Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le néoplatonisme et les «Oracles chaldaïques»

    Jamblique est le premier à véritablement faire du néo-platonisme une magie philosophique. Plotin, lui, revendiquait une philosophie qui, parce qu’elle était idéaliste, avait une dimension magique.

    Cependant, Plotin faisait pencher sa construction intellectuelle vers l’Un, coupant court à toute activité autre que la fusion extatique vers l’un. Son modèle est celui du yogi indien, pas du mage perse.

    Jamblique inverse la tendance et cela d’autant plus qu’il doit faire face à la concurrence du christianisme. Cependant, il y a l’arrière-plan toute une polémique sur la nature du monde matériel.

    Pour Plotin, dans la tradition platonicienne, le monde matériel est une chose mauvaise puisqu’elle emprisonne l’âme, mais il accepte la situation comme étant naturelle, propre à la création. Il dit, à ce niveau, la même chose que le christianisme.

    Il y a, par contre, tout un courant au sein du platonisme reprenant la thèse de Platon selon laquelle le monde a été créé par un « démiurge », donc une forme divine secondaire (puisque l’Un n’est jamais que tourné que vers lui-même), sauf qu’il considère en définitive que ce démiurge est mauvais.

    On a ainsi une opposition totale et conflictuelle entre l’esprit et la matière ; non pas un univers à deux niveaux, mais une guerre entre le bien et le mal. Cette conception sera qualifiée de « gnostique » et le problème est qu’il n’est pas forcément aisé de distinguer le gnosticisme du néo-platonisme, car les deux considèrent qu’il y a une science « cachée » de l’univers, une « gnose ».

    Ainsi, certains néo-platoniciens comme Plotin et Porphyre rejette la magie et combattent ouvertement les gnostiques, mais à partir de Jamblique les néo-platoniciens se rapprochent des gnostiques, dont ils forment un courant parallèle ou concurrent.

    Une œuvre important, dans ce contexte, fut les λόγια c’est-à-dire les paroles, enseignements, ou bien encore Oracles, l’œuvre prenant par la suite le nom d’Oracles chaldaïques. Ecrite vers 170, soit avant l’émergence du néo-platonisme, elle est attribuée à une révélation des dieux, voire à l’âme de Platon.

    La première partie consiste d’ailleurs en une présentation de la philosophie de Platon, notamment et surtout, comme on s’en doute, du Timée, alors que la seconde explique des rituels.

    Plus le néo-platonisme se développé, plus sa référence aux « oracles » est profonde. Plotin les connaissait, mais ne s’y réfère pas, Porphyre le fait un peu, Jamblique le fait beaucoup, Proclus le fera ensuite énormément.

    Ainsi, Jamblique considère ouvertement les mages chaldéens comme ayant acquis le savoir primoridal, au même titre que Platon ou que Hermès Trismégiste, une figure mythique issu d’un syncrétisme gréco-égyptien, le dieu grec Hermès fusionnant avec le dieu Thot, devenant par la suite le personnage mythique du savoir « secret » au centre de l’idéologie de l’alchimie.

    On est là au coeur d’une quête pour une science sacrée et cachée, qui demande un sens du mysticisme le plus radical, associé à une transmission du savoir de type initiatique. La tendance est générale et les disciples de l’école néo-platonicienne abandonnèrent d’ailleurs la plupart Porphyre pour suivre Jamblique dans cette perspective magique.

    Un penseur semble avoir joué un rôle ici important, son approche étant liée aux Oracles chaldaïques : Numénios d’Apamée, qui a vécu au 2e siècle et se situait dans le prolongement du platonisme. On a également ici, en effet, un syncrétisme général, au point que Numénios dit même :

    « Après avoir cité et avoir pris pour sceaux les témoignages de Platon, il faudra remonter plus haut et les rattacher aux enseignements de Pythagore, puis en appeler aux peuples fameux, en évoquant leurs mystères, leurs dogmes, leurs fondations de cultes, qui sont en accord avec Platon, tout ce qu’ont établi les brahmanes, les juifs, les Mages, les Égyptiens. »

    Voici sa conception du rapport entre « Le premier Dieu et le Démiurge », dans son Traité du bien :

    « Le premier Dieu demeure en lui-même; il est simple, parce que, concentré tout entier en lui-même, il ne peut subir aucune division.

    Le second Dieu est un en lui même, mais il se laisse emporter par la matière, qui est la dyade; s’il l’unit, elle le divise, parce que la nature de la matière est de désirer et d’être dans un écoulement continuel.

    Tant qu’il contemple l’intelligence, il demeure immobile en lui-même; mais lorsqu’il abaisse ses regards sur la matière et qu’il s’en occupe, il s’oublie lui-même: il s’attache au sensible, il l’orne et il contracte quelque chose des qualités de la matière avec laquelle il a désiré entrer en rapport (…)/

    Nous ferons la déclaration suivante: le premier Dieu ne fait aucune oeuvre et il est vraiment Roi, tandis que le Dieu qui gouverne tout, en parcourant le ciel, n’est que Démiurge.

    C’est pourquoi nous participons à l’intelligence quand elle descend et se communique à tous les êtres qui peuvent la recevoir. Pendant que Dieu [le Démiurge] nous regarde et se tourne vers chacun de nous, il arrive que la vie et la force se répandent dans nos corps échauffés de ses rayons; mais, s’il se retire dans la contemplation de soi-même, tout s’éteint, tandis que l’intelligence continue de vivre et jouit d’une existence bienheureuse (…).

    Il y a le même rapport entre le premier Dieu et le Démiurge qu’entre celui qui sème et celui qui cultive. L’un, étant la semence de toute âme, répand ses germes dans toutes les choses qui participent de lui. L’autre, en législateur, cultive, distribue et transporte dans chacun de nous les semences qui proviennent du premier Dieu (…).

    Ainsi le premier Dieu est immobile, le second se meut; l’un ne contemple que l’intelligible, l’autre regarde l’intelligible et le sensible. Ne soyez pas étonné que j’aie ainsi parlé: car j’ai à dire quelque chose de plus étonnant encore. Tandis que le second Dieu est en mouvement, le premier Dieu reste dans une immobilité que j’appellerai un mouvement inné. C’est ce mouvement qui est le principe de l’ordre, de la conservation et de la perpétuité de l’univers (…).

    Comme Platon savait que le Démiurge seul était connu des hommes, tandis que le premier Dieu, qu’il appelle l’intelligence, leur était inconnu, il s’est exprimé sur ce sujet en des termes qui reviennent à dire: « O hommes, l’intelligence que vous soupçonnez n’est pas la première intelligence; il en est une autre plus ancienne et plus divine. ». »

    Cette insistance sur le rôle du Démiurge était capitale pour le tournant vers la magie, car on a ici un déplacement en apparence secondaire, en réalité absolument significatif.

    Plotin pouvait bien faire une philosophie où le Démiurge, appelé chez lui l’âme du monde, avait une place résolument secondaire, même l’intelligence issu du divin étant secondaire par rapport à l’Un.

    Mais si l’âme du monde est issu de l’intelligence (du divin), alors le monde matériel lui-même avait une composition interne qui, non seulement était issu du divin comme le soulignait Plotin, mais qui en plus avait une nature interne divine.

    Reconnaître cette nature, sa composition, c’était alors acquérir les pouvoirs magiques en se liant au Démiurge.

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme et le tournant vers la magie

    Plotin est la grande figure du néo-platonisme et il a frappé si fort dans l’idéalisme qu’il a, en fait, fermé les portes du paganisme. Après Plotin, c’est le christianisme qui se charge de développer les thèses du néo-platonisme, les adaptant aisément au cadre religieux chrétien.

    La falsafa arabo-persane reprendra également le néo-platonisme, mais pour l’épurer et rétablir la démarche de l’aristotélisme authentique.

    Il y eut pourtant d’autres néo-platoniciens à la suite de Plotin, essaimant le monde gréco-romain. Plotin, qui venait d’Égypte romaine, s’était installé à Rome où son disciple, le phénicien Porphyre, prit le relais. C’est d’ailleurs lui qui amena Plotin à écrire, Porphyre compilant et publiant ce qui sera connu sous le nom d’Ennéades.

    On trouve ensuite Jamblique, d’une famille princière d’Emèse en Syrie actuelle, où il fonda une école, et enfin, à Athènes, Syrianos et Proclos (connu en France sous le nom de Proclus).

    Tous les néo-platoniciens, après Plotin, basculèrent dans un mysticisme païen outrancier, auquel Plotin était lié mais en tentant d’en synthétiser une forme nouvelle.

    Sa tentative ne fut pas reprise (à part par le christianisme, notamment avec Pseudo-Denys l’Aréopagite), le culte des dieux et la magie devenant des vecteurs essentiels de la sagesse mystique.

    Le néo-platonisme apparaît alors comme un mouvement idéologique tentant à la fois de prolonger son opposition formelle au matérialisme d’Aristote, tout en cherchant à éviter d’avoir à assumer le christianisme.

    Alors que Plotin a tenté de renouveler le platonisme, ses successeurs se cantonnent à un platonisme renouvelé, piochant de manière éclectique et confuse pour sauvegarder l’idéalisme païen.

    Voici un exemple avec ce que dit Porphyre dans un Traité sur le précepte Connais-toi toi-même, adressé à Jamblique :

    « Platon a raison de nous recommander dans le Philèbe de nous séparer de tout ce qui nous entoure et nous est étranger, afin de nous connaître nous-mêmes à fond, de savoir ce qu’est l’homme immortel et ce qu’est l’homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient à chacun d’eux.

    À l’homme intérieur appartient l’intelligence parfaite ; elle constitue l’homme même, dont chacun de nous est l’image.

    À l’homme extérieur appartient le corps avec les biens qui le concernent.

    Il faut savoir quelles sont les facultés propres à chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d’accorder à chacun d’eux, pour ne pas préférer la partie mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de pitié et de risée dans la tragédie et la comédie de cette vie insensée, enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de ce que nous devons à chacune de ces deux parties. »

    Voici comment il formule les choses encore dans le Traité de l’Âme :

    « D’un côté, il y a l’homme qui n’a d’autre occupation que la bonne chère, comme les brutes.

    D’un autre côté, il y a l’homme qui, par son talent, sauve le navire dans la tempête, ou rend la santé la ses semblables, ou découvre la vérité, ou trouve la méthode qui convient à la science, ou invente des signaux de feu, ou tire des horoscopes, ou, par des machines, imite les œuvres du créateur. »

    Dans le cadre de cet éclectisme, Porphyre écrivit de très nombreux ouvrages ; celui intitulé Introduction aux Catégories d’Aristote et connu sous le nom d’Isagogè (Introduction, en grec) eut un grand succès de par sa problématique, mais contribuant grandement à la confusion et l’incompréhension des différences essentielles entre platonisme et aristotélisme.

    C’est avec son disciple Jamblique (vers 242-325) qu’a ensuite lieu le basculement dans le mysticisme le plus total. Rien ne change bien sûr dans les fondamentaux, avec les considérations fascinées sur le « Un » parfait, comme ici dans une lettre à Macédonius sur le destin :

    « Tous les êtres doivent à l’Un leur existence : car l’Être premier dérive immédiatement de l’Un.

    À plus forte raison, les causes universelles doivent à l’Un leur puissance efficace, sont contenues dans un seul enchaînement et se rapportent au Principe qui est antérieur à la multitude.

    De cette manière, comme les causes qui constituent la Nature sont multiples, qu’elles appartiennent à des genres différents et dépendent de plusieurs principes, la multitude dépend d’une Cause unique et universelle, toutes choses sont enchaînées ensemble par un lien unique, et la liaison des causes multiples remonte à la puissance unique de la Cause la plus compréhensive (…).

    L’essence de l’âme est par elle-même immatérielle et incorporelle, non-engendrée et impérissable ; elle possède par elle-même l’être et la vie, elle se meut par elle-même, elle est le principe de la nature [végétative] et de tous les mouvements du corps.

    Tant que l’âme reste ce qu’elle est par son essence, elle a en elle-même une vie libre et indépendante.

    Lorsqu’elle se donne aux choses engendrées, et qu’elle se subordonne au mouvement de l’univers, elle est soumise au Destin et devient l’esclave des nécessités physiques. Lorsqu’elle s’applique à l’acte intellectuel, qui est libre et indépendant, elle fait volontairement ce qui est de son ressort, elle participe réellement de Dieu, du bien et de l’intelligible. »

    Toutefois, Jamblique est celui qui a insisté, en rupture avec Plotin et Porphyre, sur la nécessité de la magie, l’œuvre la plus connue qui lui soit attribuée étant Les mystères des Égyptiens, des Chaldéens et des Assyriens.

    Jamblique insiste en fait sur la source des savoirs de Socrate et Platon, c’est-à-dire tant Pythagore d’un côté, que les mysticisme orientaux, en particulier égyptiens, de l’autre.

    S’il est ainsi vrai que l’Un est l’objectif et qu’il est le seul à exister, il y aurait pour autant une « science » magique de la réalité.

    Les prières et les sacrifices, les exercices de purification et les oracles, le culte des images et l’intégration dans un parcours initiatique, les sacrifices à dates précises et la croyances aux génies et aux démons, tout cela aurait un sens, relevant du déchiffrement mystique du monde.

    Le mot à employer ici est celui de « théurgie ».

    Chez Plotin, on est dans une démarche contemplative : on s’élève jusqu’à « l’Un » et on bascule dans l’extase. Dans la théurgie au sens strict, c’est-à-dire ce qu’on appelle la magie, les pratiques mystiques (prières, rites comme les sacrifices, vénération d’objets sacrés, etc.) permettent de rentrer en contact avec le divin, d’en acquérir certains pouvoirs (la divination, la lévitation, etc.).

    Ce courant « magicien » était, en fait, inhérent au platonisme depuis l’effondrement d’Athènes. Il accompagne d’autant plus l’effondrement du mode de production esclavagiste ; il témoigne de la fin d’une époque.

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme, l’ordre socio-cosmique et la réincarnation

    Qu’est-ce qui distingue alors le néo-platonisme du christianisme ? Eh bien, l’origine grecque, et sans doute l’origine hindoue, c’est-à-dire dans les deux cas, une conception socio-cosmique du monde, où l’ordre social est le produit de la réalité divine et où la réincarnation est la clef de voûte de l’équilibre.

    Le néo-platonisme est la conception la plus développée du paganisme antique ; il n’est plus païen au sens strict, car il a unifié l’Univers et ne s’attarde plus sur les éléments naturels, tel que le soleil, la lune, les arbres, etc.

    Cependant, il existe comme dans le paganisme un ordre interne à l’Univers, ce que Charles Baudelaire a célébré dans ses poèmes des Fleurs du Mal avec le principe des « correspondances ». Ce qui correspond se répond, ayant une sympathie naturelle.

    Voici comment Plotin théorise cela :

    « Ni le Soleil, ni aucun astre en général n’entend les vœux qu’on lui adresse.

    S’il les exauce, c’est par la sympathie que chaque partie de l’univers a pour les autres, comme, si l’on touche une partie d’une corde tendue, on ébranle toutes les autres, ou bien encore comme, si l’on fait vibrer une des cordes d’une lyre, toutes les autres vibrent à l’unisson, parce qu’elles appartiennent toutes à un même système d’harmonie.

    Si la sympathie va jusqu’à faire répondre une lyre aux accords d’une autre, à plus forte raison doit-elle être la loi de l’univers, où règne une seule harmonie, quoique son ensemble comprenne des contraires, aussi bien que des parties semblables et analogues.

    Les choses qui nuisent aux hommes comme la colère qui, avec la bile, se rapporte à l’organe du foie, n’ont pas été faites pour nuire aux hommes [c’est la théorie des « humeurs », la bile jaune venant du foie étant en rapport avec la violence, la bile noire venant de la rate étant en rapport avec la mélancolie, ce que Baudelaire appelle le spleen, le terme anglais pour la rate].

    C’est comme si une personne en blessait une autre par mégarde en prenant du feu à un foyer : elle est sans doute l’auteur de la blessure parce qu’elle fait passer du feu d’une chose dans une autre; mais la blessure n’a lieu que parce que le feu ne peut être contenu par l’être auquel il est transmis. »

    Le néo-platonisme assume donc, comme Platon (ou Charles Baudelaire), le principe de la réincarnation comme moyen d’équilibre de l’ordre socio-cosmique :

    « Il y a encore une considération qu’il ne faut pas mépriser, c’est qu’il ne suffit pas d’examiner uniquement le présent, qu’on doit tenir compte aussi des périodes passées et de l’avenir afin d’y voir s’exercer la justice distributive de la divinité.

    Elle fait esclaves ceux qui ont été maîtres dans une vie antérieure, s’ils ont abusé de leur pouvoir; et ce changement leur est utile.

    Elle rend pauvres ceux qui ont mal employé leurs richesses : car la pauvreté sert même aux gens vertueux. De même, ceux qui ont tué sont tués à leur tour ; celui qui commet l’homicide agit injustement, mais celui qui en est victime souffre justement.

    Ainsi, il y. a harmonie entre la disposition de l’homme qui est maltraité et la disposition de celui qui le maltraite comme il le méritait.

    Ce n’est pas par hasard qu’un homme devient esclave, est fait prisonnier ou est déshonoré. Il a commis lui-même les violences qu’il subit à son tour.

    Celui qui a tué sa mère sera tué par son fils ; celui qui a violé une femme deviendra femme pour être à son tour victime d’un viol.

    De là vient la parole divin appelée Adrastée : car l’ordre dont nous parlons ici est véritablement Adrastée, est véritablement une Justice, une Sagesse admirable. »

    Voici un autre passage précisant les modalités de la réincarnation ; la dimension païenne pour le coup particulièrement arriérée est frappante.

    « Ceux qui ont exercé les facultés humaines renaissent hommes.

    Ceux qui n’ont fait usage que de leurs sens passent dans des corps de brutes et particulièrement dans des corps de bêtes féroces, s’ils se sont abandonnés aux emportements de la colère; de telle sorte que, même en ce cas, la différence des corps qu’ils animent est conforme à la différence de leurs penchants.

    Ceux qui n’ont cherché qu’à satisfaire leur concupiscence et leurs appétits passent dans des corps d’animaux lascifs et gloutons.

    Enfin ceux qui» au lieu de suivre leur concupiscence ou leur colère, ont plutôt dégradé leur sens par leur inertie, sont réduite à végéter dans des plantes : car ils n’ont dans leur existence antérieure exercé que leur puissance végétative, et ils n’ont travaillé qu’à devenir des arbres.

    Ceux qui ont trop aimé les jouissances de la musique, et qui ont d’ailleurs vécu purs, passent dans des corps d’oiseaux mélodieux.

    Ceux qui ont régné tyranniquement deviennent des aigles, s’ils n’ont pas d’ailleurs d’autre vice. Enfin, ceux qui ont parlé avec légèreté des choses célestes, tenant toujours leurs regards élevés vers le ciel, sont changés en oiseaux qui volent toujours vers les hautes régions de l’air.

    Celui qui a acquis les vertus civiles redevient homme; mais, s’il ne possède pas ces vertus à un degré suffisant, il est transformé en un animal sociable, tel que l’abeille ou tout autre être de cette espèce. »

    C’est précisément en raison de cette liaison trop forte avec le mode de production esclavagiste que le néo-platonisme ne pourra pas généraliser sa position pour la porter jusqu’à la féodalité.

    >Sommaire du dossier
     

  • Le dualisme du néoplatonisme : la même base que le christianisme

    Il va de soi que le néo-platonisme ressemble outrageusement au christianisme apparu juste avant lui ; en fait, les deux courants se sont nourris l’un l’autre. On ne peut nullement comprendre le christianisme, surtout le catholicisme, sans connaître Plotin et ses thèses qui forment le squelette même du mysticisme anti-matérialiste, où il s’agit de se tourner uniquement vers ce qui n’est pas matière.

    Voici ce que dit Plotin par exemple sur le rapport entre l’Un, l’intelligence et l’âme (ici désigné par l’intellect) – on croirait lire une explication du rapport entre « le Père, le Fils et le Saint-Esprit » :

    « L’Intelligence est belle sans doute ; elle est la plus belle des choses, puisqu’elle est éclairée d’une pure lumière, qu’elle brille d’un pur éclat, qu’elle contient les êtres intelligibles, dont notre monde, malgré sa beauté, n’est qu’une ombre et qu’une image.

    Quant au monde intelligible, il est placé dans une région brillante de clarté, où il n’y a rien de ténébreux ni d’indéterminé, où il jouit en lui-même d’une vie bienheureuse. Son aspect ravit d’admiration, surtout si l’on sait y pénétrer et s’y unir.

    Mais, de même que la vue du ciel et de l’éclat des astres fait chercher et concevoir leur auteur, de même la contemplation du monde intelligible et l’admiration qu’elle inspire conduisent à en chercher le père.

    On se dit alors : quel est celui qui a donné l’existence au monde intelligible? où et comment a-t-îl engendré l’Intellect si pur, ce fils si beau qui tient de son père toute sa plénitude ?

    Ce principe suprême n’est lui-même ni intellect, ni fils, il est supérieur à l’Intellect, qui est son fils.

    L’Intellect, son fils, est après lui, parce qu’il a besoin de recevoir de lui son intellection et la plénitude qui est sa nourriture; il tient le premier rang après Celui qui n’a besoin de rien, pas même d’intellection.

    L’Intellect possède cependant la plénitude et la véritable intellection parce qu’il participe du Bien immédiatement.

    Ainsi, le Bien, étant au-dessus de la véritable plénitude et de l’intellection, ne les possède pas et n’en a pas besoin ; sinon, il ne serait pas le Bien. »

    Dans la même logique que le christianisme, Dieu a créé le monde par « bonté », parce que c’est le prolongement de sa propre nature.

    « Or, comme ce pouvoir ne devait pas être arrêté ni circonscrit dans son action par jalousie, il fallait qu’il y eût une procession continue, jusqu’à ce que, de degré en degré, toutes choses fussent descendues jusqu’aux dernières limites du possible : car c’est le caractère d’une puissance inépuisable de communiquer ses dons à toutes choses, de ne pas souffrir qu’aucune d’elles en soit déshéritée, puisqu’il n’y a rien qui empêche chacune d’elles de participer à la nature du Bien dans la mesure où elle en est capable. »

    On retrouve même chez Plotin le cœur de l’argumentation chrétienne sur la nature « insuffisante » du monde en raison des crimes, des choses mauvaises, etc., c’est-à-dire qu’on a déjà la conception du « meilleur des mondes possibles », sans avoir à attendre Leibniz au XVIIe siècle.

    Plotin synthétise ce point de vue de manière très brève :

    « On n’a point le droit de blâmer ce monde, de dire qu’il n’est pas beau, qu’il n’est pas le meilleur possible des mondes corporels, ni d’accuser la cause dont il tient l’existence.

    D’abord, ce monde existe nécessairement : il n’est pas l’oeuvre d’une détermination réfléchie ; il existe parce qu’une essence supérieure l’engendre naturellement semblable à elle-même. »

    Exactement comme dans le christianisme, on a un appel au retour au « Père ». On a ici la théorie de la religion comme porte spirituelle que les âmes doivent franchir pour redevenir libres. Plotin parle ouvertement de nécessité de la « conversion » et il développe exactement le même thème du malin, du diable, que dans le catholicisme :

    « Comment se fait-il que les âmes oublient Dieu, leur père? Comment se fait-il qu’ayant une nature divine, qu’étant issues de Dieu, elles le méconnaissent et se méconnaissent elles-mêmes?

    L’origine de leur mal, c’est l’audace, la génération, la première diversité, le désir de n’appartenir qu’à elles-mêmes [c’est-à-dire le désir qui a conduit les âmes à se séparer primitivement de Dieu et à s’unir aux corps].

    Dès qu’elles ont goûté du plaisir de posséder une vie indépendante, usant largement du pouvoir qu’elles avaient de se mouvoir elles-mêmes, elles se sont avancées dans la route qui les écartait de leur principe, et maintenant elles sont arrivées à un tel éloignement de Dieu qu’elles ignorent même qu’elles en ont reçu la vie.

    De même que des enfants séparés de leurs familles dès leur naissance et nourris longtemps loin d’elles en arrivent à méconnaître leurs parents ainsi qu’eux-mêmes ; de même les âmes, ne voyant plus ni Dieu ni elles-mêmes, se sont dégradées par l’oubli de leur origine, se sont attachées à d’autres objets, ont admiré tout plutôt qu’elles-mêmes, ont prodigué leur estime et leur amour aux choses extérieures, et, brisant le lien qui les unissait aux choses divines, s’en sont écartées avec dédain.

    L’ignorance où elles sont de Dieu a donc pour cause leur estime des objets sensibles et leur mépris d’elles-mêmes. Comme chacune d’elles admire et recherche ce qui lui est étranger, elle reconnaît par là même qu’elle vaut moins.

    Or, dès qu’elle croit moins valoir que ce qui naît et périt, qu’elle se regarde comme plus méprisable et plus périssable que les objets qu’elle admire, elle ne saurait plus concevoir la nature ni la puissance de Dieu.

    Pour convertir à Dieu les âmes qui se trouvent dans de pareilles dispositions, pour les élever au Principe suprême, à l’Un, au Premier, il faut raisonner avec elles de deux manières.

    D’abord, on doit leur faire voir la bassesse des objets qu’elles estiment maintenant (nous en avons parlé suffisamment ailleurs) ; puis, il faut leur rappeler l’origine et la dignité de l’âme. La démonstration de ce second point est [logiquement] antérieure à celle du premier; exposée avec clarté, elle sert à l’établir. »

    À la différence du christianisme, le néo-platonisme considère par contre, dans le prolongement du Timée de Platon, qu’il n’existe que le Dieu vivant issu de Dieu, et que donc le monde est éternel tout comme le Dieu vivant engendré par Dieu.

    Non seulement d’ailleurs le christianisme va largement puiser en général dans le néo-platonisme, mais en plus les tendances mystiques reconnaîtront dans le néo-platonisme une démarche essentiellement similaire à la leur.

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme et le concept de «procession»

    Plotin appelle à l’extase dans la compréhension de la nature de Dieu ; pour parvenir à cette extase, il faut que l’âme cesse de se mêler au corps. Il y a donc une bataille et le néo-platonisme de Plotin fournit les arguments théoriques les plus « purs » de chaque religion : il y a une séparation entre le corps et l’esprit, il y a une bataille entre eux.

    La religion est le levier pour comprendre comment se focaliser sur l’âme et parvenir à rejeter un corps à dévaloriser. Plotin résume cela ainsi :

    « En un mot, il faut dire que la vie dans un corps est par elle-même un mal; mais, par la vertu, l’âme se place dans le bien, non en conservant l’union qui existe, mais en se séparant du corps. »

    Écouter son corps, c’est faire pencher l’âme du mauvais côté :

    « On dira peut-être que la méchanceté est la faiblesse de l’âme.

    Car l’âme mauvaise est impressionnable, mobile, facile à entraîner au mal, portée à écouter ses passions, également prompte à se mettre en colère et à se réconcilier; elle cède inconsidérément à de vaines idées ; semblable aux ouvrages les plus faibles de l’art et de la nature, qui sont facilement détruits par les vents et par les tourbillons. »

    Bien entendu, ce qui définit le « mal », c’est tout ce qui relève du contraire de Dieu qui est bon car auto-suffisant, entièrement en paix, sans division, harmonieux depuis le début et en tout, etc. Plotin insiste beaucoup sur cette approche opposant de manière manichéenne le bien et le mal :

    « Pour mieux déterminer le Mal, on peut se le représenter comme le manque de mesure par rapport à la mesure, comme l’indétermination par rapport au terme, comme le manque de forme par rapport au principe créateur de la forme, comme le défaut par rapport à ce qui se suffit à soi-même, comme l’illimitation et la mutabilité perpétuelle, enfin comme la passivité, l’insatiabilité et l’indigence absolues. »

    Le prophète Mani a, par ailleurs, vécu à la même époque que Plotin et même accompagné les troupes de Sapor Ier, chef perse qu’affrontait justement Gordien III qu’accompagnait Plotin.

    On est dans une même dynamique mystique orientale, où l’âme cherche à « s’échapper » de la matière, avec une opposition formelle entre esprit et matière. Le rejet de la conception d’Aristote faisant des esprits des tablettes vides mais sensibles où les objets extérieurs viennent « écrire », est bien entendu formellement réfuté et cela au nom de « l’Un ».

    Puisque, en effet, l’âme « sent » au fond d’elle qu’elle relève d’un « tout », qui est absolu, alors il n’est pas possible de faire de l’esprit un miroir de la réalité ambiante. En fait, le néo-platonisme tente de rejeter le matérialisme de l’époque, en affirmant que celui-ci n’est pas en mesure de concevoir la totalité, en le réduisant à une vision « vulgaire » et basse des choses.

    La capacité à raisonner hors de cette bassesse serait la preuve de la liaison de l’âme avec l’âme suprême. Les animaux ne seraient que « sensations », l’être humain avec la raison en plus pourrait se tourner vers « l’Un ».

    Naturellement, il se pose alors le problème de pourquoi l’âme est prisonnière du corps, sans compter qu’il faut expliquer pourquoi l’âme suprême aurait produit ces âmes dispersés. Le risque serait de dire que l’esprit aurait besoin de la matière.

    Plotin invente pour contourner le problème le concept de « procession » : chaque entité procède de manière naturelle à une émanation, une sorte d’image amoindrie. L’Un donne l’intelligence, l’intelligence l’âme, l’âme le monde.

    A chaque étape, l’émané se tourne vers l’émanant, voilà pourquoi l’âme qui donne le monde ne le regarde pas, n’est pas « inclinée » vers lui :

    « Quant à nous, nous croyons que si l’Âme a créé le monde, ce n’est pas parce qu’elle a incliné [vers la matière], mais plutôt parce qu’elle n’a pas incliné.

    Pour incliner ainsi, il aurait fallu que l’Âme eût oublié les intelligibles ; mais, si elle les avait oubliés, comment aurait-elle créé le monde? D’après quoi l’aurait-elle formé? Elle l’a formé sans doute d’après les intelligibles qu’elle avait contemplés là-haut. Si elle s’en est souvenue en formant le monde, elle n’avait pas incliné.

    Elle n’avait donc pas une notion obscure des intelligibles ; sinon, elle aurait incliné vers eux pour en avoir une intuition claire : car, pourquoi n’aurait-elle pas voulu rentrer dans le monde intelligible, puisqu’elle en conservait quelque souvenir ? »

    La Nature est donc pratiquement mécanique, l’âme pouvant « imaginer », ce que la Nature ne peut pas, n’étant que l’image de l’Âme :

    « Comment la Sagesse propre à l’Âme universelle diffère-t-elle de la Nature?

    C’est que la Sagesse occupe dans l’Âme le premier rang et la Nature le dernier, puisqu’elle n’est que l’image de la Sagesse ; or, si la Nature n’occupe que le dernier rang, elle doit aussi n’avoir que le dernier degré de la Raison qui éclaire l’Âme.

    Qu’on se représente un morceau de cire où la figure imprimée sur une face pénètre jusqu’à l’autre, et dont les traits bien marqués sur la face supérieure n’apparaissent que d’une manière confuse sur la face inférieure : telle est la condition de la Nature ; elle ne connaît pas, elle produit seulement, elle transmet aveuglément à la matière la forme qu’elle possède, comme un objet chaud transmet à un autre, mais à un moindre degré, la chaleur qu’il a lui-même.

    La Nature n’imagine même pas : car l’acte d’imaginer, inférieur à celui de penser, est cependant supérieur à celui d’imprimer une forme, comme le fait la Nature. La Nature ne peut rien saisir ni rien comprendre, tandis que l’Imagination saisit l’objet adventice, et permet à celui qui imagine de connaître. »

    Il faut bien noter ici que ce n’est pas Dieu qui donne le monde, car lui-même en tant qu’unité primordiale n’a besoin de rien. L’intelligence qui est son image, son sous-produit, a abouti à l’âme et celle-ci à la matière.

    Voilà pourquoi la quête de l’Un ne saurait passer par des mots :

    « Pourquoi n’est-il [= l’Un] pas resté en lui-même, et a-t-il laissé ainsi découler de lui la multiplicité qu’on voit dans les êtres et que nous voulons ramener à lui?

    Nous allons le dire. Invoquons d’abord Dieu même, non en prononçant des paroles, mais en élevant notre âme jusqu’à lui par la prière; or, la seule manière de le prier, c’est de nous avancer solitairement vers l’Un, qui est solitaire.

    Pour contempler l’Un, il faut se recueillir dans son for intérieur, comme dans un temple, et y demeurer tranquille, en extase, puis considérer les statues qui sont pour ainsi dire placées dehors [l’Âme et l’Intelligence], et avant tout la statue qui brille au premier rang [l’Un], en la contemplant de la manière que sa nature exige. »

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme et «l’artiste qui retranche, enlève, polit, épure»

    Ce qui caractérise la position de Plotin, c’est qu’il fournit une théorie religieuse présentée de manière philosophique.

    C’est là exactement le même schéma que celui fournit par Platon dans l’allégorie de la caverne : le monde matériel n’est qu’un pâle reflet d’un monde idéal, qui lui-même a comme source le « Un » absolu, source de tout et seule réalité authentique.

    Sauf que, contrairement à Platon cherchant à renouveler un style aristocratique, Plotin se cantonne à célébrer une sorte de prière silencieuse amenant à la béatitude par l’extase de la compréhension de la nature de Dieu.

    Dieu n’est pas simplement un concept idéal, mais l’objectif suprême : Plotin prend Platon au pied de la lettre, ne gardant que la dimension mystique. Il peut donc dire :

    « Puisque le mal règne ici-bas et domine inévitablement en ce monde, et puisque l’âme veut fuir le mal, il faut fuir d’ici-bas. Mais quel en est le moyen?

    C’est, dit Platon, de nous rendre semblables à Dieu. Or nous y réussirons en nous formant à la justice, à la sainteté, à la sagesse, et en général à la vertu.

    Si c’est par la vertu qu’a lieu cette assimilation, le Dieu à qui nous voulons nous rendre semblables possède–t–il lui–même la vertu? Mais quel est ce Dieu?

    Sans doute c’est celui qui semble devoir posséder la vertu au plus haut degré, c’est l’Âme du monde, avec le principe qui gouverne en elle et qui a une sagesse admirable [l’Intelligence suprême]. Habitant ce monde, c’est à ce Dieu que nous devons chercher à ressembler. »

    Chaque être humain possède, en effet, une âme et par conséquent, le bonheur naturel n’est pas possible, cela ne concerne que les animaux. Plotin explique cela de la manière suivante :

    « Si bien vivre et être heureux nous semblent choses identiques, devons-nous pour cela accorder aux animaux le privilège d’arriver au bonheur? S’il leur est donné de suivre sans obstacle dans leur vie le cours de la nature, qu’est-ce qui empêche de dire qu’ils peuvent bien vivre?

    Car, si bien vivre consiste soit à posséder le bien-être, soit à accomplir sa fin propre, dans l’une et l’autre hypothèse les animaux sont capables d’y arriver : ils peuvent en effet posséder le bien-être et accomplir leur fin naturelle. »

    Hors de question, cependant, d’affirmer comme Aristote que comprendre le monde, c’est en saisir l’âme et contempler la réalité de manière heureuse. Plotin a été influencé par la philosophie indienne, bien qu’on ne sache pas dans quelle mesure, lui-même tentant même de suivre les opérations militaires de Gordien III, qui furent toutefois un échec, pour visiter la Perse et l’Inde.

    De toutes manières, contrairement à l’opinion bourgeoise, le monde gréco-romain n’est en rien « européen » et est largement ouvert à l’Asie. La position de Plotin est pratiquement la même que celle de l’hindouisme, avec la négation de l’action, de la réflexion, le repli sur soi-même, etc.

    Il faut non pas acquérir la sagesse, mais s’épurer, se couper de tout ce qui est matériel, se « retrancher » :

    « Rentre en toi-même, et examine-toi.

    Si tu n’y trouves pas encore la beauté, fais comme l’artiste qui retranche, enlève, polit, épure, jusqu’à ce qu’il ait orné sa statue de tous les traits de la beauté.

    Retranche ainsi de ton âme tout ce qui est superflu, redresse ce qui n’est point droit, purifie et illumine ce qui est ténébreux, et ne cesse pas de perfectionner ta statue, jusqu’à ce que la vertu brille à tes yeux de sa divine lumière, jusqu’à ce que tu voies la tempérance assise en ton sein dans sa sainte pureté. »

    C’est le moyen de reconnaître le divin dont tout est issu et qui vit dans une pureté totale, hors à la fois de la théorie et de la pratique :

    « Si le Bien est supérieur à l’être, il doit être aussi supérieur à l’action, à l’intelligence et à la pensée.

    Car il faut reconnaître comme étant le Bien le principe duquel tout dépend, tandis que lui-même ne dépend de rien.

    C’est à cette condition que le Bien est vraiment le principe vers lequel toutes choses tendent. Il faut donc qu’il persiste dans son état, et que tout se tourne vers lui, de même que, dans un cercle, tous les rayons aboutissent au centre.

    Nous pouvons en voir un exemple dans le soleil : il est un centre pour la lumière qui est en quelque sorte suspendue à cet astre. Aussi est-elle partout avec lui et ne s’en sépare-t-elle pas; et quand même vous voudriez la séparer d’un côté, elle n’en resterait pas moins concentrée autour de lui. »

    Comme chez Platon, on sait déjà tout, pour le retrouver il faut savoir qu’on est « rien » et qu’il n’y a que « l’Un » :

    « En effet, ce n’est pas en parcourant les objets extérieurs que l’âme a l’intuition de la sagesse et de la vertu, c’est en rentrant en elle-même, en se pensant elle- même dans sa condition primitive: alors elle éclaircit et elle reconnaît en elle-même des images divines, souillées par la rouille du temps. »

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme et l’architecture des «hypostases»

    L’idée de Plotin était simple, mais géniale. Puisque Aristote niait le monde « d’en haut », la seule réponse possible était d’accepter cela, mais en niant pour autant le monde d’en bas. Ne reste alors qu’un seul monde, qui n’est plus matériel et qu’il reste alors à définir.

    Plotin invente alors un système à trois niveaux. La raison de l’ajout d’un élément est l’importance fondamentale pour l’idéalisme de mener l’offensive contre le concept d’intellect développé par Aristote. Ce concept est la clef de voûte du matérialisme d’Aristote, c’est par là que passeront Avicenne et Averroès, pour aboutir à Spinoza, qui lui-même aboutira à Hegel, puis Karl Marx.

    Plotin va procéder de manière très prudente. Le point de départ est ce qu’il appelle le « Premier » qui est en même temps « Infini », le « Bien », le « Simple » qui est en même temps « Absolu », qui est nécessairement « Un ».

    On a ensuite l’Intelligence comme second niveau, qui est une sorte de conscience suprême issue de l’Un se regardant comme dans un miroir.

    Enfin, l’Âme compose le troisième niveau, lui-même divisé en deux niveaux : un tourné vers l’Intelligence, l’autre vers le bas c’est-à-dire la matière.

    Ces trois niveaux sont appelés « hypostases » et cette division tripartite se retrouve dans l’âme humaine.

    Le plus bas niveau de l’âme humaine et l’âme sensitive ou non raisonnable, végétative, qui s’oppose à l’âme raisonnable, cette dernière étant placé sous « l’Intelligence ». On l’aura compris il s’agit de nier l’âme sensitive, liée à la matière, pour s’appuyer uniquement sur l’âme raisonnable et même dépasser celle-ci en fusionnant avec l’Intelligence.

    En effet, ce qui est Bon, Beau l’est de toute éternité et il n’est pas possible de raisonner à son sujet : il est seulement possible de le reconnaître, en fusionnant avec l’Intelligence qui est justement la conscience de l’Un d’être ce Bon, ce Beau.

    Par conséquent, la clef du plotinisme et du néo-platonisme en général vise à nier la science au profit de la pure contemplation. Aristote appelait à raisonner sur le monde, pour se mettre en adéquation avec l’intellect universel.

    A ce bonheur intellectuel sous le mode du raisonnement, Plotin appelle au bonheur sous la forme de l’extase ; il peut le faire car il a accepté la négation du monde « d’en haut » uniquement pour le fusionner avec celui « d’en bas », en niant ce dernier.

    Plotin a élaboré un système où Dieu est partout et nulle part, n’étant tout et rien car étant absolument toujours le même, unique, unité primordiale. Le sens de l’existence est ce Dieu, centre vers lequel tout est tourné :

    « Il faut que nous ayons en nous la cause et le principe de l’intelligence, Dieu, qui n’est point divisible, qui subsiste, non dans un lieu, mais en lui-même, qui est contemplé par une multitude d’êtres, par chacun des êtres aptes à le recevoir, mais qui reste distinct de ces êtres, de même que le centre subsiste en lui-même, tandis que les rayons viennent tous aboutir à lui de tous les points de la circonférence.

    C’est ainsi que nous-mêmes, par une des parties de nous-mêmes, nous touchons à Dieu, nous noue y unissons, nous y sommes en quelque sorte suspendus ; or, tous sommes édifiée en lui quand nous nous tournons vers lui.»

    Ou, pour reprendre une de ses explications plus poétique :

    « On peut comparer l’Un à la lumière, l’être qui le suit [l’Intellect] au Soleil, et le troisième [l’Âme] à l’astre de la Lune qui reçoit sa lumière du Soleil. »

    Il s’ensuit naturellement une tension très forte : en tant qu’être humain, on ne peut fusionner avec l’Un alors qu’on le doit. La conséquence est qu’il faut s’identifier à lui et parvenir à rompre avec la matière.

    C’est là la différence avec le platonisme, qui avait construit un idéal dans le monde « d’en haut » pour mieux exiger l’idéal dans le monde « d’en bas » : le modèle de société ultra-élitiste trouvait en Socrate et Platon leurs idéologues.

    Le néo-platonisme supprime la distinction entre en haut et en bas, pour nier totalement (et non relativement comme chez Platon) l’existence réelle du bas, seul le haut existant.

    Il faut donc quitter le bas à tout prix, l’âme doit quitter le corps et ainsi la base de la rupture avec la matière, c’est non seulement la rupture avec les sens, mais également avec la raison ; c’est cela qu’on a affaire à un mysticisme.

    Plotin dit, de fait :

    « Lorsque nous nous élevons, l’Un se révèle non pas comme la raison, mais comme quelque chose de plus beau que la raison, comme quelque chose qui s’éloigne d’autant de ce qui arrive par hasard ; car la racine du logos [du langage au sens de discours raisonnable] qui existe par elle-même et en laquelle toutes choses s’achèvent est comme un principe et un fondement d’un arbre immense vivant selon le logos ; elle demeure elle-même par elle-même et donne à l’arbre d’être, selon le logos que cet arbre a reçu. »

    On a ici ce qui est appelé en philosophie une ontologie, un discours sur « l’être » qui, par définition, échappe justement à tout discours, le discours n’étant qu’une conséquence de l’existence de l’être.

    C’est pourquoi le néoplatonisme fournit la clef idéologique de toute religion, en fournissant une théorie générale de la fuite et du refuge ; il s’agit de fuir le monde matériel, afin de prendre refuge dans la source divine.

    >Sommaire du dossier

  • Le dualisme du néoplatonisme et la ligne immense de Plotin

    Né en 205 à Lycopolis, ville d’Egypte sous contrôle romain, Plotin étudia à Alexandrie avant de devenir, à Rome, la principale figure du courant néo-platonicien émergeant alors.

    Le terme de néo-platonicien fut conçu au XIXe siècle, Plotin et les néo-platoniciens se considérant simplement comme platoniciens ; cependant, leur méthode apportait une perspective uniquement mystique exigeant une identification précise.

    Le néo-platonisme liquide, en effet, toutes les réflexions platoniciennes, pour n’en conserver que l’idéalisme tourné, non pas dans un sens politique comme avec la République de Platon, modèle de société de castes, mais dans un sens mystique.

    En apparence, on a donc un platonisme réduit à l’allégorie de la caverne : le monde matériel est illusoire, n’étant que le reflet d’un monde intermédiaire, lui-même sous-produit du Dieu suprême. Les prisonniers de la caverne croient réels les ombres sur les murs, alors que le philosophe sait que des marionnettes sont déplacées devant un feu et qu’il y a même, à l’extérieur, le Soleil qui est la vraie lumière.

    On a donc un monde d’en haut et un monde d’en bas, le premier seulement étant vrai, unifié, idéal, bon, le second une illusion, divisé, mauvais, matériel. Plotin, en bon platonicien, explique ainsi :

    « C’est de ce monde véritable et un que tire son existence le monde sensible qui n’est point véritablement un : il est en effet multiple et divisé en une pluralité de parties qui sont séparées les unes des autres et étrangères entre elles.

    Ce n’est plus l’amitié qui y règne, c’est plutôt la haine, produite par la séparation de choses que leur état d’imperfection rend ennemies les unes des autres. »

    Les âmes proviennent du monde d’en haut et sont emprisonnés dans la matière, en bas ; leur mission est donc de remonter à la source, de retourner à l’unité du monde d’en haut.

    C’est là du platonisme tout ce qu’il y a de plus traditionnel : élever l’âme au monde supérieur est le noyau dur de l’idéologie de Socrate et Platon. Plotin souligne toujours qu’il ne fait redire Platon, célébrant son culte du Beau idéal situé au-delà de la matière.

    On a le même élitisme spiritualiste, d’esprit gréco-romain, comme on peut le voir dans cette mise en valeur d’attitudes et de comportements par Plotin :

    « Que doit être celui qu’il s’agit d’élever à ce monde ? Il doit tout savoir, ou du moins être le plus savant possible, comme le veut Platon. Il doit, dans la première génération, être descendu ici-bas pour former un philosophe, un musicien, un amant. Car ce sont là les hommes que leur nature rend les plus propres à être élevés au monde intelligible. »

    « Le Musicien se laisse facilement toucher par le beau et est plein d’admiration pour lui ; mais il n’est pas capable d’arriver par lui seul à l’intuition du beau ; il faut que des impressions extérieures viennent le stimuler. »

    « L’Amant, au rang duquel le musicien peut s’élever, soit pour rester à ce rang, soit pour monter plus haut encore, l’amant a quelque réminiscence du beau; mais comme il en est séparé ici–bas, il est incapable de bien savoir ce que c’est. »

    « Quant au Philosophe, il est naturellement disposé à s’élever au monde intelligible. Il s’y élance porté par des ailes légères, sans avoir besoin, comme les précédents, d’apprendre à se dégager des objets sensibles. II peut seulement être incertain sur la route à suivre et avoir besoin d’un guide. »

    Tout cela n’est, en soi, aucunement original et s’il n’y avait que cela, on ne verrait pas en quoi ce serait du néo-platonisme. La différence d’avec le platonisme tient en fait à l’ajout d’une sorte d’architecture en trois parties, pour contrer le matérialisme d’Aristote et sauver le platonisme.

    Plotin n’a pas hésité à reprendre des aspects de la philosophie d’Aristote, en la déviant pour l’intégrer au platonisme afin de combler les manques de celui-ci. Le néo-platonisme relit Aristote de manière idéaliste, afin d’y puiser des moyens pour justifier l’existence d’un « monde d’en haut » justement réfuté par Aristote.

    Plotin a également besoin de s’opposer au concept d’intellect, qui chez Aristote désigne l’esprit synthétique du monde auquel chaque esprit se « connecte » en quelque sorte en raisonnant correctement. Cet intellect collectif, typiquement matérialiste, s’oppose en effet à l’idéalisme et sa célébration des « âmes » individuelles.

    Pour réaliser son entreprise, Plotin va procéder de manière subtile. Tout d’abord, il va fusionner le monde d’en haut et d’en bas. Cela a l’air absurde, mais c’était le seul moyen de faire en sorte que l’intellect d’Aristote ne soit plus lié au monde matériel.

    Plotin, en effet, réfute toute valeur au monde matériel et le mouvement ne va jamais que dans un sens, depuis le monde d’en haut jusqu’au monde d’en bas. Toutefois, nous avons vu qu’il avait fait se fusionner les deux mondes.

    C’est là que Plotin réussit un coup de génie faisant de lui le titan absolu de toutes les religions. Il invente le concept de « procession » et affirme qu’il y a une sorte de naissance à chaque étape au sein d’une seule et même réalité, avec bien entendu une perte d’énergie à chaque fois.

    Voici comment il formule cela, toujours de manière poétique et relativement hermétique :

    « Ainsi, dans l’univers la vie ressemble à une ligne immense où chaque être occupe un point, engendrant l’être qui suit, engendré par celui qui précède, et toujours distinct, mais non séparé de l’être générateur et de l’être engendré dans lequel il passe sans s’absorber. »

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme et l’agonie du matérialisme métaphysique

    Les néoplatoniciens n’ont jamais fait que redire ce que Platon avait dit (dans le Timée, entre autres). On sait peu de choses sur les platoniciens suivant l’effondrement d’Athènes, mais il est certain que les néoplatoniciens ne sont ici nullement originaux et n’ont jamais prétendu modifier ou renouveler Platon.

    Ce qui justifie d’une certaine manière le terme, c’est qu’ils intègrent dans leur philosophie ce qu’ils pensent être la philosophie d’Aristote, pourtant opposée à celle de Platon. Il ya là un moment complexe, éminemment dialectique.

    Les néoplatoniciens savaient, en effet, et en même temps ne savaient pas que la philosophie d’Aristote s’opposait formellement à celle de Platon. La raison en est la suivante.

    Déjà, la philosophie de Platon était politique, de type aristocratique-militaire : cet aspect gommé, il ne restait plus que le mysticisme élitiste le justifiant.

    Ensuite, Aristote était lui-même un aristocrate. Il assumait la science, et donc le matérialisme, mais il était limité par sa situation historique : il ne pouvait pas comprendre le principe de transformation, propre à la dialectique portée par la classe ouvrière.

    Par conséquent, on a chez Aristote un « éternel retour », ainsi qu’un Dieu anonyme et loin servant de « moteur premier », alors qu’il avait bien saisi que les humains ne pensaient pas et que la seule réalité était matérielle.

    C’était donc un « matérialisme métaphysique ». Il reconnaissait que le monde était organisé, mais un « Dieu » était nécessaire pour l’explication, même si c’était un Dieu passif, simple « moteur ».

    Avec la décadence générale provoquée par l’effondrement du mode de production esclavagiste en Grèce, la dimension matérialiste a été rejetée, et il n’est plus resté que le squelette métaphysique d’explication du monde.

    Les néoplatoniciens se sont alors appropriés ce qui restait de la philosophie, dégénérée, d’Aristote. L’Église catholique prolongera cela, donnant naissance à la scolastique, une manière figée et anti-scientifique de comprendre le monde.

    Pour cette raison, les penseurs de la bourgeoisie s’opposeront formellement à la scolastique, mais également donc à Aristote : Francis Bacon est ici le champion de l’expérience scientifique, du rejet des dogmes fondés sur la métaphysique. Il pava la voie au matérialisme anglais et au matérialisme français, qui rejetèrent ainsi pareillement Aristote.

    C’était là une erreur terrible, que ne firent pas bien sûr Avicenne, Averroès et Spinoza, qui eux défendaient le pré-matérialisme et le matérialisme comme système total.

    La conséquence fut que la bourgeoisie « oubliant » Aristote eut et a un mal fou à combattre les systèmes complets idéalistes, justement parce qu’ils sont des systèmes complets, alors que son matérialisme, par ailleurs décadent, est strictement incapable de former un système, par relativisme et libéralisme.

    Le matérialisme dialectique est par contre un authentique système complet, le point de départ (et non d’arrivée) de la science authentique.

    Ces aléas historiques permirent, donc, au néoplatonisme d’intégrer les restes de l’aristotélisme, qui au fond était une formidable anomalie, un matérialisme permis par l’activité d’une petite élite acceptant de se tourner vers la science plutôt que d’être simplement parasitaire.

    Les néoplatoniciens auront plus ou moins conscience de leur intégration de conceptions propres à Aristote, mais jamais ils ne s’en soucieront, et pour cause, seule la dimension métaphysique comptait.

    Du côté arabo-persan, Avicenne va le premier re-scinder Platon et Aristote, de manière relative, Averroès le faisant franchement, Spinoza terminant le processus, culminant sa démarche dans un authentique matérialisme, pas encore complètement débarrassé de métaphysique en apparence, mais déjà réellement moniste, entièrement opposé à tout dualisme, et en disant de manière ouverte que « Dieu » n’est en réalité que l’Univers.

    >Sommaire du dossier

  • Le dualisme du néoplatonisme : l’âme doit abandonner la matière

    Le principe du dualisme est que le monde matériel est insuffisant et qu’il faut se tourner vers le spirituel. L’âme des individus, c’est en fait une petite étincelle de l’âme du monde, du Dieu vivant. La matière est un degré inférieur de réalité, la seule réalité authentique étant le monde spirituel.

    L’âme est donc ce qui compte réellement et il s’agit d’abandonner les préoccupations matérielles. Plus on est un corps, moins on est une âme. Ce qui fait dire à Timée, dans l’œuvre éponyme de Platon :

    « A cause de tous ces accidents, aujourd’hui et depuis les premiers temps, l’âme commence par être sans intelligence, quand elle vient d’être unie à un corps mortel.

    Mais quand le courant de nourriture et d’accroissement diminue, et que les cercles de l’âme, prenant de la tranquillité, suivent leur voie propre et se modèrent avec le temps, alors réglant leurs mouvements à l’imitation de celui des cercles qui embrasse toute la nature, ils ne se trompent plus sur le même et sur le divers, et rendent sage l’homme dans lequel ils se trouvent.

    Et si en outre on a reçu une bonne éducation, on devient un homme accompli et parfaitement sain, et on évite la plus grande des maladies; tandis que celui qui a négligé son âme, traverse la vie d’un pas chancelant et retourne dans l’autre monde, sans avoir rien gagné dans celui-ci et chargé d’impureté. »

    « L’auteur du monde ayant achevé à son gré la composition de l’âme, il construisit au dedans d’elle tout ce qui est corporel, et rapprochant l’un de l’autre le centre du corps et celui de l’âme, il les unit ensemble; et l’âme infuse partout, depuis le milieu jusqu’aux extrémités, et enveloppant le monde circulairement, introduisit, en tournant sur elle-même, le divin commencement d’une vie perpétuelle et bien ordonnée pour toute la suite des temps.

    Le corps du monde est visible; l’âme est invisible, elle participe de la raison et de l’harmonie des êtres intelligibles et éternels, et elle est la plus parfaite des choses qu’ait formées l’être parfait. »

    Le Dieu vivant possède toutefois une présence traversant toute la réalité, en tant que « temps ». Timée dit ainsi que :

    « La nature du modèle était éternelle, et le caractère d’éternité ne pouvait s’adapter entièrement à ce qui a commencé; Dieu résolut donc de faire une image mobile de l’éternité ; et par la disposition qu’il mit entre toutes les parties de l’univers, il fit de l’éternité qui repose dans l’unité cette image éternelle, mais divisible, que nous appelons le temps. »

    Tout cela forme la base d’une démarche dualiste authentique. Dieu étant tout puissant, il ne saurait être amené à faire quelque chose. Or, le monde existe. Il faut donc considérer que Dieu n’a aucune envie ni besoin, mais qu’il a produit, de par sa bonté, quelque chose de bon qui serait une conscience de lui-même.

    La tentative de la conscience de Dieu de saisir l’infinité de Dieu étant un échec par définition, on a alors une conscience consistant en un Dieu vivant intermédiaire entre Dieu en tant qu’unité totale et le monde matériel.

    On a là le cœur de la pensée de Timée, le plus haut développement du platonisme. C’est donc ce platonisme que les néoplatoniciens vont approfondir et adapter aux besoins d’une nouvelle époque, marquée par l’effondrement du système esclavagiste.

    La grande figure ouvrant cette période d’élaboration théorique, qui servira de source au christianisme, au judaïsme et à l’Islam pour former leurs théologies, est Ammonios Saccas, qui vécut à Alexandrie au IIIe siècle de notre ère.

    Il ne laissa pas d’écrits, dans la tradition du culte du secret propre aux pythagoriciens, et on ne connaît pratiquement rien de lui. Il eut pourtant de nombreux disciples qui diffusèrent ses conceptions, et on connaît également sa vision du monde grâce aux écrits de Némésios, qui vécut au IVe siècle de notre ère et devint évêque d’Émèse en Syrie.

    Voici ce que raconte Némésios, montrant que le cœur du néo-platonisme est le suivant : Platon raisonnait en termes de modèle : la vie sur Terre doit se conformer à l’idéal que l’on trouve dans le « ciel ».

    Dans le Timée de Platon, il est dit :

    « Or ce qu’il y a de divin en nous est de la même nature que les mouvements et les cercles de l’âme du monde. Il faut donc que chacun de nous, à l’exemple de ces cercles, corrige les mouvements qui sont déréglés dans notre tête dès leur origine même., en se pénétrant de l’harmonie et du mouvement de l’univers ; qu’il rende l’esprit qui conçoit conforme à l’objet conçu, comme cela devait être dans l’état primitif, et que par cette conformité il soit en possession de la vie la plus excellente que les dieux aient accordée à l’homme pour le présent et pour l’avenir. »

    Or, s’il n’y a plus d’élite aristocratique, on ne peut plus se conformer sur Terre, « en bas », à ce qui relève d’en haut, puisque sur Terre il n’y a plus de niveaux inférieurs, qu’auraient été les esclaves.

    Le système théorique et idéologique religieux justifiant l’esclavage chez Platon devient alors l’appel néoplatonicien à rejoindre à tout prix la source divine.

    Au lieu de vivre adéquatement sur Terre avec les « modèles » divins, il faut refuser la matière et se concentrer uniquement sur l’âme. Voici comment Némésios, donc, nous présente le point de vue d’Ammonios Saccas :

    « Il suffira d’opposer les raisons d’Ammonius, maître de Plotin, et celles de Numenius le Pythagoricien, à tous ceux qui prétendent que l’âme est matérielle. Or, voici ces raisons: « Les corps, n’ayant en eux rien d’immuable, sont naturellement sujets au changement, à la dissolution, et à des divisions infinies; il leur faut nécessairement un principe qui les contienne, qui en lie et en affermisse les parties : c’est ce principe d’unité que nous appelons âme.

    Mais si l’âme aussi est matérielle, quelque subtile que soit la matière qui la compose, qui pourra la contenir elle-même, puisque nous venons de voir que toute matière a besoin d’un principe qui la contienne? Il en sera de même à l’infini jusqu’à ce qu’enfin nous arrivions à une substance immatérielle. »

    « Ammonius, maître de Plotin, expliquait ainsi la difficulté qui nous occupe [l’union de l’âme et du corps] : L’intelligible est de telle nature qu’il s’unit à ce qui peut le recevoir, aussi intimement que s’unissent les choses qui s’altèrent mutuellement en s’unissant, et qu’en même temps, dans cette union, il demeure pur et incorruptible, comme le font les choses qui ne sont que juxtaposées.

    En effet, pour les corps, l’union altère les parties qui se rapprochent, puisqu’elles forment d’autres corps: c’est ainsi que les éléments se changent en corps composés, la nourriture en sang, le sang en chair et en d’autres parties du corps.

    Mais, pour l’intelligible, l’union se fait sans qu’il y ait d’altération: car il répugne à la nature de l’intelligible de subir une altération dans son essence. Il disparaît ou il cesse d’être, mais il n’est pas susceptible de changement.

    Or l’intelligible ne peut être anéanti: autrement Il ne serait pas immortel; et, comme l’âme est la vie, si elle changeait dans son union avec le corps, elle deviendrait autre chose et elle ne serait plus la vie.

    Que procurerait-elle donc au corps si elle ne lui donnait pas la vie? L’âme ne subit donc pas d’altération dans son union.

    Puisqu’il est démontré que l’intelligible est immuable dans son essence, il en résulte nécessairement qu’il ne s’altère pas en même temps que les choses auxquelles il est uni. L’âme est donc unie au corps, mais elle ne forme pas un mixte avec lui.

    La sympathie qui existe entre eux montre qu’ils sont unis: car l’être animé tout entier est un tout sympathique à lui-même et par conséquent véritablement un.

    Ce qui montre que l’âme ne forme pas un mixte avec le corps, c’est qu’elle a le pouvoir de se séparer de lui pendant le sommeil; qu’elle le laisse comme inanimé, en lui conservant seulement un souffle de vie, afin qu’il ne meure pas tout à fait; et qu’elle ne se sert que de son activité propre dans les songes, pour prévoir l’avenir et pour vivre dans le monde intelligible.

    Cela paraît encore quand elle se recueille pour se livrer à ses pensées: car, alors, elle se sépare du corps autant qu’elle le peut, et elle se retire en elle-même afin de pouvoir mieux s’appliquer à la considération des choses intelligibles.

    En effet, étant incorporelle, elle s’unit au corps aussi étroitement que sont unies les choses qui en se combinant ensemble périssent l’une par l’autre [et donnent ainsi naissance à un mixte]; en même temps, elle demeure sans altération, comme demeurent deux choses qui ne sont que juxtaposées, et elle conserve son unité; enfin, elle modifie selon sa vie propre ce à quoi elle est unie, et elle n’en est pas modifiée.

    De même que le soleil, par sa présence, rend tout l’air lumineux sans changer lui-même en rien, et de la sorte s’y mêle pour ainsi dire sans s’y mêler; de même l’âme, tout en étant unie au corps, en demeure tout à fait distincte.

    Mais il y a cette différence que le soleil, étant un corps, et par conséquent circonscrit dans un certain espace, n’est pas partout où est sa lumière, de même que le feu demeure dans le bois ou dans la mèche de la lampe, comme renfermé dans un lieu; mais l’âme, étant incorporelle et ne souffrant pas de circonscription locale, est tout entière partout où est sa lumière, et il n’est pas de partie du corps illuminé par elle dans laquelle elle ne soit présente tout entière.

    Ce n’est pas le corps qui commande à l’âme; c’est l’âme, au contraire, qui commande au corps. Elle n’est pas dans le corps comme dans un vase ou dans une outre; c’est plutôt le corps qui est en elle.

    L’intelligible n’est donc pas emprisonné par le corps; il se répand dans toutes ses parties, il les pénètre, il les parcourt et ne saurait être renfermé dans un lieu: car en vertu de sa nature, il réside dans le monde intelligible; il n’a point de lieu que lui-même ou qu’un intelligible placé encore plus haut.

    C’est ainsi que l’âme est en elle-même quand elle raisonne, et dans l’intelligence lorsqu’elle se livre à la contemplation. Lors donc qu’on affirme que l’âme est dans le corps, on ne veut pas dire qu’elle y soit comme dans un lieu on entend seulement qu’elle est en rapport habituel avec lui, et qu’elle s’y trouve présente, comme nous disons que Dieu est en nous.

    Car nous pensons que l’âme est unie au corps, non pas d’une manière corporelle et locale, mais par son rapport habituel, son inclination et sa disposition, comme un amant est attaché à celle qu’il aime.

    D’ailleurs, l’affection de l’âme n’ayant ni étendue, ni pesanteur, ni parties, ne saurait être circonscrite par des limites locales. Dans quel lieu ce qui n’a point de parties peut-il être renfermé?

    Car le lieu et l’étendue corporelle sont inséparables : le lieu est l’espace limité dans lequel le contenant renferme le contenu.

    Mais si l’on disait: Mon âme est donc à Alexandrie, à Rome, et partout ailleurs; on parlerait encore de lieu sans y prendre garde, puisque être à Alexandrie, ou, en général, être quelque part, c’est être dans un lieu: or, l’âme n’est absolument en aucun lieu, elle peut seulement être en rapport avec quelque lieu, puisqu’il a été démontré qu’elle ne saurait être renfermée dans un lieu.

    Lors donc qu’un intelligible est en rapport avec un lieu, ou avec une chose qui se trouve dans un lieu, nous disons, d’une manière figurée, que cet intelligible est dans ce lieu, parce qu’il y tend par son activité; et nous prenons le lieu pour l’inclination ou pour l’activité qui l’y porte.

    Quand il faudrait dire: C’est là que l’âme agit; nous disons: Elle est là. »

    >Sommaire du dossier

  • Le dualisme du néoplatonisme : le « Dieu vivant »

    Le « Timée » n’aurait pas eu l’effet idéologique qu’il a eu s’il ne consistait qu’en un simple dualisme opposant le matériel et l’immatériel. On y trouve une « explication » particulièrement développée des niveaux d’interaction entre l’immatériel et le spirituel.

    Cette explication est la seule qui « tienne debout » sur le plan intellectuel, à défaut d’être juste ; elle sera reprise par toutes les religions. Le néo-platonisme consiste précisément en l’approfondissement de cette explication.

    Que dit Timée ? Déjà, et c’est un argument typique des néoplatoniciens, il précise systématiquement qu’il ne peut pas réellement expliquer les choses, en raison de la différence de nature entre matériel et immatériel.

    Il ne peut que faire des rapprochements, il ne peut procéder que par analogie, observant des similitudes, des ressemblances ; le matériel n’est qu’une forme en quelque sorte délavée, aplanie, dévitalisée de l’immatériel.

    Timée dit ainsi, par exemple :

    « Mais, quand il s’agit d’exprimer une copie de ce qui est immuable, comme ce n’est qu’une copie, par analogie avec elle, l’expression aussi ne doit être que vraisemblable. Ce que l’existence est à la génération, la vérité l’est à l’opinion. Tu ne seras donc pas étonné, Socrate, si, après que tant d’autres ont parlé diversement sur le même sujet, j’essaye de parler des dieux et de la formation du monde, sans pouvoir vous rendre mes pensées dans un langage parfaitement exact et sans aucune contradiction. »

    « Et si nos paroles n’ont pas plus d’invraisemblance que celles des autres, il faut s’en contenter et bien te rappeler que moi qui parle et vous qui jugez, nous sommes tous des hommes, et qu’il n’est permis d’exiger sur un pareil sujet que des récits vraisemblables. »

    « Mais, me renfermant dans la vraisemblance, comme je l’ai fait depuis le commencement de ce discours, je tâcherai d’émettre des opinions qui ne soient pas moins vraisemblables que celles des autres, et de traiter de nouveau mon sujet dans son ensemble et dans ses détails avec plus d’étendue qu’auparavant. »

    C’est là un des grands principes du mysticisme. La rationalité est considérée comme insuffisante à exprimer les choses. La raison en est que la réalité dont on peut parler n’est qu’un reflet d’une entité « unique » dont on ne peut, en fait, pas comprendre grand-chose, voire rien du tout, et encore moins, dans tous les cas, en parler.

    Étant donné que voir la réalité, c’est « fusionner » avec l’Un, il s’agit d’une expérience personnelle qu’on ne peut pas raconter à un autre, car parler à quelque d’autre relève du « multiple » alors que la fusion relève de « l’Un », de l’unité mystique.

    L’idée – à la base de toute religion, quelle que soit sa forme, jusqu’au new age – est que le monde n’est qu’une sorte de sous-niveau d’une super-entité divine. C’est un monisme matérialiste inversé, plus qu’un dualisme « tranquille » comme ce que les religions « sérieuses » préfèrent à mettre en avant, afin de ne pas se présenter comme trop « idéalistes » ou spiritualistes.

    Timée présente la réalité matérielle de la manière suivante : c’est un grand tout, une sorte de gigantesque être, composé de parties innombrables, consistant en une sorte de sphère.

    « Ainsi, il convient que ce qui doit être propre à recevoir dans toute son étendue des copies de tous les êtres éternels, soit dépourvu de toute forme par soi-même.

    En conséquence, cette mère du monde, ce réceptacle de tout ce qui est visible et perceptible par les sens, nous ne l’appellerons ni terre, ni air, ni feu, ni eau, ni rien de ce que ces corps ont formé, ni aucun des éléments dont ils sont sortis; mais nous ne nous tromperons pas en disant que c’est un certain être invisible, informe, contenant toutes choses en son sein, et recevant, d’une manière très obscure pour nous, la participation de l’être intelligible, un être, en un mot, très difficile à comprendre. »

    « Il [c’est-à-dire ici Dieu] polit toute la surface de ce globe,avec le plus grand soin par plusieurs raisons;  ce morde n’avait besoin ni d’yeux ni d’oreilles, parce qu’il ne restait en dehors rien à voir ni rien à entendre; il n’y avait pas non plus autour de lui d’air à respirer; il n’avait besoin d’aucun organe pour la nutrition, ni pour rejeter les aliments digérés ; car il n’y avait rien à rejeter ni rien à prendre.

    Non ; il est fait pour se nourrir de ses pertes propres, et toutes ses actions, toutes ses affections lui viennent de lui-même et s’y renferment; car l’auteur du monde estima qu’il vaudrait mieux que son ouvrage se suffit à lui-même, que d’avoir besoin de secours étranger.

    De même, il ne jugea pas nécessaire de lui faire des mains, parce qu’il n’y avait rien à saisir ni rien à repousser ; et il ne lui fit pas non plus de pieds, ni rien de ce qu’il faut pour la marche; mais il lui donna un mouvement propre à la forme de son corps, et qui, entre les sept mouvements, appartient principalement à l’esprit et à l’intelligence.

    Faisant tourner le monde constamment sur lui-même et sur un même point, Dieu lui imprima ainsi le mouvement de rotation, et lui ôta les six autres mouvements, ne voulant pas qu’il fût errant à leur gré. Le monde enfin, n’ayant pas besoin de pieds, pour exécuter ce mouvement de rotation, il le fit sans pieds et sans jambes. »

    C’est ici l’un des grands fondamentaux du mysticisme : nous sommes au sein d’une sorte de Dieu vivant. Timée distingue ainsi Dieu de Dieu : il y a le Dieu en tant qu’un suprême, tourné vers lui-même, et il y a le Dieu artisan, créateur, façonnant la réalité. C’est un Dieu vivant, inférieur au Dieu suprême.

    C’est le fondement même du néo-platonisme.

    Celui qui est en pratique un second « Dieu » pour ainsi dire est en fait ici un « démiurge », un artisan suprême façonnant le monde, et il utilise les mathématiques. Timée explique longuement cette conception pythagoricienne, où Dieu jongle en quelque sorte avec les chiffres.

    Voici un exemple, relativement compréhensible, de cette perspective.

    « Voici comment il opéra cette division : d’abord il ôta du tout une partie, puis une seconde partie double de la première, une troisième valant une fois et demie la seconde et trois fois la première, une quatrième double de la seconde, une cinquième triple de la troisième, une sixième octuple de la première, une septième valant la première vingt-sept fois.

    Cela fait, il remplit les intervalles doubles et triples, en enlevant au tout encore d’autres parties qu’il plaça de manière à ce qu’il y eût dans chaque intervalle deux moyennes, dont la première surpasse un de ses extrêmes et est surpassée par l’autre d’une même partie de chacun d’eux, et dont la seconde surpasse un de ses extrêmes et est surpassée par l’autre d’un nombre égal. »

    Cette construction d’un Dieu à deux étages pour ainsi dire était là le prix à payer pour justifier l’existence de la réalité par un Dieu suprême qui, par définition, n’a besoin de rien. Voici comment Timée présente le processus de naissance du Démiurge :

    « C’est ainsi que le Dieu, qui existe de tout temps, avait conçu le Dieu qui devait naître; il le polit, l’arrondit de tous côtés, plaça ses extrémités à égale distance du centre, en forma un tout, un corps parfait, composé de tous les corps parfaits ; puis il mit l’âme au milieu, l’épandit partout, en enveloppa le corps ; et ainsi il fit un globe tournant sur lui-même, un monde unique, solitaire, se suffisant par sa propre vertu, n’ayant besoin de rien autre que soi, se connaissant et s’aimant lui-même.

    De cette manière il produisit un Dieu bienheureux. »

    >Sommaire du dossier

  • Le néoplatonisme et le «Timée» de Platon

    Le « Timée » est l’œuvre de Platon dont le succès fut le plus retentissant après l’effondrement d’Athènes ; durant l’obscur Moyen-Âge européen, il sera l’unique œuvre connue réellement qui soit issue de l’antiquité gréco-romaine, et son influence sera énorme.

    La raison en est que c’est une œuvre profondément mystique. Normalement, Platon œuvre à régénérer Athènes, et ce sur une base élitiste au possible ; son mysticisme est secondaire, visant à justifier l’élitisme. La disparition de cet élitisme, dû à l’effondrement du mode de production esclavagiste, a amené la récupération de son idéalisme.

    Le « Timée » étant l’œuvre la plus mystique de toutes celles connues, il fut à ce titre utilisé massivement par les différents mysticismes, principalement le néo-platonisme. Il faut bien noter ici que, naturellement, le néo-platonisme trouve dans le « Timée » des choses bien différentes de ce que Platon mettait en avant comme principal.

    Platon, en effet, fait parler dans le « Timée » la figure éponyme qu’est Timée de Locres : c’est un pythagoricien, croyant que « Dieu » a créé le monde au moyen de nombres, et que par conséquent il existe une harmonie des chiffres dans l’Univers.

    Au début de l’œuvre, il est fait un bref rappel de la nécessité d’une société organisée en castes, avec une collectivisation des efforts et une division élitiste du travail. Voici un exemple de comment Platon envisage son ordre social, de type aristocratique-militaire, avec les mariages tirés au sort, etc.

    « Puis il a été dit que nos guerriers ainsi élevés devaient s’estimer comme n’ayant en propre ni or ni argent ni aucun autre bien, mais que, recevant de ceux qu’ils défendent un salaire de leur protection suffisant à des hommes tempérants, ils doivent le dépenser en commun, vivre et manger ensemble, tout occupés du soin de la vertu, et libres de tous autres soucis. »

    Puis, Timée explique l’origine de l’Univers – le but étant bien sûr de légitimer l’ordre social proposé à l’initial. De manière plus ou moins délirante – au point que les chercheurs universitaires bourgeois affirment parfois que ce serait de « l’humour » afin de masquer cela – Timée explique l’origine du corps humain, de ses parties, du foie, des mains, des pieds, etc.

    De manière par contre beaucoup plus intéressante, on trouve aussi une réflexion cosmologique, sur la nature de l’Univers. C’est précisément cela qui va intéresser le néo-platonisme, les élucubrations sur les parties du corps, voire sur les nombres, étant passées à la trappe.

    Timée imagine un Dieu qui est totalement indépendant, qui produit indirectement un Dieu qui, lui, va donner naissance au monde.

    Voici les mots employés par Timée tout à la fin de l’œuvre :

    « Plaçons ici le terme de notre discours sur l’univers. Ainsi a été formé cet univers qui comprend tous les animaux mortels et immortels et en est rempli, animal visible renfermant tous les animaux visibles, Dieu sensible, image du Dieu intelligible, très grand et très bon, d’une beauté et d’une perfection accomplies, monde unique et d’une seule nature. »

    Ce que raconte en fait Timée dans l’œuvre de Platon, c’est la théorie idéaliste selon laquelle la « vraie » réalité ne serait pas matérielle. On retrouve ici le principe commun à toutes les religions, mais développée pour ainsi dire de manière « pure », uniquement théorique. Les thèses qu’on a ici sont retrouvables, sous différentes formes, dans toutes les religions.

    La conception que l’on trouve dans le Timée est la suivante : c’est en quelque sorte le principe des poupées russes. Dieu est un grand tout, sans limites et sans bornes, qui n’a ni début ni fin, qui est toujours le même. C’est le grand « 1 » , unique, toujours pareil.

    Or, nous voyons que sur notre planète tout naît et périt ; le monde est « visible, tangible et corporel ». On saisit notre environnement, par les sens et non par l’intelligence, alors forcément il y a une origine à cela, ce monde né ayant comme source quelque chose qui n’est pas né.

    Le monde est alors une sorte de reflet de quelque chose de parfait, ce parfait étant immatériel, le monde matériel étant une copie imparfaite, justement parce que matériel. Timée explique :

    « Le monde a donc été formé d’après un modèle intelligible, raisonnable et toujours le même ; d’où il suit, par une conséquence nécessaire, que le monde est une copie. »

    « En conséquence il mit l’intelligence dans l’âme, l’âme dans le corps, et il organisa l’univers de manière à ce qu’il fût, par sa constitution même, l’ouvrage le plus beau et le plus parfait. Ainsi, on doit admettre comme vraisemblable que ce monde est un animal véritablement doué d’une âme et d’une intelligence par la Providence divine. »

    « Dieu, voulant faire le monde semblable à ce qu’il y a de plus beau et de plus parfait parmi les choses intelligibles, en fit un animal visible, un et renfermant en lui tous les autres animaux, comme étant de la même nature que lui. »

    « Dieu donna au monde la forme la plus convenable et la plus appropriée à sa nature ; or la forme la plus convenable à l’animal qui devait renfermer en soi tous les autres animaux ne pouvait être que celle qui renferme en elle toutes les autres formes. C’est pourquoi, jugeant le semblable infiniment plus beau que le dissemblable, il donna au monde la forme sphérique, ayant partout les extrémités également distantes du centre, ce qui est la forme la plus parfaite et la plus semblable à elle-même. »

    C’est la même conception que celle, très connue, de l’allégorie de la caverne de Platon, avec une insistance ouverte par contre sur le caractère lié au divin d’une humanité devant retourner à la source, car elle en porterait une certaine pureté.

    >Sommaire du dossier

  • Le dualisme du néoplatonisme : introduction

    Lorsque Platon et Aristote firent irruption sur la scène de l’Histoire, la cité-État d’Athènes était déjà profondément affaiblie. Sa concurrence avec Sparte avait épuisé les deux protagonistes, permettant à la Macédoine de finalement prendre le dessus. L’échec d’Alexandre le Grand à établir un empire macédonien dans la durée permit alors à Rome de former son propre empire, qui finit par vaciller sous son propre poids, ses propres contradictions.

    On est là dans le contexte de l’effondrement du mode de production esclavagiste. Étaient remis en cause des décennies, des siècles, voire un, deux, trois millénaires de traditions, de psychologie, de mentalités.

    Dans ce contexte, les mysticismes fleurirent. D’innombrables formes religieuses se développèrent, se mélangèrent, se divisèrent. Elles exprimaient des traditions tribales, pré-nationales, autant que des questions « philosophiques » à prétention scientifiques.

    Cependant, elles étaient surtout portées par la naissance d’un nouveau mode de production : elles assumaient la dignité individuelle universelle, ainsi que la reconnaissance de la communauté organisée et solidaire de ses membres.

    Plus personne ne doit être esclave, tout comme chaque individu existe en tant que tel, avec des droits élémentaires, avec la reconnaissance de sa personnalité propre. Bien entendu, cela se déroule dans un processus long et douloureux : le monde féodal a mis du temps à s’extirper du mode de production esclavagiste.

    Dans ce cadre, le « néo-platonisme » a joué un rôle essentiel, en tant que dispositif théorique, culturel, idéologique, de forme à la fois philosophique et religieuse.

    Les mysticismes s’élançant parallèlement à l’effondrement de Rome possédaient le plus souvent un dénominateur commun : ils en appelaient à une figure divine ayant donné naissance au monde et justifiant par là les tentatives d’établir des lois sociales, morales, voire scientifiques pour les situations les plus stables (comme dans le cas du monde arabo-persan avec l’Islam, avec l’apparition de la falsafa).

    Le christianisme fut le plus puissant de ces courants. Toutefois, dans le cadre des restes de la culture grecque, le néo-platonisme s’est parallèlement maintenu, s’approfondissant avant de littéralement fusionner avec le christianisme. Comprendre, de fait, le christianisme, tout comme le judaïsme ou encore l’Islam, est absolument impossible sans étudier sa base théorique portée historiquement par le néo-platonisme.

    Le projet de Platon était initialement politique ; il s’agissait de régénérer Athènes au moyen d’une idéologie élitiste et purement idéaliste. La cité devait, comme dans l’ouvrage connu en France sous le nom de « République », être organisée en castes, selon un modèle hiérarchique correspondant à ce qui serait divin.

    Les néo-platoniciens étaient à mille lieux de cette démarche. Ils étaient des individus dispersés, dans des sociétés en proie à une profonde insécurité : les cités-États avaient failli, le plus puissant empire qu’était Rome se voyait ébranlé par la faillite économique, les révoltes d’esclaves, les agressions barbares.

    La fuite dans la quête du divin correspondait à un état désordonné des sociétés ; pour cette raison, l’idéalisme de Platon fut très apprécié, purgé de ses prétentions politiques et résumé en un mysticisme absolu, amenant l’émergence d’un « néo-platonisme » aux conceptions « magiques ».

    Mysticisme religieux, le néo-platonisme côtoyait le christianisme qui se répandait parallèlement, portant la négation de l’esclavagisme. Alors, à l’ancienne aristocratie dominant en pratique la philosophie grecque, succédait une aristocratie intellectuelle dominant en théorie, à travers la figure de l’ascète, du mystique, du magicien.

    >Sommaire du dossier

  • Brigades Rouges: Les vingt thèses finales

    Tiré de L’ape e il comunista – l’abeille et le communiste – qui est le document le plus approfondi des Brigades Rouges, écrit par le Collectif des prisonniers révolutionnaires des Brigades Rouges et publié en décembre 1980. 

    DÉSARTICULER L’ETAT !

    CONSTRUIRE LE PARTI COMMUNISTE COMBATTANT ET LES ORGANISMES RÉVOLUTIONNAIRES DE MASSE !

    CONQUÉRIR LES MASSES À LA LUTTE ARMEE POUR LE COMMUNISME !

    Nous sommes les dirigeants et les organisateurs de la guerre révolutionnaire et également les dirigeants et les organisateurs de la vie des masses. Nos deux devoirs sont : organiser la guerre révolutionnaire et améliorer les conditions de vie des masses.

    MAO ZEDONG

    1. L’actuelle conjoncture politique se trouve entre deux phases : nous ne sommes plus dans la phase de la propagande armée et pas encore dans celle de la guerre civile. Il s’agit ainsi d’une conjoncture de transition.

    Nous devons accorder une grande attention aux particularités et aux contradictions caractérisant cette conjoncture et ne pas sous-estimer le fait que la transition de l’une à l’autre peut également être prolongé dans le temps.

    Cette conjoncture de transition dépend de fait tant de l’évolution structurelle de la crise capitaliste/impérialiste, que de la capacité subjective du prolétariat métropolitain à se constituer en Parti Combattant et de condenser son antagonisme en un Système du Pouvoir Révolutionnaire, autonome, articulé et diffus dans tous les secteurs de la classe et dans tous les pôles.

    Le problème central de l’actuelle conjoncture est la conquête des masses à la lutte armée, et cela pose en premier lieu la question des Organismes Révolutionnaires de masses.

    2. Les organismes révolutionnaires de masses sont sortis et sortiront en conséquent du devenir objective de la crise – restructuration – internationalisation du capitalisme, qui modifie la composition de la classe et qui pousse des secteurs spécifiques du prolétariat métropolitain à vivre de manière toujours plus accentuée un rapport antagonique avec le mode de production et avec l’État.

    De l’autre côté, à ce mouvement objectif s’est entrelacé l’initiative de la Propagande armée qu’ont incessamment développé dans la dernière décennie les Organisations Communistes Combattantes afin d’enraciner dans le prolétariat la conscience de la nécessité et de la possibilité de la révolution communiste dans la métropole impérialiste.

    Aujourd’hui, cette initiative n’est plus adéquate aux nouvelles conditions objectives et suggestives, et l’avant-garde politico-militaire, pour correspondre à la fonction qui est la sienne, doit obtenir la position d’organiser et de diriger d’entiers secteurs et couches de la classe sur le terrain de la lutte armée pour le communisme.

    Le saut qualitatif, de l’Organisation Communiste Combattante au Parti, se déroule sur ce plan et pas tant dans la confrontation directe entre organisations. Ou, plus précisément, cette confrontation de lignes politiques doit s’immerger et vivre en premier lieu à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse que se donne le prolétariat métropolitain se donne pour exprimer ses intérêts, ses besoins, ses aspirations qui lui sont propres, son pouvoir.

    Il doit être compris que si notre organisation n’a pas jusqu’à aujourd’hui réalisé le saut au Parti, cela ne doit pas être ramené au fait que n’a pas été construite, à travers une confrontation directe, l’unité avec les autres formations de guérilla, confrontation qui dans des formes diverses et contradictoires s’est toujours poursuivie.

    La cause profonde est à rechercher dans le développement encore embryonnaire des conditions objectives et subjectives du processus révolutionnaire, qui ne permet pas le « saut » de l’avant-garde politico-militaire, qui stabilise essentiellement un rapport de « propagande » avec les masses, à l’avant-garde politico-militaire organique, qui dirige, organise la lutte politique et militaire des couches de la classe.

    Forcer cette situation serait du pur volontarisme. Une telle possibilité se situe dans l’actuelle phase de transition. En fait, la construction du Parti Communiste Combattant procède ensemble, s’interpénètre avec le processus de l’organisation des masses sur le terrain de la lutte armée, et il ne peut pas y avoir l’un sans l’autre.

    3. Le Travail de Masse de notre organisation, toutefois, ne doit pas s’épuiser à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse.

    La complexité du prolétariat métropolitain requière que notre initiative s’accomplisse dans de multiples formes politiques, organisationnelles, militaires, idéologiques, théoriques, afin d’atteindre et de lier à soi tous les éléments communistes, de consolider sa présence d’avant-garde à tous les niveaux, de renforcer nos structures, d’étendre nos ramifications complexes dans tous les secteurs du prolétariat métropolitain.

    4. Ces dernières années, il y a eu l’organisation d’une aire de comportements antagoniques, que nous avons appelé le Mouvement Prolétarien de Résistance Offensive.

    Ces comportements, sans les réduire à cela, ont assumé diverses formes d’organisations politico-militaires, et une dialectique incertaine les lie aux Organisations Communistes Combattantes davantage consolidées.

    Dans l’actuelle conjoncture, nous ne pouvons nous limiter à constater cette hétérogénéité magmatique, mais nous devons multiplier nos efforts pour saisir quelles sont les tendances destinées à grandir et quelles sont condamnées à périr.

    Les critères qui permettent d’effectuer un tel bilan de l’expérience sont ceux que nous avons toujours adopté dans toute notre histoire : tout ce qui exprime le mouvement réel de la classe, même partiellement, tout ce qui est suscité par les profondes causes objectives, est le nouveau qui croît et se renforce ; au contraire, les initiatives des groupes déracinés, quelques formes qu’ils assument, en tant que c’est volontariste et subjectif, ne réussiront en aucun cas à s’alimenter à résister dans les nouvelles conditions.

    Le travail de masse de l’Organisation ne doit pas négliger une telle dialectique, si il ne veut pas aplatir le Mouvement Prolétarien de Résistance Offensive à une totalité homogène, privée de contradictions, de vie.

    Il doit aider le nouveau à grandir et le vieux à mourir.

    5. Comment est-ce que doit être entendu le travail de masse de l’Organisation à l’intérieur des organismes de masse révolutionnaires, qui expriment les mouvements de classe réels, même si partiellement, ou, plus généralement, à l’intérieur des couches prolétariennes qui incubent des niveaux de conscience révolutionnaire ou qui manifestent des comportements antagoniques, même si encore à un stade embryonnaire ?

    En premier lieu, il convient de préciser que les organismes de masse révolutionnaires ne doivent pas être compris comme des « organismes du parti » ou des « courroies de transmission », mais comme des instruments du pouvoir des masses à l’intérieur duquel le Parti travaille ensemble avec les militants révolutionnaires et les autres éléments les plus avancés et les plus combatifs de la classe.

    On doit toujours avoir en vue que la guerre civile est la guerre que le prolétariat révolutionnaire déchaîne pour conquérir le pouvoir et affirmer sa dictature. Il ne s’agit pas d’une « guerre communiste » ni d’une « dictature communiste ». Les communistes luttent non pas pour pour s’affirmer comme « Parti », mais pour affirmer les intérêts du prolétariat et de sa dictature.

    Lénine dit :

    « Une des erreurs les plus grandes et les plus dangereuses que commettent les communistes, c’est de se figurer que la révolution peut être accomplie par les mains des seuls révolutionnaires. L’avant-garde ne remplit sa mission que lorsqu’elle sait ne pas se détacher de la masse qu’elle dirige, lorsqu’elle sait véritablement faire progresser toute la masse. »

    Les organismes de masse révolutionnaire, autrement dit, sont les organismes politico-militaires de combat que les prolétaires se donnent à partir de leurs besoins réels et immédiats. Le caractère politico-militaire prend son origine du fait que la crise politique et économique de notre formation sociale a rejoint le point que même la lutte pour les objectifs immédiats entrent en contradiction ouverte avec le processus de restructuration que la bourgeoisie impérialiste tente d’importer par tous les moyens.

    La lutte avec laquelle les prolétaires tissent leurs besoins immédiats se trouvent immédiatement en contrepoint à la résistance de l’État, qui intervient avec tous ses appareils, syndicaux, politiques, manipulatoires, policiers…, pour neutraliser et écraser.

    D’où la nécessité, pour chaque lutte prolétaire qui entend affirmer les besoins vitaux des masses, d’assumer un caractère de pouvoir, et de réaliser une synthèse entre les raisons économiques et les conditions politico-militaires qui ne consentent pas à la satisfaction.

    Certes, une telle tendance se manifeste encore de manière contradictoire, mais c’est justement de ce caractère contradictoire du réel que l’Organisation doit partir pour « exister comme Parti », croître et continuer à exercer sa fonction d’avant-garde politico-militaire.

    Outre le travail de l’organisation des masses dans les organismes de masse révolutionnaires, le Parti effectue également un travail direct « en tant que tel » au sein des masses, avec comme finalité de les radicaliser et de les renforcer à être elles-mêmes.

    C’est un travail avec les éléments les plus avancés et les plus combatifs du prolétariat qui partagent le programme pour la construction des organisations « de masse » du Parti, du maillage pour assumer diverses tâches : de la propagande à l’appui logistique, de l’infiltration de l’ennemi au recrutement.

    Le « saut » au Parti se définit aujourd’hui dans la capacité pratique de faire émerger le général du particulier et de faire vivre le général du particulier.

    Construire le Parti communiste combattant et les organisations permanentes du pouvoir des masses ne sont pas deux processus séparés dans l’espace et le temps, mais deux faces du même problème : la consolidation du Système du Pouvoir Rouge.

    6. Cela introduit une autre question : la Ligne de Masses de l’Organisation, à savoir la question du Programme de Transition au Communisme, de ses Formes Conjoncturelles et de ses Formes Immédiates.

    Sans un Programme de Transition au Communisme, qui explique les objectifs sociaux de la guerre, il n’est pas possible de localiser toutes les composantes prolétariennes qui y sont objectivement intéressés.

    Ce programme, d’autre part, ne naît pas de rien, mais de dix années de luttes prolétariennes, de critique pratique et radicale de l’usine et de la formation sociale capitaliste, il dispose de grandes lignes qui ont été esquissées dans son contenu essentiel, que nous pouvons résumer ainsi :

    – réduction du temps de travail : travailler tous, travailler moins ; libération massive du temps social et construction des conditions sociales pour son utilisation évoluée ;

    – recomposition du travail manuel et du travail intellectuel, de l’étude et du travail, pour chaque individu et pour tout son temps de vie ;

    – renversement de l’exercice du pouvoir et des flux de conception de la finalité collective, à tous les niveaux de la vie sociale :

    – restructuration de la production, du rapport homme-nature, sur la base des valeurs d’usage collectivement définis et historiquement possibles ;

    – remise à plat de notre formation sociale suivant les principes d’un internationalisme prolétarien effectif.

    Les conditions d’un tel programme est le dépassement des rapports capitalistes de production, de la production fondée sur la valeur d’échange.

    Il n’y aucun rapport avec l’utopie. Il s’agit ici d’un programme qui, comme le dirait Marx, « ne laissent pas intacts les fondements de la maison », étant déjà entièrement mûri quant à ses fondements.

    Il s’agit d’un programme continuellement amené des luttes des sujets prolétaires les plus conscients, qui rompent violemment avec les tendances immanentes et conservatrices du développement capitaliste et se placent de manière antagonique avec l’État.

    Il s’agit malgré tout d’un programme incomplet qui recherche dans la lutte révolutionnaire son identité la plus mature. La croissance du pouvoir prolétarien coïncide avec cette recherche et il revient à toutes les organisations révolutionnaires de le faire progresser. C’est la tâche décisive du fait d’agir en tant que Parti dans cette conjoncture !

    C’est une tâche difficile, parce qu’il s’agit de recomposer le prolétariat métropolitain en une entité unitaire de transformation sociale, il faut garder les yeux ouverts sur la multiplicité présente des figures le composant et qui historiquement ont construit des parcours séparés, voire même des « identités » séparées.

    Cela doit être qui plus est traduit, pas à pas, en un Programme Politique Générale de Conjoncture interne, faisant grandir les conditions subjectives et les niveaux organisationnels nécessaires, dans la prospective du passage à la Guerre Civile Anti-impérialiste de Longe Durée.

    La lutte révolutionnaire est fait en même temps contre l’État impérialiste et le mode de production qu’il défend, et pour le communisme.

    Un Programme Politique condensant les aspirations fondamentales et s’articulant par rapport aux secteurs variés du prolétariat métropolitain est ainsi un programme de destruction et de construction.

    Comme l’affirme Mao Zedong :

    « Sans destruction, pas de construction. Détruire signifie critiquer, signifie faire la révolution. Pour la destruction, il est nécessaire de raisonner; raisonner c’est construire. La destruction venant en premier lieu, elle sera tout naturellement accompagnée de la construction. »

    La mise au point d’un programme politique général de conjoncture pour la transition à la guerre civile est indispensable afin de consentir à l’initiative « du Parti » dans chaque secteur spécifique du prolétariat métropolitain visant à les articuler de manière homogène dans un programme politique immédiat et par là unir les masses dans un dessein stratégique unitaire, dans un projet commun de construction du Pouvoir Rouge.

    Le programme politique général doit synthétiser, avec des mots d’ordre efficaces et clairs, la contradiction principale dans la présente conjoncture, sur laquelle est portée toute la force concentrée du Parti, des organismes révolutionnaires de masse et du mouvement des masses révolutionnaires.

    Le programme politique immédiat doit plutôt individuer les aspects spécifiques, particulier, que la contradiction principale assume pour chacun des secteurs du prolétariat métropolitain.

    La relation entre le Programme Général et le Programme Immédiat n’est pas celle d’une séparation, mais vit plutôt une dialectique précise. Cela signifie que, conjoncture après conjoncture, le premier vit sa réalisation et sa concrétisation dans le second, aussi bien que dans la pratique directe du Parti, des organismes révolutionnaires de masse et du mouvement des masses révolutionnaires.

    Le programme immédiat n’est pas, comme l’imaginent les spontanéistes, la représentation immédiate des intérêts les plus urgents que chaque secteur prolétarien a la nécessité de résoudre. Cela exprime plutôt les intérêts réels, stratégiques, que les rapports de pouvoir conquis consentent à mettre à l’ordre du jour.

    Ce n’est pas non plus comme l’imaginent les économiques une plate-forme revendicative. En d’autres termes, le programme immédiat ne privilégie aucunement la lutte économique, la résistance aux capitalistes pour dire comme Engels, à la lutte politique, lutte qui a comme objectif spécifique le pouvoir politique, le pouvoir d’État.

    Marx et Lénine se sont exprimés clairement à ce sujet :

    « Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour but final la conquête du pouvoir politique pour elle, et pour cela est naturellement nécessaire une organisation préalable de la classe ouvrière, organisation ayant atteint un certain point de son développement et issue directement de ses luttes économiques. » [Karl Marx, Lettre à F. Bolte, 23 novembre 1871]

    Et Lénine d’ajouter :

    « Il ne suffit pas de dire que la lutte des classes devient réel, conséquente, développée, seulement quand elle embrasse le champ politique… Le marxisme reconnaît que la lutte de classe est complètement mature, « nationale », seulement non seulement elle embrasse la politique, mais de la politique l’élément essentiel : la structure du pouvoir d’État. »

    Il est encore un point qu’il est bien d’éclaircir : celui sur le rapport entre la lutte économique et la lutte politique. Tous les économistes ont toujours effectué une grande confusion à ce sujet, dérivant directement de l’économie la politique de la classe. Mais la lutte politique n’est pas, comme l’a dit Lénine, seulement une « forme plus développée, ample et active de la lutte économique.

    Elle a un objectif spécifique : l’État.

    Il ne s’agit pas non plus de « donner à la lutte économique un caractère politique » mais d’affirmer le primat de la lutte politique sur la lutte économique. Cela veut dire, hier comme aujourd’hui, que « les intérêts essentiels, décisifs, de la classe, ne peuvent seulement solidifiés par la transformation politique radicale ».

    Marx encore une fois :

    « …tout mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose aux classes dominantes en tant que classe et cherche à les contraindre par la pression de l’extérieur est un mouvement politique.

    Par exemple, la tentative de forcer des capitalistes, au moyen de grèves, etc., dans telle ou telle usine ou branche d’industrie, à réduire le temps de travail, est un mouvement purement économique ; au contraire, le mouvement ayant pour but de faire édicter une loi des huit heures, etc., est un mouvement politique.

    Et c’est ainsi que partout les mouvements économiques isolés des ouvriers donnent naissance à un mouvement politique, c’est-à-dire un mouvement de la classe pour réaliser ses intérêts sous une forme générale, une forme qui possède une force générale socialement contraignante.

    Si ces mouvements supposent une certaine organisation préalable, ils sont tout autant à leur tour des moyens de développer cette organisation.

    Là où la classe ouvrière n’est pas encore allée assez avant dans son organisation pour entreprendre une campagne décisive contre la force collective, c’est-à-dire la force politique des classes dominantes, elle doit en tout cas être éduquée en vue de cela par une agitation continue contre l’attitude hostile à notre égard qu’observent en politique les classes dominantes.

    Dans le cas contraire, elle reste aux mains de celles-là une balle à jouer. » [Karl Marx, Lettre à F. Bolte, 23 novembre 1871]

    Le programme politique immédiat doit être compris comme Programme de Pouvoir qui exprime un rapport de pouvoir, qui a comme objectif le pouvoir étatique.

    Pour cela, elle constitue l’esprit révolutionnaire qui fait vivre l’organisation du pouvoir de la classe, les Organismes Révolutionnaires de Masse, outre la contingence, outre l’immédiat, outre la partialité, se mouvant entre la dialectique décisive entre révolution et contre-révolution.

    7. Dans cette conjoncture de transition, la caractéristique dominante du programme politique général est la conquête des masses à la lutte armée et leur organisation sur ce terrain, les deux étant des conditions essentielles pour le passage à la phase de la guerre civile général.

    Ce passage n’apparaît pas comme objectivement possible sans que soient patiemment formés tous les instruments organisationnels que la situation requiert. C’est-à-dire tant que le prolétariat métropolitain n’a pas conquis la capacité politico-militaire de manifester sa force dans un mode unitaire, mais également dans ses formes multiples que sa structure complexe revendique.

    Le système du Pouvoir Prolétaire est justement la manifestation organisée, autonome et offensive de cette unité du multiple.

    La croissance du pouvoir rouge dans la métropole impérialiste s’opère à partir de trois points décisifs, qui définissent par là leur originalité historique respective, par exemple par rapport aux expériences soviétique et chinoise.

    A. Il s’est consolidé dans les lieux de condensation maximum du pouvoir ennemi, comme sa négation antagonique organisée. Il n’a pas de territoire libéré particulier, parce qu’il fait face à l’ennemi à l’intérieur de son propre territoire et dans ses propres institutions : dans les usines capitalistes, dans les quartiers, dans les prisons, dans l’école.

    Il n’est pas « légal », mais tire sa légitimité du consensus que son action collecte dans les masses prolétaires.

    B. Il se manifeste sous la forme de bases rouges invisibles, des réseaux clandestins de masses, qui agissent dans les centres vitaux de la formation sociale capitaliste, assument l’ensemble des devoirs requis d’une révolution prolétaire qui veut être social, et qui investissent tous les rapports sociaux, à partir de celui de la production, qui est fondamental.

    Tandis qu’il attaque, use, désarticule et brise l’appareil d’État existant, il construit les institutions stables de la dictature du prolétariat, de l’État prolétarien, et exerce cette dictature dans les formes théorique, politique, coercitive de manière toujours plus décisive et étendue.

    C. Le pouvoir rouge est donc processus, rapport, système.

    Processus, parce que dans la destruction du pouvoir ennemi il construit et se renforce lui-même.

    Rapport, parce qu’il existe seulement en tant que négation/destruction vivante de l’État impérialiste et du mode de production que celui-ci garantit.

    Système, parce que de manière interne il se stratifie, dans une dialectique articulée et complexe, de multiples niveaux de conscience et d’organisation, expression des figures multiples qui forme le prolétariat métropolitain ainsi que de leur histoire.

    Le système du pouvoir rouge est de fait la manifestation organisée, autonome, articulée et offensive de cette « unité du multiple » et ne soutient pas la réduction unilatérale à l’une ou l’autre de ses composantes essentielles, qui sont : le Parti Communiste Combattant en formation, les organismes révolutionnaires de masse, le mouvement des masses révolutionnaires.

    Il ne soutient pas, en outre, la séparation entre le « politique » et le « militaire » de quelque forme que ce soit, parce que le contenu et la forme, dans la guerre de classe prolétarienne de longue durée pour le communisme, coïncident.

    La défense de ce principe essentiel, dans chaque phase de la lutte révolutionnaire et dans chaque organe du système du pouvoir rouge, constitue une condition de classe à laquelle on ne peut nullement renoncer pour la victoire.

    Encore à critiquer est la thèse qui soutient que le système du pouvoir prolétaire se construit de lui-même et non pas plutôt dans le rapport au pouvoir ennemi, le pouvoir de la bourgeoisie.

    En substance, cette thèse nie que le lieu de fondation du pouvoir réside dans le camp de la pratique des classes en lutte. Elle ne comprend pas que le pouvoir est un rapport de force entre les classes, ou dit de manière meilleure, un ensemble de rapports qui sont reliés dialectiquement, à tous les niveaux de la formation sociale capitaliste, les classes sociales dans leurs intérêts antagoniques.

    Un pouvoir prolétaire « séparé », « indépendant » du pouvoir de la bourgeoisie n’existe à aucun niveau, ni économique, ni idéologique et encore moins politique. Le pouvoir d’une classe est en fait sa capacité de réaliser ses propres intérêts spécifiques à l’intérieur du rapport de domination et de subordination qui est déterminée et duquel elle est déterminée. Le pouvoir de la classe est donc l’ensemble des pratiques organisées qu’elle sait développer dans le rapport avec les autres classes, pour affirmer et imposer ses intérêts.

    Les pratiques organisées pour réaliser les intérêts économiques, politiques, idéologiques.

    Les pratiques organisées contre les autres pratiques organisées pour nier ces intérêts et pour en imposer d’autres.

    C’est en cela que consiste l’essence de la guerre de classe et c’est pour cela qu’elle définit comme ses sujets d’un côté l’État, qui est le « centre d’exercice du pouvoir » politique, militaire et également toujours plus idéologique et économique, de la bourgeoisie impérialiste ; de l’autre le Système du Pouvoir Rouge.

    Construire le pouvoir prolétarien veut dire lutter contre le pouvoir de la classe adverse. Hors de cette relation, dans la société capitaliste métropolitaine, il n’y a pas pour le prolétariat aucune pratique de pouvoir qui peut effectivement aboutir à la libération.

    C’est dans l’attaque au cœur de l’État que s’ouvre l’horizon de ses intérêts de classe, fondant toujours plus pleinement son programme politique général, renforçant et étendant son autonomie.

    8.Les organismes révolutionnaires de masse, parce qu’ils sont la manifestation du pouvoir prolétarien, expriment une légalité en tant que telle, qui se place directement face à la « légalité démocratique ».

    Dans un tel état de choses, la « défense de la légalité bourgeoise » vient à être définitivement exclue de la perspective du prolétariat métropolitain.

    En d’autres termes, les organismes révolutionnaires de masse s’auto-légalisent en exerçant et en imposant leur force organisée.

    Le concept de « clandestinité de masse » se pose donc en référence aux forces au moyen duquel s’exprime cette légalité prolétaire.

    Si d’une part, en fait, les organismes révolutionnaires de masse doivent exister de manière clandestine, afin de se protéger des attaques de l’État et de s’assurer les meilleures conditions d’attaques, de l’autre côté ils imposent, avec leur propre offensive politico-militaire, un rapport de force et par conséquent une légalité révolutionnaire propre, forçant aussi l’ennemi à des niveaux de clandestinité proportionnels à leur force.

    9. L’Organisation, dans son travail de masse à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse, doit éviter deux déviations toujours menaçantes, qui sont :

    – la non prise en considération du caractère dynamique de ces organismes, à savoir ne pas voir que la direction de leur développement est celle définie dans la phase successive, suivant la guerre civile anti-impérialiste déployée (déviation économiste) ;

    – la confusion entre la conjoncture de transition et la phase non encore mature de la guerre civile, ce qui contient une sous-évaluation des caractéristiques dominantes du Programme Politique Générale aujourd’hui (conquête des masses pour la lutte armée) et une interprétation subjective et aventuriste des actuels organismes révolutionnaires de masse comme éléments déjà opérants de l’armée rouge (déviation militariste).

    10. La définition de nos tâches actuelles ne peut cependant pas être clivée par la définition des caractéristiques dominantes des phases successives, étant donné que notre conjoncture est celle d’une transition.

    Dans la guerre civile anti-impérialiste, la caractéristique dominante du Programme Politique Générale sera l’anéantissement des forces politico-militaires de l’ennemi et la conquête du pouvoir politique.

    La fonction dominante des organismes révolutionnaires de masse dans la phase de la guerre civile anti-impérialiste sera de ce fait celle de l’Armée Rouge.

    Définir les organismes révolutionnaires de masse, dans l’actuelle conjoncture de transition, comme éléments en formation de l’armée rouge, c’est souligner le caractère dynamique de ces organismes politico-militaires du pouvoir prolétarien et la tendance objective qui caractérise le mouvement politique de la classe dans notre époque, qui est celle de la tendance à la guerre civile.

    11. DESARTICULER L’ETAT IMPERIALISTE

    Dans la Résolution de la direction stratégique des Brigades Rouges de février 1978, il est déclaré que :

    « Le principe tactique de la guérilla dans cette conjoncture est la désarticulation des forces de l’ennemi.

    Désarticuler les forces de l’ennemi signifie porter une attaque dont l’objectif principal est encore celui de mener la propagande pour la lutte armée et sa nécessité, mais avec le principe tactique de la phase suivante commençant déjà – la destruction des forces de l’ennemi.

    Une telle attaque doit propager la ligne politique de l’avant-garde politico-militaire et en même temps désarticuler la nouvelle forme que l’État impérialiste va assumer ».

    Les nouvelles tâches imposent un approfondissement de cette thèse.

    Soutenir que l’aspect principale de l’initiative guérillera dans la conjoncture actuelle de transition est encore la propagande armée, ne signifie poser des limites d’intensité et de forme aux attaques armées.

    Cela signifie plutôt dire que la cible de ces attaques – pour sa fonction objective dans les appareils de la contre-révolution impérialiste, pour la particularisation et la précision de son choix, pour son contenu symbolique, pour la résonance avec les attentes de larges couches du prolétariat – doit prêter à la clarification, avec le maximum de limpidité, le Programme Politique Général.

    Mais cela n’est pas le seul aspect du problème.

    Les déterminations essentielles de la propagande armée dans cette conjoncture sont, en fait, au nombre de deux :

    * La désarticulation efficace des dispositifs centraux de transmission du pouvoir, c’est-à-dire ces charnières qui sont les centres nerveux qui permettent à la bourgeoisie impérialiste d’élaborer ses projets économiques, politiques, de contrôle social, et de les traduire en pratique contre-révolutionnaire.

    * L’agrégation efficace du Mouvement Prolétaire de Résistance Offensive, c’est-à-dire la capacité de favoriser le travail partidaire en direction d’une accumulation toujours plus vaste des forces révolutionnaires organisées et de leur mobilisation autour des mots d’ordre du Programme Politique Général et du Programme Politique Immédiat, avec l’objectif de désarticuler les liaisons plus périphériques de tous les instruments qui transmettent- imposent le pouvoir bourgeois.

    12. La désarticulation des « dispositifs centraux » et des « liaisons périphériques » au moyen duquel la bourgeoisie impérialiste élabore, transmet et impose ses projets de domination et de développement et développe ses pratiques contre-révolutionnaires, ce n’est pas une somme d’actions militaires, mais un art très difficile qui exige des stratégies spécifiques pour chaque secteur particulier d’exercice du pouvoir.

    Notre expérience a enseigné l’importance d’effectuer chacune de ces stratégies spécifiques de désarticulation par Campagne.

    En général, par Campagne, nous entendons une action offensive diversifiée, qui frappe à différents niveaux la chaîne du pouvoir, qui s’étend dans l’espace, qui se prolonge dans le temps, qui est centrée sur une cible principale et est liée à la tension profonde, latente ou manifeste, qui bouillonne dans le prolétariat métropolitain.

    Surmonter la phase des actions plus ou moins liées c’est se Mouvoir par Campagne, répondre à la nécessité précise de cette conjoncture particulière, et c’est une acquisition inévitable de la guérilla dans les métropoles.

    Se Mouvoir par Campagne veut dire certaines choses précises qui peuvent être résumées de la manière suivante :

    – relier l’initiative partidaire en tant que telle à l’intérieur et au point culminant du Mouvement Prolétaire de Résistance Offensive ;

    – traduire en pratique de combat offensive, organisée et continue le potentiel révolutionnaire dispersée à l’intérieur de la classe ouvrière et dans les différents secteurs du prolétariat métropolitain ;

    – donner la continuité à l’initiative de l’avant-garde, de façon à permettre une accumulation élargie des effets de désarticulation et pousser au niveau maximum le processus d’usure, de scission et de désagrégation du pouvoir ennemi.

    Notre expérience a enseigné que la Continuité est le facteur décisif.

    Ouvrir un Front de Combat avec quelques actions ou une Campagne signifie, en fait, lancer une directive, susciter une attente, promouvoir dans le tissu moléculaire de la classe des discussion intenses sur la signification stratégique et tactique des coups portés, et donc laisser se perdre le discours déclenché aboutit de manière inévitable au sens d’une autocritique politique. Comme si l’on disait : nous nous sommes déployés sur une ligne de combat erronée et pour cette raison, nous l’avons abandonnée.

    La continuité de l’action ne signifie pas pour autant porter « un coup après l’autre ». Il s’agit bien plutôt de donner aux campagnes le rythme des vagues, afin d’accumuler les effets de la propagande, les effets de désarticulations et les effets d’usure par vagues successives.

    Nous voulons dire, en bref, qu’une fois ouverte, un front de combat ne doit plus être abandonné et notre action partidaire doit consister en promouvoir, diriger et organiser des Campagnes offensives par vagues successives, de telle sorte que soit concentrée toute la force accumulée aux différents niveaux du système de pouvoir prolétarien et de la projeter, suivant des stratégies adéquates et spécifiques, contre les cibles-hommes, lieux, repaires, structures qui matérialisent la contradiction qu’il nous intéresse de frapper dans la conjoncture.

    13. Attaque sélective et anéantissement.

    Dans cette conjoncture de transition, toute stratégie spécifique de désarticulation implique nécessairement une Logique Sélective dans les attaques, une « main de chirurgien », et cela pour le simple fait que c’est la voie magistrale pour la maximisation des résultats politiques.

    Il est facile de comprendre que tous les personnels ou espaces n’ont pas la même importance stratégique pour l’État impérialiste, que toutes les attaques pensables – possibles n’approfondissent et ‘étendent pas de la même manière les contradictions internes à l’ennemi.

    Ouvrir des contradictions au sein de l’ennemi, empêcher leur recomposition, aiguiser cela par une action offensive implacable, continue, écrasante, sont les objectifs inévitables, qui ne peuvent atteints que par des attaques sélectives.

    Il faut maintenant supprimer une équivoque qui est apparue au sujet du concept d’Anéantissement.

    Le concept d’anéantissement, en soi, dans sa pure détermination militaire, rappelle seulement la forme de l’action et ne qualifie ni la phase de la propagande armée, n celle de la guerre civile, bien que dans ce dernier cas il s’agit du contenu dominant.

    Plutôt, nous avons toujours soutenu qu’il n’y a pas de contradictions entre propagande armée et opérations d’anéantissement, comme il n’y a pas de contradiction entre guerre civile ouverte et anéantissement.

    Le fait qu’il n’y a pas de contradiction ne signifie toutefois pas que le recours à de telles formes d’action militaire suive les mêmes lois des deux phases.

    Dans la phase de la propagande armée, les opérations d’anéantissement s’inscrivent à l’intérieur de la stratégie de désarticulation, dominée par le principe tactique de la Sélectvité.

    C’est-à-dire que ceci implique que leur cible concentre le flux maximum de la haine prolétarienne, ou bien que la fonction objective de la cible sur le terrain de la contre-révolution soit tellement évident que cela permette une compréhension immédiate et univoque de la part des masses.

    Dans cette phase, les « excès » se configurent comme véritables erreurs politiques en propre, parce qu’ils permettent à la contre-guérilla psychologique de masquer le message principal qu’il était l’intention de lancer et donc de confondre et d’annuler l’objectif qu’on avait l’intention de poursuivre.

    Ces propos, dans ses grandes lignes, restent valables également pour l’actuelle conjoncture de transition, qui cependant évolue à pas rapides vers une nouvelle phase.

    Les opérations d’anéantissement rentrent parfaitement dans les campagnes de désarticulation qui doivent être menées dans cette conjoncture et qui s’inscrivent également dans la stratégie dominée par le principe tactique de la sélectivité.

    A la différence des phases précédentes, cependant, c’est la Fonction Objective qui prévaut sur le Rôle Subjectif (et sa dimension symbolique) porté par tel ou tel fonctionnaire de la contre-révolution impérialiste, parce que la guérilla, bien qu’elle n’ait pas encore rempli ses tâches de propagande, se met déjà à démolir les Jointures Stratégiques qui permettent à l’État impérialiste d’imposer sa domination.

    Cela exige que le recours à de telles formes d’actions militaires se conjuguent avec le maximum de rigueur politique dans l’individualisation des cibles, et avec le minimum d’« excès », afin de mettre une pierre dans la bouche de toutes les spéculations intéressées que les opportunistes de tout type ne perdront pas l’occasion de tenter.

    Toute action d’anéantissement est un fait-message et pour cela, au sein de la métropole impérialiste, plus l’action d’anéantissement est audacieuse et profonde, plus doit être limpide le message politique qui l’accompagne.

    En fait, dans la métropole impérialiste, où les mass-médias et les centres de la contre-guérilla psychologique vivisectionne toutes les opérations révolutionnaires afin d’utiliser à mauvais escient la moindre interstice, la rigueur politique dans la définition des campagnes et une action incessante, prolongée, capillaire, conçue comme instrument, de clarification dans les masses, à travers l’agitation et la propagande combative, sont déterminants.

    Le fusil seul ne parle pas un langage suffisamment clair aux masses prolétariennes !

    14. La rapidité avec laquelle évolue le processus de crise – restructuration – internationalisation et la résistance offensive et tenace du prolétariat métropolitain oblige la bourgeoisie à lancer dans cette conjoncture une attaque à vaste échelle, à tous les niveaux de vie des masses.

    Dans ce contexte, la lutte pour la défense des Intérêts Immédiats devient également toujours plus antagoniste avec les besoins de valorisation du capital et assume de fait toujours plus le caractère d’une confrontation de pouvoir.

    Le fil conducteur de l’offensive générale de la bourgeoisie impérialiste est le contenu du Plan Triennal, et plus précisément l’ambitieux dessein de réglementation des mouvements économiques et sociaux qui sont préconisés et les conditions institutionnelles que cela réclame.

    C’est autour de cet axe économie – État, et par rapport à celui-ci, que vont du reste se redéfinir, ensemble avec les fonctions de l’État, d’un côté les rapports de force entre les partis, et de l’autre les rapports de force entre les classes.

    C’est une expérience désormais diffuse dans tout le prolétariat que l’appareil d’État en entier fait face à toute simple lutte, quand celle-ci franchit les limites tracées par le « Plan ».

    L’unanimisme de l’univers politique, de ce lui-ci avec les syndicats, et de ceux-ci avec la police et la gendarmerie, est l’histoire de tous les jours, ne nécessitait pas d’être racontée encore une fois.

    Du côté du prolétariat, le sabotage du plan de restructuration, la lutte politico-militaire contre le régime qui veut l’imposer, l’attaque contre les institutions coercitives qui sont en charge de militariser à tous les niveaux l’affrontement entre les classes, se relient de manière toujours plus inextricable.

    Cela constitue la base d’une ligne de combat qui se propose d’organiser des couches sociales entières sur le terrain de la guerre civile anti-impérialiste, sans effectuer une séparation mécanique – économiste et/ou militariste avec les soi-disant besoins immédiats et les besoins stratégiques du communisme.

    L’articulation de chaque mouvement de classe spécifique sur cette ligne amène à définir le Programme Immédiat, qui recueille les tensions politiques les plus radicales et donc aussi les plus immédiatement antagonistes à l’État.

    Il n’est pas difficile de comprendre que la lutte contre les contraintes imposées aux besoins immédiats par le « Plan Triennal », outre le besoin de communisme, rend possible d’articuler une intervention politico-militaire des usines aux services, aux quartiers, aux prisons, remontant finalement au sommet de l’État.

    Cela nous permet ainsi de relier l’action de désarticulation des dispositifs centraux à celle de désarticulation des charnières périphériques.

    15. Détruire la démocratie-chrétienne, parti – régime, axe portant de la contre-révolution impérialiste dans notre pays

    La DC, au pouvoir depuis plus de trente ans, s’est construite comme Système de Pouvoir, capable de régénérer et consolider, au-delà de toute idéologie, sa propre base économique et sociale.

    La DC n’est pas que l’expression politique d’une classe, la bourgeoisie et toute ses strates, mais également le Parti – entrepreneur et et le Parti – Etat. Ce sont les caractéristiques qui en font un parti particulier : le Parti Régime.

    Il n’existe pas de centres nerveux dans notre formation économico-sociale qui échappent au contrôle et au commandement de l’hydre DC. Ses tentacules pénétrèrent tous les postes clefs de l’économie, de l’administration d’État et de la bureaucratie, des mass-médias.

    La désarticulation et la destruction de la DC sont les moments essentiels de la désarticulation et la destruction de l’État

    L’initiative des forces révolutionnaires doivent se caractériser comme une véritable et correcte Ligne de Combat, stable, avec une continuité précise. Mais, afin que les attaques soient véritablement efficaces, en mesure de produire des contradictions stratégiques, elles doivent se concentrer sur les hommes et les structures du parti qui :

    – est l’expression des factions de la bourgeoisie impérialiste privée et d’État, qui sont la fraction dominante ;

    – joue le rôle et la fonction centrale de commandement, gestion et élaboration politique, tant dans le parti que dans l’État.

    Le lien entre DC et « Plan Triennal » est évident. La DC est l’âme politique de ce « Plan ». Elle a fourni les cerveaux pour son élaboration, les techniciens pour son dimensionnement, les bureaucrates pour sa mise en œuvre.

    Elle a donné carte blanche aux appareils coercitifs pour la répression de quiconque le conteste.

    Les interconnexions entre le « Plan », la DC et l’Etat constituent tous les centres de la cible.

    Si c’est la ligne directrice fondamentale sur laquelle doit s’articuler l’intervention révolutionnaire, cela ne veut pas dire que notre initiative ne doit pas aller à se mesurer aussi avec les aspects de la contradiction principale qui, si sur le plan général ils ne sont absolument pas dominant, acquièrent un caractère de prédominance dans la réalité spécifique du mouvement.

    La capacité à articuler notre intervention à tous les niveaux et en tous lieux où la classe vit son rapport d’exploitation et d’oppression par la bourgeoisie et ses laquais, est en fait le facteur décisif pour la naissance, l’organisation et le développement d’un fort mouvement révolutionnaire de masse.

    La construction du Pouvoir Rouge passe aussi par là !

    16. Anéantir les appareils de la contre-révolution économique !

    Briser les anneaux de la direction patronale !

    Démanteler le pouvoir des syndicats néo-corporatistes !

    La stratégie anti-prolétarienne condensée dans le « Plan Triennal » est élaboré et dirigé en des espaces bien précis et se transmet à travers une chaîne articulée qui pénètre l’usine et investit chaque aspect de la vie des prolétaires.

    Ces espaces, véritables réseaux nerveux du pouvoir exécutif, doivent devenir des objectifs privilégiés de l’initiative révolutionnaire.

    En attaquant leurs dirigeants, en balayant la mini-patrouille des « cerveaux » qui mettent au point la ligne anti-ouvrière, décourageant avec dureté les collaborateurs qui se camouflent dans les universités de la péninsule, il est possible d’amplifier au maximum les contradictions internes du front bourgeois et de mettre en échec un des instruments les plus délicats de la domination impérialiste.

    Le ministère du trésor et la Banque d’Italie sont, sur le terrain de l’économie ; le coeur battant de l’initiative contre-révolutionnaire contre classe ouvrière et les luttes de tous les secteurs du prolétariat métropolitain.

    Faire qu’il ne bat plus est la tâche du moment.

    A cul de pierre, coeur de plomb !

    C’est le mot de passe de tous les combattants communistes !

    Le contenu anti-prolétarien du « Plan Triennal » sont transmis à travers une chaîne articulée jusqu’aux usines. Ses anneaux principaux sont : [le syndicat patronal] Cofindustria – [les syndicats des organes étatiques que sont la holding de Participations et de Financement des Industries Manufacturières et l’Institut de reconstruction industrielle] Intersind – les syndicats.

    La Cofindustria – Intersind a comme tâche de mettre en œuvre la médiation entre les intérêts particuliers et la politique économique de l’Exécutif : médiation ensuite imposée dans les usines par les hiérarchies d’entreprise.

    Ces endroits d’où partent toutes les directives patronales, tant vers l’Exécutif que contre la classe ouvrière, constituent un point cardinal essentiel de la contre-révolution économique et, par conséquent, doivent être attaqués avec le maximum d’énergie, tant de la part des Organisations Communistes Combattantes que des organismes révolutionnaires de masse.

    Cette attaque doit aussi s’étendre aux hiérarchies d’entreprises qui transmettent le diktat du commandement jusqu’aux lignes les plus éloignées, permettant par là de sucer également, ensemble avec la plus-value, également la vie aux prolétaires.

    Briser les anneaux du commandement patronal !

    Tel est le mot d’ordre de toutes les avant-gardes prolétariennes.

    Les syndicats sont appelés à faire ingurgiter à la classe ouvrière le « Plan Triennal » et les lignes de la Confindustria qui y sont relatives.

    Les « fumeurs de pipe » [c’est-à-dire les syndicalistes] ont, dans l’immédiat, comme rôle de gérer la restructuration de la force de travail : à savoir la réforme des salaires, la mobilité, les licenciements… Le pacte néo-corporatiste atteint ainsi sa conclusion logique ; les syndicats sont employés et utilisés comme courroie de transmission de l’État.

    Cette incorporation est la condition imprescriptible pour l’actualisation des politiques économiques centrales, mais n’est pas sans contradictions réelles, de par les forces accumulées par la classe ouvrière.

    En mettant en discussion, en pratique, les« limites de compatibilité du système » et la légitimité des syndicats, les luttes ouvrières autonomes font revêtir à leur antagonisme spontané une dimension politique.

    Tout mouvement autonome de la classe assume le caractère d’une attaque contre l’État et doit pour cela être réduit en bouillie.

    Abandonnant progressivement les intérêts réels des couches ouvrières les plus opprimées, se reposant sur les dirigeants, techniciens, aristocrates ouvriers, autre que leur propre appareil de Nouvelle bureaucratie, les syndicats assument directement les fonctions de briseurs de grève et de délation, en stricte coordination avec les directions des usines et les forces anti-guérilla.

    C’est précisément ici, dans la protection de la production directe de plus-value, des grandes usines urbaines, que se trouve la charnière la plus faible de la domination de la bourgeoisie impérialiste exercée sur la classe ouvrière au moyen de l’État et de son articulation syndicale.

    Et c’est ici que les comptes doivent être réglés !

    La construction du pouvoir prolétarien passe à travers le démasquage, l’isolement, l’expulsion de ces infâmes sbires !

    Démanteler le pouvoir des syndicats néo-corporatistes est la condition pour la construction du pouvoir rouge !

    La lutte contre les appareils de commandement et de contrôle signifie – à partir des lignes de combat déjà consolidés dans le patrimoine de la conscience de classe : le sabotage.

    Le sabotage, non pas comme forme de lutte existentielle et subjective, mais comme lutte de masse organisée, comme une des articulations de la lutte armée dans l’usine. Le sabotage individuel est une vieille constante quant au travail et à l’exploitation, c’est une forme spontanée de résistance et de défense contre le travail capitaliste.

    Mais, tant qu’elle ne vient pas à visée et organisée, elle ne saurait avoir d’incidence dans les rapports de force entre les classes.

    Le sabotage des ouvriers guérilleros doivent suivre des tactiques appropriés, aussi sur le plan de l’organisation, pour être en mesure de déployer sa puissance.

    Il doit savoir homogénéiser et collecter les éléments les plus avancés de la classe, afin d’impliquer tous ou presque tous les ouvriers d’une usine.

    Le sabotage des ouvriers guérilleros doit être scientifique, doit s’appliquer contre tout ce qui signifie l’isolement et qui empêche la lutte, lutte qui doit s’appliquer contre la machine de commandement, contre la structure de contrôle, contre les lieux et les choses où se coagulent et se concrétisent l’activité contre-révolutionnaire.

    Le sabotage des ouvriers guérilleros doit construire dans cette attaque l’organisation de masse du Pouvoir Rouge.

    Le mot d’ordre est celui que la classe ouvrière la plus mature, celle de la Fiat et d’Alfa-Roméo, a déjà lancé :

    Amener et étendre la guérilla dans l’usine !

    17. Désarticuler et détruire les appareils du contrôle social total !

    Dans la phase de transition, désarticuler et saboter le processus d’intégration dans un système cohérent, totalitaire et totalisant de contrôle entre la direction technico-politique de l’Exécutif et le système afférent différencié des réseaux spéciaux, exige une ligne de mouvement articulé sur quatre points essentiels.

    En premier lieu : faire de la politique et compter sur les masses.

    Cela veut dire s’unir aux masses pour les unir dans les Organismes Révolutionnaires des Masses, qui assument la lutte contre l’organisation totalitaire du contrôle social, partout.

    S’unir aux masses pour sensibiliser l’intégralité du prolétariat métropolitain pour promouvoir la connaissance des transformations qui ont lieu et des stratégies, des techniques, des instruments et des hommes qui en sont les artisans.

    En second lieu : « frapper au centre ».

    Annihiler le réseau criminel entier qui structure « l’organisme consultatif permanent ». Lobotomiser l’Exécutif avec méthode, sans exception.

    En troisième lieu : désarticuler et saboter les réseaux spéciaux de la gendarmerie en premier lieu, de la magistrature, des prisons, des médias.

    Contre les hommes et les appareils de ces réseaux, l’action devra être implacable, continue, martelée et se définissant dans les différentes conjonctures en rapport aux questions posées dans la croissance du mouvement révolutionnaire.

    Enfin : frapper à tous les niveaux les analystes et les programmateurs des centres d’informations, les « techniciens clefs » dans le jargon militaire.

    Bombarder à coups de bazookas les systèmes informatiques, les banques de données et les réseaux de calculateurs… qui constituent la base matérielle « technique » de l’information et du contrôle total.

    Quand c’est possible, infiltrer des taupes rouges parmi le personnel spécialisé.

    S’il est vrai que l’informatique ne peut pas atteindre les objectifs « impensables » que la bourgeoisie impérialiste affamée et excitée s’assigne (c’est politiquement impossible, en plus que techniquement, sans compter que la « réduction mathématique » du réel que cela comporte amène dans un cul-de-sac le système en entier), il est vrai aussi que cela constitue un puissant instrument de guerre pour ses performances immédiatement répressives.

    Au-delà de la machine… Il y a l’homme qui doit devenir objet de l’intérêt le plus précis du mouvement révolutionnaire.

    18. Attaquer les révisionnistes

    Soulever contre eux les masses prolétariennes

    Provoquer une différenciation dans leurs rangs

    Les isoler au degré maximum

    Dans le devenir de l’État impérialiste, le système des partis est venu à se transformer en articulation particulière de l’Exécutif.

    Composante de l’État, les partis ses configurent comme ses innervations, alignés sur les classes sociales, afin de servir de médiation et d’imposer les intérêts de la bourgeoisie impérialiste et de construire, à partir de là, un contrôle efficace des tensions et des luttes.

    Dans cette métamorphose, les partis considérés comme « historiques » du Mouvement Ouvrier abandonnent également toute ligne de classe, subissant le même inexorable destin et, quelle que soit leur conscience, les « représentants » de la classe ouvrière se transforment en instrument du capital multinational.

    Du parti de la classe ouvrière dans l’État, le PCI devient le parti de l’État dans la classe ouvrière !

    La complicité des révisionnistes, cependant, ne peut pas être échangée par une collaboration sans contradictions, à savoir qui met sur le même plan la Démocratie Chrétienne et le PCI.

    Dans le système des partis, la DC, en tant que parti-régime, assume un rôle dominant, et il ne reste plus qu’au PCI un rôle de complément, qui sanctionne sa collaboration subordonnée et conflictuelle à l’intérieur de l’État impérialiste.

    Cela ne veut toutefois pas dire qu’il ne représente pas un ennemi.

    Il est, en fait, une articulation subalterne de l’aspect principal de la contradiction qui oppose la bourgeoisie au prolétariat, il entre de plein droit dans la mire des forces révolutionnaires.

    Les révisionnistes contribuent d’une manière fondamentale à ce que s’affermisse l’initiative contre-révolutionnaire, avec une fonction spécifique bien particulière.

    Leur tâche est d’organisation la contre-révolution sociale préventive, à savoir la construction d’un bloc social de soutien à l’État impérialiste, l’opposition à l’avancée du processus révolutionnaire.

    A cette fin, d’un côté ils assument en nom propre la gestion de la restructuration dans l’usine et se transforment en policiers de la production pour discipliner, contrôler, attaquer toute survenue d’antagonisme prolétarien ; de l’autre, ils se font les paladins de « l’ordre démocratique », à savoir l’organisation de la délation de masse et le fichage, atelier par atelier, logement par logement, de toutes les avant-gardes révolutionnaires.

    Pour remplir cette fonction laide, les révisionnistes doivent développer et consolider leur pénétration dans les couches sociales de la petite-bourgeoisie, des techniciens, de l’aristocratie ouvrière, de la bureaucratie des usines… Activer les organismes de liaison entre parti et masse, comme les Conseils d’usine et de quartier.

    Mais ce « service », s’il est d’un côté nécessaire à la bourgeoisie impérialiste, est source de contradictions de l’autre, parce que les sycophantes révisionniste visent, en utilisant les fruits de la délation démocratique, à construire leur propres liaisons directs avec des secteurs de l’appareil d’État, afin de pousser leur avantage dans le système des partis et les rapports de force, se rendant toujours plus « indispensables » et érodant ainsi, petit à petit, le pouvoir de la Démocratie Chrétienne.

    Du côté prolétarien, la contre-révolution sociale préventive organisée par le PCI doit être neutralisé avec la détermination maximale et attaquée suivant une stratégie politico-militaire opportune.

    Cela se fonde sur la distinction entre les charnières entre les institutions d’État et le PCI et les canaux de liaison du PCI dans les masses.

    Les premiers ont un caractère stratégique, ils sont les présupposés et l’objectif des seconds. A travers les charnières-hyènes, en fait, les révisionnistes se faufilent dans les caves du palais, s’accrochant à la pathétique espérance d’accéder au banquet des plans supérieurs !

    Mais, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un événement de la branche de [Enrico] Berlinguer [le secrétaire général du PCI], et les avant-gardes prolétariennes payant un dur prix pour une telle sordide action, il appartient à la guérilla de frustrer une telle espérance, d’attaquer et d’anéantir de telles charnières-hyènes.

    Il s’agit des juges, sbires, hauts fonctionnaires de l’État, managers, « experts », journalistes-consultants, et merdes similaires. Les ennemis reconnus et politiquement indéfendables aux yeux du prolétariat révèlent l’intrigue :

    Leur anéantissement militaire
    est également immédiatement leur anéantissement politique !

    Et on peut être certain qu’aucun prolétaire ne pleurera leurs carcasses !

    En ce qui concerne les « canaux de liaison » entre le PCI et les masses, les problèmes sont plus complexes.

    Il faut avoir à l’esprit que ces agents révisionnistes vivent au milieu du prolétariat et profitent parfois d’un prestige injustifié. Il est prioritaire de ce fait que la guérilla fasse une claire politique dans les luttes, pour les isoler, les discréditer, les mettre au pilori, démasquer leur complot et leur complicité, c’est-à-dire, en un mot, les défaire politiquement d’abord plutôt que militairement.

    Il va de soi que la dialectique entre les deux plans d’action est décisive, dans le sans que le premier terrain d’attaque est l’imprescriptible condition politique du second ; il est ainsi fondamental, même si les deux sont nécessaires.

    Battre les révisionnistes et leur projet de contre-révolution sociale préventive est la condition nécessaire pour la conquête des masses sur le terrain de la lutte armée et pour la construction du Pouvoir Rouge.

    La bataille ne peut pas être reportée !

    19. Frapper au centre !

    Encercler les encercleurs !

    Il faut affronter le processus de militarisation de l’usine, du territoire et de toute la vie sociale, les reliant aux restructurations anti-prolétariennes de l’économie et de l’État, également afin de démonter l’image perverse diffusée par la propagande du régime qui attribue au « terrorisme » la fonction de cause.

    L’attaque des appareils de militarisation n’est en fait pas un problème séparé des luttes sociales, et c’est pourquoi elle regarde sur un mode exclusif les avant-gardes combattantes.

    C’est une dimension essentielle de chaque mouvement partiel, des luttes ouvrières et de celles des services, des luttes territoriales à celle des prisons.

    La fonction dirigeante du Parti consiste à relier et à organiser l’action systématique de désarticulation des appareils centraux et périphériques avec l’action également systématique des organismes révolutionnaires de masse.

    Dans cette phase, où la crise, par le niveau atteint d’acuité, amène le système impérialiste dans une situation extrêmement critique, la tendance à la guerre assume un caractère central, tant dans le devenir des contradictions impérialistes que dans la croissance des contradictions de classe.

    Les forces révolutionnaires doivent ici relier à l’intérieur de cette perspective la pratique de désarticulation des appareils centraux contre-révolutionnaires qui est la leur.

    Une prémisse est nécessaire : il faut amener de la clarté quant à l’illusion qui existait ou existe à l’intérieur du mouvement révolutionnaire international, qui considère le « camp socialiste » comme une base arrière des armées révolutionnaires qui surgissent dans la métropole impérialiste, et subordonne de fait la stratégie de celles-ci à la stratégie mondiale du « camp socialiste ».

    C’est un fait que le « camp socialiste » mythique a perdu depuis de nombreuses années ses racines matérielles, dans une réalité qui n’a plus rien de socialiste : le capitalisme de l’État soviétique et de ses alliés, dans sa phase social-impérialiste.

    Nous voulons être le plus explicite concernant ce point : l’impérialisme et le social-impérialisme sont deux variantes spécifiques du mode de production capitaliste dans cette phase – le capitalisme privé et le capitalisme d’État.

    Ils forment un système impérialiste où il y a tant unité que contradiction : unité du mode de production capitaliste, contradiction entre ses formes historiquement déterminées.

    Si les forces révolutionnaires peuvent et doivent exploiter ici les espaces ouverts par le parcours de la lutte inter-impérialiste, des contradictions entre impérialisme et social-impérialisme, cela ne doit en aucun cas se traduire en une quelconque forme de collusion avec l’un pour combattre l’autre.

    La désarticulation des appareils centraux dans cette phase doit atteindre le coeur pulsant de la contre-révolution impérialiste : l’OTAN.

    L’OTAN signifie la guerre externe et la guerre interne.

    C’est, dans cette dimension qu’ils réorganisent leurs armées, les mettant en adéquation aux nouvelles caractéristiques de la guerre inter-impérialiste et de la guerre de classe. La formation de la task – force à l’intérieur des forces armées italiennes répond à cette double exigence.

    Une quantité toujours plus majeure d’unités de l’armée, de la marine de l’aviation et des fincements sont transformées en Unités Spéciales de Contre-guérilla, et constituent l’ossature portant d’une véritable armée de profession en tant que tel, allant aux côtés des Unités Spéciales des Carabiniers, qui en constituent le nerf.

    Nous devons initier le sabotage de cette machine de mort qui signifie pour le prolétariat métropolitain, dans cette phase, la contre-révolution préventive. Nous devons désarticuler cela, en attaquer les hommes et les repaires, ses déterminations nationales restructurées en fonctions de contre-guérilla.

    L’OTAN, c’est la guerre impérialiste et la contre-révolution préventive !
    Guerre à l’OTAN !
    Guerre aux corps spéciaux de la contre-guérilla !

    Nous devons construire, sur la base de ce mot d’ordre, l’unité internationaliste avec tous les peuples et toutes les forces révolutionnaires qui combattent contre l’impérialisme.

    Les organismes révolutionnaires de masse, chacun sur leur terrain de combat, et les structures du Parti, doivent porter en avant une offensive de martèlement visant à encercler les articulations périphériques – les hommes, les repaires, les instruments – des appareils de militarisation et de contrôle social.

    C’est dans cette offensive, en fait, que vit le Programme Immédiat dans les masses, contribuant à consolider le Pouvoir Rouge.

    Aucune action centrale, disjointe de l’initiative conduite également par l’avant-garde à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse, ne peut avoir comme ambition de construire et d’élargir les espaces de pouvoir que la guerre de classe poursuit.

    La militarisation croissante est un point faible de l’ennemi. L’exposition de ses forces, terroriste au moins dans ses intentions, donne aussi la mesure de son embourbement.

    En fait, plus la militarisation s’élargit infiltre les anfractuosités de la société, plus l’ennemi se fractionne et se fragilise.

    Forcé de contrôler tout et tout le monde, cela crée les conditions plus favorables pour unifier la mobilisation de masse contre le régime.

    Dans l’encerclement des unités détachées de l’État et des agents du régime dans chaque quartier, dans chaque usine, dans chaque prison, se construisent les organismes du Pouvoir Rouge.

    L’encerclement de l’encercleur doit assumer la forme de milliers de petits encerclements.

    Il s’agit de construire partout où il y a des concentrations prolétariennes significatives, à partir des plus grandes et des plus rebelles, une base rouge invisible, un détachement de prolétaires armées, un organisme révolutionnaire de masse, une articulation du Pouvoir Rouge, en mode de « tenir en otage », encerclant dans leurs repaires et leur logement les agents de l’ennemi, qu’ils soit visibles ou masqués.

    Il s’agit d’organiser l’encerclement suivent les caractéristiques d’un siège stable. Il s’agit de ne pas laisser l’ennemi respirer, de lui faire ressentir l’hostilité profonde des masses prolétariennes, la haine de classe qui l’entoure.

    Il doit se sentir chaque jour plus traqué, attaqué de toutes parts, même de son intérieur. Il doit être systématiquement désarmé. Il doit se sentir épié de la part de ceux qu’il veut épier, prisonnier de ceux qu’il veut emprisonner, attaqué de ceux qu’il veut attaqué, anéanti de ceux qu’il veut anéantir.

    Ses communications et ses liaisons doivent être sabotés. Pour lui, cela doit être le couvre-feu. Les pièges les plus mortels doivent être prêt à mis en place à chaque fois qu’il s’aventure hors de ses repaires dans la jungle métropolitaine. Les embuscades les plus terroristes doivent scander ses journées et ses heures.

    Conquérir le contrôle des grandes usines, des périphériques prolétariens des grands centres urbains, est une étape nécessaire vers la guerre civile.

    C’est un pas indispensable, et qui ne peut pas être remis, sur la voie de la construction du Pouvoir Rouge.

    Plus nous saurons renforcer ce contrôle, meilleurs seront les espaces et la capacité de manœuvre.

    Meilleurs seront la capacité de manœuvre et les espaces de la guérilla, plus durs et décisifs pourront être ses coups au cœur de l’État !

    Frapper au centre, avec des coups plus durs, plus rapides et plus soudains !

    Obliger l’ennemi à se fractionner sur tout le territoire !

    Encercler, épuiser, démoraliser chacun de ses détachements périphériques et les avaler morceau par morceau !

    20. Briser l’anneau-Italie de la chaîne impérialiste !

    Assumer la position du non-alignement !

    Pratiquer la collaboration de tous les peuples sur une base paritaire !

    Développer l’internationalisme prolétarien !

    Sur l’aire méditerranéenne se déploie toujours plus entre les grandes puissances un espace vaste et contrasté : l’espace du non-alignement. Il n’est pas intéressant de savoir quelles sont ses facettes politiques complexes et contradictoires, son caractère essentiel se référant à la rupture que les pays émergents opèrent dans la division mondiale du travail sanctionné à Yalta.

    C’est également ici que notre pays et doit trouver sa place pour reconstruire, dans le cadre d’un internationalisme prolétarien effectif, une autre qualité dans le processus de croissance des forces productives et une transformation radicale, qu’il n’est désormais plus possible de remettre à plus tard, des rapports de production, dans la direction d’une société communiste.

    En fait, la structure même de l’appareil productif italien est autant inconciliable avec le devenir de la crise et de l’impérialisme que compatible avec l’économie des pays émergents.

    De nombreux de ses aspects qui représentent un handicap insurmontable pour notre développement dans l’aire « occidentale » sont des caractéristiques précieuses dans la perspective de collaboration avec tous les pays les plus exploités (qu’ils appellent le « tiers-monde »), dans la perspective du non-alignement et de la pratique de l’internationalisme prolétarien.

    Nous avons une vaste présence dans les technologies intermédiaires et c’est ce dont ces pays ont tout de suite besoin ; puis, nous avons tout le potentiel et la capacité pour également développer celles qui sont plus avancées, des micro-processeurs aux satellites en tant que tel – un potentiel et une capacité que l’impérialisme castre – et que nous sommes déjà en train de produire.

    Cela nous permet aussi de donner une perspective de longue durée au développement.

    En outre, nous somme en possession d’une quantité de connaissance générale à mettre à disposition de tous ces peuples, de telle manière à leur assurer une impulsion remarquable dans leur croissance.

    Au contraire, aujourd’hui, l’impérialisme (dans ses deux variantes : américain et soviétique) mesure de manière stricte ces flux de connaissance, pour imposer et maintenir sa domination particulière et ses propres privilèges.

    Les pays émergents ont quelque chose de tout à fait précieux : les matières premières (énergétiques ou non), qui nous manquent à tous, et qui sont indispensables pour garantir un passage graduel, et non excessivement traumatisant, de notre formation économico-sociale, de la phase ultime du capitalisme, à la transition socialiste.

    C’est le maintien même de la base productive, le développement des forces productives, des nouveaux rapports de production qui sont latents, dans la direction de notre sortie du camp impérialiste pour se placer aux côtés des pays émergents, dans un projet commun anti-impérialiste et anti-social-impérialiste.

    Pour réaliser cela, il est nécessaire de rompre le nœud coulant qui chaque jour devient plus pesant et plus étroit.

    Briser l’anneau-Italie de la chaîne impérialiste !

    Assumer la position du non-alignement !

    Pratiquer la collaboration de tous les peuples sur une base paritaire !

    Développer l’internationalisme prolétarien !

    C’est aujourd’hui possible !

    C’est notre tâche !

    >Sommaire du dossier

  • Brigades Rouges: Crise, guerre impérialiste et guerre de classe

    [Il s’agit du 7e point du chapitre intitulé « Sur la crise » du livre « l’Abeille et le Communiste » écrit par le collectif des prisonniers des BR, en décembre 1980.]

    Une des thèses fondamentales soutenues dans la « résolution stratégique » de février 1978 est la suivante : « Le moyen par lequel l’impérialisme a toujours historiquement résolu ses crises périodiques de surproduction est la guerre.

    En effet la guerre permet avant tout aux puissances impérialistes victorieuses d’élargir leur base productive aux dépens des vaincus.

    Mais surtout, qui dit guerre dit destruction de capitaux, de marchandises, de force de travail et donc la possibilité d’une reprise du cycle économique pour une période de temps assez longue. Dans cette phase, le drame récurrent de la production capitaliste se présente de nouveau à l’impérialisme : étendre sa zone d’influence pour pouvoir élargir sa base productive.

    En effet, rester plus longtemps « confiné » dans l’aire occidentale, signifie pour l’impérialisme accumuler des contradictions toujours plus déchirantes : la concentration des capitaux croît de façon accélérée, le taux de profit atteint des valeurs très basses ; la base productive se restreint de plus en plus, le chômage augmente de façon inquiétante.

    A de brefs et apparents moments de reprise succèdent immanquablement des phases de récession toujours plus graves et ainsi se détermine, de fait, un processus de crise permanente (ces dernières années le démontrent amplement).

    La nécessité toujours plus impérative d’élargir sa zone d’influence se pose donc à l’impérialisme. Mais cet élargissement ne peut se réaliser qu’aux dépens du social-impérialisme (l’URSS et les pays du pacte de Varsovie) et conduit donc de façon inévitable à l’affrontement USA-URSS.

    Dans cette phase où la crise, par le niveau de gravité qu’elle a atteint, jette le système impérialiste dans une situation extrêmement critique, la tendance à la guerre revêt un caractère central, aussi bien pour le devenir des contradictions inter- impérialistes que pour l’approfondissement des contradictions de classe.

    Les forces révolutionnaires doivent donc être capables de placer leur pratique à l’intérieur de cette perspective.

    Il faut avant tout, tirer au clair cette illusion passée et présente au sein du mouvement révolutionnaire international qui considère le « camp socialiste » comme la ligne arrière des armées révolutionnaires surgissant dans la métropole impérialiste et qui subordonne de fait la stratégie de ces dernières à la stratégie mondiale du « camp socialiste ».

    C’est un fait que le mythique « camp socialiste » tire (depuis de nombreuses années) ses racines matérielles d’une réalité qui n’a rien de socialiste : le capitalisme d’Etat soviétique et ses alliés, dans leur phase social-impérialiste.

    Une position stratégique de ce genre, par ailleurs, est certainement possible et même praticable ; de plus, il ne faut pas négliger le fait que certains secteurs révisionnistes dans notre pays restent, plus ou moins clandestinement, liés à celle-ci.

    Mais, ceci dit, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit plus là de révolution communiste.

    Nous voulons être très explicites sur ce point : impérialisme et social-impérialisme sont deux variantes spécifiques du mode de production capitaliste dans cette phase : capitalisme privé et capitalisme d’Etat.

    Ils forment un système impérialiste, où se trouve à la fois unité et contradiction : unité dans le mode de production capitaliste, contradiction entre ses formes d’existence géographiquement et historiquement déterminées.

    Si donc les forces révolutionnaires peuvent et doivent mettre à profit les espaces ouverts par le devenir de la lutte inter- impérialiste et de la contradiction entre impérialisme et social- impérialisme, cela ne doit en aucun cas se traduire par une quelconque forme de collusion avec l’un pour combattre l’autre.

    Ces deniers temps, on peut déjà déceler les premiers positionnements pour la troisième guerre mondiale inter- impérialiste.

    Qu’est-ce d’autre, en effet, que les aventure africaines de Moscou, de Paris (plus discrètes mais non moins efficaces) et l’appui occidental renouvelé à l’Afrique du Sud raciste ?

    Et la concentration massive d’armes et de troupes dans tout le Moyen-Orient ; depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, jusqu’au soutien américain croissant au sionisme et au fantoche Sadate et à l’envoi de troupes dans toute la péninsule arabe !?

    Et l’accroissement de la tension en Extrême-Orient, depuis l’invasion du Cambodge jusqu’à la suspension du retrait américain en Corée du Sud !?

    Et la préparation de corps spéciaux d’invasion, aux USA, en France et ailleurs !?

    Et le réarmement vertigineux en Europe, à l’Est comme à l’Ouest !?

    Et les menaces d’invasion explicites, proférées par le ministre de la guerre des USA, avec l’incursion ratée en Iran !?

    Il n’y a qu’une conclusion : le processus de la troisième guerre mondiale a déjà commencé. La tâche des communistes est donc de se placer dans cette perspective.

    La précipitation de la crise accélérant encore cette dynamique, nous devons poser rapidement de problème aussi, au centre de notre attention, de notre analyse, de notre intervention.

    Il faut cependant faire très attention de ne pas tomber dans le catastrophisme ni dans l’immédiatisme. Il est nécessaire d’approfondir l’analyse marxiste de la réalité.

    Toutes les guerres présentent des caractéristiques fondamentales qui dépendent : – du type de contradictions qui les déterminent ; – du niveau atteint par les forces productives ; – des forces en jeu. Eclaircissons tout de suite un point : ce qui caractérise la phase actuelle par rapport au conflit 39-45 n’est pas tant la puissance des moyens de destruction que l’extension désormais mondiale de la guerre de classe, la présence de la guérilla communiste, et l’existence de conditions favorables à son développement dans toutes les parties du monde et en particulier dans les métropoles.

    Ceci a une importance décisive : en effet pendant la seconde Guerre Mondiale aussi, la capacité destructive était énorme. Les gaz toxiques et les armes bactériologiques (diffusion artificielle de maladies très graves) étaient déjà très au point.

    Mais à quelques exceptions sporadiques près à la fin du conflit, elle ne furent pratiquement pas utilisées. Même les deux bombes atomiques lâchées par les américains sur le Japon doivent être considérées comme le coup d’envoi, sans risque, de la guerre froide avec l’URSS, plutôt que comme la fin de la seconde Guerre Mondiale.

    Et ceci, naturellement, non par la bonté d’âme des diverses bourgeoisies en lutte, mais parce que cela aurait signifié le déplacement des termes de l’affrontement sur le terrain de l’anéantissement généralisé qui les aurait impliqué inévitablement, au lieu de permettre la redéfinition des rapports de force entre elles par la destruction de prolétaires et de moyens de production en quantité, favorisant ainsi la reprise ultérieure du cycle de l’accumulation capitaliste.

    Ainsi aujourd’hui, les accords entre grandes puissances sur l’utilisation des armes nucléaires, en particulier les armes orbitales (contre lesquelles pratiquement aucune contre-mesure n’est possible) répondent à cette exigence de maintenir la contradiction dans ses termes réels : une confrontation- affrontement pour la redéfinition permanente des sphères respectives d’influence, en évitant cependant le risque d’anéantissement réciproque et de destruction totale.

    Evidemment, par le fait même que de tels moyens de destruction existent, on ne peut exclure absolument ce risque, mais aucune classe n’a de penchant réel pour le suicide.

    La bourgeoisie non plus ; même si, pour exorciser ses peurs, il lui arrive de les mettre en scène au cinéma et dans les livres de politique-fiction.

    C’est dans ce contexte, qui n’a pas changé de façon substantielle ces quarante dernières années, que s’insère un élément qualitativement nouveau : la guerre de classe à l’échelle mondiale.

    L’impérialisme a commencé à s’embourber dans les sables mouvants de la défaite.

    Tous ses mouvements, toutes ses expéditions, toutes ses manoeuvres répressives se retournent contre lui, l’enfoncent toujours plus, lui ouvrent de nouvelles contradictions.

    Tout cela réduit progressivement sa capacité de mouvement et diminue son pouvoir d’intimidation même sur les pays et les peuples les plus petits, comme le Nicaragua.

    Il y a 40 ans, sur le front intérieur, la plupart des pays, en particulier les plus puissants, étaient complètement pacifiés, et dans les autres, les forces prolétariennes se trouvaient sous la direction d’une fraction de la bourgeoisie contre une autre.

    Aujourd’hui le font intérieur est l’objet d’inquiétudes dans les congrès internationaux et la guerre de classe enlève à la bourgeoisie impérialiste, jour après jour, son sommeil et sa vie.

    Nous sommes arrivés au point où le risque d’une « insurrection du pétrole » est passé si près des USA que Carter a pris le risque de couler l’économie de ses alliés (avec les subventions aux importations de pétrole brut), à seule fin d’éloigner, même un peu, ce spectre.

    Mais c’est justement la puissante reprise du mouvement prolétarien dans les métropoles ces dernières années, qui s’est chargé d’enlever de nombreuses illusions de la tête des bourgeois.

    La guerre de classe n’avance pas dans la périphérie de leur sphère d’influence, comme en Italie, en Turquie, en Espagne, en Corée du Sud.

    Mais c’est désormais en son coeur même qu’explosent les contradictions.

    La Grande-Bretagne, la France, les USA, la Suède, la Suisse et même la très militarisée et très informatisée RFA, sont secouées par des mouvements très durs et incontrôlables.

    Des sidérurgistes lorrains aux Noirs de Miami et de Bristol ; des sympathisants de la RAF de Brême ou Berlin aux métallurgistes anglais ; des mineurs et des « chicanos » américains jusqu’aux nouvelles figures du prolétariat, fils des métropoles et de la crise à Zurich comme à Stockholm ; ainsi se constitue partout, maillon après maillon, la chaîne prolétarienne qui entravera, immobilisera, étouffera le monstre impérialiste.

    La censure préventive et l’inoculation scientifique de mensonges par les mass-média ne parviendra plus à dissimuler la réalité des avant-gardes armées et des grands mouvements de masse qui convergent, se dialectisent et donnent vie toujours plus souvent à de puissants mouvements de masse tendanciellement armés et s’organisent sur le terrain du pouvoir.

    Voilà l’élément nouveau qui conditionnera toujours plus la marche vers la troisième guerre inter-impérialiste.

    Avec la guerre de classe qui s’étend à l’intérieur de tous les pays, quelle bourgeoisie pourra se permettre d’affronter un conflit prolongé ?

    D’engager toutes ses ressources dans une guerre extérieure, d’armer des millions de prolétaires ? Aucune !

    Combien d’interventions contre d’autres peuples, sans solution à très court terme et sans la possibilité d’un engagement minimum de forces, pourront résister à l’usure d’une guérilla intérieure et extérieure ? Aucune !

    Et en effet, les caractères spécifiques des conflits actuels commencent à se dessiner : escarmouches, incursions limitées ou temporaires, opérations de corps sur-spécialisés, etc…

    L’emploi des soldats du contingent est toujours plus limité, alors que se généralise l’utilisation de troupes de carrière : véritables mercenaires de l’époque moderne.

    Toutes ces spécificités pourront se modifier avec le temps. Mais ce sera toujours la contradiction principale, celle qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie, qui les déterminera.

    L’élément décisif du conflit sera toujours la guerre de classe, la force du prolétariat.

    Dans cette situation, la tâche des forces révolutionnaires du monde entier, notre tâche, est de mettre ne pratique une fois de plus le mot d’ordre léniniste : « Transformer la guerre impérialiste en guerre de classe ! »

    L’Etat italien est désormais prisonnier de cette inexorable logique de guerre. L’Italie, en tant que partie intégrante du front militaire impérialiste dont l’OTAN est le moteur principal, a une importance fondamentale.

    Ceci aussi bien par sa place centrale dans l’échiquier méditerranéen que par son rôle de charnière sur le versant Sud-Est de l’Europe occidentale.

    Tout le développement du potentiel guerrier italien, dès les premières années de l’après- guerre, s’est effectué sous l’égide de l’OTAN et de sa composante la plus puissante : les USA.

    L’OTAN, avec sa puissance politico-militaire tentaculaire et pénétrante, est le trait d’union de la politique belliciste de l’impérialisme des multinationales dans l’échiquier stratégique de notre pays.

    Fondée sur la base d’un traité en 1949, l’OTAN est une organisation supra-nationale de défense militaire des intérêts économiques et politiques de la structure économique et productive multinationale qui s’est développée dans la zone occidentale de l’Europe au cours de ces années précisément.

    Elle se propose d’impulser et de favoriser l’intégration économico-socio-culturelle des nations qui en font partie, sous la domination des pays les plus forts bien sûr.

    En particulier, cette armée multinationale de la contre- révolution impérialiste tend à construire et à renforcer un système global de défense qui, autrement, serait dispersé en divers échiquiers géographiques séparés et confiés à de simples forces nationales.

    Dans la zone méditerranéenne, l’OTAN a entrepris depuis sa naissance l’édification d’une chaîne défensive englobant les points névralgiques, de l’Espagne à la Turquie.

    Le rôle joué par l’Italie dans cette chaîne défensive est clair : celui de maillon central et de ligne arrière logistique principale.

    Plus le processus de développement vers la troisième guerre impérialiste s’accélère, plus le prolétariat italien se trouve confronté aux implications nationales de l’OTAN.

    Celle-ci, prise entre la nécessité de préparer la guerre et de maintenir la paix sur ses lignes arrières, a engagé un vaste processus de transformation des différentes armées nationales en de véritables impérialistes d’occupation.

    En réalité, elles ont déjà assimilé depuis longtemps ces aspects qui les transforment toujours davantage en force agissante « sur le front intérieur » et qui, dans le même temps, les mettent dans l’obligation d’assumer les escarmouches avec les armées du social- impérialisme.

    Dans ce cadre, l’Italie se trouve directement impliquée dans le processus de concentration du potentiel dissuasif de l’OTAN.

    En effet, une série de fonctions intégrées de commandement au niveau européen sont concentrées sur notre territoire (« Afsouth » à Naples, « Comelandeouth » à Vérone) ainsi que d’autres structures directement subordonnées aux USA, comme le « Centre d’Etude et d’Expérimentation » de La Spezia sous le commandement de Norfolk (Virginie, USA).

    Sans compter, naturellement, la myriade de bases et de dépôts répartis un peu partout et qui ont une importance stratégique.

    Il suffit de penser à l’aéroport de Decimomannu (le plus grand et le mieux équipé de tout le secteur), ou à l’île de La Maddalena, base d’appui vitale des sous-marins nucléaires américains.

    Ce n’est pas par hasard si maintenant nous devrons être les premiers, avec la Grande-Bretagne et la RFA à accueillir quelques centaines d’exemplaires des nouveaux missiles américains, devenant ainsi l’objectif privilégié des ripostes, nucléaires ou non, du social-impérialisme.

    D’autre part, cette organisation supra-nationale est en train d’uniformiser, de modeler et de diriger les diverses armées nationales selon le projet de construction d’une armée impérialiste unique, capable d’intervenir et d’évoluer dans n’importe quel pays, même éloigné de ses bases naturelles.

    En effet, depuis le début des années 70, une restructuration profonde des forces armées italiennes est en cours sur la ligne indiquée et imposée par l’OTAN.

    Celle-ci organise d’ailleurs depuis longtemps déjà des opérations combinées inter-armées où, aux côtés du potentiel stratégique nucléaire, interviennent des « task force » directement offensives, avec les tactiques de déploiement rapide d’unités spéciales extrêmement mobiles, afin de concentrer la violence terrorisante maximum sur le point faible de l’ennemi.

    C’est la tactique expérimentée à Entebbe et Mogadiscio et développée massivement par Israël.

    Ces unités non traditionnelles constituent l’ossature à partir de laquelle s’effectue la restructuration des armées de l’OTAN.

    L’armée italienne a récemment démontré sa pleine adhésion à ces exigences bellicistes en commençant à envoyer des hélicoptères au Liban, en tant que contingent de l’ONU chargé de protéger les frontières d’Israël.

    Dans le même mouvement, la formation de « task force » à l’intérieur des forces armées italiennes répond à la nécessité de plus en plus urgente pour l’Etat impérialiste de faire face au développement énorme de la guerre de classe dans notre pays.

    En effet, un nombre croissant de régiments sont transformés en unités spéciales anti-guérilla, composées en majorité d’officiers et de sous-officiers de carrière et de volontaires.

    Ces unités sont la structure portante d’une véritable armée de métier et s’ajoutent aux détachements spéciaux de carabiniers qui en constituent le système nerveux.

    Les stratèges des commandements militaires eux-mêmes font la propagande de cette évolution dans leurs revues spécialisées : « Il faut constituer le plus grand nombre possible de centres d’entraînement non traditionnels, où le personnel choisi dans la police et dans l’armée devrait recevoir l’entraînement sur- spécialisé dont il a absolument besoin (…). La formation de petites unités entraînées de façon particulière et jouissant d’un haut niveau d’autonomie et de liberté d’action doit être le premier pas dans la bonne direction.

    Une fois constituées ces unités spéciales, comment faut-il les utiliser ? Le principe des actions de guérilla réside dans la brièveté et la puissance du coup porté ; la seule réponse valable est donc dans une action du même genre. »

    On ne peut pas dire que les impérialistes, quand ils sentent le poids se la force révolutionnaire qui progresse, ne soient pas clairs !

    La conclusion est que les forces révolutionnaires doivent en tirer est claire : l’OTAN est synonyme de guerre extérieure et intérieure.

    C’est dans cette perspective qu’elle réorganise ses armées, les adaptant aux nouvelles conditions de la guerre inter- impérialiste et de la guerre de classe.

    Nous devons commencer à saboter cette machine de mort, qui signifie pour le prolétariat métropolitain, contre-révolution préventive à l’intérieur et guerre d’agression à l’extérieur.

    Nous devons désarticuler, en attaquant ses hommes et ses repaires, les lignes militaires restructurées en fonction de la contre- guérilla.

    Nous devons développer la plus grande mobilisation politique possible sur le mot d’ordre : l’OTAN c’est la guerre impérialiste et la contre-révolution préventive.

    Guerre à l’OTAN, guerre aux corps spéciaux anti-guérilla !

    Il faut, sur ce mot d’ordre, construire l’unité internationaliste de tous les peuples et de toutes les forces révolutionnaires qui combattent l’impérialisme !

    >Sommaire du dossier