Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Noyaux Armés Prolétaires: Premier Communiqué

    [1er octobre 1974.]

    Attention ! Restez à l’écart, cet équipement et cet endroit sont minés et exploseront à la moindre tentative d’interrompre cette communication.

    Camarades prisonnières et prisonniers en taule, cette communication vous est destinée par les Noyaux Armés Prolétaires, qui se sont formés clandestinement en-dehors des prisons, afin de continuer la lutte des prisonniers contre le camp de l’Etat bourgeois et de sa justice.

    C’est un appel à la reprise des luttes dans les prisons, qui nous ont uni avec le prolétariat de 1969 à aujourd’hui.

    Contre le capitalisme violent des entrepreneurs, contre l’Etat des entrepreneurs et son gouvernement.

    La réponse de l’Etat bourgeois à 5 ans de dures luttes a été la répression grandissante et une série de mesures fascistes comme le doublement des détentions préventives, et le creusement définitif de la réforme des prisons, qui est tellement prisée la propagande du gouvernement.

    Le doublement de la durée est supportée par la peau de notre couche prolétarienne, avec l’active participation des révisionnistes.

    Maintenant et venu le moment de montrer que nous ne laisserons aucun répit à l’application de cela ; que notre volonté et notre capacité de lutter n’a malgré tout pas disparu, et qu’en-dehors des prisons les noyaux armés prolétaires sont nés pour cela : soutenir et être au côté des luttes des prisonniers, répondre aux meurtres et aux bains de sang et à la répression de l’Etat.

    Camarades prisonniers prolétaires, pour nos droits, contre la violence de l’Etat dans les prisons, les usines, les quartiers, les écoles et les casernes, contre le renforcement de la répression, révolte générale dans les taules !

    Nous refusons la manière de vivre à laquelle nous force la bourgeoisie au moyen de l’exploitation, de la misère et de l’oppression.

    Nous refusons d’être plus longtemps l’alibi pour les structures policières anti-prolétariennes de l’Etat.

    Camarades, la répression contre nous apporte de l’aide et perfectionne le fascisme des lois de l’Etat, confirme que le pouvoir écrase de ses pieds les droits des prolétaires les plus faibles et se prépare à ainsi à écraser et pulvériser la liberté de tout le prolétariat.

    Nous n’avons pas le choix : ou alors se rebeller, et lutter, ou mourir lentement dans les camps, les ghettos, dans les asiles, auxquelles nous force la société bourgeoise, de la manière violente.

    Contre l’Etat bourgeois, pour son renversement, pour notre contribution au processus révolutionnaire du prolétariat, pour le communisme.

    Révolte générale dans les prisons et lutte armée des noyaux à l’extérieur !

    Révolte et lutte armée comme refus de tolérer la répression, qui devient un génocide social permanent de notre couche prolétarienne.

    Révolte et lutte armée contre l’existence des prisons, et comme réponse à des dizaines d’années de torture, à des centaines de meurtres, qui sont faits sans peur de punition par les bourreaux du système dans les prisons, les asiles, les maisons de redressement.

    Les Noyaux Armés Prolétaires ont comme centre des camarades qui ont supporté la taule, avec une expérience combattante et politique.

    Ils l’ont supporté comme nous, camarades, couchés de force dans les quartiers d’isolement, ils ont supporté les mauvais traitements des geôliers et les tortures des prisons psychiatriques, et ils n’ont pas oublié !

    Camarades prisonniers, les crimes des larbins de l’Etat qui torturent ne seront plus impunis : aux bourreaux fascistes, aux exécuteurs de la répression des taules et des asiles, nous ferons le procès, ils seront condamnés selon la justice prolétarienne.

    Contre toutes les violences qu’endurent les prolétaires emprisonnés, nous devons répondre avec le seul slogan de classe dans toutes les situations d’oppression et d’exploitation du prolétariat : la reprise de notre lutte de masse !

    Hors des taules ceux qui luttent pour le communisme, pour les riches les cloaques.

    Contre le fascise de l’Etat, la violence organisée du prolétariat emprisonné !

    Camarades, n’oubliez pas que les fascistes sont les mêmes porcs qui réclament avec acharnement le rétablissement de la peine de mort, la revalorisation générale des peines de leur infâme code pénal, des traitements durs dans les taules, et ils font toujours les premières propositions les plus réactionnaires et liberticides.

    Camarades, n’oubliez pas cela chez ceux qui sont proches de vous, isolé, et tapez les fascistes, et souvenez-vous que nos bourreaux sont aussi les matons, la police, les vigiles et les capitalistes.

    Camarades prisonniers, dans cette phase de la lutte de tout le prolétariat contre le pouvoir bourgeois, qui tente de réaliser sa plus haute tentative réactionnaire et anti-prolétaire, dans la mesure où il entreprend une attaque à la base des conditions de vie et des libertés prolétaires dans les usines et les quartiers d’habitation, dans le cadre d’une crise économique et politique de l’impérialisme mondial, dans la mesure où le chômage s’accroît, où la répression et la police se renforcent, et en conséquence le nombre de prolétaires emprisonnés s’agrandit.

    Cela, notre cadre de lutte, signifie l’unité avec la lutte de tout le prolétariat, et propose de chercher une relation avec un pouvoir victorieux et une stratégie qui voit la classe ouvrière à la tête de la confrontation de toutes les couches du prolétariat.

    Notre plate-forme vise la poursuite de ces buts :

    Lutter contre les lois fascistes comme moment d’unité politique du prolétariat contre un instrument de pouvoir à la base comme conditionnement oppresseur ;

    Lutter pour la démocratisation interne des prisons et pour l’application de réformes radicales qui considèrent le système en entier, la possibilité réelle et effective d’user de ses droits politiques et humains inaliènables que la plate-forme a cité.

    Autogestion, démocratisation, comme aboutissement capable de développement de notre lutte pour les masses emprisonnées, qui ne peuvent passer que dans une pratique de lutte de masses amorphes et instrumentalisables à des masses conscientes de leur droits et devoirs de classe par rapport au processus révolutionnaire général.

    Nos buts immédiats sont :

    Abolition des prisons psychiatriques, qui sont de véritables camps nazis et une vengeance terroriste sur les prolétaires emprisonnés ;

    Abolition des camps de redressement, lieux d’origine de la violence contre la jeunesse prolétaire, qui par leur programme assure au pouvoir bourgeois la continuité de cette délinquance dont elle a à tout prix besoin pour justifier l’appareil policier et la justice d’Etat ;

    Amnistie générale et sans conditions sauf pour la mafia et les bourreaux nazis, comme petit adoucissement des dommages subis avec les lois fascistes ;

    Abolition immédiate de la notion de  » récidiviste  » ;

    Mise en place d’une commission non-parlementaire par des camarades meneurs de luttes d’usine et de quartier, afin d’enquêter sur les tortures, les mauvais traitements et les meurtres qui ont été commis dans les taules et qui continuent à être commis ;

    La vérité sur les camarades exécutés à Florence, et sur le bain de sang que le pouvoir a ordonné à ses bourreaux à Alessandria.

    Camarades, pour la poursuite de ces buts, les Noyaux Armés Prolétaires contribuent dehors par des actions, qui sont toujours plus nécessaires.

    Ces actions de propagande pour les luttes ont été mené par un noyau externe du mouvement des prisonniers.

    Vive le communisme !

    Vive la lutte des prisonniers !

    >Sommaire du dossier

  • Brigades Rouges : la seconde position (1984)

    [Le document suivant consiste en de longs extraits de différents documents italiens d’octobre-novembre 1984, notamment de celui intitulé « Une bataille politique importante au sein de l’avant-garde révolutionnaire italienne ».

    Tous appartiennent au courant de la « seconde position », regroupant une partie significative des Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant (br-pcc) : environ un tiers des militants, la majorité de la direction.

    Les « militants de la seconde position » à l’origine de ces textes expriment leur opposition à la majorité (la « première » position) au sujet de l’interprétation de la nature des Brigades Rouges.

    Une première tentative de « dépassement » avait déjà eu lieu dans un sens de la « guerre sociale totale », prônée par le Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain, théorisée notamment dans Gouttes de soleil dans la cité des spectres, de Renato Curcio et Alberto Franceschini. L’effondrement de ce courant fut extrêmement rapide.

    La seconde position tente pareillement un « dépassement », mais dans un sens pragmatique-machiavélique, le parti clandestin fonctionnant selon des normes, des principes, des méthodes qui forment son identité, et étant résolument séparé des masses en raison de la différence du niveau de conscience.

    C’est une réduction du Parti à une technique et la révolution à une méthode, et inversement.

    Pour cette raison, la seconde position considère comme erronée l’interprétation d’un Parti comme expression synthétique de l’antagonisme vivant dans le prolétariat, interprétation qu’elle lit comme une dégradation utilitariste du Parti.

    Elle rejette par conséquent l’insistance mise sur le Parti comme fruit de la rupture subjective dans le cadre d’un système capitaliste asséchant autant que possible l’antagonisme.

    Elle n’admet pas que cette subjectivité soit en mesure de s’élever jusqu’à un positionnement antagonique au cœur de de ce qui serait alors un système formant le processus révolutionnaire, comme mouvement anti-système.

    La seconde position donnera naissance à l’UdCC, ainsi qu’à une petite structure dénommée Noyau pour la fondation du Parti Communiste Combattant rejetant l’UdCC comme aventuriste.

    L’UdCC s’effondrera dans la seconde partie des années 1980, le Noyau cédant la place à la Cellule pour la constitution du Parti Communiste Combattant, qui aboutira à la formation d’un Parti Communiste Politico-Militaire au début des années 2000.]

    Dans cette phase du rapport révolution / contre-révolution, le processus révolutionnaire ininterrompu en étapes signifie que le processus révolutionnaire s’ouvre avec les forces révolutionnaires ayant obtenu leur maturité dans les luttes, qui sont prêtes, à se confronter immédiatement avec l’État.

    La lutte armée n’est plus la dernière forme de lutte, qui serait propre à la phase finale de la confrontation, mais une stratégie politico-militaire, qui conduit, dans cette époque historique, la révolution prolétarienne du début à la fin.

    La forme de l’attaque « finale » contre l’État n’est en fait plus un problème actuel, à moins qu’on ne veuille l’inventer (…).

    L’erreur principale de l’Organisation et son abandon du marxisme-léninisme peuvent être résumés dans la perte de substance des trois moments centraux qui distinguent les BR du « combattisme » des années 1970 :

    1. La question de l’État, 2. la question du Parti et 3. la centralité de la classe ouvrière.

    La conception du Parti en particulier, de se construire parallèlement et en même temps aux organismes révolutionnaires de masse, nie l’essence du principe léniniste du Parti comme unité de l’avant-garde et de la conscience, qui se situe à l’extérieur du prolétariat (…).

    Il appartient au Parti de trouver et d’indiquer les objectifs vers lesquelles tendent la lutte et la lutte armée, et les étapes qui doivent être atteintes.

    Plus précisément, il s’agit d’indiquer les points focaux politiques principaux où se concentrent momentanément le caractère antagonique entre la classe et l’État.

    Le programme doit prévoir la modification des rapports de force, la désarticulation des projets dominants de la bourgeoisie, l’Organisation de l’avant-garde révolutionnaire pour la stratégie du Parti, la conquête de l’antagonisme pour le programme révolutionnaire, et par la pratique, qui s’évalue par rapport aux succès concrets, dans la mesure où il s’agit de la pratique de la direction de l’avant-garde et de la classe que d’utiliser politiquement et militairement les contradictions et les failles de l’ennemi.

    En ce qui concerne la bourgeoisie, il est facile de comprendre que c’est son projet central que de faire avancer, avec le meilleur résultat possible d’une paix sociale atteignable, son projet (redéfinition pour le renforcement du pouvoir du gouvernement, redéfinition politique, économique et militaire du caractère du rapport classe / État, des relations avec les syndicats jusqu’aux réformes institutionnelles, afin de mettre en œuvre la « rénovation » et l’intégration réorganisée dans le champ impérialiste (…).

    L’Italie est un pays impérialiste et les principales classes en quoi notre société se partage sont la bourgeoisie et le prolétariat ; la dictature de la classe bourgeoise sur le prolétariat a la forme d’une démocratie parlementaire, qui s’appuie sur des élections générales.

    La nature de l’étape de notre révolution est par conséquent la révolution prolétarienne et la seule classe sociale intéressée à cela est exclusivement le prolétariat ; pour cette raison, le prolétariat et son parti révolutionnaire ne peut pas faire d’union avec d’autres classes ou d’autres fractions de classe, car ils doivent profiter de chaque occasion afin de former une hégémonie de la classe prolétarienne sur les fractions de classe ou groupes sociaux hésitants ou instables (…).

    Les principaux points de référence pour la révolution prolétarienne restent comme auparavant la Commune de Paris et avant tout la révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie.

    Les reculs momentanés de la révolution en URSS ne portent atteinte en rien la valeur des leçons provenant de cette expérience.

    Une attention particulière doit de plus être porté sur l’expérience de l’Internationale Communiste dans les pays impérialistes et en particulier en Allemagne de 1919 à 1933.

    Dans les pays impérialistes et dans la situation historique présente, le vide en théorie politique qui existe essentiellement dans le mouvement communiste depuis la dissolution de l’Internationale Communiste, ne peut être dépassé que par un approfondissement théorique et pratique des leçons de la pensée révolutionnaire spécifiquement léniniste (…).

    S’il est nécessaire de soumettre à la critique l’aspect négative de la théorie du soulèvement de l’Internationale Communiste, est également expressément à rejeter la théorie de la « guerre de classe de longue durée », qui avec différentes variantes est celle de toutes les expériences de la guérilla urbaine communiste.

    Dans les pays impérialistes, pour une longue période, c’est la dimension des luttes de classe qui l’emportent et la tâche principale du Parti marxiste révolutionnaire est et reste d’amener à un niveau plus élevé la conscience et l’organisation révolutionnaire des masses (…).

    Il doit être affirmé très clairement que la lutte armée n’est pas une stratégie, ce n’est qu’une méthode décisive de lutte dans les mains du Parti Communiste Combattant, depuis le début du processus révolutionnaire.

    La raison pour laquelle le Parti promeut les initiatives combattantes est l’éducation des masses à l’idée de la nécessité de la confrontation violente avec la bourgeoisie, et en même temps de préparer les conditions militaires pour la victoire de la révolution.

    Autrement dit, le Parti utilise parmi ses méthodes de lutte la lutte armée, afin de remanier au profit du prolétariat les lois de la politique suivant les lois de la guerre, dès que la situation révolutionnaire commence (…).

    La lutte armée doit, pour cette raison, se rapporter aux grandes questions politiques et sociales au centre de la vie de notre pays et ne peut pas anticiper les périodes objectives de la révolution, même s’il en est un élément subjectif important de ces périodes.

    La seule vraie stratégie dans les mains du prolétariat, c’est, une fois pour toutes, le marxisme-léninisme.

    Il est pour cette raison nécessaire de repenser la vision que les Brigades Rouges avaient de la politique révolutionnaire (…).

    Deux ans et demi après la défaite de 1982, un bilan autocritique de notre expérience n’est pas que nécessaire, mais aussi possible, afin de réaliser une théorie et une pratique révolutionnaires qui ont connu leur maturité au milieu de la confrontation, y compris avec les erreurs commises (…).

    Les Brigades Rouges sont apparues en Italie après vingt années de paix sociale relative, caractérisée par le cycle de diffusion du capital après la seconde guerre mondiale et par l’administration révisionniste de l’antagonisme prolétarien, qui vise à continuer une situation de réconciliation entre les intérêts de classe, qui lui permet une légitimation de sa position comme force politique « démocratique », qui puisse progressivement se placer dans les rangs des forces gouvernementales (…).

    La diffusion, la maturité, la durée et le caractère prolétarien fortement marqué, qui se sont exprimés dans notre pays dans ce cycle de lutte, forment la condition pour la formation d’un mouvement révolutionnaire large (…).

    Dans cette situation, les Brigades Rouges ont réalisé la rupture historique concrète tant avec le pacifisme qu’avec le vélléitarisme de groupes et les postures ML impotentes, et ont placé en pratique sur un plan marxiste-léniniste la substance de l’alternative prolétarienne révolutionnaire contre le système bourgeois des partis – malgré des limites évidentes d’une expérience venant de se former.

    Et elles firent cela avec la proposition stratégique de lutte armée pour le communisme, comme condition imprescriptible dans cette époque historique, pour mener la politique révolutionnaire, pour fournir aux luttes de masses une perspective et une percée qui ait du succès (…).

    L’état de pacification que la bourgeoisie a assuré dans les pays les plus forts de la chaîne [impérialiste] est la preuve la plus claire de comment la résolution des vagues et des cycles de lutte antagoniques, y compris violentes, est possible sur une base économique à l’intérieur d’un cadre d’union avec les besoins capitalistes et les besoins bourgeois.

    Et cela, malgré que les faits concrets prouvent bien quel futur l’impérialisme a à proposer au prolétariat international : une nouvelle guerre mondiale.

    Dans ce cadre, la lutte armée pour le communisme n’est pas un moyen de propagande, afin de pouvoir être mené ensuite, ce n’est pas la dernière forme de lutte, qui est propre à la phase finale de la confrontation, mais c’est la stratégie qui du début à la fin conduit la confrontation nécessairement prolongée avec l’appareil d’État bourgeois (…).

    Une grande clarté est nécessaire : ce n’est pas la lutte armée pour le communisme qui a été vaincu en Italie, mais ses concepts idéalistes et ses conceptions « immédiatistes », qui l’ont emporté dans le mouvement révolutionnaire et même à l’intérieur des Brigades Rouges (…).

    L’adéquation d’une structure stratégique et de la construction de cadres du parti ne peut pas être évaluée selon sa pureté théorique abstraite, mais vérifiée par l’ancrage des principes marxistes-léninistes vérifiés et vérifiables dans la pratique concrète du processus révolutionnaire, dans la compréhension et dans la capacité d’utilisation du critère prolétarien et révolutionnaire de critique – autocritique – transformation (…).

    La formation d’un mouvement révolutionnaire ne va pas de paire avec la conquête de l’ensemble du prolétariat pour les objectifs de la guerre de classe.

    Si c’est le cas, c’est le but de la phase de la dictature du prolétariat et du renforcement de l’État prolétarien, lorsque les masses, l’ensemble du prolétariat, sont impliqués dans la continuation de la lutte de classe.

    Cela, parce que le mouvement prolétarien ne se conçoit pas comme unité, mais comme résultat de différents niveaux de conscience, qui ne se recoupent pas et ne doivent ainsi pas être aplanis et être remplaçables les uns par les autres.

    Le critère général est qu’un Parti doit avoir une influence profonde sur les dynamiques de la lutte des classes, à l’intérieur de l’ensemble du prolétariat par conséquent, mais comme il représente son élément conscient et organisé, il ne peut pas aplanir ses propositions au niveau moyen atteint par les « masses combattantes », mais fixe le niveau le plus mature comme base réelle, sur laquelle le développement du processus révolutionnaire de la classe est possible et nécessaire (…).

    Les étapes avec lesquelles se divisent la guerre révolutionnaire dans la métropole dépendent par conséquent de l’ensemble des nécessités politiques, qui sont conditionnées par l’activité dynamique de l’avant-garde / la lutte des masses / l’État contre-révolutionnaire, et pas par la « capacité de feu » que les avant-gardes sont en mesure d’exercer, ni par la violence exercée par les masses.

    Justement comme la lutte armée n’est pas un instrument, il est nécessaire d’en arriver aux buts généraux pour l’ensemble de la classe qui permettent de « calibrer » et de régler l’activité de la lutte.

    Et cela est encore plus vrai dans les pays impérialistes, en raison des propriétés structurelles dans lesquelles se manifestent la confrontation de classe (…).

    Une autre propriété fixée de la guerre de classe dans les pays impérialistes est qu’elle se déroule au cœur de la domination bourgeoise, c’est-à-dire qu’elle vit et se développe dans les métropoles.

    Elle ne se sert pour cette raison pas de processus comme l’encerclement du pouvoir ennemi, comme l’attaque depuis une « base arrière » où elle se replie jusqu’à l’offensive finale.

    C’est-à-dire que ne sont pas possibles, dans les métropoles, les « bases rouges », les zones libérées, où les forces révolutionnaires peuvent exercer un contre-pouvoir réel dans les conditions de rapports de force favorables.

    La lutte armée dans les métropoles, qui vit toujours en « contact étroit » avec la contre-révolution, ne peut pas compter sur « ses territoires », car de par les forces ennemies de plus grand poids, elle serait anéanti en un éclair » (…).

    « Avec sa re-proposition persévérante du Marxisme-Léninisme, les Brigades Rouges ont, par la mise en pratique de la conception de l’attaque au cœur de l’État, gagné une bataille importante contre le spontanéisme armé et accéléré le fait de démasquer le révisionnisme (…).

    De la proposition « conquérir les masses pour la lutte armée » découle le principe idéaliste selon lequel « il n’y a pas de Parti sans organisation révolutionnaire de masse, il n’y a pas d’organisation révolutionnaire de masse sans le Parti ».

    Avec ce principe, la formation du Parti se déforme dans la nécessité d’organiser les masses en même temps sur les terrains politiques, militaires et organisationnels, quelque chose qui est propre aux avant-gardes.

    Ce principe amène à confondre l’organisation révolutionnaire des masses avec le noyau des avant-gardes qui étaient étroitement liées aux Brigades Rouges, se mobilisaient sur les mots d’ordre des Brigades Rouges et apparaissaient dans les domaines ouvriers et prolétariens comme représentation tragique des tâches des avant-gardes révolutionnaires et des masses organisées (…).

    C’est sur les théories nébuleuses et « fascinantes » sur l’époque post-industrielle, sur la fin de la validité de la valeur-travail, sur les travailleurs sociaux, que se fonde l’idéologie entièrement subjectiviste du rejet de la fonction historique du prolétariat métropolitain, du fait de guider le processus révolutionnaire de destruction de l’État et du mode de production capitaliste, où les changements possibles ultra-révolutionnaires sont rêvés comme se produisant dans les rapports de production dominant, et leur validité s’appuyant sur les transgressions violentes de différentes composantes ou subjectivités.

    Avec cette logique, le mode de production capitaliste disparaît tout simplement, et avec lui toute l’ordure des rapports sociaux qu’il a produit. Le rapport entre base et superstructure se renverse et avec cela, c’est la gradualité temporelle nécessaire du processus révolutionnaire qui disparaît (…).

    La tendance à la guerre apparaît comme une nécessité objective, comme contre-tendance principale à la crise de superproduction ; ce n’est en effet que dans la destruction de capital, de force de travail, de marchandises et de forces productives en excès que les vainqueurs peuvent rendre possible un « nouveau développement en grand style », garantir des parts de marché, l’accès aux matières premières, finalement un repartage des marchés et du travail sur la base d’un nouvel ordre économique mondiale, plus favorable au capital le plus fort (…).

    Pour son activité, le Parti révolutionnaire doit entreprendre le renversement du rapport de forces, la désarticulation des principaux projets de la bourgeoisie, l’organisation des avant-gardes révolutionnaires pour mener la stratégie du Parti, la conquête de l’antagonisme pour le programme révolutionnaire ; et cela avec une pratique, qui est évaluée par les succès concrets et qui vise à former des rapports de force favorables momentanés, permettant d’être victorieux et d’avancer sur des positions plus évolué (…).

    Le concept de « social-impérialisme » employé par Mao Zedong pour montrer que l’attitude soviétique était « du socialisme dans les mots et l’impérialisme dans les faits », est inapproprié au sujet au moins de deux aspects :

    1. Cette définition donne à comprendre que l’impérialisme serait une politique, une attitude. Ce n’est pas un hasard que la critique du modèle soviétique se transforme en une critique de la politique extérieure de l’URSS et de son agressivité.

    2. De plus, la définition de Mao Zedong donne comme contradiction principale de la formation soviétique celle entre la structure économique capitaliste et la superstructure idéologique socialiste, ce qui donne une avance à la propagande révisionniste, selon laquelle le passage au communisme serait possible par une révolution technico-scientifique finale et un développement plus grand des forces productives.

    En réalité, les choses sont plus complexes. Le développement capitaliste en URSS devait tenir compte des structures économico-productives héritées de la période révolutionnaire qui, étant donné qu’elles reposaient sur l’étatisation des moyens de production et l’économie planifiée, empêchaient que – tout comme dans les autres pays capitalistes et par conséquent du point de vue capitaliste – que soit atteint le niveau productif et technologique des pays occidentaux (…).

    Nous ne pouvons ici nous confronter avec le problème théorique complexe et la spéculation marxiste-léniniste quant au passage échoué au communisme en URSS et comme en Chine (…).

    Le monde est divisé en deux grands systèmes de rapports impérialistes, qui sont poussés à la confrontation directe par la crise. La tendance à la guerre inter-impérialiste est aujourd’hui la contradiction principale.

    Et précisément l’existence de ces facteurs amène la possibilité de placer la révolution à l’ordre du jour, tout comme la convergence des raisons d’alliance entre le prolétariat international et les peuples en lutte contre la mise impérialiste en esclavage (…).

    En ce sens, il doit être dit qu’en raison de l’acuité de ses contradictions et en raison de la crise de surproduction de la chaîne occidentale sous domination des Etats-Unis, cette chaîne est l’ennemi principal du prolétariat international et des peuples du tiers-monde, parce que les raisons pour sa course à l’armement et une politique agressive sont davantage « vitaux ».

    Cela ne doit pas nous amener à sous-estimer la nature du concurrent et à penser de manière « maligne », quelle qu’elle soit, qu’on pourrait « l’utiliser » pour les objectifs de la révolution prolétarienne (…).

    Nous proposons une conception pour le travail et la discussion, qui reposent sur :

    I. Une mise en participation authentiquement internationaliste des organisations, qui se construit dans l’alliance et la solidarité militante avec tous les peuples et forces progressistes du monde qui luttent contre l’impérialisme.

    II. Travailler à la construction de l’Internationale Communiste, sur le base de définitions précises :

    a) sur la base idéologique et théorique du marxisme-léninisme,

    b) par la reconnaissance du caractère stratégique de la lutte armée pour le communisme, dans l’acceptation de la différenciation de son utilisation selon les conditions sociales-politiques-idéologiques différentes,

    c) avec une redéfinition – en raison des changements révolutionnaires – du champ des Partis Communistes révolutionnaires, qu’ils soient au pouvoir ou pas (…).

    Au début des années 1980, en particulier en 1982, il y a une sévère césure dans la continuité du processus de construction qui s’était déroulé de manière essentiellement sans interruption pendant les dix premières années d’activité de notre organisation.

    De ce difficile test, l’organisation s’en est sortie avec un nombre fortement réduit de membres, puissament affaiblie dans le domaine des moyens politiques et organisationnels à sa disposition, affaiblie en influence et en prestige dans les masses.

    Il s’est avérée de plusieurs parts que la campagne de répression lancée tous azimuts par l’État contre le mouvement révolutionnaire n’a fait que révéler et développer des enchevêtrements et des symptômes d’une crise politique profonde, qui existait déjà avant les tortures, avant la trahison et avant les arrestations de masse.

    Rien qu’un regard superficiel sur ce qui se passe dans les prisons et les tribunaux parmi les prisonniers politiques de notre pays le confirme : à part les véritables traîtres, la large majorité de ceux et celles qui ont été ces dernières années une partie du mouvement révolutionnaire rejettent ses propres choix et souhaitent le début de négociations avec l’État, afin d’être libérés dans un proche avenir.

    Il est désormais vraiment impossible de fermer les yeux sur cette pénitence à Canossa monumentale et en même temps ridicule – tragique d’anciens combattants, qui se courbent devant les pires valeurs de la société bourgeoise, livrent aux masses prolétariennes de notre pays un spectacle déshonorant, dont nous allons payer le prix encore longtemps (…).

    Immédiatement après la libération du général américain Dozier, notre Organisation a considéré comme nécessaire de dresser un bilan profond de tout l’arc de notre expérience et a proposé pour cette raison à l’ensemble du mouvement révolutionnaire la « retraite stratégique », c’est-à-dire la nécessité d’un laps de temps pour, après les coups encaissés, en arriver à une redéfinition générale des avant-gardes révolutionnaires.

    Une fois de plus, l’histoire a pris sur elle de confirmer la validité du principe léniniste, selon lequel on doit évaluer le sérieux d’un parti politique avec sa capacité de se confronter à ses erreurs : nos critiques d’alors de « gauche », en particulier ce pouilleux « Parti-Guérilla du prolétariat métropolitain », qui a prôné et mené des actions militaires éhontées dans toute l’Italie, qui nous accusait de trahir la lutte des classes, a désormais disparu comme force organisée et a découvert dans les prisons, avec retard, l’individualisme, la beauté de la vie sociale et même, comme perle des perles, la religion (…).

    Cette période de réflexion critique générale qui dure depuis 1982 et qui n’a également pas empêche aux Brigades Rouges de lutter à un niveau qui est politiquement et militairement le plus haut de son histoire, en est désormais arrivée à son point décisif.

    Deux positions, qui concernent les problèmes théoriques et politiques importants de l’ordre du jour de nos discussions internes, se confrontent ; on se sépare au sujet des questions de stratégie et de tactique, sur l’évaluation du passé, tout comme sur l’art et la manière de l’activité future.

    Mais pourquoi, pourrait-on se demander, est-ce qu’une organisation décimée par les arrestations et restées pratiquement toute seule dans la lutte avec les armes contre l’État, voudrait encore plus s’affaiblir par une scission interne ?

    De quoi s’agit-il avec ces différences de points de vue ?

    Avec la plus grande ouverture il faut reconnaître qu’avec notre confrontation, il en va de deux conceptions totalement différentes aujourd’hui à l’intérieur des Brigades Rouges, quant au processus révolutionnaire et la tâche de l’avant-garde.

    Une conception se fonde sur l’idée qu’elle croit possible – à partir de l’activité du parti révolutionnaire – de mener une « guerre de classe de longue durée » dans un pays impérialiste comme l’Italie, et c’est une thèse qui, grosso modo, était celle de notre organisation depuis sa fondation et qu’on peut également appeler « stratégie de la lutte armée ».

    L’autre conception, partant d’une évaluation concrète des effets que cette thèse employée a produite dans la réalité italienne (bien entendu les effets positifs comme négatifs) et dans la prise en considération de certaines leçons fondamentales du marxisme et du léninisme, est d’avis que la forme que prend la guerre révolutionnaire dans notre pays est tendanciellement celle de l’insurrection, et que les tâches du Parti consistent à guider les masses, par son activité révolutionnaire, à cette réunion historique.

    Que chaque politique révolutionnaire est essentiellement, mais pas exclusivement, alignée sur la lutte armée.

    On pourrait poser le problème ainsi : considérée de manière essentielle, est-ce que les leçons de la révolution d’octobre dans un pays impérialiste sont encore valables, ou bien les choses se sont-elles développées jusqu’au point où ce serait un effort vain et même contre-productif que de se rapporter à cet événément fondamental ?

    Bref, il en va de la chose suivante : est-ce que la conception que Lénine avait de la révolution doit être approfondie, ou bien au contraire faut-il la dépasser ? (…)

    La thèse affirmée dans le travail suivant est qu’il faut approfondir le léninisme et non pas le dépasser.

    De notre point de vue, la définition connue que Staline donne dans son œuvre « Sur les fondements du léninisme », comme quoi le léninisme est le marxisme de l’époque impérialiste et de la révolution prolétarienne, est totalement valable, également soixante ans après sa formulation.

    L’idée d’une « guerre prolongée », qui est un point cardinal de base pour la révolution de nouvelle démocratie et pour la libération nationale des pays opprimés par l’impérialisme, doit être rejetée par conséquent dans les pays impérialistes, parce qu’elle alimente le subjectivisme et l’aventurisme petit-bourgeois (…).

    En ce qui concerne, aucune activité révolutionnaire se comprenant comme marxiste-léniniste n’est pensable en dehors des Brigades Rouges, car il n’y a que notre Organisation qui est mesure de tirer le bilan scientifique et militant (c’est-à-dire capable de le transformer en pratique révolutionnaire) des contributions et des limites de l’expérience révolutionnaire qui a été faite au cours des années 1970.

    Et qui est capable, avec précision, de savoir quels sont les éléments positifs qui ont été conquises ou sont encore à conquérir dans le patrimoine historique du mouvement communiste international, et de définir clairement les concepts d’une véritable stratégie et tactique révolutionnaires.

    Ici, la leçon principale tirée de l’expérience des années 1970 est celle qui est la source de notre Organisation : que la lutte armée est la partie décisive dans la question de la politique révolutionnaire d’un parti marxiste, également dans une situation non révolutionnaire.

    En second lieu doit être expliqué ce que nous comprenons par approfondissement de la conception léniniste de la révolution et pourquoi nous l’opposons à la ligne théorique et pratique de son dépassement.

    L’application de la théorie de Mao Zedong d’une « guerre populaire prolongée » à la réalité sociale et historique dans les pays impérialistes amène selon nous inévitablement à une distorsion profonde du léninisme, jusqu’à atteindre son noyau dur.

    Cela est de fait facile à montrer et notre historique l’a montré en toute clarté : même si l’on essaie le plus possible d’être de sincères marxistes-léninistes, autant qu’on veuille éviter les schématisations, si l’on veut appliquer cette théorie dans les pays du capitalisme moderne, on en arrive de manière forcée à une optique non-léniniste concernant le rapport conscience – spontanéité et la mise en pratique de la lutte politico-économique.

    On en arrive à sous-estimer le rôle éducateur et politique du parti révolutionnaire et on le transforme, d’un sujet conscient de la lutte pour le pouvoir, en un simple organisateur d’une disponibilité révolutionnaire des masses considérée comme certaine.

    Et finalement, comme on se place à l’extrême du contre-pôle, on renverse l’idée marxiste-léniniste de « l’exception » de la réunion des conditions objectives et subjectives pour les révolutions socialistes prolétariennes, et on assume une sorte de philosophie moderne de la pratique, finalement un héritage raffiné du marxisme « critique » (…).

    En ce sens, la collision politique qui existe aujourd’hui dans notre Organisation se manifeste également comme collision de points de vue théoriques et finalement comme collision de deux méthodologies différentes (…).

    La rupture avec le révisionnisme – et avec le révisionnisme le plus fort en Europe – a pris des caractéristiques de radicalité révolutionnaire et d’enracinement dans la société, qui sont inconnues dans les autres pays : l’Italie a fait l’expérience d’une lutte de classe aiguisée, qui ont modifié de manière profonde certains traits de notre société et ont mis dans les mains du prolétariat une accumulation d’un énorme patrimoine d’expériences, au sujet desquelles il en va de réfléchir et dont il est possible de tirer des leçons utiles (…).

    Nous rejetons la position qui considère qu’il est possible de séparer notre histoire de l’histoire générale du mouvement communiste international, en raison d’une prétendue « originalité » (…).

    S’il est juste que la lutte armée modifie le rapport de forces entre les classes, elle ne réalise cela que dans le sens communiste, parce qu’elle contribue à élever la conscience et l’organisation révolutionnaire.

    Autrement considéré, le problème n’aurait que deux autres solutions et les deux ne sont pas marxistes :

    1. la lutte armée modifie le rapport de force, parce qu’il améliore les conditions de vie des masses : « interprétation réformiste » ;

    2. la lutte armée modifie le rapport de force, parce qu’il renforce le pouvoir des masses : cette interprétation, dans un pays comme l’Italie, où avant la conquête du pouvoir politique le vrai seul pouvoir aux mains des masses consiste en leur conscience et leur organisation révolutionnaire, sous-tend de manière inévitable à la pensée d’un « pouvoir croissant, un contre-pouvoir », un « système de pouvoir », qui n’a ici aucune base concrète à part dans le paradis hospitalier des idéologies dont nous cherchons – péniblement – à nous sortir (…).

    Si l’on se base là-dessus, alors on doit reconnaître, que ces enseignements [de Lénine], appliqués à la réalité italienne de notre époque, une réalité donc qui a évolué par rapport à la Russie de 1917, amènent à ce que la forme que prend la guerre révolutionnaire dans notre pays est tendanciellement celle d’une insurrection.

    Une insurrection il est vrai, qui est celui correspondant à la présente situation, qui se confronte à un Etat qui est autrement et d’une manière supérieure politiquement et militairement que l’État tsariste d’avant 1917, mais c’est toujours une insurrection.

    Et si la polémique entre les représentants de l’insurrection et ceux de la guerre prolongée dérange, alors il faut expliquer que derrière les mots se cache entièrement l’art et la manière avec lesquels est conçu l’activité politique du Parti Communiste Combattant à fonder.

    Bref, cela cache deux manière antagoniques d’interpréter le rapport marxiste entre théorie et pratique (…).

    Que l’on apprécie ou non, la théorie de la guerre prolongée, de la stratégie de la lutte armée, etc., n’est pas une application marxiste-léniniste à la réalité italienne, mais précisément le contraire : c’est la conséquence idéologique d’une pratique considérée comme juste tel un présupposé.

    C’est le triomphe de l’éclectisme sur tout effort visant à aborder le problème de la révolution prolétarienne dans notre pays de manière sérieuse (…).

    En ce sens, la signification historique de l’expérience des Brigades Rouges est d’avoir montré que la question de la lutte armée est une partie du problème de la politique révolutionnaire d’un parti marxiste moderne.

    Que la lutte armée est la méthode de lutte fondamentale et décisive d parti révolutionnaire, qu’elle est également dans une situation non révolutionnaire un excellent moyen pour élever la conscience et l’organisation révolutionnaire des masses exploitées.

    En ce sens et en ce sens seulement, on peut dire que notre expérience est une critique militante aux manques de la théorie de l’insurrection de l’Internationale Communiste : l’Internationale Communiste concevait le soulèvement comme le couronnement militant d’une longue phase d’activités politiques légales qui s’appuyait sur l’action parlementaire ; et du moment où le centre de gravité de l’activité politique s’est déplacée au parlement, le problème du soulèvement a été pratiquement perdu des yeux.

    Autrement dit, les frontières qui séparent la phase politique de la confrontation sociale de la phase militaire, la frontière qui sépare la situation révolutionnaire de la situation non-révolutionnaire, a été considérée comme une séparation, alors que pour la dialectique une frontière n’existe qu’en ce qu’elle met en relation les deux réalités, qui laisse couler l’une dans l’autre et qui forme dans des situations historiques particulières une unité des contraires (…).

    Cependant, le prix payé en tribut au révisionnisme, en ce qui concerne la solidarité théorique avec ce choix [ la lutte armée avec comme objectif la construction parti révolutionnaire moderne], a été haut.

    Dans la tentative de se différencier des pratiques bureaucratiques ou conciliatrices du parti communiste révisionniste, de ce représentant officiel de « l’orthodoxie », beaucoup des arguments théoriques de notre Organisation se sont développés en-dehors du marxisme-léninisme ; même la référence au socialisme scientifique était ambiguë, discontinue, indécise ; les dérapages théoriques étaient la conséquence inévitable de ces contradictions.

    Il s’agit sans conteste de problèmes qu’ont en commun toutes les avant-gardes qui se sont formés dans les pays européens au cours des années 1970 (…).

    La lutte contre l’éclectisme théorique, dont les implications s’étendent sur toute la durée de l’activité révolutionnaire [des Brigades Rouges] est la condition fondamentale pour pouvoir fonder le Parti Communiste Combattant (…).

    La crise économique actuelle est une crise générale du mode de production capitaliste, qui accélère le développement des contradictions dans le monde entier et pressent les puissances impérialistes à l’intensification de la course à l’armement et aux préparatifs de guerre.

    Ainsi se rapproche indubitablement le temps où se mettent violemment en branle les mouvements sociaux et qui est définie comme la grande occasion pour la révolution dans chaque pays.

    Eu égard à cette situation, qui est difficile et compliquée, comme également plein de développement positif potentiel, le mouvement révolutionnaire et progressiste du monde marche séparément et sans aucune direction.

    En particulier, le rôle des véritables communistes, des marxistes-léninistes cohérents, apparaît parfois comme faible et secondaire, et parfois il n’y a même pas une trace d’eux et la lutte des classes et du peuple repose principalement dans les mains des partis révisionnistes, nationalistes et même réactionnaires (…).

    L’interruption du développement en URSS et sa transformation de pays socialiste en pays capitaliste amènent encore aujourd’hui de grands problèmes pour tout révolutionnaire conséquent, en ce qui concerne la compréhension théorique, tout comme de nombreuses difficultés sur le plan pratique (…).

    Ce qui doit être avant tout clair, c’est que l’URSS est une puissance impérialiste. Une puissance impérialiste qui a il est vrai encore des traits de l’époque socialiste en soi, et qui justifie ses actions par une phraséologie marxiste, mais reste pourtant une puissance impérialiste (…).

    La bataille révolutionnaire contre l’impérialisme soviétique et contre les « voies pacifiques nationales au socialisme » des Tito, Togliatti, Thorez, etc. a commencé de manière ouverte et cohérente par Mao Zedong dans les années 1960.

    Au cours de cette bataille, Mao Zedong a fourni une première interprétation valable sur les événements en URSS et est entre autre parvenu à la définition de la théorie de la continuation de la révolution dans le cadre de la dictature du prolétariat, et à une analyse profonde et scientifique du rôle de la contradiction dans la période séparant le capitalisme du communisme.

    La vision des problèmes du socialisme, en plus d’être un critère irremplaçable pour la formation d’un jugement dans l’évaluation de l’expérience soviétique, a été mis en pratique et vérifiée par Mao Zedong et les éléments révolutionnaires à l’intérieur du Parti Communiste de Chine durant la grande révolution culturelle (…).

    Ce qui est clair dans notre esprit et doit être explicite, est que la contribution effectuée par Mao Zedong quant à la question révolutionnaire et la guerre populaire prolongée dans les pays opprimés par l’impérialisme, celle des écrits sur le matérialisme dialectique et celui déjà cité sur la continuation de la lutte des classes dans le socialisme, restent un approfondissement fondamental du marxisme-léninisme et sont à ce titre à défendre et à utiliser dans la continuation du développement critique pour le mouvement communiste international (…).

    De notre point de vue, il doit être expliqué que sont en dehors de ce processus [révolutionnaire], de manière catégorique et sans appel, tous les groupements « marxistes-léninistes » dont le dogmatisme est le meilleur alibi pour ne rien faire.

    Tout comme une bataille politique intense doit être menée contre les forces – comme Action Directe et la RAF, etc. – qui, bien qu’elles combattent leur propre bourgeoisie de manière armée, ne reconnaissent pas la direction du marxisme-léninisme pour leur propre activité (…).

    Etant donné qu’il est fixé que la révolution ne peut qu’être violente, il s’en conclut que la situation révolutionnaire tend à définir la guerre civile.

    La guerre civile peut se caractériser comme guerre révolutionnaire, lorsque les idées ou thèses révolutionnaires existent et sont prises par les masses opprimées.

    Par guerre révolutionnaire, nous entendons la situation sociale où l’élément militaire prédomine sur les autres dans la confrontation de classe ; naturellement, les événements restent également, dans la situation de la guerre révolutionnaire, défini par la situation existante entre la bourgeoisie et le prolétariat : notre société est divisée en classes, donc chaque phénomène a un caractère de classe précis.

    Nous rejetons catégoriquement toute autre interprétation du concept de guerre révolutionnaire : la guerre révolutionnaire, pour être elle-même, doit se baser sur les masses, doit comprendre les masses sur le terrain de l’affrontement militaire (…).

    Le but direct du parti marxiste révolutionnaire qui repose sur la théorie du socialisme scientifique est la conquête du pouvoir politique et la destruction violente de l’État bourgeois par les masses prolétariennes.

    C’est pourquoi le but direct du parti marxiste révolutionnaire est concrètement l’insurrection armée des masses prolétariennes contre l’État bourgeois.

    Les masses prolétariennes ne sont pas en mesure d’en arriver par leur mouvement spontané à la conscience du caractère inconciliable de l’antagonisme entre leurs intérêts et ceux de l’Établissement social et politique d’aujourd’hui : cette conscience ne peut provenir que de l’extérieur et seul le parti marxiste révolutionnaire peut remplir ce rôle.

    Il doit être expliqué qu’à l’intérieur de la société capitaliste, il n’existe pas de réel pouvoir du prolétariat, et que le seul véritable pouvoir dont dispose le prolétariat, c’est sa conscience révolutionnaire (…).

    L’expérience pratique de ces quinze dernières années dans notre pays nous enseigne que la méthode décisive de la lutte politique communiste du Parti du prolétariat est la lutte armée (…). Le Parti Communiste qui fait utilisation des armes ne peut être que combattant et par conséquent un parti clandestin.

    Chaque militant doit, comme cadre du Parti Communiste Combattant, être prêt à la lutte et vérifié dans le cadre des besoins du Parti sur ce terrain (…).

    L’initiative du combat (dans une situation non-révolutionnaire) n’est pas une « action de guerre », mais une action fondamentalement politique qui, dans la mesure où elle s’exprime par l’utilisation des armes, amène naturellement des conséquences particulières, que le Parti doit prendre en compte avec le plus grand sens des responsabilités, mais également avec une détermination absolue.

    Bien que soit considéré le concept de « stratégie » dans d’une « perspective générale que le Parti a du processus révolutionnaire et de comment la conquête du pouvoir politique est à obtenir », la lutte armée n’est pas une stratégie : c’est une méthode de lutte décisive de la politique révolutionnaire du parti marxiste, également dans la situation non-révolutionnaire (…).

    Les camarades de la « première » position disent essentiellement : le soulèvement armé ne se pose pas, pour trois raisons : entre autres, parce que le système démocratique bourgeois est en mesure d’absorber les initiatives antagonistes de la lutte de classe, des « institutionnaliser ».

    Ensuite, parce qu’il y a la contre-révolution préventive. Troisièmement, parce qu’il y a une énorme dépendance mutuelle entre les bourgeoisie des différents pays, dont les forces militaires sont prêtes à se coaliser contre d’éventuelles poussées révolutionnaires.

    C’est pourquoi, continuent les camarades, il est « possible et nécessaire » de commencer le processus de la guerre prolongée et d’ainsi engager la phase révolutionnaire et, par l’activité politico-militaire des avant-gardes, de viser à ce que soit atteint l’étape du « développement de la guerre de classe » dans une dynamique marquée par des « sauts et ruptures » continus (…).

    Si, cependant, la « contre-révolution préventive » (qui n’est rien d’autre que l’expression concrète de la conscience relative, que la bourgeoisie et sa force politique organisée, l’État, ont de la lutte des classes et de ses possibles développements) est conçue comme « constante structurelle fixe » de l’action de l’État, et même comme capacité de destruction « la légitimité même de la révolution prolétarienne », et si l »action communiste en soi ouvre la « phase révolutionnaire » et commence une « guerre », qui même s’il se veut particulier a en tout cas la « particularité » de n’exister que dans la volonté subjective des combattants, alors il faut reconnaître que les camarades de la « première » position interprètent le matérialisme d’une manière – comment dire – légère, et se présentent la lutte de classe comme lutte entre des sujets entièrement conscients et l’activité communiste comme étant en mesure de « décider » comme elle l’entend du déroulement de la révolution.

    Un peu comme dans les « war games » !

    Bref, la vision que nous propose la « première » position sur le processus révolutionnaire est volontariste dans ses motivations, aventurière dans ses conclusions politiques et idéaliste-subjectiviste sur le plan théorique.

    C’est justement la critique du subjectivisme qui est le socle pour la vision d’ensemble que la « seconde position » propose quant à notre révolution (…).

    En fin de compte, la signification sur le plan du contenu de la polémique « guerre prolongée – insurrection armée » est celle d’un choc entre idéalisme et matérialisme (…).

    Il ne devrait pas être difficile de remarquer qu’entre les deux positions il y a constamment une polémique quant à la question absolument importante : la fonction des avant-gardes communistes aujourd’hui est-elle « d’éduquer » les masses, d’élever leur conscience et leur organisation, ou bien est-elle autre ?

    Les camarades de la « première » position se débarrassent de la question dans la mesure où ils prétendent que « il n’en va pas du problème de la transmission de la conscience des communistes aux masses dans leur ensemble, mais de la nécessité et la possibilité de l’existence d’une politique révolutionnaire en soi ».

    Et pendant qu’ils présentent leurs réflexions, ils résument souvent nos positions comme ridicules, les définissant comme « dépassées », « dogmatiques », « étrangères aux expériences des Brigades Rouges », etc. (…).

    Nous avons déjà eu l’occasion de constater qu’avec cette manière de considérer les choses [propres à la première position], les communistes ne guident pas la révolution, mais la font, ou mieux : les communistes sont la révolution (…).

    Selon nous, et nous prenons le risque d’apparaître impopulaires, l’un des grands mérites des Brigades Rouges est précisément de s’être « coupées » des masses, de s’être élevé plus haut que le niveau de conscience et d’organisation des masses, en tant que force marxiste révolutionnaire.

    Ce n’est qu’en se « coupant » des masses que les Brigades Rouges ont pu apparaître en 1970 et ce n’est qu’en restant coupées des masses qu’elles ont pu imposer la lutte armée dans notre pays, qu’elles ont pu prendre Aldo Moro en otage et le juger, qu’elles ont pu concrètement conquérir la grosseur d’un Parti révolutionnaire (…).

    [Les partisans de la première position disent:] « Le système démocratique bourgeois (…) a posé et pose de nouveaux problèmes en rapport avec la signification accrue que l’élément subjectif prend dans la dialectique / l’objectivité. »

    C’est là « l’utilisation » la plus claire, la plus démasquée et finale qu’il est possible d’avoir du subjectivisme (…).

    Ainsi apparaissent deux visions totalement différentes de l’histoire : la « première » position considère la lutte armée comme stratégie, la « seconde » position définit la lutte armée comme méthode décisive de la lutte politique du Parti Communiste (…).

    Après la campagne du début de l’année 1978, les Brigades Rouges ont été ainsi obligées de réaliser ce saut qualitatif : passer du niveau de l’Organisation de la propagande armée à celui de Parti révolutionnaire qui fait de la politique par la lutte armée.

    Il est connu que l’orientation prise par l’Organisation alors a été totalement autre : comme elle pensait se situer dans la phase de transition de la propagande armée à la guerre civile se développant, elle a vu dans la mise en participation progressive des masses dans le choc militaire les conditions pour parvenir à la prochaine phase.

    En raison de cette considération s’est développée un débat intéressant et compliqué, qui s’est conclu par la formulation en septembre 1980 d’une ligne politique particulièrement « compacte », dont l’expression la plus complète est aujourd’hui encore dans le livre « L’abeille et le communiste » (…).

    Ce que nous voulons souligner, c’est qu’alors que les Brigades Rouges croyaient en 1980 que le moment était venu d’organiser les masses sur le terrain de la lutte « en partant de leurs besoins », elles se sont tournées vers le principe directeur de la « stratégie » de la lutte armée : étendre autant que possible le choc militaire jusqu’à l’écrasement et la destruction de l’État bourgeois, ériger par étapes un pouvoir alternatif jusqu’au rassemblement des forces nécessaires pour tout écraser.

    C’est exactement de cette décision que les Brigades Rouges ont perdu toujours plus leur caractérisation politique et ont oscillé de manière permanente entre spontanéisme et militarisme (…).

    Et si quelqu’un grimace encore devant le mot « méthode de lutte », il ne fait que donner la meilleure preuve pour sa pauvreté politique et avant tout la substance subjective qu’il trimballe.

    Il n’y a pas de « manière » d’« être » communiste, il n’y a pas à « montrer » le problème, comment on est vraiment révolutionnaire.

    Il y a un Parti Communiste qui utilise des méthodes, des moyens, des formes de lutte et de travail définis, afin de mener sa politique révolutionnaire (…).

    Pour quoi engageons-nous nos énergies ? Cela est rapidement dit avec trois mots d’ordre :

    Réévaluer l’expérience des Brigades Rouges !
    Continuer de manière décidée à mener la lutte armée !
    Fonder le Parti Communiste Combattant !

    Les militants de la « seconde » position
    Novembre 1984

    >Sommaire du dossier

  • Histoire de la lutte révolutionnaire en Italie (1960-2008)

    [Publié la première fois en février 2013 sur le site du Centre MLM de Belgique. Le document a comme particularité de réfuter l’importance de la division entre ceux qui ont été appelées première et seconde positions.]

    1. Préambule des auteurs

    Ce travail voudrait être une contribution à la mémoire, notamment à l’intention des camarades et des prolétaires des autres pays, avec qui depuis des années nous nous sommes attelés dans un processus commun pour construire un Secours Rouge International.

    C’est dans les échanges intenses et vivants qui se sont noués, à travers l’Europe, Turquie comprise, dans ce projet et dans cette communauté de lutte et de solidarité, qu’est née l’idée d’une telle contribution, en constatant la demande de connaissance de la part surtout des jeunes camarades. Beaucoup de textes ont été publiés, mais furent en grande partie élaborés dans l’intention de démolir, au mieux « historiciser », c’est-à-dire embaumer, transformer une réalité vivante en icône (comme disait Marx, avec auto-ironie prémonitoire, la meilleure manière d’assassiner quelqu’un, sa pensée).

    Entre les repentis/dissociés et les journalistes professionnels de l’assassinat de la vérité, la production d’ordure est à la hauteur de l’enjeu: ensevelir la tendance à la révolution prolétarienne.

    Donc peu des textes sérieux existent. Nous essayons ici, modestement, de donner une reconstruction qui donne compte à la fois des faits et des développements politico-idéologiques qui les ont produits, le tout s’entremêlant aux poussées fondamentales (et en dernière instance, déterminantes) sociales, de classe, vers la Liberté. C’est aussi, inévitablement, un point de vue. Celui de militant(e)s ayant traversé ces années-là et qui ont, forcément, des connaissances limitées ; en bonne partie en puisant au patrimoine de bilan que le mouvement révolutionnaire a, quand même, élaboré.  Nous sommes conscients de cela et nous laissons ouvert ce travail aux corrections et compléments, en excusant-nous pour les inévitables erreurs et lacunes.

    C’est aussi un point vue, partisan, celui de militant(e)s qui continuent à travailler pour que vive la Révolution.

    2. Les années ’60 : émergence d’une nouvelle classe ouvrière

    En Italie 1968 a plutôt été…1969. Parce que, même si 1968 a vu l’éclosion du mouvement étudiant et que dans les années ’60 il y eut plusieurs luttes ouvrières de nouveau type, c’est-à-dire d’un nouveau cycle, c’est surtout en ’69 que l’on vit un véritable embrasement généralisé, une explosion sociale simultanée.

    Le printemps ’69 est marqué par un formidable cycle de grèves sauvages, qui vont faire tache d’huile dans toutes les usines FIAT (pour une bonne moitié concentrées dans l’aire métropolitaine de Turin ; autour de 120.000 salarié(e)s). Grèves qui sont plutôt une sorte de révolte violente contre la brutalité de la condition ouvrière, de l’ « Ouvrier Masse ». Ces luttes ouvrières constituaient un nouveau cycle, dans le sens qu’elles venaient après la défaite de classe, longuement subie dans les années ’50.(1)Par rapport à la décennie précédente, ces luttes signifiaient aussi l’émergence d’une nouvelle composition de classe. Composition façonnée par la phase de développement capitaliste tumultueux, centré autour du nouveau consumérisme de masse, sur les productions correspondantes à grande échelle (biens de consommation durables : électroménagers et voitures). A savoir, la massification du modèle tayloriste-fordiste — en fait : l’esclavage à la chaîne !(2)

    Pendant toutes les années ’50 et ’60 ce processus s’était doublé d’un énorme mouvement d’urbanisation autour des quatre pôles industriels du Nord : Turin, Milan, Gênes, Venise-Marghera. Des millions d’Italien(ne)s du Sud (et autres régions pauvres) furent déraciné(e)s et brutalement empilé(e)s dans les ghettos métropolitains. Ce fut un mouvement de même ampleur et avec les mêmes implications socio-culturelles que les actuelles immigrations du Sud du globe.

    Et cela ne fit que renforcer la charge explosive des grèves à venir. Tout autant que le phénomène de la scolarisation de masse, qui mettra en mouvement les masses des jeunes immigré(e)s et non seulement les étudiant(e)s classiques.

    Cela a été un phénomène de grande portée. Cela n’a pas été peu de chose que ce passage, d’un coup, pour une grande partie de la population prolétarienne, de l’âge de scolarisation au degré supérieur (cinq années de plus, jusqu’à 19 ans). Cela signifiait un bouleversement social et culturel. Cela signifiait une ouverture d’espaces sociaux et de possibilités de vie, jusqu’alors bien plus maigres (commencer à travailler à treize/quatorze ans c’est bien autre chose, un véritable vol de jeunesse).

    Ainsi, les établissement d’ »éducation secondaire » (lycées et instituts technico-professionnels) furent investis par une vague de vitalité et rébellion ; ils devinrent des centres de fermentation, de lutte et de « contre-culture », tandis que ces inscriptions de masse déterminèrent aussi un certain dépassement du caractère élitiste de l’Université et son mélange aux nouveaux mouvements de classe. Cela facilita la symtomie avec le grand mouvement rebelle de la jeunesse en Chine – les fameux Gardes Rouges – avec la vague révolutionnaire de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, où la critique et la transformation du rapport école/travail et travail manuel/travail intellectuel étaient également centrales.

    Rappelons justement qu’un berceau fondamental de la lutte armée a été l’université de Trente, avec sa faculté de sociologie fraîchement ouverte, donc fer de lance des nouvelles disciplines et de l’ouverture au monde d’un côté, et de l’autre également faculté bien plus populaire que les autres, les inscrits arrivant des rangs de cette nouvelle scolarisation de masse.

    Ce fut un haut lieu d’initiative et de débat, duquel émergèrent plusieurs futur(e)s dirigeant(e)s d’Organisations et notamment le noyau qui, avec les premier(e)s militant(e)s ouvrier(e)s de Milan et de l’Emilie, formèrent les Brigades Rouges en ’70. De même, dès le début des années ’60, les nouveaux militants qui se dégageaient du Parti Communiste Italien révisionniste, firent aussi leurs expériences en privilégiant une approche « sociologique » de la nouvelle classe ouvrière, en cherchant à comprendre la nouvelle composition de classe, les tendances susceptibles de redonner vigueur aux parcours de classe.

    Ce fut la riche expérience et la production théorico-pratique des quelques revues comme les Quaderni Rossi, La Classe, Quaderni Piacentini. Ce creuset, avec un courant plus classique du marxisme-léninisme (conduisant la bataille contre le révisionnisme moderne du PCI), générera les expériences politico-organsationnelles de ’68 et ’69.

    Revenons au déroulement de évènements. Dès juillet’60 avait commencé à monter l’expression d’une classe ouvrière, jeune, issue de l’émigration, moins marquée par les défaites d’après-guerre, détachée par rapport à l’ancienne culture ouvrière du travail et porteuse d’un esprit de révolte contre la bestialité des chaînes de montage et le despotisme d’usine (et social, des flics), porteuse d’une attitude agressive par rapport à l’appropriation du produit social. Le taylorisme-fordisme avait produit un très bon résultat de classe : il avait poussé à fond la transformation du travail comme « travail abstrait », rendu cruelle et évidente la réalité du travail aliéné, dégradé.

    Il avait produit un prolétariat extrêmement dense et homogène qui, dans son quotidien, ressentait toute la violence d’un système qui le déshumanise, le transforme en un appendice des machines, le rend marchandise. La réponse ouvrière n’en sera que plus violente, ce sera une montée en puissance de refus et d’hostilité à ce système, jusqu’à favoriser son issue la plus logique : la Lutte Armée pour faire la Révolution, pour prendre le pouvoir.

    Pendant les années ’60 l’éclatement ponctuel d’une grande grève où d’émeutes de rue permettront aussi la jonction avec la base ouvrière du cycle précédent – justement au premier épisode de juillet ’60, avec des affrontements particulièrement forts, et victorieux, avec la flicaille (qui avait tué de nombreux grévistes et militants en ces années là) à Gènes et dans les autres villes ouvrières ensuite, et qui firent tomber la tentative de mettre au gouvernement les héritiers de Mussolini.

    C’est-à-dire qu’en ces occasions là se rencontraient la nouvelle détermination et l’expérience précédente. Rencontre qui, bien sur, fut boycottée de toutes ses forces par l’appareil révisionniste qui commença à cette époque le jeu de la criminalisation des jeunes extrémistes.

    Une œuvre proprement révisionniste, (à savoir la dévitalisation de la lutte de classe, l’éviction de son instance de pouvoir, révolutionnaire), se déployait systématiquement au sein des luttes par la répression de la violence de classe, des tendances émergentes à l’affrontement. Le révisionnisme commence sa marche dans les institutions bourgeoises, en adoptant les catégories et les schémas de la pensée bourgeoise, parmi lesquels le « perbenisme » et le rejet de la révolte violente.

    Il y aura ensuite, notamment, les émeutes de Turin, place Statuto, en ’62 – trois jours d’affrontement suivis à l’assaut ouvrier du siége du syndicat collabo U.I.L. (équivalent de F.O. en France, pareillement fondé avec l’argent du Plan Marshall), à cause d’une trahison grave. Et les grèves violentes de ’67 et ’68, à chaque fois dans un pôle industriel comme le bassin textile de Valdagno où le secteur pétrochimique de Porto Marghera (tous les deux en Vénétie).

    Là aussi la lutte unifiait de nombreuses usines du pôle, en débordant sur le territoire par des blocus et manifs dans les rues, enfin par les affrontements avec la police. Ainsi, en ’68/’69, l’emploi du « squadrismo » fut immédiat, et une partie en fut utilisé aussi comme main-d’œuvre pour les bombes de la stratégie de la tension. Combien celles-là furent inspirées par les patrons U.S., ce fut évident déjà avec la première, celle de Pza Fontana, à Milan.

    Parce que une des tactiques héroïques, théorisée dans leurs doctrines, est celle de ne pas revendiquer de tels attentats et, d’en rejeter carrément la responsabilité sur l’adversaire. Pendant quelques années la « piste anarchiste » et du « mouvement » furent martelées. Quelques camarades reçurent plusieurs années de prison, subirent des violences et l’un d’eux, le cheminot Pinelli, fut tué au commissariat. La grande campagne de contre-information et de mobilisation « contre le massacre d’Etat » se donna beaucoup de mal pour renverser cette monstrueuse machination.

    Plus encore, les terroristes impérialistes théorisèrent et pratiquèrent l’infiltration dans les groupes et mouvances révolutionnaires, susceptibles de manipulation ; même jusqu’à organiser, de leur propre initiative, un groupe armé, en impliquant des éléments marginaux, exaltés et en les poussant à l’action. Action confuse politiquement, évidement, et ainsi utilisable pour torpiller le climat.

    Cela et bien d’autres choses encore, entrent dans cette théorie de la « guerre civile de basse intensité » qui fut systématique déployée en Amérique Latine dans les années ’60 (sous impulsion de la grande et « éclairée » administration Kennedy). La liste des crimes perpétrés de par le monde, sous cette direction stratégique, est énorme. Les méthodes appliquées en Italie en sont une copie ! Réactivation des milices fascistes, terrorisme aveugle, infiltration-manipulation, collaboration avec les organisations maffieuses. Le tout promu et dirigé par la centrale clandestine susmentionné (la loge P2) et par d’autres structures de l’appareil d’Etat.

    Selon des données officielles, entre 1969/74 on a dénombré environ 70 personnes tués par ces activités : plus de 40 par les bombes de la « stratégie de la tension », une dizaine par des agressions fascistes, et une autre dizaine par les « forces de l’ordre » au cours des manifs et dans les commissariats. Face à cela, il y a eu quatre morts de la part des forces révolutionnaires : un flic dans les affrontements au cours d’une manif ouvrière à Milan ; le fameux commissaire Calabresi, en tant que représailles à l’assassinat du cheminot Pinelli dans son commissariat à Milan ; deux fascistes durant une irruption des BR dans le siège fasciste central à Padoue.

    Déjà la donnée quantitative est « surprenante ». Mais c’est aussi important de souligner la donnée qualitative : à l’évidence, le vrai terrorisme est celui d’état contre les masses en lutte. Et, en fait, la contre-révolution ne revendique jamais (elle fait de la désinformation, utilise n’importe quel sigle de commodité) ; pire encore, essaye d’adosser ses propres crimes au mouvement révolutionnaire. Fait vrai qu’on peut constater sous toutes les latitudes (de l’Amérique latine à la Turquie, à l’Indonésie). La lâcheté et l’abjection de la violence réactionnaire est le produit logique de la « moralité » du système !

    L’élément nouveau, la nouvelle expression de classe qui s’exprime à ce moment, éclatera de manière massive, généralisée au printemps’69 chez FIAT. Outre la radicalité des grèves sauvages, les premiers débordements violents (sabotage des lignes de montage, attaque aux chefs-flics ), s’affirment de nouvelles formes d’organisation, spontanées et plus proches des collectifs de travail : en fait une organisation de masse sur les lignes, par équipes ou secteurs qui exprimaient, à la limite, le délégué en tant qu’avant-garde de lutte reconnue et interne à l’équipe (en faisant sauter la légitimité de l’ancienne représentativité syndicale, minime et très détachée de la production), jusqu’à la formation de l’Assemblée Autonome Ouvrier(e)s/Etudiant(e)s.

    C’est la descente des étudiant(e)s aux portes des usines, organisée par les groupes politiques extraparlementaires, qui donne lieu à cette Assemblée où, à la sortie du travail, se mélangent ouvrier(e)s et militants extérieurs pour suivre et développer les grèves sauvages quotidiennes.

    Ces Assemblées Autonomes seront une expérience très importante, une forme d’organisation réelle de la lutte de masse, et un lieu de débat et formation pour toute une nouvelle levée des militants. Ca sera ici que se formeront vraiment les groupes plus importants, Lotta Continua et Potere Operaio, comme résultat du travail innovateur des cercles militants/intellectuels des années ’60 (fait notamment aux portes des usines dans le style Enquête) et de cette capacité à comprendre et de se rapporter aux nouvelles expressions ouvrières. C’est d’ailleurs à la fin de’69 que naissent leurs journaux respectifs.

    Les luttes s’étendront jusqu’à juillet, culminant dans une nouvelle grande émeute à Turin, sur la question du logement : la bataille de Corso Traiano, le 3 juillet ’69. Une manifestation convoquée à la sortie de FIAT Mirafiori, rejointe par des milliers des prolétaires de l’usine et des quartiers, se transforme en bataille rangée contre les flics, pendant la journée et la nuit, s’étendant dans plusieurs quartiers de la banlieue, et voyant les prémisses de l’intervention organisée des groupes militants finalisée au développement de la violence révolutionnaire.

    L’automne verra un nouveau saut dans la généralisation au plan national, dans les usines surtout mais aussi chez les ouvrier(e)s agricoles et quelques autres secteurs. C’est le renouvellement de la convention nationale des métallurgistes qui allume le brasier. L’Etat est en sérieuse difficulté et la réponse répressive n’est pas à la hauteur : il y aura des tués (quatre ouvriers agricoles à Battipaglia et Avola, dans le Sud ainsi qu’un flic au cours d’une manifestation ouvrière à Milan).

    Mais les vraies mesures, pour reprendre en main la situation, seront autres, comme l’intervention des appareils réformistes-révisionnistes au sein de la classe, notamment par le mot d’ordre de constitution des nouveaux délégué(e)s et des nouveaux Conseils d’usine.

    Tout en considérant que les structures existantes étaient complètement dépassées et inadaptées à cette explosion prolétarienne, et qu’en tout cas il fallait bien faire mine de changer quelque chose, les nouvelles structures étaient bien plus consistantes (on passe de quelques rares délégué(e)s pour des centaines de salarié(e)s, à un(e) délégué(e) par chaque équipe d’ouvrier(e)s, donc pour quelques dizaines de personnes) et adaptées à la nouvelle réalité des masses énormes d’ouvrier(e)s fraîchement urbanisé(e)s et radicalisé(e)s.

    Pour un bon moment ces nouvelles structures seront réappropriées par la force débordante de l’Autonomie de Classe, les appareils révisionnistes étant obligés de donner du lest pour jouer la récupération dans une phase plus calme. Mais on voit dès le départ leur sens véritable, vu que ces Conseils sont, quand même, installés en concurrence et contre les Assemblées Autonomes.

     D’un autre côté, c’est l’émergence soudaine du terrorisme d’Etat, avec le massacre du 12 decembre’69 (16 morts dans une banque par une bombe aveugle). C’est l’acte d’éclat de toute une stratégie, bien précise et dessinée à l’ombre des cercles occultes du pouvoir (et sous influence des cercles impérialistes internationaux), et qui constituera une vraie déclaration de guerre de classe.

    Contrairement à beaucoup de préjugés, c’est rarement le prolétariat qui commence les hostilités, son parcours de lutte, même radicale, au processus révolutionnaire n’étant ni simple ni rapide. La domination bourgeoise, par contre, est désormais constituée en forme de contre-révolution préventive, elle connaît et elle craint au plus haut point les développements de la lutte de classe.

    Ces sauts importants dans la dynamique de luttes obligeront le mouvement de classe à « grandir vite ». C’est là que le débat autour des perspectives, et notamment la question de l’issue politique et celle de la violence révolutionnaire, se dessine, qu’il prend une autre ampleur.

    Et c’est aussi tout le poids du contexte international qui voit se développer, dans toute sa puissance, la vague des luttes de libération nationale-anticoloniale, le prestige immense de la guerre populaire au Vietnam et de la Révolution en Chine. Qui alimentent aussi la nouvelle vague des guérillas latino-américaines, source de grande inspiration pour nous en étant un peu à mi-chemin entre les guerres populaires et la réalité des métropoles impérialistes.

    Il faut dire clairement que le contexte international, à juste titre, a pesé plus que d’autres facteurs d’influence, et cela parce que la dynamique de la Révolution prolétarienne est internationale, se détermine localement mais par rapport aux grandes données de la phase capitaliste internationale et des rapports globaux de force entre les classes.

    Il faut bien préciser cela, ici aussi contre des idées erronées qui ont été véhiculées, comme le présupposé très italien d’une situation démocratique particulièrement dégradée et sous menace de dérive fascisante, ce qui aurait légitimé et caractérisé ensuite la prise des armes par le mouvement révolutionnaire. C’est faux, et cela relève d’une interprétation à usage des différents courants de la « dissociation », pour amoindrir, réduire la portée idéologico-politique de ce choix, son caractère de stratégie, sa finalité de Révolution de classe !

    C’est-à-dire qu’il n’y avait pas tellement de crainte d’un coup d’Etat fasciste, mais plutôt la maturation de l’idée de « contre-révolution préventive » comme forme désormais stable et vraie armature interne des soi-disant démocraties impérialistes.

    Tout mouvement de classe où de libération aurait buté inévitablement contre cette armature profonde de l’Etat, au-delà d’un certain seuil de lutte et de revendication. Là se poserait inévitablement la question : soit reculer, renoncer à ses aspirations en les consignant aux gestionnaires réformistes, soit accepter la guerre de classe.

    On peut par contre considérer la réelle persistance d’un héritage politique et idéologique de la Résistance anti-fasciste, par la grande force qu’elle eut en Italie jusqu’à avoir touché la possibilité de sa transformation en prise de pouvoir révolutionnaire. La crise révolutionnaire dura jusqu’en ’48, lorsque Togliatti décréta rudement l’abandon de cette voie, au bord de la crise gravissime qui suivit justement l’attentat qu’il venait de subir.

    De son lit d’hôpital, il ordonna aux milliers d’insurgé(e)s qui avaient pris les armes à la main, et contrôlaient d’importantes villes ouvrières (et qui commençaient à attaquer armée et police), de s’arrêter. « Rentrez à la maison » : voilà la grande trahison révisionniste, qui allait plonger les forces de classe, dont les Partisans, dans une crise profonde, en facilitant la restauration, la vague réactionnaire.

    De tout cela, justement, les traces étaient profondes et encore vivantes. Ce sera une racine « lointaine » qui contribuera au nouvel essor révolutionnaire, à sa légitimation sur le plan de la continuité historique, avec aussi une transmission des véritables armes.

    Les raisons de fond sont donc celles indiquées, internes à la nouvelle phase internationale, aux nouvelles formes de l’exploitation capitaliste et de la composition de classe.

    Ainsi, pour la précision, les deux premiers regroupements armés – le Groupe 22 Octobre, et les G.A.P. (Groupes d’Action Partisane) – furent un parfait mélange des nouvelles instances militantes et un rappel de l’héritage partisan. Mais ce ne furent que des météores lumineux, rapidement consumés. La détermination des nouveaux militants prolétariens qui s’y exprimait – ce furent surtout des attaques à l’explosif contre des capitalistes au centre des luttes et des financiers de fascistes, la constitution d’une radio pirate qui réussi quelques coups d’éclat, ainsi que l’apport du célèbre éditeur G. Feltrinelli qui tomba au combat et qui donna une grande contribution en publiant et faisant connaître quantité de textes internationaux, notamment ceux de l’Amérique du Sud – ne suffit pas, manquant une certaine épaisseur d’analyse et de projet.

    L’histoire vraie commence en novembre’70 : première attaque incendiaire contre un chef de Pirelli.

    Pour la première fois apparaît la signature : Brigades Rouges !

    3. Novembre ’70 : la formation des Brigades Rouges et leurs débuts

    Ces débuts furent la conclusion d’un processus idéologico-politique qui, depuis la rencontre entre le noyau d’étudiant(e)s de Trente et quelques avant-gardes de lutte ouvrières de Milan et de la région d’Emilie, avait pris forme dans le Collectif Politique Métropolitain à Milan. Lieu de rencontre et coordination interne aux luttes et, en même temps, organisme qui élevait le niveau du débat, commençant à tracer les lignes d’orientation qui amèneront au projet de lancement de la Lutte Armée. Il aura une revue : Sinistra Proletaria (Gauche Prolétarienne…), le temps de décanter la position politique et de faire les premières expériences.

    Le niveau théorique-idéologique exprimé est, dès le départ, élevé ; constitue une bonne synthèse de compréhension du cycle des luttes internes et du contexte international, du positionnement par rapport au révisionnisme moderne et aux avant-gardes réelles.

    Cette synthèse faisait émerger la nécessité de dépasser la stratégie sur « les deux temps » (accumulation des forces à travers les luttes de masse et l’électoralisme, ensuite échéance insurrectionnelle), qui était devenue en fait une des raisons du pourrissement révisionniste, mais qui gangrène aussi la nouvelle gauche extraparlementaire avec son incapacité à saisir les contradictions sur lesquelles justement les partis étaient devenus révisionnistes, avec son spontanéisme/suivisme des luttes de masse.

    L’idée formulée – et appliquée !- était qu’il fallait développer une stratégie basée sur l’unité du politico-militaire. Le processus révolutionnaire devait, dès le départ, contenir ses éléments constitutifs, préfigurer le chemin dans ses possibilités et nécessités, donc indiquer clairement, dans la pratique, comment on pouvait passer des simple luttes immédiates (pour radicales qu’elles soient) à des niveaux plus élevés, pour approcher la question cruciale : la lutte pour le pouvoir !

    Et démonstration était faite que l’on n’aurait jamais grandi en suivant les masses, en accompagnant leurs mouvements. Il fallait instaurer, construire une dialectique entre ces expressions, fondamentales, et la tendance révolutionnaire, ce qui voulait dire : idéologie, théorie, programme politique, mais aussi (et surtout) leur concrétisation dans des moyens et une stratégie de lutte posés subjectivement. Donc une Organisation, ayant comme objectif le Parti Communiste formé dans l’exercice de cette pratique, l’unité du politico-militaire, la lutte armée.

    C’est-à-dire que le projet se basait sur la synthèse des trois éléments essentiels :

    – une formulation de l’autonomie prolétarienne (ou de classe) comme apport et analyse concrète des grandes luttes de masse qui se déroulaient (et à l’intérieur desquelles les camarades se situaient en tant qu’avant-gardes reconnues), de leurs potentiel et leurs limites infranchissables ;

    – la décision donc subjective, en tant que collectif militant, de formuler une ligne politique, une stratégie pour la Révolution, ici dans les métropoles impérialistes, en se basant sur les acquis historiques du marxisme-léninisme et de la nouvelle vague internationale (Chine, Vietnam, Cuba et Amérique Latine). Selon les mots des camarades brésiliens, justement : «aujourd’hui l’alternative du pouvoir prolétarien doit se poser tout de suite en termes politico-militaires, étant donné que la lutte armée est la voie principale de la lutte de classe» ;

    – et une implantation théorico-idéologique adéquate au niveau exprimé des contradictions de classe, au niveau du rapport de force international qui, tous deux, faisaient rêver largement sur la maturité du passage au Communisme, comme donnée profondément vivante à l’intérieur des mouvements. En appliquant que «sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire», et en cherchant aussi les nouveaux apports : «la Révolution culturelle est aussi nécessaire que la Révolution politique».

    Pour tous/tes ceux/celles qui douteraient encore de l’épaisseur et complexité du projet (argument agité par tant d’opportunistes qui l’ont dénigré comme « pratique de l’exemplarité du geste »), qu’on lise ce passage : «Nous croyons que l’action armée est seulement le moment culminant de tout un vaste travail politique, par lequel s’organise l’avant-garde prolétarienne. Et le mouvement de résistance, de façon directe par rapport à ses besoins réels et immédiats. En d’autres termes, pour les BR l’action armée est le point le plus élevé d’un profond travail dans la classe : c’est sa perspective de pouvoir.»

    Ainsi les BR surent donner suite et issue aux expressions de l’autonomie de classe : l’incendie des voitures des chefs, des fascistes et autres collabos d’usine, et aussi des flics sur le territoire, étaient développés de manière organisée et politique. Ce n’était pas exercé sur le plan symbolique (pour autant qu’évidemment il y a aussi cette valeur), mais concrètement, politiquement, dans les passages de l’affrontement politico-social de classe. Encore plus avec le passage à quelques enlèvements (de courte durée) de dirigeants des grandes usines, au centre des luttes (Siemens et Fiat).

    Cette cohérence courageuse valut tout de suite le succès politique. Le premier noyau fragile, duquel on a parlé, fait tache d’huile : l’Organisation s’implante dans nombre de grandes usines et de quartiers de Turin, Milan, Gènes, Vénétie. C’est la réussite du « pari » : la classe comprend et répond, entre autres avec la disponibilité des cadres militant(e)s ouvrier(e)s parmi les meilleur(e)s (ce qui sera visible dès les premières arrestations).

    Elles n’étaient pas seules, avant tout parce qu’elles se greffaient sur des comportements et formes de lutte très répandues à l’époque, les ouvrier(e)s pratiquant la casse de lignes de montage pendant les cortèges internes, le sabotage, le guet-apens hors de l’usine aux petits-chefs ,etc. Surtout la pratique des cortèges internes était la véritable arme de masse, qui rythmait le déroulement d’une phase de lutte ; les BR greffaient, dialectisaient leur initiative par rapport à tout cela.

    Et puis parce que d’autres composantes militantes avaient commencé à se poser dans la même perspective et la même pratique. Seulement, d’importantes différences idéologico-politiques créèrent une distance qui deviendra, avec le temps, question de lignes différentes ; et en plus, le caractère moins clair de ces autres composantes, leur gestation politique plus compliquée fit en sorte que leurs initiatives et structures restèrent pendant longtemps – jusqu’en ’76 – dans une sorte de limbe, ne faisant pas de revendications claires, utilisant des sigles différents, n’ayant pas d’élaboration politico-idéologique correspondante. Là aussi, d’ailleurs, il faut reconnaître les traits de force et la cohérence stratégique qui feront la primauté des BR (et leur continuité unique parmi les organisations, jusqu’à ce jour).

    En fait, la grande différence résidait dans la relation avec le « Mouvement », cette entité générale qui englobait toutes les luttes, cette espèce de fleuve où tous nageaient. Toutes les autres organisations garderont une relation de complémentarité, de suivisme en un certain sens, resteront « mouvementistes » (comme on disait alors). Finalement donc, une réédition du clivage entre léninistes et non-léninistes.

    4. Mouvement et gestation de l’aire de l’autonomie ouvrière

    Comme on l’a déjà fait remarquer, Potere Operaio constitua une sorte de creuset pour différentes expériences. Depuis son sabordage, nombre de ses noyaux innerveront le Mouvement et impulseront les initiatives et le débat. En général ce furent ces noyaux qui alimentèrent et encadrèrent le débat et les évolutions suivantes, dans la rencontre et l’agrégation avec d’autres secteurs du Mouvement.

    Ce fut surtout la rencontre avec l’aire des ressortissant(e)s de Lotta Continua (qui, elle, éclata en 76, mais à la différence de P.O., de manière négative, comme issue d’une crise grave d’identité et de perspective). Surtout la réalité se révéla de toute une aire petite-bourgeoise qui allait imiter les gestes de trahison – retour au bercail paternel – d’une bonne partie des « soixante-huitard(e)s »). Nombre de collectifs territoriaux et d’usine, plus une grande partie des services d’ordre, se retrouvèrent après la bataille interne (perdue) pour l’avancement vers un processus révolutionnaire, et notamment par l’étape de l’armement de masse.

    On voit déjà deux caractères fondamentaux de cette démarche politique et organisationnelle, caractères qui seront déterminants et lourds de conséquences :

    1) il n’y a pas de véritable séparation entre les niveaux de masse et celui qui devrait se concevoir comme stratégique, sinon le Parti, du moins l’Organisation. Cette dernière commence à se dessiner comme la fédération de nombreux collectifs et comités locaux (souvent très dignes, mais où était quand même prééminente la dimension de masse et publique).

    2) Armement de masse. Voilà un mot d’ordre extrémiste, confusionniste (des niveaux) et lourd de dérives militaristes. Ce qui arrivera exactement, dans le temps, et qui était évident dans la reprise d’un secteur fort défectueux en ce sens comme les services d’ordre précités.

    Il y aura environ deux années d’expérience et de tissage de ce nouvel assemblage, dont une dense publication résumera l’élaboration politico-théorique – Linea di Condotta – qui se dérouleront au milieu d’une phase de lutte toujours très forte et riche et dans laquelle certains de ces collectifs avaient une présence marquée.

    C’était le cas notamment d’une Coordination de Comités d’usine dans la banlieue de Milan – Sesto San Giovanni, centre sidérurgique surnommé Stalingrad, par son apport à la Résistance – qui en arrivèrent à exercer leur hégémonie dans une grande usine (Magneti Marelli) où ils réussirent à expérimenter l’exercice de la force au niveau de l’organisation de la lutte interne, sous la forme de « décrets ouvriers » à imposer ; jusqu’au fait d’empêcher le licenciement de quatre camarades, en les faisant rentrer tous les matin escorté(e)s par la « milice ouvrière » , et cela pendant quelques mois !

    Ce thème de la « milice ouvrière », sera d’ailleurs un axe porteur : construire la force politico-militaire comme support des organisations de masse avancées, comme sorte de contre-pouvoir, comme exercice concret, imposition des objectifs de lutte qui commençaient à casser les limites de la légalité et à annoncer des contenus « objectivement » révolutionnaires.

    Ce fut le cas notamment de la vague des auto-réductions. Celle-ci, consistant en un refus des augmentations tarifaires de gaz, électricité, téléphone, se traduit en ’75 par un vaste mouvement d’auto-réduction des factures.

    Structuré autour du vaste réseau des Comités de Lutte dans les quartiers (tandis que une partie des Conseils d’usine rejoignait le mouvement en battant le sabotage des révisionnistes), il se prêtait bien à y développer une radicalisation des mouvements de masse : « les prix politiques », c’est-à-dire comme expressions des rapports de force et comme tendance à la négation de la marchandise ; la « réappropriation », comme formes de lutte non plus revendicatives mais d’imposition directe, comme « pratique de l’objectif » ; « contre-pouvoir » donc, et nouveau terrain qui exige l’organisation de la force, généralement armée (ce qui pour une partie était justement cette ligne de la « milice ouvrière »).

    Il faut aussi considérer que cette vague se greffait sur une considérable situation pré-existante d’occupation d’immeubles (des cités entières d’HLM), et sur une organisation générale en Comité Autonomes de Lutte, par exemple sur la « grève des loyers ». Terrain de lutte émaillé d’affrontements avec les flics, qui en arrivèrent à tuer quelques camarades, ce qui donna en retour des flambées de violence prolétarienne et d’exercice de nouvelles formes d’organisation.

    Dans le bourgades périphériques de Rome, notamment, on en arrivera aux affrontements armés entres les occupant(e)s soutenu(e)s par les camarades organisé(e)s et la troupe. Et avec des victoires, enfin, soit contre les flics, soit pour l’objectif d’obtenir les logements (toujours entre ’74 et ’75).

    Et encore, un important mouvement d’ « expropriations de masse » allait se développer: comme concrétisation du mot d’ordre « prix politiques », les Comités avaient déjà initié toute une activité autour des grandes surfaces, des marchés, des spéculateurs, intermédiaires commerciaux, etc. jusqu’à des actions d’auto-réduction des prix et des expropriations massives.

    Sur cela allait se greffer une poussée spontanée de la nouvelle levée des camarades plus jeunes (qui allaient constituer les premiers Cercles des Jeunes Prolétaires, mi-local politico culturel/mi-squat), qui passaient directement aux expropriations systématiques ; pas uniquement dans les supermarchés, mais bien plus dans les belles boutiques : disques et hi-fi, livres, fringues. Les limites des objectifs étaient poussés toujours plus en avant. Ce n’était pas, pour les jeunes notamment, qu’une réduction des prix sur les biens de survie, sorte de lutte salariale de nouveau type, c’était la « réappropriation de la vie » ainsi que le casse de la marchandise !

    Le plus souvent ces actions étaient « couvertes » par la présence d’une équipe armée, et en général tous ce terrain de lutte dans les quartiers connut un développement considérable de pratique armée des organisations : dans les termes plutôt d’initiatives de portée locale, fragmentaire, et non liée par un projet centralisé de développement du processus révolutionnaire (d’où le manque de signature unique, centralisée, et la cacophonie de sigles qui a fait croire l’existence de dizaines de groupes ).

    Ces projets existaient, mais restaient pour ainsi dire à l’état latent, sous-jacent, n’arrivant pas à s’exprimer clairement comme dans le cas des BR. Cela arrivera bientôt à la formalisation d’une organisation et d’une « branche » (Prima Linea et l’Autonomie Ouvrière Organisée qui n’arrivera jamais à s’unifier et où coexisteront trois ou quatre Organisations armées majeures) , qui essayeront ce passage ; mais elles resteront toujours marquées par ce caractère spontanéiste, mouvementiste de fond , et comme on verra, leur tentative, très précaire et contradictoire, fera vite naufrage dans un retour au Mouvement, comme résultat de défaite et donc comme recul grave.

    Ceci ne se veut pas un déni de reconnaissance envers cette aire révolutionnaire, et à ses apports qui ont été importants dans la recherche des nouveaux chemins qui auraient pu répondre aux contradictions laissées ouvertes par le cycle historique précédent : la valorisation des expressions de classe en tant que sujet révolutionnaire, pour dépasser l’excès de dimension politique séparée (qui avait aussi ouvert la voie aux dérives révisionnistes), donc les catégories de l’ « antagonisme » , de « subjectivité de classe », de « guerre sociale », de « contre-pouvoir », d’ « illégalité de masse ». Catégories qui mettaient en avant la valeur révolutionnaire (prétendue ) du social, des luttes et des comportements de masse de « auto-valorisation prolétarienne », du sujet social qui était à l’avant-garde (ainsi pour l’ « ouvrier-masse », ensuite l’ « ouvrier social », ou le « sujet antagoniste » tout-court).

    Mais un éclectisme idéologico-théorique prévalait trop, qui en finit trop vite avec l’héritage positif du passé, en jetant par dessus bord l’essentiel du marxisme-léninisme. En résumé, ils jetèrent le bébé avec l’eau du bain …

    5. 1974-’75 : l’affirmation de la lutte armée

    Voyons une chronologie de passages et d’actions significatives de cette phase :

    – 1974 est marquée par l’enlèvement du juge Sossi, tournant décisif du niveau de « propagande armée », directement liée au conflit de classe dans la relation capital/travail, à un niveau qui préfigure la lutte politique générale, l’affrontement Classe/Etat. Ce juge était très connu, et haï, par le prolétariat en lutte de Gènes. L’attaque était particulièrement bien ciblée, faisant le lien entre les exigences du mouvement de classe et la projection sur le plan de l’affrontement à l’Etat.

    Et naturellement cela rendait visible le niveau politico-organisationnel atteint, qui était considérable, en sachant que l’enlèvement dura quelque semaines et qu’il y eut une négociation publique (les BR choisissant, en bonne cohérence révolutionnaire, de rendre publics tous les passages de l’évènement, pour que la classe se les approprie ; contrairement à l’Etat qui cherchait à cacher et à torpiller les contenus des luttes par une couche épaisse de manipulation, d’intox, et d’ignorance).

    Les BR posèrent la libération de 13 militants, en faisant éclater au grand jour l’existence de ce front de lutte : la prison, les nouveaux camps, la répression comme terrain stratégique de l’Etat. Il y aura accord, les BR libéreront l’otage, mais l’Etat renia sa parole ! Deux ans plus tard les BR régleront le compte au magistrat qui géra cette trahison, le Procureur Coco, avec deux agents d’escorte, ce qui constituera aussi l’action de saut de qualité au niveau de l’attaque.

    L’action contre Sossi marqua aussi la définition stratégique, par l’apparition de certains mots d’ordre qui deviendront célèbres. Ils le deviendront parce qu’effectivement les B.R. en firent l’axe de leurs attaques. Le plus connu est «Porter l’attaque au cœur de l’Etat». Il faut préciser un peu ce que l’on entend là (contre un tas de déformations intentionnelles qui ont circulé).

    Ce n’est pas une attaque de caractère symbolique, éternellement semblable, de style anarchiste.

    Ce n’est pas un attaque de type prioritairement militaire, qui vise tout de suite à entamer la puissance de l’Etat, parce que, au de là du simple bon sens, les BR envisageaient un processus révolutionnaire, par étapes et, naturellement, le caractère et les niveaux de l’attaque dépendent de l’étape où l’on se trouve. Ce n’est pas au début qu’on est en condition de détruire les forces ennemies.

    Le concept d’«attaque au cœur de l’Etat» est plutôt la question de concevoir que dans toutes les phases de la lutte de classe, il existe un nœud où se lient, où se concentrent les contradictions et la ligne d’affrontement entre les classes et que, à ce niveau, l’Etat dans la personne du gouvernement agit en élaborant un projet, ou des projets politiques qui sont l’arme fondamentale dans leur conduite de l’affrontement. Dans le projet politique de conjoncture (ou de phase) se résume l’intérêt bourgeois de la fraction dominante (en composant de façon subalterne, et toujours contradictoire, l’intérêt des fractions bourgeoises secondaires), sa manière d’attaquer le prolétariat et de développer le système capitaliste.

    Sortir des limites de l’affrontement capital/travail et des écueils du « mouvementisme » signifie savoir transposer la force de classe sur ce plan là : attaquer la bourgeoisie sur le plan politique général, en faisant ressortir en même temps le caractère de classe de l’Etat et en lui opposant l’intérêt général historique du prolétariat, de la classe.

    Donc ce sera encore une logique d’attaque très politico-militaire, à la finalité de recomposition de classe qui ne peut qu’advenir en posant et en affrontant les contradictions centrales, sur ce plan d’affrontement Classe/Etat.

    Résultat du grand bond en avant, de l’influence grandissante, deux nouvelles colonnes commencent à se structurer, en Ligurie et en Vénétie (et sur la base des noyaux ouvriers de grandes usines et de ports, notamment) ; alors que se constitue la Direction Stratégique qui dorénavant ponctuera annuellement l’activité de l’Organisation par une élaboration politico-théorique qui en constituera l’adresse stratégique. Ainsi, la première Direction Stratégique – en tant que document – sera publié en avril ’75. De par sa clarté, elle reste un document utile encore aujourd’hui.

    Toujours au printemps’75, il y aura le premier enlèvement de capitaliste à finalité d’expropriation.

    Dans la fusillade avec les carabiniers, qui vont le libérer, tombe Mara Cagol, une camarade du noyau fondateur. Très aimée, elle restera une figure symbolique et la Colonne de Turin prendra son nom. Quelques mois avant elle avait aussi dirigé la première action d’assaut contre une prison (Casale Monferrato, en Piémont) pour libérer un camarade.

    On verra aussi une campagne conjointe avec les NAP (Noyaux Armés Prolétariens) contre l’appareil de la contre-guerilla – attaques contre des structures de carabiniers et du système pénitencier. Et la première attaque sur la personne d’un ennemi, dans en l’occurrence un notable du parti au pouvoir, la DC (Démocratie Chrétienne), attaque qui prendra souvent cette forme : la « jambisation » (coups de pistolet aux jambes).

    En ’76 ce sera surtout l’exécution, dont a déjà parlé, du magistrat Coco en tant que représailles et élévation de l’attaque à l’Etat. Et la mort d’un autre camarade, jeune et très estimé, Walter Alasia. La colonne de Milan prendra son nom. Son enterrement sera aussi un moment fort, avec des centaines de personnes présentes malgré l’intimidation des flics, et sa défense publique, par tract, de Comités Ouvriers de la mouvance autonome de Milan.

    En 1974/75, le niveau d’affrontement dans la rue a été très élevé, et plusieurs camarades seront tués par les forces de la répression, naturellement soutenues par les bandes fascistes et par le terrorisme d’Etat qui perpétra alors deux de ses pires carnages : un sur le train Italicus (lors des vacances d’été, pendant les grands déplacements familiaux), un carrément dans une manifestation syndicale, au centre de Brescia (Lombardie).

    Il y eu des dizaines de morts et de blessés. Les funérailles des huit morts de Brescia donneront lieu à un grand moment de lutte. De la foule immense émergea une contestation violente des autorités de l’Etat, perçues à juste titre comme les véritables auteurs de ces massacres.

    Ce fut un moment très fort, qui marque, au niveau de la classe, une maturation sur les dimensions de l’affrontement : face à un puissant cycle de luttes de masse (avec aussi, sur son pendant électoral, une grande avancée du parti révisionniste), le visage féroce de l’Etat bourgeois apparaissait. Comme nous l’avons déjà dit, cela démontrait que c’était la bourgeoisie qui avait commencé la guerre, à amener l’affrontement sur le plan de la guerre ; c’est justement en ce sens que se détermine le concept de « contre-révolution préventive ». L’autre grand fait qui marqua la toile de fond fut le coup d’Etat au Chili.

    Ce fut l’éclatante démonstration de ce que la démocratie formelle bourgeoise est, précisément, très formelle ; c’est une sorte de « liberté surveillée » susceptible d’être révoquée à tout moment. Et que le chef d’orchestre se trouve à Washington. La tension montait de toute part, et la tendance au recours aux armes en était renforcée. C’est dans ces années là que cette tendance mûrit aussi dans l’aire de l’Autonomie, et qu’elle commença à se traduire en structuration logistico-organisationelle. Même si, comme on le verra, cela constituera une gestation complexe qui fera son saut qualitatif en 1977, avec la naissance des véritables O.C.C.

    Un terrain qui, ces deux années, sera important comme praxis et développement organisationnel sera celui de l’affrontement à la violence policière : services d’ordre, lutte de rue avec la police, antifascisme militant. Ce dernier devint un pratique diffuse et systématique pour contrecarrer les agressions fascistes, souvent couvertes et soutenues par la police. Cet affrontement fut à certains moments très dur, mais ce n’étaient plus seulement des camarades qui tombaient. Des fascistes furent exécutés. Le mouvement révolutionnaire pesait de manière toujours plus déterminée dans le rapport de force.

    L’évolution en ce sens des BR était alors logique, compréhensible. Jusqu’à 1977, les exécutions seront très rares, ce qui alimentait l’imagerie romantique des « justiciers à la Robin des bois ». Pourtant, il y eu à Padoue en 1974 l’exécution de deux fascistes qui résistaient à une action de « perquisition » dans le siège du parti néo-fasciste de la ville. Ce n’était pas prévu, et cela occasionna un peu de confusion dans la gestion politique. Toutefois, comme le fait s’était produit dans le contexte des attaques fascistes et étatiques, et comme l’un des deux fascistes était un ancien repplichino (la milice la plus répugnante de la dernière phase du fascisme), l’action fut largement comprise et approuvée.

    6. Les luttes dans les prisons – les Noyaux Armés Prolétariens

    Ces trois années verront aussi l’essentiel de l’activité des Noyaux Armés Prolétariens (NAP).

    Leur histoire est l’histoire des luttes en prison, luttes qui seront calquées sur le mouvement de classe, avec un même élan, dans les temps et dans les références.

    Il est impressionnant de voir combien les premiers actes seront des révoltes violentes dans les trois grandes prisons métropolitaines de Turin, Milan et Gènes, exactement la géographie de pôles ouvriers, et entre ’69 et ’70 ! Puis il y a généralisation, les luttes se succèdent et le mouvement révolutionnaire court immédiatement à leur soutien de l’extérieur. L’explication de cette synchronisation est bien sûr à chercher dans la classe.

    Les années ’60 avait vu, dans ce vaste processus de renouveau de la composition de classe et des phénomènes culturels qui l’accompagnaient – la génération beat, les teddys-boys, cheveux longs et mini-jupes, insubordination et tendances libertaires – l’émergence aussi de nouvelles formes de « banditisme », d’extra-légalité. Des jeunes issus des quartiers ouvriers, de l’immigration, qui rompaient radicalement avec le destin d’esclavage à la chaîne en décidant de s’approprier la richesse sociale : c’étaient les « batterie », les équipes de braqueurs de banques.

    C’était devenu un phénomène important, soit parce que l’attaque des banques était assez nouvelle (de cette manière systématique et diffuse), soit par les caractères homogènes de ces nouveaux gangs et par leurs différences marquées avec le milieu classique.

    Tandis que ce dernier était expression du sous-prolétariat (avec toute son ambiguïté, bien cernée déjà par Marx) et qui n’est pas du tout glorieux quant à ses attitudes sociales, avec une intériorisation de l’ordre et valeurs bourgeoises (attitudes d’oppression et exploitation des autres, prostitution au mieux offrant, collaboration avec les flics, etc.), les jeunes braqueurs étaient des révolté(e)s et de purs produits de quartiers ouvriers, auxquels d’ailleurs ils/elles restaient lié(e)s .

    Ce fut une levée de jeunes combatifs qui, une fois en masse dans les prisons, réussirent à impulser une dynamique de lutte.

    Et aussi à établir des relations faciles avec le mouvement révolutionnaire dans lequel ils/elles se reconnaissaient, socialement et culturellement. Ce sera principalement cette composition de classe qui supportera le cycle des luttes, plus les nombreux prolétaires qui peuplent ces lieux alternatifs à l’usine. Ce sera d’ailleurs la figure du « prolétaire prisonnier » qui sera formalisée politiquement par le mouvement révolutionnaire, en lui donnant une identité et une place dans la révolution de classe.

    A la phase de révoltes destructrices s’ensuivait le tentative de se structurer, d’atteindre des objectifs qui n’étaient pas uniquement l’amélioration des conditions (quand même toujours importantes dans cet enfer carcéral), mais qui deviendront une pratique de l’évasion, répandue et systématique ; ainsi que la pratique de réponse aux violences de l’appareil répressif.

    Sur ces terrains, les noyaux d’avant-gardes produites par les luttes se soudèrent de plus en plus aux groupes extérieurs et, après la phase des « Pantere Rosse » (Panthères Rouges, en référence explicite aux afro-américaines, à George Jackson et aux Frères de Soledad), on en arriva rapidement aux NAP.

    En fait les NAP eurent beaucoup de thématiques en commun avec les BR : centralité de la lutte armée, construction de contre-pouvoirs, etc. Pendant qu’ils restèrent quand même très ancrés sur la lutte carcérale et, comme on verra, leur dépassement vers un horizon plus général, ce sera l’intégration aux BR. Caractéristique importante ce fut aussi leur enracinement à Naples et autres territoires du Sud, ce qui donnait un apport complémentaire précieux.

    Leurs premières actions seront la diffusion de messages par haut-parleur (auto-explosifs) devant les prisons, en soutien aux luttes de l’intérieur.

    Ensuite, des attaques à l’explosif contre des structures pénitentiaires, mais aussi contre la DC – ce qui créera une rapide parallèle avec le campagnes BR, d’autant qu’ils étaient en complémentarité géographique – les NAP étant actifs à Naples et dans le Sud. Ils subiront tout de suite des pertes, notamment les camarades Mantini et Romeo, fauchés à la sortie d’une banque.

    Au printemps ’75, ils enlèvent un juge, directeur d’affaires carcérales – De Gennaro – tandis qu’en prison trois militants, armés, tentent l’évasion. C’est un échec ; ils se retranchent et font écho à l’action de l’extérieur, qui a enfin réussi à faire passer la lecture d’un communiqué aux journaux radio nationaux.

    Le juge sera libéré en échange des garanties sur les trois prisonniers. Ces garanties ne seront observées que quelques jours, ensuite les camarades subiront un traitement féroce pendant quelques mois !

    Une autre camarade, Anna Maria Mantini, est tuée dans un véritable guet-apens. Suite à cela, les NAP réussiront à débusquer le flic et le magistrat qui avaient couvert l’assassinat, et les blesseront.

    Il y aura encore des campagnes conduites avec les BR – attaques aux structures des carabiniers et des prisons -, et l’attaque contre le Directeur des services de sécurité carcérale. Attaque qui se termine mal, avec la mort du camarade Martino Zicchitella, très connu à l’avant-garde des luttes carcérales depuis ’69. Deux flics tombent aussi au cours de ces actions.

    Enfin il y aura une autre exécution, celle du camarade Antonio Lo Muscio. Repéré dans le rue, il est poursuivi, puis blessé ; au sol il sera achevé d’une balle tirée à bout portant. Il était désarmé.

    On est alors dans l’été ’77, et avec un document de bilan rédigé par quelques prisonnier(e)s se termine l’histoire des NAP qui, en majorité, passent aux BR.

    7. Le concert polyphonique de l’Autonomie Organisée

    La mouvance générée par la dissolution de Potere Operaio, mouvance que l’on peut appeler au sens large Autonomie Ouvrière Organisée, verra se développer plusieurs expériences organisées qui se dessineront suivant les déterminations du débat et des positions changeantes. Elles se caractériseront par une certaine fluidité, avec des fractures et recompositions.

    Globalement une intense activité politico-militaire sera produite, évidemment moins unitaire, homogène ou constante que celle produite par les BR. Et même, la fragmentation et la véritable cacophonie de sigles – chaque formation ayant recours à plusieurs – furent politiquement nuisibles, créant la confusion et des difficultés à comprendre le fil des propositions.

    On peut aussi citer le fait qu’une partie au moins des initiatives étaient faites en collant aux situations immédiates, en agrégation provisoire et spontanée. Si c’était aussi le signe de la richesse de l’ « antagonisme » diffus, c’était tout de même le signe d’une incapacité à faire un saut de qualité stratégique – centralisation et projet de longue durée, pour faire accomplire un changement qualitatif au mouvement de classe, enfin la dimension politique de l’affrontement de pouvoir.

    Ce seront donc des attaques à l’explosif contre de grandes entreprises, soit par leur rôle dans les luttes du moment soit par leur rôle impérialiste – Fiat, Face Standard , ITT, Union Pétrolière – ainsi que quelques attaques sur la personne des leurs dirigeants.

    L’Autonomie des régions vénitiennes exprimera un haut niveau qualitatif d’utilisation de la force, comme aspect d’une construction de contre-pouvoir sur le territoire.

    Comme prolongement d’un travail d’enracinement réel dans le tissu des luttes locales, leur lutte armée fut plutôt faite de séries simultanées de « petits attaques »- certaines nuits avaient pour cible plusieurs voitures, habitations et locaux patronaux, par exemple ; une autre série des fascistes et des carabiniers.

    Et ce jusqu’à avoir la capacité de décréter l’occupation d’un quartier de ville, pendant quelques heures, de le quadriller par des équipes armées (en empêchant les mouvements des flics) et de s’occuper à l’intérieur de questions de patrons, de prix, de loyers, des fascistes, etc. Bon, ce n’est arrivé que trois-quatre fois… mais tout de même ! Cela se voulait une préfiguration d’une étape supérieure de contre-pouvoir, à atteindre et à généraliser.

    Une autre grande branche de l’Autonomie – et même, la principale, la plus consistante et présente dans plusieurs régions – sera celle qui tournera autour du journal Rosso (Rouge) et qui s’exprimera notamment par le sigle Brigades Communistes (mais en chapeautait bien d’autres).

    Beaucoup d’attaques au niveau de l’ « usine diffuse » (catégorie formulée pour définir le phénomène, alors seulement à ses débuts, de la dislocation-fragmentation de l’usine sur tout le territoire, avec ses corollaires de surexploitation, travail au noir, etc.), où se structurait une forme organisationnelle armée à mi-chemin entre un noyau classique et l’action d’un cortège de masse qui balaye non pas la grande usine mais un ensemble de petites usines.

    Du moins, c’était l’intention, puisque la conjugaison de ces deux niveaux ne sera pas facile ; elle demandait un niveau de maturité et de capacité qui restait rare. Les contradictions et les dérives prévaudront. Ce sera une expérience positive, et possible jusqu’en 1977 compris (on verra par la suite les raisons de son épuisement).

    Beaucoup d’attaques furent aussi portées aux forces de répression et aux fascistes/trafiquants d’héroïne. Ainsi que, par la suite, le mouvement montant des « Réappropriations », et donc les initiatives et leur protection, ou le soutien avec des attaques aux structures de spéculation marchande, aux grands groupes, aux immobiliers, etc.

    Enfin, il y a les initiatives prises par l’aire de constitution de Prima Linea. En ’75-’76 ce seront encore des prémisses de mise en route.

    Mais qui donnent bien l’idée du saut de qualité qui allait se produire : jambisation d’un chef de Fiat (le premier), opérée au bout d’une phase de lutte interne particulièrement forte, à l’usine de Rivalta dans la banlieue de Turin, au cours de laquelle le problème de petits chefs avait été central : dénonciation sur tract d’une liste de pires d’entre eux et cortège interne qui en était arrivé à en expulser trois des portes de l’usine.

    La force politique de l’initiative ébranla les révisionnistes et les opportunistes d’ « extrême gauche », et cela donne l’idée de l’étroite dialectique qu’il y avait entre l’intervention sur le plan public, et l’intervention armée.

    De plus, il faut souligner que 1976 aura été, du point de vue du mouvement ouvrier, une année d’apogée, où l’on touche aux plus hautes conquêtes (le point unique d’indexation des salaires, gagné cette année là, était un mécanisme d’égalisation entre les catégories professionnels, assurait un rattrapage de l’inflation supérieur au niveau d’inflation, et surtout tendait au nivellement de l’échelle salariale… les patrons ne savaient plus où donner de la tête!) et où le tissu des noyaux et comités autonomes d’usine est bien dense, en ayant un rôle moteur dans nombre de mobilisations.

    L’autre attaque importante menée par P.L. fut l’exécution d’un responsable du parti fasciste de Milan au printemps ’76, comme représailles à une série d’agressions fascistes particulièrement graves. Cela fut la première exécution dans l’absolu (donc mises à part les fusillades accidentelles), la première en tant qu’acte politico-militaire explicite.

    Tandis qu’à la fin de l’année, P.L. commence à opérer avec intensité et continuité – en débutant par une irruption/perquisition dans un siège patronal de Turin – se posant ainsi en parallèle avec les B.R., par la force, la dimension, et la portée du projet.

    D’autant plus que, dans sa phase de décollage, P.L. a réussi à faire converger sur sa trajectoire les Formations Communistes Combattantes – F.C.C. Celles-ci constituaient une énième branche de l’Autonomie Organisée -et armée, et pas des moindres. Elle fut surtout enracinée au Centre-Sud, à Rome et dans sa région notamment. Il ne s’agira pas d’une unification, mais elles agiront ensemble.

    En’76-’77 déjà, les F.C.C. réalisent deux jambisations de chefs des grandes usines dans le Sud, où elles opèrent aussi en tant que Comités Ouvriers, et un sabotage qui provoqua un formidable black-out à l’usine Fiat de Cassino (Latium) , pendant trois jours.

    8. 1977 : l’année terrible

    On en arrive donc à cette année « terrible » (comme elle fut rebaptisée par la bonne bourgeoisie).

    On peut dire que cette année-là se détermina la convergence de plusieurs expressions de classe, de sujets qui allaient trouver ce point de jonction, à commencer par la mobilisation autour des universités. Les universités étaient alors frappées par un premier grand plan de restructuration visant à leur reprise en main par la bourgeoise, donc pour essayer de réintroduire les critères de classe, de sélectivité et la fonctionnalité au système. La tache était ardue, et de fait cela déclencha tout de suite un mouvement de grande ampleur.

    Mais les universités étant déjà, dans le faits, un point d’agrégation de jeunes, et de militants de classe plus généralement (par exemple, les cantines étaient devenues ouvertes et soumises à des « prix politiques », ce qui y faisait affluer nombre de prolétaires des quartiers ; de même les foyers étudiants servaient de support bien au de là des simples inscrits).

    Et puis dans l’automne-hiver ’76 avait monté en puissance tout un « nouveau » mouvement de jeunes prolétaires, se caractérisant par la thématique de la « réappropriation ici et maintenant » de biens (en attaquant le principe de marchandise), des logements, des espaces, du temps, de la fête…

    Enfin, une radicalisation de thématiques classiques, si l’on veut, mais faite à partir d’une masse de nouvelles figures prolétariennes qui tendaient à être extérieures aux grands cycles productifs et sociaux, à être poussés soit à la surexploitation de la nouvelle usine décentrée et fragmentée, soit à la marginalité. Le « mouvement », comme terrain de pratiques vitales et extralégales devenait, de la sorte, une solution, une alternative concrète et politique en même temps. Ainsi la pratique diffuse et quotidienne du vol à l’étalage se transformait en de grandes « expropriations de masse ».

    Ce qui, d’ailleurs, était une extension du grand mouvement des auto-réductions et de la ligne des « prix politiques », une autre forme de lutte et d’organisation qui développait cette tendance.

    Durant les fêtes de Noël se produisit une véritable escalade (il fallait bien se faire des cadeaux !), culminant dans la contestation du détestable rituel bourgeois à La Scala, l’Opéra de Milan, contestation qui se transforma dans une émeute-saccage qui investit toute la ville et une partie de la banlieue, avec beaucoup d’incendies. Cela fut mémorable.

    Et justement, début janvier commence la réponse de l’Etat, avec un saut de qualité dans la répression : une utilisation systématique d’équipes des flics-killers en civil. En rodant autour des manifs, en s’y infiltrant, le moment venu ils déclenchent des fusillades et commencent à laisser au sol des blessé(e)s, puis des mort(e)s. Toujours avec les auxiliaires habituels, les fascistes, qui au moins dans une occasion ouvrirent le feu en se protégeant derrière un fourgon de flics (qui ne les arrêtèrent pas) et en tuant un camarade.

    De son coté les OCC avaient décidé de répondre à ce niveau, dans la perspective politique, plus propre à P.L. et aux Autonomes, d’armement du mouvement de masse.

    Ce furent donc les fameuses manifs avec les P38 (qui effrayèrent tant la bourgeoisie européenne) où il y aura des fusillades à partir des manifs.

    En février, ce sera l’épisode fameux de Lama chassé de l’Université de Rome. Lama, chef suprême des révisionnistes de la grande centrale syndicale CGIL (et particulièrement odieux), fait l’épreuve de force en venant y tenir un discours, escorté par quelques centaines de gros bras.

    Ce fut une bataille rangée et une retentissante défaite, très symbolique. Dorénavant les révisionnistes joueront un rôle croissant dans la division au sein de la classe et dans la criminalisation du mouvement révolutionnaire. Le mouvement dans les universités continue à prendre de l’ampleur, en jetant les bases de toutes sortes de luttes et d’expériences sur le territoire.

    Les affrontements à Bologne marquent un tournant, avec la véritable agression meurtrière des « équipes spéciales » qui en arrivent à tirer dans le dos d’un groupe d’étudiant(e)s en fuite, tuant Francesco LoRusso – les expertises révéleront un nombre impressionnant d’impacts de balles dans les murs, tous à hauteur d’homme !

    La révolte du mouvement est à son comble : Bologne est mise à feu et… à musique. En pleins affrontements, dans les rues dévastées, on verra en haut d’une barricade quelqu’un qui s’était mis à califourchon d’un piano jouer et chanter… image surréaliste, de l’esprit insurrectionnel et « désirant » (comme on disait à l’époque).

    A la manifestation nationale convoquée à Rome convergeront quelques 100.000 personnes. Ce 12 mars les affrontements avec les flics, les attaques aux sièges de partis bourgeois et les expropriations, notamment d’armureries, ponctueront le parcours et la journée.

    Tout cela se déroule en se tressant, pour ainsi dire, avec les développements impulsés par les OCC. Déjà quelques jours après l’assassinat de l’étudiant de Bologne, P.L. se chargera des représailles en exécutant un agent de la police politique, à Turin.

    Il faut considérer (pour en avoir une dimension) qu’à partir de’76, la cadence des initiatives était hebdomadaire ; c’est-à-dire que chaque semaine il y avait une série d’attaques incendiaires (généralement des voitures) contre des cadres d’usine, du personnel de la DC. où d’Etat, des flics – par série on entend plusieurs actions simultanées, ensuite revendiquées par un tract unique et donc par la même OCC.

    Soit il y avait une jambisation de responsables plus haut placés et repérés par les luttes, où par les enquêtes ; soit il y avait plasticage et mitraillage de commissariats et casernes ; soit une irruption avec perquisition de locaux ennemis.

    Pendant les trois années ascendantes – ’76/’78 – les jambisations tiendront le rôle le plus important, soit quantitativement et par rapport au niveau militaire, soit parce que cela restera très lié avec la dynamique des luttes internes aux usines. Forme d’attaque qui suscitait beaucoup de soutien, et qui à l’évidence contribuait au rapport de force de classe, c’est celle qui représenta le plus la phase d’enracinement et de légitimation interne à la classe.

    A cette période elles furent au nombre de 20 à 40 par an, c’est à dire presque hebdomadaires, en alternance avec les séries dont il est question plus haut.

    Tout ça donnait le rythme, pour ainsi dire, la cadence, l’intensité montante d’une tendance à la transformation des luttes en véritable guerre de classe.

    Il y avait ensuite les actions de plus grande envergure qui commencent seulement en ces deux années-là, les exécutions conçues comme actions politico-militaires du plus haut niveau destinées à marquer le déroulement de la lutte générale, les rapports de force entre les classes, à permettre au mouvement d’atteindre l’Etat, le gouvernement, les centres du pouvoir.

    Actions qui seront les plus importantes et marquantes, à distinguer de celles qui répondront plutôt à la logique de guerre comme l’affrontement constant avec les appareils de la contre-révolution, ainsi que les incidents en sortie d’expropriations de banques.

    Le secteur carcéral sera aussi très présent, avec sa dialectique importante interne au mouvement révolutionnaire. D’un coté cela se développe sur le mouvement des années précédentes, mais d’un autre coté les militants des BR (y compris des NAP qui y avaient convergé) donnèrent une impulsion décisive, soit en termes de solidité politico-idéologique, soit en termes de capacités opérationnelles, avec le soutien et la coopération de la forte organisation extérieure.

    La coopération entre prisonnier(e)s des différentes expériences fut quand même décisive (surtout l’entente avec ceux/celles des « batteries » – les équipes des braqueurs métropolitains, desquels on a parlé plus haut) et on verra ainsi se multiplier révoltes et évasions (réussies où ratées), actions de lutte, utilisation des procès comme terrain d’affrontement – le procès-guerilla.

    Le procès au « noyau historique des BR »- une vingtaine des militants – se tiendra ce même printemps, à Turin ; et ce sera l’embrasement, les camarades et l’organisation à l’extérieur en empêchant dans les faits son déroulement, au cri de «On ne peut pas faire le procès de la Révolution».

    Toute cette réalité carcérale était soutenue par une abondante production de textes, prises de position, documents, ce qui leur donnait toute leur importance dans les développements extérieurs.

    La fin’77 verra aussi le tournant, avec l’ouverture des « prisons spéciales », instituées sous la supervision et la gestion des carabiniers (qui étaient devenus à tous les niveaux le fer de lance de la contre-révolution) : ce sera un lourd tour de vis, les conditions y étant très dures (sur le modèle de Stammheim et des H-Block anglais), leur finalité étant la destruction des militants et des prisonnier(e)s rebelles, qui luttaient ensemble, la rupture du cycle de luttes et d’évasions, la prise d’otages contre le développement de la guérilla.

    Après les journées de mars, le mouvement restera assez fort jusqu’aux « assises » de Bologne, à l’automne. Ce sera là un moment de rassemblement et de confrontation un peu « kafkaïen » : trop de monde (même cela peut être un problème), trop de différences, trop de tensions. Ce furent plutôt des affrontements politiques et des luttes d’hégémonie. Seul résultat positif ce fut la définitive marginalisation des positions conciliatrices, opportunistes du style trotskistes et « entristes »-nouveaux parlementaristes, etc.

    Et ce sera aussi le passage à une autre phase, où prévaudra la tendance militariste.

    C’est justement cette montée en puissance du mouvement, qui pousse aussi en avant les contradictions internes, qui exacerbe les tendances aussi négatives.

    En fait quand on dit tendance militarisante on relève un dénominateur commun aux différentes organisations, mais qui prendra des dimensions fort différentes, en étant une erreur récupérable en certains cas, dans d’autres une dérive qui révélera des défauts encore plus profonds (et, enfin quelques années après, la déroute totale, avec capitulation et souvent passage de l’autre coté de la barricade).

    Le nœud commun, porteur de dissensions, était le mécanicisme dans l’interprétation de la théorie sur la crise capitaliste.

    Dans le cas de l’aire subjectiviste (P.L. et Autonomie Ouvrière), les prétendues innovations théoriques avaient même dépassé la théorie de la valeur et, surestimant luttes et comportements autonomes de la classe – jusqu’à la dite « auto-valorisation prolétarienne » qui entravait et bloquait tout fonctionnement de valorisation capitaliste – proclamaient la fin du capitalisme en tant que capacité de faire marcher ses lois, et sa valorisation, et qu’il s’agissait désormais, et seulement, de sa survie par la force ; proclamaient que la crise était « crise de commandement ».

    Par ailleurs le Communisme aurait été déjà mûr à l’intérieur de ces luttes et de ces comportements (la composition subjective de classe) Toute catégorie de révolution politique, parti, transition était de la sorte dépassée, vue comme ferrailles bonnes à jeter.

    Il ne s’agissait que d’armer ce « besoin de Communisme » et de donner le coup d’épaule final, la domination capitaliste se réduisant à une sorte de coquille vide, en fer bien entendu !

    Ces théorisations qui , on le voit, faisaient de larges concessions à l’anarchisme d’un coté et au courant ultra-gauche conseilliste (des années’20), reproposaient en fait un suivisme de la spontanéité, en radicalisant, extrêmisant ce qui s’exprime socialement, et en rejetant la nécessité historique et stratégique d’une dialectique avant-garde/masses, de l’élément organisé extérieur (Parti, idéologie, programme, ligne politico-militaire), des étapes d’un processus révolutionnaire et ensuite d’une transition socialiste (avec tous les contradictions à résoudre et la lutte de classe qui continuera , même acharnée, dans l’encerclement impérialiste, etc.). Rien de tout cela ; compteurs à zéro, on avait tout compris et il suffirait d’imposer notre grande intelligence sociale, nos « Communes combattantes » ou notre Contre-pouvoir territorial!

    Nous ne soulignerons jamais assez les dégâts de la présence petite-bourgeoise, qui malheureusement a une capacité remarquable à s’incruster sur tous les mouvements.

    Il faut bien voir comment, dans la suite des évènements, cette aire a été la plus détestable dans la capitulation (en passant d’un extrême à l’autre), en prenant à nouveau des attitudes arrogantes quitte à défendre la m… de leur trahison.

    Le champion incontestable est le prof. Toni Negri qui, avec un solide groupe de coéquipiers professeurs (on ne dit pas petits-bourgeois par rituel…) incarcérés, élabore et lance en grand style la campagne de « dissociation », ceci consistant dans le reniement de ses positions et l’acceptation du cadre démocratique bourgeois (tant décrié avant !), jusqu’aux différentes formes d’abjurations en se prêtant au dégueulasse travail de médiatisation qu’on peut imaginer : exhiber les fiers ennemi(e)s d’hier, qui prétendaient faire la Révolution, à genoux, quémandant pitié, en faisant acte de repentir idéologique face aux « victimes », etc.

    Mais pire, cela devenait un vrai travail politique de recyclage dont, en passant par différentes étapes, on voit certaines positions (et non de moindres) dans le nouveau mélange alter-mondialiste, pacifiste, porto-allegriste. Ce qu’on peut aisément définir comme les nouvelles éditions de la conciliation interclassiste, du prétendu réformisme radical. Et sur tout ça pontifie le grand professeur, tourneur de vestes.

    Ce qui est vraiment grave c’est la généralité de la débandade politico-idéologique de l’aire subjectiviste. Bien sûr il y aura nombre de camarades qui s’opposeront et qui résisteront en prison, mais il ne restera plus rien des organisations et des parcours politiques (le cas plus éclatant étant celui de P.L. qui en était arrivé à dépasser les BR quant à ses dimensions et ses prétentions). Les camarades résistant(e)s intégreront surtout, soit l’aire de débat des BR soit l’aire anarchiste, qui prendra beaucoup plus d’importance à partir des années ’90.

    Mais pour ce qui concerne les BR également, les dégâts provoqués par les limites de mécanicisme, et aussi par moments la résurgence d’un certain éclectisme, furent décisifs. Même si, à décharge, on doit considérer la jeunesse de l’expérience, sa nouveauté et la dureté des conditions dans lesquelles elle a du grandir. L’erreur de mécanicisme la plus grave résida dans la lecture de la crise capitaliste, de son déroulement.

    Et c’est dommage puisque les termes théoriques de base étaient dans le droit fil du marxisme-léninisme, avec même des apports fondamentaux par rapport aux évolutions de dernières décennies. Ainsi les thèses sur l’Etat Impérialiste des Multinationales étaient extrêmement riches et précurseurs de « grandes découvertes » sur la mondialisation.

    Que l’on pense seulement que, d’entrée de jeu dans l’analyse, les BR affirmaient qu’à notre époque, les interconnexions internationales étaient telles (prééminence des multinationales et de leur pouvoir, division internationale du travail, avec continuelle redistribution de rôles et de quotas productifs, organisation en chaîne impérialiste des Etats) que la dimension de l’Internationalisme Prolétarien était prioritaire, qu’il fallait l’inscrire en première place de programme politique !

    Et ce n’était pas que des mots. Idem pendant les années ’75 (Résolution de la Direction Stratégique qui formula en premier ces thèses)-’78, d’affirmation et montée en puissance des BR (et du mouvement révolutionnaire dans son ensemble), ce furent justement aussi ces « intuitions », ces anticipations qui firent la force et crédibilité du projet et du programme avancé.

    Le mécanicisme consista en une vision quelque peu linéaire de précipitation de la crise, sur le style de la précédente grande crise historique – des années’30 – et donc avec un enchaînement de dégradations socio-économiques et aiguisement des contradictions de classe, de disposition des masses à l’affrontement, à la radicalisation.

    On n’a pas vu arriver toute cette capacité du système à produire des contre-tendances, des amortisseurs, jusqu’à des instruments de division et corruption d’une partie des masses (les mécanismes de « participation » et de consumérisme, etc.), et les instruments pour dévoyer les masses sur des terrains rétrogrades, comme la fracture avec le prolétariat immigré, le racisme, le chauvinisme, les identitarismes, etc.

    Il est vrai que cela s’imposera surtout après la défaite tactique des forces révolutionnaires (en démontrant par ailleurs la stricte dialectique entre mobilisation révolutionnaire ou réactionnaire des masses), mais déjà alors la grand erreur était de croire possible en de brefs délais la « conquête des masses à la lutte armée ».

    Ce mot d’ordre, catastrophique, participait de l’élan général à militariser l’affrontement, de l’aplatissement sur la tendance (qui était encore loin de se réaliser) et faisant fi des précédentes finesses d’analyse sur les étapes à respecter, de maturation de la crise révolutionnaire de la société.

    En termes de passages politiques, la grande catastrophe a été de croire mûr le saut de phase de la « propagande armée » et d’avancement de la guérilla à la phase de « guerre civile déployée ».

    Ce fut l’erreur-clef, qui était d’ailleurs portée par les autres résumées plus haut, puis par la force des choses, par la dureté de l’affrontement, par le concours des facteurs humains qui ne sont pas toujours faciles à synthétiser de la meilleure manière (que l’on pense au poids pris, à partir de ’77, par la présence de centaines de prisonnier(e)s qui vivaient une situation extrême et qui se révéleront justement un des facteurs de radicalisation, de perception extrémiste de la phase).

    Mais, quand même, nous verrons que les BR., et plus largement la partie du mouvement révolutionnaire qui se basait sur les repères idéologico-politiques plus solides, de source marxiste-léniniste, sauront tirer leur épingle du jeu de la grave défaite tactique et reprendre le fil de la construction et du combat ; justement parce qu’il s’agissait d’erreurs, non pas de toute un dispositif politico-idéologique douteux et ambigu.

    Nous avons aussi fait allusion à la présence anarchiste. Elle s’était manifestée (comme d’habitude) dans et autour des prisons, dans la sempiternelle lutte contre l’autorité et son symbole le plus horrible.

    Dès le début des années ’70 s’était formée une mouvance de « nouveaux anarchistes » qui importaient notamment les influences du « situationnisme » français : les Comontistes. Ce fut une aire très vivace, tout autant que marginale, prônant des thèses et des pratiques très provocatrices, extrêmes – « contre le capital : la lutte criminelle », « vol et saccage, nous ferons toujours pire », etc. Surtout marginale à cause de l’hégémonie qu’avait le mouvement communiste à l’époque.

    De cette mouvance, prendra naissance une organisation armée : Action Révolutionnaire, qui eut le mérite de lier à fond avec les développements de ces années là, avec les autres Organisations, d’être toujours sur le front des luttes. Elle n’aura pas une grande activité militaire, mais sa contribution politico-idéologique laissera des marques qui, comme nous le verrons dans ces dernières années, alimenteront la nouvelle émergence anarchiste.

    9. Fin ’77 : début de la nouvelle phase

    Dans la bataille politique qui déchirait le mouvement en ’77, sur la direction à prendre, les B.R. constituaient un peu la proposition qui s’était taillée, dans le feu de la lutte, le rôle le plus prestigieux, tandis que les autres hypothèses nageaient encore dans une situation indéfinie, magmatique. Et les BR ne manquèrent pas l’occasion de jouer ce rôle d’avant-garde.

    A l’automne ’77 elles commencèrent à « hausser le tir », ou « élever le niveau de l’affrontement ».

    Le nombre de jambisations était devenu impressionnant, une tous les dix jours environ (en excluant les périodes creuses de l’année), dont une bonne moitié étaient opérées par les BR.

    Elles frappaient principalement les chefs, dirigeants et fascistes d’usine, avec une rigoureuse répartition sur les territoires des principaux pôles de classe. A Milan : Pirelli (noyau fondateur), Siemens, le pôle sidérurgique de Sesto S.Giovanni, Marelli, Alfa Romeo, ITT et un tas d’autres moyennes et petites industries, ainsi que les grands hôpitaux où il y a eut une importante expérience de Comités Autonomes.

    A Turin, la dizaine de grandes usines Fiat, dont l’avant-garde de masse, Mirafiori (à l’époque, autour de 50.000 salarié(e)s), puis Michelin, Singer, ITT, Bertone, quelques industries textiles, et là aussi un tissu énorme d’usines petites et moyennes, largement investies par les luttes et l’organisation de classe.

    A Gênes : dockers et marins, les grandes aciéries d’Etat, industries mécaniques lourdes et d’armement (il faut considérer que cette ville avait une tradition de classe de grand niveau, une histoire communiste et révolutionnaire considérable).

    Pour le pôle entre Venise et Padoue : le grand pôle pétrochimique de Marghera (qui, à lui seul, représentera une forte radicalisation ouvrière contre ces usines de mort que sont les pétrochimies), Italsider, Chantiers navals, usine d’aluminium et d’autres.

    A Naples : Italsider, AlfaRomeo et les industries aéronautiques, d’armement. A Rome et sa région on était plutôt dans une réalité de Prolétariat Métropolitain – surtout dans les services, dont les Comités Autonomes des grands hôpitaux furent très significatifs ; avec l’importance des thématiques de territoire, comme le logement – mais aussi un secteur ouvrier riche d’histoire comme celui du bâtiment et quelques grandes usines d’électronique, le monopole électrique d’Etat et la Fiat de Cassino, dans la région.

    Enfin il y aura encore d’autres réalités régionales (notamment Toscane, Sardaigne, Marche, Emilia) mais ici nous avons surtout voulu retenir les pôles, c’est-à-dire les concentrations de classe qui jouent un rôle moteur. Et donc, il faut considérer qu’en ’77 et en ’78, toutes les usines et secteurs indiqués furent touché par l’initiative armée, et ce à plusieurs reprises. Cela sur la base d’une construction organisationnelle précise qui commençait toujours par la présence de militants à l’intérieur.

    Il y avait aussi une ligne d’attaque plus territoriale, touchant différents aspects de la condition de classe, souvent en soutien direct aux luttes, particulièrement sur la question du logement, des « prix politiques », de la « réappropriation ».

    Ainsi pratiquement toutes les OCC pratiquèrent l’attaque d’agences immobilières, de la grande propriété, des spéculateurs, des grands groupes marchands ; par nombre d’irruptions et de perquisitions, par lesquelles on entrait en possession de listes et de documentation – sur les logements et immeubles vides par exemple-, avec les suites qu’on peut imaginer..

    Toute aussi importante fut la présence dans les quartiers, sur les conditions de vie en général, et particulièrement des bandes de jeunes. On en arriva à combattre la gangrène qu’était l’héroïne ; une OCC – Guérilla Communiste – se chargea de débarrasser les quartiers de six ou sept trafiquants. Lutte qui, presque toujours, signifiait attaquer les fascistes qui, on le constate dans tous les pays, s’adonnent avec plaisir à cette activité mortifère également. Les fascistes, en bons flics du prolétariat, alimentent tout ce qui est destructeur pour le prolétariat.

    Politiquement, ce fut quand même un exemple typique de lutte armée « d’accompagnement », de suivi de la spontanéité des luttes, de prolongement et de radicalisation des luttes -ce qui en soi n’est pas forcément négatif. Sa théorisation et sa traduction en termes politiques furent par contre négatives : elles n’amèneront jamais à des résultats intéressants pour l’évolution de l’affrontement stratégique. Pire, cela confinait la richesse du mouvement spontané dans sa spontanéité, dans un mouvement circulaire qui ne pouvait pas effectuer de sauts de qualité.

    A la longue, cela ne pouvait produire que marginalité et fragmentation et, sous les coups de l’offensive bourgeoise, recul et récupération dans le maillage institutionnel (ce à quoi s’attelèrent, avec un grand professionnalisme, les dirigeants-retourneurs de vestes).

    Ce sera l’une des grandes démonstrations que la Révolution, ou un processus révolutionnaire, ne se déclenche pas de soi-même, en vertu de la radicalisation des masses (qui est par ailleurs importante) mais nécessite bien un plan de Parti, une force qui subjectivement pose l’ensemble des outils (idéologiques, de stratégie, de ligne politique, et d’organisation politico-militaire) indispensables à l’affrontement de longue durée, pour transformer l’antagonisme de classe, l’autonomie de classe en force consciente et déterminée à prendre le pouvoir, installer la dictature du prolétariat, comme prémisses, bases minimales et incontournables pour démarrer la moindre transformation des Rapports Sociaux.

    Mais l’axe qui devint de plus en plus important est bien celui de l’attaque contre les appareils d’Etat : le parti-régime, la DC, les corps de répression et la nouvelle contre-guérilla.

    Cela surtout par l’impulsion des BR qui, depuis le lancement de l’ »attaque au cœur de l’Etat », concentraient leurs efforts pour que s’accomplisse le passage du plan d’affrontement travail/capital au plan classe/Etat, au plan stratégique de la lutte pour le pouvoir.

    Et pour cela, s’appuyant sur les rapports de force que la classe exprimait en cette phase (à laquelle contribuait largement l’initiative combattante, intervenant au vif dans les usines), les BR commencèrent à « hausser le tir », « élever le niveau de l’affrontement ».

    Les exécutions ciblées de figures de l’appareil d’Etat et du capital devinrent la méthode d’intervention la plus importante, celle qui caractérise et cadence l’intervention politique de l’Organisation dans la lutte de classe.

    Sur ce plan elle sera vite secondée par P.L. qui agira en partant d’autres présupposés, d’autres dynamiques – la militarisation du mouvement antagoniste, en forme du « combattimento proletario » (la transformation des groupes et collectifs de quartiers en équipes combattantes de bas niveau), le contre-pouvoir, la guerre sociale totale, le combat contre les restructurations productives et sociétaires, très lourdes et tendanciellement militarisantes et atomisantes, destructives du tissu social (sur ce point l’analyse n’était pas mauvaise, en anticipant largement les phénomènes négatifs qui se déploieront ensuite dans nos sociétés, mais auxquels on donnait des réponses erronées).

    Restructurations auxquelles on ne pouvait plus opposer que l’organisation de réseaux et de communautés de lutte et combattantes (en fait, comme toute vision « totalisante », c’était extrémiste et désespéré), dans une radicalisation de l’affrontement armé dépourvu de stratégie et de tactique.

    Du moins dans cette première phase de l’ « élévation du niveau d’affrontement », P.L. -on est en ’77/’78- gardera une certaine lucidité politique et constituera une sorte de front unique avec les B.R. et d’autres organisations mineures. Et c’est ainsi que les appareils de répression commencèrent à ressentir durement les coups, à perdre leur lâche arrogance d’impunité, à avoir peur.

    Mais il y aura bientôt un tournant, le passage le plus ardu. Le 16 mars 1978 les BR enlèvent Aldo Moro, président de la DC.

    10. La campagne de printemps : l’opération Moro

    Avec le recul du temps, cela reste une attaque audacieuse et fort impressionnante. Elle a demandé un niveau d’organisation et une détermination énormes, outre une profondeur de projet politique et une vision de grande ampleur.

    Cela signifiait faire irruption au beau milieu de la scène politique bourgeoise, juste au moment où elle était en train d’accoucher d’une grande opération. Rien de moins que l’ « Entente Nationale », la première coalition gouvernementale ouverte à la participation, externe, du parti révisionniste (le PCI).

    Rien de moins parce que l’enjeu était un durcissement sérieux de la contre-offensive bourgeoise contre la classe, le coup d’envoi de grandes restructurations productives et sociétales, des grandes lignes d’étatisation et militarisation sociale dans le cadre de la tendance à la guerre impérialiste.

    Du point de vue des révisionnistes c’étaient les prémisses de leur rêve, le « compromis historique », la fin formelle de leur déguisement communiste et leur incorporation définitive dans la classe politique bourgeoise.

    Ces prémisses étaient en si bon chemin que les patrons US observaient l’expérience avec bienveillance. Il faut rappeler que Moro était homme dévoué au Vatican, c’est à dire à l’autre grand centre de pouvoir en Italie qui, tout en étant la force réactionnaire que l’on connaît, était favorable au projet. Ainsi le PCI mit tout de suite sa force (à l’époque considérable) au service du front anti-terroriste, en se chargeant des mobilisations de rue, des grèves de protestation (le plus souv0ent ratées !) et du travail d’espionnage et de flicage dans les usines et les quartiers.

    Ils avaient peur, une grande peur. D’un coup ils mesuraient la force et l’enracinement pris par le « Parti Armé ». Parce qu’au de là de leurs mensonges propagandistes habituels, ils savaient qu’on ne peut pas atteindre certains niveaux sans un appui et un soutien populaire adéquats.

    Quand, après les arrestations et reconstructions juridiques des évènements, on connaîtra la réalité « objective », il apparaîtra que parmi la dizaine de participant(e)s à l’action d’enlèvement, la majorité étaient des militant(e)s ouvrier(e)s (souvent reconnu(e)s à l’avant-garde) passé(e)s à la clandestinité, et dont une partie s’était détaché(e)s des rangs révisionnistes. Pour donner un exemple : Mario Moretti était un ex-délégué du personnel chez Siemens de Milan, le deuxième délégué en nombre de voix..

    Autre aspect très important, du point de vue politique et idéologique : la majorité de cette dizaine de militant(e)s étaient dirigeant(e)s de l’Organisation, au plus haut niveau. Application des principes marxistes d’unité du travail intellectuel et travail manuel, éthique marxiste de la responsabilité.

    Pendant 55 jours le bras de fer se déroulera sur la demande de libération de quelques prisonnier(e)s, non pas comme finalité de l’action qui était dans son propre contenu, mais comme minimum pour concéder un acte de magnanimité, en suspendant la sentence émise contre le président de la DC.

    Cette attaque avait une dimension telle et tellement imprévue qu’elle bouleversa le cadre politique, le déroulement de l’affrontement de classe. A l’intérieur du mouvement révolutionnaire elle assit l’hégémonie BR, elle leurs donna un crédit et une autorité inégalées.

    Elle révéla au grand jour toutes les insuffisances et limites des autres hypothèses et organisations, nombre d’entre elles furent d’ailleurs traversées verticalement par ce tremblement de terre, se cassèrent, une partie allant se dialectiser étroitement avec les BR, puis les intégrer.

    Dans les mois suivants elles purent enrôler largement, même en sélectionnant strictement, ouvrir des nouveaux fronts, intensifier l’avancée. Cela mettait en grosse difficulté les OCC de l’aire subjectiviste, décalées comme elles l’étaient par rapport à la conception du processus révolutionnaire, surtout les mouvementistes endurcis.

    Se bornant à défendre le mouvement comme leur petit jardin, devant s’alimenter en circuit séparé, incapables de concevoir le processus par étapes, avec une stratégie et une tactique (la plupart couvaient désormais les théories sur la fin du politique et sur la valeur immédiatement subversive de l’antagonisme social…), elles nourrissaient une franche rancune contre les BR coupables d’être sur le chemin de leur projet.

    Au niveau des masses, la perception se diffusait qu’il y avait deux voies : soit la voie parlementaire, celle du PCI, soit la voie révolutionnaire, celle des BR (en prenant la chose pour ce que peuvent valoir les sondages…quelques mois après, un hebdomadaire eu la malencontreuse idée d’en mener un dans des conditions d’anonymat suffisantes pour que 10% des personnes interrogées environ déclarent qu’elles auraient voté BR. Les pauvres journalistes risquèrent le lynchage).

    Mais, comme il arrive souvent, juste à l’apogée d’un phénomène se déclare aussi le passif des contradictions et des limites à dépasser. Les grands sauts demandent aussi de grandes capacités pour les assumer, les consolider, savoir procéder dans les nouvelles conditions -plus avancées mais aussi plus exigeantes. Et là, malheureusement, on verra les BR. non seulement ne pas interroger leurs propres limites et erreurs, mais, dans une certaine mesure, s’y enfoncer.

    Cette erreur d’évaluation sur les termes et les modalités de la crise capitaliste se renforçait du fait du marasme politique dans lequel l’opération Moro avait jeté le régime.

    Mais si le régime était en grande difficulté, il n’était tout de même pas aux abois, et il aurait suffi pour voir cela de considérer avec plus d’objectivité les grandes foules qui remplissaient les rues à l’appel des partis bourgeois. Il y avait une partie importante de la société qui formait le carré autour du système : on ne pouvait pas réduire le problème à un Etat qui se maintiendrait désormais seulement par la force ! Et ce fut une grave erreur d’appréciation, qui pèsera lourd sur le développement stratégique.

    Ainsi le mot d’ordre devenait l’accélération du passage à la guerre civile déployée. Et à l’intérieur de ça, la formulation du Mouvement Prolétarien de Résistance Offensive comme interlocuteur fondamental de la dialectique Parti/Masses.

    Or le M.P.R.O. était le tissu des noyaux armés et des petites organisations locales, plus les ouvrier(e)s qui donnaient volontiers une aide, mais le tout justement constituait plutôt l’aire combattante, et non pas les mouvements de classe comme réalité et dynamique beaucoup plus profonde et vaste, et pas forcément disposé au passage aux armes.

    D’ailleurs la grande intelligence politique des BR, et autres OCC avait été à leurs débuts de comprendre et de pratiquer une dialectique entre les différents niveaux de conscience et d’organisation de classe, en dessinant justement une stratégie qui prévoyait les moments et les sauts de maturation et d’implication.

    Là, on allait se tromper gravement sur une possible disponibilité des masses, indistinctes, indifférenciées, au passage aux armes. On oubliait les caractères fondamentaux (définis dans l’analyse léniniste) d’une situation de crise révolutionnaire, qui exige le facteur subjectif – l’existence d’une Organisation qui comme les BR avait désormais les caractères de Parti, et qui agissait en tant que tel – mais pas seulement. Les facteurs objectifs d’aggravation de la crise économique et politique et des conditions de masses sont aussi nécessaires. Les conditions étaient encore loin du seuil de rupture généralisée.

    La question-clef, le nœud politique principal qui deviendra évident à l’apogée de l’offensive révolutionnaire (parce qu’on se trouvait là avec un formidable potentiel et la voie dans laquelle on le dirigerait serait décisive), fut probablement que les caractères fondamentaux de la conception stratégique se concentraient, qu’ils soient déclarés mais aussi sous-jacents, et donc que les défauts d’éclectisme et de mécanicisme allaient se révéler au grand jour dans la transposition du modèle de la « Guerre Révolutionnaire Prolongée ».

    En premier lieu parce que ce modèle était d’abord issu des expériences chinoise, vietnamienne et latino-américaines, c’est-à-dire de références sacro-saintes, mais qui n’étaient pas mécaniquement transposables (pour autant d’ailleurs qu’il y ait quelque principe que se soit qui puisse être transposé mécaniquement…), surtout quant aux caractères de formation socio-économiques du centre impérialiste.

    On est donc devant le grand mérite, et devant la grande limite ! Le mérite est d’avoir concrétisé un chemin révolutionnaire au cœur du système impérialiste, en donnant un vrai débouché aux grandes luttes de masse et au mouvement révolutionnaire – en permettant vraiment d’affronter le révisionnisme (et, en tendance de le battre) et de dépasser le bourbier d’un extra-parlementarisme inconséquent ou d’un m-l-maoïsme déclamatoire et théorique – le mérite d’avoir repris ce chemin en se liant à nouveau, de manière organique et conséquente, aux dynamiques du mouvement communiste international.

    La limite est d’y avoir amené aussi des éléments d’éclectisme et de « jeunesse », et de s’être trouvé aussi rapidement face à un combat énorme, en devant tout apprendre, sur le terrain, au milieu de difficultés inimaginables.

    C’était un peu le prix à payer. Ceux/celles qui croient aux révolutions parfaites et polies, qui adhèrent aux schémas généraux (même les plus justes) peuvent changer de métier ! (Ils feraient moins de désastres, à chaque difficulté rencontrée, en étant du genre à se retourner promptement contre la révolution qui déçoit leurs idéaux de présomptueux petits bourgeois ; comme on le verra en Italie, comme on l’a vu dans toutes les expériences historiques)

    Cette limite consista donc dans l’application d’un développement stratégique linéaire, de somme des actions et des capacités et de croissance organisationnelle-opérationnelle, au-delà des considérations de phase, de sauts de qualité, des discontinuités par contre bien nécessaires.

    C’est-à-dire : même en se basant sur des rapports de force de classe, sur un tissu de luttes et d’organisation de masse important, nous n’étions pas dans une phase révolutionnaire – et ici se révèlent décisives les caractères objectifs, par exemple le niveau de profondeur de la crise capitaliste, de l’appauvrissement des masses, etc. – et le chemin emprunté, tout en étant juste, devait être adapté, développé sur des temps différents. Plutôt qu’accélérer l’offensive, il fallait au contraire se consolider à l’intérieur de la classe, sur la base d’une présence politico-militaire, bien plus concentrée et limitée aux grandes interventions politiques ponctuelles.

    Et à ce point, on en avait la force et les capacités : c’était le moment de faire encore de la politique armée, non pas la guerre déployée !

    Cela aurait demandé une plus grande capacité de recul politique encore, de faire un pas en arrière pour récolter et approfondir, systématiser l’implantation théorique et stratégique – rectifiant le bagage éclectique qu’on traînait et en précisant la matrice léniniste qui était à ce point utile et correspondante à la tâche – la force politico-organisationnelle étant assurée à un très haut niveau, assurant le maintien d’un certain niveau offensif.

    C’est au contraire l’escalade qui a prévalu.

    1978 constitue ainsi le tournant d’une logique de guerre. Quantitativement on aura à peu près le même nombre d’attaques incendiaires et à l’explosif (une centaine), de jambisations (une vingtaine), tandis que se raréfient les irruptions/perquisitions (seulement 4, et c’est aussi un signe du choix d’orientation) et que le centre de l’offensive devient les exécutions (carrément 28, quand jusqu’en ’77 il y en avait eu 10, et étant en partie non prévues dans le projet initial de l’action).

    Voyons dans le détail pour mieux comprendre.

    Les BR frappent, outre Moro et les cinq agents des équipes spéciales qui l’escortaient :

    – le juge Riccardo Palma, haut responsable de la politique pénitentiaire et des prisons spéciales.

    – le maréchal de police Rosario Berardi, responsable contre-guérilla à Turin.

    – le sous-officier pénitentiaire Lorenzo Cotugno, tortionnaire notoire à Turin.

    – le vice-commandant des gardiens à la prison de Milan, Francesco Di Cataldo, responsable du Centre Clinique et de tous les assassinats, directs et indirects, de prisonniers ; par le manque de soins ou par les violences déguisées.

    – le chef de la police de contre-guérilla de Gènes, Antonio Esposito.

    – le dirigeant d’usine Pietro Coggiola, de la Lancia de Turin.

    – un autre magistrat du Ministère de Justice, responsable carcéral, Girolamo Tartaglione, Rome

    – les carabiniers de contrôle extérieur à la prison de Turin, Lanza et Porceddu (corps spécialement institué avec celle des prisons spéciales

    Quant aux autres OCC :

    – le responsable des sbires d’usine chez Fiat Cassino, Carmine De Rosa (ex-officier carabinier), par les Formations Communistes Combattantes (proches de P.L.)

    – l’agent de police Fausto Dionisi, dans une tentative ratée d’évasion par un commando de P.L. à la prison de Florence.

    – le notaire Gianfranco Spighi, à cause de sa réaction pendant une expropriation, par Lutte Armée pour le Communisme.

    – le maréchal pénitentiaire Antonio Santoro, tortionnaire à la prison de Udine, par les Prolétaires Armés pour le Communisme.

    – les trafiquants d’héroïne Giampiero Cacioni, Saaudi Vaturi et Maurizio Tucci, à Rome par Guérilla Communiste. Lors d’une attaque contre d’autres trafiquants, tombe par erreur Enrico Donati ; G.C. en assume la responsabilité

    – le criminologue Alfredo Paolella, à la prison de Pozzuoli-Naples, par P.L.

    – le trafiquant d’héroïne Giampiero Grandi, à Milan, par Squadre Proletarie (satellite de P.L.)

    – le procureur de la République de Frosinone (Latium) Calvosa, ses deux agents d’escorte, Pagliei et Rossi, par les F.C.C. Au cours de la fusillade le camarade Roberto Capone tombe aussi.

    Ce qui ressort assez aisément est une grande différence politique : tandis que les autres OCC, même en frappant juste, n’arrivent pas à dépasser une dimension partielle, en tant que prolongement armé des luttes et de l’affrontement des appareils de répression (et aussi cette respectable campagne contre les trafiquants de mort), chez les BR on voit se déployer toute une offensive contre le Capital et l’Etat, dans ses institutions fondamentales, on voit une conception générale, un programme pour toute la classe, une stratégie.

    Cela se perçoit aussi dans l’implantation théorique. Les premiers se cantonnent au maximum à cette notion du « contre-pouvoir » (notion dont toute expérience historique a démontré l’inanité, traînant au mieux la classe dans une attitude défensive vouée à la défaite, et sombrant souvent, de compromis en compromis, dans le réformisme institutionnalisé…que l’on pense aujourd’hui au cas des Zapatistes du Chiapas) ; ou à une compréhensible recherche de nouveaux parcours révolutionnaires (tout en considérant les dérives des pays socialistes), devenant néanmoins vite un aventurisme éclectique, confusionniste qui amènera aux redditions les plus honteuses (celle de P.L., pratiquement en bloc, après une année de prison pour la grande part des militants, et leur recyclage dans les méandres de nouveaux mouvements pacifistes) .

    Les deuxièmes produisirent des textes, et une théorie aussi, qui cherchaient à aller de l’avant mais en réélaborant le fil de continuité avec l’histoire révolutionnaire du siècle, de façon critique et sans ce « souverain mépris » qui distingue les mouvements et militants petit-bourgeois. Leurs textes étaient largement compréhensibles et posaient les questions à affronter quand on veut vraiment « faire la Révolution ».

    La Résolution de Direction Stratégique de février ’78 reste une référence, un texte très utile pour les militants qui se posent le problème de la Révolution Prolétarienne aujourd’hui et dans les pays impérialistes (dernièrement les services secrets italiens, toujours à l’œuvre pour décrypter les évolutions du camp révolutionnaire, ont reconnu au cours d’un interview journalistique, la grande qualité de ce texte, qui aurait anticipé sur les phénomènes de mondialisation, restructuration internationale des productions, concentration des pouvoirs dans des structures transversales et cercles réservés, tendance à la guerre, à une époque où les autres partis ne voyaient rien de tout ça et le dénigraient comme relevant du délire…)

    Mais la pente est engagée : presque tout le monde, tout en partant des différentes positions qu’on a vues, déclara imminent le passage à la guerre ouverte, que la contradiction de classe se réduisait désormais à son aspect militaire, avec un système capitaliste qui aurait perdu toute légitimité et qui survivrait seulement grâce à sa force brute.

    Les premiers mois de ’79 donneront lieu aux premiers « dérapages » sérieux.

    11. 1979 : entre potentialités et dérive militariste

    Le mois de janvier verra l’exécution de Guido Rossa, délégué ouvrier dans une aciérie de Gênes, mais aussi militant révisionniste et espion. C’était lui qui avait balancé un camarade d’usine, Francesco Berardi qui ensuite se donna la mort en prison. Pour être complet, l’action devait être une jambisation mais la réaction de l’espion conduisit à sa mort. On mesura là comment des erreurs d’évaluation politique (sur la phase, les rapports de force et la maturité des passages) peuvent être lourdes de conséquences.

    Le parti révisionniste donna toute sa force dans la mobilisation réactionnaire, l’Etat tout content de pouvoir enfin dire que «ces prétendus révolutionnaires» tirent sur tout le monde, y compris les ouvriers, «flics et ouvriers unis contre le terrorisme», etc. Seulement deux mois avant, dans certaines usines Fiat, on avait appelé au boycott d’un débrayage pour les carabiniers abattus en bas de la prison de Turin ; appel par dazibao : «On ne fait pas grève pour les carabiniers», signé par les Collectifs Ouvriers locaux et scotché à l’intérieur des bâtiments.

    Et le débrayage avait généralement échoué ! Ici, par contre, il a fallu subir le déferlement de tout l’appareil et de la base révisionnistes qui imposeront le débrayage à tout le monde, l’air menaçant, jusqu’à l’arrêt des lignes.

    Les contrecoups internes au mouvement révolutionnaire commençaient. Ils étaient nombreux à douter de cette escalade -frapper toujours plus et plus loin. Cette tendance militarisante commençait à se voir, ne levant encore que des doutes puisque le crédit des B.R. était grand, et justement sur le plan de l’implantation politique, globale, de dialectique pratiquée avec la réalité de classe.

    L’autre épisode marquant fut les représailles conduites par P.L. suite à l’assassinat de deux de ses militants, Barbara Azzaroni et Matteo Caggegi. La police les surprit en attente dans un bar de Turin, en opération. Arrivés en force (grâce à la dénonciation d’un commerçant), les flics abattirent les camarades d’une pluie de plomb, sans qu’ils aient le temps de réagir.

    Ce fut un grand choc : elle était à l’avant-garde des luttes sociales à Bologne, lui était jeune ouvrier chez Fiat, très connu également. Les funérailles furent de fortes mobilisations, très tendues.

    Ce choc eut un effet d’impulsion pour nombre de camarades, vers l’affrontement, la radicalisation. Mais si cela pouvait être compréhensible et juste au niveau des personnes, cela ne pouvait pas être une ligne politique pour une organisation. La direction de P.L. de Turin: elle exécuta un guet-apens, dans un bar, en causant la mort d’un jeune qui passait par là, et blessant un camarade (par feu ami !) tandis que les flics parvenaient à s’enfuir. Elle allait ensuite abattre le propriétaire du bar où étaient tombés Barbara et Matteo, persuadée, à tort, qu’il était la balance.

    Enfin, une catastrophe qui déclencha tout de suite la première grave crise interne, puisque ces évènements mirent en lumière les limites typiques des organisations non centralisées : la prétendue « démocratie fédérative » conduit souvent en réalité au bordel décisionnel, aux coups de tête de chaque entité locale. Il n’est pas tout à fait juste d’imputer le concept de « démocratie fédérative » à P.L., mais c’était l’essence de la situation, prise à cheval entre héritage communiste, opéraïstes et tentations anarchisantes.

    Ainsi deux dirigeants nationaux démissionnèrent en désaccord avec cette dérive, à la fois sur la méthode décisionnelle et sur le fond des opérations. L’un des deux conduisit la première scission, mais surtout, on le verra dans la suite, P.L. s’enlisera dans un amoindrissement de capacité de projet, de programme et dans une opérativité de pur affrontement avec les appareils d’Etat, par actions souvent décousues et de « survie ».

    Elle réalisera encore deux actions en 1979 : l’exécution d’un sbire tortionnaire à la prison de Turin, Giuseppe Lorusso, et celle d’un des plus hauts dirigeants de Fiat, Carlo Ghiglieno, à l’automne, en pleine annonce de la contre-offensive patronale, avec une vague de licenciements politiques à Turin, et dans une situation de classe très propice.

    Deux actions correctes, mais décalées à cause du mauvais travail politique fait par P.L. au niveau de masse, qui avait amené à sortir de l’usine des militants ouvrier de qualité, pour les clandestiniser ; et ensuite à recruter plutot les jeunes extrémistes qui avaient tendance à quitter l’usine, qui vivaient l’engagement armé ailleurs et non pas dans un projet intégrant les questions du mouvement de masse.

    Les autres opérations furent une attaque contre la magistrature marquée par cet extrémisme concurrentiel – il fallait chercher l’ennemi toujours plus à gauche – qui les amena à exécuter le juge Alessandrini de Milan (opération très mal perçu également, parce qu’il s’était en plus beaucoup occupé des fascistes et des sbires de l’Etat et pas pour les couvrir). Et puis deux bavures, une au cours d’une expropriation (à cause de la maladresse d’un militariste notoire, qui deviendra l’un des premiers repentis…), et l’autre par erreur (à nouveau) sur la personne.

    Enfin, comme on peut constater, ce n’est pas faire de la polémique partisane que relever une dérive évidente entre manque de clarté programmatique-stratégique, manque d’homogénéité et de centralisation, nombre excessif de bavures (révélateur, à ce point, des problèmes de fonds).

    Et sans s’attarder sur le fonctionnement à la base – il faut savoir qu’à ce moment-là P.L. est sûrement l’OCC ayant le nombre plus élevé des militants, séparé(e)s entre le niveau supérieur et celui du « combat prolétarien » (les Squadre Armate Proletarie, le Ronde Armate Operaie, et d’autres qui constituaient le réseau interne aux masses) – où se répercutaient tous ces nœuds et défauts.

    D’ailleurs, même le nombres élevé de militants de P.L. et de ses structures de « combat prolétarien » étaient en réalité un défaut, étant le résultat de cette ligne sur « l’armement de masse » qui signifia pratiquement la transposition de collectifs et secteurs du mouvement de’77, surtout sur le plan d’organisation armée. Chose qui, comme on peut imaginer, passe outre à toute sélection ou structuration sérieuse, et pire encore, confond niveau de masse et niveau d’avant-garde.

    Le pire fut l’aplatissement de toutes les agrégations de base sur la tendance militarisante, ce qui, comme nous le signalions dans le cas des réalités d’usine, provoqua la sclérose des potentialités et des dynamiques au niveau de masse et provoqua des escalades, même au niveau des quartiers : à un certain stade il fallait chercher des ennemis, puisque tout le monde « y était passé », et c’est comme ainsi que furent touchés des personnes complètement périphériques comme des vigiles municipaux, des gynécologues, des architectes de prison et des commerçants qui avaient tiré sur les braqueurs.

    Cela nous renvoie à une histoire bien connue à cause de sa grande médiatisation : celle des Prolétaires Armés pour le Communisme, groupe formé sur la vague de ’77, de cette tendance à l’armement de secteurs entiers du mouvement.

    C’est un peu le type de ces groupes qui n’avaient pas de véritable structuration politique, programmatique et qui étaient extrêmement éclectiques, même du point de vue idéologique. Ainsi leur existence se consuma dans une explosion de deux-trois ans, pour se dissoudre à nouveau dans les différents courants mineurs du mouvement – quelques-uns intégrant les deux organisations majeures.

    Plutôt originaires des cercles autonomes, les P.A.C. s’organisaient déjà autour de la réappropriation et, comme d’autres groupes, théorisèrent et pratiquèrent l’expropriation comme forme d’existence, comme forme de rupture avec le travail salarié (vieille racine du mouvement révolutionnaire international, depuis la Bande à Bonnot).

    Ils s’attaquèrent aux structures de la répression, ciblant notamment le projet des prisons spéciales, ayant parmi eux notamment des ex-prisonniers qui avaient participé à la vague des luttes internes. Quelques actions furent aussi menées en soutien aux luttes ouvrières (jambisation et incendies), mais le centre de leur attention était surtout ce terrain où se pratiquait la « libération concrète » du travail salarié et ils en arrivèrent à cette campagne originale (c’est le moins qu’on puisse dire) de représailles contre les commerçants qui tiraient sur les braqueurs.

    Bon, pour comprendre il faut aussi expliquer que, dans le climat de durcissement répressif, de contre-offensive bourgeoise, la mobilisation réactionnaire des couches intermédiaires, des classes moyennes, en utilisant leur attitudes mesquines de petits propriétaires faisait partie de toute une campagne. Ainsi par exemple l’extension du « droit à se défendre », en fait du droit à tuer de la part des sbires et de bons bourgeois.

    Ainsi se multipliaient les cas d’assassinats « par légitime défense », en doublant les exécutions faciles des flics dans les quartiers contre les petits « voleurs » ou simples prolétaires sur des contrôles routiers. Les P.A.C. décidèrent de répondre à tout cela et ils en arrivèrent à ces deux exécutions du bijoutier Torregiani, à Milan, et du boucher Sabbadin, près de Venise.

    Ensuite il y aura une rafle dans un quartier de Milan, d’où l’on soupçonnait provenir les PAC, et les flics y allèrent lourdement avec violences et même les tortures. L’organisation répondit en abattant un agent de la Digos (police politique) impliqué, Andrea Campagna.

    Comme on le voit c’étaient des campagnes de prolongement des luttes et d’une certaine radicalité du mouvement. Au cours de l’année ’79 même, l’expérience s’épuisa ; certains intégreront P.L., d’autres radicaliseront encore leur matrice, en se constituant en tant que « Braqueurs communistes »…

    Une autre expérience à mentionner est celle de « Barbagia Rossa », Barbagia étant une région interne à la Sardaigne.

    Or la Sardaigne a gardé depuis l’unification de l’Italie une identité rebelle forte, en ayant en fait subi l’unité comme une véritable colonisation : au sous-développement imposé par le capitalisme italien, correspondaient ses phénomènes socio-économiques. Elle fut utilisée comme bassin de main d’œuvre migrante, on n’y installa que quelques usines de la pire espèce (pétrochimie et autres saletés) et plusieurs prisons en utilisant spécialement une partie du prolétariat sarde comme flics pénitentiaires (dans toute l’Italie).

    On y trouve encore des bases militaires, italiennes, américaines, et de l’OTAN (la moitié des servitudes militaires italiennes y sont basées !). Le tableau devrait être assez clair. Ainsi le mouvement de révolte de classe y a une grande tradition (nombre des grandes figures du communisme et de l’anarchie en proviennent, que l’on pense à Gramsci), ainsi que des formes de banditisme, les deux naturellement se conjuguant à certaines périodes. En tout cas la lutte contre l’Etat et ses sbires y a toujours eu son importance.

    Barbagia Rossa naît donc au croisement de ces racines et de la nouvelle vague des années ’70.

    Le centre de ses attaques est, naturellement, contre la militarisation du territoire. En fait, elle systématise et donne un cadre politique à une pratique antagoniste diffuse, exercée par beaucoup de petits groupes liés soit aux luttes populaires, soit au « banditisme ».

    Elle subira l’exécution de deux camarades, Francesco Masala et Mario Bitti, par les carabiniers en décembre’79. Elle développera une forte relation avec les B.R., aussi en raison de la présence autour et dans l’île des plus importantes prisons spéciales d’Italie (Asinara et Nuoro).

    En fait, elles travailleront ensemble et on en verra les suites.

    Ce rappel aux prisons nous renvoie à un chapitre important de’79 : les révoltes dans deux prisons spéciales, Termini Imerese (Palerme) et Asinara. La première en septembre, la deuxième en octobre. C’est surtout cette deuxième qui doit retenir l’attention.

    L’Asinara, situé sur un petite île au large de la Sardaigne (les pires des prisons sont isolées de la sorte), était devenue le symbole des prisons spéciales, par la dureté de ses conditions, par le projet d’anéantissement qui y était visiblement appliqué contre les militants révolutionnaires, et aussi par la grande combativité qui s’y exprimait.

    Et encore, le noyau des meilleurs brigadistes y étant enfermé, cela donnait de remarquables contributions théorico-politiques pour l’extérieur : en cette année sortirent trois documents importants qui furent diffusés par la presse révolutionnaire, en devenant objet du débat.

    Un camarade de la première heure des BR, Fabrizio Pelli, mourut des suites d’un cancer, transféré à l’hôpital aux derniers jours et maintenu en isolement strict par un cordon de flics.

    Jusqu’à la fin Pelli aura refusé de demander quoi que se soit. Sa figure restera marquée dans les esprits et la mémoire.

    Ces révoltes furent gérées de manière politico-organisationnelle précise. Dans les « camps » – ainsi avaient été rebaptisées les prisons spéciales – les BR avaient impulsé la formation des Comités de Camp, où Comité de Lutte, ouverts aux différents prisonnier(e)s, surtout aux braqueurs politisé(e)s, aux rebelles qui avaient déjà une histoire de lutte derrière eux/elles. Une sorte d’organisation de masse qui agissait en dialectique avec les OCC extérieures.

    La révolte de l’Asinara visait directement et carrément sa destruction ! Les prisonniers cassèrent tout ce qui pouvait l’être, en rendant la prison inutilisable. Ce fut une action de grand courage. Les représailles furent lâches comme on peut l’imaginer, avec punitions généralisées, envoi à l’isolement dans d’autres prisons, et souvent encore violences. Mais une première victoire, très symbolique, avait été arrachée avec cette dévastation. L’Etat la remettra au plus vite en route, mais il y aura, comme nous le verrons, une deuxième offensive révolutionnaire qui aboutira.

    Côté répression, 1979 a aussi été marquée par la grande rafle dite du « 7 avril ». Elle investit de plein fouet l’aire de l’Autonomie Organisée. Quelque trente dirigeants ou ex-dirigeants, et autres militants connu(e)s furent incarcéré(e)s, tandis que des centaines de perquisitions étaient effectuées dans toute l’Italie. Ce fut une histoire très contradictoire.

    L’opération fut générée par la magistrature de tendance révisionniste, sur la base d’un classique théorème-complot (le théorème Calogero, du nom du magistrat, restera gravé comme type de ce genre de traitement judiciario-répressif de la lutte de classe). Selon ce théorème, tout était BR – l’Autonomie étant uns simple branche plus publique – et il fallait surtout chercher des « grands chefs » qui, naturellement, dans la stupide et présomptueuse vision bourgeoise, ne pouvaient être que des grandes têtes, des professeurs ou assimilés.

    Il se trouve qu’effectivement les professeurs d’université pullulaient dans l’Autonomie, qu’il y avait tout un noyau de prof-chercheurs de l’Université de Padoue d’une certaine réputation -même internationale. Leur ponte était le célèbre Toni Negri. Et voilà le tour ! Ils avaient trouvé le chef caché, le grand instigateur et penseur des BR, avec sa cohorte.

    Cela précipitera une crise politique, puisque effectivement l’Autonomie était bien loin des BR, de leur vision du processus révolutionnaire fortement caractérisée dans le sens léniniste, et en même temps encore tiraillée en son sein par différentes nuances et tendances, par des évolutions, surtout sur le plan théorique, assez hasardeuses, « virevoltantes » et insouciantes de tout esprit de continuité, de sens collectif dans la construction, de protagonisme intellectuel justement…

    Au delà de l’injustice d’être impliqués dans un projet et des activités qui n’étaient pas les leurs, Negri et & Cie commencèrent à se défendre de manière dissociée, c’est à dire en marquant leurs distances tout en faisant retomber la faute sur les autres. «Nous ne sommes pas des assassins, ni des terroristes», en adoptant le langage ennemi, ce qui implique que d’autres le sont.

    En glissant sur le terrain d’une défense de victime (les intellectuels, éternels victimes du pouvoir), légaliste, sur le terrain des garanties bourgeoises, en commençant à rétracter leurs positions extrémistes d’avant, en donnant enfin un spectacle peu glorieux et fort nuisible à la cause révolutionnaire, dans son ensemble, au delà des clivages organisationnels et de positionnement.

    D’ailleurs, cela déclencha une crise interne à l’Autonomie même, une partie importante se refusant à suivre ce parcours, en provoquant encore fracture et fragmentation, comme s’il en était besoin.

    L’organisation vénitienne, la plus importante mais la plus touchée de l’Autonomie, réagit en tout cas avec un appel à mobilisation générale et nationale, et quelques jours après seulement il y aura une vague d’attaques contre des structures de la répression et de la DC. Au cours d’une de ces opérations il y aura un incident gravissime : trois camarades meurent dans l’explosion prématurée de leur bombe. Antonietta Berna, Angelo Del Santo, Alberto Graziani, militant(e)s très connu(e)s dans leur territoire, la zone industrielle de Vicenza.

    Les funérailles et leur défense politique seront significatives (les ouvrier(e)s d’une usine, où Angelo avait participé fortement à la lutte en apportant beaucoup de soutien extérieur, firent une assemblée en leur mémoire et participèrent en masse aux funérailles, alors qu’une autre assemblée se tiendra à l’usine où il travaillait).

    Tout contribua à la radicalisation cette année-là et ce seront les BR qui conduiront encore une fois la tendance, malheureusement négative, de ce tournant. Surtout en fin d’année, quand elles donnent un terrible coup d’accélérateur, en abattant cinq flics, dans des opérations successives et ciblées.

    Reprenons la chronologie raisonnée :

    – janvier ’79, Guido Rossa, militant révisionniste délateur, exécuté par les BR à Gênes

    – janvier, Emilio Alessandrini, magistrat de Milan, exécuté par P.L.

    – février, les commerçants Sabbadin et Torregiani (qui avaient tué des braqueurs), exécutés l’un à Mestre-Venise l’autre à Milan, par les P.A.C.

    – février, Rosario Scalia, vigile de banque abattu pendant action d’expropriation par les Co.Co.Ri.

    – mars, Ermanno Iurilli, un passant, est tué pendant une action de représailles de P.L. (pour l’assassinat de Barbara et Matteo), à Turin

    – mars, Giuseppe Guerrieri, carabinier, mais tué par erreur par Guerriglia Proletaria (proche de P.L.) à Bergame, en Lombardie

    – mars, Italo Schettini, capitaliste immobilier-spéculateur et politicien DC, exécuté par les BR à Rome

    – avril, Andrea Campagna, agent de la Digos (police politique) impliqué dans les tortures suivant les rafles dans le quartier Barona de Milan contre les P.A.C., qui l’exécutent

    – mai, les policiers Mea et Ollanu sont tués pendant l’attaque BR du siège régional de la DC à Rome. Ce fut une action retentissante, qui impliqua l’occupation du territoire par une quinzaine de militant(e)s, en plein centre de Rome, marquant un niveau militaire très élevé

    – juillet, le vigile de banque Mana, tué par accident, pendant action d’expropriation près de Turin, par P.L.

    – juillet, le colonel des carabiniers Varisco, chargé des prisonniers, exécuté par les BR à Rome.

    – juillet, le barman Civitate, considéré à tort comme le délateur de deux camarades tués dans son bar, abattu par P.L. à Turin

    – septembre, le dirigeant de Fiat Ghiglieno, contre la restructuration et l’offensive patronale, exécuté par P.L. à Turin

    – novembre, le policier Granato, du commissariat d’un quartier prolétaire de Rome, San Lorenzo, centre de lutte et d’organisations, exécuté par les BR.

    – novembre, les carabiniers Tosa et Battaglini, abattus dans une action de « contre-patrouille » par les BR de Gênes

    – novembre, le sous-officier de police Taverna, exécuté par les BR à Rome

    – décembre, le sous-officier de police Romiti, exécuté par les BR à Rome

    Un aperçu de l’intensité de l’affrontement : en décembre il y aura un « vendredi noir » à Turin (comme l’appelèrent, effrayés, les bon journalistes) : un chef d’usine fut jambisé à Mirafiori, par les BR ; qui exproprièrent également une partie des payes à l’usine de Rivalta ; et pour finir la même chose à l’usine de Lingotto (c’étaient des braqueurs, mais la presse en rajouta.)

    12. 1980 : la première crise

    Jusqu’à fin mars, les choses continuent à ce rythme. Il y aura même l’exécution d’une patrouille de trois policiers de la Digos qui, en civil, contrôlaient le territoire dans une zone industrielle de Milan, et puis une offensive contre les magistrats – quatre tomberont, dans différentes villes et par différentes OCC. Mais la guerre se fera bientôt à deux : l’Etat réussit enfin à trouver un point faible, une ouverture. En février-mars, deux militants de haut niveau, après leurs arrestations et quelques jours d’isolement, trahissent et donnent des dizaines de camarades.

    Ce sont carrément le chef de la colonne turinoise des BR, Peci, et un responsable de P.L. toujours de Turin, Sandalo. Là on mesura tout de suite une grave erreur stratégique (sinon de fond sur la façon de concevoir l’organisation et le rôle des chefs). Ils en savaient trop, beaucoup trop : dans le cas des BR à cause d’une mauvaise conception de la centralisation et vérification des informations sur les camarades (défaut marxiste-léniniste), tandis que chez P.L. c’était plutôt l’allure anarchisante qui produisit le même résultat.

    Mais la crise politique se révéla dans le fait que ces deux trahisons furent suivies par d’autres et, plus généralement par un manque de tenue de la part de nombreux camarades, par l’incapacité de tenir face à des pressions auxquelles tout(e) militant(e) était censé(e) être prêt(e), à ce moment, lors de l’arrestation.

    Non, à l’évidence cela révélait un problème de fond, une crise au niveau des perspectives, qui engendrait fatigue, peur, et autres contradictions.

    Et, en tout cas, les dégâts étaient là, surtout sur le plan politique. Parce que, tandis que les traîtres ont toujours existé (et existeront toujours), la dimension du phénomène dans ce cas était excessive. Elle fit s’écrouler, d’un coup un certain prestige de grande efficacité et d’impénétrabilité de l’Organisation (par exemple, la colonne génoise des BR n’avait subi jusqu’alors qu’une arrestation, et son « blindage » était devenu légendaire).

    Elle révéla faiblesses et misères humaines, par la voix pervertie des repenti(e)s et par la manipulation médiatique, et déjà présente dans le fait patent de ces redditions instantanées, au moment de l’arrestation. Cette instantanéité choquait beaucoup parce qu’à ce moment on ne pouvait pas encore parler de torture (quelques coups dans les commissariats ne sont pas insupportables) et que, dans l’imaginaire social, on allait de suite à la comparaison avec la Résistance, avec les Partisans qui n’avaient pas produit un tel phénomène, mais au contraire un notoire héroïsme face à la torture systématique. Enfin cela entachait la crédibilité des O.C.C., de la lutte armée, de l’idée de Révolution.

    Et puis il y avait le terrible saut de qualité décidé par l’Etat : le massacre à froid de quatre camarades, surpris dans le sommeil, dans une base de Gênes indiquée par le traître Peci. Ce ne fut pas une fusillade, un affrontement comme souvent cela arrive (avec des pertes d’un coté et de l’autre).

    Ce fut un massacre, confirmé par le secret imposé autour de la maison (qui ne fut rendue visitable aux journalistes que plusieurs jours après, et en vitesse), et par la consigne des corps enfermés dans les cercueils, sans que personne ne puisse les voir ! Il s’agissait d’un massacre délibéré, pour lancer un signal précis : «dorénavant on va vous tuer !»

    Les camarades tombé(e)s étaient fort représentatifs de ce que sont les BR Anna Maria Ludman, employée de bureau, Lorenzo Betassa clandestin ex-ouvrier Fiat et délégué, Pietro Panciarelli clandestin ex-ouvrier Lancia, Riccardo Dura clandestin ex-ouvrier marin.

    Les BR diffusèrent un tract en leur honneur, dans de nombreuses villes et usines et, plus généralement, le mouvement révolutionnaire assuma leur mémoire, dans la bataille contre les médias qui étalaient leur sale oeuvre de dénigrement.

    Côté organisations, on réagit en cherchant naturellement à limiter la portée de l’affaire, essentiellement en parlant de «punaises à écraser» (les repentis), et en continuant comme avant (ce qui était assez compréhensible, une réflexion et d’éventuelles corrections auto-critiques demandent du temps et des précautions). La guerre continua, mais un tournant majeur se produisit à l’automne.

    Fiat, chef de file du grand capital italien, profitant aussi du démantèlement simultané des deux colonnes (BR et PL), à Turin, lança la grande contre-offensive en déclarant l’état de crise et un plan de 14.000 licenciements (ce qui à l’époque était un « scandale », inimaginable !)

    La lutte fut grande – 35 jours, avec une première phase de cortèges internes et d’attaques contre les petits chefs, ensuite une phase d’occupation des usines qui en réalité se révéla une manière subtile des syndicats pour alourdir la lutte, la faire faiblir (en mettant en fait hors d’usine la grande masse des ouvriers et en reprenant le contrôle avec l’appui de l’appareil révisionniste extérieur) – mais désormais dans une phase de défensive et de faiblesse du mouvement ouvrier, en outre à cause des lourds revers subis par les OCC.

    En maîtres du jeu, syndicats-révisionnistes et patronat-jaunes se partagèrent le travail de sape : les premiers par cette stratégie d’affaiblissement de l’intérieur et en évitant soigneusement une généralisation du conflit à d’autres secteurs ; les deuxièmes par toute la panoplie répressive-collabo, qui culmina dans ce spectacle aussi nouveau que dégoûtant de deux marches silencieuses contre la grève de tous les contremaîtres et d’une partie des employés (directement organisées par les dirigeants du personnel, sous menaces et chantage comme ils l’avoueront eux-mêmes bien des années après).

    Ils étaient effectivement des milliers mais la machine à falsifier médiatique déclama bien « 40.000 » (ce qui était tout simplement impossible seulement en comparant aux chiffres du personnel Fiat) et cela devint tout de suite de l’histoire ! Les syndicats sombrèrent dans le défaitisme, la magistrature intervint pour rétablir l’ordre en envoyant les pelotons de flics aux portes des usines, et les jeux furent faits.

    Ultime geste de fierté ouvrière : les insultes, coups de parapluie et tomates par lesquelles les bonzes syndicaux furent remerciés aux assemblées de vote de l’accord de capitulation. Le vote fut largement opposé à l’accord mais, puissance de la démocratie formelle bourgeoise, dans ces cas les syndicats trouvent toujours des raisons pour l’invalider, et en tout cas soustraire tout le support organisationnel à la poursuite de l’occupation.

    Ce qui, dans les conditions de faiblesse de l’autonomie de classe, devenait fatal. Il y eu encore deux manifs assez virulentes, le soir même dans Turin, face à un déploiement policier impressionnant, et enfin une irruption de masse, à quelques centaines, à l’un des sièges syndicaux les plus symboliques (la Ligue de Métallos – Mirafiori) pour la dévaster un peu et insulter les collabos.

    Cette défaite marquera le tournant, un changement définitif des rapports de force entre classes, même les chiffres s’y mettent : les années ’70 furent les années de lutte et d’avancées de classe, les années ’80 seront celles de la contre-offensive capitaliste.

    La classe ouvrière Fiat avait jusqu’alors constitué l’avant-garde de masse reconnue, le pôle par excellence. Et cela par la forte concentration et l’homogénéité de classe dans le pôle de Turin qui, de surcroît, avait été le haut lieu de tous les moments forts de la lutte révolutionnaire du siècle en Italie.

    L’affrontement de classe et, spécifiquement, l’affrontement armé, deviendront toujours plus aigus durant les deux années suivantes. Pour donner des dimensions : 1980 restera l’année ayant vu le plus grand nombre d’arrestations, 1.021, tandis que l’année précédente en avait compté 393. Il y en aura 433 en 1981, et un nouveau pic avec la véritable défaite tactique de ’82 : 965.

    Il y aura deux évènements importants fin ’80. La première scission des BR, de la part de la colonne milanaise, marque la fin de l’expansion « linéaire » des BR, révélant des contradictions internes importantes et, en fin de compte, le malaise sourd qui gagnait les rangs face aux graves phénomènes dont nous avons parlé. Un certain aspect « mythique » sur la force et le caractère unitaire s’en trouvait aussi touché.

    La crise politique qui amena à la scission appartenait naturellement au débat sur les perspectives. La colonne Walter Alasia de Milan, considérait qu’il fallait se recentrer sur l’intervention d’usine, en revenir aux points forts, aux sources de l’autonomie de classe, préoccupée surtout par des effets manifestes de décalage qui s’était produit par rapport à la réalité de classe, suite à l’escalade militarisante.

    En réalité aussi la colonne W.A. restait persuadée des « fondements », y compris la «conquête des masses au terrain de la lutte armée», sans percevoir que le problème se posait probablement déjà dans des thèses aussi extrêmes, et la divergence portait plutôt sur des nuances de projet et méthodes. Par exemple, la colonne W.A. insistait beaucoup sur la concrétisation des Organismes de Masse Révolutionnaires qui faisaient partie du programme des BR depuis longtemps et devaient assurer la dialectique avec l’autonomie de classe, la conquête des masses, avaient pris du retard.

    Mais, attention, même en devant être des expressions internes aux masses il s’agissait d’organisations clandestines et basées sur la ligne de la lutte armée (ce qui, à notre modeste avis, était déjà l’erreur à la base de cette conception de la dialectique avec les masses). C’est ainsi que la colonne W.A., pour marquer les raisons de sa prise d’indépendance, lança une campagne contre la restructuration et la contre-offensive patronale (qui venait d’éclater au grand jour avec la défaite des ouvriers Fiat) et attaqua deux dirigeant de grandes usines dans la banlieue milanaise où les BR étaient significativement présentes.

    La colonne W.A. payera aussi un lourd tribut à la répression. Plusieurs de ses militants seront abattus par les équipes spéciales de carabiniers. Les camarades Grazioli et Serafini n’auront pas le temps de réagir, ils seront abattus dans la rue à coups de mitraillettes.

    L’autre grand évènement fut l’offensive lancée par les BR, conjointement aux Comités de Lutte de Trani, contre les prisons spéciales, sur l’objectif prioritaire de la fermeture de l’Asinara.

    Cette île-prison avait subi un premier gros coup avec la révolte de l’année précédente, mais l’Etat l’avait partiellement réhabilitée. Le symbole était trop important, des deux cotés.

    L’offensive BR s’articula autour de l’enlèvement de D’Urso, magistrat aux affaires carcérales du Ministère de Justice et le bras de fer commença. Les BR réussirent cette fois une efficace opération de médiatisation en imposant la publication, dans un grand hebdomadaire national, d’un communiqué et d’une interview sur l’opération en cours.

    Apres une dizaine de jours elles furent rejointes par la révolte à la prison spéciale de Trani, où une centaine des prisonniers (organisés dans le Comité de Lutte du Camp) prit en otage une vingtaine de matons. Apres une campagne médiatique pour réduire la porté de la « concession », l’Etat organisa la fermeture définitive de l’Asinara.

    C’était là une indiscutable victoire ! Les BR tinrent parole et libérèrent le magistrat (il s’agissait d’un planificateur des conditions carcérales), tandis que les carabiniers ne se privèrent pas de mater, à leur manière, les prisonniers de Trani. Ils tireront à la mitraillette dans les couloirs pour les obliger à se réfugier dans les cellules et ensuite tabasseront systématiquement tout le monde, y compris (le grotesque dans le drame) certains des matons séquestrés. Il y aura des camarades blessés par balles.

    Quelques jours après, le dernier mot revenait encore aux BR qui exécutaient en représailles un général des carabiniers, Galvaligi, responsable lui aussi des prisons spéciales.

    On peut presque considérer cette opération comme l’apogée historique, soit par son déroulement et sa victoire, soit aussi parce que c’est la dernière qui fut menée en tant que BR unitaires. Bientôt les lignes de fracture s’ouvriront, en précipitant la crise politique générale.

    En chronologie :

    – janvier ’80, trois agents Digos, Cestari, Tatulli et Santoro, en équipe de contrôle et renseignement sur une zone industrielle de Milan, sont abattus par les BR.

    – janvier, le vice-directeur du Pétrochimique de Marghera-Venise, Sergio Gori, est abattu par les BR.

    – janvier, le colonel Tuttobene, responsable de contre-guérilla, et un autre carabinier Casu sont abattus par les BR à Gènes.

    – janvier, le surveillant d’usine Carlo Ala est tué par erreur (il ne devait s’agir que d’une jambisation) par les Noyaux Communistes Territoriaux (de l’Autonomie de Turin), dans une usine sidérurgique, Framtek, de Fiat. L’auteur de la bavure était à nouveau un « militariste », qui se repentira rapidement…

    – février, le dirigeant de l’Icmesa de Seveso, Paoletti, est abattu par P.L. à Monza (Milan). Il s’agit de la célèbre usine qui provoqua la grave pollution à la dioxine.

    – février, le vice-président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Bachelet, exécuté à Rome par BR.

    – mars, le procureur de Salerno (Campania), Giacumbi, exécuté par un noyau dénommé colonne Fabrizio Pelli (proche des BR)

    – mars, le magistrat Minervini, chargé d’affaires pénitentiaires au Ministère de Justice, exécuté à Rome par les BR.

    – mars, le magistrat Galli, exécuté à Milan par PL.

    – avril, le vigile privé Pisciuneri, tué suite à une tentative de désarmement par un noyau ex-PL à Turin

    – mai, le dirigeant de la Digos Albanese, exécuté par les BR. à Mestre-Venise

    – mai, le dirigeant régional DC de Campania, Amato, exécuté par les BR à Naples

    – mai, le journaliste Tobagi (du Corriere della Sera), exécuté par un noyau issu de l’Autonomie, la Brigade 28 mars, à Milan

    – juin, le carabinier Chionna, tué dans une fusillade après une expropriation, à Taranto (dans les Pouilles), par PL.

    – août, les carabiniers Cortellessa et Cuzzoli, tués après expropriation à Viterbo (Latium), PL.

    – novembre, le dirigeant industriel Briano, de l’usine Marelli en banlieue de Milan, exécuté par la Colonne milanaise qui vient d’opérer la première scission des BR. Dorénavant elle opèrera en son nom propre « Colonne Walter Alasia »

    – novembre, le dirigeant industriel Mazzanti, de l’aciérie Falck, exécuté en banlieue milanaise par la C.W.A.

    – novembre, le policier Giuseppe, tué dans une tentative de désarmement, à Bari (Pouilles) par PL.

    – décembre, le vigile Zappalà, tué dans une tentative de désarmement, à Pavie (Lombardie) par PL.

    – décembre, le général carabinier Galvaligi, exécuté en représailles à la répression à Trani, par les BR.

    13. 1981 : offensives et divisions

    Ce sera carrément l’année de quatre enlèvements à peu près simultanés, opérés par les trois tronçons dans lesquels venaient de se briser les BR, et en général d’un grand niveau offensif. Tandis que PL aussi allait se fragmenter en deux composantes, les Communistes Organisés pour la Libération Prolétarienne (COLP) et le Noyau Communiste, où déjà le premier sigle signifiait réellement le cantonnement de toute activité et du projet à la libération des prisonniers (en laissant tomber les velléités de libération du prolétariat, devenue trop difficile), et aux activités annexes d’auto-financement et de combat des appareils de répression.

    Ce fut presque un bien au vu des dérives, de la perte de lucidité et de consistance stratégique : leur dernière action tournée vers la classe avait été l’occupation de l’Ecole pour cadres de Fiat, où ils mirent au mur cinq professeurs et cinq élèves, en les jambisant. C’était le pur fruit des conceptions de «guerre sociale totale» et autres catégories absolutistes, qui feront des dégâts pareils à ceux des aventures du Parti-Guérilla.

    Quant à l’aire de l’Autonomie, elle poursuivait sur sa ligne d’activité de plus bas profil, mais au moins enracinée dans le territoire. Des attaques le plus souvent incendiaires ou à l’explosif, des irruptions, quelques rares jambisations. Ici la limite de la fragmentation existait dès le départ et ne sera jamais dépassée.

    Sur quoi, en plus, allait peser la ligne de dissociation développée par les groupes des pontes-professeurs, ligne qui, après qu’elle aura provoqué des scissions partout, produira le recul général de l’Autonomie (et, à plus long terme, le dépassement sur son propre terrain par la mouvance « anarco-insurrectionnaliste » qui émergera dans les années ’90).

    Le premier enlèvement est celui opéré contre Cirillo, responsable régional DC en Campanie, dans une stratégie de développement de la « guerre sociale » en relation avec les luttes locales des chômeurs et des sans-abris (notamment par rapport aux sinistrés du récent tremblement de terre qui avait confiné des milliers de familles dans des baraques et des containers, parallèlement aux spéculations ignobles qu’on s’attendait de ce parti de requins qu’était la DC).

    « Guerre sociale » parce que, justement, les organisateurs étaient la colonne de Naples et le Front des Prisons qui, par cet acte décidé de manière autonome, allaient formaliser la nouvelle rupture et la formation des BR-Parti Guérilla.

    Ce processus politique allait, en fait, coaguler toute une série des caractères sous-jacents à l’histoire des BR (et en général à la lutte armée en Italie), qui en faisait son aspect éclectique. C’est-à-dire que la matrice de naissance de la lutte armé était tributaire de différents apports qui, à l’époque, donnaient force et arguments pour rompre avec le révisionnisme.

    Et notamment la Révolution Culturelle et la théorie de Guerre Populaire, de Chine, l’expérience de guerre populaire au Vietnam, la guerre de guérilla à Cuba et en Amérique Latine, (Tupamaros et Marighela). Il y avait donc aussi de solides racines marxistes-léninistes, de continuité avec le Mouvement Communiste International. Mais les exigences de rupture par rapport au révisionnisme, à la voie pacifique et réformiste au socialisme, imposèrent des attitudes plus « prononcées ». Et puis, enfin, toute expérience nouvelle a droit à sa jeunesse, à ses erreurs… Avec le temps vient le travail de mise à point, de rectification, de précision, etc.

    Or, les éléments d’éclectisme revenaient et se transformaient en position subjectiviste/extrémiste, que ce soit dans le parcours qui avait conduit PL à un militarisme désespéré ou que ce soit dans le cas du BR-PG qui aboutissait au même résultat en partant de la radicalisation de thèses ML, et enfin de leur détournement complet.

    Voyons certaines de ces thèses. Le point de départ reste la théorie ML sur la crise capitaliste, à caractère historique, par surproduction absolue de capital. Mais on la transformait en évènement catastrophique, où la tendance devenait réalité présente. Dans cette optique, la crise était totale, l’unique réponse du système était la guerre et surtout contre le prolétariat, vu comme principal obstacle à la reprise de part du capital. Donc carrément guerre de destruction contre le prolétariat métropolitain et international.

    Et ils allaient se lier par là avec les thèses de PL sur la « crise de commandement », selon laquelle le système imposait uniquement par la force une forme socio-économique obsolète et inutile.

    L’étatisation-militarisation des rapports sociaux, de tous les méandres sociaux, était vue comme totale ; tous les supplétifs réformistes ou sociaux étaient immédiatement des flics, etc.

    Côté prolétarien, la crise de la composition de classe qu’avait vécu le cycle des années ’70 n’était pas grave, en ayant sauté d’un bon pas au « Prolétariat Métropolitain » qui, même si plus fragmenté et travaillé par les restructurations, était encore plus massif et potentiellement puissant. De même, aucune espèce de problème puisque vu que les tendances se concrétisent immédiatement, on a un Prolétariat Métropolitain très radical qui ne demande qu’à faire la guerre.

    Et la « Guerre Sociale Totale »  bien entendu : là aussi une grave dérive vers les thèses subjectivistes, dont le pivot était la négation du passage politique de la Révolution (prise de pouvoir, dictature, transition et autres « antiquités ML »), la négation du politique tout court, et l’affirmation de la valeur subversive (totale !) du social, de l’antagonisme, des luttes, des comportements et… des désirs! Le Prolétariat Métropolitain, le social même ne pouvant s’exprimer qu’en armes, la guerre de classe n’avait pour objet et programme rien de moins que la Transition au Communisme.

    Le pouvoir que l’on construit en même temps abolit le pouvoir, la légalité révolutionnaire qui abolit la légalité et, comble d’illogisme idéaliste, l’Armée Révolutionnaire comme organe suprême de recomposition de classe, de toutes les pratiques antagonistes et de destruction de tout pouvoir futur… Enfin, quand on s’envole comme Pindare on peut voltiger bien loin et, comme tout bon anarchiste, éviter de donner des réponses ancrées dans un développement matérialiste et dialectique des passages politiques et sociaux.

    Il faut bien remarquer cette accélération vers la réalisation des tendances et des processus de transition. Impatience sur laquelle influa, probablement et plus prosaïquement, l’urgence des contradictions très pressantes. Par exemple celle de l’emprisonnement croissant des militant(e)s, de l’impossibilité manifeste de trouver des solutions réalistes à cela, tandis que tout un secteur d’entre eux/elles exigeait qu’on les trouve et vite.

    Ce n’est peut-être pas un hasard si la partie de la composante historique emprisonnée, partie qui eut un rôle essentiel dans cette dérive des BR-PG, après la défaite militaire, dérapera vite dans la dissociation (avec toute une suite de récriminations et autres poisons qui envenimeront le climat dans les prisons).

    Ce qui se passait dans les prisons avait d’ailleurs un poids important depuis un moment et influa tout particulièrement sur cette séquestration. Dans les voltiges extrémistes du P.G. il y aura aussi ses analyses anarchisantes sur les prisons et les prisonniers : «Tout le monde pareil et pour objectif immédiat la destruction des prisons !»

    Or, justement la connaissance accumulée dans les luttes avait amplement confirmé les distinctions faites par l’analyse marxiste, à savoir qu’il faut se méfier du sous-prolétariat.

    Mise à jour dans ce cycle, on a pu bien voir que les prisonniers issu(e)s des quartiers ouvriers, métropolitains, étaient une chose, proches par tant de choses de la culture ouvrière et de révolte, qu’une autre était le « milieu » classique marqué aussi par des activités infamantes (comme le proxénétisme et la collaboration en sous-main avec les flics) ; et une autre encore les organisations mafieuses, marquées par une idéologie bourgeoise, aux relents féodaux (vision seigneuriale, les « vrais hommes » qui ont droit à la richesse et à exploiter les autres, l’oppression de la femme, considérée comme une servante, etc.).

    Les luttes s’étaient recoupées sur ces distinction précises de classe, avec des débordements dans les rangs de petits soldats des mafias (vu que pour eux toute l’idéologie mafieuse restait plutôt une abstraction et pas tellement une réalité de vie), en trouvant sa source chez les jeunes braqueurs des banlieues ouvrières.

    Or voilà que le P.G. passe par-dessus tout et se lance dans une aventure avec une branche de la camorra napolitaine, et c’est là aussi le résultat de ses audaces théorico-pratiques. Théoriques en tant qu’élaborations aplatissant toutes les différences et la complexité de classe dans une catégorie unique et légitimant n’importe quelle attitude sociale de « transgression » : le Prolétariat Métropolitain (on ne critique pas ici la catégorie qui, au contraire, est plutôt juste et utile, mais sa version P.G.).

    Pratiques puisque le P.G. arrive à valoriser les activités illégales-extralégales tout court, comme forme de lutte du P.M., même en expansion, une sorte de terrain substitutif à celui de la production (qui se réduisait et était soumis à la pression des restructurations). Ainsi il y aura échange de bons procédés sur ce plan et sur le plan de la lutte contre les appareils répressifs.

    Plus encore, il y aura le rapprochement interne en prison sur base du contraste au « repentir » : là malheureusement jouaient les dynamiques carcérales, le poids de la vie en captivité, avec ses pathologies, pourrait-on dire et notamment la spirale paranoïaque de la suspicion.

    Le PG voulait briser le phénomène du repentir en commençant par des exécutions exemplaires et, parallèlement, en disciplinant les rangs, en débusquant toute attitude ambiguë, potentiellement porteuse de trahison, etc. Sur cela il y avait entente avec la branche de Camorra, alors en puissance, de la N.C.O. qui mélangeait un certain populisme (démagogique bien entendu) et de la sympathie pour ces révolutionnaires qui étaient souvent issus de Naples et si courageux et forts dans l’affrontement avec les flics et l’Etat.

    L’entente fut trouvée sur ce terrain où la camorra est très experte depuis toujours : faire passer le temps en prison à ses jeunes dans une observation réciproque et constante des attitudes, des comportements, etc. toujours à la recherche de raisons ou de prétextes pour régler des comptes, pour «monter des tragédies» (comme on dit en jargon carcéral).

    Paradoxe suprême : ses dérives « libertaires » amenèrent le PG à une campagne de flicage de la vie carcérale. La vie dans certaines sections devenait infernale et produisit pas mal des drames et d’implosions : en ’83 le PG s’écroule politiquement, et une bonne partie des camarades ébranlé(e)s par ces dérives empruntèrent la voie de la dissociation…

    Et donc, évidemment, dès cette opération de séquestration du responsable de la DC Cirillo, des contacts avec la N.C.O. s’avérèrent important, particulièrement pour son dénouement par le paiement d’une forte rançon, dont une partie à la camorra, pour ses bons offices…

    Partie plutôt sur de bonnes bases en termes de contenu politique, en dialectique avec les luttes des sans-abris et des chômeurs (des exigences en ce sens avaient été avancées), elle s’est perdue dans les méandres de ces aventures politiques. En donnant à la fin l’impression d’une simple opération à rançon faite de mèche avec la camorra.

    Le mois de mai voit démarrer la séquestration de Taliercio, le directeur de la Pétrochimique de Marghera-Venise. Comme nous l’avons déjà dit, c’est un des pôles de classe en Italie, que ce soit par ses dimensions et sa concentration (avec les usines de métallurgie, autour de 40.000 salarié(e)s), ou que ce soit par ses caractères d’usine de mort, très toxique, ayant produit des fortes expériences ouvrières de critique anti-capitaliste, débordant sur le territoire amplement touché par les pollutions.

    Ainsi le niveau de l’autonomie de classe a toujours été élevé, – tant l’Autonomie Organisée que par les BR y avaient des forts liens. Cette opération s’intégrait dans le combat général contre la vague de restructurations et la contre-offensive patronale. Il n’y aura par contre pas de revendication particulière, les BR/PCC ne concevant pas une forme de « syndicalisme armé », et Taliercio sera exécuté.

    Il faut aussi rappeler qu’à l’occasion de toutes ces opérations gérées indépendamment par trois organisations, les BR qui restaient sur les positions officielles décidèrent, pour mieux se qualifier suite aux positions émergentes, de se nommer dorénavant BR pour la construction du PCC (Parti Communiste Combattant), donc BR/PCC. Nous verrons que ce sera cette organisation qui se révélera la plus solide, à tous les points de vue, la seule à survivre à la terrible épreuve des années à venir, la seule à exister jusqu’à aujourd’hui.

    Au mois de juin ce sera la C.W.A. qui séquestrera un dirigeant d’Alfa Romeo à Milan, Sandrucci.

    En pleine lutte contre un plan de licenciements massifs, cette opération fut gérée en soutien explicite à la mobilisation ouvrière avec un objectif direct : le retrait des licenciements. Ce qui fut obtenu après un mois de détention, la C.W.A. consentant alors à la libération de l’otage. On voit là une différence fondamentale entre les deux branches des BR, les uns se méfiant des dérives « syndicalistes-économistes », les autres centrant leur axe sur une dialectique serrée avec la classe ouvrière.

    En fait il faut dire qu’il s’agit de nuances qui avec le temps s’estomperont, les uns n’étant pas des « obsédés » du centralisme politique ni les autres des économistes. Aussi la C.W.A. se sauvera du désastre suivant, mais par sa tenue politique à l’intérieur des prisons et non pas en tant qu’organisation ou, du moins, en tant que projet (nombre de leurs militants sont aujourd’hui toujours actifs, au niveau public, dans le mouvement).

    Là il faut souligner aussi que cette opération survenait au milieu d’une très intense activité de la C.W.A. On peut même dire qu’en cette année 1981, elle a été l’organisation la plus efficace.

    Fleuron ouvrier des BR – avec un pourcentage de militants d’usine qui dépassait la moitié des effectifs, à peu près une centaine et concentré(e)s dans l’aire métropolitaine milanaise – la C.W.A. bénéficiait en fait de toute la richesse du parcours historique BR qui étaient nées là. Leur implantation dans les grandes usines les orienta à trop croire que la solution de l’impasse qui commençait à se profiler pouvait toujours se résoudre en « retournant aux sources », en relançant la dialectique fondamentale Parti/masses.

    Leur bataille pour le développement des Organisations de Masse Révolutionnaires, vues comme l’anneau de jonction essentiel, et le passage pour faire progresser le processus révolutionnaire, était sûrement juste. Mais, comme les autres la C.W.A. se trompa gravement en pensant que cette jonction, cette conquête des masses allait déjà se faire sur le terrain de la lutte armée.

    Ainsi, la C.W.A. fit des interventions systématiques et même spectaculaires. Elle frappa les chefs et dirigeants des plus importantes usines et grands hôpitaux, tous traversés par des luttes et des structures d’organisation autonomes, dans certains cas carrément comme O.M.R. (ce fut le cas d’Alfa Romeo, Falck, Breda et autres). Elle fut capable de jambiser un chef à l’intérieur de l’usine par un noyau de « bleus » encagoulés, chez Alfa Romeo, en plein horaire de travail.

    Un autre « détail » qui fit scandale est que le dirigeant Sandrucci, à sa libération, se montra réticent à collaborer avec les carabiniers et magistrats, en risquant des poursuites pour faux témoignage au procès. Et cela parce qu’il arriva à dire que dans le temps de confrontation avec ses gardiens, qui discutaient avec lui et lui donnèrent des textes, marxistes, à lire ; il commença alors à réfléchir sur le « sale travail » qu’il faisait… Cela aussi rajouta au prestige de la C.W.A.

    Leur grande activité était par ailleurs accompagnée d’une abondante production de textes et de brochures (dont on trouve encore une partie), d’ailleurs en général 1981 a connu une vaste production de la part de toutes les organisations, y compris les comités de prisonniers.

    Enfin, au mois de juillet il y a l’enlèvement de Roberto Peci, frère du grand repenti et collaborateur de police lui aussi. Ce fut fait par le Front des Prisons des BR, structure encore formellement centralisée, mais étant désormais dans la réalité une des deux structures qui formeront bientôt officiellement le PG La détention durera environ un mois, avec les interrogatoires et la confirmation de son double jeu et de son rôle à pousser son grand frère à la trahison. Avec l’issue qu’on peut imaginer.

    Tandis que les BR menaient cette épreuve de force, tout en étant traversées par des lignes de fracture irréversibles, les autres O.C.C étaient désormais à la fin de leurs ressources politiques.

    Elles ne conduisaient plus que des actions de survie, en relation aux prisonniers et aux camarades en clandestinité. L’unique action d’envergure fut l’exécution d’un sbire-tortionnaire, Rucci, de la prison de Milan. Mais même celle-là ne sortait aucunement du « circuit fermé » et marginalisant de l’affrontement avec la prison et la répression.

    C’était un final vraiment peu glorieux, surtout pour une organisation comme P.L. qui avait quand même une base de patrimoine théorico-politique important, et qui avait avancé des ambitions « novatrices » et d’avant-garde d’un type nouveau, intéressantes mais entachées par trop d’excès et de présomptions.

    Dans un tel cas, on peut vraiment dire que l’épreuve des faits a été décisive. Leur débandade aux premières difficultés sérieuses, leur capitulation et leur passage au camp de la dissociation, jusqu’à les retrouver maintenant dans les rangs du mouvementisme actuel pacifiste, réformiste et institutionnel, nous fait penser que le terrain de l’innovation révolutionnaire doit être maîtrisé avec prudence, cohérence, et modestie.

    Et avec le plus grand respect (critique toujours, et sûrement pas d’exaltation idéaliste-religieuse) pour les expériences historiques, qui ont été le fruit de l’élan, de la lutte et du travail de grandes masses prolétariennes. Sur le mépris, sur l’intellectualisme hautain on ne peut rien construire de bon.

    En décembre, ç’est le tournant. La fracture des BR est formalisée (après que les dernières tentatives de recomposition furent expédiées) par la publication d’une Résolution et de Thèses de la part des BR-PG -qui officialise aussi son nom-, et par la décision du Comité Exécutif -BR (l’instance suprême de centralisation) d’adopter aussi un nouveau nom, pour que les choses soient claires, à savoir BR- PCC.

    Tournant aussi parce que l’opération Dozier démarre, qui constituera le début de la défaite de ’82. Dozier est un général US, au long curriculum vitae au service de l’impérialisme. Il a agi notamment au Vietnam, et les BR-PCC. décident de l’enlever pour ses hautes responsabilités dans le commandement OTAN-Europe du Sud. L’opération se passe plutôt bien, il y a publication de déclarations du général où il reconstruit amplement des passages et des crimes de l’impérialisme US, mais on sent aussi que le climat de l’affrontement est en train de faire un saut.

    Avant de passer à cela, résumons 1981 chronologiquement :

    – février, exécution de Marangoni, directeur sanitaire des grands hôpitaux de Milan, par BR- C.W.A.

    – avril, exécution de Cinotti, tortionnaire pénitentiaire, par les BR à Rome

    – avril, Canciello et Carbone, agents d’escorte du responsable de la DC Cirillo, enlevé, par la colonne BR de Naples, sont tous deux abattus.

    – mai, idem pour le vigile Rinaldo, pendant une expropriation par PL à Vercelli (Piémont)

    – juin, le surveillant d’usine Frasca chez Alfa Romeo, abattu par PL en banlieue milanaise

    – juin, le citoyen Zidda est abattu par erreur pendant une action de Barbagia Rossa contre un carabinier en province de Nuoro (l’organisation a reconnu publiquement l’erreur)

    – juin, le vice-questeur de police Vinci, responsable de la contre-guérilla, est abattu par les BR à Rome

    – juillet, exécution de Taliercio, le directeur de la Pétrochimique de Marghera, par les BR à Venise

    – juillet, le brigadier de police Carluccio, est volatilisé en déminant une bombe posée par les Brigades Ouvrières pour le Communisme (structure de l’Autonomie)

    – juillet, le carabinier Lanzafame, est abattu dans une attaque contre une patrouille par Barbagia Rossa, dans sa campagne contre la militarisation, à Cagliari

    – août, Roberto Peci, collaborateur de police, est enlevé à Rome et executé par les BR-PG

    – septembre, le tortionnaire pénitentiaire Rucci, est abattu par PL à Milan

    – novembre, le policier Viscardi, est tué par des militants de PL au cours d’une fusillade pour se soustraire à l’arrestation.

    14. 1982 : le tournant de la défaite tactique

    A vrai dire, l’année avait commencé en fanfare. Le 3 janvier dans un assaut de grande qualité militaire à la prison de Rovigo (Vénétie), quatre camarades sont libérées, dont une dirigeante historique de PL, Susanna Ronconi. De grande qualité miliaire, puisque cela avait demandé d’isoler tout un côté de la prison, donc d’occuper le territoire, de faire exploser l’enceinte et d’ouvrir une brèche, en tenant sous le feu les matons des miradors, et enfin de récupérer tout le monde et de repartir.

    Ce qui a été bien fait, et pourtant sans empêcher un malheureux incident, avec un retraité qui passait pas loin et qui est mort d’infarctus par le souffle.

    Les camarades assumeront l’accident comme il se doit, dans leur communiqué de revendication, en présentant leurs excuses à la famille. Au moment du procès, l’épouse du retraité a dit comprendre la nature d’incident, vu les mesures de précaution et d’éloignement des passants de la rue, et que la nature de leur combat n’était pas du tout de toucher les gens du peuple. Pour cela, elle ne se constitua pas partie civile (les médias se gardèrent bien de rendre compte d’un tel geste, avec tout ce que cela signifiait).

    L’opération avait aussi été l’occasion de retrouvailles entre les deux tronçons de l’ex PL, les COLP et le Noyau Communiste. Et elle fut précédée par une autre libération brillante, en attaquant là aussi de l’extérieur, la prison de Frosinone (Latium).

    Mais, au delà de la beauté de ce genre d’opérations, le vide stratégique restait et ces opérations elles-mêmes en témoignaient. Parce que ce terrain est totalement illusoire, sauf (peut-être) dans les phases de grande puissance : or on était dans une phase de défaite tactique et les arrestations se suivaient, massives.

    Non seulement il était impossible de faire quelque chose de durable avec des forces qui se réduisaient en peau de chagrin et d’assurer les énormes besoins logistiques (PL et les groupes autonomes en arrivèrent à cette période à un nombre hallucinant d’expropriations, et cela seulement pour subvenir aux besoins de la clandestinité), mais c’était absolument disproportionné par rapport aux milliers de prisonniers.

    Pendant cette phase (’81 à ’83) leur mouvance n’a fait que s’alimenter dans un discours centré autour de la question prison-répression, en voulant y juxtaposer une perspective de libération interne à leurs catégories de « guerre sociale totale », donc en s’alimentant en illusions et frustrations, qui finiront par retomber lourdement.

    L’arrestation, seulement un mois après, d’une des évadées avec un des militants du commando en fut la démonstration immédiate…

    Entre temps tout un groupe des militant(e)s de PL est arrêté, après des jours de chasse à l’homme, suite à une expropriation et à une première fusillade (où tombent le camarade Lucio Di Giacomo et deux carabiniers), dans un bois en Toscane et à Rome à la recherche des blessé(e)s.

    Les faits sont fortement médiatisés, en soulignant l’intervention d’équipes US. C’est surtout le début de la torture systématique, par méthode scientifique sur les camarades qui tombent successivement. D’autres cas ont précédé, début janvier ’82, avec des militants des BR-PG capturés en essayant d’enlever le plus haut dirigeant de Fiat.

    Quand, à la fin janvier ’82, les équipes spéciales arrivent à débusquer la base où est séquestré Dozier, ils feront une opération très médiatisée de libération de l’otage, en montrant un nouveau visage de Rambos encagoulés, dans une finalité explicitement terroriste.

    Les cinq militants capturé(e)s seront brutalement torturé(e)s, l’un des principaux dirigeants nationaux (Savasta) craquera, en poursuivant ensuite ses révélations en tant que repenti. Là aussi les désastres seront comparables à ceux provoqués par le premier chef repenti, Peci, avec la circonstance aggravante que de nombreux camarades passeront par la torture et nombreux sont ceux qui craqueront (en se rétractant ensuite et en dénonçant la torture, mais le dégâts étaient faits.).

    Pour l’honneur, un de cinq gadiens de Dozier offrit une résistance exemplaire et il réussit au premier passage au tribunal en comparution immédiate à dénoncer haut et fort la torture, en montrant les marques sur son corps, et à faire publier le fait dans les journaux (qui ont tout fait pour l’amoindrir, le dénigrer et l’étouffer).

    Ce camarade s’appelle Cesare Di Lenardo, il est encore prisonnier (24 ans) et il a toujours gardé sa dignité et sa place dans le mouvement révolutionnaire. Très considéré par tous les prisonniers, il mérite un salut particulier.

    Avec des centaines d’arrestations en quelques mois – il y en aura presque autant cette année là que pendant l’année catastrophique 1980, presque un millier – la situation des O.C.C. se précipita, les militants ne se remplaçant pas au même rythme. Certaines organisations, comme la C.W.A., furent simplement détruites.

    Ne parlons même pas du sentiment de peur qui commençait à gagner autour d’elles le tissu de classe, déjà passablement malmené par les coups successifs reçus sur tous le plans. La donnée avait vraiment changé sur ce point. Il fallait se rendre compte qu’une perspective d’attaque, d’offensive généralisée n’était plus du tout soutenable. Un pas en arrière, et même plus, s’imposait. Les BR-PCC démontrèrent là aussi leur avance politique, en décrétant la «Retraite stratégique».

    Cela ne signifiera pas l’arrêt de l’activité, mais sa redéfinition, son repositionnement sur une ligne arrière.

     A l’inverse les subjectivistes qui, en la figure du P.G., répondirent par un appel à approfondir encore plus la guerre, tout en criant à la trahison contre ceux qui soulevaient le moindre doute : 1982 sera ainsi marqué par leurs derniers « exploits ».

    Il fallait élever plus encore le niveau d’affrontement, et ce sera l’attaque à des casernes de l’armée (trois), pour démontrer qu’on voulait passer à un niveau de guerre ouverte. Cela bien sûr avec les dérapages prévisibles, comme l’attaque des banques comme terrain proposé aux Prolétariat Métropolitain, comme terrain de recomposition, forme de lutte contre la crise et le chômage,… Et ce sera d’ailleurs dans une des ces attaques que se consommera la pire « bavure » : l’exécution de deux vigiles déjà désarmés et face au sol. Action qui déclencha enfin une réaction vigoureuse des autres organisations, l’isolement politique des auteurs en prison, et la mise en difficulté définitive du PG.

    Le PG déferla dans les prisons pendant cette année, en imposant ce climat de terreur anti-trahison (et en connivence avec une partie de la Camorra, dont on a parlé). Il y aura quelques exécutions, non pas de vrais traîtres (qui étaient évidemment protégés ailleurs), mais de camarades qui avaient craqué sous la torture et qui avaient donné peu d’informations, tout en se rétractant par la suite en déclarant vouloir réintégrer la communauté prisonnière, en y faisant l’auto-critique souhaitable.

    Ensuite il y avait un problème plus général, mais d’ordre politico-idéologique, des faiblesses et incertitudes qui gagnaient les rangs, du fait de la défaite évidente ou de la fatigue et la difficulté de la détention. Comment penser affronter cela en termes inquisitoriaux, en réduisant tout à «l’âme petite-bourgeoise prévalant sur l’âme prolétarienne» dans le reflet de la guerre sociale totale en chaque personne…

    Ils en étaient arrivés à penser cela même par rapport à la torture : selon eux, si on était vraiment convaincu, on résistait sûrement. Les expériences historiques de tous les mouvements révolutionnaires prouvent que cela n’est pas vrai. Le climat dans les prisons devint irrespirable, avec comme résultat principal de faire exploser un tas de camarades et de les jeter dans les bras de la dissociation.

    Par ailleurs, sous le poids de la défaite militaire (totale dans le cas du PG comme dans celui de PL), des déchirements violents, des coups auxquels les flics s’adonnaient maintenant à cœur joie (les luttes et révoltes internes ne bénéficiant plus ni de soutien militaire extérieur, ni d’un rapport de force de classe favorable), la chute fut brutale pour le PG.

    Se retrouver à zéro, après avoir parlé de guerre totale en développement, d’Etat réduit à l’exercice de la force brute et à l’isolement social, de transition au Communisme comme programme immédiat, etc. le contrecoup ne pouvait qu’être dévastateur.

    Ainsi fut-il. Après quelques sursauts désespérés, les dissociations, les repentirs, et au mieux les retraits dans le silence se multiplièrent au cours de l’année 1983. Le cas des « madonnari » fut le plus grotesque : tout un groupe d’anciens et de principaux promoteurs de cette aventure insensée, qui sombra dans la religion, après avoir affirmé entre autre d’avoir eu une vision de la madone!

    Ce sera moins drôle quand ils donneront lieu à des actes de « contrition » publique, comme de rencontrer certaines personnes frappées par les initiatives combattantes, en se prêtant à une médiatisation ad hoc, dans laquelle se distingue encore maintenant le triste Franceschini qui véhicule les pires calomnies sur la manipulation par les services secrets et autres délires.

    En septembre ’82, le prof. Toni Negri, avec ses acolytes universitaires, lance en grandes pompes la campagne de dissociation par un document qui circule dans les prisons, et il y trouvera évidemment un terrain fertile. Cela restera l’opération de dissociation principale, de par ses promoteurs, leurs capacités politiques et idéologiques, mais d’autres vagues s’ensuivront et se superposeront.

    Chaque groupe voulant se distinguer, et faisant parfois fine bouche, en prenant à son compte toute la manipulation bourgeoise des mots, pour mystifier, falsifier la réalité. Ainsi PL qui sera un des groupes de dissocié(e)s le plus nombreux et homogène, ne parlera pas de dissociation mais de «oltrepassamento» («dépassement») de la lutte armée, de «revisitation historique» et autres euphémismes. Leur réalité sera toute aussi dégueulasse que celle des premiers.

    Il faut bien mesurer comme la dissociation, dans ses variantes, a signifié la possibilité pour l’Etat d’opérer la désagrégation du mouvement révolutionnaire par lignes internes, d’obtenir une victoire inespérée sur le plan politico-idéologique. Parce que les dégâts du repentir restent, pour graves qu’ils puissent être à l’occasion, limités sur le plan organisationnel-militaire. Tandis que la dissociation a signifié une désagrégation, une délégitimation par l’intérieur.

    Avec un effet destructeur infiniment supérieur. On peut dire qu’entre ’83 et ’86, dates auxquelles correspondent aussi un nombre important de gros procès et donc de moments de vérité, environ une moitié des prisonniers glissa vers des formes plus où moins marquées de dissociation.

    Une loi spécifique étant approuvée, avec des largesses considérables, on assistait aux procès au lamentable spectacle d’un monumental voyage à Canossa. Une réalité d’autant plus ignoble qu’inévitablement les privilèges pour les uns signifiaient durcissement pour les autres, tant sur les peines prononcées par les tribunaux que sur les conditions de détention.

    Ceux et celles qui, tout en n’étant plus motivé(e)s, garderont une attitude digne ne se prêtant pas à ces ignobles marchandages, en ne se désolidarisant pas des groupes de militant(e)s qui continuaient, furent minoritaires. Tout cela donnera lieu à un climat d’affrontements internes dans les prisons, à une période dure pour ceux/celles qui résistaient, et à l’importance de la bataille politique contre la dissociation.

    Il est certain que toute défaite révèle des erreurs et contradictions qu’il faut ensuite savoir cerner et résoudre, et que cela prend des années. Ce sera un élément dans la redéfinition d’un projet politique à la hauteur des problèmes posés.

    Faisons une dernière chronologie pour cette année 1982:

    – janvier ’82, le retraité Angelo Furlan décède accidentellement pendant la libération de la prison de Rovigo par les COLP et NC.

    – janvier, les carabiniers Savastano et Tarsilli sont abattus, après une expropriation en province de Sienne (Toscane), par les COLP.

    – avril, le responsable de la DC Delcogliano et son chauffeur Iermano sont abattus à Naples par les BR-PG.

    – juillet, le dirigeant de police Ammaturo et son chauffeur Paola, sont abattus à Naples par les BR-PG.

    – août, les policiers Bandiera et De Marco, le militaire Palumbo, sont abattus à Salerno (Campania) par les BR-PG, dans une attaque contre un convoi militaire pour l’expropriation des armes.

    – septembre, le carabinier Atzei est abattu à un poste de contrôle routier, par un noyau proche des BR-PG, près de Turin.

    – octobre, les vigiles de banque D’Alleo et Pedio, abattus par les BR-PG, à Turin.

    – décembre, le médecin pénitentiaire Galfo, près de la prison féminine de Rome, est abattu par Potere Proletario Armato (proche des BR-PG).

    Cette année, le bilan sera lourd aussi quant aux camarades tués:

    – Lucio Di Giacomo perdra la vie dans la fusillade après l’expropriation près de Sienne. C’était un jeune militant de la banlieue de Turin, très apprécié.

    – Umberto Catabiani sera abattu, alors qu’il déjà blessé, après une longue chasse à l’homme suite à un premier accrochage. Il fut lui aussi victime de la nouvelle ligne des exécutions sommaires. C’était un membre de la Direction Stratégique des BR, ayant intégré les BR-PCC. Un camarade de Toscane très connu et estimé.

    – Rocco Polimeni, militant milanais des COLP, se donne la mort dans un moment de désespoir en clandestinité. C’est moins considéré et quelque peu caché, mais la dureté des situations de lutte produit parfois la mort de cette manière – il y en aura une dizaine tout au long de ces années de combat.

    – Ennio Di Rocco, militant des BR-PG, tué en prison pour avoir craqué sous torture ce qui avait provoqué des dégâts. Tout de suite il s’était rétracté et avait demandé à intégrer les sections carcérales des camarades.

    – Stefano Ferrari, militant des BR-C.W.A., fusillé dans un bar tandis qu’il était en réunion avec deux autres camarades, qui survivront tout en étant criblés des balles eux aussi, à Milan.

    – Maurizio Biscaro, militant des BR-C.W.A., tombé de l’immeuble où faisaient irruption les carabiniers pour l’arrêter lui et d’autres militants, en banlieue de Milan.

    15. La retraite stratégique

    L’escalade militariste du PG se termina dans un effondrement retentissant.

    Sa dernière aventure avait soulevé une réprobation générale dans le mouvement révolutionnaire, mais surtout le PG implosa une fois tous ses militants en prison. Le contrecoup de tant de velléité et d’extrémisme fut probablement inévitable : les repentirs et les dissociations se multiplièrent dans ses rangs au cours de cette même année ’83.

    Les rares camarades des différentes O.C.C. rescapé(e)s des rafles qui s’enchaînaient, furent de plus en plus occupé(e)s par les problèmes de survie, qu’il fussent encore en Italie ou partis à l’étranger.

    Ainsi en ’83 il y aura encore des épisodes liés aux opérations d’expropriation, ou aux affrontements occasionnels avec les flics. Un groupe de militant(e)s de différentes origines essaya en France de coopérer avec Action Directe. Mais cela tourna court entre la mort d’un camarade au cours d’une fusillade (Ciro Rizzato, militant milanais des COLP) et la capture d’autres ; mais le manque de projet et d’une analyse cohérente.

    L’unique organisation survivante sera les BR/PCC. Démonstration précise du fait que la détermination révolutionnaire est aussi nécessaire qu’une solidité idéologique et de stratégie-ligne politique. Particulièrement importante fut leur lucidité à affronter la défaite tactique. Dès le final dramatique de l’opération Dozier, elles tirèrent des conclusions sur le changement qualitatif de la situation et décidèrent une nouvelle ligne : la «retraite stratégique».

    Il fallait reculer, se positionner sur une ligne moins ambitieuse, tout en continuant le combat, à une autre intensité, sur d’autres temps et dynamiques. On commençait aussi à prendre la mesure d’une défaite qui n’était pas uniquement celle du mouvement révolutionnaire mais plus largement celle de la classe.

    Depuis l’offensive de Fiat en octobre ’80, le rapport de force avait basculé et on sentait cela à tous les niveaux, dans toutes les situations. Le fil qui alimentait les O.C.C. était compromis, à partir de la composition de classe, de ses tendances à l’autonomie de classe. Et on n’en était qu’aux débuts du phénomène, malheureusement.

    La capacité à voir tout cela, et à le situer aussi dans son contexte international et dans une perspective historique, fut ce qui permit aux BR-PCC d’alimenter le débat et d’avancer quand même, résistant aux fortes pressions liquidatrices qui s’exerçaient tout autour.

    Ce débat donnera lieu à la dernière division, celle de ’84. Bien moins grave que les autres, il faut dire, parce qu’elle ne donnera pas lieu à des oppositions excessives, nuisibles à l’intérêt commun. Ce sera une division entre deux entités qui poursuivront leur chemin plutôt parallèlement durant des années, et jusqu’aujourd’hui.

    Elles seront appelées au début première position et deuxième position, la première restant majoritaire et donc dépositaire de l’Organisation, la deuxième constituant l’Union des Communistes Combattants (UCC). Le centre de la discorde était la critique soulevée par la deuxième position sur l’axe stratégique qui avait jusque là dirigé les BR, à savoir la «stratégie de la lutte armée». La critique relevait surtout les limites d’un certain éclectisme des références qui avaient présidé et formé l’expérience armée.

    Notamment les concessions au guévarisme et une transposition un peu mécaniste de la théorie de la Guerre Populaire Prolongée maoïste. Tout en constatant que la grosse limite qui avait émergé était la déconnexion grandissante d’avec les dynamiques de classe, parallèlement à la constitution illusoire d’un «système de pouvoir rouge» où on confondait les tâches et les possibilités des organismes de masse avec celles de l’avant-garde.

    La deuxième position voulut récupérer la vision léniniste, dans le sens où dans les centres impérialistes le processus révolutionnaire est forcément scindé entre la dynamique de l’avant-garde (qui fait toujours la politique, y compris avec les armes, en élaborant la stratégie et le chemin général) et celle des masses qui évoluent et se radicalisent mais ne se rendront disponibles au saut de l’affrontement armé que dans un moment de précipitation de la crise révolutionnaire (moment en général très concentré dans le temps) ; l’art politique du Parti consistant à conjuguer ces deux dynamiques et à les amener à une conjonction forte dans la phase de précipitation que l’on appelle aussi le moment de l’insurrection.

    Pour cette raison, la deuxième position a été aussi qualifiée d’insurrectionnaliste. Mais ce n’est pas précis, parce qu’elle n’enlève rien aux éléments acquis de ce cycle de lutte, à savoir la nécessité de structurer dès le départ, même dans une phase non révolutionnaire, la stratégie comme étant basée sur l’unité du politique et du militaire, sur l’utilisation des armes pour faire de la politique révolutionnaire, en concevant l’insurrection comme un passage décisif dans un processus qui, avant et après, est fait de guerre à des niveaux et des intensités différents.

    La deuxième position produisit finalement deux définitions : l’une fut l’Union des Communistes combattants (UCC), la tentative la plus concrète££££

    La première position proposait en substance une continuité en se basant sur ce qui avait été exprimé jusqu’alors de meilleurs par le mouvement révolutionnaire. Cette position avait un élément de solidité important qui a fait qu’elle ait pu assurer une continuité jusqu’à aujourd’hui. Mais le gros problème auquel elle peut difficilement donner une solution est celui la «conquête des masses» : comment une stratégie centrée sur ces principes peut-elle se dialectiser aux dynamiques de masses, jusqu’à les diriger vers l’affrontement décisif ?

    Cette question, et d’autres animeront le débat en ces années là, des petits noyaux armés se formant et se rapportant plus ou moins à ces deux positions majeures. Tout en ayant changé radicalement de cadre, l’affrontement continuera :

    – en mars ’83, en pleine mobilisation ouvrière contre une lourde attaque aux salaires, les BR-PCC attaquent un de ses promoteurs, Gino Giugni, éminence du PSI, à ce moment à la pointe du gouvernement et de l’offensive anti-ouvrière.

    – en février ’84, les BR-PCC exécutent Leamon Hunt, chef US de la Force Multinationale de Paix au Sinaï (accords de Camp David) et le revendiquent par un communiqué commun avec les Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises – FARL.

     – En décembre, Antonio Gustini, des BR-PCC tombera, au cours d’une action d’expropriation. Une autre camarade, Cecilia Massari, est blessée et arrêtée.

     – En mars ’85, les BR-PCC exécutent Tarantelli, consultant du syndicat dans la stratégie de corporatisation, la nouvelle stratégie de « concertation » avec gouvernement et patrons (qui prétend étouffer la lutte de classe dans la subordination aux «intérêts supérieurs, nationaux et d’entreprise»)

     – Toujours en mars, le camarade Pedro Greco est assassiné par les flics. Camarade très connu et estimé, issu des organisations de l’Autonomie de Vénétie, il est froidement exécuté par une équipe spéciale. Il était recherché mais il n’était pas armé.

    – En octobre sortent les Manifeste et thèses de fondation de l’UCC.

    – En Février ’86, les BR-PCC exécutent Conti, personnalité du parti gouvernemental le plus atlantiste et lié aux activités de l’armement internes aux nouveaux plans US.

    – Toujours en février, l’UCC attaque un responsable gouvernemental, des plans économiques, Da Empoli, en le blessant. C’était un choix politique précis : baisser le niveau, sortir de la spirale militariste, réussir à mieux agir politiquement dans l’intervention armée. Malheureusement, en face ils ne raisonnent pas comme cela : le chauffeur, en réalité un flic, tire et tue une camarade, Wilma Monaco.

    – 1987 s’ouvre avec un guet-apens des carabiniers qui tirent sur trois camarades de l’UCC. Deux sont blessé(e)s dont une gravement.

    – En février, les BR-PCC exproprient un fourgon blindé, et abattent deux policiers, le troisième qui se rend est sauvé (comme le soulignera leur communiqué)

    – En mars c’est l’UCC qui exécute le général d’aviation Giorgieri, pour ses responsabilités dans la collaboration gouvernementale au plan US de « guerre des étoiles ».

    Mais juste après cette opération, pourtant politiquement bien ciblé et gérée, l’UCC sera défaite par les arrestations et elle n’arrivera plus à se relever. Cela à cause, surtout, d’une nouvelle vague de capitulation qui, plus « propre » et sournoise n’en arrivait pas moins au mêmes résultats : fin d’un cycle, reddition et réintégration du jeu « démocratique ».

    De la deuxième position résistera encore une aire de militants qui donnera forme à une Cellule pour la Constitution du PCC, qui contribuera à maintenir vive la perspective mais sans réussir à faire de sauts opérationnels significatifs. C’est une aire toujours existante.

    – Cette phase se conclut en ’88, avec l’action d’exécution de Ruffilli, très haut responsable DC, pièce maîtresse dans la contre-réforme institutionnelle en cours. Là aussi, on peut parler d’une action particulièrement ciblée, mais aussi des limites de cette stratégie qui, dans le cas des BR-PCC, payait son efficacité militaire par une dynamique politico-organisationnelle très hermétique, qui augmentait sa coupure avec la classe.

    – Toujours en ’88, les BR-PCC revendiqueront avec la RAF l’attaque que celle-ci porta à Thyetmaier, haut responsable des politiques économiques, à l’occasion d’un sommet du FMI en Allemagne. Cela dans la logique de la construction du Front Anti-impérialiste, pour lequel ces deux organisations ont effectivement travaillé sérieusement pendant des années.

    Mais en automne les BR-PCC seront frappés par une rafle qui en démantèlera les forces principales et mettra un terme à leur activité apparente pendant la décennie suivante.

    16. Des années ’90 à … demain

    Dans les années ’90 bien des choses changeront, la nouvelle composition de classe et les évènements internationaux pesant et conditionnant les évolutions (souvent les régressions) des mouvements sociaux et de leurs expressions politico-idéologiques.

    Il y aura l’émergence des composantes anarchistes, s’affirmant sur le vide et les ruines provoqués par la dérive révisionniste et leur œuvre de dégénérescence dans les pays socialistes, sur le vide aussi causé par tant d’arrestations et donc l’affaiblissement des positions communistes. Mais leur affirmation, du moins celle des courants les plus sincèrement révolutionnaires, a quand même servi à raviver un certain antagonisme, armé lui aussi. Une partie développera les thématiques, le patrimoine laissé par Azione Rivoluzionaria, et plus généralement se posera sur le terrain de la pratique des objectifs et de l’attaque à l’Etat et au capital.

    Paradoxalement, où plutôt grâce aussi à cela, l’absence de force révolutionnaire dans les années ’90 correspondra à la précipitation sans précédent de la crise capitaliste, avec tous les phénomènes d’aggravation des conditions sociales et d’agressivité impérialiste. Il y aura plusieurs petits noyaux armés qui s’activeront de temps en temps, et en tissant toujours à l’intérieur du mouvement de classe les fils de l’hypothèse révolutionnaire.

    La guerre d’agression à la Yougoslavie sera un nouveau tournant ; l’Italie y fera un saut de qualité décisif vis-à-vis de interventionnisme impérialiste (sous l’égide de la gauche bourgeoise au gouvernement). Dans un climat de forte reprise des mouvements sociaux, et particulièrement contre cette guerre, il y aura une vague importante d’attaques incendiaires et explosives contre les partis faiseurs de guerre, le patronat, les USA.

    Il y en aura environ une centaine au printemps ’99, menées soit par ces petits noyaux armés (NCC, NAT, NIPR, NAC et autres) soit par la mouvance anarchiste (utilisant nombre de sigles changeants et fantaisistes, celui qui s’imposera un peu plus comme référence « unitaire » étant la Fédération Anarchiste Informelle).

    Et c’est au milieu de cette effervescence que les BR-PCC annoncèrent leur relance par l’attaque à D’Antona, conseiller gouvernemental sur les questions de la restructuration du marché du travail et les stratégies de corporatisation. Le coup était éclatant, que ce soit par l’effet retour ou en tant que tel, en touchant vraiment au cœur des contradictions de classe du moment. Leur rentrée fut donc efficace, bouleversa le débat au sein des instances de classe et changea la donne politique dans le rapport de force général entre classes.

    Pendant quatre ans elles réussiront à maintenir la présence, par une attaque à l’explosif contre un centre inter-impérialiste italo-américain en 2001, et par l’exécution de Biagi, le conseiller gouvernemental qui élabora les lois-cadres (portant son nom, d’ailleurs) sur la flexibilité et autres mesures d’agression aux conditions de travail (en 2002). Cela aussi en pleine vague de mobilisations ouvrières contre ces agressions gouvernementales. Le jour suivant l’attaque, il y avait grève générale contre ces lois…

    Mais la grande capacité politico-militaire, le grand courage et détermination ne suffiront pas à résoudre les contradictions restés ouvertes.

    La contradiction la plus importante est : «la révolution est faite par les masses, non par l’Organisation» . C’est-à-dire qu’il faut instaurer différemment, bien plus efficacement, le rapport, la dialectique entre l’organisation et le niveau des masses. Celui-ci doit avoir sa place, son rôle, et ne pas être simplement une caisse de résonance, terrain de recrutement. A bien y regarder, on voit que les meilleurs moments de force ascendante du mouvement révolutionnaire furent justement ces périodes pendant lesquelles ce rapport dialectique était bien amorcé ; tout comme on peut voir que la « fuite en avant » allait de paire avec la tendance « organisativiste-militariste ».

    Nombre d’exemples historiques (et pas seulement du cycle italien, bien entendu) enseignent toute l’importance de ce postulat : la révolution, ce sont aux masses à la faire, et pour la faire il faut le Parti. Les deux sont nécessaires, les deux ont des rôles et des caractères différents qu’il faut savoir dialectiser, articuler réciproquement.

    Dans la sous-évaluation, ou à l’inverse, dans la surévaluation, d’un des deux éléments naissent des déviations lourdes de conséquences. Dans la phase actuelle, où les contradictions de classe sont aigues, il est sûrement nécessaire de résoudre le problème de l’Organisation d’avant-garde – du Parti – et cela précisément en relation avec les dynamiques vivantes de classe et de masse. La construction du Parti comme organisation de force de la classe ne peut pas se concevoir en dehors d’une stricte dialectique (et valorisation) avec les mouvements de masse. Là, dans ce nœud, il faut affronter le problème de l’organisation de la force et de l’affrontement à l’Etat, et au Capital.

    Or, les BR-PCC ont encore privilégié un parcours typique de construction d’organisation « auto-centrée ». Et si cela peut permettre une certaine efficacité, pendant un période, cela empêche aussi d’instaurer et développer cette question du rapport avec les masses, d’instaurer et développer le processus révolutionnaire comme un processus « marchant sur ses deux jambes ».

    A la suite d’un incident de parcours, le réseau fut démantelé fin 2003. Au cours de l’incident tombait, les armes à la main, l’un des dirigeants : le camarade Mario Galesi.

    [En février 2007, dans plusieurs villes du Nord de l’Italie, de nombreuses arrestations frappent des militants issus de réalités différentes : jeunes étudiants, ancien brigadiste, prolétaires, syndicaliste, animateur de centre sociaux. Ils sont visés par l’enquête dirigée contre le Parti Communiste politico-militaire (PCp-m), enquête qui découvrira une infrastructure et un armement. Sur une vingtaine de militants poursuivis, quatre se revendiquent militants pour la constitution du PCp-m. Ce projet, directement issus de l’aire de la deuxième position, avait théorisé ses perspectives dans Aurora de son journal clandestin. Le paragraphe entre crochets a été ajouté par les éditeurs à fin d’actualisation ]

    La réalité de classe en Italie possède désormais dans ses gènes la mémoire et la présence vive de parcours possibles et nécessaires pour la révolution prolétarienne. Cela au-delà de toute considération de ligne et de stratégie, parce qu’une telle histoire, si dense et forte signifie un profond ancrage dans le tissu social et dans le patrimoine idéologique-politique. La seule présence, politiquement active des prisonniers a un poids précis dans le scénario de la lutte de classe.

    A la classe, au prolétariat, et à tous celles et ceux qui en veulent finir avec le système de l’oppression et de l’exploitation, incombe la tâche de valoriser un tel patrimoine, de renouer le fil de l’ »assaut au ciel ».

    Entre 1969 et ’89 ont été inculpé(e)s et incarcéré(e)s pour faits de lutte armée 4.087 personnes. Et dans les années suivantes ce seront encore plusieurs dizaines (pour lesquelles nous ne disposons pas de chiffres exacts).

    La lutte armée révolutionnaire à provoqué la mort, intentionnellement ou accidentellement, de 131 personnes. Toutes ces actions ont été revendiquées et leur responsabilité assumée.

    Le terrorisme d’Etat, rien que par la pose des bombes aveugles, tua au moins 140 personnes. Aucune de ces « actions » ne fut assumée, au contraire, les « revendications » furent de lâches fausses pistes.

    Ensuite il y a tous les militants tué(e)s dans les affrontements où par exécutions de la part des flics et équipes spéciales, où en prison : 72.

    S’y ajoutent les morts dans les rues, par les balles notamment des équipes spéciales et les personnes tuées par les mercenaires fascistes, éternels supplétifs des troupes de l’Etat ; dans ces deux cas nous ne disposons pas de chiffres exacts, qui se situent autour de 40/50.

    17. In Memoriam

    Militant(e)s tombé(e)s au combat, ou des suites de l’emprisonnement, en clandestinité ou en exil :

    GIANGIACOMO FELTRINELLI, c’est le premier camarade à tomber, au cours d’une action à l’explosif. A Segrate (banlieue de Milan), le 15 mars 1972. Dirigeant des Gruppi d’Azione Partigiana (GAP). 46 ans, né à Milan, éditeur.

    LUCA MANTINI tué par les carabiniers, dans un véritable guet-apens à la sortie d’une expropriation en banque à Florence, le 29 octobre 1974. Militant des Nuclei Armati Proletari (NAP). 28 ans, né à Florence, ex-étudiant, déjà incarcéré pour faits de lutte, militant clandestin.

    SERGIO ROMEO tué avec Luca Mantini le 29 octobre 1974. Militant des NAP. 30 ans, né dans la province d’Avellino, prolétaire, déjà incarcéré pour activités extralégales et faits de lutte, militant clandestin.

    BRUNO VALLI arrêté pour une expropriation à Argelato, il est retrouvé pendu quelques jours plus tard, à la prison de Modène, le 9 décembre 1974. Militant de l’aire de l’Autonomie Ouvrière. 26 ans, né à Rodero (Côme), ouvrier métallurgiste.

    GIUSEPPE VITALIANO PRINCIPE tombé pendant la fabrication d’une bombe à Naples le 11 mars 1975. Militant des NAP. 23 ans, né à Castellamare di Stabia (Naples), étudiant.

    GIOVANNI TARAS tombé en posant une bombe à la prison d’Aversa (Naples), le 22 mai 1975. Militant des NAP. 22 ans, né à Turin, prolétaire, extralégal.

    MARGHERITA CAGOL – MARA tombé en combattant les carabiniers, pendant l’enlèvement du capitaliste Gancia, le 5 juin 1975, dans la province d’Alessandria. Dirigeante et fondatrice des BR. 30 ans, née à Trente, ex-chercheuse universitaire, clandestine.

    ANNAMARIA MANTINI tuée dans un guet-apens par les carabiniers, à Rome, le 8 juillet 1975. Militante dirigeante des NAP. 22 ans, née à Fiesole (Florence), sœur de Luca, étudiante.

    MARIO SALVI tué par un flic après une action à Rome contre le Ministère de l’injustice, loin du lieu et dans le dos. A Rome, le 7 avril 1976. Militant des Comitati Autonomi Operai. 21 ans, né à Rome, prolétaire.

    MARTINO ZICCHITELLA tombé pendant attaque des NAP contre un directeur ministériel du secteur carcéral, à Rome, le 14 décembre 1976. Militant des NAP. et avant-garde reconnue des luttes carcérales. 40 ans, né à Marsala (Trapani), prolétaire expropriateur.

    WALTER ALASIA tombé en combattant les policiers venus l’arrêter, le 15 décembre 1976, à Milan. Militant des BR. 20 ans, né à Milan, ouvrier.

    ANTONIO LO MUSCIO tué par les carabiniers, avec préméditation alors qu’il était désarmé, à Rome le 1er juillet 1977. Militant des NAP. 27 ans, né à Trinitapoli (Foggia), prolétaire, avait été longuement incarcéré, clandestin.

    ROMANO TOGNINI tué après une expropriation d’une armurerie, à Tradate (Varese), le 19 juillet 1977. Militant de Prima Linea (PL). 40 ans, né à Milan, employé de banque.

    ATTILIO DI NAPOLI meurt accidentellement lors de la préparation d’une bombe, à Turin, le 4 août 1977. Militant d’Azione Rivoluzionaria. 24 ans, né à Milan, prolétaire.

    ALDO MARIN PINONES meurt au cours du même accident. Militant d’Azione Rivoluzionaria. 24 ans, né à Vallenar au Chili. Ouvrier d’usine, il avait connu la prison de Pinochet. Ouvrier en Italie également.

    ROCCO SARDONE meurt accidentellement avec sa bombe, à Turin le 30 octobre 1977 (dans la vague d’actions en soutien internationaliste aux camarades allemand(e)s tué(e)s à la prison de Stammheim). Militant de l’aire de l’Autonomie Ouvrière. 22 ans, né à Tricarico (Matera), ouvrier.

    ROBERTO RIGOBELLO tué au cours d’une expropriation à Bologne, le 4 mai 1978. Militant de l’aire de l’Autonomie Ouvrière. 21 ans, né à Bologne, ouvrier métallurgiste.

    FRANCESCO GIURI tué au cours d’une expropriation à Lissone (Milan), le 9 juin 1978. Militant de Comitati Comunisti Rivoluzionari (CO.CO.RI., aire de l’Autonomie). 25 ans, né à Milan, ouvrier sidérurgiste.

    ROBERTO CAPONE tombé au cours de l’attaque contre le Procureur Calvosa, dans la province de Frosinone, le 8 novembre 1978. Militant des Formations Communistes Combattantes. 24 ans, né à Milan, étudiant.

    BARBARA AZZARONI exécutée par les flics, avec Matteo Caggegi, à Turin, le 28 février 1979. Militante de PL 29 ans, née à Rimini, institutrice.

    MATTEO CAGGEGI exécuté avec Barbara Azzaroni. 20 ans, né à Catane, ouvrier à la Fiat.

    MARIA ANTONIETTA BERNA morte accidentellement en fabriquant une bombe, avec deux autres camarades, à Thiène (Vicenza), le 11 avril 1979. Militante des Collettivi Politici Veneti (Autonomie Ouvrière). 22 ans, née à Thiène, précaire.

    ANGELO DEL SANTO mort dans le même accident. Lui aussi militant des CPV. 24 ans, né à Chiuppano (Vicenza), ouvrier d’usine.

    ALBERTO GRAZIANI morte dans le même accident – rappelons aussi que cela s’est passé lors des réponses militantes à la grande rafle du 7 avril 1979, qui avait amené à l’incarcération d’une trentaine de camarades et à des centaines de perquisitions dans toute l’Italie. Lui aussi, militant des CPV. 25 ans, né à Thiène, étudiant.

    LORENZO BORTOLI s’est donné la mort en prison à Verona, le 19 juin 1979. C’était le compagnon de Antonietta Berna : les misérables vexations de flics et juges, dans un moment aussi dur, lui seront fatales. Militant des CPV. 25 ans, né dans la province de Vicenza, ouvrier décorateur

    LUIGI MASCAGNI tué accidentellement pendant un transport d’armes, à Milan, le 27 juin 1979. Militant de l’aire de l’Autonomie. 24 ans, né à Bologne, entraineur de foot.

    FABRIZIO PELLI mort de leucemie en prison à Milan, le 8 août 1979. Jusqu’à la derniére minute il sera maintenu dans un strict isolement à l’hopital. Militant historique des BR. 27 ans, né à Reggio Emilia, il travailla comme serveur, puis militant clandestin.

    SALVATORE CINIERI tué par un infâme à la prison de Turin, le 27 septembre 1979. Militant d’Azione Rivoluzionaria. 29 ans, né à Grottaglie (Tarante), prolétaire déjà incarcéré de longues années.

    FRANCESCO BERARDI s’est donné la mort à la prison speciale de Cuneo, le 24 octobre 1979. Militant des BR. 30 ans, né à Terlizzi (Bari), ouvrier à l’Italsider (Gênes).

    ROBERTO PAUTASSO tombé dans fusillade pendant l’attaque à une usine, à Rivoli (Turin), le 14 décembre 1979. Militant de l’Autonomie Ouvrière. 21 ans, né dans la Val di Susa (Turin), ouvrier métallurgiste.

    GIOVANNI MARIO BITTI exécuté par les carabiniers qui attaquaient une réunion de militants à Sa Janna Bassa (Nuoro), le 17 décembre 1979. Militant de classe. 34 ans, né à Nule (Sassari), travailleur agricole.

    FRANCESCO MASALA exécuté par les carabiniers lors de la même attaque. Militant de classe. 31 ans, né à Orune (Nuoro), berger puis clandestin.

    LORENZO BETASSA exécuté dans le massacre perpétré par les carabiniers à la via Fracchia, à Gênes, le 28 mars 1980. Militant et dirigeant des BR. 28 ans, né à Turin, ouvrier à la Fiat et délégué, puis clandestin.

    RICCARDO DURA tombé lui aussi via Fracchia. Militant des BR. 30 ans, né en province de Messina, mais avait toujours vécu à Gênes. Marin, puis clandestin.

    ANNAMARIA LUDMAN tombée elle aussi via Fracchia. Militante des BR. 33 ans, née dans la province de Gênes, employée à Italimpianti (grande usine).

    PIETRO PANCIARELLI quatrième victime du massacre de la via Fracchia. Militant des BR. 25 ans, né à Turin, ouvrier à Lancia, puis clandestin.

    EDOARDO ARNALDI s’est donné la mort quand les carabiniers sont venu l’arrêter (il était malade), à Gênes, le 19 avril 1980. 55 ans, n à Gênes, avocat, il avait milité dans le Secours Rouge.

    CLAUDIO PALLONE tombé au cours d’une expropriation en province de Frosinone, le 13 novembre 1980. Militant du Movimento Comunista Rivoluzionario. 26 ans, né à Rome.

    ARNALDO GENOINO tombé au cours de la même action. Egalement militant du MCR. 34 ans, né à Rome.

    WALTER PEZZOLI exécuté par les équipes spéciales, dans la rue, à Milan, le 11 décembre 1980. Militant des BR-C.W.A. 23 ans, né à Rho (Milan), ouvrier du livre, dejà incarcéré, puis clandestin.

    ROBERTO SERAFINI exécuté à la même occasion. Militant des BR-C.W.A. 26 ans. Né à Gênes, journaliste, puis clandestin.

    ALBERTO BUONOCONTO se donne la mort le 20 décembre 1980, à Naples, en suspension de peine dans des conditions psycho-physiques graves, conséquences de l’emprisonnement et des violences subies. Militant des NAP. 27 ans, né à Naples, étudiant, incarcéré depuis le 1975.

    GIANFRANCO FAINA meurt de cancer, en suspension de peine, le 11 février 1981. A l’age de 46 ans. Militant fondateur de Azione Rivoluzionaria. Né à Gênes, prof. d’université.

    GIORGIO SOLDATI tué à l’intérieur de la prison spéciale de Cuneo par les subjectivistes d’une aire politique qui sera bientôt dissociée, le 10 décembre 1981. Ex-militant de PL. 35 ans, né à Rivoli (Turin), ouvrier du bâtiment, puis clandestin.

    LUCIO DI GIACOMO tombe au cours de fusillade suite à une expropriation, dans la province de Siena le 21 janvier 1982. Miliant des COLP. 24 ans, né à Enna, ouvrier métallurgiste à Turin, puis clandestin.

    UMBERTO CATABIANI exécuté par les équipes spéciales de la contre-guérilla, après avoir été blessé et braqué pendant plusieurs heures, le 24 mai 1982 dans la province de Pisa. Militant et dirigeant des BR-PCC. 32 ans, né à Pietrasanta (Lucca), employé, déjà incarcéré quatre ans, puis clandestin.

    ROCCO POLIMENI se donne la mort dans un moment de crise, dans la clandestinité, le 10 juin 1982. Militant des COLP. 26 ans, né à Reggio de Calabre, technicien informatique, ensuite clandestin.

    ENNIO DI ROCCO tué à l’intérieur de la prison par les subjectivistes d’une aire politique qui sera bientôt dissociée, le 27 juillet 1982. Militant des BR-P.G. 25 ans, né à Narni (TR), prolétaire, militant clandestin.

    STEFANO FERRARI exécuté par les flics qui le surprennent en réunion dans un bar avec deux autres camarades, qui seront grièvement blessés, à Milan le 31 juillet 1982. Militant des BR-C.W.A. 27 ans, né à Milan, technicien SNAM (une grande usine) et délégué.

    MAURIZIO BISCARO s’est précipité du haut de l’immeuble où avaient fait irruption les carabiniers, dans la banlieue de Milan, le 13 novembre 1982. Militant des BR-C.W.A. 25 ans, né à Milan, précaire, puis clandestin.

    GAETANO SAVA exécuté par une équipe spéciale de contre-guérilla le 17 septembre 1983, à Milan. Anarchiste, il participait au réseau de soutien d’un dirigeant des COLP. 30 ans, né à Belpasso (Cagliari), petit commerçant.

    CIRO RIZZATO tué par les flics français à la sortie d’une expropriation d banque, à Paris, le 15 octobre 1983. Militant des COLP. 22 ans, né à Milan, artisan, puis clandestin.

    MANFREDI DI STEFANO meurt en prison à Udine, le 6 avril 1984. Militant de la Brigade 28 mars (aire de l’Autonomie). 27 ans, né à Salerne, ouvrier en usine.

    LAURA BARTOLINI tuée par le bijoutier qu’elle expropriait, à Bologne, le 14 décembre 1984. Militante de classe. 29 ans, née à Bologne, employée.

    ANTONIO GUSTINI tombé au cours d’une fusillade dans l’attaque d’un fourgon blindé, à Rome le 14 décembre 1984. Militant des BR-PCC. 28 ans, né à Rome, cheminot, puis clandestin.

    PIETRO GRECO (PEDRO) exécuté par une équipe spéciale de contre-guérilla à Trieste, le 9 mars 1985. Militant d’une structure issue de l’Autonomie Ouvrière. 38 ans, né dans la province de Reggio de Calabre, enseignant, puis clandestin.

    WILMA MONACO tombée au cours d’une attaque des BR-UCC contre un conseiller gouvernemental, à Rome, le 2 février 1986. Militante des BR-UCC. 28 ans, née à Rome, employée, ensuite clandestine.

    DARIO BERTAGNA s’est donné la mort dans la prison de Busto Arsizio, le 17 juillet 1988. Militant des Reparti Comunisti d’Attacco (aire de l’Autonomie). 38 ans, né à Comerio (Bergame), employé dans une usine.

    GINO LIVERANI meurt de maladie en exil, à Managua (Nicaragua), l’été 1988. Militant des BR. 56 ans, né à Ravenne, commerçant et déjà incarcéré.

    PAOLO SIVIERI s’est donne la mort en arrestation domiciliaire, après de longues années en prison, dans la province de Rovigo, le 25 janvier 1989. Militant des BR. 35 ans, né à Castelmassa (RO), universitaire.

    NICOLA GIANCOLA est mort d’un infarctus en prison, à Milan, le 22 janvier 1992. Militant des BR-C.W.A. 41 ans, né dans la province de Teramo, ouvrier chez Philips.

    ERMANNO FAGGIANI tué au cours d’une expropriation à Barcelone, le 17 mars 1993. 37 ans. Ex militant des BR Né dans la province de Udine, ouvrier agricole et d’usine, déjà incarcéré.

    CARLO PULCINI est mort d’un cancer, en suspension de peine à Turin, le 23 mars 1992. Militant des BR-P.C.C. 50 ans, né dans la province de Viterbo, ouvrier.

    CLAUDIO CARBONE est mort en prison à Lauro (Avellino), le 30 juillet 1993. Ex-militant des NAP. 46 ans, né à Asmara (Erythrée), extra-légal et prisonnier depuis de longues années.

    SERGIO SPAZZALI est mort en exil à Miramas (France), le 22 janvier 1994. Militant de la Cellule pour la constitution du PCC. 58 ans, né à Trieste, avocat, incarcéré à plusieurs reprises, notamment pour les activités de l’ancien Secours Rouge.

    ALESSANDRA D’AGOSTINI est morte en exil à Paris, en aout 1994. Ex-militante des BR 47 ans, née à Turin, enseignante.

    GERMANO MACCARI est mort dans la prison de Rebibbia-Rome en 2001. Ex-militant des BR. Né à Rome, artisan, incarcéré à plusieurs reprises.

    MARIO GALESI tombe au combat contre les flics, dans la province d’Arezzo, le 2 mars 2003. Militant et dirigeant des BR-PCC. 36 ans, prolétaire, déjà incarcéré, clandestin.

    Cette reconstitution (que l’on espère la plus fidèle possible) des faits au cours desquels tombèrent tant de camarades, en leur redonnant un minimum d’identité et de concret, peut aider à mieux comprendre la densité de cette histoire, son énorme richesse humaine, liée à la potentialité révolutionnaire-transformatrice. Seul un mouvement fortement enraciné dans des raisons et des aspirations de caractère historique, comme celles qui visent le dépassement de la société de classe, peut arriver à donner, qualitativement et quantitativement, une telle détermination de lutte.

    Que ce patrimoine vive, qu’il soit repris, toujours avec attention critique et sans idéalisation, dans la praxis et dans l’élaboration du nouveau processus révolutionnaire.

    18. Bibliographie essentielle

    Il y a avant tout les premiers livres publiés au cours des années ’70, autant que les documents et les journaux. Au niveau de documentation (autrement, difficilement repérable), ces sont utiles certains livres bourgeois qui, aux débuts, n’étaient pas encore trop toxiques.

    Controinformazione ( Contre-information ). Il existe encore les collections de cette revue qui a joué un rôle fondamental dans la diffusion et la connaissance des O.C.C. (tout particulièrement des Résolutionsde la Direction Stratégique des BR). Cette revue a mené un travail d’enquête militante riche et original dans plusieurs domaines.

    BR, cosa sene è detto – che cosa hanno delto , ( Les BR, ce qu’on en a dit, ce qu’elles ont dit ), par le Secours Rouge de Milan aux éditions Feltrinelli. Ouvrage historique, par sa qualité et son utilité. Ce fut le premier en son genre, et cela grâce au fait que les auteurs étaient des militants de haut niveau du mouvement révolutionnaire (parmi lesquels Sergio Spazzali). La documentation est riche, parce qu’elle donne la parole aux protagonistes. Mais elle ne couvre que les premières années, à peu près jusqu’en ’76.

    V. Tessandori : BR, imputazione banda armata , ( BR, inculpation bande armée ), aux éditions Garzanti. C’est un livre très documenté et intéressant. Il va lui aussi jusqu’à la fin de 1976. Le ton polémique (l’auteur fait partie de l’appareil médiatique) est encore acceptable, et ne chute pas encore dans la falsification systématique ou dans la haine venimeuse, comme c’est le cas pour l’un des textes le plus célébré médiatiquement, celui de G. Galli : Storia del partito armato , absolument toxique.

    Viola, Caccia : Requisitoria processo GAP-BR , ( Réquisitoire au procès GAP-BR ), aux éditions Bertani. L’intérêt réside dans la masse d’informations (malgré le filtre de l’œil judiciaire), maist aussi dans l’analyse. Plusieurs éléments historique en émergent, qui permettent une bonne compréhension, dont par exemple l’apport d’anciens partisans (dont un commandant) au processus de formation de ces deux noyaux historiques.

    Projecto Memoria , ( Projet Mémoire ), aux éditions Sensibili alle foglie. En trois tomes, c’est la reconstruction statistique et documentaire la plus systématique qui existe. A utiliser certainement, même si elle a été conçue dans le sens d’un projet liquidateur, « historicisant » (comme on aime dire), par quelques ex-dirigeants et militants.

    Il proletariato non si è pentito ( Le prolétariat ne s’est pas repenti ), aux éditions Rapporti Sociali. Récolte considérable des matériaux, le long du fil chronologique et mêlée à l’activité des Comités contre la répression. Ceux-ci, à l’époque, furent parmi les protagonistes dans la lutte contre la dissociation et dans le soutien aux prisonnier(e)s résistant(e)s. Rédigée dans la phase d’affrontement très aiguë 1983-85 – conséquence de la défaite tactique de 1982 et à son lourd contrecoup interne pour le mouvement révolutionnaire. Il reste un ouvrage valable.

    Gallinari, Piccioni, Seghetti: Politica e Rivoluzione (Politique et Révolution), aux éditions Rapporti Sociali. Peut-être le meilleur texte de premier bilan politico-idéologique. Lui aussi écrit à chaud en prison, en 1983. Même dans les conditions très dures de l’époque, les quatre auteurs (tous membres de premier plan des BR) ont réalisé une synthèse remarquable ; entre la bataille contre les plus graves déviations subjectivistes ou capitulationnistes, l’autocritique et la recherche de perspectives. Fort conseillé aujourd’hui encore.

    De Maria N. : Tre interventi d’un compagno BR , ( Trois interventions d’un camarade BR ), aux éditions Archivia. Le bilan d’un ex-dirigeant de la Colonne Walter Alasia, rédigé dans des années plus récentes (’92-98), donc avec plus d’éléments de compréhension. Remarquable tant dans la reconstruction historique (destinée, elle aussi, à contrecarrer les tendances liquidatrices) que dans l’analyse de la crise capitaliste et des évolution de la forme-Etat.

    Bianconi : Mi dichiaro prigioniero politico , ( Je me déclare prisonnier politique ), aux éditions Einaudi. Sous la forme de récits journalistiques, le parcours d’une dizaines de militant(e)s.

    M. Moretti: BR, una storia italiana , ( BR, une histoire italienne ), aux éditions Garzanti, et P. Gallinari : Un contadino nella metropolis , ( Un paysan dans la métropole ). Ce sont deux biographies fondamentales de deux dirigeants historiques de BR, qui ont traversé toute l’histoire de l’organisation, jusqu’à la deuxième moitié des années ’80. Intéressante, au-delà du final liquidateur.

    Evidemment, il y a d’autres textes, surtout parmi ceux concernant le mouvement de classe au sens large, le cycle de lutte dans son ensemble.

    19. Document : Qui sont les pommes pourries ?

    [Ce document a été écrit par Vicenzo Sisi, ouvrier communiste, délégué syndical, militant pour la constitution du Parti Communiste Politico-Militaire, à la suite des campagnes d’insultes lancées contre lui à la suite de son arrestation, le 12 février 2007, par la presse, le syndicat et les politiciens du régime. NDE]

    J’ai lu quelque part que tout, dans ma biographie, irait à l’encontre de la mitraillette dans le jardin potager. On continuer à parler de duplicité.

    D’un côté le bon camarade, le délégué apprécié et, de l’autre, la lutte armée.

    Ce n’est pas ainsi : il n’y a pas de duplicité, de séparation entre ce qu’est un communiste révolutionnaire et la militance parmi les gens : s’organiser dans le syndicat tout en n’étant pas d’accord avec la ligne des directions.

    Pour s’organiser entre nous, travailleurs, dans les formes autorisées, il faut la carte syndicale. Et nous autres, travailleurs, nous prenons la carte ! Puisque les travailleuses n’ont pas le droit, d’après la loi, d’élire directement leurs propres représentants sur les lieux de travail. Elle est belle votre démocratie ! Ne serait-ce pas que cela vous fasse un peu peur quand les travailleurs s’organisent directement ?

    Ensuite, quand certains de ces ouvriers se rendent compte des limites des luttes économiques et de l’inutilité de la lutte parlementaire, et qu’ils s’organisent en tant que communistes, alors votre peur grandit. Votre pouvoir de contrôler et de dominer, en imposant votre mode, pourrait être mis en discussion. Les personnes qui payent votre bien-être par l’exploitation pourraient voir qu’une alternative existe, une solution à votre monde d’exploitation et de barbarie. Et alors vous mettez en marche toute votre capacité à manipuler les consciences, à confondre les idées. Nous faire passer pour des terroristes, des criminels prêts à frapper n’importe qui, des ennemis des gens, pour criminaliser nos idées.

    Par contre, il devient plus difficile de criminaliser nos vies : elles sont là, sous les yeux de tous, à démontrer notre cohérence avec les idées que nous défendons. Notre appartenance à notre classe sociale : la Classe Ouvrière.

    Moi, j’ai commencé à travailler à l’âge de 14 ans, je faisais 11 heures par jour, samedi compris. Je suis devenu ouvrier qualifié. Dans cette boîte, il y avait un rapport individuel avec le patron ; pour la convention collective (sectorielle) on a fait grève à deux, moi et un vieux communiste. Ensuite, cela a été la FIAT et là, on luttait, on était un « problème d’ordre public », comme le disait Cesare Damiano(3) en parlant de la lutte pour la Convention nationale métallurgiste de 1979. Il fallait battre et disperser cette classe ouvrière qui échappait au contrôle, qui ne voulait pas se plier aux politiques de sacrifices. Et alors, dehors ! D’abord les 61, ensuite les 23.000(4). Avec les chefs du PCI turinois qui organisaient le tout avec FIAT : fichages, expulsions, ateliers de punition (isolement).

    Après une période de chômage, je suis entré chez ERGOM. Il y avait là un patron, soit tu étais avec lui, soit contre lui. J’étais contre, mais je faisais bien mon travail et il ne pouvait pas m’attaquer. Des nuages toxiques nous brûlaient les yeux et provoquaient des nausées. On sortait en courant ! Il n’y avait même pas un extracteur. Certains même, par peur, restaient à l’intérieur respirer les fumées, les larmes aux yeux. Avec d’autres camarades, on a monté le syndicat. Au début, on n’était que six inscrits : il y avait beaucoup de peur. Les contrats à durée déterminée, et la peur qu’ils ne soient pas renouvelés, les chefs qui nous harcelaient, qui nous fichaient aux premières grèves. Ensuite : le coup bas du licenciement et la tentative de corruption, avec beaucoup d’argent, pour que je reste dehors. Pendant trois ans et demi ils m’ont maintenu dehors. Avec le syndicat qui ne voulait pas de moi, même pas comme bénévole. Aujourd’hui, on dit de moi que l’estime était transversale. Pour ce qui concerne les ouvrières et les ouvriers, l’estime est réciproque, et c’est la seule à laquelle je tiens, outre l’affection pour les personnes chères et pour mes camarades de luttes. Aux personnes avec lesquelles j’ai partagé espoirs et luttes, je veux dire qu’il n’y a pas de duplicité dans ma vie ni dans celle de mes camarades de lutte. J’étais et je suis comme cela parce que j’ai essayé et j’essaie d’être un communiste. Dans les choses de tous les jours, dans le travail, dans la lutte.

    A tous les autres je veux dire : Lâches ! Comment pouvez-vous dire que je sois un infiltré parmi les travailleurs et le syndicat ? EPIFANI(5) a dit que nous sommes des pommes pourries. Lui qui n’a jamais fait les trois huit, lui qui a été mis en place par le système des partis qui ont vendu la Classe Ouvrière. Moi je viens d’une famille ouvrière qui a toujours payé sa cotisation syndicale et contribué à le nourrir en crachant du sang dans les fonderies. Qui est l’infiltré dans la Classe Ouvrière ? Qui est la pomme pourrie entre moi et lui ? Je lui ai toujours dit en face ce que je pensais, pendant les Congrès. Mon syndicat, ce sont les travailleurs !

    J’ai toujours dit dans les débats au sein des directions que ce qui comptait pour nous, délégués, c’était la capacité de construire des espaces d’autonomie, sur les lieux de travail, pour que les travailleurs soit davantage protagonistes. Mais tant que tu puisses faire, tu finis par être enfermé dans la compatibilité et les limites de la lutte économique, dans le périmètre de l’usine. Tandis que dehors la surpuissance des directions syndicales, après des années de reculs et de défaites imposées aux travailleurs, devient instrument de contrôle sur la classe.

    Que répond le délégué au camarade de travail en colère pour son salaire de 950 euros par mois ? Que dit-on aux ouvrières avec les poignets rompus par les cadences, 37 ans de fatigue à l’usine et à la maison, quand elles demandent leur retraite ? Qu’est-ce que je vais dire à celui qui a deux enfants et un contrat à durée déterminée de trois mois ? Et que dire à celui qui a un avis d’expulsion et qui te fait remarquer que le gouvernement trouve l’argent pour l’armement mais pas pour les logements sociaux ? Je vais lui répondre qu’il y a « Refondation »(6) au gouvernement et que la bourgeoisie de gauche est meilleure que celle de droite ? Et quand tu regardes dehors, tu vois que la marchandise la moins chère, ce sont les travailleurs.

    Alors soit tu es d’accord, soit tu es contre. Où tu acceptes leurs règles et tu es complice, où tu travaille pour construire l’alternative.

    Vicenzo Sisi, militant pour la constitution du Parti Communiste Politico-Militaire

    2 mars 2007

    20. Document : Révolution ou contre-révolution

    [Ce document a été écrit par les militants pour la constitution du Parti Communiste pour la première audience de leur procès à Milan, le 27 mars 2008, NDE]

    Aux communistes, aux avant-gardes ouvrières, aux prolétaires qui luttent, aux femmes opprimées et rebelles.

    Avec le procès des communistes arrêté(e)s le 12 février 2007, deux classes s’affrontent une nouvelle fois dans les tribunaux bourgeois : bourgeoisie et prolétariat. L’une, la bourgeoisie, qui détient le pouvoir, accuse l’autre, le prolétariat qui, en la personne de quelques militant(e)s communistes, cherche à construire sa propre autonomie politique de classe, c’est-à-dire révolutionnaire.

    L’objectif est toujours le même : agir dans le sens de la survie du capitalisme malgré ses crises, sa barbarie, pour qu’il continuer à accumuler richesses et privilèges pour une petite minorité, sur le dos et sur la vie de la majorité.

    Pour cela, là où la tromperie de leur fausse démocratie ne suffit pas, la répression et la justice bourgeoisies surgissent.

    L’attaque répressive montre le vrai visage du révisionnisme qui, pour servir les patrons, s’est fait Etat et trouve son expression actuelle dans l’axe D’Alema-Napolitano-Bertinoti(7), principal appui de la politique anti-prolétarienne du gouvernement Prodi. Il détient dans une partie de la magistrature un de ses principaux centres de pouvoir. Le Parquet de Milan en est la meilleure représentation.

    C’est un procès politique ! Un procès où le ministère public et les inculpé(e)s sont des sujets politiques. Le principal délit débattu – « association subversive » est politique. Et les objectifs de toutes les parties sont politiques. L’objectif principal poursuivit par la bourgeoisie impérialiste est de nier la légitimité de la lutte révolutionnaire du prolétariat, en la réduisant à une série d’épisodes criminels. Donner de la légitimité à la répression et terroriser les secteurs prolétariens sensibles aux instances révolutionnaires. Contenir, s’opposer à la tendance à l’autonomie politique de la classe. Cela sur le plan stratégique. Sur le plan tactique, l’enquête d’abord, et le procès ensuite, visent à renforcer un fragile gouvernement de « centre-gauche », expression de l’actuel équilibre interne des intérêts de la bourgeoisie impérialiste italienne.

    La poursuite de ces objectifs est aujourd’hui une nécessite vitale pour nos patrons. Leur classe se retrouve, en fait, toujours plus dans la condition du pot de terre au milieu de pots de fer, dans les affrontements que détermine la crise générale du mode de production capitaliste. La stratégique de la « guerre infinie », impulsée par l’impérialisme USA, a ouvert une nouvelle phase de déstabilisation globale et relancé la lutte pour un nouveau partage du monde entre les puissances impérialistes. Cela se fait, pour le moment, principalement aux frais des nations opprimées du Tricontinent (Asie, Afrique, Amérique latine), en commençant par les peuples dont les régimes ont cherché un développement autocentré, libéré de la tutelle et du rapport semi-colonial imposé par les impérialistes. C’est une inclination qui se présente déjà comme troisième guerre mondiale tendancielle.

    La bourgeoisie impérialiste italienne est en première ligne de ce système de guerre, comme on le voit clairement avec les soit disantes « missions humanitaires » en Irak, en Afghanistan et également au Liban. C’est un chemin de destruction et de mort, gros de contradictions qui s’aiguisent jusqu’au sein des formations sociales impérialistes. Une voie qui rend plus évident, aux yeux des larges masses, la crise du système, en rendant plus urgent son dépassement.

    Par la crise du système, nous n’entendons pas seulement la crise économique, dans le sens courant du terme. Nous entendons le phénomène complexe, économique-social-politique, issus des lois propres di fonctionnement du mode de production capitaliste (comme la « loi de la plus-value », c’est-à-dire la loi de l’exploitation du travail et qui est « par hasard » occultée par la « science économique officielle », à savoir à l’idéologie dominante).

    Nous parlons de la « crise par surproduction de capital » qui, à l’échelle mondiale, est chronique : il y a trop de capitaux qui cherchent profits, les occasions d’investissements ne suffisent pas, la concurrence est toujours plus féroce et dégénère souvent en affrontement armé. Cette surproduction de capital détermine ce phénomène fou et criminel par lequel « on est mal parce que l’on produit trop ! » La surcapacité productive, n’étant pas utilisée dans une organisation économique finalisée socialement, amène aux restructurations incessantes et à la misère pour le prolétariat. Et c’est encore elle la cause la plus profonde des guerres impérialistes : pas seulement à cause de l’agressivité concurrentielle qu’elle déchaîne, mais aussi  parce qu’il n’y a, à terme, pas d’autres solutions que la destruction d’excédents pour ce mode de production démentiel. C’est l’histoire des USA en Europe et en Asie après ’45, et c’est l’histoire actuelle avec l’Irak, l’Afghanistan, etc.

    Le capitalisme ne sort pas de ce genre de crise – générale et historique – par des moyens économiques ordinaires. En fait, il n’arrive pas à en sortir malgré trente années d’attaques répétées contre les acquis de la classe ouvrière et du prolétariat : augmentation de l’exploitation, recul des conditions de vie et de travail. Malgré les sauts technologiques et la liquidation des régimes révisionnistes qui avaient pris le pouvoir dans les pays socialistes et ouvert la voie à la restauration capitaliste. (…)

    Même si les travailleurs sont devenus la marchandise la moins chère, cela ne suffit pas. Le capitalisme en crise est un fauve déchaîné, et la crise se représente toujours plus aiguë à chaque courbe de la spirale, comme dans l’actuel cas de la crise financière autour des crédits immobiliers. L’élément neuf, dans ce cas, est l’incapacité de l’impérialisme dominant à décharger la crise sur les formations sociales dépendantes, comme cela avait été le cas dans le passé avec les crises financières induites au Mexique, dans le sud-est asiatique, en Russie ou encore en Argentine, …

    Cette incapacité témoigne de la gravité de la crise et donne une nouvelle impulsion à la « politique de la canonnière » ; moins à cause du caractère subjectivement criminel de la bourgeoisie impérialiste qu’en raison du fait que pour ce système : la guerre est l’unique moyen dont les impérialistes disposent pour  établir de nouveaux rapports de force, se disputer et se répartir les sphères d’influence et les superprofits dérivant de la domination coloniale et semi-coloniale.

    La vraie limite à la barbarie qui caractérise cette époque historique de putréfaction des formations sociales impérialistes est encore la Révolution prolétarienne : « Soit la Révolution empêche la guerre, soit la guerre déchaîne la Révolution. » (Mao Tsé-toung).

    Cette donnée est intégrée dans l’essence même des Etats impérialistes qui, depuis la Révolution d’Octobre, se sont structurés comme « Etat de la contre-révolution préventive ». Une structuration qui recourt aussi à la cooptation, par vagues successives, des différentes couches politiques révisionnistes (post-communistes, post-extraparlementaires, repentis et dissociés de tout genre). Ces cancers opportunistes, alimentés par la bourgeoisie au sein de la classe, assument le postulat idéologique suivant lequel l’époque impérialiste serait « la fin de l’histoire » , et qu’il n’y aurait pas d’alternative à l’impérialisme. Ils s’affairent à l’ambitieuse tâche qui leur a été confiée de mystifier la réalité de l’histoire qui procède par contradictions et luttes de classes, et qui ne pourra « aboutir » que dans la société sans classe. L’autre tâche qui leur incombe en découle : leurrer les masses sur l’utilité de la participation aux institutions bourgeoises et aux formations gouvernementales qui ne peuvent qu’être de caractère capitaliste-impérialiste.

    Ces traîtres à la classe ouvrière répètent comme des perroquets le discours de leurs patrons sur le « dieu-marché », sur la mondialisation du capital qui apporteraient la paix et le progrès aux peuples. Ils essaient maladroitement de mystifier les luttes féroces entre groupes impérialistes et leur réel contenu, à savoir la nouvelle répartition du monde. Ils divaguent sur une prétendue « communauté internationale », tout en se rangeant derrière les pires entreprises anti-prolétariennes et néocolonialistes. Ainsi la mystification des « missions de paix » et des « guerres humanitaires ».

    Mais le développement même des contradictions les démasque, comme cela a été le cas pour le gouvernement Prodi. Là, les « pacifistes » siégeaient avec les fauteurs de guerre, votaient les crédits de guerre et participaient aux manifestations contre la guerre… Ils approuvaient la construction de bases stratégiques de l’impérialisme USA ou des investissements purement capitalistes comme le TGV Lyon-Turin, et voulaient encore s’infiltrer dans les luttes contre cela.

    Il en va de même pour les lois de régression sociale (notamment celle sur le Code du Travail) et de précarisation. Cette véritable schizophrénie a comme unique explication l’absence de perspective impérialiste, et donc la nécessité de développer un travail de division, récupération, démoralisation à partir de l’intérieur des mouvements de masse. Le travail de sape, de « désillusion » des « ex-révisionnistes » et de leur bagage d’imbécillités idéologiques tel que le « pacifisme » doivent compenser cette absence de perspective.

    En étroite relation dialectique avec cette activité de démolition par l’intérieur des dynamiques de masses, il y a l’attaque répressive contre l’instance révolutionnaire. En effet, la mystification ne peut tenir que tant que personne ne dise, par la théorie et par la pratique conséquente, que « le Roi est nu » , c’est-à-dire que le capitalisme est enfermé dans ses propres lois et contradictions, et que pour cela il enfonce la société dans un abîme de misère, de violence et de guerre, mais qu’il est aussi gros de la Révolution prolétarienne, et qu’elle seule peut l’affronter et le vaincre.

    La même faiblesse les pousse à pousser à fond cette attaque, en mobilisant toutes leurs ressources idéologiques, politiques, militaires, judiciaires. Tout cela pour empêcher, pour prévenir la constitution du prolétariat en force idéologico–politico-militaire indépendante. L’action de contre-révolution qui a produit ce procès répond essentiellement à cette exigence. Tout comme le procès médiatique organisé après le blitz du 12 février 2007 répond à l’exigence de disqualifier la possibilité de révolution prolétarienne, en qualifiant de « provocateurs infiltrés » les réelles avant-gardes de la classe ouvrière en lutte.

    Nous ne sommes pas là pour nous déclarer coupables ou innocents. Ce sont des catégories qui vous appartiennent. Nous pouvons seulement déclarer que notre justice n’est pas votre justice. La vôtre est celle qui assure l’impunité aux capitalistes massacreurs d’ouvrier(e)s, comme chez ETERNIT (3.000 ouvrier(e)s tués, et il ne s’agit que des cas avérés !), dans la pétrochimie, dans les flammes des aciéries, sur les chantiers navals ou dans le bâtiment. Celle qui assure l’impunité aux responsables étatiques de la « stratégie de la tension » , aux violences policières et répressives, celle qui est la base légale du vol capitaliste systématique du travail ouvrier et social.

    Notre justice considère la fin de l’exploitation et l’égalité économique et sociale ; l’élimination définitive de la logique du profit et de ses conséquences comme les guerres de prédation et la destruction de l’environnement ; la fin de l’oppression impérialiste et la solidarité entre les peuples ; la dictature du prolétariat comme seul forme institutionnelle capable d’assurer la construction du socialisme et de résoudre les problèmes de la résistance des exploiteurs et de la résurgence de germes capitalistes.

    L’unique solution juridique que l’Etat admet est l’abjuration de l’antagonisme de classe. C’est là le point le plus haut de l’hypocrisie de la justice bourgeoise, puisque ce procès et sa sentence sont clairement des actes de guerre de classe.

    La Révolution prolétarienne ne se met pas en procès !

    Elle est un processus historique, l‘unique voie possible pour l’émancipation de l’humanité de l’exploitation féroce et des guerres dévastatrices auxquelles la putréfaction de l’époque impérialiste du capitalisme la condamne.

    La voie démocratique pour la transformation sociale n’a jamais existé ; les classes qui détiennent le pouvoir ne le cèdent jamais démocratiquement, mais toujours suite à des luttes révolutionnaires. Il revient à nous, communistes, la tâche d’indiquer et de tracer aujourd’hui cette voie, la voie de la Révolution prolétarienne. Nous ne pouvons le faire qu’en construisant le Parti Communiste de la classe ouvrière, qui seul peut diriger la lutte pour le pouvoir, en développant sa politique révolutionnaire.

    Nous ne faisons pas de promesses aux prolétaires, nous ne leur disons pas : « on vous donnera… » , mais : « voilà la voie : le combat ! La liberté et le bonheur se conquièrent par la lutte et dans la lutte, dans un long processus révolutionnaire. »

    Les limites et les erreurs du passé, les précédentes tentatives révolutionnaires, ne sont pas une raison pour les rejeter (comme la bourgeoisie le voudrait, quand elle hurle en permanence à la mort du communisme). Les limites, les erreurs, les contradictions sont la ligne-frontière à partir de laquelle il nous faut repartir ; elles sont à résoudre dans de nouvelles tentatives, en prenant appui sur les grands acquis réalisés. Ainsi la pratique et la théorie de la Guerre Populaire Prolongée, qui a permis tant de succès le siècle dernier. Une politique révolutionnaire ne peut se faire que dans l’unité du politico-militaire, dans un Parti qui sait réunir les meilleures forces de la classe ouvrière et du prolétariat, et conjuguer les revendications particulières, économiques et sociales, à la nécessité du renversement du système capitaliste, dans une correcte dialectique Parti/masses.

    Pour cela, il faut affronter les différents niveaux de lutte, dans le sens du développement de l’autonomie politique de classe : impulser le renforcement de véritables organismes de masse à l’intérieur des luttes, et construire le Parti Communiste Politico-Militaire pour diriger la lutte pour le pouvoir.

    Ce qui signifie, naturellement, couper le cordon ombilical opportuniste avec le jeu politique institutionnel, en développant les luttes dans le sens de l’accumulation des forces, dans une stratégie précise de lutte révolutionnaire : la stratégie de la Guerre Populaire Prolongée, valable universellement pour les classes et peuples opprimés à l’époque impérialiste.

    La seule justice est prolétarienne
    Construire le Parti Communistes de la classe ouvrière dans l’unité » du politico-militaire
    Utiliser la défense pour organiser l’attaque
    Construire le Front populaire contre la guerre impérialiste
    Mort à l’impérialisme – Liberté aux peuples

    Les militants pour la constitution du Parti Communiste Politico-Militaire

    NOTE

    (1) Il s’agit de la défaite de la tendance révolutionnaire au sein de la Résistance, et cela dans le long après-guerre (jusqu’à juillet ’48), quand les forces de classe, armées, essayèrent de renverser la ligne de conciliation et compromis imposée par la direction révisionniste du PCI.

    (2) Cette transformation est un processus propre, inhérent au mode de production capitaliste, depuis toujours. La stupide (et prétentieuse) pensée petite-bourgeoise, celle des professeurs de l’idéologie dominante, encadre ces transformations en tant que « nouveautés absolues » ; prétendant à chaque fois que « le monde a totalement changé » . Et cela dans la tentative d’oblitérer l’expérience de classe du cycle précédent, de la noyer dans le flot d’une société a-classiste, de la fragmenter dans un catalogue sociologique aseptisé de catégories et professions.

    La diversification de figures prolétariennes c’est l’aspect formel, l’aspect substantiel c’est la dégradation systématique du travail (et du vivant) en marchandise ! Ce double mouvement a été inhérent au capitalisme dès sa naissance, et c’est la base matérielle où se posent les possibilités et/ou les difficultés de parcours de recomposition de classe (de l’unité dans la lutte).

    (3) Actuel ministre du Travail, ex-révisionniste, à l’époque engagé dans la répression et la criminalisation du mouvement révolutionnaire.

    (4) Les 61 ont été les licenciements politiques « ‘anti-terroristes » à l’automne ’79 ; les 23.000 la première restructuration massive, passée en octobre ’80 après une longue lutte.

    (5) EPIFANI est le secrétaire général de la CGIL (l’équivalent de la CGT).

    (6) « Refondation communiste », parti révisionniste issu de l’ancien PCI.

    (7) Figures de proue de l’ancien parti révisionniste (PCI), aujourd’hui plus justement désignables comme « ex-révisionnistes », agents organiques du capitalisme et de l’impérialisme. Respectivement : ministre des affaires étrangères et vice-président du Conseil des ministres, président de la République, président du Parlement. 

    >Sommaire du dossier

  • Potere Operaio: Pour un travail politique dans les quartiers populaires (1970)

    POTERE OPERAIO (groupe de Pise, 1970)

    POUR UN TRAVAIL POLITIQUE DANS LES QUARTIERS POPULAIRES 

    L’ISOLEMENT COMME CONDITION POLITIQUE DU QUARTIER

    L’isolement des quartiers populaires est le résultat d’une politique dont l’appareil administratif est l’exécutant direct. Il s’agit toujours de reléguer ces quartiers à l’extrême périphérie du tissu urbain où ils seront coupés du   développement physique et social de la ville. 

    A ce fait s’ajoutent une pauvreté architecturale fondamentale, une très grave carence des équipements sociaux, des services et du   réseau   de   communications   ;   ces   éléments   confèrent   au quartier ce caractère de « ghetto » qui interdit pratiquement à ses habitants de participer activement à la connaissance et au développement des contradictions qui se forment petit à petit au « centre » du tissu urbain pris globalement.

    L’exploitation économique et sociale intense que subissent les habitants   des   quartiers   populaires   opère   une   discrimination supplémentaire par rapport aux habitants du « centre ». 

    La sujétion psychologique et matérielle, ainsi que l’impuissance sociale   qui en   découle, empêchent de fait les habitants de constituer, aux niveaux individuel et de groupe, des centres de décision et d’organisation qui   pourraient influer de quelque manière sur le développement physique et social du quartier. 

    Cette impuissance est d’autre part aggravée par des rivalités et par l’arrivisme individuel et familial nés de l’espoir illusoire (et entretenu   par   l’imagerie   bourgeoise)   de   s’en   sortir   tout   seul, chacun de son côté. 

    Tout   cela   se   traduit   par   une   capacité   d’organisation   et d’association faible, qui se répercute   inévitablement sur les possibilités d’organisation à l’usine et à l’école  : le cycle de l’exploitation se trouve ainsi bouclé. Dans les quartiers populaires, l’organisation du groupe familial selon la morale bourgeoise est plus forte qu’ailleurs, ce qui rend ces quartiers peu perméables à la relative liberté de mœurs et de mouvement qui caractérisent les autres secteurs sociaux.

    La position du chef de famille est presque toujours autoritaire et exclusive.

    Celle de la femme est, à l’inverse, de soumission totale, tandis que les enfants n’ont que peu de possibilités de contacts et d’expériences sociales en dehors du noyau familial.

    Dans ces conditions, la famille augmente son propre isolement et celui du quartier. D’autre part, les difficultés de la vie quotidienne, l’exploitation, la durée des trajets pour se rendre au travail et en revenir, ont pour effet de décomposer le noyau familial   sur   le   lieu   de l’exploitation et de le recomposer ensuite devant la télévision, ce qui revient à briser en fait l’unité politique de la famille, en réduisant celle­-ci à un pur organisme de reproduction   et   de consommation.

    L’ISOLEMENT ET LES CENTRES AUTORITAIRES

    L’organisation   de   l’isolement   se   fonde   sur   deux   volontés parallèles   qui   naissent   en   même   temps   que   le   quartier   lui­-même. La première est celle d’exercer un contrôle direct, politique et administratif sur les habitants du quartier ; la seconde est celle de les intégrer et de canaliser autoritairement leurs principaux besoins matériels et culturels.   Cette double volonté est essentiellement exercée par les centres de pouvoir suivants : 

    L’Eglise 

    L’Église  s’installe dans les   quartiers   populaires   avec   tout   le poids et l’importance de son organisation, intervenant sur deux plans liés : « le   spirituel et le matériel ».  

    La   fonction   de contrôle   qu’elle   exerce   sur   la   famille,   en   particulier   en contribuant   à   la   maintenir   dans   la   voie   étroite  de   la   morale bourgeoise,   est   facilitée   par   le   fait   que   l’Église   détient   le monopole de toutes les formes de divertissement, du terrain de jeu au cinéma. 

    En outre, les énormes possibilités qu’elle a de s’insérer dans la structure sociale extérieure et intérieure du quartier lui permet d’exercer une autre forme de chantage : procurer des postes de travail, des aides matérielles, des assistances diverses qui sont tout autant d’instruments lui permettant d’exiger des habitants du quartier un comportement social conforme à la « bonne paix » de tout le monde. 

    Les centres sociaux 

    Les   centres   sociaux   sont   toujours   présents,   surtout   dans   les quartiers les plus neufs ; ils ont pour fonction de récupérer et d’isoler, selon la ligne autoritaire qui les caractérise, puisqu’ils sont imposés de l’extérieur, ces petites forces isolées qui pourraient mener à une prise de conscience des contradictions inhérentes à la condition d’isolement des habitants du quartier. Les centres sociaux, gérés par des organismes publics ou des instituts confessionnels, récupèrent les poussées politiques en les transformant et les réduisant en un conformisme « culturel ». 

    La radio et la télévision 

    L’influence   de   la   radio, ­T.V.   est   d’autant   plus   forte   que l’isolement   est   plus   grand.   

    En   outre,   des   ressources   limitées réduisent   la   possibilité   d’utiliser   le   temps   libre   d’une   autre manière : à tel point que, dans les quartiers populaires, l’écoute des   programmes  de télévision s’étend  à  toutes   les  heures  de transmission de la journée. Le fantôme du « monde chez soi » est la  compensation manipulatrice et autoritaire à l’isolement des quartiers populaires : c’est pourquoi la petite chance qu’il y a de recomposer politiquement l’unité du noyau familial autour des   grands   sujets   de   l’exploitation   est   immédiatement compromise et annulée par l’effet centrifuge des programmes de télévision. 

    Administrations  décentralisées des « habitations  populaires ». 

    Dans   les   quartiers   populaires,   l’administration   du   patrimoine immobilier est confiée à des comités qui ont leur siège dans le quartier et qui sont essentiellement de deux types : autonomes et forfaitaires. Les   comités   autonomes,   qui   devraient   être   élus   au   suffrage populaire,   sont   contrôlés   par   l’administration   centrale   et peuvent être dissous à n’importe quel moment.

    La gestion forfaitaire est entièrement contrôlée par l’administration centrale. Dans les deux cas il se forme un rapport de délégation entre les habitants du quartier et ces comités, ce qui pousse les premiers à se désintéresser de la question et facilite toutes les formes possibles d’escroqueries de la part des organismes de gérance.

    LES RÉSULTATS DE L’AUTORITARISME

    L’exploitation se fait en deux moments : l’exploitation directe à la fabrique, l’exploitation indirecte dans le quartier. L’ouvrier qui rentre du travail n’est plus un ouvrier, mais un habitant du quartier : il oublie ce qu’est son patron, au point même de jouer le rôle de patron dans sa famille. La séparation entre ces deux moments est nette ; si bien que, souvent,  les habitants des quartiers deviennent, ou du moins tendent à devenir, des petits­-bourgeois. 

    Et   c’est   précisément   l’autoritarisme   du   chef   de   famille, confirmé,   contrôlé   et   renforcé   par   les   centres   d’autorité extérieurs au noyau familial, qui est le point de rencontre et de séparation entre ces deux moments. 

    Le fait d’être inséré dans le processus productif signifie pour le chef de famille qu’il est le porteur et le gardien de la « dignité » et de la « noblesse » du travail et, donc, qu’il est le seul à offrir les  garanties  «  morales » nécessaires à  la promotion et  à  la direction de la famille.

    Son poids économique lui permet d’agir directement sur les membres du noyau familial : sur les enfants, en les contraignant à s’insérer dans le processus productif ; sur la   femme,   en   l’isolant   dans   une   position   de mère et   de ménagère.

    En définitive, l’ouvrier qui rentre de son travail s’isole dans son noyau familial et isole celui­ci d’une structure sociale plus large : il finit donc par « avoir sa famille à charge » ; charge qui, inévitablement, le freine et l’affaiblit au moment de la lutte. 

    L’attitude autoritaire et donc répressive du chef de famille est en   définitive   le   lien   qui   unit   l’exploitation   directe   et   sa continuation   indirecte   au   niveau   de   la   famille.   Les   centres autoritaires   extérieurs,   d’autre   part,   de   l’Église   à   la   T.V., confirment,   renforcent,   généralisent   ce   type   de   relation   au niveau du quartier.

    USINE ET QUARTIER

    Le   quartier   n’est   pas   seulement   le   lieu   où   le   cycle   de l’exploitation est bouclé, mais il constitue aussi un inépuisable réservoir d’exploitation directe, concrète, immédiate. Le quartier moderne n’est presque jamais un quartier homogène : il est essentiellement formé de deux groupes : d’une part, les ouvriers   moyens   qui   aspirent   à   posséder   leur   maison   ;   de l’autre, toutes les couches sociales « en marge » : ex­habitants des   bidonvilles,   qui   ne   sont   spécialistes   que   d’une   seule technique, celle de la survie, de l’expédient comme forme de subsistance. Et ce n’est pas un hasard. 

    La ville qui ne cesse de consommer et de gaspiller a besoin de cette grande réserve de main ­d’œuvre bonne à tout faire, de ces personnes   prêtes   à   fournir   n’importe   quel   service,   de   ces familles d’où sortent ces petits garçons qui servent dans les bars et les boutiques au lieu d’aller à l’école, de ces maçons, de ces éternels  apprentis   qui   se   voient   licenciés   à   la   fin   de l’apprentissage,   de   ces   super­exploités   qui   travaillent,   à domicile,   pour   le   compte   d’autrui,   de   ce   nouveau   marché d’esclaves, privés de toute force de représailles. 

    Ce sont ceux-­là qui finissent dans les maisons les plus laides et qui subissent saisies sur saisies parce qu’ils n’arrivent pas à payer leur loyer ; et c’est à travers eux que prennent   une   forme  concrète les rivalités au sein du quartier ; et c’est aussi en se comparant à eux que l’ouvrier se sent « plus avancé » et se contente de ce qu’il a. 

    Car l’ouvrier, lui, paie presque toujours son loyer, un loyer qui peut être incroyablement élevé. Le prix des maisons et des appartements dits « populaires » (I.N.A.­Casa, G.E.S.C.A.L., I.A.C.P.)  sont maintenant presque aussi élevés que ceux des logements   privés  :   ils   peuvent   représenter   jusqu’à   40  %   des salaires. 

    Par l’intermédiaire des « maisons populaires », l’office­-patron, qui   est   d’ailleurs   le   même   patron   qu’à   l’usine,   mais   masqué derrière une apparente volonté d’« assistance » et derrière une incroyable   complexité   bureaucratique­ administrative   de gestion,   réussit   à   tirer   du   quartier   des   gains   énormes.  

    Les maisons   I.A.C.P.,   en   particulier,   sont   l’objet   de   spéculations frénétiques  qui  favorisent  les  entrepreneurs  privés,  le  capital financier   privé,   des   partis   et   des   individus.  

    La   politique   du « logement populaire » coûte cher : ce sont les locataires qui la paient. Mais cesser de payer signifie défendre le salaire réel ; ne pas payer signifie porter la lutte commencée sur le lieu du travail au­-delà des grilles de l’usine : car l’exploitation ne s’arrête pas là, elle pénètre chaque moment de chaque vie individuelle.  

    Les habitants des quartiers populaires, ouvriers, employés, artisans, commerçants, policiers, chauffeurs de taxi, doivent commencer à   comprendre que   la   classe   exploitée   n’est   pas  seulement   la classe travailleuse traditionnelle, non propriétaire de ce qu’elle produit et contrainte à le racheter au triple. 

    Il   faut   aussi   que   l’alliance   se   forme   au   niveau   du   logement parce que,   à   côté   des   problèmes   traditionnels   de   la   classe ouvrière sur les lieux de travail, il y en a maintenant d’autres : ceux de l’exploitation en dehors de l’usine.

    Le problème de la condition des masses exploitées ne se pose donc plus seulement au niveau de la lutte syndicale, mais à celui de la lutte politique,  c’est­-à-­dire   de   la   lutte   contre   l’intensification   de l’exploitation à l’usine et dans le quartier, de manière que la lutte serve à renforcer l’organisation politique et à éduquer dans le sens de l’autogestion à tous les niveaux. 

    Les augmentations de salaire que l’ouvrier réussit à arracher par l’intermédiaire des syndicats sont tout de suite absorbées par l’augmentation du coût de la vie : en particulier par le loyer, l’alimentation,  l’école, les services, les transports, l’assistance médicale ; la lutte pour le salaire ne suffit donc pas si on ne lutte pas parallèlement contre ces augmentations. 

    Sans   prétendre   approfondir le problème complexe  de l’exploitation par le logement, disons que la bataille qu’on peut et doit mener pour la réduction des loyers, dans le cadre de ladéfense du salaire réel des ouvriers, constitue le sens essentiel de la lutte de quartier.

    QUARTIERS   ET   «   MOVIMENTO   STUDENTESCO » (MOUVEMENT ÉTUDIANT)

    L’extension   des   quartiers   populaires   et   leur   structure   sociale complexe   rendent   nécessaire   une   intervention   massive   et systématique qui s’auto­programme et se modifie au fur et à mesure de la pénétration dans la réalité vivante du quartier.

    D’autre   part,   le   M.S.   (Movimento   Studentesco)   doit comprendre que sa stratégie de travail politique de masse et sa méthode   de   révolution   culturelle   doivent   dépasser   les revendications universitaires  et envahir la ville de façon à y créer, comme à l’école et à l’usine, des instruments autonomes de   lutte,   permettant   aux   habitants   sous­privilégiés   de s’organiser et de refuser de déléguer la défense de leurs intérêts à de quelconques organismes qu’ils ne peuvent pas contrôler efficacement eux­mêmes. 

    L’usine et la ville, l’usine et le quartier, l’usine et l’école sont des structures dépendantes les unes des autres.

    L’action que le M.S. devra  exercer aux niveaux théorique et pratique pourra établir la liaison entre les diverses situations d’exploitation, la poussée   et   l’organisation,   la   vérification   et   la   concrétisation poli­tique de l’interdépendance des fato et la possibilité  de contre­pouvoirs qui appuient la lutte du M.S. dans la ville et la société.

    Il faudra constamment rappeler, à ce propos, qu’il n’y a pas de distinction entre le moment de l’analyse et celui de la mobilisation, entre ceux qui pensent et ceux qui agissent, entre le moment théorique global de définition et d’étude et celui de l’action pratique ; mais il doit y avoir une relation dialectique continue   entre   les   deux   moments   ;   le   travail   d’enquête   et d’analyse   ne   peut   jamais être séparé des luttes et des interventions. Le   travail   de   quartier   se   présente   donc   comme   un   travail politique essentiellement extérieur et, en même temps, comme un   des   moments   de   la   croissance  politique   du   M.S.  comme mouvement de masse ; cet aspect a été négligé au profit de l’objectif partiellement corporatif que s’était donné le M.S. en se   repliant   sur   lui­-même,   en   confondant   l’endoctrinement idéologique   de   l’avant­-garde   avec   la   croissance   politique globale. De cette manière la lutte ne pouvait être qu’évasion limitée   au  seul milieu  de la  faculté  et   sans  aucun  débouché politique réel. Pour   reprendre   l’action   dans   les   facultés,   il   est   possible d’intervenir dans les quartiers par un travail analytique utilisant toutes   les  compétences  disciplinaires spécifiques.

    Il  s’agit   ce faisant   d’utiliser   de   manière   anti­-institutionnelle   les   diverses disciplines, pour relier directement le travail interne et le travail externe, ainsi que les travaux internes entre eux. 

    En effet, à l’inverse de la structure du M.S., subdivisé   en secteurs de travail indépendants les uns des autres, les types d’intervention possibles et nécessaires sur les divers problèmes peuvent   trouver dans le travail de quartier   leur   moment   de contact et d’homogé­néîsation politique, au­-delà de la sectorialisation imposée par la structure universitaire. 

    Schématisons les interventions  : dans les quartiers,  les étudiants  en  médecine pourraient étudier et relancer tous  les problèmes relatifs à la surpopulation, au travail et à l’hygiène ; les étudiants des écoles d’ingénieurs et  les étudiants en droit pourraient s’occuper de la structure physique et administrative des « maisons populaires » ; ceux de Lettres et de Langues, la composition   générale   du   quartier,   du   noyau   familial,  la situation de la femme et tous les facteurs sur lesquels se fonde la sélection scolaire. 

    Cette manière de poser les tâches, directement liée à la réalité concrète   de   la   ville,   peut   être   éventuellement   accompagnée d’une   récupération   des   recherches   analytiques   effectuées   à l’Université, sans tomber dans la logique de la « restructuration de la recherche et de l’enseignement» et du « renouvellement culturel de la Faculté ». 

    « La commission   de quartier »   devrait   donc   naître   de   la convergence   des   divers   secteurs   de   travail   et   d’étude,   en s’organisant elle­-même en cours d’intervention, dans la pratique sociale   de   masse,   pour   combattre   l’isolement   auquel   on condamne   les   quartiers,   pour   ne   laisser   aucun   champ   à l’idéologie   de   la   classe   dominante   qui,   à   travers   certains instruments   comme  la  T.V.   et   l’Église,  manipule   les  masses socialement subordonnées.

    INSTRUMENTS D’INTERVENTION DANS LE QUARTIER

    La « Doposcuola ». [Doposcuola   :   ensemble   des   activités   (surtout   d’étude surveillée)  organisées   les   après­-midi,  dans  les  écoles   et,  au dehors, puisqu’il n’y a généralement classe que le matin.] 

    Le « doposcuola » est la première forme d’intervention dans un quartier  ;  elle est   issue d’une  exigence  d’assistance générale, dans le  but de réparer les dommages  causés par la structure sélective de l’école ; elle agit en particulier sur les enfants des ouvriers et des sous-­prolétaires. 

    Mais l’engagement solidaire envers les habitants du quartier ne suffit  absolument pas à donner un caractère politique  à  la « doposcuola ».  D’où l’effort pour lui conférer un effet incisif sur les structures scolaires et les habitants du quartier.

    On essaie de résoudre le problème par la formation d’une espèce de contre- école qu’on s’épuise à faire fonctionner à l’aide d’« expériences didactiques nouvelles » qui devraient notamment expliquer à une dizaine de gosses ce qu’est vraiment   l’école, ce qu’est vraiment le patron.   

    Ce type d’expérience, naïve et  vouée à l’échec, est l’aboutissement inévitable d’une « doposcuola » qui n’est pas insérée dans un travail de quartier plus général ; car la seule  exigence des parents qui envoient leurs enfants à la  « doposcuola » est de voir s’améliorer la performance scolaire de leurs enfants.

    Par conséquent, toute initiative qui va au-­delà de cette   exigence   ou   la   gêne,   est   critiquée   par   les   élèves eux­-mêmes. La « doposcuola » doit donc s’insérer dans des activités plus générales   dans   le   quartier.  

    Il   faut   avant   tout   l’utiliser   pour gagner   la   confiance   des   habitants,   pour   rendre   légitime   et concrète la présence parmi eux, pour établir un rapport avec les parents à travers les enfants et pour lancer une discussion plus générale sur les problèmes de l’école et, surtout, du quartier. 

    Il   est   essentiel   à   cet  égard   que  le  M.S.,   organisé en  groupe d’intervention spécifique, réussisse à introduire dans le quartier la discussion politique sur l’école, en se servant d’une analyse qui, partant de données générales, se concrétise et adhère à la situation particulière du quartier.

    Tous les instruments peuvent être   utilisés   à   cet  effet  :  de  l’entretien  direct  avec un  noyau déterminé   d’élèves-­parents   de la   «   doposcuola   »,  qui sera ensuite élargie au reste des habitants, jusqu’aux enquêtes et statistiques sur le rapport entre école et quartier, sous l’angle des conditions d’exploitation des habitants du quartier.

    Contre-­presse.

    L’instrument   fondamental   d’intervention   dans   le   quartier   est sans doute le  contact immédiat, direct, avec les habitants du quartier,   d’abord   individuellement,   et   ensuite   en   comités   de travail,   sur   des   problèmes   spécifiques,   ou   en   assemblées générales. 

    Il   est   cependant   possible   de   combiner   cette   méthode d’intervention   avec   une   activité   d’information   et   de   contre­ information, destinée à clarifier les problèmes qui apparaissent au fur et à mesure que l’intervention se développe et progresse. 

    Tracts,   bulletins,   numéros   uniques,   manifestations,   placards mobiles,   chansons,   cinéma,   etc.,   sont   autant   d’instruments politiques et techniques. D’autre   part,   une   activité   de   contre-­presse   proprement   dite risquerait, sauf exceptions, de ne mener à rien, les journaux bourgeois n’étant lus que par un très petit nombre de personnes.

    L’activité   de   contre­-presse   ne   peut   donc   être   confiée   à   un groupe   particulier,   mais   elle   doit   être   utilisée   par   tous   les groupes d’intervention du quartier, qui doivent s’en servir selon leurs   propres   exigences, selon  le secteur dans lequel   ils travaillent.

    Les différents groupes d’étude et d’intervention sur l’école, la femme,   la   maison, la santé, etc., en élaborant séparément leur propre travail, finissent par constituer   tous ensemble l’organisation de l’activité de « contre-­presse » dans le quartier.

    Cinéma.

    L’isolement des habitants du quartier, le sentiment d’abandon et de frustration dont ils souffrent, le sentiment d’être en marge de la   société,   de   ne   pas   pouvoir   décider   de   leur   sort,   rendent nécessaire la présence continuelle et massive d’un groupe qui circule parmi les habitants, va dans leurs maisons, est toujours prêt  à   discuter  sous  n’importe  quelle  forme  et   par  n’importe quel moyen. Une présence, en somme, qui éveille la curiosité, contribue à la confiance réciproque et à l’information générale sur les problèmes du quartier. 

    Le cinéma, ou plutôt la caméra, l’enregistreur,   le   mégaphone   peuvent   être   des   instruments d’intervention   politique   valables   s’ils   sont   utilisés   non   de l’extérieur à la manière du cinéma documentaire traditionnel, mais comme un aspect de la participation directe du M.S. aux problèmes du quartier.

    Par l’intermédiaire de la caméra, capable d’attirer l’attention et d’animer les discussions, mais qui refuse d’être   l’instrument   d’un   cinéma   imposé   aux   autres   et   les réduisant au rôle de spectateurs, il est possible de susciter un dialogue   entre   les   groupes   d’intervention   et   les   habitants,   et surtout   entre   les   habitants   eux-­mêmes   ;   un   dialogue ininterrompu allant du moment des prises de vue jusqu’à celui de la projection qui montre aux habitants les scènes dont ils sont eux­-mêmes les protagonistes. 

    >Sommaire du dossier

  • Potere Operaio: Qu’est-ce que le pouvoir ouvrier? (1971)

    [Ce texte de décembre 1971 est un document pour la formation des cadres de l’organisation Potere Operaio.]

    La conception politique, le programme politique que nous représentons, que nous développons, doit être entièrement présent à tous les niveaux de l’organisation de Potere Operaio.

    Nous devrions dire que nous sommes ou plutôt que nous représentons le développement et la crise de l’autonomie ouvrière, des luttes dans les usines et des luttes sociales, comme nous les avons vécu ces années en Italie.

    A la 3ème conférence de l’organisation (en septembre 1971 à Rome) nous nous sommes définis comme « pouvoir ouvrier: pour le parti, pour l’insurrection, pour le communisme ».

    Qu’est-ce que cela signifie si l’on ne propose pas cela de manière formelle ou « liturgique », mais si au contraire on prétend à l’actualité de ces slogans ? Autrement dit, qu’est-ce que cela signifie d’expliquer aujourd’hui, en Italie, dans cette situation:

    Le parti est à l’ordre du jour, l’insurrection est à l’ordre du jour, le communisme est à l’ordre du jour ?

    Potere Operaio existe comme organisation nationale depuis ’69, depuis les luttes chez FIAT en ’69, depuis la préparation des groupes révolutionnaires à l’action dans les luttes pour les tarifs et contre les accords; mais en réalité, comme hypothèse politique – issue de toute une série d’expériences (« quademi rossi »; « classe operaia ») – P.O. part du début des années 60.

    [Quaderni Rossi – les cahiers rouges a été une revue publiée de 1961 à 1965; les gens à l’origine de Potere Operaio ont quitté la revue en 1963 pour publier « Classe Operaia » – Classe Ouvrière.]

    Il est utile de s’attarder sur les thèses de départ, afin de voir comment la situation de classe et les tâches, qui en dérivent, se sont modifiées depuis.

    « Reconstruction » et défaite de la classe

    Au début de notre expérience politique l’Italie était au seuil de la Centro Sinistra (le centre gauche), qui présentait une tentative d’initier une phase de réformes, un nouvel élan du développement capitaliste dans le pays.

    Dans ces années une réanimation de la lutte de classe paraissait sans doute comme très difficile.

    Depuis le début de l’après-guerre, depuis les années de reconstruction, les travailleurs ont subi une défaite de classe progressive, continue et systématique lors de toutes les années ’50, sous la marque de la collaboration aux intérêts nationaux, sous la marque de la participation à la reconstruction, en un mot sous la marque de la collaboration de classe effectuée par le parti communiste et les organisations syndicales.

    De l’après-guerre jusqu’au début des années ’60, ce sont les travailleurs qui ont tout payé.

    La république fondée sur le travail a été formée sur le dos des travailleurs, sur le dos des millions de chômeurs, sur la base de rendements de production violente et massacrante de la classe ouvrière.

    Le capital italien arrive au début des années ’60 au seuil du miracle économique, justement parce que les travailleurs ont travaillé pendant 15 ans comme des animaux, et cela pour les salaires les plus bas possibles.

    En fait il y a toujours eu le « miracle » pour les entrepreneurs; la différence consiste en ce que maintenant – dans la perspective de l’expansion économique – ils sont enjoints à « augmenter la demande intérieure » (c’est-à-dire que les travailleurs aient plus d’argent à dépenser).

    Il y a eu dans les années ’50 des luttes très dures, mais toutes avaient ce caractère défensif et désespéré.

    Les luttes contre les licenciements, pour la terre dans le sud (avec la perspective d’être étranglé plus tard par le
    développement capitaliste de l’agriculture), contre les restructurations: c’est-à-dire des luttes défensives, donc des défaites; car quand la lutte est défensive cela signifie que les capitalistes ont les initiatives dans leurs mains.

    Et les seules réponses à ces luttes ont été le plomb et les matraques de Scelba et Saragat.

    Du côté des travailleurs dominait l’importance politique et organisationnelle des luttes contre cela, parce que le parti communiste s’était dans les années de fondation de la république jusqu’en 52/53 préoccupé de dissoudre les organisations armées des communistes dans les usines.

    En même temps le syndicat a surveillé et organisé les travailleurs dans les moments clefs du développement – et ainsi la lutte, l’insubordination des travailleurs.

    Le syndicat a dans ces années essentiellement renoncé à organiser les travailleurs sur la base de leurs intérêts matériels, leurs intérêts de classe particuliers, qui s’opposent aux intérêts généraux de la société italienne – qui ne sont rien d’autres que les intérêts des capitalistes; intérêts qui sont ennemis, antagonistes aux soi-disantes exigences de la reconstruction, qui n’est de fait rien d’autre que la reconstruction du pouvoir capitaliste et de l’exploitation.

    C’est-à-dire que le syndicat s’est évertué dans les années ’50 à dissoudre les luttes qui avaient pour but de hausser les coûts du travail en Italie et ainsi de plonger les plans d’exploitation dans une crise.

    Programmatique réformiste, Etat planifié

    Les années ’50 se terminent ainsi avec la défaite consolidée des travailleurs.

    Au début des années ’60 pourtant il y a des signes d’une renaissance de l’insubordination, un renouveau dur, fort et violent de la capacité de lutte chez les travailleurs.

    C’est justement dans ces années que les capitalistes, l’Etat, et les secteurs progressistes du capital lancent un processus réformiste.

    De fait ceux qui – dans le ciel de la politique formelle – sont qualifiés de gouvernement de centre-gauche, et dans les plans des capitalistes: « politique de revenu ».

    C’est-à-dire un Etat où le masque de Scelba disparaît pour passer à l’arrière-plan, pendant que les masques de La Malfa, Giolitti et Lombardi passent au premier plan.

    Cette décision politique, de mettre en voie ce processus réformiste, signifie un renouveau des luttes, signifie stimuler un nouvel élan d’une dynamique salariale, en partant du principe que tout cela soit contrôlé, dominé et équilibré, que cette dynamique de lutte, cette force motrice massive, la revendication d’augmentations salariales, de modifications des conditions de travail, fonctionnent comme un développement qui soit un facteur positif dans l’expansion de l’économie capitaliste.

    Les capitalistes ont compris dans ces années qu’il est nécessaire d’améliorer dans une certaine mesure les conditions de travail des travailleurs: parce que des travailleurs avec plus d’argent cela signifie l’augmentation de la consommation et la stimulation de la production.

    Les capitalistes découvrent la vieille politique de Ford, la « nouvelle » politique de Keynes; FIAT lance la petite voiture démocratique, et l’Etat lui construit des autoroutes, lui amène une infrastructure, afin que ce saut en avant puisse être mené dans le développement capitaliste de l’Italie.

    Qu’est-ce qui a pu amener un tel changement politique, le centre gauche et la mise en place d’une expérience réformiste ? Justement les signes alarmants d’une remontée massive de la volonté de lutte des travailleurs, que les capitalistes ont remarqué en Italie.

    L’insurrection du prolétariat en juillet ’60, les premières grèves sauvages chez FIAT, sont les sonnettes d’alarme pour les capitalistes en Italie.

    Et c’est ainsi que la classe politique, la classe capitaliste progressiste en Italie, de changer de jeu et de transposer dans le pays des modèles de développement avancés, précis, qui ont déjà été essayé aux Etats-Unis et au niveau des pays capitalistes avancés au niveau du marché mondial.

    C’est une tentative d’aller au devant des initiatives des travailleurs et de préparer l’orchestration politico-culturelle afin que le capital devienne capable de reconnaître et d’interpréter les mouvements de classe; c’est aussi une sorte de « prologue » au réformisme, une sorte de « loi-cadre » du réformisme.

    Le patronat le plus moderne et le plus progressiste – le privé comme le public – et le personnel politique du côté capitaliste voyant le plus loin comprennent que pour garder le contrôle sur la force de travail il est nécessaire d’imposer une gestion et une conduite démocratiques des rapports du travail;

    de faire participer les travailleurs au plan de développement, de canaliser l’insubordination des travailleurs de telle manière que cela devienne un élément dynamique du système, de dépasser les contradictions et les problèmes d’équilibre par la programmation, les travaux de recherches, le plan, et par la définition fonctionnelle de l’Etat comme cerveau du capital, et plus seulement comme policier;

    dépasser donc cela par la définition fonctionnelle de l’Etat comme régulateur des conflits entre capitaliste et capitaliste et avant tout entre travailleurs et capital.

    La classe capitaliste en Italie tente par cette restructuration globale de l’Etat d’empêcher le risque toujours croissant de crises catastrophiques de l’économie capitaliste, de terribles récessions comme on a pu en vivre en 1929. Pour cela il y a besoin d’une nouvelle structure étatique, et c’est le soi-disant Etat-plan démocratique, où ce ne sont Pas les instruments de répression mais

    les instruments de contrôle, de médiation et de réglementation qui sont mises en avant, où le syndicat apparaît comme appareil de contrôle des travailleurs, le syndicat qui doit être solidement attaché à la table des négociations avec le gouvernement et les planificateurs, qui forment le « toit » c’est-à-dire ce qui, des revendications du côté des travailleurs, est compatible avec le développement capitaliste.

    Du côté capitaliste on essaie ainsi au début des années ’60 de supprimer ce qui, du point de vue des capitalistes et de la logique d’exploitation est irrationnel, et du point de vue des donneurs de travail un élément anarchique et insoutenable: le développement autonome des luttes de classes.

    Pour cela on a non seulement besoin d’une nouvelle structure de l’Etat mais aussi d’une autre classe ouvrière, qui correspond dans ses structures au modèle des travailleurs de l’automobile US, des travailleurs de Détroit; donc une force de travail mobile, qui n’est pas enracinée à son lieu de travail, indistincte, qui n’est pas lié aux valeurs professionnels et qui en aucune manière n’aspire à diriger elle-même la production.

    Pour le patronat il s’agit de détruire chaque type d’organisation communiste qui s’est justement formé sur la base du caractère professionnel du travail et de la liaison avec les valeurs professionnelles dans les usines – c’est-à-dire qu’il s’agit de détruire un type de structure de la classe ouvrière, qui vise à la direction, qui avait comme but la direction de l’usine et de la production.

    Eu égard à ce processus violent de restructuration capitaliste – qui se propage de manière violente au niveau international et par la suite dans chaque situation respectivement avec toute la misère des cas particuliers, mais toujours avec cette signification portant loin -, eu égard à un ciblage de tel type l’initiative révolutionnaire semble tout d’abord paralysée en ces années.

    C’est-à-dire, eu égard une telle offensive générale et une telle expansion capitaliste, que le schéma de la Illème Internationale – le schéma classique qui se base sur hypothèse de l’écroulement et de la crise de l’économie capitaliste, où l’on pourrait intervenir avec un programme de pouvoir, qui soit capable d’amener o à l’hégémonie les classes prolétariennes -amène, pourrait-on dire, « tout le peuple » autour de la classe ouvrière à une crise.

    Cette hypothèse – ainsi l’organisation communiste qui réalise la raison du développement contre la crise

    capitaliste et qui ainsi en arrive réellement à amener la majorité du prolétariat à l’hégémonie-, cette hypothèse s’est écroulé avec cela.

    Les militants communistes, les militants révolutionnaires n’ont plus vu ces années aucune possibilité de compter sur une crise « spontanée » et catastrophique du capitalisme, sur une crise comme il s’en était déroulé en Russie ou en Chine; crise de dimension terrible, qui ont mené jusqu’aux frontières de la guerre impérialiste.

    Il semblait qu’on faisait face à un capital tout puissant, imbattable, qui avait la capacité de réparer et d’assainir toute contradiction, à peine était-elle apparue; c’est-à-dire un capital qui était en état de déplacer une contradiction – et il y avait des contradictions violentes -, dès qu’elle apparaissait, à un niveau plus haut, où à chaque fois tout était étranglé, de telle manière qu’on en arrive jamais à une éruption qui aurait pu mettre en danger l’équilibre des rapports de pouvoir.

    De l’autre côté apparaissait également la vieille, traditionnelle -d’ailleurs léniniste- thématique de la 3ème Internationale, la thématique de l’organisation communiste, qui prend le drapeau de la lutte politique comme une lutte pour le développement de la démocratie jusqu’à son plus haut niveau, comme un instrument désormais inutile, parce que
    l’Etat se présentait comme un Etat planifiant et démocratique avec des caractéristiques « socialistes ».

    Même la lutte contre la propriété, qui pour le prolétariat russe par exemple en 1917 avait été une bannière de lutte fantastique, semblait se défraîchir comme slogan possible, parce que la restructuration capitaliste donnait toujours plus de poids à la « main publique », ainsi le capital public, parce que justement un processus de « socialisation » se frayait la voie dans les pays guides du capitalisme occidental et parce qu’en même temps les travailleurs commençaient à ne plus voir en l’Union Soviétique un espoir, mais un modèle de ce que pourrait être un capitalisme sans maîtres (où la propriété privée avait été abolie mais où les rapports capitalistes comme rapports d’exploitation continuaient à exister -c’est-à-dire un capitalisme où la domination et l’esclavage du travail continuaient à exister).

    La lutte contre la propriété privée semblait aussi être un slogan qui s’évaporait et glissait entre les doigts.

    Que faire eu égard de cette force apparente du capital, eu égard de ce triomphe apparent du réformisme ?

    Le problème de la révolution dans le capitalisme avancé

    Dans ces années – où nous avons pu disposer du point de départ du développement général des idées de Potere Operaio – un groupe de camarades s’est occupé en Italie du problème suivant: que signifie la réouverture de la possibilité d’une stratégie révolutionnaire, d’un programme communiste dans un pays du capitalisme avancé ?

    Et on a cherché, trouvé et découvert les instruments du marxisme, les instruments qui pouvait rouvrir cette possibilité.

    Camarades, le panorama de cette époque, au début des années ’60, -le panorama de la pensée théorique d’un côté, de l’initiative politique marxiste à l’ouest de l’autre côté – était désolée.

    D’un côté il y avait les réformistes qui jouaient vis-à-vis des idéologies progressistes du capital un. rôle subalterne permanent.

    L’économie keynésienne, le plan de ce grand stratège du capitalisme, est devenu pour chaque théoricien du réformisme dans la classe ouvrière un horizon progressiste.

    De l’autre côté il y avait beaucoup de faiblesses de volontés à l’intérieur du camp marxiste: ils présentaient -pourrait-on dire – une vallée de pleurs, étaient assis et se plaignaient de ce que la classe ouvrière était, selon leur point de vue, intégrée, « parce qu’elle se battait pour de l’argent », parce qu’elle montrait un égoïsme fondamental et était prisonnière des thèmes de lutte matériel, pratique.

    LE COMMUNISME EST A L’ORDRE DU JOUR

    L’hypothèse de laquelle nous sommes partis et à partir de laquelle nous avons développé l’initiative générale des masses dans les années ’60, a été la suivante: nous voulions enquêter pour savoir comment pouvait être rendu efficace cette égoïsme de masse et cette capacité de lutter sur la base de ses propres intérêts matériels – intérêts qui sont placées en opposition aux intérêts généraux de la société; nous voulions enquêter pour savoir comment cette attitude de lutte pouvait être utilisé pour relancer le processus révolutionnaire.

    La conception, l’hypothèse politique était la suivante: nous voulions amener l’antagonisme entre travailleurs et patronat à son plus haut niveau, l’antagonisme qui est compris dans le rapport de production, c’est-à-dire à l’intérieur de l’usine, et qui est compris dans le fait que le travailleur essaie constamment et dans chacune des formes de son comportement à refuser le travail; c’est cette sorte d’opposition que nous voulions porter à sa pointe, nous voulions organiser l’insubordination des travailleurs à l’intérieur de l’usine, le refus du commandement du capital: nous voulions organiser la guerre et l’inimité entre les besoins concrets, matériels, des travailleurs et les fondements et le développement capitaliste et la logique du plan – propagé comme « intérêt général ».

    On doit ainsi travailler avec l’hypothèse suivante: contre la nouvelle programmatique de l’Etat planificateur capitaliste, contre le nouveau niveau de coordination capitaliste sur le plan international, contre cette machine, qui semble être brillante, parfaite et sans point faible, il s’agit de trouver le point faible.

    Et ce point faible consiste en ce que le réformisme, que le plan réformiste – comme tout plan réformiste – doit nécessairement s’appuyer sur le consensus de la classe ouvrière.

    C’était le point faible, c’est là qu’il faut se battre, et en effet il s’agit que les travailleurs refusent le consensus et l’approbation du réformisme.

    Camarades, c’était la découverte de l’autonomie.

    L’autonomie ouvrière signifie reconnaître et être conscient que l’histoire globale du capital, l’histoire globale de la société capitaliste est en réalité l’histoire de la classe ouvrière.

    L’histoire de la classe ouvrière, les luttes de la classe ouvrière, et cela se laisse prouver – les travailleurs d’usine peuvent le saisir de leurs mains: l’histoire de la technique est en réalité l’histoire du stratagème capitaliste, afin d’enlever aux travailleurs les informations; c’est-à-dire que l’histoire de la technique est l’histoire de la préoccupation permanente des capitalistes pour tirer plus de travail des travailleurs; l’histoire de l’Etat capitaliste est. l’histoire de la tentative du patronat d’exercer un contrôle constant et total sur la force de travail.

    L’histoire de la société capitaliste est l’histoire de la domination des prisons existantes, autour du travail vivant, autour de la force de travail, autour des travailleurs dans le but de tirer d’eux du travail.

    La lutte des salaires

    La thèse était ainsi: contre l’Etat du réformisme et le développement on devait refuser le consensus, rejeter les règles du plan, la médiation des syndicats, écraser la programmation d’une relation raisonnable entre la dynamique du salaire et la dynamique de la productivité, c’est-à-dire dynamiter la variable des salaires, la transformer, d’en relation avec la rationalité de l’exploitation capitaliste, à un élément irrationnel, déraisonnable, c’est-à-dire pousser les coûts du travail si haut que la programmation soit mise en danger.

    Par là consistait la découverte de l’autonomie, les luttes pour le salaire, la possibilité d’une offensive de la lutte économique des travailleurs, qui devaient lever l’ancre de ce ? réformisme, du. plan et du développement.

    Le slogan que nous avons propagé durant loues les années ’60: plus d’argent moins de travail, signifiait justement cela: avec une intention précise et subjective provoquer la crise capitaliste, c’est-à-dire opposer à la stabilité du capital l’irréductibilité des besoins de la classe ouvrière.

    Nous avons fait l’expérience suivante: eu égard un capital ayant réduit ses contradictions intérieures à un minimum, nous avons tenté de faire jouer jusqu’au bout la contradiction principale, qui reste insoluble – la contradiction entre travailleur et capital – et d’organiser cette organisation à partir du rapport de production.

    Nous avons considéré comme nécessaire de vérifier notre hypothèse qui consiste, en ce qu’elle amène une vague de luttes qui visent des buts économiques et de cette manière définit les conditions de la crise capitaliste, et par là remet en place les conditions classiques pour une initiative au sens enfin révolutionnaire, – c’est-à-dire une initiative dont le but est la prise de pouvoir, la destruction de l’Etat capitaliste et la mise en place du pouvoir ouvrier.

    Plus encore: l’autonomie signifie avant tout en arriver par la lutte et dans la lutte à l’unité politique des travailleurs.

    D’où la grande signification du slogan « même augmentation pour tous’ et les choix égalitaires des buts: la conscience subjective, explicite, et ouverte peut être issue de la reconnaissance de l’antagonisme entre les intérêts de classe des travailleurs et les intérêts du patronat, du fait qu’il est nécessaire de s’organiser de manière permanente non pas seulement contre un patron particulier mais contre tous les patrons et l’Etat comme représentant général des intérêts des patrons.

    L’autonomie ouvrière

    Sur la base d’une telle conception politique signifie ainsi [ manque ] de forcer au blocage du développement, et de telle manière qu’il avoue son incapacité à prendre une initiative réformiste, qu’il avoue le blocage de l’initiative politique, qu’il se refuse de suivre les revendications des travailleurs; l’autonomie signifie ainsi d’obliger les patrons et l’Etat à se montrer comme domination, comme violence, déclarée, dirigée contre les travailleurs.

    En ce sens la lutte autonome a contribué de manière décisive à former une situation politique où les mystifications du réformisme s’écroule, à produire des conditions, eu égard à la crise, comme elle l’est – une situation où en effet où est opéré une attaque et un appauvrissement, avec une violence ouverte, contre les conditions de vie matérielles de la classe ouvrière et du prolétariat globalement – pour un développement de la conscience de classe au niveau des masses, eu égard au visage ouvert et brutal de la crise, -ainsi pour un développement de la conscience de la nécessité de prendre en charge le pouvoir capitaliste et par là détruire l’esclavage du salariat, du système capitaliste comme système de travail et de marchandises.

    C’est ainsi le développement que nous avons parcouru dans les années ’60, des luttes chez FIAT en ’62 jusqu’à la renaissance des luttes ouvrières, des luttes prolétaires, étudiantes, sociales, qui commença en ’68 avec Valdagno, avec les luttes des prolétaires du sud, avec Bartipaglia, et qui mena de fait par les luttes de FIAT en ’69 à l’automne chaud.

    Nous n’avons pas ici besoin de nous attarder sur chaque période particulière; ce qui doit être ici accentué c’est que le fil rouge de nos conceptions politiques a traversé toutes ces étapes.

    Et camarades, en ce sens, nous pensons que cette conception politique était dès de le départ – avec toutes ses limites -un programme communiste.

    S’il en est comme Marx l’a dit – dans une phrase aui nous plaît beaucoup et qui était le slogan de notre Illème conférence de l’organisation: « nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état des choses existant » – alors nous pensons que notre programme (« notre » compris comme groupe qui s’est intéressé à cela, mais avant tout comme manifeste politique de masse des luttes ouvrières) a été de fait un programme communiste.

    Et nous pensons que les contenus explicites des luttes ouvrières des années ’60, dans cette expérience de l’autonomie, contenaient une hypothèse, un programme, qui contenait une programmatique, un manifeste politique communiste.

    Si l’on comprend en fait avec Marx le communisme comme destruction du salariat, la destruction de la nécessité de travailler afin de pouvoir vivre, alors l’actualité du communisme signifie trouver cette revendication, dans l’attitude des ouvriers et des prolétaires, dans la lutte contre le travail, qui a été caractéristique des luttes dans les usines et les luttes sociales des années ’60 en Italie.

    Et cela, camarades, signifie l’actualité du communisme.

    Nous pensons que le système capitaliste que le système capitaliste au niveau actuel est avant tout une machine infernale de « fabrication du travail »; c’est-à-dire qu’il
    est travaille pour fabriquer la nécessité du travail, car à son stade le plus haut le capitalisme devient vraiment une
    obligation de travailler, pure domination, pur commandement sur le travail, pure contrôle de la force de
    travail.

    Et c’est pourquoi, camarades, que nous avons caractérisé le combat contre le travail, le refus du travail, comme programme communiste, qui s’est articulé par une série de programmes particuliers, concrets, dans les luttes ouvrières des années ’60.

    La lutte contre la cogestion, contre la tentative de faire participer les travailleurs à la responsabilité de l’exploitation, la lutte contre les cadences, contre la mystification capitaliste des valeurs différentes du travail (qui contribue en réalité à diviser les travailleurs), la lutte contre la liaison salaire-productivité: tout cela, cela a été des contenus révolutionnaires fantastiques des luttes, qui ont eu en outre un bilan positif: de là il nous était possible de dire à la fin de l’automne chaud en ’69 que l’hypothèse que nous avons formé s’est vérifiée pour une grande partie.

    Le parti est à l’ordre du jour

    Car les travailleurs en sont en pratique arrivés par les luttes à la grande unité en tant que classe; des luttes tarifaires est issue une série d’avant-gardes politiques, crées dans les usines, et une série de noyaux organisationnels, d’éléments significatifs d’une organisation révolutionnaire.

    Aussi pouvons-nous dire que les travailleurs ont dans cette période, cette vague, dans ce grand cycle de luttes, développé une conscience générale; nous pouvons dire qu’il s’est articulé un besoin des travailleurs du parti et de la révolution et qu’en même temps la crise capitaliste a été provoqué et défini par l’attaque des travailleurs.

    Mais c’est justement pour cela qu’il était notre intention, partant d’une telle vérification, depuis la fin de l’automne chaud, pourrait-on dire, et toujours plus précisément et clairement pendant toute l’année 1970 et après dans les mois et années passés, d’entreprendre un tournant radical dans notre travail, notre style de travail, et dans nos conceptions politiques.

    Un tournant radical qui était selon nous nécessaire et l’est d’autant plus aujourd’hui, parce que le développement des rapports de classe en Italie confirme cette nécessité, et nous pensons que c’est justement par cette capacité, cette nécessité d’exprimer la discontinuité, le saut, le forcing, la requalification et le renouvellement de la pensée qui témoigne de l’avant-garde.

    Cela signifie aussi qu’il faut passer à travers les périodes d’isolement et d’opposition politique à l’intérieur du mouvement; mais ce qui compte, c’est que l’isolement nous acceptons est un isolement positif, pas l’isolement de l’arrière-garde, mais dans tous les cas l’isolement de ceux qui prennent les décisions auxquelles tout le mouvement souscrira plus tard.

    Si la crise capitaliste est donnée, et eu égard à l’accélération de la crise (inflation, attaque des salaires réels, attaque contre l’emploi, violence ouverte contre l’avant-garde des luttes et contre les noyaux des organisations révolutionnaires, début d’une répression par la justice – tout le cadre politique qui s’est développé en Italie depuis l’été 1970, avec la loi de stabilisation, « decretone »), eu égard à la crise, Potere Operaio présente une sorte de conception politique: à savoir la conception de la nécessité du passage de l’autonomie à l’organisation, de la lutte au niveau économique-revendicatif à la lutte politique ouverte au niveau du pouvoir.

    Et nous pensons que cette conception se produit obligatoirement de la nature, des caractéristiques et du matériel de la crise; c’est-à-dire des volontés – dans la crise – du point de vue travailleur, de continuer l’offensive.

    Nous devons ici dire ce que nous entendons par crise capitaliste, Beaucoup de camarades – également à l’intérieur du mouvement, également chez les « gauches de classe »- contestent le fait que la situation présente se démontre comme crise du capitalisme; mais ils contestent cela parce qu’ils ont une conception littéraire de la crise et tirent à eux constamment les vieux schémas qu’ils ont dans le crâne pour comparer; et ils remettent en cause la nouvelle qualité de la crise en tant que crise provoquée par les travailleurs et se présentent toujours une répétition de 1929, une crise catastrophique, et espionnent les tableaux des journaux économiques comme « monde economico » et « sole 24 ore », afin de reconnaître dans l’objectivité de la texture de la production italienne quels sont les secteurs touchés par la crise, la branche textile ou la branche plastique.

    Ils constatent si la crise touche la superstructure ou la base; tout cela est intéressant, il y a des choses extrêmement utiles, mais secondaire par rapport au noyau de la discussion politique en cours.

    Ces camarades, qui forment peut-être la majorité des organisations des gauches de classe, regardent la crise en fait comme une difficulté financière, comme une banqueroute; nous leur opposons la conception de crise comme blocage de l’initiative capitaliste.

    La crise signifie la nécessité à laquelle le capital est attaché, et en même temps les voeux politiques du côté capitaliste, d’arrêter, de bloquer le développement, de faire payer la note, afin de regagner le contrôle et la domination sur la classe ouvrière et l’ensemble de la société, pour mettre en avant un processus de « normalisation » sociale; la crise est ainsi la nécessité et la volonté politique de bloquer le développement et ainsi de bloquer le réformisme comme possibilité de satisfaire les exigences des travailleurs.

    Ainsi, camarades, en ce sens, nous disons de manière ouverte – et justement nous qui sommes issus des lûtes de classe et des luttes dans les usines, c’est pourquoi nous nous appelons Potere Operaio (pouvoir ouvrier) – que la crise est inévitablement la crise des luttes d’usine, la crise de l’autonomie ouvrière, la crise de la spontanéité des luttes des travailleurs; justement parce que la crise est le contre-coup spécifique utilisée par l’ennemi, justement parce qu’elle est la réponse spécifique à la conception révolutionnaire que. nous mettons en avant, justement parce qu’elle présente la possibilité, cette arme fantastique que nous avons découvertes dans les années de développement – à savoir la lute offensive qui a donné tant de soucis aux boss et leur a causé tant de dégâts -cette arme fantastique contre le développement de briser la pointe, vider son contenu et la rendre inutilisable.

    Les tâches des communistes durant la crise

    Le contenu essentiel de la crise est l’intention politique du côté des capitalistes, qui parcoure toutes les liaisons de l’appareil d’Etat, de forcer à la défensive les luttes des travailleurs et de dresser leur spontanéité.

    Si l’attaque des capitalistes et le chantage à l’emploi réduisent la spontanéité des travailleurs à une demande et une réclamation de travail, s’ils réduisent la lutte des travailleurs à la demande d’être exploité et au maintien d’un poste d’exploité, parce que les capitalistes font une offensive sur ce terrain, le terrain se déplace totalement ou on en arrive à la défaite de la classe.

    Si le capitaliste est prêt à renoncer à l’expansion et au développement, c’est-à-dire s’ils ne placent plus au premier rang les arguments de productivité et de développement de la production, mais réclament le contrôle, c’est-à-dire la reconquête des conditions générales de domination, leur remise en place, justement parce qu’il prend subjectivement sur ses épaules la crise à laquelle les travailleurs l’ont forcé et l’utilise comme arme quand lui, le capitaliste, bloque la production, laisse par terre les commandes, envoie les travailleurs à la caisse de la grève, les vire ou ferme l’usine – après, contre cette sorte de contre-attaque, le salaire devient un moyen de chantage et une arme, et en liaison avec nos forces, une arme émoussée; les buts de l’autonomie n’ont plus de fonction (tu n’as qu’à tenter d’aller devant les portes des usines afin de proposer ce qui a été le contenu du grand mouvement autonome de 68/69, sans en même temps une échappatoire politique et de nouveaux instruments de lutte; votre proposition « n’aboutira » pas et ne donnera pas aux travailleurs prêts à la lutte de direction).

    Il ne s’agit pas ici, comme certains le pensent, de se donner de meilleurs buts: nous sommes d’avis que les buts des luttes autonomes des années 68/69 ont été des buts grandioses, afin d’en arriver à l’unité de la classe et d’attaquer les capitalistes.

    Mais il ne s’agit pas de cela, le problème est beaucoup plus, que le rapport de force entre capitalistes et travailleurs est plus mauvais. Le problème est que les luttes d’usines ne sont plus menées à partir de la position d’attaques; ici c’est l’initiative organisationnel qui gagne à nouveau en signification.

    Appropriation et prix politique

    Le problème « que faire? » est pour cela la question, comment maintenir l’offensive, et empêcher les capitalistes

    de reprendre l’initiative: c’est le pivot de la conception globale de Potere Operaio.

    En cela nous sommes polémiques avec tous les théoriciens de la continuité, vis-à-vis de tous les camarades qui pensent que le processus révolutionnaire est une sorte d’autoroute rectiligne.

    Nous essayons, maintenant, de présenter notre conception de ce problème, et nous pensons que c’est une tâche vis-à-vis du mouvement de classe révolutionnaire global.

    Nous avons récemment, par exemple dans la polémique avec II manifeste, expliqué pourquoi nous considérions la théorie de la continuité comme une grande erreur: il nous semble que les camarades qui mettent en avant cela n’ont pas compris dans les années ’60 le rapport entre autonomie et développement, ils ont mis trop de temps pour comprendre – et ils ont compris seulement maintenant, c’est-à-dire en retard – que pendant la période de développement la spontanéité ouvrière, la lutte économique des travailleurs pour leurs propres intérêts matériels était un facteur subversif et révolutionnaire particulier; et aujourd’hui ils comprennent aussi peu les nouvelles tâches qui sont issues de la crise: le niveau stratégique de la lutte.

    Ils ne comprennent pas que l’on doit faire attention dans la crise aux faits suivants: la lutte d’usine en tant que telle, la lutte revendicative, ne creuse plus la tombe des capitalistes.

    Nous pensons ainsi que cela est de signification, lorsque nous disons aujourd’hui ce que nous disons, et que nous obtenons par là de nouvelles expériences de lutte et mettons à l’essai la practibilité des nouvelles conceptions; nous pensons que – si la tâche des révolutionnaires consistait dans la période du développement capitaliste à mettre en avant l’autonomie, d’organiser les luttes, les grèves, l’absentéisme de certains secteurs, les comités de base – tout cela doit consciemment être continué et fait aujourd’hui, là où c’est possible; mais aujourd’hui dans la crise il s’agit aussi d’imposer et de rendre réel, dans le tempo qu’imposé la crise, un saut de la lutte politique, de la lutte révolutionnaire à un autre niveau.

    L’insurrection est à l’ordre du jour

    Si nous avions proposé contre l’Etat planificateur, l’Etat du réformisme, et le développement des luttes dures et le but du salaire comme arme, aujourd’hui, contre l’Etat de la crise, contre l’Etat qui écrase les avant-gardes révolutionnaires, contre l’Etat qui est en réalité la liberté de la violence capitaliste, c’est l’arme adéquate de l’organisation comme parti, l’organisation du processus insurrectionnel et ainsi l’actualité du slogan que nous propageons: « le parti de l’insurrection ».

    Si nous avions proposé contre les capitalistes la lutte dure, l’autonomie contre le développement, aujourd’hui nous proposons contre l’Etat le parti et contre la crise le processus insurrectionnel.

    Nous pensons qu’il se pose pour les forces révolutionnaire le dilemme classique, traditionnel : défaite de classe ou révolution. Nous pensons en fait qu’il n’est pas possible de se présenter une situation dans le futur où les initiatives des capitalistes et des travailleurs stagnent pour longtemps. Cela ne sera pas ainsi.

    Où les réformes viennent, les restructurations – c’est-à-dire la défaite de la classe ouvrière – ou un processus à long terme de lutte armée sera mis en voie, ou nous commençons à nous bouger en direction, en marche vers l’insurrection.

    Nous pensons que ces conceptions mènent avant tout à une nouvelle praxis de masse, qui doit être proposé au mouvement pour les luttes futures: c’est pourquoi nous parlons de termes.

    Nous pensons en effet que nous devons partir de notre but de 68/69 à savoir l’unité des travailleurs dans la lutte sur la base d’un filet de buts.

    Au lieu de cela nous devons poser comme but l’unité de tous les prolétaires, c’est-à-dire des travailleurs d’usines comme des chômeurs et des prolétaires du sud, c’est-à-dire l’unité de cette figure prolétaire complexe, que nous nommons les travailleurs de masse (operaio-massa).

    Nous pensons qu’un programme pour l’unité de tous les prolétaires aujourd’hui sur la base d’un affrontement avec le pouvoir est possible.

    L’insurrection

    Ce terrain, nous l’appelons « salaire politique » – un terme pas forcément immédiatement saisissable, mais cela n’est pas l’important : lorsque nous parlons de « prix politique », nous parlons en fonction de la capacité des prolétaires de se libérer du chantage au travail, de leur pouvoir de ne plus se battre pour le travail.

    La salaire politique, pour nous, c’est pour nous tout un éventail d’initiatives que l’on peut mettre en avant; cela signifie par exemple l’organisation des révoltes et de la violence des prolétaires dans, le sud dans les luttes pour le salaire garanti; cela signifie l’organisation de la lutte et de la violence des chômeurs dans les grandes villes également avec le but du salaire garanti; cela signifie l’organisation d’une praxis d’appropriation de la richesse sociale, dans la mesure où l’on développe la capacité à s’enfuir du chantage au travail, afin d’avoir la possibilité et la liberté de ne plus s’écorcher au-dessus des masses pour pouvoir s’imposer.

    Une telle orientation, que nous nommons salaire politique et qui peut s’articuler dans le sud justement dans l’organisation des moments de violence avec le but des salaires garanties, et dans l’organisation de la praxis d’appropriation dans les métropoles du nord et dans les usines, a comme sens d’exprimer le refus de la lutte défensive.

    Une lutte non pas pour le travail mais pour le salaire, pour le salaire produit par le travail, signifie un refus de la participation de la part des prolétaires.

    Cela signifie cette fois que les travailleurs refusent la participation au développement des capitalistes, comme ils ont refusé en 68/70 la participation au développement des capitalistes, comme ils ont refusé la liaison entre salaire et productivité et le slogan capitaliste « plus d’argent oui, mais plus de travail! », ce slogan où en conséquence la productivité et la « montagne du salaire » sont liées et grandissent dans la même mesure.

    La lutte contre le travail et l’autonomie dans les usines visèrent pour briser cette liaison, pour réclamer plus d’argent en fonction de ses besoins et non pas en fonction des exigences de productivité du capital.

    Aujourd’hui, eu égard à la crise, eu égard l’attaque contre l’emploi, il s’agit d’en arriver à la coupure entre travail et salaire, d’imposer une lutte général pour le salaire et de commencer avec une pratique de l’appropriation, la réappropriation de la richesse sociale que les travailleurs ont produit, et cela est valable pour ceux qui travaillent comme pour ceux que le travail a condamné à ne pas travailler.

    Le programme de l’appropriation signifie reprendre à soi la richesse extorquée; et il y a toute une série de terrains de lutte – les moyens de transports, les appartements, les cantines (les supermarchés, mais moins en ce moment)-, où les prolétaires ont déjà pris des initiatives, afin de se donner la possibilité et le pouvoir de moins travailler et de ne plus avoir à accepter tout chantage capitaliste qui apparaît sous la forme de crise.

    Et en même temps la réappropriation signifie, s’approprier dans l’usine les propres buts, et cela sans négociation ni délai. Cela, camarades, est la nouvelle praxis de masse contre la crise, il s’agit de montrer l’exemplarité de ces conceptions, de faire des expériences, de les résumer, et cela non pas dans une continuité indéfinie d’épisodes de luttes, qui s’ajoutent jour après jour, mais en corrélation avec un délai défini, organisé et décidé centralement, où se laisse vérifier la capacité à l’organisation, par exemple la capacité de se mouvoir au niveau national.

    Cela comprend aussi une nouvelle praxis de l’action organisée, un nouveau style d’organisation; car en ce domaine il ne s’agit pas de stimuler le comportement spontané des travailleurs dans les points essentiels, mais d’être capable, en tant qu’organisation, à engager et faire bouger les luttes des masses vers le but de l’insurrection.

    C’est ce que nous voulons dire par « agir en tant que parti, se comporter comme parti »: choisir le terrain de lutte d’un parti révolutionnaire, même si aujourd’hui nous ne considérons pas, avec le niveau d’organisation présent, comme le parti révolutionnaire, car nous savons que le passage organisationnel au parti ne peut être décidé – sur la base d’une période de luttes significatives dans les conditions de la crise – que par celui se révélant capable d’unir le patrimoine violent de cadres politiques et de militants, qui se sont formés ces dernières années, sur ce nouveau, encore plus développé, terrain de lutte.

    Agir comme parti signifie devenir initiative sur ce terrain.

    A ce point, nous ne considérons pas et ne nous définissons pas comme parti, parce que nous sommes d’avis que la qualité spécifique du parti repose dans le fait d’être dans la situation, non seulement d’initier le processus d’insurrection, de se bouger en direction de l’insurrection, mais de disputer le pouvoir directement et de manière décisive.

    Cela ne veut pas dire que nous ne choisissons pas ce terrain de lutte comme terrain de lutte qualitatif, où nous poumons bouger.

    La thématique suivante doit pour cela, selon notre conviction, passer dans le mouvement: si le salaire et la lutte dure était le slogan dans la période de l’autonomie, aujourd’hui le salaire politique et la lutte pour le pouvoir (et ainsi le processus insurrectionnel et la lutte armée – une lutte de longue durée, qui est pourtant initié et rendu possible et vers laquelle doit être dirigé le mouvement) doivent être présenté au mouvement comme slogan.

    Un slogan qui n’est pas l’expression d’une ligne, mais qui est porté par la capacité de poser systématiquement des délais, d’organiser des moments d’affrontements et de ruptures, qui font avancer le mouvement.

    Nos prenons un exemple parmi beaucoup. Imaginez-vous, camarades, ce que signifie avoir la capacité de passer des occupations de maisons massives, générales, à une défense générale des quartiers prolétariens, à une défense militaire contre l’attaque de la police.

    Imaginez-vous ce qu’est d’en arriver d’explosions sociales, de révoltes prolétaires, comme on en vit chaque jour dans le sud, à une capacité de coordination et ainsi à une violence de masse, qui ne serait pas spontanée, mais présupposée, constituée, dirigée, et organisée.

    Saisissez ce que cela signifie organisationnellement.

    Nous pensons que le mouvement global doit être intégré à un tel processus, à de tels délais, et que pour cela, parce que les autres groupes sont si loin derrière, à cause de la rapidité que pose la situation nous devons présenter et développer une capacité globale pour donner l’exemple. Sinon, camarades, la discussion sur le parti est un bla-bla vide, de construction de l’organisation pierre sur pierre.

    La spécificité du parti, les tâches de l’organisation révolutionnaire est la lutte contre l’Etat. La différence entre l’organisation de parti révolutionnaire des ouvriers et prolétaires et une organisation générale du mouvement dans les luttes ne repose évidemment pas dans le fait d’avoir un fanion de plus sur la « carte du pays », mais repose essentiellement dans la capacité de prendre en charge les tâches effectives qui se posent au mouvement.

    La théorie qui doit nous servir comme échelle de valeur, le slogan que nous voulons propager, est l’offensive, il est tout naturel qu’à l’intérieur d’un mouvement révolutionnaire dans les périodes de crise et de contre-attaque du côté des travailleurs il apparaisse des positions que nous qualifions sans hésiter d’attentisme et d’opportunisme.

    Beaucoup de camarades pensent qu’il faut reculer et défendre le niveau d’organisation acquis lorsque les capitalistes, l’Etat, attaquent.

    Nous pensons que cela n’est pas juste; nous pensons qu’aucune organisation se disant révolutionnaire, en tant que telle, en tant qu’organisation révolutionnaire, pourrait survivre avec un minimum de crédibilité, après avoir échoué dans cette situation, à l’essai de ses capacités, sur le terrain du pouvoir, sur le terrain de l’affrontement avec l’Etat de la crise, après avoir essayé des formes de luttes significatives.

    Tout cela est encore un projet, mais nous pensons que ce genre d’expériences doit être fait; qu’il ne s’agit pas dans cette période de reculer mais qu’il est largement plus nécessaire de mettre en place des propres capacités organisationnelles dans le cadre d’une telle orientation politique, pour de telles tâches de l’avant-garde et pour en arriver à un délai significatif de l’affrontement, où cela ne serait pas un exemple plat mais un point de référence d’avant-garde pour tout le mouvement général.

    >Sommaire du dossier

  • Raniero Panzieri : Capitalisme et machinisme

     [Quaderni Rossi N°1, 1961]

    Selon Marx, on le sait, la coopération simple se présente historiquement au début du procès de production capitaliste. Mais cette figure simple n’est qu’une forme particulière de la coopération comme forme fondamentale de la production [1] : « La forme capitaliste présuppose dès le début l’ouvrier salarié libre, qui vend sa force de travail au capital ».

    Mais l’ouvrier, qui possède et vend sa force de travail, n’entre en rapport avec le capital que comme un individu isolé. La coopération, le rapport réciproque des ouvriers « commence seulement dans le procès de travail, mais, dans celui-ci, ils ont déjà cessé de s’appartenir.

    Dès qu’ils y entrent, ils sont incorporés au capital. En coopérant, en étant les membres d’un organisme opérant, ils ne sont même qu’un mode d’existence particulier du capital. (« La force productive que des salariés déploient en fonctionnant comme travailleur collectif est, par conséquent, force productive de capital » [2].)

    La force de production sociale du travail se développe gratuitement dès que les ouvriers sont placés dans certaines conditions ; et le capital les place dans ces conditions.

    La production capitaliste se réalise dans ses différents stades historiques sous la forme d’une division toujours croissante du travail, dont l’usine est le lieu principal

    « Dans la manufacture, la division du travail a opposé les puissances intellectuelles de la production aux ouvriers comme quelque chose qui ne leur appartient pas, comme un pouvoir qui les domine.

    Cette scission commence dans la coopération simple, où le capitalisme représente vis-à-vis du travailleur isolé, l’unité et la volonté du travailleur collectif ; elle s’achève dans la grande industrie qui fait de la science une force productive indépendante du travail et l’enrôle au service du capital [3].

    La technologie se développe entièrement à l’intérieur de ce procès capitaliste. La manufacture où le travail demeure morcelé se fonde encore sur l’habileté artisanale ; « et le capital lutte continuellement contre l’insubordination des ouvriers, car, dans la manufacture, le mécanisme global n’a pas d’ossature objective indépendante des travailleurs eux-mêmes ».

    La manufacture se fonde donc sur une technique étroite, qui entre en conflit avec les exigences de la production qu’elle a elle-même créées [4].

    L’utilisation des machines sur une grande échelle marque le passage de l’ère de la manufacture à celle de la grande industrie.

    « D’une part, on n’eut plus besoin, pour des raisons techniques, de vouer sa vie durant le travailleur à une fonction partielle ; d’autre part, on vit tomber les barrières que ce principe lui-même opposait encore à la puissance du capital [5]. »

    En s’annexant la technologie, le capitalisme détruit « le vieux système de division du travail » et en même temps le renforce : « Il s’en empare pour le consolider et le reproduire sous une forme encore plus repoussante, comme moyen systématique d’exploitation ».

    De la spécialité qui consistait à manier sa vie durant un outil parcellaire on passe à la spécialisation : servir sa vie durant une machine partielle. On ne diminue pas seulement ainsi de façon considérable les frais nécessaires à la reproduction de l’ouvrier : on finit par le rendre complètement dépendant de l’usine, et partant, du capital.

    Les progrès de la technologie constituent donc le mode d’existence même du capital ; ils sont son mouvement d’expansion lui-même. « La facilité même du travail se transforme en moyen de torture, car la machine ne délivre pas l’ouvrier du travail, mais enlève son sens à ce travail.

    C’est un phénomène que l’on retrouve dans toute la production capitaliste en tant qu’elle n’est pas seulement création de choses mais création de plus-value ; ce n’est pas l’ouvrier qui emploie la condition de travail, mais la condition de travail qui emploie l’ouvrier ; seules les machines donnent à ce renversement une réalité technique.

    En se transformant en automate, le moyen de travail s’oppose à l’ouvrier au cours du travail lui-même comme du capital, du travail mort qui domine et pompe sa force de travail vivante [6]. »

    L’usine mécanisée établit en puissance la domination que les producteurs associés exercent sur le travail. Mais quand, dans l’usine moderne, le capitalisme applique le machinisme, « c’est l’automate lui-même qui est le sujet, et les ouvriers ne sont coordonnés à ces organes inconscients qu’à titre d’éléments conscients subordonnés eux aussi à la force motrice centrale [7]. »

    On peut donc dire, entre autres, que :

    1) en employant les machines, le capitalisme détermine le développement technologique et ne représente pas simplement une déviation dans un mouvement « objectif » en lui-même rationnel.

    2) « la science, les énormes forces naturelles et le travail social de masses… s’incarnent dans le machinisme et … constituent avec ce dernier le pouvoir du « patron » [8].

    « Donc, se dressant en face de l’ouvrier individuel, les progrès technologiques se manifestent comme des progrès du capital : « comme capital, et en tant que telle, la machine automatique trouve sa conscience et sa volonté dans la personne du capitaliste » [9]. « Dans le cerveau du Maître, son monopole sur les machines se confond avec l’existence de ces machines [10]. »

    Au fur et à mesure que l’industrialisation s’empare de stades technologiques toujours plus avancés, l’autorité du capitaliste s’accroît. Car, plus le capitaliste emploie de moyens de production qui s’opposent à l’ouvrier, plus le contrôle qu’il exerce doit être absolu.

    Le plan capitaliste est la figure idéale qui oppose aux ouvriers salariés « l’enchaînement de leurs différents travaux » ; « le plan est l’expression pratique de l’autorité capitaliste, puissance d’une volonté étrangère » [11].

    La planification est donc étroitement liée, dans le capitalisme, à un emploi toujours croissant des machines. L’élaboration toujours plus grande d’un plan comme instrument de despotisme, correspond dans la direction capitaliste à l’accroissement de la coopération, du procès de travail social.

    Le capital affirme toujours davantage son pouvoir en tant que « législateur privé ». La planification est son despotisme. La « caricature capitaliste de la régulation sociale du travail » [12].

    Les transformations du capitalisme dans l’ordre de la technique et de l’organisation et les interprétations « objectivistes »
    Marx analyse la division du travail dans le système de la grande industrie à direction capitaliste ; il met à l’œuvre une méthode dont nous nous servirons pour réfuter les diverses idéologies « objectives » qui refleurissent sur le terrain des progrès technologiques (en particulier en ce qui concerne l’automation).

    Le développement capitaliste de la technique accroît toujours plus le contrôle exercé par le capital, à travers les divers phases de rationalisation, de formes toujours plus raffinées d’intégration, etc.

    Le facteur fondamental de cette évolution est l’augmentation croissante du capital constant par rapport au capital variable. Le capitalisme contemporain passe, on le sait, par des monopoles ou des oligopoles qui étendent démesurément la planification de l’usine au marché, puis à la sphère extérieure de la société.

    Il n’y a aucun facteur « objectif », occulte, qui, caché dans le développement technologique ou le plan de la société capitaliste actuelle, garantirait la transformation « automatique » ou le renversement « nécessaire » des rapports existants.

    Par les nouvelles « bases techniques » de la production qu’il a peu à peu atteintes, le capitalisme a des possibilités nouvelles de consolider son pouvoir. Certes, il y a en même temps de plus en plus de possibilités de renverser le système.

    Mais elles coïncident avec la force de subversion de l’« insubordination ouvrière » ; la mise en question devient totale quand elle s’adresse au mécanisme « objectif » et de plus en plus autonome du capital.

    Les idéologies « objectivistes », « économistes », sont donc les plus intéressantes quant aux problèmes posés par les progrès technologiques et l’organisation de l’entreprise. Nous pensons évidemment ici aux positions qui s’expriment à l’intérieur du mouvement ouvrier et non aux idéologies néo-capitalistes.

    Le syndicat de classe essaye depuis quelques années de lutter contre les vieilles cristallisations idéologiques en reconnaissant la « réalité nouvelle » du capitalisme contemporain.

    A juste titre, il prête attention aux transformations qui accompagnent la phase technologique et économique actuelle, mais il s’en fait une représentation fausse : toute une série de prises de positions et de recherches les voient sous une forme « pure », idéalisée, dépouillée de leur relation concrète avec les éléments généraux et déterminants (de pouvoir) de l’organisation capitaliste [13]. Le syndicat a une attitude ambiguë.

    Il transforme en une période de transition la rationalisation, qui morcelle à l’extrême et vide de son contenu le travail de l’ouvrier ; période « douloureuse » certes mais nécessaire, et qui conduit à la « recomposition unitaire des travaux morcelés ».

    Et il reconnaît pourtant que, moins on fait appel au travail vivant dans la production, plus on augmente le capital constant, et que cela mène à un cycle ininterrompu tout comme à « une interdépendance intérieure et extérieure toujours plus profonde : au sein d’une unité de production, le poste de travail et le travailleur ne peuvent être considérés que comme parties d’un ensemble pour ainsi dire organique ; de même toute unité de production ainsi que son comportement sont très étroitement interdépendants de tout le corps économique » [14] (Silvio Leonardi).

    On prend ainsi des traits nouveaux de l’organisation capitaliste pour des stades de croissance d’une « rationalité » objective. C’est ainsi, par exemple, que l’on soulignera la fonction positive, rationnelle, du M.T.M. en disant que « le technicien, en visant les temps, est obligé de faire une étude des méthodes » [15].

    Ou bien : on oublie complètement à quel point le fait « qu’un ouvrier ou un groupe d’ouvriers ne corresponde pas à ce que le plan de production de l’usine lui demande » [16] peut briser le rythme de production dans la grande usine moderne « dont la production est planifiée et se réalise à flux continu » ; on souligne par contre la nécessité (rationnelle évidemment) du « soi-disant rapport « moral » qui unit les chefs d’entreprises aux travailleurs et qui est la condition et le but de ce que l’on appelle les « relations humaines », parce qu’on peut justement établir à partir de lui une collaboration.

    En effet, « le mouvement par lequel l’ouvrier s’intègre à l’entreprise doit correspondre au mouvement d’intégration de la production ; son intégration doit être volontaire, car nulle contrainte, nulle discipline ne peuvent obtenir qu’un homme renonce à la liberté, celle par exemple de produire un jour un peu plus et un jour un peu moins », etc. [17].

    De sorte que ce mouvement (les « relations humaines ») ne pourra prendre fin qu’au moment où on en aura assimilé la partie positive : les syndicats doivent simplement « intervenir pour briser certaines déformations dangereuses (mainmise de l’usine) qui sont étroitement liées aux « relations humaines » elles-mêmes » [18].

    On accepte donc quant au fond le procès d’intégration, on y voit une nécessité intrinsèque de la production « moderne » ; on veut simplement rectifier les « déviations » que le capitalisme pourrait y introduire. L’organisation « fonctionnelle » de la production elle-même n’apparaît que sous une forme sublimée, uniquement technologique, comme si on avait sauté à pieds joints sur la hiérarchisation qui caractérisait les phases de mécanisation précédentes.

    On ne soupçonne même pas que le capitalisme pourrait se servir des « bases techniques » nouvelles offertes par la mécanisation à outrance (et l’automation) pour continuer et consolider la structure despotique qui pèse sur l’organisation de l’usine ; tout le progrès de l’industrialisation semble dominé par une fatalité « technologique » qui libère l’homme des « limitations que lui -imposent son milieu et ses possibilités physiques ».

    La même forme « technique », « pure », recouvre la « rationalisation administrative », l’énorme croissance des fonctions d’ « organisation tournée vers l’extérieur » : on voit ainsi le capitalisme sous un jour technologique et idyllique, et on n’établit aucun rapport entre les progrès et les transformations que nous avons mentionnés et les contradictions du capitalisme contemporain (la façon dont il cherche à se servir de moyens toujours plus généraux pour réaliser et imposer sa propre planification) ; on ignore totalement la réalité historique concrète dans laquelle le mouvement ouvrier doit vivre et combattre, la façon dont les capitalistes se servent actuellement des machines et de l’organisation.

    Cette façon « objective » de considérer les nouvelles formes de la technique et de l’organisation donnent lieu à des déformations particulièrement graves quand on traite des prestations de travail dans l’usine moderne.

    On insiste sur le fait que les fonctions sont moins morcelées, et que des tâches nouvelles apparaissent, plus unitaires : celles-ci feraient appel à la responsabilité, au pouvoir de décision, à une préparation technique polyvalente, etc. [19]. On isole ainsi les progrès techniques et lés fonctions qui sont liées au « management » du contexte social concret dans lequel ils se produisent, la centralisation croissante du pouvoir capitaliste.

    Ces progrès deviennent le support de catégories nouvelles de travailleurs (les techniciens, les « intellectuels de la production ») qui apporteraient de façon « naturelle » et comme par un reflet direct de leur propre profession la solution des contradictions qui opposent aux rapports de production les « caractéristiques et les exigences des forces de production » [20].

    L’opposition des forces et des rapports de production est présentée ici comme un « disfonctionnement technique ».

    C’est ainsi « par exemple qu’au moment où il s’agit de choisir la meilleure combinaison de facteurs de production déterminés, ils (ces travailleurs d’un genre nouveau) sont obligés d’écarter les solutions qui sont objectivement les meilleures et qu’ils pourraient désormais appliquer avec des méthodes toujours plus valables, pour respecter les limites fixées par les intérêts privés » [21].

    Il est sûr que, de ce point de vue, « la faucille et le marteau ne symbolisent plus de nos jours le travail humain que sous forme d’idéal [22] » !

    Tout ceci se reflète évidemment dans la façon de concevoir la lutte ouvrière, de se représenter les adversaires en présence. Les luttes actuelles montrent que les travailleurs des différents « niveaux » déterminés par l’organisation actuelle de la grande usine [23] se retrouvent pour présenter des requêtes portant sur la gestion.

    C’est là une convergence réelle, fondée sur des facteurs objectifs qui tiennent justement à l’ « emplacement » différent que l’on a attribué aux travailleurs dans le procès de production, au fait qu’ils soutiennent des rapports différents avec la production et l’organisation, etc.

    Mais on ne saisira jamais le trait spécifique de cette « recomposition unitaire » si l’on manque ou si l’on refuse de voir le lien de l’élément technique et de l’élément politique d’organisation (du pouvoir) dans le procès de production capitaliste.

    Le niveau de classe s’exprime non en termes de progrès mais en termes de ruptures : non comme la « révélation » de quelque rationalité occulte, cachée dans le procès moderne de production, mais comme la construction d’une rationalité radicalement neuve et qui s’oppose à la rationalité capitaliste.

    En acquérant une conscience de classe comme ils le font à l’heure actuelle les ouvriers des grandes usines « n’expriment pas seulement l’exigence primaire d’une expansion de la personnalité dans le travail mais l’exigence structuralement motivée de gérer le pouvoir politique et économique de l’entreprise, et, à travers celle-ci, de toute la société » (Alquati) [24].

    C’est pourquoi tout ce dont nous parlions plus haut et qui sert à caractériser « objectivement » les différentes couches de travailleurs dans le procès de production peut certainement aider les ouvriers à prendre collectivement conscience des implications politique de la production. Mais ce qui se forme ainsi est une force unitaire de rupture, qui tend à investir tous les aspects de cet ensemble de technique d’organisation et de propriété qui constitue l’usine capitaliste actuelle.

    Intégration et équilibre du système

    En validant totalement les procès de rationalisation (considérés comme l’ensemble des techniques de production élaborées dans le cadre du capitalisme) on oublie que c’est précisément le « despotisme » capitaliste qui prend la forme de la rationalité technique.

    Car le capitalisme ne s’empare pas seulement des machines mais des « méthodes », des techniques d’organisation, etc. ; il les intègre au capital, il les oppose aux ouvriers comme du capital, comme une rationalité étrangère. La « planification » capitaliste présuppose la planification du travail vivant ; plus elle tend à se présenter comme un système clos de lois parfaitement rationnelles, plus elle est abstraite et partiale, prête à ne servir qu’une organisation hiérarchisée.

    C’est le contrôle, et non la rationalité, c’est le projet de pouvoir des producteurs associés et non la planification technique qui permet d’établir un rapport adéquat avec les procès techniques et économiques dans leur ensemble.

    On peut en effet, en étudiant d’un point de vue « technique », pseudo-scientifique les nouveaux problèmes et les nouvelles contradictions dans l’usine capitaliste actuelle, trouver aux déséquilibres nouveaux qui viennent à se former des solutions toujours plus « avancées », sans toucher pour autant au cœur de l’aliénation ; on maintient au contraire l’équilibre du système.

    Les idéologies sociologiques qui veulent organiser le capitalisme contemporain ont connu différentes phases, du taylorisme au fordisme et aux techniques d’intégration, human ingeneering, relations humaines, règles de la communication, etc [25].

    Ces techniques ont pour but d’homologuer de façon toujours plus complexe et détaillée la planification du travail vivant aux stades que les exigences de la planification de la production a peu à peu atteints avec l’accroissement continu du capital constant.

    Les techniques d’ « information » prennent évidemment, dans un tel cadre, toujours plus d’importance : elles sont destinées à neutraliser la protestation des ouvriers, qui procède directement du caractère totalitaire des procès d’aliénation dans la grande usine rationalisée.

    L’analyse concrète se trouve évidemment devant des situations très différentes ; elle doit tenir compte de nombreux facteurs particuliers (inégalité du développement technique, diversité des orientations subjectives de la direction capitaliste, etc.) mais ce qu’il nous importe de souligner, ce sont ces marges indéfinies de concessions possibles (mieux, de stabilisation) que le capitalisme acquiert en se servant des techniques d’ « information » pour manipuler les conduites ouvrières.

    On ne peut déterminer à partir de quelle limite le capitalisme cesse de trouver dans l’« information » portant sur les procès globaux de production un facteur de stabilisation [26]. Ce qui est sûr, c’est que ces techniques tendent à restituer, dans la situation plus complexe de l’entreprise capitaliste contemporaine, cet « attrait » (satisfaction) du travail dont le Manifeste parlait déjà [27].

    Que les techniques d’information et leur champ d’application s’élargissent tout comme la sphère des décisions techniques [28], cela rentre parfaitement dans la façon dont les capitalistes « caricaturent » la réglementation sociale de la production.

    Il est donc nécessaire de souligner qu’on ne renverse pas le système en prenant conscience de produire et que la participation des travailleurs au plan « fonctionnel » du capitalisme est en soi un facteur d’intégration, d’aliénation, pour ainsi dire aux extrêmes limites du système.

    Il est bien vrai que, en se développant, les « facteurs de stabilisation » du néo-capitalisme constituent une prémisse qui rend nécessaire le renversement total de l’ordre capitaliste.

    La lutte ouvrière doit donc se présenter comme une opposition globale à tout le plan capitaliste ; l’élément essentiel est la conscience de l’unité dialectique des deux moments « technique » et « despotique » de l’organisation actuelle de la production. L’action révolutionnaire doit « comprendre » la rationalité technologique, non pour la reconnaître et l’exalter mais pour l’employer d’une façon nouvelle : en employant les machines dans un but socialiste [29].

    Les salaires et l’esclavage politique

    L’organisation moderne de la production fournit à la classe ouvrière toujours plus de possibilités « théoriques » de contrôler et de « diriger » la production ; mais, « pratiquement », la centralisation toujours plus stricte des décisions du pouvoir exaspère l’aliénation.

    C’est pourquoi la lutte ouvrière, toute lutte ouvrière, tend à proposer une rupture politique du système.

    On ne fait pas une telle rupture en comprenant les exigences « rationnelles » implicites des techniques nouvelles et la façon dont le capitalisme s’en sert, mais en leur opposant une collectivité ouvrière qui subordonne la production aux forces sociales.

    Il n’a pas lieu d’affirmer qu’un progrès technique et économique continuera par delà le saut révolutionnaire : l’action ouvrière met en question les fondements du système, sous tous ses aspects, dans toutes ses répercussions, et à quelque niveau que ce soit.

    Les progrès technologiques sont manifestement liés au procès du capital, comme « succession toujours plus rapide d’inventions et de découvertes, (un) rendement du travail humain qui augmente de façon inouïe de jour en jour [30].

    Mais si Engels en déduit la « scission de la société en une petite classe démesurément riche et une grande classe de salariés qui ne possèdent rien », Marx prévoit une augmentation du salaire non seulement nominal mais réel : « si… les entrées de l’ouvrier augmentent avec l’augmentation rapide du capital, on voit en même temps s’approfondir l’abîme social qui sépare l’ouvrier du capitaliste ; la domination que le capital exerce sur le travail augmente en même temps que la dépendance du travail par rapport au capital » [31]

    Donc plus le capital augmente rapidement plus la situation matérielle de l’ouvrier s’améliore ; et plus le salaire se trouve lié à l’augmentation du capital, plus le rapport mouvant par lequel le travail dépend du capital est direct. Ou : la situation sociale de l’ouvrier empire dans la mesure où sa situation réelle s’améliore, en approfondissant « l’abîme social qui le sépare du capitaliste » [32].

    Le rapport immédiat du salaire et du capital fait que « la condition la plus favorable pour le travail salarié est d’augmenter le plus rapidement possible le capital productif » ; « (donc) plus la classe ouvrière augmente et grossit rapidement la force ennemie, la richesse qui lui est étrangère et qui la domine, plus sont favorables les conditions dans lesquelles il lui est permis de travailler à un nouvel accroissement de la richesse bourgeoise, à une augmentation du pouvoir capitaliste, satisfaite qu’elle est de forger elle-même les chaînes dorées par lesquelles la bourgeoisie la traîne derrière soi » [33].

    Engels reconnaîtra d’ailleurs lui-même (dans la Critique du programme d’Erfurt) que le « système du travail salarié est un système d’esclavage, et d’un esclavage toujours plus dur dans la mesure où les forces sociales de production du travail se développent et cela que l’ouvrier soit payé plus ou moins » (c’est nous qui soulignons).

    Lénine montre que cela apparaît clairement chez Marx : « Marx a admis la conception de l’accumulation élaborée par les classiques dans sa théorie ; il admet quepluslarichesseaugmenterapidement,pluslesforcesdeproduction et la socialisation du travail se développent concrètement, et plus la situation de l’ouvrier s’améliore, dans la mesure tout au moins où cela est possible dans le système actuel de l’économie sociale » [34].

    Marx exprime aussi ce même accroissement de l’ « abîme social » qui sépare les ouvriers et les capitalistes sous la forme du salaire relatif et de sa diminution.

    Mais ce concept implique une prise de conscience politique qui montrerait combien la « dépendance politique » s’aggrave au moment où les conditions matérielles s’améliorent et qu’augmente le salaire nominal et réel. Le fait que l’avènement du socialisme soit « inévitable » n’est pas de l’ordre du conflit matériel ; sur la base même du développement économique du capitalisme, il tient à ce que l’on ne tolère pas les différences sociales et implique donc une prise de conscience politique.

    Mais c’est pourquoi justement les ouvriers, en renversant le système, nient l’organisation capitaliste en entier, et, en particulier, la technique, en tant qu’elle a partie liée avec la productivité.

    La revendication « générale » d’une augmentation des salaires ne peut donc servir à briser, à dépasser le mécanisme des salaires et de la productivité. On agit évidemment dans ce sens en luttant contre l’inégalité des salaires, mais il n’est absolument pas dit que l’on réussira ainsi à briser le système ; une telle revendication garantira tout au plus des « chaînes plus dorées » à toute la classe ouvrière.

    Ce n’est qu’en remontant jusqu’aux racines même des processus d’aliénation, en montrant clairement comment les ouvriers dépendent politiquement toujours plus du capital que l’on pourra donner lieu à une action de classe vraiment générale [35].

    En d’autres termes la force d’insoumission de la classe ouvrière, son pouvoir révolutionnaire, se montrent potentiellement plus forts là où le capitalisme est justement en plein essor, là où en écrasant le travail vivant, l’augmentation du capital constant et la croissance de la rationalité qu’on y a mise posent immédiatement à la classe ouvrière la question de son esclavage politique.

    Le mouvement par lequel le plan a toujours plus d’emprise sur les procès sociaux « globaux » qui lui sont extérieurs, en particulier au niveau de l’entreprise, entre d’ailleurs dans la logique pour ainsi dire élémentaire de l’expansion capitaliste.

    Marx, on le sait, a insisté à plusieurs reprises sur la prolifération des racines de la puissance capitaliste : à la limite, la division du travail dans l’usine tend à coïncider avec la division sociale du travail, et il ne faut naturellement pas comprendre cela dans un sens purement économique.

    Consommation et temps libre

    L’ « objectivisme » accepte la « rationalité » capitaliste qui s’exerce dans l’usine ; il sous-estime la lutte dans les structures et les points en expansion, et souligne au contraire l’action qui s’exerce dans la sphère extérieure des salaires et de la consommation.

    On surestime alors le pouvoir de l’action au niveau de l’Etat, en recherchant une « dialectique » plus élevée, dans le cadre du système, entre le capital et le travail ; on sépare d’autre part le moment syndical et le moment politique, etc.

    C’est ainsi qu’on finit par retrouver dans les débats les plus sérieux et les plus « à jour » (qui à l’heure actuelle, en Italie, ont surtout lieu à l’intérieur du syndicat de classe), et sous des formes plus critiques, plus modernes, la simple confirmation des vieilles tendances « démocratiques » de la lutte ouvrière.

    Tout le travail de recherche de l’action syndicale, tout son effort pour suivre de façon adéquate les modes d’expansion du capital risquent de déboucher sur la ratification pure et simple de positions anciennes, enrichies d’un contenu nouveau mais toujours mystifiées.

    On « définit ainsi l’action autonome des grandes masses à partir des choix patronaux et non a priori » [36].

    Au moment où les procès intrinsèques de l’accumulation capitaliste sont déterminés de façon toujours plus « globale » à l’intérieur et à l’extérieur, au niveau de l’entreprise et au niveau de la société, les différentes positions qui réapparaissent sur une base keynesienne et jusqu’au sein du mouvement ouvrier sont de véritables idéologies, le reflet de l’expansion néocapitaliste.

    L’avertissement formulé par Marx contre de telles idéologies est ici plus valable que jamais : « La sphère de la circulation ou de l’échange des marchandises dans laquelle se réalisent la vente et l’achat de la force de travail est en fait un véritable Eden des droits innés de l’homme. »

    Ce n’est pas pour rien que ces idéologues opposent des consommations « honnêtes » aux consommations « imposées » par le capitalisme ; la classe ouvrière devrait proposer de telles consommations ; et l’augmentation générale des salaires, c’est-à-dire la confirmation de l’esclavage capitaliste, est présentée comme une revendication du travailleur qui, en tant que « personne humaine » demande (à l’intérieur du système 1) de pouvoir faire reconnaître et affirmer sa « dignité » [37].

    La revendication des « besoins essentiels » (culture, santé) qui se dresse contre l’échelle de consommations imposées par le capitalisme ou le néocapitalisme n’a elle-même aucun sens si on admet la rationalisation capitaliste et tant que les ouvriers ne demandent pas de jouer un rôle de contrôle et de gestion dans la sphère de la production [38].

    Il est significatif que les positions révisionnistes se réclament, en la déformant, de la conception marxienne du temps libre, de son rapport avec la journée de travail et de la place qu’on lui attribuera dans une société communiste.

    On part d’une interprétation « économiste » et on identifie la liberté communiste avec un accroissement du temps libre sur la base d’une planification « objective » croissante qui rationalise la production [39].

    Or, pour Marx, le temps libre, le temps « pour la liberté d’une activité mentale et sociale des individus » ne coïncide absolument pas avec la réduction pure et simple de la journée de travail. Car il présuppose la transformation radicale des conditions du travail humain, l’abolition du travail salarié, la « réglementation sociale du travail ».

    Il présuppose donc la destruction du rapport capitaliste / despotisme / rationalité et vise une société administrée par des producteurs libres, dans laquelle on ne produit plus pour produire, et où l’établissement d’un programme, le plan, la rationalité, la technologie, sont soumis au contrôle permanent des forces sociales ; c’est ainsi et seulement ainsi que le travail peut devenir le « premier besoin de l’homme ».

    Si la lutte de classe vise le progrès social, en voulant dépasser la division du travail, ce n’est pas parce qu’elle accomplit un saut dans le règne du « temps libre » mais parce qu’elle conquiert la suprématie des forces sociales dans la sphère de la production.

    Le « développement total » de l’homme, de ses capacités physiques et intellectuelles (que tant de critiques « humanistes » se plaisent à réclamer) n’est qu’une mystification tant qu’on en fait une « jouissance du temps libre », une possibilité abstraite de changement, etc., et qu’on le coupe du rapport de l’homme et de la production, de l’effort du travailleur pour redevenir maître du produit et du contenu de son travail, dans une société de libres-producteurs associés [40].

    Le contrôle ouvrier dans une perspective révolutionnaire
    Les « nouvelles » revendications ouvrières qui caractérisent les luttes syndicales n’ont pas immédiatement une portée politique révolutionnaire et n’impliquent pas que des développements pourraient automatiquement avoir lieu dans ce sens.

    Mais elles ne s’ « adaptent » pas simplement à la technique et à l’organisation de l’usine moderne, comme on le fait en réglant la question des rapports de travail en général au niveau de l’État. Elles donnent des indications qui pourraient influencer la lutte ouvrière en général et sa valeur politique, sans se ramener au simple relevé ou à la « somme » des revendications aussi différentes et avancées soient-elles comparées aux objectifs traditionnels.

    En discutant des temps et des rythmes de travail, des méthodes, du rapport du salaire et de la productivité, on s’oppose au capital de l’intérieur même du mécanisme de l’accumulation et au niveau de ses « facteurs de stabilisation ».

    En avançant par les luttes menées dans les entreprises les plus fortes, qui sont à la pointe du capitalisme, elles confirment que ce sont des revendications d’avant-garde, qu’elles ont une portée de rupture. On ne peut les utiliser dans le but restreint d’une augmentation de salaires sans perdre ce qui fait leur valeur : la recherche d’une unité neuve, plus vaste, de l’action de classe, sans courir le risque de tomber dans cela même qu’on voudrait éviter : les situations closes, ne dépassant pas le cadre de l’entreprise, le refus des éléments dynamiques de l’action politique. Nous suggérons de prendre ici comme ligne directrice d’une action objectivement valable l’effort pour renforcer et étendre les exigences concernant la gestion.

    Car on ne demande pas par là une simple participation théorique : on veut intervenir dans le rapport concret de rationalisation de la hiérarchie et du pouvoir, et on dépasse le cadre de l’entreprise pour se tourner contre le despotisme que le capital projette et exerce sur toute la société à tous ses niveaux. On veut un renversement total du système par la prise de conscience générale et la lutte de la classe ouvrière comme telle.

    Nous retenons pour notre part qu’une telle ligne d’action peut pratiquement et immédiatement s’exprimer à travers la revendication d’un contrôle ouvrier.

    Quelques éclaircissements sont cependant nécessaires : car on peut trouver de nos jours que l’expression de « contrôle ouvrier » est équivoque ; on peut l’assimiler à une proposition « centriste » atténuant les exigences révolutionnaires proposées par la lutte, conciliant ces exigences avec la ligne nationale parlementaire et démocratique traditionnelle.

    Et on a souvent employé cette formule dans ce sens. Parler de contrôle ouvrier est, par exemple, velléitaire et ambigu quand on entend par là qu’on continue et qu’on reprend la conception et l’expérience des Conseils de gestion.

    Là, toute exigence de contrôle authentique était annulée, subordonnée à l’élément « collaborationniste » lié aux idéologies de reconstruction nationale et à une subordination du mouvement réel par le niveau institutionnel électoral. On peut voir la même ambiguïté réapparaître quand on fait du contrôle ouvrier une alternative « tolérable », une « correction » à l’ « extrémisme » de l’autogestion ouvrière.

    Le contrôle ouvrier n’échappe à la mystification que s’il se donne pour but la rupture révolutionnaire et l’autogestion socialiste. Il comble alors le fossé qui sépare à l’heure actuelle les revendications ouvrières (même très avancées au niveau de l’entreprise) et les perspectives stratégiques. Il indique donc ou mieux il peut indiquer, en une version non mystifiée, une politique immédiate et qui n’est pas celle des partis de classe.

    Le contrôle ouvrier est considéré ici comme un moyen d’accélérer la lutte de classe générale : c’est un moyen politique qui permettra, sans trop attendre, des ruptures révolutionnaires. Loin de remplacer le pouvoir politique, le contrôle ouvrier constituerait la phase la plus forte de la pression exercée sur le pouvoir capitaliste (car il menace explicitement le système en ses fondements). Il faut donc le considérer comme un élément qui prépare le « dualisme de pouvoir » dans la ligne d’une conquête politique totale.

    Il est inutile d’insister ici sur les motifs qui mènent à proposer actuellement le contrôle ouvrier comme but politique général. Ce qui importe surtout, c’est qu’on ne fasse pas de la polémique contre les formules un alibi pour fuir le problème politique général imposé par les luttes ouvrières.

    Et que l’on travaille concrètement à reconstruire, à partir d’elles, une perspective politique nouvelle, en protégeant l’action ouvrière de la déchéance « syndicale » et en l’aidant à ne pas être réenglobée dans le développement capitaliste.

    Notes:
    [1] Le Capital, Éditions Sociales, t. 1, 2, chap. XVIII, « La coopération ».

    [2] Le Capital, op. cit., p. 25.

    [3] Le Capital, op. cit., p. 50.

    [4] Op. cit., p. 57.

    [5] Op. cit., p. 57.

    [6] Op. cit., p. 105.

    [7] Op. cit., p. 102.

    [8] Op. cit., p. 105.

    [9] Op. cit., p. 86.

    [10] Op. cit., p. 105.

    [11] Op. cit., p. 24.

    [12] Op. cit., p. 106.

    [13] Nous renvoyons aux premiers documents du « revirement » du syndicat, qui continue à orienter de nos jours encore le débat : « Les travailleurs et le progrès technique », Actes de la Rencontre organisée à l’Institut Antonio Gramsci à Rome, 29 et 30 juin, 1er juillet 1956, sur le thème : « Les transformations techniques et organisationnelles et les modifications du rapport de travail dans les usines italiennes » ; Silvio Leonardi, Progrès technique et rapports de travail, Turin, 1957.

    [14] Op. cit., p. 93 ; cf. aussi pp. 35, 46, 55, 59.

    [15] Op. cit., p. 48.

    [16] Op. cit., p. 50. « Un simple retard, une absence, ou même une simple diminution de la production chez un seul ouvrier peuvent avoir des répercussions sur toute une chaîne de machines. n (p. 50 et suivantes.)

    [17] Op. cit., p. 50-51.

    [18] Op. cit., p. 52.

    [19] Op. cit., p. 55-56.

    [20] Op. cit., p. 82. A propos de l’aliénation totale des intellectuels de la production, voir inversement les observations pertinentes et fines de P. Tagliazucchi dans son article sur la « condition de l’employeur dans l’industrie moderne » in Sindacato moderno, n° 1, février-mars 1961, p. 53 et suivantes.

    [21] Leonardi, art. cit., p. 81-82.

    [22] Idem, p. 67.

    [23] Q .R., n° 1, article d’Alquati.

    [24] Alquati, art. cit.

    [25] Cf. Nora Mitrani, « Ambiguïté de la technocratie », Cahiers interationaux de sociologie, vol. XXX, 1961, p. 111.

    [26] Franco Momigliani remarque ainsi que « non contente d’éloigner toujours plus les ouvriers de toute participation à l’élaboration du plan rationnel de production, l’usine moderne demande aux ouvriers soumis à cette rationalité nouvelle d’incarner en même temps le ’moment de l’ « irrationnel », correspondant à la vieille philosophie empirique des compromis. Ainsi, paradoxalement, exploite-t-on la résistance ouvrière elle-même d’une façon rationnelle. » Cf. « Le syndicat dans l’usine moderne », Passato e presente, n°15, mai-juin 1960, p. 20-21.

    [27] L’emploi intensif des machines et la division du travail enlèvent toute indépendance, partant tout attrait, au travail des prolétaires. Celui-ci n’est plus dès lors qu’un simple accessoire de la machine.

    [28] Seymour Melman, Decision making and Productivity, Oxford, 1958. Dans ce livre d’une grande importance, l’auteur étudie comment la nécessité d’une participation ouvrière « démocratique » se fait sentir dans une administration capitaliste.

    [29] Les recherches économiques et techniques récentes en U.R.S.S. présentent un caractère ambigu. Revendiquer la recherche comme moment autonome va sans nul doute à l’encontre des formes brutes de volontarisme qui se sont manifestées dans une planification de type stalinien ; mais l’élaboration de procès « rationnels » qui seraient indépendants du contrôle social de la production semble plutôt indiquer (dès maintenant ? ou sous la forme d’une possibilité future ?) de nouveaux avatars des vieux procès de bureaucratisation.

    Il ne faut cependant pas perdre de vue ce qui différencie la planification soviétique du plan capitaliste. L’élément autoritaire, despotique, de l’organisation de la production, naît au cœur des rapports capitalistes, et survit dans les économies planifiées de type bureaucratique. Par rapport à la classe ouvrière, les bureaucraties ne peuvent pas seulement en appeler à la rationalité objective, mais à la classe ouvrière elle-même.

    Quand la propriété s’effondre, on peut dire que l’organisation bureaucratique perd le fondement qui lui est propre. C’est pourquoi en U.R.S.S. et dans les Démocraties populaires, les contradictions se présentent de façon différente, et c’est pourquoi le despotisme y est précaire, non organique. Ce qui ne l’empêche pas de se manifester aussi crûment que dans les sociétés capitalistes. Cf. à ce propos les observations-clé de Rodolfo Morandi dans « Analyse de l’économie réglementée » (1942), « Critères d’organisation pour une économie collective » (1944), réimprimés dans Lotta di popolo, Turin, 1958.

    Exclure l’élément de la propriété et ne considérer que l’élément de l’autorité et de la bureaucratie en soi, ou l’aliénation technique, ou les deux à la fois, tels sont, on le sait, les traits caractéristiques de toute une littérature néo-capitaliste et réformiste dont le sort est désormais réglé.

    [30] Friedrich Engels, Introduction à Travail salarié et capital, de Marx.

    [31] Idem.

    [32] Idem.

    [33] Idem.

    [34] Lénine, Caractéristiques du romantisme économique, Œuvres, vol. II.

    [35] Voir le débat actuel, avec des articles de Caravini, Tato, Napoleoni, etc.

    [36] Cf. Ruggero Spesso, « Le pouvoir des travailleurs dans le cadre du contrat et la « rationalisation » des monopoles » (il potere contrattuale des lavoratori e la « razionalizzazione » del monopoleo) in Politica e Ecornia, nov. 1960, p. 10.

    Il faudrait faire une place à part aux positions adoptées par Franco Momigliano. Celui-ci rappelle avec raison que le Syndicat doit chercher avant tout « les moyens d’organiser et de rationaliser le monde moderne ». « C’est la condition sine qua non de tout effort pour élaborer une compétition efficiente et conquérir l’hégémonie de la classe ouvrière » (art. cit. p. 2029).

    Et il insiste à plusieurs reprises sur le fait que, par cette voie, la classe ouvrière doit retrouver sa pleine et réelle autonomie par rapport au capital. Mais on voit mal comment il peut concilier ces thèses et ces impératifs avec la reconnaissance d’ « un terrain institutionnel propre au Syndicat », qui l’amène à refuser à cette même action syndicale toute orientation tendant à rompre avec le système.

    Voir F. Momigliano, « Struttura delle retribuzioni e funzioni del Sindacata » (structure des rétributions et fonctions syndicales) in Problemi del socialismo, juin 1961, p. 633, ainsi que : « Una tematica sindacale moderna » in Passato e Presente, n° 13, janvier-février 1960, et le Rapport qu’il a présenté au Congrès sur le Progrès technologique et la société italienne, Milan, juin 1960 : « Travailleurs et syndicats devant la transformation du procès de production dans l’industrie italienne ».

    [37] Cf. Antonio Tato, « Organiser la structure des rétributions en fonction de la logique et des buts du syndicat » (Ordinare la struttura della retribuzzone secondo la logica e i fini del sindacalo) in Politica e Economia, février-mars 1961, p. 11-23. Tous les chercheurs marxistes soulignent, on le sait, les progrès de l’incidence sociale immédiate de la sphère de production. Voir par exemple, chez Paul M. Sweezy : « La théorie de l’expansion capitaliste », un exposé encore valable de nos jours.

    Sweezy rappelle ce passage de Rosa Luxembourg dans Réforme ou Révolution ? : « Le contrôle social… n’a rien à voir avec la limitation de la propriété capitaliste ; tout au contraire, il protège cette propriété. Ou bien, en termes économiques, disons que, loin d’attaquer l’exploitation capitaliste, il la normalise et la règle. »

    [38] Cf. Capital, I, La législation anglaise et la limitation de la journée de travail.

    [39] Cf. Spesso, cit. : « Espérer… un accroissement de la consommation culturelle n’a pas de sens si l’on n’envisage ensuite que l’individu s’en serve pour ce qui constitue à proprement parler son activité créatrice dans son travail… Le pouvoir de consommation d’un individu est lui-même fonction de sa position dans le procès de production… Les « besoins essentiels » (culture, santé, etc.) naissent, se précisent, s’affirment dans le refus des work rules, quand les ouvriers prennent conscience du sens et du rôle du travail. »

    Parmi les idéologies courantes, l’une des plus ridicules et des plus répandues est bien celle qui représente l’aliénation dans le néocapitalisme comme une aliénation du consommateur.

    [40] Cf. Paul Cardan, « Capitalismo e Socialismo » in Quaderni di unita proletaria, n° 3. Remarquons cependant que l’interprétation de Cardan sert ici à exprimer, par rapport au marxisme, un point de vue révolutionnaire. Les idéologies soviétiques présentent couramment la société communiste comme une société d’ « abondance » des biens (même si ces biens ne sont pas seulement matériels) et de « loisirs ».

    Il apparaît clairement qu’une telle idéologie prend naissance dans le refus de toute régulation sociale effective du procès de travail. Les illusions « technologiques » viennent de nos jours au secours de ces idéologies. Pour Strumilin, par exemple, « les fonctions directrices du procès de production » ne font qu’un avec le contrôle « technique », avec a le contenu intellectuel du travail le plus élevé », rendu lui-même possible par les a progrès de la technique, avec ses miraculeux mécanismes automatiques et les machines électroniques « pensantes » ». (Cf. Sur la voie du communisme, Moscou, 1959). Ainsi, l’automation permettrait une vraie société « d’abondance », de consommateurs de « temps libre » ! (voir supra note 30).

    Un exemple typique de cette déformation des thèses de Marx nous est donné par G. Friedmann (Où va le travail humain ?), selon lequel l’ouvrier se réempare du produit et du contenu de son travail lui-même grâce au a contrôle psycho-physiologique du travail » !

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  • Sur la bataille anti-révisionniste en Italie

    Si l’Allemagne et les États-Unis connaissent une vague anti-révisionniste issue d’un syndicat étudiant lié aux socialistes, en Italie le schéma est très proche de celui de la France, avec cependant une qualité bien supérieure, de par la liaison bien plus importante à la classe ouvrière.

    On a à la base une contestation au sein du Parti Communiste italien, aboutissant sous l’égide d’Ugo Duse et Enzo Calo à la naissance en 1962 du journal Vive le léninisme, de la maison d’éditions Edizioni Oriente en 1963.

    En mars 1964 est alors publié le mensuel Nuova Unità, allusion directe au quotidien du PCI, l’Unità. La question de savoir si seulement la direction est corrompue ou le parti dans son ensemble aboutit cependant à ce que la parution cesse en 1965.

    Se fonde alors une Lega dei comunisti marxisti-leninisti (Ligue des communistes marxistes-léninistes), avec comme périodique Il Comunista, choisissant la voie de l’entrisme dans le PCI. Elle rejoindra ensuite la tendance du Manifesto dans le PCI et se soumettra en général au PCI, sauf une petite partie s’alliant avec d’autres faire apparaître, en juillet 1966, une Federazione marxista-leninista d’Italia, avec comme journal Rivoluzione Proletaria.

    D’autres réactivèrent par contre la Nuova Unità, refusant l’orientation vers les rangs du PCI, ce qui amena la naissance d’un Movimento Marxista-Leninista Italiano (Mouvement Marxiste-Léniniste italien). Est alors fondé, les 14, 15 et 16 octobre 1966, au théâtre Goldoni de Livourne, comme le PCd’I historique en 1921, le Partito Comunista d’Italia (marxista-leninista).

    Son secrétaire général était un ancien commandant partisan et cadre du PCI, Fosco Dinucci. Sa reconnaissance est internationale et en 1968, deux de ses cadres, Dino Dini et Osvaldo Pesce, rencontrent Mao Zedong en Chine populaire.

    Si le PCd’I (m-l) connaît alors une croissance, ce n’est pas le cas de la Federazione marxista-leninista d’Italia, devenue Federazione dei Comunisti (m-l) d’Italia en septembre 1967.

    Les scissions s’y multiplient. Le première donne le journal la Tribuna rossa, la seconde un Partito Comunista Rivoluzionario (m-l) dirigé par Giuseppe Maj. La troisième donne une Avanguardia Proletaria Maoista, qui elle-même va connaître une scission avec l’émergence du Partito comunista marxista-leninista-maoista italiano.

    Pour compliquer ce panorama, une partie de Falce e Martello, une organisation trotskyste, abandonne le trotskysme en apparence pour fonder l’Unione dei Comunisti Italiani (m-l), qui aura une grande influence dans le mouvement italien. Il prendra ensuite, en 1972, le nom de Partito Comunista (m-l) Italiano.

    Mais étant donné que le PC d’I (m-l) avait l’hégémonie, sans pour autant d’analyse profonde de la société italienne ni d’idéologie suffisamment développée, il se cassa littéralement en deux, la direction étant accusée par une fraction d’opportunisme de droite et de néo-révisionnisme.

    Le congrès extraordinaire du premier décembre 1968 amena une séparation et le 10 décembre 1968 il y eut deux Nuova Unità. Le dirigeant de la nouvelle organisation était, par ailleurs, lui aussi un ancien commandant partisan, Angiolo Gracci.

    L’ancien PCd’I (m-l) connaît alors une nouvelle scission, avec un PCd’I (m-l) – Lotta di lunga durata (lutte de longue durée, du nom de son organe de presse).

    En sont ensuite expulsé des gens formant l’Organizzazione dei Comunisti (m-l) d’Italia, avec comme journal Linea proletaria. D’autres quittent encore l’organisation, pour fonder l’Organizzazione Comunista Bolscevica Italiana marxista-leninista, dirigé par Giovanni Scuderi, issu de la « gauche » de la démocratie chrétienne. Cela donnera par la suite le Partito Marxista-Leninista Italiano (PMLI).

    Apparaît alors également, de manière éphémère, une Organizzazione dei Comunisti Italiani (m-l), publiant La Voce Rivoluzionaria ; on a également une Stella Rossa – Fronte rivoluzionario m-l qui apparaît, puis une Organizzazione Proletaria m-l avec comme organe Il proletario, et encore une Lega m-l d’Italia, avec comme organe Lotta di classe. A cela il faut ajouter le groupe Viva il Comunismo.

    Cette approche ne sut pas réellement s’ancrer et s’effaça rapidement devant deux autres courants qui eurent un impact dévastateur dans la société italienne, en s’appuyant sur un ancrage concret dans celle-ci.

    Le premier courant est celui dit de l’operaisme, ou « ouvriériste » ; l’operaisme considère que le capitalisme avancé multiplie ses restructurations aux dépens de la classe ouvrière et qu’il faut par conséquent lutter contre le travail.

    Apparu au tout début des années 1960 avec les revues Quaderni Rossi (1961) et Classe Operaia (1963), l’operaisme réussit à se transformer en mouvement de masse en visant la rébellion.

    Cela produisit les organisations Potere Operaio (1967-1973) et Lotta Continua (1969-1976) tout d’abord, l’Autonomia Operaia ensuite.

    Ce dernier mouvement, rassemblant des lignes hétérogènes – culte de la marginalité, des drogues, de la jeunesse ouvrière, de l’expropriation, de la révolte allant jusqu’à la lutte armée – culmina en 1977 et laissa de profondes marques comme culte du spontanéisme « alternatif ».

    Le second courant est celui qui entend assumer la position maoïste de la lutte armée pour la prise du pouvoir. Son point de départ est le Collettivo Politico Metropolitano (CPM), le Collectif Politique Métropolitain fondé à Milan en septembre 1969.

    S’appuyant sur un efficace réseau d’union étudiant et ouvrière (usines de Pirelli, Sit-Siemens, IBM, Alfa Romeo, Marelli, etc.), le CPM entend promouvoir un mouvement de masses en partant du principe de l’autonomie par rapport à l’État et les institutions en général, qu’elles soient idéologiques, culturelles, politiques.

    Dès l’année suivante le CPM interviendra comme Sinistra Proletaria (Gauche Prolétarienne) proposant une nuova resistenza (une nouvelle résistance), puis en tant que Brigate Rosse. Partant à l’assaut de l’État principalement à partir de 1978, les Brigate Rosse feront ensuite une retraite stratégique en tant que Brigate Rosse – pour la construction du Parti Communiste Combattant.

    Dans ce cadre, elles se considéreront comme comme une guérilla de longue durée dans un processus non linéaire et expulseront la « seconde position » partisane de former un parti où la lutte armée est une méthode.

    Du côté de la perspective marxiste-léniniste opposée tant à l’opéraïsme qu’aux Brigades Rouges, seules trois organisations subsistèrent :

    – le PMLI subsistant en étant surtout basé à Florence, sur une ligne ultra-légaliste ;

    – les Comitati di Appoggio alla Resistenza – per il Comunismo (Comités d’Appui à la Résistance – pour le Communisme), fondés en 1992 et dirigés par Giuseppe Maj, s’orientant vers la défense des acquis considérés comme disparaissant unilatéralement avec la crise ; 

    – le Parti Communiste Maoïste, né en 2000, issu de Rossoperaio lui-même issu du collettivo comunista di Agit Prop de Tarente des années 1970, ayant comme ligne la formation d’un syndicalisme alternatif.

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : le piège des mathématiques et du relativisme

    Enfin, il faut noter un point capital. Il va de soi que Lénine a parfaitement compris qu’il existe une fuite dans les mathématiques. C’est le paradoxe qu’il note, de manière parfaitement dialectique : il y a deux aspects dans le développement.

    Lénine note ainsi :

    « Telle est la cause première de l’idéalisme « physique ». Les velléités réactionnaires naissent du progrès même de la science. Les grands progrès des sciences de la nature, la découverte d’éléments homogènes et simples de la matière dont les lois du mouvement sont susceptibles d’une expression mathématique, font oublier la matière aux mathématiciens.

    « La matière disparaît », il ne subsiste que des équations. Ce nouveau stade de développement nous ramène à l’ancienne idée kantienne présentée sous un jour soi‑disant nouveau : la raison dicte ses lois à la nature.

    Hermann Cohen, ravi, comme nous l’avons vu, de l’esprit idéaliste de la physique nouvelle, en arrive à recommander l’enseignement des mathématiques supérieures dans les écoles, cela afin de faire pénétrer dans l’intelligence des lycéens l’esprit idéaliste évincé par notre époque matérialiste (Geschichte, des Materialismus von A. Lange, 5. Auflage, 1896, t. 11, p. XLIX).

    Ce n’est là assurément que le rêve absurde d’un réactionnaire : en réalité, il n’y a, il ne peut y avoir là qu’un engouement momentané d’un petit groupe de spécialistes pour l’idéalisme.

    Mais il est significatif au plus haut point que les représentants de la bourgeoisie instruite, pareils à un naufragé qui s’attache à un brin de paille, recourent aux moyens les plus raffinés pour trouver ou garder, artificiellement une place modeste au fidéisme engendré au sein des masses populaires par l’ignorance, l’hébétude et l’absurde sauvagerie des contradictions capitalistes.

    Une autre cause de l’idéalisme « physique », c’est le principe du relativisme, de la relativité de notre connaissance, principe qui s’impose aux physiciens avec une vigueur particulière en cette période de brusque renversement des vieilles théories et qui, joint à l’ignorance de la dialectique, mène infailliblement à l’idéalisme (…).

    En réalité, seule la dialectique matérialiste de Marx et d’Engels résout, en une théorie juste, la question du relativisme, et celui qui ignore la dialectique est voué à passer du relativisme à l’idéalisme philosophique. »

    On a là une des thèses les plus importantes du matérialisme dialectique. Les mathématiques en quelque sorte « pures » ont été une approche très importante de l’idéalisme pour s’opposer au matérialisme dialectique.

    Les progrès se déroulant de manière accélérée perturbent également les scientifiques pénétrés d’esprit bourgeois ; ils ne parviennent pas à suivre les avancées, et tentent de s’en sortir par le relativisme.

    Pourtant, historiquement, comme la pensée scientifique est le reflet de la réalité, elle va inévitablement aboutir au matérialisme dialectique. Lénine décrit le processus de la manière suivante :

    « En un mot, l’idéalisme « physique » d’aujourd’hui, comme l’idéalisme « physiologique » d’hier, montre seulement qu’une école de savants dans une branche des sciences de la nature est tombée dans la philosophie réactionnaire, faute d’avoir su s’élever directement, d’un seul coup, du matérialisme métaphysique au matérialisme dialectique.

    Ce pas, la physique contemporaine le fait et le fera, mais elle s’achemine vers la seule bonne méthode, vers la seule philosophie juste des sciences de la nature, non en ligne droite, mais en zigzags, non consciemment, mais spontanément, non point guidée par un « but final » nettement aperçu, mais à tâtons, en hésitant et parfois même à reculons. La physique contemporaine est en couche.

    Elle enfante le matérialisme dialectique. Accouchement douloureux.

    L’être vivant et viable est inévitablement accompagné de quelques produits morts, déchets destinés à être évacués avec les impuretés.

    Tout l’idéalisme physique, toute la philosophie empiriocriticiste, avec l’empiriosymbolisme, l’empiriomonisme, etc., sont parmi ces déchets. »

    Et pourquoi s’agit-il de déchets ? Parce qu’il n’y a pas de compréhension du cœur de la science : le matérialisme dialectique. Comme le résume Lénine :

    « Nos disciples de Mach n’ont pas compris le marxisme, pour l’avoir abordé en quelque sorte à revers. Ils ont assimilé – parfois moins assimilé qu’appris par cœur, la théorie économique et historique de Marx, sans en avoir compris les fondements, c’est‑à‑dire le matérialisme philosophique. »

    A ce titre, même si Matérialisme et empiriocriticisme est d’une certaine manière une œuvre de circonstance, les enseignements qu’on y trouve sont extrêmement riches. C’est cela qui a fait de cette oeuvre un très grand classique du communisme, une oeuvre fondamentale de Lénine en tant que figure historique. 

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : la négation de l’objet indépendant de la connaissance

    Ce que remarque Lénine, c’est que les auteurs attaquant le matérialisme dialectique utilisent les découvertes en physique de telle manière à appuyer leur offensive. A chaque fois est trouvé par ces gens un nouveau prétexte pour affirmer que le matérialisme est dépassé, que ce qui a été découvert change tout, qu’il faut modifier, changer, réviser les conceptions anciennes, etc.

    Lénine note ainsi ce qu’il y a de révisionniste dans cette entreprise :

    « Il nous est, d’autre part, impossible de toucher à la littérature de l’école de Mach ou à la littérature traitant de cette doctrine sans y rencontrer des références prétentieuses à la nouvelle physique, qui a, paraît‑il, réfuté le matérialisme, etc., etc.

    Ces références sont‑elles sérieuses, c’est là une autre question. Mais les rapports de la nouvelle physique, ou plutôt d’une certaine école de cette physique, avec la doctrine de Mach et avec les autres variétés de la philosophie idéaliste contemporaine ne soulèvent aucun doute.

    Analyser la doctrine de Mach en ignorant ces rapports, comme le fait Plékhanov, c’est se moquer de l’esprit du matérialisme dialectique, c’est sacrifier dans la méthode d’Engels l’esprit à la lettre. Engels dit explicitement : « avec chaque découverte qui fait époque dans le domaine des sciences naturelles » (à plus forte raison dans l’histoire de l’humanité) « le matérialisme doit modifier sa forme » (Ludwig Feuerbach, p. 19, édit. allemande).

    Ainsi, la révision de la « forme » du matérialisme d’Engels, la révision de ses principes de philosophie naturelle, n’a rien de « révisionniste » au sens consacré du mot ; le marxisme l’exige au contraire.

    Ce n’est pas cette révision que nous reprochons aux disciples de Mach, c’est leur procédé purement révisionniste qui consiste à trahir l’essence du matérialisme en feignant de n’en critiquer que la forme, à emprunter à la philosophie bourgeoise réactionnaire ses propositions fondamentales sans tenter ouvertement, en toute franchise et avec résolution, de s’attaquer par exemple à cette affirmation d’Engels, qui est indéniablement dans cette question d’une extrême importance : « … le mouvement est inconcevable sans matière » (Anti‑Dühring, p. 50). »

    C’est ici une dimension particulièrement essentielle, surtout pour nous. La seconde moitié du XXesiècle a été le témoin d’une offensive tous azimuts dans le domaine des sciences physiques, afin de contrer le matérialisme dialectique. La théorie du « Big Bang » est un exemple fameux, mais on connaît également la « théorie des cordes », « l’énergie sombre », la « matière noire », le « big bounce », le « big crunch », le « big rip », etc.

    Lénine

    La vision bourgeoise du monde tente de contrecarrer le matérialisme dialectique dans tous les domaines, sur chaque aspect, afin d’empêcher que ne se forme un esprit de synthèse. Lénine cite abondamment des remarques de physiciens sur les dernières théories ; il mentionne notamment le français Henri Poincaré (1854-1912).

    Le dénominateur commun des entreprises bourgeoises est de nier la matière, de prétendre qu’on ne peut pas la saisir. Il y a quelque chose de littéralement baroque dans cette conception d’une matière insaisissable, n’obéissant qu’à l’imprévue, au hasard.

    En fait, sous prétexte de rejeter le dogmatisme féodal, les scientifiques se précipitent dans un relativisme qui n’amène qu’à l’idéalisme également.

    Voici comment Lénine voit les choses :

    « Le matérialisme dialectique insiste sur le caractère approximatif, relatif, de toute proposition scientifique concernant la structure de la matière et ses propriétés, sur l’absence, dans la nature, de lignes de démarcation absolues, sur le passage de la matière mouvante d’un état à un autre qui nous paraît incompatible avec le premier, etc.

    Quelque singulière que paraisse au point de vue du « bon sens » la transformation de l’éther impondérable en matière pondérable et inversement ; quelque « étrange » que soit l’absence, chez l’électron, de toute autre masse que la masse électromagnétique ; quelque inhabituelle que soit la limitation des lois mécaniques du mouvement au seul domaine des phénomènes de la nature et leur subordination aux lois plus profondes des phénomènes électro‑magnétiques, etc., tout cela ne fait que confirmer une fois de plus le matérialisme dialectique.

    La nouvelle physique a dévié vers l’idéalisme, principalement parce que les physiciens ignoraient la dialectique. Ils ont combattu le matérialisme métaphysique (au sens où Engels employait ce mot, et non dans son sens positiviste, c’est-à-dire inspiré de Hume) avec sa « mécanicité » unilatérale, et jeté l’enfant avec l’eau sale.

    Niant l’immuabilité des propriétés et des éléments de la matière connus jusqu’alors, ils ont glissé à la négation de la matière, c’est-à-dire de la réalité objective du monde physique. Niant le caractère absolu des lois les plus importantes, des lois fondamentales, ils ont glissé à la négation de toute loi objective dans la nature ; les lois naturelles, ont-ils déclaré, ne sont que pures conventions, « limitation de l’attente », « nécessité logique », etc.

    Insistant sur le caractère approximatif, relatif, de nos connaissances, ils ont glissé à la négation de l’objet indépendant de la connaissance, reflété par cette dernière avec une fidélité approximative et une relative exactitude. Et ainsi de suite à l’infini. »

    Inévitablement, en réfutant le matérialisme dialectique, les penseurs bourgeois sont obligés de procéder à la liquidation du concept même de matière. Il ne reste plus que la pensée, qui prend les choses à sa manière, qui ne prétend plus comprendre la réalité, mais en saisir certains aspects seulement, pour ses besoins, les voyant à sa manière.

    On bascule toujours plus dans le subjectivisme ; les physiciens de l’époque de Lénine se précipitaient dans le kantisme, leurs conceptions étaient en physique une copie des idéalistes en philosophie.

    Or, Lénine considère que seul le matérialisme dialectique peut guider la physique, lui donner une base authentiquement scientifique. L’idéalisme nie la matière, invente des « mouvements » qui seraient indépendants, tombés du ciel ; il y aurait un « dynamisme », un « vitalisme », etc.

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : la question de la totalité et de l’unité de la nature

    Lénine soulève ensuite un point important. Critiquant le principe selon laquelle la pensée formerait elle-même une « économie », avec donc la logique du « moindre effort », il rejette bien entendu cela au nom de la théorie du reflet qu’est la pensée.

    Ce n’est pas la pensée qui détermine la réalité, sa qualité, sa substance. Il prend un exemple concret :

    « Est‑il plus « économique » de « penser » que l’atome est indivisible ou qu’il est composé d’électrons positifs et négatifs ? »

    Il montre par là que la réalité est toujours plus approfondie que la pensée, et que donc les gens qui veulent arrêter cela ne sont pas conformes à la réalité, et donc à la marche en avant de la science.

    Ce n’est pas la pensée qui a des critères qu’il faudrait suivre, mais la réalité ; la pensée n’est qu’un reflet et un reflet de la totalité.

    Si la pensée pseudo-marxiste veut bien « reconnaître » le marxisme mais jamais la dialectique de la nature, c’est précisément en raison de cette question de la totalité : inévitablement si on s’appuie sur la « pensée » et non sur la Nature, on quitte le terrain du matérialisme.

    Lénine rappelle ainsi :

    « Engels a montré par l’exemple de Dühring qu’une philosophie tant soit peu conséquente peut faire dériver l’unité de l’univers ou bien de la pensée, ‑ mais qu’elle est alors impuissante en présence du spiritualisme et du fidéisme (Anti‑Duhring, p. 30), et que les arguments d’une semblable philosophie se ramènent inévitablement à des boniments de prestidigitateur, ‑ ou bien de la réalité objective qui existe hors de nous, qui porte depuis très longtemps en gnoséologie le nom de matière et constitue l’objet des sciences de la nature. »

    Ce que veut dire Lénine, c’est qu’Emmanuel Kant a fait avancer les choses. Pour résumer, on peut dire qu’il a laïcisé la science, en reconnaissant l’espace et le temps. Cependant, le kantisme est incapable de se libérer de Dieu, de la religion, qu’il a juste mis de côté.

    Lénine peut donc constater :

    « Reconnaissant l’existence de la réalité objective, c’est-à-dire de la matière en mouvement, indépendamment de notre conscience, le matérialisme est inévitablement amené à reconnaître aussi la réalité objective de l’espace et du temps, et ainsi il diffère, d’abord, du kantisme, pour lequel, comme pour l’idéalisme, l’espace et le temps sont des formes de la contemplation humaine, et non des réalités objectives (…).

    L’univers n’est que matière en mouvement, et cette matière en mouvement ne peut se mouvoir autrement que dans l’espace et dans le temps. Les idées humaines sur l’espace et le temps sont relatives, mais la somme de ces idées relatives donne la vérité absolue : ces idées relatives tendent, dans leur développement, vers la vérité absolue et s’en rapprochent.

    La variabilité des idées humaines sur l’espace et le temps ne réfute pas plus la réalité objective de l’un et de l’autre que la variabilité des connaissances scientifiques sur la structure de la matière et les formes de son mouvement ne réfute la réalité objective du monde extérieur (…).

    Le caractère essentiel de la philosophie de Kant, c’est qu’elle concilie le matérialisme et l’idéalisme, institue un compromis entre l’un et l’autre, associe en un système unique deux courants différents et opposés de la philosophie.

    Lorsqu’il admet qu’une chose en soi, extérieure à nous, correspond à nos représentations, Kant parle en matérialiste.

    Lorsqu’il la déclare inconnaissable, transcendante, située dans l’au-delà, il se pose en idéaliste. Reconnaissant dans l’expérience, dans les sensations, la source unique de notre savoir, Kant oriente sa philosophie vers le sensualisme, et, à travers le sensualisme, sous certaines conditions, vers le matérialisme.

    Reconnaissant le caractère apriori de l’espace, du temps, de la causalité, etc., Kant oriente sa philosophie vers l’idéalisme. Ce double jeu a valu à Kant d’être combattu sans merci tant par les matérialistes conséquents que par les idéalistes conséquents (y compris les « purs » agnostiques de la nuance Hume) (…).

    Elève d’Engels, Lafargue polémiquait en 1900 contre les kantiens (au nombre desquels se trouvait alors Charles Rappoport) : (…) « Un ouvrier qui mange une saucisse et qui reçoit cent sous pour une journée de travail, sait très bien qu’il est volé par le patron et qu’il est nourri par la viande de porc ; que le patron est un voleur et la saucisse agréable au goût et nutritive au corps. ‑ Pas du tout, dit le sophiste bourgeois qui s’appelle Pyrrhon, Hume ou Kant, son opinion est personnelle, partant subjective ; il pourrait, avec autant de raison, croire que le patron est son bienfaiteur et que la saucisse est du cuir haché, car il ne peut connaître la chose en soi… ». »

    Ce à quoi on aboutit, c’est à un matérialisme honteux, un matérialisme influencé par Emmanuel Kant dans un mauvais sens, voire allant dans l’idéalisme le plus complet. Il existe ici un nombre incalculable de variantes, de nuances entre penseurs payés par la bourgeoisie. Leurs positions changent, fluctuent, oscillent, varient, évoluent, mais se rejoignent immanquablement.

    Lénine, reprenant Friedrich Engels, souligne toutefois leur caractère commun, leur objectif commun qui est de rejeter le matérialisme, ses enseignements, son aboutissement au matérialisme dialectique. Il cite d’ailleurs énormément d’auteurs dans Matérialisme et empiriocriticisme, afin de bien montrer que tous ces gens s’apprécient, se connaissent, se soutiennent, se saluent, se nourrissent les uns les autres.

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : un «troisième terme» qui réfute l’ordre naturel

    On comprend que Matérialisme et empirio-criticisme soit une œuvre d’une grande richesse, tout en étant très complexe. Lénine passe en revue les points de vue des pseudo-marxistes adoptant l’empirio-criticisme, et de cette négation de la négation du marxisme, il propose une définition correcte du marxisme.

    La reconnaissance des sens contre l’idéalisme, oui, mais uniquement avec la reconnaissance de la conscience comme reflet, et avec la pratique comme véritable élément permettant d’assumer la réalité en tant que telle. Lénine souligne ainsi :

    « La pratique est la meilleure réfutation de l’agnosticisme de Kant et de Hume, comme du reste de tous les autres subterfuges (Schrullen) philosophiques, répète Engels. « Le résultat de notre action démontre la conformité (übereinstimmung) de nos perceptions avec la nature objective des objets perçus », réplique Engels aux agnostiques. »

    L’empirio-criticisme n’est ainsi qu’une forme intermédiaire – ce qui est impossible – entre idéalisme et matérialisme, sur la base de l’existence d’un « troisième élément ». Lénine affirme ainsi :

    « Le génie de Marx et d’Engels s’est manifesté entre autres par leur dédain du jeu pédantesque des mots nouveaux, des termes compliqués, des « . ismes » subtils, et par leur simple et franc langage : il y a en philosophie une tendance matérialiste et une tendance idéaliste et, entre elles, diverses nuances d’agnosticisme. Les efforts tentés pour trouver un « nouveau » point de vue en philosophie révèlent la même indigence intellectuelle que les tentatives laborieuses faites pour créer une « nouvelle » théorie de la valeur, une « nouvelle » théorie de la rente, etc.

    Carstanjen, élève d’Avenarius, relate que ce dernier a dit une fois au cours d’un entretien privé : « Je ne connais ni le physique ni le psychique ; je ne connais qu’un troisième élément. » Répondant à un écrivain qui avait fait observer qu’Avenarius ne définissait pas ce troisième élément, Petzoldt a dit : « Nous savons pourquoi il n’a pas pu formuler cette conception. C’est parce que le troisième élément n’a pas de contre‑terme (Gegenbegriff, notion corrélative)…

    La question : Qu’est‑ce que le troisième élément ? manque de logique » (Einführung in die Philosophie der reinen Erfahrung, t. II, p. 329). Que cette dernière conception ne puisse être définie, Petzoldt le comprend.

    Mais il ne comprend pas que la référence au « troisième élément » n’est qu’un simple subterfuge, chacun de nous sachant fort bien ce que c’est que le physique et le psychique, mais nul de nous ne sait encore ce que c’est que le « troisième élément ». Avenarius n’use de ce subterfuge que pour brouiller la piste ; il déclare en fait que le Moi est la donnée première (terme central), et la nature (le milieu) la donnée seconde (contre‑terme). »

    Il y a une conséquence essentielle qui découle de l’existence d’un « troisième terme » : c’est la considération selon laquelle la nature n’est qu’un chaos, l’ordre qu’on y retrouve n’étant vu que par l’être humain dans la mesure où il a un rapport avec ce chaos, dans la mesure où la mesure y voit des « lois » qui lui sont utiles.

    La science, pour l’empirio-criticisme, n’est qu’un langage symbolique au moyen duquel l’humanité voit des espaces organisés arbitraires, qu’il a lui-même décidé, dans un chaos total :

    « Nous sommes en présence d’un idéaliste subjectif, pour lequel le monde extérieur, la nature, ses lois, ne sont que les symboles de notre connaissance ; mais il a revêtu l’habit d’arlequin d’une terminologie « moderne » bigarrée et criarde.

    Le torrent du donné est dépourvu de raison, d’ordre, de tout ce qui est conforme aux lois : notre connaissance y introduit la raison. Les corps célestes, la terre y comprise, sont des symboles de la connaissance humaine.

    Si les sciences de la nature nous enseignent que la terre existait bien avant que la matière organique et l’homme aient pu faire leur apparition, nous avons cependant changé tout cela ! Nous mettons de l’ordre dans le mouvement des planètes, c’est là un produit de notre connaissance. »

    Lénine se moque de cette logique, qui amène les saisons à ne pas exister naturellement, mais comme « choix » arbitraire de l’humanité :

    « Ainsi, la loi d’après laquelle l’hiver suit l’automne et le printemps l’hiver, ne nous est pas donnée par l’expérience ; elle est créée par la pensée, comme un moyen d’organiser, d’harmoniser, d’agencer… quoi et avec quoi, camarade Bogdanov ?

    « L’empiriomonisme n’est possible que parce que la connaissance harmonise activement l’expérience, en en éliminant les innombrables contradictions, en lui créant des formes organisatrices universelles, en substituant au monde chaotique primitif des éléments un monde dérivé, ordonné de rapports » (p. 57).

    C’est faux. L’idée que la connaissance peut « créer » des formes universelles, substituer l’ordre au chaos primitif, etc., appartient à la philosophie idéaliste. L’univers est un mouvement de la matière, régi par des lois, et notre connaissance, produit supérieur de la nature, ne peut que refléter ces lois.

    Il s’ensuit que nos disciples de Mach, ayant une confiance aveugle dans les professeurs réactionnaires « modernes », répètent sur le problème de la causalité les erreurs de l’agnosticisme de Kant et de Hume, sans s’apercevoir de la contradiction absolue de cet enseignement avec le marxisme, c’est‑à‑dire avec le matérialisme, ni du fait qu’ils glissent sur un plan incliné vers l’idéalisme. »

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : la question de la relativité des connaissances

    La pensée est pour le matérialisme un reflet de la réalité, mais est-elle un reflet authentique, complet ?

    Si l’on réfléchit à cela, alors on doit bien se rappeler que pour le matérialisme dialectique, la matière n’est pas statique. Chez Aristote, la pensée est un reflet mais comme le monde est statique, la pensée authentique culmine dans la contemplation de l’ordre naturel, cosmique, universel.

    Dans le matérialisme dialectique, tout processus de reflet est lié à la réalité qui se transforme. Ce qui se reflète a un sens par rapport au mouvement de la matière lui-même, dont la personne qui pense est un élément.

    Il n’y a pas de pensée « indépendante », séparée de la réalité. L’objectivité doit être « neutre » selon les théoriciens bourgeois : c’est impossible aux yeux du matérialisme dialectique ; la réalité est en mouvement et la pensée est un reflet lié à un être en action, dans un cadre concret.

    Ce qu’on sait est alors relatif, et en même temps non relatif, relevant de la loi de la contradiction. Voici ce qu’enseigne Lénine :

    « Pour le matérialiste, le monde est plus riche, plus vivant, plus varié qu’il ne paraît, tout progrès de la science y découvrant de nouveaux aspects. Pour le matérialiste nos sensations sont les images de la seule et ultime réalité objective ; ultime non pas en ce sens qu’elle soit déjà entièrement connue, mais parce qu’en dehors d’elle, il n’en existe ni ne peut en exister aucune autre. »

    Lénine souligne au niveau de la question des « limites » de la connaissance :

    « Au point de vue du matérialisme moderne, c’est‑à‑dire du marxisme, les limites de l’approximation de nos connaissances par rapport à la vérité objective, absolue, sont historiquement relatives, mais l’existence même de cette vérité est certaine comme il est certain que nous en approchons.

    Les contours du tableau sont historiquement relatifs, mais il est certain que ce tableau reproduit un modèle existant objectivement. Le fait qu’à tel ou tel moment, dans telles ou telles conditions, nous avons avancé dans notre connaissance de la nature des choses au point de découvrir l’alizarine dans le goudron de houille ou de découvrir des électrons dans l’atome, est historiquement relatif ; mais ce qui est certain, c’est que toute découverte de ce genre est un progrès de la « connaissance objective absolue ».

    En un mot, toute idéologie est historiquement relative, mais il est certain qu’à chaque idéologie scientifique (contrairement à ce qui se produit, par exemple, pour l’idéologie religieuse) correspond une vérité objective, une nature absolue. Cette distinction entre la vérité absolue et la vérité relative est vague, direz-vous. Je vous répondrai : elle est tout juste assez « vague » pour empêcher la science de devenir un dogme au mauvais sens de ce mot, une chose morte, figée, ossifiée ; mais elle est assez « précise » pour tracer entre nous et le fidéisme, l’agnosticisme, l’idéalisme philosophique, la sophistique des disciples de Hume et de Kant, une ligne de démarcation décisive et ineffaçable.

    II y a ici une limite que vous n’avez pas remarquée, et, ne l’ayant pas remarquée, vous avez glissé dans le marais de la philosophie réactionnaire.

    C’est la limite entre le matérialisme dialectique et le relativisme (…). La dialectique, comme l’expliquait déjà Hegel, intègre comme l’un de ses moments, le relativisme, la négation, le scepticisme, mais ne se réduit pas au relativisme.

    La dialectique matérialiste de Marx et d’Engels inclut sans contredit le relativisme, mais ne s’y réduit pas ; c’est‑à‑dire qu’elle admet la relativité de toutes nos connaissances non point au sens de la négation de la vérité objective, mais au sens de la relativité historique des limites de l’approximation de nos connaissances par rapport à cette vérité. »

    Le matérialisme dialectique inclut le relativisme, mais ne s’y réduit pas : c’est là une thèse essentielle. Les tentatives de saboter le matérialisme dialectique se dévoilent justement parce qu’elles adoptent comme ligne de souligner l’importance du relativisme, de conduire au scepticisme, d’accuser le matérialisme dialectique de métaphysique – exactement comme le fait l’empirio-criticisme, le néo-kantisme, etc.

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : empirique et critique

    Il y a lieu de résumer ce qu’est l’empiriocriticisme, ou néo-kantisme, etc. de manière relativement simple, car on s’y perd facilement dans cet embrouillamini d’une théorie entre idéalisme et matérialisme.

    Tout devient très simple si l’on comprend la logique suivante : l’idéalisme nie la réalité au profit de l’esprit.

    L’empiriocriticisme ne le fait pas : il reconnaît les sens, mais il ne leur accorde qu’une valeur partielle. Il est empirique – il se fonde sur l’expérience – mais il n’est que critique, il n’en fait pas une suite.

    Il croit tout de même à l’indépendance de l’esprit, et sa théorie consiste en un va-et-vient entre esprit et matière, le rythme de ce va-et-vient étant prétexte à de multiples variantes, que Lénine réunifie cependant en n’étant pas du tout dupe de la pseudo-importance de ces prétendues nuances.

    « Si les sensations sont appelées des « éléments » donnant le physique dans une connexion et le psychique dans une autre, le point de départ fondamental de l’empiriocriticisme, on l’a vu, ne s’en trouve qu’obscurci, au lieu d’être écarté.

    Avenarius et Mach admettent que les sensations sont la source de nos connaissances.

    Ils se placent donc au point de vue de l’empirisme (tout savoir dérive de l’expérience) ou du sensualisme (tout savoir dérive des sensations).

    Or, cette conception, loin d’effacer la différence entre les courants philosophiques fondamentaux, idéalisme et matérialisme, y conduit au contraire, quelle que soit la « nouvelle » parure verbale (« éléments ») dont on la revêt.

    Le solipsiste, c’est-à-dire l’idéaliste subjectif, peut, tout aussi bien que le matérialiste, voir dans les sensations la source de nos connaissances. Berkeley et Diderot relèvent tous deux de Locke.

    Le premier principe de la théorie de la connaissance est, sans aucun doute, que les sensations sont la seule source de nos connaissances. Ce premier principe admis, Mach obscurcit le second principe important : celui de la réalité objective, donnée à l’homme dans ses sensations ou constituant la source des sensations humaines.

    A partir des sensations, on peut s’orienter vers le subjectivisme qui mène au solipsisme (« les corps sont des complexes ou des combinaisons de sensations. »), et l’on peut s’orienter vers l’objectivisme qui mène au matérialisme (les sensations sont les images des corps, du monde extérieur).

    Du premier point de vue ‑ celui de l’agnosticisme ou, allant un peu plus loin, celui de l’idéalisme subjectif ‑ il ne saurait y avoir de vérité objective. Le second point de vue, c’està-dire celui du matérialisme, reconnaît essentiellement la vérité objective.

    Cette vieille question philosophique des deux tendances, ou plutôt des deux conclusions autorisées par les principes de l’empirisme et du sensualisme, n’est ni résolue, ni écartée, ni dépassée par Mach : elle n’est qu’obscurcie sous une débauche verbale avec le mot « élément » et autres. La répudiation de la vérité objective par Bogdanov n’est pas une déviation de la doctrine de Mach ; elle en est la séquence inévitable (…).

    Les disciples de Kant et de Hume (parmi ces derniers Mach et Avenarius, dans la mesure où ils ne sont pas de purs disciples de Berkeley) nous traitent, nous matérialistes, de « métaphysiciens », parce que nous admettons la réalité objective qui nous est donnée dans l’expérience, parce que nous admettons que nos sensations ont une source objective indépendante de l’homme.

    Matérialistes, nous qualifions avec Engels les kantiens et les disciples de Hume d’agnostiques parce qu’ils nient la réalité objective en tant que source de nos sensations. Le mot agnostique vient du grec : a, préfixe négatif, et gnosis, connaissance.

    L’agnostique dit : j’ignore s’il existe une réalité objective reflétée, représentée par nos sensations, et je déclare impossible de le savoir (voir plus haut ce qu’en dit Engels, exposant le point de vue de l’agnostique). D’où la négation de la vérité objective par l’agnostique et la tolérance petite‑bourgeoise, philistine, pusillanime envers la croyance aux loups‑garous, aux lutins, aux saints catholiques et à d’autres choses analogues. »

    Lénine précise encore :

    « Quelles sont les deux tendances philosophiques qu’Engels oppose ici l’une à l’autre ?

    D’abord, celle qui considère que les sens nous fournissent une reproduction fidèle des choses, que nous connaissons ces choses mêmes, que le monde extérieur agit sur nos organes des sens. Tel est le matérialisme que l’agnostique répudie. Quel est donc le fond de sa tendance ?

    C’est qu’il ne va pas au‑delà des sensations ; qu’il s’arrête en deçà des phénomènes, se refusant à voir quoi que ce soit de « certain » au‑delà des sensations. Nous ne pouvons rien savoir de certain de ces choses mêmes (c’est‑à‑dire choses en soi, des « objets en eux-mêmes », comme s’exprimaient les matérialistes contre lesquels s’élevait Berkeley), telle est la déclaration très précise de l’agnostique.

    Ainsi, le matérialiste affirme, dans la discussion dont parle Engels, l’existence des choses en soi et la possibilité de les connaître. L’agnostique n’admettant même pas l’idée des choses en soi, affirme que nous ne pouvons en connaître rien de certain (…).

    Engels fait ressortir en toute clarté que l’existence réelle est, pour le matérialiste, au‑delà des limites de la « perception des sens », des impressions et des représentations humaines, alors qu’il n’est pas possible, pour l’agnostique, de sortir des limites de ces perceptions (…).

    Engels dit franchement et nettement que ce qui le sépare de l’agnostique, ce n’est pas seulement le doute de ce dernier sur l’exactitude des reproductions, mais aussi le doute agnostique sur la possibilité de parler des choses mêmes, sur la possibilité de connaître « authentiquement » leur existence. »

    >Sommaire du dossier

  • Le matérialisme contre l’empirio-criticisme : le monde a sa propre histoire

    Lénine mentionne dans Matérialisme et empiriocriticisme un argument tout à fait logique, qui remet en cause la thèse de la toute-puissance de la vie intérieure.

    Si le monde n’existe qu’à travers notre appréhension de lui, alors comment se fait-il que le monde existait avant nous ? En fait, le développement autonome de la réalité, sans notre regard humain, est impossible aux yeux du néo-kantisme, de l’empiriocriticisme, etc., qui ne sont que des formes d’expression de la prétention bourgeoise à transformer la réalité selon ses simples besoins, dans une logique par ailleurs totalement anthropocentristes.

    Lénine

    Voici ce qu’explique Lénine à ce sujet :

    « Nous citerons, pour les marxistes qui s’intéressent à cette question indépendamment du moindre mot prononcé par Plekhanov, l’opinion de L. Feuerbach qui, tout le monde le sait (sauf peut‑être Bazarov ?), fut un matérialiste grâce à qui Marx et Engels, abandonnant l’idéalisme de Hegel sont parvenus à leur philosophie matérialiste. Feuerbach écrivait dans sa réplique à R. Haym :

    « La nature, qui n’est pas l’objet de l’homme ou de la conscience, est bien entendu pour la philosophie spéculative, ou tout au moins pour l’idéalisme,‑ une chose en soi au sens de ce terme chez Kant » (nous reparlerons de la confusion établie par nos disciples de Mach entre la chose en soi des matérialistes et celle de Kant), « une abstraction dénuée de toute réalité ; mais c’est justement la nature qui amène la faillite de l’idéalisme.

    Les sciences de la nature, au moins dans leur état actuel, nous conduisent nécessairement à un point où les conditions de l’existence humaine faisaient encore défaut, où la nature, c’est-à-dire la terre, n’était pas encore un objet d’observation pour l’œil et l’intelligence humaine ; où la nature était, par conséquent, un être absolument étranger à l’humain (absolut unmenschliclies Wesen).

    A cela l’idéalisme peut répliquer : Mais cette nature est une nature conçue par toi (von dir gedachte).

    Certes, mais il ne s’ensuit pas qu’elle n’ait pas existé dans le temps, comme il ne s’ensuit pas que Socrate et Platon, parce qu’ils n’existent pas pour moi quand je ne pense pas à eux, n’aient pas eu une existence réelle en leur temps, sans moi. »

    Telles sont les réflexions auxquelles se livrait Feuerbach sur le matérialisme et l’idéalisme, en ce qui concerne l’antériorité de la nature par rapport à l’homme (…).

    On se demande comment des gens qui n’ont pas perdu la raison peuvent affirmer, sains d’esprit et de jugement, que la « représentation sensible (peu importe dans quelles limites) est justement la réalité existant hors de nous ». La Terre est une réalité existant hors de nous.

    Elle ne peut ni « coïncider » (au sens : être identique) avec notre représentation sensible, ni se trouver avec cette dernière en coordination indissoluble, ni être un « complexe d’éléments » identiques, dans une autre connexion, à la sensation, puisque la terre existait à des époques où il n’y avait ni êtres humains, ni organes des sens, ni matière organisée sous une forme supérieure laissant voir plus ou moins nettement que la matière a la propriété d’éprouver des sensations (…).

    La négation de la vérité objective par Bogdanov, c’est de l’agnosticisme et du subjectivisme. L’absurdité de cette négation ressort nettement, ne serait‑ce que du seul exemple que nous avons cité, emprunté à l’histoire scientifique de la nature.

    Les sciences de la nature ne permettent pas de douter que cette affirmation : la terre existait avant l’humanité, soit une vérité.

    Cela est parfaitement admissible du point de vue matérialiste de la connaissance : l’existence de ce qui est reflété indépendamment de ce qui reflète (l’existence du monde extérieur indépendamment de la conscience) est le principe fondamental du matérialisme.

    Cette affirmation de la science : la terre est antérieure à l’homme, est une vérité objective.

    Et cette affirmation des sciences de la nature est incompatible avec la philosophie des disciples de Mach et leur théorie de la vérité : si la vérité est une forme organisatrice de l’expérience humaine, l’assertion de l’existence de la terre en dehors de toute expérience humaine ne peut être vraie. »

    Lénine résume ainsi cela en affirmant :

    « Les sciences de la nature soutiennent positivement que la terre existait dans un état où ni l’homme ni aucun être vivant vit général ne l’habitait ni ne pouvait l’habiter. La matière organique est un phénomène plus récent, le produit d’une longue évolution. Il n’y avait donc pas de matière douée de sensibilité, pas de « complexes de sensations », pas de Moi d’aucune sorte, « indissolublement » lié au milieu d’après la doctrine d’Avenarius. La matière est primordiale : la pensée, la conscience, la sensibilité sont les produits d’une évolution très avancée. Telle est la théorie matérialiste de la connaissance, adoptée d’instinct par les sciences de la nature. »

    >Sommaire du dossier

  • L’empirio-criticisme : un mélange d’idéalisme et de matérialisme

    L’empirio-criticisme est ainsi un mélange d’idéalisme et de matérialisme, il est d’autant plus difficile à saisir que bien entendu ce mélange est particulièrement confus, tentant de masquer sa propre nature finalement idéaliste par des positions qui ont l’air matérialiste.

    Lénine note de ce fait :

    « Eduard von Hartmann, idéaliste conséquent et réactionnaire conséquent en philosophie, qui voit d’un œil bienveillant la lutte des disciples de Mach contre le matérialisme, se rapproche beaucoup de la vérité en disant que la philosophie de Mach représente « un mélange confus (Nichtunterscheidung [sans distinction concrète]) de réalisme naïf et d’illusionnisme absolu ».

    Cela est vrai. La doctrine selon laquelle les corps sont des complexes de sensations, etc., est un illusionnisme absolu, c’est-à-dire un solipsisme, puisque l’univers n’est, de ce point de vue, que mon illusion. »

    Le problème des pseudo-matérialistes est que s’ils rejettent l’idéalisme de manière formelle, en pratique ils ont du mal à accepter que la sensation soit une image du monde extérieur ; pour eux, la sensation ne transmet pas vraiment les informations en entier, ce qui compte c’est la conscience qui analyse cette information.

    On comprend alors que ces pseudo-matérialistes peuvent prétendre, en apparence, être « de gauche » voire marxistes : ils réduisent le matérialisme à la reconnaissance des sensations, en cachant qu’ils ne considèrent pas que les sensations soient l’intégralité du monde s’imprimant dans le cerveau humain qui ne fait alors que refléter.

    Lénine et Staline

    On est alors, chez les pseudo-matérialistes, dans le choix, l’intuition, la décision, la volonté, le libre-arbitre, etc. mais certainement pas dans la théorie du reflet. Avec les pseudo-matérialistes, il existe un « monde psychique » – d’où l’orientation récurrente des pseudos-marxistes au XXe siècle vers la psychanalyse, avec le « freudo-marxisme », ou bien vers la « psychologie » comme avec l’école de Francfort avec Theodor Adorno, Max Horkheimer et Herbert Marcuse notamment, « l’école de Budapest » ouverte par Georg Lukacs, la réflexion sur « l’hégémonie » d’Antonio Gramsci et Louis Althusser, etc.

    En pratique, tous ces courants se rattachent au néo-Kantisme ; comme le remarque Lénine :

    « Bon nombre d’idéalistes et tous les agnostiques (y compris les disciples de Kant et de Hume) qualifient les matérialistes de métaphysiciens, car reconnaître l’existence du monde extérieur indépendamment de la conscience de l’homme, c’est dépasser, leur semble‑t‑il, les limites de l’expérience (…).

    Les corrections apportées par Mach et Avenarius à leur idéalisme primitif se ramènent entièrement à des demi‑concessions au matérialisme. Au lieu du point de vue conséquent de Berkeley : le monde extérieur est ma sensation, intervient parfois la conception de Hume : j’écarte la question de savoir s’il y a quelque chose derrière mes sensations. Et cette conception agnostique condamne inévitablement à balancer entre matérialisme et idéalisme (…).

    On ne trouve dans la doctrine de Mach et d’Avenarius qu’une paraphrase de l’idéalisme subjectif. Les prétentions de ces auteurs, quand ils affirment s’être élevés au­-dessus du matérialisme et de l’idéalisme, et avoir éliminé la contradiction entre la conception qui va de l’objet à la conscience et la conception opposée, ne sont que vaines prétentions de la doctrine de Fichte légèrement retouchée.

    Fichte s’imagine, lui aussi, avoir lié « indissolublement » le « moi » et le « milieu », la conscience et la chose, et « résolu » la question en rappelant que l’homme ne peut sortir de lui-même. Cela revient à répéter l’argument de Berkeley : je ne perçois que mes sensations, je n’ai donc pas le droit de supposer l’existence d’un « objet en soi », hors de ma sensation.

    Les différentes façons de s’exprimer de Berkeley en 1710, de Fichte en 1801, d’Avenarius en 1891‑1894, ne changent rien au fond, c’est‑à‑dire à la tendance philosophique essentielle de l’idéalisme subjectif.

    Le monde est ma sensation le non‑Moi est « supposé » (créé, produit) par notre Moi  ; la chose est indissolublement liée à la conscience ; la coordination indissoluble de notre Moi et du milieu est la coordination de principe de l’empiriocriticisme ; c’est toujours le même principe, la même vieillerie présentée sous une enseigne un peu rafraîchie ou repeinte. »

    Lénine dit encore :

    « Cette fois encore la différence réside exclusivement dans la terminologie. Quand Mach dit : les corps sont des complexes de sensations, il suit Berkeley. Quand il « se corrige » en disant : les « éléments » (les sensations) peuvent être physiques dans une connexion et psychiques dans une autre, il est agnostique, il suit Hume.

    Dans sa philosophie Mach ne sort pas de ces deux tendances, et il faut être d’une naïveté excessive pour ajouter foi aux propos de ce confusionniste affirmant qu’il a « dépassé » en réalité le matérialisme et l’idéalisme. »

    Tout comme plus tard avec Henri Bergson, il y a ici la tentative d’accepter la sensation, mais de prétendre qu’elle va à l’esprit et que l’esprit relance un cycle d’interprétation des sensations – qui sont en fait ici des complexes de sensations, car il disposerait d’une vie autonome. La vie intérieure est ici ce qui permet aux sensations d’être perçues en tant que telles. C’est une perspective qui se veut au-delà de l’idéalisme – car les sensations seraient reconnues – et du matérialisme – car la vie psychique n’est pas conçue comme simple reflet.

    >Sommaire du dossier