Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : plus il y a d’ouvriers moins il y en a et inversement

    En licenciant, les entreprises perdent la source de leur plus-value, et le taux de profit baisse, alors que pour les capitalistes le fait qu’il y ait des salaires en moins est censé renforcer les profits.

    Cependant, cela ne se réalise pas mécaniquement. Karl Marx fait ici une précision très importante, qui peut semble paradoxale.

    Il dit que non seulement il peut y avoir plus de prolétaires qui travaillent et baisse tendancielle du taux de profit, mais même que cela doit nécessairement être le cas dans le capitalisme, et que justement cela a un rapport direct avec la baisse tendancielle du taux de profit.

    C’est étrange : comment se fait-il que, puisque le capitalisme licencie pour rogner sur les salaires, il y ait pourtant davantage de prolétaires ? Et comment cela pourrait-il être en lien direct, comme deux aspects du même processus ?

    Ce qui joue, en effet, c’est le rapport entre la part des machines et des prolétaires dans le travail total. Mais pour qu’il y ait plus de machines, plus de perfectionnement, il faut plus de capitalisme, donc plus d’ouvriers.

    En fait, plus il y a d’ouvriers, moins il y en a, et moins il y en a, plus il y en a, par le jeu du capitalisme. Expliquons cela.

    Le capital investit par exemple 100 euros dans une entreprise de transformation du textile au Bangladesh. Le matériel et les machines coûtent 20 euros, le travail des ouvriers 80 euros. Seulement, en raison de la concurrence, de l’accumulation des moyens de production inhérents au capitalisme, le capital modifie le rapport entre les machines et les ouvriers.

    Les machines coûtent alors, par exemple, 60 euros et les ouvriers 120 euros. Et le processus continue : plus la production est perfectionnée, plus la part d’utilisation de la main d’oeuvre humaine faiblit, et par conséquent la plus-value arrachée aux humains.

    On peut intensifier le travail humain si on le veut, bloquer ou abaisser les salaires, c’est-dire renforcer l’exploitation, cela ne change rien : le capital investit 100, mais la partie « utile » pour les profits devient toujours plus petite.

    Plus le capitalisme se modernise, plus la partie dédiée en réalité à arracher la plus-value aux humains se rétrécit. Le capitalisme est condamné à ne servir qu’à agrandir les moyens de production avant de disparaître.

    Pourquoi, alors, y a-t-il toujours plus d’ouvriers ? Tout simplement parce qu’en se modernisant, il élargit la production de marchandises. Il y a une production toujours plus grande, toujours plus de biens produits, et par conséquent toujours plus d’ouvriers pour les produire.

    Il se déroule ainsi un déséquilibre entre les branches les plus développées et celles qui sont plus arriérées. C’est cela qui explique l’explosion du nombre d’ouvriers en Chine et inversement la chute du nombre d’ouvriers en France, ce qui, dit ainsi, reste abstrait car ce n’est valable que pour certains secteurs : la prolétarisation se généralise également en France, car il y a reconversion des travailleurs dans d’autres secteurs.

    Cette reconversion se déroulant dans le chaos capitaliste, cela présuppose le chômage, car les chômeurs sont l’armée de réserve industrielle du capital. Selon qu’il y ait plus ou moins de capital disponible selon les périodes, il y a plus ou moins de chômeurs, mais le chômage est inhérent au capitalisme.

    Karl Marx note ainsi :

    « De la nature du procès d’accumulation capitaliste – simple phase du procès de production capitaliste – il résulte tout naturellement que la masse accrue de moyens de production destinés à être convertis en capital a toujours sous la main une population ouvrière exploitable dont l’accroissement correspond au sien et même le dépasse.

    A mesure que progressent les procès de production et d’accumulation, il faut donc que croisse la masse du surtravail appropriable et approprié et, par conséquent, la masse absolue du profit que s’approprie le capital social.

    Mais ces mêmes lois régissant la production et l’accumulation font augmenter, avec sa masse, la valeur du capital constant selon une progression croissante plus rapide que celle du capital variable converti en travail vivant.

    Donc, ce sont les mêmes lois qui entraînent pour le capital social une hausse absolue de la masse du profit, et une baisse du taux de celui-ci. »

    Pour résumer, on pourrait dire ici que le capitalisme croît de manière quantitative et donc les profits, mais que le saut qualitatif consiste en l’effondrement du taux de celui-ci à chaque investissement.

    Le capitalisme est alors dans une spirale négative : il produit toujours plus pour obtenir des profits, mais il peut en arracher toujours moins, et plus il bataille pour en arracher par la modernisation, plus il abaisse lui-même le taux de profit, la part d’exploitation concrète, dans l’investissement, ôtant le sol sous ses propres pieds.

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  • La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : profits et plus-value

    La productivité sociale du travail est un critère essentiel. Pour une même exploitation – pour un même nombre d’heures non payées – le taux de plus-value peut être très différent.

    Tout est une question de l’importance du capital investi, ainsi que sa forme. Prenons deux exemples bien différents :

    a) Le premier est connu : un ouvrier du textile au Bangladesh est plus rentable qu’un ouvrier du textile en France, car le capital à investir pour la même production est plus grand en France, de par les conditions de travail, de sécurité, etc., sans parler du salaire.

    Même si les deux ouvriers avaient le même salaire, le coût des machines, ateliers, etc. ferait que l’ouvrier en France serait moins rentable. La part du travail humain doit être la plus grande possible, comme on le voit.

    b) Prenons un autre exemple. Un ouvrier de l’aéronautique en France est plus rentable qu’un ouvrier équivalent en Inde, car il est plus éduqué et peut faire fonctionner des machines plus puissantes et perfectionnées, amenant une production plus importante.

    Les deux exemples donnés sont contradictoires : d’un côté, les capitalistes ont intérêt à exporter leur capital, de l’autre ils ont intérêt à ne pas le faire. Il y a à la fois toujours plus de hausse de productivité et, en même temps, toujours plus d’ouvriers.

    C’est une contradiction – précisément au cœur du capitalisme, pour des raisons bien précises. Cela la bourgeoisie ne le voit pas et dit que les ouvriers sont de moins en moins.

    Pourquoi cela ? Parce que les capitalistes sont prisonniers, dans leur conscience, d’un seul aspect du capitalisme.

    Il se passe la chose suivante : la bataille pour les parts de marché fait qu’il y a bataille pour abaisser les coûts de production et à cela s’ajoute la nécessité pour le capital de toujours plus étendre ses profits.

    Or, les capitalistes regardent donc sur quelles variables ils peuvent jouer. Ils voient ainsi qu’ils peuvent procéder à l’abaissement de la part de main d’oeuvre employée : ils veulent un nombre moindre de salaires à payer, pour obtenir cependant la même production ou une plus grande production.

    La hausse de la productivité permet cela, et ils se disent qu’ils y gagnent… alors qu’en réalité ils perdent tout.

    C’est ici que le problème est fatal pour le mode de production capitaliste. Car les profits ne trouvent pas leur source réelle dans le commerce des marchandises, mais dans l’exploitation du prolétariat. Cela les capitalistes ne le voient pas : ils s’imaginent que la production de marchandises et surtout leur vente suffit en soi à leur fournir les profits.

    Cependant, employer moins de prolétariat en produisant autant, ce n’est pas se débarrasser de salaires, mais abaisser les profits. Voilà ce que les capitalistes ne voient pas.

    Plus la partie du travail humain est faible dans la production, plus le travail qui est extorqué aux prolétaires est faible, et donc moins il y a de profits réels, car les véritables profits du capitaliste reposent sur l’extorsion de travail aux prolétaires, sur la plus-value.

    Karl Marx dit ainsi :

    « La loi de la baisse du taux de profit qui traduit un maintien du taux de plus-value ou même une hausse de ce dernier signifie en d’autres termes : étant donné une certaine quantité de capital social moyen, un capital de 100 par exemple, la fraction de celui-ci qui représente des moyens de travail ne cesse de croître et celle qui représente du travail vivant ne cesse de diminuer.

    Mais, comme la masse totale du travail vivant ajouté aux moyens de production baisse par rapport à leur valeur, le travail non payé et la portion de valeur qui le représente baissent aussi par rapport à la valeur du capital total avancé.

    Ou encore: une partie aliquote de plus en plus petite du capital total investi se convertit en travail vivant et ce capital total absorbe donc, proportionnellement à sa grandeur, toujours moins de surtravail, même si, ce qui est possible, dans le travail employé le rapport du travail non payé au travail payé vient à croître en même temps. »

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  • La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : la productivité sociale du travail

    La « loi de la baisse tendancielle du taux de profit » est la pierre angulaire du Capital de Karl Marx. C’est la thèse essentielle, qui détermine toute la position du matérialisme dialectique sur le mode de production capitaliste.

    Le débat autour de cette thèse a été à l’origine d’un grand débat au début du mouvement ouvrier, dans la social-démocratie. Le révisionnisme – qui révisait donc le marxisme – affirmait que cette thèse de Karl Marx précisément était fausse, que le capitalisme pouvait grandir sans crise et que donc les ouvriers pouvaient en profiter et faire le socialisme par des moyens pacifiques.

    Inversement, il a toujours été au coeur du mouvement communiste de préserver la compréhension scientifique de cette loi qui, il faut bien le souligner, concerne une baisse du taux de profit qui est « tendancielle ».

    Cela signifie que l’appauvrissement généralisé des masses, s’accélérant passé un certain cap d’accumulation du capital, ne se produit pas de manière unilatérale, ni de manière uniforme, même s’il est de fait inéluctable.

    Quelle est la base de la question ? C’est celle de la définition même de ce qu’est le capital.

    En fait, on connaît le principe selon lequel au départ une entreprise produit des biens à un prix élevé, puis ensuite les produit en quantité beaucoup plus grande, à un prix moins élevé. Sur le papier, l’entreprise gagne autant, ayant simplement transféré ses profits du principe qualitatif au principe quantitatif.

    En réalité, les choses ne se déroulent pas de cette manière. Raisonner ainsi, c’est avoir en tête une démarche commerciale, pas une démarche capitaliste au sens strict.

    Car qu’est-ce que le capital ? Le capital c’est du travail accumulé, sous la forme matérielle. Les moyens de production relèvent des capitalistes, pas de la société toute entière ; c’est le principe de la propriété privée des moyens de production.

    Ce capital emploie du travail vivant, des travailleurs, dans des ateliers, des usines, etc. ; on appelle capital fixe ou constant les machines, les bâtiments, etc. et capital variable le travail vivant des travailleurs, plus ou moins employés par les capitalistes.

    Le jeu, l’équilibre, le rapport entre ces deux aspects du capital forment précisément la dynamique dialectique du capital en général.

    En effet, le capitalisme développe les moyens de production. Ce faisant, il modernise la société, toute la société : il ne produit pas que plus de marchandises, il produit également les moyens de les produire, il les perfectionne toujours davantage.

    La société devient alors de plus en plus performante sur le plan des moyens de production. Toute se rejoint, se relie ; les progrès de certains secteurs profitent aux autres secteurs, comme par exemple la téléphonie, l’informatique, les transports, etc.

    C’est, pour prendre une image, celle des robots qui remplacent les ouvriers dans l’usine. C’est la productivité qui augmente, sur tous les plans.

    Karl Marx constate ce principe en disant :

    « En utilisant plus de machines en général, en employant davantage de capital fixe, le même nombre d’ouvriers transforme en produits une plus grande quantité de matières premières et auxiliaires dans un même laps de temps – c’est-à-dire avec moins de travail. »

    C’est là le point essentiel : l’accumulation du capital ne signifie pas uniquement l’accumulation de marchandises, mais également l’accumulation des moyens de production. C’est précisément là que le capitalisme joue un rôle historiquement utile, unifiant la force de travail pour élever le niveau des moyens de production.

    Karl Marx appelle cela la « productivité sociale du travail », et s’il parle de la baisse tendancielle du taux de profit, c’est parce que celle-ci résulte de celle-là.

    Il dit ainsi :

    « La tendance progressive à la baisse du taux de profit général est tout simplement une façon propre au mode de production capitaliste d’exprimer le progrès de la productivité sociale du travail. »

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  • La circulation du capital selon Marx et la crise de surproduction comme inévitable conséquence

    La circulation du capital a un aspect particulier qu’il y a lieu de comprendre pour saisir le processus général de surproduction.

    En effet, le capitaliste peut renforcer son propre appareil productif au moyen du surtravail. Il y a alors un argent virtuel qui apparaît : virtuel, car il n’est pas présent, mais réel dans la mesure où il apparaîtra dans le prochain cycle, avec des marchandises plus nombreuses ou de meilleure qualité.

    Ici, le surtravail a permis non pas de produire directement davantage de marchandises, mais de développer les moyens de production, et donc effectivement la production de marchandises, mais lors du prochain cycle.

    C’est là d’ailleurs un point essentiel pour le « démarrage » de l’accumulation du capital, le passage de la reproduction simple à la reproduction élargie.

    Mais c’est également un point essentiel pour comprendre comment historiquement le capital a pu utiliser la social-démocratie : en acceptant les syndicats institutionnels, le capital a renforcé sa modernisation, sa productivité.

    Il ne faut pas perdre de vue que le capital n’est pas présent que dans les marchandises produites, il existe dans la production elle-même, dans l’usine, dans l’atelier. Il a besoin d’investir en quelque sorte en « lui-même », dans le processus de production.

    Karl Marx souligne d’ailleurs ici que :

    « Plus est grand le capital productif déjà en fonction dans un pays (y compris la force de travail qui lui est incorporée, génératrice de surproduit), plus sont développés la force productive du travail et par conséquent aussi les moyens techniques d’une extension rapide de la production de moyens de production – plus est grande, par conséquent, la masse du surproduit, tant en valeur qu’en masse de valeurs d’usage par lesquelles il est représenté. »

    Et Karl Marx de mentionner le capital productif virtuel additionnel et le capital-argent virtuel additionnel. Alors intervient souvent ici le capital financier, qui prend une importance centrale.

    Pourquoi cela ? Parce que le capital entend réaliser les possibilités de production accordées par davantage de capital productif virtuel additionnel et le capital-argent virtuel additionnel. Il a cependant souvent besoin d’un coup de pouce pour avancer en ce sens, par exemple en faisant appel à du capital à la bourse, ou bien en demandant un crédit à une banque.

    Mais dans ce processus, il y a alors des capitalistes qui achètent sans vendre, d’autres qui vendent sans acheter. Il n’y a aucune harmonie, chaque capitaliste agissant selon ses propres besoins et ses propres perspectives.

    Le fait que le capital fasse circuler l’argent selon ses propres besoins a donc un prix : la surproduction de capital et la surproduction de marchandises.

    Dans une note du Capital (livre II), Karl Marx résume la chose de la manière suivante :

    « Contradiction dans le mode de production capitaliste : les ouvriers, en tant qu’acheteurs de marchandises, sont importants pour le marché.

    Mais à les considérer comme vendeurs de leur marchandise – la force de travail – la société capitaliste tend à les réduire au minimum du prix.

    Autre contradiction : les époques où la production capitaliste met en œuvre toutes ses virtualités se révèlent régulièrement comme des époques de surproduction, parce que les virtualités de production ne peuvent jamais être utilisées suffisamment pour qu’il y ait non seulement production, mais encore réalisation d’une plus grande somme de valeur.

    Au contraire, la vente des marchandises, la réalisation du capital-marchandise et, par conséquent aussi de la plus-value, est limitée non par les besoins de consommation de la société en général, mais par les besoins de consommation d’une société dont la grande majorité est toujours pauvre et condamnée à toujours le rester. »

    Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que la production n’est pas planifiée pour répondre à une consommation qui elle-même aurait comme fondement financier ce qui a été gagné dans la production.

    Dans le capitalisme, la production est au contraire chaotique, les capitalistes plaçant leur capital selon leurs propres besoins, ce qui aboutit à une circulation du capital incohérente.

    A cela s’ajoute que par la propriété privée des moyens de production, la consommation est restreinte, toujours plus restreinte, à une minorité.

    Ainsi, les améliorations effectuées par le capitaliste de son propre appareil productif peuvent s’avérer vaines : c’est la surproduction de marchandises.

    Ainsi, les améliorations effectuées par le capitaliste de son propre capital-argent, par la thésaurisation, la mise de côté d’argent, peuvent s’avérer vaines : c’est la surproduction de capital.

    Tant la la surproduction de marchandises que la surproduction de capital se déroulent dans des cycles, à des moments donnés, cycles s’entrecroisant, s’enchevêtrant, s’emmêlant sans que jamais le capital ne puisse trouver une solution équilibrée.

    C’est un élément essentiel de la crise générale du capitalisme.

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  • La circulation du capital selon Marx : le capital fait tourner l’argent à son compte

    Ainsi, la circulation du capital passe par l’argent ; cet argent est jeté dans la circulation par le capital et par la consommation personnelle des capitalistes, mais également par la production directe d’or par certains capitalistes.

    Dans tous les cas, amasser de l’or n’a pas de sens et ne relève pas du capital ; l’argent est un outil pour le capital.

    Et, comme le dit Marx :

    « La partie du produit annuel qui représente la plus-value sous forme de marchandise obéit tout à fait aux mêmes règles que l’autre partie du produit annuel.

    Sa circulation exige une certaine une somme d’argent.

    Cette somme appartient à la classe capitaliste au même titre que la masse de marchandises produite chaque année et représentant la plus-value. Personne d’autre que la classe capitaliste ne la jette, à l’origine, dans la circulation.

    Grâce à la circulation elle-même, la répartition de cette masse se renouvelle sans trêve entre les capitalistes. »

    Mais d’où vient la force grandissante du capitalisme ?

    Est-ce seulement de la lente accumulation ? Justement, ce qu’il faut voir, c’est qu’à chaque étape de la circulation, le capital a davantage de moyens techniques, il sait mieux comment utiliser les forces de la nature.

    Le capitalisme a donc tout intérêt à soutenir le progrès technique, les améliorations scientifiques.

    Il faut noter toutefois un point important, expliqué comme suit par Marx :

    « L’augmentation des forces productives du travail, si elle n’a pas pour condition une dépense supplémentaire de valeur-capital, n’accroît sans doute en première instance que la masse du produit, mais elle n’accroît pas sa valeur ; excepté dans la mesure où elle permet de reproduire une plus grande quantité de capital constant [c’est-à-dire du matériel productif : principalement les machines et matières premières] avec le même travail [c’est-à-dire que pour chaque force naturelle utilisée en plus, on a du travail en plus allant avec, pour le même nombre de travailleurs], donc de conserver sa valeur.

    Mais en même temps, elle crée une nouvelle matière-capital, donc la base d’une accumulation accrue du capital. »

    Lorsque le capitalisme augmente les forces productives, il peut avoir davantage de marchandises moins chères qu’auparavant ; en ce sens le capitaliste n’y gagne rien directement, à part par rapport à la concurrence.

    Mais ce faisant, il inonde de davantage de marchandises, et celles-ci peuvent être intégrés dans d’autres processus productifs, qui tous servent les capitalistes.

    Karl Marx note ainsi :

    « Les cycles des capitaux individuels s’entrelacent, se supposent et se conditionnent les uns les autres et c’est précisément cet enchevêtrement qui constitue le mouvement de l’ensemble du capital social. »

    Et il constate que :

    « Ce sont précisément ces opérations d’achat et de vente qui font de façon générale circuler entre eux [les différents membres de la classe capitaliste] le seul argent nécessaire pour monnayer la plus-value. »

    Ce qui l’amène à dire que :

    « La foule regarde avec étonnement les masses accumulées, surtout quand elles sont concentrées entre les mains d’une poignée de gens…

    Mais les masses produites annuellement, semblables aux flots éternels et innombrables d’un fleuve puissant, déferlent et se perdent dans l’océan oublié de la consommation.

    Et cette consommation éternelle n’en commande pas moins toutes les jouissances, et même l’existence de tout le genre humain.

    C’est à la quantité et à la répartition de ce produit annuel qu’il faudrait avant tout appliquer la réflexion. »

    C’est ici que l’argent se montre bien comme simple outil pour arracher au travailleur individuel la plus-value ; l’argent nécessaire au travailleur individuel pour vivre est le moyen de le pressuriser, et cela à court terme, obligeant le travailleur à s’intégrer au processus de production capitaliste.

    Sans salariat, pas de capital, tel est le sens de la circulation monétaire.

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  • La circulation du capital selon Marx : crédit et circulation métallique

    La classe capitaliste consomme pour sa satisfaction personnelle, et cette consommation réinjecte de l’argent dans la circulation. Avant d’approfondir cette question, notons déjà un autre aspect qui est relié à cette question.

    En effet, la production capitaliste est concurrentielle et technique, et les capitalistes s’achètent les uns aux autres du matériel afin de moderniser leur production. C’est quelque chose qui joue dans la manière dont le capital circule.

    Nous allons étudier cet aspect, mais voyons d’abord ce qui manque pour que tout cela fonctionne : l’argent.

    Si la plus-value se réalise par la vente des marchandises, alors forcément il y a accroissement du capital. Mais si l’argent est dans les mains des capitalistes à l’initial, d’où arrive l’argent en plus ?

    Nous allons voir ici le point de vue de Marx, et revenir plus loin sur comment le capitalisme a modernisé cet aspect propre à l’accumulation du capital à l’initial.

    Selon Karl Marx, ce qui se passe est logique : si des capitalistes retirent de l’argent de la circulation, alors d’autres en amènent. Il faut un équilibre, sinon cela ne saurait marcher.

    Aussi Karl Marx nous dit-il :

    « Lorsqu’une partie de la classe capitaliste jette donc dans la circulation une valeur-marchandise supérieure (du montant de la plus-value) au capital-argent avancé par elle, une autre partie de la classe capitaliste jette dans la circulation une valeur-argent supérieure (du montant de la plus-value) à la valeur-marchandise qu’elle enlève constamment de la circulation pour la production de l’or.

    Alors que certains capitalistes pompent constamment dans la circulation plus d’argent qu’ils n’en projettent dans son cours, d’autres, les producteurs d’or, déversent constamment plus d’argent qu’ils n’en retirent sous forme de moyens de productions. »

    Maintenant, nous faisons face à un problème essentiel. D’où vient l’argent ? En fait, on en revient à la question des métaux précieux. Ce sont eux qui font office d’argent.

    Karl Marx nous enseigne ici :

    « Si les marchandises supplémentaires qui doivent se convertir en argent trouvent la somme d’argent nécessaire, c’est que, d’autre part, l’on jette dans la circulation, non point par l’échange, mais par la production même, de l’or (et de l’argent) supplémentaire, qui doit se convertir en marchandises. »

    Ce processus se déroule-t-il sans douleur ? Absolument pas. Le capital exige la frénésie, l’emballement, et ainsi :

    « Toute l’essence du crédit, et de l’overtrading [sur-commerce] et de l’overspeculation [sur-spéculation] qui vont avec, repose sur la nécessité d’élargir et de sauter au-dessus les bornes de la circulation et de la sphère d’échange.

    Cela apparaît comme davantage colossal, davantage classique en relation avec les peuples, plus que les individus. Ainsi, les Anglais ont été dans l’obligation de prêter à des nations étrangères, afin de les avoir comme customers [clients]. » (G).

    C’est précisément ce point-là qui a induit en erreur Rosa Luxembourg. Rosa Luxembourg a constaté le caractère fondamentalement expansionniste du capital, et a considéré que cette « expansion » était le moteur du capital.

    Or, il n’y a pas d’expansion pour le capital s’il n’y a pas de contenu capitaliste dans celle-ci. De fait, la plus-value concerne la production de biens de consommation, mais également la production de moyens de production.

    La conception selon laquelle il faudrait forcément un marché étranger, un non-capitaliste à spolier, ne résoudrait rien à la question : d’où viendrait l’argent du non-capitaliste ?

    Lénine, dans Pour caractériser le romantisme économique, se moque ainsi de cette fausse logique :

    « Le romantique dit : les capitalistes ne peuvent consommer la plus-value et doivent par conséquent l’écouler à l’étranger. On se demande si les capitalistes ne donnent pas gratuitement leurs produits aux étrangers ou s’ils ne les jettent pas à la mer (…).

    Mêler le commerce extérieur, l’exportation, au problème de la réalisation, c’est éluder la question en la reportant sur un terrain plus vaste, mais l’élucider en aucune façon (…).

    Nous dirons plus : une théorie qui rattache le marché extérieur au problème de la réalisation de l’ensemble du produit social atteste non seulement une incompréhension de cette réalisation, mais encore une compréhension très superficielle des contradictions propres à cette réalisation… »

    Et que nous explique alors Karl Marx, pour expliquer le besoin accru d’argent ? Tout simplement que :

    « L’argent supplémentaire nécessaire à la circulation de cette masse de marchandises plus considérable qui a une plus grande valeur doit être fourni soit par une économie accentuée de la masse d’argent en circulation, – par la compensation des paiements, etc., ou encore par des mesures d’accélération de la circulation des mêmes pièces de monnaie, – soit par la transformation de l’argent de sa forme trésor en sa forme circulante. »

    Naturellement, ici, le rôle des banques devient ici formidablement important. D’où cette affirmation franche de Marx :

    « Ainsi se trouve résolue cette question absurde : la production capitaliste avec son volume actuel serait-elle possible sans le système du crédit (même en ne considérant ce système que de ce point de vue-ci), c’est-à-dire avec la seule circulation métallique ?

    Évidemment non !

    Elle se serait au contraire heurtée aux limites mêmes de la production des métaux précieux.

    Mais, d’autre part, il ne faut pas se faire d’idées mystiques sur la vertu productive du crédit, en tant qu’il place à la disposition des intéressés du capital-argent ou le met en mouvement. »

    Ceux qui auront ces idées mystiques, ce sont Pierre-Joseph Proudhon, les populistes russes, ou même Rosa Luxembourg, ou encore les conceptions idéalistes de type fasciste ; en réalité, l’argent n’est qu’un lieu de passage du capital, il n’est pas capital.

    >Sommaire du dossier

  • La circulation du capital selon Marx et la question centrale de la provenance de la circulation

    La question de la provenance des moyens de la circulation, de l’origine de l’argent circulant en plus à chaque cycle, est essentielle.

    Comme dit précédemment, elle a été travaillée sans succès par les économistes classiques, par les populistes russes, par Rosa Luxembourg, etc.

    La problématique se pose comme suit : on sait que lors de la production, les travailleurs font des heures qui sont payées pour certaines, et pas pour d’autres. Les marchandises vendues, le capitaliste obtient pour cette raison un capital plus grand qu’au départ.

    Seulement, il faut bien des gens pour acheter ces marchandises. Si les capitalistes donnent tant de salaires, alors il y a tant dans la circulation d’argent. D’où alors vient l’argent en plus, permettant d’intégrer la plus-value dans le capital, sous forme d’argent ?

    C’est une question évidente et d’une importance centrale. Imaginons que les capitalistes dans leur ensemble donnent, par exemple, 100 euros en salaires. D’où vient alors l’argent formant la plus-value, faisant que les capitalistes en ramènent 110 au bout d’un cycle ?

    Ou comme le pose Karl Marx en étudiant cette question :

    « Le problème, dans la mesure où peut y en avoir un ici, coïncide avec le problème général : d’où vient la somme d’argent indispensable à la circulation des marchandises dans un pays ? »

    Il n’y a naturellement pas une infinité de raisons possibles (nous verrons plus loin les réponses erronées qui ont pu être données) ; il n’y en a en pratique, et dans l’immédiat pour la production capitaliste, hors échange entre pays, que trois.

    Soit l’argent vient du capitaliste, soit l’argent en plus arrive par magie (ce à quoi revient les positions des économistes bourgeois), soit il provient de zones non capitalistes intégrées dans le capitalisme (ce qui est, entre autres, la thèse erronée de Rosa Luxembourg, dans son ouvrage de 600 pages « L’accumulation du capital »).

    C’est par cette question que s’introduit le romantisme, qui « regrette » la période où le grand capitalisme n’avait pas « ruiné » les petits producteurs, n’avait pas « corrompu » les traditions, etc.

    C’est par cette question que le romantisme dénonce le capital financier, qui produirait un argent « fictif », alors que le capital industriel, quant à lui, produirait « vraiment ».

    Karl Marx, de manière fort juste, en reste au capitalisme en tant que tel, au mode de production capitaliste, et constate la chose suivante qui en découle :

    « Nous n’avons, dès lors, que deux points de départ : le capitaliste et l’ouvrier (…).

    Quant à l’ouvrier, il n’est, nous l’avons déjà dit, que le point de départ secondaire, tandis que le capitaliste est le point de départ primaire de l’argent jeté dans la circulation par l’ouvrier.

    L’argent, d’abord avancé comme capital variable, accomplit déjà sa deuxième circulation quand l’ouvrier le dépense pour payer des moyens de subsistance.

    La classe capitaliste reste donc le seul point de départ de la circulation de l’argent. »

    Le travailleur est payé par le capitaliste, ce qui fait que le travailleur n’a d’argent que par le capitaliste. L’argent « en plus » à chaque cycle doit donc, en toute logique, venir du capitaliste lui-même.

    C’est la réponse de Karl Marx, qui explique que :

    « En effet, quelque paradoxal que cela puisse sembler de prime abord, c’est la classe capitaliste elle-même qui jette dans la circulation l’argent servant à réaliser la plus-value contenue dans les marchandises.

    Mais elle ne l’y jette pas comme argent avancé au capital. Elle le dépense comme moyen d’achat pour sa consommation individuelle. Elle ne l’avance donc pas, bien qu’elle forme le point de départ de sa circulation. »

    Le niveau de vie du capitaliste s’élève, et de sa consommation personnelle arrive davantage d’argent dans la circulation, c’est elle qui permet la circulation. Mais cela signifie, cependant, que cet argent doit exister.

    Alors, d’où provient-il ?

    >Sommaire du dossier

  • La circulation du capital selon Marx, la signification de la rotation et le chaos capitaliste

    Le capitaliste a tout intérêt à ce que la rotation du capital soit rapide. Plus la rotation est rapide, plus le capital devient rapidement argent pour le capitaliste, plus il peut grandir davantage. En ce sens, il amène ce qui a été appelé la « mondialisation », cherchant en effet par tous les moyens à se réaliser.

    Karl Marx nous explique ainsi :

    « Le capital, suivant ici sa propre nature, se dégage de toute limitation spatiale.

    La création des conditions physiques de l’échange – moyens de communication, de transport – devient pour lui une nécessité d’une ampleur toute nouvelle – la destruction de l’espace par le temps. » (G)

    Cette affirmation est très importante et elle vaudrait une analyse à elle seule. Restons en ici par contre plus spécifiquement à la question de la circulation en tant que telle.

    Constatons ainsi que, si le capitaliste veut donc que la rotation du capital soit rapide, il doit également faire en sorte que les futures rotations le soient aussi, et également, qu’elles soient possibles.

    Or, forcément, il y a usure de certains éléments de production. Le matériel, les machines, etc. s’usent et doivent être remplacés. Ici, la machine de la circulation peut s’enrayer.

    Karl Marx note ainsi :

    « Dans les même investissement de capital, la durée d’existence et, par conséquent, le temps de rotation sont différents pour les divers éléments du capital fixe.

    Dans un chemin de fer, par exemple, les rails, les traverses, les travaux de terrassement, les gares, les ponts, les tunnels, les locomotives et les wagons diffèrent par leur durée de fonctionnement et leur terme de reproduction : le capital engagé dans ces éléments aura donc des durées différentes de rotation. »

    De plus, dans certains cas, les marchandises doivent « se reposer », par exemple sécher, mûrir, etc., donc cela ajoute au temps de production.

    Le capitaliste évalue donc attentivement la rotation du capital, car c’est dans son intérêt :

    « Plus la période de rotation du capital est courte,

    – c’est-à-dire plus les intervalles sont courts entre les échéances de sa reproduction dans l’année, –

    et plus rapidement la partie variable du capital primitivement avancée par le capitaliste sous la forme d’argent se convertit en la forme argent du produit créé par l’ouvrier pour remplacer ce capital variable (produit qui comprend en outre la plus-value) ;

    plus court est donc le temps pour lequel le capitaliste est forcé d’avancer de l’argent sur son propre fonds, et plus faible est, par rapport au volume donné de la production, le capital qu’il avance ;

    plus grande relativement est la masse de plus-value qu’avec un taux donné de la plus-value il retire chaque année, puisque, avec la forme argent de la valeur produite par l’ouvrier lui-même, il peut plus fréquemment racheter cet ouvrier et mettre son travail en mouvement. »

    Le capital privilégie donc les formes rapides, et on peut déjà voir que c’est décisif pour ses choix concernant l’alimentation ; Karl Marx note déjà, en opposant cela aux moissons qui elles sont annuelles :

    « Seuls les produits secondaires, le lait, le fromage, etc. peuvent régulièrement être produits et vendus par périodes assez rapprochées. »

    Cependant, ce n’est pas tout, il faut également vendre. On a là la même problématique :

    « L’une des sections du temps de circulation, – celle qui est relativement la plus décisive, – est constituée par le temps de la vente, l’époque où le capital se trouve à l’état de capital-marchandise.

    Le temps de circulation et par suite la période de rotation s’allongent ou s’abrègent en fonction de la durée de ce délai. »

    On voit déjà ici l’intérêt que peut représenter une nourriture industrielle massive telle que fournie par Mc Donald’s : le temps de rotation est court à tous les niveaux. Il n’est pas étonnant que les travailleurs de ce secteur se voient imposer à la fois des salaires bas et une activité très « rapide » : cela tient à la rotation même du capital dans ce secteur.

    De la même manière, le capitaliste doit disposer de moyens techniques pour que la rotation se déroule bien : il faut des chemins de fer, que la production ait accès à ceux-ci, etc. etc.

    C’est important, car on peut voir ici comment le capitalisme a fait en sorte de raccourcir les distances, par exemple avec le canal de Suez, les progrès techniques, etc.

    Si l’on ajoute à cela le fait que les salaires doivent être donnés chaque mois, que l’argent des ventes ne rentre a priori qu’au fur et à mesure, alors inévitablement le capitaliste doit gérer une circulation compliquée, tout en ayant en tête la rotation, la phase globale qui se présente sous la forme d’un revenu du capital initial.

    On devine ainsi facilement le chaos que représente tous ces capitalistes jetés les uns contre les autres, ayant tout de même besoin pourtant de moyens d’ensemble qu’ils n’acceptent qu’après avoir subi le contre-coup de leur absence.

    C’est la différence entre le niveau de conscience socialiste et le chaos capitaliste ; comme l’explique Karl Marx :

    « Supposons qu’au lieu d’être capitaliste, la société soit communiste : tout d’abord, le capital-argent disparaît, et avec lui les déguisements des transactions qui s’imposent grâce à lui.

    La chose revient simplement à ceci : il faut que la société calcule d’avance la quantité de travail, des moyens de production et de subsistance qu’elle peut, sans aucun dommage, employer à des entreprises, comme par exemple la construction des chemins de fer, qui pendant un temps assez long, un an ou même davantage, ne fournissent ni moyens de production ou de subsistance, ni effet utile quelconque, mais enlèvent à la production annuelle totale du travail des moyens de production et de subsistance.

    Au contraire, dans la société capitaliste, où le bon sens social ne se fait valoir qu’après coup, il est possible et inévitable qu’il se produise sans cesse de grandes perturbations. »

    >Sommaire du dossier

  • La circulation du capital selon Marx et l’importance essentielle de cet aspect du capitalisme

    Que signifie le terme circulation ? Il veut dire mouvement, dans un sens, et dans l’autre sens. Il y a l’idée de cercle, c’est-à-dire que le va-et-vient se répond : cela va dans un sens, puis dans l’autre, de manière ininterrompue.

    Cette notion est très importante pour comprendre le mode de production capitaliste. En effet, le capital n’est pas statique, puisqu’il existe au départ sous forme d’argent, puis de marchandises, puis d’argent.

    Tout cela forme un cycle, qui est par la suite répété : c’est la circulation.

    Cependant, et c’est là un aspect essentiel, ce cycle est également à chaque fois plus puissant. Le capital repousse toujours les frontières de son existence ; il n’y a pas reproduction simple, mais élargissement du capital, durant des différentes périodes appelées rotation par Karl Marx.

    Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement que le capital n’est pas comme une pièce de monnaie que l’on insère dans une machine de casino, pour ensuite en récupérer davantage. La pièce de monnaie introduite, en quelque sorte, va connaître toute une vie.

    Ainsi, même si le capitaliste espère récupérer au bout de la production son propre investissement et davantage, il n’en reste pas moins que l’argent investi (et même s’il « revient ») a circulé : dans le paiement des salaires, dans l’achat de biens pour permettre la production, etc.

    Le capital a ainsi une vie propre, durant la période où il quitte le capitaliste, avant de lui revenir.

    Karl Marx a, de fait, accordé une très grande importance à cette question de la circulation et de la rotation.

    Pour bien arriver à suivre son explication, nous nous appuierons sur Le Capital, mais également sur les fameux « Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie », intitulé en français « Introduction générale à la critique de l’économie politique » (une citation de cette œuvre sera mentionnée par « », toute autre citation étant donc, comme précédemment, du Capital).

    Pourquoi ce point est-il si important, et pourquoi et peut-il être si compliqué ?

    Pour la simple raison que si le capitalisme se développe, il faut bien qu’il s’appuie sur quelque chose. Reste à savoir sur quoi, et c’est la raison pour laquelle Karl Marx a souligné ici un point très important : il faut porter son attention sur les capitalistes dans leur ensemble, en tant que classe, pour saisir la réalité de cette circulation.

    En effet, si l’on ne regarde que le capitaliste vendant des marchandises et attendant qu’à sa production réponde une consommation, on perd le fil.

    C’est ce qui est arrivé aux auteurs bourgeois « classiques », que critique Karl Marx. Mais cela a également été l’erreur de tous les populistes russes, rejetés par Lénine avec précisément les mêmes arguments que Karl Marx, notamment dans « Pour caractériser le romantisme économique», et même de Rosa Luxembourg dans son œuvre centrale « L’accumulation du capital », où elle essaie d’approfondir cette question et de prendre Karl Marx en défaut.

    L’idée de base et commune à toutes les critiques faites à l’encontre de Karl Marx est simple : si le capitaliste fait du profit, sous forme d’argent, alors, d’où vient cet argent ? S’il vient de la classe des capitalistes elle-même, alors il ne peut y avoir plus d’argent qu’au départ et, par conséquent, le profit élargi est impossible.

    En clair : si la bourgeoisie vend à elle-même, d’où sortirait-elle le surplus d’argent ?

    Reste alors les non capitalistes, mais les critiques, que nous verrons plus loin, consistent à répondre ici que justement le raisonnement ne « marche » pas, car les prolétaires n’ont pas les moyens d’acheter, les petits producteurs sont de plus en plus écrasés et donc ne peuvent plus consommer…

    Ainsi, le problème des critiques du marxisme, Rosa Luxembourg y compris, est qu’ils ne saisissent pas comment se produit la reproduction élargie ; pour eux le capital ne peut s’élargir qu’aux dépens de formes non capitalistes, c’est-à-dire aux dépens d’autre chose que lui-même.

    C’est là ne pas comprendre le mode de production capitaliste, le capitalisme comme système. Un système fondé sur une contradiction, obéissant à la dialectique.

    « Enfin comme résultat du processus de production et de valorisation, apparaît avant tout, comme reproduction et nouvelle production des rapports du capital et du travail en tant que tel, du capitaliste et du travailleur.

    Cette relation sociale, ce rapport de production, apparaît en fait comme un résultat encore plus important du processus que ses résultats matériels.

    Et en effet le travail, à l’intérieur de ce processus, se produit lui-même comme ressource de travail, ainsi qu’il produit le capital qui lui fait face, tant comme de l’autre côté le capitaliste se produit en tant que capital, et produit la ressource de travail vivante qui lui fait face.

    Chacun se reproduit lui-même, dans la mesure où il reproduit son autre, sa négation. Le capitaliste produit le travail comme étranger à soi ; le travail produit le produit comme étranger à soi.

    Le capitaliste produit le travail, et le travailleur le capitaliste, etc. » (G).

    >Sommaire du dossier

  • La peinture naturaliste belge et l’échec national de La Jeune Belgique

    Si L’Art moderne, représentait l’aile radicale de la bourgeoisie – Edmond Picard pouvant en 1886 faire plusieurs articles d’une série appelée « L’art et la révolution », avec comme inspiration deux ouvrages contestataires (Paroles d’un révolté de l’aristocrate anarchiste russe Pierre Kropotkine et L’insurgé de Jules Vallès, un communard) – c’est la revue La Jeune Belgique, qui exista de 1881 à 1897, qui était alors la principale revue d’art et de littérature, avec un millier d’abonnés.

    Cependant, son orientation mesurée témoigne en soi de l’esprit décadent d’une bourgeoisie cherchant à établir une base nationale, mais incapable de le faire, au point d’être immanquablement happé par le modernisme français et son subjectivisme.

    Le fait que la devise adoptée soit « Soyons nous » en dit long sur la nature du projet, qui part dès le départ d’être un hôte pour toutes les avant-gardes. C’est déjà un esprit bourgeois, au sens où le seul ennemi déclaré c’est la réaction, l’académisme d’esprit catholique. Tout est considéré comme bon pour parvenir à renverser cet ennemi, comme vecteur du libéralisme en général de toutes manières.

    Il n’est donc pas considéré que le naturalisme soit erroné, dans la mesure où il n’est pas réalisme au sens strict et qu’il repose sur une démarche subjective d’un artiste. Dans cet esprit, Albert Giraud, l’un des cofondateurs de la revue et connu pour son Pierrot lunaire : Rondels bergamasquespublié en 1884, considère qu’Émile Zola est somme toute un romantique, car il personnalise le milieu où existe les personnages, mieux encore : il le façonne selon ses besoins.

    Le poète Léopold-Nicolas-Maurice-Édouard Warlomont (1860-1889), connu sous le pseudonyme de Max Waller et le principal fondateur de La Jeune Belgique, assume tout à fait cette fusion naturalisme – symbolisme (ici par le Parnasse, qui aboutit au symbolisme), et peut donc tout à fait saluer Camille Lemonnier comme le faisait L’Art moderne.

    Il dit ainsi :

    « Davantage encore dans ses autres livres, Lemonnier est lui, c’est-à-dire belge ; il va décrire notre pays : les rudes Flamands, ces durs, ces graves, ces Germains ; les Wallons, ces doux, ces riants, ces Gaulois.

    Il va peindre nos plaines, nos campagnes, nos paysans carrés, nos femmes aux fortes chairs, nos pâtures grasses, nos horizons gris, nos repues franches ; et alors il laissera tomber de son coeur et de sa plume ces œuvres belges, ces œuvres vraies : les Contes flamands et wallonsUn coin de villageUn Mâle, le Mort.

    Puisqu’il est convenu que tout écrivain doit, malgré tout, être classé dans une école, nous rattacherons Lemonnier à celle des naturalistes-parnassiens dont font partie Léon Cladel, Jean Richepin, et peut-être Barbey d’Aurevilly, c’est-à-dire des écrivains vrais, mais épris de la ligne, statuaires du style, ciseleurs de la phrase, et parfois dévoyés de cette vérité qu’ils cherchent par leur trop grande préoccupation de la forme lapidaire. »

    N’est-ce pas là, peut-être, une caractéristique nationale belge, que de chercher une ligne claire, ciselée, mais en même temps avec une projection lapidaire plutôt que de la recherche d’une ornementation ou bien de précisions ?

    Quoi qu’il en soit, la revue ne parviendra pas à devenir un vecteur national, abandonnant rapidement toute perspective critique pour ne publier que des textes littéraires, pour finalement capituler et passer dans le camp de la critique, mais avec cette fois une soumission à la France.

    Ainsi, en 1896, il est affirmé la chose suivante :

    « Au point de vue littéraire, la Belgique est ou bien une province de la Néerlande, ce qui n’est pas notre affaire, ou bien une province de la France. Nous entendons travailler à rendre sa littérature aussi parfaitement française et aussi peu provinciale qu’il sera possible.

    Dès sa fondation la Jeune Belgique s’est donné pour mission de développer dans notre pays la culture des lettres françaises et la production d’œuvres vraiment littéraires.

    A l’heure présente, sa tâche consiste à réagit énergiquement contre des efforts funestes qui ne tendent à rien moins qu’à détruire les résultats acquis.

    De même qu’elle a naguère lutté contre la routine stérile, elle doit aujourd’hui combattre l’anarchie littéraire, conserver et aviver le culte de la Tradition française dans ce qu’elle a d’essentiel, c’est-à-dire de la langue correcte et aisée, de la forme vivante et logique ; tel est notre devoir présent. »

    Un autre exemple de retournement est celui de L’Artiste, revue initialement naturaliste puis, à partir de 1878 et des problèmes financiers, anti-naturaliste. Même la revue littéraire Le Coq rouge, fruit d’une scission socialisante de La Jeune Belgique à l’initiative de Georges Eekhoud, maintiendra cette double attirance pour ce qui semble être du réalisme et ce qui est vraiment du symbolisme.

    Le coq rouge revendiquera « la Vie » et « l’Art libre », se positionnera « contre la Doctrine », s’opposant « à établir des clans et des distinctions entre artistes conservateurs et artistes révolutionnaires, entre parnassiens et verslibristes, entre Flamands et Wallons, Latins et Germains ».

    D’autres membres de la Jeune Belgique s’en allèrent encore chez Durendal. Revue catholique d’art et de littérature, d’esprit symboliste.

    Cet esprit de confusion, de relativisme, de libéralisme, reflète une faiblesse interne de la bourgeoisie belge dans sa situation historique.

    Le naturalisme a alors été non pas un portrait synthétique réaliste, mais un accaparement de la réalité par la bourgeoisie au moyen d’un regard fondé sur l’appropriation. Une fois celle-ci faite, la liaison au peuple n’était plus d’intérêt et fut abandonné au profit du subjectivisme ouvert.

    >Sommaire du dossier

  • La peinture naturaliste belge, James Ensor comme exemple de contre-tendance

    James Ensor avait un père anglais, qui sombra dans l’alcoolisme et l’héroïne, sa mère flamande tenant un magasin de souvenirs, d’animaux empaillés, de coquillages et de masques de carnaval. Ses œuvres représentent une sorte de peinture flamande décadente, comme en témoigne ici Les ivrognes, de 1883.

    Son tableau le plus célèbre est L’Entrée du Christ à Bruxelles en 1889. Le tableau fait 2,6 mètres sur 3,8 mètres et on retrouve un sens flamand du burlesque avec l’esprit de carnaval. C’est l’affirmation d’un esprit populaire, le slogan « Vive la sociale » resplendissant en haut du tableau.

    Ce tableau fut refusé au Salon des XX. La raison en est simple : James Ensor n’était pas en accord avec la tendance au symbolisme, à l’impressionnisme, c’est-à-dire à la convergence avec la France. Le tableau se veut une réponse directe au Dimanche à la Grande Jatte de Seurat, qui avait eu l’année précédente un grand succès au Salon des XX.

    En ce sens, avec L’Entrée du Christ à Bruxelles, James Ensor représentait une réalité belge subjectivement de par ce refus, même si de par sa forme et son approche, il restait objectivement dans le camp des avant-gardes subjectivistes. Cela fut sans conséquences réelles, l’œuvre n’étant par ailleurs plus montrée publiquement avant 1929.

    Qui plus est, l’impertinence de James Ensor ne s’appuyant pas sur le réalisme, il se réduisit de fait à un expérimentateur. Son subjectivisme était par conséquent tout à fait intégrable, ce qui ne manqua pas d’arriver. Anvers fit une rétrospective James Ensor, puis les musées royaux de Bruxelles et d’Anvers achetèrent ses œuvres, en 1929 l’anarchiste James Ensor prit la nationalité belge et devint baron, puis il fut présenté officiellement le « Prince » des peintres en 1933 !

    La tendance subjectiviste convergeant avec la France ne fut donc pas contrecarrée. Il y eut également d’autres expressions concrètes, cherchant une orientation nationale. Il faut noter ici, comme expression belge flamande, le groupe « Als ik Kan » d’Anvers, devise de l’immense peintre médiéval flamand Jan van Eyck, signifiant « Si je peux » et avec laquelle il signait ses œuvres.

    On trouve dans ce groupe Charles Boland, avec des scènes de genre sans grand intérêt, mais également Henry Luyten, dont certaines œuvres sont notables. On retrouve une dimension plus lyrique, plus flamboyante, typiquement belge dans le sens d’une appropriation du baroque pour le style national.

    Son tableau La grève est tout à fait représentatif de cela ; de trois mètres sur cinq, il fait partie d’un triptyque intitulé La lutte pour la vie, accompagné de Misère et de Après le soulèvement.

    Misère est davantage marqué par l’orientation très particulière de Rubens ; on perd l’élément belge et d’ailleurs pendant la première guerre mondiale le peintre collaborera avec les Allemands pour renforcer le camp « flamand ».

    Alexander Struys, un autre membre du groupe, fit scandale en 1876 avec Oiseaux de proie, intitulé Dieu est mort en flamand.

    De manière plus développée, on a la peinture d’Evert Larock, également membre d’Als ik kan, puis du groupe dit des XIII, une scission. Voici L’escarbilleur, ainsi que L’idiot, deux œuvres éminemment marquées par l’impressionnisme, mais où le positionnement se veut naturaliste, preuve encore une fois de l’aisance à construire des ponts entre les deux approches.

    Tout cela témoigne d’une grande vivacité culturelle, d’une véritable recherche d’une expression nationale, mais l’absence d’orientation réaliste fut le véritable problème, non résolu en raison de l’incapacité du Parti Ouvrier Belge à indiquer le chemin.

    >Sommaire du dossier

  • La peinture naturaliste belge et l’assimilation aux impressionnistes

    Le passage à l’impressionnisme, au symbolisme, se fit par conséquent de manière toute naturelle. Dès février 1886, à l’occasion du salon des XX, on trouve dans L’Art moderne un éloge de l’impressionnisme, c’est-à-dire de l’expression du subjectivisme français.

    L’impressionnisme est considéré comme une évolution naturelle de l’Art, évolution dont les lois restent inconnues mais qu’il faut accepter.

    On lit :

    « Et l’Impressionnisme fut officiellement reconnu, comme l’avait été le Réalisme qui le précéda et qui favorisa son éclosion, comme aussi le Romantisme, et le Classicisme, irrévérencieusement dénommé actuellement Pompiérisme.

    Il marque une évolution dans l’Art de la peinture. Il est le dernier tour de roue de ce vaste engrenage, toujours en mouvement, dont aucune force humaine ne pourrait entraver le fonctionnement, qu’il est aussi puéril d’attaquer qu’absurde de nier.

    Il correspond aux lois, plus mystérieuses encore, qui gouvernent la transformation des sociétés dans leurs goûts, leurs idées, leurs aspirations, leur idéal.

    Peut-être des influences physiques se mêlent-elles aux causes morales qui opèrent ces lentes, fatales, inéluctables évolutions. Question complexe, difficile à résoudre avec précision.

    Le bon sens indique l’attitude à prendre : examiner avec soin les phénomènes auxquels le hasard des événements nous fait assister, en noter scrupuleusement les phases, observer les distinctions que crée la diversité des races parmi ceux qu’emporte le courant.

    De ces documents naîtra l’histoire de l’Art contemporain. Et à cet égard, le Salon des XX fournit une merveilleuse occasion de s’instruire, attendue d’ailleurs de tous ceux qui ont pénétré le but social énergiquement poursuivi par la jeune association. »

    Une semaine après, on lit encore dans L’Art moderne, dans un article prolongeant cette exposition de l’impressionnisme :

    « On s’est efforcé en France, de trouver en peinture la réalisation d’une idée neuve : celle d’exprimer la sensation que provoque la nature, non pas étudiée à travers des souvenirs ou examinée à la lumière des lanterneaux d’ateliers, mais surprise dans l’air qui la caresse, sous le jour qui la baigne ; on a décomposé le prisme solaire pour faire vibrer sur la toile l’éclat du soleil ; on a poussé jusqu’aux recherches les plus minutieuses les dégradations du ton par la lumière, au lieu den donner l’illusion par l’opposition des clairs et des ombres, comme l’avaient fait des artistes – des plus grands – autrefois.

    Le groupe des impressionnistes est né. Est-ce bien le nom qui convenait à ces amants de la lumière ? Et n’eût-il pas fallu plutôt les baptiser « luministes » ? Mais qu’importe l’étiquette ! Nous avons dit déjà qu’on n’y doit pas prendre garde.

    Et ce groupe a produit des œuvres remarquables, d’une clarté et d’une intensité qui n’avaient guère été égalées avant lui (…).

    A Paris, il n’est plus contesté que par les ignorants et les imbéciles.

    Il interprète, disons-nous, la nature comme il la sent. C’est ce que font aussi nos impressionnistes. Mais la diversité des tempéraments et de races crée entre Claude Monet – et en parlant du chef nous entendons parler du groupe tout entier – et les impressionnistes belges des divergences profondes.

    Nos compatriotes ont un sentiment plus raffiné des colorations.

    Ils sont, sans contredit, plus peintres au sens exact du terme. La qualité des tons est, chez eux, plus riche ; leurs rapports sont plus harmonieux ; les accords dont retentit leur palette sont plus sonores, plus graves. A ce point de vue, la balance penche de leur côté.

    Et s’il fallait chercher, dans la peinture contemporaine, une famille artistique à laquelle se puissent rattacher, par des liens d’affinité, nos artistes, c’est vers la jeune école hollandaise, non pas vers l’art français, qu’il conviendrait de tourner les regards.

    En revanche, quel exemple que l’exacte expression des valeurs dans les toiles profondes, bien établies et solidement charpentées de Claude Monet !

    Les plans sont tous indiqués, « calés » comme on dit en argot d’atelier. Rien n’est laissé au hasard de la brosse ou du couteau à palette. Et le côté superficiel, décoratif, qu’on reproche à certains peintres belges, est rarement sensible chez leur confrère de Giverny.

    Quelle belle et suprême expression d’art réaliserait celui qui parviendrait à unir la claire, limpide et calme vision de Monet, sa science et son autorité, au savoureux régal de couleurs, aux délicates harmonies des impressionnistes belges ! Mais quel sera le tempérament assez complet pour accomplir ce prodige ? »

    En juin 1886, on lit un article intitulé pas moins que « Les vingtistes parisiens », où les impressionnistes sont assimilés aux vingtistes et inversement. Il est affirmé la chose suivante :

    « Il y a, en effet, à Paris, loin de cette esplanade de parade qu’on nomme le Salon, un champ de bataille où l’on mitraille l’esthétique bourgeoise, où l’on sabre les conventions académiques, et le drapeau qu’agitent les victorieux ressemble fort à celui que certain groupe d’artistes bruxellois, pas mal bousculés à l’origine, aujourd’hui certains du triomphe, ont audacieusement déployé.

    Là-bas, comme ici, il signifie : affranchissement de l’art à l’égard des formules dans lesquelles on l’emprisonne ; expression sincère d’une émotion ressentie ; dédain des petits moyens par lesquels on séduit les foules ; indifférence absolue au sujet des distinctions par lesquelles on classe les artistes, comme les commis dans les ministères.

    A Paris, on a baptisé Impressionnistes ceux que ce drapeau a ralliés. A Bruxelles, on les nomme Vingtistes.

    Et ce double néologisme sonne comme un appel de clairon aux oreilles des timorés. »

    Cette assimilation à l’impressionnisme, nécessaire de par la tendance au subjectivisme, formant une convergence avec la France, n’alla pas sans problèmes.

    >Sommaire du dossier

  • La peinture naturaliste belge et le refus de tout positionnement par les XX

    Cette tendance à l’impressionnisme, au symbolisme, était irrépressible. Le grand groupe des artistes prétendument rebelle, soutenu à bout de bras par la revue L’Art moderne, les XX, n’avait même pas de programme, étant dans le même esprit que les revues d’avant-garde d’alors.

    Grâce à Octave Maus, le groupe des XX put même exposer au Palais des Beaux-Arts, ce qui signifiait également qu’il y a l’aval du gouvernement. C’est d’ailleurs un haut fonctionnaire lié au gouvernement, Victor Bernier, qui fit office de trésorier des « vingtistes ».

    Et on retrouve Vincent Van Gogh, figure du subjectivisme en peinture, comme invité des vingtistes. A leur Salon de 1890, il présente Le Lierre, Verger en fleurs (Arles), Champ de blé au soleil levant (Saint-Rémy) et également La Vigne rouge, qu’il parviendra à vendre : ce sera la seule vente d’un tableau de son vivant. Au passage, le vingtiste Henry de Groux sera exclu pour avoir refusé de l’accueillir.

    Après la mort de Van Gogh la même année, les vingtistes organisèrent même une rétrospective avec huit toiles et sept dessins à leur Salon de 1891. On est là dans un esprit tout à fait éloigné du réalisme, les artistes se posant par ailleurs comme entièrement indépendants de toute perspective réfléchie, voire comme entité autonome socialement.

    Dans le journal Le Progrès du 10 février 1887, Georges Rodenbach peut de fait constater dans l’article consacré qu’à l’exposition annuelle des « vingtistes », on y trouvait :

    « le Tout-Bruxelles artiste, les gens qui connaissent les peintres, qui aiment du Wagner et mettent sur leur guéridon le dernier roman de Paris »

    C’est significatif, car l’exposition de l’année précédente avait été un réel succès, 8 000 personnes y venant, les œuvres étant vendues, dans un contexte d’explosion sociale où les « vingtistes » apparaissaient aux conservateurs comme de dangereux agitateurs en phase avec l’esprit anarchiste, tout en étant en pratique totalement intégré dans la vie institutionnelle, conventionnelle, du pays.

    En février 1887, dans L’Art moderne, l’article « Le vingtisme » remet même en cause le terme lui-même si jamais il doit signifier un positionnement. On lit :

    « Qu’est-ce que, d’ailleurs, que le Salon des XX, sinon un épisode de la grande bataille périodique des idées neuves contre la routine, bataille invariablement gagnée par celles-là contre celle-ci ?

    Et n’est-il pas vrai que tout ce qu’on dit, tout ce qu’on écrit, tout ce qu’on fait pour ou contre les évolutions artistiques n’en modifie pas un instant la marche ?

    L’erreur que, seule, il importe de dissiper, gît dans un malentendu sur la signification de ce mot, dont la sonorité paraît si redoutable à certaines oreilles : Le Vingtisme.

    Néologisme bizarre, qui a fait fortune grâce à ceux qu’il exaspérait, et désormais si bien enraciné dans la langue qu’il serait impossible de l’en arracher.

    On l’a considéré comme la qualification d’une doctrine ou d’une école. D’une école ! Alors que les XX, comme tous les partisans de l’art nouveau, proclament que les écoles sont pernicieuses et empêchent l’essor artistique.

    « Ce MONSTRE qui s’appelle Vingtisme », disait gravement un journal de province, l’an passé. Et à ce terme on a rattaché tout ce qui existe de violent, de tumultueux, de révolutionnaire, d’anarchiste. Vingtisme et pétroleur sont, pour certaines gens, termes synonymes.

    Enfin, un critique a fait une découverte et a terminé son compte-rendu par cette trouvaille : « Il n’y a pas de Vingtisme. Il n’y a que des Vingtistes ». A la bonne heure ! Vous y êtes, cher Monsieur. Nous nous sommes épuisés à le crier depuis quatre ans (…).

    Jamais, au grand jamais, les XX n’ont songé à constituer un groupe uni par des affinités de vision et de facture (…). Les XX ont à cœur, au rebours de ce que soutiennent les ignorants et les myopes, de prouver que l’Art n’est pas cantonné dans UNE FORMULE DÉTERMINÉE (…).

    Alors, pas de lien entre les Vingtistes ? Des artistes réunis par hasard ! Des peintres qui, s’étant rencontrés au détour d’une rue, se sont dit : « Si nous exposions ensemble ? »

    Pardon. Nous avons dit : Les XX ne constituent pas une ÉCOLE. Ce ne sont pas les protagonistes d’une DOCTRINE. Et nous avons ajouté : ils n’ont pas la MÊME TECHNIQUE.

    Mais il existe entre eux une affinité plus étroite et d’un ordre supérieur, sorte de parenté intellectuelle qui, depuis quatre ans, période déjà longue pour une association de ce genre, les a rapprochés.

    C’est, tout simplement, une commune aspiration vers un art sincère, libre, personnel, celui qu’on pourrait formuler en ces termes : l’étude et l’interprétation directe de la réalité contemporaine par l’artiste se laissant aller librement à son tempérament, et maître d’une technique approfondie. »

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  • La peinture naturaliste belge, Léon Frédéric et le réalisme de l’espoir

    La tendance à l’impressionnisme en lieu et place du naturalisme se combine historiquement avec une tendance au symbolisme. Le parcours du peintre Léon Frédéric (1856-1940) est ici tout à fait significatif.

    Si c’est un peintre symboliste belge majeur, il part initialement du naturalisme, dans une optique sociale allant jusqu’à l’engagement, voire une vraie perspective réaliste. C’est indéniablement un artiste incontournable de la Belgique.

    Voici Les âges de l’ouvrier, datant de 1895-1897, formant un triptyque rappelant les œuvres religieuses flamandes ayant très apprécié cette forme. On remarquera, dans le tableau du milieu, un cortège funéraire s’éloignant à l’arrière-plan, le drapeau rouge présent témoignant qu’il s’agit d’un rassemblement ouvrier en l’honneur d’une victime de la répression ayant frappé le mouvement pour le suffrage universel en 1893. Il y a également une petite fille habillée en rouge au premier plan.

    On notera aussi dans le tableau de droite qu’est présent le palais de justice surplombant le quartier populaire bruxellois des Marolles, on peut aussi voir la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule.

    Dans celui de gauche, il y a d’ailleurs la prison de Saint-Gilles.

    Le tableau central montre également l’hôpital Saint-Pierre – un lieu de passage pour les ouvriers – et la tour de l’Hôtel de Ville, symbole du pouvoir municipal, haut lieu de lutte, et symbole historique de la ville, de la bourgeoisie, par rapport à l’aristocratie.

    Voici le tableau Le peuple, un jour, verra le soleil, de 1890-1891, ainsi que L’âge d’or, tous deux dans le même esprit d’une lecture sociale pleine d’espoir.

    Le repas des funérailles, de 1886, est de facture plus classiquement naturaliste. On retrouve l’approche sobre d’un côté, mais également misérabiliste de l’autre, avec une touche de romantisme national de par la visibilité de la vie quotidienne.

    On a la même approche pour ’S zondags vóór de mis (Le dimanche avant la messe) ou encore Boerenmaaltijd (Le repas des paysans).

    Léon Frédéric a également fait une série très intéressante de portraits, qui tendant à une certaine représentation synthétique, avec Les Âges du paysan.

    On a ici Les vieillards, Les époux, Les promis, Les fillettes, Les garçons.

    Un autre triptyque est véritablement intéressant : Les marchands de craie (Volet gauche : Le matin. Centre : Midi. Volet droit : Le soir).

    Voici également La femme à loques (les ramasseuses d’escarbilles)Repas de Noël à l’hospiceL’enterrement d’un paysanLe paysan mortLe retour de la processionRhododendron en fleurLes trois sœurs.

    Le prolongement de cette approche marquée par le misérabilisme finit par aboutir tout droit à l’idéalisme mystique. Léon Frédéric rejoignit le Salon d’art idéaliste, l’équivalent belge du mouvement symboliste Rose Croix de Péladan en France.

    Il y a en même temps une sensibilité sociale, en même temps un esprit d’engagement incapable de saisir la réalité et basculant dans l’espoir religieux.

    Le triptyque Le ruisseau (Volet gauche : Le glacier – le torrent. Centre : Le ruisseau. Volet droit : L’eau – l’eau dormante), dédié à Beethoven, est un bon exemple de cela.

    Que dire également du triptyque Tout meurt mais connaîtra la résurrection par l’amour de Dieu ?

    Léon Frédéric, qui venait d’une famille aisée, a connu un succès certain. Bruxelles lui commanda une grande fresque, Le départ des conscrits, pour la salle des milices de l’Hôtel de ville. Il obtint également une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889, ainsi qu’à celle de 1898.

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  • Émile Claus et le «luminisme»

    Il est évident qu’avec une base si précaire, la peinture naturaliste belge était particulièrement poreuse au subjectivisme, à l’impressionnisme. La dégradation des quelques éléments du réalisme était inévitable, au-delà même d’une lecture réductrice de la réalité comme celle de Constantin Meunier.

    Ainsi, Émile Claus s’éloigna d’un naturalisme marqué par le réalisme pour passer dans une forme ouverte d’impressionnisme. Le vieux Jardinier, de 1885, est un exemple de naturalisme tentant une forme de réalisme, au sens de quelque chose de typique ; on retrouve néanmoins ce goût de l’expérimentation allant pratiquement au pittoresque comme chez Émile Zola.

    Voici Vlaswieden in Vlaanderen (Désherbage manuel du lin en Flandre), de 1887, qui est dans le même esprit.

    Hanengevecht in Vlaanderen (Combat de coqs en Flandre) illustre bien ce regard incapable d’arriver à une dignité universelle, de dépasser le particulier.

    N’étant pas en mesure d’assumer un réalisme national, la perspective d’Émile Claus fut happé par le subjectivisme élaboré en France. Camille Lemonnier écrivit un ouvrage sur Émile Claus ; il y souligne l’influence parisienne pour ce peintre qui va devenir un tenant du « luminisme ».

    « Paris avait été pour lui l’éveilleur. Il y vient d’abord, en passant des Salons où il expose ; puis ses séjours se prolongent.

    En 1889, il loue un atelier au boulevard des Batignolles ; il s’y sent à l’étroit et s’installe rue Dautencourt : chaque hiver, pendant trois ans, l’y ramène après ses tranquilles et laborieux étés d’Astene.

    Cette vie de fièvre et de passion l’exalte, il y trouve l’exemple de la leçon des maîtres. Il revit les heures héroïques de l’art des Manet, des Monet, des Sisley, des Pizzarro, des Renoir. Ceux-ci déjà à cette époque sont entrés dans la gloire et triomphent, mais sans cesser de combattre (…).

    La lumière qui, dans la nature, fait vivre l’homme, les faunes et les végétaux, n’avait commencé à vivifier le paysage qu’avec Manet, Cézanne, Monet, Sisley, Pizzarro (…).

    Tout cela, certes, n’alla pas sans des critiques assez vives : on voulut y voir un art plus paradoxal que spontané : on parut regretter à la fois une perversion de l’optique usuelle et une altération du sens du paysage selon la tradition. »

    Émile Claus assuma ainsi le « luminisme », c’est-à-dire un néo-impressionnisme.

    Voici, comme illustration de cette tendance allant de la vision naturaliste à la lecture par « impression », Jeunes paysannes marchant sur les bords de la Lys, de 1887, ainsi que De Bietenoogst (La Récolte des betteraves), de 1890.

    Voici, témoignant de cette vision par « éclairage », Zomer (L’été), de 1893, Vaches traversant la Lys / Passage des vaches de 1899, ainsi que Le portrait de Madame Claus, de 1900, et Portret van Jenny Montigny (Portrait de Jenny Montigny, sa nièce, qui deviendra elle-même peintre), de 1902.

    Voici également Zonnige dag (Jour ensoleillé) de 1895, De vlasoogst (La récolte du lin) de 1904, Hooiberg (Meule de foins), de 1905.

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