Communiqué d’ETA à Euskal Herria (2009)

Décembre 2009

Dans le communiqué que nous avions rendu public lors du Gudari Eguna [jour du combattant en l’honneur de ceux tombés pour la cause] de 2009 nous posions quelques questions à ceux qui sont responsables de l’oppression d’Euskal Herria. Une réponse positive à ces questions pourrait mettre fin au déni de droits qu’aujourd’hui nous vivons et impliquerait d’en finir avec les conséquences du conflit.

Au cours de l’histoire beaucoup de responsables ont répondus de façon irresponsable: la répression, la torture et les arrestations judiciaires et extra-judiciaires, de nouvelles mesures pénales contre les prisonniers et leurs familles …

Lorsque nous, Basques nous ouvrons la main, ils répondent par la violence quand sont avancés des propositions qui rapprochent plus de la paix que de la guerre. Lorsqu’au cours des siècles, ils ont été incapables de dominer le peuple ils savent qu’ils ne pourront pas le maintenir prisonnier pendant longtemps et ils répondent avec tout ce qu’ils ont à la porté de la main afin que la balance penche de leur côté.

L’état espagnol est l’État qui malgré l’aspect de force n’a pas réussi à se consolider, plein de contradictions partout. Elle est fausse l’image de force qui veut se donner, cette fausse unité entre eux, a créé quelques fondations de sable dans son bâtiment.

Cela peut en surprendre beaucoup que, avec la terrible répression que subit Euskal Herria après avoir eu connaissance de ses attaques qu’ils montrent des chèques en blanc. Ils sont liés aux mensonges et l’arrogance qu’ils affichent.

Ils savent que (le moment) est arrivé et ils se préparent à cela.

Ce n’est pas notre objectif de couler l’État espagnol. Tout ce que nous demandons, c’est que le peuple puisse choisir son avenir librement. Et l’ennemi sait, que si cela arrive, si les peuples qu’il a écrasés retrouvent leur liberté il perdra son sens et son essence. Le compte à rebours a commencé, sa survie est dépassée depuis longtemps.

En avant la Gauche Nationaliste Basque !

La construction d’Euskal Herria ce n’est pas espérer un conte, attendre de voir quand l’ennemi en fera des miettes en regardant la télévision. Être des Basques cela nous pousse l’action. C’est pourquoi ils n’ont pas réussis à nous dominer jusqu’à présent, nous voulons construire notre avenir et nous ne nous arrêterons pas temps que cette possibilité ne sera pas ouverte.

Le moteur de ce processus est la gauche nationaliste basque et ETA à fait siennes ses réflexions. Nous ne pouvons rester en regardant l’ennemi, il est temps d’avancer et de construire, aussi maintenant. 

À ce moment, où l’ennemi lance son attaque la plus dure nous ne pouvons pas rester dans la simple résistance. En précisant que nous devons répondre à la répression, qu’il faut lever un mur populaire contre ses nouveaux mouvements, et en assumant l’importance de cela, nous devons répondre à l’initiative qu’ils essaient d’étouffer avec capacité.

Il est vrai que, plutôt que de s’accrocher à la répression, nous avons notre plus grande force dans la lutte politique. Ce peuple veut vivre, et dans la discussion politique les arguments de l’ennemi restent petites devant la Gauche Nationaliste basque.

C’est pourquoi pendant de nombreuses années nous avons fait des pas dans une lutte politique qui a eu différentes manifestations et outils. Pas encore, mais le temps viendra heremos unis contre l’ennemi dans d’autres domaines. Peut-être plus tôt que certains le pense et qui pensent voir les sélections de deux peuples souverains en compétition, et peut-être, seulement peut-être, nous accepterons plus tranquillement la victoire ou l’échec, devenu en sport, quand cela ne met pas en jeu l’existence de l’un ou l’autre.

L’initiative est nôtre. La gauche indépendantiste basque est la seule qui  en plus de défendre un projet propose un cadre politique dans lequel peuvent être proposés librement et développer tous les projets. On ne peut pas affronter cela sur le terrain politique. Le projet répressif qui se trouve en face de cette proposition a échoué, il n’a pas réussi à maintenir cette imagination.

Cela saute aux yeux que Euskal Herria n’a pas sa place dans le projet espagnol. La gauche nationaliste basque souvent à dit, isolée, que sous l’Espagne et la France, Euskal Herria se dirige vers l’extinction. Au fil du temps elle a assumé ce discours. L’échec de l’ennemi est double, si l’on y ajoute son incapacité d’arrêter la gauche nationaliste basque.

Nous devons féliciter la gauche nationaliste basque pour la valeur et le courage qu’elle a montré au cours de ses années. Au-dessus tous les coups, ferme dans le combat, la tête haute, a fondu un poing fermé et la main tendue.

Nous avons vu cela à Altsasu la même gauche nationaliste basque massive comme dans ses origines, générations, tendances, et identités, unie dans un travail commun. C’est l’un des secret da la gauche nationaliste basque, vive dans le débat et ferme dans les résolutions.

Ceci est la volonté de travail que nous pouvons offrir a tous, la capacité de travailler autour d’un projet en faisant que chacun garde son identité et sa personnalité. L’ennemi a essayé de casser cela, d’une façon ou d’une autre, le mensonge, la propagation des fuites, créer et à favoriser des «dissidents» … en vain. Après toutes ces manœuvres la gauche nationaliste basque continue d’être la référence la plus importante du processus de libération basque.

Récemment, nous déclarons une nouvelle analyse, que nous avons faite. La gauche nationaliste basque est aussi plongée dans le débat. En regardant en avant, cette transformation décisive, nous n’avons jamais eu peur de regarder d’une façon critique ce que nous avons fait.

Nous n’avons pas peur d’accepter ce que nous avons manqué, pour enrichir le débat politique, pour illuminer de nouvelles vérités dans cette dialectique. L’autocritique et la lutte ont caractérisé le chemin de la gauche nationaliste basque et la lutte et l’autocritique caractériseront la gauche nationaliste basque dans le futur également.

En avant le Processus Démocratique!

Désormais la gauche nationaliste basque aura le processus démocratique.

Le Processus Démocratique est un processus qui est développé pour démocratiser une situation connue d’oppression juridique.

Il est démocratique, pour reprendre ses objectifs : la discussion, la négociation, l’accord politique et,

finalement, parce qu’il est développé par un mécanisme participatif et démocratique. En d’autres termes, c’est un processus destiné à résoudre le conflit politique en termes démocratiques.

Le Processus démocratique comme un axe d’accord sur la formulation du droit à l’autodétermination, des procédures pour les citoyens prennent la parole.

Pour déterminer la façon dont les citoyens prennent la parole, convenir de la formulation du droit d’autodétermination  et respecter la volonté politique du peuple c’est le processus démocratique. C’est un processus pour que soient mis en vigueur les droits civils et politiques d’Euskal Herria comme nation.

Il s’agit d’un processus visant à amener Euskal Herria  à l’étape d’autodétermination de façon graduelle, réglée et déterminée.

Le processus démocratique est un processus pour ouvrir les portes. Ce peuple doit ensuite décider jusqu’ou il décider d’ouvrir les portes. La gauche nationaliste basque sait depuis longtemps que la continuité de ce peuple est liée à l’indépendance.

Parvenu à ce point la gauche nationaliste basque peut rivaliser sur un pied d’égalité avec les autres forces politiques et nous n’avons aucun doute que si dans les conditions difficiles dans lesquelles nous sommes nous avons fait de grands progrès dans la discussion politique dans ces conditions nous gagnerons ce débat politique..

En face du Processus Démocratique ils essaieront d’actualiser le cadre autonome – statutaire épuisé, sa réforme et sa mise à jour. Ceux-ci ont réussis à la ruiner et voilà qu’ils veulent laisser pleines de ronces autour de la possibilité de liberté pour notre peuple.

Nous devons lutter contre cette possibilité aujourd’hui avec toute la force. Le processus politique est non seulement la meilleure possibilité pour ce Peuple, mais la seule, et nous devons le faire comprendre très vite.

Nous devons comprendre que la meilleur garantie c’est notre peuple. Parce que seulement avec la force de notre peuple nous pouvons atteindre l’objectif, parce qu’il ne peut être conditionné seulement, seulement qu’à la force de notre peuple, seulement avec la participation de notre peuple, il peut s’ouvrir, se construire et être mener à terme.

Le chemin parcouru démontre qu’en lançant une nouvelle étape et à travers les expériences nous devons en tirer deux leçons : S’il n’y a pas de soutien actif du Peuple, s’il reste dans les traces du domaine de la négociation, ce processus va s’arrêter.

De même, le processus Démocratique avance sans la participation de l’État. Sa participation au moins devra mettre un terme à l’ingérence qu’il développe sur l’Euskal Herria. Aucune trêve ni cessez-le feu de l’ETA n’existera tant qu’il ne l’apportera pas au processus démocratique.

Le processus démocratique doit être utilisé comme un outil démocratique et il doit se réaliser sans ingérence, et c’est ainsi que nous le voyons, ils doivent arrêter l’ingérence et la violence d’État. Étant donné que l’ennemi n’a jamais eu la volonté de lancer un processus démocratique, comment allons-nous le pousser  et ensuite le maintenir dans cette position ?

L’activation de tout le peuple et la pression nous entraînera au processus démocratique et l’activation du peuple va faire en sorte que le processus soit mené à bien.

En influençant l’agitation et l’activation du Peuple, l’ETA réaffirme les principes fondamentaux de Anoeta. Un Processus démocratique – Donner la parole au peuple,- le processus étant de faire appel à la population, l’activation du Peuple sera la plus grande garantie, le moteur et l’axe.

Pour assouvir les aspirations populaires il faut dépasser les institutions actuelles pour passer à une situation démocratique et on aura besoin de créer des domaines de négociation. la citoyenneté basque devra ratifier les accords. Avec ceci, dans un autre secteur l’ETA et l’État devront aborder dans un autre domaine les conséquences du conflit.

S’organiser et lutter!

En étant dans une situation d’oppression avec les conséquences du Conflit en vue, nous étions à un moment du processus démocratique. Ce temps, et celui qui approche seront caractérisés par la lutte.

Avec la lutte que nous créerons les conditions pour le processus démocratique et avec la lutte nous obtiendrons ces conditions qui fleuriront et donneront des fruits.

Lors du 50e anniversaire de l’ETA, nous avons voulu rappeler quelques mots de Argala:

« (…) On crie ETA herria zurekin et je ne pense pas que ce cri soit négatif dans la mesure où ce n’est pas à l’ETA de résoudre les problèmes de chacun, qui ne peut pas les résoudre (…)

Ni ETA, ni le KAS ou HB ou une autre formation politique aussi puissante soit-elle ne peut résoudre les problèmes du Peuple Travailleur Basque. Seul le Peuple Travailleur Basque peut solutionner ses problèmes. (…)

Mais quiconque qui crie ETA herria zurekin, quiconque qui partage les objectifs que défend aujourd’hui KAS, quiconque est d’accord avec la lutte de l’ETA, aucune de ceux-ci ne peut rester en marge de la lutte et ne peut pas rester en marge de l’organisation. Seul un peuple organisé peut atteindre les objectifs auxquels il aspire. Encourageons-le, à s’organiser et à lutter ! « .

Ça ne sera pas ETA qui allumera la liberté de ce peuple. Ce ne sera pas non plus les autres partis politiques qui le rapprocheront de la liberté. Ca sera le peuple lui-même qui donnera la liberté à Euskal Herria. 

Nous tenons à le souligner. La victoire se trouve dans la lutte et nous appelons notre peuple, chaque personne à s’organiser et à lutter, à devenir protagoniste de la liberté de notre peuple. Cela vaut la peine de s’impliquer dans cette lutte, aussi difficile que belle, ce peuple le mérite.

Enfin, les derniers mots sont adressés à ceux qui ont tout donné, en particulier pour les camarades qui sont dans les prisons d’extermination qui donnent et qui ont tout donné, pour ceux en exil, pour ceux qui sont tombés sur le chemin.

Ezaren gudaz baietza sortuz… lortuko dugu!

Gora Euskal Herria Askatuta! Gora Euskal Herria Sozialista!

Jo ta ke independentzia eta sozialismoa lortu arte!

Euskal Herrian,

2009ko abenduak 31

Euskadi Ta Askatasuna


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Communiqué d’ETA (2010)

Euskadi Ta Askatasuna, organisation révolutionnaire socialiste basque de libération nationale, souhaite à travers cette Déclaration porter à la connaissance du Peuple Basque sa décision et sa réflexion :

Voilà déjà un long demi-siècle qu’ETA, face à la négation d’Euskal Herria et à la stratégie féroce de destruction de notre pays, après avoir mis en place une organisation de citoyens, a commencé le combat pour la liberté, les armes à la main.

Depuis lors, ils se comptent par centaines, les hommes et les femmes qui ont placé dans cette organisation leurs espoirs, leur ferveur, le meilleur d’eux-mêmes. De simples citoyens de toutes origines qui, génération après génération, se sont unis et continuent à se rassembler autour du même idéal : le Pays Basque et la Liberté.

Car c’est l’engagement en faveur de la liberté d’Euskal Herria qui a dirigé l’activité d’ETA et, par-dessus tous les obstacles, c’est cet engagement que nous maintenons, de façon responsable. Avec modestie mais avec détermination, avec l’ambition de gagner. Le Peuple Basque le mérite.

Devant la réforme politique du franquisme qui rendait définitive la négation du Peuple Basque, et tandis que d’autres avaient pris la décision de s’impliquer dans le cadre autonomique, ETA s’est conduite avec responsabilité, d’abord en proposant une rupture démocratique, ensuite en s’opposant à toute tentative d’assimilation et à toute agression.

C’est avec constance qu’ETA s’est battue, tout comme, de façon générale, la Gauche Abertzale. Et le prix à payer n’est pas ordinaire. C’est dans notre chair que nous sommes en train de le payer : par la torture, la prison, l’exil, et même par la mort. Mais cette lutte d’une grande dureté a eu pour résultat qu’Euskal Herria a survécu, et que reste ouverte l’option de la construction d’un avenir dans la liberté.

Nous avons démontré que le cadre autonomique est une voie stérile en ce qui concerne la satisfaction des souhaits des citoyens basques, que ce n’est ni plus ni moins qu’un instrument de partition et de dissolution d’Euskal Herria. Et nous avons terrassé l’une après l’autre toutes les mesures mises en route en vue de la neutralisation de la lutte de libération.

Une des tâches d’ETA a été d’ouvrir de nouveaux scenarii dans le combat pour la libération d’Euskal Herria. Aussi peut-on mettre sur le compte d’ETA de nombreuses propositions d’initiatives de collaboration et de multiples contributions en vue d’une résolution démocratique du conflit.

De Txiberta à Lizarra-Garazi, en passant par Bergara. Depuis l’Alternative KAS jusqu’à l’Alternative Démocratique. Parce que nous comprenons que la construction d’Euskal Herria est une tâche collective qui se situe au-dessus des intérêts particuliers.

Euskal Herria se trouve depuis pas mal de temps à un moment d’une importance capitale, à un carrefour. Des années et des années de combat ont semé de nouvelles conditions politiques.

Le cadre autonomique ayant atteint ses limites, voici venue pour Euskal Herria l’heure de la concrétisation du changement politique, l’heure de l’édification d’un cadre démocratique pour le Peuple Basque, en s’appuyant sur la volonté de la majorité des citoyens basques.

L’Etat espagnol sait parfaitement qu’Euskal Herria est à la croisée des chemins, qu’Euskal Herria pourrait encore opter pour l’indépendance. D’où un tel degré de fascisme dans son offensive.

Ils cherchent à ce que pourrissent dans le désespoir du blocage les conditions du changement politique ; à faire dévier le débat politique afin d’esquiver la résolution démocratique du conflit ; à noyer la volonté populaire dans l’état d’exception.

Nous, les agents basques, les citoyens basques, nous devons apporter à cette situation des réponses responsables et de manière urgente. C’est là la réflexion que veut diffuser ETA, l’appel qu’elle veut lancer. C’est le moment de prendre ses responsabilités et d’accomplir des pas fermes :

– Dans l’articulation du projet stratégique de l’indépendance ;

– Sur la voie de l’élaboration des conditions pour bâtir un processus démocratique ;

– Pour répondre à la répression et en vue d’une défense claire des droits civils et politiques.

Le changement politique est possible. Mais dans cet itinéraire il n’y a pas de raccourci. Le chemin de la liberté, il faut le parcourir pas à pas, au besoin de manière flexible. Mais nécessairement, c’est l’objectif qui détermine tant l’effort à fournir que le combat à mener.

Sans confrontation, il n’est pas possible de dépasser la négation et le blocage. ETA a toujours tendu la main, et continue à la tendre, à tous ceux qui veulent prendre part à cet effort.

ETA confirme son engagement en faveur d’une résolution démocratique du conflit, son engagement en faveur d’un processus démocratique par lequel nous, les citoyens basques, grâce au dialogue et à la négociation, nous puissions décider librement et démocratiquement de notre avenir.

ETA est prête, aujourd’hui comme hier, à condition que le gouvernement de l’Espagne le veuille, à donner son accord à des bases démocratiques minimales nécessaires au démarrage d’un processus démocratique.

Nous en informons également la communauté internationale. Nous l’appelons à apporter une réponse de responsabilité historique à la volonté et à l’engagement d’ETA, à prendre part à l’élaboration d’une solution solide, juste et démocratique à ce conflit politique séculaire.

DECISION PRISE PAR ETA

ETA fait savoir qu’elle avait pris depuis plusieurs mois la décision de ne pas mener d’actions armées offensives.

ETA tient à renouveler clairement son appel à l’action responsable à destination des forces politiques, sociales et syndicales basques.

A redire que pour pouvoir parvenir à la scène d’un processus démocratique, il est indispensable de faire des pas, avec fermeté, en tant que Peuple. Qu’il est nécessaire de déterminer la procédure selon laquelle la Parole sera donnée au Peuple. Car c’est lorsque les droits du Peuple Basque auront été reconnus et garantis que s’ouvrira pour nous la porte de la vraie résolution du conflit.

Pour finir, c’est l’ensemble des citoyens basques que nous appelons à entrer dans la lutte et à la continuer. Chacun dans son domaine, faisant, pour sa part, l’offre de son niveau d’engagement, pour que grâce au torrent créé par l’addition des gouttes de nous tous, nous abattions le mur de la négation et que nous parvenions à accomplir des pas irréversibles sur la voie qui mène à la liberté.

VIVE LE PAYS BASQUE LIBRE ! VIVE LE PAYS BASQUE SOCIALISTE !

EN AVANT JUSQU’À L’OBTENTION DE L’INDÉPENDANCE ET DU SOCIALISME !

En Euskal Herria, en septembre 2010

Euskadi Ta Askatasuna

E.T.A.

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Communiqué d’ETA [sur une trêve permanente et générale] (2011)

Janvier 2011

ETA, organisation socialiste révolutionnaire basque de libération nationale, souhaite, par le biais de cette déclaration, faire connaître sa décision :

Ces derniers mois, de Bruxelles à Gernika, des personnalités de grande notoriété internationale et un grand nombre d’acteurs politiques et sociaux basques, ont défendu la nécessité d’offrir une solution juste et démocratique au conflit politique séculaire.

ETA est pleinement en accord avec eux. La solution arrivera par le biais d’un processus démocratique, qui aura comme référence majeure la volonté du Peuple basque, et le dialogue et la négociation comme outils pour y parvenir. 

Le processus démocratique doit surmonter les tentatives de déni et d’affaiblissement des droits. Il doit également résoudre les thèmes de la territorialité et du droit à l’autodétermination, qui sont au coeur du conflit.

Il appartient aux acteurs politiques et sociaux basques d’arriver à des accords pour obtenir un consensus autour de la formulation de la reconnaissance du Pays Basque et son droit à décider en assurant la possibilité de développement de tous les projets politiques, y compris celui de l’indépendance.

Toutes les parties doivent s’engager à respecter les accords adoptés et les décisions prises par les citoyen(ne) s basques, en offrant des garanties et des moyens pour sa mise en œuvre.

En conséquence :

ETA a pris la décision de faire une déclaration de cessez-le-feu permanent et général, vérifiable par la Communauté internationale. Ceci est l’engagement fort d’ETA en vue du processus de solution définitive et de la fin de la confrontation armée.

C’est le moment d’agir avec une responsabilité historique. ETA lance un appel aux autorités de France et d’Espagne pour qu’elles mettent un terme définitif aux mesures répressives et à la négation du Pays Basque. ETA poursuivra son effort et sa lutte pour impulser et mener à terme le processus démocratique, jusqu’à obtenir une véritable situation démocratique en Pays Basque.

GORA EUSKAL HERRIA ASKATUTA! GORA EUSKAL HERRIA SOZIALISTA!
JO TA KE INDEPENDENTZIA ETA SOZIALISMOA LORTU ARTE!

Pays Basque, le 8 janvier 2011

Euskadi Ta Askatasuna
E.T.A

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Communiqué d’ETA de janvier 2009

ETA, organisation basque socialiste révolutionnaire de libération nationale, est née voilà 50 ans. Après avoir tracé sur un demi-siècle la voie de la lutte, nous nous adressons avec simplicité à notre pays, Euskal Herria.

Introduction

C’est à la fin de l’année 1958 que se sont réunis les premiers responsables de la constitution d’Euskadi Ta Askatasuna. Après la création d’EAE-ANV, et au sortir de la guerre, la naissance d’ETA a été alors un nouveau jalon pour la résurgence de la conscience nationale. La naissance d’Euskadi Ta Askatasuna a revivifié Euskal Herria qui était alors plongé dans le ressentiment et enseveli sous le poids du désespoir.

La naissance d’ETA a donné le jour à la conscience nationale moderne, a restitué à notre pays sa dignité. C’est l’organisation ETA qui est arrivée à la conclusion que la question nationale et la conscience de classe étaient les deux faces d’une même pièce, ETA qui, pour ce pays et pour les citoyens de ce pays, a fait le choix d’un projet politique global : l’indépendance et le socialisme.

Bien que née sous le franquisme, ETA n’avait pas pour objectif de vaincre le franquisme. L’objectif d’ETA était de mener Euskal Herria à la liberté, et encore maintenant, c’est à cet objectif que nous nous attachons. Notre organisation est issue du peuple, elle s’est reconstituée à partir du peuple décennie après décennie.

C’est de là que lui vient son invincibilité. Aujourd’hui, tout comme il y a 50 ans, les gouvernants espagnols répètent qu’ils sont sur le point d’en finir avec ETA. Il y a des choses qui ne changent pas beaucoup en 50 ans.

Le cheminement d’ETA a été caractérisé par l’engagement et la grande générosité de ses militants. ETA a gagné l’admiration et le respect de notre peuple parce qu’elle a toujours mis plus haut que tout les intérêts de ce peuple.

Durant 50 ans, un pays en construction dans la lutte

Nous avons rattrapé notre pays alors que, sous l’effet des agressions fascistes du franquisme, il était en train de descendre au fond du gouffre de l’humiliation. ETA est née lors de ces périodes redoutables du fascisme, alors que le nationalisme conservateur, sans offrir en réponse à cette situation la moindre perspective de combat, proclamait qu’Euskal Herria devait rester en attente de l’aide des États-Unis.

Pendant que dans cette conjoncture certains faisaient dépendre des noms propres le fait d’être basque, des milliers et des milliers d’immigrants venus d’Espagne en Euskal Herri pour trouver un emploi rejoignaient le Mouvement de Libération Nationale et Euskadi Ta Askatasuna.

50 ans plus tard, c’est par la voie de la lutte que ce pays continue à respirer, vivant et se battant pour rester en vie. Ont été surmontés la division étatique, le jacobinisme, le franquisme, une constitution qu’on lui a infligée, la non-reconnaissance administrative, la pseudo-solution du statut et toutes les toiles d’araignée juridico-politiques, tous les systèmes politiques imposés à ce pays.

C’est en combattant pour l’indépendance de ce pays que nous avons accompli des avancées substantielles en direction de la liberté de ce pays. Le soutien à l’indépendance est plus enraciné aujourd’hui qu’il y a 50 ou 30 ans.

De l’Adour à l’Ebre, l’édification et la défense de ce pays sont assurées par l’organisation d’amples réseaux sociaux qui enjambent les frontières imposées par les États et qui vont de l’avant en agissant en tant que peuple. A travers des décennies, les citoyens basques se sont appropriés dans des travaux d’équipe les fonctions que devraient remplir les institutions d’Euskal Herria.

Pendant que depuis les institutions de la réforme, on condamnait à mort ce pays, nous, les militants indépendantistes, nous nous sommes consacrés à la construction des fondations de l’Euskal Herri de demain : en renforçant la conscience nationale, en basquisant les générations d’adultes et d’enfants, en renforçant l’unité territoriale, en favorisant l’organisation et la dynamique du pays.

Même si ce n’est pas en tant que pays libre que l’Euskal Herria est arrivé au XXIème siècle, c’est en tout cas avec des portes encore ouvertes sur sa liberté qu’il y est arrivé.

Sans l’engagement des citoyens humiliés et torturés dans les locaux et les casernes de la Police ; sans le travail de fourmi fait chaque jour avec ardeur par les femmes et les hommes agissant en faveur de notre langue, de notre culture, de la transformation sociale, des traditions et des associations populaires ; sans les travailleurs militants, les jeunes insoumis et engagés ; sans l’engagement des pères et mères éducateurs, des enseignants, des journalistes, des écrivains, des élus, des sportifs ou des acteurs culturels ; sans nos concitoyens impliqués dans des mouvements populaires… sans ceux qui, face à des dizaines et des dizaines d’années de prison, ont donné à ce pays lumière et élan avec une dignité de tous les jours, nous n’aurions été à l’heure qu’il est qu’une région folklorique diluée dans les États espagnol et français. Si tous ces gens-là ne s’étaient pas engagés pour la vie, il y a longtemps que c’en aurait été fait de l’Euskal Herria.

Par contre, 50 ans plus tard, la situation en tant que pays légal que vit l’Euskal Herria est grave. Il continue à ne pas avoir prise sur son avenir. Ses bases nationales sont sans cesse sujettes aux attaques venant des structures de la France et de l’Espagne. Les deux États ennemis utilisent leur arsenal militaire, politique, économique, culturel et médiatique pour briser notre identité nationale et les ressources dont nous disposons pour être un pays libre.

Pour nous les indépendantistes, le regard rétrospectif sur ces 50 années passées à ouvrir la route est nécessairement aigre-doux. Aigre, parce que bien qu’ayant tout sacrifié au combat pour l’indépendance, nous n’avons pas amené notre pays jusqu’à la liberté.

Doux, parce que, bien que le combat soit parfois rude et porteur d’amertume, nous avons obtenu jusqu’à ce jour, grâce à l’apport de nos concitoyens qui ont combattu en faveur de ce pays, qu’Euskal Herria vive de façon sans cesse renouvelée.

Aujourd’hui, à nouveau, Euskal Herria en crise

Il y a 30 ans, on a fait deux paris dans ce pays. Les uns ont choisi de pactiser, optant pour le « statut » et la voie de la réforme espagnole. Les autres, c’est-à-dire nous, nous avons choisi d’utiliser tous les moyens que nous avions entre les mains pour nous opposer à ce qu’on nous imposait, et pour assurer la défense d’Euskal Herria.

La première option a eu pour effet d’accentuer la division interne d’Euskal Herria au moment où celui-ci était en train de s’extraire de la dictature de Franco : alors que notre pays était partagé entre deux États, on l’a fractionné en trois sous-ensembles administratifs. 30 ans plus tard, ce choix s’est révélé de façon évidente comme un simple moyen de démembrer et faire se désagréger notre pays.

Nous qui, il y a 50 ans, avons opté pour la lutte, nous qui, il y a 30 ans, avons entrepris l’ascension conduisant à l’indépendance, nous avions raison. Le combat mené par la gauche abertzale et par ETA a montré que l’Amejoramiento et le Statut concédés par La Moncloa étaient dès leur origine destinés à calmer les instincts de liberté de notre peuple et à noyer ses aspirations.

Nous qui, pour assurer la survie de ce pays, avons œuvré à la construction nationale et à l’entretien de son instinct de liberté, nous avons payé notre engagement dans notre chair. Toutefois, quand on se tourne vers le passé, on a la confirmation du fait que le combat porte ses fruits.

En ce début d’année 2009, pour notre pays, les options de liberté sont ouvertes. Les portes du changement politique, on les voit ouvertes à tous les vents ; c’était fatal.

Depuis qu’il y a 10 ans nous avons discerné l’état de cadavre du cycle de l’autonomie, notre pays se trouve à un carrefour politique, paralysé. C’est parce que s’est soldé par un échec le pari fait à l’époque de la réforme de fractionner et de gérer ce pays au moyen de structures institutionnelles aboutissant à sa fragmentation, que voit le jour cette crise, c’est-à-dire cette nouvelle option.

Il n’y a pas d’autre issue, les forces de ce pays sont à nouveau dans l’obligation de choisir : ou bien prendre le chemin qui mène à l’indépendance, ou bien répéter pendant 30 ans de plus les formules, vouées à l’échec, de la partition et de la non-reconnaissance, en plongeant l’avenir de ce pays dans un bourbier et en pérennisant le conflit politique.

Madrid veut qu’il en soit à nouveau ainsi, et, semble-t-il, a à sa disposition des partenaires qui veulent la rejoindre pour exécuter cette danse avec elle.

Et voilà le risque de reproduire les travaux inutiles et les erreurs du passé : quelques dirigeants, une nouvelle fois, voudraient réduire à une réforme des Statuts la résistance populaire et l’option qui résulte de la lutte. Pour ce pays, celui qui s’est livré durant 30 ans à des gaspillages, même si, c’est vrai, il a été un filon pour quelques-uns, reste un gaspilleur.

Cela, ce pays ne le pardonnerait pas. Autrement dit, ce pays ne donnera pas la possibilité de reproduire une nouvelle fois la même trahison. Nous qui sommes en faveur des droits démocratiques revenant à ce pays et qui avons l’entière conviction qu’il faut mener ce pays vers un autre scénario démocratique, nous ne pouvons pas entrer pour 30 années de plus sur une voie de garage.

C’est entre nos mains d’abertzale, à travers la pression que nous pouvons exercer contre les dirigeants qui sont prêts à s’engager dans cette voie sans issue, que se trouve la possibilité d’esquiver cette manœuvre et de faire entrer une fois pour toutes ce pays sur la voie d’accès à l’autodétermination.

Lorsqu’Euskadi Ta Askatasuna est née, Cuba concrétisait sa marche victorieuse vers la révolution. Et depuis, ces 20 dernières années, ils ne sont pas rares, les pays qui, bien que tout petits, sont en train de faire route, sous les yeux du monde, vers l’obtention de la liberté, ou qui s’en approchent.

En Europe aussi, c’est le cas pour l’Irlande, la Slovénie, la Croatie, la Lituanie… ainsi que l’Ecosse elle-même, qui pourrait sous peu conquérir son indépendance.

Notre patrie est en lutte

Il y a deux projets dans notre pays : celui des citoyens qui travaillent au quotidien avec, à l’esprit, un État basque, et celui qui se réalise dans le statu quo –selon nous imposé-, de la domination exercée sur nous par les deux États. C’est là que prend naissance la ligne de démarcation entre oppresseur et opprimé.

Que les deux États, sans rien imposer, jouent le jeu d’une compétition obéissant aux règles de la démocratie. Notre pays, hors cadre imposé par les États, commencera sa marche vers l’indépendance par des voies pacifiques et démocratiques.

En attendant, il nous faudra continuer fermement le combat de toutes nos forces et par tous les moyens, puisque les États ennemis ne montrent même pas le plus petit signe d’une volonté de respecter la parole de l’Euskal Herria.

C’est le moment d’unir, sans se réfugier derrière des prétextes, les forces qui sont en faveur de ce pays, afin que nous entrions, nous les indépendantistes, dans l’ère de l’indépendance. Nous sommes à l’heure d’entreprendre le chemin conduisant Euskal Herria à prendre la parole et à occuper sa place dans le monde.

Nous qui sommes pour un État basque, nous qui menons la lutte, nous devons nous attacher à l’urgence d’obtenir un cadre démocratique qui prendra en compte notre parole à nous, les citoyens basques.

Ce pays, 30 ans après, doit aller plus avant dans la voie d’accès à une véritable transition politique. C’est là que fleuriront la liberté et la paix auxquelles aspire notre peuple.

La paix, une paix en lettres majuscules : car elle sera une paix découlant du dialogue, de la négociation et d’un accord politique. En fait, la paix aura pour socle les droits de ce pays et la justice, ou alors il n’y aura pas de paix.

L’avenir appartiendra à l’Euskal Herria


Par le biais d’un communiqué, il est difficile de résumer le combat national de ces 50 ans, difficile de faire ressortir la piste tracée par un combat d’un demi-siècle. Il faudrait un livre volumineux rien que pour y loger tout ce qu’on aurait à dire à destination de ces camarades méritants qui sont tombés, paroles de douleur, paroles de louange.

Toutefois, cette déclaration, nous ne pouvons pas la finir sans rendre hommage aux citoyens et combattants basques tombés au combat. Nos encouragements les plus chaleureux à tous les militants qui au cours de ces 50 dernières années se sont engagés en prenant part à Euskadi Ta Askatasuna.

Notre souvenir le plus compatissant à ceux qui ont tout donné jusqu’à la mort, à ceux qui ont payé leur engagement par de longues années de prison ou d’exil, ainsi qu’aux dirigeants qui poursuivent fermement l’action. Aux membres des familles des dirigeants, également, à cause de la force qu’ils montrent face à la situation qui s’est présentée à eux alors qu’ils n’avaient pas pris d’engagement par avance, notre accolade la plus forte.

Celui qui fait des randonnées en montagne sait que sur le chemin qui mène au sommet c’est la dernière côte qui est la plus dure. Mais ce n’est qu’en prenant de la hauteur pour embrasser le temps écoulé qu’il est possible de se rendre compte que c’est chaque pas qui nous a amenés au point où nous en sommes aujourd’hui.

En terminant une rétrospective de 50 ans, nous les militants d’ETA, sommes remplis de fierté pour le trajet de lutte accompli par notre pays.

L’histoire livrera des gravures en l’honneur du combat de ce pays, en louant la générosité des militants basques. Nous dirons, nous aurons à dire, que jouxtant la Cantabrique, il y a un pays libre. L’avenir appartiendra à Euskal Herria, notre patrie est en lutte. La lutte continue !

Vive l’Euskal Herria libre ! Vive l’Euskal Herria socialiste ! En avant jusqu’à l’obtention de l’indépendance et du socialisme !

En Euskal Herria, janvier 2009

Euskadi Ta Askatasuna

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Communiqué d’ETA au peuple basque (2011)

Avril 2011

L’ETA, organisation socialiste révolutionnaire basque pour la libération nationale, souhaite soumettre ses réflexions au peuple basque, près de trois mois après l’initiative du 10 janvier. 

Ces derniers temps, deux blocs se dessinent de plus en plus clairement sur la scène politique de l’Euskal Herria. Le bloc de ceux qui souhaitent s’engager dans un scénario de paix, d’une part, et celui de qui veut perpétuer l’imposition et le blocage, de l’autre.

Car la période actuelle se caractérise par la confrontation et la lutte entre les partisans de la résolution définitive du conflit grâce à la mise en place d’un processus démocratique et les tenants du verrouillage de l’opportunité actuelle au moyen de la répression et de la négation.

Les forces favorables à l’Euskal Herria s’organisent en rassemblant un nombre croissant de citoyens et de citoyennes plongés jusqu’ici dans le désespoir par la répression et par l’aveuglement des États ou par l’absence d’une alternative effective. Il s’ensuit que les forces misant sur le changement politique et social commencent à surpasser les intentions de ceux qui prétendaient les affaiblir et les disperser dans le but de perpétrer l’oppression. 

Toutefois, il ne s’agit pas de se reposer sur nos lauriers. Nous avons avancé mais le défi reste énorme : le chemin de la liberté reste à parcourir, en dépassant tous les obstacles susceptibles de surgir.

Pour cela, on assiste à la montée en puissance d’une conviction profonde selon laquelle il nous faut unir nos forces et nous organiser sans renoncer, dans le but de rassembler les forces suffisantes et d’abattre le mur édifié par l’Espagne et la France en vue de séquestrer la voix des citoyens et citoyennes basques. 

En face, se dresse la position irresponsable des gouvernements d’Espagne et de France. Car ces derniers mois, la négation et la répression n’ont pas cédé de terrain. Les États s’emploient avec cruauté contre les nouvelles opportunités. Et nous disons irresponsable parce que, hors des frontières, une soi-disant volonté de solution est mise en avant, en toute discrétion, tandis qu’ici la stratégie répressive bat son plein.

Irresponsable, parce qu’il s’agit de réduire à néant la volonté de solution et l’espoir créés au sein de la société basque. Ils préfèrent le statut quo et un pourrissement provoqué par leur imposition active. 

Malgré tout, la situation a obligé tous les acteurs à réajuster leur position, essentiellement grâce à l’initiative de l’ETA. Pourtant, la volonté de la majorité de la société basque est si évidente et la position des États si injuste que, même parmi les partisans de la France et de l’Espagne, la position des gouvernements est mise en question. C’est une tendance encore timide et certainement motivée par des intérêts internes.

Parce qu’il n’est pas aisé de rejeter l’imposition qui a permis d’engranger tant de bénéfices politiques ces dernières années. L’ETA demande à tous ces acteurs d’agir dans la responsabilité et avec le courage requis par le moment historique actuel, afin de rompre avec l’oppression, la violence et la répression et de rassembler leurs forces en faveur du dialogue et de la recherche d’une solution. 

Dans cette situation, l’intervention de la communauté internationale est devenue sujet de débat, surtout lors de l’entrée en scène du Groupe International de Contact. Car ceux qui ont creusé leurs tranchées dans le néant ne voient pas la nécessité d’une telle intervention. Ils prétendent sans honte que la société basque est majeure tout en maintenant cette même société sous la tutelle des États et de leurs appareils répressifs et en lui refusant le droit de décider de son avenir. 

Cependant, la vraie raison est autre. Habitués à l’obscurité des salles de torture dans les casernes de la Garde Civile, ils prétendent fermer les portes de ce qu’ils nomment le conflit basque à la communauté internationale, afin de pouvoir utiliser à l’envi la violence et les menaces, afin de pouvoir violer sans témoins la volonté des Basques. 

Il est hautement significatif, à cet égard, que les gouvernements de l’Espagne et de la France n’aient pas accepté la possibilité que la communauté internationale vérifie le cessez-le-feu général et permanent de l’ETA.

En effet, ce n’est pas ce qu’ils veulent. Parce que, au-delà de l’hypocrisie et des intoxications, cela mettrait en évidence devant la communauté internationale que, aujourd’hui, la seule violence existante est celle appliquée par les deux États, comme cela a été mis en lumière au cours des deux derniers mois. Cela montrerait que, en Euskal Herria, la violence rime avec négation et violation des droits, harcèlement, arrestations et tortures.   

En conséquence : 

– L’ETA ratifie la décision annoncée dans son communiqué rendu public le 10 janvier dernier. 

– L’organisation regrette que les gouvernements espagnol et français n’aient pas accepté sa proposition. 

– L’ETA est disposée à accepter un mécanisme de vérification informel, même en l’absence de reconnaissance officielle des gouvernements espagnol et français. 

– L’ETA considère qu’un tel mécanisme est viable et qu’une commission de vérification internationale peut être créée. 

L’ETA réaffirme sa position et la volonté qu’elle a manifesté jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire son engagement d’alimenter et de conduire à son terme la solution démocratique sur la voie de la liberté et de la paix en Euskal Herria. 

Dans ce sens, nous lançons un ample appel en direction des acteurs politiques, sociaux et syndicaux et, en général à la population basque, pour unir les forces, prendre des engagements et franchir de nouvelles étapes en faveur de la liberté de l’Euskal Herria et contre tous les types de répression. Ensemble, nous réussirons ! 

Vive l’Euskal Herria libre ! Vive l’Euskal Herria socialiste ! Luttons jusqu’à l’obtention de l’indépendance et du socialisme ! 

Le 24 mars 2011 

Euskadi Ta Askatasuna 

E.T.A.

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Le parcours d’ETA

L’organisation Euskadi Ta Askatasuna (Le Pays basque et la liberté) fut active de 1959 à 2018 ; son histoire traverse différentes phases, tout en maintenant une unité fondamentale.

C’est en effet initialement une organisation à caractère romantique, puisant dans la religion catholique le levier idéologique pour affirmer la nation basque dans le cadre du régime franquiste issu du coup d’État anti-républicain de 1936.

Puis, dans le contexte des années 1960, ses éléments les plus avancés vont se tourner vers l’idéologie communiste, de manière parfois très différente, faisant d’ETA une organisation à prétention sociale-révolutionnaire sur une ligne antifasciste-populaire.

Avec la mort de Franco en 1975 et l’instauration d’un régime se voulant démocratique, ETA devint une organisation nationaliste de gauche sur une base indépendantiste, avec une vraie assise populaire. Les années 1990 marquèrent un tournant réformiste armé, jusqu’à finalement l’auto-dissolution.

Les sept provinces revendiquées par le nationalisme basque, les trois à l’Est se situant en France (© Zorion, CC-BY-SAWikimedia Commons)

La fondation du mouvement sur une base réactionnaire

ETA naît en 1959 sur la base d’un mouvement intellectuel étudiant de l’université jésuite Deusto de Bilbao, Ekin (soit entreprendre ou persister), relevant de la mouvance catholique-conservatrice du Parti Nationaliste Basque (PNV). ETA naît d’ailleurs le 31 juillet, en référence à la date d’anniversaire du décès de Ignace de Loyola, basque et à l’origine des jésuites.

On est ici dans le seul espace basque possible au sein du régime franquiste depuis l’effondrement du camp républicain – on est à l’extérieur du camp républicain historique. L’objectif est une réforme à l’intérieur du régime, en exigeant la légalité de la langue basque, alors criminalisée.

Or, cela rentre en conflit avec la base même du franquisme, dès lors qu’au moment de la guerre civile le Pays basque a été avec les Républicains. On est ainsi dans une contradiction interne au franquisme et ETA, en 1959, n’appelle d’ailleurs nullement à la lutte armée.

On a un bon exemple de cette approche idéologique avec Federico Krutwig, auteur de « Vasconia », un ouvrage de 640 pages, où le Pays basque est présenté comme un pays à la périphérie de l’Europe victime de forces voulant supprimer son identité, alors que la dimension religieuse est mise de côté.

Federico Krutwig

On est dans un idéalisme nationaliste « identitaire » et d’ailleurs, lorsque cela va conduire par fuite en avant idéologique aux premières actions armées, le Parti Nationaliste Basque (PNV) ne fera pas de critiques, considérant qu’ETA relève toujours de sa propre approche.

La raison historique de la naissance d’ETA

Le nationalisme « identitaire » d’ETA était rendu inévitable historiquement, au-delà de la volonté de jeunes n’ayant pas connu la guerre civile d’aller de l’avant dans l’affirmation d’une nation basque mise au ban par le franquisme.

Le nationalisme basque, dans son parcours, est en effet historiquement racialiste et religieux, suivant les considérations du premier théoricien de l’« Euskadi », Sabino Arana Goiri (1865-1903). Ce fanatique catholique refusait catégoriquement la présence de ce qu’il appelait les « maketos », soit les « métèques ».

Mais déjà à son époque il y avait une importante immigration, pour peupler les usines, et au moment où ETA apparaît, les immigrés espagnols forment une part importante de la population jusqu’au tiers de celle-ci.

ETA apparaît ainsi comme une version expurgée du nationalisme religieux – ethnique du Parti Nationaliste Basque, le Parti Nationaliste Basque (PNV) ; c’est une tentative de « sauver » le nationalisme basque en valorisant la langue pour permettre l’intégration des ouvriers immigrés par l’intermédiaire de celle-ci.

C’est le reflet des intérêts de la bourgeoisie nationale basque, qui gagnerait par là en poids au sein de l’Espagne et bloquerait la lutte des classes.

Sondage durantl es années 1980 : Vous considérez-vous basque? 
1: Oui – 2: Oui, dans une certaine mesure
3: Non – 4: Ne sait pas / Ne répond pas
(© Zorion, CC-BY-SAWikimedia Commons)

Cependant, la mobilisation implique l’affirmation d’une nation basque, coûte que coûte, ce qui va amener de nombreux classes et couches à plaquer leurs propres intérêts sur celle-ci. Il n’y a pas une ETA, mais plusieurs, et à travers chaque période les modifications d’orientation sont elles-mêmes massives.

C’est là la nature romantique d’ETA, qui est à la fois révolutionnaire et réactionnaire, ou bien parfois révolutionnaire, parfois réactionnaire, le tout changeant à un rythme élevé et sans aucun recul de la part de protagonistes.

Les premières actions

ETA rassembla initialement un peu plus de deux cents membres, qui écrivirent des graffitis tels « Gora Euskadi » (« Vive le Pays basque »), apportant des drapeaux basques dans les fêtes culturelles, valorisant la langue basque, etc.

Puis, ils allèrent plus loin dans leurs actions : ils sabotèrent l’ascenseur d’un bâtiment de la Garde civile espagnole (l’équivalent de la gendarmerie française) et surtout tentèrent, en juillet 1961, de faire dérailler un train transportant des vétérans de la guerre civile allant célébrer le coup d’État.

Cette opération fut un échec et amena, en plus d’une centaine d’arrestations, des condamnations de cinq à vingt ans de prison pour sept personnes. Cela fit cependant un appel d’air du côté populaire, alors que le PNV restait entièrement cantonné à des positions conservatrices et attentistes.

ETA tint alors son premier congrès, dénommé « assemblée », en 1962 à Bayonne en France, puis les trois suivants en 1963, 1964 et 1965, où fut systématisée une approche « décoloniale » où le nationalisme basque se voyait paré de toutes les vertus face à une Espagne réduite à une abstraction.

Le contexte espagnol et élévation du niveau de conflictualité

ETA est initialement une organisation qui reste marginale, mais profite d’une ambiance toujours plus difficile pour le franquisme, alors que monte la contestation populaire dans tout le pays. Il y a une convergence entre la volonté d’affirmer la nation basque mise de côté, avec sa langue interdite, et la révolte populaire contre le franquisme.

ETA commence alors à accumuler des armes, à mener des attentats à l’explosif, à procéder à des attaques de banques pour se financer. Cette prise d’initiatives n’est pas unique en Espagne ; les années 1960 voient s’affirmer toute une génération d’activistes antifascistes, coupée de l’expérience de la guerre civile mais désireux de lancer une nouvelle phase de lutte.

Et un événement va lancer un engrenage pour ETA. En juin 1968, un groupe de membres d’ETA à bord d’une voiture volée échappa à un contrôle routier en tuant un garde civil, pour se faire capturer le lendemain, avec un d’entre eux se faisant liquider par la police : Txabi Etxebarrieta.

Txabi Etxebarrieta

En réponse, ETA décida de mener une action armée planifiée et un officier de police, connu pour ses tortures particulièrement infâmes, fut exécuté.

C’était là un saut qualitatif et la répression étatique fut générale ; dès 1969, l’organisation était pratiquement démantelée.

Le procès de Burgos

Fort de son succès répressif, le régime franquiste organisa en septembre 1970 un procès spectacle pour les événements de 1968, à Burgos, une petite ville du nord de l’Espagne. Cependant, la contestation populaire connaissait parallèlement une formidable effervescence et le « procès de Burgos », mené par un tribunal militaire, obtint un incroyable écho tant en Espagne qu’au niveau international.

Les 15 personnes passant en procès, dont deux prêtres et plusieurs anciens séminaristes, profitèrent ainsi d’une vaste campagne de soutien, avec 100 000 ouvriers en grève au Pays basque où la région de Gipuzkoa fut marquée par un état d’urgence décrété par le régime.

ETA enleva de son côté le consul honoraire d’Allemagne de l’Ouest, alors que les prisonniers tinrent une position politique au procès, le régime finissant par exclure la presse et le public devant l’impact de cette ligne offensive.

Finalement, il y eut six condamnations à mort, commuées par le régime, à l’appel du Vatican, en prison pour plusieurs décennies.

Les six condamnés : Xabier Izko de la Iglesia, Jokin Gorostidi, Mario Onaindia, Teo Uriarte, Unai Dorronsoro, Xabier Laren

On a ici tous les ingrédients d’ETA à sa fondation : la religion catholique, la question basque… sauf que le procès de Burgos l’intégra dans la contestation généralisée du franquisme. ETA voyait son identité passée au moule de l’Histoire.

ETA divisée voire morcelée

Au moment du procès, ETA était même en fait déjà très profondément divisée. Le succès du procès de Burgos provoqua d’autant plus de très grands remous dans une organisation née sur une base idéaliste-identitaire et se retrouvant comme symbole du face à face populaire avec le franquisme à l’échelle de l’Espagne toute entière.

Jusqu’au procès de Burgos, l’idéologie basque mise en avant ne dépassait pas la langue et l’affirmation nationaliste. L’une des grandes figures du mouvement était José Luis Álvarez Enparanza, qui posa durant cette période les bases d’un Basque écrit commun, lui-même étant l’auteur du premier roman en cette langue, Leturiaren Egunkari Ezkutua.

La confrontation au franquisme amena toutefois une nouvelle génération, se focalisant sur la dimension politique de l’affrontement avec le régime, alors qu’en plus au niveau international l’intensité révolutionnaire était prégnante.

Deux oppositions, portées par la jeunesse, naquirent ainsi, cherchant à transformer intégralement l’organisation, voire à la liquider pour se fondre dans la vague révolutionnaire en Espagne.

Le courant du tournant ouvrier

Lorsque ETA tient son cinquième congrès, appelé « assemblée », en décembre 1966, c’est dans une maison paroissiale de Gaztelu qu’il se déroule. Cela reflète la ligne originelle de l’organisation, pour qui la religion catholique est un fondement essentiel de la nation basque, aux côtés de la langue.

Et cela rentrait en conflit ouvert avec la grande agitation ouvrière en Espagne alors, avec notamment la formation de Commissions ouvrières dans le pays à l’initiative du Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste et des syndicalistes catholiques. Il fallait pour ETA faire des choix et lors de la cinquième « assemblée », la tendance dite « ouvriériste » fut exclue comme de « l’espagnolisme ».

Avec à sa tête Francisco Javier Iturrioz Herrero dit Patxi Iturrioz, la tendance exclue forma alors ETA Berri, soit la « nouvelle ETA », qui devint en août 1968 Komunistak (Les communistes).

Cette nouvelle structure s’unifia avec d’autres groupes dans le pays pour former, en 1972, le Movimiento Comunista de España, qui se revendiquait initialement du marxisme-léninisme et de Mao Zedong, pour prendre ensuite un tournant plus syncrétiste avec les autres groupes d’extrême-gauche. Son pic fut atteint en 1980 avec 5000 membres.

Le courant « mouvement de libération nationale »

La seconde opposition affirme qu’ETA devait prendre la forme d’un Mouvement de Libération Nationale comme il en est alors apparu en Afrique, en Amérique latine et en Asie ; elle est influencée par le trotskysme, dans sa variante proposée par Michel Pablo, une sorte de trotskysme-guévarisme.

Elle triompha lorsque ETA tint sa VIe « assemblée » en août 1970 à Itxassou, dans le pays basque français, ce qui provoqua une bataille idéologique entre majoritaires et minoritaires, qui se séparèrent.

Les premiers formaient le canal habituel, comme ETA-VIe assemblée ; les seconds réfutaient une assemblée liquidant le parcours historique de l’organisation et formaient par conséquent ETA-Ve assemblée.

Les majoritaires rejoignirent rapidement les trotskystes de la Liga Comunista Revolucionaria, qui devint alors la LCR-ETA-VI, qui reprit le nom de LCR en 1976 lors de la « transition démocratique », les minorités des majoritaires rejoignant différentes organisations d’extrême-gauche.

Les Commandos autonomes anticapitalistes

Parmi les minorités d’ETA VI, on trouve des éléments rejoignant l’ultra-gauche mettant en place, en 1976, des Commandos autonomes anticapitalistes (Komando Autonomo Antikapitalistak, Comandos Autonomos Anticapitalistas).

Ces Commandos considéraient les stratégies développées par les courants d’ETA comme du réformisme et cherchaient à déborder militairement par toute une série d’actions armées, notamment toute une série d’exécutions, à peu près une trentaine, et environ 70 attentats.

La mouvance était divisée en de multiples groupes, tels les Comando Autónomo Independentista y Anticapitalista, Comando Autónomo Iparraguirre, Comandos Autónomos 27 de septiembre, Comandos Autónomos Bereterretxe, Comando Autónomo Zapa-Roberto, Comité de Apoyo a ETA « Andoni Campillo », Grupo Autónomo Txikia, Talde Autónomo Independentista Anticapitalista y Autogestionario, Organización Militar Autónoma, Comandos Autónomos 27 de septiembre, Comandos Autónomos Libertarios, Comandos Autónomos Mendeku, Comandos Autónomos San Sebastián, etc.

Elle fut vigoureusement dénoncée par ETA comme une mouvance inorganisée et sans sécurité, mettant des bâtons dans les roues de la stratégie révolutionnaire d’ETA. Elle disparut en 1984, écrasée par la répression, une dizaine de ses membres s’étant fait tuer lors de ce parcours.

Le maintien de la base nationaliste traditionnelle

Il est tout à fait significatif que, de 1966 à 1970, ETA liquide les courants qu’on peut qualifier de maoïste et de trotskyste, alors qu’une variante d’ultra-gauche apparaîtra quelques années plus tard pour prétendument trouver une « nouvelle voie ».

En fait, ETA a décidé de rester coupé des démarches historiques se revendiquant du marxisme, pour en rester au nationalisme basque à prétention « socialiste ».

« Vive l’Euskadi libre
Vive l’Euskadi socialiste »

Le nationalisme reste le maître-mot d’un mouvement qui, intoxiqué par le fait de se retrouver aux premières loges avec le procès de Burgos, décide d’attaquer à lui tout seul l’État espagnol, dans ce qu’il pense être une guerre d’usure.

Et de toutes manières, tant les tendances maoïste que trotskyste se débarrassèrent rapidement du nom d’ETA et de son orientation initiale. Ainsi, les minoritaires de 1970, regroupés comme ETA-Ve assemblée, devinrent de fait majoritaires de nouveau au sens où eux seuls maintenaient le drapeau initial du nationalisme intransigeant.

Ils tinrent alors un nouveau sixième congrès, en 1973 et ce maintien d’ETA sur un mode nationaliste marque, en fin de compte, la véritable naissance d’ETA, car toute une génération s’engouffre à ce moment-là dans l’organisation, notamment de larges sections de la jeunesse du Parti Nationaliste Basque, le PNV.

C’est d’ailleurs en décembre 1973 qu’a lieu l’action la plus retentissante d’ETA : l’exécution de l’amiral Luis Carrero Blanco, le successeur de Franco, au moyen d’un tunnel rempli d’explosifs propulsant sa voiture à soixante mètres de hauteur.

L’extrême-gauche française adopta un moment le slogan « [un nom] et hop, plus haut que Carrero »

C’était la seconde exécution seulement organisée par ETA, après celle de 1968. Mais désormais, on avait la prétention d’ETA à faire entièrement basculer les choses, selon son propre point de vue, sur la seule base du nationalisme basque.

L’annonce par ETA du succès de « l’opération Ogre » ayant visé l’amiral Luis Carrero Blanco

La question basque comme aspect principal

On notera que les tendances se revendiquant de Mao Zedong et de Trotsky sorties d’ETA ne considérèrent pas l’action contre Carrero Blanco comme justes, et ce au nom du refus des luttes « isolées des masses ». C’est important, car une telle critique typiquement petite-bourgeoise renforçait d’autant plus ETA dans sa propre conception des choses.

Pour ETA, la question basque est le détonateur de la lutte anti-franquiste, c’est l’aspect principal. ETA n’envisage pas un front général des luttes, mais une interaction, une sorte d’alliance. Le communiqué de l’action contre Carrero Blanco l’indique bien. On y lit notamment :

« Tout au long des luttes, en Euskadi-Sud et dans les autres territoires de l’État espagnol, la répression a clairement démontré son caractère fasciste en arrêtant, en emprisonnant, en torturant et en assassinant tous ceux qui combattent pour la liberté de leur peuple.

En un très court laps de temps, les forces fascistes criminelles au service de la grande bourgeoisie espagnole ont assassiné neuf de nos camarades (Txabi, Txapela, Xanki, Mikelon, Iharra, Txikia, Jon, Beltza et Josu), ainsi que d’autres militants et patriotes basques, pour le simple fait d’avoir défendu leurs droits les plus élémentaires.

L’opération réalisée par ETA, et qui visait l’appareil de pouvoir de l’oligarchie espagnole en la personne de Luis Carrero Blanco, doit être interprétée comme la juste riposte révolutionnaire de la classe ouvrière et de tout le peuple basque à l’assassinat de nos neuf camarades de ETA et de tous ceux qui ont œuvré et œuvrent encore à la libération définitive de l’humanité de toute espèce d’exploitation et d’oppression.

Luis Carrero Blanco – un des hommes « durs » du régime, auteur d’une violente politique répressive – était la clé de voûte du système franquiste, le garant de sa continuité et de sa stabilité; il est certain qu’avec sa disparition, les tensions qui opposaient entre elles les différentes tendances associées au régime fasciste du général Franco (Opus Dei, Phalange, etc.) vont s’accentuer de manière dangereuse pour le pouvoir.

C’est pourquoi nous considérons que l’action menée à bien contre le président du Gouvernement espagnol constitue sans aucun doute un grand pas en avant dans la lutte contre l’oppression nationale et pour le socialisme en Euskadi, ainsi que pour la liberté de tous les exploités et opprimés dans l’État espagnol.

Les travailleurs et le peuple entier en Euskadi, en Espagne, en Catalogne et en Galice, ainsi que tous les démocrates, révolutionnaires et antifascistes dans le monde, sont aujourd’hui débarrassés d’un ennemi de taille. La lutte continue. »

ETA ne se place ainsi pas dans la perspective antifasciste générale du Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote généré par les maoïstes du PCE(ml) au même moment. L’organisation converge avec l’antifascisme, tout comme avec la revendication du socialisme, sa base le fait de manière sincère, mais cela n’a pas une base programmatique, celle-ci restant confinée à la question basque.

Le FRAP fut en première ligne dans la mobilisation antifasciste en Espagne, adoptant la stratégie de la guerre populaire

Les actions jusqu’à la mort de Franco

Entre les deux actions armées de 1968 et 1973 visant à supprimer deux figures du régime, ETA est une organisation de portée restreinte sur le plan des actions armées. En 1969, les arrestations sont d’ailleurs très nombreuses, avec notamment celles de Jone Dorronso, Enrique Guesalaga, Mario Onaindía, Josu Abrisketa, Víctor Arana, Eduardo Uriarte, Xabier Izko de la Iglesia.

En juin 1972, le monument franquiste dédié au général José Sanjurjo est attaqué à l’explosif à Pampelune. En avril 1973, Eustaquio Mendizabal « Txikia » est tué dans un affrontement avec la police.

En 1974, il y a 6 actions armées mortelles contre des agents de la Garde civile ; en septembre de la même année, un attentat aveugle contre la cafétéria Rolando de Madrid, faisant 13 morts, est attribué à ETA. En 1975, il y a 14 actions armées mortelles, contre des agents de la Garde civile et des policiers.

Mais, surtout, ETA avait mit en place différents fronts, divisés en politique, économique, militaire et culture. C’est cela qui lui permet de se structurer pendant toute la période, avec toutefois un choix à faire sur les priorités. Cela va provoquer une lutte de deux lignes, portant justement sur la nature de « l’interaction » de la question basque avec l’actualité espagnole.

La scission à la veille de la mort de Franco

Cette situation complexe d’ETA ayant une aura populaire, mais sans réelle capacité d’intervention armée, tout en organisant des secteurs de masses contre le franquisme, tout en se voulant fondamentalement nationaliste basque dans la démarche, aboutit à une situation complexe qui va tourmenter ETA pendant toutes les années 1970.

Le décalage entre l’impact populaire antifasciste et la faible capacité d’intervention est également présente alors pour le FRAP, le mouvement mis en place par les maoïstes du PCE(ml). L’écho est énorme, mais l’organisation des masses totalement en décalage, sans parler de la capacité d’intervention militaire.

Les dernières mises à mort par le franquisme, qui ont lieu le 27 septembre 1975, concernent d’ailleurs les activistes d’ETA Juan Paredes « Txiki » et Ángel Otaegui, ainsi que ceux du FRAP José Luis Sánchez Bravo, Ramón García Sanz et Humberto Baena.

Mais ces deux activistes d’ETA sont déjà ceux d’ETA dite « político-militar» et non plus d’une ETA unifiée. La question de la priorité a en effet précipité la rupture.

Manifestation en France en 1975 à l’appel également d’organisations d’Espagne

Il y a déjà les derniers « ouvriéristes » qui quittèrent alors l’organisation, pour fonder Langile Abertzale Iraultzaileen Alderdia (LAIA – Parti des Travailleurs Patriotes Révolutionnaires).

Mais il y a surtout la scission entre une ETA politiko-militarra et une ETA militarra.

La première prône une démarche où les actions armées intègrent un mouvement le plus large possible contre le régime, avec des objectifs bien délimités. La seconde considère qu’il faut pousser l’affrontement pour qu’il y ait un basculement généralisé au Pays basque.

La première reconnaît comme principal l’actualité générale en Espagne, pas la seconde. La première a comme mot d’ordre « Iraultza ala hil » (La révolution ou mort), la seconde « Askatasuna ala hil » (La liberté ou mort).

Les années 1975 – 1976 – 1977

Si ETA est connue pour être née avant la mort de Franco en novembre 1975, en fait l’immense partie de ses actions relève d’après cette date. Le cadre est celui de la transformation du régime, alors que la réforme institutionnelle date de décembre 1976, l’amnistie générale d’octobre 1977, le référendum sur la nouvelle constitution de décembre 1978.

Le PCE(r) et les GRAPO naissent dans le refus des nouvelles institutions

De par son choix de suivre le cours des événements, ETA politiko-militarra est initialement bien plus importante politiquement et militairement qu’ETA militarra, bien que 150 arrestations en 1975 l’amenèrent à être militairement considérablement affaibli, alors que l’organisation généralisait également les enlèvements afin de se financer par l’impôt révolutionnaire, par l’intermédiaire des Comandos Bereziak (commandos spéciaux).

Sous l’impulsion de son dirigeant Eduardo Moreno Bergaretxe « Petur » (enlevé par un commando d’extrême-droite et jamais retrouvé), ETA politiko-militarra généra ainsi en 1977 une structure légale et électorale en 1977, le Euskal Iraultzarako Alderdia (Parti pour la révolution basque).

Pour ce faire, Euskal Iraultzarako Alderdia abandonna les références à l’indépendance et au socialisme ; ses résultats aux élections de 1977 furent tout à fait marginaux.

Euskal Iraultzarako Alderdia

Les deux organisations se définissant comme ETA menèrent 1 action mortelle en 1975, 17 en 1976, 11 en 1977. Furent visés des inspecteurs de police, des agents de la Garde civile, des industriels, etc.

Il faut ajouter à cela de nombreuses attaques à l’explosif : il y en eut notamment 300 jusqu’en 1984 contre la construction de la centrale nucléaire de Lemóniz, son constructeur Iberduero étant également visé, deux ingénieurs étant notamment tués.

200 000 personnes manifestèrent à Bilbao contre la centrale, le 14 juillet 1977. Le bâtiment de mille tonnes d’acier et de 200 000 mètres cubes de béton armé fut par la suite terminé, mais la centrale jamais mise en marche.

L’échec d’ETA politiko-militarra

Le choix d’ETA politiko-militarra ne fut cependant pas accepté par une base nationaliste basque hostile à l’intégration dans un processus révolutionnaire général. Euskal Iraultzarako Alderdia fut ainsi un échec et cela d’autant plus que l’ensemble de la scène nationaliste basque forma une autre structure en contre-poids : la coalition Herri Batasuna (Unité populaire).

Établie en 1978, Herri Batasuna avait été généré par plusieurs organisations : Acción Nacionalista Vasca, Euskal Sozialista Biltzarrea (« Assemblée socialiste basque »), le Langile Abertzaleen Iraultzarako Alderdia (« Parti révolutionnaire des travailleurs patriotes ») et Herri Alderdi Sozialista Iraultzailea (HASI – « Parti socialiste révolutionnaire populaire », considéré historiquement comme le plus proche d’ETA militarra).

Il faut bien saisir ici qu’ETA militarra a comme pendant politique non pas un parti politique, mais une coalition, qui a pris de multiples formes, formant différentes alliances, etc., même si son noyau dur resta toujours le même, étant appelé la « gauche abertzale », du terme basque pour signifier « patriotique ».

Ce front nationaliste basque isola totalement l’initiative d’ETA politiko-militarra, Euskal Iraultzarako Alderdia devenant totalement marginal, alors que Herri Batasuna devint la troisième force électorale au Pays basque dès 1979. Et pratiquement l’ensemble de l’appareil militaire de l’ETA politiko-militarra rejoignit ETA militarra.

« Une organisation armée pour la révolution basque »

La polarisation sous l’égide d’ETA militarra

L’hégémonie d’ETA militarra impliquait un tournant : celui de la polarisation au pays basque, d’une part, celui d’une rupture avec le parcours espagnol en général d’autre part.

Il y eut ainsi en octobre 1978 une grande manifestation « pour un Euskadi libre et paisible », à l’appel du Parti Nationaliste Basque (PNV), avec le soutien des socialistes, des communistes, du syndicat UGT, des Commissions ouvrières, ainsi que de l’ORT, une organisation d’extrême-gauche proche du maoïsme.

Herri Batasuna organisa de son côté une marche parallèle, en l’honneur des combattants basques, affrontant une importante répression policière.

C’était une fracture entre les organisations liées au mouvement ouvrier et la scène indépendantiste basque ayant ETA militarra comme point de référence.

ETA politiko-militarra avait, de fait, échoué à former une ETA rejoignant le mouvement ouvrier historique et générant un combat politique révolutionnaire. Grâce à sa dynamique initiale, elle fut en mesure de mener de multiples actions d’enlèvements pour des rançons, de séquestrations de patrons, d’attaques à l’explosif de bâtiments tels des sites touristiques ou des casernes de la Garde civile, etc.

Mais tout cela prit fin en 1982, une minorité de l’organisation acceptant de rejoindre les institutions, alors qu’une trêve avait été déclarée à la suite de la tentative de coup d’État militaire de février 1981.

Cela provoqua un effondrement général d’ETA politiko-militarra, qui se maintint avec de multiples actions jusqu’à l’écrasement par la répression en 1986, alors qu’une bonne partie des derniers commandos avait rejoint ETA militarra en 1984.

ETA militarra au cœur d’une scène nationaliste basque « socialiste »

La séquence des années 1975 – 1976 – 1977 avait provoqué une situation où ETA militarra se posait comme la seule structure nationaliste basque armée capable d’avoir un écho dans l’ensemble de la scène nationaliste, qui était très satisfaite de son côté d’avoir un levier renforçant sa démarche jusqu’au boutiste et isolationniste.

La Koordinadora Abertzale Sozialista (KAS – Coordination Patriotique Socialiste), fondée en 1974, symbolise ce choix autour d’un programme nationaliste basque unilatéral et pourtant présenté comme minimum : l’État espagnol devait retirer toutes ses forces armées, le Pays basque devant acquérir une autonomie complète, tous les mouvements indépendantistes devaient être légalisés, une amnistie complète être mise en place.

Affiche de 1978, l’alternative KAS pour la classe laborieuse et le peuple basque

Cette coordination, regroupant l’ensemble de la scène nationaliste basque non liée au Parti Nationaliste Basque (PNV), était clairement en convergence avec ETA militarra.

Il en allait de même pour le mouvement de jeunesse de la KAS, Jarrai (Continuer), fondé en mai 1979.

Et dans ce dispositif il faut également mentionner le syndicat Langile Abertzaleen Batzordeak (Commissions ouvrières patriotes), fondé en 1974.

La lutte des travailleurs pour la patrie

L’intense lutte armée des années 1978 – 1979 – 1980

ETA militarra apparaît donc comme le symbole du refus des institutions pour une scène nationaliste basque à prétention socialiste pour qui l’appel au socialisme est en fait le moyen de mobiliser les masses plus qu’autre chose.

ETA militarra est le levier apportant une crédibilité à la rupture, à l’exemple du référendum sur l’autonomie du Pays basque d’octobre 1979. ETA militarra et Herri Batasuna appelèrent tous deux à l’abstention ; la participation fut de 58,85 %, le oui l’emportant à 90,27 %.

Herri Batasuna avait déjà appelé à l’abstention en 1978 concernant le référendum sur la nouvelle constitution

Et ce refus des institutions passait par une généralisation de la lutte armée, ETA militarra généralisant sa supériorité opérative sur ETA politiko-militarra, même si celle-ci mena de nombreuses actions, ciblant notamment les dirigeants de l’Union du centre démocratique au Pays basque.

Les deux organisations menèrent 64 actions mortelles en 1978, 84 en 1979 (pour 136 actions au total), 93 en 1980.

Des actions commencèrent contre les intérêts touristiques espagnols, avec 225 attaques jusqu’en 2009. Des bâtiments liés aux intérêts français, tels un concessionnaire automobile Peugeot-Talbot ou des bureaux des assurances générales française, furent également ciblés, avec 320 attaques de ce type jusqu’en 1992.

La première partie des années 1980

La situation au début des années 1980 consiste en la continuité des actions des deux organisations, mais principalement donc d’ETA militarra, avec l’objectif d’ébranler le régime de telle manière à ce que la rupture unilatérale soit assumée.

Les deux organisations menèrent 32 actions mortelles en 1981, 41 en 1982, 44 en 1983, 32 en 1984, 38 en 1985.

Des membres d’ETA

Cependant, de son côté, le régime avait systématisé sa réponse. Il généralisa les exécutions sommaires et la torture, ainsi que l’organisation des commandos clandestins chargés d’éliminer les activistes tant en Espagne qu’en France.

Ceux ci avaient déjà été actifs, mais de manière artisanale, sur la base d’activistes d’extrême-droite ; ce furent l’organisation Triple A, les Guérilleros du Christ roi, le Bataillon basque espagnol, les Commandos antimarxistes, les Groupes armés espagnols, ainsi qu’Antiterrorisme ETA.

L’un des principaux idéologues et organisateurs d’ETA militarra, José Miguel Beñarán Ordeñana dit Argala, fut ainsi tué dans un attentat à Anglet en France en 1978.

Désormais, ces actions clandestines et para-étatiques étaient mis en place au plus haut niveau de l’État espagnol, sur initiative du gouvernement dirigé par le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, comme « Groupes antiterroristes de libération » (GAL).

Les GAL commirent clandestinement plus d’une trentaine d’assassinats et plus d’une centaine d’attentats, principalement en France, sans que cela ne provoque de réactions malgré l’ampleur de ces opérations.

C’est que, au début des années 1980, ETA militarra et la scène nationaliste basque qui lui est liée sont fermés sur eux-mêmes, assumant un isolationnisme systématique.

Affiche de Herri Batasuna de 1980

La seconde partie des années 1980

L’isolationnisme va provoquer, dans la seconde partir des années 1980, une fuite en avant auto-destructrice.

Liée à une scène la voyant comme un levier, prisonnière de son isolationnisme, ETA militarra n’avait aucunement les moyens d’affronter idéologiquement la situation ; elle considérait que c’était elle face à l’État espagnol et que tous les coups étaient permis.

On a un exemple de cette ligne avec l’attentat à Barcelone contre le parking du centre commercial Hipercor, faisant 21 morts et 45 blessés en raison de la non-évacuation des lieux par la police.

Un autre exemple tient au choix de liquider Dolores González Catarain dite Yoyes (1954-1986). Historiquement, celle-ci fut la première femme à appartenir à la direction militaire d’ETA militarra, en 1978, avant de finalement rompre en 1980, pour aller en Amérique latine mais finalement revenir en 1985.

La presse la mit en avant comme l’échec d’ETA militarra et elle fut tuée en représailles lors d’un festival au Pays basque, en présence de son jeune enfant de trois ans et demi. Cette action provoqua une vague d’émotions au Pays basque et fut considérée a posteriori comme une cassure historique.

ETA militarra s’effaçait d’ailleurs dans ses capacités d’action : il y eut 41 actions mortelles en 1986, 41 en 1987, 20 en 1988, 18 en 1989.

Le changement du centre de gravité et la trêve

Si dans la première partie des années 1980, les actions des deux organisations se définissant comme ETA formaient en quelque sorte le centre de gravité de la scène nationaliste basque à prétention socialiste, la situation se renversa dans la seconde partie des années 1980.

ETA militarra n’était clairement plus qu’un levier militaire pour une scène se comportant de manière autonome dans ses initiatives à travers la coalition Herri Batasuna.

Celle-ci obtenait environ le septième des voix au Pays basque et, aux élections européennes de juin 1987, elle obtient même 363 000 voix et un député, grâce à plus de cent mille voix de toute l’Espagne.

Affiche de Herri Batasuna de 1987

Herri Batasuna restait cependant toujours dans l’ombre du Parti Nationaliste Basque (PNV), dont les scores sont en moyenne à 36 % et qui dirigea pratiquement toujours le gouvernement régional basque.

Afin d’isoler Herri Batasuna, le Parti Nationaliste Basque (PNV) signa par ailleurs en janvier 1988 le « Pacto de Ajuria Enea » consistant en un « accord pour la normalisation et la pacification de l’Euskadi », avec l’ensemble des forces politiques électorales du Pays basque.

Dans un tel contexte, ETA militarra annonça en janvier 1989 une trêve et entama des négociations avec le gouvernement espagnol, en Algérie.

La fuite en avant

La mort d’un garde civil causé par ETA en avril 1989 amena l’échec des négociations, alors qu’un commando d’extrême-droite assassina par la suite, en novembre, Josu Muguruza, un député de Herri Batasuna, provoquant une immense manifestation en son honneur.

Le gouvernement organisa alors la dispersion des prisonniers d’ETA militarra dans toutes les prisons d’Espagne. ETA militarra répliqua sur le terrain militaire en visant toujours plus la Garde civile et la police.

Un exemple de cette démarche relevant de la fuite en avant fut l’attentat dans la ville catalane de Sabadell, coûtant la vie à six policiers devant être présent au stade de football pendant un match, et blessant six civils.

Il y eut également l’attentat de Saragosse, en décembre 1987, visant des habitations de la Garde civile, tuant 11 personnes dont 5 enfants, blessant 88 personnes, et celui du même type à Vic, tuant 10 personnes dont 5 enfants, blessant 44 personnes.

Il y eut 25 actions mortelles en 1990, 46 en 1991, 26 en 1992, 14 en 1993, 13 en 1994, 15 en 1995.

ETA militarra comme bras armé et la Kale borroka

La fuite en avant d’ETA militarra est parallèle à sa transformation en bras armé de la scène nationaliste basque. Certaines actions s’insèrent dans une démarche de réformisme armé en soutien aux luttes de masses.

L’opposition au trajet de l’autoroute de Leizaran est ainsi soutenue par ETA militarra au moyen de 18 attentats, trois exécutions et pratiquement 200 actions de sabotage, pour une victoire dans la modification du parcours initial.

Et, pour renforcer cette dimension, une nouvelle démarche est mise en place, la « Kale borroka » (lutte de rue). Les jeunes nationalistes basques sont appelés à mener une guérilla diffuse : affrontements avec la police basque, incendies et sabotages, dégradations au moyen de peinture, etc.

Il y a 86 actions de ce type en 1992, 1 262 en 1996.

Le groupe basque de musique Negu Gorriak, issu du groupe punk Kortatu, est emblématique d’un style syncrétique nationaliste et d’extrême-gauche « révolté » émergent à l’époque

Répression et succès de l’aile politique

La Kalle Borroka fut également une démonstration de faiblesse ; du côté d’ETA militarra, le nombre d’actions ne cessait de chuter, alors que plus de 300 activistes étaient en prison, un nombre appelé à largement grandir dans les années suivantes. Il y eut 5 actions mortelles en 1996, 13 en 1997, 6 en 1998.

Surtout, ETA militarra perd toujours plus pied avec la réalité. L’enlèvement d’un simple conseiller municipal du Parti populaire (de la droite post-franquiste) de 29 ans, Miguel Ángel Blanco, et son exécution ratée – on le retrouva avec deux balles dans la tête, agonisant jusqu’au lendemain – provoqua un rassemblement de protestations de six millions de personnes.

L’État put alors commencer à réprimer la scène nationaliste basque s’appuyant sur ETA militarra. 23 dirigeants de Herri Batasuna furent condamnés en décembre 1997 à 7 années de prison pour avoir eu l’intention de diffuser un spot d’ETA sur une « alternative démocratique ».

Une représentation murale du logo d’ETA à partir dfes années 1990 : une hache et un serpent, avec le slogan « continuer dans les deux voies »

Le quotidien Egin fut interdit en 1998 pour soutien à ETA militarra, une accusation tombant à l’eau mais coulant le journal, remplacé par Gara.

Et en septembre 1998, ETA militarra est amené à déclarer une trêve « indéfinie et sans conditions ».

Dans la foulée, la coalition électorale prenant le relais de Herri Batasuna, Euskal Herritarrok (Citoyens basques), obtient 17,91 % aux élections du parlement basque d’octobre 1998, soit le meilleur résultat électoral obtenu par le courant nationaliste basque convergeant avec ETA militarra.

La quête d’une porte de sortie

Le succès électoral de Euskal Herritarrok et l’amenuisement de la capacité d’intervention d’ETA militarra amena une césure. ETA militarra ne provoqua aucun décès en 1999 et il était évident que, désormais, il s’agissait de trouver une porte de sortie.

ETA militarra tenta alors de forcer les choses. En 2000, elle multiplia les actions, exécutant un lieutenant-colonel de l’armée de terre, le secrétaire général du Parti socialiste du Pays baque, un journaliste du quotidien El Mundo, des conseillers municipaux du Parti populaire, un chef de service d’un centre pénitentiaire, etc.

Le journaliste viséo, José Luis López de Lacalle, avait fait cinq ans de prison durant le franquisme pour sa constitution, dans le cadre des activités du Parti Communiste d’Espagne, des Commisions Ouvrières au Pays basque.

Le processus se prolongea en 2001 ; il y eut 23 actions mortelles en 2000, 15 en 2001. La coalition Euskal Herritarrok tomba à 10,12 % aux élections au parlement basque de mai 2001.

L’écrasement

L’État espagnol fit en sorte de rendre illégal Euskal Herritarrok, mais il n’attendit pas que son successeur, Batasuna (Unité), puisse prendre le relais. Fondé en 2001, Batasuna fut interdite en 2003, 22 membres de sa direction étant arrêtés en 2007 pour s’être réunis.

Les Gestoras Pro Amnistía (Commissions pour l’amnistie), s’occupant des prisonniers basques, furent interdits en 2001 et en 2008 23 de ses animateurs furent condamnés à entre 8 et 10 ans de prison. L’organisation qui prit le relais, Askatasuna (Liberté), fut interdite en 2011.

ETA militarra, de son côté, fut incapable de compenser par des actions cet écrasement de l’aile politique de la « gauche abertzale ». Elle mena 5 actions mortelles en 2002, 3 en 2003, aucune en 2004 et 2005, puis 2 en 2006, 2 en 2007, 4 en 2008, 3 en 2009, 1 en 2010.

Elle était elle-même touchée par la répression. Au total, il y a 2008 740 prisonniers politiques basques, dont 170 en France.

En septembre 2010, ETA militarra annonce la cessation de ses actions armées, puis en janvier 2011 une « trêve permanente, générale et vérifiable ». Le nouveau parti de la gauche abertzale, Sortu, présente en février ses statuts où la violence politique est réprouvée.

En octobre, ETA militarra annonce un cessez-le-feu définitif. En 2017 sont remis, par l’intermédiaire de prétendus « artisans de la paix », le contenu de 8 caches d’armes en France (3,5 tonnes d’armes, d’explosifs et de munition), en 2018 a lieu l’auto-dissolution.

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Interview d’ETA au journal GARA

11 novembre 2011

La déclaration de ETA a un caractère historique. Après 50 ans, comment l’organisation est-elle arrivée à cette décision ?

La décision est liée au moment historique du processus de libération. Et même si elle est prise maintenant, l’origine de la réflexion peut se situer il y a au moins une décennie, quand nous avons commencé à considérer qu’il y avait en Euskal Herria les conditions pour la matérialisation du changement. Cependant, si on regarde en arrière, cela n’a pas été un processus structuré et linéaire. Nous pouvons dire que cela a été un processus de maturation d’une profonde réflexion.

Au milieu de cette réflexion, une question apparaissait : si nous avons mis en échec la tentative d’assimilation, et s’il y a des conditions pour le changement, que devons-nous faire pour que ces conditions soient des facteurs décisifs pour effectuer ce changement ?

Ainsi, est née une nouvelle réalité. Le potentiel montré par l’expérience de Lizarra-Garazi a allumé toutes les alarmes de l’État, qui a décidé de faire un saut qualitatif dans sa stratégie : mettre la gauche abertzale, par le biais de l’illégalisation, en dehors du scénario politique.

Sans base sociale, sans référent politico-institutionnel, et avec les possibilités d’approfondir la construction nationale annulées, l’objectif de l’État consistait à réduire l’initiative de la gauche abertzale à la seule lutte armée, qu’il espérait neutraliser par la répression policière.

Tout cela a provoqué un arrêt dans le processus de libération : le blocage. Plus grave encore, ça a mis les conditions créées en grave danger.

La gauche abertzale devait prendre l’initiative, pour échapper à ce piège et poser les bases du nouveau cycle politique dont l’objectif devait être de matérialiser le changement. Mais cela ne pouvait pas être fait n’importe comment.

Il fallait doter le chemin à parcourir de crédibilité et il était nécessaire de donner de donner une impulsion décisive pour ouvrir le nouveau cycle dans toute sa dimension. Il fallait fermer un cycle pour ouvrir totalement le nouveau. Et cela avait une incidence directe sur la lutte armée.

Par conséquent, en plus de débattre du moment historique, il fallait le faire aussi spécifiquement de la lutte armée…

Oui. Et ce n’est pas un débat facile. Mais la préoccupation principale était la suivante : si Euskal Herria est toujours opprimée et si ses droits sont toujours violés, qu’allons-nous faire pour détruire le mur construit par les États ?

Selon nous, ces 50 dernières années, la lutte armée a apporté sa contribution, une grande contribution, pour arriver au moment dans lequel nous nous trouvons et pour créer les conditions actuelles. Mais elle a montré aussi des signes d’usure, pour, à l’avenir, renforcer le processus et parvenir à de meilleures conditions.

Au moment dans lequel nous nous trouvons, obtenir la plus large adhésion possible à notre projet, accumuler des forces pour nous confronter à l’État en tant que peuple et activer la majorité sociale en faveur du changement seront les clés pour détruire ce mur. C’est pour cela qu’ETA a pris cette décision historique. Pour recueillir les fruits de ces années de lutte et les mettre au service de cette stratégie.

Pourtant, les autorités espagnoles disent que la décision est le fruit de la défaite. Qu’est-ce que vous leur répondriez ?

Le discours de la défaite fait partie de la stratégie des États. Il est fabriqué dans l’objectif de provoquer le découragement au sein de la gauche abertzale et de neutraliser les options que cette décision ouvre en ce moment politique.

Cependant, la réalité est toute autre et ce qui ressort est la nervosité de ceux qui se sentaient à l’aise dans la situation antérieure. Comme nous l’avons souligné, les États ont mis en place le piège pour en finir avec la gauche abertzale, mais nous nous sommes échappés de ce piège et nous avons amené la confrontation à un nouveau scénario, hors de leur contrôle. De plus, la gauche abertzale n’a pas varié dans ses objectifs politiques et n’a pas cessé de lutter.

Au contraire, le soutien et les options pour atteindre ces objectifs ont augmenté, de même qu’a grandi la crédibilité du chemin proposé. L’indépendantisme s’est fermement structuré et s’est pourvu de nouvelles ressources. La reconnaissance d’Euskal Herria et de son droit à décider est une réclamation de la majorité de la société basque.

L’oppression de l’État et son attitude fermée sont de plus en plus vaines en Euskal Herria. Le conflit est à la vue de tous, et la nécessité de sa résolution se trouve au centre du débat politique. Et l’Espagne et la France auront plus de difficultés à le nier. Nous avons encore un bon bout de chemin à parcourir et ce ne sera pas facile, mais nous y allons. Avec une détermination totale.

Je sais que ce n’est pas un registre habituel pour vous, mais comment-vous êtes-vous sentis après avoir pris cette décision ?

Ce n’est pas facile d’expliquer ce que nous ressentons. Beaucoup de sentiments se mélangent. Une décision de cette dimension nous ramène en mémoire tous les compagnons qui appartiennent ou ont appartenu à cette organisation. Les compagnons que la lutte a emportés pour toujours. Ceux qui sont encore prisonniers.

Tous les citoyens qui dans l’ensemble d’Euskal Herria ont aidé ETA. Les membres de la gauche abertzale. Elle nous rappelle les moments durs de la lutte, la difficulté, la souffrance. Mais elle nous rappelle aussi les magnifiques moments vécus avec les compagnons. Les joies et les peines que la lutte nous a donnés.

Il y a un grand sentiment de responsabilité. Pour ces compagnons, pour Euskal Herria, pour la lutte de libération. Il y a aussi le bonheur et la fierté pour tout ce que cette organisation, si petite soit-elle, a accompli jusqu’à maintenant. Il y a de la conviction et de l’espoir, en raison du nouveau scénario qui se présente au processus de lutte. Et l’espérance d’offrir un avenir en liberté à nos enfants.

Et, pourquoi le nier, il y a le sentiment d’avoir perdu quelque chose, un sentiment partagé par beaucoup de gens en Euskal Herria. Parce que ETA ne se résume pas à ses membres.

ETA fait partie du peuple. Le chemin parcouru jusqu’à maintenant à marqué notre vie à tous. Il nous a donné une façon d’être, une identité. Il l’a donné à Euskal Herria. Et même en sachant que cette décision est prise pour donner une impulsion à la lutte de libération, il est difficile d’éviter ce nœud intérieur provoqué par tant de sentiments accumulés.

Comment analysez-vous les réactions suscitées par la déclaration ?

On peut dire que dans la plupart des cas, c’est le plan préétabli qui a été suivi. Cependant, il faut souligner que tous ont constaté l’importance de la décision historique. Ils savent tous qu’un nouveau cycle a été ouvert et ils ont voulu fixer leur position en fonction de cette nouvelle période.

D’un autre côté, en général, elle a reçu de nombreuses réponses positives dans la société basque et parmi les acteurs politiques et sociaux basques. La décision a renforcé la revendication de la résolution intégrale et des pas concrets sont demandés à Madrid et à Paris.

Les deux gouvernements n’ont pas été à la hauteur.

Comment peuvent-ils envisager de ne rien faire quand la société basque et d’importants acteurs internationaux les interpellent directement ?

Le gouvernement de Gasteiz aussi est resté à côté de la plaque, loin de la réalité basque. C’est très bien d’ouvrir une ronde de dialogue avec divers acteurs, mais il est plutôt honteux qu’une initiative prise dans l’urgence ait pour objectif de dire qu’il n’y a pas d’urgence.

En tout cas, plus que les réactions actuelles, c’est le comportement qu’aura chaque acteur à l’avenir qui est important, et pas seulement celui des gouvernements de France et d’Espagne. En Euskal Herria, certains ont utilisé le prétexte de la lutte armée. C’est fini. Et maintenant ? Que fera ELA ? Que fera le PNV pour Euskal Herria ? Qu’est-ce qui va être fait pour obtenir le droit de décider ? Que vont faire le PSOE, le PP et l’UPN face aux demandes de la majorité de la société basque ?

La « prudence » de Rajoy a été soulignée. Partagez-vous cette appréciation?

Il est vrai que cette réaction rompt avec le discours négatif, agressif et sans sens tenu jusqu’à maintenant. Face à cette conjoncture politique, celui qui a de grandes chances d’être président de l’Espagne doit agir avec responsabilité, et il faut supposer que Rajoy l’a compris comme ça.

La déclaration est la réponse que vous faites à la Conférence Internationale mais vous allez plus loin, non?

Oui. Bien qu’elle se situe dans la feuille de route dessinée par la Conférence Internationale, la décision a une dimension stratégique et répond au cycle qui s’est ouvert dans le processus de libération.

Pourtant, la conférence a été une étape. ETA a-telle eu des relations, de façon directe ou indirecte, avec les acteurs internationaux ?

Oui. Comme nous l’avons dit dans le communiqué de fin septembre, nous travaillons depuis longtemps pour donner une impulsion au processus de résolution et, pour cela, il était très important d’augmenter la participation de la communauté internationale. Pour cela, nous n’avons pas seulement eu des relations, nous avons aussi pris des engagements devant elle.

Et avec le gouvernement espagnol ?

Il n’y a eu aucune réunion directe entre ETA et le gouvernement espagnol. Cependant, nous pouvons dire que, ces derniers mois, nous avons eu une connaissance mutuelle, et que, d’après ce que nous savons, le PP est au courant.

Une des contributions de la Conférence a été de s’adresser au gouvernement français. Comment devrait-il répondre ?

Il devrait donner une réponse positive. La France est une partie du conflit et doit avoir une participation directe dans sa résolution. De plus, en France, de plus en plus de voix se lèvent pour demander des pas au gouvernement. Elle ne peut fuir plus longtemps ses responsabilités, comme si c’était un problème de l’État espagnol.

Y a-t-il eu un accord, un pacte ou quelque chose de ce type ?

En premier lieu, il faut expliquer que le processus actuel est différent de ceux que nous avons connus jusqu’à maintenant. Face à la fermeture des États, la gauche abertzale a pris la décision d’initier ce processus de sa propre initiative, sans attendre la volonté des États.

C’est pour cela qu’elle a adressé son initiative et ses engagements à Euskal Herria et à la communauté internationale pour activer de plus en plus de forces en faveur d’une résolution juste et démocratique du conflit, jusqu’à faire se fissurer, petit à petit, la stratégie étatique. Cela a été une décision courageuse et nous croyons qu’elle continuera à porter ses fruits. Les États maintiennent leur attitude fermée, mais avec de plus en plus de difficultés, avec de plus en plus de dégâts.

Pour revenir à la question, il n’y a pas d’accord concret ou de résolution pour la sortie du conflit, mais la séquence des pas qui doivent être faits dans le chemin de la résolution est en train de se dessiner, formant une sorte de feuille de route. Les pas que doivent faire les différentes parties sont définis, il n’y a qu’à les faire.

Les élections générales espagnoles sont imminentes et le changement de gouvernement espagnol est annoncé comme certain. Compte-tenu des positions extrêmement dures que le PP a pu avoir, quelles conséquences peut avoir ce changement ?

À notre avis, quel sera le parti qui gérera le gouvernement espagnol n’est pas une variable décisive. De plus, en comparaison avec la position du PP, on ne peut pas dire que le PSOE ait montré une volonté particulière de se lancer dans la résolution démocratique du conflit. Quelle que soit la couleur du gouvernement de l’Espagne après le 20 novembre, il aura sur la table le conflit qu’il maintient en Euskal Herria.

Il aura aussi l’appel concret de la Conférence Internationale et celui d’ETA elle-même. Ainsi que les revendications de larges secteurs de la société basque au sujet des droits des prisonniers politiques, de la fin de la stratégie d’illégalisation et de la reconnaissance des droits du peuple basque.

Selon nous, plutôt que de tomber dans les spéculations, la clé se trouve dans l’implication d’un nombre toujours plus grand de citoyens autour de ces revendications et l’augmentation de la pression.

C’est une décision très importante. On peut parler d’étape historique. Avec un regard rétrospectif, quels ont été dans l’histoire d’ETA les autres moments aussi décisifs que celui-ci ? Autrement dit, quels autres moments historiques peuvent être comparés à celui-ci ?

Dans le parcours politique de ces cinq dernières longues décennies, il y a eu beaucoup de résolutions importantes en lien avec les circonstances de chaque moment. Cependant, pour ETA, les décisions les plus importantes de son histoire, celles qui ont marqué et marqueront l’histoire récente d’Euskal Herria, sont trois.

La première, en plein franquisme, quand ETA s’est constituée pour faire face à l’État espagnol et libérer Euskal Herria.

La deuxième, quand la réforme espagnole n’a pas répondu aux réclamations d’Euskal Herria et que des divisions se sont produites entre les forces abertzale, avec la décision d’ETA de continuer la lutte armée.

Et la troisième, celle de maintenant, avec l’annonce de sa fin. Quoi qu’il en soit, il faut dire clairement qu’ETA n’a jamais été un pur groupe armé de nature politique mais une organisation politique qui a décidé de pratiquer la lutte armée à un moment historique concret.

Pourtant, le PNV dit qu’ETA est une erreur depuis sa naissance, ou du moins que la décision qu’elle annonce maintenant aurait dû être prise il y a 30-35 ans. Il affirme que tant ETA que la gauche abertzale se sont trompés face à la réforme du franquisme.

En Euskal Herria, peu de gens voient la naissance d’ETA comme une erreur. Dans quelle situation était Euskal Herria ? Que proposait le PNV face à cette situation ? La naissance d’ETA a changé a situation en profondeur et a laissé des conséquences durables.

Face à la désespérance que provoquait cette oppression étouffante, elle a élargi l’offre de la lutte pour la liberté et a en même temps donné une impulsion à la récupération politique, sociale et culturelle. Il est certain qu’il y a 34 ans, la possibilité de mettre fin à la lutte armée était sur la table. C’était à Xiberta mais l’élection du PNV a empêché cela, quand ce dernier a accepté le cadre de division imposé par l’Espagne et quand il a préféré se plonger dans sa gestion.

En conséquence de cette élection, le PNV a obtenu des espaces de pouvoir, en échange de participer pleinement avec les forces espagnoles à la tentative de neutraliser l’indépendantisme. Quel est le bilan de cette élection en ce qui concerne l’avenir d’Euskal Herria ? Ayant été durant des années la force hégémonique et le gérant des principales institutions, qu’a fait le PNV pour que le droit à décider du peuple basque soit reconnu ?

Quelles options le cadre en vigueur offre-t-il pour la liberté d’Euskal Herria ? C’est la stratégie du PNV qui a échoué. Et ce n’est pas ETA seule qui le dit, mais des secteurs de plus en plus larges de la société basque.

C’est pour cela que le PNV utilise un discours aussi agressif contre la gauche abertzale. La gauche abertzale n’a pas mordu à l’hameçon, et dans la phase qui a suivi la réforme, elle s’est engagée dans la défense d’Euskal Herria, de même qu’elle s’est impliquée totalement dans la construction de la nation basque.

À cette époque, face à la machine juridico-politique qui recherchait la disparition d’Euskal Herria, ETA a pris une décision transcendante : continuer la lutte armée. Et la lutte armée, entre autres choses, a empêché le modèle imposé de s’installer en Euskal Herria.

Au moyen de la lutte armée, en autres choses, Euskal Herria a réussi à maintenir ouvertes les portes de la liberté.

Ils disent que ce sont eux qui sont à l’origine de la construction nationale…

Heureusement, beaucoup de gens ont travaillé à la construction de la nation basque, et parmi eux, les militants du PNV. La construction nationale, c’est le peuple qui l’a faite : dans la dynamique pour l’euskara, la culture, l’enseignement, la défense de la terre, la défense des droits des travailleurs…

Le « travail de rue » a suppléé au manque d’engagement institutionnel. Plus encore, l’engagement populaire a du faire face aux attaques venues des institutions gérées par le PNV. Il n’y a qu’à voir le mal que le modèle libéral qu’ils ont soutenu a fait aux citoyen(ne)s. Euskal Herria est allé de l’avant grâce aux citoyens et au mouvement populaire et cela continuera dans le futur.

Cependant, l’histoire n’est pas parfaite. L’autocritique a-t-elle sa place sur ce qui a été fait durant toutes ces années ?

Nous ne faisons pas une lecture linéaire de notre histoire. Nous savons que nous avons commis des erreurs, et que nous n’avons pas toujours fait les bons choix. Nous nous efforçons d’apprendre de ces erreurs et de les corriger dans la mesure du possible. En tant qu’organisation révolutionnaire, nous sommes guidés par une autocritique permanente, dont les changements de stratégie ou adaptations sont les conséquences.

Malgré tout, la gauche abertzale dispose d’une caractéristique qui la rend plus fiable que les autres forces : elle a toujours opposé les intérêts d’Euskal Herria a toute autre chose, et elle a toujours agi en sa défense avec courage et générosité.

Xiberta, Alger, Lizarra-Garazi et le dernier processus de négociation peuvent-ils être qualifiés d’échecs ?

En aucune manière. Ces étapes historiques ne nous satisfont pas dans la mesure où elles n’ont pas pu être menées à leur terme, mais elles ont toutes laissé des traces positives, elles ont toutes apporté des enseignements.

Xiberta a peut-être été l’épisode le plus décevant. C’était la première occasion de répondre en tant que peuple à la négation d’Euskal Herria, mais ça n’a pas été possible. Cela a entraîné une rupture profonde, une blessure qui n’est toujours pas refermée après trois longues décennies. Une blessure qui a, elle aussi, alimenté le conflit. À Alger, nous avons réussi à faire asseoir l’État à la table des négociations.

Cela a supposé la reconnaissance du conflit et la reconnaissance concrète d’une organisation qui lutte pour la liberté ; ça a donné de la crédibilité au chemin choisi. Lizarra-Garazi a changé le scénario politique en profondeur et de façon permanente.

Si, dans l’objectif d’isoler la gauche abertzale, le Pacte d’Ajuria Enea a conçu cette division entre violents et démocrates, les abertzale, les secteurs de gauche et les démocrates qui soutenaient que la clé de la résolution du conflit résidait dans le droit à décider du peuple basque se sont placés d’un côté et les partisans de la Constitution espagnole de l’autre.

Les conditions dont nous parlons souvent aujourd’hui ont été semées avec ces graines-là. Et lors du dernier processus, les clés de la méthode et du contenu pour la résolution du conflit ont été établies.

Le processus de libération est dynamique et se construit grâce à l’accumulation de diverses expériences. Pour cela, il fallait assurément passer par ces phases pour arriver au point où nous en sommes. On peut dire que nous nous trouvons aujourd’hui dans le développement de tout cela, accumulant des forces et structurant un nouveau pouvoir négociateur. Nous bénéficions de toute cette expérience.

Cependant, les opportunités qui se sont présentées n’ont pas été approfondies. Pourquoi ?

Chaque moment historique appelle une lecture spécifique et, certainement, il n’y aura pas de lecture unique et parfaite. Dans ces cas, chaque partie devra se demander si elle a fait tout ce qui était en son pouvoir. Cela ne veut pas dire qu’elles ont toutes la même responsabilité.

La gauche abertzale a initié chaque processus dans l’intention de le mener à sa fin, avec responsabilité, dans l’objectif de parvenir à une solution juste et démocratique.

ETA a respecté tous ses accords et a suivi la même ligne quand les processus ont été rompus formellement. L’État espagnol, en revanche, a agi avec fourberie. Il ne cherchait pas la paix et la résolution, mais à neutraliser la lutte de libération.

Il a cherché la rupture des processus dès leur démarrage, parce qu’il considérait que ce serait la gauche abertzale qui en paierait les conséquences. Il faut citer aussi la position du PNV. Il est resté à regarder ses intérêts partisans, avec la peur de ce qui en sortirait si le processus allait de l’avant.

À Alger, sa position a été déterminante dans la rupture, et dans le dernier processus, il s’est aligné sur l’État. À Lizarra-Garazi, il a mis le pied sur le frein quand il a vu la potentialité du processus pour faire le chemin vers l’indépendance.

En plus de la position de chaque partie, de tous les processus de la gauche abertzale est ressortie une conclusion commune : que l’activation populaire n’a pas été suffisamment approfondie. Le peuple doit avoir le premier rôle. Seul le peuple peut garantir le développement du processus.

Et pourquoi cela va-t-il être différent cette fois ?

On ne peut pas savoir comment ça va être. La fin n’est pas encore écrite. Les citoyens basques, et spécialement les membres de la gauche abertzale, doivent l’avoir bien en tête.

On peut avoir la tentation de penser que tout est prévu, que la situation sera résolue à on ne sait quelle table. Non. Les citoyens doivent construire le processus et les membres de la gauche abertzale ont une grande responsabilité. Personne ne nous donnera rien, nous devrons le gagner avec le travail et la lutte quotidienne.

La gauche abertzale est entrée dans ce processus avec détermination. De plus, la décision de ETA renforce cette disposition. Après, le processus peut s’allonger dans le temps, en fonction du comportement des États et de la maturité des forces politiques. Mais il n’y a pas d’autre alternative que le processus lui-même. Le peuple doit l’alimenter pour le mener à son terme.

Il paraît évident que pour arriver à cette conjoncture historique, la réflexion, le débat et les décisions de la gauche abertzale ont eu une grande influence. La résolution « Zutik Euskal Herria » a été approuvée début 2010. Vu d’aujourd’hui, quelle analyse ETA fait-elle de ce processus ?

Nous voudrions faire une première remarque. La situation actuelle a souvent été reliée à ce débat. Il a son importance, dans la mesure où un exercice a été fait pour le changement de stratégie. Mais selon nous, pour le dire d’une certaine manière, nous nous trouvons dans la deuxième ou troisième année de ce pari politique, si ce n’est dans la 52ème. Nous pourrions sûrement retourner plus loin en arrière. Ce point de vue est fondamental dans la réflexion de la gauche abertzale, pour nous souvenir d’où nous venons et où nous allons.

Dans tous les cas, la gauche abertzale a bien mené sa réflexion. Elle a fait une lecture adéquate du moment historique du processus de libération et de la stratégie des États.

Elle a établi une stratégie efficace pour surmonter le blocage du processus de libération et entrer dans la phase décisive dans les conditions générées par des années de lutte. La validité de cette stratégie se jouera à long terme, mais en comparaison avec la situation d’il y a deux ans − au vu d’où nous étions et où nous sommes − le chemin parcouru a déjà démontré, malgré toutes ses déficiences, la fertilité du chemin ouvert et la viabilité du processus.

En tout cas, dans ce processus, il est évident qu’il n’y a pas eu une pleine entente sur l’analyse de la phase politique, c’est du moins ce qui en est apparu…

Oui c’est vrai. Il y a eu différentes lectures, et cela a influé sur le débat concernant les différents aspects de la stratégie : le moment d’ouvrir le processus, sa caractérisation ou la fonction de la lutte armée elle-même. Entre autres, s’il y avait un accord sur la stratégie, les divergences ont porté sur sa concrétisation.

Et au-delà des différentes lectures, il y a eu d’autres problèmes, surtout sur la façon d’ouvrir et de développer le débat. Bien que la discussion ait été fructueuse, elle a laissé des blessures et des doutes. ETA, répondant à ses responsabilités, a fait son autocritique, parce qu’à ce moment-là, elle n’a pas rempli correctement la fonction qui lui revenait envers la gauche abertzale.

Dans cette situation, l’État espagnol a fait un gros effort pour provoquer la division dans la gauche abertzale. Mais il n’a pas réussi, parce que la gauche abertzale a montré une grande maturité et une grande responsabilité.

Des moyens ont été mis en place pour gérer les contradictions et unifier les critères, en acceptant toujours que des visions différentes puissent exister et c’est ce qui rend le débat légitime. Aujourd’hui, nous pouvons dire avec fierté qu’il existe une forte cohésion interne dans la gauche abertzale à la différence de ce qui se passe au sein de nombreuses autres forces.

Différents responsables et représentants politiques ont concédé une grande transcendance au « récit » du conflit. Apparemment, il doit montrer clairement que l’origine principale du problème est ETA. Que répond ETA à cela ?

Le récit du conflit, il faudra le faire pour en mener la résolution. Nous voulons que ce soit le récit du moment où Euskal Herria a retrouvé la paix et la liberté, pour l’histoire qui est étudiée soit celle de la naissance de l’État basque. Et nous voudrions que cela soit un exercice collectif, où chacun écrive la partie qui le concerne.

Cependant, ceux qui veulent écrire ce récit dès maintenant souhaitent maintenir pour toujours le peuple basque dans la situation d’imposition actuelle. C’est pour cela qu’ils veulent situer ETA comme origine du problème contre toute logique. Le conflit n’a pas commencé avec la naissance d’ETA et ne s’est pas terminé avec l’annonce de la fin de ses activités armées, comme le démontrent suffisamment clairement les revendications de résolution de la société basque.

Vous vous montrez disposés à vous asseoir à une table pour aborder et donner une solution aux conséquences du conflit. Un des thèmes principaux est celui des prisonniers. Selon ETA, de quelle façon et dans quels termes faut-il l’affronter ? Où se situent les minima sur cette question ?

En premier lieu, il faut lui donner une réponse en termes politiques et généraux. Quand nous parlons de fermer un cycle, la solution doit être collective.

En second lieu, le processus doit entraîner le retour chez eux de tous les prisonniers et prisonnières politiques. Toute autre option ne peut être envisagée que depuis une position de vengeance ou pour des intérêts politiques particuliers, mais pas si on prétend construire une solution ferme et durable.

Quelqu’un peut-il imaginer la paix avec les prisons espagnoles et françaises pleines de prisonniers politiques basques ?

Une autre chose, importante aussi, est de savoir comment on mène cela à bien. C’est de cela qu’il faut parler et c’est sur cela qu’il faut s’accorder à la table de dialogue. Le temps a aussi son importance. Ce problème doit être résolu le plus vite possible, tant pour l’aspect politique que pour l’aspect humain. Cela devrait donner au processus une grande force et une grande crédibilité.

Et les réfugiés ? Il peut y avoir des situations très disparates dans ce Collectif.

Il y a des situations différentes, oui, et la résolution de certaines d’entre elles ne devrait pas tarder. Le Collectif des Réfugiés lui-même a pris ce chemin il y a longtemps, sous forme d’initiative politique. De plus, le manifeste concernant les prisonniers politiques sert aussi dans ce cas. Tous les réfugiés basques doivent rentrer chez eux.

ETA prétend-elle représenter tous ceux-là, ou ces Collectifs doivent-ils avoir leur propre voix ?

Ces Collectifs ont leur propre voix et doivent continuer à l’avoir, sans aucun doute. Dans la mesure où ce sont des acteurs politiques, ils ont le droit de participer au processus. Pour construire un scénario de paix et de liberté, ils sont parmi les acteurs politiques principaux d’Euskal Herria, et nous croyons qu’ils ont une fonction importante au moment d’impulser et de renforcer le processus.

Dans l’espace de négociation, dans la mesure où les conséquences du conflit dans sa globalité doivent être résolues, ETA assume la gestion de ces aspects. Elle ne le ferait pas sans l’accord de ces deux Collectifs. De plus, en ce qui concerne la négociation, ETA a pris un engagement concret : elle ne prendra aucune décision qui affecte les prisonniers sans leur approbation.

La question des victimes va créer une grande expectative, et peut-être beaucoup de polémique. Quelle sera la position de ETA ?

Sur ce thème, plane l’ombre de l’utilisation politique et de la manipulation. La principale victime du conflit est Euskal Herria, un peuple qu’ils ont cherché à faire disparaître et qui a toujours été attaqué. Un peuple qui n’a pas pu construire son avenir en liberté.

Les principales victimes ont été les femmes et les hommes basques. Aucune génération n’a connu la paix et la liberté. Qui mesure le mal et la souffrance que cette réalité a provoqués ? On parle de la souffrance de ces 43 dernières années, mais qui met la limite ?

On pourrait remonter bien plus loin dans le temps. Nous pourrions citer tous les assassinats subis par le peuple basque depuis un siècle. Ou la confrontation armée n’a pas pris racine dans les braises laissées par le bombardement de Gernika ?

La confrontation armée de ces dernières décennies a causé beaucoup de souffrance, sans le moindre doute. Les actions d’ETA aussi. Nous ne sommes pas insensibles. Nous avons connu la souffrance dans notre propre chair. Nous savons ce que c’est de perdre des compagnons de lutte, ce qu’est la douleur, ce que cela suppose de ne pas être auprès de ceux que nous aimons.

Mais nous ne pouvons pas être d’accord avec la lecture qui cherche à faire oublier les clés du conflit. Nous ne pouvons pas être d’accord avec cette intention de condamner la lutte pour la liberté. Nous ne pouvons pas être d’accord avec cette réalité unique qu’ils prétendent nous présenter, ni avec cette attitude fasciste et la soif de vengeance qui sont alimentées ces dernières années en Espagne.

ETA a un engagement absolu avec le processus de résolution. Il faut offrir une solution définitive au conflit, dans sa globalité, dépassant toutes les violences et abordant les racines de ce conflit. C’est le seul chemin pour construire un scénario de paix réel et durable et pour garantir que le conflit ne provoquera plus de souffrance. En même temps, il faut travailler la mémoire historique.

On parle beaucoup de la reconnaissance de la souffrance et des victimes. C’est important. Et il y a de multiples victimes et souffrances générées par la violence des États qui n’ont toujours pas été reconnues : le terrorisme d’État, la torture, les assassinats de militants d’ETA, la violence des forces de police… Dans la majorité des cas, ils vont jusqu’à nier ce qui s’est produit.

Euskal Herria est rempli de forces de police. Le processus doit-il influer sur cette situation ?

Le processus doit comporter la démilitarisation d’Euskal Herria, sans aucun doute. La fin de la confrontation armée ne pourrait se comprendre si Euskal Herria restait rempli de forces armées.

Parce quel pourrait être leur objectif si ce n’est d’écraser la volonté des citoyens basques ? Quelle serait leur fonction si ce n’est la persécution de l’activité politique de l’indépendantisme ? Si la solution doit être démocratique, cela ne peut se passer sous la menace de forces armées.

De plus, c’est un pas fondamental aussi pour fermer les blessures causées par le conflit. Les différents corps armés ont causé beaucoup de souffrance à ce peuple. Les pages les plus sombres du récit dont nous avons parlé ont été écrites par la Guardia Civil. Cela supposerait un pas de grande importance pour la conscience collective des citoyens basques.

Êtes-vous disposés à parler de désarmement ? Avez-vous parlé ce ça, par exemple, avec la Commission de Vérification ?

La question des armes est comprise dans l’agenda de la négociation entre ETA et l’État, et nous sommes disposés à parler de cela et à prendre d’autres engagements, dans la logique de la solution à toutes les conséquences du conflit.

Quant à la deuxième question, nous n’avons pas abordé ce sujet avec la Commission de Vérification. Elle pourra certainement jouer un rôle mais il faut aller pas à pas.

Quel modèle de négociation prévoyez-vous ? Où, comment, qui, devant qui ?

Il faut configurer un modèle de négociation fort et efficace. Pour cela, il faut commencer des conversations directes entre ETA et les États espagnol et français, avec la dynamisation d’un acteur international qui aide le processus.

Nous considérons aussi que la participation des observateurs internationaux est fondamentale pour faire le suivi du développement des accords qui seront adoptés et par conséquent, comme garantie de l’accomplissement de ces accords.

En ce qui concerne l’agenda de négociation, selon nous, il y a trois thèmes principaux : le retour chez eux de tous les prisonniers et réfugiés politiques basques, la non-utilisation des armes par ETA et la démilitarisation d’Euskal Herria.

À la table des négociations, il faut convenir de formules pour développer tout cela, et on peut prévoir que l’aide d’assesseurs sera nécessaire. Le modèle est plus ou moins établi selon l’expérience des processus précédents. Et ETA y est disposée. Par conséquent, le processus de dialogue peut commencer demain même si les gouvernements donnent une réponse positive.

Et si les États ne sont disposés à aucun pas significatif ?

Il se peut qu’ils essaient, en croyant qu’en bloquant cette voie ils freineront le processus politique. Ou qu’ils le fassent parce que, simplement, ils ne veulent aucune solution. En observant les expériences antérieures, on ne voit aucune raison de croire en la volonté des États.

Cela rendrait la solution plus difficile dans la mesure où le processus requiert la participation des États. Comment pourrait-on y faire face ? En assumant le défi. Il fait agir avec patience, sans se résigner, en continuant la lutte et le travail quotidien, en regroupant de nouvelles forces, en rendant plus efficaces celles qui sont déjà là…

Le processus ne va pas se développer qu’à la table des négociations : la revendication et la pression populaires ont une fonction décisive. De plus, la décision de ETA a donné une responsabilité supplémentaire aux citoyens, et spécialement à la base sociale de la gauche abertzale. Ce sont des temps d’engagement. Et il est fondamental d’en être conscient.

Le fait que le conflit requiert une solution politique est une conviction largement répandue en Euskal Herria. De plus, les voix qui réclament une nouvelle structure juridico-politique sont de plus en plus nombreuses. Le droit à décider est également une référence. Comment ETA observe-t-elle le développement de l’espace de la résolution politique ?

La résolution politique doit répondre aux clés du conflit pour qu’Euskal Herria s’installe dans une situation démocratique. Le premier pas est le processus de dialogue qui doit être développé entre les acteurs politiques et sociaux basques. Il est évident que ce processus devra être mené sans aucun type de violence ou d’ingérence.

L’objectif des négociations devra être un accord démocratique qui comprendra une formulation pactée de la reconnaissance d’Euskal Herria et du droit à décider. De cette façon, tous les projets politiques seraient matérialisables, y compris celui de l’indépendance.

L’accord démocratique devrait recevoir l’appui légitimant des citoyens basques, sous la forme d’une ratification par une consultation populaire. À partir de là, devrait s’ouvrir un processus de négociation entre les États et une représentation des acteurs politiques et sociaux d’Euskal Herria.

L’objectif de ces négociations ne porterait pas sur le contenu de l’accord démocratique, parce que cela revient qu’aux acteurs politiques et sociaux et aux citoyens basques, mais sur la façon de l’appliquer.

Derrière ces opinions, y a-t-il une volonté de tutelle de la résolution politique ?

Il s’agit de l’une des accusations qui est toujours adressée à ETA. ETA ne sera jamais une menace pour ce processus, comme cela a été dit très clairement.

Elle ne l’a jamais été. ETA a son opinion et mène ses réflexions. C’est ce que nous sommes en train de faire. Mais ETA ne sera pas assise à la table des négociations politiques. C’est l’unité populaire, principale référence politique de la gauche abertzale, qui représentera cette dernière dans son ensemble.

Les forces favorables à l’Espagne et à la France devraient participer par le biais des représentants que ces partis ont en Euskal Herria. C’est nécessaire. Mais à partir de là, le processus ne doit subir aucun type de menace ni d’ingérence extérieure. Ni des États ni de personne. Ça doit être un processus caractérisé par la volonté et le désir des citoyens basques ; basé sur leur parole et leur décision.

À d’autres occasions aussi vous avez dit que la volonté des citoyens constitue la base et la référence. Croyez-vous que les choses ont suffisamment avancé pour que cela soit possible ?

Les choses ont avancé en ce qui concerne la conscience et la maturité politique des citoyens basques. Ils veulent prendre la parole, tant dans le processus démocratique que dans le quotidien de la vie politique et sociale.

En ce qui concerne les forces favorables à l’Espagne et à la France, elles n’ont pas encore fait cet exercice démocratique. Si elles peuvent imposer leur projet par la force, elles se fichent de la volonté populaire.

Il n’y a qu’à voir l’arrogance du gouvernement de Gasteiz, malgré le fait qu’il soit conscient de son manque de légitimité démocratique. Dans tous les cas, il ne sera pas facile pour eux de tourner le dos à la volonté des citoyens.

Les forces politiques auront-elles la maturité suffisante pour matérialiser un accord politique qui réponde aux racines du conflit ?

La société basque n’acceptera pas autre chose. Malheureusement, dans certains secteurs, on ne perçoit pas une maturité suffisante. Ils ont peur de perdre la position privilégiée que leur ont octroyé la division d’Euskal Herria et l’imposition. Pour cela, ils voient le processus comme une menace, quand il devrait être une opportunité pour tout le monde.

Nous croyons qu’ils se trompent, parce que le peuple basque n’accepte plus les offres politiques basées sur l’imposition. Ces partis savent que dans la situation qui s’est ouverte en Euskal Herria, ils doivent reconsidérer leurs positions s’ils ne veulent pas trop s’éloigner de la société basque. Il reste à voir si les résultats de cette réflexion les mènent à se plonger dans le processus démocratique. Pour cela, c’est la société basque qui détient la clé. Le processus s’accélère en raison de l’exigence et de l’activation populaire.

Il y a beaucoup de doutes autour de la façon de résoudre la question de la territorialité.

C’est une des questions clés du processus. L’Espagne et la France ont creusé la première tranchée dans la division territoriale. Et avec une situation d’imposition qui dure depuis des années, ils ont creusé un profond ravin. Mais la résolution du conflit politique doit aborder l’ensemble d’Euskal Herria.

Le dialogue entre les acteurs politiques et sociaux basques doit rechercher une formulation concrète pour la reconnaissance de la réalité nationale en Euskal Herria ; compte-tenu de la réalité institutionnelle actuelle, mais sans que la profondeur de ce ravin devienne un problème insoluble.

Il est évident que les rythmes seront différents. Voyez-vous des possibilités pour qu’il y ait aussi des changements significatifs en par Euskal Herria ?

Il est clair que la confrontation avec les États a eu une évolution différente, de même que la perception de la société et l’évolution du nationalisme. Cela doit être pris en compte et peut influer sur les rythmes et les façons de mener le processus.

Mais en ce qui concerne les contenus, le conflit politique étant le même, les clés de la résolution sont les mêmes également : la reconnaissance et le droit à décider. En Lapurdi, Baxe-Nafarroa et Xiberua, il y a une conscience importante de cela, et de très larges secteurs revendiquent une institution propre qui garantisse la reconnaissance d’Euskal Herria et qui le dote des ressources nécessaires pour répondre à ses besoins.

Le défi est de structurer tout cela, dans l’objectif de parvenir à l’accord démocratique. L’évolution de tout le processus et la Conférence Internationale peuvent donner une impulsion pour cela.

Quel pourrait être le premier défi du processus qui s’est ouvert en Euskal Herria ? Historiquement, la gauche abertzale a fait des propositions concrètes dans le sens d’un cadre démocratique. Peut-on arriver à ce niveau ? À priori, cela n’est pas garanti par le processus, n’est-ce pas ?

En plus de surmonter les conséquences du conflit, il faut que l’accord démocratique mette le conflit politique dans la voie de la solution et qu’il établisse le plancher démocratique. C’est le premier objectif du processus : la reconnaissance d’Euskal Herria et de son droit à décider.

Une fois ce jalon installé, chaque force politique aura la possibilité de présenter sa proposition. C’est alors que la gauche abertzale fera la sienne. Comme vous le dites, il n’y a aucune garantie qu’elle puisse primer. Cela dépend du niveau d’adhésion que chaque proposition sera capable de recueillir.

L’objectif d’un État basque indépendant a toujours été souligné. Depuis le pas historique que vous venez de faire, comment peut être le chemin jusqu’à ce stade ?

Nous sommes en train de faire le chemin vers l’indépendance. Nous sommes en train de structurer l’indépendantisme pour qu’il ait la référentialité et le rôle qu’il doit avoir dans la vie politique d’Euskal Herria.

Nous avons fait des pas importants et nous avons reçu le soutien de nombreux citoyens. Mais dans ce nouveau cycle que nous venons d’ouvrir, la gauche abertzale doit se préparer à faire le chemin jusqu’au bout. Avec une perspective à long terme, pour renforcer les alliances et recueillir l’adhésion de la majorité des citoyens.

Et pas seulement cela : nous devons créer les mécanismes qui nous permettront de devenir un État : un État qui sera au service des citoyens et qui garantira la justice sociale. La construction nationale doit être le ciment fondamental de la stratégie indépendantiste.

Et cela exige de faire un saut important dans l’organisation, renforcer la principale référence politique de la gauche abertzale, de caractère indépendantiste et socialiste.

De plus, au fur et à mesure que le processus avance, de nouvelles énergies devront être libérées pour la stratégie indépendantiste, comme celles qui jusqu’à maintenant ont eu d’autres tâches liées au conflit.

La gauche abertzale se trouve face à un grand défi, aussi beau que difficile. En ce qui concerne les phases, nous prévoyons un processus long et échelonné, pendant que se créeront les conditions nécessaires pour faire le saut vers l’indépendance. La première bataille principale sera centrée sur l’obtention de la reconnaissance d’Euskal Herria et du droit à décider.

Ensuite, on peut prévoir l’ouverture d’une phase de transition entre la reconnaissance du droit à l’autodétermination et son application. Pour cette phase de transition, la gauche abertzale devra faire sa proposition tactique pour l’obtention de l’unité territoriale et trouver de nouvelles ressources pour approfondir la construction nationale.

On ne peut pas savoir combien de temps durera cette phase ; cela dépendra des conditions que nous sommes capables de créer et du niveau d’adhésion que recueillera le projet indépendantiste.

La crise économique a remis en question tout le modèle. La gauche abertzale, en plus du changement politique, assure qu’il faut aussi un soutien social. Ce processus peut-il apporter quelque chose dans ce domaine ?

Il doit le faire, sans aucun doute. Le processus est intégral et a beaucoup de variables ; entre autres choses, celle du modèle social et économique. Euskal Herria a besoin de mécanismes pour répondre à la situation actuelle, instruments qui répondront aux besoins des citoyens basques. Et cela est étroitement lié à la reconnaissance d’Euskal Herria et de son droit à décider. Y compris en ce moment où, du point de vue économique, la dépendance envers l’Espagne et la France est en train de devenir un fardeau.

Les États ont-ils une autre offre politique pour les Basques ? Concrètement, l’État espagnol subit une profonde crise. Que peut entraîner cette situation ?

Les États n’ont aucune offre politique pour Euskal Herria. Le modèle qu’ils nous imposent ne répond pas aux besoins des citoyens basques et n’a aucune réponse aux demandes du peuple. Vous parlez de la crise de l’État espagnol, c’est vrai qu’elle existe. En plus de ma crise économique, ils vivent une autre profonde crise politique et institutionnelle.

Le modèle autonomique créé à partir de la réforme politique est en train de chanceler. Et les disputes entre les pouvoirs de l’État sont constantes. Il faut ajouter à cela la culture politique implantée en Espagne qui entraîne le fait que le débat entre les partis se déroule de façon agressive et démesurée. C’est le résultat d’une instabilité structurelle.

Sans offre politique et avec la crise structurelle qu’elle vit, l’Espagne est consciente de sa faiblesse stratégique en ce qui concerne le processus en Euskal Herria ; que dans cette situation, le processus va au-delà de la résolution démocratique et qu’il a une dimension stratégique.

Dans ce processus, il n’y pas que la reconnaissance des droits d’Euskal Herria qui est en jeu, mais aussi les scénarios qui peuvent être ouverts avec les pas suivants. C’est une confrontation entre projets. Pour cette raison, on peut prévoir que l’État espagnol, conscient de sa faiblesse stratégique, essaiera par tous les moyens de retarder et de faire obstacle au processus politique.

L’État ne sera pas un interlocuteur fiable ; il ne l’a jamais été, mais il le sera encore moins maintenant. Il est possible que, pour cette raison, le processus se bloque. Et il faudra répondre avec des initiatives unilatérales, avec des revendications souverainistes unilatérales. Maintenant plus encore qu’avant, l’avenir appartient au peuple.

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Alternative K.A.S. (Koordinadora Abertzale Sozialista) – 1976

1.AMNISTIE, soit, Libération de tous les prisonniers politiques Basques.

2.LIBERTES DEMOCRATIQUES, c’est-à-dire, Légalisation de tous les Partis Politiques indépendantistes, sans leur imposer de modifications de leurs statuts.

3.RETRAIT D’EUSKADl de la Guardia Civil, de la Policia Nacional et du Cuerpo Superior de Policia.

4.AMELIORATION des CONDITIONS de VIE et de TRAVAIL pour les classes populaires et en particulier pour la classe ouvrière.

5.STATUT D’AUTONOMIE, avec comme conditions minimales requises :

– qu’il englobe les QUATRE REGIONS historiques d’Euskadi Sud,

– qu’il reconnaisse la SOUVERAINETE NATIONALE d’Euskadi, son droit à l’Autodétermination incluant le Droit à la création d’un Etat propre et indépendant,

– qu’il reconnaisse les liens nationaux existants entre EUSKADI NORD et EUSKADI SUD,

– que les UNITES DE DEFENSE CIVILES, qui remplaceront les actuelles forces répressives, soient créées par le Gouvernement Basque et dépendent uniquement de lui,

– que les FORCES ARMEES en place en Euskadi soient sous contrôle du Gouvernement Basque,

– que le Peuple Basque dispose de pouvoirs suffisants pouvant lui permettre de se doter à tout moment des STRUCTURES ECONOMIQUES qu’il estimera, du point de vue social et politique, nécessaires à son progrès et son bien-être,

– que l’EUSKARA soit la langue officielle et prioritaire d’Euskadi.

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Euskadi Ta Askatasuna : communiqué de septembre 1998

Par ce communiqué Euskadi Ta Askatasuna (ETA) veut faire connaître à la société basque son analyse de la situation et du moment historique que vit notre pays ainsi que la décision qui en découle.

Après deux longues décades sur le chemin de l’indépendance du Pays Basque, une nouvelle fois nous avons l’opportunité de faire un pas décisif.

Nous croyons que nous avons une opportunité similaire à celle que nous avons eu lors de ces difficiles années de la « transition » il y à vingt ans. Cette fois, nous devons faire que la phase politique qui se profile soit celle de la souveraineté, concrétisant cette fois l’opportunité alors perdue.

ETA entreprend cette nouvelle phase remplie d’espoir. Remplie d’espoir surtout parce que nous pensons que les erreurs commises alors nous aurons servi de leçon.

Remplie d’espoir aussi car nous pensons que le travail, l’expérience et les forces accumulées depuis lors nous donnent une garantie suffisante pour que cette nouvelle phase soit un succès.

Avoir cette nouvelle opportunité et nous y investir pleins d’espoir ne doit cependant pas nous aveugler. Nous ne devons pas fermer les yeux face à la réalité vécue par le Pays Basque.

A tous les niveaux, la situation vécue par notre pays est très grave.

Nous les citoyens basques, sommes soumis à deux puissants états.

Ces deux états, ont utilisé tout leur potentiel armé, politique, économique et culturel pour détruire les ressources que possédait le Pays Basque pour être un pays libre dans l’avenir.

L’activité obstinée de l’Espagne et de la France ont laissé de douloureuses blessures.

Ce ne sera pas facile d’obtenir notre liberté.

Il nous semble que ces deux états voisins nous considèrent comme des ennemis qu’il leur faut soumettre, et qu’ils ne manifestent aucune volonté de respecter pacifiquement la parole du Pays Basque.

Malgré les agressions et les difficultés, guidés par la volonté de lutter qui donne un sens à la vie, le Pays Basque est parvenu aux portes du XXIème siècle, mais pas comme un pays libre même si nous avons la capacité à l’être. Jusqu’à présent nous avons démontré que nous sommes capables de lutter pour notre pays.

Démontrons à partir de maintenant que nous avons le droit, la volonté et l’intelligence pour organiser notre propre maison comme nous l’avons décidé.

Avant de poursuivre il nous paraît important de poser deux questions et d’y répondre. D’une part, comment est il possible que le Pays Basque à l’aube de l’an 2000 se retrouve avec la possibilité d’être un pays libre ? D’autre part, pourquoi le Pays Basque, à l’aube de l’an 2000 n’est – il pas encore libre ?

On peut répondre rapidement à la première question. Rapidement et avec honneur.

Nous ne pouvons oublier l’effort des basques par le passé, durant ces vingt dernières années grâce à l’engagement généreux de milliers d’hommes et de femmes audacieux grâce à qui nous sommes sur le point d’obtenir notre liberté.

Cette vérité/réalité est très présente dans les coeurs et les esprits des camarades de l’organisation Euskadi ta Askatasuna.

Nous ne serions pas là où nous en sommes, sans le sacrifice des citoyens et des compagnons assassinés par les armes de l’ennemi, sans la souffrance des citoyens et des compagnons qui ont subi la torture et les continuelles humiliations dans les casernes et les commissariats, qui jour après jour et en silence, mais toujours à leurs risques ont travaillé et travaillent en faveur de notre culture, de notre langue, de notre économie, de nos coutumes sociales, fuyant la routine et méprisant les actuelles lois étrangères tant espagnoles que françaises, nous ne serions pas là où nous en sommes non plus, sans la capacité d’endurance des citoyens et des compagnons qui supportent avec dignité les condamnations à des milliers et des milliers d’année d’emprisonnement et qui ont préparé l’avenir du Pays Basque.

Nous voulons ici adresser notre plus fervent hommage à tous ces citoyens, car ils ont constamment brisé les nombreuses chaînes qui nous barraient le chemin vers un avenir de liberté, aujourd’hui nous nous trouvons, à nouveau, à un moment historique rempli d’espoir.

Sans l’engagement de tous, il y déjà longtemps que le Pays Basque aurait disparu.

La seconde réponse par contre est plus douloureuse. Il faut ici examiner ce que chacun a fait dans des situations importantes comme celle que nous vivons aujourd’hui.

Il faut prendre en compte que si nous avons avancé nous ne l’avons pas fait autant que nous l’aurions dû.

La voie proposée il y a vingt ans par la Gauche Patriotique d’avancer vers la démocratie n’a pas été suivie. En conséquence le « monde » patriotique s’est séparé en deux : une partie accepte les lois que de facto nous impose l’Espagne, et pour riposter l’autre partie veut la rupture avec l’Espagne et utilise comme légitimes tous les instruments dont dispose un Peuple pour se défendre.

La première voie, celle de l’autonomie constitutionnelle a aggravé la division interne du Pays Basque qui sortait de la dictature de Franco.

Si auparavant nous étions soumis à deux états, à partir de ce moment s’ajoute la division faisant suite à l’autonomie.

Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons obtenu par la lutte ou nous l’avons obtenu par les ruses de l’ennemi pour affaiblir la lutte.

Cette première voie à rapproché toujours plus le Pays Basque de l’Espagne et de la France, nous condamnant à vivre tournés vers Madrid et Paris, il nous a fallu demander la permission aux étrangers au lieu de décider par nous mêmes et les espagnolistes se font fait arrogants.

Cela a renforcé les nouvelles frontières internes du Pays Basque séparant les citoyens basques les uns des autres alors que d’autres tels des mercenaires étaient conduits à accepter et défendre les lois espagnoles les utilisant contre d’autres concitoyens.

Ceux qui avons emprunté la seconde voie, malgré nos défauts et erreurs, avons maintenu vivant un projet de Pays Basque uni, libre et basque, confiants dans la capacité de travail et de création des citoyens, nous avons oeuvré pour surpasser la division institutionnelle et statutaire pour parvenir à la paix au Pays Basque, paix basée sur la justice et le droit démocratique. Le pari d’un projet de société propre au Pays Basque a porté ses fruits.

Nous voulons ici mentionner la stérilité et l’aveuglement de cet autonomie fractionniste, cela n’est pas rien de le constater sachant l’effort gigantesque fait par l’Espagne pour que l’autonomie soit le tombeau du Pays Basque.

Ceux qui, avec enthousiasme et bonne volonté, ont choisi cette voie de l’autonomie fractionniste se sont pourtant rendu compte qu’au lieu d’aller de l’avant ils sont restés bloqués, que cette voie ne mène pas à la liberté du Pays Basque.

Nous qui avons parié totalement pour le Pays Basque, sommes disposés à surmonter ce passé si récent et avancer ensemble remplis d’espoir vers un nouveau projet.

Pour résumer en quelques mots nous pouvons dire qu’au Pays Basque, il existe deux projets distincts, l’un qui croit au processus de construction du Pays Basque et qui croit qu’il est possible de créer une société plus juste, mieux enracinée et qui lutte pour cela, par contre l’autre projet veut continuer l’assimilation, l’aculturation et l’intégration entreprises voilà plusieurs siècles au nom de l’Espagne et de la France, qui voient le Pays Basque comme une quelconque partie du monde, sans aucune identité propre.

Au Pays Basque, il existe un conflit pour la langue et l’enseignement, une façon de concevoir la vie, un désir de construire par le biais de relations dans le travail, un modèle socio-économique différent.

Ce conflit est le conflit de toujours, ce qui a changé c’est d’avoir l’opportunité de faire un nouveau pas, opportunité surgie après un nouveau rapport de forces, pour sortir de ce conflit.

C’est cela le pari de ce moment historique, comment mettre en marche, tous ensemble, ce projet de Pays Basque.

S’il existe une volonté et l’intelligence chez ceux qui représentent la direction politique de ce Peuple, dans la société basque il existe une force et une intelligence suffisante pour y parvenir.

Vers quoi se dirigent les forces ?

Le Pays Basque, nous l’avons déjà dit, se trouve face à son avenir.

Nous sommes remplis d’espoir, mais cependant conscients de la grave situation que vit le Pays Basque et grandement préoccupés par le moment historique que nous vivons.

La clé principale de notre avenir dépend uniquement de la réponse affirmative ou négative à une question essentielle.

Vers quoi se dirigent cette fois las partis patriotiques ?

Connaissant notre histoire récente, cela nous préoccupe.

Il faut rappeler qu’il a vingt ans ces partis se sont soumis à l’Etat espagnol.

Sous prétexte d’une « danse de sabres » à ce moment et selon ce que nous savons, au Palais de la Moncloa et dans celui de la Zarzuela on a décidé de diviser encore un peu plus le Pays Basque, de continuer à lui refuser par les armes, le droit à l’Autodétermination qu’il possède …

Depuis lors, la Gauche Patriotique a défendu avec cohérence et souvent au prix de la vie le droit à la souveraineté du Pays Basque, alors que les autres forces politiques tombaient dans les filets de l’Espagne qui ressortait toujours plus renforcée.

Là aussi nous regardons l’avenir avec optimisme.

Il n’y a pas de comparaison possible entre le peu de fruits pourris récoltés ces vingt dernières années et ceux que nous pouvons récolter sur le chemin de la Souveraineté.

Ces années auront été longues, mais il est réconfortant de constater que d’autres se rendent compte des pas fondamentaux qu’ils faut accomplir pour conquérir l’Indépendance.

La liberté même plus tard, c’est mieux que la soumission d’aujourd’hui.

Cela ne veut pas dire que le chemin qui s’ouvre devant nous sera facile, ni remplis de difficultés.

Le pari actuel exige que tous les patriotes de gauche et les démocrates y répondent avec sincérité et dignité, surtout en constatant l’aveuglement de l’Espagne et de la France.

Nous souhaitons ardemment que la Gauche Patriotique ne soit pas la seule à travailler alors qu’il s’agit du labeur de tous, pourtant s’il n’en était pas ainsi nous continuerons avec la même énergie que par le passé, par le chemin que nous ont montré des milliers et des milliers de citoyens et combattants basques.

Face au défi.

Nous l’avons dit au début de ce communiqué, le défi et la caractéristique principale de la phase dans laquelle nous nous trouvons, est que le Pays Basque dans son intégrité, au delà des frontières des autonomies et des états, parvienne à la souveraineté.

Nous ne voulons pas uniquement « récupérer » l’occasion manquée il y a vingt ans, nous allons accomplir un pas plus important, nous devons construire les fondations de ce futur Pays Basque, le défi qui nous est lancé est celui de définir avec précision où nous allons construire notre maison.

Il n’y a pas deux ou trois Pays Basque, il n’y en a qu’un avec ses particularités et ses différentes réalités, aussi bien linguistiques, sociales qu’économiques ou au niveau de nos usages. Nous sommes un Peuple !

Tous les patriotes, tous les démocrates, tous les progressistes, prenant en compte ces différentes réalités, il nous faut travailler de front pour construire un cadre politique nouveau qui touche le Pays Basque dans sa totalité.

Pour ce travail enthousiasmant tous les acteurs de tout le Pays Basque ont leur place, la parole et leur part de labeur.

La conquête de la Souveraineté ne fait pas bon ménage avec la politique intéressée et partisane qui renforcent l’Espagne et la France.

Tous les accords et les espaces de collaboration avec l’Espagne doivent disparaître, accords obtenus dans le secret et qui maintiennent notre Peuple soumis sur le plan économique.

Il faut commencer à penser en tant que Pays Basque, entre tous. Assumer la véritable situation économique, linguistique, culturelle et sociale de notre pays.

Par la suite, il faudra impulser des projets qui concerneront le Pays Basque dans sa totalité concernant ses droits linguistiques, l’organisation territoriale, le développement économique et les droits sociaux.

Les forces en faveur de la Souveraineté du Pays Basque doivent parvenir à des accords minimums.

Pourquoi nous sommes face à une nouvelle opportunité ?

Une nouvelle fois le Pays Basque se trouve face à son avenir.

Suffit – il de croire que nous sommes dans une « nouvelle » situation ?

ETA après avoir réfléchi sur la nouvelle situation que nous vivons fait ici part de son analyse qui a permis la décision qui a été prise :

Grâce à la lutte de ces dernières années qui a rassemblé de nouveaux secteurs favorables à l’indépendance, il nous faut ici souligner l’avancée obtenue ces six dernières années.

Nous sommes passés d’une attitude de résistance à une pratique de construction.

Il faut dire que cette « amélioration de la situation » est due à la générosité de nombreux membres de la Gauche Patriotique et à la lutte organisée qu’ils ont menée. Le chemin pour parvenir aux objectifs ultimes de notre lutte et ce que nous avons obtenu ces dernières années est un nouveau pas vers ce qu’il nous reste à parcourir.

Que personne ne pense que nous ne devons pas nous améliorer, d’améliorer notre façon de travailler et autres.

Il est souhaitable que de temps en temps la Gauche Patriotique aimant si peu les flatteries reconnaisse que le travail effectué en valait la peine et que la lutte de libération est sur la bonne voie.

Dans cette si changeante situation, il faut signaler que le fait d’avoir socialisé l’Alternative Démocratique, qui a pris la relève de la vieillissante Alternative KAS, est très important.

Par le biais de cette nouvelle alternative de paix, ces trois dernières années s’est manifesté un concept de base : le besoin de donner la parole au Peuple, que le Peuple récupère la parole et que sa parole soit respectée Une nouvelle fois, nous avons été capables de socialiser le fait que le conflit entre le Pays Basque, l’Espagne et la France est politique. En plus de mettre entre parenthèses la légitimité « démocratique » des autorités espagnoles et françaises nous avons créé un concept positif, celui de la démocratie basque.

Des minimums démocratiques (Autodétermination et Territorialité) se sont fait jour, minimums que tout démocrate doit défendre pour mettre fin au conflit, une fois parvenus à une situation démocratique chacun aura la possibilité de développer son propre projet dans des conditions identiques. La Gauche Patriotique a aplani le chemin pour développer son propre projet politique et social.

Dans cette nouvelle situation, il faut souligner l’échec des structures institutionnelles fractionnistes que les états qui nous soumettent nous ont imposées sur le chemin de la liberté. Le cadre institutionnel imposé au Pays Basque est caduc.

Les forces impérialistes espagnoles et françaises sont les seules forces défendant le statut quo actuel.

Le Statut de la Moncloa, celui de la Navarre et la non reconnaissance des territoires basques sous domination française ne permettent pas de satisfaire les souhaits et les besoins des citoyens basques.

A ce jour, ceux qui ont défendu ces structures institutionnelles reconnaissent qu’elles ne permettent pas d’aller vers l’indépendance, convergeant en cela vers l’analyse faite par la Gauche Patriotique.

C’est pour cela que pour la première fois nous pouvons nous acheminer vers une seule voie de solution.

De la même façon que le cadre institutionnel est caduc, la « politique des pactes » imposés par les espagnols pour déformer la réalité politique et sociale des dix dernières années et détruire le projet indépendantiste s’épuise.

Cette politique des pactes ne pourrait que prolonger la souffrance au Pays Basque.

Ceux qui ont misé sur l’autonomie (les partis patriotiques, E.A et le P.N.V, le syndicat ELA et de nombreux vrais patriotes) se sont rendu compte de la stérilité de cette voie.

Ils démontrent maintenant la volonté de prendre un nouveau chemin, fuyant les pièges des espagnols et revenant vers les chemins du Pays Basque, rompant des liens et leur soumission avec l’Espagne ils parient résolument pour le Pays Basque.

C’est cela le choix : l’Espagne et la France ou le Pays Basque.

Les paroles démontrent une claire volonté de choisir le Pays Basque, parvenu à ce nouveau croisement nous devons agir avec le courage et la cohérence qu’exigé ce moment historique.

Les pouvoirs factices d’Espagne et de France n’ont aucune alternative politique pour le Pays Basque, en tous cas pas sans une nouvelle collaboration de partis comme E.A et le P.N.V. Entre «l’autonomie fractionniste » d’hier et d’aujourd’hui et la souveraineté basée sur l’Autodétermination et la Territorialité de demain il n’y a pas d’espace nouveau, si du moins on n’invente pas une fausse possibilité qui reportera une solution à vingt plus tard.

L’Europe est en train de se construire comme axe politique, social et économique, comme centre de décision des principaux thèmes, passant par Madrid et Paris, s’éloignant des structures des états qui nous soumettent directement. Sans un projet efficace d’indépendance, la soumission et la déstructuration dont souffre le Pays Basque s’aggravera, plus encore si nous n’avons pas d’alternatives pour faire front aux gigantesques projets d’uniformisation culturelle et économique mondiale.

Enfin, au Pays Basque, la volonté de la majorité de souhaiter la paix et d’y parvenir par une solution politique sensée s’est généralisée.

Cette volonté de paix, de négociation avec ou sans actions de ETA est reprise par tous. Il y à un grand changement par rapport à ce « désir de paix aseptique » d’il y a quelques années.

Dans la société basque s’est imposée l’idée d’une paix pactée qui apporte des solutions politiques et pratiques.

Ce besoin n’a pas seulement surgi pour « en finir » avec ETA, c’est la conséquence du fait que la société basque à mis en évidence l’origine politique du conflit, qu’elle a fait apparaître de nouvelles formes de lutte et a mis un arrêt ferme à l’agression subie par le Pays Basque.

Faire front à tous ceux qui sont et seront des ennemis de ce projet sera aussi le travail de tous, il est l’heure pour ceux qui ont déploré si souvent l’usage des armes de mettre en pratique une attitude si peu utilisée : la rébellion sociale. Nous disions que nous ne pouvions occulter la situation du Pays Basque.

Un projet consensuel comme celui que nous sommes en train de mener, nous permettra aussi d’affronter ensemble les conséquences dues à la posture de la France et de l’Espagne.

Pour cela aussi il faudra de F audace.

De l’audace pour dire que toutes les forces armées étrangères sont de trop sur notre territoire, pour aller de l’avant avec toutes les grandes et petites actions pour les expulser.

L’heure est venue d’intérioriser ce qui ne se fait pas et de commencer à travailler pour cela.

Quel est ce nouveau pas de ETA ?

Avant de communiquer notre décision nous croyons souhaitable d’éclaircir certaines choses à cause des spéculations et des nombreuses déclarations de ces jours derniers et dire ce que représente cette phase politique qui s’annonce. Il n’est pas juste que quelqu’un soit trompé par les propos des politiques de profession.

Le but n’est pas la pacification que propose Ardanza qui a mené pendant une longue décade « 1′ espagnolisation » dans la partie du pays qui lui correspondait, il s’agit encore moins de donner une « apparence » politique à cette « pacification » pour tranquilliser les consciences de la Gauche Patriotique.

Il faut être plus audacieux actuellement, car nous nous trouvons dans une situation complètement nouvelle.

Après le pas important accompli par Euskadi Ta Askatasuna ceux qui cherchent la « normalisation » tromperont la société avec une fausse paix qui ne changera rien et renforcera le cadre actuel.

Ce serait aussi faux que de dire que dans le conflit du Pays Basque ETA doit faire face à l’ennemi au moyen de la lutte armée.

Il n’y aura pas de paix si l’on ne respecte pas les droits du Pays Basque, c’est cela le noeud du conflit dont nous souffrons, on refuse ses droits au Pays Basque, nous ne sommes pas souverains pour structurer la société comme nous le souhaitons.

ETA a fait un pas, maintenant il faut que les autres s’intègrent avec audace dans l’espace qui vient de surgir. Ce n’est pas le moment de tergiverser, ni des calculs égoïstes ou partisans : il nous faut mériter le Pays Basque.

Déclaration :

Compte tenu de ce que nous dit précédemment, ETA, organisation basque, socialiste révolutionnaire de libération nationale rend publique la déclaration suivante destinée à la société basque et à l’opinion internationale :

1 – La construction du Pays Basque est le travail des citoyens, jusqu’à présent ce travail à été mené clairement et sans équivoque par la Gauche Patriotique.

Il nous a fallu parcourir un long, difficile et compliqué chemin, nous avons dû subir la répression et toutes sortes d’agressions. Pourtant grâce au travail réalisé, aujourd’hui nous avons l’opportunité pour que à partir de maintenant sur le chemin de l’indépendance du Pays Basque les responsabilités et les efforts soient partagés, et que des accords pour travailler ensemble se créent.

ETA pour sa part veut faire savoir que dans cette nouvelle phase d’accords, qu’elle manifeste une claire volonté d’avancer sur ce chemin et qu’elle attend autant de bonne volonté et d’efforts des autres intervenants.

2- ETA lance un appel aux partis politiques, aux syndicats, aux associations culturelles, aux organisations sociales et aux citoyens basques en général pour qu’ils prennent l’engagement nécessaire et accomplissent le chemin nécessaire afin que cette phase débouche sur la Souveraineté.

3- Le plus important pas à franchir concernera celui qu’il faudra accomplir pour dépasser l’actuelle division administrative des états, dans ce but, dès aujourd’hui il faut créer une structure institutionnelle unique et souveraine qui englobe l’Alava, la Biskaye, le Guipuzkoa, le Labourd, la Navarre et la Soûle.

4- Si pour y parvenir s’unissent les différents agents politiques et sociaux pour toute initiative qui dépasse l’actuelle division institutionnelle des états, ETA salue cette initiative et s’engage à la renforcer et à la défendre. ETA demande le même engagement et le même effort à ceux qui jusqu’à présent sont restés à l’écart de ce travail ou qui s’y sont montrés récalcitrants.

5- Les forces favorables à la construction et au respect des droits démocratiques du Pays Basque doivent créer et parvenir à des accords concernant les besoins minimums.

6- Le projet de Pays Basque s’oppose aussi bien à l’Espagne qu’à la France.

Ce conflit qui dure depuis siècles nous a appris que pour les citoyens basques il n’existe pas d’espace intermédiaire.

Nous avançons en tant que citoyens basques ou nous disparaissons en tant que peuple sous la domination de l’Espagne et de la France.

C’est pour cela que nous croyons inévitable que tous ceux qui sont d’accord avec les points traités antérieurement rompent leurs amarres et les accords avec ceux qui soutiennent les intentions dominatrices de l’Espagne et de la France l’heure est venue de parier sans équivoque en faveur de la Souveraineté.

L’heure est venue de briser les accords et les liens avec les partis politiques dont le but est la disparition du Pays Basque.

L’heure est venue de rompre tous les pactes avec les partis, les structures institutionnelles et répressives dont le but est la liquidation du Pays Basque et la construction de l’Espagne et de la France.

7- Prenant en compte la situation du Pays Basque, les possibilités et le désir d’aller vers la Souveraineté, Euskadi Ta Askatasuna (ETA) décide de mettre fin aux actions armées de manière indéfinie. Elle se consacrera uniquement au maintien de ses structures, a ses approvisionnements et à la possibilité de se défendre de possibles affrontements. Ce cessez le feu total prend effet le 18 septembre 1998.

8- L’objectif de tous étant que soit respectée la réalité du Pays Basque, ses droits et les décisions prises librement, l’objectif de ETA étant que la société basque prenne la responsabilité d’obtenir l’indépendance du Pays Basque, pleins d’espoir nous pensons que la réponse que nous allons recevoir sera aussi importante que la décision que nous avons prise et que les événements qui surviendront à partir de maintenant permettront de donner un caractère définitif à ce cessez le feu.

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Euskadi Ta Askatasuna : communiqué de juin 1977

Après 40 ans de domination personnelle absolue, meurt le dernier dictateur d’Europe.

Franco nous laissera comme héritage d’innombrables morts, torturés, prisonniers et exilés : un peuple, le nôtre, qui au bord même du génocide, pleure à grands cris sur les cendres ; une légalité politique sans partis, sans syndicats ni libertés d’aucun type ; un Monarque par la grâce divine et non celle du peuple ; et un Parlement qui, ne représentant personne, sinon une oligarchie, décide du destin non seulement du peuple espagnol, mais d’autres comme le nôtre dont il ne reconnaît même pas l’existence.

Ce sera ce Parlement qui approuvera, non sans de graves difficultés internes, la nouvelle loi de Réforme Politique de l’Etat.

Le Peuple Basque, une fois de plus, montrera l’inexistence de la prétendue unité de l’Espagne. En défendant son droit à décider de son destin, il refusera de reconnaître l’autorité de la chambre législative espagnole et fasciste, par l’abstention la plus forte au référendum.

La loi de réforme politique décidera les nouveaux organes législatifs, se réservant le droit, au dernier moment, de concrétiser la loi électorale qui indique les voies pour la participation populaire aux élections du Congrès et du Sénat.

Les élections se rapprochent et ETA comme toutes les forces politiques d’Euskadi doit donner son opinion à leur sujet.

Le Gouvernement Suarez prétend nous faire croire qu’il s’agit d’élections démocratiques par le seul fait d’admettre le suffrage universel secret et direct. Les différences entre ces élections qui approchent et celles d’un régime démocratique sont évidentes, du moins en Euskadi ;

la Monarchie ne peut être remise en question ;

certains membres du Sénat sont directement désignés par Juan Carlos ;

les partis représentant la ligne abertzale socialiste ne sont pas légalisés, leur action publique n’est pas tolérée ;

les syndicats sont illégaux ; notre langue demeure interdite sans la reconnaissance de son identité ;

le Peuple Basque continue à être politiquement institutionnalisé ;

les prisonniers et les exilés continuent loin de leur famille et de leur pays ;

les organisations populaires sont brutalement réprimées dans leur manifestation publique ;

les détentions et les emprisonnements continuent à se produire de façon arbitraire ;

la torture, bien que de façon plus sélective qu’à certains moments antérieurs, continue à être pratiquée dans des commissariats et des casernes de la Guardia Civil ;

les forces répressives espagnoles continuent à occuper notre territoire rendant impossible la moindre garantie de sécurité pour les militants abertzale-socialistes et une quelconque formule de coexistence pacifique.

Le Gouvernement Suarez a tenté avec un certain succès l’intégration du peuple espagnol dans son plan de réforme politique.

En Euskadi, cette tentative échoua et aujourd’hui il la répète par l’intermédiaire des élections.

Le Peuple Basque veut la paix.

Cela exige la création de voies démocratiques minimum au travers desquelles puissent se matérialiser ses aspirations sans nécessité de recourir à la violence.

Ces voies ne peuvent être autres que la solution positive aux négociations exposées auparavant ; solutions qui, selon nous, sont données dans le programme d’alternative de KAS.

En supposant que ce programme ne puisse aujourd’hui être offert par le Gouvernement Suarez, il existe au moins deux points qu’on ne peut ajourner parce que sans eux, les promesses du gouvernement espagnol de commencer à marcher sur le chemin de la démocratie n’offrent aucune crédibilité.

Ces deux points sont :

1) L’Amnistie totale.

Mais attention, il ne suffit pas de sortir les prisonniers des prisons.

On entend parler avec insistance d’un projet du Gouvernement selon lequel les prisonniers basques accusés d’exécutions seraient exilés ou relégués dans quelque endroit reculé de l’Etat Espagnol.

Nous voulons qu’il soit bien clair que cette solution n’est pas valable.

Le Peuple Basque a beaucoup lutté pour la liberté de ses militants et la relation des forces dans la conjoncture actuelle lui est clairement favorable.

L’AMNISTIE TOTALE SUPPOSE LE DROIT DE TOUS LES PRISONNIERS ET EXILES DE REVENIR DANS LEURS FOYERS AVEC TOUS LEURS DROITS DE CITOYENS.

Et, s’il vous plaît, qu’on ne nous dise pas que le gouvernement ne peut pas garantir leur sécurité.

Si c’est là le problème, nous leurs offrons une solution : qu’ils retirent d’Euskadi la Guardia civil, la Police armée et le Corps général de police, et le peuple basque créera lui-même des corps chargés de la défense des citoyens.

2) Des libertés démocratiques minimales, comme l’absolue liberté de réunion, d’association et d’expression de toutes les tendances politiques existant en Euskadi ; le droit à la manifestation et à l’égalité d’accès de toutes les forces politiques basques aux moyens de communication de masse officiels et à la subvention d’Etat.

Sans ces conditions minimales, le Peuple Basque ne peut considérer ouvert, ni même entrouvert, le chemin vers la démocratisation de l’Etat.

Il ne peut non plus légitimer par son vote un régime qui se maintient par l’unique force des armes.

Si le gouvernement ne satisfaisait pas à ces conditions au plus tard un mois avant la date prévue pour les élections, ETA appelle le Peuple Basque à l’abstention et proclame sa volonté de relancer la lutte armée jusqu’au succès du programme d’alternative du K.A.S.

Le Peuple Basque veut la paix, mais celle-ci exige la liberté.

Si le gouvernement refuse d’ouvrir le chemin qui y mène, que personne nfaccuse ETA ni le Peuple Basque de recourir à d’autres chemins comme celui de la lutte armée.

Il est possible que certains partis basques, s’abritant derrière mille excuses (il y a toujours des raisons même pour la trahison) se sentent tentés de se rendre aux élections législatives sans la réalisation des deux conditions fixées, se réfugiant derrière les privilèges que leur offre la défense d’intérêts étrangers à ceux des couches populaires basques dans le but de rechercher le pouvoir : qu’ils sachent qu’ils le font en marge du consensus populaire librement exprimé, qu’ils soient conscients qu’ils se convertiraient non seulement en ennemis de la liberté mais aussi en supports d’une monarchie fondamentalement dictatoriale et en agents continuateurs de la répression que notre peuple supporte depuis déjà trop de temps.

Et que ces basques-là qui aideraient ces partis sachent qu’avec leur vote ils aident au maintien d’une dictature qui, pendant presque un demi-siècle, a essayé par les moyens les plus sanglants d’en finir avec notre peuple et de perpétuer l’exploitation des travailleurs, arrantzales (pêcheurs), baserritarra (paysans), techniciens, employés, petits commerçants, etc., de tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre gagnent leur pain à la sueur de leur front.

AUX ELECTIONS OUI, MAIS AVEC UNE AMNISTIE TOTALE ET DES LIBERTES DEMOCRATIQUES.

SANS ELLES NON.

VIVE L’EUSKADI LIBRE ! VIVE L’EUSKADI SOCIALISTE !

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Euskadi Ta Askatasuna : Le prolétariat devant l’oppression nationale d’Euskadi (1970)

En guise d’introduction 

« Quiconque s’attend à voir une révolution sociale pure, dit Lénine, ne la verra jamais.

Et il ne sera qu’un révolutionnaire de pacotille qui ne comprend rien de ce qui constitue une vraie révolution. »

Dans sa Lettre aux ouvriers américains, il dit encore : « Quiconque ne peut « admettre » la révolution du prolétariat sinon à condition qu’elle se déroule avec facilité et sans heurts, qu’on en arrive tout de suite à l’action commune des prolétaires de tous les pays, que l’éventualité de défaites soit exclue a priori, que la révolution suive un chemin large, dégagé, très droit…, celui-là n’est pas un révolutionnaire. »

L’histoire de l’E.T.A. est sans aucun doute l’opposé d’une trajectoire rectiligne, claire, sans erreurs.

Dans Zutik ! 72 nous avons parlé de cette démarche contradictoire et chancelante et des ambiguïtés qui ont marqué nos douze années d’existence par suite du cadre idéologique nationaliste-inter-classiste dans lequel nous opérions.

Rupture avec le nationalisme

Pendant la dernière période, il s’est produit à l’E.T.A. une rupture, un hiatus ; moment culminant de son histoire, mais aussi, en un sens, « retournement contre elle ».

Ce fut la rupture avec l’idéologie nationaliste et avec les manifestations de cette idéologie dans la pratique politique.

Il est certain que, sans les progrès partiels antérieurs, une telle rupture n’aurait pas eu lieu.

Et c’est pourquoi il faut bien souligner qu’elle ne devait pas se produire « nécessairement ».

N’oublions pas que le groupe fractionnel exclu de l’E.T.A. il y a un an est le produit de la même histoire.

Les tentatives de changement enregistrées au long de notre trajectoire organisatrice se sont maintenues jusqu’ici à l’intérieur d’un cadre idéologique et de présupposés doctrinaux qui, s’ils assuraient la cohésion e l’ensemble de nos activités, n’ont rien à voir avec une organisation révolutionnaire du prolétariat et concernent directement le nationalisme bourgeois.

« Le nationalisme bourgeois et l’internationalisme prolétarien, dit Lénine, sont deux mots d’ordre irréductiblement opposés qui correspondent à deux grands groupes de classes du monde capitaliste et qui traduisent deux politiques (mieux encore : deux conceptions du monde) sur la question nationale. »

Nous devons être très clairs sur ce point.

C’est à dessein que nous avons employé le mot « rupture ».

Une critique à partir des positions actuelles de nos pratiques antérieures est qualitativement différente de celle que nous pouvions formuler en 1967 par exemple, à propos de la politique e xercée depuis quatre ou cinq ans.

Il s’agirait dans ce cas de nous autocritiquer à cause de certaines erreurs concrètes, de fautes plus ou moins conjoncturelles, d’omissions dans l’application conséquente des principes qui nous servaient de base.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de critiquer ces erreurs sans refuser l’ensemble de ces principes, sans les réfuter globalement.

Disons-le une fois pour toutes : pas de critique sans attaquer la doctrine traditionnelle de l’E.T.A. et son activité politique concrète.

C’est pour cela que nous affirmons qu’il est question non pas d’une étape au cours d’une évolution sans solution de continuité, mais, au pied de la lettre, d’une scission, d’une rupture, la scission de l’E.T.A. avec le nationalisme.

D’ores et déjà, avant de continuer, il nous faut préciser un point : nous sommes conscients du fait que consacrer un numéro de Zutik ! à réfuter explicitement l’idéologie nationaliste basque ne peut que choquer et scandaliser certains.

Si, malgré tout, nous persistons à le faire, c’est que nous sommes convaincus qu’à ce moment le progrès de la révolution en Euskadi passe par le combat contre les principales manifestations de l’idéologie nationaliste dans le terrain de la pratique politique : l’alliance de classes, ainsi que le chauvinisme et toute autre forme de mesquinerie et d’exclusivisme nationaliste.

Nous sommes également convaincus de la nécessité et de l’urgence d’éviter toute équivoque et toute ambiguïté à ce sujet.

a) Peuple et classe

Par la nature de l’idéologie en général et celle du nationalisme en particulier, l’idéologie nationaliste se manifeste historiquement comme une force de cohésion entre les différentes classes qui constituent la collectivité nationale opprimée.

Si l’on souligne de façon exclusive ce qu’il y a de commun entre ces classes au sein de la nation (culture, histoire, tradition…), l’on camoufle, à des degrés divers, les contradictions réelles qui opposent ces classes entre elles.

Le P.N.V. par exemple, expression politique des intérêts de la bourgeoisie non monopoliste basque, a essayé historiquement d’entraîner tout le peuple basque derrière l’étendard nationaliste, pour défendre ses propres intérêts de classe, et en est arrivé à créer son syndicat autonome jaune.

Le but étant d’intégrer en un même clan la classe ouvrière basque et « sa » bourgeoisie, qui se présentait comme le porte-parole des droits nationaux de notre peuple.

Et c’est ici précisément que se situe la rupture idéologique dont nous parlions.

Rupture avec l’alliance « interclasses » inhérente à l’idéologie nationaliste.

Au long de notre histoire il y eut des approches successives à cette rupture.

Ainsi par exemple, le texte « Idéologie officielle de l’E.T.A. », élaboré à la deuxième séance de notre cinquième Assemblée (mars 1967), dit en essayant de définir l’idée de « nationalisme révolutionnaire » : « La libération nationale… (est) la négation totale d’une réalité actuelle oppressive, ce que seul le peuple travailleur basque (P.T.V.) peut effectuer à cause de sa condition de classe exploitée. »

C’est dans le même sens que, dans le numéro de mars 1969 de Zutik !, nous disions que « notre libération nationale est notre libération de classe ».

Et aussi : « Le caractère national de notre oppression et celui de notre lutte nous sont donnés par le fait même d’être des travailleurs.»

Cependant, on continue à considérer le P.T.V. comme un agent de changement révolutionnaire à propos de quoi il y a différentes définitions, souvent contradictoires, selon les nécessités tactiques de l’instant.

Pendant les périodes de faiblesse organisationnelle, quand on insiste surtout sur les consignes frontistes, le P.T.V. est constitué de « toutes les classes et couches sociales non monopolistes».

A d’autres occasions, il s’agit de façon plus restreinte de «ceux qui vendent leur force de travail dans une situation de dépendance nationale ».

Ces ambiguïtés n’étaient pas dues uniquement à de l’incohérence théorique, ou au manque de rigueur scientifique.

C’étaient, pour ainsi dire, des ambiguïtés nécessaires au sens où elles étaient déterminées historiquement par le cadre idéologique nationaliste où nous opérions.

C’est-à-dire : « Le nationalisme comme idéologie conduit nécessairement à ces ambiguïtés. »

Lénine dit : « Le marxisme est irréconciliable avec le nationalisme, même avec le nationalisme le plus « juste », le plus « pur », le plus « fin et civilisé ». »

Devant le tribunal militaire qui allait les condamner à mort, Eduardo Uriarie et d’autres camarades déclarèrent sans ambages, et sans équivoque possible : « Nous sommes marxistes-léninistes. »

L’E.T.A. devait ratifier officiellement cette déclaration dans Berriak-2, daté du 29 décembre.

Cependant personne n’est marxiste-léniste sur la foi d’une seule affirmation.

C’est sur le champ de la lutte concrète, sur le champ de la lutte de classes, de la lutte quotidienne contre l’ennemi que les affirmations et les slogans se révéleront authentiques et exprimeront leur véritable contenu.

Nous sommes ce que nous faisons, nous nous définissons par notre action.

C’est dans ce sens, et sans que pour cela nous épuisions le contenu de l’expression, qu’être marxiste-léniniste implique un objectif concret : la lutte pour la révolution prolétarienne.

C’est-à-dire, selon Marx, « la lutte pour la libération du prolétariat et l’abolition du travail salarié ».

Et non pas, sous une forme plus ou moins générique, la lutte pour « les intérêts nationaux » ou pour « la libération du peuple », ou de façon plus abstraite encore pour « les opprimés », mais très concrètement la lutte pour les intérêts de la classe des travailleurs et pour leur libération totale.

Cela ne signifie pas qu’il y ait nécessairement une contradiction entre les intérêts du peuple basque en tant que tel, et ceux de la classe ouvrière, entre la nationalité basque opprimée et le prolétariat en tant que classe.

A chaque étape historique, il y a une classe à l’avant-garde, une classe qui porte en elle le germe du bouleversement social, le germe de la révolution.

En ce sens, cette classe se fait le porte-voix exprès des intérêts de la société dans son ensemble.

Il est important de préciser clairement dès maintenant que cela ne doit pas signifier l’oubli du rôle important, quoique subordonné, que certains secteurs de la petite bourgeoisie — et non seulement des étudiants — sont tenus de jouer dans les révolutions futures.

En particulier dans le cas des nationalités opprimées, Marx le rappelle, dans la lettre à Annenkoy, en signalant, toutefois, les contradictions nécessaires et les ambiguïtés qui font de la petite bourgeoisie un allié hésitant et peu sûr.

Ce qu’il faut, c’est comprendre combien il est important que la direction de la lutte soit assurée par la seule classe révolutionnaire de façon conséquente jusqu’à la fin, combien il est important que le prolétariat (et non seulement son représentant, le parti) exerce sa mission historique de classe d’avànt-garde.

A notre sens — et ainsi que nous tenterons de le montrer à travers cette série d’articles –, les conditions sont enfin données en Euskadi pour que la classe ouvrière arrache des mains de la bourgeoisie nationaliste le drapeau que celle-ci monopolisait, et qu’elle dirige la lutte pour la liberté nationale à l’intérieur du processus global de lutte pour le socialisme.

En outre, nous pensons que c’est seulement dans la mesure où cela se produira, dans la mesure où ce sera le prolétariat qui dirigera la lutte des masses basques (en entraînant les secteurs les plus progressistes du peuple, et non pas au contraire en se laissant entraîner par eux), que l’Euskadi sera libre.

En conclusion, c’est exclusivement en fonction des intérêts spécifiques du prolétariat en tant que classe que nos analyses et notre pratique concrète de lutte devront être réalisées.

En fonction de l’objectif final (émancipation de la classe ouvrière et abolition du travail salarié) et non en fonction des « intérêts nationaux de l’Euskadi », « ce que veut le peuple », etc., nous nous allierons avec certains secteurs de la bourgeoisie, nous nous inclinerons ou non, à un moment déterminé, pour la séparation, nous poserons et nous réaliserons notre stratégie, notre tactique, notre pratique politique journalière.

b) Nationalisme — internationalisme

La scission avec l’idéologie nationaliste ne se traduit pas seulement par une rupture avec l’alliance de classes sinon, parallèlement, par l’affirmation nette de la solidarité de classe du prolétariat à un niveau international.

Et cela aussi bien entre les ouvriers des différentes nationalités soumises à un même Etat bourgeois qu’entre les ouvriers d’Etats différents.

Pour la classe ouvrière, l’internationalisme n’est pas une simple relation de fraternité abstraite, un problème d’affinité entre les êtres humains, mais une nécessité, la condition préalable à son émancipation totale.

Cette nécessité est imposée autant par la nature de l’objectif historique de la classe ouvrière que par le caractère même de l’ennemi.

A l’« Internationale impérialiste du capital », Marx proposait d’opposer « non pas des discours sur la fraternité, mais la vraie fraternité de la classe ouvrière ».

Sa position, comme celle de Lénine, est aussi éloignée de l’internationalisme abstrait de ceux qui, comme Proudhon, considéraient que le problème national « n’est pas autre chose qu’un préjugé bourgeois », que du nationalisme bourgeois, qui tend à subordonner les intérêts de la classe ouvrière aux « intérêts nationaux », au nom desquels on essaie de camoufler les véritables contradictions entre une partie de la nation (les exploités) et l’autre partie de cette même nation (les exploiteurs).

Dans la théorie marxiste, la subordination des droits et des intérêts généraux de la classe ouvrière et de la révolution constitue l’idée centrale à ce propos.

Mais cela ne peut être aucunement interprété comme un abandon nihiliste du problème. La classe ouvrière, fidèle à sa mission libératrice, ne peut rester indifférente devant aucune forme d’oppression.

Elle devra lutter résolument contre tout privilège accordé à une nation ou à une langue, contre toute forme d’inégalité nationale.

Elle devra lutter pour l’égalité de tous les peuples en affirmant en outre, sans ambiguïtés, l’unité de la classe ouvrière sur les « intérêts nationaux », par-dessus la mesquinerie, l’exclusivisme et le chauvinisme nationalistes.

Avant de pénétrer définitivement dans le vif du sujet, il convient de faire quelques remarques d’ordre méthodologique :

1. Le titre du travail («Le prolétariat devant l’oppression nationale d’Eus- kadi ») indique quel est son thème concret.

Quoique nous devions néces- sairement nous référer à des thèmes plus généraux, l’objet de ce travail n’est pas la « question nationale », mais plutôt l’un de ses aspects, tel qu’il se présente politiquement à l’heure actuelle et en Euskadi

2. Nous sommes conscients qu’« une citation n’est nullement une démons- tration », mais elle illustre le texte, où l’on suivra à proprement parler la trame de l’argumentation.

Si, à cette occasion, nous avons introduit, contrairement à notre habitude, des citations de Lénine, de Marx, etc., ce fut dans cette intention « illustrative ».

L’« analyse concrète d’une situation concrète », qui doit servir de fondement à toute recherche marxiste, est bien l’opposé de la méthode — que nous avons rencontrée plus d’une fois — qui consiste à changer de ligne politique sur des problèmes graves (par exemple : scission ou non-scission), sans que l’analyse de la situation réelle ne varie le moins du monde, uniquement parce que l’on a trouvé de nouvelles citations de Lénine sur le sujet.

3. Lorsque nous parlons de «nationalisme» ou d’« idéologie nationaliste», il faut éviter de confondre avec le concept de « patriotisme ».

Cette distinction pourrait être réfutée par des arguments étymologiques : patrie dérive de -fratia qui prend, à partir du XVIIIe siècle (montée du libéralisme) le sens idéologique de « fraternité, lien de parenté entre frères », entre tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance de classe.

Le dictionnaire lui-même ajoute cependant une nuance chauvine au concept en définissant le patriotisme comme T« exaltation des valeurs subjectives de la patrie».

Par ailleurs, dans les pays slaves et d’Europe centrale où l’idée de nationalisme s’est élaborée politiquement, le terme de « nation » a un sens anthropologique.

Dans les pays slaves, narod exprime tout autant l’idée de « peuple » que celle de « nation », et le dérivé narodnost que l’on traduit habituellement par « nationalité » est également employé au sens d’« ethnie » dans le contexte de l’anthropologie culturelle.

Quoi qu’il en soit, nous maintiendrons cette distinction devenue classique maintenant dans la littérature marxiste, surtout à partir de l’offensive fasciste des années trente.

Dans Berriak 7, nous affirmions que l’élément principal de cohésion du fascisme au niveau idéologique est précisément un furieux matérialisme, qui crépite surtout dans la petite bourgeoisie, laquelle a constitué la base sociale par excellence du fascisme dans l’Italie de Mussolini, en Allemagne nazie, etc. De façon significative, tous les historiens de la guerre civile espagnole parlent de « républicains » d’un côté et de « nationalistes », en se référant aux franquistes, de l’autre.

Sans doute, il est nécessaire de distinguer entre nationalisme de grande puissance («l’Espagne a une vocation impériale», peut-on lire dans le programme de la Phalange) et le nationalisme d’une nation opprimée, lequel a normalement, comme dans le cas du nationalisme basque, un contenu démocratique général.

Toutefois, le tronc idéologique (nationalisme) est le même et il se maintient sur l’alliance de classes, sur une prétendue unité d’intérêts des différentes classes « nationales ». Pour renforcer cette unité, il convient de souligner, sur un mode chauvin, les différences nationales en les considérant absolues.

C’est en ce sens, en ce qu’il s’appuie sur la dissemblance, sur le particularisme et non sur l’égalité des droits de tous les peuples, que le nationalisme est l’opposé idéologique de l’internationalisme.

ORIGINE DE L’OPPRESSION NATIONALE

— L’oppression nationale, comme toute oppression est une oppression de classe.

— En d’autres termes, la forme particulière de l’oppression de l’homme par l’homme, l’oppression nationale, est une manifestation de la lutte de classes.

— L’existence des classes est unie à des phases historiques déterminées du développement de la production. De même, les manifestations concrètes de la lutte de classes sont unies aux développements historiques concrets des relations de production.

— Par conséquent, l’oppression nationale n’est pas seulement une oppres- sion de classe, mais très concrètement une oppression de classe déterminée historiquement.

— L’oppression nationale en tant que telle n’existe pas depuis toujours [1].

Elle apparaît à un moment précis du développement des formes productives.

Dès que les formes de production féodales sont liquidées pour l’essentiel, la classe montante, la bourgeoisie doit liquider en même temps les formes des superstructures (administration, lois, idéologie — en particulier sous la forme de religion catholique) qui s’étaient fossilisées dans la société comme les vestiges de l’étape antérieure.

Ces fossiles constituent un frein pour l’expansion économique.

Au niveau idéologique, la conception médiévale qui considérait la politique et l’économie comme des branches de la morale (qu’il suffise de rappeler l’emprunt avec intérêt considéré comme un «péché d’usure») est remplacée par la nouvelle idéologie de la raison, de la patrie (fratio), de la liberté, etc.

A chaque étape historique, la classe montante, afin d’en arriver à se constituer en classe dominante (et, plus tard, afin de se maintenir dans cette position) doit « universaliser » sa propre revendication de classe et, dans ce but, étendre à toute la société sa propre conception du monde.

Les philosophes bourgeois du xvme siècle développèrent (en la rendant universelle) leur idéologie de classe : liberté, égalité, fraternité devint le mythe-emblème de la Révolution française de 1789.

La bourgeoisie utilise ses propres mythes pour entraîner à sa suite et dans sa lutte tout le peuple. Ce fut le « bas peuple » de Paris qui prit la Bastille, qui lutta pour renverser la monarchie, pour instaurer l’Assemblée, la « démocratie », la « liberté ».

Et sans que celui-ci s’en doute, cette liberté en général a été de l’idéologie pure et simple qui dissimulait la liberté de commerce, concrètement la liberté d’exploitation : liberté pour les bourgeois et sacralisation de leur propriété privée.

Quant à l’égalité, les individus sont « égaux dans la mesure où le sont leurs capitaux » (Engels).

Pour le bourgeois, cette représentation idéologique n’est pas reçue seulement comme une ruse qu’il utilise en toute lucidité pour abuser autrui.

Il lui faut d’abord croire en son propre mythe. L’image que la réalité lui renvoie quotidiennement de son attitude concrète (bourgeois = exploiteur) lui serait insupportable à moins de déguiser sa relation réelle dans la société en une.relation imaginaire grâce à sa réputation idéologique.

Sa revendication maximale va être l’Etat national.

Ce sera en même temps la mystification maximale.

Ce qui est en réalité l’expression politique de ses intérêts de classe particuliers et, par voie de conséquence, la machine chargée de réprimer les classes exploitées sur lesquelles s’exerce sa domination, va être proposé comme l’arbitre impartial des grandes querelles entre citoyens.

Adam Smith, le plus grand économiste libéral, déclare que de « la jonction de beaucoup d’égoïsmes particuliers résulte le bien-être pour la société dans son ensemble », si l’on donne à l’Etat le rôle d’arbitre chargé d’établir et de faire respecter la règle du jeu selon lequel ces « égoïsmes particuliers » vont se heurter.

De cette manière seront justifiées en même temps la libre compétence, la moralité et la neutralité de l’Etat.

La détermination du cadre où cet Etat réalise sa fonction est également l’expression des intérêts de la classe dominante à chaque étape de son développement historique et du développement, des forces productives.

La naissance et la formation des « Etats nationaux » (qui sont en Europe pour la plupart multinationaux ») sont le reflet de ces intérêts à l’étape du capitalisme ascendant. A cette étape, la bourgeoisie doit, d’un côté, instaurer des frontières rigides afin de se protéger de la rivalité des autres Etats et, par ailleurs, unirier des marchés suffisamment importants pour offrir un débouché à sa propre puissance productive et assurer un rythme d’expansion convenable à cette puissance.

Ces marchés «nationaux» se forment sur la base de l’existence des intérêts communs des bourgeoisies, qui ont surgi localement dans chaque unité économique de l’époque féodale. C’est ainsi qu’en Europe des peuples na-tionaiement différents ont été intégrés à des unités étatales multinationales ou encore, comme c’est le cas pour Euskadi, sont divisés en deux Etats différents [2].

Afin de renforcer l’unité de ces Etats, les bourgeoisies des différentes nationalités qui y sont intégrées entreprennent d’éliminer (car elles ont un intérêt de classe commun) tout ce qui peut s’opposer à cette unité : elles s attachent à bloquer l’histoire et la culture de ces nationalités, à commencer par la langue nationale.

L’unification administrative et juridique est entreprise en éliminant la législation locale quelle qu’elle soit, toutes les libertés, les franchises, ou les privilèges [3].

Ce n’est pas que cette bourgeoisie montante apparaisse tout d’un coup, avec la création des premiers comptoirs.

Au 18ème siècle, elle devint la classe dominante, mais son origine est beaucoup plus ancienne.

Le capitalisme (et avec lui le capitalisme bourgeois) est né au sein de la féodalité.

Ce n’est qu’une fois établies les formes capitalistes de production que s’est brisée la superstructure politique féodale.

Parfois le processus fut progressif, mais les relations capitalistes de production apparaissent toujours en premier lieu dans l’industrie ; les contraintes féodales dans l’agriculture sont éliminées postérieurement, la superstructure politique étant alors liquidée.

En Euskadi, depuis l’apparition au XIII et au XIVe siècle, d’une bourgeoisie commerciale basque naissante, fondée sur le commerce de la laine et du fer avec la Baltique et installée dans les villes (villas), jusqu’à la liquidation définitive des franchises en 1876, ce qui se produisit, ce rut le lent affrontement de la forme sociale capitaliste avec la forme sociale féodale.

La classe qui représentait le progrès historique à ce moment, la bourgeoisie donc, imposa et il ne pouvait en être qu’ainsi, son intérêt de classe particulier et, par là même, les formes de superstructures correspondantes au mode de production qu’elle représentait.

Ainsi, quand nous disions que l’oppression nationale d’Euskadi est une oppression de classe historiquement déterminée, notre but est d’indiquer comment, à une étape donnée du développement des forces productives, la bourgeoisie a dû opprimer le peuple basque dans sa nationalité afin de pouvoir réaliser, et plus tard maintenir, les intérêts qu’elle représentait en tant que classe.

LES DIFFERENTES CLASSES FACE A L’OPPRESSION NATIONALE

L’oppression nationale, dont nous venons de voir. l’origine de classe, s’exerce sur l’ensemble de la collectivité nationale. Cependant, les réponses que les différentes classes opposeront à cette oppression vont différer. Dans le cas de l’Euskadi :

— La grande bourgeoisie, qui se consolide à la fin du siècle comme un ré- sultat de la fusion du capital industriel et du capital bancaire, n’a jamais été nationaliste, pas même étatiste, sinon férocement centraliste, de même que la grande bourgeoisie catalane, castillane ou andalouse.

Leurs intérêts ont toujours été liés à l’unité de l’Etat espagnol, qui leur proportionnait un marché étendu, une main-d’oeuvre à bon compte provenant des zones rurales sous-développées et des dispositions tarifaires protectionnistes.

— La petite ou la moyenne bourgeoisie (c’est-à-dire la bourgeoisie non monopoliste) basque, dont la montée est liée à la montée de la grande bour- geoisie, se trouve cependant opposée à cette dernière en ce que la concen- tration monopoliste que celle-ci représente suppose sa liquidation en tant que classe autonome.

Sur la base de ses contradictions avec la bourgeoisie monopoliste, le sentiment national surgit en elle.

Ce sentiment national, per- sécuté par la grande bourgeoisie, se transforme en idéologie nationaliste et en alliance de classes.

C’est ainsi qu’elle essaiera d’entraîner la collectivité na- tionale opprimée pour défendre ses intérêts de classe, qui l’opposent — nous insistons là-dessus — aussi bien au grand capital qu’au prolétariat.

Les caractéristiques particulières du processus d’industrialisation du pays (1. rapidité; 2. comme base au capital financier; 3. de rapide concentration) font qu’il reste à peine une faible marge pour une moyenne bourgeoisie à l’image de celle qui constitue la base sociale du nationalisme catalan.

Mais simultanément ces caractéristiques et, en même temps, le processus de concentration précoce centuplent le nombre de comptables, petits commerçants, rentiers, employés de banque, propriétaires de petits ateliers auxiliaires, etc., couches sociales qui se joignent aux baserritarras (petits fermiers — paysans) et aux arrantzales d’une part, au clergé et aux professions libérales d’autre part et qui constituent la base sociale la plus importante du nationalisme basque.

— La classe ouvrière apparaît divisée face au problème de l’oppression nationale.

D’abord, une fraction importante du prolétariat d’origine basque se laisse entraîner par l’idéologie cléricale, patriotarde et anticommuniste des bourgeois du P.N.V. à qui elle laisse le soin de trouver la solution du pro- blème. La création d’une centrale syndicale chrétienne implique de la part du P.N.V. (le S.O.V. en 1911) des intentions clairement intégrationnistes.

Ce qui n’empêche pas celle-là de provoquer certaines tensions de gauche à l’in- térieur de l’a famille nationaliste aux périodes d’agitation convulsive de la lutté de classes (par exemple en 1934, pendant l’insurrection des Asturies).

Par ailleurs, une autre fraction conséquente du prolétariat assimile rapidement l’expérience de la lutte de classes et s’affirme, avec les mineurs des Asturies, comme la classe’ ouvrière la plus combative de la péninsule.

Entré 1890 et 1906, quatre grèves générales éclatèrent (« l’état de guerre » ayant été décrété en mai 1890 et pendant l’été 1903) et dix-sept grandes grèves partielles.

Le centre de gravité de ces combats se situe dans la zone minière et industrielle de la rive gauche du Nervion.

L’organisation politique ouvrière la plus influente de l’époque est le parti socialiste, dont le premier centre fut créé à Bilbao en 1886.

En 1904, Tomas Meabe, qui représentait le patriotisme socialiste naissant, fonda la « Jeunesse socialiste (Juventud socialista).

Néanmoins, ni Meabe, ni Arteta, ni: les autres socialistes de l’époque n’arrivèrent à faire changer la politique globale du P.S.O.E. en ce qui concerne le problème de l’oppression nationale ; ce qui est envisagé comme une tentative bourgeoise et n’a rien à voir avec la classe ouvrière. C’est ainsi que la lutte contre l’oppression nationale s’abîme pitoyablement aux mains des classes moyennes, lesquelles à travers le P.N.V. profiteront de cette circonstance pour entraîner de larges secteurs de travailleurs à la défense de leurs intérêts de classe.

Incapacité de la petite et de la moyenne bourgeoisie de résoudre le problème de l’oppression nationale

L’industrialisation de l’Euskadi et, avec elle, l’instauration définitive du mode de production capitaliste et l’apparition du prolétariat comme la classe la plus forte numériquement se produisent au dernier tiers du XIXe siècle et se consolident définitivement après la Première Guerre mondiale. A cause des conditions particulières de ce développement, la révolution économique et sociale n’est pas accompagnée au niveau politique de la révolution démocratique bourgeoise correspondante.

Le problème de l’oppression nationale, qui avait été résolu tant bien que mal 4 dans la majorité des pays qui réaliseront leur révolution bourgeoise au xixe siècle, reste une question pendante et fait partie des revendications démocratiques générales dans les pays où le mode de production capitaliste s’est instauré, comme dans la Russie tsariste ou l’Etat espagnol, sous des formes politiques autocratiques.

Ce qui revient à dire que la révolution industrielle du Pays basque se produit :

a) Sans la révolution politique démocratico-bourgeoise correspondante.

b) Tardivement. Non pas à la phase concurrentielle du capitalisme montant, mais à la phase impérialiste du capitalisme.

Chacune des classes qui, dans leur ensemble, constituent la collectivité nationale opprimée agit, par rapport à la revendication nationale, avec les mêmes caractéristiques qui les différencient dans la lutte démocratique en général, dont cette revendication fait partie. Ces caractéristiques sont déterminées par leurs intérêts de classe et ceux-ci, à leur tour, par la place qu’ils occupent dans les relations de production.

Chacune de ces classes essaie d’« universaliser » sa propre revendication.

De la sorte, la bourgeoisie non monopoliste basque essaie d’universaliser sa revendication de classe sous le couvert d’une mystification du genre « intérêts nationaux », « autogestion du capital et du travail », « réalisons d’abord l’Euskadi libre, nous déciderons plus tard qu’elle soit capitaliste ou communiste », etc.

Plus loin, il apparaîtra jusqu’à quel point cette universalisation est tout simplement idéologique. Ce qu’il importe de souligner ici, c’est que, au niveau de l’histoire, la seule classe qui ait assumé politiquement la revendication nationale basque a été cette bourgeoisie non monopoliste, et que son échec n;est pas fortuit mais au contraire qu’il est nécessaire.

Nous l’avons déjà dit : à chaque étape historique, il y a une classe qui marche dans le sens de l’histoire en défendant ses propres intérêts de classe, et qui assume pour ainsi dire la responsabilité du devenir de la société dans son ensemble.

D’où Marx a constaté dans le Manifeste le rôle révolutionnaire important que joue la bourgeoisie.

Mais une fois cette étape révolue, les classes qui s’agrippent au passé (que ce soit pour maintenir leurs privilèges ou que ce soit pour les reconquérir) deviennent réactionnaires.

En défendant ce qui est caduc, elles s’opposent au progrès de l’humanité et de l’histoire, et la destruction devient leur destin inévitable et nécessaire.

Elles ne sont révolutionnaires que dans la mesure où elles abandonnent leur point de vue particulariste et qu’elles adoptent, devant l’imminence du changement, le point de vue de la classe montante.

Les paysans carlistes qui prennent le maquis, vers le milieu du siècle dernier, afin de défendre leurs privilèges passés posent leurs revendications de manière réactionnaire : ils revendiquent le retour au passé, à la société féodale, à l’absolutisme monarchique, à l’idéologie et l’organisation cléricales de la communauté, car les privilèges présentaient à ce moment précis un obstacle légal au développement des forces productives (rappelons l’article sur les privilèges de Bizkaia interdisant l’exportation du minerai de fer), comme l’étaient les coutumes cléricales pour l’institution monarchique telle que la concevait le prétendant et ses partisans.

A notre époque, à l’époque de l’impérialisme (stade suprême du capitalisme) seule une société socialiste constitue une issue possible au système actuel.

Le retour au capitalisme compétitif de la libre concurrence est désormais impossible ; il signifierait « un retour en arrière » de l’histoire.

La situation de cette bourgeoisie non monopoliste dans l’ensemble des relations sociales de production (opposée aussi bien à la grande bourgeoisie qu’au prolétariat, dont le triomphe impliquerait son élimination totale en tant que classe exploiteuse) détermine ses alternatives politiques. Il ne s’agit donc absolument pas de dire que «la bourgeoisie a mal fait» ou «qu’elle a trahi le peuple basque ».

Elle n’a fait que se limiter à défendre ses intérêts de classe particuliers. Etant donné la forme originale du mode de production capitaliste en Euskadi, toutes les batailles possibles que la bourgeoisie non monopoliste présenterait sous forme d’une tentative de choix autonome sont d’ores et déjà vouées à l’échec.

Ses hésitations.

Son comportement fut toujours hésitant et sera toujours hésitant.

Lorsque après le bond définitif de la guerre de 1914, les secteurs les moins rétrogrades de la bourgeoisie industrielle prétendent porter le coup de grâce à la dictature agraire des grands propriétaires terriens, encore influents dans les organes du gouvernement, la petite et la moyenne bourgeoisie catalane et basque se joignent en principe à la lutte, mais devant le spectacle du prolétariat dans la rue (occupations d’usines à Barcelone, grèves générales, combats pour les libertés démocratiques), la marche en arrière devient manifeste.

Et c’est précisément la bourgeoisie « catalaniste », celle-là même qui avait déclenché le mouvement, qui promouvra le capitaine général de Catalogne, Primo de Rivera, au rang de dictateur de l’Etat.

A peine un mois ayant le coup d’Etat de Primo de Rivera, un illustre représentant du « basquisme par degrés» (Vasquismo gradualistà) Eduardo Landeta, délimitait quant à lui, avec une louable franchise, « jusqu’à quel point la bourgeoisie basque est disposée à s’avancer» en étant nationaliste, et en combattant simultanément la révolution [5].

L’oppression nationale est le fruit du capitalisme.

Seule la destruction du système, la destruction de l’Etat en premier lieu, pourra venir à bout de cette oppression. C’est-à-dire : la révolution. Mais la « frousse » qu’elle (la bourgeoisie) a de la révolution n’est pas moindre que son refus de l’absolutisme.

De là ses hésitations, ses ambiguïtés dans la lutte pour les revendications démocratiques dont fait partie la liberté nationale.

Cette classe, dit Lénine, « craint la démocratisation complète du régime politique et social.

Elle peut toujours concerter une alliance avec l’absolutisme, contre le prolétariat.

La petite bourgeoisie a, par sa nature même, une attitude équivoque : d’un côté elle se trouve attirée vers le prolétariat, et la démocratie; de l’autre, elle est attirée vers les classes réactionnaires ; elle essaie d’arrêter le cours de l’histoire, elle est capable de se laisser entraîner par les expériences et les coquetteries de l’absolutisme, elle est capable de concerter une alliance avec les classes dominantes contre le prolétariat, afin de renforcer sa position de petits prolétaires. » En Euskadi, ces couches sociales moyennes dont nous parlons ne se maintiennent pas toujours dans la même attitude, face à la même alternative.

Et, de même qu’en Catalogne c’est la moyenne bourgeoisie qui donne le ton à l’ensemble du nationalisme catalan (un nationalisme qui n’en est pas un, mais tout au plus autonomisme ou régionalisme), en Euskadi, c’est la petite bourgeoisie, plus proche du prolétariat, qui marque de son empreinte le nationalisme basque lequel, par suite, est beaucoup plus «nationaliste». La moyenne bourgeoisie, dont les représentants se trouvent toujours encastrés dans le P.N.V., se montre en général disposée à envoyer les « principes » aux archives6, ce qui donne lieu à des tensions et des scissions (1910, 1923, 1930…).

Cette moyenne bourgeoisie est avant toute chose antisocialiste et pour renforcer idéologiquement sa stratégie d’alliance de classes, elle insiste en particulier sur la religion et le cléricalisme traditionnel du pays.

Chaque fois que cette classe réussissait à contrôler le P.N.V. et nouait des relations plus étroites avec les partis de droite, les secteurs les plus avancés de la base, petits bourgeois en majorité, réagissaient en provoquant des scissions.

Les scissionnistes se présentaient invariablement comme d’une tendance non confessionnelle face à l’intégrisme du P.N.V.

Le principal appui idéologique de cette tendance, lui-même beaucoup plus radical quant au problème de la séparation, est le chauvinisme anti-espagnol, chauvinisme qui prend parfois la forme d’un véritable racisme 7.

La prépondérance de l’un ou l’autre de ces courants se manifeste en général par un penchant plus ou moins marqué vers l’interventionnisme dans la politique de l’Etat (pactes avec les mauristes, les jaimistes, avec l’Action catholique…, participation aux élections), ou par un penchant vers « l’abstentionnisme » par rapport à la politique de l’Etat.

Cependant, aucun de ces courants ne pose le problème fondamental : celui de la destruction du système.

La caractéristique de classe du nationalisme basque le conduit toujours à cette contradiction de devoir concilier le radicalisme de sa revendication avec le maintien de son statut social.

Depuis la position de ceux qui, par le biais de leur fonction de député, réduisaient leur « patriotisme » à la défense des privilèges que l’accord économique forfaitaire de 1875 leur accordait, jusqu’aux formules les plus radicales du nationalisme petit-bourgeois, en passant par «l’attente raisonnable et pacifique d’un futur plus souriant », quand le statut d’autonomie sera le remède à tous les maux, toutes les formules proposées par la bourgeoisie nationaliste ont escamoté le fond du problème : notre peuple ne sera réellement libre que le jour où il aura le pouvoir de se déterminer librement, de disposer de lui-même, de choisir librement sa séparation ou son intégration sur un pied d’égalité avec les peuples voisins.

Mais jouir de ce pouvoir signifie qu’il faut l’arracher à ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui. Insistons davantage : à notre époque, cela signifié la révolution. De là, la possibilité de coexistence d’un profond radicalisme dans les déclarations et même dans les méthodes et d’une politique globalement centriste, comme celle dont nous parlions dans notre Zutik ! 52, à propos de l’ex-E.T.A.

De là encore les hésitations et les ambiguïtés de ces classes moyennes dans la lutte pour la liberté nationale et autres revendications démocratiques. Hésitations et ambiguïtés aussi nécessaires que leur échec historique.

Car quoique ces secteurs affrontent, avec décision et violence parfois, l’appareil répressif de l’Etat autoritaire, il leur manque, de par leur condition de classe, une réponse autonome et homogène. N’oublions pas qu’historiquement la base sociale par excellence des mouvements fascistes a été donnée par la petite bourgeoisie (nazisme en Allemagne, poujadisme en France, fascisme italien, phalangisme…).

De la sorte, s’il est vrai que des secteurs déterminés de ces classes moyennes sont appelés- à jouer un rôle dans la lutte révolutionnaire pour la liberté de l’Euskadi, le fond du problème se trouve dans l’habileté du prolétariat à s’organiser et à organiser ce combat en en prenant la direction.

Et ce n’est que dans la mesure où les masses ouvrières dirigeront le mouvement révolutionnaire dans son ensemble en entraînant à leur suite ces secteurs hésitants que l’Euskadi sera libre.

La classe ouvrière doit prendre la direction de la lutte contre l’oppression nationale

Résumons brièvement ce qui précède :

— L’oppression nationale a une origine de classe et seule une réponse de classe donnera une solution juste à ce problème.

— La grande bourgeoisie est seule à trouver son intérêt dans le maintien de l’oppression nationale qui s’exerce sur notre peuple.

— Le reste des classes bourgeoises adopte, en ce qui concerne l’oppression nationale, différentes positions; mais elles sont toutes hésitantes et équivoques.

Ce qui s’explique par :

a) le contenu global de sa revendication de classe, déterminé par sa position de classe, qui l’oppose aussi bien au monopolisme qu’au prolétariat ;

b) son idéologie d’alliance de classes renforcée par des principes chau- vinistes et cléricalistes.

Afin de conclure sur ces points : dans les conditions actuelles, seule l’instauration révolutionnaire de la démocratie totale (ce qui implique le socialisme) pourra en finir définitivement avec l’oppression nationale.

Il ne s’agit pas de devoir repousser la lutte contre l’oppression nationale à une étape postérieure à l’instauration du socialisme (comme l’ont prétendu certaines interprétations opportunistes auxquelles, du reste, Lénine lui-même s’opposa) ; mais il s’agit d’inscrire cette lutte, en tant que lutte pour n’importe quelle revendication démocratique générale non satisfaite, à l’intérieur du processus global de lutte pour le socialisme [8].

Tant que le capitalisme se maintiendra, il ne pourra y avoir de véritable démocratie, ni de véritable égalité entre les différents peuples et nations. Mais il ne faut aucunement en déduire des mots d’ordre démobilisateurs en ce qui concerne la lutte démocratique, dont la revendication nationale fait partie.

« Celui qui oublie pratiquement que son devoir est d’être le premier à proposer, à approfondir et à résoudre toute question démocratique d’ordre général n’est pas un vrai communiste [9]. »

La révolution sociale ne se produit pas tout d’un coup, grâce à une conjoncture favorable, mais elle est le sommet d’une série de luttes partielles : « Les révolutions politiques sont inévitables dans le processus de la révolution socialiste, qu’il ne faut pas considérer comme un acte isolé, mais comme une époque de violentes commotions politiques et économiques [10]. »

« L’insurrection elle-même, phase culminante de la révolution, peut éclater non seulement en conséquence d’une grosse vague de grèves, ou d’un soulèvement militaire contre un régime dé-mocratico-bourgeois, etc., mais aussi à cause de n’importe quelle crise politique du genre Dreyfus ou Zabern, ou d’un référendum sur l’autonomie d’une nation opprimée [11]. »

Voilà pourquoi le prolétariat, la classe révolutionnaire de notre époque, doit appuyer et tenter de prendre la direction de toute lutte pour les revendications démocratiques y compris la lutte pour la liberté nationale des nations opprimées.

Mais, en réalité, elle se convertira en classe dirigeante de ces transformations démocratiques précisément dans la mesure où elle ne renoncera pas à son propre point de vue, dans la mesure où, tout en maintenant son indépendance de classe, elle se portera en avant.

Ces « transformations politiques réalisées avec un sens authentique de la démocratie ne peuvent en aucun cas, et quelles que soient les circonstances, éclipser ni affaiblir la consigne de la révolution socialiste [12] ».

En cas contraire, la puissance révolutionnaire de la classe ouvrière ne se transformerait pas en pratique révolutionnaire.

Le fait que la classe ouvrière soit la classe révolutionnaire la plus conséquente ne dépend d’aucune raison magique.

A l’inverse, ce n’est concrètement que le résultat de ses conditions matérielles d’existence : du fait d’être la classe la plus exploitée et opprimée, la plus nombreuse et la mieux organisée.

Les classes sociales sont le produit de l’ensemble des structures politiques, économiques, idéologiques… d’une organisation sociale donnée et de la relation que ces structures maintiennent entre elles.

Dans les conditions de notre lutte, la situation matérielle de la classe ouvrière la rend la classe la plus organisée, la plus habile et la plus décidée à la lutte. Sa situation concrète fait que, jour après jour, l’indignation et la rage s’accumulent nécessairement, effet inévitable des arbitraires des exploiteurs, et constituent son instinct de classe.

Cet instinct, transformé en conscience grâce à l’expérience de la lutte et sous l’influence de Tavant-garde révolutionnaire, se transforme en moteur de la révolution.

Prenons un exemple : au moment de la grande mobilisation de décembre, qui donc a fait la grève, qui a combattu dans les manifs et sur les barricades, qui a été emprisonné pendant la répression qui a suivi les procès ?

Il ne fait pas de doute que l’émotion provoquée par La stupidité et le cruel arbitraire des fascistes a atteint de larges secteurs populaires, au-delà de la classe ouvrière.

Malgré tout,Quelle est la classe sociale qui a constitué le gros des forces qui ont su matérialiser cette émotion populaire en actes concrets de lutte contre les fascistes ?

On nous rétorquera sans doute que cela était normal, que cela allait de soi, que ce ne sont pas les patrons qui vont faire la grève, même les plus « démocrates », y compris les coopérativistes.

On nous rétorquera aussi qu’il était logique que dans les zones de grande concentration industrielle, où les ouvriers sont plus organisés dans leur attitude combative face à l’ennemi, l’affrontement fût plus étendu, la grève et la solidarité générales.

C’est justement cela et rien d’autre que nous prétendons/Nous insistons sur le fait qu’il ne s’agit aucunement de raisons magiques, mais des conditions d’existence propres à la classe ouvrière, qui sont déterminées par le développement actuel des forces et des relations de production.

C’est-à-dire que les ouvriers sont rassemblés dans de grandes entreprises, ce qui donne un haut niveau de concentration ; la classe ouvrière est la plus nombreuse, elle est la plus exploitée et par conséquent la plus combative au moment de l’affrontement, et la plus habile à matérialiser l’indignation et la rage contre l’oppression et l’exploitation dans des actes concrets de la lutte.

C’est le capitalisme par sa logique même qui a créé ces conditions matérielles.

De là l’affirmation de Marx : « Le système a engendré ses propres fossoyeurs. » De là la puissance révolutionnaire du prolétariat, qui « n’a rien d’autre à perdre que ses chaînes, mais qui a tout un monde à gagner ».

Puisque la puissance révolutionnaire de la classe ouvrière dépend de ses conditions matérielles d’existence en tant que classe, le prolétariat prendra la tête du processus révolutionnaire dans la mesure où il ne renoncera pas à son propre point de vue.

Que par exemple, en décembre, d’autres secteurs populaires, non prolétaires (arrantzales, petits commerçants des régions semi-rurales, étudiants…), se joignissent courageusement au combat, est dû au fait qu’à l’étape actuelle du capitalisme ils sont eux aussi, à un degré différent, victimes de l’oppression par le système.

Le prolétariat doit donc essayer de les entraîner avec lui dans la lutte.

Mais comme ces secteurs et ces couches sociales manquent d’une option autonome et globale, leur pratique ne sera révolutionnaire que dans la mesure où elle se joindra au combat global du prolétariat, au combat pour le socialisme et l’internationalisme, c’est-à-dire pour la suppression de toutes sortes d’exploitation et d’inégalité entre les peuple^ et les nations.

Pour conclure, la classe ouvrière prendra la direction de la lutte contre l’oppression nationale (seule et unique façon d’obtenir la liberté de notre peuple) si, en se joignant au combat trahi jusqu’ici par les hésitations des classes moyennes, elle ne renonce pas à ses intérêts de classe particuliers, mais au contraire, si elle prend appui sur eux; si elle ne renonce pas à son propre point de vue, mais, au contraire, si elle le fait valoir; si elle ne se laisse pas entraîner dans des alliances temporaires, mais, au contraire, si elle insiste sur la spécificité de son combat :

« En soulignant la solidarité des groupes oppositionnels avec les ouvriers, les communistes feront remarquer et expliqueront toujours aux ouvriers le caractère temporaire et conditionnel de cette solidarité, ils défendront toujours les intérêts particuliers du prolétariat comme ceux d’une classe qui peut demain s’opposer à ses alliés d’aujourd’hui. »

On peut nous rétorquer : une telle affirmation ne va-t-elle pas affaiblir tous ceux qui luttent pour la liberté politique à l’époque présente?

Seuls sont -forts ceux qui luttent en s’appuyant sur des intérêts véritables clairement compris par des classes déterminées.

Tout ce qui peut rendre opaques les intérêts des classes, qui jouent déjà un rôle dominant dans la société actuelle, ne peut qu’affaiblir les combattants (…par ailleurs) dans la lutte contre l’absolutisme.

La classe ouvrière doit elle-même se mettre en avant, car elle seule est conséquente jusqu’au bout, et seule, elle est l’ennemie inconditionnelle de l’absolutisme ; les compromis entre elle et l’absolutisme sont impossibles ; seule la classe ouvrière peut être l’alliée sans restrictions, sans indécisions, sans retours en arrière, de la démocratie.

En 1905, au beau milieu de la lutte contre l’absolutisme tsariste, Lénine se demandait : « Est-ce que l’ouvrier conscient peut oublier la lutte démocratique en l’honneur de la lutte socialiste, ou la lutte socialiste en l’honneur de la lutte démocratique ? Non. L’ouvrier conscient s’appelle social-démocrate parce qu’il a compris la relation qui existe entre l’une et l’autre lutte [13]. »

Apport de la classe ouvrière au combat contre l’oppression nationale

«Pour la classe ouvrière, disions-nous-dans Zutik ! 52, il ne s’agit pas simplement de reprendre la lutte nationale de la bourgeoisie. Pour cette dernière, la libération nationale est un objectif politique avec lequel l’exploitation de classe peut être maintenue. Pour la classe ouvrière, la fin de l’oppression nationale est un objectif démocratique à atteindre au bénéfice de tout le peuple dans son processus de lutte vers le socialisme. »

C’est-à-dire non seulement elle vivifie une lutte déjà existante, mais encore elle la transforme, en lui donnant un contenu révolutionnaire, socialiste. Une fois écoulé le délai de temps dont la bourgeoisie disposait pour trouver, comme nous le disions plus haut, une solution au problème, la classe ouvrière, seule classe inconditionnellement démocratique, ne doit pas se limiter à appuyer le contenu démocratique général (non socialiste) donné par les classes moyennes à son combat, ratais, tout d’abord, elle doit arracher à la bourgeoisie l’apanage de la défense exclusive de ce contenu et mener la lutte jusqu’à ses dernières conséquences.

De quelle façon cela peut-il se matérialiser ?

Quel est l’apport de la classe ouvrière à la lutte nationale quand elle arrache à la bourgeoisie l’apanage de la lutte que celle-ci avait prétendu jusque-là monopoliser, et qu’elle prend la direction de cette lutte ?

La classe ouvrière apporte sa conception particulière, révolutionnaire, scientifique de la lutte et elle détruit parallèlement la représentation idéologique bourgeoise de la lutte. C’est-à-dire qu’elle détruit les idées, les mythes et les falsifications dont la bourgeoisie se servait pour abuser les masses basques et les entraîner dans un combat qui n’était pas le leur.

En Euskadi, 1e nationalisme «grande Espagne» est une des manifestations de l’idéologie de la classe dominante, la grande bourgeoisie.

En réponse à ce nationalisme ultra-réactionnaire, les classes moyennes basques ont bâti une autre idéologie, l’idéologie nationaliste basque.

Les classes moyennes, en mettant l’accent sur la différence plutôt que sur l’égalité, essaient d’étendre à tous les secteurs populaires de la collectivité nationalement opprimée ses formes particulières de conscience sociale, sa conception idéologique particulière.

Le stratagème utilisé de préférence est celui d’« intérêts nationaux».

Elles présentent comme tels leurs intérêts particuliers antiprolétaires et antimonopolistes.

D’une façon très significative, l’appel que le «Gouvernement basque» de Leizaola dirigea «à tout le peuple basque», au moment du procès de Burgos, préconisait, pour qu’il n’y ait aucun doute possible : « Nous faisons appel aux patrons et aux ouvriers… »

La bourgeoisie nationaliste est parfaitement consciente du fait que, toute seule, c’est-à-dire sans l’appui de la classe la plus nombreuse et combative, le prolétariat qu’elle essaie d’entraîner au moment de présenter une autre solution dans l’alternative face au franquisme, sa force est nulle.

Sa position de classe lui fait à la fois désirer et craindre la force de la classe ouvrière. Si la classe ouvrière ne se mobilise pas, le capitalisme monopoliste continuera à imposer sa loi.

La bourgeoisie nationaliste sait que cela signifie pour elle continuer à être repoussée du groupe qui gère l’économie, et être reléguée dans le dernier wagon des exploiteurs.

Mais la bourgeoisie nationaliste sait aussi que si le prolétariat se mobilise contre l’oppression à laquelle il est soumis, elle court le risque d’être débordée par l’action révolutionnaire de ce dernier, et de voir la fin de ses privilèges de classe exploiteuse.

C’est pour cette raison que la bourgeoisie nationaliste a et aura toujours une attitude hésitante, et appliquera une politique centriste.

Dans l’appel du « Gouvernement basque » auquel nous venons de faire allusion, le désir était manifeste que les gestes de protestation contre le jugement de Burgos «restent dans les normes des convenances qui ont toujours caractérisé les actions de masses de la résistance basque ».

De cette nécessité à la fois d’entraîner et de contenir les masses révolutionnaires découle l’impuissance de la bourgeoisie nationaliste à diriger un combat, quel qu’il soit, pour la liberté de TÈuskadi. Si, comme nous l’avons déjà dit, toute idéologie tend à se transmettre à d’autres classes, pour l’idéologie nationaliste cette caractéristique apparaît de façon particulièrement nette.

L’appel aux « patrons et aux ouvriers » traduit bien cette conception d’alliance de classes : patrons et ouvriers basques et, en tant que tels (on veut nous le faire croire), ayant des intérêts convergents.

« Faisons d’abord l’Euskadi libre et nous verrons plus tard qu’elle soit socialiste ou capitaliste » entend-on souvent répéter, même par des organisations prétendues « socialistes ». Mais nous posons la question : cet Euskadi, ce sera quoi, pour le moment ?

C’est-à-dire : si l’on repousse à plus tard la transformation socialiste de la société basque, cet Euskadi, pour quoi nous luttons, ce sera quoi, n’étant « ni socialiste ni capitaliste » ? Et, si ce n’est pas encore le socialisme, ce ne peut être nécessairement que le capitalisme.

L’on parie donc sur le maintien de l’exploitation de rhomme par l’homme.

Que cet homme qui exploite les autres soit Basque ne nous console nullement. Ne sont-ils pas Basques ceux-là aussi qui nous exploitent aujourd’hui?

L’oppression nationale s’exerce sur l’ensemble de la nation.

Cela ne diminue ni n’altère les contradictions entre les différentes classes qui forment la collectivité nationale : « Quant aux éléments démocratiques dans les nationalités opprimées… tout le monde sait et voit qu’au sein de ces catégories de population les contradictions de classes sont beaucoup plus profondes et solides que leur solidarité entre elles contre l’absolutisme et en faveur des institutions démocratiques [14]. »

Que l’on comprenne bien : il ne s’agit pas de renoncer par principe à essayer d’intégrer les éléments démocratico-bourgeois de la nationalité opprimée dans le combat contre l’oppression nationale et les autres formes d’oppression politique.

Mais, en revanche, il faut éviter de se laisser intégrer dans le combat réformiste de ces éléments.

En hommage à l’appui de quelques milliers de petits commerçants, avocats, techniciens, petits industriels, etc., le prolétariat ne peut renoncer à son point de vue indépendant et rabaisser de temps à autre les objectifs de la lutte pour empêcher la désertion de ces alliés. Une politique fondée sur des concessions pour éviter la débandade de ces alliés ne ferait que provoquer la contagion, au prolétariat lui-même, de ces hésitations qui en sont la cause.

Une telle politique signifierait de fait l’abandon, une fois de plus, du rôle dirigeant de la classe ouvrière au profit de la bourgeoisie.

« Seul le prolétariat peut être le combattant d’avant-garde pour la liberté politique et pour les institutions démocratiques parce que, en premier lieu, l’oppression politique retombe sur lui, avec la plus grande dureté, sans que rien ne l’atténue [15] »

Face au chauvinisme, la solidarité de classe

Comme nous l’avons dit, l’alliance de classes est à la base de la conception nationaliste. Cette alliance de classes se trouve renforcée par le chauvinisme, autant dans le sens de glorification de ce qui est autochtone que dans le refus de ce qui vient de l’extérieur, considéré comme étant mauvais en soi.

Dans L’Insurrection en Euskadi publié en 1964, on parle « des Espagnols, dont il importe peu, en tant qu’Espagnols, qu’ils soient de droite ou de gauche ».

Dans l’article de Sarrailh « Nationalisme révolutionnaire » paru dans Branka (n° 1, 1966), on oppose deux pôles de la contradiction fondamentale : le pôle basque — progrès, au pôle espagnol — réaction.

Dans un tableau résumé, le Pays basque est identifié à : sens (langue, caractère de ce qui est) basque, socialisme, propriété sociale, « euskaldunité », progrès.

A l’autre pôle, l’Espagne représente : castillan, féodalité-bourgeoisie, propriété bourgeoise et féodale, hispanité, réaction. Aujourd’hui encore, certains courants nationalistes ont « résolu » le problème de concilier nationalisme et marxisme au moyen de l’identification pure et simple de la réaction et « des Espagnols », au point que les bourgeois exploiteurs basques cessent de l’être (basques) car « ils manquent d’une véritable conscience nationale ».

On peut ainsi utiliser les vieux clichés, et la lutte peut être présentée comme une lutte « entre l’Euskadi et l’Espagne ». Le stratagème est aussi élémentaire qu’efficace.

A mesure que l’on comprend que certains Basques sont des ennemis, on met en cause leur naturalisation et on les inscrit sur l’autre tableau. Ils ne sont plus Basques, mais «objectivement Espagnols ».

A mesure que ces courants nationalistes « de gauche » (où notre organisation a piétiné pendant longtemps) progressent, sous la pression du développement de la lutte révolutionnaire, vers des attitudes plus radicales, nous verrons comment tous ceux qui étaient hier encore d’importants alliés sont inscrits sur le tableau à côté des « Espagnols ». On commence déjà à reprocher au P.N.V. d’être un parti bourgeois et « par conséquent » espagnol.

Du racisme ultra-réactionnaire de Sabino, on est arrivé à des formes plus raffinées d’alliance de classes.

La religion, cette idéologie qui tend à identifier magiquement riches et pauvres, fut à une époque, de même que le racisme, l’arme; principale de l’alliance de clans.

Aujourd’hui, elle a en partie perdu de son importance, mais le chauvinisme, spécialement le chauvinisme anti-espagnol, continue à être à l’ordre du jour, y compris, comme nous l’avons vu, dans les courants les plus avancés du nationalisme actuel.

« Le chauvinisme de la bourgeoisie, disait Marx il y a cent ans, n’est autre chose que de la vanité qui attribue une physionomie nationale à toutes ses prétentions.

Le chauvinisme est un moyen… (pour) réduire à l’esclavage les producteurs de tous les pays, en les excitant les uns contre les autres, contre leurs propres frères des autres pays ; le chauvinisme est un moyen d’empêcher la collaboration internationale de la classe ouvrière, condition première de l’émancipation de celle-ci [15]. »

Dans la grande grève des mineurs de 1890 dont nous avons parlé, l’une des revendications principales était la destruction des baraquements où les ouvriers étaient logés.

Ces baraques en bois, situées près des filons des mines, regroupaient les travailleurs selon leur origine géographique : Aragonais, Galiciens, Basques, etc. Les contremaîtres les excitaient continuellement les uns contre les autres pour les diviser et pour qu’ils s’opposent entre eux. « Les Aragonais sont des jean-foutres qui ne veulent pas travailler », disaient-ils aux mineurs biscaïens. Et à ceux qui venaient de loin : « Ce que veulent les Basques, c’est vous chasser du Pays basque. »

Les patrons provoquaient ces affrontements sachant fort bien combien ils étaient sensibles, les uns et les autres, à ce genre de démagogie.

Quelques-uns de ces patrons (dont le plus notoire, dans la région de Somorrostro, Gallarta, La Arboleda… était le « Basquiste » — el Vasqitista — Lezama Leguizamon) militèrent quelques années plus tard dans les rangs du parti fondé par Sabino Arana.

Celui-ci écrivait, quatre ans après la grande grève, dans la chronique des faits que publia le journal Bizkaitarra : « II n’y a pas très longtemps qu’il y eut un conflit dans une des mines de l’Ouest, entre travailleurs euskériens et maketos grévistes… Ces derniers, fainéants de nature et désireux d’avoir une augmentation de salaire, voulaient obliger les nôtres à interrompre le travail et à se déclarer, comme eux, en grève. »

Dans un numéro récent de Aiderai, le bulletin du P.N.V., on nous rappelait que le premier objectif interne était « la destruction des idéologies et des organisations étrangères » [16].

Toute conception qui ne cadre pas avec les intérêts de ces classes moyennes bourgeoises que le P.N.V. représente peut, grâce à cette ruse, être considérée comme une idéologie « étrangère ».

« Assez de ces idées socialistes, qui sont antichrétiennes, et antibasques », conseillait Sabino Arana en 1897, à ses coreligionnaires » [17].

Le prolétariat, en prenant la direction de la lutte contre l’oppression nationale, doit avant tout combattre toutes ces formes de conscience sociale issues de la bourgeoisie et tout ce système de représentations imaginaires. En ce qui concerne la reconnaissance de la lutte de classes, le nationalisme prend différentes positions, lesquelles sont toutes idéalistes : depuis celles qui la nient tout simplement, jusqu’à celles qui l’admettent en général, mais considèrent que notre cas constitue une «exception historique».

Divers idéologues bourgeois se sont chargés de monter l’échafaudage nécessaire à cette construction.

C’est ainsi que nous entendons parler « de la démocratie ancestrale des Basques », comme d’une catégorie historique ; c’est ainsi également que l’on déduit de certaines caractéristiques du développement du cycle féodal en Euskàdi des conséquences exceptionnelles destinées à démontrer que, dans notre cas, la révolution n’est pas nécessaire pour obtenir l’égalité et la justice.

« Pour que la justice et l’égalité se réalisent dans la société basque, disait Sabino Arana, il n’est pas nécessaire d’en arriver au socialisme… ces mots sacrés sont gravés de façon indélébile dans l’histoire de notre race, dans les théories de nos ancêtres, sur le drapeau nationaliste. »

Actuellement, la formulation est moins primaire, mais le tronc idéologique est toujours le même.

M. Uzturre nous disait dans le numéro d’Aiderai du mois d’avril : « Disons-le d’emblée, tout n’est pas que lutte de classes dans notre peuple [18]. »

Aujourd’hui, il est admis que le socialisme est nécessaire (à rencontre de ceux qui proclament le contraire), mais on repousse ce combat à une prochaine étape.

Plus encore, le rôle prédominant du prolétariat dans le processus de la lutte n’étant pas indiqué, on ne s’explique pas de quelle manière la classe ouvrière pourra jouer ce rôle si elle doit dissimuler la spécificité de ses intérêts de classe pour tenter de conquérir la « bourgeoisie nationale ».

Derrière le paravent des « intérêts du peuple », les contradictions tout à fait réelles qui existent entre différentes classes de la collectivité nationale sont cachées (ou dissimulées magiquement).

Nous insisterons sur ceci : seule la révolution pourra venir à bout de l’oppression nationale qui écrase notre peuple.

Et révolution ne signifie pas dissimulation des affrontements de classes, mais, bien au contraire, qu’on les exacerbe, qu’on les rende plus aigus.

En même temps, puisque la révolution passe par la destruction de l’Etat bourgeois espagnol (tâche qui intéresse tous les peuples de la péninsule), les contradictions de superstructures créées entre les pays résultant d’intérêts qui ne sont pas les leurs, ne peuvent être exacerbées mais, au contraire, résolues.

Les contradictions et ces affrontements interpopulaires existent. Mais tandis que pour le chauviniste il n’y a qu’à les constater et les remarquer, le révolutionnaire socialiste doit essayer d’en trouver la cause. C’est dans une telle perspective que nous posons la question.

Est-ce que l’ouvrier espagnol trouve un intérêt quelconque à ce que l’oppression nationale soit maintenue en Euskadi ? Est-ce que le paysan andalou tire un quelconque bénéfice de l’oppression linguistique à laquelle est soumis le petit paysan basque ? Ne sont-ce pas plutôt les intérêts de la classe dominante (c’est-à-dire de la grande bourgeoisie de la péninsule, qu’elle soit castillane ou basque, andalouse ou castillane) qui provoquent l’oppression nationale exercée sur notre peuple ? :

Dans toute société, l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante. C’est pour cela que le chauvinisme grand-espagnol est enraciné dans d’importants secteurs des masses populaires espagnoles.

Mais nous ne devons pas nous contenter de constater ce fait.

Nous devons analyser ce chauvinisme et tenter de savoir si les masses populaires du reste des peuples soumis à l’Etat bourgeois espagnol en tirent quelque bénéfice.

Et, réciproquement, le fait que, face au nationalisme espagnol, les classes moyennes basques aient opposé une réponse idéologique également nationaliste et chauviniste ne doit pas faire oublier aux ouvriers et aux masses populaires des autres peuples de la péninsule qu’il n’y a absolument rien dans les intérêts du prolétariat et du peuple travailleur basques qui les pousse à adopter le chauvinisme archi-réactionnaire « anti-espagnol » qui a plus ou moins caractérisé tous les courants nationalistes.

Le nationalisme, aussi bien celui de la nation dominante que celui de là nation opprimée, a contribué à créer des barrages entre, les peuples, en rendant difficile leur entente et en provoquant une suspicion mutuelle.

Cette suspicion ne disparaîtra définitivement qu’avec l’élimination de sa cause, c’est-à-dire, en dernière instance, de l’oppression nationale.

Mais, dès maintenant, les – révolutionnaires doivent s’efforcer d’éduquer les ouvriers et les masses populaires de la nation dominante ainsi que ceux de la nation opprimée, de leur inculquer les principes de l’internationalisme, en insistant sur l’absurdité d’un quelconque chauvinisme, d’un côté comme de l’autre, et d’en arriver à éliminer peu à peu la suspicion et la méfiance [19].

Cette éducation devra être donnée aux ouvriers et au peuple de la nation opprimée pour combattre toute forme d’égoïsme national, en insistant sur la nécessité de leur solidarité de classe avec leurs frères des autres peuples de l’Etat, en insistant sur l’intérêt de l’union volontaire dirigée non seulement contre l’ennemi commun, mais de plus en pensant à la construction de la future société socialiste et communiste qui, comme le signale Marx, ne pourra être qu’internationale.

« Le communiste d’une petite nation… peut se prononcer aussi bien en faveur de l’indépendance de sa nation comme en faveur de son incorporation à l’Etat voisin…

Mais, de toute façon, il devra lutter contre la mesquinerie et Tétroitesse nationale, contre l’isolement national, contre le particularisme, pour que Ton tienne compte du total et du général, et que l’on mette les intérêts particuliers aux généraux [20]. »

En même temps, le révolutionnaire conscient doit éduquer les ouvriers et les masses populaires de la grande nation contre toute forme de chauvinisme. En mettant l’accent particulièrement sur « la liberté de se séparer qu’ont les pays opprimés. Autrement, il n’y a pas d’internationalisme. Nous avons le droit et le devoir de donner le nom d’impérialiste et de canaille à tous les national-démocrates d’une nation qui ne réalisent pas une telle propagande [21] ».

Car la lutte contre l’oppression nationale de l’Euskadi touche également les ouvriers de la nation dominante, spécialement ses combattants les plus conscients. Lénine insista particulièrement là-dessus : « Le fond du problème de l’autodétermination des nations se trouve précisément, à notre époque, dans l’attitude des socialistes des pays oppresseurs [22]. »

Cela, comme nous l’avons vu au début, parce que le problème de l’oppression nationale ne peut se poser au niveau «géographique», en marge des classes, comme le résultat du centralisme d’une région déterminée.

Le centralisme n’est pas le monopole de la Castille, ou d’une quelconque région, mais le résultat inéluctable du développement de la bourgeoisie et du capitalisme. Le centralisme est un ensemble d’intérêts politiques, économiques, financiers, militaires d’une classe; intérêts communs aux classes exploitantes de tous les peuples de l’Etat.

Voilà pourquoi les révolutionnaires doivent s’efforcer d’éliminer dès maintenant toutes les suspicions, les défiances, les craintes, etc. qui contribueraient à opposer entre eux les ouvriers de la nation opprimée. En essayant de coordonner le plus grand nombre possible de forces contre l’ennemi de classe, lequel est le véritable responsable de la suspicion et de sa cause la plus profonde, l’existence même de l’oppression nationale.

Face au pacifisme, la violence révolutionnaire

La politique qui illustre le mieux l’attitude pacifiste est le « protocole » traditionnel du P.N.V., qui se caractérise par une prière humble adressée à une future république bourgeoise hypothétique — ou peut-être à un postfranquisme « moins troglodyte, plus civilisé » (Areilza) — pour obtenir certaines concessions, lesquelles sans trop compliquer les choses pourraient contenir la révolte des masses populaires.

Politique d’attente qui, depuis la guerre, est passée par deux phases.

Dans les années 1940, les espoirs de la bourgeoisie du P.N.V. se concentraient sur l’intervention « imminente » des supermen, de la démocratie nord-américaine; qui s’apprêtaient à « étrangler définitivement le régime de Franco » avec l’aide de leurs associés anglais.

Le président du « Gouvernement basque » déclarait en 1942 : « Le triomphe du camp démocratique… assurera les bienfaits de la liberté pour tous, par la garantie qu’offre en premier lieu la grande nation américaine unie à l’empire britannique [23]. »

Imbibés de cette politique, les dirigeants du P.N.V., chaque jour plus bureaucratisés, se limitèrent à organiser, de l’intérieur, la répartition des mairies et autres postes clés « pour le grand lendemain ».

En ce qui concerne la jeunesse, l’objectif proposé était de « maintenir en elle la flamme nationaliste ».

Aucun objectif concret pour la lutte.

Les actions extérieures sont avant tout des « gestes de témoignage », ce qui caractérise d’ailleurs la trajectoire du P.N.V. depuis cinquante ans.

La mobilisation des masses n’est pas conçue comme une action dans la lutte, mais comme la démonstration du nombre d’adhérents. Depuis l’époque des pèlerinages monstrueux à Lourdes, jusqu’à l’Aberri-Eguna de Guernika par exemple, les jelkides du P.N.V. n’ont jamais su que faire de ces masses qui avaient été convoquées. Et encore moins le lendemain des manifestations.

Au contraire, l’activité « diplomatique » a été leur spécialité.

Aucun effort ne fut épargné pour contenter les « paladins de la démocratie [24] ».

Quand ceux-ci lancent l’offensive de la « guerre froide » et l’anticommunisme, Lean-dro Carro, qui avait remplacé Astigarrabia en tant que représentant du parti communiste dans le « Gouvernement basque », en est exclu.

Aujourd’hui encore, les dirigeants du P.N.V. ont l’habitude d’expliquer cette mesure comme quelque chose d’« inévitable » étant donné le contexte international.

Une fois évanoui l’espoir d’une intervention alliée et de « l’étranglement » diplomatique du franquisme, les bureaucrates du P.N.V. ne varient pas dans leur consigne de s’abstenir de lutter. Ces derniers temps, leur politique traditionnelle d’attente a été renforcée par la capitulation spectaculaire (chaque fois plus spectaculaire), des autres secteurs de l’opposition.

Ils en ont déduit (ou ils ont cru pouvoir en déduire) qu’ils ont encore plus raison qu’ils ne l’avaient imaginé, et ils se préparent avec espoir à retourner aux urnes.

Les consignes pacifistes, démobilisatrices, qui ont accompagné leurs proclamations sur les Aberri-Eguna ces trois dernières années, ne sont en aucune façon surprenantes. Si tant est que le « Basque » (el Vasco) demeure inactif pendant l’année 1969.

Et même maintenant quand, après Burgos, ils n’eurent pas d’autre issue que de convoquer à des manifestations, ils l’ont fait avec des mots d’ordre comme ceux que le Gudari dû mois de mars offrait : « Contre la provocation : le calme ; contre la répression : la fermeté ; contre les fausses nouvelles : Radio-Euskadi. »

Le prolétariat doit combattre cette politique louvoyante de la droite nationaliste, attitude politique qui flatte le pouvoir et qui s’évertue à le rassurer, afin de tenter de concourir à des élections « démocratiques » en compagnie des éléments les moins bornés (Lôpez Bravo, Areilza et cie).

Dans Berriak 5 nous avions reproduit les déclarations d’un ancien dirigeant du P.N.V. : «Nous nous battons pour que l’Espagne dispose d’une structure similaire à celle de la République fédérale allemande. Un Land basque en quelque sorte, dans le genre de la Bavière actuelle. »

II est important que nous sachions comprendre la raison dernière, la raison « de classe » de cette attitude.

Dans les circonstances actuelles, la liberté nationale de l’Euskadi présuppose la révolution. La droite nationaliste a peur ‘de la révolution.

C’est pourquoi, nécessairement, elle tergiverse.

Nécessairement, car louvoyer et tergiverser est le principe même de sa revendication de classe, et constitue l’essence de sa nature de classe.

Prise entre la pression révolutionnaire des masses d’un côté et le système de l’autre, il lui est indispensable de croire aux possibilités évolutives de celui-ci.

C’est-à-dire qu’il lui faut croire que le système peut céder volontairement, de lui-même, sans chocs et sans violence.

Mais cet espoir est strictement illusoire, idéologique.

Les masses ouvrières et populaires savent de par leur propre expérience que celui qui est au pouvoir ne renoncera jamais volontairement à ses privilèges. Que pour défendre ses privilèges (d’exploiteur et d’oppresseur) il dispose d’un puissant appareil : lois, police, armée… qui, dans leur ensemble, constituent l’Etat.

Sans détruire cet Etat, aucune démocratisation véritable n’est possible.

Tout au plus pourrait-on embellir le vieil édifice fasciste de quelques concessions de détail. Mais la liberté de l’Euskadi est bien plus qu’« une concession de détail ».

Le processus de raclicalisation de la lutte dans les dernières années nous a lui-même confirmé de manière absolue que la liberté de l’Euskadi n’est pas possible sans rompre cet engrenage de mesures d’exception, lois répressives, police, propagande fasciste [25]

Il ne s’agit en aucune façon de remplacer un mauvais tribunal par un autre moins mauvais ; l’armée bourgeoise, par une autre armée bourgeoise ; la police par une autre police « non répressive ». Tous ces instruments constituent le mécanisme, l’appareil de l’Etat dont la mission est, précisément par la répression, d’enrayer, de juguler la révolution.

Face à la terreur systématique, institutionnelle, seule la destruction de l’Etat par la violence révolutionnaire pourra nous donner la démocratie et la liberté nationale. Seulement de la sorte l’Euskadi sera libre.

« Nous devons répandre dans les grandes masses l’insurrection armée sans masquer le problème par des préliminaires, sans avoir recours à des subterfuges. Cacher aux masses l’urgence d’une guerre acharnée, sanglante, exterminatrice… c’est se leurrer soi-même et c’est tromper le peuple [26]

Nous ajouterons encore ceci : cacher aux masses qu’aucune solution magique ne viendra à bout de l’exploitation, mais que, bien au contraire, ce sont elles, et elles seules, qui, par leur lutte, secoueront le joug de la répression ; que cette lutte ne sera ni de courte durée, ni facile, mais longue, impitoyable, compliquée…

C’est se leurrer et tromper le peuple.

Car l’héroïsme individuel de quelques-uns ne suffit pas, seule est urgente Faction révolutionnaire massive de milliers d’hommes conscients.

Iraultza ala hil ! Mundu guztiko langue
Ta herfi zapalduak
Elkartu gaitezen

E.T.A.
Euskadi ta Askatasuna
.

NOTES

1. Nous avons dit que nous nous proposons d’analyser ici un problème politique tel qu’il se présente à l’époque historique actuelle. Nous laisserons de côté par conséquent une possible « préhistoire » de l’oppression nationale et nous n’envisagerons pas même s’il est légitime ou non de parler de cette « préhistoire ».

Nous laisserons de côté les relations entre les différents peuples ou nationalités avant la constitution des nations en tant qu’unités politiques. Quant au problème politique, l’oppression nationale apparaît avec le capitalisme. La critique de certaines conceptions non historiques et antiscientifiques qui prétendent trouver dans des « antagonismes » ou des «haines ethniques» l’origine de l’oppression nationale, demeure donc exclue de ce travail.

2. « La conséquence fatale de ces changements a été la centralisation politique. Les provinces indépendantes ou liées entre elles par des liens fédéraux, mais qui avaient des intérêts, des lois, des gouvernements et des tarifs douaniers différents, ont été groupées en une seule nation, sous un .seul gouvernement/une seule loi, un seul intérêt national de classe, un seul tarif douanier. » (MARX-ENGELS, Le Manifeste -communiste,1848)

3.Ibidem

4. Plutôt mal que bien. Le réveil, dernièrement, de mouvements nationalistes dans toute l’Europe, en est la preuve. (Grande-Bretagne, pays de Galles, Irlande du Nord, Occi-tanie, etc.) Lorsque nous disons ici «résoudre» le problème national, il faut bien comprendre qu’il s’agit de lui «trouver une issue».

Engels, lui-même, en déclarant le problème définitivement clos, cite le cas des Basques comme un exemple d’assimilation. On peut douter qu’un siècle plus tard il eût osé émettre un jugement aussi décisif. Par ailleurs, les méthodes employées par la bourgeoisie pour résoudre cette question ne sont nullement idylliques : souvenons-nous par exemple des massacres de paysans en Euskadi du Nord, sous Napoléon.

5. « Séparatisme, messieurs, cela signifie la révolution, et c’est la révolution. Ni moi, ni vous non plus, je pense, trouverions en Euskadi ces Maceo, ces Gomez, ces Rizal… Ici, en Euskadi, la vie est facile, et même si on parle de séparatisme dans un moment de bonne humeur, on pense, avec beaucoup de bon sens, à sa femme, à ses enfants, aux économies qui sont à la banque, et on ne se laisse pas séduire..,» (E. de LANDETA ABURTO, Conférence prononcée à Bilbao, 5 mai 1923.)

6. Un exemple : en avril 1907 des élections pour les députés aux Cartes; eurent lieu à Bilbao. Se présentaient : Pablo Iglesias pour les socialistes, Fernando Maria Ibarra pour ]es carlistes, l’avocat Pedro Anitua pour le P.N.V. et un républicain, Pallarés.

Un groupe de « personnalités » du P.N.V. entreprit une campagne pour faire voter en faveur d’Ibarra, à rencontre de la discipline électorale du parti, en alléguant que « la droite est beaucoup mieux représentée à Madrid par la grande coalition carliste que par notre parti, trou jeune encore et faible».

Les noms des promoteurs de cette campagne (Horn Areilza, Chalbarid, Viar, Zabala, Rotaeche, Arriaga, Et>alza, Landeta, Sota…) apparaissent ensuite à de nombreux postes clefs : ainsi au B.B. Batzar élu en 1916 (Rotaeche et Za- bala), parmi les candidats députés en 1918 (Zabala, Chalband, Rotaeche, Sota, Epalza), au conseil d’administration de la revue Euzkadi (Hprn Areilza), etc.

7. Une de ces scissions est à l’origine de Jagi-Jagi, dont la consigne qui continue actuellement à être : « A mort l’Espagne ! » apparaît toujours dans la publication Sa- bindarra, et dans les livres de son idéologue le plus représentatif, Matxari.

Cette tendance du nationalisme basque le plus radical qui est née avec Luis de Arana Goiri, et qui s’est caractérisée par l’abstentionnisme en ce qui concerne la politique électorale ou d’un autre genre réalisée « à travers Madrid », n’est pas étrangère à certains courants qui se sont manifestés dans le passé de l’E.T.A.

Pendant l’été 1967, quand nous commen- çâmes la campagne B.A.I. pro-front national, nous avons utilisé encore nombre d’argu- ments présentés par Jagi-Jagi dans des publications de 1965-1966 appelées Front national basane. De tels arguments sont encore utilisés aujourd’hui par le groupe fractionnaire exclu de notre organisation l’année dernière.

Selon nous, le groupe est l’héritier de ce courant radicaliste petit-bourgeois lancé par le frère de Sabino Arana, repris par le groupe « Askatasuna » en 1910, scission des descomïsados en 1924 groupe «Aberri» en 1923, etc.

Tous ces courants furent toujours minoritaires à l’intérieur du groupe nationaliste grâce à la traditionnelle habileté du P.N.V. pour changer sa propre médiocrité en talent au moment de capitaliser « sagement » les différents courants en opposition, avant que ceux-ci n’arrivent à se consolider.

8. «… Mais de ceci on ne peut déduire en aucune façon que les communistes doivent renoncer à une lutte immédiate et décidée pour toutes ces revendications (y renoncer serait faire le jeu de la bourgeoisie et de la réaction), mais bien au contraire : la né- cessité de formuler et de satisfaire toutes ces revendications non pas de manière réfor- miste mais révolutionnaire ; non pas en se limitant au cadre de la légalité bourgeoise, mais en le brisant ; non pas en se résignant avec des discours parlementaristes et des protestations verbales, mais en entraînant les masses à la lutte active, en élargissant et en excitant la lutte pour toute revendication démocratique fondamentale jusqu’à -en arriver à l’attaque directe de la bourgeoisie par le prolétariat, c’est-à-dire à la révolution socialiste. » (LÉNINE, La Révolution socialiste et le droit des nations à s’auto déterminer}

9. V.I. LÉNINE, Que -faire ?, 1902.

10. V.I. LÉNINE, La Consigne des Etats-Unis d’Europe.

11. V.I. LÉNINE, La Révolution socialiste et le droit des nation? à s’auto déterminer.

12. V.I. LÉNINE, La Consigne des Etats-Unis d’Europe.

13. V.I. LÉNINE, Socialisme petit-bourgeois et socialisme prolétaire, 1905

14. V.I. LÉNINE, Les Tâches des sociaux-démocrates russes.

15. V.I. LÉNINE, ibid.

16. Karl MARX, ébauche de La Guerre civile en France, 1871.

17. I. MUNATONES, Le P.N.V. : son développement. Voir Aiderai, n° 262, avril 1971.

18. « Les dernières élections », Baserritarra, n° 5, 30 mai 1897.

19. UZTURRE, « Social Arasoa », Aiderai, n° 262.

20. « Nous devons avant tout examiner et résoudre la question principale. Est-ce qu’un ouvrier ou un paysan russe peut considérer un Allemand, un Français, un Anglais, un Juif comme ses ennemis… indépendamment de leur condition de classe ?

Peut-il se défier d’un représentant d’une autre nation par le simple fait qu’il parle une autre langue, qu’il a là peau d’une autre couleur, ou parce que ses coutumes et ses traditions sont différentes ? Certes non. Il ne peut pas et il ne doit pas.

L’ouvrier français, allemand ou noir sont des prolétaires, exactement comme l’est l’ouvrier russe.

Quelle que soit leur langue, les uns comme les autres sont exploités par le capitalisme cupide. Ils sont tous camarades dans la misère, l’oppression, l’injustice.

Est-ce qu’un ouvrier russe pourrait aimer mieux un capitaliste russe parce que celui-ci l’injurie dans sa langue maternelle, parce qu’il le roue de coups à la façon russe ou qu’il châtie les grévistes avec un authentique knout russe ? Certes non ! » (BOUKHARINE, PRÉOBRAJENSKY, L’A.B.C. du communisme.)

21. V.I. LÉNINE, Compte rendu de la discussion sur le droit des nations à l’autodétermination.

22. V.I. LÉNINE, Le Problème de la paix.

23. J.A. AGUIRRE, Cinq conférences.

24. A la suite des services rendus aux Américains pendant la Seconde Guerre par un groupe de marins basques qui interceptaient les documents nazis enyoyés en Argen- tine, des relations ont été établies entre l’organisme « S » (Service spécial d’espionnage du P.N.V.) et le «service d’intelligence » des Etats-Unis.

Quand l’ultra-réactionnaire John Poster Dulles devient secrétaire d’Etat, et que son frère A. Dulles, crée la C.I.A., ces relations se transforment, et les archives de l’organisme « S », dont certains bureaux passent directement sous la dépendance des Américains, sont mises à disposition de la C.I.A.

Comme nous en avons parlé dans Zutik ! 47 (novembre 1967), Aguirre lui-même devait reconnaître quelques années plus tard : «Les Américains nous ont roulés.»

Par ailleurs, dans la liste des organisations payées par la C.I.A., soit directement, soit par l’intermédiaire de « fondations », que publia la revue Romparta en 1968, on voit figurer un syndicat d’étudiants basques créé par le P.N.V.

25. L’Etat tout entier est une énorme machine chargée de réprimer la majorité : tous les exploités et les opprimés ; parfois de façon directe (armée, police, lois, tribunaux…), parfois indirectement, au moyen d’appareils de manipulation-intégration (presse, propagande, télévision…). Cette machine constitue en même temps l’expression politique ou idéologique de la classe au pouvoir, des capitalistes.

Ceux-ci, qui en sont conscients, font appel à la police chaque fois qu’une grève ou une protestation ouvrière éclate. Rappelons les rapports directs de Gondra et Alonso Vega pendant la grève de Bandas.

Par ailleurs, le contrôle de la classe dominante sur les différents appareils de manipulation est strict. Pour n’en donner qu’un exemple : parmi les cinq premiers actionnaires du journal de Bilbao El Correo espanol on voit figurer les entreprises suivantes, soit nominalement soit à travers leurs conseillers communs : Banque de Biscaye (Banco de Viz-cay.a), Hauts fourneaux de Biscaye, Sevillana d’Electricité et Compagnie métropolitaine de Madrid. (Sources puisées dans Informe sobre la information de VAZQUEZ, réédité récemment.)

26. V.L LÉNINE, Les Enseignements de l’insurrection de Moscou.

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MRPP – Révolution et contre-révolution au Portugal

Interview d’un représentant du Comité Central, novembre 1974

Question : Qu’en est-il du fascisme ? Ici, une partie de la presse semblait indiquer que cette question avait été réglée par le 25 avril.

Réponse : notre mouvement a toujours dit, il l’a même dit dès les premières heures du 25 avril, que ce coup militaire ne mettrait pas fin au fascisme, étant donné ses caractéristiques de classe.

Un coup issu des forces des monopoles et de l’impérialisme pour empêcher la révolution ne pourrait pas bousculer les bases économiques et sociales du fascisme.

C’est parce que le peuple est descendu dans la rue, qu’il a fait la chasse aux fascistes, aux Pides [les forces de la police secrète, la Polícia internacional e de defesa do estado], aux légionnaires, que la bourgeoisie a dû prendre des mesures comme la dissolution de certains des organismes policiers et fascistes du régime d’avant le 25 avril.

Mais nous avons toujours souligné que les monopoles et l’impérialisme poursuivaient leurs conspirations, leurs préparatifs pour abattre le mouvement populaire par la contre-révolution fasciste, dès que des conditions favorables se présenteraient.

En réalité, la bourgeoisie, les monopoles, les impérialistes utilisent le gouvernement provisoire et la junte militaire comme le rideau démocratique derrière lequel ils préparent la contre-révolution fasciste.

Avant le 28 septembre, ce n’est pas par hasard si les fascistes conspiraient ouvertement, formaient leurs partis politiques, publiaient leurs journaux, faisaient entrer des armes dans les pays par des points précis de la frontière, que le gouvernement connaissait, tandis que les marxistes-léninistes, notre mouvement, son journal, ses activités, son directeur étaient poursuivis. La bourgeoisie avait besoin de faire taire l’extrême-gauche et notre mouvement pendant qu’elle préparait activement la contre-révolution.

Il n’y a aucune contradiction entre l’existence d’un gouvernement provisoire, en apparence démocratique, et ces préparatifs. La bourgeoisie et les monopoles contrôlent le gouvernement provisoire et la junte. C’est une façon qu’a la bourgeoisie de s’emparer de l’Etat, de tromper les masses populaires ; un moyen de les désarmer et de préparer activement la contre-révolution armée.

Ce que nous disions s’est réalisé : les fascistes se sont organisés, ils ont déclenché leur campagne de presse, ils se sont armés, et ils préparaient pour le 28 septembre une première et importante manifestation de force. Ils n’avaient pas l’intention encore de faire un contre-coup d’Etat militaire ; ils préparaient seulement une grande manifestation, et le 28 septembre fut un premier choc entre les forces populaires et les forces de la contre-révolution.

Ce furent les masses qui descendirent dans la rue, qui organisèrent les barrages routiers, qui défilèrent par milliers dans les rues, à l’appel soit de notre mouvement, qui fut l’unique organisation à convoquer une contre-manifestation sur le lieu même où allait se dérouler la manifestation fasciste, soit de commissions de travailleurs, d’une façon spontanée, etc.

Donc, les marxistes-léninistes (avec notre mouvement en tête) et de larges masses populaires sont descendus par dizaines de milliers dans la rue, pour retirer aux fascistes le droit à la parole, le droit de réunion, le droit d’association. Il faut dire que le 28 septembre, les forces révisionnistes, celles des partis du gouvernement étaient tout à fait paralysées, parce que les masses populaires avaient compris que les M-L avaient eu raison de dire que la contre-révolution se préparait derrière le rideau du gouvernement.

Donc, ils furent complètement isolés, les masses populaires les ont dénoncés, ont compris leur complicité dans les préparatifs de la contre-révolution ; et pendant les premières heures, le 28 septembre, et même le 29, c’était la paralysie totale chez les partis de la bourgeoisie. Mais avec les révisionnistes en tête, ils ont tenté une grande manœuvre pour essayer de reprendre l’initiative, la direction du mouvement populaire qu’ils avaient entièrement perdue.

Tout au long des mois précédents, lors de la grève de la TAP (Transports aériens portugais), du Journal du Commerce, lors des grandes manifestations politiques des ouvriers de la Lisnave (Chantiers navals de Lisbonne), et dans toutes les principales luttes populaires qui s’étaient déroulées jusque-là, les masses populaires avaient eu le parti révisionniste comme principal ennemi, principal agent de la répression des ouvriers.

Dès le lendemain du 28 septembre, les révisionnistes annoncent qu’ils ont découvert un grand coup d’Etat militaire fasciste, une énorme conspiration, qui, en réalité, n’existait pas (pas encore à ce moment-là), et ils déclarent : « Les sauveurs du peuple, les héros de la nation, c’est nous, ce sont nos officiers patriotes qui ont empêché le fascisme de revenir. »

Et ils ont mené un véritable contre-coup, un véritable assaut des forces révisionnistes, à l’intérieur de l’appareil d’Etat, du MFA, de tous les organes de l’Etat, où ils ont renforcé leurs positions ; ils ont ainsi créé les bases matérielles d’un coup d’Etat social-fasciste.

En ce qui nous concerne nous avons dit : « Abandonnez vos illusions et préparez-vous à la lutte ; le 28 septembre a été un premier combat, mais non le combat principal. Quelques fascistes ont été mis en prison, quelques mesures ont été prises contre eux.

Les masses populaires ont imposé la fermeture de quelques-uns de leurs journaux, mais c’est une illusion de croire que le fascisme a disparu ; la base politique, sociale et économique du fascisme persiste, et ils ont fait le 28 septembre pour protéger les bases du fascisme, c’est-à-dire les patrons, les monopoles, l’impérialisme ; donc pour duper les masses avec quelques mesures superficielles, formelles, et pour que le mouvement populaire, démocratique, antifasciste ne puisse atteindre les racines, la base sociale, économique, du fascisme ; les monopoles et l’impérialisme continuent d’être maîtres dans notre pays, et préparent activement la contre-révolution. »

Ce qui s’est produit après le 28 septembre, confirme les analyses de notre mouvement.

En effet, peu de temps après, les membres des petits partis fascistes interdits après le 28 septembre, se sont regroupés dans un nouveau parti, le « Centre Démocratique et Social » (C.D.S.) dont un des dirigeants est un ancien collaborateur de Marcelo Caetano, théoricien du droit fasciste : Freitas do Amaral, également connu comme l’un des agents les plus actifs du fascisme dans la répression du mouvement étudiant.

Les autres cadres, ce sont d’anciens chefs de police, d’anciens légionnaires et des dirigeants des partis interdits. Ils ont changé un peu de tactique, ils ont monté un parti légal, un parti « social-démocratique », qui dit respecter le programme des Forces Armées, qui rassure. Derrière cette façade, ils préparent la contre-révolution.

Nous connaissons (elles sont de notoriété publique), les liaisons de ce parti avec la CIA, les chèques qu’il reçoit des banques américaines, et l’on sait aussi que des armes continuent à entrer au Portugal par des points de la frontière connus des Forces Armées.

Les fascistes préparent quelques milliers de mercenaires et d’agents entraînés par la CIA ; nous avons déjà des informations sur le fait qu’ils préparent des actions de commandos contre des « objectifs précis », comme ils disent. Les préparatifs de la contre-révolution sont donc de nouveau en marche : les événements du 4 novembre sont significatifs à cet égard.

Le 4 novembre, le CDS, après avoir fait une campagne prudente mais active, appuyée par l’une des principales agences de publicité américaines, a convoqué par l’intermédiaire de sa jeunesse « centriste », son premier meeting à Lisbonne dans le théâtre Saô Luis.

Notre mouvement a tout de suite dénoncé la signification de ce meeting : les fascistes relevaient la tête ; les fascistes, comme avant le 28 septembre, mesuraient leurs forces, essayaient de reprendre le droit à la parole, sous le drapeau du « Centre » et de la « Démocratie ».

Alors, les organisations de la jeunesse révolutionnaire et progressiste, les Comités Ribeiro Santos, groupés depuis quelques semaines dans la Fédération Révolutionnaire des Etudiants Portugais, ont appelé à une contre-manifestation pour leur retirer le droit à la parole.

Cette manifestation a rassemblé plusieurs milliers de personnes dans le centre de Lisbonne. Il y avait des banderoles avec le mot d’ordre « Mort au fascisme, le Peuple vaincra ». La foule s’est dirigée vers le lieu où se tenait la manifestation fasciste, et c’est alors que la police de choc, la police dont la dissolution avait été annoncée par le gouvernement, a chargé brutalement. Les policiers ont utilisé d’abord des bâtons, puis des dizaines de grenades lacrymogènes, et finalement ils ont ouvert le feu à coups de mitraillettes.

Cependant le 4 novembre eut un effet très Important : il a démontré la profondeur de la crise ainsi que la volonté de lutte et la combativité des masses. Celles-ci ont résisté avec un grand courage aux rafales de mitraillettes et aux gaz lacrymogènes ; pendant plusieurs heures, elles ont élevé des barricades dans les rues d’accès au théâtre où se déroulait le meeting fasciste ; elles se sont armées de pierres et de barres de fer, elfes ont fait face et résisté fermement à la brutalité de la police fasciste.

Au cours de cette lutte, la police a blessé plus de trente personnes, dont onze par balles.

Tandis que cette manifestation se déroulait, une partie de la foule, près d’un millier de personnes, a marché contre le siège du CDS qui se trouvait à environ 1 kilomètre de là. Les masses l’ont envahi, ont détruit le matériel de propagande, les archives et l’infrastructure matérielle de ce parti.

Au siège du CDS, ont été découvertes des choses inouïes, comme par exemple, du matériel d’impression, valant des dizaines de milliers d’escudos. On a découvert de la correspondance, la liste des visiteurs, et des preuves indéniables de liaisons étroites, conspiratrices entre le CDS, les fascistes, la CIA, etc. ; d’importants industriels portugais, des hommes étroitement liés aux monopoles portugais, versaient des sommes, quelques-unes évaluées à 700 000 escudos par mois, au CDS. D’ailleurs, la manifestation fut reçue par des mercenaires armés, des « gorilas » comme on dit au Portugal, qui ont ouvert le feu, et blessé deux camarades.

Le 4 novembre a montré que les masses populaires sont prêtes à passer à l’action violente. Il a aussi permis de démarquer clairement deux camps : d’un côté les fascistes, les libéraux, les réformistes et aussi les néo-révisionnistes ; de l’autre, les masses populaires et notre mouvement.

En effet, le 5 novembre, la bourgeoisie tenta de contre-attaquer, de profiter de la lutte qui s’était déroulée pour lancer une grande campagne contre notre mouvement, et pour essayer, au moment où la crise commence, d’abattre l’avant-garde de la classe ouvrière.

Le 5 novembre, on a assisté à un spectacle très significatif : à la télévision, à l’heure où il y a le plus d’écoute, vers 21 heures, on a vu défiler tout d’abord le porte-parole du gouvernement, suivi par le secrétaire général du CDS fasciste, puis le secrétaire général du PPD, le secrétaire général du PS, le deuxième secrétaire du parti révisionniste.

Ils étaient tous venus à la télévision pour condamner notre mouvement, pour appeler à la répression, pour défendre le CDS fasciste. Toute la contre-révolution s’est montrée unie pour étouffer le mouvement de masse. Les principales figures du gouvernement et des partis sont venues à la télévision pour dénoncer ce qu’ils appellent un groupuscule. Pas si groupuscule que ça puisqu’il les a obligés à se déplacer tous !

La répression s’est déclenchée au cours de la nuit. Il faut savoir qu’au ministère de la Justice, il y a un « grand défenseur des libertés individuelles », qui pendant le fascisme n’a cessé d’écrire des articles sur le droit des citoyens à ne pas voir leurs résidences saccagées pendant la nuit par les forces de la Pide.

Au cours de la nuit donc, les hommes du Copcon sont entrés chez les personnes dont ils connaissaient les noms parce que celles-ci avaient donné leur identité à l’hôpital. Ils ont emprisonné douze à treize personnes ; maintenant il en reste onze en prison, parce que deux d’entre elles n’étaient manifestement pas impliquées dans les événements ; sur ces onze personnes, dix camarades qui ont été mis dans une des pires prisons militaires du pays.

La camarade Maria José Morgado qui avait été emprisonnée sous le fascisme et sauvagement torturée et qui, sous la torture, avait eu un comportement héroïque, digne de notre mouvement et des communistes, avait de nouveau été mise en prison lors des manifestations du 8 août quand notre journal fut interdit.

Le 5 novembre, elle fut de nouveau emprisonnée, et on a voulu la mettre dans la cellule où se trouvaient les agents de la Pide qui l’avaient torturée.

Notre camarade a tout de suite fait dire au directeur de la prison que ce serait elle ou les femmes de la Pide qui sortiraient vivantes de cette cellule.

Puis elle a entamé une grève de la faim qui a bénéficié d’un grand soutien populaire, d’un grand mouvement de masse que nous avons déclenché. Au bout de trois jours de grève de la faim, elle a été transférée, mais elle est isolée.

Elle exige sa libération, ou tout au moins d’être mise près des autres camarades emprisonnés. Il y a eu aussi une autre grave provocation ; la police a dit que pendant les événements du 4 novembre, elle n’avait pas ouvert le feu, ou que c’était en l’air, ou même que c’était les manifestants qui avaient tiré contre la police.

C’est exactement le même argument que les fascistes utilisaient, que les « démocrates », appelons-les comme ça, avaient utilisé quand ils avaient assassiné Victor Bernardes, dans la manifestation du M.P.L.A., au mois d’août.

Ils rééditaient cet argument maintenant : ils n’avaient pas tiré, bien au contraire, c’était les manifestants qui avaient tiré sur eux, mais fait curieux, il y avait onze blessés par balles, et l’un des plus gravement blessés, le camarade Jose Abrantes, l’avait été d’une balle au ventre.

Il était encore en danger de mort quand les troupes du Copcon sont entrées dans l’hôpital, prétendant l’emmener.

Voilà les faits. Notre mouvement a déclenché un grand mouvement populaire, exigeant la libération immédiate des antifascistes en prison, appelant toutes les forces progressistes du Portugal à se solidariser contre cet emprisonnement.

Je profite de l’occasion pour renouveler ici cet appel que nous lançons à toutes les forces vraiment démocratiques et anti-fascistes et progressistes pour qu’elles joignent leurs efforts aux nôtres pour exiger l’immédiate libération des hommes et des femmes qui sont en prison, pour avoir lutté contre le fascisme.

Dans la situation présente, nous continuons à avertir le peuple : « N’ayez pas d’illusion ; derrière le rideau de la Junte et du gouvernement, c’est le fascisme qui s’arme, c’est la contre-révolution qui se prépare ; la bourgeoisie utilise le gouvernement et la Junte pour tromper le peuple, pour le démobiliser, pour le convaincre qu’il n’y a pas de problème. De cette façon ils espèrent, le moment venu, pouvoir juguler la crise en abattant sur le peuple une contre-révolution sanglante. Seul le développement de la lutte révolutionnaire pourra extirper le fascisme à la racine. La révolution populaire, c’est la seule force qui, dans notre pays, peut s’opposer à la contre-révolution qui se prépare. »

Question : votre mouvement a fait l’objet après le 4 novembre de tentatives d’interdiction et d’anéantissement de la part du gouvernement provisoire.

Face à cette offensive vous avez développé une riposte qui a connu un grand écho de masse. Est-ce que tu pourrais nous en parler ?

Réponse : toutes les forces de la réaction unies ont tenté de profiter de cette occasion pour interdire les activités légales de notre mouvement, fermer son journal et arrêter ses principaux dirigeants. C’est le parti révisionniste qui a pris l’initiative de cette campagne de répression.

Question : vous le savez de façon certaine ?

Réponse : nous possédons des informations absolument certaines et directes. Par la bouche de son secrétaire général le parti révisionniste a demandé au Conseil des ministres du 11 ou du 12 novembre l’interdiction de notre mouvement. Il l’a fait aussi par le truchement de ses officiers dans le Mouvement des Forces armées.

Notre organisation dans la caserne où est installée une des forces principales du Copcon nous a fait savoir par ailleurs que le soir de ce même 12 novembre une unité du Copcon le R.A.L. 1 (Régiment d’Artillerie Légère n°1) s’apprêtait à marcher sur le siège de « Luta Popular ».

Pourquoi la bourgeoisie ne l’a-t-elle pas fait ? Parce que l’appui populaire à notre mouvement, et tout particulièrement la popularité de l’action du 4 novembre, l’en ont empêché. Les néo-révisionnistes qui ont applaudi à la répression et qui ont dit de nous « ce sont des aventuriers », ces néo-révisionnistes prétendaient que notre action était isolée.

Cependant ce que nous avons vu, c’est l’énorme appui populaire qui s’est manifesté sous plusieurs formes. Des éléments des masses venaient à nos sièges pour nous féliciter, pour nous exprimer leur soutien. Notre mouvement, ses communiqués, les jours suivants, ses meetings réalisés dans les rues de Lisbonne, de Coimbra, de Porto, etc., la grande campagne de mobilisation qu’il a lancée, ont été appuyés par les masses. Nous avons appris que d’autres attaques populaires, spontanées, contre des sièges et des locaux du CDS s’étaient produites après le 4 novembre.

Cette campagne s’intègre dans la tactique de notre mouvement qui, au même moment, a convoqué une réunion élargie de son Comité Central, où il a défini la tactique à suivre par rapport aux élections pour la Constituante, a étudié la question de la fondation du Parti, a déclenché une forte mobilisation de masse pour le meeting à Lisbonne où ces décisions ont été annoncées.

Ce meeting a été en quelque sorte, le point culminant de ce processus. Il a réuni à Lisbonne dans le Palais des Sports une dizaine de milliers de personnes pour appuyer la politique de notre mouvement. Ce fut une riposte de masse qui a tout à fait bloqué l’offensive réactionnaire de la bourgeoisie. Ce meeting s’est tenu le vendredi 22 novembre. La presse bourgeoise elle-même a été obligée d’assurer une large couverture à ces événements.

Question : tu parlais tout à l’heure de coup d’Etat fasciste, ou de coup d’Etat social-fasciste. Pour vous, cela représente-t-il le même danger ?

Réponse : Oui, nous croyons qu’il y a deux dangers qui guettent le mouvement populaire au Portugal. L’un, c’est le coup d’Etat fasciste préparé par l’impérialisme américain et la fraction de la bourgeoisie portugaise liée à lui. L’impérialisme yankee prépare la contre-révolution fasciste contre nous en Espagne où Il entraîne ses brigades, aussi bien qu’au Portugal où il complote dans et au dehors de l’appareil d’Etat. Un autre danger, en un sens plus redoutable, est celui d’un coup d’Etat social-fasciste contre lequel les masses populaires seraient moins bien préparées à riposter.

Il peut arriver qu’en invoquant le prétexte d’une menace fasciste les social-fascistes s’emparent de l’appareil d’Etat. Cette éventualité suscite d’ailleurs une certaine inquiétude au sein des autres milieux et partis bourgeois. En ce qui nous concerne nous disons au peuple que le fascisme et le social-fascisme c’est pareil et que le second est une dictature encore pire à certains égards.

Question : tu as parlé tout à l’heure du 28 septembre, date de la grande manifestation dite « de la majorité silencieuse », appelée par Spinola. Quelle en était la signification dans la tactique de l’ex-chef d’Etat ?

Réponse : les forces qui ont appuyé cette manifestation étaient liées aux intérêts américains et à ceux de cette fraction de la bourgeoisie qui avait le plus pâti du coup d’Etat du 25 avril. Autrement dit, les fascistes alliés aux Américains. Ils avaient su gagner dès le 25 avril des appuis dans la Junte militaire elle-même.

On y trouvait des fascistes notoires soutenus par Spinola. Celui-ci espérait que cette manifestation lui permettrait de concentrer le pouvoir entre ses mains pour le mettre au service de la contre-révolution. Le 28 septembre devait fournir un soutien populaire au fascisme et préparer l’opinion publique à ce qui allait suivre.

Question : on a l’impression que le 28 septembre marque la fin d’une première période, celle du compromis passé au lendemain du 25 avril entre les différentes forces bourgeoises et révisionnistes. L’échec de l’opération du 28 septembre n’a-t-elle pas profité surtout aux révisionnistes, avec lesquels Spinola était en conflit ?

Réponse : le coup d’Etat militaire du 25 avril a été fait sur la base d’un programme commun à plusieurs forces bourgeoises intéressées à l’adoption de quelques mesures politiques, économiques indispensables pour empêcher le développement de la révolution et consolider la dictature de la bourgeoisie.

C’est le programme du MFA qui exprime cet accord. Il y a dans le bloc au pouvoir de fortes contradictions qui opposent les fractions de l’impérialisme qui se disputent notre patrie. Le 25 avril a consolidé les positions de l’impérialisme européen et ouvert la porte au social-impérialisme russe qui menace les intérêts jusque-là prépondérants des Etats-Unis. Il s’est ainsi créé un nouvel équilibre (instable) entre les forces impérialistes qui dominent notre pays et tentent de s’assurer la domination exclusive de l’appareil d’Etat.

Les crises successives sont dues au développement de la révolution à laquelle chaque fraction bourgeoise oppose son programme. On ne peut savoir d’avance quelle force s’adjugera la part du lion. Les vicissitudes de cette lutte aiguë sont une confirmation frappante de la loi du développement inégal de l’impérialisme.

Les détachements de la bourgeoisie ne s’unifient que lorsque la révolution monte. Il peut arriver aussi qu’au moment où la lutte populaire aura pris de l’ampleur, ces contradictions s’accentuent et jettent la confusion dans le camp de la bourgeoisie. Mais quand elle est sérieusement menacée (comme lors de la crise du 4 novembre) toutes ses tendances s’unissent sur l’essentiel, la répression du mouvement populaire.

A présent c’est au tour du social-impérialisme de profiter de la situation. Les forces européennes manœuvrent entre lui et l’impérialisme américain.

Question : depuis le 25 avril les luttes de classes se développent de façon ininterrompue. Peux-tu en retracer les grands moments et en définir les tendances actuelles ?

Réponse : ce que tu dis est vrai, mais la montée des luttes précède le 25 avril et le conditionne. Depuis octobre 1973 un énorme mouvement gréviste a balayé le pays. Environ douze cent mille personnes ont débrayé, notamment dans l’électronique et la métallurgie. Il y eut aussi la grève des verriers de Marinha Grande.

Ces luttes, économiques quant à leurs objectifs immédiats, étaient en même temps politiques, parce que sous le fascisme toute grève posait la question du pouvoir.

Le 25 avril est intervenu pour empêcher ce développement du mouvement ouvrier, évidemment sans résoudre les problèmes de la classe ouvrière et du peuple parce qu’il ne touchait pas aux racines du pouvoir de, classe. Aujourd’hui la révolution est à l’ordre du jour. De grande tempêtes révolutionnaires s’annoncent.

La bourgeoisie ne peut plus gouverner mais la classe ouvrière n’est pas encore en mesure de prendre la relève. La bourgeoisie n’arrive pas à imposer ses programmes. Les crises politiques et économiques se succèdent ; les luttes révolutionnaires se succèdent. Il y eut jusqu’à présent quatre grands assauts populaires :

Le premier, au mois de mai, fut caractérisé fondamentalement par des revendications économiques. Les ouvriers croyaient que le gouvernement provisoire résoudrait leurs problèmes. Il y eut une puissante vague de grèves. Les questions politiques étaient évidemment présentes mais la classe ouvrière réclamait plus d’argent, moins d’heures de travail, la fin de l’esclavage fasciste. li n’a pas été difficile à la bourgeoisie de résorber cette crise avec l’aide du parti révisionniste. li est le moyen ultime auquel a recours la bourgeoisie en difficulté.

Par son entremise et grâce aux illusions qui existaient après le 25 avril, la bourgeoisie a pu faire face à la situation. C’était le temps où les révisionnistes disaient : « Camarades, il faut avoir de la patience, tout ça va se résoudre, c’est une question de temps, maintenant le fascisme c’est terminé, il faut attendre ; il ne faut pas demander le ciel, il faut être prudent, la réaction guette ; exiger trop, c’est faire le jeu de la réaction. »

Cette propagande a freiné cette première vague d’assaut. La caractéristique fondamentale de cette période fut la multiplication des luttes, mais politiquement, leur niveau était peu avancé.

La lutte s’est développée pratiquement dans tout le pays, toutes les usines sont entrées en grève pas simultanément, mais pratiquement toutes à un moment ou à un autre. li serait intéressant de demander aux groupes néo-révisionnistes ce que devenait leur thèse selon laquelle la révolution au Portugal était en reflux.

Pratiquement toute la classe ouvrière s’est engagée dans des luttes, et d’autres couches populaires aussi. Nous avons dit alors : c’est la première crise, mais d’autres lui feront suite. Chacune sera plus profonde et sapera plus gravement les fondements de l’Etat bourgeois ; la classe ouvrière approfondit son expérience, apprend à distinguer ses ennemis de ses amis, à connaître ses adversaires.

La deuxième crise fut clairement politique ; elle s’est terminée par la démission du premier gouvernement provisoire. Devant la situation qui ne montrait aucun signe d’amélioration, devant la crise économique, la classe ouvrière s’est mise à lutter de nouveau. Et pas seulement la classe ouvrière. Cette deuxième crise s’ouvre fin mai-début juin. La question coloniale y est posée, avec l’exigence unanime de la fin de la guerre.

Il y eut des luttes très significatives où le parti révisionniste est apparu comme le flic, l’agent principal de la répression. Des grèves comme celle des transports de la Garris, à Lisbonne, celle des boulangers et surtout celle du CTT (Postes, Télégraphes, Téléphone) ont été les premiers grands chocs qui ont permis à des secteurs entiers du peuple travailleur de connaître la vraie nature du révisionnisme.

Question : est-il vrai que le parti révisionniste a tenté d’organiser la population contre les grévistes du CTT ?

Réponse : c’est vrai. Pas dans les grands centres urbains où les grévistes pouvaient compter sur un soutien populaire important principalement organisé par notre mouvement, mais dans des centres plus petits comme Marinha Grande.

Les révisionnistes ont non seulement organisé des meetings contre les postiers mais ont en outre lancé contre eux des expéditions de commando social-fascistes. Par la radio et la presse ils ont appelé la population à se dresser contre les grévistes. Leur mot d’ordre central était : « La grève fait le jeu de la réaction. »

Les grévistes ont tenu tant qu’ils ont pu. Ils ont même jeté hors de leurs locaux des dirigeants révisionnistes venus pour, disons, les « conseiller ».

Cette deuxième crise prit fin avec la démission du premier gouvernement provisoire. La paix cependant a duré peu de temps. Ce deuxième gouvernement provisoire renforça les positions des révisionnistes en portant au poste de Premier ministre un officier (Vasco Gonçalves) dont les sympathies pour les révisionnistes sont notoires. Des illusions se sont répandues et la bourgeoisie obtint une petite trêve, mais voilà que les mois d’août et de septembre une nouvelle crise éclate.

Le mouvement anti-colonial s’affirme alors autour des mots d’ordre : « Totale indépendance et complète séparation pour les peuples des colonies, c’est le seul chemin vers la paix », et « pas un seul embarquement de plus pour les colonies ! », « retour des soldats ! ». Le pouvoir bourgeois fut contraint de reconnaître en toute hâte l’indépendance des colonies. Ceci quelques jours avant une grande manifestation de masse convoquée pour les derniers jours de juillet.

Ce grand mouvement populaire anticolonialiste a démasqué les manœuvres démagogiques de la bourgeoisie (proclamer le droit à l’indépendance des colonies, annoncer que la guerre allait finir, que tout était fini).

Notre mouvement et le mouvement populaire anticolonial (MPAC) ont organisé la lutte contre la guerre, pour la complète indépendance des colonies, pour le retour des soldats, contre les embarquements. Dix mille personnes se sont mobilisées à leur appel le 30 juillet à Lisbonne. Ce fut une victoire Importante.

En même temps le mouvement démocratique prenait aussi son essor en riposte au développement de la conspiration fasciste. Ce mouvement se fixait comme but d’arracher le fascisme par les racines et pour cela d’abattre le pouvoir des monopoles et de l’impérialisme. La plupart des luttes ouvrières de cette période ne sont pas pour l’essentiel de nature revendicative mais ont des cibles antifascistes.

C’est le cas de la grève de la TAP en août-septembre. Les ouvriers exigeaient le départ de l’entreprise des fascistes responsables de la répression du 12 juillet 1973 qui fit un mort. Ils présentaient aussi des revendications économiques mais les objectifs politiques étaient principaux. Les grévistes du « Journal du Commerce » ont mis en tête de leurs revendications la démission d’un fasciste.

De même à la Lisnave des milliers d’ouvriers sont descendus dans la rue pour exiger l’expulsion des fascistes de l’entreprise. Les luttes les plus significatives comportaient aussi une connotation anti-impérialiste. Par exemple les ouvrières de la Sogontal se sont battues contre les licenciements décidés par cette multinationale française. Ces luttes ont opposé la classe ouvrière à l’Etat bourgeois et au parti révisionniste dont les cellules locales ont boycotté toutes ces grèves.

Cette période a été marquée aussi en septembre par la mobilisation des paysans. Ils exigeaient la restitution des « baldios », terres communales expropriées sous le fascisme par l’Etat, surtout là où il y avait des forêts pour mettre celles-ci à la disposition des monopoles de la cellulose. Au sud du Tage, une zone où les salariés agricoles sont nombreux, ceux-ci sont également entrés en lutte.

Face à ce grand mouvement populaire qui posait les questions de la paix, de la terre, de la lutte conséquente contre le fascisme, le gouvernement provisoire a tenté de riposter en interdisant notre journal (qui a reparu dans la clandestinité) et en promulguant une série de lois antipopulaires. Celle sur la presse est identique à la loi élaborée par Caetano mais qu’il n’avait pu imposer.

Le 28 septembre mit fin à cette crise. La fraction impérialiste-fasciste de la bourgeoisie voulut prendre en main la situation en organisant un coup d’Etat dont le 28 septembre était la préparation. Quelques jours auparavant nous avions dit : « De grands affrontements de classes, de grandes luttes populaires se préparent ! La révolution et la contre-révolution vont connaître leur premier affrontement. »

C’est ce qui s’est produit le 28 septembre et la crise fut en apparence dénouée. Les révisionnistes ont affirmé que le fascisme avait été vaincu, qu’une nouvelle époque allait s’ouvrir. Une certaine trêve est intervenue à nouveau mais elle non plus n’a pas duré longtemps. Toutes les mesures prises par le gouvernement étaient formelles.

Les monopoles et les intérêts impérialistes n’ont pas été touchés. Le gouvernement provisoire continue à vendre notre pays à toutes les fractions de l’impérialisme qui se le disputent. La situation politique, économique et sociale n’a connu aucun changement profond.

En ce moment nous sommes en pleine quatrième crise. Elle est conditionnée par la crise du capitalisme mondial. Le chômage massif agit comme détonateur. Officiellement, il y a 150 000 chômeurs. Ils seront deux fois plus nombreux à la fin de l’année. Il y a des licenciements dans des branches entières comme le bâtiment, le textile, l’électronique. La classe ouvrière s’y oppose par des grèves et des occupations conformément à nos mots d’ordre. Les chômeurs commencent aussi à s’organiser.

Parallèlement, l’inflation est énorme. Le caractère démagogique du salaire minimum accordé par les révisionnistes, au mois de mai, apparaît clairement à la classe ouvrière. Ce salaire minimum a été tout à fait mangé par la hausse des prix. Il y a aussi la question des horaires de travail qui devient une question politique : la lutte pour les 40 heures, c’est la principale arme que possèdent les ouvriers, les licenciés, les chômeurs.

On enregistre des mouvements d’occupation de maisons à Lisbonne, dans la dernière semaine ; un peu partout, les masses qui habitent dans les bidonvilles ont marché sur la ville et ont occupé plusieurs maisons, d’où elles ont été expulsées par les forces du Copcon. Voici donc la situation dans ses traits généraux, avec, encore, le mouvement paysan qui, lui, n’a pas connu de trêve au moment du 28 septembre.

Le chômage dans la paysannerie est dramatique. La lutte pour les « baldios » [les terres d’usage commun] et la lutte salariale restent tout à fait à l’ordre du jour.

Une crise importante se prépare donc. Elle se caractérise par une lutte aiguë au sein de l’appareil d’Etat et de l’appareil militaire entre les fractions de la bourgeoisie et leurs partis.

Partout c’est la division, les démentis publics se multiplient. Au moment où je parle, la classe ouvrière commence à se ranger aux côtés de notre mouvement, à lui apporter son appui en venant discuter dans nos sièges de ses problèmes, en démasquant l’intersyndicale.

Au cours d’une lutte importante menée par les dockers à Lisbonne, un délégué de l’intersyndicale a été mis à la porte avec cette insulte : « Intersyndicaliste, taille-toi ! »

Question : les lois contre la presse, la loi anti-grève, peux-tu nous en donner le contenu ?

Réponse : en apparence, la loi sur la presse dit : « Nous sommes en démocratie, la censure préalable est finie. » Mais en fait, ils ont constitué une commission « ad hoc» de militaires (les « colonels censeurs ») qui a tout pouvoir d’infliger des amendes et de suspendre tout journal coupable d’avoir écrit quelque chose d’hostile à ce qu’ils désignent sous le terme vague de « programme des Forces Armées ».

Exprime-toi d’un point de vue révolutionnaire, marxiste-léniniste, hostile au gouvernement provisoire, au mouvement des Forces Armées, popularise les luttes menées par les soldats et les marins dans les casernes, tu verras ton journal suspendu pour un, deux, trois mois ou frappé d’une amende payable en vingt-quatre heures pouvant aller jusqu’à 500 000 écus. Impossible de faire appel.

Pour ce qui est de la loi anti-grève, l’article premier autorise bien la grève mais il est suivi de l’énumération de tous les cas où celle-ci n’est pas permise et des conditions dans lesquelles s’applique l’autorisation. D’abord, il faut l’accord de l’Intersyndicale avec un préavis de trente jours.

La grève est interdite dans les secteurs fondamentaux de l’économie. Elle n’est possible qu’après plusieurs jours de négociation obligatoires. Il s’ensuit qu’on ne peut presque jamais entrer en grève. D’ailleurs la classe ouvrière n’a jamais accepté cette loi : pratiquement toutes les grèves qui ont éclaté après sa promulgation l’ont violée. Enfin on ne peut pas faire grève avec occupation. Par contre le lock-out est permis.

Les lois sur le droit de réunion et d’association exigent que des responsables soient nommés et qu’une demande préalable soit déposée avant toute manifestation. Elles accordent aux autorités le droit d’interdire toute réunion quand « les intérêts généraux » sont de quelque façon « menacés ».

Question : tu as fait allusion aux luttes des marins et des soldats. Comment se sont-elles développées ces derniers mois ?

Réponse : les paysans, les ouvriers, mobilisés de force dans l’armée colonialiste ont mené, même sous le fascisme, des luttes contre la guerre, les embarquements, la discipline militariste. Les désertions ont été très nombreuses, vous le savez bien en France. Après le 25 avril notre mouvement s’est maintenu à la tête de cette lutte. Le MFA se dit un mouvement de toute l’armée. En réalité il ne représente que les officiers du cadre permanent.

Aussi n’a-t-il rien changé à la discipline et à la hiérarchie militariste. Dans les casernes il y a eu des dizaines de luttes férocement réprimées. Elles ont été dirigées par notre organisation clandestine au sein de l’armée « la Résistance Populaire Anticoloniale » (RPAC). Deux camarades accusés d’appartenir à cette organisation sont actuellement en prison. Le camarade Etelvino a été arrêté à son retour à la caserne après la manifestation du 4 novembre.

Ils ont découvert qu’il était blessé et l’ont enfermé au fort d’Elvas. L’autre camarade a été dénoncé par des officiers révisionnistes qui l’ont reconnu dans une photographie prise au cours d’une manifestation anti-colonialiste.

Nous incitons les soldats à refuser de partir pour le Mozambique ou l’Angola. Nous sommes décidés à poursuivre cette lutte et nous en acceptons les risques. D’ailleurs elle nous a gagné la sympathie des soldats.

Quand notre journal « Luta Popular » a été frappé d’une amende de 50 000 écus, parmi les premières personnes accourues à notre siège pour donner les quelques écus collectés autour d’elles, il y eut de nombreux groupes de soldats. Ils nous disaient : « Camarades, nous ne nous connaissons pas, mais votre journal c’est notre journal. »

Dans nos meetings, en dépit des risques, nous faisons une question de principe d’avoir parmi les orateurs des camarades de l’armée en uniforme. Seuls s’y opposent les révisionnistes qui sont unis aux officiers mais pas aux soldats, et aussi les néo-révisionnistes qui ont peur. Ces derniers sont d’ailleurs presque tous partisans du MFA.

Question : que représentent les quatre étapes du mouvement ouvrier dont tu as parlé du point de vue de la progression des formes de conscience et d’organisation du prolétariat et des masses populaires ?

Réponse : dans notre pays la petite bourgeoisie a un poids et une influence idéologique considérables encore renforcés par le fait que la classe ouvrière a été dirigée durant cinquante ans par le parti révisionniste qui l’a désarmée politiquement et idéologiquement.

Aujourd’hui une partie croissante des éléments avancés de la classe ouvrière commence à perdre ses illusions et, constatant le comportement des révisionnistes, elle se met graduellement à suivre nos mots d’ordre, à soutenir les positions des marxistes-léninistes.

Des luttes comme celles du CTT, de la TAP et de la Lisnave furent des écoles de conscience politique pour beaucoup de nos cadres actuels. Le développement de la crise, le fait que le révisionnisme apparaît comme une force contre-révolutionnaire et l’expérience faite par les masses dans leurs luttes des positions des divers partis, ont été les facteurs déterminants de l’évolution de la conscience politique.

Jusqu’à présent beaucoup de travailleurs, en particulier petits-bourgeois, oscillaient. La crise venant, ils soutenaient notre mouvement ; la crise s’éloignant ils soutenaient le pouvoir en place. Avec le mûrissement des conditions révolutionnaires cette oscillation commence à se stabiliser. Les travailleurs choisissent leur camp et s’y tiennent.

Les progrès de la conscience de ce qu’est la nature du révisionnisme et du pouvoir d’Etat apparaissent clairement quand on compare le 25 avril et le 28 septembre. Le 25 avril c’était une fête. Le peuple était dans la rue ; c’était la liberté, le fascisme était vaincu, une nouvelle société allait naître. Nombreux étaient ceux qui se faisaient des illusions. Le 28 septembre cette grande joie n’existait plus.

Les manifestations étaient fortement encadrées par les révisionnistes et les larges masses disaient : « Rien n’a changé pour l’essentiel. Les bas salaires, le chômage, tel est notre lot. » On l’a bien vu le 1er octobre quand l’Intersyndicale a organisé un meeting pour soutenir « l’action des forces démocratiques victorieuses le 28 septembre ».

Ce fut un échec car ce meeting n’a réuni que quelques milliers de personnes. Cette prise de conscience des masses s’est faite sur la base de leur propre expérience. Elles ont pu vérifier ce que nous disions.

En ce qui concerne les organisations, la position définie par la première conférence nationale du MRPP au début du mois de mai, est toujours actuelle. Quand il s’agit de faire descendre dans la rue, en un temps relativement court, des milliers de personnes, on doit pouvoir compter sur les liaisons.

Celles-ci sont assurées par les organisations de la volonté populaire : les commissions ouvrières, les commissions de quartiers, les associations de paysans. Il est significatif qu’aucune des grandes luttes qui ont eu lieu depuis le 25 avril (à la TAP, à la CTT, à la Lisnave) n’a été dirigée par l’intersyndicale mais par les travailleurs eux-mêmes organisés par leur avant-garde.

Par ailleurs nous insistons également sur la nécessité de militer dans les syndicats. Les masses y accourent car elles se font encore des illusions à leur sujet. Elles se rendent compte il est vrai que l’intersyndicale est un appareil bureaucratique répressif. Néanmoins, pour résoudre leurs problèmes, les masses adhèrent aux syndicats. Aussi devons-nous y être présents.

Nous ne négligeons pas pour autant notre travail dans les commissions ouvrières qui se sont créées spontanément dans presque toutes les usines. Nous nous efforçons de mettre à leur tête des ouvriers combatifs, nos camarades, parce qu’elles constituent un lien de masse et qu’il est vital que l’avant-garde soit à la tête des organisations ouvrières dans une situation où la révolution est à l’ordre du jour.

Question : quels sont les rapports entre les commissions ouvrières et les structures syndicales ?

Réponse : il n’y en a pas. Dans les usines les ouvriers élisent à la proportionnelle leur commission. Elle peut prendre en main toutes les affaires de l’usine. C’est un organe de leur volonté. L’intersyndicale se bat pour mettre dans les usines ses délégués mais les ouvriers s’y opposent. Nous luttons pour imposer que les délégués soient élus à l’usine, par la base.

Question : il faut souligner le caractère particulier de l’expérience syndicale de la classe ouvrière portugaise. Jusqu’au 25 avril il existait des syndicats fascistes, corporatistes, auxquels participaient les révisionnistes. Après le 25 avril la question syndicale ne se pose pas dans les mêmes termes que dans d’autres pays n’ayant pas la même histoire.

Réponse : oui, auparavant les syndicats étaient fascistes-révisionnistes. Les révisionnistes y occupaient déjà des positions très fortes. Les masses, par contre, n’y avaient aucune confiance.

Elles n’y allaient qu’à des moments précis comme par exemple la révision des contrats de travail. Pour elles c’était un organisme de vendus. En ce temps notre tactique était de ne pas adhérer au syndicat et d’en démasquer le caractère fasciste-révisionniste. Nous incitions les masses à renforcer les commissions ouvrières.

Après le 25 avril les syndicats transformés sont devenus « libéraux révisionnistes ». Il y a désormais liberté syndicale mais les révisionnistes, profitant de leur forte implantation antérieure se sont emparé de la direction de !’Intersyndicale. Ils en ont fait une bureaucratie social-fasciste au service de l’Etat bourgeois et des patrons.

Cependant les masses rejoignent les syndicats car elles nourrissent des illusions quant à la possibilité de résoudre leurs problèmes avec leur aide. Nous devons y intervenir, y organiser des noyaux marxistes-léninistes pour les transformer d’organes de la contre-révolution en organes de la révolution. C’est une possibilité réelle chez nous.

Question : quand le Mouvement pour la Réorganisation du Parti du Prolétariat (M.R.P.P.) a-t-il été fondé ?

Réponse : le M.R.P.P. a été fondé le 18 septembre 1970, à l’intérieur du Portugal, dans la plus stricte clandestinité. C’est un mouvement marxiste-léniniste-maoïste, dans le sens qu’il suit les positions politiques, idéologiques, théoriques des grands éducateurs du prolétariat mondial, Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Tsé-toung ; nous considérons les enseignements de la GRCP (la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne) et la contribution du camarade Mao Tsé-toung à la théorie de la révolution comme des apports créateurs.

Pour nous, le maoïsme est le marxisme-léninisme de notre époque. Notre mouvement s’est fondé en opposition à toutes les initiatives antérieures, opportunistes, néo-révisionnistes, de rupture avec le révisionnisme. Nous considérons que le parti révisionniste, le dénommé P.C.P. n’a jamais été un parti communiste. A ses débuts, il était anarcho-syndicaliste ; dans les années trente il s’est transformé en parti opportuniste de droite et révisionniste. Les tentatives faites en 1964 pour rompre avec le révisionnisme ne firent que reproduire le révisionnisme sous de nouvelles formes.

Les groupuscules qui sont apparus, particulièrement dans l’émigration, après 1963 étaient néo-révisionnistes. Notre mouvement a pour but d’appliquer de façon créatrice les principes du marxisme-léninisme-maoïsme à la situation concrète de la lutte des classes au Portugal, de fondre le socialisme avec le mouvement ouvrier de notre pays. Sa fondation représente une étape nouvelle dans la lutte de la classe ouvrière portugaise pour son émancipation.

Question : votre Mouvement s’appelle « Mouvement pour La Réorganisation du Parti du Prolétariat », il se fixe donc pour tâche la réalisation des conditions pour la fondation du Pari ?

Réponse : nous considérons que la fondation du Parti est la tâche première des communistes portugais. Mais dans les conditions propres du mouvement ouvrier portugais, où il existe un parti révisionniste qui pendant plus de cinquante ans a désarmé, a trompé la classe ouvrière, fonder un nouveau parti au moyen d’une scission intervenant au sein du parti « communiste portugais conduirait à reproduire ce parti.

C’est ce qui s’est passé en 1963 et après, avec l’apparition de groupuscules néo-révisionnistes dont plusieurs déclaraient avoir constitué le Parti. Nous pensons que celui-ci ne peut être fondé par décret mais dans la lutte de classe par la fusion de la théorie marxiste-léniniste et de la pratique du mouvement ouvrier.

Ce Parti se forgera dans les flammes de la lutte de classe au cours d’une pratique prolongée, à partir d’un noyau marxiste-léniniste enraciné dans les masses. Il devra réaliser les conditions politiques, organisationnelles et idéologiques nécessaires et suffisantes pour la fondation du Parti.

Nous parlons de fonder le Parti parce que nous ne voulons pas reprendre les traditions, les « héros », les pratiques des révisionnistes. Ça ne peut présenter aucun intérêt, sauf comme exemple négatif. Il s’agit de fonder un parti de type nouveau. Cela ne pourra se faire par une décision prise par quatre ou cinq personnes dans les quatre murs d’une chambre.

Question : quelles sont les conditions pour la fondation du Parti ?

Réponse : elles ont été formulées au cours d’une réunion du Comité Central en octobre 1972.

avoir mis au point un programme minimum et un programme maximum ainsi que les statuts. Le programme cependant ne peut être élaboré en chambre par une demi-douzaine de spécialistes. Il doit naître de la lutte des classes et répondre à ses besoins. Nous avons réalisé cette condition pour l’essentiel et préparons un projet de programme pour la fin de cette année. Nous publierons en même temps les statuts.

Avoir tracé une ligne de démarcation entre les marxistes-léninistes et les révisionnistes d’un côté, les marxistes-léninistes et les néo-révisionnistes de l’autre. Nous avons mené une importante lutte idéologique dans notre pays contre les faux communistes. Nous avons en particulier caractérisé politiquement et idéologiquement le néo-révisionnisme, phénomène qui est apparu aussi pensons-nous dans d’autres pays.

En troisième lieu, nous posons la condition d’avoir une position claire, nette et ferme sur la question coloniale et sur la question de l’indépendance nationale de notre patrie. Notre mouvement a été le seul qui ait adopté des positions internationalistes prolétariennes, en lançant le mot d’ordre « Guerre du Peuple à la Guerre coloniale ! », transformation de la guerre coloniale en guerre civile révolutionnaire.

Il a mené à l’intérieur du pays dans les dures conditions de la clandestinité, une grande lutte de masse contre la guerre et pour l’indépendance nationale des peuples frères des colonies. Nous avons par ailleurs caractérisé notre pays comme une néo-colonie de l’impérialisme américain, et désigné celui-ci comme l’ennemi principal du peuple portugais.

La quatrième condition, c’est d’avoir des noyaux forts dans les principaux centres ouvriers et dans quelques centres paysans. Notre mouvement a désormais des noyaux forts, stables, fermes, dans les principaux centres industriels et urbains de notre pays. Par contre notre pénétration dans la paysannerie est encore insuffisante. Nous devons faire des efforts importants pour que cette condition soit complètement remplie.

La cinquième condition, c’est la reconnaissance de notre mouvement par l’ennemi, comme étant son ennemi principal, et la reconnaissance des masses populaires à l’égard de notre mouvement comme leur avant-garde. Il est aussi nécessaire, bien que ce ne soit pas une condition essentielle que le mouvement communiste international ait une compréhension au moins implicite du rôle de notre mouvement. En ce qui concerne les deux premiers points, nous considérons ces conditions comme suffisamment remplies.

En ce qui concerne l’attitude du mouvement communiste international, notre mouvement s’efforce en ce moment de faire connaître sa position. Nous avons déclenché récemment un mouvement d’étude et de rectification des cadres et de mobilisation en vue de la fondation du Parti. Ce moment historique de la lutte des classes au Portugal n’est plus éloigné.

Question : est-ce que tu pourrais nous parler des organisations de masse créées à l’initiative du MRPP ?

Réponse : notre mouvement a constitué ou soutenu la mise sur pied de plusieurs organisations politiques de masse, presque toutes sous le fascisme.

− Le « Mouvement Populaire Anti Colonial » (MPAC) qui a lancé t l’intérieur comme parmi les émigrés une vaste action contre le colonialisme et la guerre, pour l’indépendance complète des peuples frères des colonies.

− La Résistance Populaire Anti Coloniale (RPAC), qui regroupe les soldats et les marins anticolonialistes et antimilitaristes dans la lutte contre le colonialisme et la guerre et contre la discipline militaire fasciste. Leur mot d’ordre est de retourner les armes contre la bourgeoisie. La RPAC, apparue tout de suite après notre mouvement, est la première organisation de masse que nous ayons fondée ; elle correspondait à une profonde nécessité du travail politique pour mobiliser les forces anti-colonialistes dans l’armée.

Le MPAC et la RPAC ont chacun leur journal central, l’« Anticolonialiste » pour le premier, « La Résistance » pour la seconde. Ces derniers sont toujours dans la clandestinité.

Il y a aussi, fondée récemment, la Fédération Révolutionnaire des Etudiants Portugais. La FREP rassemble un grand nombre de comités Ribeiro Santos. C’est une organisation de la jeunesse révolutionnaire et progressiste. Les comités Ribeiro Santos existent aussi dans la jeunesse non étudiante.

Mais les comités Ribeiro Santos des étudiants sont réunis dans la FREP. A la dernière séance de son congrès de fondation, le 7 novembre, assistaient 80 délégués de tout le pays. La FREP publie un journal légal : « le 12 Octobre ».

C’est la date à laquelle a été assassiné en 1972 notre camarade Ribeiro Santos par la Pide avec l’aide des révisionnistes. Son exemple a inspiré notre organisation de la jeunesse révolutionnaire et progressiste. C’est surtout parmi les jeunes étudiants et lycéens que sont actuellement réunies les conditions pour un regroupement dans une vaste organisation politique de masse. La FREP a en ce moment des milliers d’adhérents.

C’est une organisation très populaire. Dans toutes les villes du pays il y a aujourd’hui des comités Ribeiro Santos qui se développent rapidement car ils répondent aux besoins d’organisation de la jeunesse révolutionnaire et progressiste.

Question : dans quelles conditions a été assassiné Ribeiro Santos ?

Réponse : ce fut lors d’un meeting contre la répression fasciste à l’Institut Supérieur d’Economie de Lisbonne. Beaucoup d’étudiants avalent été emprisonnés et torturés. Ce meeting a réuni plusieurs centaines d’étudiants.

Peu avant qu’il ne commence, les étudiants ont découvert près de la salle un agent de la légion portugaise et de la Pide. Ils l’ont reconnu et l’ont conduit devant l’assemblée coiffé d’un sac et les mains liées derrière le dos ; ils se préparaient à faire un jugement populaire de cet assassin.

Paniqués, les révisionnistes qui dirigeaient à l’époque l’association des étudiants de l’Institut d’Economie sont allés trouver le secrétaire de la Faculté (qui était lui-même un informateur de la Pide) pour qu’il appelle la Pide afin qu’elle dise s’il s’agissait bien d’un de ses agents. Les étudiants, eux, l’avaient déjà identifié.

Les révisionnistes firent, peu après leur entrée dans la salle, suivis de deux agents de la Pide. Les masses ont dénoncé la présence des Pides et les ont attaqués pour leur infliger un juste châtiment. A la tête des jeunes se trouvait notre camarade Ribeiro Santos, militant de la Fédération des Etudiants Marxistes-Léninistes.

Quand il se précipita contre les Pides, les révisionnistes l’ont retenu en criant : « Du calme, du calme ! » et ont donné le temps aux agents de la Pide d’armer leurs fusils et d’ouvrir le feu. Il est mort d’une balle dans les poumons.

Un autre camarade a échappé au meurtre en empoignant le Pide, en l’obligeant à baisser le fusil. Il a reçu plusieurs balles de fusil dans la jambe. Puis il fut emprisonné et torturé. L’esprit du camarade Ribeiro Santos, l’esprit de servir le peuple et de se mettre à la tête des masses, a inspiré le travail de tout notre mouvement et celui de nos organisations de jeunesse en particulier.

Quand le 13 juin 1973 la police de choc a tué un ouvrier de la TAP lors d’une grève de cette entreprise, la jeunesse étudiante de Lisbonne a décidé de s’organiser en comité Ribeiro Santos pour soutenir les ouvriers de la TAP. En dépit des conditions de la clandestinité, cette initiative eut un grand retentissement. Beaucoup de jeunes ouvriers et de travailleurs d’autres zones du pays se sont organisés pareillement.

Il y a aussi les comités du 8 mars qui regroupent les travailleuses antifascistes. Ces comités n’ont pas encore d’organisation centralisée. Ils sont implantés dans les quartiers et les usines sous la direction des femmes les plus avancées. Elles organisent la lutte des femmes pour les revendications locales, contre la vie chère, le chômage, la surexploitation à laquelle elles sont soumises dans leur travail, etc.

C’est un mouvement différent du MLF. Nous pensons que la libération de la femme est inséparable de l’émancipation de la classe ouvrière. Les femmes font un magnifique travail d’agitation-propagande contre la guerre. Elles ont regroupé les mères, les épouses, les fiancées des soldats dans de grandes manifestations après le 25 avril, exigeant le retour immédiat des soldats et s’opposant aux embarquements.

Nous avons en outre appelé à former des commissions ouvrières. Avant le 25 avril elles existaient dans la clandestinité. Aujourd’hui elles fonctionnent dans toutes les usines comme organismes largement démocratiques élus par la classe ouvrière.

Les associations paysannes ne sont apparues que dans quelques endroits. Nous déployons actuellement de grands efforts sur ce front. Les salariés agricoles, les paysans pauvres se regroupent dans ces associations pour exiger l’expropriation des gros propriétaires et la distribution de la terre. Ils mettent aussi en avant des revendications relatives aux salaires, aux prix des produits, à celui de la terre, etc.

Il existe aussi une organisation construite autour du journal « Yenan ». Elle regroupe les intellectuels, les artistes révolutionnaires sous la direction du prolétariat. Leur tâche est de produire la culture nouvelle, la culture de la révolution au service du peuple. Le journal « Yenan » clandestin avant le 25 avril, paraît aujourd’hui légalement.

A ces organisations viennent s’en ajouter d’autres non intégrées dans notre mouvement mais liées à lui. Par exemple la Fédération des Etudiants Marxistes-Léninistes. Ce fut la première organisation communiste que nous ayons créée.

Elle a pris la tête de plusieurs grandes luttes étudiantes au cours des dernières années. Ses cadres se sont trempés dans les luttes de masse et sous la torture. Elle publie un journal légal : « Garde Rouge ».

Notre mouvement vient de lancer à l’extérieur du pays une organisation périphérique aussi pour les émigrés afin qu’ils soutiennent le peuple portugais et qu’ils élèvent leur conscience politique au cours des luttes auxquelles ils participent à l’étranger.

Question : pourrais-tu nous parler des grands mots d’ordre du MRPP ?

Réponse : la révolution au Portugal connaîtra deux étapes : la première sera démocratique et portera au pouvoir une dictature démocratique populaire, nouveau type d’Etat dirigé par la classe ouvrière en alliance avec la paysannerie et toutes les classes et couches de la population exploitées par l’impérialisme et le capitalisme monopoliste.

C’est le rôle important de la paysannerie pauvre dans la révolution qui rend nécessaire cette étape de révolution démocratique et populaire. Cette première étape réalisera les conditions du passage à la seconde, la révolution socialiste.

Quelques grands objectifs résument le programme de la révolution démocratique et populaire :

le pain, c’est-à-dire la fin de l’exploitation par le capital monopoliste et l’impérialisme, la remise à la classe ouvrière des moyens de production ;

la terre, c’est-à-dire l’expropriation des latifundia et leur distribution aux paysans pauvres ;

la paix qui passe par la reconnaissance totale du droit à l’indépendance des peuples des colonies. Il reste encore de grandes tâches à accomplir dans ce domaine. En effet, le peuple du Mozambique a remporté une grande victoire avec la signature des accords de Lusaka, mais une nouvelle provocation de la part du colonialisme portugais et de l’impérialisme est toujours possible.

Ils préparent un complot pour empêcher le peuple angolais d’accéder à l’indépendance totale. Au Timor, le colonialisme portugais veut maintenir sa domination avec l’appui de l’impérialisme américain qui voudrait faire du Portugal un gendarme protégeant ses intérêts dans cette zone de l’Orient.

Aux îles du Cap Vert, le gouvernement portugais s’efforce de faire obstacle à la libre décision du peuple de s’unir avec la Guinée. A Sao Tomé et Principe, le colonialisme s’oppose à l’indépendance au moyen de la manœuvre néo-colonialiste du référendum, de l’assemblée constituante, etc., comme en Angola.

Nous dénonçons aussi les provocations dont le ministre de la dénommée « cour des nations inter-territoriales portugaises » s’est rendu coupable en considérant Macao comme partie intégrante de l’Etat portugais. Macao fait partie intégrante de la République Populaire de Chine, et seule, celle-ci décidera du moment où ce territoire sortira de la domination portugaise ;

l’indépendance nationale. Elle suppose que notre patrie soit libre de toute emprise impérialiste ou social-impérialiste. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous atteindrons ce but quand le prolétariat et le peuple exproprieront les biens des impérialistes et qu’ils expulseront les agences impérialistes et social-impérialiste.

la démocratie, la liberté. Elles doivent bénéficier au peuple qui exercera la plus ferme dictature sur les exploiteurs. Nous aurons une « démocratie nouvelle » fondée sur l’alliance de la paysannerie et de la classe ouvrière avec toutes les classes exploitées sous la direction du prolétariat.

Le pain, la paix, la terre, la démocratie, la liberté, l’indépendance pour les colonies et pour le Portugal, tels sont les six objectifs de notre programme.

Question : vous êtes actuellement dans la phase de révolution démocratique et populaire caractérisée par ces six mots d’ordre. Avec le renversement de l’Etat capitaliste monopoliste, cette phase prend fin, et s’ouvre l’étape suivante, celle de la révolution socialiste, n’est-ce pas ?

Réponse : oui, la révolution populaire armée établira un Etat de type nouveau, démocratique et populaire. Ce pouvoir doit être dirigé par la classe ouvrière. C’est une condition pour qu’on puisse passer à l’étape du socialisme, à la transformation de l’Etat démocratique et populaire en un Etat socialiste.

Question : avec un programme adéquat à cette nouvelle étape ?

Réponse : c’est cela, un programme socialiste.

Question : que représente la Constituante dans la stratégie de la bourgeoisie ?

Réponse : la politique bourgeoise obéit en ce moment à deux nécessités : la première est d’empêcher par la répression que les marxistes-léninistes puissent conquérir la direction des luttes ; la seconde est de mettre fin à la crise en imposant une trêve dans la lutte des classes au moyen des élections pour l’Assemblée Constituante.

Que ces élections aient lieu ou non cela dépend d’événements à venir. La Révolution est à l’ordre du jour. La bourgeoisie ne peut plus gouverner, la classe ouvrière s’y prépare.

Nous devons être prêts à faire face à tous développements futurs, qu’ils viennent de la contre-révolution ou des masses populaires. Il est néanmoins vrai que les élections entraîneront une trêve sociale. Elles sont une manœuvre de la bourgeoisie pour enrayer le mouvement populaire. Stratégiquement, la position des marxistes-léninistes est que cette Assemblée aussi bien que l’Etat, doivent être détruits.

C’est pourquoi nous travaillons au développement de la lutte révolutionnaire, à l’approfondissement de la crise. Ceci dit, tactiquement nous devons tenir compte des illusions que nourrissent les masses en ce qui concerne l’Assemblée Constituante.

Elles s’intéresseront aux élections si elles ont lieu. Notre devoir est d’y participer, de profiter de toutes les tribunes pour présenter notre programme, démasquer la manœuvre des élections, élever la conscience des masses. Ce serait les abandonner à l’influence de la bourgeoisie que de ne pas participer à la campagne.

Il faut dire que les nouvelles lois qui réglementent les élections et les partis sont aussi antipopulaires et scélérates que les précédentes. Elles sont conçues pour éliminer les marxistes-léninistes. Même si un parti obtient la majorité dans une, deux ou trois circonscriptions, il ne peut être représenté à l’Assemblée s’il n’a obtenu 5% des voix dans tout le pays.

De plus, la bourgeoisie a fabriqué une loi qui oblige les partis politiques à donner cinq mille noms à la police pour s’inscrire aux élections. Mais les masses populaires s’offriront pour donner ces cinq mille signatures et même plus. Notre parti pourra ainsi protéger son épine dorsale, son appareil politique central, contre les tentatives de la bourgeoisie pour le connaître afin de le détruire.

La question de la légalisation juridique de notre mouvement ou du parti (au cas où celui-ci existerait à ce moment) n’a rien à voir avec la question de la fondation du parti.

Cette dernière est une question politique qui sera tranchée par la classe ouvrière et n’est pas soumise aux conditions de la bourgeoisie. Notre mouvement se transformera en Parti quand les conditions politiques établies par son C.C. seront réunies.

Question : parle-nous de la campagne que vous avez lancée pour réunir les signatures nécessaires à la légalisation de votre mouvement.

Réponse : nous avons entamé cette campagne d’adhésions populaires dans un grand meeting de masse le vendredi 22 novembre au Pavillon des Sports à Lisbonne. Après avoir expliqué notre politique devant plus de dix mille personnes nous leur avons demandé de souscrire des bulletins d’adhésion que nous avions mis à leur disposition. Il y eut plus de deux mille adhésions. Nous sommes sûrs de pouvoir réunir bien plus que les cinq mille signatures nécessaires au cours des réunions qui auront lieu dans tout le pays.

Question : tu as parlé de l’insurrection populaire et des préparatifs de contre-révolution armée. Les révisionnistes font un grand battage en comparant la situation portugaise et la situation chilienne. Qu’en est-il de la violence révolutionnaire de masse, dès l’étape actuelle au Portugal ?

Réponse : avec le développement de la révolution apparaîtra la nécessité d’armer le peuple et d’organiser sa violence. Nous envisageons le moment où la révolution cessera de se développer pacifiquement. A ce moment les marxistes-léninistes devront être prêts à prendre la tête d’une armée populaire. Au Portugal la révolution ne l’emportera pas dans des délais courts comme en Russie. Nous aurons une guerre populaire prolongée, principalement parce qu’à cette phase l’intervention de l’impérialisme est Inévitable.

Question : que penses-tu de la lutte des deux superpuissances pour le Portugal ?

Réponse : un nouveau Munich se prépare à la suite de la conférence de « Sécurité européenne ». Le développement de la révolution dans des pays dominés jusque-là sans partage par les Etats-Unis (Grèce, Espagne, Portugal) a fait reculer leur influence alors que se renforçait celle du social-impérialisme.

Le danger d’un coup d’Etat impérialiste ou social-impérialiste guette notre peuple. Les deux superpuissances sont unies pour empêcher la révolution tout en se disputant notre patrie. Kissinger a menacé le président de la Junte militaire de lui tirer le tapis sous les pieds. Il a déclaré à des dirigeants européens que les Etats-Unis interviendraient « au cas où la situation deviendrait très grave ».

Si une telle éventualité se matérialisait, le peuple portugais aurait besoin du soutien le plus total des autres peuples européens dans sa lutte patriotique. D’ores et déjà celle-ci revêt la plus haute importance.

Question : vous avez émis l’hypothèse que cette agression pourrait venir de forces militaires espagnoles ?

Réponse : oui. Nous ne pouvons savoir comment cette intervention sera déclenchée concrètement. Une chose est sûre, pour défendre « les intérêts et les citoyens américains », il y a plusieurs moyens d’intervenir : débarquer des marines, bombarder, envahir avec des mercenaires portugais, etc.

Les agents de la CIA préparent et arment en ce moment en Espagne des milliers d’agents de la Pide qui s’entraînent près de la frontière conjointement avec des mercenaires d’autres pays. Ils bénéficient de la complicité des autorités espagnoles. La possibilité d’une invasion venue d’Espagne avec l’aide de l’armée fasciste, ou son intervention directe, ne doit pas être exclue.

Question : face à cette situation quel soutien internationaliste attendez-vous de la part des progressistes, des révolutionnaires, des marxistes-léninistes européens ?

Réponse : la tempête révolutionnaire s’approche en Europe où éclatent constamment des révoltes contre l’exploitation capitaliste, l’impérialisme américain, le social-impérialisme.

L’ampleur de ces luttes, fruit de la crise générale de l’impérialisme, ira croissant. Notre pays occupe une place particulière dans cette situation parce que la révolution y est à l’ordre du jour. La lutte des classes y est arrivée à un stade très aigu où la classe ouvrière doit envisager de pouvoir gouverner alors que la bourgeoisie n’est plus en état de le faire.

Notre combat peut comporter des enseignements pour l’ensemble du mouvement ouvrier européen. L’issue des batailles décisives qui seront livrées au Portugal affectera la lutte des classes en Europe. Depuis la création de notre mouvement, la classe ouvrière portugaise a su accomplir ses devoirs internationalistes et a la ferme intention de continuer à le faire.

En retour, nous sommes sûrs de pouvoir compter sur le soutien de la classe ouvrière et sur celui des marxistes-léninistes qui dirigent ses luttes en Europe. Ce soutien sera de la plus haute importance pour la révolution au Portugal. A son tour la victoire de cette révolution apportera une grande contribution au développement de la révolution prolétarienne en Europe et dans les autres parties du monde.

1er mai 2021 : la révolution mondiale est la réponse à la crise générale du capitalisme !

En ce premier mai 2021, nous tenons à réaffirmer qu’une grande transformation historique s’est opérée l’année dernière avec l’irruption de la maladie COVID-19. Il s’agit en effet d’une expression à la fois brutale et mondiale de la contradiction entre les villes et les campagnes rendue explosive en raison du développement du capitalisme.

Cette contradiction joue désormais un rôle essentiel dans la situation historique que nous vivons, comme en témoignent le réchauffement climatique, l’asservissement de milliards d’animaux, la destruction des espaces naturels et de la vie sauvage, la pollution, l’urbanisation dans une forme à la fois chaotique et irrespirable.

La contradiction entre les villes et les campagnes rejoint celle entre le travail manuel et le travail intellectuel, que le capitalisme a déjà développé au plus haut point, avec une exploitation toujours plus raffinée apportant une terrible aliénation dans les activités menées dans le cadre du salariat.

La situation se caractérise de la manière suivante : le capitalisme triomphant ne sait plus comment s’étendre, il pratique la fuite en avant, cherchant à façonner l’ensemble de la Biosphère selon ses besoins, à structurer les mentalités dans un sens qui lui soit encore plus favorable, à intégrer la moindre initiative dans quelque domaine que ce soit, en le détournant vers le subjectivisme et la corruption, afin d’ouvrir de nouveaux marchés.

Le capitalisme n’est plus que destruction, déformation, exploitation, aliénation. Et la crise sanitaire a ajouté du déséquilibre au déséquilibre, faisant passer un cap au capitalisme, enrayant son expansion qui l’a puissamment renforcé ces dernières années.

Autrement dit, la contradiction entre les villes et les campagnes et celle entre le travail manuel et le travail intellectuel, portées à un si haut degré de développement, ont abouti à la crise générale du capitalisme, c’est-à-dire à une situation où l’expansion du capitalisme ne peut plus que passer par la restructuration aux dépens du tissu prolétarien et par la guerre impérialiste pour le repartage du monde.

Nous tenons bien à insister sur ce caractère nouveau, avec en toile de fond la question du rapport entre l’humanité et la Biosphère qu’est la Terre. La situation actuelle n’est pas une aggravation quantitative de la « mondialisation », ni un sous-produit de la « crise financière de 2008 », ou quoi que ce soit de ce genre. C’est l’expression de toute une expansion ayant atteint sa limite, au niveau planétaire.

En tant que communistes de Belgique et de France, deux pays impérialistes, nous avons pu voir que la vie quotidienne a toujours été plus déformée ces dernières décennies par le 24 heures sur 24 du capitalisme, que l’expansion capitaliste a trouvé de nouveaux terrains par la force, la persuasion ou la corruption, que la croissance capitaliste a été effrénée.

Depuis les années 1990, la systématisation du capitalisme s’est déroulée à travers un incroyable nombre de formes, depuis les fast-foods jusqu’à Facebook et Instagram, depuis les modes vestimentaires jusqu’au cinéma et les séries, depuis les sports jusqu’aux expressions artistiques et notamment le pseudo « art contemporain », depuis la pornographie jusqu’aux drogues dites récréatives.

Les progrès technologiques, la transformation de la Chine en atelier puis en usine du monde, l’intégration des pays de l’Est européen… ont donné un élan formidable au capitalisme, étouffant la proposition historique communiste, asséchant les rébellions, démolissant le patrimoine révolutionnaire, affectant particulièrement le tissu prolétarien.

Le terme de « mondialisation » est erroné car le capitalisme ne s’est pas développé que dans l’espace : le moindre interstice de la vie quotidienne des gens a été occupé de manière généralisée par le capitalisme, tout leur temps subit les assauts du capitalisme. L’exploitation systématisée s’accompagne d’une aliénation généralisée.

Mais la base même du développement capitaliste est rentrée en conflit avec la réalité et ses exigences ; la crise sanitaire montre que le capitalisme est incompatible avec un développement rationnel de l’humanité et de manière plus générale avec une vie naturelle sur Terre. C’est tout ce processus qui touche à sa fin et appelle à un dépassement, dans une réponse qui ne peut être que mondiale.

Avec la crise sanitaire, l’humanité entière connaît une même actualité, des mêmes défis ; les questions sont posées à l’échelle mondiale et exigent une réponse à cette échelle. C’est là une situation nouvelle, qui n’a d’équivalent qu’avec la révolution d’Octobre 1917, au moment de la première crise générale du capitalisme.

C’est là-dessus qu’il faut se fonder. La bourgeoisie favorise le subjectivisme, l’égoïsme, l’égocentrisme, et pousse dans le sens d’une bataille générale pour le repartage du monde, pour l’appauvrissement des masses populaires ; le prolétariat exige l’unification mondiale de l’humanité, l’organisation rationnelle de la société sur la base de la planification, la réalisation de la démocratie à tous les niveaux, la culture fondée sur le réalisme, la vision matérialiste dialectique du monde.

Face aux restructurations, l’autonomie prolétarienne ! Face au fascisme, le Front démocratique populaire ! Face à la guerre impérialiste, la guerre populaire mondiale !

La révolution mondiale est la réponse à la crise générale du capitalisme !

Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

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L’expansionnisme russe anti-ukrainien et sa base idéologique « eurasienne »

Né en 1962, Alexandre Douguine est le principal théoricien nationaliste russe ; il avait notamment fondé en 1993, avec Edouard Limonov, le Parti national-bolchevique. Son importance idéologique est ensuite devenue immense dans la vision du monde de l’expansionnisme russe en général.

Alexandre Douguine fournit en effet les éléments idéologiques justifiant l’ensemble des manœuvres russes pour satisfaire ses ambitions et permettre de former des alliances en ce sens. Et l’idée de base est relativement simple, même si elle est ornée de justifications métaphysiques, religieuses, mystiques, etc.

La Russie ne serait pas un pays, mais un pays continent, où viendrait s’enliser tout ce qui vient des États-Unis. Cela signifie que tout ce qui s’oppose aux États-Unis doit, logiquement, venir s’appuyer sur la Russie, entrer en convergence avec elle.

C’est un appel ouvert aux pays capitalistes de moyenne taille cherchant à s’arracher à l’hégémonie américaine, tels l’Allemagne et la France, mais aussi aux pays semi-féodaux semi-coloniaux, telle la Turquie, l’Iran ou encore la Syrie.

Mais c’est surtout un moyen de s’étendre territorialement, comme avec le Donbass et la Transnistrie.

L’Eurasie ou la Russie comme continent

Dans la conception d’Alexandre Douguine, la Russie aurait été irriguée par les invasions asiatiques et est ainsi devenue porteuse d’une psychologie impériale supra-nationale, de type conservatrice « révolutionnaire ».

Le vaste territoire impliquerait la psychologie de la conquête, de l’expansion, d’une virilité guerrière ; l’existence de multiples communautés au sein de ce vaste territoire s’associerait à l’idée de petites sociétés conservatrices repliées sur elles-mêmes au sein de l’empire.

La Russie, cœur d’un large territoire appelé « l’Eurasie », mêlerait ainsi les religions catholique orthodoxe et musulmane, dans un élan communautaire opposé à l’esprit insulaire de la Grande-Bretagne et des États-Unis, bastion du protestantisme « matérialiste » et individualiste.

Le bien serait porté par la Russie ancrée dans la terre, le mal serait porté par les Anglo-saxons et leur puissance maritime.

Une lecture apocalyptique

La conception « eurasienne » se fonde directement sur le catholicisme orthodoxe avec une insistance très grande sur la dimension apocalyptique. On est, tout comme dans le national-socialisme, dans la tentative de fournir l’idée d’une révolution totale… mais de manière contre-révolutionnaire.

Voici comment Alexandre Douguine présente sa vision à une revue conservatrice révolutionnaire belge en 1991 :

« Après la perestroïka, il adviendra un monde pire encore que celui du prolétarisme communiste, même si cela doit sonner paradoxal.

Nous aurons un monde correspondant à ce que l’eschatologie chrétienne et traditionnelle désigne par l’avènement de l’Antéchrist incarné, par l’Apocalypse qui sévira brièvement mais terriblement. Nous pensons que la “deuxième religiosité” et les États-Unis joueront un rôle-clef dans ce processus.

Nous considérons l’Amérique, dans ce contexte précis, non pas seulement dans une optique politico-sociale mais plutôt dans la perspective de la géographie sacrée traditionnelle. Pour nous, c’est l’île qui a réapparu sur la scène historique pour accomplir vers la fin des temps la mission fatale.

Tout cela s’aperçoit dans les facettes occultes, troublantes, de la découverte de ce continent, juste au moment où la tradition occidentale commence à s’étioler définitivement. Sur ce continent, les positions de l’Orient et de l’Occident s’inversent, ce qui coïncide avec les prophéties traditionnelles pour lesquelles, à la fin des temps, le Soleil se lèvera en Occident et se couchera en Orient. »

L’eurasisme originaire renversé

L’eurasisme n’a pas été inventé par Alexandre Douguine, qui développe son point de vue au tout début des années 1990.

C’est initialement une conception délirante provenant de milieux ultra-conservateurs à la fin du XIXe siècle, comme le moine Constantin Léontiev qui voit en « l’asiatisme » un support à la religion catholique orthodoxe face au monde moderne, alors que l’historien Nikolaï Danilevski pense que ce support se trouve à l’opposé dans le panslavisme (« La Russie et l’Europe », 1869).

Le baron Roman von Ungern-Sternberg tenta, pendant la guerre civile suivant la révolution russe, de former une armée blanche nommée la « division sauvage » au moyen de cavaliers de la partie asiatique de la Russie, dans un syncrétisme orthodoxe-bouddhiste littéralement apocalyptique d’ailleurs soutenu par le Dalaï-Lama.

Puis cet espoir de revivifier le conservatisme russe au moyen d’un soutien extérieur a été développé par des émigrés russes fuyant la révolution d’Octobre 1917 établis en Bulgarie.

Le géographe et économiste Piotr Savitsky, le pionnier de cette idéologie, considérait que l’Eurasie était un « lieu de développement » façonnant un mode de pensée continental, non océanique, les Russes passant dans l’esprit des steppes grâce aux Mongols.

On trouve à ses côtés le linguiste Nikolai Troubetskoï, le théologien Georges Florovski, le critique musical Piotr Suvchinski ; ce groupe publia en 1921 Exode vers l’Orient, renversant les arguments anti-bolcheviks des sociaux-démocrates occidentaux. Ceux-ci accusaient les bolcheviks, c’est-à-dire les sociaux-démocrates russes, d’être trop orientaux dans leur approche ; les eurasistes affirmèrent que les bolcheviks ne l’étaient pas assez.

Des émigrés russes à Prague développèrent la même année une conception très similaire, avec la publication commune Orientations ; ce fut également le cas de George Vernadsky, le fils de l’immense savant Vladimir Vernadsky, qui devint professeur d’université aux États-Unis.

Après 1991, cette idéologie fut récupérée par le régime post-soviétique… Cependant, l’eurasisme est renversé. Alors qu’initialement il s’agissait de soutenir la Russie en appuyant son propre conservatisme par des aides extérieures, asiatiques, désormais la Russie se veut le bastion du conservatisme prêt à épauler les autres.

Une idéologie impériale

L’eurasisme a un aspect impérial : la Russie serait le seul moyen, de par son poids, de s’opposer au « monde moderne ». Il faut donc se tourner vers elle, d’autant plus qu’elle serait naturellement encline à abriter des communautés très différentes.

L’eurasisme s’oppose ainsi aux affirmations nationales, il est d’ailleurs de ce fait résolument opposé au romantisme slave. Il affirme une logique communautaire, où une sorte d’empire protège ses communautés intérieures vivant selon ses valeurs traditionnelles.

La Tchétchénie, avec son président qui est polygame, revendique son identité islamique précisément au nom d’une telle intégration communautaire dans une Russie « continent ».

Il ne s’agit pas d’une idéologie de type nationaliste classique, mais d’une logique impériale-syncrétiste, ce qui fait que n’importe qui n’importe où en Europe ou en Asie peut prétendre que « sa » communauté doit relever de l’approche eurasienne.

De manière « philosophique », on peut dire que les tenants de l’Eurasie opposent un espace au temps du libéralisme : c’est un anti-capitalisme romantique, une révolte irrationaliste contre le monde moderne.

Le « récentisme », une variante de l’eurasisme

Les « récentistes » sont un aspect de l’idéologie eurasiste. Ce sont des illuminés affirmant que la chronologie historique telle qu’on la connaît est fausse ; les civilisations antiques auraient en réalité existé durant le moyen-âge et c’est au 16e-17e-18e siècles qu’il y aurait eu une réécriture du passé.

Il y aurait ainsi au moins 800 années d’événements en trop ; la guerre de Troie serait en réalité une écriture poétique des Croisades, Jésus aurait été crucifié au 11e siècle, les Hittites seraient les Goths, Salomon serait le Sultan ottoman Soliman le Magnifique, etc.

Le fondateur du récentisme est le mathématicien russe de haut niveau, Anatoli Fomenko, né en 1945, qui affirme qu’il faut étudier l’histoire au moyen des statistiques, notamment afin d’éviter les « copies fantômes » relatant les mêmes faits historiques de manière « différente ».

Prenant par exemple les textes historiques de la Rome antique et de la Rome médiévale de manière statistique, il les compare et considère par exemple que la première est une « copie » de la seconde.

Et il explique que la falsification de la chronologie historique vise à « cacher » que, jusqu’à la fin du moyen-âge, le monde avait comme base une « horde russe » de type slave et mongole, qui aurait d’ailleurs même colonisé l’ouest américain ! Les Ukrainiens, les Mongols, les Turcs… seraient une composante historique de cette « horde russe ».

Le récentisme, idéologie relativiste jusqu’au délire, est le prolongement de l’eurasisme comme vision « civilisationnelle », où la Russie serait à travers l’Eurasie la vraie porteuse de la civilisation. L’Histoire est réécrite s’il le faut.

Le club d’Izborsk et les milieux du pouvoir

L’eurasisme ne réécrit pas seulement l’Histoire passée : il prône des orientations dans le temps présent, ce qui est sa véritable fonction en tant qu’idéologie justifiant l’expansionnisme russe. Un élément-clef est ici joué par le Club d’Izborsk.

Izborsk est une localité du nord-ouest de la Russie où l’on trouve des tumulus slaves du 6e siècle et une forteresse historique ayant entre le 12e et le 16 siècle résisté à huit sièges. C’est un symbole de la « résilience » russe, de son caractère « imprenable ».

Le Club d’Izborsk, qui est très lié à Vladimir Poutine et dont fait partie Alexandre Douguine, est le lieu de synthèse « géopolitique » de l’eurasisme. C’est là où sont produits les conceptions concrètes de l’eurasisme, les objectifs d’un expansionnisme agressif au nom d’un « traditionalisme technocratique», qui « allie modernisation technologique et conservatisme religieux ».

Le club dit d’ailleurs ouvertement que :

« Le club d’Izborsk est inclus dans des réseaux de pouvoir influents qui lui permettent de diffuser ses idées. En juillet 2019, le président du club, Alexander Prokhanov, a été invité au Parlement pour projeter son film « Russie – Une nation de rêve », dans lequel il promeut sa vision d’une mythologie scientifique et spirituelle nationale.

Le club d’Izborsk est également proche de personnalités clés de l’élite conservatrice, comme l’oligarque monarchiste Konstantin Malofeev ou le directeur de l’agence [spatiale] Roskosmos, Dmitri Rogozin. Enfin, il est proche du cœur du complexe militaro-industriel. Témoin de ces liens, le bombardier à missiles stratégiques Tupolev Tu95-MK, qui a été baptisé Izborsk en 2014. »

Ce club a publié une déclaration à sa fondation en janvier 2013 :

« Afin de prévenir une catastrophe imminente, nous appelons tous les hommes d’État qui apprécient l’avenir de la Russie à agir comme un front patriotique et impérial uni, opposé à l’idéologie libérale de la mondialisation et à ses adhérents qui agissent dans l’intérêt de nos ennemis géopolitiques.

L’aspect le plus important de notre unité est la compréhension correcte de la difficile situation actuelle.

La Russie a besoin d’une fusion de deux énergies puissantes issues des idéologies « rouge » et « blanche » du patriotisme russe. Cette fusion implique l’introduction dans la structure et le système de l’activité de l’État d’un puissant élément de justice sociale hérité de l’URSS, et un retour aux valeurs orthodoxes – spiritualité chrétienne et universalité de la Russie traditionnelle.

Une telle synthèse rendra notre pays et notre puissance invincibles, nous permettra d’offrir à l’humanité une voie universelle de développement social basée sur l’expérience de la civilisation russe. »

Une idéologie d’alliance

Si l’on regarde les idéologies des « républiques populaires » de Donetzk et Lougansk dans le Donbass, elles témoignent dans un mélange de religiosité orthodoxe et de nostalgie « soviétique » sur un mode impérial. Elles sont dans la ligne droite du Club d’Izborsk et de l’eurasisme.

Un militaire français engagé comme volontaire dans les forces armées de la « République populaire » de Donetzk présente de la manière suivante la mentalité des combattants :

« Ici, les fantasmes hégémoniques d’une Russie blanche, d’un empire soviétique, d’une Europe chrétienne sont incompatibles avec la réalité d’un front où se battent ensemble dans la même tranchée des européens, caucasiens, ouzbeks, tatars, tchétchènes, asiatiques, des orthodoxes, musulmans, païens, athées, des communistes, nationaux-bolcheviques, impériaux, cosaques, anarchistes etc. »

Il est du propre de l’eurasisme de considérer que l’idéologie est un moteur idéaliste personnel et que la question concrète est celle d’un « front » anti-libéral. C’est valable au niveau des États : en 2014 a été fondée l’Union économique eurasiatique avec la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie, rejoints par l’Arménie ; les idéologies des États biélorusse, russe et kazakh sont directement « eurasiennes » d’ailleurs.

Ces États se veulent les bastions d’un conservatisme impénétrable à « l’occidentalisme », avec un idéalisme conservateur. Et cet anti « occidentalisme » serait populaire et donc révolutionnaire.

Il n’est pas difficile ici de voir justement qu’en Europe il existe de nombreuses structures « conservatrices » mais « révoltées » qui convergent directement avec l’eurasisme (comme en France La France Insoumise, le PRCF, l’hebdomadaire Marianne, Égalité & Réconciliation), ou bien convergent avec malgré des réticences concernant l’Islam (le Vlaams Belang en Belgique, Marine Le Pen en France).

La question de l’alliance avec les républiques séparatistes en Ukraine a cependant amené le premier grand défi.

Alexandre Douguine et la partition de l’Ukraine

Dans une interview de 2014 à une revue conservatrice autrichienne, Alexandre Douguine expliqua que l’Ukraine était condamnée, en raison de l’appel de l’eurasisme pour sa « meilleure » partie.

C’est là très exactement l’idéologie de l’expansionnisme russe aux dépens de l’Ukraine.

Il dit :

« Professeur Douguine, le 1er janvier 2015, l’Union Économique Eurasienne deviendra une réalité. Quel potentiel détient cette nouvelle organisation internationale ?

L’histoire nous enseigne que toute forme d’intégration économique précède une unification politique et surtout géopolitique. C’est là la thèse principale du théoricien de l’économie allemand, Friedrich List, initiateur du Zollverein (de l’Union douanière) allemand dans la première moitié du XIXe siècle.

Le dépassement du « petit-étatisme » allemand et la création d’un espace économique unitaire, qui, plus tard, en vient à s’unifier, est toujours, aujourd’hui, un modèle efficace que cherchent à suivre bon nombre de pays.

La création de l’Union Économique Eurasienne entraînera à son tour un processus de convergence politique. Si nous posons nos regards sur l’exemple allemand, nous pouvons dire que l’unification du pays a été un succès complet : l’Empire allemand s’est développé très rapidement et est devenu la principale puissance économique européenne.

Si nous portons nos regards sur l’Union Économique Eurasienne, on peut s’attendre à un développement analogue. L’espace économique eurasien s’harmonisera et déploiera toute sa force. Les potentialités sont gigantesques.

Toutefois, après le putsch de Kiev, l’Ukraine n’y adhérera pas. Que signifie cette non-adhésion pour l’Union Économique Eurasienne ? Sera-t-elle dès lors incomplète ?

Sans l’Est et le Sud de l’Ukraine, cette union économique sera effectivement incomplète. Je suis d’accord avec vous.

Pourquoi l’Est et le Sud ?

Pour la constitution d’une Union Économique Eurasienne, les parties économiquement les plus importantes de l’Ukraine se situent effectivement dans l’Est et le Sud du pays.

Il y a toutefois un fait dont il faut tenir compte : l’Ukraine, en tant qu’État, a cessé d’exister dans ses frontières anciennes.

Que voulez-vous dire ?

Nous avons aujourd’hui deux entités sur le territoire de l’Ukraine, dont les frontières passent exactement entre les grandes sphères d’influence géopolitique. L’Est et le Sud s’orientent vers la Russie, l’Ouest s’oriente nettement vers l’Europe.

Ainsi, les choses sont dans l’ordre et personne ne conteste ces faits géopolitiques. Je pars personnellement du principe que nous n’attendrons pas longtemps, avant de voir ce Sud et cet Est ukrainiens, la “nouvelle Russie”, faire définitivement sécession et s’intégrer dans l’espace économique eurasien.

L’Ouest, lui, se tournera vers l’Union Européenne et s’intégrera au système de Bruxelles. L’État ukrainien, avec ses contradictions internes, cessera pratiquement d’exister. Dès ce moment, la situation politique s’apaisera. »

Alexandre Douguine prônait ainsi que les séparatistes pro-russes en Ukraine établissent une « Nouvelle Russie » dans tout l’Est du pays. Ce fut même le plan initial du séparatisme pro-russe.

Toutefois, les défaites militaires amenant une perte de territoire et de ce fait l’incapacité à conquérir la partie orientale de l’Ukraine amena un « gel » en 2015 du projet, alors qu’en novembre 2014 est limogé le gouverneur de la « République populaire » de Donetzk, Pavel Goubarev.

Alexandre Douguine fut parallèlement mis de côté en Russie, considéré comme allant trop loin dans la logique du conflit avec l’occident, nuisant ainsi à une partie des oligarques profitant largement du capitalisme occidental.

Alexandre Douguine au club d’Izborsk

Dans un article du 9 avril 2021 pour le club d’Izborsk, intitulé « La géopolitique de la Nouvelle-Russie sept ans après », Alexandre Douguine formule le point de suivant au sujet de la crise du Donbass :

« En 2014, c’est-à-dire il y a 7 ans, la Russie a fait une énorme erreur de calcul. Poutine n’a pas utilisé la chance unique qui s’est présentée après [la révolte pro-occidentale de la place] Maidan, la prise de pouvoir de la junte à Kiev et la fuite de Ianoukovitch en Russie. Cohérent dans sa géopolitique, le Président n’a pas été fidèle à lui-même cette fois-ci. Je le dis sans aucune réjouissance, mais plutôt avec une profonde douleur et une rage sincère.

Cette occasion manquée a été appelée « Novorossiya » [Nouvelle-Russie, un nouvel « État » dans l’Est de l’Ukraine], « printemps russe », « monde russe ». Sa signification était la suivante :

– Ne pas reconnaître la junte de Kiev, qui avait pris le pouvoir lors d’un coup d’État violent et illégal, – demander à [Viktor] Ianoukovytch [alors président ukrainien et destitué lors de l’Euromaïdan] de se lever pour restaurer l’ordre constitutionnel, – soutien au soulèvement dans l’est de l’Ukraine,

– introduction de troupes à la demande du président légitime (modèle Assad),

– établir le contrôle sur la moitié du territoire ukrainien,

– mouvement sur Kiev (…).

Le rejet d’un tel développement était motivé par un « plan astucieux ». Sept ans plus tard, il est clair qu’il n’y avait, hélas, aucun « plan astucieux ». Ceux qui l’ont préconisé étaient des scélérats et des lâches (…). C’est alors, et précisément pour ma position sur la Novorossiya, que le Kremlin m’a envoyé en disgrâce. Qui dure jusqu’à aujourd’hui (…).

Le projet Novorossiya a été esquissé par Poutine lui-même, mais il a immédiatement été abandonné (…). La Syrie a été une manœuvre géopolitique réussie et correcte, mais elle n’a en rien supprimé ou sauvé l’impasse ukrainienne. Une victoire tactique a été obtenue en Syrie. C’est bien.

Mais pas aussi important qu’une transition vers un effort eurasien complet pour restaurer une puissance continentale. Et cela ne s’est pas produit. La Nouvelle-Russie était la clé (…).

Aujourd’hui, après l’arrivée brutale de Biden à la Maison Blanche, les choses sont revenues là où elles s’étaient arrêtées en 2014 (…).

Seule l’armée ukrainienne a pu, en 7 ans, se préparer, se rapprocher de l’adhésion à l’OTAN et élever une génération entière de russophobes radicaux. Pendant tout ce temps, le Donbass a été dans un état de flottement. Oui, il y a eu de l’aide ; sans elle, il n’aurait tout simplement pas survécu. Mais pas plus que ça (…).

Au cours des 20 dernières années, la Russie a tenté de trouver un équilibre entre deux vecteurs :

– continental-patriotique et

– modéré-occidental.

Il y a 20 ans déjà, lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, j’ai écrit que cet exercice d’équilibre serait extrêmement difficile et qu’il valait mieux choisir l’Eurasie et la multipolarité. Poutine a rejeté – ou plutôt reporté indéfiniment – le continentalisme ou s’en rapproche au rythme d’un petite cuillère par heure.

Ma seule erreur a été de suggérer qu’une telle tiédeur ne pouvait pas durer longtemps. C’est possible et c’est toujours le cas. Mais tout a toujours une fin. Je ne suis pas sûr à 100% que c’est exactement ce qui se passe actuellement, mais il y a une certaine – et très significative – possibilité (…).

Je dis simplement que si Kiev lance une offensive dans le Donbass, nous n’aurons pas la possibilité d’éviter l’inévitable.

Et si la guerre ne peut être évitée, elle ne peut être que gagnée.

Ensuite, nous reviendrons sur ce qui a été décrit en détail dans le livre « Ukraine. Ma guerre » – c’est-à-dire à la Novorossiya, le printemps russe, la libération finale de la sixième colonne [=« c’est-à-dire les libéraux au pouvoir, les oligarques et une partie importante, sinon la majorité, de l’élite russe qui, bien que formellement loyale au cours patriotique du président Poutine, est organiquement liée à l’Occident], la renaissance spirituelle complète et finale de la Russie. C’est un chemin très difficile. Mais nous n’avons probablement pas d’autre issue. »

Pas d’espace pour l’Ukraine

La ligne dure appliquée par la Russie au début avril 2021 indique un retour à la ligne d’Alexandre Douguine. On est dans une perspective annexionniste agressive, plus dans une temporisation comme choisie en 2014. C’est bien évidemment la crise générale qui est la source du renforcement de la fraction la plus agressive de l’expansionnisme russe.

Et dans une telle approche eurasiste, l’Ukraine n’a pas le droit à l’existence, pour deux raisons.

La première tient à ce que dans une perspective purement « eurasiste », l’Ukraine est une petite Russie, une annexe, qui ne peut exister face au « libéralisme » que comme communauté inféodée à l’État-continent. L’expansionnisme russe peut en fait légitimer n’importe quelle subversion en prétendant que les forces « saines » prennent le dessus et qu’il s’agit de les soutenir – en attendant la suite.

La seconde, c’est que la nature nationale ukrainienne n’est finalement qu’une sorte d’accident, de malentendu, la Russie étant le véritable noyau civilisationnel authentique.

La Russie-continent s’imagine ainsi avoir une vocation expansionniste naturelle, allant de l’Atlantique à l’Oural. Et l’Ukraine est sur sa route.

L’origine du conflit Russie-Ukraine : la compétition entre l’expansionnisme russe et la superpuissance américaine

Pour comprendre le conflit russo-ukrainien, il faut cerner ses deux aspects principaux. Il y a tout d’abord la tendance à la guerre, avec des interventionnismes américain et russe très marqués. Il y a ensuite les rapports historiques entre la Russie et l’Ukraine.

La question du rôle du challenger

Dans les années 1960-1970, Mao Zedong a considéré que l’URSS social-impérialiste était la principale menace pour la paix du monde. La raison en est que l’URSS était le challenger. La superpuissance américaine ayant l’hégémonie, elle cherche surtout à maintenir ses positions, alors que le challenger doit venir chercher le numéro un sur son terrain.

Cela ne veut nullement dire que la superpuissance américaine ne poussait pas à la guerre. Néanmoins, la superpuissance soviétique était l’aspect principal de la contradiction entre superpuissances. On voit d’ailleurs que le pacte de Varsovie avait en 1982 pratiquement deux fois plus de tanks que l’OTAN, que l’URSS avait bien plus de têtes nucléaires que les États-Unis, etc.

Le piège de Thucidyde

L’universitaire américain Graham Allison, qui a été notamment conseiller de plusieurs secrétaires d’États (sous Reagan, Clinton et Obama) et est une figure des thinks tanks impérialistes américains, a publié en 2017 un ouvrage intitulé « Destinés à la guerre : l’Amérique et la Chine peuvent-elles échapper au piège de Thucydide ? ».

Il se fonde sur l’ouvrage La Guerre du Péloponnèse de l’Athénien Thucydide, où on lit que « Ce qui rend la guerre inévitable était la croissance du pouvoir athénien et la peur qui en résultait à Sparte. » Plus qu’une analyse géopolitique, cela reflète surtout la ligne stratégique américaine.

Car il ne faut pas confondre l’engrenage menant à la guerre et le caractère inéluctable de la guerre dans un cadre capitaliste, en raison de la nécessité du repartage du monde.

Le caractère inéluctable de la guerre

Staline, évaluant la situation, précise bien en 1952 dans Les problèmes économiques du socialisme en URSS :

« Il se peut que, les circonstances aidant, la lutte pour la paix évolue çà et là vers la lutte pour le socialisme, mais ce ne sera plus le mouvement actuel en faveur de la paix, mais un mouvement pour renverser le capitalisme.

Le plus probable, c’est que le mouvement actuel pour la paix, c’est-à-dire le mouvement pour le maintien de la paix, contribuera, en cas de succès, à conjurer une guerre donnée, à l’ajourner temporairement, à maintenir temporairement une paix donnée, à faire démissionner le gouvernement belliciste et à y substituer un autre gouvernement, disposé à maintenir provisoirement la paix. Cela est bien, naturellement. C’est même très bien.

Mais cela ne suffit cependant pas pour supprimer les guerres inévitables en général entre pays capitalistes. Cela ne suffit pas, car malgré tous ces succès du mouvement de la paix, l’impérialisme demeure debout, reste en vigueur. Par suite, l’inéluctabilité des guerres reste également entière. Pour supprimer le caractère inévitable des guerres, il faut détruire l’impérialisme. »

On doit bien distinguer l’engrenage, qui peut porter sur tel ou tel point et est toujours relatif, de la tendance à la guerre qui est-elle absolue.

Le conflit russo-ukrainien : la compétition impériale

Il n’existe pas de conflit entre les peuples russe et ukrainien, qui historiquement sont fondamentalement liés. L’amitié entre les peuples a cependant été pris en étau par l’expansionnisme russe et par la superpuissance américaine.

La Russie, dans un esprit chauvin où elle est de caractère « grand-russe », par opposition aux « petits-russes », a exigé la satellisation de la Biélorussie et de l’Ukraine. Les forces capitalistes bureaucratiques ont été soutenus, avec une oligarchie contrôlant des pays corrompus où l’opposition est écrasée.

La superpuissance américaine avait-elle préparé le terrain pour mener une révolution idéologique et culturelle et donner naissance à sa propre couche capitaliste bureaucratique.

Cet affrontement va provoquer la partition de l’Ukraine en 2014.

Le conflit russo-ukrainien : le rôle américain

En fait, à partir des années 1980, la superpuissance américaine a, depuis ses universités et surtout Harvard, proposé une relecture de l’histoire russo-ukrainienne des années 1920-1930.

L’URSS aurait voulu briser l’Ukraine, et ce dès le départ. Elle aurait sciemment laissé des gens mourir de faim en Ukraine, afin de l’écraser nationalement.

Il y aurait une extermination par la faim (« Holodomor » en ukrainien), coûtant la vie à entre entre 2,6 et 5 millions de personnes. Cette théorie a été reprise officiellement par l’État ukrainien après l’effondrement de l’URSS, avec une négation systématique de tout ce qui avait un rapport culturel ou historique avec le passé soviétique.

Quant à l’historien américain James Mace, à la tête de la commission américaine sur la « famine en Ukraine » dans les années 1980, et le théoricien du prétendu « holodomor » servant à détruire l’Ukraine en tant que nation, il a été enterré en Ukraine, dans un cimetière dédié désormais aux « patriotes ».

Et la rue de l’ambassade américaine à Kiev, auparavant rue de la Collectivisation puis Yuri Kotsyubinsky (du nom d’un renégat fusillé en 1937), a pris son nom en 2016.

La théorie de l’holodomor

L’idéologie de l’État ukrainien à partir du début des années 1990 est ainsi un pur produit américain. La nation ukrainienne aurait manqué d’être exterminé par l’URSS. L’historien américain James Mace résume cela ainsi en 1982 à Tel Aviv :

« Pour centraliser le plein pouvoir entre les mains de Staline, il était nécessaire de détruire la paysannerie ukrainienne, l’intelligentsia ukrainienne, la langue ukrainienne, l’ukrainien, l’histoire telle que comprise par les Ukrainiens, pour détruire l’Ukraine en tant que telle… Le calcul est très simple et primitif : s’il n’y a pas de peuple, alors il n’y a pas de pays séparé, et par conséquent, il n’y a pas de problèmes. »

On lit, dans cette optique nationale fantasmagorique, dans le document officiel de l’État ukrainien « Holodomor Le génocide en Ukraine 1932-1933, que :

« LES FERMIERS UKRAINIENS n’ont pas été privés de nourriture dans le but de les obliger à rejoindre les fermes collectives ; le processus de la collectivisation bolchevique des terres était pratiquement achevé en été 1932.

Le génocide par la famine a été volontairement dirigé dès l’origine contre la paysannerie ukrainienne en tant que noyau central de la nation ukrainienne qui aspirait à un État indépendant.

Elle était gardienne des traditions séculaires d’une agriculture libre et détentrice de valeurs nationales ; l’un et l’autre contredisaient l’idéologie communiste et suscitaient l’hostilité débridée des dirigeants bolcheviks. »

L’inanité de la théorie de l’holodomor

Les tenants de cette fantasmagorie sont pourtant en même temps obligés de reconnaître que la systématisation de la langue ukrainienne date précisément des années 1920-1930, que l’ukrainisation généralisée a caractérisé la politique soviétique.

Il n’y avait auparavant pas de presse ukrainienne, pas de maisons d’édition, le tsarisme écrasait l’Ukraine. Avec l’URSS, l’Ukraine s’affirme ouvertement sur le plan culturel et national. Il est donc absurde de constater cette affirmation et d’en même temps prétendre que l’URSS aurait voulu « anéantir » l’Ukraine. Il s’agit très clairement d’une interprétation façonnée par la superpuissance américaine afin de faire converger les multiples courants nationalistes ukrainiens.

Le rapport historique entre l’Ukraine et la Russie

Le rôle de la Russie n’est pas moins pervers que celui de la superpuissance américaine. En effet, la Russie abuse des liens culturels et historiques.

Car l’Ukraine est « russe » autant que la Biélorussie et la Russie. La première structure étatique est d’ailleurs la Rus’ de Kiev, qui a existé du 9e au 13e siècle. Elle s’est effondrée sous les coups des Mongols. Il y a alors, pour simplifier, trois forces dans la région :

– un bloc polonais-lituanien-biélorusse-ukrainien, qui existe jusqu’en 1795 comme grand-duché de Lituanie puis République des Deux Nations ;

– une Ukraine cherchant à se libérer de la domination du premier bloc, tout en étant la cible régulière des Tatars passant par la Crimée ;

– un bloc russe avec la grande-principauté de Moscou qui parvient à supprimer le joug mongol pour former un tsarat qui ne va pas cesser de s’agrandir, notamment aux dépens du khanat de Sibérie.

La Pologne, qui aujourd’hui se présente comme un martyr de l’Histoire, a ainsi en fait été une grande puissance visant à l’hégémonie régional, allant jusqu’à occuper Moscou au début du 17e siècle.

Les Ukrainiens devaient quant à eux choisir un camp. Le chef des cosaques, Bogdan Khmelnitski, fit alors le choix de la Russie, après s’être rebellé contre la noblesse polonaise.

Le traité de Pereïaslav de 1654 marque alors littéralement la fusion de l’histoire russe et ukrainienne, comme peuples « russes » parallèles.

Le conflit russo-ukrainien : le rôle russe

L’expansionnisme russe abuse cette histoire « russe » parallèle de manière complète, avec une démagogie sans limites. Elle le fait dans une optique grand-russe, où l’Ukraine ne serait jamais qu’une petite-Russie ne pouvant exister sans sa réelle base historique. Elle diffuse un ardent nationalisme en Russie.

Et aux gens en Ukraine qui sont attachés à la Russie, car il s’agit de deux peuples frères, elle dit que ne pas obéir à la Russie serait perdre tout caractère russe, comme si seule la Russie portait historiquement la Rus’ de Kiev.

Cela marque surtout les gens tout à l’est de l’Ukraine, du Donbass, le bassin houiller du Donets, mais même la partie est du pays en général, particulièrement lié à la Russie et parlant couramment le russe dans leur vie quotidienne, voire le pratiquant comme principale langue.

Il y a bien entendu une part de vérité, car les forces au service de la superpuissance américaine veulent inventer une Ukraine qui n’aurait aucun rapport historique avec la Russie. Et c’est d’autant plus vrai que les forces nationalistes ukrainiennes sont ultra agressives.

Le conflit russo-ukrainien : le nationalisme ukrainien

Le nationalisme ukrainien a une forme très particulière. Sa base historique vient en effet de l’extrême-ouest du pays, ce qui lui confère des traits déformés au possible.

Lorsque le tsarisme s’effondra, les forces bourgeoises ukrainiennes fondirent une « République populaire ukrainienne », qui ne dura que jusqu’en 1920 avec la victoire de l’armée rouge.

La Galicie orientale resta cependant aux mains de la Pologne. Cette région et l’Autriche deviennent alors le bastion des nationalistes ukrainiens, qui fondent en 1929 l’Organisation des nationalistes ukrainiens, avec comme dirigeant Stepan Bandera.

Anti-polonaise, antisémite, antisoviétique, pratiquant dans les années 1930 régulièrement le meurtre jusque des opposants, l’organisation convergea ensuite avec l’Allemagne nazie et forma une légion ukrainienne, puis une Armée insurrectionnelle ukrainienne massacrant notamment 100 000 Polonais dans une perspective de purification ethnique.

Cette « armée » finit par se retrouver à combattre très brièvement l’Allemagne nazie en cherchant un appui américain, avant d’être écrasée par l’avancée de l’armée rouge, alors que Stepan Bandera est exécuté par le KGB en Allemagne de l’Ouest en 1959.

La Galicie orientale devint alors soviétique, mais reste marqué par cette aventure « banderiste », surtout que la mouvance banderiste des pays occidentaux s’est précipité dans le pays après l’effondrement de l’URSS.

La valorisation de Stepan Bandera et de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne relève désormais de l’idéologie officielle et est portée par de multiples organisations nationalistes extrêmement actives et militarisées.

L’Euromaïdan et les nationalistes ukrainiens

Les organisations nationalistes ukrainiennes ont été très médiatisées au moment des rassemblements appelés « Euromaïdan », de par leur activisme violent et leur iconographie ouvertement nazie.

Ces organisations, comme Secteur droit ou Svoboda, se veulent les successeurs de Stepan Bandera, leur bastion est la partie extrême-occidentale du pays, la Galicie qui n’a rejoint le reste de l’Ukraine qu’en 1945.

Elles ont joué le rôle des troupes de choc lors de l’Euromaïdan, c’est-à-dire les rassemblements sur la place Maïdan (c’est-à-dire de l’indépendance) à Kiev, fin 2013 – début 2014. Jusqu’à 500 000 personnes ont protesté contre le régime, corrompu et à bout de souffle.

Ce fut alors la « révolution », c’est-à-dire la mise de côté de l’oligarchie pro-russe et son remplacement par une autre oligarchie, cette fois pro-américaine ou pro-européenne.

La dénomination du mouvement vient de Radio Free Europe, la radio américaine, alors que les États-Unis ont déversé des milliards par l’intermédiaire d’associations et d’ONG. Depuis 2014, le régime en place est ainsi pro-occidental, violemment anti-russe, farouchement anti communiste, réécrivant l’histoire ukrainienne.

Le séparatisme au Donbass et la question de la Crimée

Initialement, il y a eu des révoltes contre la ligne triomphant à l’Euromaïdan. Ces révoltes, manipulées par la Russie, ont immédiatement abouti à des mouvements séparatistes, usurpant l’antifascisme et les références soviétiques. Cela a donné deux pseudos-républiques populaires, celle de Donetsk et celle de Louhansk.

Dans les deux cas il s’agit de régimes satellites de la Russie, de forme anti-démocratique, patriarcale-clanique, avec les exécutions sommaires et la torture, tout comme d’ailleurs chez les unités anti-séparatistes néo-nazies quelques kilomètres plus loin.

L’idée était initialement d’unifier ces deux « républiques populaires » avec l’Est de l’Ukraine, pour former une « Nouvelle-Russie ». D’ailleurs, initialement les séparatistes avaient davantage de territoires ; à la suite de l’intervention ukrainienne, ils en perdu les deux-tiers.

La Russie a également profité de la situation pour annexer la Crimée. Cette région avait été littéralement offerte à l’Ukraine par le révisionniste Nikita Khrouchtchev, alors qu’historiquement la région est russe. Le prétexte était le 300e anniversaire du traité de Pereïaslav signé par Bogdan Khmelnitski avec la Moscovie, liant l’Ukraine à la Russie.

L’écrasante majorité des gens de Crimée a accepté le coup de force et l’annexion russe. Il n’en reste pas moins que c’est une invasion et une annexion contraire au principe du droit international, avec qui plus est des troupes russes sans uniformes afin de masquer les faits.

La Crimée ou la Nouvelle-Russie ?

L’expansionnisme russe fait face à un dilemme qui caractérise toute son attitude militaire et politique. D’un côté, la Crimée est alimentée en eau potable par un canal partant d’Ukraine et désormais fermé. Il lui faut impérativement débloquer cette situation.

Cependant, cela impliquerait, du point de vue expansionniste, d’effectuer un débarquement massif et de s’approprier une bande de terre au bord de la mer Noire, ce qui est délicat à défendre. Il faudrait en fait même étendre cette bande jusqu’aux pseudos « républiques populaires » et cela veut dire que le débarquement doit s’accompagner d’une pénétration massive par les troupes pour maintenir la conquête.

De l’autre, la Russie a l’espoir de disposer de l’accord passif d’une partie de la population à l’Est du pays en cas de passage à une hégémonie russe. Cela veut toutefois dire qu’il faudrait une pénétration militaire massive et, de ce fait, cela ne résoudrait pas la question de l’eau potable pour la Crimée.

Une troisième option serait une double combinaison débarquement – pénétration massive, mais ce serait là littéralement mener une guerre ouverte à l’Ukraine, alors que les deux autres options peuvent se maintenir comme opérations « localisées ».

L’expansionnisme russe se heurte à l’hégémonie de l’OTAN

Dans tous les cas, l’expansionnisme russe à l’Est se heurte à l’hégémonie de l’OTAN, qui s’est installé en Europe centrale et dans pratiquement tous les pays de l’Est européen. Les velléités impérialistes des uns et des autres ne peuvent qu’entrer en contradiction antagonique.

La tendance à l’affrontement impérialiste est inéluctable de par la prise d’initiative des uns et des autres, alors que le conflit sino-américain se dessine en toile de fond comme base pour la troisième guerre mondiale. La question russo-ukrainienne doit être réglée en un sens ou un autre, telle est la logique des deux blocs : les Américains pour passer à la Chine, la Russie pour assumer son expansionnisme.

La prise d’initiative des peuples du monde face à la guerre va être essentielle et cela dans un contexte de seconde crise générale du capitalisme qui va exiger un haut niveau d’engagement de leur part. L’époque va être particulièrement tourmentée et nécessitera une implication communiste à la hauteur.