Le califat abbasside comme synthèse arabe, perse, grecque dans le cadre du féodalisme impérial oriental

La première grande entité politique issue de l’émergence de l’Islam est le califat omeyyade, qui fut par ailleurs relativement bref, existant de 661 à 750, mais il parvient à élargir de manière marquée les conquêtes initiales du tout début de l’Islam.

La dynastie omeyyade fait la conquête de la Syrie et de l’Égypte, mais aussi de la Perse, et s’installe à Damas, ville arabe mais pénétrée de la culture grecque par l’hellénisme syriaque.

Le califat omeyyade en 750, avec en orange l’unification arabe avec Mahomet, en orange clair les conquêtes des trois premiers califes (632-656), puis celles de la dynastie omeyyade (661-750) – l’empire romain byzantin est en vert

Il se produit alors un phénomène particulièrement marquant. D’un côté, en Syrie, en Égypte, et dans le Caucase, l’islam reste minoritaire jusqu’au XIIe siècle. De l’autre, il se répand avec succès en Perse, notamment auprès de l’ancienne aristocratie persane.

Cette différenciation peut s’expliquer comme suit. L’Islam est une religion militaire et son organisation repose sur une dynamique tribale-conquérante. Les villes naissent ainsi sur le tas, comme accroissement numérique de garnisons établis en un endroit.

Dans les territoires où il y avait une grande division et un éparpillement, il y a une résistance passive à l’occupation ; dans les territoires où il existe des forces relativement fortes, il y a une résistance active.

C’est ce qui fait qu’en 750 la dynastie des Abbassides prend le pouvoir dans le monde islamique. Elle profite d’un appui persan, notamment depuis la région du Khorassan, et reprend d’ailleurs de manière marquée des traits de l’empire perse.

En effet, il y a la mise en place d’une administration extrêmement développée, allant jusqu’à la bureaucratie.

C’est une modernisation sans pareille par rapport à l’arriération tribale des Arabes. On peut considérer le califat abbasside comme une expression de la shu’ubiyya, une révolte générale des non-arabes au IXe siècle, principalement des Perses, au nom de l’importance de leur propre culture.

Le terme trouve sa source dans la Sourate 49 du Coran, Les appartements privés :

« Ô hommes Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle. Nous vous avons partagés en peuples [Shu`ûb] et en tribus [Qabâ’il] afin que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble devant Dieu est le plus pieux. Dieu est omniscient et instruit de tout. »

Il faut noter ici le rôle d’Ibn Al-Muqaffa (vers 720-756), un auteur perse qui inaugure la littérature arabe non religieuse, avec une version en arabe de Kalîla wa Dimna, elle-même la version persane des fables du Pañchatantra, dont s’inspirera Jean de la Fontaine par la suite.

Cela montre d’ailleurs que les commentateurs bourgeois n’ont pas du tout compris les Fables de La Fontaine, qui ne sont pas du tout une critique du roi, mais au contraire, en tant qu’œuvre pour le dauphin un « miroir des princes », une œuvre éducative pour savoir comment se comporter.

Manuscrit arabe de Kalîla wa Dimna copié en Syrie en 1220 (avec les deux chacals: Dimna est à gauche et Kalîla à droite)

C’est le sens de la perspective indienne initiale et d’ailleurs Ibn al-Muqaffa est l’auteur d’un ouvrage majeur, Al-Adab al-kabîr, le grand adab définissant l’étiquette à la court, dans le prolongement des manières de l’empire persan. Le terme adab va ensuite de fait désigner dans le monde islamique la correction des gens éduqués, poursuivant dans le nouveau cadre les valeurs de la paideia hellénistique sur le fond.

Ibn al-Muqaffa mourra par contre à 36 ans, victime des violentes batailles pour le pouvoir au sein de la nouvelle élite. Il en ira de même pour la famille des Ibn al-Muqaffa, historiquement des dirigeants héréditaires bouddhistes devenant les grands conseillers des débuts du califat abbasside, contrôlant de fait même le califat avant de se voir écraser par le cinquième calife Hâroun ar-Rachîd.

On notera que ce dernier fit systématiser l’usage du papier au lieu du parchemin dans l’administration de l’empire, à la suite de la découverte de la technique de la production du papier à la suite de la victoire sur les forces chinoises en 751 à la bataille de Talas (à la frontière actuelle entre le Kazakhstan et le Kirghizistan).

Présentation sommaire de l’emplacement de la bataille de Talas

Car s’il y a progrès par la synthèse culturelle sur le territoire de l’empire, cela formait en même temps tout un appareil mi-califat mi-empire, avec non plus simplement un ville-garnison, mais une capitale-ville-garnison au service d’un calife gérant de manière féodale un immense territoire en expansion.

C’est de là que vient tout le principe du calife, avec son vizir, les batailles pour renverser le vizir, ou le calife, ou les deux, etc.

La capitale instituée, Bagdad, va ainsi se développer de manière formidable, devenant une plaque commerciale de grande envergure, étant la première ville au monde à passer la barre du million d’habitants, entre le VIIIe et le IXe siècle. Elle est d’ailleurs à une trentaine de kilomètres de l’ancienne capitale sassanide, Ctésiphon.

Bagdad entre 767 et 912

Elle aspire aussi de fait les forces culturelles accumulées à Gundishapur, faisant passer plus largement les connaissances du syriaque à l’arabe, et avec elles en particulier, les concepts et les valeurs de l’hellénisme.

On a alors tout un développement systématique des traductions autour des chrétiens syriaques de l’Église nestorienne, dont la christologie était parallèle aux prétentions impériales du califat des abbassides, et donc jusqu’à un certain point compatible avec lui. La principale figure est ici Hunayn Ibn Ishaq (vers 808-873), qui poursuit les traduction du grec vers le syriaque menées depuis le Ve siècle par Serge de Reshaina, et les étend vers l’arabe.

La maîtrise du grec et de l’arabe est alors une capacité de grande valeur, que le calife Al-Ma’mūn (786-833) faisait payer au poids pour stimuler la production. Les traducteurs syriaques jouent ici un rôle central de par leur double maîtrise de ces langues.

Représentation arabe du 12e siècle d’une bibliothèque du califat abbasside (les livres sont couchés à plat, le titre étant sur la tranche)

La transformation de la langue arabe est alors rapide et profonde, ainsi que le rapporte Al-Jahiz (vers 776-867), qui fut le plus grand partisan de l’hellénisation de la langue arabe, et l’auteur du fameux Kitāb al-hayawān (Livre des animaux). Ressentant le chemin qui restait à parcourir pour faire de l’arabe une langue conceptuelle en mesure de remplacer le grec, il présente ainsi les traductions de son époque et leur effet sur sa langue :

« Si celui qui écrit bien en grec est traduit par celui qui écrit bien l’arabe et si l’arabe est moins éloquent que le grec, le contenu et la traduction ne présenteront pas d’insuffisances et le grec se devra de pardonner à l’arabe le manque d’éloquence dans la traduction arabe. »

Ainsi, absorbant l’héllénisme par le syriaque d’une part et toute la culture persane d’autre part et même au-delà d’elle, une partie des cultures indiennes, la langue arabe devient dès lors véritablement une langue conceptuelle en mesure de porter un nouvel élan civilisationnel, appuyé par la formidable concentration urbaine que constitue Bagdad.

Le géographe al-Yaqûbi (mort vers 897) commence ainsi par Bagdad sa description du monde produite au IXe siècle, allant même à la surnommer le « nombril de la Terre », centre physique de l’Humanité, tout comme La Mecque consistuerait son centre métaphysique.

Et, dans cette démarche de sur-accumulation urbaine et bureaucratique, on trouve Abū Yūsuf Yaʿqūb ibn Isḥāq al-Kindī, connu en Europe sous le nom d’Alkindus et surtout d’Al-Kindi.

Il est né à Koufa en 801, étudiant à Bassorah où son père avait été le gouverneur et décédé à Bagdad en 873 – les trois principales villes du monde islamique d’alors, toutes naturellement nées initialement comme garnison, comme « ville-camp ».

Et c’est lui qui est au cœur de ce qu’on va appeler la Falsafa, la philosophie arabo-persane, de base islamique mais grecque de substance, puisque la principale référence est Aristote, avec certaines influences de Platon.

Aristote dans une  miniature d’un manuscrit arabe du XIIIe siècle

Le monde islamique a récupéré, de manière systématisée, les textes de Platon et d’Aristote, développant leurs points de vue parallèlement à une intense activité scientifique (médecine, al-chimie, astronomie, mathématiques, musique, géographie, histoire, etc.).

Al Kindi va même, pour cette activité, obtenir l’appui de trois califes abbassides.

Le calife Al-Ma’mūn (786-833) est ainsi à l’origine des « maisons de la sagesse » (Dâr al-Hikma ou Beit Al-Hikma), qui servent de bibliothèques et de bases pour tout ce que le califat compte de gens tournés vers les sciences. Cela va permettre une confluence de tous les apports grecs et indiens, ainsi que persans.

Al-Ma’mūn envoyant une ambassade à l’empereur Théophile dans la chronique du 11e siècle de Jean Skylitzès

Al-Ma’mūn fit construire un observatoire à Bagdad, alors que pour un traité de paix avec Byzance il exigea une copie de l’Almageste, ouvrage du IIe siècle de Claude Ptolémée rassemblant toutes les connaissances en mathématiques et en astronomie de l’époque.

Il soutint le mathématicien Muhammad Ibn Mūsā al-Khuwārizmī (vers 780-850), qui vécut ainsi à Bagdad : le mot algorithme vient de son nom latinisé, Algoritmi, alors que l’un de ses ouvrages a donné le mot algèbre (Kitāb al-mukhtaṣar fī ḥisāb al-jabr wa-l-muqābala, Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison).

Muhammad Ibn Mūsā al-Khuwārizmī était par ailleurs astrologue, astronome et géographe, dans la tradition de la culture islamique exigeant une culture très avancée de type polymathe, c’est-à-dire dans de multiples domaines.

Première page de l’Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison, vers 863

Al-Ma’mūn fit même en sorte qu’en 827, l’interprétation officielle de l’Islam sunnite soit dans le califat ce qu’on appelé le mutazilisme, portés par le « Peuple de la justice et de l’unicité divine » (Ahl al-ʿadl wa al-tawḥīd), avec une grande insistance sur le libre-arbitre et le rationalisme dans le rapport à la religion.

L’émergence de ce courant repose sur une position intermédiaire par rapport à la « faute grave » (kabira), c’est-à-dire la considération qu’un musulman effectuant une telle faute grave ne sort pas de l’Islam, mais ne peut pas être accepté comme musulman en tant que tel.

C’était le reflet du besoin du Califat de trouver une position centriste face à toutes les innombrables factions musulmanes causant de très graves troubles politiques. Cela accordait également aux lettrés une position privilégiée, puisque apportant des connaissances rationnelles utilisables à la compréhension de la religion.

Enfin, c’était un moyen de cimenter les Arabes et les convertis, sur une base nouvelle, non plus simplement arabo-tribale.

La bannière du califat abbasside était entièrement noire, étant appelé l’étendard de l’aigle ou simplement de l’étendard et ayant déjà été employé par Mahomet

Et, pour bien asseoir ce positionnement pragmatique pro-interprétation, le mutazilisme rejeta le principe du Coran incréé, au nom de l’unicité divine : un Coran qui aurait toujours co-existé à Dieu serait incompatible avec l’unité divine, ce serait un « associationnisme ». Une telle analyse plaçait le Coran au second rang et empêchait toute focalisation littéraliste en sa direction.

Il fallait passer par le raisonnement et donc par l’appareil administratif-religieux central qu’était le califat.

Al-Ma’mūn et ses deux successeurs Mu‘tasim (833-842) et Wathiq (842-847) tentèrent même d’écraser par la force les courants réfutant le rationalisme théologique et la position « intermédiaire », mais ce fut un échec et le califat islamique sunnite ne se remit substantiellement jamais de l’échec de cette perspective réellement impériale.

L’influence d’Ahmad Ibn Hanbal (780-865), le principal ennemi du mutazilisme, ne cessa alors pas, avec comme point d’orgue l’insistance sur l’interprétation littéral du Coran placé au centre de toute réflexion.

Cela produisit toutefois un espace suffisamment large pour l’émergence des philosophes musulmans puisant chez les Grecs, levant le drapeau matérialiste d’Aristote, alors que cette « Falsafa » arabo-persane servira ensuite de passeur de philosophie pour l’Europe qui, grâce à cela, produira l’humanisme et s’arrachera au moyen-âge.

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le matérialisme d’Aristote et le califat abbasside

Les empires romain et persan à la veille de l’émergence de l’Islam

Au cours des IIIe – IVe siècles, le monde connaît des changements de grande envergure.

Les innombrables querelles autour de la figure du Christ marquant cette époque reflètent toute une instabilité au cœur de l’empire romain, dont la contradiction interne est irrésolue et non résoluble : d’un côté, les conquêtes forment une modalité impériale à prétention universelle, de l’autre l’esclavage avec sa déshumanisation particulière est la base du mode de production de ce même empire.

Plus largement, deux empires vont s’affirmer alors, prenant le relais de l’empire romain antique qui se pensait jusque-là comme une fédération de cités esclavagistes autour de Rome comme métropole suprême et de son empereur, dont le culte universel était censé garantir l’unité de l’ensemble.

On a ainsi déjà l’empire romain lui-même, totalement réformé sous l’égide de Constantin Ier (306-337).

Tête du colosse en bronze de Constantin
IVe siècle, musées du Capitole

L’État passe en effet tout entier dans les mains de l’aristocratie militaire impériale et impose partout une administration civile centralisée visant à unifier le droit et le fisc. De ce fait, l’ensemble des populations se voit considérer comme membre d’une même Cité, rassemblées dans une même Église, au sens littéral d’assemblée, de troupeau, devant parvenir à dépasser la question de l’esclavagisme sous sa forme antique.

Pour marquer cette refondation, Constantin fonde en 330 une nouvelle « Rome » comme capitale de l’Empire : Constantinople, établie sur le site de l’antique cité grecque de Byzance. Cette nouvelle ville représente la synthèse d’une idéologie à la fois religieuse et étatique, s’appuyant sur la religion chrétienne, qualifiée de « césaro-papisme », dont la marque sera déterminante pour l’époque du féodalisme.

Dès lors, Constantinople est la capitale impériale et les autres villes perdent de fait leur statut de « cités ». Elles passent progressivement sous la coupe de la figure de l’évêque, recruté dans les grandes familles aristocratiques dominantes.

L’empire romain à la mort de Constantin Ier

Toutes les résistances à ce processus sont écrasées, notamment dans les grandes agglomérations de Syrie : Antioche ou Édesse, ou en Égypte, avec Alexandrie. Les préceptes religieux sont uniformisés, par l’intermédiaire de grands conciles dits œcuméniques, aux dépens de variantes locales dissidentes, telles celles d’Antioche ou d’Édesse (Église nestorienne et jacobite en Syrie), de Cappadoce (Église grégorienne en Arménie) ou d’Alexandrie (Église copte et Église arienne, et d’autres encore).

Ce processus fut prolongé au cours des Ve et VIe siècles, avec une série d’empereurs (Théodose, Justinien, Maurice, Zénon et Héraclius), et un droit unifié établi à travers des codes, dont le plus connu est le code Justinien. Dans le même temps, le grec remplace peu à peu le latin, qui ne se maintient que dans les parties occidentales conquises par les « barbares » germaniques, qui s’ancrent dans le giron de la romanité chrétienne, mais en la transformant dans une autre direction.

Justinien sur une mosaïque de l’église San Vitale de Ravenne en Italie

Concernant les parties formellement « romaines » maintenues sous l’autorité directe de Constantinople, cela impliquait toutefois de faire également le tri dans tout ce qui relevait de l’héritage héllénistique antique, c’est-à-dire la période de culture grecque au sens le plus large allant d’Alexandre le grand jusqu’à la domination romaine, soit entre 323 avant notre ère et 30 avant notre ère, puis de cette date à celle de la christianisation « impériale » imposée par Constantin et ses sucesseurs.

En Syrie, en Égypte et en Anatolie, les « académies » de l’hellénisme traditionnel sont réprimées ; Justinien ferme les écoles de philosophie athéniennes, celles d’Alexandrie subissent le même sort, comme l’illustre le massacre par les chrétiens d’Hypatie, une philosophe, astronome et mathématicienne.

Ivoire Barberini avec l’empereur Justinien triomphant, probablement vers 540-550

Pareillement, les écoles d’Antioche et d’Édesse sont fermées et leurs maîtres, philosophes des pensées traditionnelles ou chrétiens hérétiques, sont chassés.

Un nouvel hellénisme, universaliste et officiel s’impose, sous la forme idéologique du christianisme catholique et orthodoxe et dans le cadre de la monarchie impériale, appuyé par un droit civil uniforme et une armée centralisée. Les figures intellectuelles de cette époque sont les « Pères de l’Église ».

Ce processus n’est évidemment ni uniforme ni complet, les capacités de l’État central restant relatives de par les conditions historiques, ce qui fait que des particularismes locaux, égyptiens, syriens et dans une moindre mesure arméniens, se maintiennent largement.

Cette affirmation impériale à la suite de Constantin connaît toutefois un pendant, avec la Perse. Celle-ci s’appuyait sur une grande tradition déjà, elle avait affronté la Grèce, Alexandre le grand, puis Rome.

La dynastie des Sassanides, qui contrôlait l’empire perse à partir de 224, maintint cette démarche d’isolement, systématisant son propre patrimoine, faisant du mazdéisme de Zoroastre la religion d’État.

La carte de l’Empire sassanide, avec tout à l’Ouest en son sein l’Arménie juste avant l’empire romain byzantin, et à l’Est l’empire indien gupta (320-550)

Sa référence officielle était d’ailleurs la dynastie des Achéménides (559-330 avant notre ère), dont elle se prétendait l’héritière directe ; le premier sassanide Ardachir Ier, qui se fit « Sāhān Sāh » (c’est-à-dire roi des rois) et fonda la capitale impériale de Gur, prétendait agir comme successeur immédiat du prêtre Sassan, censé être un descendant du dernier achéménide, Darius III.

L’Empire sassanide mena de larges conquêtes, cependant elle restait fondamentalement élitiste, s’appuyant sur une aristocratie fermée où même la religion possédait une dimension hermétique-initiatique.

La raison historique est la suivante. Sauf sur ses marges orientales du Khorassan et occidentales de Mésopotamie et du Caucase, et ponctuellement sur le plateau persan ou le long de la Caspienne, l’Empire perse restait marqué par le nomadisme et l’élevage pastoral et il était complètement ouvert aux assauts des nomades indo-européens, ou de plus en plus turco-mongols, des steppes d’Asie centrale.

Il était donc impossible de forcer l’unification par en haut, étant donné qu’il fallait maintenir une certaine stabilité dans les communautés agricoles (du Caucase et de l’actuel Azerbaïdjan) et dans les villes de Mésopotamie.

L’Empire perse fit pour cette raison le choix contraire de l’Empire romain de Constantin, acceptant le caractère multiple de l’empire, se contentant d’un féodalisme tributaire.

Tour de pierre zoroastrienne sur le site archéologique de Naqsh-e Rostam (2 400 ans), où le roi sassanide Shapur Ier fit graver les hauts faits de son règne sur trois côtés, à chaque fois dans une langue parlée dans l’empire: le grec, le parthe, le perse (à l’arrière-plan le mausolée de Darius II)

Il alla même jusqu’à encourager les courants chrétiens dissidents de l’empire romain afin de les satelliser à son avantage, en particulier les Églises syriaques, jacobites et nestoriennes, qui connaîtront en Perse et en Asie centrale un large succès.

Dans le Caucase, les Églises locales sont également poussées à se couper des Romains et à développer leur propre alphabet en s’appuyant sur l’alphabet syriaque : c’est ainsi que sont formés les alphabets arméniens et géorgiens.

La nouvelle ville d’Antioche de Shapur, ainsi dénommée car fondée par le second roi sassanide Shapur Ier après la prise d’Antioche, et connue également sous le nom de Gondishapur, devint dans ce cadre au fur et à mesure un centre majeur de la connaissance, où se développe la philosophie dans le prolongement d’Aristote, les mathématiques, la médecine, l’astronomie.

La ville dispose du premier hôpital d’enseignement de l’Histoire, ainsi que d’une bibliothèque et d’un observatoire.

Un évêque et astronome (traitant notamment de l’astrolabe ainsi que des constellations), Sévère Sebôkht, y traduit notamment en araméen syriaque (c’est-à-dire l’araméen d’Édesse) les Analytiques d’Aristote et présente pour la première fois le principe des chiffres utilisés en Inde en mathématiques, qui sera dans la foulée repris par les mathématiciens arabes.

Art sassanide avec des bouquetins se confrontant, 5-6e siècles

La langue araméenne, notamment dans sa version syriaque y devient la langue scientifique, absorbant les concepts grecs et les transmettant au persan, mais aussi au géorgien et à l’arménien de cette époque.

Ayant digéré le christianisme dans ses versions dissidentes ainsi que la pensée philosophique grecque, la langue syriaque infiltre aussi largement à cette époque la langue arabe et les communautés juives de la région.

Concernant les Sassanides, cet élan participe de l’idée d’une restauration achéménide, dans le sens où l’araméen était déjà jadis la langue administrative de l’Empire, mais ici, la démarche va beaucoup plus loin sur le plan de la civilisation.

Il faut bien saisir qu’il y a une profonde dimension hellénistique dans cette démarche. Déjà, parce que la nouvelle ville d’Antioche de Shapur a comme premiers habitants des exilés ou des déportés chrétiens. Ensuite, parce qu’on retrouve tout un dispositif grec, celui de la paideia, c’est-à-dire d’une éducation des jeunes de l’élite dans sens spirituel-civilisationnel, avec comme perspective une manière de vivre codifiée.

Si l’on regarde le zoroastrisme ou les valeurs générales mêmes de l’empire persan, on retrouve cette approche grecque intellectuel-élitiste de formation de manière aristocratique d’hommes de décision, par une initiation mêlant formation intellectuelle, activités physiques et artistiques.

Une tombe zoroastrienne

On avance, en tant qu’homme supérieur, à travers des étapes initiatiques, tel un chevalier. Cette manière d’appréhender les choses va jouer de manière fondamentale dans l’élaboration de l’ésotérisme de l’Islam chiite par la suite, rencontrant notamment les pensées néo-platonicienne, stoïcienne et l’aristotélisme développées à partir du corpus helléno-syriaque constitué à partir de cette époque.

Et, donc, l’Empire perse va avoir une influence massive sur l’Égypte, la Syrie-Palestine, la Mésopotamie et le Caucase, bataillant pendant toute son existence avec l’empire romain mis en place par Constantin.

Les deux forces s’affrontent jusqu’à l’épuisement, alors que les tribus arabes s’unifient avec Mahomet, profitant des échos de cette vague culturelle unificatrice diffusée de manière concurrence mais complémentaire par ces deux empires.

Celui-ci constate d’ailleurs l’affrontement des deux empires, dans la sourate Ar-Rum, avec des propos allusifs et poétiques-mystiques. Les Perses avaient en fait pris Damas en 613 et Jérusalem en 614, pour être finalement défaits lors de la bataille de Ninive en 627.

Le champ était libre pour la conquête islamique de l’Empire persan, puis l’offensive contre l’Empire romain.

C’était une entrée dans le féodalisme à travers de nouveaux chemins pour l’hellénisme.

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le matérialisme d’Aristote et le califat abbasside

De la première à la seconde crise générale du capitalisme

À partir d’environ 1880, l’industrie américaine prend le dessus sur l’industrie britannique, prenant la première place dans le capitalisme mondial. Cela deviendra une véritable hégémonie en raison des effets de la première guerre mondiale.

En effet, cette dernière correspond à la première crise générale du capitalisme. La Russie a connu la révolution menée par les bolcheviks, l’Est de l’Europe est capitaliste mais exsangue, sans oublier souvent de terribles restes féodaux, l’Ouest de l’Europe est capitaliste de manière développée mais connaît un terrible marasme.

Et, si l’on regarde justement l’évolution de la production industrielle américaine, on peut s’apercevoir que malgré leur position dominante, les États-Unis ont eux-mêmes été frappés par la crise. Comme on le sait, c’est en 1929 que la crise générale du capitalisme est apparue au grand jour dans ce pas. Le graphique montre bien que la crise a porté un coup et même si l’on voit une certaine reprise avant 1940, il faut se rappeler que cela est dû à une intervention étatique massive, dans le cas de la marche à la guerre, puis par la guerre elle-même.

On a la même chose si on regarde l’Allemagne. On voit bien comment la première crise générale a cassé la croissance capitaliste et comment ce n’est qu’au milieu des années 1930 qu’il y a un redémarrage. Or, on sait que c’est par la marche à la guerre que l’Allemagne nazie a « relancé » la production industrielle.

En fait, et c’est une chose trop peu connue, voire inconnue, lors de la première crise générale du capitalisme, l’économie capitaliste a reculé. Il y a eu un recul de la production. C’est tellement vrai que cela a provoqué un chômage massif et donc une crise de surproduction de marchandises, avec des quantités énormes de marchandises qui ont tout simplement été détruites par les capitalistes eux-mêmes.

Le présent document dresse un panorama de cette première crise générale, avec de nombreuses données, pour présenter l’évolution depuis 1945, afin de bien de comprendre la nature de la seconde crise générale du capitalisme.

Le chemin vers la première crise générale

Rappelons les traits fondamentaux du capitalisme jusqu’à sa première crise, en Octobre 1917. Après une longue période d’émergence de la bourgeoisie, comme commerçants, artisans, marchands, banquiers, à travers l’émergence de la contradiction entre villes et campagnes, dont le protestantisme est une expression (avec Jan Hus, Martin Luther, Jean Calvin), la « révolution industrielle » a permis une grande croissance des forces productives.

Par « révolution industrielle », il faut entendre des apports scientifiques et techniques. Il suffit de penser à la formidable avancée que représente les montres. Impossible d’organiser le travail efficacement sans cela. La fascination fétichiste pour les montres au poignet reflète directement l’importance historique des montres pour la bourgeoisie, en termes d’organisation, de capacité de décision dans la production.

Avec ces apports, donc, les manufactures viennent remplacer l’artisanat des petits ateliers. Elles démolissent les traditions productives, pour instaurer une gigantesque division du travail, et par-là même socialiser le travail.

On a alors la véritable base d’une production hautement mécanisée, dans des conditions techniques et matérielles permettant une production en expansion. Les manufactures mécanisées occupent une place prépondérante dans l’industrie anglaise vers 1840, en Amérique vers 1860, en France vers 1870, en Allemagne vers 1880.

Dans le Manifeste du Parti Communiste, en 1848, Karl Marx et Friedrich Engels constataient déjà :

« La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses ; et plus colossales que l’avaient fait toutes les générations passées prises ensemble.
La domestication des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol – quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ? »

Ainsi, la bourgeoisie prend les commandes de l’ensemble de la société capitaliste au cours du XIXe siècle, liquidant la féodalité et ses restes, du moins dans les pays les plus avancés. Le processus est ainsi notamment déformé, retardé en Allemagne, en Italie, en Autriche-Hongrie, en Russie.

Il y a notamment le fait que les campagnes ne passent pas uniformément dans le capitalisme, mais sont dépendantes de superstructures féodales (Lénine oppose ainsi la voie américaine dans l’agriculture à la voie prussienne).

L’Angleterre est, dans cette « révolution industrielle », le pays du capitalisme le plus développé, ayant pris la place des Provinces-Unies (les Pays-Bas) qui avaient inauguré le processus en s’arrachant en 1579 au joug du féodalisme espagnol.

Néanmoins, la crise de 1873 est un premier coup de semonce et dans ce cadre, ce sont les États-Unis qui prennent la première place.

Le marasme va durer jusqu’en 1896, en étant marqué par une chute de production industrielle et agricole, le chômage, la faillite de moyennes entreprises, la baisse du commerce.

De manière contradictoire, la mise en place de nouvelles techniques grâce aux découvertes (l’électricité et ses appareils notamment) et le développement de certains secteurs dans l’industrie lourde – tels la métallurgie, la sidérurgie, les mines, la construction mécanique… – vont donner un nouvel élan au capitalisme.

C’est une période où le commerce international prend son envol, où les chemins de fer se systématisent, dans le cadre du processus de mondialisation. Avant 1914, la Belgique a déjà un réseau de voies ferrées tel que sa densité est d’à peu près 300 mètres de voie par km².

Durant les trente dernières années du 19e siècle, pour la France, la production industrielle a connu 94 % d’augmentation, celle de charbon et de fer a plus que doublé, celle d’acier a été multiplié par 16. La consommation de coton était de 937 000 quintaux en 1839, de 1 million 599 mille quintaux en 1900.

En 1913, la France produisait 45 000 automobiles et 13 500 tonnes d’aluminium, étant juste derrière les États-Unis pour ces deux domaines. Elle était également numéro 3 mondial dans la chimie ; la production de blé était passé de 74,2 millions de quintaux en 1870 à 86,9 millions de quintaux en 1913.

266 banques s’étaient développées, avec 70 % des fonds appartenant au Crédit Lyonnais, au Comptoir national d’Escompte et à la Société Générale : les investissements placés à l’étranger dépassaient ceux faits à l’intérieur du pays : on parle ici de 10 milliards de francs en 1869, 30 milliards en 1900, 60 milliards en 1914.

Et pourtant cette vaste croissance était moins forte que celle des États-Unis et de l’Allemagne ; la part de la France dans la production industrielle mondiale passa ainsi de 10 % en 1870 à 7 % en 1913.

La raison en est une concentration moins puissante, alors que 1,11 millions d’ouvriers sur 3,3 millions seulement travaillaient dans des entreprises de plus de cent personnes.

En fait, la moitié des ouvriers travaillaient dans l’industrie légère : dans les produits alimentaires, les cuirs, les meubles, les tissages, les services. Ainsi, si la production industrielle française avait augmenté de 190 % entre 1870 et 1913, durant la même période celle de l’Allemagne avait augmenté de 460 % et celle des États-Unis de 810 %.

L’Allemagne apparaissait comme un rouleau compresseur. Entre 1850 et 1870, sa production de charbon passa de 6,7 millions de tonnes à 34 millions, celle d’acier de 5 900 tonnes à 170 000, sa consommation de coton de 18 000 tonnes à 81 000.

Ses machines à vapeur passèrent d’une force totale de 260 000 chevaux à 2,48 millions, la longueur des voies ferrées de 6 000 à 18 876 kilomètres, avec une quantité de biens transportés augmenté de 28,1 fois.
En 1870, l’Allemagne avait dépassé la France et était le troisième pays industriel, avec 13,2 % de la production totale. Elle s’unifia en 1871 sous l’égide de la Prusse qui avait successivement défait le Danemark, l’Autriche et la France, donnant un nouvel élan.

De 1870 à 1913, la production de biens de consommation augmenta de 2,4 fois et celle des moyens de production de 6,5 fois ; dans l’agriculture la production de céréales fit plus que doubler, le nombre de chevaux et de bovins augmenta d’un tiers et le nombre de cochons tripla.

La production de houille passa de 34 à 277,3 millions de tonnes, celle de fer de 1,39 à 19,31 millions de tonnes, celle de l’acier de 170 000 à 18,4 millions de tonnes. Le tonnage global des bateaux à vapeur passa de 820 000 à 5,1 millions de tonnes.

Le processus de concentration était très avancé : 9 % des entreprises utilisaient 93 % de la force motrice, alors que le nombre d’alliances et d’interpénétration sous forme de cartels ne cessaient de croître : on en compte 6 en 1870, 14 en 1879, 210 en 1890, 385 en 1905, autour de 600 en 1911.

Le processus alla jusqu’à la formation de « konzerns », tel le Syndicat rhénano-westphalien contrôlant le charbon de la Rhénanie-Westphalie et 90 % de la production de la houille du pays, ou l’Union de l’acier et l’Union du fer, contrôlant la quasi-totalité de ces productions.

Pareillement, 83 % des avoirs bancaires relevaient de neuf banques. Elle était en 1913 la seconde puissance industrielle, avec 15,7 % de la production mondiale, ayant réussi à dépasser le Royaume-Uni.

C’était là un grand recul pour ce dernier. Pendant plusieurs décennies, le Royaume-Uni avait servi d’atelier du monde, en profitant notamment d’un immense empire colonial, sur lequel « le soleil ne se couchait jamais ».
Le filage, le charbon et la métallurgie étaient les points forts d’un pays devenant une véritable plate-forme commerciale mondiale.

Cependant, le développement des forces productives exigeait plus de technicité et le Royaume-Uni ne put pas suivre, se procurant même ses équipements électriques et ses produits chimiques auprès de l’Allemagne.
L’industrie anglaise augmenta ainsi de 3,2 % par an de 1850 à 1870, mais seulement de 1,9 % par an de 1870 à 1913.

L’agriculture s’effondra, le taux d’autosuffisance pour les céréales passant de 79 % à 35,6 % entre 1870 et 1910. Cet affaissement relatif du Royaume-Uni est une des clefs qui expliquent d’ailleurs la modification des alliances impérialistes dans la décennie précédant la Première Guerre mondiale.

En 1913, 51,8 % de la production mondiale de machines se déroulait aux États-Unis, 21,3 % en Allemagne, 12,2 % en Angleterre, alors que la production d’acier était de 31,3 millions de tonnes aux États-Unis, 16,9 millions en Allemagne, 7,78 millions au Royaume-Uni.

Il n’y a que sur le plan commercial que la position de numéro 1 était maintenue, mais avec 15 % du marché contre 22 % en 1870.

Ce qui frappe, c’est bien entendu le développement américain. La conquête d’un si vaste territoire et son utilisation ont permis un établissement rapide du capitalisme, de manière systématisée, sans obstacles, en s’appuyant même sur l’esclavage.

De 1860 à 1914, le nombre de travailleurs agricoles passa de 6,2 à 13,58 millions, la surface agricole faisant plus que doubler, alors qu’en même temps la part de l’agriculture dans le salariat passa de 59 % à 31 % en raison du développement de l’industrie.

Un facteur clef fut bien entendu l’immigration de 27 millions de personnes.

Entre 1860 et 1913, l’industrie du coton multiplia sa production par sept, la production de fonte passa de 840 000 à 31,46 millions de tonnes, l’extraction de houille de 18,18 à 500 millions de tonnes, la production d’acier de 12 000 tonnes à 31,8 millions de tonnes.

4200 automobiles avaient été produites en 1900, 573 000 en 1914. La longueur des voies ferrées était de 53 000 km en 1865, de 563 000 km en 1913.

Extraits de La jungle, d’Upton Sinclair, 1906, où sont décrits d’un point de vue socialiste les abattoirs de Chicago, élément avancé du capitalisme.

« A l’abattage, les ouvriers étaient le plus souvent couverts de sang et celui-ci, sous l’effet du froid, se figeait sur eux. Pour peu que l’un d’eux s’adossât à un pilier, il y restait collé ; s’il touchait la lame de son couteau, il y laissait des lambeaux de peau.

Les hommes s’enveloppaient les pieds dans des journaux et de vieux sacs, qui s’imbibaient de sang et se solidifiaient en glace ; puis une nouvelle couche s’ajoutait à la précédente, si bien qu’à la fin de la journée ils marchaient sur des blocs de la taille d’une patte d’éléphant.

De temps en temps, à l’insu des contremaîtres, ils se plongeaient les pieds dans la carcasse encore fumante d’un bœuf ou se précipitaient à l’autre bout de la salle s’arroser le bas des jambes avec des jets d’eau chaude.

Le plus cruel était qu’il était interdit à la majorité d’entre eux, en tout cas à ceux qui maniaient le couteau, de porter des gants ; leurs bras étant blancs de givre et leurs mains engourdies, les accidents étaient inévitables.

En outre, en raison de la vapeur qui se formait au contact du sang fumant et de l’eau chaude, on ne voyait pas à plus de trois pas devant soi. Quand on considère de surcroît que, pour respecter les cadences imposées, les ouvriers des chaînes d’abattage couraient en tous sens avec, à la main, un couteau de boucher aiguisé comme un rasoir, on peut être étonné qu’il n’y eût pas davantage d’hommes éventrés que d’animaux. »

« [Les entreprises] déduisaient systématiquement une heure de salaire pour tout retard, fût-il d’une minute. Le système était d’autant plus rentable que les retardataires devaient malgré tout travailler les cinquante-neuf minutes restantes. Il était hors de question d’attendre en se tournant les pouces.
Par contre, ceux qui arrivaient en avance ne recevaient aucune compensation, alors que les contremaîtres attelaient fréquemment l’équipe à la tâche dix ou quinze minutes avant la sirène. C’était ainsi tout au long de la journée.

Aucune heure incomplète, « interrompue » comme on disait, n’était rétribuée. Par exemple, si un ouvrier travaillait cinquante minutes pleines et n’avait plus rien à faire le reste de l’heure, il ne touchait pas un sou.

C’était une lutte perpétuelle, qui tournait presque à une guerre ouverte entre les contremaîtres d’un côté, qui essayaient de hâter le travail, et les ouvriers de l’autre, qui s’efforçaient de le faire durer autant qu’ils le pouvaient. »

De puissants trusts s’étaient montés parallèlement, contrôlant différents secteurs.
Le pétrole était monopolisé à 95 %, le sucre et le tabac à 80 %, l’aluminium à 85 %, la métallurgie à 77 %, la chimie à 81 %, l’acier à 66 %.

Dans ce dernier cas, l’United States Steel Corporation, fondée en 1901, outre d’avoir une position dominante dans l’acier, possédait 1600 km de voies ferrées, plus de cent bateaux à vapeur, 60 % des mines de fer, 50 % de la production des pièces en acier, etc.

Les groupes Morgan et Rockfeller occupaient 341 sièges aux conseils d’administration de 112 grandes entreprises ; en 1914, 2 % de la population possédait 60 % des richesses nationales, 65 % n’en possédant que 5 %. Lénine constatait à ce sujet dans De l’État :

« Les États-Unis d’Amérique sont une des républiques les plus démocratiques du monde, mais dans ce pays (quiconque y a séjourné après 1905 l’a certainement constaté), le pouvoir du capital, le pouvoir d’une poignée de milliardaires sur l’ensemble de la société se manifeste plus brutalement, par une corruption plus flagrante que partout ailleurs. »

Il y avait 82 trusts avant 1898, 318 en 1904… En 1904, les 1900 entreprises produisant pour davantage qu’un million de dollars, soit 0,9 % des entreprises, avaient à leur disposition 25,6 % des ouvriers et représentaient 38 % de la production du pays. En 1909, ces entreprises étaient 3600 et représentaient 43,8 % de la production, à travers 258 branches d’industrie.

Leur caractère anti-démocratique suintait de tous les pores dans leur démarche. La Lutte syndicale, organe officiel de la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie, constate le 30 mai 1914 dans son article sur le « trust américain de l’acier » :

« Le trust américain de l’acier a eu l’année dernière 3985 millions de francs de recettes et un bénéfice net, après amortissement, de 405 millions de francs.

Depuis l’année dernière, les transactions augmentèrent de 255 millions de francs et le bénéfice net de 135 millions, quoique la production ait été à peu près la même.

En revanche, les prix de vente ont été augmentés considérablement, tandis que les tentatives des ouvriers pour s’organiser et obtenir des conditions de travail plus humaines furent écrasées avec la dernière brutalité.

Les ouvriers syndiqués ne sont pas occupés par principe et, dernièrement, on défendit même aux esclaves du trust de l’acier de faire partie de sociétés de secours ou de clubs dont les statuts interdisent le débit de boissons alcooliques dans leurs locaux. »

Tel est le contexte dans lequel se produit la première guerre mondiale impérialiste.

Lénine en 1916 sur la place de l’impérialisme dans l’Histoire, dans L’impérialisme, stade suprême
du capitalisme

« Le monopole est né de la concentration de la production, parvenue à un très haut degré de développement.

Ce sont les groupements monopolistes de capitalistes, les cartels, les syndicats patronaux, les trusts. Nous avons vu le rôle immense qu’ils jouent dans la vie économique de nos jours.

Au début du XXe siècle, ils ont acquis une suprématie totale dans les pays avancés, et si les premiers pas dans la voie de la cartellisation ont d’abord été franchis par les pays ayant des tarifs protectionnistes très élevés (Allemagne, Amérique), ceux-ci n’ont devancé que de peu l’Angleterre qui, avec son système de liberté du commerce, a démontré le même fait fondamental, à savoir que les monopoles sont engendrés par la concentration de la production.

Deuxièmement, les monopoles ont entraîné une mainmise accrue sur les principales sources de matières premières, surtout dans l’industrie fondamentale, et la plus cartellisée, de la société capitaliste : celle de la houille et du fer.

Le monopole des principales sources de matières premières a énormément accru le pouvoir du grand capital et aggravé la contradiction entre l’industrie cartellisée et l’industrie non cartellisée.

Troisièmement, le monopole est issu des banques. Autrefois modestes intermédiaires, elles détiennent aujourd’hui le monopole du capital financier.

Trois à cinq grosses banques, dans n’importe lequel des pays capitalistes les plus avancés, ont réalisé l' »union personnelle » du capital industriel et du capital bancaire, et concentré entre leurs mains des milliards et des milliards représentant la plus grande partie des capitaux et des revenus en argent de tout le pays.

Une oligarchie financière qui enveloppe d’un réseau serré de rapports de dépendance toutes les institutions économiques et politiques sans exception de la société bourgeoise d’aujourd’hui : telle est la manifestation la plus éclatante de ce monopole.

Quatrièmement, le monopole est issu de la politique coloniale.

Aux nombreux « anciens » mobiles de la politique coloniale le capital financier a ajouté la lutte pour les sources de matières premières, pour l’exportation des capitaux, pour les « zones d’influence », – c’est-à-dire pour les zones de transactions avantageuses, de concessions, de profits de monopole, etc., – et, enfin, pour le territoire économique en général.

Quand, par exemple, les colonies des puissances européennes ne représentaient que la dixième partie de l’Afrique, comme c’était encore le cas en 1876, la politique coloniale pouvait se développer d’une façon non monopoliste, les territoires étant occupés suivant le principe, pourrait-on dire, de la « libre conquête ».

Mais quand les 9/10 de l’Afrique furent accaparés (vers 1900) et que le monde entier se trouva partagé, alors commença forcément l’ère de la possession monopoliste des colonies et, partant, d’une lutte particulièrement acharnée pour le partage et le repartage du globe.

Tout le monde sait combien le capitalisme monopoliste a aggravé toutes les contradictions du capitalisme. Il suffit de rappeler la vie chère et le despotisme des cartels.

Cette aggravation des contradictions est la plus puissante force motrice de la période historique de transition qui fut inaugurée par la victoire définitive du capital financier mondial.

Monopoles, oligarchie, tendances à la domination au lieu des tendances à la liberté, exploitation d’un nombre toujours croissant de nations petites ou faibles par une poignée de nations extrêmement riches ou puissantes : tout cela a donné naissance aux traits distinctifs de l’impérialisme qui le font caractériser comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant.

C’est avec un relief sans cesse accru que se manifeste l’une des tendances de l’impérialisme : la création d’un « État-rentier », d’un État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus de l’exportation de ses capitaux et de la « tonte des coupons ».

Mais ce serait une erreur de croire que cette tendance à la putréfaction exclut la croissance rapide du capitalisme ; non, telles branches d’industrie, telles couches de la bourgeoisie, tels pays manifestent à l’époque de l’impérialisme, avec une force plus ou moins grande, tantôt l’une tantôt l’autre de ces tendances.

Dans l’ensemble, le capitalisme se développe infiniment plus vite qu’auparavant, mais ce développement devient généralement plus inégal, l’inégalité de développement se manifestant en particulier par la putréfaction des pays les plus riches en capital (Angleterre). »

La première guerre impérialiste

Les pays impérialistes mirent toutes leurs forces pour tenter de prendre le dessus : c’était la bataille pour le repartage du monde. Lénine a caractérisé les grandes puissances impérialistes de différentes manières, selon leur forme historique.

Il parle ainsi des impérialismes féodalo-militaires pour la Russie et le Japon, à quoi il faut ajouter l’Autriche-Hongrie. Les États-Unis forment inversement l’exemple le plus avancé de capitalisme, Lénine disant que « les trusts américains sont l’expression suprême de l’économie de l’impérialisme ».

L’Angleterre est un impérialisme colonialiste, en raison de ses possessions coloniales extrêmement intégrées à son économie, alors que la France est un impérialisme usuraire, utilisant sa domination coloniale pour en abuser de la manière la plus rude par les investissements capitalistes.

La guerre impliqua ainsi un engagement total, avec des répercussions énormes. De 1914 à 1918, l’Allemagne a mis 40 % de son budget étatique dans la guerre. Cela permit une augmentation de la production de l’industrie de guerre de 10 %, alors que la production civile baissa de 59 %, et la production industrielle plus particulièrement de 43 %.

De 1913 à 1918, les dépenses de l’État britannique furent multipliées par 13. En 1918, 20 000 entreprises britanniques servaient directement l’armée pour satisfaire ses commandes.

La France, dont une partie économiquement vitale était occupée par l’Allemagne (avec 94 % du cuivre, 81 % de la fonte, 81 % des lainages, 76 % du sucre, 74 % du charbon, 63 % de l’acier), vit son commerce extérieur passer de 11 200 milliards à 27 milliards de francs de 1914 à 1918. Le salaire d’un ouvrier était en 1917 le tiers de celui en 1914, alors que les prix étaient largement partis à la hausse.

Tout cela pour satisfaire une machine de guerre mobilisant au total 73,8 millions de soldats, pour 9,5 millions de morts, 21,2 millions de blessés… mais la révolution d’Octobre 1917 dirigée par Lénine leva le drapeau du socialisme face à la barbarie. Cette situation donnait naissance à la première crise générale du capitalisme.

La première expression de la première crise générale

C’est là ce qu’il s’agit de saisir ici. La crise générale du capitalisme a de très nombreuses formes, d’où le terme de « général », néanmoins il va être particulièrement souligné ici la question économique, trop méconnue. C’est d’autant plus important pour deux raisons.

D’une part, les commentateurs bourgeois faussent les chiffres, que ce soit volontairement ou pas, étant incapables de dépasser l’horizon capitaliste. Il est donc malaisé d’avoir accès à ces données. D’autre part, la crise se produit en deux temps : elle frappe d’abord surtout l’Est de l’Europe, ensuite véritablement l’Ouest de l’Europe et les États-Unis.

Il faut donc cerner deux aspects, formant deux pôles contradictoires. Le premier, c’est l’impact direct sur l’Europe de l’Est de la première crise générale. L’impact est politique évidemment : révolution russe, révolution hongroise, révolution finlandaise, révolution allemande, alors que le régime austro-hongrois s’est effondré tout comme le tsarisme.

Cela conditionne tout le début de la crise, faisant que l’Europe de l’Ouest parvient à se relancer malgré qu’elle ait été touchée également. Cela va produire une période de stabilisation, de grands débats ayant lieu dans l’Internationale Communiste nouvellement mise en place pour évaluer justement la situation et diriger les luttes de manière coordonnée.
Voici comment, à son troisième congrès, en 1921 l’Internationale Communiste résume la situation :

« Les deux dizaines d’années qui avaient précédé la guerre furent une époque d’ascension capitaliste particulièrement puissante. Les périodes de prospérité se distinguent par leur durée et par leur intensité, les périodes de dépression ou de crise, au contraire, par leur brièveté. D’une façon générale, la source s’était brusquement élevée ; les nations capitalistes s’étaient enrichies.

Enserrant le marché mondial par leurs trusts, leurs cartels et leurs consortiums, les maîtres des destinées du monde se rendaient compte que le développement enragé de la production devait se heurter aux limites de la capacité d’achat du marché capitaliste mondial ; ils essayèrent de sortir de cette situation par les moyens de violence ; la crise sanglante de la guerre mondiale devait remplacer une longue période menaçante de dépression économique avec le même résultat d’ailleurs, c’est-à-dire la destruction d’énormes forces de production.

La guerre a cependant réuni l’extrême puissance destructrice de ses méthodes à la durée imprévisiblement longue de leur emploi. Le résultat fut qu’elle ne détruisit pas seulement, au sens économique, la production « superflue », mais qu’elle affaiblit, ébranla, mina le mécanisme fondamental de la production en Europe.

Elle contribua en même temps au grand développement capitaliste des États-Unis et à l’ascension fiévreuse du Japon. Le centre de gravité de l’économie mondiale passa d’Europe en Amérique. »

Le second aspect, c’est lorsque la crise générale parvient à toucher le cœur même du capitalisme, et donc les États-Unis. C’est ce que les commentateurs bourgeois appellent la « crise de 1929 », souvent résumé à un krach boursier.

En réalité, c’était le second moment de la crise générale du capitalisme et, d’ailleurs, l’Internationale Communiste avait correctement caractérisé la situation juste avant l’émergence de la crise, tout comme elle analysera correctement la tendance à la guerre en découlant.

En effet, lorsque la crise, après 1929, a atteint un palier tel que l’ensemble des pays capitalistes sont touchés, il y a la généralisation de la militarisation afin de disposer de la seule porte de sortie : la bataille pour le repartage du monde.

Initialement, ce sont donc les pays de la partie orientale de l’Europe qui sont frappés, et qui ne s’en remettront d’ailleurs pas pour la plupart. Pourquoi cela ? Parce que, hormis l’Allemagne, la Tchécoslovaquie et relativement l’Autriche, les pays de l’Europe orientale étaient des pays agraires. Voici un tableau pour les années 1928-1929, soit plus de dix ans après l’irruption de la première crise générale.


Part de l’agriculture dans les exportationsPart de l’industrie dans les exportationsPart des masses laborieuses dans l’agriculture
Bulgarie93,1 %6,9 %81,9 %
Grèce97,95 %2,05 %61,1 %
Hongrie77,9 %22,1 %54,8 %
Pologne76,2 %23,8 %67,3 %
Roumanie96,2 %3,8 %80,7 %
Tchécoslovaquie26,3 %73,7 %37,5 %
Yougoslavie83,4 %16,6 %79,7 %

Les pays de ce tableau, ainsi que l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, sont au cœur de la première crise générale. Leur histoire durant les années 1920-1930 est radicalement différente de celle de l’Europe occidentale. Elle est particulièrement tourmentée, violente, voire même directement sanglante.

Les pays de l’Europe occidentale ont bien connu un moment important de flottement en 1918-1919, cependant il y a une stabilisation puissante se produisant et il n’y aura pas de réelle ampleur dans la société et l’économie avant 1929.

Il en va tout autrement dans la partie centrale et orientale de l’Europe. Il suffit de regarder l’inflation par exemple, qui se produit telle une avalanche.

En Autriche, de 1918 à 1920, la masse monétaire est passée de 12 à 30 milliards de couronnes, les prix ne cessant de se multiplier jusqu’en 1924.

Il en alla de même en Allemagne : un mark-or valait 1 mark de papier en 1914, 2 en 1918, 10 en 1920, 200 en 1922, 10 000 en janvier 1923, 100 000 000 000 début novembre 1923, 1000 000 000 000 fin novembre 1923.
En Italie, la monnaie en circulation passa de 9,22 milliards à 22,26 milliards entre fin 1918 et fin 1920.

Pour la Pologne, une livre anglaise valait 637,5 mark en avril 1920, 900 en octobre 1920, 3 275 en mars 1921, dans un processus d’effondrement continu, puisque un dollar vaut 9 marks en 1918, 6 375 000 à la fin de 1923.

Une nouvelle monnaie fut par conséquent introduite, tout comme en Hongrie, où l’inflation fut telle qu’en 1923 elle atteignait les 98 % par mois.

Cette hyperinflation ruinait en fait les masses populaires, faisant s’effondrer le niveau de vie, puisque les salaires ne suivant évidemment pas ou bien mal et avec retard, alors qu’il était impossible pour le capitalisme de se relancer dans un tel contexte d’instabilité générale de la monnaie.

Concrètement, il faut parler d’un abaissement du niveau de vie des masses de la partie orientale de l’Europe au début des années 1920.

Et c’est d’autant plus vrai que le chômage augmente : appauvrissant les masses sans travail, affaiblissant les luttes pour de meilleures salaires. Voici un tableau représentatif de la question, les chiffres étant en en milliers de personnes.


AllemagneItaliePologneTchécoslovaquieAutriche
1921300112749528
1922120606221113103
1923300391120441212
19242 200270200220

De manière plus spécifique, voici un tableau présentant l’évolution du chômage en Pologne, de 1919 à 1927, en milliers de personnes.

On voit que, même s’il y a une relance après que la crise ait frappé, la tendance de fond est au déclin du capitalisme.

La Pologne était de fait un maillon faible, avec 75 % des gens vivant dans les campagnes, 65 % de paysans fournissant 65 % du PIB, dans un pays sans capital propre dont un tiers de la population appartenait à des minorités (principalement allemande, juive, ukrainienne, biélorusse).

L’État polonais était en faillite, avec un déficit de 463,2 millions de dollars en 1920, 72,8 en 1921, 34,5 en 1922, 173,3 en 1923. Il était endetté massivement auprès des États-Unis, mais également de la France dont il devint un satellite, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède.

Pareillement, l’Autriche connut une crise terrible, la transformant en satellite italien. Voici un tableau du chômage pour ce pays.


Taux de chômagePart des chômeurs
ayant une assurance-chômage
191918,4 %44 %
19204,2 %41 %
19211,4 %42 %
19224,8 %48 %
19239,1 %53 %
19248,4 %48 %
19259,9 %68 %
192611 %72 %
19279,8 %80 %
19288,3 %85 %
19298,8 %86 %
193011,2 %86 %
193115,4 %76 %
193221,7 %66 %
193326 %60 %
193425,5 %53 %
193524,1 %51 %
193624,1 %50 %
193721,7 %50 %

On peut deviner la situation de la Yougoslavie lorsqu’on sait que l’Autriche était son premier partenaire commercial, rattrapée en 1923 par l’Italie tout autant en crise, le reste du commerce se déroulant avec l’Allemagne et la Tchécoslovaquie.

Il faut se rappeler ici que l’internationalisation des échanges n’était pas aussi avancé que dans les années 1960, sans parler des années 1990. Dans les années 1920-1930, les pays voisins jouent souvent un rôle essentiel.

Cela n’empêche pas que la crise soit justement mondiale (à part pour l’URSS bien entendu), de par déjà une interpénétration significative des marchés. De fait, l’industrie lourde mondiale n’avait, en 1923, pas atteint le niveau d’avant-guerre.

Et c’était vrai pour le charbon, le fer, l’acier, et c’était même un terrible recul encore dans certains secteurs, telle la construction navale, avec 3 330 mille tonnes en 1913, 1643 seulement en 1923.

Même si l’aspect principal de la première crise générale concerne les pays d’Europe orientale, la dimension particulière de cet aspect a un aspect général, jouant sur tous les tableaux. Même les États-Unis ont été touchés par ce que les commentateurs bourgeois ont appelé la dépression de 1920-1921.

Le nombre de faillites tripla, les profits déclinèrent de 75 % en moyenne. Le chômage, de 1,4 % en 1919, passa à 5,2 % en 1920, 8,7 % en 1921 (puis 6,9 % en 1922 et 48 % en 1923).

Voici les cours du Dow Jones, l’indice boursier américain, pour cette période ; on voit bien comment la crise boursière est marquée, et comme elle le sera encore plus en 1929.

Et si la situation se débloque – temporairement – pour les États-Unis après 1921, c’est loin d’être vrai partout : le marasme prédomine. Le 15 octobre 1925, Le Journal et feuille d’avis du Valais, en Suisse, constate ainsi dans un article sur la crise économique :

« Les statistiques montrent, en effet, que la production mondiale, aussi bien en matières premières qu’en produits fabriqués, reste en général encore légèrement inférieure à celle d’avant-guerre et ceci malgré les besoins résultant de nombreuses destructions et de l’épuisement complet des stocks. »

Voici les chiffres du chômage pour toute une série de petits pays capitalistes, échappant relativement à la crise, et pourtant confronté à une sorte de mur.

Les chiffres sont en pourcentage des syndiqués comme c’est la pratique dans le Nord de l’Europe, sauf pour la Suisse ou le chiffre est en milliers.


BelgiquePays-BasDanemarkSuèdeNorvègeCanadaSuisse
192131,2 %11,9 %21,7 %24,2 %17,7 %16,3 %49 %
19228,9 %11,6 %24 %28,3 %23,4 %10,4 %81 %
19232,4 %10,4 %11,5 %14,9 %11,2 %4,5 %36 %
19243,6 %15,1 %21,3 %12,8 %
7,8 %27 %

Il va de soi que ces chiffres, comme tous en général, sont à regarder avec prudence. Ils indiquent une tendance, mais les statistiques ne sont pas nécessairement au point, sans parler des déformations idéologiques bourgeoises dans leur diffusion.

Cela a justement été un vaste travail de l’Internationale Communiste dès sa fondation que de parvenir à collecter suffisamment d’informations afin de parvenir à un aperçu général suffisamment convenable pour être capable de lire les tendances principales dans la marche de l’Histoire.

Ainsi, il avait pu être observé que l’agriculture reculait dans le monde ; si l’on prend la période 1919-1922 et qu’on la compare en effet à celle de 1909-1913, on s’aperçoit d’une production moindre pour le seigle, l’orge, l’avoine, les patates, le café, le coton, la jute.

On peut évidemment se tourner ici vers les chiffres de la production industrielle, qui révèlent de manière assez claire ce qui se joue, si on raisonne en termes de développement inégal, le mode d’expression de la crise générale n’est pas le même dans tous les pays.

Voici les chiffres de la production de charbon des principaux pays capitalistes, en milliers de tonnes. On y voit très clairement comment il y a une régression de la production, puis une relance, mais dans des proportions moins fortes qu’auparavant et parfois, comme pour le Royaume-Uni, on est même très loin des chiffres de 1913.


Royaume-UniFranceAllemagneJaponÉtats-Unis
191026 8703 84022 2401 58045 500
191329 2004 08027 7302 14051 710
192023 3202 53024 3202 94059 720
192926 2005 50033 7903 340124 160
193923 5105 02038 6805 130112 830

Regardons ce qu’il en est pour la production de fer, toujours en milliers de tonnes. Le mouvement est d’autant plus flagrant.


Royaume-UniFranceAllemagneÉtats-Unis
191010 1706 76014 79027 740
191310 4209 07019 31031 460
19208 1603 4306 39037 520
19297 71010 30013 24043 300
19398 1107 38017 75031 580

Regardons ce qu’il en est pour la production d’acier, en milliers de tonnes. Il en va de même.


Royaume-UniFranceAllemagneÉtats-Unis
19106 4703 41013 70026 510
19137 7804 69018 33031 800
19209 2202 7108 36042 810
19299 7909 72016 02057 340
193913 4007 95023 73047 900

Comme on le voit, la crise de 1929 a particulièrement joué dans les principaux pays impérialistes. C’est tellement vrai que pour l’opinion publique de l’Europe occidentale, la crise ne commencerait qu’en 1929.

C’est faux, mais, sans vouloir ici rentrer dans les détails, cela a une base historique : tout d’abord la crise a été marquante après 1918 mais elle a cédé le pas à une stabilisation, et surtout le capitalisme a réussi sa restructuration dans ces pays, entraînant ainsi l’opinion avec elle dans son élan capitaliste (voir ici l’article « la crise et les deux restructurations du capitalisme » du numéro 6 de Crise).

Elle n’a toutefois pas échappé à la crise générale du capitalisme, qui est ainsi intervenue en deux temps.
Ces deux temps forment-ils une opposition dialectique ? Doit-on considérer qu’il faut également chercher un tel mouvement en deux temps pour la seconde crise générale du capitalisme ?

Il n’est pas encore possible de le dire, mais il est évident que c’est une véritable question. En tout cas, l’Internationale Communiste n’avait à l’époque pas songé à cela. Elle avait bien vu que la crise générale se prolongeait, elle avait vu l’instabilité juste avant 1929 et tout à fait compris que la crise allait repartir… Mais elle n’a pas considéré qu’il s’agissait là de deux aspects.

En fait, l’Internationale Communiste avait pensé que les choses iraient très vite, puis ensuite elle a compris qu’il fallait analyser le rythme propre à la crise…

Mais elle concevait cela à court terme, en termes d’années. Il n’y avait donc pas d’espace pour raisonner sur un temps un peu plus long et donc y voir suffisamment d’écart pour considérer qu’une forme différente pourrait être prise.

La seconde expression de la première crise générale

Voici un tableau indiquant la chute du PIB en rapport avec la crise de 1929. Il est très important de noter que l’année de crise la plus forte se situe quelques années après elle, témoignant de l’impact dévastateur de cette seconde vague de la première crise générale.


Année
la plus haute
Année
la plus basse
Chute du PIB
Allemagne1929193225 %
Australie1925193120,6 %
Autriche1929193323,4 %
Belgique1928193410 %
Canada1928193334,8 %
Danemark193119323,6 %
États-Unis1929193330,8 %
Finlande192919326,3 %
France1929193513,3 %
Italie192919346,4 %
Japon192919319,3 %
Norvège193019324,4 %
Nouvelle-Zélande1929193217,8 %
Pays-Bas1928193416 %
Royaume-Uni192919316,6 %
Suède192919326,5 %
Suisse192919356,7 %

Encore une fois il faut être prudent avec les chiffres : il semble par exemple que la chute du PIB au Canada ait été bien plus prononcé (44%), alors que la production industrielle représentait en 1932 58 % de celle de 1929.

En fait, pour bien saisir ce qui se passe dans un pays, il faut avoir une vue d’ensemble.

La Roumanie, par exemple, connut un développement relativement différent des autres pays de l’Europe orientale, étant en mesure de relativement tenir le choc du début des années 1920. Le pays s’en sortait par sa capacité à fournir des ressources : il était essentiellement agraire, exportant du blé en Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que du pétrole.

Lorsque la seconde vague de la crise la toucha par contre massivement, cela signifie que sa nature était en réalité celle d’un satellite direct des pays d’Europe occidentale. De fait, en 1932, 2,5 millions de paysans étaient massivement endettés, et le PIB de 1933 représenta 62 % de celui de 1929. La tendance au fascisme dans ce pays correspond à une faiblesse historique.

Inversement, l’Allemagne connut le triste chemin que l’on connaît, de par ses forces historiques. Dans ce pays, de 1929 à 1932, la production d’électricité chuta de 23,4, celle de charbon de 32,7 %, celle d’automobiles de 64,2 %, celle d’acier de 64,9 %, celle du fer de 70,3 %, la construction navale de 83,6 %.

Au plus fort de la crise, l’industrie tournait au 2/3 seulement, avec entre 6 et 8 millions de chômeurs, alors qu’en 1931 l’État était obligé de prendre le contrôle de la grande majorité des banques privées pour les soutenir alors qu’elles s’effondraient. De 1929 à 1935, les exportations allemandes chutèrent de 69,1%, les importations de 70,8 %.

Mais comme on le sait, le niveau de formation de cartels et de monopoles étaient très avancé en Allemagne et cela produisit la victoire des nazis, qui procédèrent à la marche à la guerre. De 1933 à 1939, la production de biens de consommation augmenta de 43 %, celle des moyens de production de 310 %, celle de l’armement de 1 350 %.

L’Allemagne était en fait une sorte de nexus de toute la question de la première crise générale du capitalisme, car c’était le pays le plus avancé de tous ceux de l’Europe centrale et orientale touchés le plus violemment. D’où le contexte littéralement de guerre civile de 1918 à 1933.

Les chiffres montrent bien comment l’Allemagne a été mortellement touchée en 1920.


Indice de la production industrielleExportations en millions de marksImportations en millions de marksVolume de production automobile en milliersProduction de blé en milliers de tonnesMillions
de bovins
Millions d’ovins
191088,68 9347 47593 86020,165,79
191310010 77010 097164 66018,57
192055,13 9293 709
2 25016,816,15
192910213 44713 483115
18,033,51
193259,4





1939128,5
(en 1938)
5 2075 6533384 16019,915,21

Toute l’histoire allemande des années 1920-1930 est caractérisée par une grande instabilité, de profonds changements de situations, des relances économiques puissamment inégales, rendant extrêmement difficile une analyse concrète pour le jeune Parti Communiste d’Allemagne.

Ce n’est pas avant le début des années 1930 qu’un semblant d’unité à sa direction se pose, après des débats sans fin, des scissions, des querelles d’analyses.

Et cela a eu lieu malgré tout le soutien de l’Internationale Communiste, qui œuvrait à étudier en détail la situation allemande, la question allemande étant par ailleurs la plus importante de toute, celle considérée comme décisive.

On ne peut pas comprendre la victoire nazie sans saisir la question de ce rythme. Pour prendre un exemple concret, voici les salaires hebdomadaires en marks en Allemagne.


Septembre 1931Janvier 1932Octobre 1932
Métallurgie25.7020,0518,20
Industries chimiques29.4522,6522,45
Textile18.7016,1515,60
Bâtiment22.4513,8612,05
Imprimerie33,3527,2525,40

On voit l’incroyable dégradation. De manière spécifique, pour les différents secteurs, voici les pourcentages indiquant la différence entre le point le plus haut avant la crise et le plus bas pendant celle-ci.


1929
Production de charbon– 35,9 %
Production de fer– 70,3 %
Production d’acier– 64,9 %
Consommation de coton– 21,4 %
Production de sucre– 57,2 %
Exportations– 69,1 %
Importations– 70,8 %

La crise a terriblement frappé l’Allemagne en 1929 et en 1931-1932 les salaires fondent.

Or, aux élections législatives allemandes de juillet 1932, les nazis ont 37,27 % des voix, les socialistes 21,58 %, les communistes 14,3 %. Mais aux élections législatives allemandes de novembre 1932, les nazis ont 33,1 % des voix, les socialistes 20,4 %, les communistes 16,9 %.

Cela signifie que juste avant la prise du pouvoir par les nazis, ceux-ci commençaient à refluer, alors que les communistes allaient de l’avant. Mais ces derniers étaient en retard dans le tempo de la crise et furent débordés, le capitalisme proposant une sortie par la fuite en avant satisfaisant les masses emprisonnées dans les difficultés de la crise.

C’est un exemple terrible de l’importance de la question du rythme de la crise.

En fait, on ne peut saisir les modalités de la crise générale dans chaque pays qu’en étudiant sa base, ce qui implique, de manière dialectique, de regarder également avant l’expression de la crise, car celle-ci s’exprime en amont d’elle-même. Il n’y a pas de cause et de conséquence, mais un mouvement général aux multiples aspects.

Voici par exemple le très intéressant constat que fait par exemple La Suisse Libérale, dans son numéro du 7 juillet 1926, sur la crise agricole aux États-Unis.

Ce qu’on y lit est caractéristique, car exprimant bien que les États-Unis, la plus grande puissance économique, était en surchauffe dans une économie mondiale en crise.

« L’agriculture subit, sur toute l’étendue de l’immense territoire des États-Unis, une crise dont il est intéressant de connaître la genèse et le développement devenu tel qu’il menace gravement l’avenir d’un pays par ailleurs incroyablement prospère.

De 1900 à 1920, l’écoulement des récoltes était assuré à des prix rémunérateurs, la valeur des terre cultivables alla en augmentant régulièrement. Les années de guerre et l’après-guerre accélérèrent encore cette progression.

De 1914 à 1918 en effet, on achetait à n’importe quel prix tout ce qui servait au ravitaillement des armées ; au lendemain de la guerre il fallut reconstituer les stocks épuisés, garnir les entrepôts.

On ne doit donc pas s’étonner que dans l’ensemble des États-Unis le prix des terres ait connu de 1900 à 1920, une augmentation de 257 pour cent ; dans certains États, le Kentucky, l’Iowa, la Géorgie, elle fut de 4 à 500 et même 700 pour cent.
Ce phénomène économique est naturel : le prix de te terre augmente avec le prix des produits facilement écoulés. Puisque la terre rapporte, tout le monde, ou presque, en veut, quitte à la faire valoir par des fermiers.
Qui ne possède pas l’argent comptant emprunte à gros intérêts, hypothèque sa propriété. On s’en tirera toujours, pense-t-on, en haussant le prix du blé, du maïs, du coton, de tant de produits pour lesquels la demande est formidable.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Pour n’avoir pas suffisamment médité ce proverbe, les propriétaires terriens connaissent depuis peu un vent qui pourrait bien, avant peu, souffler en tempête. Déjà la casse est considérable.

Il a suffi, pour cela, que les produite surabondants se vendent soudain à des prix inférieurs aux prix escomptés, que le rapport soit rompu entre ces prix et ceux que l’on déboursa pour l’achat des terres. Dès que la chose fut évidente, on voulut se débarrasser de ses propriétés, parfois même, plutôt que de travailler à perte, on les laissa en jachère.

Résultats : de 1920 à 1925, la valeur des exportations agricoles aux États-Unis a diminué de 17 milliards de dollars, soit du tiers ; le nombre des fermes s’est abaissé de 117 000, la superficie cultivée de 31 millions d’acres et le cheptel national de plus de 5 millions de têtes.

Telle est l’immédiate conséquence de la ruée à l’achat des terres à n’importe quel prix. Cette conséquence développera encore ses effets car nombre de propriétés écrasées sous le poids des emprunts seront abandonnées ou vendues à vil prix avant qu’il soit longtemps.

Autre résultat, en naturelle liaison avec ce qui précède : au 1er janvier 1925, 31 134 000 personnes vivaient dans les exploitations agricoles ; au 1er janvier 1926, 30 650 000 soit une diminution de près d’un demi-million.

Veut-on quelques précisions ?

En 1925, 2 millions de personnes ont abandonné l’agriculture pour se fixer dans les villes, alors qu’un million cent mille, seulement, s’établissaient dans les exploitations rurales. Perte 900 000.

Mais comme il y a eu d’ans les fermes 700 mille naissances et seulement 288 000 décès, le déficit tombe à un demi-million d’individus. Il reste considérable. De1920 à 1925, il comporte plus de deux millions de départs des campagnes à la ville.

Cette désertion de la terre est pour les États-Unis, surindustrialisés, grosse de conséquences économiques et sociales. »

On comprend que la guerre était vitale pour l’impérialisme américain. Véritable mastodonte, il n’avait pas les moyens de se développer de manière suffisamment autonome sur son propre territoire de par l’immense capacité productive déjà obtenue.

En 1938, sa part dans la production industrielle mondiale était de 32,2 %, contre 48,5 % en 1929 et même 36 % en 1913.

Et, justement, le phénomène de monopolisation ne s’était bien entendu pas arrêté. Hors finance, les 200 plus grandes entreprises virent leur part dans les richesses produites passer de 33,3 % en 1909 à 47,9 % en 1929.

Entre 1921 et 1929, le nombre de banques diminua de 17,9 %, alors que le nombre de filiales de celles restantes fut multiplié par six. La part de la traction mécanique dans l’agriculture était passé de 23,1 % en 1920 à 56,2 % en 1930.

En 1922, les États-Unis avaient dépassé le Royaume-Uni pour les investissements au Canada et se rapprochaient considérablement de celui-ci pour les investissements en Amérique latine. Le pays possédait d’ailleurs la moitié des réserves mondiales d’or.

On a ici tous les ingrédients pour comprendre comment les États-Unis, de par leur poids, devaient être amenés à vouloir façonner l’ensemble du monde capitaliste à son image. Voici un tableau général montrant bien comment les États-Unis étaient obligés d’aller de l’avant.


Revenu national en millions de dollarsIndice de la production industrielleVolume de production automobile en milliersImportations en millions de dollarsExportations en millions de dollars
191028 170
1811 5571 710
191331 450100 (en 1914)4621 7572 448
192068 4301411 9065 2788 080
192979 5002164 587

193972 8002142 8673 1023 311

De manière spécifique, voici les pourcentages indiquant la différence entre le point le plus haut avant la crise et le plus bas pendant celle-ci pour les deux phases de la crise, 1920 et 1929.


19201929
Production de charbon– 27,5 %– 40,9 %
Production de fer– 54,8 %– 79,4 %
Production d’acier– 53,1 %– 75,8 %
Consommation de coton– 20 %– 31 %
Production automobile– 28,3 %– 74,4 %
Production pétrolière+ 6,4 %– 22,1 %
Construction de locomotives– 58,2 %– 94,6 %
Indice des prix des gros– 37,6 %– 53,9 %
Exportations
(sans les réexportations)
– 53,4 %– 75,7 %
Importations– 53,2 %– 77,6 %

Mais il faut également se tourner vers la contradiction villes-campagnes, si importante. En effet, la première crise générale du capitalisme repose avant tout sur la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel. Cela ne signifie pas pour autant que le second aspect ne joue pas.

Il a sa signification et il va en fait jouer de manière grandissante, jusqu’à être au premier plan, comme on le voit avec la seconde crise générale en 2021. Il y a donc d’autant plus d’importance à saisir comment cela s’est déroulé, comme cela a concrètement joué sur l’ensemble du mode de production capitaliste.

Pour prendre un exemple, l’un des aspects importants de la première crise générale aux États-Unis tient aux « dust bowls », des tempêtes de poussière liées à la sécheresse issue du sur-labourage des plaines du sud par des agriculteurs cherchant à compenser la perte de leurs revenus en développant la production.

On parle ici d’une surface de 400,000 km², la poussière engloutissant tout et jetant sur les routes 500 000 personnes sans abri, 3,5 millions de personnes quittant en tout la région.

L’épisode est le thème du roman « Les raisins de la colère », de John Steinbeck. Une photographie très connue de Dorothea Lange montre également une femme avec ses enfants fuyant un dust bowl.


Ce qui s’est passé est simple à comprendre. L’immense croissance américaine, qui échappe qui plus est à la première guerre mondiale, a un potentiel inemployé.

On comprend ici comment les formidables forces dans l’agriculture, sous-employées, forment le terreau pour l’agro-industrie de la seconde moitié du XXe siècle, avec une systématisation de la viande et plus généralement des produits de consommation d’origine animale.

L’incroyable capacité productive américaine, aux mains du capitalisme de plus en plus monopoliste, conduit directement à vouloir refaçonner le consommateur de telle manière à étendre les profits.

C’est une tendance irrépressible au sein du mode de production capitaliste.

Dans les chiffres suivants, on lit déjà la guerre pour le repartage du monde et McDonald’s afin de répondre à la « sous-consommation » mondiale.


Production de blé en millions de boisseauxProduction de maïs en millions de boisseauxProduction de coton en milliers de balesMillions de bovinsMillions de porcinsMillions d’ovins
1910625,482 852,7911 61058 99048 07046 940
1913751,102 272,5414 15056 59053 75040 540
1920843,283 070,6013 43070 40060 16037 330
1929824,182 515,9414 83058 88059 04043 480
1939741,212 580,9911 82066 03050 01045 460

On lit précisément à ce sujet, dans l’article L’Amérique a trop de biens du journal suisse Le Rhône, le 6 décembre 1940 :

« D’Amérique, une plainte s’élève. Et elle a pour l’Europe quelque chose de cynique : « Nous avons trop de produits, trop de tout. Nous succombons sous notre abondance. »

Et l’Europe, elle, n’a assez de rien. L’Europe menace de succomber sous la disette.

Écoutez plutôt ce bref communiqué du département de l’agriculture à Washington : « Notre récolte de blé de 1940 s’annonce comme supérieure de 10 % à celle de l’an passé. Elle atteindra en chiffres ronds 730 millions de boisseaux — ce qui, avec le report de 1939, donnera un disponible de 1 milliard de boisseaux. Notre consommation annuelle est seulement de 650 millions de boisseaux. »

D’où il suit que les États-Unis disposent d’un stock formidable de 350 millions de boisseaux de blé, dont ils ne savent que faire.

A qui les envoyer ? Pas à l’Argentine, qui annonce elle-même qu’elle a en mains 300 millions de boisseaux à offrir à qui voudra les acheter.

Pas au Canada, qui déclare que son surplus de blé égale celui des États-Unis. Pas à l’Australie, qui est à la tête d’un stock de 100 millions de boisseaux.

Que faire de ce monceau de blé, dont la dixième partie suffirait à nourrir l’Europe affamée ?

Le jettera-t-on à la mer ou le brûlera-t-on dans les cheminées des fermes comme le Brésil brûle son café dans les chaudières de ses locomotives ? Paradoxal problème.

Et ce qui est vrai du blé l’est aussi de la viande. Écoutez cet autre communiqué du même département de Washington : « La masse de notre cheptel est la plus forte que nous ayons connue depuis vingt ans. Le stock de lard dépasse actuellement 266 millions de livres — ce qui constitue de loin un record. »

Mais, à la même heure, le gouvernement canadien annonce, de son côté, qu’il est, lui aussi, submergé de viande de porc dont il ne trouve pas l’écoulement. Et le gouvernement argentin ne sait à qui vendre ses conserves de viande de bœuf, qu’il ne parvient pas à exporter.

Et la plaintive chanson est la même pour le coton : « Nous n’avons pas encore ramassé, disent les États-Unis, notre récolte de 1940, alors que nous avons toujours sur les bras notre récolte de 1939. »

Et elle est la même pour le café, dont le Brésil a dû détruire le cinquième de sa production, l’an dernier, et dont il menace de flamber le tiers cette année.

Feux de joie ou feux de tristesse qui viennent s’ajouter aux feux de destruction de la vieille Europe ? »

On sait comment l’impérialisme américain, après 1945, parviendra à modifier le style de vie des gens afin de trouver un terrain pour l’expansion de la consommation. Cela passait toutefois par la mise en place d’un réel secteur militaro-industriel alors que l’État devenait un vecteur majeur de l’impérialisme américain dans sa quête d’hégémonie.

Le New Deal – la « nouvelle donne » – de Franklin Delano Roosevelt, entre 1934 et 1938, fut le point de départ d’une remise à niveau général de l’État américain en ce sens. Le gouvernement américain ne fut bien entendu pas en mesure d’organiser le capitalisme, mais il fut un outil essentiel des monopoles pour parvenir à organiser la société selon ses besoins, notamment par la criminalisation complète des communistes.

C’est le sens de la loi d’exception sur les banques, de la loi sur les valeurs c’est-à-dire les dépôts d’argent, de la loi sur le redressement industriel national, de la loi sur la réorganisation de l’agriculture, de la loi de crédit pour les fermes.

Voici comment Roosevelt présente le New Deal lors d’un discours à Chicago en juillet 1932 :

« Alors que nous entrons dans cette nouvelle bataille, gardons toujours présent avec nous certains des idéaux du parti : le fait que le parti démocrate, par tradition et par la logique continue de l’histoire passée et présente, est le porteur du libéralisme, du progrès, et dans le même temps de la sûreté pour nos institutions.

Et si cet appel n’est pas entendu, souvenez-vous bien, mes amis, que le ressentiment envers l’échec de la direction républicaine – et notez bien que dans cette campagne je n’utiliserai pas les mots « parti républicains » mais, tout le temps, les mots « direction républicaine » – l’échec de la direction républicaine à résoudre nos troubles peut dégénérer en un radicalisme irrationnel (…).

Il est inévitable – et ce choix est celui de l’époque – il est inévitable que la principale question de cette campagne tourne clairement autour de notre condition économique, une dépression si profonde qu’elle est sans précédent dans l’histoire moderne (…).

Vint le crash. Vous connaissez l’histoire. Les surplus investis dans les usines inutiles s’y figèrent. Les gens perdirent leurs emplois ; le pouvoir d’achat s’assécha ; les banques s’effrayèrent et commencèrent à rappeler leurs prêts.

Ceux qui avaient de l’argent avaient peur de s’en séparer. Le crédit se contracta. L’industrie stoppa. Le commerce déclina, et le chômage monta (…).

Que veut plus que tout le peuple américain ? je pense qu’il veut deux choses : du travail, avec toutes les valeurs morales et spirituelles qui l’accompagne ; et avec celui-ci, un niveau raisonnable de sécurité – de sécurité pour eux-mêmes, pour leurs femmes et enfants.

Travail et sécurité sont bien plus que des mots, que des faits. Ce sont les valeurs spirituelles, le véritable but vers lequel nos efforts de reconstruction doivent nous diriger. »

Avec la seconde vague de crise, apparue en 1929, il y avait besoin de ré-impulser le régime américain, alors qu’une contestation de masses cherchait à s’exprimer, reprenant le fil rouge perdu historiquement au moment de la première guerre mondiale par la pression nationaliste et anti-communiste.

C’était une tendance par ailleurs très marquée dans tous les pays capitalistes, avec une irruption générale des masses sur le terrain de la politique, le capitalisme lançant le fascisme pour dévier le mouvement.
On en revient à la question du rythme de la crise, de la question de comment s’y adapter.

Georgi Dimitrov formule cela ainsi au septième congrès de l’Internationale Communiste en 1935 :

« Dans les conditions de la crise économique extrêmement profonde, de l’aggravation marquée de la crise générale du capitalisme, du développement de l’esprit révolutionnaire dans les masses travailleuses, le fascisme est passé à une vaste offensive.

La bourgeoisie dominante cherche de plus en plus le salut dans le fascisme, afin de prendre contre les travailleurs des mesures extraordinaires de spoliation, de préparer une guerre de brigandage impérialiste, une agression contre l’Union soviétique, l’asservissement et le partage de la Chine et sur la base de tout cela de conjurer la révolution.

Les milieux impérialistes tentent de faire retomber tout le poids de la crise sur les épaules des travailleurs.
C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.

Ils s’efforcent de résoudre le problème des marchés par l’asservissement des peuples faibles, par l’aggravation du joug colonial et par un nouveau partage du monde au moyen de la guerre.
C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.

Ils s’efforcent de devancer la montée des forces de révolution en écrasant le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et en lançant une agression militaire contre l’Union soviétique, rempart du prolétariat mondial. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.

Dans une série de pays, notamment en Allemagne, ces milieux impérialistes ont réussi, avant le tournant décisif des masses vers la révolution, à infliger une défaite au prolétariat et à instaurer la dictature fasciste. »

Les États-Unis eux-mêmes furent touchés par une vague révolutionnaire, bousculant l’ordre établi, le New Deal de Roosevelt devant justement être un pare-feu. C’était une réponse de la contre-révolution à la menace que représentait la révolution. C’était une opération de restructuration.

Voici un tableau avec le nombre de chômeurs et de grévistes, par année, en milliers de personnes, aux États-Unis.


Nombre de chômeursNombre de grévistes
1918560
1919950
19201 670
19215 010
19223 220
19231 380
19242 440
19251 800
1926880
19271 890330
19282 080310
19291 550290
19304 340180
19318 020340
193212 060320
193312 8301 170
193411 3401 470
193510 6101 120
19369 030790
19377 7001 860
193810 390690
19399 4801 170

La difficulté est bien entendu de saisir cela en rapport avec le développement inégal du capitalisme en général. Le développement du capitalisme dans un pays est à la fois indépendant du développement du capitalisme dans les autres pays et dépendant de celui-ci. Il y a une interaction extrêmement complexe, toujours en mouvement.

Pour prendre un exemple concret, les États-Unis se développent en prenant la place de numéro 1 au Royaume-Uni.

Les contradictions ont été innombrables, la concurrence a été très rude, au point qu’objectivement, il était tout à fait possible de s’attendre à une guerre entre les deux pays dans le cadre de la bataille pour le repartage du monde.

Et pourtant, le Royaume-Uni s’est placé comme aide de camp des États-Unis historiquement.

L’exemple le plus connu est la prise de la Grèce par le Royaume-Uni en 1945 et, devant le succès du Parti Communiste de Grèce à mener une véritable guerre populaire, ce sont les États-Unis qui sont intervenus, écrasant le mouvement révolutionnaire trahi par la Yougoslavie de Tito et faisant de la Grèce son satellite.

Le Royaume-Uni n’a pas « choisi » une telle évolution ; celle-ci a été le produit du cours des choses. La première crise générale du capitalisme avait frappé le Royaume-Uni de telle manière que cet impérialisme s’est enlisé.

Ces chiffres sur la production industrielle du Royaume-Uni montrent bien comment l’élan a été relativement cassé.


Revenu national en millions de livresIndice de la production industrielleConstruction navale en milliers de tonnesConsommation automobile en milliers de véhicules
19102 063100,5700
19132 3681001 20034
19205 66495,11 28095 (en 1923)
19294 178112,3930239
19395 037137920 (en 1937)504 (en 1937)

De manière spécifique, voici les pourcentages indiquant la différence entre le point le plus haut avant la crise et le plus bas pendant celle-ci, pour les deux moments forts de la crise.


19201929
Volume de production de charbon– 28,9– 19,7
Volume de production de fer– 67,4– 52,9
Volume de production d’acier– 59,2– 46
Tonnage de la construction navale– 68– 91
Consommation de coton– 42,9– 27,5
Trafic portuaire des longs courriers+ 0,3– 12,6
Indice général des prix de gros– 48,6– 57,8
Exportations
(sans les réexportations)
– 44,6– 66,4
Importations– 41,8– 62,2

Un tel cadre renforça le développement des monopoles. On doit ici mentionner le cartel de la British Iron and Steel Federation (avec 47 % de la fonte de fer et 67 % de l’affinage de l’acier), mis en place par le gouvernement du travailliste Ramsay MacDonald œuvrant pour les conservateurs.

On a également dans le pétole la Anglo-Persian Oil Company, la compagnie hollando-britannique Shell, la Burmese Oil Company ; dans le coton on a la Lancashire cotton Corporation fusionnant plus d’une centaine d’entreprises sous l’égide de la Banque d’Angleterre.

Dans la métallurgie, on a la English Steel Corporation unissant l’entreprise de construction navale Cammell Laird Company et le spécialiste de l’acier Vickers ; dans la chimie c’est l’unité sous la forme de la Imperial Chemical Industries (contrôlant notamment 95 % de la production chimique).

Et, ce qui est caractéristique du cas britannique, la contestation ne grandit pas vraiment. Voici un tableau avec le nombre de chômeurs et de grévistes, par année, en milliers de personnes.


Nombre de chômeursNombre de grévistes
19221 560550
19231 300410
19241 090610
19251 410440
192617502 730
19271 070110
19281 270120
19291 160530
19301 910310
19312 710490
19322 840380
19332 500140
19342 120130
19352 000270
19361 710320
19371 370600
19381 880270

C’est comme si les travailleurs restaient paralysés parce qu’ils maintenaient leur croyance en le développement britannique pour ainsi dire unique au monde. Alors qu’en réalité le Royaume-Uni avait raté sa transition, s’appuyant surtout sur son élan du développement du capitalisme d’avant 1880.

Il y a ici un véritable ratage historique et, de fait, le mouvement ouvrier en Angleterre n’a jamais dépassé le travaillisme et sa socialisation très avancée, mais incapable d’idéologie et de politique.

Pour caractériser l’économie britannique en tant que tel, on peut sans doute dire que le Royaume-Uni était en fait dépassé par les États-Unis et, en ce sens, en partie emporté dans son sillage. Il y a ici une grande réflexion à avoir sur ce type d’interaction, pour bien comprendre de quelle manière il y a un effet d’entraînement.

Cela joue tant pour une situation de compétition ouverte comme celle actuellement entre les États-Unis et leur challenger chinois, que par exemple pour l’histoire économique de l’Union Européenne.

En tout cas, donc, le Royaume-Uni est comme aspiré en raison de son décalage. La mécanisation de la production de charbon et des métaux n’était en 1931 que de 35 % (contre 80 à 90 % pour les États-Unis et l’Allemagne), en 1930 dans le textile on a 42 % des machines étant des modèles d’avant 1870-1880…

Ce retard avec une certaine stabilité est également ce qui marque la France, avec de grandes nuances toutefois.

La stabilité profite du fait que le pays est beaucoup plus agraire que les autres pays capitalistes : ce n’est qu’en 1926 que le nombre de travailleurs dans l’industrie dépasse ceux dans l’agriculture. Cela forme un marché relativement fermé.

Et la France a profité du paiement en nature, à des prix très avantageux, des réparations allemandes. Si on ajoute l’immense empire colonial, il y a les ingrédients pour une relative stabilité, marginalisant d’ailleurs de manière complète le Parti Communiste durant toutes les années 1920.

On ne sera guère étonné qu’un tel environnement ait été propice à l’industrialisation.

La part de la France dans la production industrielle mondiale passe d’ailleurs de 5 % en 1920 à 8 % en 1930 ; il faut notamment souligner le développement des constructeurs automobiles français (Panhard & Levassor, Automobiles Citroën, Peugeot, Renault) : la production automobile passa de 40 000 véhicules en 1920 à 254 000 en 1929.

Un tel développement, parallèle à la reprise américaine, ne pouvait qu’être terriblement frappé par la seconde vague de la crise. Voici les chiffres pour la France.


Indice de la
production industrielle
Indice de la production agricole (100 en 1938)
191089
191310091
19206280
192913998
193972 (en 1938)99

De manière spécifique, voici les pourcentages indiquant la différence entre le point le plus haut avant la crise et le plus bas pendant celle-ci.


1930
Production de charbon– 15,8
Production de fer– 46,6
Production d’acier– 41,9
Consommation de coton– 38,3
Indice des prix des gros– 45,1
Exportations– 69,1
Importations– 64

La part de la France dans la production industrielle mondiale retomba alors à 5,1 %.

C’était une crise de développement, tout comme aux États-Unis : même les pays échappant formellement à la première crise générale se sont heurtés à un mur, en raison de leur dimension trop restreinte.

Cela réactiva la lutte des classes, comme on le voit ici avec le tableau avec le nombre de chômeurs et de grévistes, par année, en milliers de personnes.


Nombre de grévistes
1918176
19191 151
19201 317
1921402
1922290
1923331
1924275
1925249
1926349
1927111
1928204
1929240
1930582
193148
193272
193387
1934101
1935109
19362 423
1937324
19381 333

Il faut bien se rappeler ici que les forces productives ne sont pas encore assez développées pour étendre les marchés à marche forcée, comme c’est le cas au début du 21e siècle. Un blocage se révèle complet et la bataille pour le repartage du monde s’impose beaucoup plus rapidement.

La France pouvait espérer bien entendu que son empire lui permettrait d’arracher des richesses, d’ailleurs le système bancaire s’était largement centralisé, avec le Crédit Lyonnais, le Comptoir National d’Escompte et la Société Générale (3 300 succursales en 1930 contre 1 700 en 1913).

Mais les forces productives étaient bien trop peu développées dans l’empire français, il aurait fallu des investissements véritablement massifs, et c’était hors de portée.

Les tendances autoritaires du régime se firent ainsi toujours plus fortes, poussées par les 200 familles les plus riches de France formant une haute bourgeoisie de plus en plus aux commandes. Les masses réagirent avec le Front populaire, mais sans réelle lecture des événements et cela ne produisit rien.

Enfin, il faut bien entendu mentionner, pour souligner le développement inégal, le développement du Japon. Ce pays se développe littéralement parallèlement à la première crise générale du capitalisme. Cela tient à son caractère économiquement arriéré, son régime féodal-militaire, son isolement géographique.

Les chiffres pour le Japon montrent que le pays, tout en étant inévitablement touché par la crise générale, avance tout de même à marche forcée.


Indice de la production industrielleValeur de la production agricole en millions de dollars
191073,91 204
1913107,71 975
1920413,74 210
1929539,53 480
19391 144,14 050

De manière spécifique, voici les pourcentages indiquant la différence entre le point le plus haut avant la crise et le plus bas pendant celle-ci, pour les deux temps forts de la crise.


19201929
Production de fer– 16,1 %– 18,3 %
Production de charbon– 17,7 %– 15,3 %
Construction navale– 88,2 %– 67,1 %
Production de coton– 7 %– 9,7 %
Exportations– 40,3 %
Importations– 30,9 %– 62,3 %

Le Japon est, avec les États-Unis, le pays avec le plus de potentiel lors de la première crise générale du capitalisme. Cela va justement se voir avec la période de l’après-guerre.

Le chemin vers la seconde crise générale

Il n’est possible que de tracer à grands traits la période 1945-1989 et 1989-2021, tellement il y a d’aspects, mais en même temps ces faits sont faciles à comprendre, puisqu’on se rapproche de notre situation en 2021 et que cela parle de soi-même.

En 1945, les États-Unis sont en position de force : le nombre de morts pendant la guerre est extrêmement faible, le territoire national n’a pas été touché, l’industrie militaire fonctionne à plein rendement.

Qui plus est, trois territoires vont passer sous contrôle direct : le Japon, l’Allemagne de l’Ouest devenant la République Fédérale Allemande, à quoi il faut ajouter l’Autriche. Or, ces trois pays n’ont pratiquement pas eu de destructions provoquées par la seconde guerre mondiale en ce qui concerne l’industrie. Leurs régimes s’étant effondrés, les États-Unis ont pu qui plus est les façonner selon leurs besoins.

L’Autriche revient ainsi à son niveau d’avant-guerre dès 1950, le Japon en 1951, l’Allemagne de l’Ouest en 1952. Et c’est alors que jouent à fond les plans Marshall et Schuman.

Le plan Marshall n’est pas une « aide », mais un vaste prêt à l’Europe occidentale (16,5 milliards de dollars soit 173 milliards de dollars en 2020) assorti de la condition d’utiliser l’argent pour acheter des biens américains. C’était un moyen de canaliser la surproduction américaine, en modernisant l’appareil productif d’Europe occidentale pour l’intégrer dans son propre dispositif.

Pour ce faire, il y eut le plan Schuman de 1950, de Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français, épaulé par Jean Monnet.

Il s’agissait de mettre en place une production commune du charbon et de l’acier, ce qui va déboucher en 1951 sur la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, avec la Belgique, la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cela débouchera en 1957 sur la Communauté Économique Européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, concernant 150 millions de personnes.

Ce plan de Communauté Européenne fut porté les forces politiquement centristes alliés à l’aile droite de la social-démocratie, directement en convergence avec les intérêts des États-Unis.

Dans une déclaration de 1950, les Partis Communistes de France, d’Allemagne, d’Italie, de Grande-Bretagne, de Hollande, de Belgique et du Luxembourg constatent que :

« Le plan Schuman, qui est une prolongation du plan Marshall, tend à faire de l’Ouest de l’Allemagne, placé sous contrôle américain, une base politique et économique et militaire essentielle en Europe, pour la troisième guerre mondiale.

Il vise à intégrer complètement dans le bloc atlantique les capitalistes allemands, considérés par les fauteurs de guerre américains comme la force d’agression la plus sûre en Europe.

Il facilite la reconstitution d’une armée en Allemagne occidentale sous la direction des anciens généraux hitlériens.

La réalisation du projet Schuman aboutirait à mettre les industries minières et sidérurgiques – et par voie de conséquence l’ensemble de l’économie – de la France, de la Grande-Bretagne, de la Belgique, du Luxembourg, de l’Italie et de la Hollande sous le contrôle des magnats capitalistes de la Ruhr, eux-mêmes aux ordres des financiers de Wall Street.

L’industrie et l’agriculture de ces pays deviendraient ainsi le complément de l’industrie de guerre de l’Ouest allemand pour le compte des impérialistes américains.

Il s’agit de constituer un arsenal du bloc atlantique, c’est-à-dire l’ensemble guerrier le plus formidable que l’Europe ait jamais connu.

C’est l’alliance des marchands de canons rassemblant, sous la direction des potentats du dollar, les grands industriels nazis de la Ruhr, le Comité des Forges qui trahit depuis des décades les intérêts de la France, certains rois de l’industrie guerrière anglaise et les gros industriels de Belgique et du Luxembourg.

Le Plan Schuman consacrerait la mise au pas des pays marshallisés, il achèverait de détruire la souveraineté nationale de ces pays en livrant leur économie aux impérialistes américains. Il confirmerait l’état de colonisation de l’Ouest allemand. »

Cependant, cette critique du plan Schuman s’appuie sur un raisonnement à court terme : il s’agirait de faire bloc contre l’URSS, dans un préparatif rapide de guerre.

En réalité, c’était lié à l’expansion capitaliste américaine à travers le développement de l’Europe de l’Ouest, avec l’Allemagne de l’Ouest comme moteur, comme « modèle ».

Ulrike Meinhof, de la Fraction Armée Rouge, constate la chose suivante au sujet de l’Allemagne de l’Ouest, en 1976 :

« Dans les trois zones occidentales de l’après-guerre, c’est le capital américain, avec l’aide de la social-démocratie, vendue au capital américain, et des syndicats, financés et contrôlés par la CIA, qui organisa directement le prolétariat, depuis le début il s’agissait de dépolitiser les luttes de classes en Allemagne et de structurer, d’organiser dans la légalité, toute l’opposition politique, sur la base de l’anti-communisme.

C’est ainsi qu’il peut s’expliquer qu’aucun mouvement d’opposition ne se soit développé en R.F.A., jusqu’à l’époque du mouvement étudiant [dans les années 1960) – tout mouvement d’opposition ayant été usurpé et étouffé par la social-démocratie (…).

Ce qui caractérise la dépendance spécifique de l’impérialisme ouest-allemand c’est qu’outre que l’Etat est obligé de s’adapter aux conditions de reproduction du capital hégémonique dans sa politique et ses institutions, dès l’instant où, comme tous les États sous la dépendance du système mondial américain, il est soumis à la totale hégémonie du capital américain, c’est que, dans cet état, le pouvoir politique n’a jamais été remis à ces propres organes constitutionnels (…).

Autrement dit, après 1945, le capital américain a non seulement intégré la constitution de l’Allemagne fédérale dans ses éléments opératoires (une démocratie, dirigée par un chancelier; et un parlement, aux compétences restreintes par le fédéralisme; l’intégration des fonctionnaires fascistes par l’appareil judiciaire et l’administration allemande), il a de plus mis la main sur toutes les autres instances de contrôle caractérisant l’état impérialiste (les partis, les organisations du patronat, les syndicats, les mass-médias). »


Et Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof et Jan-Carl Raspe, de la Fraction Armée Rouge, de souligner en 1976 que :

« Dans aucun État, à part les États-Unis, la guerre froide n’a été menée à l’intérieur de manière aussi aiguë, tant en termes de propagande que matériellement (…).

Dans le développement du système impérialiste mondial sous l’hégémonie du capital américain et de son expression politico-militaire, la politique étrangère américaine, et son instrument principal, l’armée américaine, les États-Unis ont fondé trois États après 1945.

Ceux-ci servaient de base d’opération de la politique étrangère américaine en-dehors des États-Unis eux-mêmes : la République Fédérale Allemande, la Corée du Sud, le Vietnam du Sud.

La fonction de ces États pour l’impérialisme américain joue dès le départ sur deux directions : comme bases d’opération de l’armée américaine pour encercler et faire reculer l’Union Soviétique, plus précisément l’armée soviétique.

Et c’était des bases d’opération pour le capital américain pour l’organisation en fonction de ses intérêts de la région de l’Asie du Sud-Est et du Sud là-bas, pour l’Europe de l’Ouest ici (…).

Les conditions dans lesquelles la République Fédérale Allemande est relativement vite parvenu à une prospérité économique ne se distinguent pas de celles dans lesquelles le fascisme a consolidé le rapport capitaliste après 1933, à ceci près que la famine dans les zones occidentales en 1946-1947 n’a pas été le produit de la crise mais artificielle, afin de forcer le consensus à l’intégration occidentale des trois zones (…).

Cette intégration totale dans l’État américain est une conséquence de la stratégie contre-révolutionnaire mondiale de l’impérialisme et une condition nécessaire de la fonction de l’État République Fédérale Allemande pour cette stratégie (…).

Les salaires réels en Allemagne de l’Ouest étaient en juin 1949 13,5 % sous le niveau de 1930, qui lui-même était en-dessous du niveau de 1932 au plus fort de la crise (…).

Avec l’aide du plan Marshall, l’impérialisme US procurait aux monopoles ouest-allemands les fondements économiques pour leur développement expansionniste, désormais sous son hégémonie (…).

Plus de la moitié des ouvriers de R.F.A. (63 % en 1970) travaillent dans moins de cent konzerns, qui sont tellement entremêlés qu’on pourrait dire que la socialisation de la production sous l’hégémonie du capital américain est totale (…).

En 1970, 3,1 % des entreprises disposaient 64,4 % du chiffres d’affaires de la production industrielle. »

Ce n’était cependant qu’un aspect de la question. En effet, de par le développement des forces productives, il s’ensuivait une situation nouvelle, avec une consommation de masse, ouvrant elle-même de nouveaux espaces productifs et cela d’autant plus que l’impérialisme américain imposait son style de vie.

Il est notable que ni Ulrike Meinhof ni ses camarades ne soulignent à ce titre l’importance du Japon comme moteur capitaliste, tout comme l’Allemagne de l’Ouest.

C’est là un paradoxe assez inexplicable, car la Fraction Armée avait tout à fait compris cet impact sur la vie quotidienne, cette capacité du capitalisme relancé après 1945, en profitant des forces productives disponibles, pour s’élargir et ouvrir de nouveaux marchés en modifiant la vie des gens. Elle constate dès 1972 que :

« La définition du sujet révolutionnaire à partir de l’analyse du système, avec la reconnaissance que les peuples du tiers-monde sont l’avant-garde, et avec l’utilisation du concept de Lénine d’« aristocratie ouvrière » pour les masses dans les métropoles, n’est pas périmée et terminée.

Au contraire, elle ne fait même que commencer. La situation d’exploitation des masses dans les métropoles n’est plus couverte par seulement le concept de Marx de travailleur salarié, dont on tire la plus-value dans la production.

Le fait est que l’exploitation dans le domaine de la production a pris une forme jamais atteinte de charge physique, un degré jamais atteint de charge psychique, avec l’éparpillement plus avancé du travail s’est produite et développée une terrifiante augmentation de l’intensité du travail.

Le fait est qu’à partir de cela, la mise en place des huit heures de travail quotidiennes – le présupposé pour l’augmentation de l’intensité du travail – le système s’est rendu maître de l’ensemble du temps libre des gens.

À leur exploitation physique dans l’entreprise s’est ajoutée l’exploitation de leurs sentiments et de leurs pensées, de leurs souhaits et de leurs utopies – au despotisme des capitalistes dans l’entreprise s’est ajouté le despotisme des capitalistes dans tous les domaines de la vie, par la consommation de masse et les médias de masse.

Avec la mise en place de la journée de huit heures, les 24 heures journalières de la domination du système sur les travailleurs a commencé sa marche victorieuse – avec l’établissement d’une capacité d’achats de masse et la « pointe des revenus », le système a commencé sa marche victorieuse sur les plans, les besoins, les alternatives, la fantaisie, la spontanéité, bref : de tout l’être humain !

Le système a réussi à faire en sorte que dans les métropoles, les masses sont tellement plongées dans leur propre saleté, qu’elles semblent avoir dans une large mesure perdu le sentiment de leur situation comme exploitées et opprimées.

Cela, de telle manière qu’elles prennent en compte, acceptant cela tacitement, tout crime du système, pour la voiture, quelques fringues, une assurance-vie et un crédit immobilier, qu’elles ne peuvent pratiquement rien se représenter et souhaiter d’autre qu’une voiture, un voyage de vacances, une baignoire carrelée.

Il se conclut de cela cependant que le sujet révolutionnaire est quiconque se libère de ces encadrements et qui refuse de participer aux crimes du système.

Que quiconque trouve son identité dans la lutte de libération des peuples du tiers-monde, quiconque refuse de participer, quiconque ne participe plus, est un sujet révolutionnaire – un camarade.

De là il s’avère que nous devons analyser la journée de 24 heures du système impérialiste.

Qu’il nous fasse présenter pour chaque domaine de la vie et du travail comment la ponction de la plus-value se déroule, comment il y a un rapport avec l’exploitation dans l’entreprise, car c’est précisément la question.

Avec comme postulat : le sujet révolutionnaire de l’impérialisme dans les métropoles est l’être humain dont la journée de 24 heures est sous le diktat, sous le patronage du système.

Nous ne voulons pas élargir le cadre où doit être réalisée l’analyse de classe – nous ne prétendons pas que le postulat soit déjà l’analyse.

Le fait est que ni Marx ni Lénine ni Rosa Luxembourg ni Mao n’ont eu à faire au lecteur du [journal populiste à gros tirage] Bild, au téléspectateur, au conducteur de voiture, à l’écolier psychologiquement formaté, à la réforme universitaire, à la publicité, à la radio, à la vente par correspondance, aux plans d’épargne logement, à la « qualité de la vie », etc.

Le fait est que le système se reproduit dans les métropoles par son offensive continue sur la psyché des gens, et justement pas de manière ouvertement fasciste, mais par le marché.

Considérer pour cela que des couches entières de la population sont mortes pour la lutte anti-impérialiste, parce qu’on ne peut pas les caser dans l’analyse du capitalisme de Marx, est pour autant délirant, sectaire comme non-marxiste.

Ce n’est que si l’on arrive à amener la journée de 24 heures au concept impérialiste / anti-impérialiste que l’on peut parvenir à formuler et à présenter les problèmes concrets des gens, de telle manière qu’ils nous comprennent. »

C’est ce 24 heures sur 24 du capitalisme qui est la source de ce qu’on appelé en France les « trente glorieuses », et inversement : c’est en pratique une formidable expansion des forces productives, dans le cadre du capitalisme.

Le niveau de vie des masses a cru de manière ininterrompue, avec des améliorations tant qualitatives que quantitatives. Depuis l’assurance-chômage à l’assurance-santé, il y a eu un tel progrès dans la vie quotidienne qu’il s’en est suivi une dépolitisation complète, une acceptation de l’idéologie dominante.

Les masses se sont laissé entraîner, dans les pays impérialistes, dans la croissance capitaliste. Voici le développement du PIB de la Belgique et de la France pour la période 1950-2018.

Et de par la domination des pays impérialistes, les pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie eux-mêmes ont obéi aux exigences productives. Cela se lit bien dans l’urbanisation du monde, avec une part désormais dominante de gens vivant en villes et non plus dans les campagnes.

Dans les pays soumis aux puissances impérialistes, des bourgeoisies bureaucratiques et des bourgeoisies compradores ont servi de tête de ponts pour façonner les forces productives selon les besoins propres à un noyau dur de pays capitalistes désormais extrêmement développés, particulièrement avancés sur le plan scientifique, technique et culturel.

Pour les masses des pays impérialistes, il est ainsi inconcevable qu’il n’y ait pas une croissance ininterrompue de leur niveau de vie, et ce quel qu’en soit le prix au niveau mondial ou sur le long terme.

Voici l’évolution de la production mondiale de céréales.

Voici l’évolution de la consommation mondiale d’énergies.

Il y a ainsi une aliénation complète des masses des pays impérialistes par rapport à la réalité du mode de production capitaliste.

Voici l’évolution du nombre d’heures de travail en Belgique et en France.

Le capitalisme a su laisser du temps libre pour la consommation tout en obtenant une élévation insensée de la productivité, au prix de la déformation des personnalités, de l’utilisation maximisée de leur potentiel nerveux et psychique.

L’un des aspects essentiels de cette aliénation se lit particulièrement dans la passivité et l’incompréhension des masses de la nature de ce que propose le capitalisme : des produits moches, de mauvaise qualité, cela pour les aliments comme pour les meubles, avec une capacité à accepter et vouloir ce qui est jetable, changeable.

L’incohérence se lit particulièrement dans le rapport aux animaux, alors que l’utilisation de ceux-ci a pris des proportions dantesques. Voici l’évolution de la production de viande.

Voici justement une présentation de l’importance de l’intégration toujours plus massive des animaux, dans l’article de décembre 2008, Crise du capitalisme et intensification de la productivité : le rôle des animaux dans la chute tendancielle du taux de profit :


« Qu’est-ce qui fait que le capitalisme a pu disposer d’une large période de stabilité relative ? Tout d’abord, nous devons voir que même au sein de cette stabilité, ce n’est que pendant ce que les historiens bourgeois appellent les 30 glorieuses (les années 1945-1975) que cette stabilité a été réelle.

Cette période de trente années suivant 1945 a été marquée par la reconstruction des pays de l’ouest européen après l’affrontement impérialiste de 1939-1945, mais également par des avancées technologiques redynamisant le capitalisme, que les historiens bourgeois appellent sous le nom de « société de consommation ».

A ce niveau, le mouvement de mai 1968 apparaît également comme un mouvement culturel au sein des superstructures pour suivre la modernisation du capitalisme, en plus d’être aussi en partie un réel mouvement ouvrier (en pleine expansion) en confrontation avec le mode de production.

On remarque également que depuis une dizaine d’années l’informatique joue un grand rôle dans la modernisation du capitalisme ; là aussi cela s’accompagne d’une évolution culturelle, avec également au sein de celle-ci une radicalité petite-bourgeoise intellectuelle passant par l’informatique.

Mais il est également un autre facteur de réimpulsion du capitalisme, un facteur de modernisation très profond et se déroulant au sein même de l’appareil productif.

Quelle a été cette modernisation ? Comprenons d’abord que la modernisation consiste en des modifications technologiques, qui jouent sur le travail, en permettant une augmentation de la productivité.
Ce jeu sur la productivité ne peut pas empêcher à terme la crise du capitalisme, pour autant il joue un rôle dans le rythme du cycle d’accumulation.

Rappelons donc à ce titre que ce qui détermine la valeur du travail, c’est sa durée (l’aspect extensif), son degré d’intensité (la quantité de travail plus ou moins grande qui est fournie), son degré de productivité (c’est-à-dire la quantité plus ou moins grande de produits fournis pour une même quantité de travail).

Les capitalistes cherchent à valoriser le plus possible la valeur travail au sein de la production, tout en rémunérant ce travail le moins possible. C’est le principe de l’exploitation, exploitation masquée par l’idéologie dominante.

Et la crise du capitalisme réside justement en ce que la part de la valeur-travail au sein de la production diminue avec la modernisation : en fait, moins il y a d’ouvriers employés, moins les capitalistes volent du surtravail aux ouvriers.

C’est la chute tendancielle du taux de profit. Karl Marx explique à ce sujet :

« Le développement de la force productive et l’élévation correspondante de la composition organique du capital permettent de faire fonctionner une quantité de plus en plus grande de moyens de production à l’aide d’une quantité de travail de plus en plus petite, chaque partie aliquote du produit total, chaque marchandise prise à part ou encore chaque portion déterminée de la masse totale des marchandises produites absorbe moins de travail vivant et contient moins de travail matérialisé aussi bien dans l’usure du capital fixe utilisé que dans les matières premières et auxiliaires consommées.

Chaque marchandise singulière recèle donc une somme moindre et de travail matérialisé en moyens de production et de travail nouvellement ajouté dans la production. » (Le Capital, 2, XIII).

Le Capital de Karl Marx n’est pas une œuvre philosophique, mais elle reste une œuvre dialectique, et donc Karl Marx, après avoir présenté la chute tendancielle du taux de profit, se demande avec nous de manière dialectique :

« Comment expliquer que cette baisse n’ait pas été plus importante ou plus rapide ? Il a fallu que jouent des influences contraires, qui contrecarrent et suppriment l’effet de la loi générale et lui confèrent simplement le caractère d’une tendance.

C’est pourquoi nous avons qualifié la baisse du taux de profit général de baisse tendancielle. » (Le Capital, 3, XIV)

Et Karl Marx de nommer comme causes les plus générales :

– augmentation du degré d’exploitation du travail,

– réduction du salaire au-dessous de sa valeur,

– baisse de prix des éléments du capital constant,

– la surpopulation relative,

– le commerce extérieur,

– augmentation du capital par actions.

Intéressons-nous à l’augmentation du degré d’exploitation du travail. Karl Marx explique que :

« Tout ce qui favorise la production de la plus-value relative par simple perfectionnement des méthodes, comme dans l’agriculture, sans augmentation du capital utilisé, a le même effet.

Ici, il est vrai, le capital constant employé n’augmente pas par rapport au capital variable, si nous considérons ce dernier comme l’indice de la force de travail occupée, mais c’est la masse du produit qui augmente par rapport à la force de travail utilisée. »

Y a-t-il alors un produit dont la masse ait pu être augmentée sensiblement à très faible coût, permettant une intensification capitalistique de la production durant cette période de relative stabilité ?

La réponse est oui, et il y en a même plusieurs, qui font que même s’il y a moins d’ouvriers (et donc moins de surtravail volé), le capitalisme se « rattrape » grâce à l’intensification du travail, permettant un accroissement du taux de plus-value arraché sur le dos de la classe ouvrière.

Reprenons les trois éléments déterminant la valeur du travail :

– l’aspect extensif,

– le degré d’intensité,

– le degré de productivité.

Et fournissons des exemples concrets, ayant joué un rôle dans le ralentissement de la chute tendancielle du taux de profit.

a) l’aspect extensif

Quand on pense au caractère extensif, on pense traditionnellement à l’agrandissement d’un lopin de terre. Mais c’est erroné, ce n’est pas dialectique. Prenons ici l’exemple concret du sucre : l’aspect extensif n’a pas porté sur la source, mais sur son utilisation.

Si chaque personne en France consomme 35 kilos de sucre par année, c’est en raison de l’utilisation massive et nouvelle du sucre par les capitalistes (dans les soupes, les aliments transformés, les yaourts, les biscuits, des cosmétiques, etc.).

La France étant le premier producteur européen de sucre et le deuxième producteur mondial de sucre de betterave, on voit tout de suite l’intérêt d’une extension du domaine du sucre : en 2007, le chiffre d’affaires des monopoles du sucre était de 3,5 milliards d’euros.

En 1960-1961, étaient mises sur le marché 1 385 467 tonnes de sucre blanc. En 2004-2005, le chiffre était passé à 2 180 000.

Évidemment, l’exploitation des pays semi-coloniaux semi-féodaux joue aussi : en 2007 l’Union Européenne a importé 2,5 millions de tonnes de sucre ! Sont concernés 18 millions d’agriculteurs et 1,8 million d’ouvriers exploités dans 113 pays.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, tout autant que la crise sanitaire causée par le sucre : en 1826, la consommation de sucre en France était de 2 kilos par habitant ; en 2007 elle est de 35 kilos !

On voit donc comment les capitalistes ont su étendre leur exploitation de la classe ouvrière grâce au sucre. Cette forme s’est appliquée à un très grand nombre de domaines de la production (les médicaments, les produits chimiques, les emballages, etc.…).

b) le degré d’intensité

Les capitalistes jouent bien entendu sur la quantité de travail qui est fourni. Ils tentent de faire en sorte qu’elle soit de plus en plus grande. Voilà ce qui explique pourquoi, malgré qu’il y ait moins d’ouvriers en France ces trente dernières années, la chute tendancielle du taux de profit n’ait pas été vertigineuse.

Les capitalistes ont réussi à avoir un accroissement du taux de la plus-value, en faisant en sorte que la valeur du travail des ouvriers grandisse.

Pour cela, ils ont profité de l’automation, de la robotisation, de l’informatique et de l’augmentation des cadences. C’est ce que les capitalistes appellent la « rationalisation » de la production (ou la « démarche qualité » en langage de gestionnaire) ; tout un ensemble de tâches ont été réorganisées de telle manière à ce que chaque ouvrier soit plus efficace.

Il faut bien voir que les capitalistes ont profité durant toutes les 30 glorieuses, et ce jusqu’à aujourd’hui, de la participation active des syndicats au processus productif. Cela a grandement aidé le capitalisme dans son intégration de la classe ouvrière à ses projets.

Les capitalistes ont également profité des expériences au niveau international ; ils ont subventionné tout un secteur intellectuel pour analyser et les faire profiter de leurs études (comme par exemple le principe japonais du « kaizen », c’est-à-dire de l’amélioration continue grâce à la participation des travailleurs).

Voilà pourquoi l’histoire des pays capitalistes est si similaire durant les 30 glorieuses, avec dans tous les cas une classe ouvrière majoritairement encadrée par les syndicats et ne se préoccupant pas de révolution mais seulement de gestion (cogestion, autogestion, etc.). La question du pouvoir a disparu derrière la question de l’organisation du travail.

Ainsi, la chute tendancielle du taux de profit a été temporairement ralenti par l’élévation de l’intensité du travail.

c) le degré de productivité

Ici, tout comme pour le sucre, les capitalistes ont mené une véritable révolution culturelle, combinant en fait l’aspect extensif avec le degré d’intensité. Comment ont-ils fait cela ?

En fait, le but des capitalistes est de faire en sorte qu’une plus grande quantité de produits soit fournie pour une même quantité de travail.

Habituellement, la question des matières premières est simple : quand on a un kilo de blé, on a un kilo de blé. On peut bien jouer sur le caractère extensif et faire en sorte que le blé soit davantage utilisé (nous l’avons vu dans le cas du sucre), mais on ne peut pas transformer un kilo de blé en plusieurs kilos de blé.

Cela existe en fait, comme activité commerciale, par exemple en remplaçant une matière par une autre qui est moins chère (le sucre notamment), afin de rogner les marges. Mais aussi courant que cela soit, cela ne peut pas jouer sur l’ensemble du processus, de par son caractère marginal et sectorisé.

En fait, les capitalistes ont cherché et ont tenté de combiner l’aspect extensif avec le degré d’intensité, c’est-à-dire qu’ils ont tenté de trouver une matière première qui, grâce aux techniques de la rationalisation de la production (fordisme, toyotisme, etc.) se multiplient comme par magie.

Les capitalistes ont alors trouvé la poule aux œufs d’or. Et quelle est-elle ? Eh bien une poule justement. Les capitalistes ont compris que les animaux étaient vivants et qu’il serait donc possible d’utiliser cette source de production « gratuite » pour un rendement maximum.

Les capitalistes ont découvert que si un kilo de blé et un autre kilo de blé n’amenait pas à ce qu’apparaisse un troisième kilo de blé, tel n’était pas les cas pour les animaux.

Ils ont alors généralisé l’utilisation des animaux dans l’industrie : c’est l’apparition d’un côté des gigantesques abattoirs industriels, où l’intensité du travail est énorme, et est combiné avec une productivité en hausse permanente.

Et de l’autre côté l’extension de l’utilisation des animaux au-delà de l’alimentation pour toute l’industrie (les farines animales, les graisses pour les machines, les pellicules photos, etc…).

Il y a en France 339 abattoirs (en 2000), dont un quart génère les 2/3 de la production ; le nombre d’abattoirs a décru de plus de 30% entre 1990 et 2000 en raison de la concentration monopolistique.

Les vingt plus grands abattoirs sont même à la base de 47% de la viande ! Pour le veau, ce sont dix abattoirs qui contrôlent 59% de la production ! L’abattoir Olympig dans le Morbihan s’occupe de deux millions de porcs par an !

C’est-à-dire qu’entre 1980 et 2000, il y a deux fois moins d’abattoirs… Mais 10% de production en plus. Voilà un excellent exemple de gestion de la productivité par les capitalistes. Et cette productivité tient précisément à la nature particulière des matières premières.

Si d’ailleurs culturellement apparaissent aujourd’hui des mouvements de protection animale, ce n’est qu’indirectement en liaison avec leurs ancêtres du 19ème siècle.

Il s’agit d’un phénomène nouveau, qui accompagne la généralisation d’un nouveau type de production qu’ont choisi les capitalistes. De fait, entre 1990 et 2007, la consommation mondiale de viande toute espèce confondue est passée de 143 à 271 millions de « tonnes équivalent carcasses ».

Au 19ème siècle la consommation annuelle de viande était en moyenne inférieure à 20 kg par personne en Europe. En 1920, elle passe à 30 kg puis en 1960 à 50 kg. En 2008, on passe à peu près à 100 kg de viande par personne et par an (107 kilos en France, 93 en Italie, 136 dans l’État espagnol, 107 en Belgique, 88 en Allemagne, etc.).

Il va de soi que cette production est déterminée par les capitalistes et n’est nullement un choix social effectué par les masses.

Ce qui est vrai pour la viande l’est tout autant pour le lait, et l’on voit d’ailleurs que les capitalistes font tout pour imposer le lait en Asie (si le lait est très controversé, en Asie son impact sur la santé est connu pour être particulièrement nocif sur les populations locales).

L’argument capitaliste concernant l’élévation du niveau de vie ne fonctionne pas : aux problèmes sanitaires (obésité, maladies cardio-vasculaires, cancers divers…) causés par la viande s’ajoute celle de l’hygiène, en raison de la nature même de la production.

Selon une note de service de la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL), datée du 21 novembre 2007 et diffusée dans la revue Le Point, 42 % des établissements où l’on abat veaux, vaches, cochons… et 46 % des abattoirs de volailles et de lapins sont hors la loi au regard des normes d’hygiène européennes, ce qui signifie que plus de 700 000 tonnes de viandes de bœuf, veau, mouton… et environ 500 000 tonnes de poulets qui, chaque année, sortent d’abattoirs sont non conformes.

Autres formes de l’augmentation du degré de productivité, l’utilisation des farines animales et la production de viande recomposé (viande mélangée avec une combinaison d’eau, de phosphates et de produits à la « formule secrète ») sont la cause de problèmes sanitaires incommensurables.

A cela s’ajoute le problème écologique : la production des aliments concentrés pour l’élevage et l’élevage lui-même monopolisent aujourd’hui 78% des terres agricoles mondiales.

A cela s’ajoute la production de déchets in-absorbables par la planète (les tonnes de déjections des cochons par exemple). Un des problèmes qui fait partie des contradictions inhérentes au capitalisme.

Ainsi donc, le passage de la production de viande de 75 millions de tonnes à 265 millions de 1961 à aujourd’hui est clairement lié à l’intensification gérée par les capitalistes, dans leur bataille pour le profit.

Une tendance qui ne s’arrête pas : à l’horizon 2050 les capitalistes pensent que leur production atteindra 465 millions de tonnes.

Mais ces solutions entreprises par les capitalistes et résumées ici ne font que ralentir la chute tendancielle du taux de profit, pour même l’accélérer après : la formidable croissance du Capital se heurte aux contradictions insolubles qui le travaillent. Le capital n’utilise la production que pour s’agrandir, sa mise en valeur étant le point de départ et le point final.

Sa mise en valeur passant par le « développement inconditionné de la productivité sociale », elle affronte la classe ouvrière, qui est la classe la plus exploitée dans le mode de production capitaliste (les animaux dans le cadre de l’industrie n’étant pas « exploités » mais utilisés, ils ne forment pas une classe sociale, mais une catégorie opprimée, à l’instar d’une nation par exemple).

Les capitalistes s’imaginent que, par les gains de productivité, ils peuvent réduire la dimension de la classe ouvrière dans le cadre du processus productif – une erreur fatale, la pierre qu’ils soulèvent étant trop lourde pour eux.

Ainsi, la crise, loin d’être évitée, n’a donc été que repoussée. L’accumulation du capital durant les 30 glorieuses n’a fait que renforcer la tendance aux monopoles et n’est que le prélude à la révolution socialiste. »

La seconde crise générale

Les bouleversements à l’échelle planétaire provoqués par la croissance de la production capitaliste ne pouvaient que provoquer un choc mondial.

C’est d’autant plus vrai que, si le capitalisme connaît un tassement dans les années 1980, l’effondrement du social-impérialisme soviétique d’une part et l’intégration de la Chine dans le marché capitaliste mondial ont amené une nouvelle relance.

Ainsi, si de la fin des années 1970 au milieu des années 1980 la tendance à la guerre était principale, de par l’agressivité du social-impérialisme soviétique cherchant à prendre la place de la superpuissance américaine, à partir de 1989 et jusqu’en 2021 il y a de nouveau une croissance, avec comme pour la période 1945-1975 une vague de dépolitisation, de croyance absolue en le capitalisme.

Cette croyance apparaissait d’autant plus forte qu’il était prétendu que le capitalisme ne consistait qu’en la croissance.

Les années 1920 et 1930 se voyaient réécrites, et mises de côté, alors que l’idéologie dominante mettait en avant une société stable, un capitalisme organisé, une continuité de la production.

Il suffit de donner ici quelques chiffres vertigineux.

La production mondiale d’amandes est passée de 756 588 tonnes en 1961 à 3 497 148 tonnes en 2019 (soit une multiplication par 4,62).

En 1961, la production mondiale de lait était de 344 millions de tonnes, en 2019, elle était de 883 millions de tonnes. La production totale d’œufs est passée de 16,3 millions de tonnes en 1964 à 76,7 millions de tonnes en 2018.

Et il est possible de multiplier ces exemples. Les masses ont été écrasées par l’impressionnante montée des forces productives, alors que la Chine devenait l’usine du monde.

Au XVIIIe siècle, on utilisait l’eau, le bois et le vent comme sources d’énergie, les masses ne pouvaient que se procurer du textile ou de la poterie. Au XIXe siècle on passait au charbon et à l’acier, avec une consommation s’ouvrant internationalement comme avec le thé, le café, les épices.

Au XXe siècle, le charbon a vu s’associer à lui le pétrole, le gaz puis l’énergie atomique, avec une consommation de masse montant en puissance, à travers l’aluminium, les produits pétrochimiques, les plastiques…

La seconde moitié du XXe siècle, c’est le capitalisme proposant aisément des biens de consommation courante, des loisirs, des services, une alimentation très diversifiée, du matériel électronique, des activités culturelles, etc.

Le pendant, c’est bien entendu le dérèglement climatique, mais dans les pays capitalistes les masses sont paralysées et ne vivent qu’à travers les cycles de consommation, sans avoir de considération collective ou sur le long terme.

Même le rejet de CO2, pourtant largement connu et reconnu, n’aboutit pas à des changements de mentalités.

En fait, pour les gens vivant dans les pays capitalistes, il n’y a pas d’autre horizon que les cycles de la production et de la consommation capitalistes, qui sont par ailleurs très nombreux, puisque le capitalisme a multiplié les modes, les marchés, les possibilités de se « différencier », d’occuper son temps.

Et c’est pour cela, notamment, que la cassure imposée par la pandémie marque la seconde crise générale du capitalisme. Le rythme du capitalisme a été cassé, son cours normal a été stoppé et modifié.

Or, le capitalisme repose sur la propriété privée, sur la concurrence, sur la compétition. Cela implique qu’il ne peut pas se sortir de manière collective de la crise, qu’il est obligé de le faire de manière divisée, incohérente, avec des parties de lui-même en opposition aux autres.

Voici ce que constate la Banque Mondiale le 14 juillet 2021 dans son article La reprise mondiale ne s’étend pas aux pays les plus pauvres :

« L’économie mondiale est en plein essor — du moins en apparence. La croissance mondiale s’envole à nouveau, un an seulement après que la pandémie de COVID-19 ait déclenché la récession la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale.

Cette année sera probablement marquée par la plus forte reprise à l’issue d’une récession observée depuis 80 ans puisque le PIB mondial devrait croître de 5,6 %.

Le taux de croissance des pays avancés atteindra probablement 5,4 % — soit un niveau sans précédent depuis près de 50 ans — grâce à la rapidité des mesures de vaccination et au soutien exceptionnel apporté par les politiques budgétaires et monétaires depuis le début de la pandémie.

Le revenu par habitant retrouvera en 2022 le niveau qu’il avait avant cette dernière dans presque tous les pays avancés. Les dommages provoqués par la pandémie sont, à l’évidence, rapidement réparés dans certaines parties du monde.

Ce n’est toutefois pas le cas dans les 74 pays admissibles à emprunter à l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale. Ces derniers sont les plus pauvres du monde, et comptent environ la moitié des habitants de la planète ayant moins de 1,90 dollar par jour pour vivre.

Pour eux, il n’existe aucun signe de « reprise » mondiale. En 2021, leur taux de croissance sera le plus faible depuis 20 ans (abstraction faite de l’année 2020), ce qui aura pour effet d’éliminer des progrès accomplis dans le cadre de la lutte de la pauvreté des années durant. Pour eux, les dommages ne seront pas rapidement réparés. En 2030, un quart de leurs habitants se trouveront toujours en dessous du seuil de pauvreté international. »

Naturellement, la Banque Mondiale souligne que la croissance repart pour les autres pays. Cependant, elle ne dit rien des conséquences du « soutien exceptionnel apporté par les politiques budgétaires et monétaires ».

Et, pour conclure, comment définir ce soutien ? Relève-t-il du capitalisme organisé ? Absolument pas. Il relève du capitalisme développé, mature. Un capitalisme qui a réussi à s’étendre, à multiplier les marchés, implique en effet un haut niveau d’organisation de sophistication.

En ce sens, les communistes qui dans les années 1960 ont compris l’institutionnalisation de structures comme les syndicats ont parfaitement compris que le capitalisme s’emparait de toute formation sociale afin de l’intégrer dans son propre dispositif.

Il y a désormais assez de décennies pour voir comment le capitalisme a récupéré tout ce qu’il pouvait, depuis le syndicat de masse jusqu’au groupe de punk revendicatif.

En fait, à moins d’avoir un réel niveau idéologique et culturel et d’assumer subjectivement la rupture, il est impossible d’échapper à la pression du capitalisme.

Qui assume cette rupture était capable de saisir qu’un moment clef allait se produire. Voici ce que dit le PCF(mlm) en janvier 2020, dans le document Les années 2010, dernière étape de la période-parenthèse ouverte en 1989 :

« Nous sommes issus d’une culture politique qui considère que, au milieu des années 1980, l’impérialisme n’est plus que réaction. Il représente à la fois la tendance inéluctable à la guerre et l’aliénation des plus larges masses dans la cadre d’une consommation capitaliste particulièrement développée (…).

Il existe quatre facteurs ayant rejeté cette situation dans le futur – précisément dans la période où nous sommes entraînés. Il s’agit de

– l’effondrement du social-impérialisme soviétique ;

– le démantèlement de sa domination sur l’Europe de l’Est (et, relativement, en Asie), permettant une nouvelle vague d’accumulation capitaliste de la part des vainqueurs occidentaux ;

– l’intégration complète de la Chine social-fasciste dans le dispositif capitaliste mondial ;

– l’émergence de nouvelles capacités technologiques, avec l’informatisation et la robotisation.

Cela a permis une nouvelle immense vague d’accumulation capitaliste. Toutes les échéances étaient alors repoussées.

Cela a donné, dans les années 1990, l’illusion que le capitalisme était inébranlable et l’altermondialisme est alors apparu sur le devant de la scène comme seule alternative censée être possible, alors que l’Est européen se transformait en semi-colonies occidentales.

Puis, les années 2000 ont été marquées par d’immenses modifications technologiques généralisées – depuis les téléphones portables jusqu’à l’informatisation et internet – permettant au capitalisme d’affiner ses initiatives, de procéder à des modernisations, de relancer de nouvelles consommations, certains secteurs l’emportant sur d’autres.

Les années 2010 ont été le prolongement des années 2000, avec à la fois une consommation de masse encore plus élargie et, en même temps, un gouffre séparant une haute bourgeoisie aux mœurs toujours plus oligarchiques, décadentes, et les larges masses.

Pour nous, la période 1989-2019 n’a été qu’une parenthèse et c’est justement parce que telle a été sa nature qu’il y a eu un développement significatif des idéologies post-modernes, à l’initiative d’intellectuels identitaires produits par l’impérialisme (fondamentalisme islamiste, théorie du genre et LGBT, idéologie de la décroissance, etc.).

Les années 2010 ont comme aspect principal précisément d’aboutir à un retour aux années 1980, ou aux années 1930, ou aux années 1910, c’est-à-dire à une période où la bataille pour le repartage du monde est engagée, où le capitalisme s’enlise et n’est plus capable de satisfaire à ses propres exigences d’élargissement du profit. »

C’était là saisir adéquatement une période débouchant sur la seconde crise générale, en 2021.

Le matérialisme dialectique et la question du pair et de l’impair

Nous saluons le Parti de Lénine-Staline, inspirateur et organisateur de notre victoire!

L’observation du pair et de l’impair est historiquement un élément essentiel de la formation des mathématiques comme domaine théorique ; l’ouvrage majeur concernant ce thème a été écrit par Euclide, vers 300 avant notre ère : Éléments.

Les mathématiciens n’ont fait cependant que constater l’opposition du pair et de l’impair, sans en voir la signification, qui repose sur la nature dialectique de la matière elle-même. Pour saisir cela, il faut comprendre la substance du pair et de l’impair et leur rapport dialectique.

En mathématiques, on entend par pair un nombre qui est le multiple de deux, sinon le nombre est impair. Autrement dit, si on peut séparer un nombre en deux parts égales, il est pair.

Mais c’est une description insuffisante. Il en va en effet du pair et de l’impair comme du chaud et du froid : on ne peut pas définir l’un sans s’appuyer sur l’autre. Il y a une interrelation dialectique entre les deux, ce qui est une contradiction au sein de la notion même de quantité.

En quoi consiste cette interrelation ? Le principe est le suivant. Si l’on boit un jus de pomme un vendredi, on dira le lendemain qu’on a bu un jus de pomme. Si on boit un jus de pomme le vendredi suivant, le lendemain on dira encore qu’on a bu un jus de pomme : on ne dira pas qu’on a bu un second jus de pomme.

Cela repose sur le fait que compter de manière abstraite repose toujours sur un dénombrement effectué de manière concrète. Un tel dénombrement ne s’impose cependant pas nécessairement dès qu’il y a plusieurs choses.

Si l’on boit un jus de pomme dans un café et qu’on désire en boire un second, on dire qu’on veut un autre jus de pomme. On part du principe que le second jus de pomme est strictement équivalent au premier, en fait on part du principe qu’il s’agit du même jus de pomme, renouvelé.

Le café a lui besoin de savoir ce qu’il a vendu et il ne va pas considérer que le même jus de pomme a été vendu, mais que plusieurs jus de pomme ont été apportés : le dénombrement s’impose.

Or, le jus de pomme est pourtant bien le même : il y a identité entre les deux jus de pomme, même s’ils sont différents.

C’est vrai également si c’est un jus d’orange qu’on amène deux fois : on dira qu’il y a une chose et une autre chose, c’est-à-dire deux choses. Si on les compte en tant que choses, on part du principe que c’est équivalent ; on a deux choses : une chose plus une chose, et peu importe que telle chose soit en première place ou en seconde dans l’addition.

De la même manière, on dira qu’une personne a deux yeux, car un œil et un œil font deux yeux, et peu importe si l’on dit un œil droit + un œil gauche ou bien un œil gauche + un œil droit.

Dans la réalité, pourtant, cela joue de manière fondamentale, car on a en effet le principe de la différence qui s’expose ici. Un jus de pomme et un autre jus de pomme peuvent être identiques, ils n’en sont pas moins différents et s’ils sont différents tout en étant en rapport, alors il y a contradiction.

L’existence de cette contradiction s’exprime précisément par le pair et l’impair. C’est une preuve fondamentale de la réalité contradictoire de la matière, de tout phénomène, et donc également du dénombrement.

Si la réalité n’était pas dialectique, le dénombrement ne connaîtrait pas de rupture, il consisterait en des nombres uniquement entiers, tous remplaçables ou en tout cas strictement équivalents ; en fait, tous les nombres seraient de simples multiples de 1, avec ce 1 étant irrémédiablement le même, sans évolution, inébranlable, littéralement éternel et « pur ».

Autrement dit, l’existence du pair et de l’impair a comme origine le développement inégal de la matière dans son mouvement dialectique, avec un saut qualitatif provoquant, dans la réalité même des nombres, une contradiction.

Comment saisir cette réalité contradictoire ? On peut l’appréhender en portant son attention justement sur la différence entre les nombres pairs et les nombres impairs. Schématiquement, cela donne la chose suivante.

4 est, par exemple, un nombre pair ; on peut le présenter (ou le représenter) de la manière suivante.


● ●

De la même manière, on peut représenter les nombres pairs en les décomposant de telle manière à avoir deux blocs équivalents de part et d’autre. C’est le principe du nombre pair qui a comme caractéristique de pouvoir être divisé par deux ou, si l’on préfère, en deux.

On a ainsi, pour seize, deux blocs de huit éléments qui le composent, pour vingt on a deux blocs de dix éléments, etc.

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●●●●●●●●●● ●●●●●●●●●●

On a une symétrie entre les deux blocs. Or, un tel découpage n’est toutefois pas possible pour 5, qui est un nombre impair. Et si on le cherche à schématiser tout de même, on s’aperçoit que la représentation souligne une question essentielle : celle de l’élément intermédiaire, du nexus, de la clef du saut qualitatif.


● (●) ●

On voit bien ici qu’il existe un élément intermédiaire empêchant une séparation formelle entre deux blocs équivalents. Cet élément apparaît comme au cœur de la forme. On peut chercher à multiplier les formes comme on l’entend, on aura toujours cet élément irréductible, sorte de passage obligé.

Cela indique la différence entre le pair et l’impair. Ce qui prime dans la représentation du nombre pair, c’est la quantité, avec deux aspects quantitatifs équivalents se faisant face.

Dans la représentation du nombre impair, c’est la qualité qui est l’aspect principal, par l’intermédiaire de la différence, avec un élément intermédiaire support de celle-ci.

L’existence même de cette différence implique qu’une accumulation de choses saisie de manière abstraite s’appuie déjà le principe de la contradiction. Tout dénombrement est, par nature même, contradictoire et cela dans les nombres eux-mêmes. La réalité est absolument, à tous les niveaux, dialectique.

Comment parvenir ici à avancer dans la compréhension de cette nature dialectique ? On peut avancer en cherchant à éprouver la nature de cet élément intermédiaire. Quelle est sa substance, en quoi cela joue-t-il ?

Cela est malaisé, mais on peut procéder en inversant la proposition indiquant que le pair est marqué par la quantité et l’impair par la qualité. En effet, la quantité porte la qualité et inversement, au moins dans certaines modalités.

On se tourne donc vers les nombres pairs et on regarde où il y a une qualité.

Si on prend 4, on sait que cela correspond à 2 + 2. Cependant, 2 + 2 repose sur une identité, puisque 2 = 2. Si on refuse cette identité, parce qu’on cherche un déséquilibre, allant dans le sens de la qualité, et qu’on veut tout de même parvenir à 4, on a alors 1 + 3.

On a ainsi :

1 + 3 = 4 = 2² = 2 x 2

Peut-on trouver alors un élément intermédiaire, témoin de la qualité ?

On le peut, en constatant que 2, qu’on a présent dans la forme 2² donnant 4, est également présent dans 1 + 3. En fait, il est absent. Mais on sait qu’entre 1 et 3, on a 2 ; 2 succède en effet à 1 et précède 3 dans les nombres.

Ainsi, l’élément intermédiaire, 2, est bien là sans être là ; il est « masqué » entre le 1 et le 3 dans leur addition.

Prenons un autre exemple, avec 16 :

1 + 3 + 5 + 7 = 16 = 4² = 4 x 4

On a pareillement ici 4, également présent dans 4², qui est masqué, au centre de l’addition, entre 3 et 5.

On a bien un élément intermédiaire, visible ou invisible, présent ou absent, mais qu’on peut « lire ». Il faut très vraisemblablement considérer que celui qui est absent est un reflet de l’existence de l’élément intermédiaire visible dans l’autre forme… ou bien, inversement, que celui qui est visible est un écho de celui qui est visible sans être visible.

Seulement voilà, il y a des exigences pour que cela fonctionne. Cela montre qu’on a ici affaire à une réalité en mouvement, nullement à une abstraction intellectuelle portant sur quelque chose de statique. En fait, les mathématiques réelles n’existent que comme pratique.

Quelles sont ces exigences ?

Tout d’abord, l’addition doit ici s’appuyer sur les nombres impairs. Le pendant de cela est qu’il faut que le nombre pair qu’on vise puisse être mis au carré avec un nombre entier.

Si on prend par exemple 6, on ne peut pas obtenir le nombre en additionnant des nombres impairs, tout comme il n’y a pas de nombre entier au carré donnant 6. Il en va de même pour 8, 10, 12, 14, etc.

Il y a donc un cadre bien précis où l’on a cet élément intermédiaire, un cadre exigeant un rapport particulier entre le pair et l’impair. Le carré du nombre pair implique la quantité, l’addition des nombres impairs implique la qualité (et inversement). Ce sont deux pôles d’une contradiction.

Redonnons des exemples :

1 + 3 + 5 + 7 + 9 + 11 = 36 = 6² = 6 x 6

1 + 3 + 5 + 7 + 9 + 11 + 13 + 15 = 64 = 8² = 8 x 8

Dans les deux cas, on retrouve l’élément intermédiaire : 6, entre 5 et pareillement 7 au centre de l’addition, 8, entre 7 et 9.

Regardons maintenant la nature du carré, afin d’en voir la liaison avec le pair et l’impair. On peut pour cela prendre les nombres les plus simples, en les mettant au carré.

On s’aperçoit alors que :

– le carré d’un nombre pair est toujours pair,

– et que le carré d’un nombre impair est toujours impair.

Cela signifie qu’il y a un maintien de l’identité.

2² = 4

3² = 9

4² = 16

5² = 25

etc.

Or, si on décompose le nombre, on note une forme symétrique autour d’un axe : l’élément intermédiaire, tel un nexus.

2² = 4 = 1 + 2 + 1

3² = 9 = 1 + 2 + 3 + 2 + 1

4² = 16 = 1 + 2 + 3 + 4 + 3 + 2 + 1

5² = 25 = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 4 + 3 + 2 + 1

etc.

Il n’y a pas ici pas de différence entre le pair et l’impair dans la décomposition. On peut sans doute considérer que cela signifie que cette forme décomposée est antérieure à l’existence du pair et de l’impair. Le pair et l’impair seraient alors une expression dialectique, comme saut qualitatif, un prolongement de cet élément intermédiaire, de ce nexus.

Et ce saut qualitatif ne peut venir que de chaque nombre lui-même, en lui-même, par lui-même, comme le montre le carré avec l’élément intermédiaire présent. Le saut qualitatif s’appuie sur l’identité du nombre.

En fait, un carré, ce n’est alors pas deux fois le même nombre, mais le nombre mis en contradiction avec lui-même, ou plus exactement un nombre et son reflet.

Et l’affrontement du nombre avec son reflet provoque un choc passant par le développement inégal, l’élément intermédiaire étant cette expression inégale, puisqu’il est différent, séparant des deux blocs lui étant symétriques.

Il faut ici également noter la présence d’une contradiction : lorsqu’on a décomposé les carrés, on a pour un nombre pair, un nombre impair de nombre de part et d’autre de l’élément intermédiaire, et inversement, pour un nombre impair, on a un nombre pair de part et d’autre de l’élément intermédiaire. Rappelons ici deux exemples :

2² = 4 = 1 + 2 + 1

3² = 9 = 1 + 2 + 3 + 2 + 1

Lorsque le nombre est pair, l’élément intermédiaire a un nombre impair de nombres l’enserrant. Ici, 2 a un nombre de part et d’autre de lui. Lorsque le nombre est impair, il y a un nombre pair de nombres enserrant l’élément intermédiaire. Ici 3 est entouré de deux nombres de part et d’autre.

Et, si l’on veut encore plus creuser, on peut noter un saut qualitatif également, dans l’exemple suivant :

3² = 9 = 1 + 2 + 3 + 2 + 1

En effet, on a 1 + 2 = 3, c’est-à-dire le nombre au carré donnant 9, avec 1 + 2 des deux côtés de l’élément intermédiaire

4² = 16 = 1 + 2 + 3 + 4 + 3 + 2 + 1

Ici, la situation est différente. On a 1 + 3 = 4 , soit les pôles des deux côtés de part et d’autre.

Et il reste un 2, au milieu de ces deux pôles. Or, on obtient 4 au moyen de 2, en ajoutant un autre 2, ce qui revient soit à ajouter un autre lui-même à ce 2, soit plus vraisemblablement à lui conférer une identité contradictoire.

5² = 25 = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 4 + 3 + 2 + 1

On revient ici au schéma du premier exemple. On a 1 + 4 = 5 soit les pôles des deux côtés de part et d’autre.

Il reste alors 2 + 3 pour les éléments restant, qui donne 5 également. On a alors un retour au quantitatif de part et d’autre.

6² = 36 = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 5 + 4 + 3 + 2 + 1

On en revient ici au second exemple. On 1 + 5 = 6, si l’on prend les pôles extrêmes des éléments de part et d’autre.

Il reste 2 + 3 + 4. Si on reprend les pôles extrêmes de cet élément, on a 2 + 4 = 6.

Il reste alors un 3 et on revient à l’identité contradictoire afin d’arriver au 6, avec 3 face à lui-même : 3 + 3 = 6.

Cela ne peut être ici bien entendu qu’une introduction à une problématique plus vaste, qui est le support matériel contradictoire portant les nombres.

On a toutefois d’autres éléments contribuant à approfondir la connaissance du processus menant au pair et l’impair.

On peut en effet constater dans leur rapport les choses suivantes :

Addition : nombre pair + nombre pair = nombre pair

Soustraction : nombre pair – nombre pair = nombre pair

Addition : nombre pair + nombre impair = nombre impair

Soustraction : nombre pair – nombre impair = nombre impair

Soustraction : nombre impair – nombre pair = nombre impair

On voit ici que placés face à eux-mêmes, le pair et l’impair conservent leur identité, mais confrontés l’un à l’autre, il y a inégalité dans le développement et l’impair domine.

C’est là naturellement quelque chose d’essentiel, de profondément dialectique, strictement équivalent à la dissymétrie moléculaire caractérisant la matière organique, vivante, par opposition à celle qui ne l’est pas.

Il est alors intéressant de se tourner vers la multiplication et la division. On a ici :

Multiplication : nombre pair x nombre pair = nombre pair

Division : nombre pair / nombre pair = nombre pair ou nombre impair

Multiplication : nombre pair x nombre impair = nombre pair

Multiplication : nombre impair x nombre impair = nombre impair

Division : nombre pair / nombre impair = nombre pair

Division : nombre impair / nombre impair = nombre impair

Et, surtout, de manière significative, si on divise un nombre impair par un nombre pair, on n’a alors plus un nombre entier. On a par exemple 7 / 2 = 3,5. On sort du cadre du rapport pair et impair.

Le problème est cependant qu’il faut toujours envisager cette question de manière concrète, c’est-à-dire relier la question du pair et de l’impair au processus dont ils sont les éléments. Il n’est jamais possible de traiter du pair et de l’impair de manière abstraite ou conceptuelle, car étant donné qu’il s’agit d’une contradiction, il faut savoir dans quelle mesure celle-ci est une composante d’un phénomène et quels sont ses rapports avec les autres contradictions.

Ce que l’on peut dire, c’est que l’existence même du pair et de l’impair témoigne de la nature dialectique du dénombrement et qu’il n’est pas possible de saisir celui-ci de manière formelle, en suivant une lecture unilatérale.

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La bataille autour du Grand Bond en Avant

Le Grand Bond en Avant marqua la défaite pratiquement immédiate des révisionnistes ne croyant pas en un développement chinois indépendant et entendant soumettre la Chine populaire à l’URSS révisionniste.

Leur défaite eut lieu à la conférence de Lu Shan en juillet 1959, où Peng Dehuai, ministre de la défense pro-soviétique, est obligé de démissionner, comme point culminant d’une Campagne anti-droitiste, qui de 1957 à 1959 mit de côté les tenants d’une telle ligne. La tentative de l’URSS de satelliser la Chine populaire avait totalement échoué.

En réponse, l’URSS fit du jour au lendemain quitter le territoire chinois à ses 15 000 ingénieurs et employés, après avoir également détruit tous les plans en leur possession.

Cela a mis un frein brutal à la production industrielle, qui chuta de 38 % en 1961 (puis de 16 % en 1962).

Mao Zedong en 1962

La situation se compliqua d’autant plus qu’il eut d’immenses catastrophes climatiques en 1959 et en 1960 fragilisaient l’entreprise, alors que l’élan égalitariste était bien trop poussé et en décalage avec le niveau historique des masses paysannes chinoises. La production agricole baissa ainsi de 13 % en 1959 et de 14 % en 1960.

Un aspect important est l’incompréhension alors de la Biosphère, au sens à la transformation de la Nature obéissait à une lecture anthropocentriste perdant le fil. Si la démarche changea radicalement avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, la ligne appliquée fut erronée sur ce plan dans les années du Grand Bond en Avant, telle la campagne des Quatre Parasites contre les moineaux, les rats, les mouches et les moustiques.

On pensait alors ces animaux simplement en concurrence avec les humains : leur extermination améliorerait la situation, étant calculé que les rats consommaient 350 millions de kilos de nourriture, et chaque moineau 3 kilos de céréales.

C’était là une erreur subjectiviste, qui séparait de façon abstraite ces animaux de la biosphère en général : le fait de détruire les nids et d’effrayer les oiseaux (par exemple en tapant avec des casseroles) encourageant la prolifération des insectes, etc.

Affiche de 1963 : Labourer avec un tracteur

Les catastrophes climatiques de 1961, frappant la moitié des terres cultivées, avec principalement la sécheresse, provoqua même une pénurie alimentaire, nécessitant l’achat de cinq millions de tonnes de céréales sur le marché international, alors que la production agricole était tombée au même niveau qu’en 1952.

Cela fut pris comme prétexte par une nouvelle fraction révisionniste pour aller à l’encontre du Grand Bond en Avant et de ses mobilisations populaires. Celle-ci parvint à mettre Mao Zedong de côté, à dissoudre en janvier 1961 les communes populaires, rétablissant la petite production paysanne privée ainsi que les marchés pour ces produits.

Du 11 janvier au 7 février 1962 se tint alors la Conférence des 7 000 cadres, où Liu Shaoqi, le numéro deux du Parti, prit les commandes du Parti Communiste de Chine, affirmant que la majorité des décès avait comme origine des erreurs humaines provoquées par le Grand Bond en Avant.

Il imposa une décentralisation économique de l’agriculture et une certaine ouverture des marchés, la mise en place de petites entreprises privées agricoles employant des travailleurs, ce que résume son allié, Deng Xiaoping, en affirmant que :

« Si elle augmente la production, l’agriculture privée est tolérable. Peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape des souris. »

Cette politique était appelée sanzi yibao, soit trois libertés et un contrat, puisque sur la base d’un foyer on pouvait accéder à un lopin de terre privé, monter une entreprise et mettre la production sur un marché libre.

Elle allait de pair avec une vision sombre, voire désespérée de la situation chinoise.

Mao Zedong laissa se mettre en place cette ligne, afin de faire en sorte qu’elle apparaisse au grand jour, pour la contrecarrer dans la foulée par le Mouvement d’éducation socialiste, dont le mot d’ordre était « Ne jamais oublier la lutte des classes ! » et qui s’étala de 1962 à 1965, en s’appuyant sur trois anciens textes de Mao Zedong (les « trois anciens articles constamment lus ») :

– En mémoire de Norman Béthune (21 décembre 1939) ;

– Servir le peuple (8 septembre 1944) ;

– Comment Yukong a déplacé les montagnes (11 juin 1945).

Un moment important fut ici, en 1963, la campagne appelant à suivre l’exemple de Lei Feng (1940-1962), un fils de paysan devenu soldat, engagé de manière exemplaire et qui prenait des notes quant à sa réflexion à ce sujet, et décédé dans un accident de la route.

De la même manière, l’éditorial du 1er février 1964 du Quotidien du peuple appelle à « apprendre de l’Armée Populaire de Libération ».

Affiche appelant à la mobilisation pour apprendre des enseignements de la Commune de Dazhai

La commune agricole de Dazhai et le champ pétrolifère de Daqing furent alors particulièrement valorisées également, dans un vaste mouvement de confrontation avec la ligne mise en place par Liu Shaoqi.

La commune agricole de Dazhai, avec à sa tête Cheng Yonggui, se situait dans le nord du Shanxi, sur un territoire peu propice à l’agriculture mais une réorganisation complète menée par les paysans permit de transcender la situation.

Dazhai

Le champ pétrolifère de Daqing, dans la province du Heilongjiang, a pareillement été productif, avec notamment la figure de Wang Jinxi, malgré des conditions extrêmement difficiles, devenant même la principe source de pétrole pour la Chine et lui permettant l’indépendance en ce domaine.

Apprendre de l’esprit de Daqing, persévérer dans l’auto-détermination, la grande politique de l’auto-suffisance

Dans la même perspective, à l’automne 1964, 270 000 étudiants et lycéens, rejoints par 1000 chercheurs de l’Académie des sciences, quittèrent Pékin et Shanghai pour travailler un temps dans les campagnes.

Le Mouvement d’éducation socialiste visait à renforcer l’attention des cadres quant à la menace que présentait la libéralisation économique, à particulièrement viser une corruption rampante dans les campagnes, à renforcer la dynamique idéologique face aux défis qu’avaient représenté les calamités naturelles.

Il était ainsi appelé aux « quatre nettoyages » : vérifier pour chaque cadre les livres de comptabilité et l’allocation des points selon le travail mené, ainsi que les stocks collectifs de grains et la propriété publique. L’expression fut consacrée lors de 23 articles rassemblés et publiés en janvier 1965 par le Parti, s’élargissant par la même occasion à la politique, l’économie, l’organisation et l’idéologie.

Apprendre de l’industrie de Daqing

Au même moment, Jianq Qing, par ailleurs la femme de Mao Zedong, prit la tête de l’opéra de Pékin ; de cette période datent les opéras La Légende de la lanterne rouge et L’attaque surprise du tigre blanc, ainsi que le ballet Le Détachement féminin rouge, tous trois de 1964.

C’était un grand rétablissement de la ligne rouge et la campagne se transformait en fait en affrontement avec ceux qui commençaient à être appelés « les partisans de la voie capitaliste au pouvoir dans le Parti ».

Les « trois bannières rouges » – la ligne générale de construction socialiste, le Grand Bond en Avant et les communes populaires – conduisaient, dans la bataille de la lutte des classes, à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

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Le cadre général de l’agriculture chinoise et les communes populaires

Les communes populaires furent largement dénoncées à travers le monde par tous les courants anti-populaires qui soient et, quelques décennies après, il y eut l’accusation d’avoir provoqué une famine conduisant à la mort entre 18 et 36 millions de personnes.

En réalité, au-delà des difficultés, les années 1959, 1960 et 1961 furent marquées par de terribles sécheresses, dans un contexte historique propre à la Chine depuis des siècles, voire des millénaires.

La Chine vue du ciel

Voici une sommaire présentation de cet arrière-plan par Pierre Trolliet, dans son article de 1962, « Les communes populaires rurales chinoises » :

« Dans l’appréciation de la politique économique de la Chine, on ne tiendra jamais assez compte de l’ensemble des caractères géographiques bien particuliers du territoire chinois.

Il serait évidemment trop long d’entrer dans le détail, et nous essayerons d’en tracer un bref tableau :

— 86 % du territoire sont situés à plus de 500 m d’altitude — dont plus de 18,5 % dépassant 5 000 m ;

— un climat aussi varié que complexe (vents cycloniques d’une grande violence, vents de mousson, pluies extrêmement irrégulières, tombant dans la plupart des cas sous forme d’averses violentes, périodes de gelée très longues au nord, occasionnelles mais catastrophiques au sud), des sols de pentes (pour la grande majorité), entièrement dépourvus d’arbres depuis des générations, faits dans la plupart des cas d’éléments extrêmement meubles

— tandis que les meilleurs sols, excellents d’ailleurs (Grande Plaine du Nord ou Bassin du Yangzi par exemple), supportent avec toutes les conséquences que cela entraîne une exploitation de la plus haute intensité depuis des siècles et des siècles et sont la proie d’inondations dont la fréquence n’a d’égale que l’ampleur.

En un mot, tout concourt à faire de la Chine le pays par excellence des sécheresses, des inondations et de l’érosion. Hydraulique agricole, protection et fertilisation des sols sont des tâches vitales pour la Chine, tâches qui doivent être accomplies à une échelle continentale (9 600 000 km2) (Europe 10 000 000). »

L’agriculture en Chine avec le pourcentage du territoire cultivé (0-10-30)

Le Centre de Création Industrielle du Centre Georges Pompidou à Paris organisa en 1982 une exposition intitulée « Environnement quotidien en Chine ».

On y trouve une présentation de la Chine et de la question agricole, notamment de l’organisation rurale avec une présentation des communes populaires encore largement fondée sur le modèle du Grand bond en avant, pourtant déjà largement remis en cause.

Cela reflète le fait que le passage des coopératives aux communes populaires a été essentiel pour asseoir une agriculture chinoise sortant de l’arriération totale, à travers mille difficultés. Même la remise en cause des communes populaires ne peut pas masquer, en 1982, que celles-ci ont établi la base de la société chinoise moderne :

« 10 % du territoire seulement sont en culture.

Une surface cultivée difficile à accroître et inégalement répartie : les gains de terre arable par défrichements ont tendance à être compensés par un développement urbain et industriel au détriment de terres agricoles périurbaines ; la population agricole reste concentrée dans la partie orientale du territoire, et notamment dans les vallées des grands fleuves.

LA NATURE DOIT ÊTRE AMÉNAGÉE AVANT QU’ON PUISSE Y VIVRE .

Trop ou trop peu d’eau

Le cours capricieux des grands fleuves -surtout le fleuve Jaune (Huang He et le fleuve Bleu (Yangzi)- a toujours imposé la construction de digues, de barrages régulateurs : le Huang He est par endroits littéralement suspendu au-dessus des campagnes.

L’irrigation, travail ancestral, s’appuie sur tout un système de canaux, de norias [Machine hydraulique à godets, qui sert à élever l’eau, à irriguer], etc.., aujourd’hui assisté par la motopompe.

Menace d’érosion

Dans les secteurs les plus menacés, 10 000 t par km2/année de terre fertile emportée ; 1 000 000 000 t de terre charriées chaque année par le fleuve Jaune. Les milliers de terrasses à banquettes ont remodelé, depuis des siècles, le paysage chinois.

Le reboisement -« rendre la Chine verdoyante »- est un moyen de prévention de l’érosion largement utilisé sous forme de grandes plantations, de rideaux forestiers le long des voies de communication et des canaux d’irrigation ; il permet la stabilisation des sables et du loess dans les régions désertiques ; il reconstitue la réserve forestière.

LA DÉMOGRAPHIE.

Dans le monde, 1 habitant sur 4 est Chinois
1949 : environ 540 000 000 hab.
1980 : environ 1 000 000 000 hab.

L’ORGANISATION RURALE – LA COMMUNE POPULAIRE

Provinces (30) dont 5 régions autonomes et 3 municipalités
Préfectures (209)
Districts (2 137)
Communes populaires (environ 50 000)
Brigades (environ 700 000)
Équipes (environ 4 millions)

Équipe de production.
Regroupe la population d’un village ou le quartier d’un bourg.
Possède ses moyens de production :
– quelques engins de culture
– les animaux de trait
– les outils
– des élevages de petits animaux.

Est responsable de l’organisation de sa production. Doit garantir à l’État un certain quota à prix fixé et peut ensuite vendre librement son excédent.

La propriété privée de chaque membre de l’équipe est représentée par :
– sa maison
– ses biens domestiques
– quelques animaux
– la récolte de son lopin de terre

Brigade de production.
Regroupe la population d’un gros village ou de plusieurs hameaux.
Regroupe un certain nombre d’équipes.
Possède des moyens de production plus importants :
– tracteurs, motoculteurs, pompes, etc …
– ateliers de réparation, d’entretien, de transformation de produits agricoles (moulins à riz, à huile, etc . . .).

Gère certains services publics :
– dispensaire
– école primaire Commune populaire.

Regroupe plusieurs brigades de production. Est dirigée par une Assemblée Populaire réunissant des délégués des équipes et brigades, des cadres administratifs.
Possède et administre des moyens de production à un échelon plus élevé :
– gros matériel
– système d’irrigation
– usines et ateliers divers (engrais, motoculteurs, transformation de produits agricoles, etc…).

Exerce les fonctions administratives de :
– sécurité publique
– culture
– hygiène
– commerce.

Gère divers services publics :
– petit hôpital
– école secondaire de premier cycle. »

Dévouer son énergie à la modernisation de l’agriculture

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Les communes populaires en Chine populaire et le rôle du Parti

L’universitaire français Pierre Trolliet, dans un article de 1962 intitulé « Les communes populaires rurales chinoises », décrit comme suit l’intervention du Parti dans la commune populaire :

« Un article du Beijing Ribao du 16 octobre 1959 nous décrit le rôle et le fonctionnement d’une organisation de base du Parti — nous dirons une cellule au niveau d’une brigade de production.

Chaque membre de la cellule [dirigée par un Comité de 5 membres et un secrétaire] a en charge une équipe de production, il participe au travail de cette équipe, transmet les résolutions du Comité, aide et relaie les cadres dans leurs tâches.

Tous les problèmes importants : planification, statistiques, dépenses, organisation du travail, tâches extraordinaires, sont discutés par la cellule qui, après avoir émis son avis, le soumet au Comité de brigade pour exécution, après étude.

Une des tâches essentielles de la cellule est l’éducation idéologique des membres de la brigade; sur ce plan, son activité se manifeste selon deux voies : un meeting mensuel où l’on procède à la critique et à l’autocritique; des leçons politiques concernant l’histoire du Parti, ses enseignements, ses méthodes.

Une attention constante doit être prêtée au niveau idéologique de la population pour en découvrir à temps les faiblesses et y apporter remède.

Pour toute affaire importante, et en particulier la planification, la cellule doit s’attacher à consulter l’opinion des masses et s’efforcer de leur faire comprendre le sens de ce qui leur est demandé.

Enfin, rôle social du Parti : en contact constant avec les masses, les membres de la cellule sont à même d’en connaître les besoins, les problèmes, les difficultés dans tel ou tel domaine.

Leur rôle est alors d’intervenir afin qu’une solution soit apportée à tel problème, que telle difficulté soit aplanie, que ce soit à propos de nourriture, de vêtements, de loisirs, etc.

Cette tâche est extrêmement importante; menée à bien, elle entraîne le développement de bonnes et étroites relations entre le Parti et les masses.

Le système du « deux-cinq », valable également pour tous les cadres, est pour beaucoup dans la qualité du travail accompli par les responsables du Parti. Ce système appliqué pour la première fois dans la commune Shengguan au Hebei en 1960 est maintenant généralisé.

« Deux-cinq », formule télégraphique chère aux Chinois, signifie : consacrer, au cours de la semaine, deux jours à l’étude et cinq au travail dans les champs ou à l’atelier.

Pendant ces 5 jours, 4 séries de tâches incombent aux membres des cellules : tirer les leçons de l’expérience acquise au contact des masses et des cadres de bases; participer à la production aux différents postes ; développer le niveau idéologique des travailleurs sur le front de la production; aider les responsables des équipes dans leur travail de direction.

Des deux jours consacrés à l’étude, le premier est réservé à la lecture des œuvres de Mao Zedong et des théories du Parti, le second à l’analyse du travail, de la production et aux meetings. »

Résister à la sécheresse

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L’agriculture des communes populaires en Chine populaire

L’universitaire français Mathieu Courgeau, dans une étude de 2009, Analyse-diagnostic agraire du canton de Danian, présente de la manière suivante les modifications au sein de l’agriculture chinoise au niveau local.

« En 1955, sous l’impulsion de cadres du Parti communiste, les paysans de chaque village sont organisés en équipes de travail de 25 à 50 personnes, soit cinq à dix familles par équipe.

Il y a une coopérative par village, soit trois à cinq équipes par coopératives. Les rizières et les terres sèches deviennent propriété collective de l’équipe de travail.

Les familles de chaque équipe travaillent désormais les terres (rizières et terres sèches) en commun.

En revanche, les paysans conservent en usufruit familial leurs animaux, leur jardin et leurs outils. En contrepartie de leur travail, chaque personne se voit attribuer des points par le comptable de l’équipe.

Les paysans ont effectué quelques aménagements hydrauliques : ils ont creusé des canaux pour étendre l’alimentation en eau à des parcelles qui n’en bénéficiaient pas jusqu’alors, souvent situées sur des versants éloignés d’une source.

Avant la réforme agraire, le partage de l’eau était inégalitaire, rendant ces aménagements inefficaces. Les paysans peuvent ainsi cultiver des variétés de riz glutineux à cycle plus long et à plus fort rendement sur les quelques dizaines de mu aménagé [1 mu équivaut à = 1/15e ha] (…).

La Commune populaire de Danian est mise en place dès 1958 : elle comprend sept brigades et une vingtaine de villages, soit environ 5000 personnes. Notre zone d’étude forme une brigade (la brigade de Gao Liao) et compte 900 personnes.

Les terres (rizières, bois, terres sèches et jardins) et les animaux (zébus, buffles, porcs, volaille…) deviennent propriétés de la Commune populaire. Les paysans perdent donc à la fois la propriété de leurs moyens de production et leur usufruit (qui est confié à la Commune).

Une organisation du travail très hiérarchisé et « à chacun selon ses besoins » Les anciennes équipes ont été redéfinies pour former des groupes de travail d’environ 100 à 150 personnes. Il y avait entre deux et trois groupes de travail par village.

La brigade est l’unité de compte de base, c’est-à-dire que toute la comptabilité (récolte, achat…) est menée à ce niveau.

Chacune est dirigée par un bureau composé de paysans théoriquement choisis par la population et validés par les cadres du Parti. Chaque groupe de travail avait aussi un chef, qui répartissait les tâches au sein du groupe.

Le bureau a en charge toute l’organisation communautaire au sein de la brigade, aussi bien au niveau de l’éducation que des travaux agricoles.

En ce qui concerne la production agricole, la répartition du travail et tous les actes techniques sont dirigés par le bureau. Il n’y a aucune place pour l’initiative individuelle ou familiale.

Le système de points travail est abandonné, le travail n’est plus rémunéré. On applique la théorie communiste « à chacun selon ses besoins », en distribuant gratuitement les repas dans une cantine collective. »

Femmes, soldates de la révolution, pionnières de la production

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L’atmosphère des communes populaires en Chine populaire

L’agronome français René Dumont publia en 1964 un article, Les communes populaires rurales chinoises, où il tente de décrire l’engouement des communes populaires, qui le dépassait alors.

« Quelle était l’ambiance de la nouvelle commune populaire ? Un égalitarisme échevelé. Il s’y introduisait des éléments de communisme.

Une fraction très importante de la récolte de céréales, celle qui est autoconsommée, était distribuée à chacun selon ses besoins.

En d’autres termes, les céréales étaient données gratuitement dans les communes pauvres.

Dans les communes moyennes, on donnait les repas gratuitement. Dans les communes plus riches, on annonçait que toutes les dépenses courantes seraient gratuites : coiffeur, cinéma, jusqu’aux funérailles. Le résultat était une sorte d’allocations familiales.

Le couple sans enfants travaillait pour les huit ou dix enfants du voisin. Ceci était accompagné d’une vie plus collective, pour mobiliser, en faveur de la production, la majorité des femmes.

A cet effet, il fallait les délivrer de leurs tâches domestiques, d’où le réfectoire, les garderies d’enfants, les pouponnières. Et l’on créait des hospices de vieillards sans famille.

Cette forme de vie collective entraînait une certaine résistance de la part des paysans.

Autre caractère de la commune première manière.

L’ensemble des activités était dirigé à partir d’elle sans que pour autant une autonomie suffisante fût accordée aux organes fédérés des anciennes coopératives.

Ceux-ci étaient dorénavant dénommés « brigades » et « équipes » des communes. Les comptes étaient tenus à l’échelon de la commune (comptables, capables de diriger des masses d’ouvriers jusqu’à 9.000 travailleurs).

On a l’impression, en relisant les déclarations de décembre 1958, que les choses n’allaient pas très bien. Le système était trop compliqué pour qu’on pût diriger. Il y avait surcentralisation au sommet, et surinvestissement.

Un tiers de la récolte de 1958 était investie. Pour une très bonne récolte, cela pouvait se faire ; pour les mauvaises récoltes subséquentes, cela devenait impossible.

Quant à la surindustrialisation, jusqu’à l’autarcie, on voulait voir la commune subvenir à ses principaux besoins par ses propres industries.

Quand on constate que le nombre des industries correspond à celui des ouvriers employés dans la commune, on est amené à conclure que ces industries sont des ateliers : un appentis, un hangar, sous lequel on découvre une petite machine et un ouvrier.

On voulait faire de tout, partout, dans l’ambiance du grand bond en avant, sans tenir compte de la rentabilité. Les ordres étaient formels, il fallait foncer dans le brouillard ; dépasser tous les records.

Cette tendance autarcique s’inscrivait dans les perspectives d’une guerre atomique, où la commune survivrait à la destruction des grands centres industriels du pays (…).

En Chine, on laboure les trottoirs des banlieues, les préaux des écoles, les bandes de terrains entre les ateliers d’usines, les bas-côtés des routes, les voies ferrées, les sentiers de diguettes, où l’on avance, un pied devant l’autre, entre deux rangées de haricots. Avec tout cela on réussit seulement à nourrir, au plus juste, et dans les meilleures conditions climatiques, la population chinoise. »

De fait, le Grand Bond en Avant fut marqué par un gigantesque effort d’étude de l’environnement, de compréhension de comment améliorer l’agriculture, de comment mobiliser en ce sens, de comment se relient les questions du climat, des sols et de l’habitat, etc.

C’était une mobilisation se dispersant, mais soucieuse d’appréhender l’ensemble de la situation au niveau d’une commune populaire, pour tous les aspects.

Et l’État lui-même était concerné au premier lieu, puisque en novembre 1957, il y avait ainsi eu une décentralisation significative concernant de nombreux éléments (entrepôts, centres de commerces…).

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La Chine populaire et le grand bond en avant

Si Mao Zedong se doutait que des éléments petits-bourgeois et bourgeois pourraient abuser des cent fleurs, il découvrit toutefois rapidement que ce n’était pas la seule menace. En effet, les tenants d’un copiage passif du modèle soviétique suivaient le même chemin que dans les pays de l’Est, adoptant un style révisionniste, une idéologie révisionniste.

L’idéologie était passée à la trappe, au profit d’une simple gestion des choses courantes, ce qu’on appela historiquement la croyance en le développement passif des forces productives comme suffisant pour le socialisme.

Une expression essentielle de cela fut la suppression de la constitution du Parti, en 1956, de la « pensée Mao Zedong », lors de la première session du huitième congrès, le premier du Parti Communiste de Chine depuis la victoire de 1949.

Le Parti avait adopté la « pensée Mao Zedong » comme adaptation du marxisme-léninisme aux conditions chinoises lors de son septième congrès, du 23 avril au 11 juin 1945, où 754 délégués représentant 1,2 millions de membres du parti avaient soutenu le rapport de Mao Zedong intitulé « Du gouvernement de coalition ».

La suppression de la « pensée Mao Zedong » indiquait un changement d’orientation ou du moins la fin d’une étape, et Liu Shaoqi, le numéro deux du Parti Communiste de Chine, mentionna Mao Zedong quatre fois seulement dans son rapport en 1956, contre 104 fois en 1954.

Liu Shaoqi prononçant le rapport sur la réforme agraire à la troisième session plénière du septième Comité Central du Parti Communiste de Chine, en 1950.

Cependant, Mao Zedong avait compris que ce qui se jouait, à l’arrière-plan, c’était le modèle d’organisation de la Chine.

Il impulsa ainsi ce qui fut dénommé le Grand Bond en Avant, décrété en août 1958 sur la base d’une mobilisation populaire en fait déjà commencée, comme prolongement de la « ligne générale pour la construction socialiste » établie lors du second plenum de la direction du Parti, en mai 1958.

Il s’agissait, à travers le second plan quinquennal concernant la période 1958-1962, d’établir un modèle autonome de développement, sans avoir à passer sous la coupe soviétique, ce que visaient en fait les révisionnistes chinois ne croyant pas possible un développement chinois qui lui soit propre.

Fonctionnaires gouvernementaux envoyés au travail à la campagne en 1957

C’est toute l’organisation étatique qui est ainsi bouleversée avec l’établissement de communes populaires. La première commune populaire s’était formée en avril 1958 à Weixing, dans la province du Henan.

Le 18 août 1958, le Quotidien du peuple expliqua le principe des communes populaires et le 29 le Comité Central du Parti Communiste de Chine publia une résolution, dite résolution de Beidahe du nom du lieu de la réunion, annonçant la mise en place des communes populaires.

La résolution explique qu’il y a un saut qualitatif historiquement nécessaire, une nouvelle combinaison des forces sociales qui doit opérer pour faire avancer les forces productives.

« Des communes populaires de grande envergure et à des fins multiples ont fait leur apparition et, en certains endroits, elles se sont déjà généralement développées. Ce développement a été très rapide dans certaines régions.

Il est extrêmement probable que, dans un proche avenir, un grand essor pour l’établissement des communes populaires va se produire dans le pays entier, et qui plus est, animé d’une force irrésistible.

La base du développement des communes populaires est principalement le grand bond en avant, généralisé et continu, de notre production agricole et l’élévation constante de la conscience politique de nos 500 millions de paysans.

On a développé dans l’agriculture une construction de base d’une ampleur sans précédent une fois que les défenseurs de la voie du capitalisme ont été fondamentalement battus sur le plan économique, politique et idéologique.

Ceci a créé une base nouvelle pour arriver pratiquement à éliminer l’inondation et la sécheresse et assurer un développement relativement stable de la production agricole.

La production agricole a progressé par sauts et par bonds depuis que le conservatisme de droite a été surmonté et que les anciennes normes techniques dans l’agriculture ont été renversées (…).

Dans les circonstances actuelles, l’établissement des communes populaires qui comportent un complet développement dans les domaines de l’agriculture, la sylviculture, l’élevage, les occupations secondaires et la pêche, et qui combinent en un tout l’industrie (les ouvriers), l’agriculture (les paysans), l’échange (le commerce), la culture et l’éducation (les étudiants) et les affaires militaires (les soldats), est la ligne politique fondamentale indispensable pour conduire les paysans à accélérer la construction socialiste, à accomplir avant le terme fixé l’édification du socialisme et à réaliser la transition graduelle vers le communisme. »

Le 4 septembre, le règlement provisoire de la commune populaire de Weixing fut publié par le Quotidien du peuple, afin de servir d’exemple ; plus tard, le 10 décembre 1958, le Comité Central du Parti Communiste de Chine publia une nouvelle résolution, dite de Wuhan, pour améliorer la mise en place des communes populaires.

Le mouvement des coopératives avait en fait abouti à l’établissement de 750 000 de celles-ci à la fin de l’année 1958, avec pratiquement tous les paysans du pays : elles sont désormais unifiées par bloc de 5 000 (mais pouvant monter jusqu’à 20 000), formant un peu plus de 23 000 communes populaires.

Cette dernière combine toutes les activités à son échelle, que ce soit l’agriculture ou la petite industrie, l’éducation comme l’administration, les initiatives communautaires (crèches, jardin d’enfants, écoles, cantines…), comme la sécurité.

Le principe des cantines populaires est d’ailleurs la règle pour 80 % des communes populaires, avec deux services (un pour les personnes âgées et les enfants, un autre pour les travailleurs) et un service à domicile pour les personnes ne pouvant pas se déplacer.

La cantine, élément essentiel de la commune populaire

Mais, outre de renforcer les valeurs collectives et de faire progresser le niveau d’organisation économique et l’hygiène, les communes populaires ont également été caractérisées par l’émergence de petites entités industrielles, apparaissant « comme des pousses de bambous après la pluie ».

Conformément en effet au principe de la résolution du 29 août 1958, l’objectif est l’autonomie des communes populaires, d’où la tentative pour chaque commune de fabriquer son engrais, de mettre en place des petits hauts fourneaux, de quatre-cinq mètres de haut en utilisant des briques et du mortier, afin pour produire de la fonte brute, de mettre en place et de gérer des réservoirs et des bassins, des puits et des canaux d’irrigation, etc.

Des petits hauts fourneaux mis en place durant le Grand Bond en Avant

D’où une organisation du travail extrêmement poussée (avec seize brigades, regroupant chacune sept équipes d’environ 200 personnes chacune) et une mobilisation laborieuse sans pareille : pour la seule année 1958, 580 millions de mètres cubes de terre ont été déplacés.

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La crise de croissance de la Chine populaire et les cent fleurs

Si la jeune Chine populaire est parvenue à s’arracher au chaos généralisé, deux problèmes de fond se posent dans les années 1950. Tout d’abord, l’URSS devenue révisionniste rompit avec la Chine populaire, abandonnant toute aide et retirant ses conseillers et spécialistes, obligeant l’économie chinoise à se débrouiller littéralement sur le tas.

Ensuite, Mao Zedong avait compris que quelque chose n’allait pas et cela dépassait la question de la répression de la contre-révolution, qui connut une nouvelle étape en 1955 avec la « Directive de lancement de la lutte pour éradiquer les éléments contre-révolutionnaires cachés », afin de débarrasser l’État des éléments opportunistes agissant pour la réaction, notamment le Guomindang, qui de son côté avait fait de l’île de Taïwan sa base, avec l’appui américain.

L’idée de Mao Zedong était simple : il y avait un esprit administratif qui tendait à prédominer dans la gestion, avec une mentalité favorable aux prises de décisions unilatérales. Il y avait une sorte de copiage passif du modèle soviétique. Il fallait donc en terminer avec cela et lancer un mouvement d’initiatives diverses, afin de dépasser toute sclérose.

Aussi, deux initiatives furent-elles prises. La première, en avril 1956, est la campagne des cent fleurs.

Mao Zedong prononce le 2 mai 1956 un discours abordant la thématique des cent fleurs

La seconde, c’est la publication par Mao Zedong d’un ouvrage synthétisant la campagne : De la juste résolution des contradictions au sein du peuple.

Mao Zedong dit ainsi :

« Les contradictions entre nous et nos ennemis sont des contradictions antagonistes.

Au sein du peuple, les contradictions entre travailleurs ne sont pas antagonistes et les contradictions entre classe exploitée et classe exploiteuse présentent, outre leur aspect antagoniste, un aspect non antagoniste (…).

Sur quelle base les mots d’ordre « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » et « Coexistence à long terme et contrôle mutuel » ont-ils été lancés ?

Ils l’ont été d’après les conditions concrètes de la Chine, sur la base de la reconnaissance des différentes contradictions qui existent toujours dans la société socialiste et en raison du besoin urgent du pays d’accélérer son développement économique et culturel.

La politique « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » vise à stimuler le développement de l’art et le progrès de la science, ainsi que l’épanouissement de la culture socialiste dans notre pays.

Dans les arts, formes différentes et styles différents devraient se développer librement, et dans les sciences, les écoles différentes s’affronter librement.

Il serait, à notre avis, préjudiciable au développement de l’art et de la science de recourir aux mesures administratives pour imposer tel style ou telle école et interdire tel autre style ou telle autre école.

Le vrai et le faux en art et en science est une question qui doit être résolue par la libre discussion dans les milieux artistiques et scientifiques, par la pratique de l’art et de la science et non par des méthodes simplistes.

Pour déterminer ce qui est juste et ce qui est erroné, l’épreuve du temps est souvent nécessaire. Au cours de l’Histoire, ce qui est nouveau et juste n’est souvent pas reconnu par la majorité des hommes au moment de son apparition et ne peut se développer que dans la lutte, à travers des vicissitudes.

Il arrive souvent qu’au début ce qui est juste et bon ne soit pas reconnu pour une « fleur odorante », mais considéré comme une « herbe vénéneuse ».

En leur temps, la théorie de Copernic sur le système solaire et la théorie de l’évolution de Darwin furent considérées comme erronées et elles ne s’imposèrent qu’après une lutte âpre et difficile.

L’histoire de notre pays offre nombre d’exemples semblables. Dans la société socialiste, les conditions nécessaires à la croissance des choses nouvelles sont foncièrement différentes, et bien meilleures que dans l’ancienne société. Cependant, il est encore fréquent que les forces naissantes soient refoulées et des opinions raisonnables étouffées.

Il arrive aussi qu’on entrave la croissance des choses nouvelles non par volonté délibérée de les étouffer, mais par manque de discernement. C’est pourquoi, pour déterminer ce qui est juste et ce qui est erroné en science et en art, il faut adopter une attitude prudente, encourager la libre discussion et se garder de tirer des conclusions hâtives.

Nous estimons que c’est une telle attitude qui permettra d’assurer au mieux le développement de la science et de l’art (…).

L’idéologie de la bourgeoisie et celle de la petite bourgeoisie trouveront sûrement à se manifester. A coup sûr, ces deux classes s’obstineront à s’affirmer par tous les moyens, dans les questions politiques et idéologiques.

Il est impossible qu’il en soit autrement.

Nous ne devons pas recourir à des méthodes de répression pour les empêcher de s’exprimer ; nous devons le leur permettre, et en même temps engager un débat avec elles et critiquer leurs idées de façon appropriée.

Il est hors de doute que nous devons soumettre à la critique toute espèce d’idées erronées. Certes, on aurait tort de ne pas critiquer les idées erronées et de les regarder tranquillement se répandre partout et s’emparer du marché – toute erreur est à critiquer, toute herbe vénéneuse est à combattre.

Mais cette critique ne doit pas être dogmatique ; il faut écarter la méthode métaphysique et faire tout son possible pour employer la méthode dialectique. Une analyse scientifique et une argumentation pleinement convaincante sont ici de rigueur. Une critique dogmatique ne donne aucun résultat.

Nous combattons toute herbe vénéneuse, mais il faut distinguer avec soin ce qui est réellement herbe vénéneuse et ce qui est réellement fleur odorante. Nous devons ensemble, les masses et nous, apprendre à faire soigneusement cette distinction et, en nous servant de méthodes correctes, lutter contre les herbes vénéneuses. »

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La seconde étape de la mise en place de la Chine populaire: l’efficacité

La fin de la première étape se caractérise par une volonté de systématiser les acquis et de renforcer les fondements. C’est le sens de la campagne des « trois anti » lancée en décembre 1951 dans l’administration. Elle vise la corruption, le gaspillage et la bureaucratie.

Elle est immédiatement suivie de la campagne des « cinq anti », concernant l’industrie et le commerce, où sont visés les pots-de-vin, la fraude fiscale, le détournement des biens publics, la fraude dans les contrats publics, le vol d’informations économiques publics.

Réunion des activistes du mouvement des «cinq anti» en 1952 à Shanghai

Dans les territoires libérés avant la victoire à l’échelle du pays, le Parti Communiste de Chine avait également mis en place des équipes d’entraides, composées de plusieurs familles, soit de manière temporaire, soit de manière permanente c’est-à-dire pour un projet sur plusieurs années. Cette pratique est généralisée à partir de février 1952 dans les campagnes, à des rythmes différents selon les régions.

De la même manière, les paysans sont poussés à partir de 1954 à s’organiser en coopératives ; à la fin de 1956, 70 % des 110 millions de familles paysannes l’avaient fait, la totalité l’année suivante. Commence en même temps l’établissement à titre expérimental de coopératives de type supérieur, avec socialisation des moyens de production ; le principe est de laisser un à deux hectares de lopin de terres restant privées.

Un manuel est diffusé pour ce faire, L’essor du socialisme dans les campagnes chinoises, rassemblant 176 documents sur la gestion d’une coopérative consistant en des compte-rendus, des reportages et des rapports.

Affiche de 1953 : Avec l’aide de l’Union Soviétique, nous ferons de notre mieux pour réalisation la modernisation de la patrie

Dans la préface initiale, Mao Zedong affirma qu’il faudrait quinze années pour mettre en place un pays socialiste au niveau économique, ce qu’il confirma dans la seconde préface faite deux mois plus tard :

« La ligne générale du Parti communiste chinois pour la période de transition du capitalisme au socialisme consiste à réaliser pour l’essentiel l’industrialisation du pays et en même temps la transformation socialiste de l’agriculture, de l’artisanat ainsi que de l’industrie et du commerce capitalistes.

Cette période de transition s’étendra sur quelque dix-huit ans, soit trois ans pour le relèvement plus trois quinquennats. »

Mao Zedong souligne que l’agriculture est transformée, alors que l’industrialisation est entièrement à faire. En effet, sur le plan industriel, en 1949, sur les 5000 usines, 346 seulement fonctionnaient encore. L’État avait alors immédiatement pris le rôle de guide, maîtrisant le tiers de la production industrielle par ailleurs très centralisée (la quasi totalité dans le Nord et à l’Est, principalement à Shanghai dont la production était destinée à une infime et opulente minorité, et une petite part au Centre et au Sud).

Rapidement c’est donc pratiquement la totalité de l’industrie qui passe sous la coupe étatique au milieu des années 1950, avec une gestion de l’ensemble de la vie sociale des nouveaux ouvriers (alimentation, logements, crèches, écoles, magasins…), alors qu’en décembre 1952 est lancé le premier plan quinquennal.

Affiche de 1955 : saluer et apprendre des modèles au travail!

Ce plan est notamment une réussite sur le plan de la production de charbon, qui va doubler grâce à l’ouverture de nouveaux puits et la modernisation des anciens, en profitant de la grande aide des conseillers soviétiques.

C’est que, durant tout ce processus, les conseillers soviétiques sont présents à tous les niveaux, alors que les prêts soviétiques ont été extrêmement importants. La Chine, jusqu’en 1956, marche en tandem avec l’URSS.

Et c’est une réussite : entre 1949 et 1957, la production alimentaire a doublé ; entre 1949 et 1954, le taux moyen des revenus nationaux a connu chaque année une augmentation de 9 % en moyenne.


charbonacierengrais chimiquepétrole brutélectricitémachines-outils
195264 millions de tonnes1,9 millions de tonnes194 000 tonnes0,44 millions de tonnes7,26 milliers de millions de kilowatts13 734
1957124 millions de tonnes (le double l’année suivante)5,24 millions de tonnes740 000 tonnes2 millions de tonnes19,3 milliers de millions de kilowatts80 000

De 1952 à 1957, le secteur public, les coopératives et l’économie mêlant public et privé (formant le tiers de l’industrie) formaient un bloc passé de 21,3% à 92,9% de l’économie.

Sur le plan culturel, un Comité de recherche pour la réforme de l’écriture est mis en place en février 1952, ce qui donnera une simplification de 515 caractères complexes lors de la réforme du 28 janvier 1958.

Et le premier mars 1953 est mise en place la loi électorale concernant les assemblées populaires locales et l’Assemblée populaire nationales, avec des élections en mars et septembre 1953, ouvertes sans distinction :

« Tout citoyen de la République Populaire de Chine âgé de 18 ans est électeur, quels que soient sa nationalité, son sexe, sa profession, son origine sociale, sa religion, son degré d’instruction, son statut de propriété et son lieu de résidence. »

La première session de l’Assemblée populaire nationale se tiendra à la mi-septembre 1954, adoptant la Constitution et faisant de Mao Zedong le président de la République Populaire. La Commission d’État du Plan est également divisée en deux entités : la Commission du Plan d’État et la Commission de la Construction.

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La Chine populaire et la mise en place d’une nouvelle administration centralisée

Le premier octobre 1949, Mao Zedong proclame la fondation de la République populaire de Chine. Lui-même est élu président du Conseil du Gouvernement populaire central, par une Conférence consultative politique du peuple chinois.

Un million et demi de personnes défilent à Shanghai le 2 octobre 1949

Celle-ci regroupe le Parti Communiste de Chine, les organisations démocratiques, l’Armée Populaire de Libération, des représentants des minorités ethniques ; elle a adopté un Programme commun.

Le pays va être rapidement divisé en six grandes régions administratives, au fur et à mesure de la reconquête de toute la Chine continentale d’ici la fin de l’année 1949 :

– l’aire du Huabei, c’est-à-dire le Nord, avec le Hebei, le Shanxi, le Chabar, le Suiyuan, le Pingyuan, ainsi que les municipalités de Pékin et Tianjin ;

– l’aire du Dongbei, c’est-à-dire le Nord-Est, avec la Mandchourie et le Jehol ;

– l’aire du Xibei, c’est-à-dire le Nord-Ouest, avec le Shenxi, le Gansu, le Ninqxia, le Qinghai, le Sinjiang, ainsi que la municipalité de Xian ;

– l’aire du Huadong, c’est-à-dire l’Est, avec le Jiangsu, le Zhejiang, l’Anhui, le Fujian, le Shandong, ainsi que les municipalités de Shanghai et de Nankin ;

– l’aore du Zhongnan, c’est-à-dire le Centre et le Sud, avec le Hubei, le Hunan, le Henan, le Jiangxi, le Guangdong, le Guangxi, ainsi que les municipalités de Canton et de Hankou ;

– l’aire du Xinan, c’est-à-dire le Sud-Ouest, avec le Sichuan, le Guizhou, le Yunnan, ainsi que la municipalité de Chongqing.

Cette division administrative, avec un haut degré de centralisation et de dépendance vis-à-vis du gouvernement central, durera jusqu’en 1954, dans le cadre de l’établissement d’une administration nationale.

La carte de la Chine populaire

Pour ce faire, le 31 janvier 1950 est mise en place une réforme générale de la fiscalité, uniformisant les impôts au niveau du pays. Ceux-ci sont désormais principalement des types suivants : agricole, industriel, commercial, salarial et sur les autres revenus secondaires.

Le 26 mars 1950, le budget devient logiquement national, avec une unification de la comptabilité financière au niveau gouvernemental, de la gestion de la monnaie par une banque centrale, ainsi que de la gestion et la conservation des denrées alimentaires.

Le 30 avril, la loi sur le mariage est institué, avec l’interdiction des pratiques féodales (la polygamie, le meurtre des nouveaux nés, la vente des enfants, le concubinage, etc.) et la mise en valeur de l’égalité hommes-femmes.

Le 30 juin, le décret sur la réforme agraire amène la confiscation des terres des propriétaires fonciers et des paysans riches (soit 46 des 100 millions d’hectares de terres agricoles), qui sont redistribuées à 300 millions de personnes (soit environ la moitié de la population chinoise au lieu d’autour de 3 %).

Parallèlement à cela, l’État démocratique met en place une série de mesures afin d’assurer les besoins en énergie. Il y a ainsi les principales mines passant sous la supervision du ministère de l’Industrie du Charbon, les mines intermédiaires dont s’occupent les provinces, les préfectures ou les cantons et enfin les petites mines locales dont s’occupent des propriétaires privés ou bien des unités ouvrières, l’armée ou le village.

En juillet 1950 se tient dans ce cadre la première conférence pour la planification de l’industrie lourde dans le pays, alors qu’est officialisé un cadre juridique pour réprimer la contre-révolution.

Cela aboutira, le 20 février 1951, au Règlement sur la suppression des éléments contre-révolutionnaires, visant spécifiquement les bandits, les despotes locaux, les services secrets du Guomindang, des dirigeants des organisations réactionnaires, les sociétés secrètes.

Le premier octobre 1951, le système d’enseignement nouveau est mis en place, l’école commençant à l’âge de 7 ans, pour un cycle de 5 ans, dans un pays où 90 % de la population ne sait ni lire ni écrire.

Brisons l’invasion impérialiste et marchons ensemble pour la construction d’une vie pacifique, heureuse

Et, à l’arrière-plan, il y a une mobilisation générale pour la réorganisation du pays, notamment au moyen de l’Armée Populaire de Libération : réfection des digues, envois de vivres et de semences, établissement de bâtiments administratifs populaires, etc.

Cela correspond à l’objectif exposé par Mao Zedong le 30 juin 1949 dans De la dictature démocratique populaire, écrit à l’occasion de la Commémoration du 28e Anniversaire du Parti Communiste de Chine :

« A l’intérieur du pays, éveiller les masses populaires.

Cela signifie unir la classe ouvrière, la paysannerie, la petite bourgeoisie urbaine et la bourgeoisie nationale en vue de former un front uni placé sous la direction de la classe ouvrière et, à partir de là, édifier un État de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans. »

En octobre 1951, deux ans après la proclamation de la Chine populaire, Mao Zedong pouvait saluer la réussite de son établissement à la IIIe Assemblée de la Conférence consultative politique du peuple chinois.

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Y a-t-il une différence entre la bourgeoisie bureaucratique et labourgeoisie compradore? Comment le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) propose une définition erronée

Le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) a rendu public une série de documents sur différentes questions. Ces documents ont le Comité central comme rédaction et ont été publiés en janvier 2021, parfois après une correction par rapport à un document précédent. On parle ici des documents intitulés :

(1) Les changements dans les rapports de production en Inde — Notre programme politique (272 pages) ;

(2) La question des castes en Inde – notre perspective (97 pages, première édition en mai 2017) ;

(3) La question des nationalités en Inde – le positionnement de notre Parti (97 pages, première édition en mai 2019) ;

(4) La Chine – une nouvelle puissance social-impérialiste ! Elle est partie intégrante du système capitaliste-impérialiste mondial ! (84 pages, première édition en juillet 2017).

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la question de la définition du capitalisme, de l’impérialisme et de la crise. On trouve ici en effet un vrai problème, puisque le PCI (M) développe une analyse non dialectique de cela. En raison de l’importance particulière de l’Inde dans la révolution mondiale, il est nécessaire de voir ce que signifie historiquement cette faiblesse.

En fait, la raison derrière le problème est que l’Inde est un lieu majeur de la contradiction entre la ville et la campagne. Le développement des zones urbaines y est particulièrement faussé, dans une zone où la question animale se posait depuis longtemps déjà. Et c’est une région où vit une partie importante des masses mondiales, c’est un pays totalement divisé par le communautarisme religieux et les castes.

Le PCI(M) ne se confronte tout simplement pas à toutes ces questions. Il emprunte une voie opposée à la question de l’universalité comme nécessité historique, comme communisme affirmant l’unité des masses, du monde, de la Biosphère, de l’univers, tout cela étant la clé de la Révolution indienne.

La conception du PCI(M)

La conception du PCI(M) est la suivante. Le capitalisme serait en crise depuis les années 1970, mais comme il est uniquement « impérialiste » et en outre « organisé », il aurait répondu par des politiques néolibérales à tous les niveaux dans les années 1980.

La conséquence directe aurait été la pauvreté partout dans le monde et aussi la domination finale du capitalisme financier à travers la « mondialisation ».

Cette conception n’est pas nouvelle ; c’est celle des maoïstes indiens depuis les années 1990, d’un point de vue commun à toutes les différentes organisations (le Centre Communiste Maoïste, le Centre Communiste Maoïste de l’Inde, le PCI(ML) Guerre Populaire, etc.). Au début des années 1990, une telle compréhension du capitalisme a été par exemple largement présentée par le PCI(ML) Guerre Populaire lors de conférences à Bruxelles organisées par le Parti du Travail de Belgique, une structure révisionniste post-maoïste.

Cela ne devrait pas surprendre : les maoïstes indiens ont tendance à utiliser les concepts révisionnistes de néolibéralisme, de pays dépendants, de mondialisation. C’est la clé du problème des maoïstes indiens.

Les documents de 2021 tentent de justifier cette approche et, en fait, c’est aussi la première fois qu’ils prêchent ouvertement une telle vision « altermondialiste » du monde, étant donné que d’habitude, c’est assez masqué, même si lisible pour qui porte son attention là-dessus.

L’un des principaux points ici est que la conception erronée du PCI(M)) conduit au misérabilisme : le capitalisme serait paralysé depuis les années 1990, les masses mondiales auraient toujours été plus pauvres depuis les années 1990, et ainsi de suite. C’est un conte de fées, qui passe totalement à côté de l’incroyable développement des forces productives par le capitalisme dans la période 1989-2020, de l’impact sur la Biosphère, de l’aggravation de la contradiction entre ville et campagne.

Et, par conséquent, il s’agit d’une incompréhension de la deuxième crise générale du capitalisme apparaissant en 2020 à travers la pandémie.

Cela justifie la critique de la conception du CPI (M), l’une des organisations révolutionnaires les plus importantes du monde, prisonnière de sa propre expérience indienne et manquant la transformation générale.

1. la définition de l’impérialisme

a) ce que dit le PCI(M)

Le PCI(M) définit l’impérialisme comme suit:

« Comme l’a dit le grand enseignant marxiste Lénine, l’émergence d’organisations monopolistiques et l’exportation de capitaux sont les caractéristiques de l’impérialisme. »

« Un siècle s’est écoulé depuis que le système capitaliste mondial s’est transformé en impérialisme. »

« Avec le début de l’ère impérialiste, la phase de développement « pacifique » du capitalisme a pris fin. La série des guerres impérialistes a commencé pour les colonies et pour une nouvelle division du monde. »

« Selon le rapport publié par l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich, quelques organisations monopolistiques contrôlent l’économie du monde entier. Six personnes super riches du monde possèdent des biens égaux à la moitié de la population, c’est-à-dire à 3600 millions de personnes. »

« Dans l’ère impérialiste globale, en particulier dans la période néo-coloniale et surtout pendant la période de mondialisation, plusieurs changements considérables ont eu lieu à un rythme rapide dans divers secteurs au niveau international et national.

Ces changements ont conduit à des transformations et des polarisations dans les rapports de classe partout dans le monde à des niveaux variés. Étant donné que l’ordre économique / financier mondial est plus centralisé entre les mains de quelques institutions / pays impérialistes et que la richesse et le pouvoir politique sont centralisés entre les mains de leurs grands compradores, le nombre de nationalités, de classes et de sections opprimées a augmenté très fortement. »

b) une compréhension unilatérale de l’impérialisme

Le CPI(M) a une compréhension unilatérale de l’impérialisme, qui est réduit au capital financier, qui serait centralisé et organisé.

De plus, l’impérialisme serait un nouveau système de production : il y aurait une production industrielle capitaliste qui produirait du capital, ce capital arriverait à une surproduction et l’impérialisme consisterait en la surproduction de capital.

C’est faux. L’impérialisme n’est pas une base, c’est une superstructure du capitalisme. Même lorsque le capitalisme vient à l’impérialisme, sa base est simplement capitaliste, avec la concurrence et la compétition entre capitalistes, à l’ombre des grands monopoles.

L’appareil bancaire ne fait pas disparaître la base, mais en émerge comme une forme parasite. Ainsi, la base capitaliste n’est pas modifiée en elle-même et s’il y a surproduction de capital, elle ne peut être séparée de la surproduction de marchandises.

Lénine, lorsqu’il définit l’impérialisme dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », est très clair sur les deux doubles aspects : base/superstructure d’un côté, industriel/financier de l’autre (ici les parties importantes sont soulignées).

« Aussi, sans oublier ce qu’il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d’un phénomène dans l’intégralité de son développement, devons-nous donner de l’impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants :

1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique;

2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce « capital financier », d’une oligarchie financière;

3) l’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière;

4) formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde,

et 5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes.

L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »

La domination des monopoles et du capital financier ne signifie pas qu’il n’y a que des monopoles et du capital financier. C’est l’erreur du PCI(M), qui en amène une autre : la conception d’un capitalisme, c’est-à-dire d’un impérialisme, pur et organisé.

2. la conception d’un impérialisme organisé

a) ce que dit le PCI(M)

Le PCI(M) définit une sorte d’impérialisme organisé comme suit:

« Les impérialistes et les révisionnistes créent des histoires et apportent des illusions aux gens sur les conditions changeantes afin de protéger le système impérialiste et de tromper les peuples du monde. »

« Lors de la restructuration du secteur public chinois, la crise en Asie de l’Est à la fin des années 90 détruisait Singapour, la Malaisie, l’Indonésie et la Thaïlande. Avec leurs intérêts de classe, les forces impérialistes des États-Unis, de l’Europe et du Japon ont introduit expérimentalement le capitalisme au début des années 1990 pour ériger un mur contre le « communisme » dans les pays connus sous le nom de Tigres d’Asie de l’Est. »

« Le néo-colonialisme a donné à chaque force impérialiste de nouvelles opportunités à exploiter.

De plus, cela a rendu possible le colonialisme collectif pour « exploiter collectivement » les pays arriérés, ce qui s’exprime avec la Banque Mondiale, le FMI, l’OMC et d’autres organisations impérialistes de ce type. C’est un caractère distinct du néo-colonialisme. »

« 1991 – Début de la deuxième étape de la mondialisation Alors que la théorie keynésienne a été formulée pour résoudre la crise impérialiste des années 1930, la théorie monétariste est apparue pour résoudre la crise qui a éclaté en 1970.

Les monétaristes ont suggéré de réduire les dépenses et les subventions, mais pas de produire de la monnaie afin de réduire le déficit budgétaire. Ils ont prêché le principe de la « main invisible » d’Adam Smith selon lequel les forces du marché régulent elles-mêmes l’économie.

C’est ce qu’ont mis en place Thatcher en Grande-Bretagne et Reagan aux États-Unis. Les politiques de « libre marché » et de « libre-échange » qu’ils prétendent introduire reflètent en fait le monopole du commerce et le contrôle des monopoles sur le marché. Le jargon du libre-échange et du marché libre n’est simplement qu’un masque du monopole des organisations monétaires internationales et des sociétés multinationales.

Dire qu’ils appliquent le principe d’Adam Smith du stade capitaliste de la libre concurrence ne fait que tromper les gens du monde entier. »

« Premièrement, les impérialistes ont restructuré le capitalisme dans leurs pays en mettant en œuvre les Reaganomics et le thatchérisme.

Ils ont créé une vague sans précédent de fusions et acquisitions pour établir des conglomérats géants. Ils ont fait du capital financier une force décisive et un spectre majeur dictant les économies des pays du monde entier. Ils ont mis sous leur contrôle toutes les formes de production sociale du monde et ont obligé tous les pays du monde à se soumettre aux politiques de la mondialisation impérialiste.

Ils ont ainsi intensifié l’assaut contre la classe ouvrière de leurs propres pays et augmenté le taux de plus-value (profits) qui en était extrait. Deuxièmement, avec une nouvelle offensive contre les pays arriérés, ils ont pu davantage étendre leurs marchés et s’emparer des matières premières bon marché de ces pays.

Ils ont intensifié de multiple manière l’exploitation des travailleurs. Ces deux éléments sont étroitement liés et interdépendants.

L’objectif de la stratégie de mondialisation est de restructurer les économies de l’ensemble des pays du monde selon les intérêts d’exploitation des entreprises financières monopolistiques internationales et des entreprises multinationales, de lever toutes les sanctions et tous les obstacles tarifaires pour les importations-exportations et pour transférer les bénéfices vers leur pays d’origine, de manière à créer un monde « sans frontières » où les biens, la technologie, le capital et le travail peuvent « librement circuler », pour faciliter l’exploitation de tout pays selon son souhait du monopole international concerné. »

b) une conception erronée d’un capitalisme « organisé »

Il est tout particulièrement surprenant que le PCI(M) dise en tout état de cause que les théories keynésiennes et monétaristes sont l’expression d’un capitalisme qui comprend sa propre crise et essaie de la surmonter, ou que l’impérialisme « a introduit expérimentalement le capitalisme » en Asie du Sud.

Ce n’est absolument pas conforme à l’idéologie communiste ; cela correspond à la conception social-démocrate (dans les années 1920) et révisionniste (dans les années 1960) d’un « capitalisme organisé », d’un capitalisme monopoliste d’État.

La conception du PCI(M) est clairement que « les entreprises financières monopolistiques internationales et les entreprises multinationales » dirigent le monde, choisissant les développements de manière objective en fonction de leurs intérêts.

Et la conséquence immédiate de ceci est la négation de la bourgeoisie bureaucratique. Il y aurait une domination totale du capital financier sur le monde, avec les gouvernements comme de simples marionnettes. Il n’y aurait pas de capitalisme bureaucratique en Inde, qui serait une sorte de néo-colonie.

3. les bourgeoisies bureaucratique et compradore

a) ce que dit le PCI(M)

« Avec le transfert du pouvoir en 1947 (indépendance nominale), l’Inde coloniale, semi-féodale s’est transformée en pays semi-colonial, semi-féodal.

La grande classe bourgeoise compradore de notre pays qui a servi les impérialistes britanniques depuis le début est devenue avec le transfert du pouvoir la grande classe bourgeoise « bureaucratique » compradore. La grande classe bourgeoise bureaucratique compradore et la grande classe féodale sont devenues ensemble le principal obstacle au développement de diverses nationalités.

Dans l’Inde semi-coloniale, la grande classe bourgeoise bureaucratique compradore joue le rôle principal, d’une part en servant les intérêts de plusieurs pays impérialistes, et d’autre part en préservant la société féodale basée sur les castes du pays. »

« Pour le dire brièvement, l’attaque planifiée du capital financier international dans le monde entier à travers la mondialisation a atteint un niveau aigu dans les pays arriérés au cours des trois dernières décennies.

Étant donné que les bourgeois bureaucratiques compradores et les classes féodales indiens dépendent du capital financier impérialiste et de ses intérêts entrelacés avec leurs intérêts, la collaboration a atteint un niveau sans précédent. »

« Aujourd’hui, la classe bourgeoise bureaucratique compradore travaille comme un instrument d’esclavage de l’impérialisme dans notre pays. Il utilise la large base sociale semi-féodale pour maintenir le peuple en esclavage et déchaîne son hégémonie. Ce sont des traîtres, des faiseurs de trouble et de cruels ennemis du peuple.

Ce sont des trompeurs, des menteurs et des corrompus. Ils massacrent les gens, ce sont des violeurs et ils sont absolument inutiles. Mais ils ont le pouvoir et les instruments de production. Ils dirigent le pays. »

« Les Tatas [c’est-à-dire une famille indienne à la tête d’un conglomérat] est la plus grande entreprise industrielle de compradores de la grande bourgeoisie.

Leur chiffre d’affaires avait la 2e place en 2001 avec 37 197 crores de roupies [un crore est égal à 10 000 000]. À l’époque, les TATA comptaient 84 entreprises, dont 34 étaient des coentreprises avec des multinationales.

Ils possèdent la plus ancienne et la plus grande compagnie d’électricité du secteur privé du pays. Ils possèdent des mines, des gisements de pétrole, des usines sidérurgiques, des entreprises de fabrication de voitures et de camions, des réseaux téléphoniques, de télévision par câble et d’internet à haut débit.

Ils possèdent les hôtels Taj, Jaguar, Land Rover, Dewan, Tetley tea, une maison d’édition, une chaîne de librairies, la plus grande marque de sel iodé, l’empire des cosmétiques Lakme et l’usine TATA-Honeywell de Poona. »

b) la non-compréhension de la bourgeoisie bureaucratique

Quand nous lisons ceci, il est logique que le CPI(M) considère les mouvements islamistes comme « anti-impérialiste » et ne peut pas comprendre la nature de personnes comme Saddam Hussein en Irak, Hugo Chavez au Venezuela, Recep Tayyip Erdoğan en Turquie ou même Narendra Modi en Inde.

Normalement, le maoïsme considère qu’il existe quatre formes de bourgeoisie dans les pays non impérialistes : la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie nationale (toutes deux opprimées), la bourgeoisie compradore qui n’existe qu’en tant qu’intermédiaire avec les structures impérialistes, la bourgeoisie bureaucratique qui se développe en le capitalisme déformé existant dans le pays opprimé.

Le PCI(M) nie l’existence de la bourgeoisie bureaucratique. Il n’y aurait qu’une bourgeoisie compradore (bureaucratique) totalement soumise à l’impérialisme. Mais alors, comment le PCI(M) peut-il expliquer qu’un simple laquais comme TATA soit capable de posséder Jaguar et Tetley, deux principaux symboles de l’impérialisme britannique ?

La seule explication pour TATA et tous les grands capitalistes indiens est qu’ils sont des capitalistes bureaucratiques. Ils ont été compradores et ils sont passés à un capitalisme bureaucratique assez indépendant, aux traits indiens.

Le PCI(M) indique donc ici quelque chose d’incorrect. Et il pratique la fuite en avant en disant que c’est la mondialisation elle-même qui est la seule responsable de toute l’évolution en Inde.

4. un changement seulement par en haut?

a) ce que dit le PCI(M)

« Cela signifie, dans les spécificités de l’Inde, que nous devons étudier la société féodale, les sociétés postérieures coloniales (coloniales, semi-féodales) et néo-coloniales (semi-coloniales, semi-féodales), l’attaque de la mondialisation impérialiste (capital financier ), les changements qu’elle a provoqués dans tout le pays et dans les régions respectives et le rôle de la lutte des classes qui a contribué au changement des rapports de production dans les régions respectives. »

« Dans l’ensemble, l’impérialisme déchaîne son contrôle sur les secteurs sociaux, économiques, politiques, culturels et sur tous les secteurs de la base semi-féodale du pays, historiquement et dans la phase actuelle de la mondialisation.

L’intention principale de l’impérialisme est de développer industriellement le pays, mais pas de le transformer en un autre concurrent capitaliste. Il veut le soutenir en tant que fournisseur de matières premières et en tant que marché pour les produits impérialistes.

Les dirigeants compradores ont amené de nombreuses lois, règles, règlements, directives et autres mesures politiques pour apporter des changements dans l’Inde rurale, qui sont favorables aux multinationales impérialistes, aux classes bureaucratiques bourgeoises et féodales compradores. »

« Pendant la période de mondialisation, les anciennes et les nouvelles forces féodales des castes dominantes dans les zones rurales ont été le soutien social à chaque étape que l’État a entreprise dans l’intérêt de l’impérialisme et de la bourgeoisie bureaucratique compradore.

Outre les sociétés étrangères et les sociétés compradores nationales, les nouvelles forces féodales, les chefs de partis parlementaires et plusieurs types de mafias ont bénéficié de la politique d’exploitation agraire, rurale.

La collaboration des entreprises mondiales du capital financier, les différents réseaux gouvernementaux et non gouvernementaux, les partis politiques parlementaires et plusieurs types de mafias se sont beaucoup développés et les rapports semi-féodaux dirigés par les anciennes et les nouvelles forces féodales se sont poursuivis sous de nouvelles formes. »

« Classe nationale bourgeoise Cette classe investit dans le commerce de gros, le transport de marchandises, les transports publics, l’éducation, le secteur de la santé, les hôtels, le commerce des feuilles de tendu [pour le papier à cigarette des bidis] et d’autres secteurs du commerce et des services, ainsi que les petites et moyennes industries.

Elle est opprimée par l’impérialisme et les politiques capitalistes bureaucratiques compradores et est enchaînée par le féodalisme. Pour cette raison, son marché souffre constamment de leur offensive. La croissance de leurs industries est limitée. Des milliers d’industries sont en faillite. »

b) une compréhension erronée du changement par en haut et non comme interne

Le PCI(M) est très clair. Comme le pays serait totalement dépendant (et la bourgeoisie nationale et le capitalisme local mourraient chaque jour davantage), comme la classe dirigeante serait une bourgeoisie compradore totalement dépendante de l’impérialisme, quand l’aspect semi-féodal du pays connaît un changement, c’est par en haut seulement.

Ceci est clairement inacceptable, car le PCI(M) présente le mouvement nationaliste en Inde comme une abstraction étrangère, dans la négation de la bourgeoisie bureaucratique.

5. La nature du BJP

a) ce que dit le PCI(M)

« La chasse du capital financier mondial pour les super profits détruit la vie de l’ensemble du prolétariat, des paysans, de la classe moyenne et de la bourgeoisie nationale et d’autres classes, sections et nationalités opprimées et les attaque cruellement.

A cette fin, il porte au pouvoir les partis fascistes dans les pays arriérés. Dans ce contexte, le gouvernement Narendra Modi sous la direction du BJP fasciste avec l’idéologie brahmanique Hindutva a pris le pouvoir dans le centre de notre pays et déclenche une grave offensive fasciste contre le peuple depuis six ans. »

« Le communautarisme brahmanique hindutva s’est largement répandu dans le pays au cours des sept dernières décennies. Partant du massacre de milliers de musulmans lors de la partition en 1947, il déclencha plusieurs massacres, atrocités, incendies, destructions de biens et pillages (…).

Les forces Hindutva sont allées de l’avant avec l’objectif de transformer le pays en un État Hindutva. Nous devons nous rappeler que tout cela est dicté par le capital financier mondial.

L’objectif du capital financier est de faciliter son exploitation en renforçant le fascisme dans le pays et en instaurant l’idéologie fasciste et son hégémonie dans tous les secteurs du pays.

10. Le système de castes hiérarchique basé sur l’idéologie brahmanique hindutva fait partie intégrante des rapports semi-féodaux en Inde. »

b) la question du BJP

Le PCI(M) nous dit ici quelque chose d’incohérent. Pourquoi l’impérialisme ferait-il la promotion de l’hindouisme et de l’expansionnisme indien à travers le Bharatiya Janata Party (le parti du peuple indien) ? Pourquoi l’impérialisme aurait-il ou devrait-il avoir besoin d’un missile intercontinental indien avec une arme atomique, appelé Agni, du dieu hindouiste du feu ?

Le romantisme anticapitaliste hindutva n’est absolument pas conforme aux valeurs du consumérisme impérialiste. La politique d’unification nationaliste du pays par le BJP n’est pas conforme à la ligne de l’impérialisme de diviser pour régner.

En fait, il est facile de comprendre que le BJP représente la bourgeoisie bureaucratique indienne, essayant de jouer sa propre carte, de manière relative seulement bien sûr. Il en est de même partout dans le monde, des pays semi-féodaux semi-coloniaux devenant expansionnistes, comme la Turquie.

En niant le caractère bourgeois bureaucratique du BJP, le PCI(M) nie (de manière théorique) le caractère expansionniste de l’Inde, ce qui est une erreur sur le plan idéologique et se heurte bien sûr à la pratique internationaliste du PCI(M) lui-même.

Le problème est que le CPI(M), avec sa conception d’un impérialisme systémique, ne voit pas la croissance étonnante des forces productives depuis les années 1990.

6. la crise depuis 1973?

a) ce que dit le PCI(M)

« En fait, la mondialisation est l’offensive du capital financier sur les pays arriérés du monde. Elle est liée à la restructuration du capital dans les monopoles. Puisque le capital est tombé en crise permanente depuis 1973, cela fait partie de sa stratégie pour surmonter la crise.

À l’heure actuelle, il est tombé dans une nouvelle crise depuis 2008. »

« Depuis le début des années 1970, l’impérialisme est tombé en crise générale dans le monde entier, dans les années 1980, des politiques de mondialisation plus intenses ont été adoptées et il a fait peser le fardeau de sa crise sur des pays semi-coloniaux, semi-féodal comme l’Inde. »

« Les économies de ces pays se sont développées très rapidement pendant près de deux décennies et ont conduit à une stabilité partielle du capitalisme. Mais cela ne pouvait pas durer en permanence. Avec la crise tombant dans une dépression prolongée à partir de 1973, l’illusion d’une expansion constante de l’économie mondiale a été brisée. »

« La crise financière mondiale depuis 1973 a entraîné une baisse de la demande de biens d’équipement dans les pays impérialistes. Dans le cadre de l’internationalisation de la production, l’impérialisme a adopté des politiques de mondialisation depuis les années 1980 et 1990. Cela fait partie de la politique néocoloniale de l’impérialisme depuis l’après-guerre.

Cependant, il existe une différence entre les politiques adoptées par l’impérialisme dans le cadre du néo-colonialisme en 1946-80 et les politiques de mondialisation depuis les années 1980, en particulier depuis le début des années 1990 lorsque la Russie a décliné en tant que superpuissance.

Les impérialistes qui ont adopté des politiques économiques keynésiennes jusque-là ont introduit des politiques de libre-échange depuis le début des années 1990. »

b) la question des forces productives

Le PCI(M), dans ses documents, donne beaucoup de données sur la pauvreté. Le problème est que cela est fait avec la même approche statistique qu’Eugen Varga au début de la Troisième Internationale. La dialectique de l’économie n’est pas comprise.

Dire que le capitalisme est en crise depuis 1973 est tout simplement incroyable. De 1989 à 2020, la croissance capitaliste a été énorme, utilisant la Chine comme usine du monde.

La qualité de vie des peuples des pays impérialistes n’a cessé de s’améliorer, que ce soit dans les domaines de la médecine, de l’éducation, du sport, des loisirs, de l’alimentation, etc.

Bien sûr, ces domaines ont été définis par l’impérialisme. Mais si on prend le niveau quantitatif, la vie est devenue beaucoup plus facile dans les pays impérialistes. Cela explique aussi pourquoi il n’y a pas eu de révolte, pourquoi le secteur révolutionnaire a failli mourir, etc.

Mais cela n’est pas seulement vrai pour les pays impérialistes.

Les pays opprimés par l’impérialisme ont également connu une élévation de la qualité de vie au cours de la même période. Pas tous, bien sûr, et l’Inde en particulier est un point faible, ce qui en fait l’un des centres de la Révolution mondiale.

Néanmoins, un regard sur Mumbai, Kolkata ou Delhi montre comment l’Inde a changé, avec une urbanisation correspondant au développement des forces productives. Et le BJP est l’expression d’une telle tendance, avec une bourgeoisie bureaucratique.

Et le PCI(M) le sait, en fait – parce qu’il a compris les changements qui ont connu la Chine. Comment la Chine aurait-elle pu devenir social-impérialiste sinon par une bourgeoisie bureaucratique ?

7. la Chine social-impérialiste

a) ce que dit le PCI(M)

« La Chine, une nouvelle puissance social-impérialiste ! Elle fait partie intégrante du système capitaliste-impérialiste mondial ! »

« Contrairement à l’opinion de certains maoïstes, la Chine n’est ni dépendante des pays impérialistes ni un pays exploité par ces pays impérialistes. Au contraire, c’est sans aucun doute devenu un nouveau pays social-impérialiste en 2014.

Elle n’est apparue comme une puissance impérialiste que parce qu’elle surexploitait la classe ouvrière du pays. Il ne fait aucun doute que l’industrialisation rapide a conduit à ce changement.

L’émergence de la Chine en tant qu’usine mondiale renforce la restructuration économique du monde et modifie la dynamique de la chaîne d’approvisionnement et de demande du système économique mondial. »

« Pour résumer, les organisations monopolistiques chinoises sont les plus puissantes au monde. « Le monopole est la base économique solide de l’impérialisme », a déclaré Lénine. C’est un indice pour dire que la Chine est devenue un pays social-impérialiste. »

b) la Chine et la bourgeoisie bureaucratique

S’il n’y avait en Chine qu’une bourgeoisie compradore, alors ce pays serait encore dépendant.

Le PCI(M) comprend bien qu’il n’est pas dépendant, qu’il est même social-impérialiste, constatant que les monopoles sont très bien organisés, à un niveau élevé.

Mais d’où cela peut-il venir, sinon de la bourgeoisie bureaucratique ? La bourgeoisie bureaucratique grandit normalement dans l’ombre de la bourgeoisie compradore, dont elle fait aussi partie dialectiquement.

Mais à mesure que le capitalisme, d’une manière déformée, se développe, la bourgeoisie bureaucratique grandit et absorbe l’État.

Les communistes péruviens décrivent comme suit ce processus :

« S’appuyant sur les thèses du Président Mao il [c’est-à-dire Gonzalo] nous dit que le capitalisme bureaucratique a cinq caractères :

1) Ce capitalisme bureaucratique est le capitalisme que l’impérialisme développe dans les pays arriérés et qui comprend les capitaux des grands propriétaires terriens, des grands banquiers et des magnats de la grande bourgeoisie ;

2) Il exploite le prolétariat, la paysannerie et la petite bourgeoisie et limite la moyenne bourgeoisie ;

3) Il passe par un processus qui fait que le capitalisme bureaucratique se combine avec le pouvoir de l’État et devient capitalisme monopoliste étatique, compradore et féodal; il en découle qu’en un premier moment il se développe comme grand capital monopoliste non étatique, et en un deuxième moment – quand il se combine avec le pouvoir de l’État – il se développe comme capitalisme étatique ;

4) Étant arrivé au plus haut degré de son développement, il fait mûrir les conditions pour la révolution démocratique ; 

5) Confisquer le capitalisme bureaucratique est la clé pour mener à bonne fin la révolution démocratique, et est décisif pour passer à la révolution socialiste.

Le Président Gonzalo voit que le capitalisme bureaucratique est le capitalisme engendré par l’impérialisme dans les pays arriérés, qu’il est lié à la féodalité caduque et soumis à l’impérialisme, phase supérieure du capitalisme ; qu’il n’est pas au service des majorités, mais à celui des impérialistes, de la grande bourgeoisie et des propriétaires terriens (…).

Tout cela prouve l’aspect politique du capitalisme bureaucratique, qui n’est pas assez souligné, et que le Président Gonzalo considère comme un aspect clé, car le capitalisme bureaucratique fait mûrir les conditions pour la révolution et, aujourd’hui, quant il entre dans son étape finale, il fait mûrir les conditions pour le développement et le triomphe de la révolution.

La vision que le Président Gonzalo a du capitalisme bureaucratique est aussi très importante ; il le voit conforté par le capitalisme monopoliste non étatique et par le capitalisme monopoliste étatique, en s’appuyant sur la différenciation qu’il a établi entre les deux factions de la grande bourgeoisie : la bureaucratique et la compradore, afin de ne se mettre à la remorque d’aucune des deux, problème qui mena notre Parti à une tactique erronée durant 30 années.

Il est important d’avoir cette conception car c’est de la confiscation du capitalisme bureaucratique par le Pouvoir Nouveau que découlera le triomphe de la révolution démocratique et l’avance vers la révolution socialiste.

Si l’on ne visait que le capitalisme monopoliste de l’Etat on laisserait la voie libre à l’autre partie, le capitalisme monopoliste non étatique; ainsi, la grande bourgeoisie compradore se maintiendrait économiquement et pourrait reprendre le dessus pour s’emparer de la direction de la révolution et frustrer son passage à la révolution socialiste. » (Parti Communiste du Pérou : La révolution démocratique, 1988)

7. la libération nationale

a) ce que dit le PCI(M)

« Une économie autosuffisante doit être développée. Mais l’impérialisme, les classes bureaucratiques compradores bourgeoises et féodales font obstacle à cette voie.

Quatre classes alliées – les ouvriers, les paysans, la classe moyenne et les classes bourgeoises nationales, les sections sociales opprimées – les Dalits, les tribus, les femmes et les minorités religieuses doivent s’intégrer dans la direction du prolétariat et les éliminer et la Révolution de Nouvelle Démocratie doit être accomplie avec l’objectif ultime de l’établissement du socialisme-communisme.

Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible d’établir une économie de nouvelle démocratie et auto-suffisante. Ce n’est qu’ainsi qu’un véritable développement est possible. »

b) un mouvement de libération nationale

Il est très clair que le PCI(M) a une ligne correspondant à un mouvement de libération nationale. C’est positif. Mais ce n’est pas conforme au marxisme-léninisme-maoïsme. Le PCI(M) ne s’intéresse pas aux questions intérieures de l’Inde, il considère que la confrontation avec l’impérialisme est la seule clé.

De là naît la fascination pour les tribaux en marge du développement et un mépris pour toutes les questions culturelles indiennes, comme la nature de l’Islam en Inde ou le rapport aux animaux. Ce qui fascine le monde à propos de l’Inde est hors du champ de vision du PCI(M).

De là vient aussi la non-compréhension de la crise apparaissant en 2020. Ne voyant pas le développement de la période 1989-2020, le PCI(M) s’imagine que le capitalisme, devenu impérialisme en tant que système mondial, serait en crise depuis 1973…

C’est une énorme erreur et cela montre que le CPI(M) doit choisir : ou être la branche armée d’un « autre développement » contre la mondialisation, ou assumer l’histoire indienne.

La crise imposera un choix rapide et décisif.

La question de la crise : un exemple d’erreur avec A Nova Democracia

L’irruption de la pandémie de COVID-19 en 2020 a été un crash test pour tous les révolutionnaires du monde. Étaient-ils capables de faire face à une crise mondiale, de la comprendre et de donner les clés pour y faire face de manière adéquate ? Ou leur était-il seulement possible d’accompagner les événements ?

Cela dépendait bien sûr de ce qui avait été fait dans la période d’avant la crise. Si les révolutionnaires avaient compris comment les forces productives se sont développées depuis 1989, comment la nature était attaquée, comment les animaux étaient asservis à des niveaux industriels partout dans le monde… alors ils étaient en mesure de comprendre comment la crise est arrivée et quel sens elle porte.

Si les révolutionnaires étaient dans la fiction que le capitalisme est en crise depuis dix, vingt, cinquante, cent ans… alors ils ne pouvaient pas comprendre qu’il s’est passé quelque chose de nouveau, quelque chose avec un saut qualitatif.

Un bon exemple en est donné par la revue brésilienne A Nova Democracia. C’est même absolument typique, dans le sens où un tel point de vue était celui de la plupart des mouvements se définissant comme marxistes-léninistes voire maoïstes. Ils n’ont tout simplement pas compris ce qui s’était passé.

L’article d’A Nova Democracia « Économie mondiale vers la récession : LE CORONAVIRUS MASQUE LA CRISE DE L’IMPÉRIALISME », publié en mars 2020, exprime assez purement cette profonde incompréhension. Voici ce qui est dit:

« La production industrielle et la bourse du marché financier se sont effondrées début mars dans le monde entier. Le déclencheur, selon le monopole mondial de la presse, est l’expansion du coronavirus.

Or, il s’agit en réalité de la crise de surproduction relative de capital. Le coronavirus lui-même ne pourrait pas avoir un tel impact dans l’économie mondiale. La raison de l’arrêt de la reproduction du capital est le capital lui-même.

Le portail Crítica da Economia, citant un journal de la réaction, a observé que le coronavirus est aujourd’hui moins mortel que la grippe : « Les données internes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent qu’en 2020, la simple grippe saisonnière a déjà causé plus de victimes (76,537 décès) que le nouveau coronavirus (2,812 décès) ; c’est-à-dire que notre grippe bien connue et familière a déjà tué 2,720% de personnes de plus que le mystérieux nouveau coronavirus ». »

En juillet 2021, un tel discours apparaît bien sûr facilement comme pathétique. Néanmoins, c’était assez courant à l’époque ou même une règle pour les ultra-gauchistes. Les pandémies seraient surestimées par les États pour mettre des lois strictes, ce serait presque un canular de nature contre-révolutionnaire.

Ce n’est même pas une méconnaissance de la crise, c’en est une négation, même au niveau sanitaire. Et la raison en est une croyance considérant que l’économie mondiale est organisée par des monopoles et la finance mondiale, que le capitalisme « pense », est capable « d’agir » de manière calculée, etc.

A Nova Democracia exprime parfaitement cette conception, où la crise consiste en la surproduction de capital, qui étoufferait l’économie et le monde. L’article dit :

« L’apparition du coronavirus n’est qu’un fait qui aggrave l’économie. Cependant, derrière ce fait, il y a déjà une surproduction relative du capital latent.

La crise de surproduction de capital relatif survient lorsque la production de capital extrapole la capacité de consommation de la société définie, en définitive, par la contradiction entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste du produit.

Pour s’en faire une idée, le taux de chômage aux USA a atteint, en octobre 2019, le plus bas record de 3,5%. Cela équivaut pratiquement au « plein emploi ». C’était le taux le plus bas des 50 dernières années, résultant du taux d’intérêt qui propulse le crédit pour la production.

Cependant, en octobre, la création de nouveaux postes de travail dans l’industrie a diminué pour la première fois en six mois, bien que la production ait augmenté de 1,1% en novembre. C’est une énorme augmentation de la production mondiale qui croît de manière disproportionnée par rapport à l’ajout de la capacité de consommation mondiale.

La crise de surproduction en est la conséquence inévitable. La preuve en est que tous les économistes yankees prévoient que l’économie va ralentir à court terme, c’est-à-dire qu’elle ne trouvera pas de marchés pour poursuivre l’expansion. »

Il est bien sûr totalement faux de comprendre le capitalisme en termes de comptabilité, avec des entrées et des sorties. Si ce que dit A Nova Democracia est vrai, alors le capitalisme ne se développerait jamais ni même n’existerait, car il y a toujours un décalage entre la production et la consommation… Surtout au début du capitalisme, avec l’accumulation primitive, un thème essentiel.

Bien sûr, concernant l’aspect sanitaire, A Nova Democracia a totalement changé de point de vue par la suite, disant par exemple en avril 2020 dans l’article « LE 21ème SIÈCLE ET LE MOYEN ÂGE : L’échec historique et politique du système impérialiste » :

« C’est une sinistre renaissance des temps presque anciens de l’histoire de l’humanité alors qu’au milieu du XVe siècle, la « Peste noire » s’est produite, balayant l’Europe et l’Asie, tuant 200 millions de personnes ; ou encore avec l’épidémie de grippe espagnole et la mort de dizaines de millions de personnes. »

Mais le même article explique aussi, de manière assez choquante :

« Résultant soit d’une évolution biologique naturelle, soit d’une machination de l’impérialisme yankee (hypothèse qu’on ne peut pas du tout ignorer puisqu’elle correspond aux « wargames » criminels du Pentagone, fervent adepte du malthusianisme*), le coronavirus agit comme un petites bombes atomiques invisibles dans une autre forme de guerre mondiale.

On ne peut oublier les artefacts atomiques que possèdent les États impérialistes et certains de leurs laquais, en grande quantité et en grande quantité dans leurs arsenaux, visant à intimider en permanence les peuples de la Terre. Le problème est qu’avec la pandémie, la négligence des gouvernements, ils élimineront les populations considérées par eux comme des populations excédentaires, en particulier les personnes âgées et malades.

Dans l’ensemble, cela signifie détruire les forces productives pour justifier de nouveaux et miraculeux « plans Marshall » pour récupérer l’économie pour une nouvelle expansion. La négligence est intentionnelle, résultant de la nature impérialiste mais tordue avec des doses réglables de dramatisation par les monopoles de la presse – Globo Network, un leader au Brésil – pour atténuer le soulèvement des masses. C’est la loi de l’impérialisme : la crise du système n’est que partiellement éradiquée avec la destruction des forces productives, le massacre des travailleurs et des populations « excédentaires », la concentration/centralisation du capital et la conquête de nouveaux marchés (guerre avec un arsenal d’armes). »

Nous avons un double problème, ce qui est typique. Le premier est de considérer que le capitalisme a une vue d’ensemble sur lui-même. Le second est d’affirmer que le capitalisme peut « choisir » de détruire le « surplus » de marchandises et de travailleurs. Rien de tout cela n’est vrai, bien sûr.

Et pour comprendre cela, il n’y a qu’un petit aspect à voir : la question des personnes âgées et malades. Si l’on prend les pays impérialistes, il y a longtemps maintenant que ces personnes âgées et malades sont intégrées au capitalisme. Depuis 1945, et maintenant de manière très importante, elles sont un élément du capitalisme, en tant que consommateurs de produits qui leur sont directement destinés.

Pour prendre deux exemples assez clair, on peut voir que l’Allemagne importe des prolétaires des pays de l’Est pour les utiliser comme aide particulière bon marché pour les personnes âgées, et que le Portugal a fait des impôts faibles pour les retraités français.

Bien sûr, A Nova Democracia ne peut pas voir cela. Dans sa vision, le capitalisme mondial consiste en la finance, et en la finance uniquement. Il n’y a plus de mode de production capitaliste, mais des masses mondiales contre un petit groupe de gens super riches. A Nova Democracia ne voit donc tout simplement pas l’évolution du quotidien, les progrès du capitalisme, sa systématisation à tous les niveaux de la vie.

Et c’est la clé. Soit il y a la compréhension que le capitalisme s’est développé depuis 1989, amenant le monde à une nouvelle étape, avec une nouvelle crise générale. Ou on suit les événements, dans la conviction qu’il n’y a pas eu d’évolution des forces productives depuis les années 1930.