Comment jugez-vous les choix faits par votre organisation, après deux ans de travail ?
Il nous semble que le développement de la situation politique italienne a bien confirmé le choix fondamental qui a été le nôtre dans les premiers mois de 1970.
La crise gouvernementale n’a pas du tout été résolue dans un sens réformiste et elle n’a pas de perspective dans un futur proche.
Au contraire, la formation d’un gouvernement de centre-droit excluant les sociaux-démocrates, la relance des fascistes en tant que « force parallèle », l’attaque frontale contre le mouvement ouvrier et la militarisation de plus en plus arrogante des conflits sociaux et politiques, tout cela démontre que le front politique bourgeois poursuit avec un entêtement accru l’objectif de la restauration totale de sa dictature et donc d’infliger une défaite politique sans réserve à la classe ouvrière.
Mais, est-ce que l’assassinat de Feltrinelli et les attaques contre les Brigades Rouges ne démontrent pas au contraire la faiblesse, ou plutôt l’immaturité d’un tel choix ?
Non, parce qu’on ne peut pas dériver la faiblesse d’une ligne politique à partir de la corrélation de forces relative que l’organisation représentant cette ligne a été à même d’établir dans sa phase initiale.
L’attaque que la bourgeoisie a déchaînée contre nous au mois de mai provenait de leur conviction erronée qu’elle pouvait neutraliser l’impact de la proposition stratégique de lutte armée pour le communisme, simplement en exploitant la faiblesse organisationnelle qui nous caractérisait.
Cette évaluation politique erronée, c’est exactement ce qui a causé l’échec de l’opération policière, et nous nous sommes renforcés.
En fait, en refusant le terrain de « l’affrontement frontal » entre les Brigades et l’appareil d’Etat armé qui nous était proposé, nous gardions tout notre temps pour contre-attaquer « silencieusement » contre des cibles économiques.
Le résultat, ce fut le renforcement de notre infrastructure organisationnelle, qui prouvait en même temps la faiblesse politique de l’Etat policier même s’il est pourvu de fortes structures militaires.
L’accusation de terrorisme a été portée contre vous, de la part de différents secteurs, qu’en pensez-vous ?
Le « terrorisme » dans notre pays et dans cette phase de la lutte est une composante de la politique menée par le front des patrons, qui commence avec la massacre de la Piazza Fontana [à Milan en 1969, cet attentat sanglant et aveugle fut commis par les fascistes et attribué aux révolutionnaires].
Son but est d’acculer à la retraite générale le mouvement ouvrier et d’aboutir à une restauration complète de l’exploitation à ses anciens niveaux. La classe dominante a spécifiquement recherché la réalisation de trois objectifs fondamentaux avec cette politique.
1. encourager la croissance du bloc réactionnaire aujourd’hui au pouvoir, et en particulier de ses composantes les plus fascistes, avec la perspective de reprendre le contrôle de la situation dans les usines et dans le pays.
2. écraser les menées révolutionnaires et canaliser les luttes qui avaient mûri ces années-là dans une direction social-pacifiste, en exhibant le spectre de la lutte armée comme un « saut dans les ténèbres ».
3. discréditer les organisations révolutionnaires et accuser la gauche de provocation fascistes et anti-classe ouvrière, en suivant la formule « les extrêmes se rejoignent » et en rendant équivalentes entre elles toutes les manifestations de violence.
Notre engagement dans les usines et les quartiers a toujours été depuis le début d’organiser l’autonomie ouvrière pour la résistance à la contre-révolution en mouvement aujourd’hui, et de résister à la liquidation des menées révolutionnaires par les opportunistes et les réformistes.
Organiser la résistance et construire le pouvoir prolétarien armé sont les slogans qui ont guidé et qui guident notre travail révolutionnaire. Qu’est-ce que cela a à voir avec du « terrorisme » ?
Par conséquent, dites-nous quel est la ligne directrice de votre intervention dans cette phase ?
Avec l’édification des Brigades Rouges, nous voulions créer un centre stratégique capable de prendre en main les problèmes les plus urgents soulevés par le mouvement de résistance prolétarienne.
Nous n’avons pas créé un nouveau groupe, mais nous avons travaillé à l’intérieur de chaque manifestation de l’autonomie de classe à unifier sa conscience autour de la proposition stratégique de la lutte armée pour le communisme.
Aujourd’hui nous pouvons dire que la bouteille jetée à la mer a été saisie avec son message : le problème de l’organisation prolétarienne armée a été pris en main par l’ensemble du camp révolutionnaire.
Donc maintenant il s’agit de faire un pas en avant ; imposer dans la lutte la ligne politique pour la construction du pouvoir prolétaire armé, contre les tendances militaristes et toutes les tendances erronées.
Militariste est la déviation de ceux qui pensent qu’il est possible de mettre en mouvement la classe ouvrière par la vertu de l’action armée, entendue seulement comme action exemplaire.
Groupiste est la déviation qui attribue les fonctions et la tâche de la lutte armée à un noyau de samouraïs.
Ces deux déviations ont un dénominateur commun : l’absence de confiance en la capacité révolutionnaire du prolétariat d’Italie.
Nous croyons que l’action armée est le point culminant d’un vaste travail politique par lequel l’avant-garde prolétarienne, le mouvement de résistance, est organisé directement en vue de ses besoins réels et immédiats.
En d’autres termes, l’action armée pour les Brigades Rouges est le point le plus haut d’un processus profond d’auto-organisation au sein de la classe : sa perspective de pouvoir.
Par conséquent, nous sommes convaincus qu’avancer sur le chemin de la lutte armée est nécessaire aujourd’hui pour mener à bien la tâche d’unification politique de toutes les avant-gardes politico-militaires qui évoluent à l’intérieur de cette perspective.
Est-ce que vous avez l’intention de travailler à l’unité politique entre les groupes révolutionnaires ?
Les groupes sont une réalité du passé, des reliques survivantes qui ne correspondent plus au développement objectif du processus révolutionnaire.
L’unité que nous cherchons à construire, c’est celle de toutes les forces qui se meuvent dans la perspective de la lutte armée pour le communisme.
Pouvez-vous être plus précis ?
A l’intérieur de la gauche non réformiste, il y a en ce moment 3 tendances à l’oeuvre.
La première est une tendance liquidationniste qui prend pour argent comptant l’idée de la défaite politique de la classe ouvrière.
Cette tendance se prépare à faire un travail de « parti » pour mener la « retraite » pendant une longue période de crise.
Ceux qui dirigent cette tendance tournent leurs pensées vers le développement organisationnel en interne, et commettent une lourde simplification des choses en identifiant la croissance du processus révolutionnaire avec la croissance de leur propre groupe.
Alors que les patrons ont choisi le terrain d’une guerre civile rampante, les liquidationnistes s’en accommodent en menant leurs activités sur le terrain de l’agit-prop légale.
De cette erreur découle la re-proposition d’un modèle « troisième- internationaliste », que nous considérons comme une répétition inoffensive d’une expérience historique que la classe ouvrière a déjà épuisé hier et qui n’a pas de sens pour demain.
La deuxième tendance est une déviation centriste qui, même si elle ne voit pas la défaite de la classe ouvrière comme une certitude, formule sa ligne d’action comme une série de batailles successives, qui ne sont jamais envisagées comme parties prenantes d’un plan de guerre unique.
Cette tendance est représentée par les organisations autonomes d’usine et de quartier, qui épuisent leur existence dans de la lutte tactique, s’illusionnant sur leur capacité à construire une alternative politique stratégique autour de politiques « au jour le jour ».
Concrètement, le problème que ces camarades ont encore à résoudre est contenu dans cette question : « organisations autonomes » ou « organisations de l’Etat prolétarien » ?
La troisième tendance c’est la résistance qui ne reconnaît en aucune façon la défaite de la classe ouvrière comme un fait établi.
C’est la tendance qui sait reconnaître les nouvelles formes de l’initiative prolétarienne et travaille à les projeter le long de la piste stratégique de la lutte armée pour le communisme.
Sur le terrain de la guerre révolutionnaire de classe.
La ligne de construction du pouvoir prolétaire armé se base principalement sur cette dernière tendance.
L’unité que nous cherchons à construire c’est donc en premier lieu celle des forces qui forment le camp de la résistance : les forces qui depuis 1945 ont toujours été placées sur les marges des lignes officielles du mouvement ouvrier communiste, et les forces plus jeunes d’une tradition récente qui a enrichi l’héritage de l’autonomie prolétarienne avec les luttes de 1968 et 1969.
Jusqu’à maintenant, vous n’avez pas dit un mot sur le Parti Communiste italien. Pourquoi donc ?
Le Parti Communiste est une grande force démocratique qui poursuit une stratégie exactement opposée à la nôtre.
Il ne nous semble pas justifié ni important de continuer à l’attaquer sous une avalanche de paroles.
Sur le terrain révolutionnaire, la lutte idéologique doit aussi se baser sur la capacité à rendre nos convictions politiques vivantes dans l’histoire.
Donc nous sommes convaincus qu’avec la consolidation politique et organisationnelle dans le mouvement ouvrier de la ligne de résistance, de pouvoir prolétarien et de lutte armée, les éléments communistes qui font encore confiance à ce parti sauront certainement comment se décider.
Lorsque vous parlez de résistance, comment voyez-vous le développement des forces révolutionnaires dans le Sud ?
Un développement révolutionnaire en Italie est impensable sans la participation active des prolétaires du Sud.
Malheureusement, le chemin révolutionnaire des masses méridionales est rendu tortueux aujourd’hui, surtout à cause du ressentiment de masse vis-à-vis de l’échec de la stratégie réformiste.
La bourgeoisie fasciste a temporairement réussi à gagner à sa cause des couches populaires de nombreuses zones du Sud, en organisant leur « colère » autour d’objectifs qui ne sont en rien révolutionnaires.
Aujourd’hui, c’est au tour des forces d’avant-garde de la classe ouvrière du Nord de rouvrir la discussion sur l’unité politique avec le Sud. C’est une tâche urgente.
Nous devons faire très attention à empêcher que l’action de la bourgeoisie dans le Sud ne se tourne contre la classe ouvrière dans le Nord.
Mais comment est-il possible de travailler suivant ces lignes étant donné la fragilité des structures politiques révolutionnaires dans le Sud ?
Dans le Sud les menées révolutionnaires ne manquent pas, bien au contraire ; en fait, d’un certain point de vue, elles expriment un niveau très avancé.
La bourgeoisie sait pertinemment que si les mécanismes de contrôle social se brisaient, le courant révolutionnaire avancerait avec une grande impétuosité.
Pour cette raison, l’Etat, le gouvernement et les capitalistes encouragent tous le « méridionalisme », c’est-à-dire le régionalisme du Sud dirigé par les fascistes, qui se pose comme une tendance subversive/criminelle face à l’Etat.
En fait, ils ne sont subversifs que face aux luttes ouvrières. [Ce passage concerne bien sûr les mafias du Sud et leur rôle contre-révolutionnaire]
Nous voulons dire que les réformistes contribuent à la confusion en défendant « l’Etat démocratique » italien , qui pour le Sud ne signifie que la répression et l’exploitation par le Nord.
Ceci aide la droite à établir son hégémonie sur les forces prolétariennes du Sud qui tendent à se mouvoir contre le système.
Etant donné que les choses se présentent comme cela, qui peut commencer à renverser cette tendance ?
Autant être clairs : certainement pas ces groupes intellectuels de la gauche méridionale qui passent leur temps à étudier « les phases du développement capitaliste dans le Sud » ou « les différences historiques entre le Nord et le Sud », qui pendant ce temps continuent à grandir.
Même ces groupes qui ont tout concentré sur l’agitation et la propagande ont peu de chance de fournir une voie stratégique pour faire avancer l’élan révolutionnaire en cours dans le Sud.
Pour débloquer la situation, il est nécessaire que la consolidation de l’avant-garde armée sache s’y prendre pour unir la nouvelle classe ouvrière, les journaliers, les chômeurs et le sous- prolétariat dans la lutte contre les fascistes, les bourgeoisies locales et les organes répressifs d’Etat.
Dans quels domaines avez-vous l’intention de développer votre activité dans un futur proche ?
Il y a deux types d’activité que nous menons, du même pas et avec continuité et détermination : l’organisation de la clandestinité et l’organisation des masses.
Par travail clandestin, nous entendons la consolidation d’une base matérielle économique, militaire et logistique qui garantisse une pleine autonomie à notre organisation et qui soit une base arrière stratégique pour le travail parmi les masses.
Par travail d’organisation des masses, nous entendons la construction des liaisons de l’Etat prolétarien dans les usines et des quartiers populaires : un Etat souterrain et armé qui se prépare à la guerre.
Pouvez-vous clarifier ce dernier point ?
Le problème que nous devons résoudre, c’est de donner à ces poussées révolutionnaires provenant du mouvement de résistance une dimension de pouvoir.
Ceci demande un développement organisationnel dans toute la classe qui sache respecter les différents niveaux de conscience qui y existent, mais qui sache en même temps les unifier et forcer leur évolution révolutionnaire vers la perspective stratégique de la lutte armée pour le communisme.
Les Brigades Rouges sont le premier noyau de guérilla à travailler dans cette direction.
Pour cette raison, les militants communistes qui se penchent sur la construction du parti armé du prolétariat s’organisent autour d’elles.
Quels critères guident votre pratique dans la lutte des classes en cette période ?
Nous avançons avec une vue sur le long terme ; nous savons que nous ne sommes pas dans la phase de guerre et justement pour cette raison nous travaillons à créer ses fondations subjectives et organisationnelles.
Voilà notre critère. Toutes nos actions visent ce but.
Le mouvement de résistance populaire est en partie caractérisé par un désir généralisé de combattre la bourgeoisie et par une incapacité tout aussi généralisée à mener ce combat sur le terrain qui lui est imposé.
Notre pratique montre la direction à prendre pour résoudre cette contradiction.
Nous ne recherchons pas la publicité d’actions exemplaires, mais à la place, et avec les avant-gardes prolétariennes, nous posons ces problèmes :
– celui d’une GUERRE CONTRE LE FASCISME, qui n’est pas l’apanage des chemises noires d’Almirante, mais aussi le fascisme en chemise blanche du premier ministre Andreotti et de la Démocratie Chrétienne ;
– celui d’une RESISTANCE DANS LES USINES, pour frapper les ennemis, saboteurs et liquidateurs de l’unité et du pouvoir ouvrier et combattre du tac au tac l’offensive des patrons cherchant depuis des décennies la défaite politique des ouvriers ;
– celui de la RESISTANCE A LA MLITARISATION DU GOUVERNEMENT, ce qui ne veut pas dire lutter pour la défense des espaces démocratiques- bourgeois, mais pour la destruction des structures armées de l’Etat et de ses milices fascistes parallèles.
Une dernière question : est-ce que vous vous envisagez le développement du processus révolutionnaire en terme national ou continental ?
Parvenir à une dimension européenne et méditerranéenne de l’initiative révolutionnaire est un objectif très important. Il nous est imposé par les structures supra-nationales du capital et du pouvoir.
Travailler à sa maturité implique avant tout de développer la guerre de classe dans son propre pays, mais aussi d’être prêt à soutenir les initiatives de soutien concret exigées par le mouvement révolutionnaire et le mouvement communiste international.
[Article paru dans la revue Front Social n°19, 2001.]
1.L’Italie et la lutte des classes
L’Italie a eu un passage au capitalisme qui fut difficile en raison de la force des structures féodales. Il n’y eut pas de révolution bourgeoise comme en France ; des éléments du féodalisme, comme le Vatican, se conjuguèrent finalement au capitalisme. Un déséquilibre se fit sentir dans l’économie : le nord de l’Italie est ainsi industriel tandis que les régions méridionales sont historiquement marquées par la petite production et l’agriculture.
Après la première guerre mondiale impérialiste de 1914-1918, le mouvement des masses italiennes fut relativement puissant, permettant l’émergence d’un mouvement révolutionnaire fort. Les classes dominantes soutinrent alors le mouvement fasciste de l’ex-socialiste Mussolini, qui écrasa le mouvement ouvrier et pris le pouvoir en 1922.
Le tout jeune Parti Communiste, né en 1921, dut alors s’organiser dans l’illégalité, son principal théoricien Antonio Gramsci croupissant en prison. En le condamnant, le juge dira: » Il faut empêcher ce cerveau de penser pour au moins vingt ans « .
Aidé dans sa tâche par l’Internationale Communiste, le PC réussit à se développer et à guider le mouvement de masse dans une large résistance armée face au fascisme dès que celui-ci passa sous la coupe allemande (1943-1945).
Mais l’intervention américaine, qui s’alliera à la mafia pour contrecarrer le PCI et aider la bourgeoisie italienne, empêchera grandement une prise de pouvoir par les masses populaires, et cela d’autant plus que la direction du PC était gangrenée par le révisionnisme. Tout comme Thorez en France, Togliatti avait en fait abandonné les principes essentiels du marxisme-léninisme.
Ainsi, alors que les » brigate d’assalto » et les travailleurs occupaient les usines et que les patrons s’enfuyaient en Suisse, les dirigeants du P.C.I. enjoignirent ceux-ci à revenir et » à prendre leurs responsabilités « .
L’Etat bourgeois italien put donc continuer à vivre, s’appuyant sur les acquis structurels des années de fascisme, sur un prolétariat du nord industriel contrôlé par un PCI gagné au partenariat social et sur une paysannerie au sud qui transforma la démocratie-chrétienne en mouvement de masse.
Il va de soi en effet que les modernisations monopolistes effectuées par les fascistes ne furent pas remises en cause. Ni même le fascisme d’ailleurs: de nombreux plans de putsch étaient prévus, et les attentats -massacres fascistes furent nombreux (place Fontane en 1969, gare de Bologne en 1980, train Bologne-Florence en 1984…). C’est ce que les révolutionnaires ont appelé » la stratégie de la tension » effectuée par l’Etat.
Le prolétariat combatif ne se laissera pourtant pas abattre par les fascistes et le réformisme de type révisionniste du P.C.I.. Il continua de s’organiser et de lutter, apprenant grandement des expériences internationales.
C’est l’époque de la Chine révolutionnaire, de la lutte de libération au Vietnam…
A cela s’ajoute l’activité d’intellectuels qui, menant des » enquêtes prolétaires « , redéfinissent la lutte de la classe ouvrière, constatant qu’elle développe des formes de luttes » différentes « , apparemment » nouvelles « . De plus en plus en effet se généralisent le sabotage, l’absentéisme, les grèves dures, le refus du travail salarié exploité.
2.Les révoltes des années 60 et le mai rampant
1966 est l’année d’une grande grève des métallos. Des débrayages ont lieu à Rome, Milan, Naples, Gênes et Trieste, avec à chaque fois un débordement des syndicats et des combats de rue.
Les revendications sont également intercatégorielles. La grève se fait à tour de rôle, afin de pouvoir durer, et des consiglia de fabbrica (conseil d’usine) se développent, notamment à Milan chez Siemens.
En 1967 c’est à Cutro et sur l’île de Capo Rizguto que les paysans et les chômeurs se révoltent. Les licenciements dans les usines textiles de Vibo et Catane, la domination de l’administration locale par les clans, l’absence d’électricité et de produits pharmaceutiques, la mauvaise distribution des terres… sont autant de raisons à cette révolte.
Dans la ville de Masse les travailleurs de chez Olivetti réduisent eux-mêmes leur temps de travail, et obtiennent de meilleurs accords, grâce notamment au travail local du noyau toscan de Potere Operaio (Pouvoir Ouvrier), qui va devenir l’un des premiers grands mouvements révolutionnaires de masse.
En 1968, il y a tout d’abord le conflit textile à Veneto (Mazatto / Valdagno). La région dominée par les petites entreprises voit apparaître l’accélération des cadences, la réorganisation capitaliste, le chômage… en février c’est la grève et en avril l’explosion. Voitures incendiées, maisons bourgeoises pillées… Les unités spéciales interviennent.
Dans les facultés c’est l’ébullition, surtout depuis l’arrivée à Rome, Milan et Naples d’étudiantEs d’origine populaire. La liaison étudiantEs – classe ouvrière provient plus d’une situation sociale que d’un présupposé idéologique. Pourtant, même des facs élitistes comme Pise ou la sociologie à Trento sont touchées.
Et les thèmes développés sont de classe, même si la gauche catholique-social tente d’intervenir. On parle du Vietnam, du marxisme-léninisme, de la révolution culturelle en Chine populaire.
Des groupes étudiants révolutionnaires vont ainsi lutter contre l’influence des catholiques et celle des travailleurs sociaux des » initiatives de citoyens « .
En avril 1968, c’est la grève quasi-permanente chez FIAT. Les revendications : la semaine des 40 heures, la paie immédiate, mais également le refus des heures sup, du contrôle de la vitesse et de la quantité de travail.
Là aussi les grèves ne durent que quelques heures par jour. A Cosenza les paysans se révoltent et sont rejoints par des travailleurs journaliers.
En décembre 1998 les travailleurs journaliers feront grève à Avola/Siracusa. Les routes nationales sont bloquées, des barricades montées, la grève générale suit. Les unités spéciales sont repoussées, puis tirent pendant 25 minutes, faisant deux morts.
Lorsqu’en 1969 le président des USA Nixon vient à Rome, les manifestations anti-impérialistes sont nombreuses, il y a des combats de rue. En avril c’est la révolte à Battipaglia/Salerno (25.000 habitantEs), lorsque la dernière usine ferme. La police tire : 2 morts, plus de 100 blessés, une caserne est brûlée.
Mais c’est également l’ébullition à Caserta et Pescara, dans une moindre mesure à Palerme, Cagliari, Melfi, Naples. Le PCI (en italien prononcer » pichi « ) s’oppose à ces luttes du Sud, y voyant l’œuvre de brigands et de » teppisti » opposés au développement économique. Sa nature révisionniste est claire.
En automne, c’est la grève générale au niveau national, contre les accords passés entre le patronat et les syndicats. » Lavorare meno – lavorare tutti ! » – Travailler moins, travailler tous, tel est le mot d’ordre.
Les sabotages se font en masse, les hiérarchies sont brisées, les employés et techniciens rejoignent les ouvriers. Des occupations de maison ont lieu ( » Vogliamo tutto ! Prendiamoci la citta ! » – Nous voulons tout ! Prenons la ville !).
L’économisme des syndicats et le réformisme perdent leur hégémonie.
Des CUB ( » Comitati Unitari di Base » – Comités Unitaires de Base) se forment, ainsi que des groupes d’employés et de techniciens ( » Gruppi di Studio » – Groupe d’étude) et d’étudiants ( » Movimento Studentesco « ). Les années 1968-1969 vont amener la naissance de groupes révolutionnaires puissants, dont le principal sera » Potere Operaio » (Pot.op.), » Pouvoir Ouvrier « , dont sortira très vite » Lotta Continua » (LC).
3.Potere Operaio
Potere Operaio ne tombe pas du ciel; l’organisation est issue d’un travail profond dans le prolétariat. Les premières connections se sont faites autour des revues » quaderni rossi » (cahiers rouges, 1961) et » la classe » (sous-entendue ouvrière, 1969).
Il s’agit principalement d’intellectuels et de techniciens analysant le processus de production. Sont étudiées les évolutions techniques et les restructurations. La relation capital/travail n’est plus considérée statiquement et après coup ; il s’agit à la fois de coller à l’ouvrier de base et à l’évolution générale.
En 1961/1962 sont ainsi apparues les » inchiesta proletaria « , les enquêtes prolétaires, qui questionnent l’ouvrier dans son quotidien, et qui constatent comment les luttes pratiques se développent malgré la pression des révisionnistes.
Les partisans du futur potere operaio prennent le nom d’opéraistes (en français le terme serait » ouvriériste « , mais il n’est pas tout à fait exact car il n’a pas sa connotation économiste).
Pour eux/elles, la lutte part de la subjectivité ouvrière : volonté de refus du travail et des cadences, volonté qu’il s’agit de transformer en pratique révolutionnaire.
Pour les opéraistes, le niveau politique est moins à lire idéologiquement, qui est tronqué, que dans le niveau d’absentéisme, de sabotages, de grève, d’insubordination, etc.
Dans le document de 1971 intitulé « Che cos’è Potere Operaio » (Qu’est-ce que Potere Operaio), il sera ainsi dit:
» Le slogan que nous avons propagé durant toutes les années 1960, » plus d’argent moins de travail « , signifiait justement cela : avec une intention précise et subjective provoquer la crise capitaliste, c’est-à-dire opposer à la stabilité du capital l’irréductibilité des besoins de la classe ouvrière.
Nous avons fait l’expérience suivante : eu égard un capital ayant réduit ses contradictions intérieures à un minimum, nous avons tenté de faire jouer jusqu’au bout la contradiction principale, qui reste insoluble – la contradiction entre travailleur et capital – et d’organiser cela par rapport du rapport de production « .
L’objectif des opéraistes, qui partent de l’ouvrier-masse, c’est-à-dire de l’ouvrier des grandes usines d’alors, est d’unifier la classe avec comme axes principaux le refus du travail, le refus des différents échelons de salaires.
Contre l’inflation, le chômage, il s’agit d’exiger les mêmes augmentations pour tous, et, qui plus est, » un revenu garanti pour tous, qui travaillent ou pas, ou s’y préparent ; en plus de la semaine des 36 heures, le paiement des heures de transport pour aller au travail et l’abolition de la mobilité « . L’objectif de Potere Operaio est ainsi d’unifier les classes populaires, de la femme de ménage à l’étudiant, tout en défendant » l’hégémonie des luttes des ouvriers sur les étudiants et les prolétaires « .
Mais beaucoup d’autres questions se posent, car en définitive Potere Operaio n’était que l’expression d’un besoin des éléments avancés des masses de s’organiser. De plus, l’influence de l’école de Francfort est grand, et Potere Operaio est assez proche de la conception révisionniste comme quoi le capitalisme arrive à » surmonter » ses crises en se réorganisant. Il est parlé du groupe des » professeurs « , puisque les dirigeants sont plus proches du monde universitaire que de la classe ouvrière (Toni Negri, Franco Piperno, Oreste Scalzone).
Une frange est très vite sortie de Potere Operaio, quasiment dès le départ, pour former » Lotta Continua » (LC). LC prônait la radicalisation des luttes partielles : lutte dans les villes, les prisons ( » les damnés de la terre « ), l’armée ( » prolétaires en uniformes « ), et développement de la contre-information. Le succès de LC est notable, en raison de son aspect plus politique.
Mais la politique de LC consiste principalement en une contestation révolutionnaire, pas en une politique révolutionnaire. Et c’est ainsi ailleurs au sein de cette nouvelle gauche que les éléments les plus avancés de rassemblent, cherchant des réponses chez Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.
4.La naissance du CPM (1969)
Le 8 septembre 1969 se forme dans cette mouvance de la « nouvelle gauche » un nouveau groupe, le CPM, c’est-à-dire le Collettivo Politico Metropolitano.
Issu de groupes ouvriers (Sit-Siemens, IBM, Pirelli…), particulièrement dans le » triangle de fer » (Turin, Milan, Gênes), le CPM entend amener de nouveaux fondements pour la lutte révolutionnaire.
Leur stratégie consiste en effet à » enraciner la lutte armée à partir des luttes de l’ouvrier-masse des grandes concentrations industrielles « .
Dans un texte de décembre 69, intitulé » lutte sociale et organisation dans la métropole « , le CPM prône l’autonomie ouvrière, c’est-à-dire » le mouvement de libération du prolétariat de l’hégémonie globale de la bourgeoisie « , la rupture totale avec les institutions.
Le CPM ne prône pas, comme en général les mouvements pour l’autonomie, la fédération de groupes de base, » d’associations spontanées, sporadiques et apolitiques « , mais la construction d’une organisation révolutionnaire, avec des structures illégales selon le principe léniniste, et visant le renversement de l’Etat.
La propagande du CPM diffère donc également des groupes prônant l’organisation de groupes armés pour l’éventualité d’un coup d’Etat, comme les Groupes armés partisans de l’éditeur Feltrinelli, qui se veulent issus de la résistance des années de guerre. Il s’agit ici de mener une guerre populaire, de classe.
En juillet 70, le CPM prend le nom de sa revue, » sinistra proletaria « , la gauche prolétarienne.
Ce nom est clairement une allusion au groupe révolutionnaire français du même nom, qui développe une lutte à la base dans les usines.
Le 17 septembre 1970 les brigate rosse (brigades rouges) apparaissent en revendiquant l’incendie d’une voiture d’un manager de Siemens – c’est en fait le CPM qui en est à l’origine.
En avril 1971, la revue change de nom et devient » nuova resistenza « , nouvelle résistance, avec comme symbole un marteau et une faucille entrecroisé d’un fusil.
On peut y lire dans le n°2 que :
» La révolution moderne n’est plus une révolution propre (…), elle recrute ses éléments en pêchant en eau trouble. Elle avance par des voies détournées et elle se trouve des alliés en tous ceux qui n’ont aucun pouvoir sur leur propre vie et le savent (…).
Dans l’attente de la grande fête révolutionnaire où tous les expropriateurs seront expropriés, le geste criminel isolé, le vol, l’expropriation individuelle, le saccage d’un supermarché ne sont qu’un avant-goût et un signe de l’assaut futur contre la richesse sociale ».
5.La parenthèse semi-révisionniste armée des Groupes d’Action Partisane
Les GAP, ce sont les » gruppo d’azione partigiana « , terme repris aux groupes d’action partisane opérant en 1944 contre le fascisme.
Ces groupes d’action partisane ont été fondé en 1970 par l’éditeur Giangiacomo Feltrinelli, un très grand éditeur (comme Gallimard, avec en plus une quinzaine de grandes librairies), qui avaient appelé en 1969 à la formation de structures illégales. Ces groupes clandestins naissent à Milan, Turin et Gênes.
La ligne des GAP oscille entre celle de la Fraction Armée Rouge allemande et celle de la résistance armée au fascisme. D’un côté les GAP sont là pour défendre les structures démocratiques le cas où. Il est vrai que l’Italie des années 1960-1970 est marquée par de nombreux attentats-massacres organisés par les fascistes (ainsi ceUX de la Place Fontane, de Brescia, du train Rome-Brenner).
Mais la ligne qui devient dominante considère que l’Italie devient la colonie de l’OTAN, et que cela fait partie d’un processus de fascisation. Il faut donc des » bases rouges « , tout en considérant le bloc de l’Est comme un arrière-pays passivement » positif » même si révisionniste.
Les luttes sociales ne sont pas mises en avant, à l’opposé de l’anti-impérialisme.
La ligne est de fait celle de la RAF : il s’agit de libérer le pays de l’emprise de l’impérialisme, principalement américain. Pour Feltrinelli, puisque l’Italie avait une situation sociale chaude, il fallait s’attendre à ce que l’OTAN impose des transformations brutales. Ce qui se passera de fait en Turquie quelques années plus tard, à ceci près que ce pays était réellement une néo-colonie. La radio-pirate » RADIO-GAP » explique que :
» La voie de la révolution communiste, la voie de la libération définitive du prolétariat et des travailleurs italiens de la domination et de l’exploitation par le capital italien et étranger nécessite une guerre dure et longue. Mais les brigades de partisans, les camarades travailleurs italiens se sont à présents mis sur cette voie. La voie de la libération, la voie des partisans, marchant en avant-garde de la révolution communiste.
Travailleurs, journaliers et étudiants révolutionnaires ensemble et unis pour la victoire définitive sur le capitalisme et l’impérialisme « . Il s’agit d’organiser » une participation toujours plus large et intensive à la guerre anti-impérialiste internationale « .
Feltrinelli dira à ce sujet que :
» Qui considère la guerre révolutionnaire cubaine comme terminée se trompe sur la réalité, même s’il la voie, et comprend vraiment très peu de la stratégie révolutionnaire. La guerre révolutionnaire, le processus révolutionnaire est continental dans le faits et ne peut que terminer par une victoire définitive sur l’impérialisme en Amérique latine « .
C’est-à-dire qu’il fait la même erreur stratégique que le Che, et qui sera vigoureusement critiqué par les maoïstes, notamment après la catastrophe bolivienne. Cette position est similaire à la RAF, qui considérait également le processus révolutionnaire comme immédiatement totalement international.
Feltrinelli a la même position à ceci près qu’il va encore plus loin puisqu’il fait une transposition de l’analyse de l’Amérique latine de Guevara :
» La gauche européenne a comme devoir de trouver des solutions tactiques qui correspondent à la réalité de chaque pays européen (pris dans sa particularité).
Dans le déroulement des différents processus révolutionnaires qui – et même si cela est timide – apparaissent au grand jour dans les pays du vieux monde, une stratégie continentale prendra sa forme et sa substance, et aura une fonction décisive dans notre guerre de longue durée « .
Feltrinelli fut à l’origine de la publication de très nombreux documents ; il succomba à l’explosion de sa bombe en 1972 (visant à détruire un grand pylône électrique). Les GAP s’écroulèrent aussitôt. La ligne des GAP aura toujours été très critiqué par les groupes armés d’Italie, qui l’interprétaient comme réformiste armée.
6.1970/1973 : la naissances des BR
Les BR sont donc nées de l’activité théorico-pratique du CPM, et ne forment au départ qu’un petit groupe, avec lequel les membres des plus grandes organisations sympathisent. Le groupe Lotta Continua, alors l’une des plus grandes organisations, ira jusqu’à proposer aux BR de devenir leur bras armé.
Lotta Continua tente en effet d’encadrer ce qu’elle a souhaité théoriquement mais n’assume pas en pratique.
Ainsi, lors de la grande révolte de la ville de Reggio en Calabre (juillet 1970-février 1971) à l’annonce que la ville ne serait pas capitale provinciale (et qu’il n’y aurait ainsi pas d’aides pour résorber le chômage, alors que seulement 30% des emplois étaient » normaux « ), la lutte armée avait commencé, et Lotta Continua affirmait la soutenir.
Les masses populaires (avec l’aide des ouvriers des usines Omeca et des milliers de paysans pauvres) se retranchent dans les petites rues des quartiers populaires, érigent des barricades en ciment, désarment les carabinieri (les gendarmes italiens), pillent les commissariats, détruisent la mairie, la gare, les sièges des partis politiques et des banques.
La lutte alterne manifestation et dynamite, mais est écrasée au moment de son extension en Sicile et en Calabre par l’intervention de l’armée.
Le journal de Lotta Continua du 30 octobre y consacra 6 pages ( » Reggio proletaria, Reggio rossa « ) :
» Menons la. Ce qui est nécessaire : ne plus payer de loyers, de tickets, d’impôts, ne plus faire le service militaire, ne plus voter, s’organier en rassemblement de quartier (…). Dans une partie de l’Italie, à Reggio en Calabre, la lutte armée a commencé (…). Contre l’Etat, contre les patrons, contre l’exploitation, contre le chômage, contre l’émigration « .
Lotta Continua mène la même politique que la Gauche Prolétarienne en France, avec le même soutien théorique à la violence populaire qu’elle ne sait ni organiser ni comprendre stratégiquement. Potere Operaio mène également le débat, le congrès de 1971 (le troisième) débat également de l’illégalité. Il a même été créé un éphémère FARO (Fronte Armato Rivoluzionario Operaio) qui mènera quelques attentats à l’explosif.
A l’opposé, les BR mènent ainsi de 1970 à 1973 ce qu’elles appellent la propagande armée. Se concentrant sur les grandes usines, notamment à Milan et Turin (Fiat), les brigadistes distribuent des listes d’indics et de chefs qui doivent être » frappés de la vengeance prolétaire » en raison de leurs liens avec les patrons.
Ce fut en 1970 le début d’une série d’actions systématiques consistant en ce que les prolétaires faisaient eux-mêmes de temps en temps: bastonnade des capi (contremaîtres), sabotages, etc. En automne 70 les BR menèrent des actions contre les fascistes et les provocateurs dans les usines, contre les cadences et pour la remise en cause du lien entre hausse de la productivité et hausse des salaires.
Après avoir incendié la voiture du chef de la sécurité de Pirelli (27.11.70) et du chef du personnel (8.12.70), elles incendient huit poids lourds de chez Pirelli, afin de « présenter la facture » aux patrons pour les licenciements.
Dans leur sixième communiqué les BR affirment que les patrons sont allés trop loin pour qu’un compromis soit encore possible. Des techniques de sabotage furent diffusées, montrant par là que les brigadistes avaient des gens sur place.
En septembre 71 sortit le premier texte programmatique, sous la forme d’une auto-interview (de la même manière donc que les Tupamaros uruguayens). Les BR y expliquent qu’il est nécessaire de choisir la stratégie de la lutte armée pour le communisme, critiquent les politiques » défensives » , et affirment ne pas être un » bras armé » mais un » point de rencontre » des révolutionnaires.
Les actions continuent alors jusqu’à l’enlèvement le 3 mars 72 d’Idalgo Macchiarini, top manager de chez Siemens et responsable de l’organisation du travail. Les br le gardent 20 mn pour un procès symbolique puis le libèrent (sous » conditions « ).
Dans un tract les BR le traitent de » fasciste en chemise blanche « . C’est le début des slogans qui marquent: » Frapper et s’enfuir ! Rien ne restera impuni! En frapper un pour en éduquer cent! « . Cette action fut populaire dans l’extrême-gauche, un peu de la même manière que les actions » violentes non armées » de la Gauche Prolétarienne en France.
Ce genre d’action est en effet aisément compréhensible par tout travailleur, ne nécessite pas de connaissance idéologique au préalable. D’autant plus que le prolétariat est dans une situation précaire. Chez SIP (télécommunication), 20.000 travailleurs sont en CDD ou au noir!
Néanmoins la gauche » officielle » et les patrons attaquent les BR dès le départ, et les diffamations sont nombreuses. De faux attentats signés » BR » sont effectués, et la répression fut grande. Cela, et les affrontements entre manifestants et la police à Milan lors de la manifestation du 9 mars 1972, poussent les BR à passer dans la clandestinité totale.
» Ce fut l’offensive du pouvoir mené le deux mai contre l’organisation qui enleva tout doute au fait que la clandestinité soit une condition sine qua non à la survie d’une organisation politico-militaire opérant à l’intérieur des métropoles impérialistes « . Les brigadistes attaquèrent alors des banques et organisèrent de nouvelles » colonnes « .
Le 26.11 et le 17.12.1972, ils/elles incendient les voitures des responsables de la sécurité et de la surveillance de chez FIAT à Turin. Le 11 janvier 73 ils/elles pillent un bureau du syndicat fasciste la CISNAL à Turin également, et le 15.1.73 à Milan le bureau d’une union d’entreprises liée à la démocratie-chrétienne.
L’hiver fut rude: affrontements très violents de manifestants contre la police à l’occasion d’une réunion du parti fasciste le » MSI « , et licenciements massifs à la FIAT de Turin où presque 200 000 travailleurs se sont mis en grève.
Le 12.2.73 les BR enlèvent alors Bruno Labate, secrétaire de la CISNAL de Turin, et l’enchaînent dans l’usine avec un panneau rempli de slogans, ce après l’avoir interrogé pendant quatre heures. Pas un seul ouvrier rentrant dans l’usine ne le libérera.
En mars 73, à la FIAT de Mirafiori, l’usine fut occupée et défendue une semaine par les travailleurs contre la police et les fascistes.
C’est ce qu’on a appelé le » parti de Mirafiori « , le mouvement offensif et spontané des travailleurs. Mais avec les accords passés par les syndicats la tension retomba. Les BR répondirent à cette dépendance ouvrière par un papier théorique, à nouveau sous la forme d’un auto-interview.
A l’opposé, une frange spontanéiste se développe au sein du mouvement pour l’autonomie ouvrière, et refuse le principe d’une organisation d’avant-garde menant la lutte armée.
7.La multiplication des BR (1973-1974)
Pour les BR les prolétaires veulent mettre à bas la bourgeoisie, mais ne savent pas comment. Il s’agit de résoudre cette contradiction par trois lignes d’offensive: » guerre au fascisme; résistance dans les usines; résistance contre la militarisation du régime « .
De son côté le système met en avant la » repubblica conciliare « , la république de la conciliation. Les brigadistes tentent dans cette période de toucher la base du P.C.I. qui, si elle est sincère, » comprendra certainement quel choix il faudra faire » pour la prise du pouvoir. La direction du P.C.I., qui développe le compromis historique, est par contre considérée comme ennemie.
Le mouvement de masse est lui énorme : autoréductions massives dans les supermarchés à Naples, Milan, Rome, mais également du téléphone, du gaz, de l’électricité… Occupations de logements vides, sabotages des téléphones des quartiers bourgeois, aides des médecins et des infirmierEs à l’avortement…
Il faut dire qu’en 1973/1974, le loyer prend 50% des salaires ; il y a 10 à 60.000 familles sans logement par ville. Il y a 11.413 cas de typhus, 278 de choléra, 40.000 hépatites, 3.000 méningites, 73.000 mortEs par maladies infectieuses (seulement 12.489 reconnuEs comme tel). 4.000 communes sont sans eau, 2.000 sans canalisation, un million de personnes vivent dans des baraquements, la mortalité infantile est de 50 pour 1.000.
Des boycotts s’organisent, rassemblant de 50 à 100.000 personnes par million de payeurs/payeuses (le prix au Kw est 6 fois plus cher que pour les entreprises).
Le grand mouvement de contestation dura deux années, afin de se ralentir, mais a bouleversé le paysage politique révolutionnaire, d’autant plus que les femmes s’investissent énormément (un référendum autorise d’ailleurs le divorce).
Le groupe d’extrême-gauche » lotta continua » disparaît peu à peu, son réformisme n’ayant plus cours.
Potere Operaio, mouvement fondateur du principe d’autonomie de la classe ouvrière, se dissout également, de manière spontanéiste, contribuant à la naissance de l’autonomia operaia., l’autonomie ouvrière dite » autonomie organisée « , qui coexiste avec l’autonomie en général (revues » Viola « , » Désir « , » Neg/azione « , » A/traverso « , » Zut « …).
Les NAP, noyaux armés prolétaires, se forment dans les prisons, et mènent des actions conjointement avec les BR.
Le 28 juin 73 Michele Mincuzzi, ingénieur de chez Alfa Roméo, est enlevé, interrogé puis libéré. Ici ce sont encore les cadences qui sont attaquées. Le 10.12.73 c’est le chef du personnel de FIAT qui est enlevé.
Ettore Amerio, directeur du personnel de la FIAT, est également enlevé.
La convergence patronat / syndicat / PCI est ici attaquée de plein fouet. Les BR le gardent huit jours et émettent des revendications très précises (réintégrations des licenciés, dévoilement des indics, informations dans la presse quant à l’action, etc.).
Le futur maire de Turin parle alors des BR comme de » personnes cliniquement malades et droguées « , le journal l’Avanti parle de » néo-fascistes » et les trotskystes, toujours à la pointe de l’anticommunisme, affirment qu’il s’agit d’un » complot des services secrets « .
Après cette phase caractérisée par la propagande armée, considérée par les BR comme un » début « , la lutte sur le terrain de l’usine cède la place à l’attaque contre l’Etat. L’attaque au cœur de l’Etat doit être au niveau de l’antagonisme prolétaire.
De fait, début 74, les BR se sont élargies aux villes industrielles. Les groupes les plus forts sont:
o la colonne milanaise, avec ses trois brigades (Sit siemens, Alfa Roméo, Pirelli), o la colonne Vénétie, avec des brigades à Padoue et Porto Maghera, o la colonne turinoise chez FIAT dans les sections Meccanica, rivalta, presse et lingotto, o la colonne de Gênes, avec au moins une brigade.
Les BR sont en grande majorité composées d’ouvriers, ce qui ne les empêchent pas de développer des analyses extrêmement poussées des phénomènes modernes (informatisation, militarisation…). Le prestige de l’organisation est très grand.
Le 18 avril 74, le jour où Agnelli est nommé patron des patrons, les BR mettent en pratique le slogan » Sossi, fasciste, tu es le premier sur la liste ! « . Elles enlèvent à Gênes le procureur Mario Sosssi, et rend public le document intitulé » Contre le néo-gaullisme, mener l’attaque au coeur de l’Etat! « , où les restructurations étatiques sont considérées comme la cible n°1.
La résistance doit, selon les BR, passer à un niveau stratégique. Sossi est libéré en l’échange de la promesse de libération de prisonniers. Libération qui n’est pas faite, au lieu de cela la police écrase par les forces armées les révoltes dans les prisons (six morts).
Le 28 mai 74 les fascistes font un attentat à une réunion syndicale. Les brigadistes réagissent en attaquant le 17 juin 74 un bureau du MSI. Il y aura deux morts, sans que les BR l’aient initialement voulu.
Cet » incidente sul lavoro « , » accident » lors du travail effectué, ne pose pas vraiment de problèmes de conscience, même s’il ne s’agissait pas de dirigeants.
Le 1er octobre les Noyaux Armés Prolétaires (NAP) font sauter des mur des prisons de Poggioreali, Rebibbia et S. Vittore, et laissent des magnétophones munis de hauts-parleurs:
» Attention ! Restez à l’écart, cet équipement et cet endroit sont minés et exploseront à la moindre tentative d’interrompre cette communication.
Camarades prisonnières et prisonniers en taule, cette communications vous est destinée par les Noyaux Armés Prolétaires, qui se sont formés clandestinement en-dehors des prisons, afin de continuer la lutte des prisonniers contre le camp de l’Etat bourgeois et de sa justice. C’est un appel à la reprise des luttes dans les prisons, qui nous ont uni avec le prolétariat de 1969 à aujourd’hui.
Contre le capitalisme violent des entrepreneurs, contre l’Etat des entrepreneurs et son gouvernement. La réponse de l’Etat bourgeois à 5 ans de dures luttes a été la répression grandissante et une série de mesures fascistes comme le doublement des détentions préventives, et le creusement définitif de la réforme des prisons, qui est tellement prisée la propagande du gouvernement.
Le doublement de la durée est supportée par la peau de notre couche prolétarienne, avec l’active participation des révisionnistes. Maintenant et venu le moment de montrer que nous ne laisserons aucun répit à l’application de cela ; que notre volonté et notre capacité de lutter n’a malgré tout pas disparu, et qu’en-dehors des prisons les noyaux armés prolétaires sont nés pour cela : soutenir et être au côté des luttes des prisonniers, répondre aux meurtres et aux bains de sang et à la répression de l’Etat.
Camarades prisonniers prolétaires, pour nos droits, contre la violence de l’Etat dans les prisons, les usines, les quartiers, les écoles et les casernes, contre le renforcement de la répression, révolte générale dans les taules !
Nous refusons la manière de vivre à laquelle nous force la bourgeoisie au moyen de l’exploitation, de la misère et de l’oppression.
Nous refusons d’être plus longtemps l’alibi pour les structures policières anti-prolétariennes de l’Etat. Camarades, la répression contre nous apporte de l’aide et perfectionne le fascisme des lois de l’Etat, confirme que le pouvoir écrase de ses pieds les droits des prolétaires les plus faibles et se prépare à ainsi à écraser et pulvériser la liberté de tout le prolétariat.
Nous n’avons pas le choix : ou alors se rebeller, et lutter, ou mourir lentement dans les camps, les ghettos, dans les asiles, auxquelles nous force la société bourgeoise, de la manière violente. Contre l’Etat bourgeois, pour son renversement, pour notre contribution au processus révolutionnaire du prolétariat, pour le communisme.
Révolte générale dans les prisons et lutte armée des noyaux à l’extérieur !
Révolte et lutte armée comme refus de tolérer la répression, qui devient un génocide social permanent de notre couche prolétarienne. Révolte et lutte armée contre l’existence des prisons, et comme réponse à des dizaines d’années de torture, à des centaines de meurtres, qui sont faits sans peur de punition par les bourreaux du système dans les prisons, les asiles, les maisons de redressement.
Les Noyaux Armés Prolétaires ont comme centre des camarades qui ont supporté la taule, avec une expérience combattante et politique. Ils l’ont supporté comme nous, camarades, couchés de force dans les quartiers d’isolement, ils ont supporté les mauvais traitements des geôliers et les tortures des prisons psychiatriques, et ils n’ont pas oublié !
Camarades prisonniers, les crimes des larbins de l’Etat qui torturent ne seront plus impunis : aux bourreaux fascistes, aux exécuteurs de la répression des taules et des asiles, nous ferons le procès, ils seront condamnés selon la justice prolétarienne.
Contre toutes les violences qu’endurent les prolétaires emprisonnés, nous devons répondre avec le seul slogan de classe dans toutes les situations d’oppression et d’exploitation du prolétariat : la reprise de notre lutte de masse ! Hors des taules ceux qui luttent pour le communisme, pour les riches les cloaques.
Contre le fascisme de l’Etat, la violence organisée du prolétariat emprisonné !
Camarades, n’oubliez pas que les fascistes sont les mêmes porcs qui réclament avec acharnement le rétablissement de la peine de mort, la revalorisation générale des peines de leur infâme code pénal, des traitements durs dans les taules, et ils font toujours les premières propositions les plus réactionnaires et liberticides.
Camarades, n’oubliez pas cela chez ceux qui sont proches de vous, isolé, et tapez les fascistes, et souvenez-vous que nos bourreaux sont aussi les matons, la police, les vigiles et les capitalistes.
Camarades prisonniers, dans cette phase de la lutte de tout le prolétariat contre le pouvoir bourgeois, qui tente de réaliser sa plus haute tentative réactionnaire et anti-prolétaire, dans la mesure où il entreprend une attaque à la base des conditions de vie et des libertés prolétaires dans les usines et les quartiers d’habitation, dans le cadre d’une crise économique et politique de l’impérialisme mondial, dans la mesure où le chômage s’accroît, où la répression et la police se renforcent, et en conséquence le nombre de prolétaires emprisonnés s’agrandit.
Cela, notre cadre de lutte, signifie l’unité avec la lutte de tout le prolétariat, et propose de chercher une relation avec un pouvoir victorieux et une stratégie qui voit la classe ouvrière à la tête de la confrontation de toutes les couches du prolétariat.
Notre plate-forme vise la poursuite de ces buts : Lutter contre les lois fascistes comme moment d’unité politique du prolétariat contre un instrument de pouvoir à la base comme conditionnement oppresseur ;
Lutter pour la démocratisation interne des prisons et pour l’application de réformes radicales qui considèrent le système en entier, la possibilité réelle et effective d’user de ses droits politiques et humains inaliènables que la plate-forme a cité. Autogestion, démocratisation, comme aboutissement capable de développement de notre lutte pour les masses emprisonnées, qui ne peuvent passer que dans une pratique de lutte de masses amorphes et instrumentalisables à des masses conscientes de leur droits et devoirs de classe par rapport au processus révolutionnaire général. Nos buts immédiats sont :
Abolition des prisons psychiatriques, qui sont de véritables camps nazis et une vengeance terroriste sur les prolétaires emprisonnés ;
Abolition des camps de redressement, lieux d’origine de la violence contre la jeunesse prolétaire, qui par leur programme assure au pouvoir bourgeois la continuité de cette délinquance dont elle a à tout prix besoin pour justifier l’appareil policier et la justice d’Etat ;
Amnistie générale et sans conditions sauf pour la mafia et les bourreaux nazis, comme petit adoucissement des dommages subis avec les lois fascistes ;
Abolition immédiate de la notion de » récidiviste » ;
Mise en place d’une commission non-parlementaire par des camarades meneurs de luttes d’usine et de quartier, afin d’enquêter sur les tortures, les mauvais traitements et les meurtres qui ont été commis dans les taules et qui continuent à être commis ;
La vérité sur les camarades exécutés à Florence, et sur le bain de sang que le pouvoir a ordonné à ses bourreaux à Alessandria.
Camarades, pour la poursuite de ces buts, les Noyaux Armés Prolétaires contribuent dehors par des actions, qui sont toujours plus nécessaires. Ces actions de propagande pour les luttes ont été mené par un noyau externe du mouvement des prisonniers.
Vive le communisme ! Vive la lutte des prisonniers ! « .
Le 14 octobre 74 la police procède à des arrestations dans les BR grâce à un infiltré (permis par sa » publicité » dans la presse qui l’a fait passé pour un militant internationaliste).
Le 25 octobre les NAP pillent le siège de l’union des employeurs chrétiens-démocrates.
Le 29, Luca Mantini et Sergio Romeo sont tués dans une attaque de banque à Florence. Deux militants sont grièvement blessés et arrêtés, un camarade s’enfuit. La police, au courant de l’opération, avait préparé un piége pour liquider les militantEs.
Le 30 octobre 4 sympathisants sont arrêtés. Alors que jusqu’en février 75 les BR ne mènent plus que de petites actions, à cause de la répression, les NAP continuent, en pillant par exemple le 20 décembre le siège de la Démocratie-Chrétienne à Naples.
8.1975-1978 : apogée de l’autonomie ouvrière et maturation des BR
Le 6 février les NAP détruisent la voiture du magistrat De Matteo, responsable d’une proposition de loi sur la détention.
Le 18 février 75 les BR lancent un commando, mené par Mara Cagol, une membre du noyau historique, contre la prison de Casale Monferrato. Renate Curcio, autre membre historique, est notamment libéré.
Suit une » résolution stratégique » , qui définit l’Etat comme » Etat impérialiste des multinationales « , et qui montre le rôle central de la DC (démocratie-chrétienne). La gauche est comprise comme » gauche du capital « , le système est considéré comme un nouveau fascisme, propre à la période impérialiste.
Pour les BR, le mouvement autonome, qui se développe parallèlement, est insuffisant car seulement légal ou semi-légal. Il est temps selon elles de rompre les liens entre la classe ouvrière et les organisations institutionnelles, d’attaquer la DC comme centre de la réaction, de frapper l’Etat dans ses points faibles. L’Etat réagit vivement.
Les perquisitions sont facilitées par de nouvelles lois et les policiers obtiennent le droit de tuer quasi légalement » dans l’exercice de leurs fonctions « . Ce qui amena un nombre considérable de tués chez les jeunes » voleurs « , ou encore des » passants » à proximité des manifs.
Le 23 février les NAP attaquent un poste de police. Un militant est arrêté.
Deux camarades s’évadent de la prison de Murate (Florence) mais sont repris deux semaines plus tard (prenant au passage 3 et 4 ans de prison pour évasion).
Le 11 mars, Vitaliano Principe meurt dans l’explosion de sa bombe, Gentile Schiavone est grièvement blessé mais interrogé pendant 14 heures.
En avril c’est une grande répression contre les NAP. En prison un militant est blessé par un fasciste et tous les témoins mis en isolement. Le 22 le magistrat Di Gennaro, membre de la cour de cassation et du service de recherche sur la prévention et les peines au ministère de la justice, est enlevé par les NAP.
Après avoir fait croire pendant quelques jours à une histoire amoureuse, l’Etat accorde les revendications des NAP, à savoir celles de trois militants barricadés dans une prison après une tentative d’évasion, ainsi que le passage d’un communiqué à la télévision, à la radio (cela sera fait à 7H25 du matin) et dans la presse.
Libéré, Di Gennaro ne collabore pas avec les carabinieri, qui font sauter sa voiture devant sa maison (pour » raisons de sécurité « ).
Il donne des interviews où il explique que la lutte armée a des causes politiques et sociales. Il participera néanmoins par la suite à la répression, notamment lors de l’écrasement de la révolte de la prison de Trani. Le mois d’avril 1975 est également celui de l’apogée de l’autonomia operaia, qui est présente de manière organisée dans la rue pendant une semaine.
Les affrontements avec les fascistes et les carabinieri font 4 mortEs à gauche.
En avril 1975 paraît également une résolution de la direction stratégique des BR. L’objectif central y est expliqué :
» Rompre les liens corporatistes entre la classe dirigeante industrielle et les organisations de travailleurs ;
Briser la DC, centre politique d’organisation de la réaction et du terrorisme ;
Frapper l’Etat dans ses maillons les plus faibles « .
Les BR affirment que » la DC n’est pas seulement un parti, mais aussi l’âme noire d’un régime qui depuis 30 ans opprime les masses ouvrières du pays. Déclarer la nécessité d’abattre le régime et proposer dans les faits un compromis ‘historique’ avec la DC n’a pas de sens. Bavarder sur le moyen de la ‘réformer’ en a encore moins. Il faut liquider, battre et disperser la démocratie-chrétienne « .
Et sur la guérilla urbaine :
» A notre avis, on doit affronter la question à partir de la couche de classe qui plus que tout autre subit l’intensification de l’exploitation due aux projets de restructuration capitaliste et impérialiste.
La théorie révolutionnaire, c’est la théorie des besoins politico-militaires de » libération » de cette couche de classe.
Elle seule en fait exprime en puissance, sinon en conscience (qui signifie » organisation « ) l’universalité des intérêts de classe.
C’est seulement autour de ses besoins que peuvent être organisés et assumés les besoins des couches sociales marginalisées par le processus de restructuration et que peuvent être battues les résolutions révisionnistes, réformistes ou corporatives de cette partie de la classe ouvrière qui trouve un avantage, même moindre, dans le renforcement du système de domination impérialiste.
La guérilla urbaine joue un rôle décisif dans l’action de désarticulation politique du régime et de l’Etat. Elle atteint directement l’ennemi et fraye un chemin au mouvement de résistance. C’est dans la guérilla que se constitue et s’articule le mouvement de résistance et le terrain de l’autonomie, et non le contraire.
Elargir ce terrain signifie en premier lieu développer l’organisation de la guérilla, sa capacité politique et militaire. Toutes les positions qui considèrent la croissance de la guérilla comme une conséquence du développement terrain légal ou semi-légal de » l’autonomie » sont fausses. Il est nécessaire de faire la lumière sur ce point.
Dans ce qui est défini comme » terrain de l’autonomie » s’entassent des positions très diverses. Certains, qui situent leur place dans la lutte des classes par la voie » subjective « , se reconnaissent comme faisant partie de ce terrain, plus pour lui imposer ses problèmes et ses besoins, c’est-à-dire pour le » récupérer « , si bien qu’ils expriment, aujourd’hui, une interprétation très partiale et surtout sectorielle de ses besoins.
A leur source, ils ont constitué un facteur décisif dans le processus de dépassement de » l’esprit de chapelle « , mais aujourd’hui ils risquent de finir eux-mêmes dans le cul-de-sac de ce processus.
C’est le » fétichisme de la légalité » qui prédispose à ce danger, c’est-à-dire l’incapacité à sortir de la fausse opposition entre » légalité et illégalité « . En d’autres termes, les assemblées autonomes ne réussissent pas à poser le problème de l’organisation à partir des besoins politiques, et finissent ainsi par les délimiter dans le type d’organisations légales existantes.
Ce qui correspond à couper le pied pour le faire entrer dans la chaussure !
Certains, plus conscients de la contradiction où ils se débattent, arrivent à admettre un dualisme d’organisation et ainsi à de nouveau proposer l’improposable théorie du » bras armé « , dans la vieille logique de faillite de la IIIème Internationale.
Mais, dans cette nouvelle situation, sous peine d’extinction de leur fonction révolutionnaire, ils doivent faire un saut dialectique s’ils veulent rester fidèle à l’engagement fondamental d’organiser sur le terrain de la guerre de classe l’opposition de la couche » objectivement » révolutionnaire. En-dehors de cette perspective, il n’y a que conceptions minoritaires ou inféodés au révisionnisme.
La guérilla urbaine organise le » noyau stratégique » du mouvement de classe, pas le bras armé. Dans la guérilla urbaine, il n’y a pas contradiction entre penser et agir militairement et donner la première place à la politique. Celle-ci développe son initiative révolutionnaire selon une ligne de masse politico-militaire.
Pour la guérilla, ligne de masse ne veut pas dire, comme quelqu’un l’a mal compris, » organiser le mouvement de masse sur le terrain de la lutte armée « , tout au moins pas pour le moment.
Dans l’immédiat, l’aspect fondamental du problème reste la construction du » Parti Combattant » comme interprète des besoins politiques et militaires de la couche de classe » objectivement » révolutionnaire, et l’articulation des organismes de combat au niveau de classe sur les divers front de la guerre révolutionnaire.
La différence n’est pas sans importance, et cela vaut la peine de l’expliquer, car elle cache une divergence sur une question primordiale : l’organisation.
Cette divergence réside dans le fait que la première thèse aplanit jusqu’à la faire disparaître l’organisation du » mouvement » qui, dans le même temps, gonfle jusqu’à atteindre des dimensions mythiques ; la seconde conçoit organisation et mouvement en tant que réalités nettement distinctes en perpétuelle discussion.
Le parti combattant est un parti de cadres combattants. C’est donc une unité avancée et armée de la classe ouvrière, par conséquent distincte et en même temps partie intégrante de celle-ci.
Le mouvement est une réalité complexe et hétérogène où de multiples niveaux de conscience coexistent et se combattent. Il est impensable, et impossible d’ » organiser » cette multiplicité de niveaux de conscience » sur le terrain de la lutte armée « .
Parce que ce terrain, bien qu’étant stratégique, n’est pas encore le principal, parce que le noyau que constitue le parti combattant, c’est-à-dire les BR, n’a certainement pas mûri les capacités politiques, militaires et d’organisation, nécessaires à son objectif.
Il ne s’agit pas d’ » organiser le mouvement de masse sur le terrain de la lutte armée « , mais d’enraciner l’organisation de la lutte armée et la conscience politique de sa nécessité historique, dans le mouvement de classe « .
Le 15 mai 75, à Mestre près de Venise, les BR pillent le bureau de la DC; à Turin elles mettent le feu à plusieurs voitures de syndicalistes de la CISNAL; à Milan elles attaquent un bureau de l’iniziativa democratica (organisation de l’aile droite de la DC), où un responsable de ce groupe est jambisé.
Les BR préviennent: elles liquideront la DC et vont » alzare la tiro « , serrer la vis contre la DC, » moteur de la contre-révolution « . En juin 75 c’est l’enlèvement de l’industriel Vittorio Gancia; les policiers découvrent la cache et interviennent, liquidant à bout portant Mara Cagol.
De mai à septembre de nombreuses arrestations ont lieu, dont l’ensemble du noyau historique.
En juillet Anna Maria Mantini des NAP se fait exécuter lors de son » arrestation « .
Le 17 octobre 75 les BR jambisent Luigi Salera, médecin chez FIAT participant aux licenciements, puis enlèvent des dirigeants de Singer le 21 ainsi que le chef du personnel de Ansaldo Meccanico à Gênes le 22. Les BR attaquent également des banques: le 14 juillet 75 la banca populare de Lonigo, le 8 octobre la filiale de la Cassa di Risparmio à Gênes. Le 21 octobre c’est un dirigeant de l’usine de Singer qui est enlevé.
L’année 1976 est marquée par l’explosion du mouvement de la jeunesse. Des centres de jeunesse apparaissent, ainsi que de grands festivals (comme celui de parco lambro) où les jeunes vont par dizaines de milliers, pratiquant sur place la » spesa proletaria » dans les supermarchés.
Des rondes prolétaires, menées par des » circoli proletari giovanili » sont menées contre les entreprises.
Les jeunes quittent de plus en plus la campagne au profit de la ville, et s’affrontent à la culture ambiante et aux institutions. C’est également l’explosion des radios libres, l’apparition d’un nouveau langage, opposée à la culture de l’ouvrier-masse.
L’autonomia operaia analyse cela comme » le besoin de communisme « , et s’éloigne de plus en plus de la lutte révolutionnaire contre l’Etat.
L’affaiblissement de la lutte ouvrière des très grandes usines à cause de la mobilité pousse l’autonomia operaia (aut.op.) à expliquer la situation autrement, et l’un de ses principaux théoriciens, Toni Negri, explique que la » révolution est déjà faite « , que la » pluralité des sujets » révolutionnaires est positive, car les travailleurs sociaux doivent s’exprimer différemment que dans le capitalisme.
C’est la ligne des » freaks « , c’est-à-dire de la marginalité comme » espace révolutionnaire « , que les flics s’empressent de casser par la diffusion massive d’héroïne et l’étranglement de l’approvisionnement en drogues douces.
Seule l’autonomia organizatta (Rome, Padoue, Milan…) tente de maintenir les liens au sein du mouvement autonome, mais c’est globalement l’échec, à part pour un temps et dans un sens armé avec les CoCoRi (Comitati Comunisti Rivoluzionari) ou le Movimento Comunista Organizzato (MCO), issu du Colletici Politici del Veneto per il Potere Operaio (CPV), lui-même issu de Potere Operaio, qui eux aussi succombent à la répression en raison de leur caractère semi-légal.
Le mouvement de l’autonomie ouvrière part dans tous les sens, perdant toute cohérence, à l’opposé des BR qui se présentent comme le seul courant réellement révolutionnaire. Le 14 avril 76 un dirigeant de FIAT Mirafiori est jambisé, le 28 avril un bureau patronal est pillé à Gênes.
Le 8 juin 76, les BR exécutent Francesco Coco, qui dirige le premier procès contre des brigadistes ainsi que la répression dans les prisons. Les brigadistes sont regroupés dans des cages lors des procès qui se veulent une démonstration de force du système. Cette exécution est considéré comme » un saut dans la guerre de classe « .
Les BR attaquent au cœur de l’Etat. Le 7 octobre 1976 les NAP jambisent un maton de la prison de S. Vittore (Cosimo Ventich, » ami et protecteur des mafiosi, protégé par le directeur de l’établissement « ). Le 8 une entreprise exploitant les prisonniers est attaquée.
En décembre 76 le brigadiste Walter Alasia est tué à bout portant.
Le 12 janvier 77 les BR enlèvent l’industriel Pietro Costa, qui est libéré au bout de 81 jours. Le 18 le directeur du personnel de FIAT Turin est jambisé. Le 29 ce sont les NAP qui jambisent le juge Pietro Margariti, qui est d’après le Corriere » l’homme le plus haï des 32.000 prisonniers italiens « , le responsable du placement dans les » prisons de l’horreur » et celui qui couvre les attaques contre les prisonniers communistes.
Il y a également le même mois les occupations des facultés de Palermo, Sassari, Salerno et Napoli.
Le 9 février les NAP exécutent le meurtrier d’Anna Maria Mantini. Les flics et les fascistes attaquent la fac de Rome, tirant sur de nombreux étudiantEs. Un mouvement se lance et s’élargit, quasiment toutes les facs sont occupées par des précaires, des étudiants, des chômeurs.
Le chef du syndicat CGIL, Lama, arrive avec 1.000 militantEs du PCI pour tenir un discours à la fac de Rome : ils sont accueillis par 10.000 révolutionnaires qui les chassent manu militari. La fac est vidée le jour même par la police qui occupe de nombreux quartiers. La mobilisation culturelle est énorme à Bologne, Rome et Naples.
En mars 77, des combats de rue ont lieu dans toutes les grandes villes. Le 11, l’étudiant Francesco Bruno se prend des balles dans le dos, la manif nationale tourne à l’émeute, les magasins, les supermarchés et les armureries sont pillés.
Le 12 mars à Rome 100.000 manifestantEs extrêmement bien organiséEs brisent les cordons policiers et défilent une journée (des armes sont distribuées puis reprises).
Mais le soir, la pression retombe, les tanks sont présent dans les manifs suivantes, et l’autonomia operaia s’écroule définitivement à son congrès de Bologne en octobre 1977.
Pour les autonomes, il n’y alors plus le choix et il s’agit d’opérer un saut qualitatif.
Se forme ainsi par exemple le groupe » Action Révolutionnaire « , influencé par la RAF et le situationnisme, et actif dans diverses régions (Lombardie, Piémont, Toscane, Ligurie), qui ne durera que jusqu’en 1979 où ses restes rejoignent Prima Linea, comme le feront certainEs des Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC, 1977-1979) (les autres formant les » Rapinatori Comunista » !).
Ou encore les Unités Communistes Combattantes, qui dureront jusqu’en 1979, les Squadre Proletarie di Combattimento per l’Esercito di Liberazione Comunista (Equipes Prolétariennes de Combat pour l’Armée de Libération Communiste) jusqu’en 1978, les Noyaux Communistes Territoriaux et les Reparti Comunisti d’Attaco jusqu’en 1980.
Prima Linea, fondée en 1976, est la véritable guérilla de l’autonomie organisée. Elle s’est formée pour appuyer les luttes. » Première ligne » est issue des courants de Lotta Continua qui prônaient l’armement de masse, ainsi que de militantEs de Potere Operaio. Prima Linea (PL) n’est en tant que tel pas réellement un nouveau groupe combattant, mais une sorte d’agglomération de différents groupes.
Le sigle apparaît en tant que tel le 29 avril 1976, lorsque est exécuté Enrico Pedenovi, conseiller provincial du parti fasciste le MSI. Le premier congrès de PL se tient en avril 1977 à San Michele a Torri, avec des représentants des villes de Milan, Bergamo, Florence, Turin et Milan.
Les BR deviennent le point de confluence des groupes les plus avancés ; les rejoignent ainsi la » Brigate d’Assalto Dante di Nanni « , responsable de nombreuses attaques armées, mais aussi la » Brigate Proletaria Erminio Ferretto en 1974, beaucoup de membres des Formations Communistes Armés en 1975, ou encore des Noyaux Communistes.
Le 1er mars les NAP et les BR agissent en commun contre des casernes de carabinieri à Milan, Turin, Naples, Florence, Rome, Pise.
Le 5 mars dans la prison de Poggioreale 10 militants des NAP se barricadent après une tentative ratée d’évasion. Ils réclament la diffusion d’un communiqué, et libèrent les otages 12 heures après, leur demande de déplacement ayant été accepté. Leur procès est fait le 12 mars, trois prisonniers dénoncent la torture subie. Les prisonniers prennent deux ans en plus chacun, une voiture piégée explose devant le tribunal.
Le 12 mars toujours, à la suite d’affrontements de manifestants avec la police, un bâtiment de la DC est attaqué à Rome. En avril les BR incendient les voitures de politiciens de la DC et jambisent un chef de FIAT à Turin.
Le 28 avril 77 le président de la chambre des procureurs Croce est exécuté. Le 8 mai les NAP blessent grièvement le juge Dell Annua, notamment responsable du procès de l’exécution d’Anna Maria Mantini. Le 11 mai deux membres des NAP prennent 19 et 15 ans de prison.
Le 1er juin 77 le vice-directeur du journal de Gênes » il secolo XIX » est jambisé, le lendemain c’est au tour du fondateur d’il Giornale à Milan, Indro Montanelli, et enfin le 3 juin à Rome d’Emilio Rossi directeur de la rédaction des informations de la RAI.
Il y aura jusqu’en juillet 7 autres jambisations. Le 20 août 11 prisonniers des NAP s’évadent du camp de Lecce.
Il y a 5 jambisations en automne. Le 16 novembre à Turin les BR exécutent Carlo Casalegno, vice-président de la Stampa (qui fait partie de la presse contrôlée par Agnelli).
Le 22 novembre les NAP attaquent le chef antiterroriste Noce et son escorte. Le militant des NAP Zichitella est exécuté après l’action.
Début 78 d’autres jambisations sont menées, contre le chef de section de la FIAT de Turin, contre un responsable de la compagnie des téléphones à Rome, contre un responsable de Siemens à Milan, contre un fonctionnaire de la DC à Gênes.
Le 29 janvier deux militantes des NAP s’enfuient de la prison de Poggioreale de Naples, dont Franca Salerno (arrêté en été 1976 alors qu’elle était enceinte, son compagnon étant exécuté).
Le 16 février 78 un membre de la cour de cassation est exécuté par les BR. Le 10 mars c’est un officier des carabinieri qui est tué par les BR.
Le 16 c’est Aldo Moro qui est enlevé ; un dirigeant de prison et un dirigeant policier sont exécutés le même jour. Le 9 mai le cadavre d’Aldo Moro est retrouvé dans une voiture à mi-chemin des bâtiments centraux de la DC et du PCI. Par cette action les BR frappent au plus haut niveau. Elles visaient le » compromis historique « , alliant le PCI et la Démocratie-Chrétienne.
La ligne était passé entre le 13ème (début 1972) et le 14ème (début 1974) congrès du PCI, et visait à la rationalisation de l’économie en 5 ans. En attaquant Moro les BR attaquent de front sa réalisation, ébranlent le système politique, et partant de là leurs propres structures.
9.L’attaque au cœur de l’Etat (1978/1979)
Il y a en 1978 au moins 638 actions armées révolutionnaires, dont 106 menées par les BR. Les autres groupes se comptent par centaines .
Il y a également une réorganisation qui se fait ; ainsi, Prima Linea et les Formations Communistes Combattantes créent un commandement national unifié. La lutte contre la répression est quasiment centrale ; est ainsi exécuté le 11 octobre 1978 à Naples Alfredo Paolella, responsable de l’anthropologie criminelle à la prison de Pozzuoli.
On notera également des actions contre des vendeurs d’héroïne, par le Movimento Proletario di Resistenza Offensiva – Nucleo Antieroina, qui prendra par la suite le nom de Guerriglia Comunista.
Mais » l’attaque au coeur de l’Etat » a mené les BR à un autre niveau de lutte, ouvrant de nouveaux espaces. Si de 1972 à 1977/78 les BR n’étaient qu’un groupe au sein d’un large mouvement social, l’écroulement du mouvement autonome en 77 faute de débouchés politiques pour les larges masses et l’ampleur de la répression contre toute la sphère légale fait que les BR deviennent centrales dans la lutte pour le communisme.
Les prisonniers brigadistes pourront ainsi dire en 1980 que » la situation politique présente se trouve entre deux phases : nous ne sommes plus dans la phase de propagande armée, et pas encore dans celle de la guerre civile « .
Pour comprendre ces deux années, il faut comprendre ce qui se révélera en décembre 1980, avec la publication de » l’Ape e il comunista « , » l’abeille et le communiste « , qui rassemble des » Eléments pour la critique marxiste de l’économie politique et pour la construction du programme de transition au Communisme « .
Ce document, véritable pavé rassemblant les thèses brigadistes, a été écrit par un collectif de prisonniers, qui ne reflète qu’une tendance existante dans les BR alors, une tendance plus mouvementiste, plus guérillera.
Ainsi, les » XX thèses finales » mettent en avant les concepts de » système de pouvoir rouge » et d’ » organismes de masse révolutionnaires » que l’on retrouvera plus tard au centre du futur projet du Parti-Guérilla du Prolétariat Métropolitain.
Mais quoi qu’il en soit, au niveau stratégique pour les BR il s’agit désormais d’effectuer la tâche de » destruction des forces politico-militaires de l’ennemi et de la conquête du pouvoir « .
Les BR catalysent à ce moment là l’essentiel de la guérilla. Les autres groupes ont échoué par incapacité théorique et technique. Ainsi les militantEs de Prima Linea -1ère ligne, guérilla issue et membre de l’autonomie- se font exécuter en plein jour par les forces de répression à cause de leur statut de semi-légalité. Quant à la direction arrêtée, elle brade tout ( » il n’est jamais trop tard pour sortir du communisme » ira jusqu’à dire l’un d’eux).
Rien qu’en 78 les BR mènent 25 exécutions. Il y a également l’appui d’autres groupes pour les campagnes, comme les formations communistes combattantes, qui exécutent le procureur de Frosinone le 8 novembre 1978 et oscillent idéologiquement entre PL et les BR.
L’Etat joue alors intelligemment avec les » pentiti « , les repentis, qui voient leur peine minimisée s’ils parlent. Patrizio Peci est le plus connu d’entre eux et responsable de nombreuses arrestations ; il est issu des PAIL (Proletari Armati in Lotta, 1973-1975), un groupe ayant rejoint les BR. L’Etat n’hésite pas à payer des opérations de chirurgie esthétique et à dépenser beaucoup d’argent pour défendre sa bourgeoisie.
C’est également en 1978 que les BR développent le thème du MPRO, le Mouvement Prolétaire de Résistance Offensive : » Nous appelons MPRO l’aire du comportement de classe antagonique suscité par l’aggravation de la crise économique et politique ; l’aire des forces, des groupes et des noyaux révolutionnaires qui donnent un contenu politico-militaire à leur initiative de lutte anticapitaliste, anti-impérialiste, anti-révisionniste et pour le communisme « .
A partir de mars 79 les BR appellent » à isoler les Berlingueristes [Berlinguer est le secrétaire du PCI] de la classe ouvrière, à les exclure, à les traiter comme les pires ennemis du prolétariat « .
De fait, le 24 janvier 79 les BR avaient exécuté un syndicaliste membre du PCI pour avoir dénoncé à la police un de leurs » messagers « . Le PCI assume très bien son statut de contre-révolutionnaire et appelle à la défense de la république contre le » terrorisme « .
Plus tard, une brigatista, Raffaelle Fiore, est arrêtée le 19 mars 79.
Le 18 juillet 1979 Prima Linea exécute le patron du bar Angelo de Turin, qui avait donné à la police des militantEs de PL immédiatement exécutés par la police (Barbara Azzaroni » Carla » et Matteo Caggegi » Charlie « ). Le 29 janvier 1979 PL avait également exécuté un juge spécialisé dans les structures des organisations révolutionnaires.
Les BR lancent ensuite une campagne contre la DC à l’occasion des élections parlementaires italiennes et européennes. Le 29 mars 79 un commando de la colonne romaine exécute un fonctionnaire de la DC et un haut représentant de FIAT.
Un policier est tué par la suite. Le 3 mai 79 un commando de 15 brigatisti pille à 10 heures du matin un siège de la DC, affrontant au passage quelques carabinieri.
L’Etat italien trouve alors une réponse tactique pour casser la résonance des BR, consistant en l’arrestation du théoricien de l’autonomie, Toni Negri, le plus grand critique des BR, pour l’accuser d’en être le chef.
L’Etat entend ainsi diviser le mouvement de masse, d’autant plus que les BR, n’ayant pas trouvé (ni pratiquement ni théoriquement) les moyens d’agir en terrain ouvert, sont forcément en retrait par rapport à ce nouveau processus.
En effet, pour une fraction de l’autonomie, les brigadistes ne sont pas des » camarades se trompant tactiquement, mais des prolétaires se trompant stratégiquement « .
Les heurts entre ces autonomes anti-guérilla (et critiquant ainsi plus que non solidairement les autonomes pro-guérilla) et les BR se feront nombreux au fur et à mesure, et encore plus lorsque la répression tombe sur les anti-guérilla (à cause soi-disant des pro-guérilla).
L’arrestation le 7 avril 79 de Toni Negri et de 21 personnes de l’autonomia provoque donc plus que des remous entre partisans de la prise du pouvoir à la Lénine et défenseurs du » travailleur social » et des marginaux comme nouveaux sujets révolutionnaires.
Toni Negri ne démordra pas, et sera longtemps prof de fac à Paris VIII. Il trouve régulièrement un nouveau sujet révolutionnaire à chaque mouvement social, en 95 on a ainsi eu droit au « salarié bio-politique » (?!). Reparti en Italie, où ses livres sont disponibles partout depuis longtemps, il est arrêté, puis mis en semi-liberté.
La revue autonome » Rosso « , issu du Gruppo Gramsci passé dans l’autonomie, explique les différences entre autonomes [anti-guérilla] et les BR: » les autonomes sont pour le parti de Mirafiori, les br pour l’attaque au cœur de l’Etat « . En 1978 la rupture est consommée.
Après les élections, Prospero Gallinari, un membre important des BR, est arrêté après une fusillade le 24 septembre 79. Les BR sont quasiment les seules à mener des actions armées fin 79; seule existe encore la guerriglia diffusa, la guérilla diffuse des autonomes pro-guérilla mais non-organisés. 5 policiers sont tués ainsi que trois surveillants de prison.
Prima Linea, » la » guérilla autonome, développe son action. Entre autres, un gruppi di fuoco occupe une école de gestion de Turin, rassemble toutes les personnes dans une salle, choisit cinq responsables de FIAT et Olivetti et les cinq plus vieux étudiants, les font se mettre à genoux et tirent dans les jambes.
Un ingénieur de FIAT, responsable de la planification et de la logistique, est également exécuté.
Début 80, 5 brigadistes sont exécutés par les unités spéciales. Le 12 février 80 le vice-président de la plus grande association de la justice italienne est exécuté à Rome par les BR.
Le 5 février 1980 Prima Linea exécute un responsable d’Icmesa, une usine de Seveso responsable d’une grave pollution toxique.
Le 16 mars 80 c’est au tour du procureur en chef de Salerno, Nicola Giacumbi, exécuté par un groupe indépendant sous le nom de » Brigades Rouges colonne Fabrizio Pelli » (le groupe rejoignant par la suite, en prison, les BR).
Le 18 c’est le cas de Minervini, membre de la cour de cassation et fonctionnaire du ministère de la justice. Le 19 c’est Prima Linea, groupe de feu Valerio Tognini qui exécute le juge Guido Galli, expert de la contre-guérilla. Le 28 mars 80 à Gênes la police exécute les brigadistes Lorenzo Betassa, Piero Panciarelli, Anna Maria Ludmann, Riccardo Dura.
Le 1er avril 80 la colonne milanaise Walter Alasia va à une réunion électorale de la DC, choisit parmi les trente personnes présentes 7 fonctionnaires de la DC et les jambise. Après deux actions similaires à Rome la colonne Vénétie exécute à Mestre le 12 mai 80 un membre de la DIGOS (la police spéciale).
Le 29 avril 80 Roberto Sandolo de Prima Linea était arrêté à cause d’un leader de PL repenti, William Vaccher, qui sera exécuté par PL. Mais Sandolo se repent aussi et le dernier commando de PL est démantelé par le police.
Le 19 mai 1980 la colonne napolitaine exécute Pino Amato, conseiller municipal de la DC.
A Milan se forme un nouveau groupe, la Brigata XXVIII Marzo, du jour de l’exécution par la police de quatre camarades. Ce groupe revendique la jambisation le 7 mai 80 du rédacteur de la Repubblica. Le 29 mai le groupe exécute Tobagi, reporter de la Corriere della Serra, et président de l’association lombarde des journalistes. Les membres du groupe seront arrêtés en septembre.
En octobre 1980 est publié une nouvelle résolution stratégique.
Le » prolétariat métropolitain » y est clairement présenté comme le sujet révolutionnaire.
Le 12 décembre le juge Giovanni D’Urso est enlevé, la libération de prisonniers politiques exigée.
Le 28 décembre a lieu une révolte dans la prison spéciale de Trani, en soutien à l’action des BR. Le 30 la police intervient et torture les prisonniers.
Le 31 les BR exécutent en réponse le général carabinieri Galvagli, bras droit de Dalla Chiesa, responsable de la coordination des forces de sécurité et des prisons.
Pour les BR D’Urso est condamné à mort, mais décident de laisser les prisonniers décider. Ceux-ci demandent sa libération, ce qui est fait le 15 janvier 85, après la publication dans les journaux d’une interview des BR, du protocole du jugement fait par les BR et d’articles sur ce qui s’est passé à Trani.
10.1981 : les BR sont seules
1981, c’est l’année de la solitude pour les BR après l’échec définitif de la guerriglia diffusa, la » guérilla diffuse « . Prima Linea n’a également pas tenu le choc ; des militantEs se sont dissociéEs, et les différents congrès de l’organisation n’arrivent pas à inverser la tendance.
Une partie rejoint les BR , une autre forme un » pôle organisé « , finalement est formé le groupe des COLP, » Comunisti Organizzati per la Liberazione Proletaria « .
Ne restent donc plus que les BR, qui s’appuient surtout sur: o la colonne romaine, o la colonne napolitaine, o la colonne Vénétie, o la colonne Walter Alasia de Milan.
Cette dernière a exécuté en automne 80 deux managers de chez Marelli & Falk, et pratique un » réformisme armé « . Elle profite de l’arrivée de militants des NAPO (Nuclei Armati per Il Potere Operaio).
De multiples actions sont menées. En Janvier à Milan, la colonne Walter Alasia, qui prend de plus en plus le large avec la direction des BR, exécute le directeur du grand hôpital, la » Policlinico « . Son mot d’ordre : » construisons le Parti Communiste Combattant « . A Rome, les BR exécutent le général de gendarmerie Enrico Galvaligi. Le 7 avril, deux policiers sont tués.
Les BR lancent alors une offensive simultanée, qui va montrer les différentes conceptions des colonnes. L’offensive est générale, mais chaque colonne considère les choses selon son point de vue.
o La colonne napolitaine Le 27 avril la colonne de Naples exécute l’escorte du député Cirillo et enlève celui-ci.
Responsable démocrate-chrétien de la région Campania, Cirillo se voit exiger de nouveaux logements et le paiement d’indemnités pour le tremblement de terre en Italie du sud de novembre 80. La colonne a ici comme stratégie d’élever le niveau de lutte des chômeurs et des sans-logis : » contre la restructuration du marché du travail, soutenir les luttes du prolétariat marginal et illégal, et construire les organisme de masse révolutionnaire « .
La ligne de la colonne se veut clairement mouvementiste, et un document est même signé : » Front des Prisons, Colonne de Naples. Pour le Communisme, Brigades Rouges « .
o La colonne Vénitie Le 20 mai la colonne Vénétie enlève Talierco, directeur de l’usine Montedison de Mestre, par le commando » Ana Maria Ludmann « . Il est considéré comme responsable des restructurations et des licenciements chez Montedison.
o La colonne milanaise Le 1er juin la colonne Walter Alasia enlève l’ingénieur et directeur de l’organisation du travail chez Alfa-Roméo, Sandrucci, et exige l’abandon du licenciement prévu de 500 travailleurs de chez Alfa-Roméo.
Les documents publiés par les BR montrent une connaissance parfaite des restructurations, révélant par là même que les BR ont des sympathisants chez les cadres. Y sont analysés la situation de l’entreprise, le développement technologique, et constatés que la rationalisation de la production ne va pas dans le sens d’une humanisation, mais dans celle de l’intensification du travail salarié.
Le 30 octobre est arrêté le chef présumé de la colonne. Il a 25 ans, travaillait chez Alfa-Roméo depuis 1977, était délégué depuis 1979 ainsi que membre de la commission exécutive du Conseil d’Usine, et est passé en 1980 dans la clandestinité.
o La colonne romaine Le 11 juin c’est la colonne romaine qui donne le ton, en enlevant et exécutant le frère de Patrizio Peci, Roberto, qui est lui-même un repenti (Patrizio Peci, arrêté en février 1980, étant le repenti ayant balancé le plus de noms à la police). Le 19 juin l’avocat de Patrizio Peci est jambisé. La colonne revendique les actions au nom du » front des prisons ».
La colonne romaine est très proche de la ligne mouvementiste, en raison de son origine : elle provient notamment de deux groupes de la » guérilla diffuse » : les « Formations armées communistes « , créées en 1974 et les » Unités Combattantes Communistes « .
Ce dernier groupe avait tenté en 1976, en enlevant un négociant de viande, de faire vendre 70 tonnes de viande à bas prix dans des quartiers prolétaires de Rome.
Les » résultats » diffèrent selon les colonnes.
Cirillo est ainsi libéré après la reconstruction des maisons et la distribution d’allocations chômage.
Le » porc Talierco » est par contre exécuté par la colonne Vénétie.
Sandrucci est lui libéré après 51 jours suite à une distribution de tracts brigadistes dans l’usine, la publication de l’interrogatoire de Sandrucci et l’abandon des licenciements.
Les positions au sein des BR commencent donc à devenir sérieusement divergentes. Les multiples activités sur le plan militaire ont amené à une dérive militariste.
En juillet, la colonne Walter Alasia de Milan publie ainsi un document de 21 feuillets où elle critique ce qu’elles considèrent comme des » déviations » au sein des BR. En automne c’est la colonne vénitienne qui éclate. La majorité conserve le nom de » Anna Maria Ludmann » et prépare l’enlèvement du général américain Dozier, conservant l’orientation générale.
Une partie rejoint elle les positions mouvementistes, qui aboutiront à la constitution du » Parti-Guérilla » et se prépare à attaquer la prison de Rovigo, d’où elle fera s’évader Suzanna Ronconi et trois autres militantes.
Une partie prend le nom de Colonne 2 août (en référence à des affrontements sanglants entre ouvriers et policiers à Porto-Marghera le 2 août 1970).
La scission se consomme alors définitivement, avec la publication de deux textes théoriques, représentatives des deux tendances principales existantes dans les BR.
Deux différentes » Résolutions de la direction stratégique » paraissent en décembre.
Celle de la minorité tout d’abord. Le document » Crise, guerre et internationalisme prolétarien « , qui fait à peu près 300 pages, a été écrit par la » Brigade de Palmi » des BR, constituée du noyau historique emprisonné, notamment Renato Curcio.
Une nouvelle organisation se forme le 16 décembre 1981, se référant à la ligne de ce document : les Brigate Rosse – Partito Guerriglia del proletariato metropolitano (Brigades Rouges – Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain).
Les BR-PGPM sont principalement issues du fronte carceri (front des prisons) romain et napolitain ; le petit groupe » potere proletario armato » appuiera cette ligne.
Leur activiste principal est Giovanni Senzani, qui considère que le système a intégré la classe ouvrière et qu’il faut s’appuyer sur le » proletariato extralegale « , prolétariat des travaux illégaux et au noir, pour former la guérilla, seule force libératrice dans les métropoles.
Les BR-PGPM considèrent que » le mode de production capitaliste n’est plus régulé par la loi de la valeur-travail « , et qu’il faut donc » déclencher la guerre sociale totale « . Le terme de Parti-Guérilla provient d’un communiqué des Brigades rouges du 4 avril 1971, distribué à l’usine Pirelli de Milan et repris dans le journal » Nouvelle Résistance « , où est parlé de » l’édification du Parti-Guérilla « .
La ligne majoritaire des BR est refusée et qualifiée de » néo-révisionniste armée « .
Le second document est intitulé » Deux années de lutte politique » et fait précisément 184 pages. Il sera joint au communiqué numéro 2 de l’enlèvement du général américain Dozier et retrace la lutte pour la ligne au sein des br.
La majorité des brigadistes, qui se reconnaît dans le texte, prend le nom de Brigate Rosse per la costruzione del partito comunista combattente (brigades rouges pour la construction du parti communiste combattant).
Le 17 janvier 1983, les BR-PCC publieront un texte décrivant leur stratégie générale, intitulé » Replacer l’activité générale des masses au centre de l’Initiative « .
Elles partent du fait que de très graves problèmes internes ont désagrégé les BR :
» A partir de 1980, chaque colonne de l’Organisation située dans les pôles métropolitains a affronté le problème de l’enracinement dans les situations en assumant certaines contradictions qui s’exprimaient localement, contradictions différentes d’une ville à une autre. Un plus grand enracinement et la désagrégation de la ligne politique sont allés de pair.
Privée d’une ligne politique qui saisisse la contradiction principale (celle entre mouvement de classe et pratiques de la bourgeoisie) et l’aspect principal de cette contradiction, c’est-à-dire le projet politique dominant dans une conjoncture donnée, privée donc d’une identité de ligne, de stratégie générale, mesurée sur la situation concrète, l’Organisation Brigades rouges a fini par assumer autant d’identités qu’il y avait de pôles principaux d’intervention. Les scissions de 1981 sont le couronnement organisationnel d’un processus de fragmentation politique en oeuvre depuis longtemps. »
Un autre document, intitulé » Politique et révolution » et écrit par des membres dirigeants des BR-PCC, résume la problématique des années 1979-1980, c’est-à-dire l’incapacité à assumer le dépassement de la phase de propagande armée, dépassement devant être une conséquence de l’offensive du printemps 1978.
L’option était alors de » Frapper au cœur le projet de la bourgeoisie qui, avec la Démocratie Chrétienne et Moro, se proposait, par le biais du compromis historique avec le PCI, de pacifier le prolétariat et de vider les luttes de celui-ci de leur contenu « .
L’organisation communiste combattante devait alors se transformer en Parti, ce qui fut empêché par l’enracinement foncièrement local de chaque colonne brigadiste et l’absence d’unité conséquente à cela.
Les BR-PCC lancent alors une offensive, pour reprendre l’initiative.
Le 17 décembre la colonne Vénétie enlève à Vérone le chef de l’OTAN pour l’Europe méditerranéenne, le général US James Lee Dozier.
Cette action est dirigée contre le » projet de guerre réalisée par l’OTAN, le plan économico- politico- militaire de la bourgeoisie impérialiste de préparation d’une troisième guerre mondiale « . La répression est organisée par l’Etat italien, la CIA, l’armée US et des experts de R.F.A.. Les arrestations sont très nombreuses, et pour se protéger les BR-PGPM coupent tous les ponts avec les BR-PCC.
11.La défaite de 1982
Le 3 janvier 82 la colonne deux août libère quatre brigadistes de prison ; les COLP et le Noyau des Communistes libèrent quatre prisonniers de PL.
A Rome Ennio di Roco et Stefane Petrella sont arrêtés et parlent sous la torture. Le 9 janvier 82 Giovanni Senzani, le leader du PGPM, est arrêté; fin janvier tout le centre de l’Italie est contrôlé et les arrestations sont légion. Le 27 janvier 82 un brigadiste est arrêté, le 28 Dozier est libéré par les unités spéciales, les brigadistes Emanuela Frascella, Antonio Savasta, Cesare Di Leonardo, Emilia Libera et Giovanni Ciucci » arrêtés « , torturés, puis officiellement arrêtés au bout de quelques jours. Seul Leonardo ne parle pas sous la torture.
Environ 1000 personnes eurent alors maille à partir avec la justice pour » participation aux activités d’un groupe terroriste « .
A Rome, le vice-directeur de la police anti-terroriste de Rome est grièvement blessé.
A Rome, la colonne napolitaine (BR-PGPM) attaque une caserne dans le sud de la ville, s’emparant de 2 mortiers de 60, 2 lance-roquettes, 4 fusils-mitrailleurs, 20 fusils d’assaut et 6 pistolets-mitrailleurs.
Mais la situation est difficile. En trois mois, il y a eu plus de 200 arrestations de brigadistes ; près de 30 bases ont été découvertes. Et en mars, les BR-PCC annoncent l’ouverture d’une phase de retraite stratégique.
» L’avant-garde doit apprendre à pratiquer la retraite stratégique, se retirer au sein des masses et construire parmi elles le système de pouvoir prolétaire armé « . » Dans la retraite stratégique, l’avant-garde, en étroite dialectique avec les masses, prépare l’offensive « .
La défaite de l’action contre Dozier trouve sa source dans un » écart entre les contenus des luttes « , c’est-à-dire le niveau de conscience de la classe, et le » subjectivisme » qui s’est développé dans l’organisation et a éloigné celle-ci de l’affrontement réel.
Le PGPM attaque alors violemment les br-pcc, considérées comme allant vers la reddition. La distance séparant les deux organisations se montrent dans l’attitude des prisonnierEs au procès Moro, en avril.
Les partisanEs du PGPM écrivent un » communiqué n°1 « , signé: » des militants du PGPM « , et appellent à » reprendre l’offensive « , à travailler à la » recomposition du prolétariat métropolitain dans la construction du système de pouvoir rouge « , à la » redéfinition pratique d’un authentique internationalisme prolétarien « .
A l’opposé, les » militants de l’Organisation Communiste Combattante Brigades Rouges pour la Construction du Parti Communiste Combattant » écrivent un » communiqué n°1 » qui défend la position de la retraite stratégique. Dehors, la répression continue. 34 brigadistes du PGPM se font arrêter à Rome.
Francesco Lo Bianco, membre de la direction stratégique et dirigeant de la colonne génoise des BR, est également arrêté.
Cela porte à trois (avec Mario Moretti, Giovanni Senzani) le nombre des membres de la direction stratégique incarcérés.
Le PGPM accentue la pression. Il mitraille un car de police (trois blessé graves) devant le tribunal du procès Moro. La colonne napolitaine du PGPM exécute le conseiller régional démocrate-chrétien Raffaele Del Cogliano, délégué au travail.
A Rome, deux policiers sont exécutés et délestés de leurs armes. En juillet, c’est l’exécution d’Antonio Ammaturato, chef de la brigade mobile de Naples. A la prison de Trani, un repenti est tué, Ennio Di Rocco.
Les derniers groupes autres que les BR-PCC et le PGPM disparaissent au fur et à mesure. En avril c’est la défaite pour les NAC (Nuclei Armati Comunisti), issus des NAPO et qui menaient la lutte armée depuis 1980 ; en prison les prisonnierEs des NAC se rallieront aux BR-PCC.
En mai, la situation continue de se durcir. Le PGPM subit des arrestations : 3 à Rome, 5 à Naples.
Un chef de la colonne Toscane des BR, Umberto Catabiani, est tué au cours d’une fusillade avec la police anti-terroriste. A Rome, Marcello Capuano, dirigeant de la colonne Romaine du PGPM, est arrêté.
A Milan, un noyau armé de la colonne Walter Alasia perd un brigadiste dans un affrontement armé (il y a en plus deux brigadistes blessés et un policier tué).
En août, le groupe » prima posizione » exécute un carabinieri. Quelques jours plus tard, le PGPM lance un commando de dix brigadistes, dont trois femmes, attaquer un dépôt d’armes de l’armée de l’air dans la banlieue de Rome ( » volant » en même temps une dizaine de fusils automatiques).
A Salerne c’est une caserne qui est attaquée. Quinze brigadistes, dont trois femmes, ouvrent le feu sur un convoi militaire : un policier est tué, deux blessés, deux militaires grièvement blessés. Le commando s’enfuit avec plusieurs armes automatiques. En septembre un commando du PGPM vole quarante revolvers chez un armurier de Reggio de Calabre.
En octobre, un commando du PGPM exécute un carabinier, en blesse grièvement un autre et prennent leurs armes. Cette dérive se cristallise dans une action discréditant totalement le PGPM : l’expropriation de la banque de Naples, à Turin. Deux vigiles sont exécutés alors qu’ils avaient été désarmés.
Les BR-PCC attaquent violemment le PGPM en raison de cette action dans le texte » Sur l’action de Turin « . Puis, en décembre, le » noyau historique » à l’origine du projet de PGPM se dissocie de l’entreprise. Prenant le nom de » collectif ce n’est que le début « , il regroupe Renato Curcio et 18 autres brigadistes, à l’origine pour la plupart de » L’abeille et le communiste » (décembre 1980) et de la » Résolution de la direction stratégique » de décembre 1981, intitulée » Crise, guerre et internationalisme prolétarien « .
Le PGPM continue à subir la répression : en octobre Vittorio Bolognesi et dix autres membres de la colonne napolitaine sont arrêtés. Cinq importantes caches du Parti-Guérilla sont découvertes dans la banlieue de Naples. Natalia Ligas (24 ans), chef » militaire » de la colonne napolitaine du PGPM, est capturée à Turin ; en Novembre c’est une catastrophe : 19 arrestations dont celle d’Antonio Chiocchi, l’un des chefs de la colonne napolitaine du PGPM. Puis c’est l’arrestation de brigadistes à Milan : au total 32 depuis le début de novembre, de 4 membres de la colonne turinoise.
L’année 1982 est en fait celle de la débâcle. 915 militantEs arméEs de divers organisations ont été arrêté. Sur le plan militaire la régression est patente : il y aura 580 attentats, contre 849 en 1981, 1264 en 1980, 2366 en 1979. 26 militantEs ont été tué, comme en 1981. 1523 membres des BR sont en prison, sans compter les membres d’autres groupes et organisations.
12.La tentative de réorganisation (1983)
L’année marque un tournant pour les BR. En janvier tout d’abord, la colonne milanaise Walter Alasia, en cours de reconstitution, est anéantie par la répression. Le noyau des communistes, actif depuis sa sortie de Prima Linea en 1981, est également anéantie.
Les restes des brigadistes publient un texte intitulé » Encore un pas… « , qui attaque le PGPM pour son action à Turin ( » une provocation contre-révolutionnaire « ) et constitue une autocritique ( » Nous n’avons pas su dépasser la grille des usines »).
Quelques jours plus tard, Adrinao Carnelutti, un historique des BR clandestin à Milan, se fait arrêté, puis en février c’est le tour de Dario Facceo, fils d’un député du parti Radical. L’activité politico-militaire se réduit au profit de nombreux débats.
Renato Curcio écrit un texte au nom du » Vatican collectif « , groupe mouvementiste de détenus de Palmi. On peut y lire que » le cycle de lutte révolutionnaire armée commencé en 1978 est achevé « . Le PGPM a été une expérience qui a échoué, mais l’objectif reste » la révolution sociale totale dans la métropole impérialiste « . Il faut s’adapter aux conditions nouvelles. » La guérilla des années 80 devra rechercher et développer dans sa pratique les langages métropolitains de la transition vers le communisme « .
Renato Curcio effectue alors une série de recherches sur la nature du prolétariat métropolitain, et les moyens de le faire agir.
Avec Franceschini, un autre » historique « , il publie le très difficile texte » Gouttes de soleil dans la cité des spectres… « , où la guérilla est considérée comme le dernier espoir de l’humanité noyée dans le capitalisme. Le document commence ainsi :
» Les routes que nous avons suivies nous ont fait finalement » monter de la terre jusqu’au ciel » et nous aventurer dans le château enchanté de l’idéologie.
Nous en avons dévoilé le jeu perfide des miroirs, inspecté les passages secrets, dessiné la carte.
Maintenant que les monstres sont apprivoisés, nous pouvons revenir sur terre et affronter les labyrinthes fantasmagoriques de la vie : la métropole, désert peuplé de spectres, lieu de l’aliénation totale et de la révolte radicale, produit du capital dans la phase mourante de la domination réelle totale. Ghost town, justement, comme le titre de l’hymne reggae de la révolte de Brixton. Vivisectionnons la bête « .
Curcio et Franceschini disent en fait que la situation a changé depuis Marx ; celui-ci pouvait dire que » l’ouvrier travaille pour vivre. Pour lui-même, le travail n’est pas une partie de sa vie, il est plutôt un sacrifice de sa vie. C’est une marchandise qu’il a adjugé à un tiers. C’est pourquoi le produit de son activité n’est pas non plus le but de son activité… La vie commence pour lui où cesse cette activité, à table, à l’auberge, au lit « .
Mais selon Curcio et Franceschini, cela n’est plus vrai aujourd’hui : le prolétaire est désormais également au service du capitalisme même quand il ne travaille pas, par la consommation.
La thèse principale est la suivante : » Nous appelons domination réelle totale cette phase dans laquelle le capital a occupé tous les interstices de la formation sociale en les pliant à ses besoins.
Aujourd’hui, il a non seulement construit » un mode de production sui generis « , mais une » formation sociale sui generis » : la métropole informatisée (…).
Ce qui signifie une modification qualitative profonde, une révolution capitaliste des besoins, des goûts, de la mentalité, de la morale… en un mot, de la conscience. Et une production des appareils, des instruments nécessaires à cela. C’est ainsi que naît une nouvelle branche de la production, » l’usine de la conscience « , avec ses fonctionnaires correspondants ; usines des modèles de consommation, des systèmes idéologiques, des systèmes de signes ayant pour but la réalisation-reproduction de la plus-value relative, du rapport social dominant.
La production n’est plus seulement production indirecte de consommation (dans le sens que toute production présuppose une consommation), mais elle se constitue aussi aujourd’hui comme » production directe de consommations » : à côté de la production d’objets marchandises, il y a la production de besoins-consommations-conscience-idéologie ; en même temps que la production de plus-value relative, il y a la production spécifiquement capitaliste de ses conditions de réalisation.
» Production de marchandises » et » production de systèmes idéologiques » sont aujourd’hui concrètement, visiblement, les deux côtés, les deux aspects du même processus : le travail en tant qu’activité conforme à un but. Elles sont produites et vivent simultanément dans le même espace-temps ; pour se reproduire, le capital doit reproduire simultanément les deux déterminations (…).
La métropole est l’usine totale.
L’ » usine à objets-marchandises » est seulement l’un de ses secteurs, tout comme l’est l’ » usine à idéologie « . Il faut alors caractériser la composition de classe, le prolétariat, non seulement en relation avec l’ » usine partielle » mais aussi avec l’ » usine totale « , la métropole dans sa globalité. Il doit être vu non seulement comme force de travail, capacité de travail, mais aussi comme consommateur conscientisé, idéologisé. Toute distinction mécaniste entre force de travail et formes de sa conscience tombe donc d’elle-même : le prolétariat dans la métropole est en même temps force de travail du capital et consommateur-conscience de celui-ci, son produit programmé et finalisé.
Tout réductionnisme à un seul des deux termes, toute séparation plus ou moins rétro-agissante de ceux-ci, mène aujourd’hui inévitablement soit vers les bachotages laborieux de l’empirisme ouvriériste-usiniste, soit vers les envolées du subjectivisme idéaliste, interdisant la compréhension de la complexité des mouvements sociaux actuels « .
La conclusion pratique est la nécessité de la violence révolutionnaire :
» Dans les conditions de la métropole, détruire les formations fétiches dans tous nos rapports sociaux est un impératif de la vie. C’est une thérapie sociale, la seule solution à la condition schizo-métropolitaine.
Devoir exercer la violence explosive devient une nécessité absolue !
Sans la pratique de la violence révolutionnaire, la simple survivance ne peut même pas être garantie, et surtout il n’y a aucune possibilité de re-fusion unitaire, dans un processus collectif de libération, de sa propre conscience éclatée. Exercer sa violence contre les fétiches du capital est l’acte conscient qui exprime le plus haut niveau d’humanité possible dans la métropole, parce que c’est au travers de cette pratique sociale que le prolétariat, en s’appropriant ainsi le processus productif vital, construit son savoir et sa mémoire, ce qui veut dire son pouvoir social, son identité « .
A l’extérieur, quelques actions ont lieu. Une gardienne de la prison de Rebibbia à Rome est exécutée après un » procès populaire « , puis une gardienne de la prison de Poggioreale, à Naples. Ce seront les dernières actions du PGPM.
Le 3 mai 83 un » noyau armé » des BR jambise Gino Giugni, professeur d’université et cadre de l’Etat (il a notamment plaidé le gel des salaire et est très proche de Craxi). Cette action forme selon les BR-PCC » le premier moment de reformation de l’initiative révolutionnaire « .
Dans ce premier communiqué depuis la débâcle de 1982 la thèse du parti guérilla est vivement critiquée. Pour le parti guérilla l’antagonisme dans les rapports sociaux est spontané, suinte de lui-même, et amène des mouvements de masse toujours plus grands contre la réalité métropolitaine.
Or, les BR-PCC refusent de » suivre » le prolétariat métropolitain, ne se veut ni » expression » de lui ni encore son » représentant « , seulement une » composante « , un » élément « . » Avant-garde dont la direction peut et doit permettre au prolétariat de se former comme classe dominante « . Il s’agit de » mener à fond une bataille politique qui soit en mesure de défaire politiquement, dans le prolétariat métropolitain, toutes les influences néfastes de thèses qui visent consciemment à la liquidation de plus d’une décennie de projets révolutionnaires dans notre pays « .
Un groupe d’ » irréductibles » emprisonnés, rassemblant Andréa Coi, Prospero Gallinari, Francesco Piccioni et Bruno Seghetti, publie alors » politique et révolution « .
Pour ce groupe, l’objectif est de » Retrouver une mentalité scientifique, politique, gagnante, majoritaire, attentive aux grands nombres, en enterrant la mentalité de ghetto idéal-désirante, existentialiste, sectaire, minoritaire et obnubilée par de micro-conventicules de « sujets d’avant-garde » » .
13.BR-PCC et UdCC (1984-1987)
C’est l’année de la disparition des COLP, après de nombreuses actions (dont des expropriations en France, où tombera Ciro Rizzato).
En mars, les BR-PCC publient la Résolution stratégique N° 19 ( » Analyse de la situation, la lutte de la classe ouvrière et la situation politique générale italienne « ), un texte de 61 pages.
Au sein des BR-PCC, qui rassemble l’ensemble des derniers brigadistes puisque le PGPM n’existe plus, les débats continuent.
Une grande question est l’attitude vis-à-vis de l’Union Soviétique, alors que les USA de Reagan lancent une grande offensive.
Deux positions existaient, grosso modo. La première était celle de » l’Ape et il comunista « , qui considérait de manière maoïste l’URSS comme un social-impérialisme, aussi dangereux que les USA.
La seconde, celle du » groupe d’élaboration – 16 mars du camp de Trani « , disait à l’opposé qu’ » on ne peut exclure par principe l’opportunité d’appuyer tactiquement aussi les forces qui font référence à l’URSS ou au soi-disant camp socialiste, bien qu’il soit clair que ce choix tout à fait contingent a lieu sans perdre de vue la tendance générale et stratégique, par rapport à laquelle le social-impérialisme constitue un impérialisme montant et dans la plus absolue et complète autonomie politique et organisationnelle « .
A cette divergence importante va en succéder une autre, qui concerne l’interprétation même du rôle de la guérilla.
Tout d’abord, il y a l’exécution le 15 février 84 du général US et commandant en chef des troupes de l’O.N.U. dans le Sinaï, Ray Leamon Hunt.
Hunt est » l’un de ces fonctionnaires consciencieux qui, placés dans le monde entier, organise des saloperies innombrables » au service de l’impérialisme US et au dépens des peuples luttant pour le droit à l’autodétermination et l’indépendance.
Les BR-PCC propose une ligne générale double, se voulant dialectique et interdépendante: l’attaque au cœur de l’Etat, le front anti-impérialiste.
Cette ligne est contestée par une minorité des BR-PCC, qui est exclue en 84. On parlera désormais des deux positions.
La première, dont les partisans gardent le nom de BR-PCC, s’orientent selon une option guérillera.
L’utilisation des armes ne se décide pas selon le jour J de l’insurrection, » il s’agit d’une stratégie politico-militaire conduisant le processus révolutionnaire du début à la fin « . Le parti ne se construit pas parallèlement aux mouvements de masses, mais consiste en un » parti communiste combattant » montrant l’alternative, unifiant la classe par ses actions contre les stratégies de l’impérialisme.
Les partisanEs de cette position défendent l’héritage des BR-PCC. Ils/Elles critiquent la déviation du PGPM, influencé par » Prima Linea » (la guérilla semi-légale des autonomes pro-guérilla) et par les élucubrations du professeur de Padoue [Toni Negri], » abandonnant le prolétariat métropolitain dans sa globalité comme sujet révolutionnaire et s’obnubilant sur ses franges extra-légales et sur les prisonniers « .
L’année 1982 est vu comme une année importante, nécessitant la » retraite stratégique « .
En mars, les BR-PCC publient la Résolution stratégique N° 19 ( » Analyse de la situation, la lutte de la classe ouvrière et la situation politique générale italienne « ), un texte de 61 pages. Au sein des BR-PCC, qui rassemble l’ensemble des dernierEs brigadistes puisque le PGPM n’existe plus, les débats continuent. Une grande question est l’attitude vis-à-vis de l’Union Soviétique, alors que les USA de Reagan lancent une grande offensive.
Deux positions existaient, grosso modo. La première était celle de » l’Ape et il comunista « , qui considérait de manière maoïste l’URSS comme un social-impérialisme, aussi dangereux que les USA.
La seconde, celle du » groupe d’élaboration – 16 mars du camp de Trani « , disait à l’opposé qu’ » on ne peut exclure par principe l’opportunité d’appuyer tactiquement aussi les forces qui font référence à l’URSS ou au soi-disant camp socialiste, bien qu’il soit clair que ce choix tout à fait contingent a lieu sans perdre de vue la tendance générale et stratégique, par rapport à laquelle le social-impérialisme constitue un impérialisme montant et dans la plus absolue et complète autonomie politique et organisationnelle « .
A cette divergence importante va en succéder une autre, qui concerne l’interprétation même du rôle de la guérilla. Tout d’abord, il y a l’exécution le 15 février 84 du général US et commandant en chef des troupes de l’O.N.U. dans le Sinaï, Ray Leamon Hunt. Hunt est » l’un de ces fonctionnaires consciencieux qui, placés dans le monde entier, organise des saloperies innombrables » au service de l’impérialisme US et au dépens des peuples luttant pour le droit à l’autodétermination et l’indépendance. Les BR-PCC propose une ligne générale double, se voulant dialectique et interdépendante: l’attaque au cœur de l’Etat, le front anti-impérialiste.
Cette ligne est contestée par une minorité des BR-PCC, qui est exclue en 84. On parlera désormais des deux positions. La première, dont les partisans gardent le nom de BR-PCC, s’orientent selon une option guérillera.
L’utilisation des armes ne se décide pas selon le jour J de l’insurrection, » il s’agit d’une stratégie politico-militaire conduisant le processus révolutionnaire du début à la fin « . Le parti ne se construit pas parallèlement aux mouvements de masses, mais consiste en un » parti communiste combattant » montrant l’alternative, unifiant la classe par ses actions contre les stratégies de l’impérialisme.
Les partisanEs de cette position défendent l’héritage des BR-PCC. Ils/Elles critiquent la déviation du PGPM, influencé par » Prima Linea » (la guérilla semi-légale des autonomes pro-guérilla) et par les élucubrations du professeur de Padoue [Toni Negri], » abandonnant le prolétariat métropolitain dans sa globalité comme sujet révolutionnaire et s’obnubilant sur ses franges extra-légales et sur les prisonniers « .
L’année 1982 est vu comme une année importante, nécessitant la » retraite stratégique « .
» La campagne de répression les déchaînée par l’Etat contre le mouvement révolutionnaire a, pour ainsi dire, seulement révélé et mis en évidence dans toutes leurs implications les symptômes d’une profonde crise politique qui existait avant cette période de tortures, des trahisons et des arrestations en masses « . Il faut donc » relancer l’activité révolutionnaire dans notre pays sur des bases théoriques, politiques et organisationnelles plus solides et plus pures que par le passé « .
Mais, en tout cas » en Italie ce n’est pas la lutte armée pour le communisme qui a été défaite, mais ses conceptions idéalistes et immédiatistes ont prévalu dans le mouvement révolutionnaire et dans les Brigades rouges même « . Par rapport à la seconde position s’étant développé dans les BR-PCC, la Résolution stratégique N° 20 dit que » les brigades rouges n’ont rien exclu d’autre qu’une tentative révisionniste de liquider les conquêtes politiques de 15 années de lutte révolutionnaire « .
Que nous dit la seconde position ?
Elle refuse le » subjectivisme » et » l’aventurisme » de la première position, son » éclectisme théorique « . Elle met en avant le léninisme, rejette les thèses sur la » guerre populaire prolongée « , et forme un nouveau groupe : l’Unione dei Communisti Combattente.
Pour l’UdCC il s’agit de faire de la propagande semi-légale; la lutte armée n’est pas une stratégie mais juste une » méthode décisive « . Il n’y a pas de » guerre populaire prolongée « , seulement une connexion tactique avec les masses à organiser, et ce dans le but de la révolution. Tout le discours sur le prolétariat métropolitain disparaît. A la guérilla des BR-PCC l’UdCC oppose la » ligne de masse « , reliée à l’utilisation tactique de la lutte armée.
Au niveau international cette coupure fera grand bruit. Les BR-PCC travailleront avec la RAF pour un » front anti-impérialiste » en gardant leur spécificité (alors que la RAF et Action Directe adoptent une position totalement commune).
L’UdCC aura elle un bon écho chez les Cellules Communistes Combattantes (CCC) de Belgique, elles-mêmes proches du PC d’Espagne [reconstitué] dans leurs analyses.
En décembre, les BR-PCC attaquent un fourgon de transport de fonds. Un brigadiste est tué, sont blesséEs une brigadiste, deux gardiens et un passant. Les membres du commando disparaissent dans les HLM de la banlieue de Rome. Début 1985, quelques actions sont menés pour se procurer des fonds, coûtant la vie à deux jeunes brigadistes. Un responsable anti-terroriste est exécuté.
Le 27 mars 1985 les BR-PCC exécutent le fonctionnaire dirigeant du syndicat CISL, Tarantelli. Ce dernier avait été conseiller de la banque centrale italienne, expert économique de la CISL, bras droit de Craxi, et avait travaillé à l’attaque contre la scala mobile (l’échelle mobile indexant les salaires sur l’inflation).
Après l’opération est diffusé le communiqué commun RAF/Action Directe, avec le communiqué de l’action des BR-PCC, où l’on peut lire que » les Brigades Rouges ont l’intention de travailler au renforcement et à la consolidation du Front de lutte contre l’impérialisme occidental qui a trouvé ces derniers temps une vigueur renouvelée (…) par une campagne unitaire contre l’OTAN de la guérilla européenne en liaison dialectique avec l’exceptionnelle mobilisation de masse contre les missiles américains dans les métropoles européennes « .
En été 85 c’est l’apparition officielle de l’UdCC, qui rend public en octobre le » manifeste et thèses de fondation de l’Union des communistes combattants « .
Les BR sont critiquées comme n’ayant pas su, après 78, construire une forte direction interne, pour ne pas être assez marxistes, pour avoir de graves manquements idéologiques et pratiques. Il s’agit pour l’UdCC, suivant le marxisme-léninisme, » de se placer à la pointe du prolétariat et de mener la lutte jusqu’à la prise du pouvoir « .
Mais il faut attendre l’année 1986 pour que l’activité des deux organisations soient d’un niveau fort. Deux documents marquent cette année : la reparution de » politique et révolution « , et la parution du livre » Le prolétariat ne s’est pas repenti « , rassemblant 214 documents sur le problème des repentis.
Le ministre de l’intérieur reparle lui du » retour de l’état d’urgence « .
En effet, les BR-PCC et l’UdCC vont effectuer un retour en force, et ce alors que la RAF, Action Directe et les CCC belges agissent et remplissent l’actualité.
Le 10 février 86 à Florence les BR-PCC exécutent Lando Conti, ancien ministre de la défense, proche du chef du parti républicain et ancien maire de la ville. Conti est accusé d’être » membre de la direction politico-entreprenante chargée de relier les intérêts économiques du secteur militaire aux intérêts généraux de l’impérialisme occidental « .
Les BR-PCC opèrent, comme dans les années 70, sur la relation entre crise et guerre. Le 21 février un commando de l’UdCC jambise Antonio Da Empoli, membre du cabinet du premier ministre, chargé des affaires économiques et sociales. La militante Wilma Monaco (27 ans) est tuée dans l’opération.
En octobre l’UdCC publie un texte, où l’objectif annoncé est d’être » l’avant garde consciente de la classe ouvrière « , » le détachement d’assaut de l’insurrection armée « .
En 1979, il y avait eu 2513 attentats en Italie; 1502 en 1980. Il y en a 30 en 1986. En 1980, le » terrorisme » fait 125 morts, 236 blessés. En 1986, 1 mort, 2 blessés. Il y a eu, en 1979 et 1980, entre 1500 et 1800 attentats par an, et 30 en 1986.
De 1969 à 1986, il y aura eu plus de 14600 attentats, 415 morts, 1180 blessés.
En janvier 1987 a lieu une fusillade à Rome, et trois militantEs de l’UdCC (dont deux jeunes sont totalement inconnuEs de la police) sont arrêtéEs : Paolo Casseta, Fabrizio Melario, et Geraldina Colotti.
Début février est publié un auto-interview des prisonniers Prospero Gallinari, Francesco Lo Bianco, Francesco Piccioni et Bruno Seghetti, militants des br-pcc.
» Le fondement de toutes nos estimations est l’expérience concrète des br. Leurs résultats pratiques, » historiques « , avant et au-delà du » projet « , c’est-à-dire de la ligne politique par laquelle les résultats ont été matériels. C’est une découverte parce que la lutte armée n’avait jamais auparavant été pratiqué ou théorisé avec ces concepts, ni avec les mouvements de guérilla, ni par les partis communistes de la IIIème Internationale.
C’est de plus une découverte au sens que la véritable pratique et les dynamiques objectives, qui ont été mené par elle, indique selon nous une stratégie politico-militaire victorieuse qui va au-delà de la fixation théorique sur les buts qui ont été à l’origine ou ont orienté cette pratique « .
Le document met en valeur le principe découvert par les BR : l’attaque au cœur de l’Etat, et appelle à une réflexion sur le parcours mené jusque là. » Seul un bilan politico-historique du rôle que la lutte armée des BR a joué dans l’histoire de l’affrontement de classe de ce pays peut contribuer à ce que soit défini scientifiquement une stratégie politico-militaire contemporaine « .
» La ‘découverte’ stratégique essentielle qui a été faite par les BR est sans aucun doute ‘l’attaque au cœur de l’Etat’. L’expérience et la réflexion à ce niveau forment le véritable axe stratégique à partir de laquelle s’est produite l’identité politique et historique des br. En un certain sens les br ‘sont’ l’attaque au cœur de l’Etat. Sans ce centre de gravité de l’activité politico-militaire, la lutte armée en Italie n’aurait été qu’une apparition passagère, avec une signification politique beaucoup plus réduite.
Nous pensons par exemple à l’absence de signification historique de l’activité de Prima Linea, malgré qu’elle ait trouvé une certaine résonance et qu’elle ait mené de très nombreuses actions « . Le 14 février 87 les BR-PCC attaquent un convoi et récoltent un milliard de lire.
Le 17 février, des prisonnierEs des BR-PCC diffusent un document au procès Moro-ter, où il est notamment dit que » La stratégie de la lutte armée, la pratique de la guérilla, leur rôle historique est irremplaçable pour le prolétariat révolutionnaire, dans le cadre d’une lutte de classes prolongées pour écraser l’Etat et fonder la société socialiste « . » Cela unit chaque jour davantage les intérêts de notre révolution à ceux de tous le peuples et forces révolutionnaires qui combattent dans l’espace méditerranéen et au Proche-Orient contre un même ennemi, l’impérialisme occidental aux ordres des Etats-Unis.
Aux côtés de la guérilla européenne (…) les BR-PCC ont l’intention de développer leur processus révolutionnaire, avec la conviction que leur victoire dépend étroitement du renversement du rapport des forces, et de la défaite de l’impérialisme dans cette région (…) – Renforçons le front anti-impérialiste en Europe Occidentale et autour de la Méditerranée ! – Solidarité avec le combat du peuple Palestinien ! – Guerre à la guerre ! Guerre à l’OTAN ! – Contre la guerre impérialiste, guerre de classes pour affirmer le pouvoir et la dictature du prolétariat ! « .
Le 21 février 87 l’UdCC exécute le général Licio Giorgeri, responsable des armements aéronautiques et spatiaux de l’armée de l’air.
Puis publie un document de 14 pages, distribué simultanément à Rome, Milan et Gènes, et un texte de 149 pages : » Comment sortir de la situation d’urgence « . L’UdCC y donne comme mots d’ordre : » Non à l’adhésion italienne à la guerre des étoiles ! » ; » L’Italie hors de l’Otan » ; » Non à la politique de gendarme de l’Italie en Méditerranée ! Unité à la base de toutes les forces opposées aux néo-dictatures des gouvernements bourgeois ! » ; » Hommage à la Camarade Wilma Monaco « Roberta » « .
Mais l’UdCC doit faire face à une répression dure. Elle a perdu beaucoup de membres jusqu’en juin, où est arrêtée à Rome l’ensemble de sa direction : Claudia Gioia, Massimiliano Bravi, Francisco Maïetta (leader de la colonne romaine, déjà arrêté en France dans le cadre d’une enquête sur Action Directe), Danielle Menella (archiviste du ministère de l’Intérieur), Paolo Persichetti, qui sera étudiant à Saint-Denis en France.
Des bases sont découvertes, 14 militantEs sont arrêtéEs en tout, puis 4 autres, puis finalement à Paris Maurizio Locusta (37 ans, en possession de faux papiers et de 70.000F.), un des leaders de l’UdCC, avec 3 autres militants. Arrestation ensuite de 6 autres militantEs à Rome dont Aldo Balducci, 30 ans, employé au ministère des Travaux Publics, et Maurizio Falcone, chauffeur d’un Préfet au Ministère de l’Intérieur !
D’autres arrestations suivent, portant fin août à 30 le nombre de militantEs arrêtéEs. 11 autres sont arrêtés en septembre, 3 en novembre.
L’UdCC est définitivement démantelée. Seules restent les BR-PCC, d’autant plus que certains de leurs leaders historiques emprisonnés abandonnent la lutte armée, et que le noyau historique des BR originelles s’est lui-même dissocié de la lutte armée : Renato Curcio, Mario Moretti, Maurizio Janelli et Piero Bertolazzi écrivent une » lettre ouverte » au quotidien » Il Manifesto » où est expliqué que » les conditions internationales qui avaient favorisé cette lutte sont désormais dépassées » et qu’une amnistie était nécessaire.
En octobre est publié un document de Barbara Balzerani, Luigi Novelli, Giuseppe Scirocco, Piero Vanzi, où est dit que » Les transformations politiques et sociales à l’intérieur du pays, tout comme l’évolution des relations internationales, rendent caduques notre projet révolutionnaire et la stratégie qui l’appuyait « .
Qui plus est, » Là où la révolution ne triomphe pas, c’est la bourgeoisie qui résout en sa faveur les contradictions de la société et ce d’autant plus aisément quand il en découle un quelconque développement social « .
13.Le front anti-impérialiste combattant (1988)
Le 16 avril 88, le sénateur de la DC Roberto Ruffili, grand ami du nouveau chef du gouvernement De Mita nommé trois jours auparavant, est exécuté par les BR-PCC, qui attaquent le » projet de réforme néo-autoritaire des organes étatiques « .
Mais le mois d’avril est également marqué par un texte très important, qui va permettre la fermentation de tout un nouveau courant politique qui culminera avec l’exigence de construction d’un » (nouveau)Parti communiste italien. Le texte, écrit par un groupe de révolutionnaires, s’intitule » Cristoforo Colomba » ; pour ces camarades, les BR ont été comme Christophe Colomb : croyant aller quelque part, arrivant ailleurs mais ne le sachant pas.
Le groupe critique d’abord très fortement les multiples déviations subjectivistes, pour mettre en avant la question du Parti. D’une certaine manière on peut dire qu’il s’agit d’une critique contre l’éclectisme des références (Marighella, les Tupamaros, Cuba, l’OLP, IRA, ETA, les Black Panthers etc.) qu’aurait le mouvement révolutionnaire, pour un retour à une politique tel qu’un parti peut la mener. Il s’agit d’une remise en cause des aspects criants du gauchisme ayant dominé les BR avec la ligne voulant élever les masses au niveau de la lutte armée, considérant l’Etat comme » Etat impérialiste des multinationales « , etc.
On peut dire que la ligne des partisanEs du (nouveau)Parti Communiste italien provient historiquement de cette position, pour qui les BR n’ont été en fin de compte que le meilleur produit du mouvement des masses dans les années 1970, et pour qui la question de la construction du Parti doit être au centre des préoccupations.
En septembre, c’est l’écriture du document unitaire RAF/BR-PCC, qui est diffusé en mars 89 sous la forme de tract à Rome et Naples à l’occasion de l’attaque de la RAF contre Tietmeyer, responsable économique allemand. Voici le document :
» Le saut à la politique du front est possible et nécessaire pour les forces révolutionnaires, afin d’amener la confrontation à l’acuité adéquate.
Pour cela, toutes les positions idéologiques-dogmatiques existantes encore à l’intérieur des forces combattantes et du mouvement révolutionnaire doivent être combattues et dépassées, parce qu’elles divisent les combattants, et parce que ces positions ne peuvent pas atteindre le niveau dont on a besoin pour amener les luttes et les attaques à leur acuité politique nécessaire.
Les différences historiques dans le développement et la définition politique de chaque organisation, les différences (secondaires) dans l’analyse, etc., ne peuvent et ne doivent pas être un obstacle à l’unification nécessaire des multiples luttes et activités anti-impérialistes dans une attaque consciente et ciblée contre la puissance de l’impérialisme.
Il ne s’agit pas d’une fusion de chaque organisation en une seule ; le front se développe en Europe de l’Ouest dans un processus de reconnaissance direct et organisé, sur la base de l’offensive pratique, dans la mesure où les prochains moments rendent mûre l’unité entre les forces combattantes. L’organisation du front révolutionnaire combattant signifie l’organisation de l’offensive.
Il ne s’agit ni d’une catégorie idéologique ni d’un modèle de révolution. Il s’agit au contraire du développement de la force politique et pratique qui combat la puissance de l’impérialisme de manière adéquate, qui approfondit la rupture dans la métropole impérialiste et en arrive au saut qualitatif de la lutte prolétarienne.
Notre expérience commune montre comment, sur la base de la décision subjective de chaque organisation, malgré l’existence de différences et de contradictions, il est possible de développer le front ; nous n’avons dans la discussion commune jamais perdu des yeux l’élément unitaire de l’offensive contre l’impérialisme.
L’Europe de l’Ouest est le pivot du conflit entre le prolétariat international et la bourgeoisie impérialiste. L’Europe de l’Ouest est, par son caractère historique, politique et géographique, la coupure où se dessinent les trois lignes de démarcation : Etat/société, Nord/Sud, Est/Ouest.
L’aggravation de la crise du système impérialiste et le déclin de la puissance économique des USA sont les fondements principaux qui amènent, ensemble avec d’autres facteurs politiques, à une perte relative du poids politique des USA, et qui mettent en avant le développement des processus d’intégration économique, politique et militaire. Dans ce rapport la fonction de l’Europe de l’Ouest croît pour le management impérialiste de la crise. Au niveau économique, l’Europe de l’Ouest développe un plan synchronisé de politiques économiques à l’intérieur des managements impérialistes de la crise, comme soutien et tampon des contradictions économiques.
Au niveau militaire, il y a l’obligation de l’intégration politico-militaire à l’intérieur de l’OTAN avec les projets politico-économiques de réarmement dans la nouvelle stratégie militaire impérialiste pour la confrontation avec l’Est, avec l’intervention politico-militaire intégrée contre les conflits s’envenimant dans le tiers-monde, en premier lieu les régions de crise au Proche-Orient.
Au niveau contre-révolutionnaire, il y a le réarmement et l’intégration des appareils de police et de renseignements contre le développement du front révolutionnaire, contre les luttes révolutionnaires en général et contre l’élargissement et l’aggravation des antagonismes de masse.
Il y a la réorganisation et l’intégration pour une intervention politique ciblée contre la guérilla, comme par exemple les projets de « solution politique » dans différents pays ouest-européens. Au niveau politico-diplomatique, il y a les projets de » dialogue politique » pour désamorcer les conflits et consolider les positions de force impérialistes.
Ces initiatives ont aussi comme fonction de renforcer les processus de formation de l’Europe de l’Ouest à l’intérieur du système global. Ces différents niveaux sont mutuellement liés et poussent en avant la formation politique de l’Europe de l’Ouest, un mouvement dont aucun pays n’est exclu.
Aucune force révolutionnaire combattante ne peut, dans son activité révolutionnaire, mettre cela de côté. Ces éléments politiques forment le cadre où le front est, en Europe de l’Ouest, possible et nécessaire.
Le niveau historiquement atteint par la contre-révolution impérialiste a fondamentalement modifié le conflit entre l’impérialisme et les forces révolutionnaires. Cela signifie devenir conscient du poids croissant de la subjectivité dans la confrontation des classes et du fait que le terrain révolutionnaire ne peut pas être un simple réflexe aux conditions objectives.
L’attaque du front ouest-européen contre les projets stratégiques actuels de formation politique, économique et militaire de l’Europe de l’Ouest vise l’affaiblissement du système impérialiste, afin d’entraîner la crise politique globale. Notre offensive commune se dirige :
Contre : La formation des politiques économiques et monétaires ouest-européennes, qui sont conçues dans le système impérialiste global comme soutien et tampon vis-à-vis des érosions économiques pointues, et qui en coordination avec les politiques des USA et du Japon, veulent imposer les intérêts (en terme de profits et de puissance) des banques et des multinationales, sur le dos du tiers-monde, et empêcher l’écroulement du système financier international.
Contre : Les politiques de formation ouest-européenne qui visent au renforcement des positions impérialistes ; actuellement elles interviennent au Proche-Orient, sur le dos des peuples palestinien et libanais, afin de stabiliser cette région. L’attaque unitaire des lignes stratégiques de la formation de l’Europe de l’Ouest ébranle le pouvoir impérialiste.
Organiser la lutte armée en Europe de l’Ouest. Construire dans l’attaque l’unité des forces révolutionnaires combattantes : organiser le front. Lutter ensemble « .
6 bases et 20 membres des BR-PCC sont découverts et arrêtés en septembre 88. C’est un coup très dur pour l’organisation, que beaucoup considèrent alors comme démantelée.
13.BR-PCC, NCC-PCC, NTA, NIPR (1989-2001)
L’année 1988 a été une année charnière ; la destruction par l’Etat italien des structures des BR-PCC joue un rôle psychologique très fort. La propagande étatique et révisionniste affirme que les derniers Mohicans ont été arrêté, que l’histoire de la guérilla est désormais close non seulement théoriquement mais également pratiquement.
Les faits prouvent pourtant le contraire, ce qui semble donner raison aux BR-PCC qui parlent de » processus révolutionnaire non-linéaire « . Le 29 mars 1989 le mur extérieur de la prison spéciale de Novara est attaquée, l’action est revendiquée par téléphone par les BR.
En 1991 sont diffusés des documents écrits par les prisonnierEs; en 1992 apparaît un groupe reconnaissant l’activité centrale des BR-PCC et se nommant Nuclei Comunisti Combattenti per la costruzione del Partito Comunista Combattente. Ces noyaux communistes combattants attaquent le 17 octobre 1992 la Cofindustria (rassemblement patronal) à Rome. Des militantEs des BR-PCC sont arrêtéEs pendant quelques années en France.
Début 1993 c’est la Cofindustria d’Udine qui est attaquée à l’occasion de la visite du ministre de l’industrie par des » militanti rivoluzionari per la costruzione del PCC « .
Le 2 septembre de la même année les BR-PCC attaquent la base américaine d’Aviano, et le 28 octobre des tracts de soutien aux membres des BR-PCC arrêtéEs quelques jours auparavant sont distribuées durant des manifestations ouvrières à Monfalcone, Trieste, Udine et Pordenone par des » militants révolutionnaires pour la construction du PCC « .
Le 10 janvier 1994 les NCC-PCC attaquent le NATO defense college à Rome (il s’agit d’une école de formation des cadres de l’OTAN) au moment d’une réunion de l’OTAN à Bruxelles. Dans les différents procès des militantEs des BR-PCC, une scission est visible suite à l’action contre la base d’Aviano, une partie critiquant la vision seulement anti-impérialiste du communiqué de l’action.
On notera également la publication de différents textes, notamment par la Cellule pour la constitution du PCC, défendant la construction d’une organisation de lutte armée. La cellule, qui produit de nombreux textes (production allant jusqu’à aujourd’hui) et qui n’a jamais revendiqué d’actions, oscille perpétuellement entre les BR-PCC néanmoins considérées comme subjectivistes et l’UdCC défunte, de qui elle est au final sans doute plus proche.
En 1995 apparaissent les Nuclei Territoriali Antimperialisti (NTA) qui mènent des actions contre l’OTAN ; par la suite des actions seront menées à Rome, Bologne et Milan, et un premier long texte sort en 1997.
Le 20 mai 1999, un commando des BR-PCC exécutent Massimo D’Antona, conseiller du ministre du travail. La revue française » L’express » dit que » le choix de la victime constitue également une signature : spécialiste du droit du travail, D’Antona, homme de gauche, peu connu du grand public, jouait cependant – et les Brigades Rouges en étaient parfaitement conscientes – un rôle de premier plan dans la politique de réformes sociales du gouvernement, notamment en matière de flexiblité de l’emploi et de réglementation des grèves « .
Ces » nouvelles » brigades rouges sont en fait issues des NCC-PCC, et le communiqué des BR-PCC est très long et possède le caractère d’une résolution stratégique.
» Le 20 mai 1999, à Rome, les Brigades Rouges pour la Construction du Parti Communiste Combattant ont frappé Massimo D’Antona, conseiller législatif du Ministre du Travail Bassolino et représentant du bureau à la table permanente du « Pacte pour l’occupation et le développement ».
Avec cette offensive les Brigades Rouges pour la Construction du Parti Communiste Combattant reprennent l’initiative combattante, en intervenant dans les nœuds centraux de l’affrontement pour le développement de la guerre de classe de longue durée, pour la conquête du pouvoir politique et l’instauration de la dictature du prolétariat, en portant l’attaque au projet politique néo-corporatif du « Pacte pour l’occupation et le développement » « .
Les BR-PCC frappent au moment où l’impérialisme intervient militairement en Yougoslavie ; cela et la réorganisation du rapport entre les classes par l’impérialisme en Italie nécessitent d’intervenir :
» Un cadre politique général qui impose au prolétariat et à ses avant-gardes révolutionnaires d’assumer la responsabilité politique de construire l’alternative de pouvoir historiquement proportionnée à ces projets, à travers la reprise de l’attaque révolutionnaire, soit au cœur des politiques qui permettent à cet État de jouer son rôle impérialiste «
» La proposition politique des BR-PCC se concrétise donc en deux aspects: d’un côté en organisant les avant-gardes les plus conscientes autour de la stratégie politique de l’organisation; de l’autre en représentant l’élément de référence d’avancée et de fixation pour les instances les plus mûres de la lutte de classe en se rapportant à elles avec le programme politique. Finalement, l’autre axe sur lequel les BR-PCC entendent développer leur propre programme politique est sur le plan de la contradiction impérialisme/anti-impérialisme, afin d’affaiblir et de réduire la domination impérialiste, en construisant l’offensive commune contre ses politiques centrales, avec les forces révolutionnaires et anti-impérialistes qui opèrent dans la zone Europe – Méditerranée – Moyen-Orient.
Les BR-PCC mettent donc au centre de leur propre projet politique la promotion et construction du Front Combattant Anti-impérialiste, dans lequel la recherche de l’unité politique-militaire entre forces anti-impérialiste de la zone permette de construire les alliances politiques nécessaires à affaiblir la domination impérialiste, à partir de les différences historique-structurelles de la lutte de classe des formations économique-sociales uniques dans lesquelles existent et mûrissent les expériences et les forces révolutionnaires et anti-impérialiste, mais aussi à partir du rôle unique et unitaire que déroulent les État dominants de la chaîne impérialiste.
Concevoir la nécessité politique de construire un Front Combattant Anti-impérialiste ne signifie pas exclure la reconstruction d’une Internationale Communiste, mais signifie ne pas négliger d’activer toutes les forces disponibles contre l’ennemi impérialiste, au-delà des différences entre les étapes révolutionnaires et les conceptions que soutiennent les forces anti-impérialistes, et construire aussi une condition favorable à la poursuite de l’objectif de l’International Communiste qui présuppose une unité supérieure dans les caractères de classe, dans les buts et dans les conceptions des forces y appartenant « .
Les » nouvelles » BR-PCC ont la même idéologie que les « anciennes » BR-PCC : · il s’agit de suivre la guerre de classe de longue durée, dans le cadre de la retraite stratégique ; · la guérilla agit en tant que Parti pour construire le Parti, nécessairement combattant ; · dans le processus de guerre de classe de longue durée il y a discontinuité dans le processus révolutionnaire (en raison de l’ampleur de la contre-révolution préventive ; · il est nécessaire d’organiser un front anti-impérialiste combattant dans la zone Europe – Méditerranée – Moyen-Orient.
Comme d’habitude le flou est de rigueur au niveau des références. Il faut attendre de très nombreuses pages avant de voir une référence positive aux révolutions russe et chinoise et la revendication du marxisme-léninisme comme idéologie.
Une thèse néanmoins cette fois explicitement mise en avant est celle voulant que la fin de l’URSS soit quelque chose de négatif.
Il est parlé de » pays socialistes » ou » en transition « , trahis par les révisionnistes et attaqués par l’impérialisme. La fin de l’URSS fermerait un cycle ouvert avec la révolution de 1917, ce qui est grosso modo la même position que la RAF. A l’opposé des Brigades Rouges initiales, les BR-PCC ne considèrent donc pas l’URSS comme social-impérialiste . L’action des BR-PCC a un grand écho, mais suscite également de vigoureuses critiques.
De nombreuses » personnalités » historiques, et non des moindres comme Gallinari, rejettent l’utilisation du terme » BR-PCC » par le groupe ; à l’opposé les prisonnierEs des BR-PCC saluent l’initiative.
Le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué), qui appuie la guérilla des GRAPO, attaque également violemment les BR-PCC, accusées de ne faire l’action qu’en raison de la construction du » (nouveau)Parti Communiste Italien « .
Le (n)PCI se construit à partir de l’illégalité, et critiquera vigoureusement les BR-PCC comme subjectiviste, dans le texte » Martin Lutero « . Pour les partisanEs du (n)PCI, la tâche prioritaire est la reconstruction du Parti. Si les BR-PCC n’ont rien revendiqué depuis, de nombreuses actions armées ont tout de même eu lieu.
Il y a ainsi notamment l’attaque à l’explosif à la mi-mai 2000 contre le siège de la Commission d’étude et de surveillance des normes anti-grèves, et le 10 avril 2001 l’action contre l’institut de recherche sur l’économie mondiale et une association pour les relations italo-US à Rome, revendiquées par les NIPR (Nuclei di Iniziativa Proletaria Rivoluzionaria ; noyaux d’initiative prolétaire révolutionnaire). En septembre 2001 c’est la cellule Barbara Kistler qui avait attaqué l’Institut du Commerce Extérieure de Trieste.
Par la suite, les NTA sortiront un communiqué saluant l’action des NIPR ; les NIPR comme les NTA considèrent les BR-PCC comme l’avant-garde. Des documents des NIPR et des BR-PCC seront expédiés à de nombreux représentants syndicaux et dans des usines.
» Voici, les graffitis, théâtre de la vie. Egratignures, griffures, lacérations, qui gravent sur les territoires de la mort, sur les surfaces claires et nettes de la métropole, des signes de révolte et de libération. Gouttes colorées d’un désir souterrain qui cherche ses volumes dans l’univers hyper-réel saturé de vide. Qui déploie un discours de poésie dans la rude culture de la rue.
Qui émerge dans le monde hétéroclite de l’a-communication totale, avec une voix limpide, vierge, sans histoire.
Qui nomme l’innommable et par cette transgression se porte à la vie sociale, violant le contexte programmé pour sa négation. Poésie de multiples poètes, voix sans visage qui regarde ses interlocuteurs sans en avoir aucun, mais qui parle intensément à tous ceux qui lui offrent leur regard. Et à chaque nouveau regard renouvelle les inépuisables scènes du théâtre de la vie « .
» Chacun écrit dans sa propre zone de rencontre : mur, banc, cabine téléphonique, banquette de métro ; on marque son propre territoire. De cette façon celui-ci est délimité, indiquant aux autres la présence d’un groupe, son nom, sa musique préférée ou son style de vie. Un style de vie qui a dans la transgression, dans la rupture de la normalité de communication, son propre signifiant : projet de modification suivant son goût propre, son esthétique personnelle, quasiment d’aménagement de la ville où l’on habite, sur un autre mode « .
» Pas toujours. Parfois les graffitis sportifs, érotiques, politiques, rock, nous regardent avec l’oeil poussif d’une solitude féroce. Ils implorent une quelconque identification, quelle qu’elle soit, une appartenance quelconque.
Hard Rock, Juventus, Punk, peut importe. Ils gueulent à l’autre – ennemi immédiat – CREVE-CREVE-CREVE, et semblent en jouir. Mais ce sont les angoisses, les peurs, les phantasmes qui prennent ici la forme de signes et lacèrent les murs. SOS désespérés de naufragés important à la dérive. Pissotières comme bouteille à qui est confiée une solitude folle, « seuls les emmerdes me tiennent compagnie / je n’ai pas d’amis / je n’ai jamais fait l’amour / je n’arrive pas à trouver un cul / je veux quelqu’un pour m’aimer ».
Paroles de latrines. Hululées dans la pénombre d’un sexe castré. Epanchements délirants qui cherchent un oeil lubrique. Excréments sémiotiques qui, dans l’odeur des ghettos, planent sur les excréments des corps. Ecriture de décharge des mille tensions frustrées. Langage vomit par le besoin. Non par désir.
Le désir parle des signes chaudes d’un peuple invisible qui se reproduit et se multiplie hors des réseaux canalisés par les flux déments des rythmes métropolitains. Signes de création qui brûlent l’indifférence de l’espace froid, saturé de mots, boueux, pollué, des lieux frigorifiques de l’acom-……… des lieux frigorifiques où l’a-communication multi-médiatique génère comme effet délirant des corps qui aboient seuls dans les rues et sombrent toujours plus dans l’affabulation désespérée de paroles sans écho. Corps sans visage ni voix, aphasiques, indifférents, étrangers, aliénés.
Débris incapables d’exprimer d’une façon ou d’une autre leur propre dévastation « .
Texte de Renato Curcio, l’un des fondateurs historiques des BR
L’Italie des années 1970 et du début des années 1980 est une très grande référence pour les communistes, en raison du très haut niveau de « conflictualité » qui s’est développé, pour reprendre justement un concept italien.
Les luttes de classes ont été particulièrement fortes, et une multitude de groupes armés est apparue ; l’organisation la plus connue consistait naturellement en les Brigades Rouges.
La question du pouvoir était ouvertement posée, à la différence d’avec les extrêmes-gauches légalistes, syndicalistes, associatives, populistes, etc. existant alors dans toute l’Europe de l’Ouest, et particulièrement en France.
Initialement, le processus ayant donné naissance aux Brigades Rouges ressemble fortement à celui ayant amené en France l’existence de l’UJCML puis de la Gauche Prolétarienne.
On a une même démarche « thorézienne » de gauche, un refus de l’abandon de la ligne « dure ».
Seulement, en Italie la ligne du Parti Communiste devenu révisionniste suivait celle de Palmiro Togliatti et était ouvertement droitière. Il y avait donc un espace formidable pour qu’une ligne thorézienne de gauche puisse s’imposer au sein même de la classe ouvrière.
Les Brigades Rouges apparaissent donc comme une organisation réformiste armée, prolongeant la Résistance et dépassant la « trahison » du Parti Communiste en Italie, mais s’imaginant découvrir un terrain totalement nouveau (la lutte armée) et former une « rupture » avec les erreurs du passé.
Aux luttes revendicatives succédèrent une montée en puissance face à qui s’oppose à ces luttes : l’État, l’OTAN, le tout étant considéré comme formant un « système » s’opposant aux luttes pour le communisme.
Les Brigades Rouges étaient ainsi à la fois une organisation se revendiquant de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong, et de l’autre une structure totalement nouvelle, par l’union immédiate et systématique du politique et du militaire.
Le point culminant fut bien sûr en 1978 l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, chef de file de la démocratie chrétienne devant réaliser un « compromis historique » avec le Parti Communiste italien.
Les Brigades Rouges auraient pourtant dû profiter du fait que le Parti Communiste italien se démasque, pour se poser comme véritable ligne rouge.
Au lieu de cela, les Brigades Rouges ont voulu l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa démarche d’ouverture et de liquidation.
Cela rappelle bien sûr l’UJCML et sa position en mai 1968, avec la peur de son dirigeant que le PCF soit pris au piège d’une répression étatique par l’intermédiaire de la social-démocratie organisant une fausse révolte.
En France, comme en Italie, , les « thoréziens » de gauche voulaient « sauver » le Parti, en posant la question du pouvoir. Ni l’UJCML ni les Brigades Rouge n’ont refondé le Parti, justement, à la différence d’en Inde, d’au Bangladesh, d’au Chili, d’au Pérou, d’en Turquie, etc.
Ainsi, malgré les analyses de la situation dans leur propre pays, les Brigades Rouges ont contourné la question du dépassement du révisionnisme du Parti Communiste italien en plaçant la bataille sur le plan européen, sur le plan mondial, en raisonnant en termes d’affrontement, etc. ; il était ainsi parlé de « l’État impérialiste des multinationales ».
Cela a amené un subjectivisme en mode guérilla, provoquant l’apparition de courants ouvertement réformistes armés (comme la colonne Walter Alasia), ouvertement subjectiviste (la tendance fondant le Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain), ou encore liquidateur en mode « marxiste-léniniste » (la tendance fondant l’Union des Communistes Combattants).
A cela s’ajoute une vague très importante de liquidation, de dissociation et de repentir, démolissant rapidement et pratiquement intégralement l’organisation, dans un processus allant de 1977 au tout début des années 1980.
Pour cette raison, et paradoxalement, la plus haute avancée idéologique et pratique consiste en les Brigades Rouges au lendemain de la défaite de 1978 avec l’enlèvement d’Aldo Moro, lorsqu’elles se sont libérées de tous les courants réformistes d’un côté, subjectivistes de l’autre.
Le problème est que ces restes des Brigades Rouges, se définissant comme étant « pour la construction du Parti Communiste Combattant », ne l’ont pas compris ; elles n’ont pas saisi qu’elles portaient directement le « politique », s’imaginant avoir trouvé le « politico-militaire ».
Les « Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant » ont en fait redécouvert la politique révolutionnaire – ce qui n’est guère étonnant puisque c’est en Italie qu’est née la science politique moderne, avec Machiavel comme expression de l’averroïsme politique, comme analyse matérialiste de la réalité, même si soumis aux princes afin de contrer l’Église.
La politique révolutionnaire, ce n’est pas le syndicalisme et le suivisme des luttes économiques, mais le positionnement politique dans la société, la prise d’initiative dans la guerre de positions face à la bourgeoisie.
C’était la prise de conscience de l’importance des choix politiques, reposant sur l’idéologie.
Toutefois, les BR-PCC se trouvaient dans une situation où elles devaient synthétiser, en pratique, la pensée-guide, sans avoir les moyens de le faire, de par la désagrégation de l’organisation et de par une compréhension insuffisante du matérialisme dialectique (la dialectique de la nature n’a ainsi jamais été saisie en Italie, pareillement qu’en France donc).
Aussi, les BR-PCC ont-elles théorisé la « retraite stratégique ».
Cette « retraite stratégique » signifiait concrètement la construction de la matrice de la révolution, avec toute une série de considérations tactiques et stratégiques, comme on en a un exemple dans la déclaration de 1990 de Simonetta Giorgeri.
Cependant, le concept de pensée-guide n’a pas été compris et cette matrice n’a pas été constituée de manière suffisante ; les BR-PCC ont alors tenté de combler ce manque en multipliant les attaques au cœur de l’État.
Le principe était de désarticuler l’État bourgeois dans ses modes d’existence, à des moments précis selon les situations politiques, afin de laisser l’espace libre aux révolutionnaires pour se développer.
Seulement, en pratique ce qui relevait de la politique révolutionnaire synthétisée s’est transformé en méthode pragmatique-machiavélique portée par une démarche subjectiviste, et les BR-PCC se sont transformées en leur contraire, basculant dans un idéalisme guérillera du même type que celui que cette organisation avait rejeté au début des années 1980.
Au lieu de situations politiques auxquelles les révolutionnaires répondaient politiquement face à l’État, tout cela a été finalement interprété comme démarche « politico-militaire » sabotant un « plan » de la bourgeoisie.
Au lieu de la pensée-guide, des initiatives comprises comme étant dans le cadre d’une guerre des positions face à un État réactionnaire et décadent, les BR-PCC se sont transformées en forces guévaristes imaginant que la bourgeoisie « pense », que l’unique aspect est qu’elles sont en affrontement direct avec l’État, dans une sorte de tourbillon politique où la balance peut pencher immédiatement soit d’un côté, soit de l’autre.
Au lieu d’établir la pensée du côté révolutionnaire, comme compréhension synthétique et reflet de la réalité, les BR-PCC ont, tout comme la Fraction Armée Rouge en Allemagne, inversé la démarche et imaginé que l’ennemi pensait et que saboter ses plans amènerait son effondrement.
C’était une soumission au subjectivisme, au social-impérialisme soviétique (considéré comme utile de manière passive, à l’opposé de la ligne historique des Brigades Rouges), aux conceptions « anti-impérialistes » stratégiques (le « Front Combattant Anti-impérialiste » comme processus unitaire dans la « zone géopolitique Méditerranée Moyen-Orient »).
Cela amena la décadence des BR-PCC, puis leur effondrement au fur et à mesure.
Il s’agit donc d’être absolument clair : pour Lénine, on ne peut pas rétrograder et faire cesser l’impérialisme pour en revenir au stade du capitalisme concurrentiel.
Ce qui se passe pourtant – et c’est dialectiquement relié à cela – est qu’une partie des responsables ouvriers pratiquent le social-impérialisme, prétextant pouvoir « réformer » l’impérialisme, mais en réalité le modernisant, l’aménageant, etc.
Leur réalité tient à la corruption d’une partie de la classe ouvrière grâce à la puissance de l’impérialisme. Une aristocratie ouvrière se forme, alors que même une large partie de la classe ouvrière elle-même peut être paralysée longtemps, comme ce fut le cas en Angleterre.
C’est ce qui fera que, par la suite, Mao Zedong parlera de la zone des tempêtes pour caractériser l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie, zones victimes de l’impérialisme et se révoltant contre lui.
Lénine nous enseigne que :
« Ce qui distingue la situation actuelle, c’est l’existence de conditions économiques et politiques qui ne pouvaient manquer de rendre l’opportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier : d’embryon, l’impérialisme est devenu le système prédominant; les monopoles capitalistes ont pris la première place dans l’économie et la politique; le partage du monde a été mené à son terme; d’autre part, au lieu du monopole sans partage de l’Angleterre, nous assistons maintenant à la lutte d’un petit nombre de puissances impérialistes pour la participation au monopole, lutte qui caractérise tout le début du XXe siècle.
L’opportunisme ne peut plus triompher aujourd’hui complètement au sein du mouvement ouvrier d’un seul pays pour des dizaines et des dizaines d’années, comme il l’a fait en Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Mais, dans toute une série de pays, il a atteint sa pleine maturité, il l’a dépassée et s’est décomposé en fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec la politique bourgeoise (…).
L’idéologie impérialiste pénètre également dans la classe ouvrière, qui n’est pas séparée des autres classes par une muraille de Chine.
Si les chefs de l’actuel parti dit « social-démocrate » d’Allemagne sont traités à juste titre de « social-impérialistes », c’est-à-dire de socialistes en paroles et d’impérialistes en fait, il convient de dire que, déjà en 1902, Hobson signalait l’existence en Angleterre des « impérialistes fabiens », appartenant à l’opportuniste « Société des fabiens ».
Les savants et les publicistes bourgeois défendent généralement l’impérialisme sous une forme quelque peu voilée; ils en dissimulent l’entière domination et les racines profondes; ils s’efforcent de faire passer au premier plan des particularités, des détails secondaires, s’attachant à détourner l’attention de l’essentiel par de futiles projets de « réformes » tels que la surveillance policière des trusts et des banques, etc.
Plus rares sont les impérialistes avérés, cyniques, qui ont le courage d’avouer combien il est absurde de vouloir réformer les traits essentiels de l’impérialisme. »
Naturellement, avec le pourrissement de l’impérialisme, pourrissement totalement inévitable, la corruption s’effondre elle-même, faisant réémerger au premier plan les contradictions profondes du mode de production capitaliste lui-même.
L’apparition du stade impérialiste du capitalisme est marquée par la domination des monopoles, la génération d’une oligarchie tendant à ressortir au sein de la bourgeoisie elle-même, avec les libertés s’effaçant au profit d’un autoritarisme reflétant les rapports de force au sein du mode de production capitaliste, et bien sûr une tendance militarisée à l’expansion.
Le fascisme, en tant que système politique, est le fruit direct, l’accompagnateur de l’avènement complet du stade impérialiste et du succès politique de la nouvelle oligarchie, issue d’une partie de la bourgeoisie, au sein de l’État lui-même.
Ce qui est à la base de la compréhension léniniste de l’impérialisme, c’est que celui-ci a deux aspects. Le monopole est un progrès par rapport au capitalisme libéral concurrentiel ; en même temps, il porte en lui son propre dépassement.
Une fois qu’il a, en effet, atteint son développement, le monopole issu du capitalisme devient simplement parasitaire. Il a été l’expression de l’accroissement des forces productives ; il en devient un frein, un obstacle, une frontière.
Étant en effet en position de force, le monopole empêche tout ce qui risque de nuire au statu quo, à son existence. Vu depuis le début du XXIe siècle, c’est l’opposition entre les start-ups et les monopoles, où par ailleurs les premières se font toujours phagocyter par les seconds.
Lénine explique en ce qui concerne cette question :
« Nous l’avons vu, la principale base économique de l’impérialisme est le monopole. Ce monopole est capitaliste, c’est-à-dire né du capitalisme; et, dans les conditions générales du capitalisme, de la production marchande, de la concurrence, il est en contradiction permanente et sans issue avec ces conditions générales.
Néanmoins, comme tout monopole, il engendre inéluctablement une tendance à la stagnation et à la putréfaction.
Dans la mesure où l’on établit, fût-ce momentanément, des prix de monopole, cela fait disparaître jusqu’à un certain point les stimulants du progrès technique et, par suite, de tout autre progrès; et il devient alors possible, sur le plan économique, de freiner artificiellement le progrès technique.
Un exemple : en Amérique, un certain Owens invente une machine qui doit révolutionner la fabrication des bouteilles. Le cartel allemand des fabricants de bouteilles rafle les brevets d’Owens et les garde dans ses tiroirs, retardant leur utilisation.
Certes, un monopole, en régime capitaliste, ne peut jamais supprimer complètement et pour très longtemps la concurrence sur le marché mondial (c’est là, entre autres choses, une des raisons qui fait apparaître l’absurdité de la théorie de l’ultra-impérialisme).
Il est évident que la possibilité de réduire les frais de production et d’augmenter les bénéfices en introduisant des améliorations techniques pousse aux transformations. Mais la tendance à la stagnation et à la putréfaction, propre au monopole, continue à agir de son côté et, dans certaines branches d’industrie, dans certains pays, il lui arrive de prendre pour un temps le dessus.
Le monopole de la possession de colonies particulièrement vastes, riches ou avantageusement situées, agit dans le même sens. »
Lénine et Staline
Un autre aspect du parasitisme est la naissance d’une couche sociale vivant uniquement des exportations de capitaux. On a alors tendanciellement la formation de sortes d’États-rentiers, d’États-usuriers.
Ce n’est, toutefois qu’une tendance. Lénine fait ici une précision d’une très grande importance à propos de cette question qu’il s’agit de comprendre de manière dialectique.
Voici ce que dit Lénine en étudiant la position de l’anglais John Atkinson Hobson quant à l’impérialisme, lui-même ayant publié en 1903 L’impérialisme. Une étude :
« La perspective du partage de la Chine provoque chez Hobson l’appréciation économique que voici : « Une grande partie de l’Europe occidentale pourrait alors prendre l’apparence et le caractère qu’ont maintenant certaines parties des pays qui la composent : le Sud de l’Angleterre, la Riviera, les régions d’Italie et de Suisse les plus fréquentées des touristes et peuplées de gens riches – à savoir : de petits groupes de riches aristocrates recevant des dividendes et des pensions du lointain Orient, avec un groupe un peu plus nombreux d’employés professionnels et de commerçants et un nombre plus important de domestiques et d’ouvriers occupés dans les transports et dans l’industrie travaillant à la finition des produits manufacturés.
Quant aux principales branches d’industrie, elles disparaîtraient, et la grande masse des produits alimentaires et semi-ouvrés affluerait d’Asie et d’Afrique comme un tribut. »
« Telles sont les possibilités que nous offre une plus large alliance des États d’Occident, une fédération européenne des grandes puissances : loin de faire avancer la civilisation universelle, elle pourrait signifier un immense danger de parasitisme occidental aboutissant à constituer un groupe à part de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures recevraient un énorme tribut de l’Asie et de l’Afrique et entretiendraient, à l’aide de ce tribut, de grandes masses domestiquées d’employés et de serviteurs, non plus occupées à produire en grandes quantités des produits agricoles et industriels, mais rendant des services privés ou accomplissant, sous le contrôle de la nouvelle aristocratie financière, des travaux industriels de second ordre.
Que ceux qui sont prêts à tourner le dos à cette théorie » (il aurait fallu dire : à cette perspective)« comme ne méritant pas d’être examinée, méditent sur les conditions économiques et sociales des régions de l’Angleterre méridionale actuelle, qui en sont déjà arrivées à cette situation.
Qu’ils réfléchissent à l’extension considérable que pourrait prendre ce système si la Chine était soumise au contrôle économique de semblables groupes de financiers, de « placeurs de capitaux » (les rentiers), de leurs fonctionnaires politiques et de leurs employés de commerce et d’industrie, qui drainent les profits du plus grand réservoir potentiel que le monde ait jamais connu, afin de les consommer en Europe.
Certes, la situation est trop complexe et le jeu des forces mondiales trop difficile à escompter pour que ladite ou quelque autre prévision de l’avenir dans une seule direction puisse être considérée comme la plus probable.
Mais les influences qui régissent à l’heure actuelle l’impérialisme de l’Europe occidentale s’orientent dans cette direction, et si elles ne rencontrent pas de résistance, si elles ne sont pas détournées d’un autre côté, c’est dans ce sens qu’elles joueront. »
L’auteur a parfaitement raison : si les forces de l’impérialisme ne rencontraient pas de résistance, elles aboutiraient précisément à ce résultat.
La signification des « États-Unis d’Europe » dans la situation actuelle, impérialiste, a été ici très justement caractérisée. Il eût fallu seulement ajouter que, à l’intérieur du mouvement ouvrier également, les opportunistes momentanément vainqueurs dans la plupart des pays, « jouent » avec système et continuité, précisément dans ce sens.
L’impérialisme, qui signifie le partage du monde et une exploitation ne s’étendant pas uniquement à la Chine, et qui procure des profits de monopole élevés à une poignée de pays très riches, crée la possibilité économique de corrompre les couches supérieures du prolétariat; par là même il alimente l’opportunisme, lui donne corps et le consolide.
Mais ce qu’il ne faut pas oublier, ce sont les forces dressées contre l’impérialisme en général et l’opportunisme en particulier, forces que le social-libéral Hobson n’est évidemment pas en mesure de discerner. »
L’impérialisme a une tendance à l’universel mais celle-ci ne saurait triompher de par les contradictions internes qui existent et qui sont propres au mode de production capitaliste que l’impérialisme ne fait que prolonger.
Le matérialisme dialectique étant la science du réel, Lénine a tenté de donner la définition la plus précise du phénomène impérialiste. Naturellement, cette définition constate le développement de ce phénomène par des contradictions.
Voici ce que dit Lénine :
« Il nous faut maintenant essayer de dresser un bilan, de faire la synthèse de ce qui a été dit plus haut de l’impérialisme.
L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général.
Mais le capitalisme n’est devenu l’impérialisme capitaliste qu’à un degré défini, très élevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d’une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur.
Ce qu’il y a d’essentiel au point de vue économique dans ce processus, c’est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste.
La libre concurrence est le trait essentiel du capitalisme et de la production marchande en général; le monopole est exactement le contraire de la libre concurrence; mais nous avons vu cette dernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande production, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plus grande encore, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu’elle a fait et qu’elle fait surgir le monopole : les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d’une dizaine de banques brassant des milliards.
En même temps, les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus; ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents.
Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.
Si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme.
Cette définition embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels; et, d’autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s’étendant sans obstacle aux régions que ne s’est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d’un globe entièrement partagé. »
Lénine s’empresse d’ajouter, immédiatement après :
« Mais les définitions trop courtes, bien que commodes parce que résumant l’essentiel, sont cependant insuffisantes, si l’on veut en dégager des traits fort importants de ce phénomène que nous voulons définir.
Aussi, sans oublier ce qu’il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d’un phénomène dans l’intégralité de son développement, devons-nous donner de l’impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants :
1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique;
2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce « capital financier », d’une oligarchie financière;
3) l’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière;
4) formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et
5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes.
L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »
Voilà la thèse élémentaire de Lénine sur l’impérialisme. Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, on trouve toutefois encore des analyses présentant certains aspects, dont le parasitisme propre à la nature de l’impérialisme.
Ainsi, il y a d’un côté des regroupements capitalistes de type monopoliste menant une bataille à l’échelle planétaire, de l’autre les États eux-mêmes, en tant qu’outils toujours davantage dans les mains des monopoles, participant à la bataille pour le contrôle de territoires.
Ce qui détermine notamment la première guerre mondiale impérialiste, c’est que la période la précédant avait été marquée par la fin du partage. L’Afrique et la Polynésie colonisées, il ne restait plus de territoires disponibles. Les contradictions inter-impérialistes ne pouvaient que s’amplifier.
En fait, le colonialisme lui-même est un phénomène lié à l’impérialisme, au capitalisme monopoliste. Lénine constate cela de la manière suivante :
« Pour l’Angleterre, la période d’accentuation prodigieuse des conquêtes coloniales se situe entre 1860 et 1890, et elle est très intense encore dans les vingt dernières années du XIXe siècle. Pour la France et l’Allemagne, c’est surtout ces vingt années qui comptent.
On a vu plus haut que le capitalisme prémonopoliste, le capitalisme où prédomine la libre concurrence, atteint la limite de son développement entre 1860 et 1880; or, l’on voit maintenant que c’est précisément au lendemain de cette période que commence l’ »essor » prodigieux des conquêtes coloniales, que la lutte pour le partage territorial du monde devient infiniment âpre.
Il est donc hors de doute que le passage du capitalisme à son stade monopoliste, au capital financier, est lié à l’aggravation de la lutte pour le partage du monde. »
La France, par exemple, disposait en 1876 de colonies sur un territoire de 0,9 millions de kilomètres carrés, avec 6 millions de personnes, contre 10,6 millions de kilomètres carrés et 55,5 millions de personnes en 1914. Il y a toutefois un développement inégal ; les différents impérialismes n’avancent pas aussi vite, ce qui fait dire à Lénine :
« Trois puissances n’avaient en 1876 aucune colonie, et une quatrième, la France, n’en possédait presque pas. Vers 1914, ces quatre puissances ont acquis 14,1 millions de kilomètres carrés de colonies, soit une superficie près d’une fois et demie plus grande que celle de l’Europe, avec une population d’environ 100 millions d’habitants.
L’inégalité de l’expansion coloniale est très grande. Si l’on compare, par exemple, la France, l’Allemagne et le Japon, pays dont la superficie et la population ne diffèrent pas très sensiblement, on constate que le premier de ces pays a acquis presque trois fois plus de colonies (quant à la superficie) que les deux autres pris ensemble.
Mais par son capital financier, la France était peut-être aussi, au début de la période envisagée, plusieurs fois plus riche que l’Allemagne et le Japon réunis. »
Le léninisme présuppose par conséquent que les pays sont de différentes natures. L’existence de l’impérialisme fait que les indépendances formelles sont fictives : ce qui compte réellement, c’est la base sociale de chaque pays.
Il y a, de manière dialectique, d’un côté les pays impérialistes, de l’autre les pays dépendants.
Lénine
Lénine donne ici une explication très utile :
« Dès l’instant qu’il est question de politique coloniale à l’époque de l’impérialisme capitaliste, il faut noter que le capital financier et la politique internationale qui lui est conforme, et qui se réduit à la lutte des grandes puissances pour le partage économique et politique du monde, créent pour les Etats diverses formes transitoires de dépendance.
Cette époque n’est pas seulement caractérisée par les deux groupes principaux de pays : possesseurs de colonies et pays coloniaux, mais encore par des formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique.
Nous avons déjà indiqué une de ces formes : les semi-colonies. En voici une autre, dont l’Argentine, par exemple, nous offre le modèle.
« L’Amérique du Sud et, notamment l’Argentine, écrit Schulze-Gaevernitz dans son ouvrage sur l’impérialisme britannique, est dans une telle dépendance financière vis-à-vis de Londres qu’on pourrait presque l’appeler une colonie commerciale de l’Angleterre. »
Les capitaux placés par la Grande-Bretagne en Argentine étaient évalués par Schilder, d’après les informations du consul austro-hongrois à Buenos-Aires pour 1909, à 8 milliards 750 millions de francs. Ou se représente sans peine quelles solides relations cela assure au capital financier – et à sa fidèle « amie » la diplomatie – de l’Angleterre avec la bourgeoisie d’Argentine, avec les milieux dirigeants de toute la vie économique et politique de ces pays.
Le Portugal nous offre l’exemple d’une forme quelque peu différente, associée à l’indépendance politique, de la dépendance financière et diplomatique. Le Portugal est un Etat souverain, indépendant, mais il est en fait, depuis plus de deux cents ans, depuis la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714), sous protectorat britannique.
L’Angleterre a défendu le Portugal et ses possessions coloniales pour fortifier ses propres positions dans la lutte contre ses adversaires, l’Espagne et la France. Elle a reçu, en échange, des avantages commerciaux, des privilèges pour ses exportations de marchandises et surtout de capitaux vers le Portugal et ses colonies, le droit d’user des ports et des îles du Portugal, de ses câbles télégraphiques, etc., etc.
De tels rapports ont toujours existé entre petits et grands États, mais à l’époque de l’impérialisme capitaliste, ils deviennent un système général, ils font partie intégrante de l’ensemble des rapports régissant le « partage du monde », ils forment les maillons de la chaîne des opérations du capital financier mondial. »
Contradictions inter-impérialistes, développement inégal, différenciation dialectique des pays dépendants eux-mêmes en pays semi-colonisés et pays formellement indépendants… Lénine fournit le panorama complet de la situation amenée par la naissance de l’impérialisme.
C’est la raison pour laquelle il rejette catégoriquement la notion d’ultra-impérialisme que Karl Kautsky considère comme possible, c’est-à-dire la fusion de tous les monopoles en un superimpérialisme.
Concevoir cela comme possible, c’est nier la loi de la contradiction et nier le développement de l’impérialisme par l’intermédiaire du capital financier, qui réorganise la base capitaliste dans un sens monopoliste et par conséquent agressif tout azimut.
On a vu que dans l’impérialisme, le capital jouait un rôle encore plus grand, car il était centralisé, avec les banques. Or, s’il est centralisé, il est dialectiquement encore plus dispersé, les capitalistes investissant partout de par le monde.
Lénine formule donc la définition scientifique suivante :
« Ce qui caractérisait l’ancien capitalisme, où régnait la libre concurrence, c’était l’exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c’est l’exportation des capitaux. »
Que signifie l’exportation des capitaux ? Cela signifie qu’en lieu et place d’investir dans leur propre pays, les capitalistes investissent dans d’autres pays, car tel est leur intérêt le plus pertinent de leur point de vue.
Le thème de la « mondialisation », des « délocalisations », n’est pas du tout propre au début du XXIe siècle : chaque cycle impérialiste du capitalisme se caractérise par cette même logique. Voici comment Lénine décrit cela, à son époque :
« Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l’excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l’exportation de capitaux à l’étranger, dans les pays sous-développés.
Les profits y sont habituellement élevés, car les capitaux y sont peu nombreux, le prix de la terre relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. »
Selon les situations, l’exportation des capitaux se produit de manière différente. Voici la différence entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne :
« Pour l’Angleterre, ce sont en premier lieu ses possessions coloniales, très grandes en Amérique également (le Canada, par exemple), sans parler de l’Asie, etc. Les immenses exportations de capitaux sont étroitement liées ici, avant tout, aux immenses colonies, dont nous dirons plus loin l’importance pour l’impérialisme.
Il en va autrement pour la France. Ici les capitaux placés à l’étranger le sont surtout en Europe et notamment en Russie (10 milliards de francs au moins). Il s’agit principalement de capitaux de prêt, d’emprunts d’Etat, et non de capitaux investis dans les entreprises industrielles. A la différence de l’impérialisme anglais, colonialiste, l’impérialisme français peut être qualifié d’usuraire.
L’Allemagne offre une troisième variante : ses colonies sont peu considérables, et ses capitaux placés à l’étranger sont ceux qui se répartissent le plus également entre l’Europe et l’Amérique. »
Bien entendu, il existe de manière dialectique un double rapport entre ces processus d’exportation de capitaux : on a d’un côté la concurrence, de l’autre l’entente. C’est là qu’interviennent les contradictions inter-impérialistes opposant non plus simplement les entreprises monopolistiques, mais les États eux-mêmes.
Voyons d’abord comment Lénine décrit ce processus de « partage » au sein de cette « mondialisation » :
« Les pays exportateurs de capitaux se sont, au sens figuré du mot, partagé le monde. Mais le capital financier a conduit aussi au partage direct du globe.
Les groupements de monopoles capitalistes – cartels, syndicats, trusts – se partagent tout d’abord le marché intérieur en s’assurant la possession, plus ou moins absolue, de toute la production de leur pays. Mais, en régime capitaliste, le marché intérieur est nécessairement lié au marché extérieur.
Il y a longtemps que le capitalisme a créé le marché mondial.
Et, au fur et à mesure que croissait l’exportation des capitaux et que s’étendaient, sous toutes les formes, les relations avec l’étranger et les colonies, ainsi que les « zones d’influence » des plus grands groupements monopolistes, les choses allaient « naturellement » vers une entente universelle de ces derniers, vers la formation de cartels internationaux. »
Lénine documente longuement le développement des monopoles à l’échelle mondiale, leurs relations de concurrence, d’alliance, etc. Il souligne bien que la tendance qui l’emporte, c’est celle de la concurrence, et non de la collusion.
Il dénonce par conséquent de la manière suivante ceux qui ont des illusions à ce sujet :
« Certains auteurs bourgeois (auxquels vient de se joindre K. Kautsky, qui a complètement renié sa position marxiste, celle de 1909 par exemple) ont exprimé l’opinion que les cartels internationaux, une des expressions les plus accusées de l’internationalisation du capital, permettaient d’espérer que la paix régnerait entre les peuples en régime capitaliste.
Du point de vue de la théorie, cette opinion est tout à fait absurde; et du point de vue pratique, c’est un sophisme et un mode de défense malhonnête du pire opportunisme.
Les cartels internationaux montrent à quel point se sont développés aujourd’hui les monopoles capitalistes, et quel est l’objet de la lutte entre les groupements capitalistes.
Ce dernier point est essentiel; lui seul nous révèle le sens historique et économique des événements, car les formes de la lutte peuvent changer et changent constamment pour des raisons diverses, relativement temporaires et particulières, alors que l’essence de la lutte, son contenu de classe, ne saurait vraiment changer tant que les classes existent (…).
Il ne s’agit évidemment pas de la bourgeoisie allemande, mais de la bourgeoisie universelle.
Si les capitalistes se partagent le monde, ce n’est pas en raison de leur scélératesse particulière, mais parce que le degré de concentration déjà atteint les oblige à s’engager dans cette voie afin de réaliser des bénéfices; et ils le partagent « proportionnellement aux capitaux », « selon les forces de chacun », car il ne saurait y avoir d’autre mode de partage en régime de production marchande et de capitalisme.
Or, les forces changent avec le développement économique et politique; pour l’intelligence des événements, ils faut savoir quels problèmes sont résolus par le changement du rapport des forces; quant à savoir si ces changements sont « purement » économiques ou extra-économiques (par exemple, militaires), c’est là une question secondaire qui ne peut modifier en rien le point de vue fondamental sur l’époque moderne du capitalisme.
Substituer à la question du contenu des luttes et des transactions entre les groupements capitalistes la question de la forme de ces luttes et de ces transactions (aujourd’hui pacifique, demain non pacifique, après-demain de nouveau non pacifique), c’est s’abaisser au rôle de sophiste. »
La concurrence est l’aspect principal, elle est inévitable et est la tendance dominante, c’est cela qu’il faut voir ; cette concurrence a des formes économiques, des formes militaires, et les unes ne vont pas sans les autres, car leur existence a la même base, ce sont les deux faces de la même pièce.
« Concentration de la production avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion. »
C’est ainsi que Lénine synthétise les deux premiers chapitres de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ; cependant, il considère comme nécessaire d’expliciter de manière scientifique deux notions étroitement liées : celles de capital financier et d’oligarchie financière.
Lénine constate habilement qu’il n’est pas nécessaire de posséder entièrement une société pour avoir le contrôle de la direction ; le grand capital utilise d’autres sections du capital pour se renforcer lui-même. Lénine explique à ce sujet :
« En fait, l’expérience montre qu’il suffit de posséder 40% des actions pour gérer les affaires d’une société anonyme, car un certain nombre de petits actionnaires disséminés n’ont pratiquement aucune possibilité de participer aux assemblées générales, etc.
La « démocratisation » de la possession des actions, dont les sophistes bourgeois et les opportunistes pseudo-social démocrates attendent (ou assurent qu’ils attendent) la « démocratisation du capital », l’accentuation du rôle et de l’importance de la petite production, etc., n’est en réalité qu’un des moyens d’accroître la puissance de l’oligarchie financière. »
Le grand capital construit tout un système opaque de relations hiérarchiques, de maisons-mères, de filiales, pour masquer son jeu, diluer ses responsabilités en cas de souci d’une branche particulière.
Cela ne va pas sans contradictions et Lénine, lors de son étude de la situation, note bien qu’il existe une critique petite-bourgeoise de l’impérialisme.
Elle n’a aucun sens, car elle ne remet pas en cause le mode de production capitaliste, simplement le rapport de force au sein du capitalisme. Lénine dresse le constat suivant :
« Les faits monstrueux touchant la monstrueuse domination de l’oligarchie financière sont tellement patents que, dans tous les pays capitalistes, aussi bien en Amérique qu’en France et en Allemagne, est apparue une littérature qui, tout en professant le point de vue bourgeois, brosse néanmoins un tableau à peu près véridique, et apporte une critique – évidemment petite-bourgeoise – de l’oligarchie financière (…).
Toutes les règles de contrôle et de surveillance, de publication des bilans, d’établissement de schémas précis pour ces derniers, etc., ce par quoi les professeurs et les fonctionnaires bien intentionnés – c’est-à-dire ayant la bonne intention de défendre et de farder le capitalisme – occupent l’attention du public, sont ici dépourvues de toute valeur.
Car la propriété privée est sacrée, et l’on ne peut empêcher personne d’acheter, de vendre, d’échanger des actions, de les hypothéquer, etc. (…).
Le monopole, quand il s’est formé et brasse des milliards, pénètre impérieusement dans tous les domaines de la vie sociale, indépendamment du régime politique et de toutes autres « contingences ». »
L’ensemble de la société est façonnée par les besoins des monopoles, qui naissent sur le terrain de la propriété privée et par conséquent n’ont qu’à prolonger leur activité pour engloutir toujours plus la société fondée justement sur la propriété privée.
Le capitalisme devenu monopoliste est tellement puissant qu’il assure un contrôle toujours plus grand sur la société, de par sa force toujours plus grande, la vigueur de sa croissance. Il donne naissance à une fine couche sociale parasitaire, de personnes vivant de leurs rentes, de leurs placements financiers.
Cette couche n’entre même plus en rapport avec la production ; elle est entièrement séparée du travail. C’est déjà le cas dans le capitalisme – ce que ne voient pas les partisans du capitalisme libéral – et c’est cela qui fait que l’impérialisme est l’évolution logique du capitalisme, le stade suprême du capitalisme, son aboutissement ultime.
Lénine nous enseigne :
« Le propre du capitalisme est, en règle générale, de séparer la propriété du capital de son application à la production; de séparer le capital-argent du capital industriel ou productif; de séparer le rentier, qui ne vit que du revenu qu’il tire du capital-argent, de l’industriel, ainsi que de tous ceux qui participent directement à la gestion des capitaux.
L’impérialisme, ou la domination du capital financier, est ce stade suprême du capitalisme où cette séparation atteint de vastes proportions.
La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l’hégémonie du rentier et de l’oligarchie financière; elle signifie une situation privilégiée pour un petit nombre d’Etats financièrement « puissants », par rapport a tous les autres. »
Cet aspect financier, Lénine l’aborde en traitant de la question de l’exportation des capitaux.
L’une des plus grandes erreurs qu’on puisse faire au sujet de la notion d’impérialisme serait de penser que Lénine « regretterait » son émergence. A ses yeux, c’est en effet inévitable, cela fait partie du parcours amenant du capitalisme au socialisme, c’est un élément du processus de socialisation de l’industrie.
Lénine ne fait pas que s’opposer au kautskisme qui valorise l’impérialisme comme étant en soi le processus de socialisation, et dont le mitterrandisme des années 1980 a été un avatar en France, avec ses nationalisations. Il s’oppose aussi aux partisans du retour en arrière, qui voient en l’impérialisme une excroissance erronée du petit capitalisme.
On peut remarquer d’ailleurs que tant le kautskisme que les partisans de la petite production considèrent que l’impérialisme n’est pas propre au capitalisme, mais un développement « à part », une sorte de déviation.
Tel n’est pas le point de vue de Lénine. Voici ce qu’il dit dans le premier chapitre de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme :
« La concurrence se transforme en monopole. Il en résulte un progrès immense de la socialisation de la production. Et, notamment, dans le domaine des perfectionnements et des inventions techniques.
Ce n’est plus du tout l’ancienne libre concurrence des patrons dispersés, qui s’ignoraient réciproquement et produisaient pour un marché inconnu.
La concentration en arrive au point qu’il devient possible de faire un inventaire approximatif de toutes les sources de matières premières (tels les gisements de minerai de fer) d’un pays et même, ainsi que nous le verrons, de plusieurs pays, voire du monde entier.
Non seulement on procède à cet inventaire, mais toutes ces sources sont accaparées par de puissants groupements monopolistes. On évalue approximativement la capacité d’absorption des marchés que ces groupements « se partagent » par contrat.
Le monopole accapare la main-d’oeuvre spécialisée, les meilleurs ingénieurs; il met la main sur les voies et moyens de communication, les chemins de fer en Amérique, les sociétés de navigation en Europe et en Amérique.
Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu’ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l’entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale.
La production devient sociale, mais l’appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d’un petit nombre d’individus.
Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable. »
Il y a deux aspects : d’un côté, il y a bien la polarisation de la société, mais de l’autre il y a également une unification de la production par les monopoles, unification jouant un rôle historiquement progressiste. C’est un aspect à absolument garder à l’esprit, sans quoi on ne peut pas saisir comment Lénine s’intéresse, dans le second chapitre de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, à un aspect particulier : le nouveau rôle des banques.
Auparavant, celles-ci ne servaient que d’intermédiaires pour les paiements, prenant une commission au passage. Toutefois, avec le progrès du capitalisme, elles possèdent l’ensemble du capital-argent et, connaissant elles-mêmes un processus de formation de monopoles, se transforment en outils autonomes du capitalisme.
Lénine
Au cours de ce processus, Lénine remarque que les banques prennent des participations, à différents degrés, dans d’autres banques, formant tout un système organisé. Ce n’est pas tout : les banques ont un aperçu très précis sur la réalité économique, connaissant les comptes des entreprises.
Elles peuvent donc acquérir un nouveau rôle : celui de centralisateur des décisions, en jouant sur les crédits, construisant des mécanos industriels grâce à leur capacité financière. Lénine nous fait part de cela de la manière suivante :
« Les capitalistes épars finissent par ne former qu’un seul capitaliste collectif.
En tenant le compte courant de plusieurs capitalistes, la banque semble ne se livrer qu’à des opérations purement techniques, uniquement subsidiaires.
Mais quand ces opérations prennent une extension formidable, il en résulte qu’une poignée de monopolistes se subordonne les opérations commerciales et industrielles de la société capitaliste tout entière; elle peut, grâce aux liaisons bancaires, grâce aux comptes courants et à d’autres opérations financières, connaître tout d’abord exactement la situation de tels ou tels capitalistes, puis les contrôler, agir sur eux en élargissant ou en restreignant, en facilitant ou en entravant le crédit, et enfin déterminer entièrement leur sort, déterminer les revenus de leurs entreprises, les priver de capitaux, ou leur permettre d’accroître rapidement les leurs dans d’énormes proportions, etc. (…).
Quant à la liaison étroite qui existe entre les banques et l’industrie, c’est dans ce domaine que se manifeste peut-être avec le plus d’évidence le nouveau rôle des banques.
Si une banque escompte les lettres de change d’un industriel, lui ouvre un compte courant, etc., ces opérations en tant que telles ne diminuent pas d’un iota l’indépendance de cet industriel, et la banque ne dépasse pas son rôle modeste d’intermédiaire.
Mais si ces opérations se multiplient et s’instaurent régulièrement, si la banque « réunit » entre ses mains d’énormes capitaux, si la tenue des comptes courants d’une entreprise permet à la banque -et c’est ce qui arrive- de connaître avec toujours plus d’ampleur et de précision la situation économique du client, il en résulte une dépendance de plus en plus complète du capitaliste industriel à l’égard de la banque.
En même temps se développe, pour ainsi dire, l’union personnelle des banques et des grosses entreprises industrielles et commerciales, la fusion des unes et des autres par l’acquisition d’actions, par l’entrée des directeurs de banque dans les conseils de surveillance (ou d’administration) des entreprises industrielles et commerciales, et inversement (…).
Ainsi, le XXe siècle marque le tournant où l’ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général. »
Lénine constate donc que l’impérialisme se caractérise par une une interpénétration du capital bancaire et du capital industriel, aboutissant à la formation d’un capital financier qui ne consiste pas qu’en les banques, mais en une fusion du grand capital bancaire et du grand capital industriel, avec une tendance toujours plus prononcée à l’oligarchie.
La base de cela reste, néanmoins, le capitalisme, en tant que mode de production : l’impérialisme est une structure qui naît et grandit depuis cette base, profitant de chaque avancée du capitalisme en général pour se renforcer en tant que tel, à travers l’importance des banques. Lénine va, naturellement, aborder cette question.
Dans le premier chapitre de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine traite de la question des monopoles.
C’est le point de départ de son analyse, toute son œuvre s’appuie sur cette base, directement issue de l’analyse de Karl Marx dans Le Capital.
Que dit Lénine ? Qu’il existe une tendance au sein du mode de production capitaliste qui l’emporte, qui devient de plus en plus profonde et devient l’aspect principal, le moteur de l’évolution du capitalisme.
Il dit ainsi :
« Le développement intense de l’industrie et le processus de concentration extrêmement rapide de la production dans des entreprises toujours plus importantes constituent une des caractéristiques les plus marquées du capitalisme.
Les statistiques industrielles contemporaines donnent sur ce processus les renseignements les plus complets et les plus précis. »
Lénine fournit, de fait, toute une série de chiffres, tirés de ses recherches en Suisse, lors de son exil. Il a compilé des statistiques, des compte-rendus : il les présente comme preuves scientifiques de son constat.
Toutefois, il ne fait pas que cela, il rend explicite les tendances, les nuances au sein de la naissance de monopoles remplaçant la concurrence. Voici ce qu’il constate au sujet des États-Unis d’Amérique :
« Près de la moitié de la production totale du pays est fournie par un centième de l’ensemble des entreprises ! Et ces trois mille entreprises géantes embrassent 258 branches d’industrie.
On voit par là que la concentration, arrivée à un certain degré de son développement, conduit d’elle-même, pour ainsi dire, droit au monopole.
Car quelques dizaines d’entreprises géantes peuvent aisément s’entendre, et, d’autre part, la difficulté de la concurrence et la tendance au monopole naissent précisément de la grandeur des entreprises.
Cette transformation de la concurrence en monopole est un des phénomènes les plus importants — sinon le plus important — de l’économie du capitalisme moderne. Aussi convient-il d’en donner une analyse détaillée. Mais écartons d’abord un malentendu possible.
La statistique américaine porte : 3 000 entreprises géantes pour 250 branches industrielles. Cela ne ferait, semble-t-il, qu’une douzaine d’entreprises géantes par industrie. Mais ce n’est pas le cas.
Toutes les industries ne possèdent pas de grandes entreprises ; d’autre part, une particularité extrêmement importante du capitalisme arrivé au stade suprême de son développement est ce qu’on appelle la combinaison, c’est-à-dire la réunion, dans une seule entreprise, de diverses branches d’industrie qui peuvent constituer les étapes successives du traitement de la matière première (par exemple, la production de la fonte à partir du minerai de fer et la transformation de la fonte en acier, et peut-être aussi la fabrication de divers produits finis en acier), ou bien jouer les unes par rapport aux autres le rôle d’auxiliaires (par exemple, l’utilisation des déchets ou des sous-produits, la fabrication du matériel d’emballage, etc.). »
Le capitalisme ne donne pas naissance à des monopoles simplement dans certaines branches, mais de manière générale, c’est une tendance historique à la « combinaison » des branches.
Ce que décrivait Le capital de Karl Marx était donc juste et reste juste, mais le capitalisme s’est développé, il s’est enraciné, et pour cette raison la contradiction interne à son développement s’est approfondie.
Karl Marx
Il y a donc lieu de mieux cerner l’aspect monopoliste, qui a désormais atteint une dimension bien plus importante qu’auparavant. Lénine explique :
« Il y a un demi-siècle, quand Marx écrivait son Capital, la libre concurrence apparaissait à l’immense majorité des économistes comme une « loi de la nature ».
La science officielle tenta de tuer par la conspiration du silence l’oeuvre de Marx, qui démontrait par une analyse théorique et historique du capitalisme que la libre concurrence engendre la concentration de la production, laquelle, arrivée à un certain degré de développement, conduit au monopole.
Maintenant, le monopole est devenu un fait (…).
Les étapes principales de l’histoire des monopoles peuvent se résumer comme suit :
1) Années 1860-1880 : point culminant du développement de la libre concurrence. Les monopoles ne sont que des embryons à peine perceptibles.
2) Après la crise de 1873, période de large développement des cartels; cependant ils ne sont encore que l’exception. Ils manquent encore de stabilité. Ils ont encore un caractère passager.
3) Essor de la fin du XIXe siècle et crise de 1900-1903 : les cartels deviennent une des bases de la vie économique tout entière. Le capitalisme s’est transformé en impérialisme. »
La concentration de la production, par la naissance de monopoles, est l’évolution que constate Lénine.
Lénine, dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, ajoute un concept au marxisme. L’analyse de Karl Marx est juste, dit Lénine, cependant ce dernier considère qu’il faut préciser certains aspects, en particulier le caractère parasitaire du capitalisme devenu monopoliste.
Le choix du terme « impérialisme » n’est pas de Lénine lui-même ; il reprend un terme utilisé par deux auteurs liés au marxisme, mais dont les analyses n’étaient pas assez développées ni conséquentes. Voici comment il présente cela lors du premier chapitre de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme :
« Dans ces 15 ou 20 dernières années, surtout depuis les guerres hispano-américaine (1898) et anglo-boer (1899-1902), la littérature économique, et aussi politique, de l’Ancien et du Nouveau Monde s’arrête de plus en plus fréquemment à la notion d’ »impérialisme » pour caractériser l’époque où nous vivons.
En 1902, l’économiste anglais J.A. Hobson a publié, à Londres et à New York, un ouvrage intitulé L’impérialisme.
Tout en professant un point de vue social-réformiste bourgeois et pacifiste, identique quant au fond à la position actuelle de l’ex-marxiste K. Kautsky, l’auteur y a donné une description excellente et détaillée des principaux caractères économiques et politiques de l’impérialisme.
En 1910 parut à Vienne un ouvrage du marxiste autrichien Rudolf Hilferding : Le capital financier (traduction russe, Moscou, 1912).
Malgré une erreur de l’auteur dans la théorie de l’argent et une certaine tendance à concilier le marxisme et l’opportunisme, cet ouvrage constitue une analyse théorique éminemment précieuse de « la phase la plus récente du développement du capitalisme« , comme l’indique le sous-titre du livre d’Hilferding.
Au fond, ce qu’on a dit de l’impérialisme pendant ces dernières années – notamment dans d’innombrables articles de journaux et de revues, ainsi que dans des résolutions, par exemple, des congrès de Chemnitz et de Bâle, en automne 1912, n’est guère sorti du cercle des idées exposées ou, plus exactement, résumées par les deux auteurs précités… »
Lénine entend avoir une analyse conséquente de l’impérialisme et pour cette raison il cherche résolument à se démarquer de ceux qui convergent avec lui : les faux marxistes, les ex-marxistes, qui prétendent voir un aspect positif à l’impérialisme.
Ce qui distingue ainsi Lénine de l’autre grand théoricien de l’époque, Karl Kautsky, est que ce dernier considérait que l’impérialisme n’était qu’une politique, qu’une défaillance militariste du capitalisme, alors que Lénine considère que c’est dans la substance même du capitalisme devenant parasitaire, cherchant une voie militaire pour faire face à la chute tendancielle du taux de profit.
La couverture de l’édition originale
Dans son article de 1916 qui résume cette question, L’impérialisme et la scission du socialisme, Lénine expose de la manière suivante le concept d’impérialisme qu’il ajoute au marxisme :
« Il nous faut commencer par donner la définition la plus précise et la plus complète possible de l’impérialisme. L’impérialisme est un stade historique particulier du capitalisme. Cette particularité est de trois ordres :
l’impérialisme est :
1. le capitalisme monopoliste ;
2. le capitalisme parasitaire ou pourrissant ;
3. le capitalisme agonisant.
La substitution du monopole à la libre concurrence est le trait économique capital, l’essence de l’impérialisme. Le monopolisme se manifeste sous cinq formes principales :
1. les cartels, les syndicats patronaux, et les trusts ; la concentration de la production a atteint un degré tel qu’elle a engendré ces groupements monopolistes de capitalistes ;
2. la situation de monopole des grosses banques : trois à cinq banques gigantesques régentent toute la vie économique de l’Amérique, de la France, de l’Allemagne ;
3. l’accaparement des sources de matières premières par les trusts et l’oligarchie financière (le capital financier est le capital industriel monopolisé, fusionné avec le capital bancaire) ;
4. le partage (économique) du monde par les cartels internationaux a commencé. Ces cartels internationaux, détenteurs du marché mondial tout entier qu’ils se partagent « à l’amiable » — tant que la guerre ne l’a pas repartagé — on en compte déjà plus de cent ! L’exportation des capitaux, phénomène particulièrement caractéristique, à la différence de l’exportation des marchandises à l’époque du capitalisme non monopoliste, est en relation étroite avec le partage économique et politico-territorial du monde ;
5. le partage territorial du monde (colonies) est terminé. »
Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, on a une démonstration scientifique de la valeur de ce concept. Les chapitres de l’œuvre sont les suivants :
La concentration de la production et les monopoles Les banques et leur nouveau rôle Le capital financier et l’oligarchie financière L’exportation des capitaux Le partage du monde entre les groupements capitalistes Le partage du monde entre les grandes puissances L’impérialisme, stade particulier du capitalisme Le parasitisme et la putréfaction du capitalisme La critique de l’impérialisme La place de l’impérialisme dans l’Histoire
Si l’on regarde bien, on voit que ce découpage suit une logique précise. Lénine expose d’abord comment apparaissent les monopoles, comment ensuite les banques jouent un rôle d’autant plus grand, ce qui aboutit à la formation d’une oligarchie financière.
De là se forme une exportation de capitaux aboutissant au partage du monde entre les capitalistes, puis entre les nations capitalistes, ce qui produit les contradictions inter-impérialistes d’un côté, un parasitisme des pays opprimés de l’autre, le tout annonçant l’inéluctable révolution socialiste balayant le capitalisme pourrissant.
Nous avons la chance de disposer historiquement des cahiers utilisés par Lénine pour prendre des notes au sujet de l’impérialisme, notes qu’il assemblera et synthétisera pour donner naissance à ce qui est peut-être son ouvrage le plus fameux : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.
Ces cahiers furent écrits principalement en deux fois. Lénine commença à les écrire dans la seconde partie de 1915, alors qu’il était en exil en Suisse, en pleine guerre impérialiste, avant de poursuivre en 1916 à Zurich, que Lénine avait privilégié en raison de la présence là-bas d’une grande bibliothèque.
Pour cette raison, les références dans lesquelles puisent Lénine sont souvent germanophones. Dans les cahiers de notes, on trouve 148 œuvres dont il prit des notes, dont 106 en allemand, 23 en français, 17 en anglais, 2 traduites en russe. En ce qui concerne les périodiques, il prit des extraits de 232 articles, provenant de 34 périodiques allemands, 8 anglais, 7 français.
Ce choix de Zurich ne doit toutefois pas donner l’image d’un Lénine vivant autrement que chichement ; les conditions de l’exil étaient ceux de la précarité. Néanmoins, Lénine était un penseur infatigable au service de la cause révolutionnaire et de ses besoins.
En juin 1916, Lénine avait déjà rempli 15 cahiers de notes, numérotés au moyen de lettres grecques ; l’œuvre elle-même fut prête le 2 juillet 1916, mais elle ne fut publiée qu’en avril 1917, après la révolution de février 1917.
C’est un aspect important, car Lénine destinait l’ouvrage à une publication légale, nécessitant donc de présenter les choses principalement de manière « neutre », comme de simples constats économiques, en contournant la censure au moyen de termes choisis précisément dans ce but, etc.
L’ouvrage devait, pour cette raison, s’intituler « Les particularités fondamentales du capitalisme (le plus) moderne (à son nouveau stade) ».
Dans la Préface aux éditions française et allemande, Lénine précise à ce sujet :
« Ce livre a été écrit, comme il est indiqué dans la préface à l’édition russe, en 1916, compte tenu de la censure tsariste. Il ne m’est pas possible actuellement de reprendre tout le texte, ce qui serait d’ailleurs sans utilité, car la tâche fondamentale de ce livre a été et reste encore de montrer, d’après les données d’ensemble des statistiques bourgeoises indiscutables et les aveux des savants bourgeois de tous les pays, quel était le tableau d’ensemble de l’économie capitaliste mondiale, dans ses rapports internationaux, au début du XXe siècle, à la veille de la première guerre impérialiste mondiale.
A certain égard, il ne sera du reste pas inutile, pour beaucoup de communistes des pays capitalistes avancés, de se rendre compte à travers l’exemple de ce livre, légal du point de vue de la censure tsariste, de la possibilité – et de la nécessité – d’utiliser même les faibles vestiges de légalité dont ils peuvent encore profiter, disons, dans l’Amérique contemporaine ou en France, après les récentes arrestations de la presque totalité d’entre eux, pour expliquer toute la fausseté des vues des social-pacifistes et de leurs espoirs en une « démocratie mondiale ». »
Lénine
A cela s’ajoute que la publication nécessitait une taille restreinte, forçant Lénine à s’en tenir à l’essentiel. Les cahiers de notes, à quoi s’ajoutent quelques cahiers comme celui nommé « Sur le marxisme et l’impérialisme », formant plus de 700 pages, témoignent d’un travail de fond gigantesque.
Dans le cahier α, par exemple, Lénine note des points importants sur l’évolution récente de l’économie, avec la formation des cartels et des trusts, c’est-à-dire des monopoles brisant le jeu libéral de la concurrence capitaliste. Il remarque comment les critiques bourgeoises ne saisissent pas la question de fond et tentent simplement de « réformer » cette tendance.
Dans le cahier β, on retrouve la même chose – par exemple des extraits des œuvres intitulées L’expansion des banques allemandes à l’étranger ou encore Les banques françaises – avec une attention particulière à ce que dit Karl Kautsky à ce sujet. Rappelons qu’il s’agit là de celui qui a succédé à Karl Marx et Friedrich Engels à la direction de la social-démocratie allemande, qui en est le plus éminent théoricien et qui, justement, a échoué à saisir cette question de l’impérialisme.
Lénine critique Karl Kautsky sur le fait qu’il ne prend en compte qu’un aspect de l’impérialisme comme négatif – les affaires des grands monopoles avec l’État, les monopoles dans les banques, l’oppression coloniale – ce qui amène Karl Kautsky à justifier le développement d’un grand capitalisme qui pourrait être « sain » avec quelques corrections.
C’est, pour Lénine, du « proudhonisme » renouvelé et Lénine, avec sa verve habituelle, se moque de ceux qui croient en les « honnêtes commerçants », les « bons banquiers », etc.
Dans la Préface aux éditions française et allemande, voici comment Lénine présente cela :
« Une attention particulière est réservée dans ce livre à la critique du « kautskisme », courant idéologique international représenté dans tous les pays du monde par d’ »éminents théoriciens », chefs de la IIe Internationale (en Autriche, Otto Bauer et Cie; en Angleterre, Ramsay MacDonald et d’autres; en France, Albert Thomas, etc.), et par une foule de socialistes, de réformistes, de pacifistes, de démocrates bourgeois et de curés.
Ce courant idéologique est, d’une part, le produit de la décomposition, de la putréfaction de la IIe Internationale et, d’autre part, le fruit inévitable de l’idéologie des petits bourgeois, que toute l’ambiance rend prisonniers des préjugés bourgeois et démocratiques.
Chez Kautsky et ses semblables, pareilles conceptions sont le reniement total des fondements révolutionnaires du marxisme, de ceux que cet auteur a défendus des dizaines d’années, plus spécialement dans la lutte contre l’opportunisme socialiste (de Bernstein, de Millerand, de Hyndman, de Gompers, etc.). Aussi n’est-ce pas par hasard que, dans le monde entier, les « kautskistes » se sont unis aujourd’hui, dans le domaine de la politique, aux ultra-opportunistes (par l’entremise de la IIe Internationale ou l’Internationale jaune) et aux gouvernements bourgeois (par le biais des gouvernements bourgeois de coalition, à participation socialiste).
Le mouvement prolétarien révolutionnaire en général, et le mouvement communiste en particulier, qui grandissent dans le monde entier, ne peuvent se dispenser d’analyser et de dénoncer les erreurs théoriques du « kautskisme ». Et cela d’autant plus que le pacifisme et le « démocratisme » – en général – qui ne prétendent pas le moins du monde au marxisme, mais qui, tout comme Kautsky et Cie, estompent la profondeur des contradictions de l’impérialisme et le caractère inévitable de la crise révolutionnaire qu’il engendre, – sont encore extrêmement répandus dans le monde entier. Et la lutte contre ces courants est une nécessité pour le parti du prolétariat, qui doit arracher à la bourgeoisie les petits patrons qu’elle a dupés, de même que des millions de travailleurs placés dans des conditions de vie plus ou moins petites-bourgeoises. »
Lénine constate d’un côté l’exportation du capital et le rôle accru des banques, et de l’autre il dénonce ceux qu’il appelle les « sociaux-patriotes ». Ce sont les deux aspects de qu’on appelle la compréhension léniniste de l’impérialisme, concept ajouté au marxisme.
De par sa position dans la lutte des classes, Lénine a parfaitement compris cela et par conséquent, dès le cahier γ – le troisième –, Lénine a déjà un panorama de la situation du capital bancaire dans les pays capitalistes, une juste compréhension du kautskisme, étant par là en mesure de former le premier plan extrêmement détaillé de son ouvrage, qu’il améliorera au fur et à mesure, jusqu’à former ce classique du matérialisme historique.
Le saut à la politique du front est possible et nécessaire pour les forces révolutionnaires, afin d’amener la confrontation à l’acuité adéquate.
Pour cela toutes les positions idéologiques-dogmatiques existantes encore à l’intérieur des forces combattantes et du mouvement révolutionnaire doivent être combattues et dépassées, parce qu’elles divisent les combattants, et parce que ces positions ne peuvent pas atteindre le niveau dont on a besoin pour amener les luttes et les attaques à leur acuité politique nécessaire.
Les différences historiques dans le développement et te définition politique de chaque organisation, les différences (secondaires) dans l’analyse, etc., ne peuvent et ne doivent pas être un obstacle à l’unification nécessaire des multiples luttes et activités anti-impérialistes dans une attaque consciente et ciblée contre la puissance de l’impérialisme.
il ne s’agit pas d’une fusion de chaque organisation en une seule; le front se développe en Europe de l’Ouest dans un processus de reconnaissance direct et organisé, sur la base de l’offensive pratique, dans la mesure où les prochains moments rendent mûrs l’unité entre tes forces combattantes.
L’organisation du front révolutionnaire combattant signifie l’organisation de l’offensive.
Il ne s’agit ni d’une catégorie idéologique ni d’un modèle de révolution.
Il s’agit au contraire du développement de la force politique et pratique qui combat la puissance de l’impérialisme de manière adéquate, qui approfondit la rupture dans la métropole impérialiste et en arrive au saut qualitatif de la lutte prolétarienne.
Notre expérience commune montre comment, sur la base de la décision subjective de chaque organisation, malgré [existence de différences et de contradictions, il est possible de développer le front; nous n’avons jamais perdu des yeux dans la discussion commune l’élément unitaire de l’offensive contre l’impériasme.
L’Europe de l’Ouest est le pivot du conflit entre le prolétariat international et la bourgeoisie impérialiste.
L’Europe de l’Ouest est par son caractère historique, politique et géographique la coupure où se dessinent les trois lignes de démarcations: Etat/Société; Nord/Sud: Est/Ouest.
L’aggravation de ta crise du système impérialiste et le déclin de la puissance économique des USA sont les fondements principaux qui amènent, ensemble avec d’autres facteurs politiques, à une perte relative du poids politique des USA, et qui mettent en avant le développement des processus d’intégration économique, politique et militaire.
Dans ce rapport la fonction de l’Europe de l’Ouest dans le management impérialiste de la crise croît: au niveau économique:
l’Europe de l’Ouest développe un plan synchronisé des politiques économiques à l’intérieur des managements impérialistes de la crise comme soutien et tampon des contradictions économiques.
au niveau militaire: l’obligation de l’intégration politico-militaire à l’intérieur de l’OTAN avec les projets politico-économiques de réarmement dans la nouvelle stratégie militaire impérialiste pour la confrontation avec l’Est, et avec l’intervention militaro-politique intégrée contre les conflits s’envenimant au tiers-monde, en premier lieu les régions de crise au Proche-Orient.
au niveau contre-révolutionnaire: le réarmement et l’intégration des appareils de police et de renseignements contre le développement du front révolutionnaire, contre les luttes révolutionnaires en général et contre l’élargissement et l’aggravation des antagonismes de masses.
La réorganisation et l’intégration pour une intervention politique ciblée contre la guérite, comme par exemple les projets de » solution politique » dans différents pays ouest-européens.
au niveau politico-diplomatique: les projets de » dialogue politique » pour désamorcer les conflits et consolider les positions de force impérialistes.
Ces initiatives ont aussi comme fonction de renforcer les processus de formation de l’Europe de l’Ouest à l’intérieur du système global.
Ces différents niveaux sont mutuellement liés et poussent en avant te formation politique de l’Europe de l’Ouest, un mouvement dont aucun pays n’est exdu.
Aucune force révolutionnaire combattante ne peut, dans son activité révolutionnaire, mettre cela de côté.
Ces éléments politiques forment te cadre où te front est, en Europe de l’Ouest, possible et nécessaire.
Le niveau historiquement atteint par la contre-révolution impérialiste a fondamentalement modifié te conflit entre FimpériaSsme et les forces révolutionnaires.
Cela signifie devenir conscient du poids croissant de la subjectivité dans la confrontation des classes et du fait que le terrain révolutionnaire ne peut pas être un simple réflexe aux conditions objectives.
L’attaque du front ouest-européen contre les projets stratégiques actuels de formation politique, économique, et militaire de l’Europe de l’Ouest, vise l’affaiblissement du système impérialiste, afin d’entraîner la crise politique globale.
Notre offensive commune se dirige:
contre:
la formation des politiques économiques et monétaires ouest-européennes, qui sont conçues dans le système impérialiste global comme soutien et tampon vis-à-vis des érosions économiques accentuées, et qui, en coordination avec les politiques des USA et du Japon, veulent imposer les intérêts (en terme de profits et de puissance) des banques et des multinationales, sur le dos du tiers-monde et empêcher l’écroulement du système financier international.
contre:
les politiques de formation ouest-européenne, qui visent au renforcement des positions impérialistes; actuellement elles interviennent au Proche-Orient sur le dos des peuples palestinien et libanais, afin de stabiliser la région.
– L’attaque unitaire des lignes stratégiques de la formation de l’Europe de l’Ouest ébranle le pouvoir impérialiste
– Organiser la lutte armée en Europe de l’Ouest
– Construire dans l’attaque l’unité des forces révolutionnaires combattantes: organiser le front
Lutter ensemble
rote armee fraktion (RAF)
brigate rosse (per la costruzione del partito comunista combattente) (BR-PCC)
Transformer la guerre impérialiste en révolution prolétarienne
Le 15 février 1984, un noyau armé de notre organisation a justicié Ray Leamon Hunt, directeur général de la « Force Multinationale d’Observation » dans le Sinaï, constituée afin de garantir les Accords de Camp David, stipulés entre l’Egypte et Israël sous le contrôle direct des USA.
Ce porc pouvait se vanter d’une longue « expérience » dans le sale travail que les impérialistes yankees effectuent quotidiennement dans chaque partie du monde. Son « curriculum vitae » en témoigne de manière éloquente ; de Jérusalem à la Turquie, de Ceylan à l’Ethiopie, de Costa Rica au Liban, il parvient à occuper la charge de vice-assistant de Kissinger en 1974.
En 1976, il est à Beyrouth, et il s’occupe alors de manière particulière des problèmes moyenorientaux, en occupant enfin la charge de directeur général d’une force militaire occidentale, directement organisée et financée par les USA.
Ce sont précisément ces « diligents. fonctionnaires », lâchés à travers le monde, qui organisent les nombreuses saloperies que l’impérialisme US commet aux dépens des neunlec en lutte pour une autodétermination et une indépendance réelle.
Ce sont ces gens qui sont derrière les pires massacres perpétrés par l’impérialisme, de Tall el-Zaatar à Sabra et Chatila, jusqu’aux canonnades de la New Jersey. Avoir mis un terme à la misérable existence de ce sale esclave de l’impérialisme constitue un honneur pour notre organisation et, dans le même temps, un devoir à l’égard du mouvement révolutionnaire international.
Pourquoi avons-nous frappé Ray Leamon Hunt ? Qu-elle est la fonction et la signification de la Force Multinationale d’Observation (FMO) ?
La fonction de cette force militaire – à laquelle ce n’est pas un hasard que participe un contingent italien – est de garantir la sauvegarde des intérêts américains au Moyen-Orient à travers un accord entre I’Egypte et Israël, soutenu par des milliards de dollars, aux dépens du peuple palestinien.
La signification politique est d’une importance considérable dans l’évolution des relations internationales, vers le déchaînement de la guerre entre les deux « blocs », en ce que d’un côté il ratifie formellement, avec des structures de caractère international apparemment légales, les intérêts et les influences régionales occidentaux, et que de l’autre il introduit une pratique particulière, qui a déjà trouvé une suite dans la formation d’une seconde force multinationale, au Liban cette fois, en dehors de l’ONU, et qui laisse clairement entendre une poursuite en ce sens dans des régions comme l’Amérique centrale.
Camarades, prolétaires,
L’évolution récente des relations internationales démontré sans aucun équivoque que les principales puissances impérialistes sont en train d’aller vers l’affrontement militaire. Les peuples du monde entier assistent à une menaçante course au réarmement, nucléaire et conventionnel, que le cynisme effronté des gouvernements bourgeois voudrait justifier par des motifs de défense et de sécurité.
Les dépenses militaires augmentent de manière évidente dans chaque nation, en pesant ainsi sur les conditions de vie des masses. Comme si cela ne suffisait pas, c’est le condamné lui-même qui paie le prix de son supplice !
La tension internationale croissante se manifeste de plus en plus fréquemment dans les soi-disants « conflits régionaux » où, à chaque fois, se concentrent et explosent violemment les contradictions qui, propres à un contexte régional donné ; s’insèrent toutefois dans un cadre général caractérisé par l’opposition profonde des deux principaux blocs impérialistes.
Dans ce scénario, qui précède traditionnellement l’éclatement de la guerre directe entre les impérialismes, l’hypocrisie de la bourgeoisie et des ses gouvernements est sans fond : chaque administration se plaint de l’agressivité de l’autre, chaque « bloc » fait profession de pacifisme et de bonne volonté autour du problème du désarmement et, en général, par rapport à l’orientation de sa politique extérieure. Dans les faits, les choses sont bien différentes.
La profonde crise économique qui investit l’ensemble du monde capitaliste accroît démesurément la compétition entre les grands groupes monopolistes et financiers et, par contrecoup, celle entre les Etats. L’exigence se fait pressante d’un élargissement des marchés et d’un strict contrôle des matières premières qui visent à une relance générale de la production capitaliste.
L’affrontement militaire entre impérialismes s’impose comme la solution obligée, le débouché objectif, de la crise actuelle qui, durant dans sa substance depuis le début des années soixante-dix, a mis en cause les formes mêmes d’accumulation recouvertes par le capital à l’échelle internationale depuis la fin de la seconde guerre jusqu’à aujourd’hui.
En substance, la bourgeoisie ne peut éviter la guerre, puisque son système social en produit les causes de fond.
Que les choses soient ainsi, on le voit en prêtant attention à l’impuissance progressive de l’ONU face aux nombreux foyers de guerre et à la croissance de la tension internationale dans l’ensemble du monde. Cette organisation, qui devrait représenter la volonté générale des gouvernements des pays membres de s’abstenir de l’usage de la guerre comme moyen de résolution des conflits internationaux, a assisté impuissante, quand ce n’est pas en acquiesçant, à la guerre des Iles Malouines, à l’agression israélienne au Liban, à l’occupation yankee de Grenade, …
Cette organisation assiste encore – en s’amusant, au maximum avec des « résolutions de condamnation » savamment négociées par de diplomatiques effrontés – aux continuelles provocations de l’administration Reagan à l’égard du Nicaragua, au sale et révoltant travail des racistes sud africains contre l’Angola et le Mozambique, aux ingérences du « socialiste » Mitterrand au Tchad, à l’occupation soviétique prolongée de l’Afghanistan.
L’impuissance absolue et grotesque des Nations Unies est l’indice on ne peut plus éloquent de la détérioration des relations internationales, et nous renvois en mémoire au cadavre de la « Société des Nations », piétiné par Nünich, par la « conciliation » anglo-française, et finalement écrasé par le talon nazi-fasciste.
On dirait que revient d’actualité le fameux adage qui veut que l’histoire se répète toujours deux fois, la première en tragédie, la seconde en farce.
Les raisons qui sont à la base de la constitution de la Force Multinationale d’Observation pour le Sinai sont l’exemple concret de comment se manifeste la tendance générale exposée juste au dessus.
Ici, on voit de manière très significative, et qui concerne de près aussi le prolétariat italien, comment les puissances impérialistes passent superbement par dessus l’ONU lorsque leurs intérêts sont en jeu et lorsqu’il s’agit d’asséner un coup décisif aux mouvements de libération nationaux et aux peuples qui se battent contre l’oppression et contre l’exploitation.
La F.M.O. pour le Sinaï est en effet une force militaire constituée en dehors de l’ONU pour garantir l’application des Accords de Camp David de 1978 qui, comme on le sait, représentent un dur coup à la cause palestinienne et, plus généralement, à l’opposition à l’impérialisme sioniste.
L’écaillement du front arabe avec la trahison de Sadate, le renforcement du prestige de l’entité sioniste, légitimée à poursuivre la bestiale politique d’annexion des territoires occupés en Cisjordanie et à Gaza, la réduction générale de l’influence soviétique au Moyen Orient, ne sont que quelques-uns des résultats atteints par les USA et les sionistes à la suite de Camp David : ceux ci sont autant de pièces d’une plus ample mosaïque qui prévoit une redisposition générale de l’aire moyen-orientale qui soit en mesure d’assurer aux USA le contrôle complet de cette région vitale, déjà dangereusement remis en cause par la pénétration soviétique en Afghanistan, par l’Iran shiite et par les caractéristiques démocratiques-populaires de la révolution palestinienne.
En ce sens, il y a une continuité évidente et criminelle entre Camp David et l’opération « Paix en Galilée » de juin 1982, il existe un lien patent entre la F.M.O. pour le Sinaï et l’actuelle, plus fameuse, « Force Multinationale de Paix » au Liban. Elles sont toutes deux des représentants armés de l’impérialisme occidental, garants et agents d’un équilibre fonctionnel aux intérêts stratégiques des USA et de l’OTAN au Moyen-Orient.
Malgré l’impressionnante masse de propagande nauséabonde, la position des gouvernements européens sur cette question est claire : ils sont en première ligne dans la course à une solution de la question du Moyen-Orient qui, une fois sauvées les relations avec les pays arabes modérés, permette la meilleure exploitation des ressources économiques, en premier lieu énergétiques, dans le cadre politique stratégique garanti manu militari par le sionisme.
Comment expliquer l’abstention de la France, de la Grande Bretagne, de la RFA et de l’Italie à l’ONU sur le problème de la convocation de la « Conférence internationale sur la question de la Palestine », sinon comme un assentiment tacite au votre contraire éhonté des USA et d’Israël ?
Cela n’est il pas un soutien criminel et philistin aux saloperies sionistes ? Et encore, comment interpréter le soutien français à l’Irak de Saddam Hussëin et les colossaux contrats militaires allemands avec l’Arabie Saoudite ?
Enfin, la France, l’Italie et la Grande-Bretagne sont-elles ou non engagées dans des missions militaires clairement impérialistes ? Les puissances impérialistes européennes ne sont en effet pas « neutres » au Moyen Orient.
Elles font au contraire preuve de beaucoup, d’activisme, engagées comme elles le sont aux côtés de l’impérialisme américain et sioniste dans une action générale visant à contenir l’influence soviétique et à la dénaturation globale dés caractéristiques démocratiques populaires du sentiment national palestinien.
Et n’est pas neutre le gouvernement italien, n’est pas neutre notre bourgeoisie ; qui, au cours d’une seule année, 1982, participe à bien deux actions militaires au Moven-Orient, la F.M.O, dans le Sinaï et la Force de « Paix » à Beyrouth, en se préoccupant d’héberger à Rome le quartier général de la première.
On a bonne mine à se déclarer amis des Palestiniens lorsque l’on contribue à garantir l’application des Accords de Camp David, qui permettent aux sionistes l’annexion forcée des terres des Palestiniens.
Le gouvernement italien peut remplir un avion entier d’enfants palestiniens et les ramener en visite gratuite dans notre pays, le prolétariat international et les peuples qui luttent contre l’impérialisme savent bien que les troupes italiennes piétinent le sol libanais en complices des USA et des fascistes locaux, que les dragueurs battant notre drapeau font respecter un accord fondé sur la trahison d’un « pharaon » qui a payé ses ambitions de sa vie.
Comme ils savent que sur notre territoire sont installés des missiles à têtes nucléaires dont le premier objectif n’est pas l’Est européen, mais surtout les jeunes nations qui s’opposent aux menées impérialistes occidentales.
Le gouvernement italien veut faire de notre pays’ lé gendarme de la Méditerranée, il veut accroître son sale prestige international en étouffant les aspirations légitimes et progressistes des peuples affranchis de la domination coloniale et de ceux qui se battent pour la libération nationale, mais la lutte conjointe du prolétariat italien avec le prolétariat international et avec les peuples progressiste du monde entier fera faillir ce dessein en faisant ravaler à Craxi et à ses pareils leurs intentions.
Le mûrissement accéléré de la crise capitaliste impose aux gouvernements bourgeois des choix de fond et de substance en ce qui concerne leur politique globale. La bourgeoisie italienne, en particulier, se trouve face à une alternative très nette ; une redéfinition de la société dans un sens autoritaire et belliciste en mesure de la maintenir au nombre des grandes puissances, ou bien une progressive régression dans le cercle des pays soi disants « de série B. ».
Les grands groupes monopolistes et financiers n’ont aucun doute : seule une politique intérieure de type autoritaire conviennent à la restructuration et au saut technologique dans lesquels l’économie italienne est engagée et dont le coût social est représenté par les milliers de licenciements, par le chômage et par l’accroissement de l’exploitation dans lés usines.
Et les classes dirigeantes ont déjà fait leurs choix : le « nouveau rôle de l’Italie » dans l’OTAN et dans l’échiquier méditerranéen, de l’installation des missiles à Comiso jusqu’à l’engagement militaire au Moyen-Orient, est la brutale réponse à cette interrogation.
Spadolini, chef du gouvernement au moment de l’envoi des troupes dans le Sinaï et à Beyrouth et fervent soutien de l’installation des missiles, siège triomphant au ministère de la Défense du gouvernement Craxi, comme pour symboliser la continuité belliciste qui anime les cabinets des dernières coalitions gouvernementales.
Elle est de ces derniers jours la nouvelle de l’approbation par le Sénat de crédits militaires pour presque mille milliards de lires, crédits alloués en dehors du budget de la Défense, tout comme ceux attribués pour le contingent italien au Liban. Même les fascistes du MSI ont voté pour la proposition gouvernementale.
Camarades, prolétaires,
Un vaste mouvement de masse s’est développé dans notre pays en opposition aux choix bellicistes du gouvernement Craxi. II est animé par la conscience précise de l’absolue nécessité de bloquer la course au réarmement et de retirer des mains d ’une poignée de crapules le destin de nombreux millions d’hommes et de femmes.
De ce point de vue, il s’agit d’un mouvement qui s ’oppose à l’impérialisme et qui lutte pour battre le projet gangster et belliciste de la bourgeoisie impérialiste.
Autant il est juste et important d’appuyer de toutes nos forces et de participer à ce mouvement, autant il est nécessaire de clarifier que seul le prolétariat peut gagner la lutte contre la guerre impérialiste, parce que seule cette classe sociale peut modifier radicalement les mécanismes qui provoquent la compétition entre les nations jusqu’à les entraîner dans la guerre.
La lutte contre la guerre impérialiste doit alors se souder à la lutte de là classe ouvrière contre l’exploitation, les licenciements et la politique économique du gouvernement en un front prolétarien unique et compact, conscient de la tâche historique qu’il est appelé à accomplir dans cette conjoncture critique.
Nous devons en finir avec la vague optique inter-classiste pour conquérir la direction prolétarienne de ce mouvement, l’unique direction qui soit en mesure d’assurer une perspective réelle aux aspirations de paix qui existent dans l’immense majorité du peuple italien.
Les Brigades rouges pour la construction du Parti communiste combattant son engagées à fond dans ce travail. Notre organisation est en première ligne dans la lutte contre l’impérialisme et contre le gouvernement Craxi, son représentant.
Par cette initiative combattante, les Brigades rouges s’insèrent au centre de l’affrontement social en cours dans le pays, en interprétant de manière claire et sans équivoques les intérêts généraux de la classe prolétaire.
Dans le même temps, cette initiative politique est une parole claire, notre parole et celle du prolétariat révolutionnaire, à l’égard de tous ceux qui voudraient enterrer la politique révolutionnaire dans le musée des antiquités, en mendiant ainsi plus facilement pitié aux pieds de la bourgeoisie.
Face aux mouvements de masse en lutte contre l’impérialisme, face à la mobilisation ouvrière contre le décret-escroquerie du gouvernement, enfant bâtard de l’accord du 22 janvier, que sont finalement les pleurnicheries coquines de quelques révolutionnaires d’opérette ? Tous ceux là sont déjà en train d’entrer dans les poubelles de l’Histoire.
Il est nécessaire d’intensifier la lutte contre le gouvernement pour le retrait immédiat de toutes les troupes italiennes du Moyen-Orient,-pour le refus des missiles nucléaires à Comiso, pour faire sortir notre pays de l’OTAN. Il est nécessaire d’étendre la mobilisation de masse et d’avant-garde sur ce programme politique, en unité avec la classe ouvrière et ses luttes et sous la direction du prolétariat révolutionnaire.
Le scénario que le prolétariat international a en face de lui est très précis : le capital s’apprête à lui faire payer l’addition la plus salée que ce système social est contraint à présenter périodiquement aux masses qu’il exploite et opprime : la guerre.
Mais un grand mot d’ordre unit tous les exploités : transformer la guerre impérialiste en révolution prolétarienne pour le Communisme !
Dans le mûrissement accéléré de la crise capitaliste vers la guerre, une occasion exceptionnelle s’offre au prolétariat international : celle de marquer un puissant pas en avant dans le procès global de la révolution prolétarienne mondiale, en conquérant le pouvoir politique dans un ou plusieurs pays capitalistes.
En particulier, la possibilité de vaincre la bourgeoisie dans les pays capitalistes avancés et d’asséner ainsi un coup de portée décisive à tout l’impérialisme est aujourd’hui complètement mûre.
Mais pour y parvenir, pour ne pas se trouver impréparés devant la précipitation des événements, il faut développer l’unité objective des luttes du prolétariat du monde entier dans l’unité consciente de son avant-garde communiste.
Il faut que les communistes de tous les pays se situent résolument sur la voie de la construction de la nouvelle Internationale Communiste, fondée rigoureusement sur les principes du marxisme-léninisme.
De cela, notre organisation est profondément convaincue et considère qu’il s’agit là d’un objectif historique fondamental et irrévocable à atteindre pour le mouvement communiste international.
Les Brigades rouges souhaitent et favorisent par tous les moyens à leur disposition la confrontation militante entre communistes de tous pays et se posent, avec la modestie qu’il se doit, mais aussi avec une ferme volonté, comme point de référence de ce processus politique essentiel.
Unité du prolétariat avec les peuples progressistes dans la lutte contre l’impérialisme !
Intensifions et organisons la lutte contre la politique belliciste et antiprolétaire du gouvernement Craxi !
Etendons la mobilisation de masse et d’avant-garde sur ces mots d’ordre : • Retrait immédiat des troupes italiennes du Moyen-Orient ! • Non aux missiles à Comiso et au réarmement ! • L’Italie hors de l’OTAN !
Février 1984
Pour le Communisme
Brigades rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant