Le terme de peuple ne désigne pas ici la population de la France prise dans son ensemble. Car pour que l’intérêt général – c’est-à-dire l’intérêt commun au plus grand nombre, pratiquement l’intérêt de tous – puisse se réaliser, les forces anti-démocratiques doivent être écartées des institutions.
Dans la démocratie bourgeoise, l’État est l’instrument du pouvoir de la classe dominante, si bien que, même si un compromis existe et que des concessions sont faites aux autres couches de la société, la bourgeoisie règne sans partage.
Et du fait de la concentration toujours plus intense du capital et de la crise générale du capitalisme, la bourgeoisie est de plus en plus agressive, arc-boutée sur les instruments de sa domination. Dans le même temps, des pans toujours plus larges de la société se trouvent contraints de travailler pour une frange toujours plus étroite de celle-ci.
La classe ouvrière est la classe de notre époque. Elle accueille, en son sein, de plus en plus les individus atomisés par le mode de vie qu’imprime le capitalisme sur le pays. Pour autant, les intérêts de la classe ouvrière ne sont pas opposés à ceux des autres travailleurs : des employés, des techniciens, des agriculteurs, des artisans, des commerçants, des fonctionnaires et des cadres…
La classe ouvrière porte la collectivité. Elle affirme la démocratie du peuple, dans sa réalité concrète.
La démocratie n’est pas une abstraction : elle s’incarne par le peuple, qui participe sans intermédiaire à l’administration de l’État. C’est pourquoi, en plus de la condition de résidence, ne peuvent être élus dans les organes décisionnels de la démocratie populaire que des personnes relevant du peuple travailleur au sens large.
Cette orientation populaire définit le caractère, les traits de la démocratie populaire.
La démocratie populaire n’est pas une démocratie parlementaire formelle. Dans celle-ci, des représentants des citoyens, députés ou sénateurs, décident en lieu et place du peuple sans contrôle. Des agents publics, fonctionnaires ou assimilés, coupés des masses travailleuses, exécutent quant à eux les décisions de l’État.
Pour la république bourgeoise, le pouvoir législatif appartient aux citoyens, forme d’individus prétendument neutre vis-à-vis des intérêts de classe. Ils exercent leur pouvoir de créer les lois par l’intermédiaire de leurs représentants élus, eux-mêmes prétendument neutre des intérêts de classe.
Ces représentants se sont les députés et les sénateurs. Ils exercent leurs mandats à Paris, sans connexion directe avec le territoire où ils se sont fait élire. De là, avec leurs pairs, ils décident de lois qui s’appliqueront à tous, sur tout le territoire national. Pour tout contrôle, les citoyens ne peuvent que décider de voter pour un autre.
Le peuple travailleur n’est pas représenté dans ce pouvoir législatif car, quand bien même le député serait ouvrier, il est inféodé aux institutions de la bourgeoisie.
La bourgeoisie exerce ainsi sa domination locale au travers des élus qu’elle place dans les conseils municipaux et intercommunaux, les conseils départementaux et régionaux, les conseils économiques, sociaux et écologiques régionaux. Les ministres, députés et sénateurs décident au niveau national des lois et des règlements que les préfets et leurs homologues de tous les ministères font appliquer – avec plus ou moins de rigueur en fonction des intérêts circonstanciés de la classe dominante – au plus près des citoyens par l’action des agents publics.
L’administration de l’État, avec ses ministères, ses collectivités locales, ses hôpitaux et toutes les entreprises publiques, s’exerce par les missions de travailleurs maintenus à part. Les agents publics, fonctionnaires, contractuels des administrations ou salariés des établissements et entreprises publics, quel que soit leur statut, exécutent les décisions de l’État.
Ils sont intégrés aux rouages d’une bureaucratie complexe et non-démocratique. Éloignés des citoyens, ils ne répondent de leurs actes que devant leur hiérarchie et, en dernier ressort, uniquement devant les juridictions internes de l’État bourgeois.
En démocratie populaire, la réalisation des lois et décrets repose sur des gens choisis par le peuple pour une mission déterminée. Il y a donc fusion du mandat électif et de la mission de service public en une fonction démocratiquement supérieure.
Aux institutions et administrations publiques présentes aux différentes échelles territoriales de la république bourgeoise se substituent les organes du nouveau régime démocratique-populaire. Par ces organes, la population décide des modalités de mise en œuvre des décisions de l’État et les exécute. De la commune à l’État national, le pouvoir démocratique populaire s’exerce par le peuple.
Les masses travailleuses façonnent un espace réellement démocratique en décidant localement des moyens à mettre en œuvre pour appliquer leur politique. Ainsi, par exemple, s’il est décidé au niveau national de réduire par deux le nombres de nouveaux cas de diabète de type II dans les cinq années à venir, les organes locaux de la démocratie populaires pourront décider l’interdiction de la production et de la vente de tel produit sucré sur le territoire, de lancer une campagne de communication pour promouvoir la diététique, de la construction d’une installation sportive dans tel quartier, etc.
Constitués par le peuple travailleur et élus par lui, ces organes sont sous son contrôle intégral. Tout membre peut ainsi être révoqué à tout moment. La réflexion quant à l’élaboration de ces organes, qui constituent le nouveau droit et que le nouveau droit met dialectiquement en place, est la grande tâche révolutionnaire.
La démocratie populaire naît à travers les contre-pouvoirs populaires qui doivent, finalement, renverser l’ancien État et instaurer le nouveau régime. La démocratie se développe, porté par le peuple, qui prend enfin les commandes de la société.
Du Bellay n’a rien contre les autres nations, mais il cherche à élever le niveau de la France où il vit, étant donné que c’est sa réalité matérielle. D’où cet appel qu’on trouve à la fin de sa Défense et illustration de la langue française.
« Je suis content que ces félicités nous soient communes avec autres nations, principalement l’Italie : mais quant à la piété, religion, intégrité de mœurs, magnanimité de courages, et toutes ces vertus rares et antiques (qui est la vraie et solide louange), la France a toujours obtenu, sans controverse, le premier lieu.
Pourquoi donc sommes-nous si grands admirateurs d’autrui ? pourquoi sommes-nous tant iniques à nous-mêmes ? pourquoi mandions-nous les langues étrangères comme si nous avions honte d’user de la nôtre ? »
Il était le héraut d’un besoin historique et fut salué pour cela à sa mort par Pierre de Ronsard, Guillaume Aubert, Jacques Grévin, Robert de La Haye, Camille de Morel, Antoinette de Loynes, Adrien Turnèbe, Claude d’Espence, Hélie André, Léger du Chesne, Claude Roillet… sous des formes très variées (poèmes en latin ou en français, hendécasyllabes, distiques, ode, élégie, etc.).
C’est le jeune roi François II qui demanda à ce que ses œuvres soient rassemblées de manière complète, ce qui se réalisa en 1569 en étant dédié à son frère devenu roi, Charles IX, après une petite période de réédition partielle. Six autres éditions complètes virent le jour avant la fin du XVIe siècle.
Du Bellay était alors considéré comme le pendant de Ronsard : ce dernier est vu comme admirable, savant, alors que du Bellay est apprécié pour son ton doux, aimable, mêlé d’ingéniosité dans le cadre d’une réelle fluidité.
De fait, à leur époque, du Bellay et Ronsard apparaissait comme les deux faces de la même médaille, avec le français s’instaurant par l’intermédiaire de la monarchie en voie d’absolutisation.
Et il est notable que dans la Défense et illustration de la langue française on trouve une mise en valeur de la comédie et de la tragédie, qui furent si centrales au XVIIe siècle :
« Quant aux comédies et tragédies, si les rois et les républiques les voulaient restituer en leur ancienne dignité, qu’ont usurpée les farces et moralités, je serais bien d’opinion que tu t’y employasses, et si tu le veux faire pour l’ornement de ta langue, tu sais où tu en dois trouver les archétypes. »
Mais le succès de du Bellay impliquait, par nature, son dépassement de par la systématisation du français.
La généralisation de la langue française au niveau national, par toute une élite se systématisant et s’élargissant numériquement, dans un contexte productif et culturel bien plus avancé… devait rendre littéralement antique le français de du Bellay.
Il est vrai que, comparé à la poésie de Ronsard, la poésie de du Bellay, par la suite, n’en apparut que d’autant plus limpide claire, d’autant plus française, surtout que François de Malherbe (1555 – 1628), le grand organisateur de la langue française moderne, brisa la démarche élitiste, maniériste de Ronsard. Ce dernier vit ses œuvres tout simplement non publiées de de 1630 à 1828 !
Mais les œuvres de du Bellay connurent le même sort, malgré la progression de sa valorisation comparée à celle de Ronsard. Avec sa poésie claire et accessible, et finalement mesurée en comparaison aux ornementations de Ronsard, il fut considéré comme un heureux précurseur, mais les choses s’arrêtaient là.
Par la suite, lorsqu’au 19e siècle on fit un retour historique pour avoir une mise en perspective, la charge très violente de du Bellay contre le Vatican passa d’ailleurs inaperçue, de par la lecture idéalisée du 16e siècle dont les guerres de religion étaient effacées.
De fait, si on ne voit pas que du Bellay est une figure historique relevant de la compensation de l’échec du calvinisme en France, on ne peut rien saisir d’authentique de lui.
Du Bellay, tout comme la psychologie des œuvres de Racine, relève d’une compensation littéraire d’une incapacité à assumer le protestantisme et son affirmation de la vie intérieure.
Si la France y a gagné en termes d’affirmation nationale avec une démarche de du Bellay jouant un rôle essentiel, cela révèle une faiblesse de fond se caractérisant par la prépondérance de la monarchie absolue et de l’État dans l’affirmation nationale, aux dépens de la culture populaire.
Joachim Du Bellay a écrit deux longs poèmes qui sont extraordinaires de par leur reconnaissance de la dignité du réel, témoignant de son matérialisme, de sa capacité à cerner la dialectique des émotions.
Il a nommé ces deux poèmes « épitaphes », terme désignant l’inscription funéraire et choisi pour honorer au niveau d’un être humain un chat et un chien.
C’est là une acceptation d’une même mise en perspective, une formidable rupture avec une époque où l’humanité, de par son développement inégal, a perdu pied dans son rapport avec les êtres vivants.
On peut littéralement voir d’ailleurs comment du Bellay s’y arrache, subjugué par la dignité du réel.
Épitaphe d’un petit chien
Dessous ceste motte verte De lis et roses couverte Gist le petit Peloton, De qui le poil foleton Frisoit d’une toyson blanche Le doz, le ventre, et la hanche. Son nez camard, ses gros yeux Qui n’estoient point chassieux, Sa longue oreille velue D’une soyë crespelue, Sa queue au petit floquet Semblant un petit bouquet, Sa gembe gresle, et sa patte Plus mignarde qu’une chatte Avec ses petits chattons, Ses quatre petits tetons, Ses dentelettes d’ivoyre, Et la barbelette noyre De son musequin friand, Bref tout son maintien riand Des pieds jusques à la teste, Digne d’une telle beste, Méritoient qu’un chien si beau Eust un plus riche tumbeau. Son exercice ordinaire Estoit de japper et braire, Courir en hault et en bas, Et faire cent mille esbas, Tous estranges et farouches, Et n’avoit guerre qu’aux mousches, Qui luy faisoient maint torment: Mais Peloton dextrement Leur rendoit bien la pareille: Car se couchant sur l’oreille, Finement il aguignoit Quand quelqu’une le poingnoit: Lors d’une habile soupplesse Happant la mouche traitresse, La serroit bien fort dedans, Faisant accorder ses dens Au tintin de sa sonnette, Comme un clavier d’espinette. Peloton ne caressoit Si non ceulx qu’il cognoissoit, Et n’eust pas voulu repaistre D’autre main que de son maistre: Qu’il alloit tousjours suyvant, Quelquefois marchoit devant, Faisant ne sçay quelle feste, D’un gay branlement de teste. Peloton tousjours veilloit Quand son maistre sommeilloit, Et ne souilloit point sa couche Du ventre ny de la bouche, Car sans cesse il gratignoit Quand ce désir le poingnoit: Tant fut la petite beste En toutes choses honneste. Le plus grand mal, ce dict-on, Que feist nostre Peloton (Si mal appellé doit estre), C’estoit d’esveiller son maistre, Jappant quelquefois la nuict, Quand il sentoit quelque bruit; Ou bien le voyant escrire, Sauter, pour le faire rire, Sur la table, et trépigner, Follastrer, et gratigner, Et faire tumber sa plume, Comme il avoit de coustume. Mais quoy? nature ne faict En ce monde rien parfaict, Et n’y a chose si belle, Qui n’ait quelque vice en elle. Peloton ne mangeoit pas De la chair à son repas: Ses viandes plus prisées, C’estoient miettes brisées, Que celuy, qui le paissoit De ses doigts amollissoit: Aussi sa bouche estoit pleine Tousjours d’une doulce haleine Mon dieu quel plaisir c’estoit, Quand Peloton se grattoit, Faisant tinter sa sonnette Avec sa teste folette! Quel plaisir, quand Peloton Cheminoit sur un baston, Ou coiffé d’un petit linge, Assis comme un petit singe, Se tenoit mignardelet D’un maintien damoiselet! Ou sur les pieds de derrière, Portant la pique guerrière Marchoit d’un front asseuré, Avec un pas mesuré! Ou couché dessus l’eschine, Avec ne sçay quelle mine Il contrefaisoit le mort! Ou quand il couroit si fort, Qu’il tournoit comme une boule, Ou un peloton, qui roule! Bref, le petit Peloton Sembloit un petit mouton: Et ne feut onc creature De si bénigne nature. Las, mais ce doulx passetemps Ne nous dura pas long temps: Car la mort ayant envie Sur l’ayse de nostre vie, Envoya devers Pluton Nostre petit Peloton, Qui maintenant se pourmeine Parmy ceste umbreuse plaine, Dont nul ne revient vers nous. Que mauldictes soyez-vous, Filandieres de la vie, D’avoir ainsi par envie Envoyé devers Pluton Nostre petit Peloton: Peloton qui estoit digne D’estre au ciel un nouveau signe, Tempérant le Chien cruel D’un primtemps perpétuel.
Voici le second poème, où Belaud est présenté de manière bien différente de celle de Peloton !
Épitaphe d’un chat
Maintenant le vivre me fâche ; Et afin, Magny, que tu saches, Pourquoi je suis tant éperdu, Ce n’est pas pour avoir perdu Mes anneaux, mon argent, ma bourse ; Et pourquoi est-ce donques ? pour ce Que j’ai perdu depuis trois jours Mon bien, mon plaisir, mes amours. Et quoi ? ô souvenance grève ! À peu que le cœur ne me crève, Quand j’en parle, ou quand j’en écris : C’est Belaud mon petit Chat gris : Belaud, qui fut par avanture Le plus bel œuvre que Nature Fit onc en matière de Chats : C’était Belaud la mort aux Rats, Belaud, dont la beauté fut telle, Qu’elle est digne d’être immortelle.
Donques Belaud premièrement Ne fut pas gris entièrement, Ni tel qu’en France on les voit naître ; Mais tel qu’à Rome on les voit être. Couvert d’un poil gris argentin, Ras & poli comme satin, Couché par ondes sur l’échine, Et blanc dessous comme une hermine ; Petit museau, petites dents ; Yeux qui n’étaient point trop ardents ; Mais desquels la prunelle perse Imitait la couleur diverse Qu’on voit en cet arc pluvieux, Qui se courbe au travers des Cieux ; La tête à la taille pareille, Le col grasset, courte l’oreille, Et dessous un nez ébenin, Un petit mufle lionnin, Autour duquel était plantée Une barbelette argentée, Armant d’un petit poil folet Son musequin damoiselet ; Jambe grêle, petite patte, Plus qu’une moufle délicate ; Sinon alors qu’il dégainait Cela dont il égratignait ; La gorge douillette & mignonne ; La queue longue à la guenonne, Mouchetée diversement D’un naturel bigarement ; Le flanc haussé, le ventre large, Bien retroussé dessous sa charge, Et le dos moyennement long, Vrai souriant, s’il en fut onq’.
Tel fut Belaud, la gente bête, Qui des pieds jusques à la tête, De telle beauté fut pourvu, Que son pareil on n’a point vu. Ô quel malheur ! ô quelle perte, Qui ne peut être recouverte ! Ô quel deuil mon âme en reçoit ! Vraiment la mort, bien qu’elle soit Plus fière qu’un ours, l’inhumaine, Si de voir, elle eût pris la peine, Un tel chat, son cœur endurci En eût eu, ce crois-je, merci : Et maintenant ma triste vie Ne haïrait de vivre l’envie. Mais la cruelle n’avait pas Goûté les folâtres ébats De mon Belaud, ni la souplesse De sa gaillarde gentillesse : Soit qu’il sautât, soit qu’il grattât, Soit qu’il tournât, ou voltigeât D’un tour de chat, ou soit encore, Qu’il prît un rat, & or’ & ores Le relâchant pour quelque temps, S’en donnât mille passe-temps. Soit que, d’une façon gaillarde, Avec sa patte frétillarde, Il se frottât le musequin ; Ou soit que ce petit coquin Privé sautelât sur ma couche ; Ou soit qu’il ravît de ma bouche La viande sans m’outrager, Alors qu’il me voyait manger ; Soit qu’il fît en diverses guises Mille autres telles mignardises.
Mon Dieu ! quel passe-temps c’était Quand ce Belaud virevoltait, Folâtre autour d’une pelote ! Quel plaisir, quand sa tête sotte Suivant sa queue en mille tours, D’un rouet imitait le cours ! Ou quand, assis sur le derrière Il s’en faisait une jartière ; Et montrant l’estomac velu, De panne blanche crêpelu, Semblait, tant sa trogne était bonne, Quelque Docteur de la Sorbonne ! Ou quand, alors qu’on l’animait, À coups de patte il escrimait, Et puis apaisait sa colère, Tout soudain qu’on lui faisait chère.
Voilà, Magny, les passe-temps, Où Belaud employait son temps ; N’est-il pas bien à plaindre donques ? Au demeurant tu ne vis onques Chat plus adroit, ni mieux appris À combattre rats & souris. Belaud savait mille manières De les surprendre en leurs tanières, Et lors leur fallait bien trouver Plus d’un pertuis, pour se sauver : Car onques rat, tant fût-il vite, Ne se vit sauver à la fuite Devant Belaud. Au demeurant Belaud n’était pas ignorant : Il savait bien, tant fut traitable, Prendre la chair dessus la table, J’entends, quand on lui présentait ; Car autrement il vous grattait, Et avec la patte friande De loin muguetait la viande.
Belaud n’était point mal-plaisant : Belaud n’était point malfaisant ; Et ne fit onq’ plus grand dommage Que de manger un vieux fromage, Une linotte, & un pinson Qui le fâchaient de leur chanson ; Mais quoi, Magny, nous-mêmes hommes Parfaits de tous points nous ne sommes. Belaud n’était point de ces chats Qui nuit & jour vont au pourchas, N’ayant souci que de leur panse : Il ne faisait si grand dépense, Mais était sobre à son repas, Et ne mangeait que par compas. Aussi n’était-ce sa nature De faire partout son ordure, Comme un tas de chats, qui ne font Que gâter tout par où ils vont. Car Belaud, la gentille bête, Si de quelque acte moins qu’honnête Contraint possible il eût été, Avait bien cette honnêteté De cacher dessous de la cendre Ce qu’il était contraint de rendre.
Belaud me servait de jouet : Belaud ne filait au rouet, Grommelant une litanie De longue & fâcheuse harmonie ; Ains se plaignait mignardement D’un enfantin miaulement. Belaud (que j’aie souvenance) Ne me fit onq’ plus grand’ offense Que de me réveiller la nuit, Quand il entroyait quelque bruit De rats qui rongeaient ma paillasse : Car lors il leur donnait la chasse, Et si dextrement les happait, Que jamais un n’en échappait. Mais, las ! depuis que cette fière Tua de sa dextre meurtrière La sûre garde de mon corps, Plus en sureté je ne dors ; Et or’, ô douleurs non pareilles ! Les rats me mangent les oreilles ; Même tous les vers que j’écris, Sont rongés de rats & souris.
Vraiment les Dieux sont pitoyables Aux pauvres humains misérables, Toujours leur annonçant leurs maux, Soit par la mort des animaux, Ou soit par quelque autre présage, Des Cieux le plus certain message. Le jour que la sœur de Cloton Ravit mon petit Peloton, Je dis, j’en ai bien souvenance, Que quelque maligne influence Menaçait mon chef de là-haut ; Et c’était la mort de Belaud : Car quelle plus grande tempête Me pouvait foudroyer la tête ! Belaud était mon cher mignon ; Belaud était mon compagnon À la chambre, au lit, à la table ; Belaud était plus accointable Que n’est un petit Chien friand, Et de nuit n’allait point criant Comme ces gros marcoux terribles En longs miaulements horribles : Aussi le petit mitouard N’entra jamais en matouard ; Et en Belaud, quelle disgrâce ! De Belaud s’est perdu la race.
Que plût à Dieu, petit Belon, Que j’eusse l’esprit assez bon, De pouvoir en quelque beau style Blasonner ta grâce gentille, D’un vers aussi mignard que toi ! Belaud, je te promets ma foi, Que tu vivrais, tant que sur terre Les Chats aux Rats feront la guerre.
La Défense et illustration de la langue française est une œuvre ancrée dans le matérialisme, avec par conséquent de nombreux raisonnements dialectiques.
Joachim du Bellay aborde ainsi la question du nominalisme et il exprime très clairement la conception selon laquelle il y a d’abord la matière et ensuite une description de celle-ci. Il est ainsi nécessaire d’élargir le vocabulaire afin d’accompagner les connaissances, d’où une ouverture au grec et au latin si besoin est.
« Nul, s’il n’est vraiment du tout ignare, voire privé du sens commun, ne doute point que les choses n’aient premièrement été, puis, après, les mots avoir été inventés pour les signifier : et par conséquent aux nouvelles choses être nécessaire imposer nouveaux mots, principalement ès arts, dont l’usage n’est point encore commun et vulgaire, ce qui peut arriver souvent à notre poète, auquel sera nécessaire emprunter beaucoup de choses non encore traitées en notre langue.
Les ouvriers (afin que je ne parle des sciences libérales) jusques aux laboureurs mêmes, et toutes sortes de gens mécaniques, ne pourraient conserver leurs métiers, s’ils n’usaient de mots à eux usités et à nous inconnus.
Je suis bien d’opinion que les procureurs et avocats usent de termes propres à leur profession, sans rien innover : mais vouloir ôter la liberté à un savant homme, qui voudra enrichir sa langue, d’usurper quelquefois des vocables non vulgaires, ce serait restreindre notre langage, non encore assez riche, sous une trop plus rigoureuse loi que celle que les Grecs et les Romains se sont donnée. »
Du Bellay mentionne ici de manière tout à fait positive les ouvriers et les laboureurs, ce qui est cohérent avec son approche matérialiste de reconnaître la dignité du réel. Il encourage de ce fait à disposer également de plusieurs correcteurs n’hésitant pas à critiquer nos faiblesses quand on écrit, ainsi qu’à se tourner résolument vers ceux qui ont une activité pratique transformatrice.
C’est là le reflet de la valeur exceptionnelle de la démarche de du Bellay.
« Sur tout nous convient avoir quelque savant et fidèle compagnon, ou un ami bien familier, voire trois ou quatre, qui veuillent et puissent connaître, nos fautes, et ne craignent point blesser notre papier avec les ongles.
Encore te veux-je avertir de hanter quelquefois, non seulement les savants, mais aussi toutes sortes d’ouvriers et gens mécaniques comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs et autres, savoir leurs inventions, les noms des matières, des outils, et les termes usités en leurs arts et métiers, pour tirer de là ces belles comparaisons et vives descriptions de toutes choses. »
On a un très bon exemple de dialectique avec la remarque de du Bellay avec le rapport entre le naturel et la « doctrine » (c’est-à-dire la connaissance), avec une reconnaissance de l’aspect principal au nom de la dignité du réel.
« Il vaudrait beaucoup mieux écrire sans imitation, que ressembler à un mauvais auteur : vu même que c’est chose accordée entre les plus savants, le naturel faire plus sans la doctrine, que la doctrine sans le naturel. »
La transformation de la quantité en qualité est littéralement exposée dans cet éloge du travail du fond, ce refus du subjectivisme :
« Qui veut voler par les mains et bouches des hommes, doit longuement demeurer en sa chambre : et qui désire vivre en la mémoire de la postérité, doit, comme mort en soi-même, suer et trembler maintes fois, et, autant que nos poètes courtisans boivent, mangent et dorment à leur aise, endurer de faim, de soif et de longues vigiles.
Ce sont les ailes dont les écrits des hommes volent au ciel. »
C’est par cette perspective matérialiste que Du Bellay a su s’ancrer dans le mouvement de l’Histoire.
Il ne faudrait surtout pas penser que la charge anti-Vatican présente dans les Regrets ne soit pas présente dans la Défense et illustration de la langue française. C’est le contraire qui est vrai : en affirmant la langue française, du Bellay dénonce par là même le latin qui est la langue de l’Église catholique romaine, avec donc des prières faites sont incomprises de la population.
Il se moque ainsi des « druides » qui craignent qu’on comprendrait les « secrets de leurs mystères », ce qui est une manière pour le moins agressive de dénoncer le clergé. Il parle des « superstitieuses raisons » qui font que les « mystères de la théologie » doivent absolument rester en latin et seraient par conséquent « quasi comme profanés en langue vulgaire ». Il compare également la vénération pour les livres latins et grecs au culte des reliques.
De toutes manières, le latin et le grec sont valorisés parce que les sciences datent des civilisations grec et romaine, et qu’il faut donc bien les étudier. Et encore est-ce une terrible perte de temps affirme du Bellay.
« Et certes songeant beaucoup de fois, d’où provient que les hommes de ce siècle généralement sont moins savants en toutes sciences, et de moindre prix que les anciens, entre beaucoup de raisons je trouve celle-ci, que j’oserai dire la principale : c’est l’étude des langues grecque et latine.
Car si le temps que nous consumons à apprendre lesdites langues était employé à l’étude des sciences, la nature certes n’est point devenue si bréhaigne, qu’elle n’enfantât de notre temps des Platons et des Aristotes. »
D’ailleurs, les Grecs eux-mêmes se sont tournés vers d’autres peuples pour découvrir des enseignements ; il ne faut pas confondre la langue avec les enseignements qu’ils permettent de diffuser.
« Pourquoi donc ont voyagé les anciens Grecs par tant de pays et dangers, les uns aux Indes, pour voir les Gymnosophistes, les autres en Égypte, pour emprunter de ces vieux prêtres et prophètes ces grandes richesses, dont la Grèce est maintenant si superbe ?
et toutefois ces nations, où la philosophie a si volontiers habité, produisaient (ce crois-je) des personnes aussi barbares et inhumaines que nous sommes, et des paroles aussi étranges que les nôtres.
Bien peu me soucierais-je de l’élégance d’oraison qui est en Platon et en Aristote, si leurs livres sans raison étaient écrits. La philosophie vraiment les a adoptés pour ses fils, non pour être nés en Grèce, mais pour avoir d’un haut sens bien parlé, et bien écrit d’elle.
La vérité si bien par eux cherchée, la disposition et l’ordre des choses, la sentencieuse brièveté de l’un, et la divine copie de l’autre est propre à eux, et non à autres : mais la nature, dont ils ont si bien parlé, est mère de tous les autres, et ne dédaigne point de se faire connaître à ceux qui procurent avec toute industrie entendre ses secrets, non pour devenir Grecs, mais pour être faits philosophes. »
Tout aussi absurde est la conception selon laquelle on pourrait transposer le grec ou le latin en français, car ces langues ont disparu et cela reviendrait à quelque chose d’artificiel.
Cette confrontation dialectique avec le latin et le grec – profitables mais devant s’effacer autant que possible devant la langue nationale – témoigne non pas d’un humanisme « abstrait » qui n’existe que pour les commentateurs bourgeois, mais d’une base démocratique portée par l’émergence nationale portée par les débuts du capitalisme.
Du Bellay insiste sur le caractère particulier de chaque langue, même s’il regrette que dans le monde entier les gens ne parlent pas la même langue, une langue « naturelle », ce qui souligne son orientation fondamentalement démocratique.
Il souligne qu’une langue nationale a sa particularité, son « naïf », c’est-à-dire son naturel et il n’est pas possible de traduire avec efficacité : on retrouve le principe italien du traduttore, traditore (un traducteur est un traître).
Il expose ainsi :
« Chaque langue a je ne sais quoi propre seulement à elle, dont si vous efforcez exprimer le naïf dans une autre langue, observant la loi de traduire, qui est n’espacer point hors des limites de l’auteur, votre diction sera contrainte, froide et de mauvaise grâce.
Et qu’ainsi soit, qu’on me lise un Démosthène et Homère latins, un Cicéron et Virgile français, pour voir s’ils vous engendreront telles affections, voire ainsi qu’un Protée vous transformeront en diverses sortes, comme vous sentez, lisant ces auteurs en leurs langues.
Il vous semblera passer de l’ardente montagne d’Ætné sur le froid sommet du Caucase. »
Cette valorisation du français, contre le latin et le grec, voit même le livre I se conclure par une référence très positive à Étienne Dolet, pourtant mort trois années auparavant sur le bûcher pour athéisme, ce qui est encore une démonstration de la position historique de du Bellay.
En quoi, lecteur, ne t’ébahis, si je ne parle de l’orateur comme du poète.
« Car outre que les vertus de l’un sont pour la plus grande part communes à l’autre, je n’ignore point qu’Étienne Dolet, homme de bon jugement en notre vulgaire, a formé l’Orateur français, que quelqu’un (peut-être) ami de la mémoire de l’auteur et de la France, mettra de bref et fidèlement en lumière. »
Du Bellay était ancré dans sa réalité historique ; il avait une démarche authentiquement matérialiste.
La place historique de Joachim du Bellay implique une confrontation. Dans toute la Défense et illustration de la langue française, le poète assume d’ailleurs entièrement une lutte de lignes. Son argumentation vise à démontrer qu’on peut effectivement et qu’on doit même profiter du latin et du grec, mais que l’aspect véritable de la dynamique sur le plan de la langue doit être le français.
C’est une bataille où la position de du Bellay est paradoxale. Elle vise en effet à un reversement de la domination du latin et du grec, tout en se positionnant de manière défensive, comme ici :
« Je n’estime pourtant notre vulgaire, tel qu’il est maintenant, être si vil et abject, comme le font ces ambitieux admirateurs des langues grecque et latine, qui ne penseraient, et fussent-ils la même Pithô, déesse de persuasion, pouvoir rien dire de bon, si n’était en langage étranger et non entendu du vulgaire. »
Cependant, c’est loin d’être tout. En effet, Joachim du Bellay a écrit la Défense et illustration de la langue française, mais cet ouvrage est également un manifeste collectif, celui des poètes du groupe que Ronsard appellera la Pléiade.
Dans les faits un tel groupe n’a formellement jamais existé, mais il y a bien une perspective commune assumée entre Joachim Du Bellay, Pierre de Ronsard, Étienne Jodelle, Rémy Belleau, Jean-Antoine de Baïf, Jacques Peletier, Pontus de Tyard, Étienne Pasquier.
Les auteurs de cette « Pléiade » ont très largement réfuté les poètes de la période précédente et la Défense et illustration de la langue française accorde dans cet esprit, un statut nouveau à la poésie. C’est que, avant la Pléiade, la poésie était une distraction pour la cour.
Les poètes jouaient les courtisans ou les amusants ; la poésie était un passe-temps tel la musique, la danse, l’escrime, l’équitation, la chasse, le jeu. La poésie n’est alors qu’un « élégant badinage », dont la grande figure est Clément Marot et ceux relevant de ce qu’on qualifie la poésie « marotique ».
Du Bellay, dans sa Défense et illustration de la langue française, procède à une véritable exécution de la culture des « rimeurs » :
« Vous autres si mal équipés, dont l’ignorance a donné le ridicule nom de rimeurs à notre langue (comme les Latins appellent leurs mauvais poètes versificateurs), oserez-vous bien endurer le soleil, la poudre et le dangereux labeur de ce combat ?
Je suis d’opinion que vous vous retiriez au bagage avec les pages et laquais, ou bien (car j’ai pitié de vous) sous les frais ombrages, aux somptueux palais des grands seigneur et cours magnifiques des princes, entre les dames et damoiselles où vos beaux et mignons écrits, non de plus longue durée que votre vie, seront reçus, admirés et adorés, non point aux doctes études et riches bibliothèques des savants.
Que plût aux Muses, pour le bien que je veux à notre langue, que vos ineptes œuvres fussent bannis, non seulement de là (comme ils sont) mais de toute la France. »
Thomas Sébillet, dans son Art poétique français pour l’instruction des jeunes studieux et encore peu avancés en la poésie française publié en 1548, appelle ainsi à lire Clément Marot, Mellin de Saingelais, Hugues Salel, Antoine Héroët, Maurice Scève.
On est là dans une approche typique de la première phase de la féodalité, avec les épigrammes, les blasons, les rondeaux, les ballades, les chants royaux, les lais, les odes, les coq-à-l’âne, etc., que Thomas Sébillet valorise dans son Art poétique.
C’est cet Art poétique et toute cette approche féodale qu’attaque du Bellay dans sa Défense et illustration, en tant que porte-parole des poètes de la Pléiade. Pour du Bellay, tous ces genres poétiques sont de simples « épiceries », il faut se débarrasser de ces références sans intérêt.
Du Bellay y va franchement, se posant très clairement comme en opposition conflictuelle avec la ligne de Thomas Sébillet (qui est de dix ans son aîné) :
« Lis donc, et relis premièrement, ô poète futur, feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecs et latins, puis me laisse toutes ces vieilles poésies françaises aux jeux Floraux de Toulouse et au Puy de Rouen : comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries, qui corrompent le goût de notre langue et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance. »
C’est extrêmement brutal pour toute une scène littéraire vivant de ces « épiceries ».
Thomas Sébillet répondit dans la préface de sa traduction d‘Iphigénie d‘Euripide, reprochant à du Bellay son élitisme ; Guillaume des Antelz dénonça le manque d’attention de la Pléiade aux auteurs passés, leur ingratitude même envers ceux-ci.
Barthélémy Aneau, qui dirigeait le Collège de la Trinité à Lyon, publia un pamphlet anonyme, Quintil Horatian, avec la même volonté à la fois de se tourner vers les classiques que de l’antiquité que de valoriser les auteurs précédents :
« Nos majeurs certes n’ont pas été de simples ignorants, ni des choses, ni des paroles.
Guillaume de Lauris, Jean de Meung, Guillaume Alexis, le bon moine de l’Yre, Messire Nicole Oreme, Alain Chartier, [François] Villon, Meschinot et plusieurs autres n’ont point moins bien écrit, ne de moindres et pires choses, en la langue de leur temps propre et entière non pérégrine , et pour lors de bon aloi et bonne mise, que nous à présent en la nôtre. »
Il faut dire ici que du Bellay avait été très clair sur un passé à littéralement liquider, dans sa Défense et illustration de la langue française :
« De tous les anciens poètes français, quasi un seul, Guillaume du Lauris et Jean de Meung sont dignes d’être lus, non tant pour ce qu’il y ait en eux beaucoup de choses qui se doivent imiter des modernes, comme pour y voir quasi comme une première image de la langue française, vénérable pour son antiquité. »
C’est Joachim du Bellay et la Pléiade qui sortiront victorieux de cette bataille, comme en témoigne la figure d’Étienne Pasquier. C’est lui aussi un poète et lui aussi fit partie de ce regroupement de sept poètes fameux au 16e siècle, la Pléiade.
Étienne Pasquier fut un ardent partisan de la monarchie comme cadre national, c’est-à-dire qu’il fait partie des « Politiques », qui refusent les guerres de religion et valorisent l’affirmation nationale sous l’égide d’une monarchie centralisée et modernisatrice.
En ce sens, Étienne Pasquier a servi Henri III et Henri IV, servant comme magistrat ; il est l’auteur des Recherches de la France, dix volumes chroniquant l’histoire française du point de vue de la monarchie absolue en formation, c’est-à-dire fournissant la version officielle des événements.
Il y expose les traditions françaises, justifiant qu’elles aboutissent naturellement à la monarchie, et de ce fait également au gallicanisme, c’est-à-dire d’une Église catholique romaine comme religion officielle en France, mais comme support de la monarchie.
Étienne Pasquier
Mais il s’exprime en même temps contre la division religieuse, il n’hésite pas à dire que la langue française est « grandement redevable » à Calvin de l’avoir « enrichie d’une infinité de beaux traits ». Et il souligne que parmi les « papistes » et il y avait les ultras de la Ligue, dont toute une fraction voulait que la France passe sous domination espagnole.
On l’aura compris, Étienne Pasquier lit le cours des choses selon les intérêts de la monarchie, qui exige un cadre stabilisé pour épanouir ses structures de manière absolue et c’est en ce sens qu’est salué la langue française en général, présentant Ronsard comme un immense poète, digne de ceux de l’antiquité.
Il mentionne du Bellay comme un poète secondaire, dont les Regrets sont la meilleure œuvre, dont il ne parle guère, mais il note surtout au sujet de sa Défense et illustration de la langue française que :
« Ce fut une belle guerre que l’on entreprit contre l’ignorance. »
Cela dit tout. La Défense et illustration de la langue française est un élément clef du dispositif mis en place par la monarchie en voie d’absolutisation pour baliser le terrain et mettre en place son hégémonie.
Il s’agit de la bataille au cœur d’une transition de l’ancienne féodalité à la nouvelle.
Il faut bien saisir l’arrière-plan pro-monarchie de du Bellay. Celui-ci ne relève nullement des forces sociales soutenant le protestantisme. Il suffit de voir comment il dénonce Venise et son capitalisme commercial, dans le cent-trente-troisième sonnet des Regrets.
Il fait bon voir, Magny, ces Couillons magnifiques, Leur superbe Arsenal, leurs vaisseaux, leur abord, Leur saint Marc, leur Palais, leur Realte, leur port, Leurs changes, leurs profits, leur banque et leurs trafiques :
Inversement, son éloge de Paris passe par une lecture civilisationnelle, même si naturellement il est obligé de se confronter à la dure réalité des rues sales et peuplées. On a ainsi le cent-trente-huitième sonnet des Regrets :
De-vaux, la mer reçoit tous les fleuves du monde, Et n’en augmente point : semblable à la grand’mer Est ce Paris sans pair, où l’on voit abysmer Tout ce qui là dedans de toutes parts abonde.
Paris est en savoir une Grèce feconde, Une Rome en grandeur Paris on peut nommer, Une Asie en richesse on le peut estimer, En rares nouveautez une Afrique seconde.
Bref, en voyant, De-vaux, ceste grande cité, Mon œil, qui paravant estoit exercité À ne s’esmerveiller des choses plus estranges,
Print esbaïssement. Ce qui ne me put plaire, Ce fut l’estonnement du badaud populaire, La presse des chartiers, les procez, et les fanges.
Ce point est important, car du Bellay se place pas du point de vue populaire. Lorsque Martin Luther met en avant sa critique du catholicisme romain, il joue un rôle populaire majeur sur le plan de la langue (avec sa traduction en allemand de la Bible) et de la musique (avec les chants religieux s’appuyant sur des mélodies populaires).
Au contraire, la France qui récuse le protestantisme, malgré le fait qu’elle l’ait produit avec le Picard Jean Calvin, se détourne d’un mouvement à la base pour ne s’appuyer que sur les couches supérieures de la société liées à la formation de la monarchie absolue.
Il y a une dimension élitiste, ouvertement assumée par du Bellay dans sa Défense et illustration de la langue française.
Sa manière de présenter la langue française est très subtile. D’un côté, il doit en justifier la légitimité et pour cela il procède à la fiction ; de l’autre, il doit la présenter comme nouvelle, comme établie de manière culturelle, par en haut, de manière nouvelle.
Pour du Bellay, les différentes langues ont ainsi toutes la même source, la « fantaisie des hommes », par conséquent on ne saurait les hiérarchiser. Cependant, ce qu’il entend par fantaisie, c’est en réalité la culture. Or, justement les ancêtres n’ont pas assez cultivé la langue française, d’où la mauvaise image qu’elle a désormais.
C’est naturellement une fiction, car la langue française est en fait tout à fait récente, elle est même littéralement en train d’émerger. Mais du Bellay a besoin de cette fiction pour mettre le Français sur un plan d’égalité avec le latin et le grec. Il va même jusqu’à dire que les Gaulois ont fait de grandes choses, mais comme ils ne les ont pas raconté ni valorisé comme les Romains, on le sait moins !
De manière plus sérieuse, il propose de cultiver la langue :
« Et si notre langue n’est si copieuse et riche que la grecque ou latine, cela ne doit être imputé au défaut d’icelle, comme si d’elle-même elle ne pouvait jamais être sinon pauvre et stérile (…).
Mais qui voudrait dire que la grecque et romaine eussent toujours été en l’excellence qu’on les a vues du temps d’Homère et de Démosthène, de Virgile et de Cicéron ?
et si ces auteurs eussent jugé que jamais, pour quelque diligence et culture qu’on y eût pu faire, elles n’eussent su produire plus grand fruit, se fussent-ils tant efforcés de les mettre au point où nous les voyons maintenant ?
Ainsi puis-je dire de notre langue, qui commence encore à fleurir sans fructifier, ou plutôt, comme une plante et vergette, n’a point encore fleuri, tant s’en faut qu’elle ait apporté tout le fruit qu’elle pourrait bien produire.
Cela certainement non pour le défaut de la nature d’elle, aussi apte à engendrer que les autres, mais pour la coulpe de ceux qui l’ont eue en garde, et ne l’ont cultivée à suffisance, mais comme une plante sauvage, en celui même désert où elle avait commencé à naître, sans jamais l’arroser, la tailler, ni défendre des ronces et épines qui lui faisaient ombre, l’ont laissée envieillir et quasi mourir. »
En disant cela, du Bellay trouve sa place historique, car il valorise le régime. Si la langue française est présente et connaît un processus de culture, c’est que la civilisation se développe et donc que le régime en place est tout à fait correct et même excellent.
Du Bellay attribue ainsi des perspectives formidables au régime, devant égaler les civilisations grecque et romaine.
« Le temps viendra (peut-être) et je l’espère moyennant la bonne destinée française que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les rênes de la monarchie, et que notre langue (si avec François n’est du tout ensevelie la langue française) qui commence encore à jeter ses racines, sortira de terre, et s’élèvera en telle hauteur et grosseur, qu’elle se pourra égaler aux mêmes Grecs et Romains, produisant comme eux des Homères, Démosthènes, Virgiles et Cicérons, aussi bien que la France a quelquefois produit des Périclès, Nicias, Alcibiades, Thémistocles, Césars et Scipions. »
Il est impossible de séparer la place de du Bellay de sa poésie et de sa Défense et illustration de la langue française. C’est une seule et même place historique.
Ce qui est marquant dans la poésie de Joachim du Bellay, c’est qu’elle insiste grandement sur le cours du temps et la dimension historique. C’est cela qui est trompeur et qui donne l’impression d’une personne cultivée déçue des ruines de Rome.
En réalité, du Bellay a un regard sur le concept de civilisation. Et c’est parce qu’il a ce regard qu’il a pu écrire Défense et illustration de la langue française, qui se veut un manifeste pour une nouvelle civilisation.
Dans cette œuvre, il souligne d’ailleurs les inventions nouvelles, telles l’imprimerie et l’artillerie, les mettant au même plan que celles du passé, soulignant que la civilisation est désormais également présente.
« L’architecture, l’art du navigage et autres inventions antiques certainement sont admirables, non, toutefois, si on regarde à la nécessité mère des arts, du tout si grandes qu’on doive estimer les cieux et la nature y avoir dépendu toute leur vertu, vigueur et industrie.
Je ne produirai, pour témoins de ce que je dis, l’Imprimerie, soeur des Muses et dixième d’elles, et cette non moins admirable que pernicieuse foudre d’artillerie, avec tant d’autres non antiques inventions qui montrent véritablement que, par le long cours des siècles, les esprits des hommes ne sont point si abâtardis qu’on voudrait bien dire. »
On voit cela très bien dans le vingt-neuvième poème du recueil Les Antiquités de Rome. Rome y est présentée comme un point de convergence historique, mais qui a fait son temps. C’est la notion de civilisation qui ressort.
Tout ce qu’Egypte en pointe façonna Tout ce que Grece à la Corinthienne, A l’Ionique, Attique ou Dorienne, Pour l’ornement des temples maçonna.
Tout ce que l’art de Lysippe donna, La main d’Apelle, ou la main Phidienne,
Souloit orner ceste ville ancienne Dont la grandeur le ciel mesme estonna.
Tout ce qu’Athene eut oncques de sagesse, Tout ce qu’Asie eut oncques de richesse, Tout ce qu’Afrique eut oncques de nouveau,
S’est veu ici. Ô merveille profonde ! Rome vivant fut l’ornement du monde, Et morte elle est du monde le tombeau.
Du Bellay a véritablement une réflexion d’une grande profondeur sur le temps, les périodes historiques, la notion de civilisation.
Dans Les Antiquités de Rome, le troisième poème constate ainsi :
Nouveau venu qui cherches Rome en Rome Et rien de Rome en Rome n’apperçois, Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois, Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.
Voy quel orgueil, quelle ruine, et comme Celle qui mist le monde sous ses lois Pour dompter tout, se donta quelquefois, Et devint proye au temps qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument, Et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tybre seul, qui vers la mer s’enfuit, Reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme est par le temps destruit, Et ce qui fuit, au temps fait résistance.
C’est cela qui est trompeur : ce regard historique peut être réduit, si l’on n’y prend garde, à une sorte de nostalgie, de déception face à une Rome qui n’existe plus que par des ruines, face à une Rome qu’on ne pourrait plus retrouver. Là n’est pas la question du tout.
Il dit, par exemple, dans le vingt-cinquième poème du recueil Les Antiquités de Rome, constatant les ruines de la Rome antique :
J’entreprendrois, vu l’ardeur qui m’allume, De rebastir au compas de la plume Ce que les mains ne peuvent maçonner.
Or, il ne s’agit nullement de rétablir la Rome antique : il s’agit de le faire revivre, de manière transposée dans une autre civilisation. L’idée est qu’avec la France une nouvelle civilisation se forme et par conséquent celle-ci est en phase avec la civilisation romaine, car toutes les civilisations naissent et meurent, leur esprit traversant les époques.
Il y a chez du Bellay une mystique de la civilisation, comme en témoignent ces vers du cinquième poème du recueil Les Antiquités de Rome :
Rome n’est plus, et si l’architecture Quelque ombre encor de Rome fait revoir, C’est comme un corps par magique sçavoir, Tiré de nuist hors de sa sépulture. Le corps de Rome en cendre est devallé, Et son esprit rejoindre s’est allé Au grand esprit de ceste masse ronde, Mais ses escrits, qui son los le plus beau Malgré le temps arrachent du tombeau, Font son idole errer parmi le monde.
On note ici que ce sont par les « écrits » que la Rome antique s’est maintenue et c’est le sens de l’oeuvre poétique de du Bellay que de se placer dans un cadre de civilisation. C’était le moyen intellectuel qu’il a trouvé afin de valoriser la nation française. Ne sachant ce qu’est une nation, le phénomène étant nouveau, il a analysé cela en termes de civilisation.
Dans le cent-vingt-neuvième sonnet des Regrets, du Bellay souligne au roi la supériorité de la France avec les ridicules manières du Vatican :
Brusquet à son retour vous racontera, Sire, De ces rouges prélats la pompeuse apparence, Leurs mules, leurs habits, leur longue révérence, Qui se peut beaucoup mieux représenter que dire.
Il vous racontera, s’il les sait bien descrire, Les mœurs de ceste court, et quelle différence Se voit de ses grandeurs à la grandeur de France, Et mille autres bons poincts, qui sont dignes de rire.
Une telle dénonciation du Vatican est représentative de toute une époque. Lorsque Joachim du Bellay naît, en 1522, cela fait cinq ans que Martin Luther a publié ses 95 thèses condamnant la papauté et le catholicisme romain. Et Joachim du Bellay a quatorze ans lorsque Jean Calvin publie son Institution de la religion chrétienne.
Or, Joachim du Bellay séjourne à Rome de 1553 à 1557, en tant qu’intendant du cardinal Jean du Bellay, cousin germain de son père ; Joachim du Bellay fut en pratique orphelin très tôt dans sa vie.
Son séjour à Rome l’amène à gérer les comptes du cardinal, mais également à servir dans les intenses jeux diplomatiques au Vatican. Le quinzième sonnet des Regrets présente cette activité d’intendant.
Panjas, veux-tu sçavoir quels sont mes passe-temps ? Je songe au lendemain, j’ay soing de la despense Qui se fait chacun jour, et si faut que je pense À rendre sans argent cent crediteurs contents :
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps, Je courtise un banquier, je prens argent d’avance, Quand j’ay despesché l’un, un autre recommence, Et ne fais pas le quart de ce que je pretends.
Qui me presente un compte, une lettre, un memoire, Qui me dit que demain est jour de consistoire, Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie : Avecques tout cela, dy (Panjas) je te prie, Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ?
Joachim du Bellay observe bien entendu que le Vatican est pourri, que le pape et les cardinaux sont corrompus, aux mœurs dissolus, que la ville de Rome entière est contaminée, etc. Il se lance alors dans une dénonciation ouverte de la papauté.
Mais jamais son attaque ne l’amène dans le camp du calvinisme. Et, en même temps, il ne fut pas dénoncé par l’Église catholique alors que ses propos valaient aisément le bûcher, comme lorsqu’il dit que le pape a nommé son jeune amant cardinal.
Joachim du Bellay apparaît comme intouchable. C’est donc qu’il avait une protection au plus haut niveau, que sa démarche relevait de la faction des Politiques, celle servant avant tout la monarchie et cherchant à placer de côté la question religieuse, afin de maintenir un État stable.
Joachim du Bellay insiste de manière régulière sur le fait que son travail est orienté, qu’il s’inscrit dans une tâche d’envergure, comme ici dans le vingt-septième sonnet des Regrets.
L’honneste servitude où mon devoir me lie, M’a fait passer les monts de France en Italie, Et demourer trois ans sur ce bord estranger,
Où je vy languissant : ce seul devoir encore Me peut faire changer France à l’Inde et au More, Et le Ciel à l’Enfer me peut faire changer.
Le cardinal Jean du Bellay avait également auparavant protégé François Rabelais, une autre figure se situant dans la même perspective, avec un relativisme et un humanisme nullement conformes à la religion.
Et le cardinal Jean du Bellay fut une figure essentielle à François Ier : lorsque Charles-Quint intervint en France au milieu des années 1530, Jean du Bellay fut nommé à Paris comme lieutenant général à Paris, avec le commandement de la Champagne et de la Picardie.
Le cardinal Jean du Bellay
C’est également sous l’impulsion de Jean du Bellay que fut fondé le Collège royal ; nommé cardinal, il se alors fit construire un magnifique palais à Rome, vivant dans l’opulence.
Ce n’est pas tout. Le cardinal Jean du Bellay fut l’homme du roi, mais il en alla de même de son frère Guillaume du Bellay, en jouant un rôle éminent dans le domaine militaire et diplomatique au service de François Ier.
Joachim du Bellay relève ainsi d’une famille largement impliquée en tant qu’outil de la monarchie.
Il ne se lança d’ailleurs nullement dans des diatribes anti-protestantes, alors que la situation se tendait déjà, lui-même mourant à la veille du début des guerres de religion. Son activité est directement au service de l’appareil d’État en tant que support au cadre national et au sens strict, Joachim du Bellay joue un rôle essentiel dans l’établissement de l’idéologie nationale française.
C’est une véritable escroquerie que d’expliquer que Joachim Du Bellay exprime dans les Regrets son ennui d’être à Rome alors que l’œuvre est dans l’agression permanente à l’encontre du Vatican.
Il joue en ce sens le même rôle que Martin Luther (qui est plus jeune d’une quarantaine d’années), mais de manière bien moins ample, car du Bellay n’est pas tourné vers le peuple, mais vers la monarchie en voie d’absolutisation.
Il est intendant à Rome pour un cardinal français, un cousin de son père, et le contexte est celui de conflits incessants entre la France, Rome et Charles-Quint dont l’empire est immense (l’Espagne, les Pays-Bas, l’Autriche, Naples, etc.).
Du Bellay explique ainsi dans le poème introductif aux Regrets :
J’estois à Rome au milieu de la guerre, Sortant desjà de l’aage plus dispos, A mes travaux cherchant quelque repos, Non pour louange ou pour faveur acquerre.
Ce que Du Bellay voit à Rome, au Vatican, c’est la corruption, les assassinats, les courtisanes. Dans les Regrets, le quatre-vingt-quatorzième sonnet remarque ainsi :
Heureux qui peut long temps sans danger de poison Jouir d’un chapeau rouge [=être cardinal], ou des clefs de sainct Pierre [=être pape] !
Le cent-cinquième sonnet des Regrets dénonce que le pape Jules III ait fait d’un adolescent apprivoisant un singe, rencontré dans les rues de Parme alors qu’il avait 14 ans, un cardinal à 17 ans ainsi que le responsable de son secrétariat d’État, tout cela parce que c’était son amant.
Jules III l’avait fait adopter par son frère – c’était légalement donc son neveu – et se fera même enterrer avec lui.
De voir mignon du roi un courtisan honnête, Voir un pauvre cadet l’ordre au col soutenir, Un petit compagnon aux états parvenir, Ce n’est chose, Morel, digne d’en faire fête.
Mais voir un estafier, un enfant, une bête, Un forfant, un poltron cardinal devenir, Et pour avoir bien su un singe entretenir Un Ganymède [= jeune homme amant de Zeus) avoir le rouge sur la tête :
S’être vu par les mains d’un soldat espagnol Bien haut sur une échelle avoir la corde au col Celui que par le nom de Saint-Père l’on nomme :
Un bélître en trois jours aux princes s’égaler, Et puis le voir de là en trois jours dévaler : Ces miracles, Morel, ne se font point, qu’à Rome.
Ainsi, le quatre-vingt-deuxième sonnet ne parle pas de Rome comme ville non plus, mais bien du Vatican :
Veux-tu savoir, Duthier, quelle chose c’est Rome ? Rome est de tout le monde un public échafaud ; Une scène, un théâtre, auquel rien ne défaut
Rome, c’est le simple prolongement du Vatican ; environ 17 000 courtisanes pour 100 000 habitants y vivent lorsque Joachim du Bellay y passe. Il raconte dans les Regrets, dans le cent-trentième-un sonnet, comment il a vu des courtisanes coucher en plein jour avec des cardinaux.
Celuy qui par la rue a veu publiquement La courtisanne en coche [=carrosse], ou qui pompeusement L’a peu voir à cheval en accoustrement d’homme
Superbe se monstrer : celuy qui de plain jour Aux Cardinaux en cappe a veu faire l’amour, C’est celuy seul, Morel, qui peut juger de Rome.
Le cent-vingt-centième sonnet des Regrets souligne qu’au Vatican règnent la trahison, le poison, le meurtre les orgies, l’homosexualité (celle-ci devenant une pratique traditionnelle dans la hiérarchie de l’Église catholique romaine).
Ici de mille fards la trahison se desguise, Ici mille forfaits pullulent à foison, Ici ne se punit l’homicide ou poison, Et la richesse ici par usure est acquise :
Ici les grands maisons viennent de bastardise, Ici ne se croit rien sans humaine raison, Ici la volupté est tousjours de saison, Et d’autant plus y plaist, que moins elle est permise.
Du Bellay décrit également un conclave dans les Regrets et il raconte que les cardinaux s’achètent, la corruption ayant un double arrière-plan : l’influence en Europe d’une part, l’influence en Italie d’autre part.
Le climat est ainsi aussi pesant parce que l’ambiance au Vatican est marquée par les ambitions, les alliances des uns et des autres pour s’approprier les royaumes italiens. Il y a notamment les guerres comme celle menée par la France en Italie : pas moins de onze fois la France s’engagea dans des interventions militaires, notamment pour conquérir le royaume de Naples.
Quant au Vatican, il est lui-même à la tête des États pontificaux, qui regroupait pratiquement l’ensemble de plusieurs régions italiennes actuelles. On comprend que Du Bellay, dans le cinquante-septième sonnet des Regrets, souligne l’arrière-plan militaire des négociations ayant lieu au Vatican.
Nous autres malheureux suivons la cour Romaine, Où, comme de ton temps, nous n’oyons plus parler De rire, de sauter, de danser, et baller, Mais de sang, et de feu, et de guerre inhumaine.
Le soixante-dix-huitième sonnet présente le contexte italien, en présentant le Vatican comme un lieu d’oisiveté, d’ambition, de haine, de feintes effectuées pour triompher.
Je ne te conteray de Boulongne, et Venise, De Padouë, et Ferrare, et de Milan encor’, De Naples, de Florence, et lesquelles sont or’ Meilleures pour la guerre, ou pour la marchandise :
Je te raconteray du siege de l’Église, Qui fait d’oisiveté son plus riche thresor, Et qui dessous l’orgueil de trois couronnes d’or Couve l’ambition, la haine, et la feintise :
Je te diray qu’ici le bonheur, et malheur, Le vice, la vertu, le plaisir, la douleur, La science honorable, et l’ignorance abonde.
Bref je diray qu’ici, comme en ce vieil Chaos, Se trouve (Peletier) confusement enclos Tout ce qu’on void de bien, et de mal en ce monde.
Intendant d’un cardinal français, Du Bellay voit les manigances au Vatican, les marchandages des capitalistes présents et des petits royaumes cherchant à des jeux d’alliance, le tout avec des courtisanes partout, et cela dans une ville marquée par de nombreuses ruines fournissant une atmosphère hallucinée, que le quatre-vingtième sonnet des Regrets cherche à représenter.
Si je monte au Palais, je n’y trouve qu’orgueil, Que vice desguisé, qu’une cerimonie, Qu’un bruit de tabourins, qu’une estrange harmonie, Et de rouges habits [= les cardinaux] un superbe appareil :
Si je descens en banque, un amas et recueil De nouvelles je trouve, une usure infinie, De riches Florentins une troppe bannie, Et de pauvres Sienois un lamentable dueil :
Si je vais plus avant, quelque part où j’arrive, Je trouve de Venus la grand’bande lascive Dressant de tous costez mil’appas amoureux :
Si je passe plus outre, et de la Rome neuve Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve Que de vieux monuments un grand monceau pierreux.
La dénonciation du Vatican par Joachim Du Bellay est violente, elle se situe littéralement dans la même perspective que Martin Luther. Cependant, Joachim Du Bellay est un homme au service de la monarchie française en voie d’absolutisation. Sa critique sert à affaiblir le catholicisme romain et à renforcer l’idée nationale française se fondant sur la monarchie française.
Il faut bien remarquer que Joachim Du Bellay est extrêmement apprécié historiquement pour sa sincérité et c’est en raison de celle-ci qu’il y a eu la possibilité de le réduire à quelqu’un se plaignant, ce qui est un raccourci et une réduction erronée de sa réelle dimension.
Le sonnet suivant des Regrets est par exemple très célèbre et il est intéressant de voir que c’est la complainte qui a souvent été considéré comme l’aspect principal, et non la dimension nationale alors que la France émerge historiquement précisément à ce moment-là. C’est pourtant cette dimension française qui en fait la substance.
France, mère des arts, des armes et des loix, Tu m’as nourri long temps du laict de ta mammelle, Ores, comme un aigneau qui sa nourrice appelle, Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m’as pour enfant advoué quelquefois, Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle ? France, France, respons à ma triste querelle : Mais nul, sinon Écho, ne respond à ma voix.
Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine, Je sens venir l’hyver, de qui la froide haleine D’une tremblante horreur fait herisser ma peau.
Las, tes autres aigneaux n’ont faute de pasture, Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure : Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau.
On a une première définition nationale – France, mère des arts (au sens des techniques), des armes et des lois – et nullement simplement des reproches existentiels.
Le sonnet qui suit immédiatement cela est d’ailleurs un éloge du français, comme digne du grec et du latin, avec une complainte quant au fait d’être à Rome empêche de pouvoir s’exprimer dans cette langue incomprise là-bas.
Ce n’est le fleuve Thusque [étrusque, toscan, italien] au superbe rivage, Ce n’est l’air des Latins ni le mont Palatin, Qui ores [=maintenant] (mon Ronsard) me fait parler Latin, Changeant à l’estranger mon naturel langage :
C’est l’ennuy de me voir trois ans, et d’avantage, Ainsi qu’un Prométhée, cloué sur l’Aventin, Où l’espoir misérable et mon cruel destin, Non le joug amoureux, me détient en servage.
Et quoi (Ronsard), et quoi, si au bord estranger, Ovide osa sa langue en barbare changer, Afin d’estre entendu, qui me pourra reprendre
D’un change plus heureux ? nul, puisque le François, Quoi qu’au Grec et Romain égalé tu te sois, Au rivage Latin ne se peut faire entendre.
La plainte n’est chez du Bellay, et aussi réelle qu’elle soit, qu’un vecteur pour l’affirmation nationale. Il est à Rome, ville décadente avec un Vatican totalement corrompu.
Il a donc la nostalgie du pays, et forcément du roi qui réalise concrètement ce pays. Sa plainte est dialectique : la dimension négative accompagne toujours la dimension positive, comme dans ces vers des Regrets.
Moi chétif ce pendant loin des yeux de mon Prince, Je vieillis malheureux en estrange province, Fuyant la pauvreté : mais las, ne fuyant pas
Les regrets, les ennuis, le travail et la peine, Le tardif repentir d’une esperance vaine, Et l’importun souci, qui me suit pas à pas.
Cette dimension dialectique sert à valoriser une nation en formation. On ne peut pas lire du Bellay adéquatement si on ne comprend pas que la France dont il parle est nouvelle, qu’elle est comprise à cette époque précisément.
C’est une prise de conscience nationale et la sincérité de du Bellay est, par le rejet de Rome, l’affirmation de la France, d’une France d’autant plus à chanter qu’elle est loin, comme dans le sonnet suivant des Regrets.
Ce pendant que tu dis ta Cassandre divine, Les louanges du Roy, et l’héritier d’Hector, Et ce Montmorency, nostre François Nestor, Et que de sa faveur Henry t’estime digne :
Je me pourmeine [=promène] seul sur la rive Latine, La France regrettant, et regrettant encor Mes antiques amis, mon plus riche trésor, Et le plaisant séjour de ma terre Angevine.
Je regrette les bois, et les champs blondissants, Les vignes, les jardins, et les prés verdissants, Que mon fleuve traverse : ici pour récompense.
Ne voyant que l’orgueil de ces monceaux pierreux, Où me tient attaché d’un espoir malheureux, Ce que possède moins celuy qui plus y pense.
Joachim du Bellay est parvenu à réaliser une poésie fluide en raison d’un choix très particulier. En effet, il n’a pas été un poète sur le mode des courtisans, il n’a pas fait le choix de Pierre de Ronsard.
Ce dernier fit le choix du « pindarisme », c’est-à-dire d’une tentative de s’orienter par rapport à Pindare poète grec de l’antiquité. Cela donne une orientation vers le sublime, avec une inspiration tellement assumée de manière idéaliste qu’on arrive à des discours somme toute embrouillés esthétisants. Ronsard assumait d’ailleurs entièrement la dimension élitiste de son approche.
Joachim du Bellay n’a pas cette approche. Il préfère dire ce qu’il pense, quitte à passer dans le mauvais goût. Cette sincérité fait que son propos tend à la fluidité et que son absence de prétention le rend sympathique. Il explique d’ailleurs dans les Regrets que :
Je me contenteray de simplement escrire Ce que la passion seulement me fait dire, Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.
C’est ce qui explique le succès de son sonnet le plus connu, à la fois intime et fluide, sans ornementation gratuite. Il y a quelque chose de posé, de carré, de très français.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d’usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
Ce sonnet des Regrets, le trente-neuvième, montre très bien comment du Bellay dit les choses ouvertement, soulignant qu’il n’a pas envie de faire semblant à Rome auprès du Vatican – ce qui le met en porte-à-faux tant avec le catholicisme qu’avec la monarchie de type classiquement féodale. Il met en avant une certaine individualité, une conscience personnelle.
J’ayme la liberté, et languis en service, Je n’ayme point la Court, et me faut courtiser, Je n’ayme la feintise, et me faut desguiser, J’ayme simplicité, et n’apprends que malice :
Je n’adore les biens, et sers à l’avarice, Je n’ayme les honneurs, et me les faut priser, Je veulx garder ma foy, et me la faut briser, Je cherche la vertu et ne trouve que vice :
Je cherche le repos, et trouver ne le puis, J’embrasse le plaisir, et n’esprouve qu’ennuis, Je n’ayme à discourir, en raison je me fonde :
J’ay le corps maladif, et me faut voyager, Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager : Ne suis-je pas (Morel) le plus chétif de monde ?
Ce trente-deuxième sonnet des Regrets témoigne encore que la Rome du Vatican n’est nullement propice à la culture mise en avant par l’humanisme. Du Bellay est d’une franchise complète.
Je me feray savant en la philosophie, En la mathématique, et médecine aussi : Je me feray légiste, et d’un plus haut souci Apprendray les secrets de la théologie :
Du luth et du pinceau j’en esbatray ma vie, De l’escrime et du bal : je discourois ainsi, Et me vantois en moy d’apprendre tout ceci, Quand je changeay la France au sejour d’Italie.
Ô beaux discours humains ! je suis venu si loin, Pour m’enrichir d’ennuy, de vieillesse, et de soin, Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage.
Ainsi le marinier souvent pour tout trésor Rapporte des harans en lieu de lingots d’or, Ayant fait, comme moy, un malheureux voyage.
On saisit bien l’esprit de la poésie de du Bellay avec La Belle matineuse. Initialement, c’est un poème italien, de Antonio Francesco Raineri. Joachim Du Bellay l’imite, tout comme Pierre de Ronsard, Olivier de Magny, Bachet de Méziriac, Abraham de Vermeil et par la suite au 17e siècle Vincent Voiture, Claude Malleville, Tristan L’hermite.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que Du Bellay se fonde sur un exemple italien, lui qui dénonce l’influence italienne. Mais il faut se rappeler qu’à l’époque, il n’y a pas de concept de droit d’auteur et dans sa logique, tout ce qui est culturellement formateur est bon du moment que cela sert la juste cause.
Il n’existait également pas au XVIe siècle de principe de nouveauté culturelle, tout passait par des dites et des redites, l’à-propos étant le critère d’évaluation.
Voici la version de du Bellay de La Belle matineuse.
Déjà la nuit en son parc amassait Un grand troupeau d’étoiles vagabondes, Et, pour entrer aux cavernes profondes, Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;
Déjà le ciel aux Indes rougissait, Et l’aube encor de ses tresses tant blondes Faisant grêler mille perlettes rondes, De ses trésors les prés enrichissait :
Quand d’occident, comme une étoile vive, Je vis sortir dessus ta verte rive, Ô fleuve mien ! une nymphe en riant.
Alors, voyant cette nouvelle Aurore, Le jour honteux d’un double teint colore Et l’Angevin et l’indique orient.
Il en va pour le fait de puiser dans la culture grecque et romaine comme pour la démarche consistant à se tourner dans la culture italienne, et d’ailleurs Du Bellay ne valorisait pas les vers latins, même s’il en faisait : c’était un travail de fond, comme pour une mystérieuse Faustine dont il s’éprit à la fin de son séjour de quatre années et demi à Rome.
Ce qui compte, c’est que Du Bellay est concrètement le premier à systématiser le sonnet en France – et il faut bien saisir qu’il a une grande production, comme pour tous les poètes de l’époque – et qu’il mène un travail de fond d’affinement du style français, tel un pas vers la langue qui va s’instaurer au XVIIe siècle.
On va dans le sens d’une certaine fluidité, d’une tournure de la langue plus naturelle. Voici La Chanson du vanneur de blé, tiré des Jeux rustiques et se fondant sur une poésie en latin de l’Italien du 16e siècle André Navagero. Le vanneur vanne le blé, c’est-à-dire qu’il le secoue au moyen d’un outil pour le débarrasser des impuretés.
Ô vous troupe légère Qui d’aile passagère Par le monde volez, Et d’un sifflant murmure L’ombrageuse verdure Doucement ébranlez,
J’offre ces violettes, Ces lis et ces fleurettes, Et ces roses ici, Ces vermeillettes roses, Tout fraîchement écloses, Et ces œillets aussi.
De votre douce haleine Éventez cette plaine, Éventez ce séjour ; Cependant que j’ahanne A mon blé que je vanne A la chaleur du jour.
Si quelques recueils sont alors produits et diffusés, on est loin d’une imprimerie efficace et de masse. Les poèmes se dispersent aisément, ils relèvent d’une scène culturelle en vie mais n’ayant pas encore atteint le niveau d’organisation qu’aura le 17e siècle comme grand siècle français.
La poésie de du Bellay ne consiste donc pas simplement en ses recueils les plus célèbres – L’Olive (vers 1549), Les Regrets (1558), Les Antiquités de Rome (1558). Il y a d’autres poèmes, qui se sont dispersés, perdus, etc.
Voici un exemple très réussi, autour du thème de la passion, placé dans les œuvres complètes après sa mort dans une partie intitulée Les Amours de Joachim du Bellay.
Comme souvent des prochaines fougères Le feu s’attache aux buissons, et souvent Jusques aux bleds , par la fureur du vent, Pousse le cours de ses flammes légères ;
Et comme encor ces flammes passagères Par tout le bois traînent, en se suyvant, Le feu qu’au pied d’un chesne auparavant Avoyent laissé les peu cautes [=précautionneuses] bergères
Ainsi l’amour d’un tel commencement Prend bien souvent un grand accroissement : Il vaut donc mieux ma plume ici contraindre
Que d’imiter un homme sans raison, Qui se jouant de sa propre maison, Y met un feu qui ne se peut esteindre.
Il va de soi que la fluidité de Du Bellay emprunte énormément à la langue italienne. Il suffit de lire des textes français du 16e siècle et de les comparer à ceux du 17e siècle comment il y a eu une véritable révolution sur le plan de la construction et de la fluidité. Les Essais de Montaigne sont une œuvre exceptionnelle, mais le français employé est dans ses tournures à mille lieux de la modernité toujours présente pour nous de celui du 17e siècle.
Voici un exemple de comment Du Bellay puise dans le style italien, avec un sonnet du poète italien du 16e siècle Francesco Berni et le sonnet quatre-vingt-onze des Regrets.
Chiome d’argento fine, irte ed attorte Senz’arte, intorno ad un bel viso d’oro; Fronte crespa, u’mirando io mi scoloro, Dove spunta isuoi strali Amore et Morte;
Occhi di perle vaghi, luci tòrte Da ogni obbietto diseguale a loro ; Ciglia di neve, e quelle, ond’io m’accoro, Dita e man dolcemente grosse e corte ;
Labra di latte, bocca ampia celeste, Denti d’ebano rari e pellegrini, Inaudita ineffabile armonia ;
Costumi alteri e gravi : a voi, divini Servi d’Amor, palese fo che queste Son le bellezze della donna mia.
Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors ! Ô front crêpe et serein ! et vous, face dorée ! Ô beaux yeux de cristal ! ô grand bouche honorée, Qui d’un large repli retrousses tes deux bords !
Ô belles dents d’ébènes ! ô précieux trésors, Qui faites d’un seul ris toutes âme enamouré ! Ô gorge dmasquine en cent plis figurée ! Et vous, beaux grands tétins, digne d’un si beau corps !
Ô beaux ongles dorés ! ô main courte et grassette ! Ô suisse délicate ! et vous, jambe grossette, Et ce que je ne puis honnêtement nomer !
Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glaces ! Ô divines beautés ! pardonnez-moi, de grâce, Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer.
Dans sa dédicace servant de présentation de sa Défense et illustration de la langue française, Joachim du Bellay (1522-1560) explique qu’il était dirigé que par « l’affection naturelle envers ma patrie ».
C’est là quelque chose d’historique, car l’époque est marquée par la formation des nations, sous l’impulsion des débuts du capitalisme. Joachim du Bellay parle donc d’une France qui ne fait que se constituer et en la définissant sur le plan de la langue, de la géographie, des mentalités… il contribue à ce processus de formation nationale.
Portrait de Joachim du Bellay par Jean Cousin le Jeune
Il est bien connu que les Regrets sont une complainte de Joachim du Bellay lors de son séjour à Rome. Mais le choix de ce thème a été sciemment choisi. C’est un prétexte pour dénoncer le Vatican (et non pas simplement la ville de Rome) et affirmer la nation française à travers sa nostalgie. Ses poèmes sont d’ailleurs amusants et caustiques bien plus que mélancoliques.
Plus précisément, le rôle historique de Joachim du Bellay est d’avoir synthétisé les traits nationaux d’une France en formation. Et pour ce faire, le poète procède de deux manières :
– il démolit littéralement le Vatican ;
– il fait un va-et-vient entre la France et les autres nations – y compris les civilisations grecque et romaine.
Voici un exemple avec le soixante-huitième sonnet des Regrets, où Joachim du Bellay dresse un catalogue de nationalités avec des particularités présentées de manière humoristique, se concluant par un rejet d’un « savoir pédantesque » qui est une allusion à l’Église catholique romaine.
Je hais du Florentin l’usurière avarice, Je hais du fol Sienois le sens mal arresté, Je hais du Genevois la rare vérité, Et du Vénitien la trop caute [=prudente] malice :
Je hais le Ferrarois pour je ne sais quel vice, Je hais tous les Lombards pour l’infidélité, Le fier Napolitain pour sa grand’ vanité, Et le poltron Romain pour son peu d’exercice :
Je hay l’Anglois mutin, et le brave Escossois, Le traistre Bourguignon, et l’indiscret François, Le superbe Espagnol, et l’ivrongne Tudesque [= Allemand] :
Bref, je hay quelque vice en chasque nation, Je hais moi mesme encor’ mon imperfection, Mais je hais par sur tout un savoir pédantesque.
On a ici véritablement une affirmation de la nation française et d’autres nations : c’est totalement nouveau.
Il faut cependant bien saisir le contexte de cette affirmation française. Celle-ci est rendue difficile par deux forces qui aimeraient bien soumettre voire intégrer la France.
Il y a ainsi déjà l’Espagne, qui aimerait intégrer le royaume de France. Mais ce n’est pas la menace principale alors. Celle-ci consiste en les ramifications italiennes et catholiques romaines en France, qui vont être si fortes avec l’Italienne Catherine de Médicis, qui sera reine-mère et régente du royaume de France de 1560 à 1563 et une tenante pro-catholique des guerres de religion.
Le poème quatre-vingt-quinze des Regrets est une véritable dénonciation de l’influence italienne, qui pour Joachim du Bellay est un obstacle à l’affirmation nationale française.
Maudict soit mille fois le Borgne de Libye [=Hannibal], Qui le cœur des rochers perçant de part en part, Des Alpes renversa le naturel rempart, Pour ouvrir le chemin de France en Italie.
(…)
Le François corrompu par le vice estranger Sa langue et son habit n’eust appris à changer, Il n’eust changé ses mœurs en une autre nature.
D’où l’insistance de Joachim du Bellay quant à un style qui soit français.
La pandémie a mis à nu la base de la vie dans la métropole impérialiste, avec le fait que sans la consommation, les gens sont perdus car livrés à eux-mêmes. Incapables de s’orienter par eux-même pour la plupart, ils sombrent dans la dépression, au point que la France connaît en janvier 2021 une rupture de stocks d’anxiolytiques.
C’est bien en cela que la crise générale du capitalisme s’exprime ici. D’un côté, l’expansion du capitalisme dérègle le rapport de l’humanité à la nature, produisant une pandémie. De l’autre, la pandémie agit sur sa source en apportant une perturbation terrible.
Comment le capitalisme s’est insidieusement installé
Le capitalisme s’installe sans que les gens ne possèdent de recul suffisant pour comprendre le sens de cette installation ; prisonniers de la consommation capitaliste, ils participent à l’enracinement d’un mode de production à tous les niveaux de la vie, sans s’en apercevoir.
Un excellent exemple est l’extension du réseau routier en France accompagnant l’expansion de la consommation d’automobiles. Le nombre de morts et de blessés a connu une croissance vertigineuse associée au développement du capitalisme en ce domaine, sans que cela soit dénoncé ou remarqué. Il était en même temps parlé du nombre de morts du contingent en Algérie française, mais celui-ci était pourtant inférieur.
Année
Nombre d’accidents
Nombre de blessés
Nombre de tués
1949
25 247
22 000
2 878
1955
140 232
147 551
8 058
1967
215 470
302 245
12 696
1972
259 954
386 874
18 034
Cette installation du capitalisme a d’autant plus été accepté que l’accès à l’automobile a été un progrès matériel sur le plan pratique, que les automobiles se sont améliorés, ainsi que la sécurité routière. Cela a été un long processus, s’étalant sur plusieurs décennies. Cependant, cela a largement suffi pour qu’il n’y ait aucune remise en cause par les masses tant du réseau routier que de son extension, tant des automobiles que des accidents.
Année
Nombre d’accidents
Nombre de blessés
Nombre de tués
1979
242 975
335 904
12 197
1984
199 454
282 485
11 525
2000
121 223
162 117
7 643
2019
56 019
70 490
3 244
Le modèle américain
Ce qui est vrai pour l’installation du parc automobile et du réseau routier est vrai pour l’ensemble des marchandises. Les différents marchés capitalistes se sont non seulement développés, mais ils se sont en plus répondus les uns aux autres. Cela est vrai à l’intérieur des pays, mais également entre les pays, et encore davantage avec l’instauration de la Communauté européenne et l’intégration de la Chine devenue social-fasciste dans le marché capitaliste international.
Le problème de fond, très facile à comprendre et immédiatement remarquée par l’Internationale Communiste dès sa fondation à la suite de la révolution russe, c’est que les États-Unis d’Amérique n’ont initialement pas été touchés par la première crise générale du capitalisme. En profitant de la modernisation productive (le « fordisme »), ils ont pu s’imposer comme la principale force impérialiste et ont contribué à relancer le capitalisme alors tellement à sec qu’il se précipitait dans la guerre mondiale.
Le mode de vie américain s’est généralisé, avec une consommation présente à tous les niveaux de l’existence, avec tout choix trouvant la possibilité de se réaliser par la consommation. Exister, c’est consommer de telle ou telle manière, un nombre incroyable de marchés se proposant pour satisfaire des goûts d’autant plus multiples que la différence, la différenciation, l’isolement individualiste sont promus par le capitalisme.
Cela représente un saut qualitatif pour le capitalisme, car davantage de marchés capitalistes dans une société, c’est autant d’échos en plus dans le circulation des capitaux et des marchandises. On a alors un cercle en apparence vertueux pour le capitalisme, qui semble toujours s’en sortir, avec une capacité perpétuelle de se récupérer et de récupérer les oppositions.
Avec davantage de capitaux, il y a la capacité d’utiliser de plus en plus d’initiatives venant d’en bas, de récupérer pour le capitalisme toutes les idées, toutes les actions. La capacité du capitalisme à intégrer en son sein même des formes rebelles comme le hip hop, le punk, le grunge… est bien connue.
Le 24 heures sur 24 du capitalisme
C’est ainsi que s’est formé le 24 heures sur 24 du capitalisme, à partir des années 1960, pour se généraliser toujours davantage jusqu’au début du 21e siècle, avec de nombreux secteurs des masses des pays impérialistes se faisant corrompre.
La Fraction Armée Rouge constate en 1972 que :
« La définition du sujet révolutionnaire à partir de l’analyse du système, avec la reconnaissance que les peuples du tiers-monde sont l’avant-garde, et avec l’utilisation du concept de Lénine d’« aristocratie ouvrière » pour les masses dans les métropoles, n’est pas périmée et terminée.
Au contraire, elle ne fait même que commencer. La situation d’exploitation des masses dans les métropoles n’est plus couvert par seulement le concept de Marx de travailleur salarié, dont on tire la plus-value dans la production.
Le fait est que l’exploitation dans le domaine de la production a pris une forme jamais atteinte de charge physique, un degré jamais atteint de charge psychique, avec l’éparpillement plus avancé du travail s’est produite et développée une terrifiante augmentation de l’intensité du travail. L
e fait est qu’à partir de cela, la mise en place des huit heures de travail quotidiennes – le présupposé pour l’augmentation de l’intensité du travail – le système s’est rendu maître de l’ensemble du temps libre des gens.
À leur exploitation physique dans l’entreprise s’est ajoutée l’exploitation de leurs sentiments et de leurs pensées, de leurs souhaits et de leurs utopies – au despotisme des capitalistes dans l’entreprise s’est ajouté le despotisme des capitalistes dans tous les domaines de la vie, par la consommation de masse et les médias de masse.
Avec la mise en place de la journée de huit heures, les 24 heures journalières de la domination du système sur les travailleurs a commencé sa marche victorieuse – avec l’établissement d’une capacité d’achats de masse et la « pointe des revenus », le système a commencé sa marche victorieuse sur les plans, les besoins, les alternatives, la fantaisie, la spontanéité, bref : de tout l’être humain !
Le système a réussi à faire en sorte que dans les métropoles, les masses sont tellement plongées dans leur propre saleté, qu’elles semblent avoir dans une large mesure perdu le sentiment de leur situation comme exploitées et opprimées.
Cela, de telle manière qu’elles prennent en compte, acceptant cela tacitement, tout crime du système, pour la voiture, quelques fringues, une assurance-vie et un crédit immobilier, qu’elles ne peuvent pratiquement rien se représenter et souhaiter d’autre qu’une voiture, un voyage de vacances, une baignoire carrelée.
Il se conclut de cela cependant que le sujet révolutionnaire est quiconque se libère de ces encadrements et qui refuse de participer aux crimes du système. Que quiconque trouve son identité dans la lutte de libération des peuples du tiers-monde, quiconque refuse de participer, quiconque ne participe plus, est un sujet révolutionnaire – un camarade.
De là il s’avère que nous devons analyser la journée de 24 heures du système impérialiste.
Qu’il nous fait présenter pour chaque domaine de la vie et du travail comment la ponction de la plus-value se déroule, comment il y a un rapport avec l’exploitation dans l’entreprise, car c’est précisément la question.
Avec comme postulat : le sujet révolutionnaire de l’impérialisme dans les métropoles est l’être humain dont la journée de 24 heures est sous le diktat, sous le patronage du système.
Nous ne voulons pas élargir le cadre où doit être réalisée l’analyse de classe – nous ne prétendons pas que le postulat soit déjà l’analyse.
Le fait est que ni Marx ni Lénine ni Rosa Luxembourg ni Mao n’ont eu à faire au lecteur du [journal populiste à gros tirage] Bild, au téléspectateur, au conducteur de voiture, à l’écolier psychologiquement formaté, à la réforme universitaire, à la publicité, à la radio, à la vente par correspondance, aux plans d’épargne logement, à la « qualité de la vie », etc.
Le fait est que le système se reproduit dans les métropoles par son offensive continue sur la psyché des gens, et justement pas de manière ouvertement fasciste, mais par le marché.
Considérer pour cela que des couches entières de la population sont mortes pour la lutte anti-impérialiste, parce qu’on ne peut pas les caser dans l’analyse du capitalisme de Marx, est pour autant délirant, sectaire comme non-marxiste.
Ce n’est que si l’on arrive à amener la journée de 24 heures au concept impérialiste / anti-impérialiste que l’on peut parvenir à formuler et à présenter les problèmes concrets des gens, de telle manière qu’ils nous comprennent. »
L’ennui, la laideur, l’anxiété, l’angoisse dans un espace urbain aliénant
Le 24 heures sur 24 du capitalisme ne permet aucun temps mort et pourtant la capacité à consommer est limitée, sans compter que les bonheurs relèvent du consommables : ils sont éphémères, il faut les renouveler constamment et ainsi avoir les moyens de les renouveler. Or, l’acquisition d’argent pour la consommation implique de participer à la production, qui est bien plus épuisante psychiquement et physiquement qu’auparavant. Le travail épuise les nerfs, la consommation est superficielle sur le plan humain, il s’ensuit une déprime exprimant une certaine conscience de vivre dans une course folle.
C’est que cela se déroule dans un environnement façonné par le capitalisme.
Les villes et les campagnes sont, au début du 21e siècle, entièrement façonnés par le capitalisme.
S’il existe des décisions au niveau des États, des régions, des communes, s’il y a bien un rôle pour les architectes, s’il y a bien une réflexion de la part des urbanistes, s’il existe même des paysagistes, c’est en dernier ressort le mode de production capitaliste qui décide de la tendance générale.
L’habitat répond, dans sa substance même, entièrement aux exigences, à la terreur de la consommation du capitalisme. Un habitat est avant tout un lieu où vit un consommateur et il doit être en mesure de consommer sur cette base. Et cet habitat est défini par lui-même par sa capacité à consommer.
Les bourgeois des centre-villes peuvent se permettre de vivre là, car ils consomment et que leur propre habitat relève de la consommation. Inversement, le prolétariat se fait placer en périphérie, puisque de toutes façons sa consommation est elle-même périphérique.
L’habitat répond cependant également entièrement aux exigences de production du capitalisme. Il faut que le personnel nécessaire à la production soit à disposition. Là encore, il y a une différence entre la Défense comme pôle de décision et les usines de Picardie, entre les périphéries lieux de production et de diffusion des marchandises et des centres focalisés sur la distribution des marchandises.
L’espace urbain maximalise les potentialités de la production et de la consommation et chaque personne doit suivre, se plier, s’adapter, quitte à être broyé. Une fuite n’est pas possible de par les exigences d’un capitalisme qui tourne et qui ne laissent personne à l’écart.
Les villes deviennent ainsi toujours plus laides, les campagnes se vident, tout se dégrade, alors que l’angoisse apparaît inéluctablement comme émotion pour quiconque cherche à se projeter dans un tel environnement.
Cette anxiété produit, tant dans les villes que les campagnes, la fuite dans les jeux d’argent, les drogues, le sado-masochisme, l’idéologie LGBT, l’émigration. Or, tout cela est également une fuite de type capitaliste : c’est simplement un changement de marché, un changement de terrain de la production et de la consommation. Et cela ne modifie pas la laideur générale que produit le capitalisme développé, où une ville comme Dubaï a plus de statut que Prague.
Et encore est-ce là raisonner en termes locaux. Si l’on se déplace dans le pays, on voit à quel point tout se dégrade sans commune mesure, avec un étalement urbain progressant en France de 165 hectares par jour (et bien moins en Belgique pour des raisons géographiques et historiques).
La laideur des réalisations capitalistes entièrement décidées par les intérêts du capital et le mauvais goût de couches dominantes décadents défigure absolument tout le pays, empêchant de trouver sa place et produisant une quête romantique anticapitaliste nihiliste, par absence de compréhension de la lutte des classes et du matérialisme dialectique.
Le piège de la petite propriété
Les villes et les campagnes subissent ainsi de plein fouet la contradiction entre la production et la consommation existante dans le capitalisme. Les intérêts de la production ne sont pas nécessairement ceux de la consommation et inversement.
On arrive alors à une géographie en générale façonnée par les échanges et des zones de vie où les gens sont soit isolés les uns des autres, soit les uns sur les autres. La pandémie se développe en raison de cette accumulation de gens dans le béton, ou bien en raison des échanges à travers un pays entièrement structuré par les échanges capitalistes.
De plus, tout se déroule dans le chaos du marché, même s’il y a des interventions des institutions, qui sont de toutes façons par la rapidité de l’évolution du marché.
Et, surtout, le capitalisme transporte des valeurs amenant à une valorisation, une généralisation de la petite propriété. Pratiquement 60 % des Français sont propriétaires de leurs logements, 72 % en Belgique.
Cela fait que si une minorité peut accuser les propriétaires de leur logement de leur situation insupportable de locataires, la majorité ne peut s’en prendre qu’à elle-même. C’est toutefois au-delà de ses forces, tellement elle est prisonnière de la course capitaliste.
La pandémie met à nu le quotidien dans la métropole impérialiste
Le 24 heures sur 24 du capitalisme a été fortement perturbé par la pandémie et les gens se sont retrouvés désemparés. Ils ont montré qu’ils n’étaient pas capables d’autonomie, qu’ils attendaient passivement ce que le capitalisme est capable de leur proposer en termes culturels.
Il y aurait pu y avoir un grand retour à la lecture de classiques de la littérature, un vaste passage à des activités comme le dessin, la peinture, l’écriture. Rien de tout cela n’a eu lieu, car cela n’est pas possible pour des gens formatés à consommer et à vivre par la consommation.
Comment un propriétaire, qui est de ce fait impliqué lui-même dans le fonctionnement du capitalisme, dans son succès, peut-il résister à la terrible pression produite par la pandémie ? C’est tout simplement impossible.
Et si on ajoute à cela ceux qui veulent accéder à la propriété, on a une grande majorité de la population.
Bien entendu, on parle ici le plus souvent de ce qui forme une vaste petite-bourgeoisie, ou bien de couches populaires cherchant à accéder à un mode de vie ouvertement petit-bourgeois.
Derrière, il y a un besoin de sécurité, recherché individuellement par la méfiance, l’absence de confiance ou le refus d’une sortie collective aux problèmes posés par le capitalisme.
Cela ne change cependant pas le problème de fond : les gens se sont engagés dans le capitalisme et ils se retrouvent piégés. Il faudrait une classe ouvrière capable d’une mobilisation générale crédible pour être capable d’arracher la petite-bourgeoisie à ses fétiches.
La question collective
Le 24 heures sur 24 du capitalisme a toujours connu des éléments capables de critiques et le désespoir d’une vie quotidienne au ralenti n’a pas touché certains secteurs. Une minorité a compris que cette course capitaliste était insensée, qu’elle était vaine, qu’on gâche sa vie dans un tel système où l’on est subordonné à la production afin de satisfaire une consommation superficielle.
Cependant, sans orientation de classe, cela aboutit en initiatives qui immanquablement s’inscriront dans le capitalisme.
De plus, cela passe à côté du problème central. Le capitalisme défigure la nature et la pandémie a révélé que les espaces de la métropole impérialiste sont ingérables. Soit les hôpitaux sont trop loin, soit ils sont surchargés, alors que les logements s’avèrent largement inaptes pour qu’on y vive de manière prolongée.
C’est qu’en fait la dimension collective est entièrement absente du capitalisme et, lorsque la pandémie a fait que l’accès systématique à la consommation capitaliste a été affaiblie, les individus atomisés ont été livrés à eux-mêmes et c’est alors l’explosion, ou plus exactement l’implosion.
D’où les comportements individualistes, relativistes, notamment dans la petite-bourgeoisie au mot d’ordre de « fêtes » et de « libertés ». Mais la pandémie n’est pas terminée et le mode de production capitaliste apparaît alors comme incapable de faire face à une question collective.
Le mode de production capitaliste, en ayant façonné les gens à son image, n’est plus en mesure de puiser un sens du collectif qu’il pourrait utiliser de manière pragmatique pour s’en sortir.
Ce n’est pas le cas en Chine, car c’est un pays social-fasciste, sur la base d’un capitalisme monopoliste d’État conséquent à la prise du pouvoir des révisionnistes en 1976 à la mort de Mao Zedong. C’est un régime construit par en-haut et il est encore en mesure de prendre des décisions par en-haut, malgré la bureaucratisation généralisée et un capitalisme ultra-violent s’appuyant sur de très puissants monopoles.
Cela produira immanquablement une contradiction en Chine, entre la dimension collective de l’intervention dans la pandémie et sa gestion uniformisée, de type terroriste, par en haut. Inversement, dans les pays impérialistes où le capitalisme s’est développé sans entraves, la contradiction est celle entre des individus atomisés par la vie quotidienne dans le 24 heures sur 24 du capitalisme et les exigences historiques de collectivisme face à la pandémie.
Et c’est là un aspect seulement de la crise générale du capitalisme où les défis sur la table – réchauffement climatique, protection de la nature, condition animale, possibilités d’épanouissement personnel – sont innombrables.