de son esprit seul.

    Commençons par le premier point. Quand on lit ou on entend Gonzalo, il est impossible de ne pas remarquer qu’il y a une forte emphase sur le style. Gonzalo utilise ouvertement une prose poétique.

    Le document « ILA 80 » – Initiation de la lutte armée – 1980 est très connue pour cela et nous allons citer ici un autre document, « Commençons à démolir les murs et à déployer l’aurore », qui explique sa conception.

    En effet, Gonzalo souligne l’importance de l’enthousiasme. Mais cet enthousiasme ne doit pas être apporté de l’extérieur, il doit exister comme une expression du mouvement de la matière. Voir cela comme une approche subjectiviste était une erreur commune.

    Voici ce que Gonzalo dit:

    « Engels nous a appris qu’il y a deux pouvoirs sur la terre, la force armée de la réaction et la masse inorganisée. Si nous organisons ce pouvoir, ce qui est en puissance devient en acte, le potentiel devient réel, ce qui est loi et nécessité devient un fait frappant, qui balaie tout ce qui se croyait ferme.

    Sans être soutenu par la masse rien n’est solide, tout n’est que château de cartes, et quand elle parle, tout frémit, l’ordre commence à trembler, les plus hautes cimes s’abaissent, les étoiles prennent une autre direction, parce que les masses font et peuvent tout (…) .

    Nous sommes communistes, grandis dans un temple à part, faits d’une roche à part; nous sommes des communistes prêts à tout et nous savons ce que nous avons à affronter. Nous l’avons déjà affronté, nous l’affronterons encore demain.

    Le futur, fils du présent, sera plus dur, mais le passé nous a déjà trempé et au présent nous nous forgeons.

    Trempons nos âmes dans la révolution, ce sont les seules flammes capables de nous forger. Nous avons besoin d’un optimisme élevé, qui a une raison d’être : nous sommes ceux qui conduisent ceux qui façonnent l’avenir, nous sommes des guides, l’état major du triomphe invincible de la classe, pour cette raison nous sommes optimistes.

    Nous possédons l’enthousiasme, parce que nous nourrit l’idéologie de la classe : la marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong. Nous vivons la vie de la classe, nous participons de sa geste héroïque, le sang de notre peuple nous remplit d’ardeur et bout dans nos coeurs. Nous sommes ce sang puissant et palpitant, prenons ce fer et cet acier inflexible qu’est la classe et fusionnons-le avec la lumière immarscessible du marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong.

    L’enthousiasme, c’est participer de la force des dieux, c’est pour cela que nous débordons d’enthousiasme, parce que nous participons des divinités du monde actuel : la masse, la classe, le marxisme, la révolution.

    Pour cette raison, notre enthousiasme est inépuisable, pour cette raison, nous sommes forts, optimistes, notre âme est vigoureuse et nous débordons d’enthousiasme.

    Et qu’avons-nous vu ici? Des dirigeants, des militants orphelins d’optimisme, ayant perdu l’ébullition enthousiaste, des âmes éteintes, des volontés déchues, des passions en fuite.

    Inacceptable. Nous en connaissons l’origine : ce qui les soutient, ce n’est pas le marxisme, la classe ni la masse, c’est l’individualisme corrosif; c’est la pourriture réactionnaire qui les fait s’effrayer, c’est d’avoir été moulé dans les cloaques du vieil ordre, c’est l’expression d’un monde qui se meurt, ce sont les gaz mortels qui s’échappent des barrages de la réaction; à cause de cela, leurs énergies s’affaiblissent, leur coeur tremble, la pensée les abandonne, leurs nerfs se détruisent, leur action se trouble.

    Cela, il faut l’éradiquer; cela ne peut plus habiter parmi nous. Inacceptable, inadmissible; à brûler, à faire exploser. Cela peut encore moins exister dans le Parti et moins encore chercher à dominer. Qu’avons-nous vu tout à l’heure? Des dirigeants avec ces positions et attitudes. Monstrueux.

    Cela ne doit plus jamais arriver. Et en plus aujourd’hui, aujourd’hui où justement nous devons arborer l’optimisme et déborder d’enthousiasme? Si cela est en soi inacceptable, c’est aujourd’hui de la corrosion, de la pure gangrène, aujourd’hui c’est encore plus inacceptable.

    Si les camarades n’éradiquent pas ces maux, quel type de cadres vont-ils former? Quel type de militants vont-ils former? Appliquons ceci : la compagnie ressemble à son commandant. A commandant sans optimisme, compagnie sans optimisme; à commandant pusillanime, compagnie pusillanime, vaincue et ruinée avant même de livrer bataille.

    Nous devons arborer l’optimisme et déborder d’enthousiasme. Que notre idéologie puissante, notre ligne acérée et notre volonté de communiste s’expriment surtout chez les dirigeants.

    Mot d’ordre : Arborer l’optimisme et déborder d’enthousiasme! Qu’on transmette cela aux autres, aux cadres, aux bases. Que l’enthousiasme à l’idée d’entrer en action nous donne plus d’impulsion, nous retire les croûtes qui nous empêchent d’avancer et que cela serve à ceux qui doivent éradiquer leur maux.

    Que brille l’optimisme et que vive en nous un puissant enthousiasme. C’est faisable, c’est nécessaire. C’est faisable et nécessaire, pour cette raison nous le ferons.

    Il n’échappe à personne qu’il s’agit d’une guerre de positions; cela, nous l’avons enregistré et le résumé doit être l’expression de ce que nous avons vu. Mais qu’est-ce qui a primé, qui prime et qui primera? Le principal, le positif, la gauche.

    Qui pleure lentement sa défaite? La droite; qu’elle comprenne que cette lamentation est inutile, qu’il ne reste plus qu’à brûler les vieilles idoles, brûler ce qui est caduc et tremper nos âmes. Celle qui a l’âme bien trempée c’est la gauche, c’est elle qui est au diapason de ce que la patrie, le peuple et la révolution exigent; nous ne pouvons pas faillir.

    Si notre sang et notre vie sont exigés, ayons une seule attitude : portons-les dans notre main pour les donner, mettons-les au service de ce qui est la cause la plus juste et la plus grande.

    Notre mort pour la bonne cause sera le sceau de notre action révolutionnaire. Que l’action constante et ferme pour notre cause marque ineffaçablement notre bonne vie de combattants communistes. C’est cela que nous avons compris le mieux, pour cette raison le positif pèse immensément plus dans la balance.

    Nous avons avancé, mais certains croient que leurs maux sont derrière eux. C’est de la perte de vigilance, des « raisons » on peut en trouver des milliers, qui ne seront toujours que de l’eau d’égout. Élevez votre vigilance, balayez définitivement l’erreur, détruisez ce qui est mauvais et caduc à travers les actions armées, qui seront le sceau véritable et effectif.

    Peut-être certains pensent que nous n’aurions dû parler que du positif; ce qui existe c’est la lumière et l’ombre, la contradiction. Nous devons résumer, tirer une leçon; cette réunion est une très grande leçon, ne l’oublions pas.

    Nous avons un besoin de préserver la gauche pour que le Parti mène à bien son rôle. Avec les actions que nous sommes en train de mener et avec cette bonne réunion, nous commençons à démolir les murs et à déployer l’aurore. »

    Nous avons déjà vu comment Mariategui compris la question de romantisme et de la culture (voir Apprendre des leçons de Mariategui sur le romantisme du fascisme français!).

    Maintenant nous comprenons pourquoi Gonzalo a découvert Mariategui après avoir compris le maoïsme. Il a vu un aspect que Mariategui ne pouvait développer scientifiquement à ce moment-là – et il l’a converti pratiquement – politiquement en prose poétique.

    L’enthousiasme est logique parce que le mouvement de la matière va au communisme ; de sorte que les vrais communistes doivent exprimer ce mouvement sur ​le plan culturel. L’enthousiasme reflète le mouvement de la matière.

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  • L’allusion de Gonzalo à Engels dans la question de la nécessité et du hasard historique, et la position de Marx

    Dans l’article Gonzalo et la question de la pensée guide, la pensée en développement, la Guerre Populaire, nous avons vu que Gonzalo a parlé de la nécessité et du hasard historique en traitant de la question de savoir pourquoi un individu, et pas un autre, porte la pensée.

    Voici ce qu’il a dit, précisément:

    « Le fait que celui qui parle, soit devenu le chef du Parti et de la révolution, d’après les accords du Parti, est lié à la nécessité et à la contingence historique et bien évidemment, à la pensée Gonzalo.

    Nul ne sait ce que la révolution et le Parti peuvent faire de chacun de nous et quand une telle chose se précise, ce qu’il faut uniquement, c’est assumer la responsabilité. »

    Il est important de noter qu’ici, Gonzalo fait allusion à ce que disait Engels. Il est important de comprendre cela, parce qu’Engels parlait de la pensée en général, et en particulier des « grands hommes » et de leur rôle politique dans l’histoire.

    En effet, si nous suivons Gonzalo, la « pensée » n’est pas passive, elle est toujours directement politique, révolutionnaire.

    « Les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais jusqu’ici pas avec une volonté générale suivant un plan d’ensemble, même lorsqu’il s’agit d’une société donnée et tout à fait isolée. Leurs efforts s’entrecroisent et, justement à cause de cela, dans toutes ces sociétés domine la nécessité dont le hasard est le complément et la manifestation.

    La nécessité qui se fait jour à travers tous les hasards, c’est de nouveau finalement la nécessité économique. Ici il nous faut parler des soi-disant grands hommes.

    Que tel grand homme et précisément celui-ci apparaît à tel moment, dans tel pays, cela n’est évidemment que pur hasard.

    Mais supprimons-le, il y a demande pour son remplacement et ce remplacement se fait tant bien que mal, mais il se fait à la longue.

    Que le Corse Napoléon ait été précisément le dictateur militaire dont la République française épuisée par ses guerres avait besoin, ce fut un hasard ; mais qu’en cas de manque d’un Napoléon un autre eût pris la place, cela est prouvé par ce fait que chaque fois l’homme s’est trouvé, dès qu’il était nécessaire: César, Auguste, Cromwell, etc.

    Si c’est Marx qui a découvert la conception matérialiste de l’histoire, Thierry, Mignet, Guizot, tous les historiens anglais jusqu’en 1850, prouvent qu’il y avait tendance à ce qu’elle se fasse, et la découverte de cette même conception par Morgan prouve que le temps était mûr pour elle, et qu’elle devait être découverte.

    Il en est de même pour tous les autres hasards ou prétendus tels de l’histoire. Plus le domaine que nous considérons s’éloigne du domaine économique et se rapproche du domaine idéologique purement abstrait, plus nous trouvons qu’il y a de hasards dans son développement, plus sa courbe présente de zigzags.

    Mais si vous tracez l’axe moyen de la courbe, vous trouverez que plus large est la période considérée et plus vaste le domaine étudié, d’autant plus cet axe tend à devenir presque parallèle à l’axe du développement économique. »

    Il est important de noter cette allusion de Gonzalo. Néanmoins, politiquement et aussi parce que c’est utile, nous devons citer Karl Marx. Une thèse révisionniste qui revient souvent est qu’Engels aurait ajouté quelques conceptions personnelles au marxisme.

    Cette affirmation est fausse, et citons ici Karl Marx lui-même, expliquant le même concept même de pensée.

    Dans une lettre de Septembre 1843, écrit à Kreuzenach, destinée à Arnold Ruge, notre grand maître explique:

    « La réforme de la conscience consiste uniquement à rendre le monde conscient de lui-même, à le réveiller du sommeil où il rêve de lui-même, à lui expliquer ses propres actions.

    Tout notre but ne peut consister qu’à faire en sorte que les questions religieuses et politiques soient formulées de manière humaine et consciente, comme c’est d’ailleurs le cas dans la critique de la religion chez Feuerbach.

    Notre devise sera donc : réforme de la conscience, non par des dogmes, mais par l’analyse de la conscience mystique, obscure à elle-même, qu’elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. On verra alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement. »

    Quelle est la conscience du monde? Bien sûr, c’est la pensée.

    >Sommaire du dossier

  • Gonzalo, fidèle défenseur de la thèse comme quoi rien n’est indivisible

    Une question est importante pour la compréhension du maoïsme : dans quel mesure Gonzalo a-t-il des positions conformes aux enseignements de Mao Zedong comme quoi « rien n’est indivisible » ? Doit-on considérer Gonzalo comme celui qui a porté le drapeau du maoïsme, après la contre-révolution en Chine populaire en 1976 ?

    Regardons ici les différents points. Déjà, il faut voir que Gonzalo, dans le fameux entretien, considère son voyage en Chine comme le point de départ de sa compréhension de l’idéologie.

    « Oui, je suis allé en Chine ; et là, j’ai eu la possibilité –que je souhaite à beaucoup- d’être dans une École où on enseignait d’abord la politique, des questions internationales jusqu’à la philosophie marxiste ; c’étaient des cours magistraux, donnés par des révolutionnaires confirmés et hautement compétents, de grands éducateurs.

    Parmi eux, je veux citer l’éducateur qui nous enseigna le travail ouvert et clandestin, un homme qui avait voué toute sa vie au Parti, totalement. Pendant plusieurs années, il fut un exemple vivant, un éducateur extraordinaire.

    Il nous apprit beaucoup de choses ; il voulut nous en enseigner davantage, mais certains s’y opposèrent car, dans la vie, il y a de tout.

    Ensuite, on nous enseigne des questions militaires, mais on commençait toujours par la politique, par la guerre populaire ; puis, on traitait de la construction des forces armées, de la stratégie et de la tactique ; et ils nous enseignaient aussi la partie pratique, sur les embuscades, les assauts, les déplacements, la façon de préparer des explosifs de démolition.

    Quand nous manipulions des éléments chimiques très dangereux, ils nous recommandaient d’avoir toujours à l’esprit l’idéologie, qu’elle nous rendrait capables de tout faire et de le faire bien ; nous avons appris à faire nos premières charges de démolition.

    Pour moi, le fait d’avoir été éduqué dans la plus grande École du marxisme qu’ait porté la Terre est un exemple, un souvenir ineffaçable, une grande leçon et un grand pas dans ma formation.

    Bon, si vous voulez une anecdote, en voici une : quand nous avons terminé le cours sur les explosifs, ils nous ont dit qu’on pouvait tout faire exploser ; alors, dans la partie finale, nous prenions un style et il explosait ; nous nous asseyions et cela explosait aussi ; c’était une espèce de feu d’artifice ; c’étaient des choses parfaitement calculées pour nous montrer qu’on pouvait tout faire sauter, à condition de s’ingénier à le faire.

    Nous nous demandions constamment : comment allons-nous faire ceci ? cela ?

    Ils nous disaient : ne vous inquiétez pas, vous avez déjà appris suffisamment, pensez que les masses sont capables de tout et qu’elles ont un savoir-faire inépuisable ; ce que nous vous avons enseigné, les masses vont le faire et elles vont, à nouveau, vous l’enseigner ; c’est ainsi qu’ils nous parlaient. Cette École a été très utile pour ma formation et pour commencer à apprécier la valeur du Président Mao Zedong.

    Puis, j’ai étudié un peu plus, j’ai cherché à appliquer et je crois que j’ai encore beaucoup à apprendre du Président Mao Zedong, du maoïsme, de sa propre action. Non pas qu’on cherche à se comparer, simplement on fixe les grands sommets pour nous orienter vers nos objectifs.

    Mon séjour en Chine a été une expérience inoubliable.

    J’y suis allé aussi lors d’une autre occasion, quand la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne commençait, nous demandâmes qu’on nous explique la Pensée Mao Zedong, comme on l’appelait alors ; ils nous l’enseignèrent à nouveau ; cela m’aida à comprendre davantage ou, plutôt, un peu plus. »

    Il y a ici trois éléments qui pourraient passer inaperçu, mais qui sont d’une importance capitale :

    – « ils nous ont dit qu’on pouvait tout faire exploser » : allusion au fait que tout est divisible ;

    – Gonzalo parle de «  la plus grande École du marxisme qu’ait porté la Terre » ;

    – il est souligné que la GRCP permet un approfondissement de la connaissance des enseignements de Mao Zedong : « quand la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne commençait… ils nous l’enseignèrent à nouveau ; cela m’aida à comprendre davantage ou, plutôt, un peu plus. »

    Le « un peu plus » est d’une grande signification, car ce un peu plus est justement permis par la GRCP !

    On retrouve plus loin cette question de la non-indivisibilité : « Je crois que c’est une contradiction, avoir peur et ne pas avoir peur. » C’est là très clairement une allusion comme quoi tout se divise.

    Il y a une autre allusion, extrêmement subtile ; où Gonzalo commence avec l’histoire humaine et finit par le mouvement universel de la matière, en passant par une métaphore qui n’en est pas une :

    « La pire crainte, en fin de compte, c’est de n’avoir pas confiance dans les masses, de se croire indispensable, le nombril du monde, je crois que c’est cela ; et si on est formé par le Parti, avec l’idéologie du prolétariat, le maoïsme principalement, alors on comprend que ce sont les masses qui font l’histoire, que c’est le Parti qui fait la révolution, que la marche de l’histoire est définie, que la révolution est la tendance principale.

    Alors, la peur s’estompe et il ne reste que la satisfaction d’être une pierre parmi les autres pierres, qui servira à instaurer les bases pour qu’un jour le communisme brille et illumine toute la Terre. »

    Quand Gonzalo dit : « il ne reste que la satisfaction d’être une pierre parmi les autres pierres » – en espagnol « de ser argamasa y, junto a otras argamasas, servir a poner cimiento », soit « d’être du mortier et, avec d’autres mortiers, à servir à poser la fondation », ce n’est pas du volontarisme, mais une allusion à la transformation général et inévitable de la matière.

    Pareillement, Gonzalo explique subtilement que « le communisme brille et illumine toute la Terre. »

    Or, qu’est-ce qui « brille et illumine » ? Le soleil, bien sûr ! Gonzalo fait ici allusion au soleil, qui apporte l’énergie et permet à la Terre de resplendir !

    C’est le fameux soleil illuminant la planète terre frappée du marteau et de la faucille que l’on retrouve dans tous les blasons soviétiques, c’est le « soleil rouge » mis en avant par les communiste de Chine !

    Continuons même encore plus loin dans l’interprétation de ce que dit Gonzalo. Il dit, de manière apparemment anodine, que « Souvent je n’ai pas le temps de lire ce dont j’ai envie. »

    En apparence, c’est une simple remarque – or, le matérialisme dialectique suinte de cette phrase par tous les pores. Gonzalo parle de lire, quelque chose qui se déroule dans l’espace, et il lui oppose le temps !

    Gonzalo, avec cette simple phrase, fait référence à la contradiction entre l’espace et le temps ; rappelons qu’il a fait son mémoire de doctorat sur la notion d’espace chez Kant, d’ailleurs Gonzalo y fait allusion un peu plus loin lorsqu’il dit: « ce goût pour les sciences, on peut le trouver dans la thèse que j’ai faite pour ma maîtrise en philosophie ; c’est une analyse du temps et de l’espace selon Kant du point de vue du marxisme, et je me suis servi des mathématiques et de la physique. »

    Tout cela montre clairement que Gonzalo s’explique et explique toujours en parlant du principe, notre principe, selon lequel rien n’est indivisible.

    >Sommaire du dossier

  • Gonzalo et la question de la pensée guide, la pensée en développement, la Guerre Populaire

    Dire que la pensée est nécessaire, dans chaque pays, comme synthèse de la réalité sociale, pour faire la révolution, est certainement indispensable. Néanmoins, il est utile de faire quelques précisions à propos de la formation de la pensée.

    Comme les camarades afghans l’ont fait remarquer, une pensée comme la pensée Gonzalo est une pensée très fortement développée, c’est une pensée qui a réussi à se développer jusqu’à l’aspect universel de la Guerre Populaire.

    Mais quelques pensées peuvent exister sans être autant développées. Une pensée peut également être effectuée en différentes étapes. Cela a à voir avec le fait que la pensée est le reflet de l’évolution sociale de la réalité.

    Si nous jetons un coup d’oeil à l’interview de Gonzalo donné en 1988, on peut trouver deux explications nous aidant dans cette question des niveaux de la pensée.

    Gonzalo dit:

    « C’est l’application du marxisme-léninisme-maoïsme à la révolution péruvienne qui a engendré la pensée Gonzalo, dans la lutte de classes de notre peuple, principalement du prolétariat, les luttes incessantes de la paysannerie et dans le contexte bouleversant de la révolution mondiale.

    C’est au milieu de tout fracas, en appliquant le plus fidèlement possible la vérité universelle aux conditions concrètes de notre pays, que s’est matérialisée la pensée Gonzalo. 

    Auparavant on l’appelait la pensée guide.

    Et si aujourd’hui le Parti a sanctionné lors du Congrès la pensée Gonzalo, c’est parce qu’il s’est produit un bond dans cette pensée guide, précisément au cours du développement de la Guerre Populaire.

    En synthèse la pensée Gonzalo n’est que l’application du marxisme-léninisme-maoïsme à notre réalité concrète ; ceci nous amène à voir qu’elle est spécifiquement capitale pour notre Parti, pour la Guerre Populaire et pour la révolution dans notre pays, j’insiste, spécifiquement capitale. 

    Mais pour nous, si nous considérons l’idéologie au plan universel, le principal est le maoïsme, je le répète une fois de plus. »

    Nous trouvons également dans l’interview:

    « Dans la vue d’Engels, c’est la nécessité qui engendre les dirigeants et un grand dirigeant, mais c’est la contingence, c’est-à-dire l’ensemble des conditions spécifiques concrétisées en un lieu et à un moment déterminés, qui définit la condition de chef. 

    Il en fut donc de même, pour nous, on a engendré un grand dirigeant. D’abord il fut reconnu au niveau du Parti, dans la Conférence Nationale Élargie de 1979.

    Mais ce problème renferme une question capitale inéluctable, qui mérite d’être soulignée: il n’y a pas de grand dirigeant qui ne s’appuie sur une pensée, quel que soit son degré de développement

    Le fait que celui qui parle, soit devenu le chef du Parti et de la révolution, d’après les accords du Parti, est lié à la nécessité et à la contingence historique et bien évidemment, à la pensée Gonzalo.

    Nul ne sait ce que la révolution et le Parti peuvent faire de chacun de nous et quand une telle chose se précise, ce qu’il faut uniquement, c’est assumer la responsabilité.  »

    Ici, Gonzalo explique deux choses nous intéressant pour la question du niveau:

    – d’abord, il y avait une pensée guide, qui a connu un bond (avec la guerre populaire);

    – puis, il y a cette très importante phrase: «  il n’y a pas de grand dirigeant qui ne s’appuie sur une pensée, quel que soit son degré de développement. »

    Donc, nous pouvons faire une hiérarchie de l’évolution de la pensée:

    1. Appliquer le plus fidèlement possible les vérités universelles aux conditions concrètes d’un pays donne naissance à la pensée guide.

    2. Cette pensée guide connaît différentes étapes.

    3. A son stade le plus élevé, elle connaît un saut final avec la guerre populaire, s’élevant à la question de l’universel.

    Ici, nous devons insister sur l’importance du fait que Gonzalo explique que, pour construire une direction – et sans direction, il n’y a rien dans la pratique, tous les efforts sont vains – il y a la nécessité absolue d’une « pensée ».

    Et il nous dit aussi que cette pensée ne doit pas être très ou complètement développée pour déjà exister. Elle peut exister à un faible niveau de développement.

    Il y a ici deux aspects. Tout d’abord, tout cela est un rappel des leçons correctes de Kautsky et Lénine sur la nécessité absolue d’une théorie, d’une direction, sur la base de l’idéologie correcte.

    C’est le point de vue correct opposé à toutes les tendances liquidatrices (le « communisme de conseil », le syndicalisme révolutionnaire, le spontanéisme même déguisé en « maoïsme », etc.).

    Le deuxième aspect, c’est que cela donne une indication sur les premières tâches que les communistes doivent mener. Dans un pays donné, pour faire la révolution, les communistes ont besoin de la Guerre Populaire, et pour avoir la Guerre Populaire ils ont besoin de la pensée développée.

    Pour avoir cette pensée développée, ils ont besoin d’une pensée guide, et pour avoir cette pensée guide, ils ont besoin de la forger.

    Sans cela, ils n’ont rien. C’est le point central: forger la pensée, l’idéologie correcte dans un pays donné, c’est la principale bataille – sans cela, il ne peut y avoir de développement du communisme.

    >Sommaire du dossier

  • Les enseignements de Gonzalo : de la pensée à la guerre populaire

    1. Gonzalo et l’optimisme révolutionnaire

    Quand une classe va dans le sens de la prise du pouvoir, il faut construire de solides compétences dans tous les domaines, et bien sûr c’est plus vrai que jamais dans le cas de la classe ouvrière, qui doit avoir un système culturel et idéologique tout-puissant , permettant de comprendre tous les aspects de la société et de le révolutionner.

    Gonzalo a joué un rôle historique en permettant de comprendre cela. Il a souligné que les révolutionnaires doivent porter un optimisme absolu; dans le document ILA-80 qui explique le déclenchement de la lutte armée au Pérou en 1980, il a expliqué:

    « Nous avons besoin d’un optimisme élevé, qui a une raison d’être : nous sommes ceux qui conduisent ceux qui façonnent l’avenir, nous sommes des guides, l’état major du triomphe invincible de la classe, pour cette raison nous sommes optimistes.

    Nous possédons l’enthousiasme, parce que nous nourrit l’idéologie de la classe : la marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong.

    Nous vivons la vie de la classe, nous participons de sa geste héroïque, le sang de notre peuple nous remplit d’ardeur et bout dans nos coeurs. Nous sommes ce sang puissant et palpitant, prenons ce fer et cet acier inflexible qu’est la classe et fusionnons-le avec la lumière immarcescible du marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong. »

    2. Chaque classe révolutionnaire appelle à la lutte épique

    Lorsque la révolution bourgeoise française s’est lancée à la fin du 18ème siècle, il y avait la nécessité historique d’une mobilisation épique des masses. La bourgeoisie a plongé dans le passé, à la recherche de quelque chose qui pourrait apparaître aussi proche que possible de ses propres besoins et a pris ce qui pourrait être un modèle pour galvaniser la lutte: la république romaine.

    Napoléon, en passant de la figure d’un général romain à un César impérial, a été le jouet d’un processus historique où il a dirigé des changements internationaux nécessaires à la bourgeoisie française pour pleinement se développer dans la conquête du pouvoir.

    Karl Marx et Friedrich Engels ont expliqué cette question idéologique, en supprimant les brumes et les prétentions idéologiques bourgeoises à faire la révolution qui soit la dernière, et la révolution totale. Mais ils n’ont pas intégré cette question idéologique et culturelle dans le socialisme scientifique, car à leur époque il n’y avait pas de révolution de nouvelle démocratie / de révolution socialiste dans le monde.

    3. Les pensées comme expression
    du mouvement de la matière

    Avec la révolution socialiste en Russie en Octobre 1917 et la nouvelle révolution démocratique en Chine remportée en 1949, le matérialisme dialectique a formulé scientifiquement la question d’avant-garde, du parti révolutionnaire.

    L’idéologie révolutionnaire dirige le processus révolutionnaire ; dans le parti révolutionnaire lui-même, des luttes de deux lignes surgissent dans le processus: la vie du Parti communiste obéit également aux règles du développement dialectique.

    Et ainsi font les pensées, car elles sont le reflet du monde, de la matière en mouvement dialectique, à la dimension de l’univers lui-même.

    Dans un document promiu par le PCF (mlm), il est expliqué :

    « La pensée consiste en des mouvements moléculaires et chimiques dans le cerveau, mouvements qui sont de la matière et qui sont la conséquence du mouvement de la matière en dehors du corps – le mouvement extérieur est perçu.

    Dans ce mouvement de la perception, la matière grise se développe – elle en arrive à la compréhension synthétique du mouvement dialectique de la matière. Alors, elle devient ouvertement une expression de la matière en mouvement. »

    4. Les individus ne pensent pas

    Au 13ème siècle, la réaction française avait dû lutter contre les thèses matérialistes à l’Université de Paris. Ces thèses étaient les conclusions logiques de la pensée d’Averroès (1126-1198), le grand penseur de la Falsafa, la philosophie arabo-persane.

    L’Eglise avait interdit 13 thèses en 1270, et parmi celles-ci : « La proposition : l’homme pense est fausse ou impropre », « Le libre arbitre est une puissance passive, non active, qui est mue par la nécessité du désir », « La volonté humaine veut et choisit par nécessité », « Il n’y a jamais eu de premier homme », « Le monde est éternel », « Il n’y a qu’un seul intellect numériquement identique pour tous les hommes. »

    Ces thèses sont correctes et une expression du matérialisme.

    Lorsque l’on parle au sujet de la pensée, il n’est pas parlé de la pensée d’un individu, même si c’est un individu qu’il l’exprime. Les individus ne pensent pas. L’humanité est matière en mouvement, la pensée est simplement un reflet du mouvement. Il ne peut pas y avoir de pensée individuelle, ce que les individus pensent est l’expression du désir et de la nécessité.

    5. La pensée comme arme culturelle-idéologique
    pour la révolution dans chaque pays

    Gonzalo n’a pas seulement appelé à l’optimisme révolutionnaire, parce qu’il y avait la nécessité de luttes épiques. Ce serait subjectiviste et non conforme à l’idéologie communiste, qui tend vers l’avenir et non vers le passé.

    Ainsi, en plus de l’appel à l’enthousiasme, il a formulé l’idée que dans chaque pays se lève une pensée révolutionnaire, synthétisant la société et affirmant la manière correcte de résoudre les contradictions sociales.

    L’histoire en mouvement engendre l’enthousiasme et la compréhension correcte de la réalité dans les pensées des masses, de l’avant-garde, de la direction révolutionnaire.

    Dans le document Sur la pensée Gonzalo du Parti communiste du Pérou, il est expliqué:

    « Mais, de plus, et ceci représente le fondement de toute direction, les révolutions engendrent une pensée qui les guide et qui est le résultat de l’application de la vérité universelle de l’idéologie du prolétariat international aux conditions concrètes de chaque révolution.

    Cette pensée-guide est indispensable pour obtenir la victoire et conquérir le Pouvoir et, plus encore, pour poursuivre la révolution et maintenir toujours le cap sur l’unique et grandiose but: le Communisme. »

    6. La pensée comme synthèse d’une société

    Chaque société nationale connaît des contradictions, que la pensée communiste analyse, produisant la synthèse révolutionnaire qui consiste dans le programme révolutionnaire et les méthodes pour le réaliser.

    En Russie et en Chine, Lénine et Mao Zedong connaissaient non seulement la situation politique, mais aussi avec précision la situation économique et les aspects culturels-idéologiques. Ils ont souvent cité des œuvres littéraires et fait référence à leur propre culture, la situation culturelle- idéologique des masses (par exemple le rapport d’autorité dans la campagne, l’émergence ou non du capitalisme dans les campagnes, etc.).

    Dans de nombreuses autres situations, des dirigeants révolutionnaires ont produit une pensée, une synthèse de leur propre réalité.

    Au Pérou, José Carlos Mariátegui a écrit en 1928 une analyse complète de l’histoire de son pays: « Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne », qui explique l’histoire de la colonisation, de la situation des campagnes et des Indiens Quechua, etc.

    En Italie, Antonio Gramsci, l’un des fondateurs du Parti Communiste en 1926, a étudié de la même manière la culture et l’histoire de son pays, comprenant la nature de l’État italien et la contradiction historique entre le nord et le sud (Mezzogiorno) du pays.

    Alfred Klahr a été le premier théoricien à expliquer que son pays l’Autriche était une nation («Sur la question nationale en Autriche », 1937) et comment le nazisme allemand n’était pas seulement sous le contrôle du capital impérialiste, mais aussi des Junkers.

    Ibrahim Kaypakkaya, né en 1949 et tué par l’Etat turc en 1973, a réalisé une étude exhaustive de la « révolution » faite par Mustafa Kemal et de l’idéologie kémaliste, ouvrant la voie à une compréhension correcte de la nature économique, politique et culturelle-idéologique de la Turquie.

    Ulrike Meinhof a étudié la nature de dépendance de l’Allemagne de l’Ouest, qui était sous le contrôle des États-Unis; voyant le processus de reprise économique après 1945, elle a proposé une stratégie à long terme de guerre populaire sur la base des couches les plus pauvres de la jeunesse et de la lutte contre la présence impérialiste des États-Unis. Elle a été assassinée en prison en 1976.

    Un autre grand révolutionnaire à produire une pensée était Siraj Sikder, dans le Bengale oriental. Né en 1944, il comprenait à la fois le Pakistan et l’expansionnisme indien, en proposant la voie de la révolution agraire pour obtenir l’indépendance nationale. Il a été assassiné en détention en 1975.

    7. La guerre populaire comme produit de la pensée

    Suivant la leçon matérialiste dialectique de Gonzalo, les communistes ont dans chaque pays la tâche de produire une synthèse de leur propre situation nationale, comme les contradictions révolutionnaires doivent être réglés dans ce cadre.

    La guerre populaire n’est pas une « méthode » ou un style de travail, c’est la production matérielle de la pensée, c’est-à-dire la confrontation révolutionnaire avec le vieil Etat et les classes dominantes réactionnaires, selon une stratégie basée sur la pensée, sur la synthèse révolutionnaire fait dans l’étude pratique d’un pays.

    Quand la pensée révolutionnaire authentique est produite, elle cherche la confrontation avec l’ancienne société, à tous les niveaux. La guerre populaire ne signifie pas seulement la lutte armée, mais aussi la négation culturelle-idéologique des valeurs de l’ancienne société.

    Si les révolutionnaires n’ont pas le niveau pour mener la lutte dans tous les domaines, ils ne seront pas en mesure de faire triompher la révolution et de lutter contre les tentatives de restauration de l’ancienne société.

    Cette compréhension est la conséquence directe des enseignements de Mao Zedong sur la culture et l’idéologie et de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    8. « Principalement appliquer »

    Gonzalo a considéré que notre idéologie n’est pas seulement le marxisme-léninisme-maoïsme, mais le le marxisme-léninisme-maoïsme principalement maoïsme. Il voulait montrer que notre idéologie est une synthèse et non pas un assemblage d’enseignements.

    De la même manière, il estime que, dans chaque pays, l’idéologie était le marxisme-léninisme-maoïsme et la pensée, principalement la pensée (par exemple au Pérou: le marxisme-léninisme-maoïsme pensée Gonzalo principalement pensée Gonzalo).

    La raison en était que la pensée, c’est la synthèse dans une situation concrète, avec son application. De la même manière, un principe est de « arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer. »

    La « pensée » est authentique et correcte seulement si elle signifie une confrontation réelle sur tous les aspects de l’ancienne société, l’aspect pratique étant à la pointe.

    9. La pensée et la guerre populaire
    ne sont pas des concepts indépendants

    Durant les années 1990-2000, le Mouvement Populaire Pérou (MPP), organisme généré par le Parti Communiste du Pérou pour le travail à l’étranger, a mené un important travail pour promouvoir le marxisme-leninisme-maoïsme.

    Malheureusement, lors de l’approche des aspects pratiques nationaux, le MPP a seulement appelé à suivre l’exemple du Pérou et n’a jamais été en mesure d’aider les communistes à produire une synthèse de leur propre situation.

    Le MPP n’a jamais appelé à étudier les réalités nationales, et au lieu de cela a fait la promotion d’un cosmopolitisme consistant à reproduire un style de travail de manière stéréotypée. Au lieu d’accompagner de véritables forces révolutionnaires au marxisme-léninisme-maoïsme, le MPP en est arrivé au point d’appuyer des centristes, comme ils reconnaissaient verbalement le maoïsme.

    Ceci est un exemple d’une mauvaise compréhension de l’aspect principal. Ce qui compte, ce n’est pas d’assumer la guerre populaire d’une manière abstraite, mais la Guerre Populaire basée sur la Pensée. Le révisionnisme au Népal est un bon exemple: en dépit du fait d’assumer la « guerre populaire », ce qui a été appelé « chemin de Prachanda » [Prachanda’s path] n’a jamais eu une grande importance culturelle-idéologique de haut niveau, alors il contenait déjà de nombreuses erreurs concernant les principes fondamentaux du matérialisme dialectique.

    10. Notre horizon: produire des pensées et rejeter le fascisme

    Notre horizon est le suivant: dans chaque pays, une pensée communiste doit être produite, la synthèse de la société, montrant la voie pour résoudre les contradictions. Les communistes ne peuvent pas faire une révolution dans leur propre pays, sans avoir un niveau élevé dans les champs culturels-idéologiques.

    Les masses vivent dans une culture pleine de musique, de films, de littérature ; les enseignements de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne nous rappellent l’importance de la lutte dans ce domaine. Les communistes dans le monde doivent échanger leurs expériences et leurs connaissances ; en de nombreux domaines, ils ont les mêmes luttes à mener.

    Si les communistes ne sont pas en mesure de faire cela, les classes dominantes réactionnaires produiront une idéologie plongée dans le passé pour « régénérer » la société, un faux « socialisme », qui est le fascisme.

    Chaque pensée est ainsi d’importance historique, c’est la base de la Guerre Populaire. Chaque pensée permet de lancer la guerre populaire, qui détruit le vieil Etat, et alors que ce processus se généralise, il devient une guerre populaire mondiale. La pensée devient alors la synthèse de la société mondiale qui émerge sur les décombres de l’impérialisme, ouvrant la voie à la construction d’une société communiste mondiale.

    >Sommaire du dossier

  • Proudhon et le «socialisme français» contre le matérialisme dialectique et la social-démocratie

    Le « Cercle Proudhon » fut une source d’inspiration pour le fascisme tentant de cimenter après 1918 en France, mais il n’a pas fourni de cadre idéologique bien déterminé. Tel était le prix à payer pour le proudhonisme.

    Cependant, l’antisémitisme comme anticapitalisme romantique était tout à fait conceptualisé. Le premier article des « Cahiers », qui suit la « Déclaration », commence immédiatement par un antisémitisme très net. On lit ainsi :

    « Au lendemain du jour où l’Italie fête le centenaire de Cavour, nous verrons une chose horrible : le monument Proudhon, à Besançon, sera inauguré par [le président de la république] M. Fallières. Le fonctionnaire qui représente l’Étranger de l’intérieur, la créature des Reinach, Dreyfus et Rothschild officiera devant l’image du puissant écrivain révolutionnaire, mais français, à qui nous devons ce cri de douleur, qu’il jette à propos de Rousseau : « Notre patrie qui ne souffrit jamais que de l’influence des étrangers… »

    Rotschild désigne la famille de banquiers juifs d’origine allemande, Dreyfus désigne l’officiel juif alsacien principal protagoniste de l’affaire ayant son nom, quant à Reinach, cela désigne Joseph Reinach, fils de banquier allemand, député et journaliste engagé au premier rang en faveur d’Alfred Dreyfus.

    Cette ligne est sans conteste national-révolutionnaire. Elle assimile le régime à une entité fantoche dans la main des « Juifs ». Et ce qui est très important ici, c’est que c’est Charles Maurras, le dirigeant historique de l’Action française, qui a écrit l’article en question. Il s’agit ainsi d’une « reconnaissance » tacite de la tentative de formation d’une idéologie anticapitaliste romantique.

    Charles Maurras précise dans l’article qu’il est en désaccord avec Pierre-Joseph Proudhon, que ce dernier a affirmé beaucoup de choses erronées à ses yeux, mais que :

    « De cœur, de chair, de sang, de goût, Proudhon est débordant de naturel français, et la qualité nationale de son être entier s’est parfaitement exprimée dans ce sentiment, qu’il a eu si fort, de notre intérêt national. Patriote, au sens où l’entendirent les hommes de 1840, 1850, 1860, je ne sais si Proudhon le fut. Mais il était nationaliste comme un Français de 1910. »

    Le second texte du premier « Cahier » s’intitule « Proudhon » et consiste en une conférence du « Cercle » : c’est donc son point de vue en tant que tel. Pierre-Joseph Proudhon est présenté comme « notre grand philosophe socialiste français ».

    C’est là la thèse essentielle, c’est là le but ultime du fascisme en France : formuler l’idéologie d’un « socialisme français ». L’ennemi est également immédiatement présenté, il s’agit pour le « Cercle » de « l’Église marxiste orthodoxe ».

    Il est ainsi dit que :

    « Sedan n’a pas été seulement le Sedan de notre puissance militaire, économique et politique, il a été le Sedan de la culture française, et cela jusque sur le terrain du socialisme, livré désormais à l’hégémonie de la social-démocratie allemande et à l’influence exclusive de Marx. »

    Dans un article contre les socialistes français, intitulé « Satellites de la ploutocratie », on lit pareillement :

    « La Social-démocratie allemande a, depuis 1870, étouffé le socialisme international sous son hégémonie ; Marx (et quel Marx : un Marx lasallisé, prussianisé, engelsifié) l’a emporté sur Proudhon. »

    Est-ce vrai ? Absolument pas. Le marxisme n’a jamais réellement pénétré en France à ce moment-là et les socialistes français sont à mille lieux idéologiquement et culturellement de la social-démocratie allemande. Leur grand chef de file, Jean Jaurès, est lui-même dans l’esprit du proudhonisme, de la défense de la petite propriété privée généralisée, et il assume tout à fait, en tout état de cause, son « Socialisme français » contre le marxisme.

    De toutes manières, on peut d’ailleurs lire dans les « Cahiers » que les socialistes ne sont pas marxistes. Mais justement, cette contradiction dans l’explication faite par les « Cahiers » s’explique par la nécessité démagogique de la propagande. L’objectif est d’empêcher l’avènement du marxisme. C’est pour cela que le fascisme n’a en France, pas eu le niveau de la variante allemande du national-socialisme, qui faisait face à un solide Parti Communiste d’Allemagne.

    En France, le « socialisme » n’a jamais dépassé réellement en pratique le proudhonisme, c’est-à-dire un débat au sujet de réformes d’ampleur au sein même du capitalisme. Même le Parti Communiste français, dans les années 1920, était profondément marqué dans son approche, dans son style, par le proudhonisme, avant la bolchevisation.

    A cela, l’Action française ajoute une ligne idéologique nationaliste, farouchement anti-allemande. Le marxisme et le triomphe prussien de la guerre de 1870-1871 sont ainsi « assimilés », Pierre-Joseph Proudhon faisant office de levier idéologique, comme référence à la France d’avant le marxisme et d’avant la défaite de Napoléon III à Sedan.

    Or, la France ayant été victorieuse durant la guerre de 1914-1918, tout cet échafaudage idéologique ne pouvait se prolonger, surtout que le « Cercle Proudhon » avait expliqué que la « Finance » ne voulait pas de la guerre, que l’Etat n’assumerait jamais le patriotisme et la guerre, etc.

    Qualifier Pierre-Joseph Proudhon de « frondeur, amant de la liberté, ennemi né de l’autorité, fédéraliste », n’était plus d’aucune utilité alors qu’il ne s’agissait plus de se « rebeller » contre l’Allemagne présentée comme dominante, socialiste, prussienne, etc.

    Reste l’anticapitalisme romantique, puisque les articles dénoncent « l’Etat judéo-républicain », « l’Or juif », les « quatre États confédérés » (Juifs, Métèques, Maçons et Protestants), « cet État qui est surtout, actuellement, Juif », les « dangers que la Haute finance et l’Internationale juive figurent pour la Civilisation », la « ploutocratie internationale », la « féodalité financière », le « régime de l’or », etc.

    Le « Cercle Proudhon » est pour le capitalisme, tout en étant contre, affirmant tout et son contraire. On est là dans le « style » Proudhon, ce dernier étant connu pour ses propos confus, contradictoires, décousus, boursouflés, etc.

    Ainsi, le « Cercle Proudhon » reste en définitive surtout une critique « conservatrice révolutionnaire » ; comme il est dit dans l’article « Notre première année » :

    « Oui, nous sommes résolument opposés au capitalisme politique.

    Par syndicalisme, par nationalisme, par catholicisme, nous sommes opposés à la domination de l’or, à la ploutocratie, qu’elle soit nationale ou internationale, qu’elle règne sous son nom propre ou sous le couvert de la république ou de la monarchie ».

    Le « Cercle Proudhon » n’a pas pu dépasser cette limite historique, de par l’histoire de France, en raison du succès même du proudhonisme dans une société française sous hégémonie idéologique du petit propriétaire tant à l’extrême-gauche qu’à l’extrême-droite.

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  • La déclaration du «Cercle Proudhon»

    Les « Cahiers » du « Cercle Proudhon » ne sont pas parvenus à une synthèse fasciste à laquelle sont parvenus en Italie le fascisme et en Allemagne le national-socialisme. Ces synthèses fascistes possédaient par ailleurs un tiraillement profond entre des tendances conservatrices et plébéiennes.

    C’est précisément cet aspect qui a posé problème au fascisme français. Ce dernier a été incapable de dépasser la dynamique antidémocratique pour arriver à proposer un projet de société. Le nationalisme a été proposé comme seul horizon, sans que soit proposé l’idéologie conséquente d’une société organique.

    Même Charle Maurras, le grand théoricien de l’Action française, n’a jamais dépassé le cap de la simple critique de la démocratie et de la république. Nombre de contre-valeurs sont proposées, comme la décentralisation, la monarchie, etc. mais il n’y a jamais de véritable direction proposée sur le long terme.

    L’anticapitalisme romantique ne dépasse pas les remarques critiques, le simple soutien à l’esprit et aux valeurs du petit propriétaire. Le parcours de Georges Valois, une figure importante du « Cercle Proudhon », est ici représentatif. Il quitte l’Action française qu’il avait rejoint en 1906 et lui arrache même sa maison d’édition, la « Nouvelle librairie nationale », ayant fondé en 1925 « Le faisceau des combattants et des producteurs », soutenant le fascisme italien et lui-même appuyé par deux milliardaires, le parfumeur Francois Coty et l’industriel du cognac Jean Hennessy.

    Aux yeux de Georges Valois :

    « Fascisme et bolchevisme sont une même réaction contre l’esprit bourgeois et ploutocratique. Au financier, au pétrolier, à l’éleveur de porcs qui se croient les maîtres du monde et veulent l’organiser selon la loi de l’argent, selon les besoins de l’automobile, selon la philosophie des cochons, et plier les peuples à la politique du dividende, le bolcheviste et le fasciste répondent en levant l’épée. L’un et l’autre proclament la loi du combattant ». (La Révolution nationale)

    La nouvelle organisation ne tiendra qu’une année, marquée notamment par une attaque des locaux de l’Action française, dont les membres répliquèrent à coups de pistolet, par les « chemises bleues » du « faisceau ».

    Georges Valois passe alors dans le camp du mutellisme proudhonien réformiste, fondant le « Parti Républicain Syndicaliste » et les Cahiers bleus pour la république syndicale, écrivant « Technique pour une révolution syndicale », tentant de rejoindre le parti socialiste SFIO avec l’appui du trotskyste Marceau Pivert, pour finir déporté par les nazis.

    De son côté, Edouard Berth rejoint le Parti Communiste français à sa fondation, pour remettre en avant le syndicalisme révolutionnaire dans les années 1930.

    Si toutes les conceptions du fascisme étaient présentes, il n’y a jamais eu de synthèse française, en raison justement de la tradition du proudhonisme, qui a bloqué l’idée même de synthèse, de théorie. Sur ce plan, l’idéologie de Georges Sorel est tout à fait conforme au proudhonisme, avec son refus de la politique, son « mythe mobilisateur » de la grève générale, etc.

    Ainsi, les variantes du proudhonisme ont toujours oscillé entre syndicalisme révolutionnaire, fascisme, « révolution conservatrice », corporatisme, mutuellisme, etc., c’est-à-dire entre des variantes réformistes et socialisantes proches de la social-démocratie anti-marxiste et les mouvements d’extrême-droite qui, en France, sont restés dans un esprit conservateur.

    Cela est très visible dans la « Déclaration » publié dans le premier « Cahier » du « Cercle Proudhon ». Le proudhonisme est utilisé comme moyen de remettre en avant des valeurs traditionnelles et conservatrices, de critiquer le capitalisme de manière antisémite au moyen de la référence du « sang », etc. On a clairement les mêmes valeurs que le fascisme. Mais il lui manque justement l’idéalisme du fascisme, son romantisme agressif et total.

    « Les Français qui se sont réunis pour fonder le Cercle P.-J. Proudhon sont tous nationalistes. Le patron qu’ils ont choisi pour leur assemblée leur a fait rencontrer d’autres Français qui ne sont pas nationalistes, qui ne sont pas royalistes et qui se joignent à eux pour participer à la vie du Cercle et à la rédaction des Cahiers. Le groupe initial, ainsi étendu, comprend des hommes d’origines diverses, de conditions différentes, qui n’ont point d’aspirations politiques communes, et qui exposeront librement leurs vues dans les Cahiers.

    Mais républicains fédéralistes, nationalistes intégraux et syndicalistes, ayant résolu le problème politique ou l’éloignant de leur pensée, tous sont également passionnés pour l’organisation de la cité française selon des principes empruntés à la tradition française qu’ils retrouvent dans l’œuvre proudhonienne et dans les mouvements syndicalistes contemporains, et tous sont parfaitement d’accord sur ces points :

    I La démocratie libérale est la plus grande erreur du siècle passé. Si l’on veut vivre, si l’on veut travailler, si l’on veut posséder dans la vie sociale les plus hautes garanties humaines pour la Production et pour la Culture, si l’on veut conserver et accroître le capital moral, intellectuel et matériel de la civilisation, il est absolument nécessaire de détruire les institutions démocratiques.

    II. La démocratie libérale idéale est la plus sotte des rêveries.

    La démocratie historique, réalisée sous les couleurs que lui connaît le monde moderne, est une maladie mortelle pour les nations, pour les sociétés humaines, pour les familles, pour les individus. Ramenée parmi nous pour instaurer le règne de la vertu, elle tolère et encourage toutes les licences. Elle est théoriquement un régime de liberté ; pratiquement elle a horreur des libertés concrètes, réelles et elle nous a livrés à quelques grandes compagnies de pillards, politiciens associés à des financiers ou dominés par eux, qui vivent de l’exploitation des producteurs.

    III. La démocratie libérale enfin a permis, dans l’économie et dans la politique, le rétablissement du régime capitaliste qui détruit dans la cité ce que les idées démocratiques dissolvent dans l’esprit, c’est-à-dire la nation, la famille, les mœurs, en substituant la loi de l’or aux lois du sang.

    IV. La démocratie libérale vit de l’or (du règne de l’argent) et d’une perversion de l’intelligence. Elle mourra du relèvement de l’esprit et du rétablissement des institutions que les Français créent ou recréent pour la défense de leurs libertés et de leurs intérêts spirituels et matériels. C’est à favoriser cette double entreprise que l’on travaillera au Cercle Proudhon.

    On luttera sans merci contre la fausse science qui a servi à justifier les idées démocratiques et contre les systèmes économiques qui sont destinés, par leurs inventeurs, à abrutir les classes ouvrières, et l’on soutiendra passionnément les mouvements qui restituent aux Français, dans les formes propres au monde moderne, leurs franchises et qui leur permettent de vivre en travaillant avec la même satisfaction du sentiment de l’honneur que lorsqu’ils meurent en combattant.

    Les Fondateurs du cercle Proudhon et Rédacteurs des Cahiers : Jean Darville [Edouart Berth], Henri Lagrande, Gilbert Maire, René de Marans, André Pascalon, Marius Riquier, Georges Valois, Albert Vincent. »

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  • Le «Cercle Proudhon» (1912-1913)

    A partir du moment où Pierre-Joseph Proudhon proposait un romantisme économique, il était inévitable qu’il serve les utopistes et la bourgeoisie au XIXe siècle, et le fascisme au début du XXe siècle. Sa conception d’un « retour en arrière » coïncide avec l’exigence de la bourgeoisie de prétendre faire partir en arrière la roue de l’histoire, face au communisme.

    De la même manière, l’ultra-modernisation de la fraction la plus agressive de la bourgeoisie ne pouvait avoir l’accord des masses, ainsi même qu’une mobilisation de soutien, que s’il existait idéologiquement un projet de société protectrice, et pas seulement conquérante.

    En Allemagne, l’antisémitisme « révolutionnaire » né dans le prolongement de Eugen Dühring et d’autres à la fin du XIXe siècle parviendra à se synthétiser dans le national-socialisme et diverses variantes « national-révolutionnaires », prétendant toutes protéger de manière « naturelle » la société en « rétablissant » la communauté à son état « normal », sans les « parasites ».

    En France, le fascisme ne parviendra pas à réaliser une synthèse de ce type, malgré un nombre effarant de « laboratoires » d’extrême-droite oeuvrant en ce sens au début du XXe siècle.

    L’historien Zeev Sternhell constate ainsi :

    « Le fascisme français, héritier direct de Barrès et de Drumont, de Sorel et de Janvion, de Berth et de Biétry, se distingue aussi par la richesse de ses variantes et de ses courants. C’est en France, plus encore qu’en Italie, que le fascisme présente une diversité qui permet mieux qu’ailleurs d’en dégager un paradigme, un « type idéal. » (…) Plus qu’ailleurs, c’est en France que fleurissent toutes les chapelles du fascisme, tous les clans et groupuscules possibles et imaginables. Ce foisonnement de tendances et d’écoles est certes pour beaucoup dans l’impuissance politique du fascisme français.

    Mais il atteste aussi de sa richesse idéologique et de son potentiel. L’imprégnation fasciste dans ce pays fut bien plus profonde et les milieux touchés bien plus nombreux qu’on ne l’imagine ou qu’on ne le reconnaît d’ordinaire »

    Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche: l’idéologie fasciste en France

    De tous ces « laboratoires » du fascisme, le plus connu fut le « cercle Proudhon », qui publia quelques « cahiers » (quatre dont deux doubles).

    Le « Cercle Proudhon » s’appuie notamment sur l’activisme de Henri Lagrange (1893-1915) au sein des monarchistes de l’Action française, qui joue tant sur le tableau paramilitaire (notamment à Paris dans le quartier latin avec les « camelots du roi » munis de cannes plombées) qu’intellectuel et culturel.

    Henri Lagrange était vite devenu un activiste de premier plan, dès l’adolescence même, faisant par ailleurs six mois de prison pour avoir giflé le président de la république lors d’une commémoration. Il deviendra ensuite secrétaire général des étudiants de l’Action française, organisation qui l’exclura en 1913 pour ses velléités de coup d’État. Il aurait pu jouer un rôle capital après-guerre s’il n’était pas décédé lors de celle-ci.

    Le concept du « Cercle Proudhon » est typiquement fasciste : il s’agit d’allier la critique romantique de la société faite par les monarchistes à une critique anti-capitaliste romantique, à savoir celle faite par Georges Sorel.

    Sorel se place ici dans le prolongement de Pierre-Joseph Proudhon, à la recherche d’une troisième voie entre capitalisme et communisme. On retrouve, comme chez Pierre-Joseph Proudhon et d’ailleurs les anarchistes en général, le refus du concept marxiste de « plus-value » et de la théorie en général, le rejet de la politique, la négation de la théorie au profit d’une « mystique de l’action », etc.

    Le sens même de la démarche historique de Pierre-Joseph Proudhon se révélait de toutes manières au grand jour, avec le « besoin » d’une idéologie fasciste ; ainsi pour le premier centenaire de sa naissance en 1909, la gerbe sur sa tombe déposée par « Comité d’action des syndicalistes royalistes » portait un ruban où l’on pouvait lire :

    « A P.J. Proudhon, au patriote français qui combattit le principe des nationalités en Europe, au justicier socialiste qui dénonça les crimes sociaux de la Révolution et les mensonges économiques du collectivisme juif, à l’immortel auteur du Principe fédératif. »

    On a donc avec le « Cercle Proudhon » une « synthèse » idéologique possible, sur la base du rejet de la « démocratie » et du « libéralisme », c’est-à-dire la mise en place d’une idéologie corporatiste dans l’esprit du fascisme.

    Le symbole du « Cercle Proudhon ».

    Lors de la première réunion du « Cercle Proudhon », on trouve ainsi à la fois des monarchistes, au nombre de cinq (plus un sympathisant), dont Georges Valois, et des « soréliens », au nombre de deux, dont Edouard Berth. L’intellectuel Georges Bernanos participera également au projet, restreint sur le plan militant et également sur le plan de la diffusion, les « Cahiers » tirant à 660 exemplaires, pour 200 abonnés.

    Sorel, quant à lui, ne soutient pas le projet même s’il le suit, ce qui n’empêche pas Lagrange, lors du premier anniversaire du « Cercle Proudhon » en mai 1912, de déclarer :

    « Sans Georges Sorel, le Cercle Proudhon ne pourrait exister ; il sera donc toujours honoré et admiré comme un maître. »

    C’est une contradiction parmi beaucoup d’autres et le « Cercle Proudhon » ne résistera pas à la première guerre mondiale impérialiste, l’Action française redevenant ouvertement conservatrice. Mais cela a été une tentative importante ; pour preuve, voici ce qu’on lit dans l’étonnant article de Charles Maurras suite à l’assassinat de Jean Jaurès :

    « Nous nous sommes inclinés hier devant la dépouille sanglante de M. Jean Jaurès, et nous avons immédiatement exprimé la réprobation que nous inspirait cet attentat deux fois criminel, puisqu’il est stupide.

    L’incomparable honneur qui vient d’être accordé à M. Jean Jaurès de tomber en signe de sa foi et de sa doctrine affranchit sa personne des jugements d’ordre moral sur sa politique et son action. Seules ses idées restent exposées au débat qui ne peut mourir (…).

    Depuis une vingtaine d’années, non seulement la France, mais le parti socialiste et démocratique français se trouvait au carrefour d’Hercule, entre le maximum et le minimum de l’effort national.

    Ma jeunesse a connu des socialistes presque chauvins. Il en était même d’antisémites, dont quelques uns se retrouvèrent à l’affaire Dreyfus, contre Dreyfus ou bien sur un terrain de stricte neutralité.

    L’hypothèse d’un socialisme nationaliste n’était pas plus improbable qu’une autre vers l’année 1894. Le nationalisme sous-entend une idée de protection du travail et des travailleurs (…).

    Si l’Etat doit être solide pour faire face à l’Etranger, il doit l’être bien davantage pour résister à cet insaisissable étrangère, la Finance, à ce pouvoir cosmopolite, le Capital ! »

    C’est une ligne conjuguant nationalisme et critique du capitalisme dans l’esprit de Pierre-Joseph Proudhon.

    >Sommaire du dossier

  • Proudhon et son rejet du principe de mode de production

    Pierre-Joseph Proudhon a finalement la même conception que Eugen Dühring : il pense que des gens se sont imposés politiquement et qu’ils ont façonné l’économie selon leurs désirs. Il n’a pas compris le principe du mode de production. En fait, aujourd’hui, on peut dire qu’à gauche, soit on comprend au moins au minimum le principe du mode de production, soit on bascule dans le « socialisme français » de type fasciste.

    Voici comment Karl Marx critique Pierre Joseph Proudhon sur ce plan :

    « Les catégories économiques ne sont que les expressions théoriques, les abstractions des rapports sociaux de la production.

    M. Proudhon, en vrai philosophe, prenant les choses à l’envers, ne voit dans les rapports réels que les incarnations de ces principes, de ces catégories, qui sommeillaient, nous dit encore M. Proudhon le philosophe, au sein de la “raison impersonnelle de l’humanité”.

    M. Proudhon l’économiste a très bien compris que les hommes font le drap, la toile, les étoffes de soie, dans des rapports déterminés de production. Mais ce qu’il n’a pas compris, c’est que ces rapports sociaux déterminés sont aussi bien produits par les hommes que la toile, le lin, etc.

    Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel.

    Les mêmes hommes qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle, produisent aussi les principes, les idées, les catégories, conformément à leurs rapports sociaux.

    Ainsi ces idées, ces catégories sont aussi peu éternelles que les relations qu’elles expriment. Elles sont des. produits historiques et transitoires.

    Il y a un mouvement continuel d’accroissement dans les forces productives, de destruction dans les rapports sociaux, de formation dans les idées (…).

    La féodalité aussi avait son prolétariat – le servage, qui renfermait tous les germes de la bourgeoisie. La production féodale aussi avait deux éléments antagonistes, qu’on désigne également sous le nom de beau côté et de mauvais côté de la féodalité, sans considérer que c’est toujours le mauvais côté qui finit par l’emporter sur le côté beau.

    C’est le mauvais côté qui produit le mouvement qui fait l’histoire en constituant la lutte.

    Si, à l’époque du règne de la féodalité, les économistes, enthousiasmés des vertus chevaleresques, de la bonne harmonie entre les droits et les devoirs, de la vie patriarcale des villes, de l’état de prospérité de l’industrie domestique dans les campagnes, du développement de l’industrie organisée par corporations, jurandes, maîtrises, enfin de tout ce qui constitue le beau côté de la féodalité, s’étaient proposé le problème d’éliminer tout ce qui fait ombre à ce tableau – servage, privilèges, anarchie – qu’en serait-il arrivé?

    On aurait anéanti tous les éléments qui constituaient la lutte, et étouffé dans son germe le développement de la bourgeoisie. On se serait posé l’absurde problème d’éliminer l’histoire.

    Lorsque la bourgeoisie l’eut emporté, il ne fut plus question ni du bon, ni du mauvais côté de la féodalité. Les forces productives qui s’étaient développées par elle sous la féodalité, lui furent acquises.

    Toutes les anciennes formes économiques, les relations civiles qui leur correspondaient, l’état politique qui était l’expression officielle de l’ancienne société civile, étaient brisés.

    Ainsi, pour bien juger la production féodale, il faut la considérer comme un mode de production fondé sur l’antagonisme.

    Il faut montrer comment la richesse se produisait au dedans de cet antagonisme, comment les forces productives se développaient en même temps que l’antagonisme des classes, comment l’une des classes, le mauvais côté, l’inconvénient de la société, allait toujours croissant, jusqu’à ce que les conditions matérielles de son émancipation fussent arrivées au point de maturité.

    N’est-ce pas dire assez que le mode de production, les rapports dans lesquels les forces productives se développent, ne sont rien moins que des lois éternelles, mais qu’ils correspondent à un développement déterminé des hommes et de leurs forces productives, et qu’un changement survenu dans les forces productives des hommes amène nécessairement un changement dans leurs rapports de production ?

    Comme il importe avant tout de ne pas être privé des fruits de la civilisation, des forces productives acquises, il faut briser les formes traditionnelles dans lesquelles elles ont été produites. Dès ce moment, la classe révolutionnaire devient conservatrice. »

    >Sommaire du dossier

  • Proudhon : une critique romantique de la machine

    Karl Marx constate dans Misère de la philosophie que Pierre-Joseph Proudhon a une analyse toute particulière du rôle de la machine. Pierre-Joseph Proudhon est un petit-bourgeois, pour lui la machine équivaut à l’atelier, et par conséquent tant à l’existence d’un contre-maître que d’emplois circonscrits à une fonction bien précise.

    Pierre-Joseph Proudhon ne veut pas de cela, car il a en tête l’artisan du moyen-âge, qui n’a personne au-dessus de lui et qui réalise lui-même toutes les étapes de la production d’un objet.

    Voici comment Karl Marx résume le point de vue de Pierre-Joseph Proudhon :

    « Après avoir supposé l’atelier moderne, pour faire découler de la division du travail la misère, M. Proudhon suppose la misère engendrée par la division du travail, pour arriver à l’atelier et pour pouvoir le représenter comme la négation dialectique de cette misère.

    Après avoir frappé le travailleur au moral par une fonction dégradante, au physique par la modicité du salaire; après avoir mis l’ouvrier dans la dépendance du contremaître, et rabaissé son travail jusqu’à la manœuvre d’un goujat, il s’en prend de nouveau à l’atelier et aux machines pour dégrader le travailleur “en lui donnant un maître”, et il achève son avilissement en le faisant “déchoir du rang d’artisan à celui de manœuvre”. »

    La machine « dégrade » l’artisan qui auparavant faisait tout. Et comment l’artisan aurait-il été pris au piège ? Selon Pierre-Joseph Proudhon, en raison de la division du travail, qui aurait existé avant les machines, celles-ci venant en fait rassembler les forces éparpillées par la division du travail.

    Ce qui l’amène à attribuer alors aux machines un rôle positif, voyant en la division du travail la thèse, en les machines l’anti-thèse et fantasmant sur une synthèse totalement idéaliste et digne du film Metropolis de Fritz Lang, dont la fin est une allégorie de l’idéologie fasciste.

    Pierre-Joseph Proudhon et ses Enfants,
    par Gustave Courbet, 1865.

    En pratique, Pierre-Joseph Proudhon a une critique idéaliste de la machine, et Karl Marx rappelle la véritable nature de celle-ci :

    « Le travail s’organise, se divise autrement selon les instruments dont il dispose. Le moulin à bras suppose une autre division du travail que le moulin à vapeur. C’est donc heurter de front l’histoire que de vouloir commencer par la division du travail en général, pour en venir ensuite à un instrument spécifique de production, les machines.

    Les machines ne sont pas plus une catégorie économique, que ne saurait l’être le bœuf qui traîne la charrue. Les machines ne sont qu’une force productive. L’atelier moderne, qui repose sur l’application des machines, est un rapport social de production, une catégorie économique. »

    La preuve de cela est que les machines renforcent la division du travail, alors que Pierre-Joseph Proudhon imagine qu’elle font cesser la division du travail. Ici, il n’a pas compris que les machines ne cesseraient d’avoir un rôle négatif – plaçant les êtres humains à des postes répétitifs amenant à l’idiotie – que lorsqu’elles seraient automatisées.

    Karl Marx annonce ici la robotisation, et dénonce le romantisme qui veut aller en arrière :

    « Outils simples, accumulation des outils, outils composés, mise en mouvement d’un outil composé par un seul moteur manuel, par l’homme, mise en mouvement de ces instruments par les forces naturelles, machine, système des machines ayant un automate pour moteur, – voilà la marche des machines (…).

    Ce qui caractérise la division du travail dans l’atelier automatique, c’est que le travail y a perdu tout caractère de spécialité. Mais du moment que tout développement spécial cesse, le besoin d’universalité, la tendance vers un développement intégral de l’individu commence à se faire sentir. L’atelier automatique efface les espèces et l’idiotisme du métier.

    M. Proudhon, n’ayant même pas compris ce seul côté révolutionnaire de l’atelier automatique, fait un pas en arrière, et propose à l’ouvrier de faire non seulement la douzième partie d’une épingle, mais successivement toutes les douze parties. L’ouvrier arriverait ainsi à la science et à la conscience de l’épingle. Voilà ce que c’est que le travail synthétique de M. Proudhon. Personne ne contestera que faire un mouvement en avant et un autre en arrière, c’est également faire un mouvement synthétique.

    En résumé, M. Proudhon n’est pas allé au-delà de l’idéal du petit bourgeois. Et pour réaliser cet idéal, il n’imagine rien de mieux que de nous ramener au compagnon, ou tout au plus au maître artisan du moyen âge. Il suffit, dit-il quelque part dans son livre, d’avoir fait une seule fois dans sa vie un chef-d’œuvre, de s’être senti une seule fois homme. N’est-ce pas là, pour la forme autant que pour le fond, le chef-d’œuvre exigé par le corps de métier du moyen âge ? »

    De fait, voici ce que Pierre-Joseph Proudhon disait justement :

    « Parlez-moi de la propriété féodale qui a duré jusqu’en 1789, qui s’était propagée, enracinée profondément parmi les bourgeois et les paysans, mais qui, depuis soixante ans, a subi, jusque dans les campagnes, des modifications si profondes.

    Ici encore… le principe de la division des industries existant à peine, la propriété était tout ; la famille était comme un petit monde ferme et sans communications extérieures… On passait des années entières presque sans argent ; on ne tirait rien de la ville ; chacun chez soi, chacun pour soi ; on n’avait besoin de personne.

    La propriété était une vérité ; l’homme, par la propriété, était complet. »

    Solution du problème social

    La conception d’un « homme complet » par la petite propriété, voilà le sens petit-bourgeois du proudhonisme.

    >Sommaire du dossier

  • Proudhon et l’arbitraire de la «féodalité industrielle»

    Pierre-Joseph Proudhon entend réformer le capitalisme, par en quelque sorte le principe de la coopération des petits propriétaires. Personne ne doit en quelque sorte « arnaquer » personne et tout le monde doit payer une sorte de « juste prix ». C’est là une vision idéalisée des échanges directs, du troc.

    Cette idéologie est de fait extrêmement puissante en France (Notre-Dame-des-Landes, la décroissance, etc.).

    Ce « mutuellisme » dispose de forces permettant de réguler en quelque sorte le système. Il faut ainsi des mutuelles fournissant des crédits pour les investissements. Dans la logique de Pierre-Joseph Proudhon, ces prêts se font sans intérêt, ou bien minime pour les frais d’administration. Il faut par contre fournir une caution, une hypothèque, etc. pour obtenir ce prêt. Pour les plus pauvres, il y a ainsi une « banque du peuple », échangeant des outils, des crédits, contre des heures de travail.

    Portrait de Pierre Joseph Proudhon,
    par Gustave Courbet, 1865.

    De la même manière, des mutuelles d’assurance sont censées assurer les éventuels dommages encourus. Ici encore, les mutuelles ne doivent jamais chercher le profit. D’ailleurs, Pierre-Joseph Proudhon prévoit une « société de bourse » chargée de donner, mais à titre indicatif seulement, le prix censé être correct pour les biens et les services.

    Ainsi, on a d’un côté l’échange solidaire et de l’autre l’accaparement. L’antisémitisme de Pierre-Joseph Proudhon est inévitable : il a besoin de justifier idéologiquement d’où provient le principe d’accaparement. Ne le voyant pas dans le capitalisme, car ne comprenant pas le rôle de la plus-value comme Karl Marx l’a expliqué, il est obligé de le trouver « à l’extérieur » de la société.

    La critique de la bourse par Pierre-Joseph Proudhon est ici parlante. L’ironie est d’ailleurs ici qu’il s’agit d’un extrait de la préface de la troisième édition d’un… « Manuel du Spéculateur à la Bourse », qu’il a écrit comme œuvre de commande d’un éditeur.

    Assumant son œuvre et en profitant pour diffuser sa vision du monde, Pierre-Joseph Proudhon constate donc :

    « On a parlé des crimes de la Terreur, des hontes du Directoire, de l’arbitraire de l’Empire, des corruptions de la Légitimité et de la Monarchie Bourgeoise. Comparez donc ces misères avec la dissolution d’une époque qui a pris pour Décalogue la Bourse et ses œuvres, pour philosophie la Bourse, pour politique la Bourse, pour morale la Bourse, pour patrie et pour Église la Bourse ! »

    Pierre-Joseph Proudhon place sur un même plan le prolétaire et le petit-bourgeois, tous deux victimes de l’arbitraire de la « féodalité industrielle », de « féodalité mercantile et industrielle ». De manière lyrique et exaltée à son habitude, Pierre-Joseph Proudhon affirme ainsi :

    « Le boutiquier et le prolétaire voient en un jour leur loyer augmenté de moitié, de trois quarts, sans autre cause que le bon plaisir du maître de maison : et vous poursuivez comme crime d’État la grève du travailleur, grève dont la cause première est le loyer ; vous signalez aux vengeances de la multitude l’épicier, le charcutier, le boulanger, le marchand de vin, falsificateur, accapareur !…

    Ah ! sachez-le une fois : les faits et gestes de la Bourse ont fait table rase de l’honnêteté commerciale ; l’exagération arbitraire, insultante des loyers, la mobilité des tarifs, les fusions de Compagnies, les confiscations, expulsions, pour cause d’utilité publique, ont détruit le respect de la propriété, et, ce qui est pire, l’amour du travail dans les cœurs. Nous n’existons plus que par la police, par la force. »

    Cette expression petite-bourgeoise a été résumée de la manière suivante dans le fameux Manifeste communiste de Karl Marx et Friedrich Engels :

    « 2. Le socialisme conservateur ou bourgeois

    Une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise.

    Dans cette catégorie, se rangent les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s’occupent d’améliorer le sort de la classe ouvrière, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, bref, les réformateurs en chambre de tout acabit. Et l’on est allé jusqu’à élaborer ce socialisme bourgeois en systèmes complets.

    Citons, comme exemple, la Philosophie de la misère de Pierre-Joseph Proudhon.

    Les socialistes bourgeois veulent les conditions de vie de la société moderne sans les luttes et les dangers qui en découlent fatalement. Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat. La bourgeoisie ; comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes.

    Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu’il somme le prolétariat de réaliser ses systèmes et d’entrer dans la nouvelle Jérusalem, il ne fait que l’inviter, au fond, à s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait.

    Une autre forme de socialisme, moins systématique, mais plus pratique, essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter.

    Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’Etat.

    Le socialisme bourgeois n’atteint son expression adéquate que lorsqu’il devient une simple figure de rhétorique.

    Le libre-échange, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le dernier mot du socialisme bourgeois, le seul qu’il ait dit sérieusement.

    Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois – dans l’intérêt de la classe ouvrière. »

    >Sommaire du dossier

  • Proudhon et le «mutuellisme» comme antidote

    Quels sont les remèdes dont parle Karl Marx, et que Pierre-Joseph Proudhon prétend avoir trouvé ? Quels sont les antidotes que Pierre-Joseph Proudhon considère avoir découvert, afin de gommer les aspects mauvais de la propriété ?

    Proudhon vise, de fait, la fusion des travailleurs et de la bourgeoisie.

    Voici son objectif :

    « Que la bourgeoisie le sache ou l’ignore, son rôle est fini ; elle ne saurait aller loin, et elle ne peut pas renaître. Mais qu’elle rende son âme en paix !

    L’avènement de la plèbe n’aura pas pour résultat de l’éliminer, en ce sens que la plèbe remplacerait la bourgeoisie dans sa prépondérance politique, par suite dans ses privilèges, propriétés et jouissances, pendant que la bourgeoisie remplacerait la plèbe dans son salariat.

    La distinction actuelle, d’ailleurs parfaitement établie, entre les deux classes, ouvrière et bourgeoise, est un simple accident révolutionnaire.

    Toutes deux doivent s’absorber réciproquement dans une conscience supérieure ; et le jour où la plèbe, constituée en majorité, aura saisi le pouvoir et proclamé, selon les inspirations du droit nouveau et les formules de la science, la réforme économique et sociale, sera le jour de la fusion définitive.

    C’est sur des données nouvelles que les populations, qui ne vécurent longtemps que de leur antagonisme, doivent désormais se définir, marquer leur indépendance et constituer leur vie politique. »

    De la Capacité politique des classes ouvrières

    Pour ce faire, les travailleurs doivent devenir des capitalistes, mais de petits capitalistes, s’échangeant sur une base équitable, et étant solidaires entre eux. C’est une vision idéalisée du moyen-âge et Pierre-Joseph Proudhon appelle cela le « mutuellisme ».

    Il explique ainsi :

    « Le mot français mutuel, mutualité, mutuation, qui a pour synonyme réciproque, réciprocité, vient du latin mutuum, qui signifie prêt (de consommation), et dans un sens plus large, échange. On sait que dans le prêt de consommation l’objet prêté est consommé par l’emprunteur, qui n’en rend alors que l’équivalent, soit en même nature, soit sous toute autre forme. Supposez que le prêteur devienne de son côté emprunteur, vous aurez une prestation mutuelle, un échange par conséquent : tel est le lien logique qui a fait donner le même nom à deux opérations différentes.

    Rien de plus élémentaire que cette notion : aussi n’insisterai-je pas davantage sur le côté logique et grammatical. Ce qui nous intéresse est de savoir comment, sur cette idée de mutualité, réciprocité, échange, Justice, substituée à celles d’autorité, communauté ou charité, on en est venu, en politique et en économie politique, à construire un système de rapports qui ne tend à rien de moins qu’à changer de fond en comble l’ordre social.

    À quel titre, d’abord, et sous quelle influence l’idée de mutualité s’est-elle emparée des esprits ?

    Nous avons vu précédemment comment l’école du Luxembourg entend le rapport de l’homme et du citoyen vis-à-vis de la société et de l’État : suivant elle, ce rapport est de subordination. De là, l’organisation autoritaire et communiste.

    À cette conception gouvernementale vient s’opposer celle des partisans de la liberté individuelle, suivant lesquels la société doit être considérée, non comme une hiérarchie de fonctions et de facultés, mais comme un système d’équilibrations entre forces libres, dans lequel chacune est assurée de jouir des mêmes droits à la condition de remplir les mêmes devoirs, d’obtenir les mêmes avantages en échange des mêmes services, système, par conséquent essentiellement égalitaire et libéral, qui exclut toute acception de fortunes, de rang et de classes.

    Or, voici comment raisonnent et concluent ces anti-autoritaires ou libéraux.

    Ils soutiennent que la nature humaine étant dans l’Univers l’expression la plus haute, pour ne pas dire l’incarnation de l’universelle Justice, l’homme et le citoyen tient son droit directement de la dignité de sa nature, de même que plus tard il tiendra son bien-être directement de son travail personnel et du bon usage de ses facultés, sa considération du libre exercice de ses talents et de ses vertus.

    Ils disent donc que l’État n’est autre chose que la résultante de l’union librement formée entre sujets égaux, indépendants, et tous justiciers ; qu’ainsi il ne représente que des libertés et des intérêts groupés ; que tout débat entre le Pouvoir et tel ou tel citoyen se réduit à un débat entre citoyens ; qu’en conséquence il n’y a pas, dans la société, d’autre prérogative que la liberté, d’autre suprématie que celle du Droit. L’autorité et la charité, disent-ils, ont fait leur temps ; à leur place nous voulons la justice.

    De ces prémisses, radicalement contraires à celles du Luxembourg, ils concluent à une organisation sur la plus vaste échelle du principe mutuelliste. — Service pour service, disent-ils, produit pour produit, prêt pour prêt, assurance pour assurance, crédit pour crédit, caution pour caution, garantie pour garantie, etc. : telle est la loi. C’est l’antique talion, œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie, en quelque sorte retourné, transporté du droit criminel et des atroces pratiques de la vendetta dans le droit économique, les œuvres du travail et les bons offices de la libre fraternité.

    De là toutes les institutions du mutuellisme : assurances mutuelles, crédit mutuel, secours mutuels, enseignement mutuel ; garanties réciproques de débouché, d’échange, de travail, de bonne qualité et de juste prix des marchandises, etc.

    Voilà ce dont le mutuellisme prétend faire, à l’aide de certaines institutions, un principe d’État, une loi d’État, j’irai jusqu’à dire une sorte de religion d’État, d’une pratique aussi facile aux citoyens qu’elle leur est avantageuse ; qui n’exige ni police, ni répression, ni compression, et ne peut en aucun cas, pour personne, devenir une cause de déception et de ruine.

    Ici, le travailleur n’est plus un serf de l’État, englouti dans l’océan communautaire ; c’est l’homme libre, réellement souverain, agissant sous sa propre initiative et sa responsabilité personnelle ; certain d’obtenir de ses produits et services un prix juste, suffisamment rémunérateur, et de rencontrer chez ses concitoyens, pour tous les objets de sa consommation, la loyauté et les garanties les plus parfaites.

    Pareillement l’État, le Gouvernement n’est plus un souverain ; l’autorité ne fait point ici antithèse à la liberté : État, gouvernement, pouvoir, autorité, etc., sont des expressions servant à désigner sous un autre point de vue la liberté même ; des formules générales, empruntées à l’ancienne langue, par lesquelles on désigne, en certains cas, la somme, l’union, l’identité et la solidarité des intérêts particuliers.

    Dès lors il n’y a plus lieu de se demander, comme dans le système bourgeois ou dans celui du Luxembourg, si l’État, le Gouvernement ou la communauté, doivent dominer l’individu, ou bien lui être subordonnés ; si le prince est plus que le citoyen, ou le citoyen plus que le prince ; si l’autorité prime la liberté, ou si elle est sa servante : toutes ces questions sont de purs non-sens.

    Gouvernement, autorité, État, communauté et corporations, classes, compagnies, cités, familles, citoyens, en deux mots, groupes et individus, personnes morales et personnes réelles, tous sont égaux devant la loi, qui seule, tantôt par l’organe de celui-ci, tantôt par le ministère de celui-là, règne, juge et gouverne : Despotès ho nomos.

    Qui dit mutualité suppose partage de la terre, division des propriétés, indépendance du travail, séparation des industries, spécialité des fonctions, responsabilité individuelle et. collective, selon que le travail est individualisé ou groupé ; réduction au minimum des frais généraux, suppression du parasitisme et de la misère.

    — Qui dit communauté, en revanche, hiérarchie, indivision, dit centralisation, suppose multiplicité des ressorts, complication de machines, subordination des volontés, déperdition de forces, développement de fonctions improductives, accroissement indéfini de frais généraux, par conséquent création du parasitisme et progrès dans la misère. »

    De la Capacité politique des classes ouvrières

    >Sommaire du dossier

  • Proudhon et le «socialisme français» : deux devient un

    Mao Zedong a résumé la dialectique par la célèbre formule « un devient deux ». En Chine populaire, la lutte contre le révisionnisme a coïncidé avec celle contre ceux qui suivaient la méthode « deux devient un ».

    Pierre-Joseph Proudhon est en fait quelqu’un appliquant cette méthode du « deux devient un ». Il reconnaît la dialectique, mais la solution qu’il propose est de gommer le mauvais côté, au lieu de dépasser les deux aspects.

    Toute sa démarche est celle du petit-bourgeois qui reconnaît les défauts de la propriété, mais considère qu’on peut effacer ceux-ci. Voici comment Karl Marx présente très adroitement la position de Proudhon :

    « Pour lui, M. Proudhon, toute catégorie économique a deux côtés, l’un bon, l’autre mauvais. Il envisage les catégories comme le petit bourgeois envisage les grands hommes de l’histoire : Napoléon est un grand homme; il a fait beaucoup de bien, il a fait aussi beaucoup de mal.

    Le bon côté et le mauvais côté, l’avantage et l’inconvénient, pris ensemble, forment pour M. Proudhon la contradiction dans chaque catégorie économique.

    Problème à résoudre : conserver le bon côté en éliminant le mauvais (…).

    Hegel n’a pas de problèmes à poser. Il n’a que la dialectique. M. Proudhon n’a de la dialectique de Hegel que le langage. Son mouvement dialectique, à lui, c’est la distinction dogmatique du bon et du mauvais.

    Prenons un instant M. Proudhon lui-même comme catégorie. Examinons son bon et son mauvais côté, ses avantages et ses inconvénients.

    S’il a sur Hegel l’avantage de poser des problèmes, qu’il se réserve de résoudre pour le plus grand bien de l’humanité, il a l’inconvénient d’être frappé de stérilité quand il s’agit d’engendrer par le travail d’enfantement dialectique une catégorie nouvelle.

    Ce qui constitue le mouvement dialectique, c’est la coexistence des deux côtés contradictoires, leur lutte et leur fusion en une catégorie nouvelle. Rien qu’à se poser le problème d’éliminer le mauvais côté, on coupe court au mouvement dialectique. Ce n’est pas la catégorie qui se pose et s’oppose à elle-même par sa nature contradictoire, c’est M. Proudhon qui s’émeut, se débat, se démène entre les deux côtés de la catégorie.

    Pris ainsi dans une impasse, d’où il est difficile de sortir par les moyens légaux, M. Proudhon fait un véritable soubresaut qui le transporte d’un seul bond dans une catégorie nouvelle. C’est alors que se dévoile à ses yeux étonnés la série dans l’entendement.

    Il prend la première catégorie venue, et il lui attribue arbitrairement la qualité de porter remède aux inconvénients de la catégorie qu’il s’agit d’épurer. Ainsi les impôts remédient, s’il faut en croire M. Proudhon, aux inconvénients du monopole; la balance du commerce, aux inconvénients des impôts; la propriété foncière, aux inconvénients du crédit.

    En prenant ainsi successivement les catégories économiques, une à une, et en faisant de celle-ci l’antidote de celle-là, M. Proudhon arrive à faire avec ce mélange de contradictions, deux volumes de contradictions, qu’il appelle à juste titre : Le Système des contradictions économiques (…).

    Chaque rapport économique a un bon et un mauvais côté c’est le seul point dans lequel M. Proudhon ne se dément pas. Le bon côté, il le voit exposé par les économistes; le mauvais côté, il le voit dénoncé par les socialistes. Il emprunte aux économistes la nécessité des rapports éternels; il emprunte aux socialistes l’illusion de ne voir dans la misère que la misère. Il est d’accord avec les uns et les autres en voulant s’en référer à l’autorité de la science. La science, pour lui, se réduit aux minces proportions d’une formule scientifique; il est l’homme à la recherche des formules.

    C’est ainsi que M. Proudhon se flatte d’avoir donné la critique et de l’économie politique et du communisme : il est au-dessous de l’une et de l’autre. Au-dessous des économistes, puisque comme philosophe, qui a sous la main une formule magique, il a cru pouvoir se dispenser d’entrer dans des détails purement économiques; au-dessous des socialistes, puisqu’il n’a ni assez de courage, ni assez de lumières pour s’élever, ne serait-ce que spéculativement, au-dessus de l’horizon bourgeois.

    Il veut être la synthèse, il est une erreur composée.

    Il veut planer en homme de science au-dessus des bourgeois et des prolétaires; il n’est que le petit bourgeois, ballotté constamment entre le Capital et le Travail, entre l’économie politique et le communisme. »

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  • Proudhon : un idéal de producteurs et de consommateurs directs

    Comment Pierre-Joseph Proudhon argumente-il en faveur de son romantisme économique ? Dans Misère de la philosophie, Karl Marx constate, au départ, l’une des incroyables prétentions de Proudhon, qui, par ailleurs, a toujours été porteur d’une grande mégalomanie. En l’occurrence, Pierre-Joseph Proudhon prétend avoir « découvert » le premier l’opposition entre la valeur d’usage d’une chose, son utilité en quelque sorte, et sa valeur d’échange, c’est-à-dire sa valeur en tant que marchandise.

    Or, Karl Marx note que David Ricardo l’a déjà dit, et il dit notamment à ce sujet :

    « Ricardo est le chef de toute une école, qui règne en Angleterre depuis la Restauration. La doctrine ricardienne résume rigoureusement, impitoyablement toute la bourgeoisie anglaise, qui est elle-même le type de la bourgeoisie moderne.

    “ Qu’en dira la postérité ? ” [se demandait Proudhon, prétendant avoir découvert ce que personne n’avait vu.] Elle ne dira pas que M. Proudhon n’a point connu Ricardo, car il en parle, il en parle longuement, il y revient toujours et finit par dire que c’est du “ fatras ”.

    Si jamais la postérité s’en mêle, elle dira peut-être que M. Proudhon, craignant de choquer l’anglophobie de ses lecteurs, a mieux aimé se faire l’éditeur responsable des idées de Ricardo.

    Quoi qu’il en soit, elle trouvera fort naïf que M. Proudhon donne comme “ théorie révolutionnaire de l’avenir ”, ce que Ricardo a scientifiquement exposé comme la théorie de la société actuelle, de la société bourgeoise, et qu’il prenne ainsi pour la solution de l’antinomie entre l’utilité et la valeur en échange ce que Ricardo et son école ont longtemps avant lui présenté comme la formule scientifique d’un seul côté de l’antinomie, de la valeur en échange. »

    Ce point, Karl Marx y reviendra longuement au début du Capital. Il y traite aussi bien sûr de la question du salaire et de la valeur du travail. Or, ici Pierre-Joseph Proudhon a un point de vue éminemment petit-bourgeois. A ses yeux, une heure de travail vaut une heure de travail, et il suffirait pour établir l’égalité de s’appuyer, en quelque sorte, sur une comptabilité de ces heures.

    Pierre-Joseph Proudhon voit donc tous les travailleurs comme des équivalents, quels que soient leurs emplois, et imagine que leurs salaires reflètent vraiment leur activité. C’est-à-dire qu’il n’a pas compris le principe de l’exploitation, ni d’ailleurs ce qu’est le capital.

    Il ne comprend pas que le capital se fonde, pour évaluer la valeur d’un produit, sur là où il est produit le moins cher, en raison du principe de concurrence, il ne distingue aucune étape dans la production, il assimile les ouvriers aux autres travailleurs, etc.

    Karl Marx note ainsi que :

    « Adam Smith prend pour mesure de la valeur tantôt le temps du travail nécessaire à la production d’une marchandise, tantôt la valeur du travail. Ricardo a dévoilé cette erreur en faisant clairement voir la disparité de ces deux manières de mesurer. M. Proudhon renchérit sur l’erreur d’Adam Smith en identifiant les deux choses, dont l’autre n’avait fait qu’une juxtaposition.

    C’est pour trouver la juste proportion dans laquelle les ouvriers doivent participer aux produits, ou, en d’autres termes, pour déterminer la valeur relative du travail, que M. Proudhon cherche une mesure de la valeur relative des marchandises.

    Pour déterminer la mesure de la valeur relative des marchandises, il n’imagine rien de mieux que de donner pour équivalent d’une certaine quantité de travail la somme des produits qu’elle a créés, ce qui revient à supposer que toute la société ne consiste qu’en travailleurs immédiats, recevant pour salaire leur propre produit.

    En second lieu, il pose en fait l’équivalence des journées des divers travailleurs.

    En résumé, il cherche la mesure de la valeur relative des marchandises, pour trouver la rétribution égale des travailleurs et il prend une donnée déjà toute trouvée, l’égalité des salaires, pour s’en aller chercher la valeur relative des marchandises (…).

    Tous les raisonnements de M. Proudhon se bornent à ceci : on n’achète pas le travail comme objet immédiat de consommation. Non, on l’achète comme instrument de production, comme on achèterait une machine. En tant que marchandise, le travail vaut et ne produit pas. M. Proudhon aurait pu dire tout aussi bien qu’il n’existe pas de marchandise du tout, puisque toute marchandise n’est acquise que dans un but d’utilité quelconque et jamais comme marchandise elle-même. »

    Pierre-Joseph Proudhon idéalise la société capitaliste, qu’il espère sans marchandises, simplement composé de producteurs directs et de consommateurs directs, sans « intermédiaires », sans complexité en quelque sorte.

    Il n’est pas difficile de voir le succès gigantesque de cette conception, par exemple avec le courant de la décroissance.

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