Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le matérialisme dialectique et l’unité du continu et du discontinu

    Est continu ce qui ne connaît pas d’interruption, est discontinu ce qui ne l’est pas, ce qui connaît des interruptions.

    Selon le matérialisme dialectique, le continu et le discontinu forment une unité des contraires, l’un n’existant pas sans l’autre, l’un se transformant en l’autre.

    Cette considération s’appuie sur la nature même de la continuité et de la discontinuité.

    Ce qui est discontinu peut connaître la cessation de la continuité, en tant qu’intervalles, que pauses, ce qui est un changement de qualité. Mais cette cessation de la continuité peut être relative seulement, sous la forme de quantité donc, dans la mesure où le mouvement baisse ou augmente d’intensité au lieu de simplement cesser.

    Ce qui est continu connaît également une contradiction entre quantité et qualité, dans la mesure où le matérialisme dialectique considère que tout phénomène obéit au principe du saut qualitatif : la quantité devient qualité, ou inversement, et de ce fait le principe de continuité absolue n’existe pas.

    Cependant, le principe de discontinuité absolue n’existe pas non plus, pour le matérialisme dialectique.

    En effet, le principe de la discontinuité absolue empêcherait l’expression du saut qualitatif, puisqu’il hacherait l’évolution tendancielle inévitable d’un processus au cœur d’un phénomène.

    Historiquement, le fétichisme de la continuité consiste en l’opportunisme de droite (croyant par exemple en la continuité du capitalisme au socialisme), le fétichisme en la discontinuité l’opportunisme de gauche (croyant par exemple en la révolution permanente).

    De la même manière, il n’existe pas de quantité absolue et de qualité absolue. Dans le cas d’une quantité absolue, cela reviendrait à une continuité absolue ; dans le cas d’une qualité absolue, cela reviendrait à une discontinuité absolue.

    Le principe de l’évolution en spirale obéit précisément, en tant que description d’ordre générale, à l’unité des contraires que forment la continuité et la discontinuité, le continu et le discontinu.

    Pris isolément, le continu existe comme étape avant un saut qualitatif, et contient en ce sens le discontinu en lui.

    Pris isolément, le discontinu existe comme étape qualitative d’un processus quantitatif, et contient en ce sens le continu.

    Le continu porte l’universel de manière particulière, car le continu correspond à une réalité à un stade de développement précis.

    De même, le discontinu porte le particulier de manière universelle, car il appartient à l’expression dialectique inévitable du mouvement de la matière.

    Cependant, de par leur rapport dialectique, le continu porte également le particulier de manière universelle, dans la mesure où il s’exprime sous la forme de phénomènes concrets infinis.

    Le discontinu exprime, lui, l’universel de manière particulière, en tant que loi essentielle propre à tout phénomène fini.

    Le fini exprime le discontinu dans le continu de l’infini, et pareillement l’infini correspond à la nature discontinue du devenir universel fini, car non absolu de par sa transformation, en tant qu’espace, dans le temps.

    Ici, l’infini répond au fini et l’espace au temps, et inversement. C’est là la clef du rapport dialectique entre le continu et le discontinu.

    Seul l’espace est absolu, bien que justement de par sa nature contradictoire il produise le temps – fini mais portant en lui l’absolu car correspondant à l’espace connaissant un saut qualitatif.

    Ce saut qualitatif exprime une discontinuité dans le continu, mais en même temps, il forme la continuité dialectique du mouvement infini.

    Cette continuité dialectique est elle-même discontinue, de par son propre mouvement dialectique, à l’infini, en tant que contradiction, en tant que contradictions.

    C’est ce qui fait dire à Lénine que :

    « Le mouvement est l’essence du temps et de l’espace.

    Deux concepts fondamentaux expriment cette essence : la continuité (infinie) et la « composition en points » ( = la négation de la continuité, la discontinuité).

    Le mouvement est l’unité de la continuité (du temps et de l’espace) et de la discontinuité (du temps et de l’espace). Le mouvement est une contradiction, une unité de contradictions… »

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  • Spirale et non ligne droite anthropocentrique

    L’un des soucis évidents que présente le mouvement dialectique de la matière est qu’il faut arriver, à travers les phénomènes, à distinguer ce qui est important de ce qui l’est moins, comprendre quel aspect joue un rôle moteur, quel phénomène il faut privilégier, etc.

    Si l’on raisonne en termes mathématiques « communes », on additionne, on considère de manière « logique » que « 1+1=2 ». Or, le principe même de la dialectique rejette cela, en raison de l’existence de « sauts », les contradictions se résolvant dans une « crise » et donnant naissance à quelque chose de nouveau.

    Ainsi, non seulement 1+1 peut aboutir à 3, 10 ou 100, mais en plus ce 100 est qualitativement différent des deux « 1 » initiaux. Par exemple, un simple degré de plus quand on chauffe de l’eau, n’aboutit pas à une eau simplement plus chaude, mais à l’ébullition et, si l’on n’y prend garde d’ailleurs, à l’évaporation, à un changement de forme de l’eau.

    Une démarche incorrecte aura donc tendance à ne pas voir les sauts, voire à les nier, alors que la démarche correcte va les rechercher, et comme sa compréhension arrive après le phénomène, il y a un temps de retard, il faut « rattraper » le mouvement.

    Lénine résume cela en constatant que la démarche incorrecte cherche la ligne droite et s’y complaît, rejetant le nouveau, alors que le mouvement, avec ses sauts, correspond à ce qu’on pourrait appeler une spirale.

    Dans Sur la question de la dialectique, il constate de cette manière :

    « La connaissance humaine n’est pas (ou ne décrit pas) une ligne droite, mais une ligne courbe qui se rapproche indéfiniment d’une série de cercles, d’une spirale.

    Tout segment, tronçon, morceau de cette courbe peut être changé (changé unilatéralement) en une ligne droite indépendante, entière, qui (si on ne voit pas la forêt derrière les arbres) conduit alors dans le marais, à la bondieuserie (où elle est fixée par l’intérêt de classe des classes dominantes).

    Démarche rectiligne et unilatéralité, raideur de bois et ossification, subjectivisme et cécité subjective, voilà les racines gnoséologiques de l’idéalisme.

    Et la bondieuserie (=idéalisme philosophique) a, naturellement, des racines gnoséologiques, elle n’est pas dépourvue de fondement ; c’est une fleur stérile, c’est incontestable, mais une fleur stérile qui pousse sur l’arbre vivant de la vivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissance humaine. »

    Naturellement, le principe de la « ligne droite » aboutit à une surestimation de l’activité humaine, à un orgueil anthropocentrique totalement démesuré et décalé par rapport à la réalité. En réalité, les activités humaines participent au mouvement de la matière et ne peuvent qu’accompagner ce mouvement, puisque ce dernier obéit aux contradictions existantes, qui ne peuvent bien entendu pas être « inventées ».

    Pour cette raison, Mao Zedong a expliqué que :

    « La liberté, c’est la connaissance de la nécessité et la transformation du monde objectif. »

    L’être humain existe dans des conditions déterminées, par conséquent selon le matérialisme dialectique sa nature est déterminée également. L’être humain n’a aucun statut à part ; il n’a pas d’âme, pas d’esprit, il ne peut pas « penser » indépendamment de la réalité.

    Les humains sont de la matière, et par conséquent relèvent du mouvement général de la matière. Il n’y aucune raison, au nom d’un raisonnement du type « ligne droite », de séparer l’humanité du reste de la matière.

    Seul l’univers, comme réalité générale, est éternel, et encore sa nature elle-même se modifiera, de par la loi de la contradiction. Ce principe de la transformation générale interdit tout anthropocentrisme. Mao Zedong avait ainsi expliqué :

    « L’univers aussi se transforme ; il n’est pas éternel.

    Le capitalisme mène au socialisme, le socialisme mène au communisme. Le communisme aussi connaîtra des transformations ; il aura un commencement et une fin.

    Il n’existe rien dans le monde qui ne passe par le processus naissance – développement – disparition.

    Les singes se sont transformés en Hommes et les Hommes sont apparus. A la fin, l’humanité entière cessera d’exister. Elle pourra se transformer en quelque chose d’autre.

    A ce moment-là, la terre elle-même disparaîtra. Elle s’éteindra et le soleil se refroidira. La température du soleil est déjà beaucoup plus basse que jadis…

    Toute chose doit avoir un commencement et une fin. Seules deux choses sont infinies : le temps et l’espace. »

    En Chine populaire, durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, de vastes campagnes avaient été menées pour populariser cette approche, cette démarche, afin de véritablement saisir le matérialisme dialectique.

    Voici ainsi ce qu’on peut lire dans une revue chinoise du début des années 1970 consacrée au matérialisme dialectique :

    « La fin de toute chose concrète, le soleil, la Terre et l’humanité n’est pas la fin de l’univers. La fin de la Terre apportera un corps cosmique nouveau et plus sophistiqué.

    À ce moment-là, les gens tiendront des réunions et célébreront la victoire de la dialectique et souhaiteront la bienvenue à la naissance de nouvelles planètes.

    La fin de l’humanité se traduira également par de nouvelles espèces qui hériteront de toutes nos réalisations. En ce sens… la mort de l’ancien est la condition de la naissance du nouveau. »

    L’univers est l’unité du fini et de l’infini, dans le Journal de la dialectique de la nature

    De par la loi du développement inégal du mouvement de la matière, il y a eu des échecs, ou plus précisément un grand détour. La Chine populaire a changé de couleur, se retournant en son contraire. Mais Mao Zedong avait justement compris ce risque, en s’appuyant justement sur le matérialisme dialectique.

    En fait, « la voie est sinueuse, l’avenir est lumineux » : inévitablement les contradictions aboutissent à leur résolution, à des « sauts », mais le processus ne suit jamais une ligne droite.

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  • Le matérialisme dialectique et le concept d’écho

    Le terme d’écho désigne un son renvoyé de manière plus ou moins distincte. Jusqu’à présent, ce terme n’a pas été utilisé au sein du matérialisme dialectique et c’est sans doute un tort de par la formidable conceptualisation qu’on puisse en faire.

    Comme on le sait, en effet, le matérialisme dialectique considère que l’esprit reflète la matière ; la pensée n’est qu’une synthèse plus ou moins développée de la réalité.

    Or, cela signifie qu’on peut formuler en disant cela que la réalité a un écho plus ou moins important dans tel ou tel esprit.

    De plus, on peut renverser la proposition et expliquer qu’une pensée-guide a un écho plus ou moins important dans les masses.

    Le principe de l’écho veut que le son soit répercuté et qu’il soit répété plus ou moins fidèlement : c’est là quelque chose de très utile lorsqu’on raisonne en termes de reflet.

    On pourra dire : telle œuvre musicale ou littéraire est un excellent écho de telle société à telle époque, ou bien encore : cette œuvre relève du formalisme, car sa forme obéit à un « canon » esthétique abstrait et ne possède pratiquement aucun écho.

    On peut voir ici que le terme d’écho se rapproche de celui de reflet : un œuvre reflète son époque, elle est l’écho d’une époque. On devine cependant la nuance qu’on pourrait y voir : une œuvre qui reflète témoigne d’une saisie maîtrisée, consciente, de la réalité, alors que l’écho montre une certaine passivité, n’étant qu’un produit indirect, non conscient ou conscient de manière peu élevée.

    Cela serait, par conséquent, très pratique pour juger de démarches relativement subjectivistes, de type expressionniste. Reste à savoir quelles sont les frontières : faut-il ainsi dire que Nirvana, Tupac Shakur et Bruce Springsteen sont des échos musicaux de positionnements propres à certaines franges rebelles de la jeunesse, ou bien qu’ils reflètent une certaine posture historique de rébellion ?

    Tout dépend, on l’a compris, du niveau de conscience ; si on considère que ces artistes sont progressistes, ce qu’ils sont indéniablement, alors il vaut mieux parler du reflet et alors considérer que l’écho est passif, tendant à une certaine décadence par incompréhension de la substance dont il n’est qu’une répercussion.

    On sait, par exemple, que l’ultra-gauche prétend être authentiquement révolutionnaire, car allant « plus loin », de manière « plus décidée » : en réalité, ce n’est qu’un écho. L’ultra-gauche lors de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne chinoise, en Espagne durant la guerre contre le coup d’État de Franco, ou bien encore en France durant mai 1968, n’a été qu’un écho s’imaginant être la substance même de ce dont elle n’est en réalité qu’un écho déformé.

    Il s’agit ici d’un écho foncièrement négatif et c’est là qu’il y a quelque chose de très intéressant. On sait qu’un se divise en deux et on peut voir ici que l’aspect négatif utilise un écho pour masquer son propre projet.

    Toute Ve colonne, tout projet d’ultra-gauche, prend le masque de l’écho pour prétendre être ce dont il n’est qu’une ombre, qu’un écho.

    On pourrait donc, alors, utiliser le terme d’écho pour désigner une expression passive, inconsciente de manière relative ou absolue, de la diffusion de l’idéologie communiste, voire pour dénoncer le masque d’une ultra-gauche prétendant être ce dont elle n’est justement qu’un écho.

    Bien sûr, chaque domaine scientifique devrait se saisir pareillement de cette notion, en la distinguant du reflet, par rapport à la question du développement inégal et en précisant bien la différence avec le reflet.

    Si l’on prend la symétrie du visage, est-elle le produit du reflet ou n’est-ce qu’une forme secondaire du type écho ? Sans doute un reflet, puisqu’on peut voir qu’on a deux mains, tout en étant gaucher ou droitier, conformément à la loi du développement inégal.

    Faut-il alors chercher une distinction entre les deux yeux, ou bien l’existence du second n’est-il qu’un simple écho ? Qu’en est-il des deux hélices de l’ADN, qui sont qui plus est antiparallèles (ou de chiralité axiale), tel un reflet l’une de l’autre dans un miroir ?

    Le concept d’écho permet une perspective intéressante de réflexion.

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  • Le matérialisme dialectique et l’identité, l’unité des contraires

    Le matérialisme dialectique se fonde sur le principe de la contradiction, c’est-à-dire de contraires dont le rapport est le moteur de la transformation de la réalité, mais aussi la base de la réalité elle-même.

    Par conséquent, de par la nature de ce développement, chaque élément contraire ne peut pas exister sans l’autre. Sans le haut, il n’y a pas le bas ; sans la droite, il n’y a pas la gauche.

    Pour cette raison, le matérialisme dialectique parle de l’unité des contraires. Chaque contraire est uni à l’autre, ne pouvant exister l’un sans l’autre. Pour cette raison, l’identité de ces contraires tient à la contradiction elle-même.

    C’est pour cette raison que le principe d’identité est relatif, puisque la contradiction amène un mouvement et donc un changement de l’identité, par un changement des contraires.

    Un contraire n’a une identité que dans le cadre d’une contradiction, que par l’union à son contraire. Il n’existe pas indépendamment. Pour cette raison, l’unité des contraires est l’identité de ces contraires, tout comme l’identité de ces contraires consiste précisément en cette unité.

    Dans un article intitulé Sur la dialectique, datant de 1914, Lénine fait une remarque à ce sujet, de la manière suivante :

    « L’identité des contraires (peut-être de manière plus juste : leur « unité » ? bien qu’ici la différence des termes identité et unité ne soient pas particulièrement essentielle. En un certain sens, les deux sont corrects) signifie la reconnaissance (le décèlement) des tendances opposées, s’excluant mutuellement, se contredisant, dans tous les phénomènes et processus de la nature (ceux de l’esprit et de la société y compris). »

    Mao Zedong, qui connaissait ce texte diffusé en Chine grâce à l’Union Soviétique de Staline, a tenu à bien circonscrire cette question de la différence entre les termes identité et unité.

    Il a ajouté toute une série de terme aidant à saisir pourquoi on peut, comme l’a fait Lénine, les assimiler quant à cette question. Dans De la contradiction, il fournit ainsi les nombreuses précisions suivantes au sujet de leur rapport :

    « L’identité, l’unité, la coïncidence, l’interpénétration, l’imprégnation réciproque, l’interdépendance (ou bien le conditionnement mutuel), la liaison réciproque ou la coopération mutuelle – tous ces termes ont la même signification. »

    Toutefois, Mao Zedong a jugé utile d’expliquer ce qui est concerné par cette assimilation des deux termes. Il serait, en effet, tout à fait erroné de considérer l’unité, l’identité, comme un processus de simple équilibre entre les contraires.

    Leur rapport est dynamique ; de manière dialectique, l’unité et l’identité signifient également le renversement du rapport de leur unité, de la nature de leur identité.

    Voici comment Mao Zedong nous présente le domaine concerné par l’identité, l’unité, la coïncidence, etc. :

    « premièrement, chacun des deux aspects d’une contradiction dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène présuppose l’existence de l’autre aspect qui est son contraire, tous deux coexistant dans l’unité ;

    deuxièmement, chacun des deux aspects contradictoires tend à se transformer en son contraire dans des conditions déterminées. »

    Mao Zedong ne se contente pas de dire qu’il y a unité ; il souligne que, de manière systématique, il y a renversement des contraires, l’un devenant principal à la place de l’autre.

    C’est là une grande précision apporté par Mao Zedong au matérialisme dialectique : il y a un aspect principal, une position principale.

    Quand on parle d’unité des contraires, on parle de leur identité puisque l’un ne va pas sans l’autre, mais cela signifie également que l’un se transforme en l’autre, que l’un prend la place de l’autre. L’unité n’est pas formelle, abstraite, mais concrète, réelle par conséquent en mouvement.

    Mao Zedong explique ainsi :

    « Mais est-il suffisant de dire que l’un des deux aspects de la contradiction est la condition d’existence de l’autre, qu’il y a identité entre eux et que, par conséquent, ils coexistent dans l’unité ?

    Non, cela ne suffit pas. La question ne se limite pas au fait que les deux aspects de la contradiction se conditionnent mutuellement ; ce qui est encore plus important, c’est qu’ils se convertissent l’un en l’autre.

    Autrement dit, chacun des deux aspects contradictoires d’un phénomène tend à se transformer, dans des conditions déterminées, en son opposé, à prendre la position qu’occupait son contraire.

    Tel est le second sens de l’identité des contraires. »

    Au sens strict, parler d’unité des contraires équivaut à parler d’identité des contraires, mais cela ne doit pas faire oublier que l’unité signifie que les deux aspects de la contradiction peuvent inverser leur position.

    C’est, naturellement, de là que provient le principe de saut qualitatif, de révolution.

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  • Le matérialisme dialectique et le rapport du mouvement à l’espace et au temps

    Un mouvement est, dans sa définition limitée, un transport, un déplacement, un changement de situation dans l’espace. Le résultat du mouvement est une modification de l’endroit entre la période avant le mouvement et celle après le dit mouvement.

    Le mouvement est, dans cette perspective, l’expression d’un déplacement dans l’espace, ayant pris un certain temps.

    Le matérialisme dialectique donne au concept de mouvement une ampleur bien plus grande. Il ne limite pas le mouvement à un phénomène dans l’espace, mesurable par le temps.

    Le temps n’existe, en effet, selon le matérialisme dialectique, que comme rapport de l’espace à l’espace, car l’espace est composé de matière et la matière est en rapport avec elle-même. Ce rapport, fondé sur la loi de la contradiction, consiste précisément en le mouvement.

    C’est le mouvement qui donne naissance à la fois à l’espace et au temps, car le mouvement est le changement de la matière, dans l’espace, le temps n’étant que la réalité de ce changement.

    Il ne s’agit donc pas que de déplacement ou bien il faudrait dire que la matière se déplace en elle-même, avec elle-même.

    A ce sujet, dans des notes philosophiques, Lénine cite notamment un passage de Hegel, où il note « exact ! » dans la marge. Voici ce passage :

    « L’essence du temps et de l’espace est le mouvement, parce que c’est l’universel. »

    Ce qui est particulier se transforme ; le principe de transformation est universel et fait face aux particuliers. Le particulier se situe dans l’espace et le temps, de manière déterminée, mais l’universel est l’espace et le temps c’est-à-dire le principe de transformation de chaque chose.

    Cependant, dire cela n’est que partiellement vrai car le particulier contient en lui-même l’universel et la matière forme l’espace. Il y a ici une contradiction, ce qui fait écrire Lénine de nouveau l’expression « exact ! » dans la marge d’un autre passage de Hegel :

    « Se mouvoir signifie cependant : être à tel endroit et en même temps ne pas y être ; c’est la continuité de l’espace et du temps – et c’est elle qui est ce qui rend tout d’abord le mouvement possible. »

    S’il n’y avait pas de continuité du temps et de l’espace, alors tant l’un que l’autre ne consisterait qu’en une infinité de points séparés, que rien ne viendrait relier. La problématique d’un monde sans continuité avait déjà été soulignée dans l’Antiquité grecque par Zénon.

    Le matérialisme dialectique s’oppose à cette division en éléments de l’espace et du temps, posant de manière relative leur continuité. Et en même temps, le matérialisme dialectique accepte la division en éléments de l’espace et du temps, lui donnant toutefois une fin déterminée par la transformation.

    Lénine explique ainsi dans ses notes philosophiques :

    « Le mouvement est l’essence du temps et de l’espace. Deux concepts fondamentaux expriment cette essence : la continuité (infinie) et la « composition en points » ( = la négation de la continuité, la discontinuité).

    Le mouvement est l’unité de la continuité (du temps et de l’espace) et de la discontinuité (du temps et de l’espace). Le mouvement est une contradiction, une unité de contradictions… »

    Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’au lieu de s’imaginer une chose de manière statique se situant dans l’espace et le temps, il faut la concevoir comme en mouvement et cela avec l’espace et le temps.

    L’espace et le temps ne sont pas des « cadres » qui préexistent aux choses, mais le produit de ces choses qui sont nécessairement en mouvement.

    De plus, il faut saisir que le mouvement est déplacement au sens le plus large, c’est-à-dire transformation : non seulement un être humain assis sur une chaise est en déplacement, car la planète Terre est en déplacement, mais en plus il se transforme, notamment en vieillissant.

    Cette transformation – fondée sur la loi de la contradiction – est le mouvement lui-même. C’est parce que la matière se transforme que l’espace existe, comme matière se transformant. Si elle ne se transformait pas, alors tout serait statique et il n’y aurait pas d’espace, avec ses contradictions, mais un bloc.

    C’est pour cette raison qu’Aristote, ne pouvant à son époque saisir le principe du mouvement de la matière, a réutilisé le principe de l’Antiquité grecque comme quoi il aurait existé une matière statique qui aurait été « mise en forme » et mis en mouvement, de l’extérieur.

    Le matérialisme dialectique place le rapport du mouvement à l’espace et au temps comme un rapport de production, la matière existant et se transformant, déplaçant l’espace, le plaçant en contradiction avec lui-même, donnant naissance au temps.

    Il y a la fois continuité – pas de séparation des éléments – et en même temps discontinuité, car la transformation modifie la réalité et par conséquent ferme le temps infini, en raison du changement de l’espace infini lui-même modifié par la transformation.

    Le principe du saut qualitatif tient justement à cette contradiction, où l’infini est comme « fermé », car porté à un niveau supérieur.

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  • Karl Marx et la question juive

    Averroès a réfuté le fait que l’intellect connaisse les particuliers. Il n’y a pas de « choix » ; voici comment Staline résume fort justement cette question, en répondant à l’écrivain allemand Emil Ludwig :

    « Ludwig. — Ma question est la suivante. Vous avez maintes fois couru des risques et des dangers. Vous avez été persécuté. Vous avez participé à des combats. Plusieurs de vos amis les plus proches ont péri. Vous êtes resté vivant. Comment expliquez-vous cela ? Croyez-vous à la destinée ?

    Staline. — Non, je n’y crois pas. Des bolchéviks, des marxistes ne croient pas à la « destinée ». La notion même de destinée, la notion de « Schicksal » [destinée, en allemand] est un préjugé, une absurdité, une survivance de la mythologie, comme celle des anciens Grecs selon lesquels la déesse du destin réglait les destinées des hommes.

    Ludwig. — Le fait que vous ayez survécu serait donc un pur hasard ?

    Staline. — Il est des causes intérieures et extérieures dont la conjonction a fait que j’ai survécu. Mais tout à fait indépendamment de cela, un autre aurait pu se trouver à ma place, car quelqu’un devait occuper cette place.

    La « destinée », c’est quelque chose d’illogique, quelque chose de mystique. Je ne suis pas mystique. Certes, si les dangers ont passé près de moi sans m’atteindre, il y a des raisons à cela. Mais il pouvait y avoir d’autres éventualités, d’autres causes qui auraient pu conduire à un résultat diamétralement opposé. Ce qu’on est convenu d’appeler la destinée n’y est pour rien. »

    C’est pour cette raison que Karl Marx a pu comprendre la question juive, dans un de ses textes de jeunesse, de 1843, un texte difficile à comprendre car Marx ne fait que traverser la question de manière philosophique.

    Son point de vue est cependant compréhensible si l’on a saisi ce qu’est le judaïsme : une religion qui vise à maintenir l’identité d’un peuple dispersé, par l’intermédiaire d’un mélange de platonisme et d’aristotélisme, aboutissant dans un messianisme totalement idéaliste.

    Or, Karl Marx veut l’émancipation, pas un messianisme totalement idéaliste. Par conséquent, il doit réfuter l’identité religieuse juive, et il constate un fait simple : le judaïsme a coexisté avec le christianisme, son développement authentique en tant que religion en fait partie :

    « Le judaïsme s’est maintenu à côté du christianisme non seulement parce qu’il constituait la critique religieuse du christianisme et personnifiait le doute par rapport à l’origine religieuse du christianisme, mais encore et tout autant, parce que l’esprit pratique juif, parce que le judaïsme s’est perpétué dans la société chrétienne et y a même reçu son développement le plus élevé.

    Le Juif, qui se trouve placé comme un membre particulier dans la société bourgeoise, ne fait que figurer de façon spéciale le judaïsme de la société bourgeoise.

    Le judaïsme s’est maintenu, non pas malgré l’histoire, mais par l’histoire. »

    Naturellement, les rabbins expliquent au contraire que les enseignements du judaïsme datent de Moïse, mais cela est totalement faux : tant Maïmonide que la kabbale datent de la fin du Moyen Âge, leurs pensées se construisant sur des restes mystiques datant de l’effondrement national du peuple juif.

    Or, cet effondrement est allé de pair avec l’affirmation du christianisme ; il y a coexistence historique ; Marx constate donc :

    « La forme la plus rigide de l’opposition entre le Juif et le chrétien, c’est l’opposition religieuse. Comment résout-on une opposition ? En la rendant impossible. Comment rend-on impossible une opposition religieuse ? En supprimant la religion.

    Dès que le Juif et le chrétien ne verront plus, dans leurs religions respectives, que divers degrés de développement de l’esprit humain, des « peaux de serpent » dépouillées par le serpent qu’est l’homme, ils ne se trouveront plus dans une opposition religieuse, mais dans un rapport purement critique, scientifique, humain. La science constitue alors leur unité. Or, des oppositions scientifiques se résolvent par la science elle-même. »

    La science est la voie de l’unité, mais si l’Etat doit être démocratique, il faut également que les gens le soient : l’Etat libéré de la religion a également besoin de gens émancipés de la religion.

    Karl Marx explique par conséquent que les religions doivent s’abolir chez les gens, en plus de par rapport à l’Etat :

    « L’émancipation politique du Juif, du chrétien, de l’homme religieux en un mot, c’est l’émancipation de l’État du judaïsme, du christianisme, de la religion en général. Sous sa forme particulière, dans le mode spécial à son essence, comme État, l’État s’émancipe de la religion en s’émancipant de la religion d’État, c’est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s’affirmant purement et simplement comme État.

    S’émanciper politiquement de la religion, ce n’est pas s’émanciper d’une façon absolue et totale de la religion, parce que l’émancipation politique n’est pas le mode absolu et total de l’émancipation humaine.

    La limite de l’émancipation politique apparaît immédiatement dans ce fait que l’État peut s’affranchir d’une barrière sans que l’homme en soit réellement affranchi, que l’État peut être un État libre, sans que l’homme soit un homme libre. »

    Karl Marx dit alors qu’il faut que les personnes juives s’émancipent complètement, en tant qu’humaines, et non pas en tant que personnes religieuses. Sinon, l’émancipation politique va être un piège qui va renforcer la mainmise religieuse, et donc l’aliénation.

    De plus, cette affirmation religieuse va s’opposer à l’universalisme de l’émancipation, et c’est là le point que Marx souligne. Il dit ainsi :

    « Nous ne disons donc pas, avec Bauer, aux Juifs : Vous ne pouvez être émancipés politiquement, sans vous émanciper radicalement du judaïsme. Nous leur disons plutôt : C’est parce que vous pouvez être émancipés politiquement, sans vous détacher complètement et absolument du judaïsme, que l’émancipation politique elle-même n’est pas l’émancipation humaine.

    Si vous voulez être émancipés politiquement, sans vous émanciper vous-mêmes humainement, l’imperfection et la contradiction ne sont pas uniquement en vous, mais encore dans l’essence et la catégorie de l’émancipation politique (…).

    Aussi longtemps qu’il sera juif, l’essence limitée qui fait de lui un Juif l’emportera forcément sur l’essence humaine qui devait, comme homme, le rattacher aux autres hommes; et elle l’isolera de ce qui n’est pas juif. Il déclare, par cette séparation, que l’essence particulière qui le fait Juif est sa véritable essence suprême, devant laquelle doit s’effacer l’essence de l’homme. »

    Ce n’est pas tout : maniant la dialectique, Karl Marx constate l’impact sur la religion juive, qui devient une célèbre manière de s’auto-référencer, sans plus aucune référence à la réalité. Elle devient un simple moyen de pression de la part de gens adhérant à une religion :

    « Le judaïsme s’est maintenu, non pas malgré l’histoire, mais par l’histoire. C’est du fond de ses propres entrailles que la société bourgeoise engendre sans cesse le Juif.

    Quelle était en soi la base de la religion juive ? Le besoin pratique, l’égoïsme. Le monothéisme du Juif est donc, en réalité, le polythéisme des besoins multiples, un polythéisme qui fait même des lieux d’aisance un objet de la loi divine.

    Le besoin pratique, l’égoïsme est le principe de la société bourgeoise et se manifeste comme tel sous sa forme pure, dès que la société bourgeoise a complètement donné naissance à l’état politique. Le dieu du besoin pratique et de l’égoïsme, c’est l’argent. »

    Ici, Karl Marx ouvre la porte à une compréhension de l’antisémitisme : en effet, il est évident que le capitalisme a utilisé la minorité juive au cours du féodalisme, afin de contourner l’interdiction catholique du prêt à intérêt.

    Le prêt à intérêt était également interdit dans le judaïsme, mais comme il y a une situation avec deux religions, alors le prêt est possible envers ceux d’une autre religion.

    Si les catholiques n’étaient pas en mesure de le faire, car ils formaient la majorité, au sein de la communauté juive minoritaire, cela revenait à être possible.

    La minorité n’existe alors qu’en tentant de s’intégrer à l’ensemble, en apparence de manière parasitaire : là est l’origine de l’antisémitisme.

    Karl Marx l’a bien vu, et il traite non pas de la religion juive en général, mais de l’existence de l’idéologie religieuse dans son rapport à la société comme minorité obligée de profiter des « failles » du féodalisme et de s’appuyer sur le capitalisme pour exister.

    Il va de soi que cette compréhension permet de saisir parfaitement ce qu’est l’antisémitisme comme anticapitalisme romantique.

    Voici ce que dit Karl Marx :

    « Une organisation de la société qui supprimerait les conditions nécessaires du trafic, par suite la possibilité du trafic, rendrait le Juif impossible. La conscience religieuse du Juif s’évanouirait, telle une vapeur insipide, dans l’atmosphère véritable de la société.

    D’autre part, du moment qu’il reconnaît la vanité de son essence pratique et s’efforce de supprimer cette essence, le Juif tend à sortir de ce qui fut jusque-là son développement, travaille à l’émancipation humaine générale et se tourne vers la plus haute expression pratique de la renonciation ou aliénation humaine.

    Nous reconnaissons donc dans le judaïsme un élément antisocial général et actuel qui, par le développement historique auquel les Juifs ont, sous ce mauvais rapport, activement participé, a été poussé à son point culminant du temps présent, à une hauteur où il ne peut que se désagréger nécessairement.

    Dans sa dernière signification, l’émancipation juive consiste à émanciper l’humanité du judaïsme. »

    Cette dernière phrase a été incomprise des non marxistes et largement utilisée par la propagande bourgeoise. Mais il ne s’agit pas d’un apologie de l’antisémitisme, mais de sa réfutation, par l’affirmation de l’humain au-delà de la religion.

    Karl Marx éclaire ici parfaitement la situation.

    >Sommaire du dossier

  • La providence comme lieu d’effondrement du judaïsme

    L’échec du messianisme et l’apparition d’un messie « caché » avec le rabbin de Loubavitch puisent au cœur même de l’idéalisme du judaïsme : la providence est le lieu idéologique de l’effondrement inéluctable de cette religion.

    Voyons pourquoi, dans une démonstration difficile à suivre.

    Tout d’abord, il y a donc un Dieu qu’on ne peut pas connaître ; dans Le guide des égarés, il est ainsi dit : 

    « Sache qu’il y a pour l’intelligence humaine des objets de perception qu’il est dans sa faculté et dans sa nature de percevoir ; mais qu’il y a aussi, dans ce qui existe, des êtres et des choses qu’il n’est point dans sa nature de percevoir d’une manière quelconque, ni par une cause quelconque, et dont la perception lui est absolument inaccessible. »

    Le second point est qu’on a un humain avec le libre-arbitre ; Maïmonide dit ainsi :

    « De même, pour se préserver de la chaleur à l’époque des chaleurs et du froid dans la saison froide et se garantir contre les pluies, les neiges et les vents, l’homme est obligé de faire beaucoup de préparatifs qui tous ne peuvent s’accomplir qu’au moyen et de la pensée et de la réflexion.

    C’est donc à cause de cela qu’il a été doué de cette faculté rationnelle par laquelle il pense, réfléchit, agit et, à l’aide d’arts divers, se prépare ses aliments et de quoi s’abrite et se vêtir ; et c’est par elle aussi qu’il gouverne tous les membres de son corps, afin que le membre dominant fasse ce qu’il doit faire, et que celui qui est dominé soit gouverné comme il doit l’être.

    C’est pourquoi, si tu supposais un humain privé de cette faculté et abandonné à la seule nature animale, il serait perdu et périrait à l’instant même.

    Cette faculté est très noble, plus noble qu’aucune des facultés de l’animal ; elle est aussi très occulte, et sa véritable nature ne saurait être de prime abord comprise par le simple sens commun, comme le sont les autres facultés naturelles.

    De même, il y a dans l’univers quelque chose qui en gouverne l’ensemble et qui en met en mouvement le membre dominant et principal, auquel il communique la faculté motrice de manière à gouverner par là les autres membres ; et s’il était à supposer que la chose en question put disparaître, cette sphère (de l’univers) toute entière, tant la partie dominante que la partie dominée, cesserait d’exister.

    C’est par cette chose que se perpétue l’existence de la sphère et chacune de ses parties ; et cette chose, c’est Dieu (que son nom soit exalté!). 

    C’est dans ce sens seulement que l’homme en particulier a été appelé microcosme, (c’est-à-dire) parce qu’il y a en lui un principe qui gouverne son ensemble ; et c’est à cause de cette idée que Dieu a été appelé, dans notre langue, « la vie du monde », et qu’il a été dit : « Et il jura par la vie du monde » (Dan. 12:7). »

    Le guides des égarés

    Maïmonide reprend également la thèse d’Avicenne (qui lui-même suit Al Farabi et Aristote) : certains individus peuvent atteindre certains « degrés » de connaissance. Citons ici Maïmonide assimilant les « sphères », les « intelligences » issues de Dieu, aux anges : « Les anges non plus n’ont pas de corps ; ce sont, au contraire, des Intelligences séparées de toute matière. Cependant, ce sont des êtres produits et c’est Dieu qui les a créés. »

    Et voici donc ce qui est dit dans Le guide des égarés :

    « Il en est absolument de même dans les perceptions intelligibles de l’homme, dans lesquelles les individus de l’espèce jouissent d’une grande supériorité les uns sur les autres, ce qui est également très clair et manifeste pour les hommes de science ; de sorte qu’il y a tel sujet qu’un individu fait jaillir de lui-même de sa spéculation, tandis qu’un autre individu ne saurait jamais comprendre ce même sujet, et quand même chercherait à le lui faire comprendre par toute sorte de locutions et d’exemples et pendant un long espace de temps, son esprit ne peut point y pénétrer et il se refuse, au contraire, à le comprendre.

    Mais la supériorité en question ne va pas non plus à l’infini, et l’intelligence humaine, au contraire, a indubitablement une limite où elle s’arrête. »

    Le guides des égarés

    Quelle est la raison de pourquoi la raison a ses limites ? C’est la matière elle-même ; Maïmonide explique ainsi :

    « La matière est un grand voile qui empêche de percevoir l’Intelligence séparée, telle qu’elle est, fût-ce même la matière la plus noble et la plus pure, je veux dire la matière des sphères, et à plus forte raison cette matière obscure et trouble qui est la nôtre.

    C’est pourquoi, toutes les fois que notre intelligence désire percevoir Dieu, ou l’une des Intelligences (séparées), ce grand voile vient s’y interposer. »

    Le guides des égarés

    On est ici dans le néo-platonisme : l’âme issue du « Dieu-Un » est brimée dans son élan, car prisonnière de son alliance avec la matière.

    Maïmonide dit également :

    « Sache aussi que chaque prophète a un langage à lui propre, qui est en quelque sorte la langue (particulière) de ce personnage ; et c’est de la même manière que la révélation, qui lui est personnelle, le fait parler à celui qui peut le comprendre. »

    Le guides des égarés

    C’est là tout à fait semblable à ce que dit Avicenne. Or, la logique de cette pensée d’Aristote, puis d’Avicenne, a été affirmée par Averroès : Dieu ne connaît pas les particuliers. Il est comme le distributeur des sites internet, mais ne sait pas qui vient consulter ces sites. Il connaît les universaux, mais pas les particuliers.

    On peut prendre des informations, mais on ne peut pas être choisi pour les recevoir : il faut savoir se « connecter ».

    Or, Maïmonide ne veut pas que n’importe qui ait accès à la prophétie, il faut le choix de Dieu, sans quoi il n’y a plus de Dieu « pensant ».

    Pourtant, Maïmonide explique :

    « Il faut que comprennes mon opinion à fond. Certes, je suis loin de croire qu’une chose quelconque puisse être inconnue à Dieu, ou de lui attribuer l’impuissance ; mais je crois que la Providence dépend de l’Intelligence à laquelle elle est intimement liée.

    En effet, la Providence ne peut émaner que d’un être intelligent et particulièrement de celui qui est une Intelligence parfaite au suprême degré de la perfection ; d’où il s’ensuit que celui-là seul auquel il s’attache quelque chose de cet épanchement (de l’Intelligence divine) participera à la Providence suivant la mesure selon laquelle il participe de l’Intelligence.

    Telle est, selon moi, l’opinion qui s’accorde avec la raison et avec les textes de la Loi. »

    Maïmonide se contredit ici. Il explique qu’un être, s’il est sage, croyant, etc., peut se connecter à un certain niveau de l’intellect, et par là « obtenir » quelque chose de lui, une reconnaissance.

    Cela signifie que la providence l’accepte en son sein, le soutient. Or, normalement c’est Dieu qui est censé « choisir », alors que là cela dépend des « qualités » de l’individu.

    Le problème est que Maïmonide pense que Dieu est « incompréhensible », donc il ne peut pas expliquer les modalités du « choix. »

    C’est là qu’intervient la kabbale. De manière proche de Maïmonide, elle dit que l’action correcte a un impact. Chez Maïmonide, comme chez Aristote, l’action sage permet de recevoir les « informations » d’en haut.

    Chez les kabbalistes, ce n’est pas la morale qui est en jeu : il y a une action mystique en haut – cela « explique » la providence.

    Un texte kabbaliste explique :

    « Si tu demandes comment le son du chofar d’en bas peut déclencher un ébranlement en haut, selon le secret du son perçu avec miséricorde, il te faut savoir ceci : Lui, béni soit-il, manifesta son existence et ses essences de haut en bas, et il fit exister [son existence] à partir de la Pensée supérieure.

    De là, toutes les essences se sont déployées selon le secret des vivants célestiels, secret du Char d’en haut, lors de l’édification du monde et de l’épanchement des choses intérieures et spirituelles de nature saphirique, constituées et structurées pour que de là procèdent toutes les essences vers l’en bas.

    Sache et considère que toutes les choses qui sont du côté du Créateur, béni soit-il, sont toutes, en haut, faites de souffle intérieur et sont dépourvues de toute réalité corporelle, mais l’existence du Créateur s’est déployée jusqu’à la dernière place.

    L’ébranlement qui monte d’en bas ne se produit donc qu’à travers Son existence manifestée de haut en bas.

    Et quand il monte d’en bas, il y a ce qui monte et ce qui descend. »

    Rabbi Moïse de leon, Michkan ha-edout – le tabernacle du témoignage, 13e siècle

    C’est précisément là où le judaïsme échoue : le critère de vérité du prophète est une action « mystique », qui par définition est totalement idéaliste. Seuls des faux messies peuvent se « réaliser. »

    >Sommaire du dossier

  • Sabbataï Tsevi et Menachem Mendel Schneerson

    La preuve que le judaïsme, en tant que religion d’une communauté, s’est fondé finalement sur Maïmonide et la kabbale, est le succès complet de Sabbataï Tsevi (1626-1676) et du Rabbi de Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson (1902-1994).

    Né à Izmir dans l’empire ottoman, Tsevi fut déjà un kabbaliste d’envergure à 18 ans, et dès 1648 il se proclama le messie, avec une propagande messianique commençant lentement, pour finir par avoir un impact idéologique traversant tous les pays où existaient une communauté juive, y compris dans les grandes villes comme Constantinople, Salonique, Livourne, Amsterdam, Hambourg.

    Sabbataï Tsevi vu par un témoin oculaire, Smyrne, 1666.

    Tsevi, s’il était illuminé, ne faisait en réalité qu’assumer ce qui était en latence dans la conception religieuse juive : mener une vie « sage » permettait d’accéder aux vérités divines, et par conséquent de mettre un terme à la dispersion du peuple juif.

    La base populaire des communautés juives, imprégnée du messianisme, tentait de faire sauter le couvercle de la domination rabbinique, au moyen de la religion elle-même. L’étude de la kabbale était vue de plus comme le moyen d’accélérer l’unification, de réaliser le tiqoun, la « réparation », la « restauration », la « réintégration. »

    Le problème était que l’affirmation messianique ne pouvait, par conséquent, que se fonder directement sur principe kabbaliste. Cela signifiait que le messie devait être issu d’un monde « coupé » de Dieu, pour réaliser l’unification.

    Il portait en lui à la fois le mal et le bien, pour faire triompher le bien, unifiant l’en haut et l’en bas. Cela façonna de manière complète l’idéologie de Sabbataï Tsevi et du messianisme.

    « Le grand trompeur et faux messie Sabbataï Tsevi », représentation d’époque.

    En effet, l’idée qui s’imposa est que la capacité à s’arracher au mal dépend de la force de la communauté juive à renforcer les « sephiroth. » Cette idée était déjà présente dans la loi orale juive, témoignant du même mysticisme : il y aurait à chaque génération un Messie potentiel, mais ne pouvant se révéler comme tel que si le processus « d’unification » est assez développée.

    Il s’agit naturellement d’une reprise de la conception prophétique d’Avicenne, utilisée ici dans le cas concret de la dispersion du peuple juif.

    Au lieu d’aller dans le sens matérialiste de la théorie du reflet, avec une pensée-guide synthétisant son époque, on a une « unification » mystique.

    Sabbataï Tsevi prenant le trône en tant que messie. Amsterdam, 1666.

    Cette interprétation fut catastrophique pour le judaïsme. Lorsque Sabbataï Tsevi se proclama le messie, il eut une très grande partie de la population juive mondiale qui le suivit, mais il fut obligé de se convertir à l’Islam en raison de la répression de l’Empire ottoman.

    Il prétendit alors que c’était nécessaire afin de faire semblant par rapport au mal, pour faire triompher le bien. Une nouvelle religion, en apparence musulmane et en réalité juive, se développa alors dans l’empire ottoman (les « sabbatéens » ou dönmeh).

    En Pologne, Jakob Franck (1726-1791) se prétendit le successeur de Sabbataï Tsevi et tenta plus ou moins la même opération avec le catholicisme.

    Plus proche de nous, à la mort du Rabbin Menachem Mendel Schneerson, il fut affirmé par une grande partie du mouvement chabad (connue de manière populaire sous le nom de « Loubavitch ») qu’il s’était « voilé », qu’il était encore présent mais ne pouvait encore s’affirmer comme messie.

    Menachem Mendel Schneerson était un Juif d’Ukraine expulsé d’Union Soviétique durant les années 1920 et devenant la grande figure américaine du judaïsme mystique et conservateur.

    A ce titre, il fut porté aux nues par l’impérialisme américain, qui fit de son anniversaire une journée annuelle en avril le « Education and Sharing Day », à partir de 1978, donc du vivant même du rabbin. Et chaque année, le président américain appelle à l’éducation, en prenant comme exemple « Rabbi Menachem Mendel Schneerson, the Lubavitcher Rebbe. »

    Cela signifie que le judaïsme a connu ces 400 dernières années trois « messies » ou faux messies majeurs, marquant l’ensemble des personnes croyantes : Sabbataï Tsevi, Jacob Frank, Menachem Mendel Schneerson.

    Menachem Mendel Schneerson, le chef des « Loubavitch ».

    Et à chaque fois ce fut l’échec, car la religion a tourné en roue libre et naturellement, la réalité n’a pas suivi !

    Sabbataï Tsevi dut justifier ses pratiques contraires à la loi juive par une « manipulation » des forces maléfiques, qu’il fallait tromper pour en triompher ; les partisans de Menachem Mendel Schneerson comme messie célèbrent quelqu’un qui est mort, son avènement comme messie en ferait une sorte de Jésus, alors que justement le judaïsme réfute cette possibilité de « renaissance » et nie que le messie puisse faire des « miracles. »

    Le commentaire de la Torah fait par Maïmonide, le Michné Torah, accepté dans les communautés juives, donne d’ailleurs des critères très clairs (chapitre 11 des « Lois des Rois » du 14ème livre) :

    « Et s’il s’élève un Roi de la lignée de David, érudit dans la Loi, adonné aux commandements comme David son aïeul, selon les préceptes de la Loi écrite et de la Loi orale, qui amène tout Israël à en suivre les chemins et à en fortifier les positions, et qui mène les guerres de D-ieu, on présume qu’il est le Machia’h. 

    S’il agit ainsi et réussit, et qu’il reconstruit le Sanctuaire à son emplacement et rassemble les exilés d’Israël, c’est le Machia’h avec certitude. Il corrigera le monde entier pour servir D-ieu ensemble, ainsi qu’il est dit « alors je donnerai aux peuples un langage clair pour qu’ils invoquent le nom de D-ieu et pour le servir d’un même élan. »

    Le judaïsme a ici le même problème que le chiisme (duodécimain comme ismaélien) : l’avènement du messie marque une nouvelle époque, que faire alors des anciennes lois ? Devraient-elles être dépassées, avec la nouvelle époque ? Et le problème est encore plus grand dans le judaïsme, car la tradition veut que les lois donnés par Moïse restent indépassables pour l’éternité.

    La nouveauté est rupture, mais est forcément hérétique par rapport à l’ancien temps (comme le catholicisme par rapport au judaïsme) : c’est là une contradiction inévitable de l’idéalisme et de l’avènement d’une prétendue spiritualité divine.

    >Sommaire du dossier

  • Maïmonide, la Kabbale et les «interdictions» dans la connaissance

    L’avantage de parler de « danger » dans les études religieuses est bien entendu de maintenir comme centrale la fonction des rabbins. Le judaïsme n’est pas comme le protestantisme ; si le rabbin n’est pas un « intermédiaire » nécessaire comme l’est le prêtre dans le catholicisme, il est celui qui porte la connaissance et permet « l’accès. »

    Les interdictions de « révéler » les connaissances sont donc innombrables, et dans la communauté juive les croyants s’imaginant que seuls les rabbins ont ces connaissances, que les textes et les interprétations ne sont connus que d’eux, etc.

    Maïmonide, par exemple, est adepte d’un principe « classique » du judaïsme : la connaissance ne doit être acquise que progressivement, car elle est compliquée, dangereuse pour l’esprit humain. Seule une élite peut comprendre et disposer de ces connaissances.

    Dans Le guide des égarés, il est ainsi dit : 

    « Sache qu’il serait très dangereux de commencer (les études) par cette science, je veux dire par la métaphysique ; de même (il serait dangereux) d’expliquer (de prime abord) le sens des allégories prophétiques et d’éveiller l’attention sur les métaphores employées dans les discours et dont les livres prophétiques sont remplis.

    Il faut, au contraire, élever les jeunes gens et affermir les incapables selon la mesure de leur compréhension ; et celui qui se montre d’un esprit parfait et préparé pour ce degré élevé, c’est-à-dire pour le degré de la spéculation démonstrative et des véritables argumentations de l’intelligence, on le fera avancer peu à peu jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection, soit par quelqu’un qui lui donnera l’impulsion, soit par lui-même.

    Mais lorsqu’on commence par cette science métaphysique, il en résulte non seulement un trouble dans les croyances, mais la pure irréligion (…).

    Elles [les vérités métaphysiques] ont été enveloppées parce que les intelligences, dans le commencement, sont incapables de les accueillir, et on les a fait entrevoir, afin que l’homme parfait les connût ; c’est pourquoi on les appelle « mystères » et « secrets de la Torâ » comme nous l’expliquerons. »

    Or, on sait bien que si Averroès a tenu le discours des deux vérités – philosophique et religieuse – c’était par pure tactique.

    Si Averroès expliquait, dans ses dernières œuvres publiques, que les masses ignorantes ne devaient pas avoir accès à la philosophie, c’était un choix tactique pour calmer les dirigeants religieux et pour ne pas se mettre les masses fanatisées à dos.

    Quel intérêt, par contre, cela a-t-il pour Maïmonide, puisque lui croit en la « révélation » et utilise la religion dans sa « philosophie » ?

    Quel intérêt de « masquer » l’enseignement, alors que rien de ce qui est dit n’est, du point de vue de l’auteur, en contradiction avec la religion ?

    Selon l’auteur, c’est parce que ces vérités sont difficiles à digérer, en quelque sorte. En réalité, c’est parce que le système est idéaliste et qu’il faut le préserver de la critique. 

    En refusant l’accès démocratique aux textes, en les réservant à une élite valorisée socialement, la religion se préserve de la critique matérialiste. Toute la religion juive est imprégnée de cette approche.

    Manuscrit en judéo-arabe du Guide des égarés,
    dont le titre réel est le Guide des perplexes. Yémen, XIIIe ou XIVe siècle.

    La tradition, en fait non respectée vraiment, veut certains secrets religieux (et les plus importants de fait) ne devraient être expliqués qu’à partir de 30 ans (histoire bien entendu que l’homme marié et devenu rabbin ne puisse plus « s’échapper » en pratique de la communauté et de son idéologie). 

    De la même manière, une formule connue est « on n’interprétera pas le Ma’asé beréchîth devant deux personnes. » Il y a également le principe « On n’interprétera pas la mercabâ, même à un seul, à moins que ce ne soit un homme sage comprenant par sa propre intelligence, et alors on lui en transmettra seulement les premiers éléments. »

    Ici, on ne touche pas que l’aspect anti-démocratique : l’aspect mystique, qui vise à sauvegarder la valeur du système de pensée (de fait contradictoire), est en contradiction complète avec la religiosité populaire.

    Cela provoqua deux ébranlements complets du judaïsme, la première au 17e siècle avec Sabbataï Tsevi qui fut considéré par de larges masses comme le messie, puis au 20e siècle avec le Rabbi de Loubavitch.

    >Sommaire du dossier

  • Maïmonide,la Kabbale et le Livre hébreu d’Hénoch

    Un autre ouvrage, qui ne fait pas partie de la Bible, a marqué le mysticisme juif :  le Livre hébreu d’Hénoch, appelé aussi Livre des Palais ou III Hénoch, qui existe également dans une version éthiopienne, et a sans doute été écrit entre le quatrième et le huitième siècle à Babylone.

    Dans le Livre hébreu d’Hénoch, on a donc Rabbi Ismael qui est « emmené » par « Métatron », et raconte son expérience, en nous priant de le croire :

    « Or, je vous le jure, ô justes, par la grandeur de sa splendeur, par son royaume et par sa majesté ; je vous jure que j’ai eu connaissance de ce mystère, qu’il m’a été donné de lire les tables du ciel ; de voir l’écriture des saints, de découvrir ce qui y était inscrit à votre sujet. »

    « Métatron » l’a emmené en fait « en haut », où il a pu compléter le secret :

    « Ensuite je vis les secrets des cieux et du paradis dans toutes les parties, et les secrets des actions humaines, chacune selon leur poids et leur valeur. Je contemplai les habitations des élus, les demeures des saints. Là aussi mes yeux aperçurent tous les pécheurs qui ont repoussé et nié le Seigneur de gloire, et qui en ont été repoussés. Car le châtiment de leurs crimes n’avait pu encore être décrété par le Seigneur des esprits.

    Là encore mes yeux contemplèrent les secrets de la foudre et du tonnerre, les secrets des vents, comment ils se divisent quand ils soufflent sur la terre ; les secrets des vents, de la rosée et des nuées. Je vis le lieu de leur origine, l’endroit d’où ils s’échappent, pour aller se rassasier de la poussière de la terre.                                                             

    Là je vis les réceptacles d’où sortent les vents en se séparant ; les trésors de la grêle, les trésors de la neige, les trésors des nuages, et cette même nuée qui, avant la création du monde, planait sur la surface de la terre.

    Je vis également les trésors de la lune, où ses phases prenaient naissance ; leur commencement, leur glorieux retour ; comme l’une est plus brillante que l’autre ; leur progrès éclatant, leur cours invariable, leur amitié entre elles, leur docilité, et leur obéissance qui les porte sur les pas du soleil, d’après l’ordre du Seigneur des esprits. Oh ! que son nom est puissant dans tous les siècles ! »

    Ce « Métatron » a une importance considérable, ou centrale, selon les interprétations de la religion juive. Le principe est le suivant : dans la Bible, on peut lire « Et Énoch marchait avec Dieu, et il ne fut plus car Dieu le prit » (Genèse 5, 24), et cela fut prétexte à assimiler Énoch (ou Hénoch) à Métatron, une sorte de super ange que l’on peut, en réalité, assimiler à l’intellect chez Aristote, mais en mode religieux, en tant qu’ange.

    Hénoch emporté par Dieu,
    par le peintre néerlandais Gerard Hoet (1648-1733)

    D’ailleurs, Metatron dit même dans cet ouvrage :

    « Il (le Saint béni soit-Il)… m’a appelé « le petit YHVH ». »

    Et naturellement, ce Métatron est le « moyen » de s’élever spirituellement, de rejoindre en fait le Chariot de Dieu, car Métatron a été pris par Dieu et a traversé six palais célestes, afin d’arriver au bout.

    Pour passer les palais, il fallait affronter les questions mystiques des anges : on a ici une base de « l’angélogie », qui joue un rôle central tant pour le judaïsme que l’Islam chiite. Naturellement, les « puissances » en jeu sont énormes. Un texte cabaliste raconte ainsi :

    « Rabbi Akiba demanda à Rabbi Eliezer le grand : « comment peut-on faire descendre l’Ange de la Présence (Sar ha-Panim, le « Prince de la Contenance ») sur terre afin de révéler aux hommes les mystères de l’En haut et de l’En bas, et sur les spéculations de la fondation des choses terrestres et célestes, et sur les trésors de la sagesse ? »

    Il me dit alors : « Mon fils ! Je l’ai fait descendre une fois, et il a presque détruit le monde, car il est un prince puissant et plus grand que toutes les cohortes célestes, et il administre sans cesse devant le Roi de l’Univers, avec pureté et avec peur, car la Shekhinah est toujours avec lui »

    Et au sujet de Rabbi Akiva, la légende racontée parle Talmud et le Zohar veut que :

    « Nos Sages ont enseigné : 4 hommes sont entrés au Pardès : Ben Azaï, Ben Zoma, A’her et Rabbi Akiva.

    Rabbi Akiva leur dit : « Lorsque vous arriverez devant des pierres de marbre pur, ne dites pas : ‘ De l’eau, de l’eau », car il est dit : ‘Celui qui débite des mensonges ne subsistera pas devant Mes yeux » (Psaumes 101:7).

    Ben Azaï contempla (la gloire divine) et mourut. A son propos, il est écrit : « Une chose précieuse aux regards de l’Eternel, c’est la mort de ses pieux serviteurs » (Psaumes 116:15). Ben Zoma contempla et perdit ses esprits.

    A son propos, il est écrit : « As-tu trouvé du miel, manges-en à ta suffisance, mais évite de t’en goinfrer, tu le rejetterais » (Proverbes 25:16). A’her coupa les racines (renia sa foi). Rabbi Akiva entra en paix et sortit en paix. »

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  • Maïmonide, la Kabbale et le Char céleste

    Il est nécessaire de se pencher sur le mysticisme juif pour comprendre comment la kabbale a pu se développer. Le mysticisme juif qui s’est développé une centaine d’années avant « Jésus-Christ » et qui a continué par la suite s’appuie sur le Livre du prophète Ézéchiel, dans la Bible.

    Dedans, Ézéchiel y raconte comment il aurait vu le Chariot de Dieu, la « merkabah », tiré dans le ciel par quatre animaux.

    En voici deux extraits, témoignant de la vision totalement illuminée prévalant et ayant une grande influence dans une culture apocalyptique, au moment de la dispersion du peuple juif.

    Chapitre 1

    1. La trentième année, le cinquième jour du quatrième mois, comme j’étais parmi les captifs du fleuve du Kebar, les cieux s’ouvrirent, et j’eus des visions divines. 

    2. Le cinquième jour du mois, c’était la cinquième année de la captivité du roi Jojakin, 

    3. la parole de l’Éternel fut adressée à Ézéchiel, fils de Buzi, le sacrificateur, dans le pays des Chaldéens, près du fleuve du Kebar ; et c’est là que la main de l’Éternel fut sur lui. 

    4. Je regardai, et voici, il vint du septentrion un vent impétueux, une grosse nuée, et une gerbe de feu, qui répandait de tous côtés une lumière éclatante, au centre de laquelle brillait comme de l’airain poli, sortant du milieu du feu. 

    5. Au centre encore, apparaissaient quatre animaux, dont l’aspect avait une ressemblance humaine. 

    6. Chacun d’eux avait quatre faces, et chacun avait quatre ailes. 

    7. Leurs pieds étaient droits, et la plante de leurs pieds était comme celle du pied d’un veau, ils étincelaient comme de l’airain poli. 

    8. Ils avaient des mains d’homme sous les ailes à leurs quatre côtés ; et tous les quatre avaient leurs faces et leurs ailes. 

    9. Leurs ailes étaient jointes l’une à l’autre ; ils ne se tournaient point en marchant, mais chacun marchait droit devant soi. 

    10. Quant à la figure de leurs faces, ils avaient tous une face d’homme, tous quatre une face de lion à droite, tous quatre une face de bœuf à gauche, et tous quatre une face d’aigle. 

    11. Leurs faces et leurs ailes étaient séparées par le haut ; deux de leurs ailes étaient jointes l’une à l’autre, et deux couvraient leurs corps. 

    12. Chacun marchait droit devant soi ; ils allaient où l’esprit les poussait à aller, et ils ne se tournaient point dans leur marche. 

    13. L’aspect de ces animaux ressemblait à des charbons de feu ardents, c’était comme l’aspect des flambeaux, et ce feu circulait entre les animaux ; il jetait une lumière éclatante, et il en sortait des éclairs. 

    14. Et les animaux couraient et revenaient comme la foudre. 

    15. Je regardais ces animaux ; et voici, il y avait une roue sur la terre, près des animaux, devant leurs quatre faces. 

    16. À leur aspect et à leur structure, ces roues semblaient être en chrysolithe, et toutes les quatre avaient la même forme ; leur aspect et leur structure étaient tels que chaque roue paraissait être au milieu d’une autre roue. 

    17. En cheminant, elles allaient de leurs quatre côtés, et elles ne se tournaient point dans leur marche. 

    18. Elles avaient une circonférence et une hauteur effrayantes, et à leur circonférence les quatre roues étaient remplies d’yeux tout autour. 

    19. Quand les animaux marchaient, les roues cheminaient à côté d’eux ; et quand les animaux s’élevaient de terre, les roues s’élevaient aussi. 

    20. Ils allaient où l’esprit les poussait à aller ; et les roues s’élevaient avec eux, car l’esprit des animaux était dans les roues. 

    21. Quand ils marchaient, elles marchaient ; quand ils s’arrêtaient, elles s’arrêtaient ; quand ils s’élevaient de terre, les roues s’élevaient avec eux, car l’esprit des animaux était dans les roues. 

    22. Au-dessus des têtes des animaux, il y avait comme un ciel de cristal resplendissant, qui s’étendait sur leurs têtes dans le haut. 

    23. Sous ce ciel, leurs ailes étaient droites l’une contre l’autre, et ils en avaient chacun deux qui les couvraient, chacun deux qui couvraient leurs corps. 

    24. J’entendis le bruit de leurs ailes, quand ils marchaient, pareil au bruit de grosses eaux, ou à la voix du Tout-Puissant ; c’était un bruit tumultueux, comme celui d’une armée ; quand ils s’arrêtaient, ils laissaient tomber leurs ailes. 

    25. Et il se faisait un bruit qui partait du ciel étendu sur leurs têtes, lorsqu’ils s’arrêtaient et laissaient tomber leurs ailes. 

    26. Au-dessus du ciel qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose de semblable à une pierre de saphir, en forme de trône ; et sur cette forme de trône apparaissait comme une figure d’homme placé dessus en haut. 

    27. Je vis encore comme de l’airain poli, comme du feu, au dedans duquel était cet homme, et qui rayonnait tout autour ; depuis la forme de ses reins jusqu’en haut, et depuis la forme de ses reins jusqu’en bas, je vis comme du feu, et comme une lumière éclatante, dont il était environné. 

    28. Tel l’aspect de l’arc qui est dans la nue en un jour de pluie, ainsi était l’aspect de cette lumière éclatante, qui l’entourait : c’était une image de la gloire de l’Éternel. À cette vue, je tombai sur ma face, et j’entendis la voix de quelqu’un qui parlait. 

    La Vision du prophète Ézéchiel,
    par l’artiste français Gustave Doré, dans les années 1860.

    Le second extrait:

    Chapitre 10

    1. Je regardai, et voici, sur le ciel qui était au-dessus de la tête des chérubins, il y avait comme une pierre de saphir ; on voyait au-dessus d’eux quelque chose de semblable à une forme de trône. 

    2. Et l’Éternel dit à l’homme vêtu de lin : Va entre les roues sous les chérubins, remplis tes mains de charbons ardents que tu prendras entre les chérubins, et répands-les sur la ville ! Et il y alla devant mes yeux. 

    3. Les chérubins étaient à la droite de la maison, quand l’homme alla, et la nuée remplit le parvis intérieur. 

    4. La gloire de l’Éternel s’éleva de dessus les chérubins, et se dirigea vers le seuil de la maison ; la maison fut remplie de la nuée, et le parvis fut rempli de la splendeur de la gloire de l’Éternel. 

    5. Le bruit des ailes des chérubins se fit entendre jusqu’au parvis extérieur, pareil à la voix du Dieu tout-puissant lorsqu’il parle. 

    6. Ainsi l’Éternel donna cet ordre à l’homme vêtu de lin : Prends du feu entre les roues, entre les chérubins ! Et cet homme alla se placer près des roues. 

    7. Alors un chérubin étendit la main entre les chérubins vers le feu qui était entre les chérubins ; il en prit, et le mit dans les mains de l’homme vêtu de lin. Et cet homme le prit, et sortit. 

    8. On voyait aux chérubins une forme de main d’homme sous leurs ailes. 

    9. Je regardai, et voici, il y avait quatre roues près des chérubins, une roue près de chaque chérubin ; et ces roues avaient l’aspect d’une pierre de chrysolithe. 

    10. À leur aspect, toutes les quatre avaient la même forme ; chaque roue paraissait être au milieu d’une autre roue. 

    11. Tout le corps des chérubins, leur dos, leurs mains, et leurs ailes, étaient remplis d’yeux, aussi bien que les roues tout autour, les quatre roues. 

    12. En cheminant, elles allaient de leurs quatre côtés, et elles ne se tournaient point dans leur marche ; mais elles allaient dans la direction de la tête, sans se tourner dans leur marche. 

    13. J’entendis qu’on appelait les roues tourbillon. 

    14. Chacun avait quatre faces ; la face du premier était une face de chérubin, la face du second une face d’homme, celle du troisième une face de lion, et celle du quatrième une face d’aigle. 

    15. Et les chérubins s’élevèrent. C’étaient les animaux que j’avais vus près du fleuve du Kebar. 

    16. Quand les chérubins marchaient, les roues cheminaient à côté d’eux ; et quand les chérubins déployaient leurs ailes pour s’élever de terre, les roues aussi ne se détournaient point d’eux. 

    17. Quand ils s’arrêtaient, elles s’arrêtaient, et quand ils s’élevaient, elles s’élevaient avec eux, car l’esprit des animaux était en elles. 

    18. La gloire de l’Éternel se retira du seuil de la maison, et se plaça sur les chérubins. 

    19. Les chérubins déployèrent leurs ailes, et s’élevèrent de terre sous mes yeux quand ils partirent, accompagnés des roues. Ils s’arrêtèrent à l’entrée de la porte de la maison de l’Éternel vers l’orient ; et la gloire du Dieu d’Israël était sur eux, en haut. 

    20. C’étaient les animaux que j’avais vus sous le Dieu d’Israël près du fleuve du Kebar, et je reconnus que c’étaient des chérubins. 

    21. Chacun avait quatre faces, chacun avait quatre ailes, et une forme de main d’homme était sous leurs ailes. 

    22. Leurs faces étaient semblables à celles que j’avais vues près du fleuve du Kebar ; c’était le même aspect, c’était eux-mêmes. Chacun marchait droit devant soi. 

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  • La Kabbale et «l’unification» cosmique

    Le kabbalisme a une conséquence terrible pour le judaïsme : en effet, le judaïsme affirme la toute-puissance de Dieu, or là on pourrait agir en Dieu, « si on peut dire » (« si on peut dire » est une formule classique, visant à relativiser un propos allant « trop loin » de la part d’un kabbaliste).

    Dans la kabbale, si on prie bien, on agit positivement « en haut », mais l’inverse est possible. Voici une explication :

    « Tu sais que les inférieurs sont nourris par les supérieurs et que les supérieurs sont reliés aux inférieurs et reçoivent puissance et épanchement lorsque nous faisons le bien et le juste aux yeux de notre Dieu, surajoutant épanchement et subsistance.

    Nous disposons en nous-mêmes de la faculté de donner puissance à l’en-haut ou au contraire – Dieu préserve – de causer un dommage, et cela en faisant qu’interrompre (l’effusion) du bien et l’épanchement, ainsi qu’il est dit : « Ce sont seulement vos iniquités qui ont mis une séparation entre vous et votre Dieu et vos péchés lui on fait cacher sa face de vous (mikém) » (Es. 59:2).

    Le prophète dit [en réalité] « à partir de vous » (mikém), à savoir : lorsque nous faisons le bien et le juste, l’épanchement descend à travers les canaux spirituels ; quand nous faisons le mal, il descend à travers un autre chemin vers un autre côté et l’effusion du bien cesse de parvenir aux supérieurs, ne passant plus par un chemin droit de sefira en sefira ; la sefira reste donc desséchée de tout bien, c’est donc à cause de nos iniquités qu’elle vient à manquer de tout et aucun dommage n’est pour elle plus grand que celui-là. »

    R. Isaac d’Acre, Méirat ‘Enayim, 14e siècle

    Cela semble naturellement en contradiction formelle avec le judaïsme, et la kabbale a longtemps été combattue au sein du judaïsme. Elle ne gagna ses « lettres de noblesse » qu’après avoir formulé sa théorie de l’existence du monde.

    Cette théorie fut formulée par Isaac Louria, au 16e siècle, sous le nom de « tsimtsoum », le « retrait », la « contraction. »

    En voici une définition :

    « Lorsque le Nom, béni soit-Il, voulut créer le monde, il n’y avait pas de place pour le créer, car le tout était infini. De ce fait, Il contracta la « lumière » sur les côtés et par l’intermédiaire de ce retrait (tsimtsoum) se forma un « espace vide ».

    Et à l’intérieur de cet « espace vide » sont venus à l’existence les jours (temps) et les mesures (espaces) qui constituent l’essentiel de la Création du Monde. »

    Rabbi Nahman de Breslev, Liqouté Moharan, 19e siècle

    La kabbale dit, afin d’échapper à sa contradiction comme quoi on pourrait « renforcer » un Dieu censé être tout puissant, que Dieu a « enlevé » de sa puissance pour faire exister le monde.

    Et là, de la même manière qu’il y aurait un big bang, il y aura un big crunch : combler la contraction c’est ramener le monde en Dieu, mettre fin à la contraction : c’est l’unification.

    On a là un délire néo-platonicien total, une refusion complète avec le « Dieu-Un » qui serait possible. Voici une explication kabbaliste :

    « D’après la véritable cabale, l’adhésion à Dieu, qu’il nous a ordonnée, se rapporte au sujet de l’unification.

    Comment ? Tout homme d’Israël qui accomplit un commandement avec la pensée intellectuelle du cerveau, parce qu’il comprend la Torah clairement grâce à l’exercice de l’intelligence, mérite de donner, si l’on peut dire, de la puissance à la Couronne suprême, et il augmente l’énergie, la force et l’éclat lumineux de cette Couronne d’en haut, qui est le cerveau de la Forme supérieure, sainte et pure ; c’est pourquoi nos maîtres ont dit : « Un organe renforce un organe » de la Forme supérieure, pour cette raison l’homme a été fait à l’image de Dieu, afin de pouvoir renforcer la Forme supérieure, ainsi que l’Ecriture dit : « Oui, l’homme chemine selon une image » (Ps. 39:7), selon l’image de la Forme supérieure chemine le juste en ce monde, car il est appelé « homme. » 

    De même, il donne de l’énergie – bien qu’Il n’en ait pas besoin, béni soit-il – à la Forme supérieure, qu’elle soit bénie.

    C’est pourquoi le Saint béni soit-il a donné à Israël 613 commandements.

    Les commandements positifs qui sont au nombre de 248 correspondent aux 248 organes du corps humain et ils correspondent à 248 forces appelées YHVH, qui correspondent à 248 rameaux, 248 sortes de lumières émergeant de la Forme supérieure, qu’elle soit bénie.

    A partir de chaque rameau qui émerge de la Forme supérieure, est créé un ange dont le nom est comme celui de son maître, il est donc appelé YHVH, et [cet ange] possède pour lui-même un char.

    Ces 248 anges dont le nom est comme celui de leur Maître constituent le vêtement de la Chekina et et de chaque rameau sans exception est créé un commandement et est créé un organe en l’homme.

    Il en résulte maintenant que, à partir de la puissance des 248 rameaux qui ont émergé dans le monde des anges, est créée une forme unique en laquelle s’enveloppe la Chekhina, constituée des 248 anges dont le nom est comme le nom de leur Maître. »

    R. Joseph de Hamadan, Sefer Ta’amé ha-Mitsvot

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  • La signification mystique de l’alimentation cachère

    L’alimentation cachère s’est vue attribuer, dans un esprit proche de la kabbale, une signification pour l’accès au monde supérieur.

    La religion juive est en effet une religion d’observance ; prier n’est possible, encore plus dans la kabbale, que si l’âme est « correcte. »

    Voici ce que dit l’un des principaux auteurs kabbalistes, sans doute d’ailleurs à l’origine du Zohar :

    « On augmente, au moyen de l’intention de la prière et de son effectivité, la puissance de l’en haut et la surabondance de flux dans les dimensions particulières, sublimes et élevées, qui sont le secret du Nom du Saint béni soit-il.

    C’est à ce quoi se rapporte le secret du verset : « Tu béniras YHVH ton Dieu » (Deut. 8:10). Puisque, par la prière, on attire l’influx de la Source supérieure, qui soutient et nourrit tout, sur toutes les dimensions, secret de son Nom, comme nous venons de le dire.

    De cette façon, son nom est béni par l’accroissement de l’influx descendant. En effet, celui qui prie avec une intention du cœur et qui sait L’unifier dans sa prière et y mettre son esprit et son âme, travaille pour son Créateur en lui rendant un culte valable, car il augmente et fait s’épancher un flux de bénédictions de la Source originale [des « dimensions »] jusqu’au lieu où elles campent. »

    Moïse de León, Sefer ha-Rimon, 13e siècle

    Dans un autre texte, il est dit pareillement :

    « Tout homme d’Israël qui récite le Chéma’ deux fois [par jour] en prononçant ses lettres avec précision, c’est comme s’il attachait une couronne au Saint béni soit-il, comme s’il édifiait le monde entier et comme s’il construisait le ciel et la terre.

    Comment cela ? Lorsque les Israélites font régner le Nom du Saint béni soit-il et récitent le texte du Chéma’ [Chmâ, Israël, Ado-nay Elo-henou, Ado-naï Ehad’ – Écoute, Israëla, l’Éternel, notre Dieu, l’Éternel est un], leur voix est entendue jusqu’au Rideau intérieur et cette voix poursuivant son chemin attache les sefirot les unes aux autres et fait d’elles une chose une. »

    R. Joseph de Hamadan, Sefer Ta’amé ha-Mitsvot

    Prononcer les lettres avec précision, être « sage », nécessite l’observance de la loi orale. L’alimentation « correcte » se voit alors attribuer une signification pour l’âme. Voici ce que disent deux textes du 13e siècle, avec des nuances notables entre les deux points de vue.

    « La Tora nous éclaire également en nous enseignant le secret de la cause et l’effet [notions forgées par Aristote]. 

    Elle nous a interdit la consommation de certains animaux, oiseaux et poissons. Ceci est en relation avec le reste des lois de la Tora, qui sont bénéfiques autant pour le corps que pour l’âme [en bas / en haut]. 

    Car tous ces aliments interdits sont réputés mauvais pour la santé. De plus, ils abîment l’âme. 

    C’est pourquoi la Tora écrit : « Ils vous rendent obstrués (« נטמתם ») », sans la lettre aleph (« נטמאתם » ayant le sens de « vous deviendrez impurs »), pour nous enseigner qu’ils bouchent le cœur. 

    La liste des animaux non cachères illustre bien ce point. À part deux d’entre eux, ce sont tous des oiseaux de proie et ils représentent toutes les catégories d’oiseaux de proie existantes. Ils sont tous cruels. À travers la consommation de leur chair et leur sang, l’âme s’imprègne de leur cruauté. C’est pourquoi il convient que ces espèces soient défendues au peuple juif, qui a reçu l’ordre d’être miséricordieux et d’aimer son prochain. »

    (Ramban (Na’hmanide), Torat Hashem Temima, 13e siècle)

    Voici le second extrait:

    « Les raisons de la mitsva (de cacherout) : le corps est un outil pour l’âme, et à travers le corps, l’âme accomplit ses tâches. Sans le corps, l’âme ne pourrait pas exécuter sa mission… 

    Si le corps connaît la moindre déficience, l’âme sera limitée dans son travail en fonction de cette déficience. La Tora nous enjoint donc de nous abstenir de consommer tout aliment susceptible de causer un dommage. Tel est le sens simple des aliments qui ont été interdits par la Tora. 

    Si certaines de ces nourritures dangereuses sont connues de nous et non des médecins, n’en soyez pas surpris, parce que le fidèle Médecin qui nous a informés à ce sujet est de loin plus sage que nous ou les docteurs. Combien stupide serait celui qui considérerait, en fonction de ses connaissances, que ces nourritures ne comportent pas de dangers ! 

    Il faut également savoir que c’est pour notre bien que la Tora n’explique pas les raisons (de l’interdiction de certains aliments) ou le dommage qu’ils causent : en effet, des gens pourraient se prétendre très sages, et nous raconter que les dangers auxquels la Tora fait référence concernant une certaine nourriture n’existent pas ou qu’ils existent seulement dans un certain endroit ou pour certaines personnes. 

    Pour ne pas risquer d’être influencés par leurs paroles et de suivre les imbéciles, la Tora ne nous a pas révélé les raisons (de l’interdiction), afin de nous épargner cet obstacle qui pourrait nous faire trébucher. »
    (Séfer Ha’hinoukh, mitsva 73, 13e siècle)

    L’observance de la loi permet d’élever son âme, de lui donner une capacité à aller vers « en haut. » L’idéalisme est ici total.

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  • La Kabbale et les « émanations »

    La théorie kabbaliste est une continuation du néo-platonisme, son prolongement le plus ultime.

    Non seulement on a la théorie de l’émanation : l’énergie vient d’en haut, il faut que sa propre âme rejoigne la source divine… Mais on a, en plus, la conception selon laquelle on peut envoyer de l’énergie du bas vers le haut, par la prière.

    Nous avons vu comment la Bible mentionne des sacrifices satisfaisant Dieu ; la Kabbale a la même conception pour la prière.

    Un texte kabbaliste résume cela ainsi :

    « Le souffle qui sort de la bouche de l’homme [lors de la prière] est comme un sacrifice, une odeur apaisante, et il est le diadème du Saint béni soit-il, qu’il soit béni et exalté, et [ce souffle] chemine et nourrit les puissances du cosmos.

    La partie limpide du souffle est une nourriture pour les anges assurant le service divin. La partie la plus limpide, le tiers, est destiné au culte de son Nom, béni soit-il, comme une allusion l’indique : « Le tiers d’Israël sera (…) une bénédiction » (Es. 19:24). La prière d’Israël est la chose principale de l’univers et elle est la nourriture de tous les mondes. »
    (R. Joseph de Hamadan, Sefer Ta’amé ha-Mitsvot)

    Pour autant, la prière doit être adéquate, il faut bien prononcer les mots ; de plus, ici chaque lettre en hébreu est en même temps un chiffre et il y a un important jeu sur les chiffres, les équivalences, etc. (c’est la gematria, où soi-disant des informations scientifiques cachées, des prophéties, etc. se cacheraient dans la Bible, ou encore d’ailleurs le Coran pour les musulmans, etc.).

    A cela s’ajoute une grande « sagesse » de la personne priant. Le Bahir, ouvrage kabbaliste d’importance, explique ainsi, en se fondant sur ce principe des « parallèles » et de l’analogie (approches anti-matérialistes et anti-dialectique) :

    « A chaque fois qu’un homme étudie la Torah de façon désintéressée, la Torah d’en haut se réunit au Saint béni soit-il (…). 

    Cette Torah [d’en haut] dont tu parles, quelle est-elle ? C’est une fiancée qui est ornée, couronnée et parée de tous les commandements, elle est le trésor de la Torah et elle est la fiancée du Saint béni soit-il, ainsi qu’il est écrit : « La Torah que nous a prescrite Moïse est un héritage pour l’assemblée de Jacob » (Deut. 33:4). Ne lis pas morachah (héritage), mais me’ourassah (fiancée).

    Et de quelle manière ? Quand les Israélites s’adonnent à la Torah de façon désintéressée, elle est la fiancée du Saint béni soit-il et quand elle est la fiancée du Saint béni soit-il, elle est un héritage pour Israël. »

    Il y a ici des allusions typiques : prier de manière correcte permet à la « fiancée », c’est-à-dire la communauté juive, de s’unir à Dieu.

    La kabbale utilise ici dix étapes entre Dieu et la communauté juive, dix sephirot (« émanations ») :  ‎

    1. Kether – Couronne 

    2. Ḥokhma – Sagesse 

    3. Bina – Compréhension 

    4. Ḥessed – Miséricorde 

    5. Guebhoura – Force 

    6. Tiph’ereth – Beauté 

    7. Neṣaḥ – Victoire 

    8. Hod – Gloire 

    9. Yessod – Fondation 

    10. Malkhouth – Royaume 

    Kether est en fait Dieu, l’infini (en sof) et tout en bas il y a le monde. La réunion des deux, par les prières adéquates, permet de redonner sa puissance à la Chekhina, la « résidence » de Dieu dans la communauté juive.

    Représentation de l’Adam Qadmon, l’Adam primordial . Il s’agit en fait l’univers formé des dix émanations. Tiré de l’ouvrage américain de 1888 Qabbalah,
    par Isaac Myer.

    Le grand classique de la kabbale, le Zohar, du 13e siècle, dit ainsi :

    « Au début, par les chants et les louanges que les anges du Très-Haut disent en haut, et par l’arrangement des louanges que les Israélites disent en bas, Elle [la Chekhina] se pare et s’embellit de ses bijoux comme une femme qui se pare pour son époux. » 

    On doit noter l’importance de l’allégorie du « couple. » C’est de la théorie du « miroir » que vient toute une série de remarques comme quoi tout est complémentaire : l’homme et la femme, l’animal et son abattage, etc., dans une logique de la dépendance d’une chose à une autre qui pour le coup est totalement emprunté à Aristote (qui en arrivait, dans la même logique d’une chose n’existant que de par sa fonction, à expliquer que l’esclave était là pour le maître, et inversement).

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  • Le principe de la kabbale

    En fait, le principe de la kabbale a déjà été étudié par la grande majorité des gens en France, avec la conception des « correspondances » chez Baudelaire.

    Il y a des « parallèles », des portes, des accès, entre ce qui se passe dans le monde matériel et dans le monde spirituel.

    Il y a des clefs, des signes, des « correspondances » qui sont autant de portes ouvertes d’un monde à l’autre : tout correspond.

    L’étoile de David symbolise deux triangles, en haut et en bas, se « correspondant », comme une sorte de miroir.

    Un texte kabbaliste dit ainsi :

    « Tu as déjà reçu la tradition selon laquelle toute action accomplie ici-bas fait impression en haut, car rien n’est fait sur terre qui ne fasse impression en haut : le monde supérieur tout entier est comme le miroir du monde inférieur et de même que tout acte que l’homme accomplit impressionne le miroir par sa puissance du miroir, ainsi l’action des êtres d’en bas se reflète dans le monde d’en haut. »

    R. Siméon Labi, Ketem Paz, 16e siècle
    Page de couverture de la première édition imprimée du grand classique kabbaliste, le Zohar, ville italienne de Mantoue, 1558.

    Toute l’idéologie « romantique » puise dans le néo-platonisme et le kabbalisme, où tout répond à tout ; lorsque Baudelaire parle des « correspondances » entre en haut et en bas, il emprunte cela directement au mystique suédois Swedenborg, qui lui-même puise cela dans le néo-platonisme et la kabbale.

    Lorsque dans A une passante, Baudelaire témoigne d’une rencontre avec une femme et d’un coup de foudre (échouant car la femme n’a pas été à la hauteur), il raconte une « correspondance », une possibilité (« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »).

    La kabbale est la théorie de ce miroir. Et l’énergie vient bien entendu de tout en haut, de la première Cause, Dieu.

    Voici ce qu’on lit par exemple dans une Explication sur le commentaire de Nahmanide, datant de 1875 :

    « C’est une chose reçue par les cabalistes de vérité que les créations de ce monde-ci descendent d’en haut comme le long d’une chaîne, il n’y aucune créature qui n’ait se puissance en haut, ainsi que le disent nos maîtres : « Le moindre brin d’herbe a un astre en haut qui le frappe et lui dis : Crois ! » (Gen. Rabba 10:6). 

    Si c’est le cas de l’herbe, point n’est besoin de le préciser pour les animaux, les volatiles, les arbres et toutes les autres créatures. 

    Déjà le Hassid [c’est-à-dire R. Isaac l’Aveugle], que sa mémoire soit une bénédiction, a écrit une chose merveilleuse à ce propos, dont je transcrirai partiellement les dires, sans reprendre le mot à mot.

    Il dit : Toutes les créatures de la terre sont suspendues à des puissances supérieures et celles-ci à d’autres encore qui leur sont supérieures et celles-ci à d’autres encore qui leur sont supérieures jusqu’à la Cause qui est sans fin, à la façon dont il est (marqué) : « Un supérieur au-dessus d’un supérieur monte la garde » (Ecc. 5:7). »

    C’est le principe de « l’émanation », tout émane par en haut, par strates. Et naturellement, c’est du néo-platonisme, d’où la théorie des « sephiroth », des émanations : au lieu d’avoir dix sphères ou dix anges comme chez les mystiques musulmans issus d’Aristote, on a dix émanations.

    Ces dix émanations se combinent, leur combinaison permet l’unification de la première et de la dernière.

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