Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • L’incapacité à dépasser les traditions socialistes françaises congrès de Tours de 1920

    Les appréhensions quant à la prise du pouvoir par la lutte armée s’accompagnaient de toute une série d’autres du même type, largement partagées. Ludovic-Oscar Frossard, pourtant le chef de file avec Marcel Cachin du mouvement pour l’adhésion à l’Internationale Communiste, ne cachait pas ses « réserves ».

    De manière totalement opposée au bolchevisme et absolument dans la tradition socialiste française, il expliqua ainsi qu’il voulait l’indépendance syndicale :

    « Je ne dissimule pas un instant au Congrès que je préférerais que le mouvement syndical, dans notre pays, à l’exemple du mouvement syndical dans d’autres pays, s’accordât davantage avec le mouvement socialiste (très bien!) et que si j’avais le choix, je préférerais à notre Confédération Générale du Travail une C.G.T. qui, à l’exemple de la Confédération Générale du Travail italienne, se mettrait à la disposition du Parti pour les grands mouvements d’ordre politique nécessités par les circonstances. »

    Puis, après avoir expliqué que c’est la conséquence du refus des syndicalistes de se plier aux réformistes socialistes alors, Frossard en déduit que :

    « La subordination du mouvement syndical au mouvement socialiste est dans notre pays une impossibilité matérielle et une impossibilité morale.

    Aussi bien n’est-ce pas cela qui importe pour l’action révolutionnaire que nous voulons accomplir. Ce qui importe, c’est que la Confédération Générale du Travail soit pénétrée de cet esprit ; c’est que dans les syndicats les socialistes sachent demeurer des socialistes prêts à toutes les éventualités (Applaudissements.)

    Ce qui importe, c’est qu’ils n’oublient jamais, nulle part, sur quelque terrain qu’ils se placent, leur devoir de socialistes ; c’est qu’on en finisse avec cette situation paradoxale de militants socialistes qui, au sein de l’organisation syndicale, combattent avec véhémence comme des « politiciens » leurs camarades du parti (Applaudissements.)

    Ce qui importe enfin, c’est que, par une propagande inlassable, nous parvenions à opérer le redressement de notre mouvement ouvrier et à lui redonner cette belle vigueur révolutionnaire qu’il avait avant la guerre (…).

    J’ai confiance que nous parviendrons à réaliser, non pas la subordination d’un mouvement à l’autre, mais l’unité de front du prolétariat révolutionnaire dans notre pays. Et c’est cela qui importe ?

    Il n’est pas un seul d’entre nous, je tiens à le redire, qui veuille domestiquer le mouvement syndical. »

    Ludovic-Oscar Frossard restait tout à fait dans le cadre de l’acceptation socialiste, voire de la fascination pour l’actionnisme substitutiste des syndicalistes révolutionnaires, pourtant foncièrement hostiles au Parti Socialiste SFIO.

    Une autre réserve de Ludovic-Oscar Frossard concernait la question de l’épuration. Base de la démarche bolchevik, Ludovic-Oscar Frossard la récusait au nom bien entendu des traditions socialistes françaises.

    Voici ce qu’il dit, assumant d’être en conflit avec l’Internationale Communiste :

    « Je parle ici au nom de la majorité solidaire : aucune exclusion.

    Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement ? J’ai dit, non seulement ici, mais à Moscou et dans toute la campagne qui aboutit à l’adhésion de notre Parti à la IIIe Internationale, que des hommes comme moi se déshonoreraient s’ils acceptaient de renier et de frapper ceux aux côtés desquels ils ont mené la bataille pour le redressement socialiste pendant de longues années.

    Je le répète encore aujourd’hui, si l’on m’avait demandé de frapper Longuet d’exclusion, si l’exclusion de Longuet avait pu être votée par ce Congrès, moi, je serai parti avec Longuet. (Applaudissements.)

    On me demande d’être net, je suis net. (Mouvements divers.)

    Il n’est rien qui puisse, sur ce point, modifier ni mon état d’esprit, ni celui des membres de ma fraction, ni la résolution que nous avons signée ensemble. (Très bien à gauche.) (…)

    Ce n’est pas sans tristesse que je conclus. Nous allons nous séparer (…).

    Quant à moi, demain, je parlerai de vous sans amertume. Demain je ne prononcerai pas à votre égard une parole blessante. Je vous considère comme des socialistes et je le dis.

    Je vois ici des hommes que je connais depuis quinze ans, des hommes comme Blum qui a apporté au Parti son talent, sa vaste culture, sa puissance de travail, qui l’a grandement honoré, des hommes comme Renaudel, avec lequel je n’ai jamais été d’accord dans le Parti, mais dont je sais qu’il est un homme de courage et de probité (Applaudissements.), Renaudel dont il nous arrive souvent de nous dire entre nous : « S’il était avec nous, quelle belle force révolutionnaire ce serait. » (Très bien ! Mouvements.) (…)

    Maintenant, c’est à mes amis du centre que je vais m’adresser. Je leur dis : vous n’avez pas le droit de nous quitter ; vous ne le pouvez pas ; vous ne le devez pas. Nous avons besoin de vous comme vous avez besoin de nous. »

    Ludovic-Oscar Frossard en reste tout à fait au socialisme comme tempérament, faisant même l’éloge du mysticisme en s’appuyant sur la grande figure de l’idéalisme spiritualiste que fut Charles Péguy :

    « Je me souviens d’une époque où nous redoutions que les jeunes s’en aillent à d’autres organisations que les nôtres.

    Ils sont venus, les uns par passion anti-militariste et antiguerrière, les autres, comme autrefois ceux dont Charles Péguy parlait dans son livre Notre jeunesse, à la recherche d’une « mystique ».

    D’où qu’ils viennent, qu’ils soient les bienvenus parmi nous. »

    On est là très éloigné des exigences de conscience et d’organisation du bolchevisme. Et c’est justement cet idéalisme qui va donner des armes à Léon Blum pour présenter les oppositionnels comme les seuls rationalistes.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • Le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la grande peur de la lutte armée

    Le Parti socialiste SFIO, depuis sa fondation en 1905, est une machine de propagande se mettant en branle avec les élections. Il n’est pas un Parti de lutte sociale, car il laisse cela aux syndicats ; il n’est pas un Parti de lutte politique, car il est axé sur la République parlementaire.

    Il n’a donc aucune expérience du combat politique ouvert et de la clandestinité ; il appréhende donc particulièrement les exigences bolcheviques d’aller dans le sens de la guerre civile.

    L’opposition à l’adhésion ne cesse d’insister sur la question du mode d’organisation bolchevique, espérant convaincre encore en jouant la carte des traditions socialistes de soumission au cadre républicain. Les deux figures clefs sont Paul Faure et Léon Blum, qui prendront ensuite la direction de la SFIO « maintenue », Paul Faure étant le numéro 1 et également le rédacteur en chef du quotidien de la SFIO, Le Populaire.

    A la sortie du congrès de Tours

    Voici comment Paul Faure accuse au Congrès de Tours les partisans de l’Internationale Communiste de courir à l’aventure :

    « Dans la direction où vous allez, il faut que vous sachiez à quelles forces de résistance et de répression vous allez vous heurter. (Applaudissements sur certains bancs, bruits.)

    Toutes ces organisations se préparent contre la classe ouvrière et tout soulèvement éventuel. Elles se préparent non plus seulement avec le fusil – cette période est dépassée – mais, je le répète, avec les mitrailleuses, avec les gaz asphyxiants… (Interruptions, tumulte.).

    Il y a plus encore que l’organisation policière et militaire des répressions éventuelles. Vous vous heurterez aussi à l’organisation systématique et habile des briseurs de grèves (…).

    Toutes les révolutions ont été faites par des armées en déroute. (Très bien!) Les révolutions allemande, autrichienne, russe ont été faites par des armées, avec des soldats.

    Maintenant que les soldats ont rendu leurs armes, vous n’avez plus rien entre les mains.

    La bourgeoise – persuadez-vous en bien – cette bourgeoisie que vous avertissez tous les jours que vous allez faire la révolution, s’amuse de vous et vous amènera dans des guet-apens. (Applaudissements sur certains bancs. Mouvements divers.) »

    Voici comment Léon Blum dit la même chose en attaquant plus précisément le bolchevisme :

    « Il n’y a pas un socialiste, si modéré soit-il, qui se soit jamais condamné à n’attendre que d’un succès électoral la conquête du pouvoir. Là-dessus, il n’y a aucune discussion possible.

    Notre formule à tous est cette formule de Guesde, que Bracke me répétait il y a quelque temps : « Par tous les moyens, y compris les moyens légaux. »

    Mais cela dit, où apparaît le point de divergence ? Il apparaît en ceci, c’est que la conception révolutionnaire que je viens de vous indiquer, et qui était celle de Jaurès, de Vaillant, de Guesde, a toujours eu à se défendre contre deux déviations contraires et a toujours frayé difficilement son chemin entre une déviation de droite et une déviation de gauche.

    La première est précisément cette déviation réformiste dont je parlais tout à l’heure. Le fond de la thèse réformiste, c’est que, sinon la totalité de la transformation sociale, du moins ce qu’il y a de plus substantiel dans les avantages qu’elle doit procurer à la classe ouvrière, peut être obtenu sans crise préalable du pouvoir politique. Là est l’essence du réformisme.

    Mais il y a une seconde erreur, dont je suis bien obligé de dire qu’elle est, dans son essence, anarchiste. C’est celle qui consiste à penser que la conquête des pouvoirs publics est par elle-même une fin, alors qu’elle n’est qu’un moyen, qu’elle est le but, alors qu’elle n’est que la condition, qu’elle est la pièce, alors qu’elle n’est que le prologue (…).

    Ouvrez votre carte du Parti. Quel est l’objet que le parti socialiste jusqu’à présent se donnait à lui-même ? C’est la transformation du régime économique.

    Ouvrez les statuts de l’Internationale communiste. Lisez l’article dans lequel l’Internationale définit son but.

    Quel est ce but ? La lutte à la main armée contre le pouvoir bourgeois. »

    Suit alors une dénonciation populiste du bolchevisme par Léon Blum : ce serait du blanquisme, des petites avant-gardes cherchant non pas à organiser les masses « inorganiques », mais à les entraîner dans un soulèvement, etc.

    Cette question de la prise du pouvoir par la lutte armée reflète en fait tout l’arrière-plan républicain du Parti socialiste SFIO.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • L’intervention de Clara Zetkine au nom de l’Internationale Communiste au congrès de Tours en 1920

    L’Internationale Communiste envoya au congrès de Tours la communiste allemande Clara Zetkine, déjà très âgée puisque née en 1857. Elle fut dans l’impossibilité d’arriver dès le départ, car le gouvernement français d’Alexandre Millerand – exclu du Parti socialiste SFIO en 1904 – lui avait interdit l’entrée dans le pays.

    Elle écrivit par conséquent une lettre dénonçant son impossibilité de venir, dont le ton est très différent de celui du triomphalisme qu’on trouvait alors dans les rangs du Parti Socialiste SFIO, puisqu’elle accuse celui-ci d’être dans une faiblesse complète.

    Outre que le gouvernement soit en mesure de faire ce qu’il veut de par la faible influence des socialistes, elle rappelle que le gouvernement a accusé de complot Fernand Loriot et Boris Souvarine, à la suite de grèves des cheminots en mai ; il s’agit des principaux cadres du Comité de la IIIe Internationale, qui furent emprisonnés à la suite de cette accusation et ne purent ainsi participer au congrès de Tours.

    « Je laisse aux ouvriers révolutionnaires de France la réponse à donner au gouvernement [pour son interdiction d’entrée dans le pays], recourant aux moyens les plus misérables dans la lutte gigantesque entre les classes antagonistes.

    Il y en a une seule, digne d’eux. C’est l’adhésion à la Troisième Internationale, dont je devais être une porte-parole.

    Petite comme est la chose en elle-même, le refus du visa ressemble pourtant à ces pailles qui font voir d’où le vent vient et dans quel sens il va.

    Le même Parti Socialiste français, dont la plus grande majorité a enchaîné le prolétariat du pays au char de la guerre sanglante des impérialistes, assoiffés de profit et de puissance, ne jouit pas en récompense d’assez d’autorité et de respect, pour pouvoir décider qui sera admis à son Congrès et qui y prendra la parole.

    C’est le gouvernement des renégats du socialisme, des serviteurs sans vergogne et sans scrupule des expropriateurs des ouvriers et paysans, qui en décide. Les prolétaires qui, insensément, criminellement, ont sacrifié des centaines de milliers de leurs meilleurs, ne sont pas libres d’accorder l’hospitalité de leur pays à qui bon leur semble.

    Quelle preuve éclatante de la faiblesse, de l’impuissance de la classe ouvrière en France !

    Ce petit fait accentue ce que l’emprisonnement de longs mois des communistes convaincus et dévoués Loriot et Souvarine, ce que les condamnations des grévistes courageux ont gravé au cerveau des ouvriers français. »

    Arrivée enfin au congrès, de manière clandestine, elle tint un discours dans la même perspective :

    « Pour que ce Congrès réalise cette œuvre grandiose de l’Histoire, il faut que vous fassiez de la division pour arriver à l’union.

    Il faut faire la division avec le passé, avec la politique réformiste, opportuniste, des majoritaires et des centristes avec leur phraséologie et leur idéologie opportunistes et contre-révolutionnaires, phraséologie des social-patriotes d’un côté et social-pacifistes de l’autre.

    Il faut substituer à cette politique la politique purement révolutionnaire et la lutte de classes du prolétariat.

    L’unité du Parti que vous avez à présent n’est pas une forteresse qui décuplera vos forces dans la lutte contre l’ennemi.

    Cette unité du Parti n’est même pas une maison bien construite dans laquelle vous trouverez les agréments d’une petite vie domestique pour les travaux de réforme ; c’est un bâtiment en ruines, c’est une maison croulante où nos pas en avant sont empêchés par les ruines du passé (…).

    Il faut donner votre adhésion pure et simple, nettement, à la Troisième Internationale, pas seulement à ses principes, à sa tactique, mais aussi à ses conditions. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) (…)

    Tous nos efforts au Parlement seront toujours anéantis par les balles et les mitrailleuses au service de la bourgeoisie. Alors, il faut arriver à la lutte révolutionnaire pour conquérir le pouvoir politique.

    Et si vous voulez faire cette conquête, vous ne pouvez pas marcher la main dans la main avec les défenseurs d’une politique de trahison et de faiblesse. »

    Cette insistance sur les balles et les mitrailleuses était évidente du point de vue de l’Internationale Communiste, mais elle posait un vrai problème de fond dans la tradition socialiste.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • Le télégramme du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste au congrès de Tours en 1920

    Pour l’Internationale Communiste, Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard ne sont nullement des bolcheviks, mais elle pense qu’il y a une tendance de fond et que les socialistes français, s’ils se lancent, peuvent se dépasser.

    Il s’agit de débloquer la situation avant tout et c’est pour cela que l’Internationale Communiste cherche des rapports cordiaux, sans être trop exigeante à part en ce qui concerne la rupture avec la droite et le centre. Elle considère que cette rupture faite, les choses avanceront d’elles-mêmes.

    Aussi, l’Internationale Communiste décida de saluer le congrès de Tours, au moyen d’un télégramme du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Il mettait l’accent sur l’affrontement avec les centristes – on devine qu’il n’était pas fait confiance en ce domaine à Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard.

    Voici le télégramme, reçu le troisième jour du congrès.

    Riga, 24 décembre.

    Chers camarades, c’est avec un plaisir extrême que le Comité exécutif de l’Internationale communiste suivra les travaux de votre Congrès, qui occupera sans aucun doute une place importante dans l’histoire du mouvement ouvrier français.

    Nous avons lu un projet de résolution portant les signatures des camarades Loriot, Monatte, Souvarine, Cachin, Frossard et autres.

    Sauf quelques points (la domination du Parti), nous pouvons nous solidariser avec cette résolution.

    Nous avons lu ensuite un projet de résolution signé par Longuet, Paul Faure et autres. Cette résolution est pénétrée d’un esprit de réformisme et de diplomatie mesquine et chicanière.

    Les thèses approuvées par le 2e Congrès de l’Internationale Communiste admettent certaines exceptions en faveur de réformistes qui se soumettront maintenant aux décisions de l’Internationale communiste et renonceront à leur opportunisme d’autrefois.

    Le projet de résolution signé de Longuet et Paul Faure montre que Longuet et son groupe n’ont aucune envie de faire exception dans le camp des réformistes. Ils ont été et restent des agents déterminés de l’influence bourgeoise sur le prolétariat.

    Ce qui est le plus remarquable dans leur résolution, c’est moins ce qu’ils disent que ce qu’ils taisent. De la révolution mondiale, de la dictature du prolétariat, du système soviétiste, Longuet et ses amis préfèrent, ou bien ne rien dire du tout, ou bien dire les plus banales ambiguïtés.

    L’Internationale Communiste ne peut rien avoir de commun avec les auteurs de pareilles résolutions. Le plus mauvais service qu’on puisse rendre dans les circonstances actuelles au prolétariat français est d’imaginer je ne sais quel compromis embrouillé qui sera ensuite un véritable boulet pour votre Parti.

    Nous sommes profondément convaincus, chers camarades, que la majorité des ouvriers conscients de France n’admettra pas un compromis aussi ruineux avec les réformistes et qu’elle créera enfin à Tours le vrai Parti communiste un et puissant, libéré des éléments réformistes et semi-réformistes.

    C’est en ce sens que nous saluons votre Congrès et que nous lui souhaitons le succès.

    Vive le Parti communiste de France ! Vive le prolétariat français !

    Le Comité exécutif de l’Internationale communiste : Zinoviev, Lénine, Trotsky, Boukharine (Russie) ; Rosmer (France) ; Janson (Hollande) ; Chabline (Bulgarie) ; Sultan Zade (Perse) ; Comwitch (Amérique) ; Quelch (Angleterre) ; Milkić (Yougoslavie) ; Manner (Finlande); Stučka (Lettonie) ; Chtchakaïa (Géorgie); Roudianski, Varga (Hongrie); Steinhardt (Autriche). — ROSTA [Agence Russe des Télégraphes]

    L’Internationale Communiste envoya également une de ses principales figures, en la personne de Clara Zetkine.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • Les tendances Leroy – Heine et Blum – Paoli au congrès de Tours en 1920

    Les deux autres tendances forment l’expression jusqu’au-boutiste de la conception du bolchevisme comme une sorte de machinerie implacable. La motion ultra-gauchiste de Georges Leroy et Maurice Heine considère que la motion Cachin – Frossard ne va pas assez loin dans la valorisation de ce « bolchevisme », tandis que la motion Blum – Paoli considère qu’on ne va pas assez loin dans sa dénonciation.

    Cette dernière motion est portée d’ailleurs par le « Comité dit de Résistance Socialiste », nom choisi afin de bien montrer qu’il s’agit de défendre les traditions socialistes françaises, avec en particulier la représentativité proportionnelle. Léon Blum fera un long discours à ce sujet, qui passera à la postérité et sera le catéchisme des socialistes au 20e siècle.

    La motion de Léon Blum et Dominique Paoli dit ainsi du Parti que :

    « Il se refuse à pousser la centralisation jusqu’au point où l’autonomie des groupes locaux et l’initiative du groupe parlementaire se trouveraient totalement anéanties.

    Il se refuse à priver les minorités du droit d’agir, en supprimant la Représentation proportionnelle ; du droit de penser, en supprimant la liberté de discussion ; ou même du droit de vivre à l’intérieur du Parti en organisation les exclusions en masse et les épurations périodiques.

    Il se refuse à créer à côté ou au-dessus des organismes publics du Parti, des organismes clandestins, et, par conséquent, irresponsables, qui les contrôlent. »

    La motion de Georges Leroy et Maurice Heine a la perspective contraire, au sens où elle a la même interprétation totalement faussée du bolchevisme. La motion exige en effet qu’il faut que l’adhésion s’accompagne de l’acceptation ouverte des 21 conditions exigées par la IIIe Internationale pour rejoindre ses rangs.

    Ce n’est toutefois qu’un masque pour prendre les commandes. En effet, Georges Leroy et Maurice Heine relevaient cependant de l’ultra-gauche, de la mouvance du « Parti Communiste » et la « Fédération Communiste des Soviets ». Au sens strict, ils représentent les tous premiers activistes, issus du syndicalisme, à se tourner vers la Russie soviétique, ici dans les rangs du Parti socialiste SFIO. Ils prétendent à ce titre prendre la direction du cours des choses.

    Georges Leroy, le premier orateur de cette tendance, commença évidemment par prétendre qu’il existerait une continuité révolutionnaire représentée justement par cette tendance :

    « De cœur avec les Zimmerwaldiens et avec les révolutionnaires russes depuis 1917, nous avons suivi avec attention leur action quotidienne, qui s’est toujours trouvée d’accord notre pensée.

    C’est donc sans hésitation que nous avons accepté les thèses et les conditions adoptées par le 2e congrès de la IIIe Internationale communiste, en faveur de laquelle nous n’avons cessé de militer, tant au sein du Comité de la IIIe, que dans les sections du Parti, dans les Syndicats ou dans les Coopératives.

    Personne plus que nous n’a vu avec satisfaction les progrès réalisés par ce mouvement qui ralliait chaque jour un nombre grandissant d’adeptes. »

    La motion de la tendance reprend la même argumentation visant à se légitimer :

    « Dès que nous fut parvenue la nouvelle de la constitution à Moscou de la IIIe Internationale – et alors que tant d’autres cherchaient leur voie – nous entreprenions spontanément, au sein du Parti Socialiste et malgré l’opposition acharnée de ceux qui formaient, à ce moment, sa majorité, la campagne de propagande communiste et soviétique la plus nette et la plus résolue.

    Communistes sans conditions de la première heure, nous sommes logiques avec nous-mêmes en demeurant, à la onzième heure, communistes sans réserves.

    Nous ne sommes donc, quoi qu’on ait dit, ni des « surextrémistes », ni des « superbolcheviks » (Rires), à moins que ce ne soit outrepasser la discipline communiste que de prendre au sérieux chacune des thèses comme chacune des conditions d’admission votées par le 2e congrès de l’Internationale communiste. (Approbations) »

    Ils ne resteront évidemment, en raison de leurs conceptions ultras, que très peu de temps dans la Section Française de l’Internationale Communiste, Maurice Heine se faisant notamment éjecter pour avoir tiré avec un pistolet au plafond lors d’une réunion, car on avait refusé une de ses prises parole !

    Au congrès de Tours, l’ultra-gauche utilise ainsi l’argument des 21 conditions, considéré comme une technique, afin de se faire valoir et de prendre les commandes. Georges Leroy cherche à se présenter comme le vrai porte-parole du bolchevisme :

    « Les thèses et conditions de l’Internationale communiste forment un tout qui constitue les moyens pratiques nécessaires et indispensables à l’établissement du régime nouveau, tel que seul il permettra de réaliser le communisme.

    Renoncer à ces moyens, les vouloir incomplets, les accommoder aux anciens moyens, qui ont surabondamment démontré leur vanité et leur impuissance, c’est continuer à se payer de mots et remettre la Révolution aux calendes grecques.

    L’Internationale communiste nous demande un changement radical, non seulement dans la forme et les noms, mais dans l’esprit et le caractère ; elle insiste pour une chose nouvelle, du tout au différente de la chose ancienne, qui a fait faillite et qui, continuée en son fond identique, ne peut que nous vouer à un nouvel échec. »

    Le masque tombe cependant dès que la perspective concrète se profile :

    « Nous ne sommes pas des sur-extrémistes, mais nous pensons qu’il n’y a pas d’action révolutionnaire possible si l’action syndicale, l’action coopérative et l’action politique ne sont pas convergentes et pour cela nous disons qu’il est indispensable que les militants du Parti forment des noyaux au sein de chacune des organisations où ils militent et que l’action de ces noyaux soit subordonnée à celle de l’ensemble du Parti. »

    Pour l’ultra-gauche, le Parti est un état-major permettant un mouvement par en bas, un syndicalisme, un anarchisme.

    Mais elle n’a aucune considération de la part de l’Internationale Communiste, qui porte son attention sur la dynamique portée par Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • La tendance Longuet – Paul Faure au congrès de Tours en 1920

    La tendance représentée par Jean Longuet et Paul Faure est celle des « reconstructeurs ». Ceux-ci assument, du moins en paroles et en théorie, la dictature du prolétariat, la nécessité de la prise du pouvoir comme nécessité ; ils soutiennent la révolution russe.

    Ils sont d’accord pour dire que la seconde Internationale a failli, mais ils ne sont pas d’accord pour dire que l’Internationale Communiste la remplace. Ils pensent que l’expérience russe est particulière, que ses leçons ne peuvent pas être généralisées. On a à l’arrière-plan une remise en cause du principe de vague révolutionnaire mondiale, mis en avant par l’Internationale Communiste avec le concept de crise générale du capitalisme.

    Jean Longuet explique ainsi au congrès de Tours que :

    « Le Congrès [de fondation] de la IIIe Internationale s’est produit à un moment où nos camarades russes étaient particulièrement exaltés par leurs victoires sur la Pologne ; ils étaient persuadés que rien ne résistait plus à l’armée rouge.

    Et c’est dans cette exaltation, c’est dans ce moment tragique particulier qu’ils ont conçu une Internationale qui n’est pas une Internationale du prolétariat de tous les pays, mais une Internationale spécifiquement russe, avec des conceptions russes, une discipline russe et qui n’est pas adaptable aux autres pays. (Très bien à droite.) (…).

    Nos camarades russes – je suis tout à fait d’accord là-dessus avec Frossard – dans leur impatience légitime causée par les souffrances terribles qu’ils endurent au service de la révolution universelle, – pour quoi je les salue bien bas, en tant que lutteur de la révolution (applaudissements) – nos camarades russes attendent les gestes de la révolution immédiate.

    Ils ne tiennent aucun compte des circonstances de temps et de lieu, ils les ignorent, vivant dans l’hypnose de leur révolution… (Exclamations.)

    Nous ne sommes illuminés. Si nous étions en révolution, nous nous étonnerions comme eux que les autres pays ne fassent pas, eux aussi, la révolution. Ils sont excusables de leur erreur.

    Ceux qui ne sont pas excusables, ce sont ceux qui l’affirment, alors qu’ils savent qui c’est faux. »

    Les Russes voudraient ainsi aller trop vite et s’y prendraient mal. Les reconstructeurs les soutiennent, mais refusent leur modèle ; ils veulent pour cette raison une reconstruction avec tous les mouvements socialistes restant, sans distinction. C’est le sens du nom de leur motion : « Comité pour la Reconstruction de l’Internationale ».

    C’est, en quelque sorte, la ligne de la social-démocratie autrichienne, qui a Vienne comme bastion.

    Jean-Baptiste Lebas, une figure de la SFIO de Roubaix et du Nord en général, s’exprima ainsi au congrès, reflétant tout à fait cette approche :

    « Nous irons à [l’Internationale de] Vienne [où les sociaux-démocrates, très puissants, rejetaient la seconde Internationale tout en refusant la troisième], non pour créer une IVe Internationale (…), nous poursuivrons donc notre route et nous irons à Moscou. (Mouvements divers.)

    Mais nous irons à Moscou, non pas pour dire humblement : « Tout ce que vous nous avez imposé est accepté ; nous ne nous sommes même pas donné la peine de l’examiner ; il a suffi que vous parliez pour que nous allions à vous », mais, suivant le magnifique langage de [l’Italien Giacinto] Serrati, nous irons en hommes libres, pour discuter d’égal à égal, en socialistes. (Applaudissements. – Mouvements divers.)

    Nous dirons à Moscou… (Tumulte) « il est impossible que vous mainteniez vos conditions qui ont pour conséquence fatale – l’expérience est là, les faits sont probants – la division des forces socialistes.

    Il faut que le prolétariat de l’Europe occidentale, pour ne parler que de lui, reste uni, soit de taille à faire front à la réaction internationale. Vos 21 conditions brisent cette force révolutionnaire et portent, du même coup, la mort dans la révolution russe.

    Si, malgré tout, Moscou reste inébranlable dans son inconscience (Applaudissements. Protestations et mouvements divers.) et si par malheur pour le socialisme français, pour le bonheur de la bourgeoisie de notre pays, l’unité de notre parti est brisée… (Interruptions : « Il est décoré par la bourgeoisie ! »)… en ce qui nous concerne nous continuerons notre propagande de toujours, et aux cris de : « Prolétaires de tous les pays, combattez-vous », nous répondrons par le vieux cri plus vrai aujourd’hui que jamais : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (Applaudissements.) »

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • La tendance Cachin – Frossard au congrès de Tours en 1920

    La tendance favorable à l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste est représentée par Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard. Ils forment le noyau dur de la nouvelle direction qui a émergé en 1918.

    Ludovic-Oscar Frossard est le nouveau secrétaire, remplaçant Louis Dubreuilh qui était à ce poste depuis la fondation du Parti en 1905. Marcel Cachin dirige le quotidien, l’Humanité, remplaçant Pierre Renaudel, en poste depuis 1914 et l’assassinat de Jean Jaurès.

    Ludovic-Oscar Frossard

    Ils ont été à Moscou au second congrès de l’Internationale Communiste en juillet 1920 ; s’ils n’ont pas pu y assister en entier – ratant la question de l’organisation, avec les 21 conditions – ils ont été très impressionnés. Pour eux, l’adhésion à l’Internationale Communiste relève de l’inéluctable.

    Il ne s’agit pas d’une adhésion au bolchevisme, mais d’un raisonnement implacable : le passé a montré les limites d’une ancienne forme, certains ont réussi à débloquer la situation, il faut en être.

    Ludovic-Oscar Frossard résume tout à fait ce pragmatisme en disant au congrès de Tours :

    « La IIe Internationale est morte, non parce qu’elle n’a pas empêché la guerre, mais parce qu’elle a oublié pendant la guerre le devoir précis qui lui incombait. (Vifs applaudissements.)

    La faillite de la IIe Internationale, ce n’est pas au 2 août 1914 qu’elle commence. S’il y a eu faillite ce jour-là, c’est celle du prolétariat international. (Applaudissements.) »

    Marcel Cachin, qui a été pour l’Union Sacrée en 1914, ne dit pas autre chose. S’il est d’une immense ferveur lorsqu’il parle de la Russie soviétique qu’il a visitée, son regard reste pragmatique : il faut selon lui suivre les bolcheviks, car ils ont réussi.

    C’est une réduction techniciste du bolchevisme qui est absolument typique en France : au congrès de Tours, tout le monde voit les bolcheviks comme des socialistes implacables dans l’organisation et les décisions, et certains trouvent cela bien, d’autres mal.

    Marcel Cachin trouve cela bien, ce qu’il dit au congrès reflète parfaitement une incompréhension complète du principe de combat idéologique, de direction idéologique, au profit d’une lecture en terme de « dureté » :

    « Je sais quels sont les procédés de violente polémique des révolutionnaires de Russie. Ils ne les emploient pas spécialement contre nous ; ils les ont employés contre eux-mêmes traditionnellement, si j’ose dire.

    Il serait très aisé de retrouver dans leurs journaux des outrages du même genre, peut-être pis encore, contre ceux qui jouent le rôle le plus éminent dans la Révolution présente.

    J’avoue qu’à notre premier contact et à la première lecture de leur littérature, certaines expressions me choquaient aussi.

    Et j’avoue qu’à l’heure actuelle – vous en penserez ce que vous voudrez – à l’habitude de cette lecture j’ai pris celle de ne pas m’attacher à quelques expressions brutales, à quelques violences verbales.

    J’ai pris cette habitude parce que je sais que si ces hommes ont employé contre un grand nombre de socialistes des violences souvent injustes, ils ne l’ont fait que pour assurer un recrutement de plus en plus rigoureux, vigoureux, énergique, pour la bataille et pour l’action.

    Ce n’était pas seulement pour le plaisir d’outrager ou de violenter, comme vous les savez.

    Vous savez comment ils ont sélectionné leur parti, comment ils l’ont composé, de quelle façon brutale ils ont en effet chassé un certain nombre de ceux sur lesquels ils ne croyaient pas pouvoir compter d’une façon absolue pour leur action.

    Mais vous avez vu aussi qu’au terme de l’histoire de ce parti ils ont accompli – confessez-le – le plus grand geste de l’histoire moderne. »

    Marcel Cachin insiste d’ailleurs sur le fait que le bolchevisme a été capable de mettre les masses en mouvements pour des initiatives, malgré les terribles conditions. Il ne comprend strictement rien au fait que tout relève de décisions idéologiques – pour lui, tout est décidé sur le tas, en raison des situations, afin de simplement faire face.

    Marcel Cachin intervenant au congrès de Tours

    Pour lui, le bolchevisme a établi une machinerie destinée à vaincre :

    « Le Parti russe a su, au cours de sa longue et tragique histoire, se forger une discipline qui lui a assuré la victoire, il y a trois ans ; c’est encore sa méthode ferme et énergique, à laquelle se soumettent volontairement ses militants depuis les plus obscurs jusqu’aux plus éminents, qui lui garantit sa puissance actuelle.

    Il sait utiliser les valeurs. Il peut disposer de tous ses membres pour leur commander les besognes les plus périlleuses, et nul ne peut ni ne veut se soustraire aux obligations qu’il a librement consenties.

    Dans cette période de guerre civile et de guerre étrangère qui lui sont imposées depuis trois années, le nombre de victimes bénévoles du Parti bolcheviste est extrêmement élevé. Ils se sont habitués à sacrifier pour répondre à l’appel de l’organisation, non seulement leurs habitudes, leurs intérêts, leurs familles mêmes, mais leur vie elle-même lorsque les circonstances l’exigent.

    Je ne dis pas que nous soyons à la veille, en notre pays, de dresser une organisation aussi parfaite ; il est temps tout de même que nous fassions un grand effort en cette voie. »

    Cette lecture tout à fait erronée va de pair avec une vraie volonté de voir le socialisme triompher. Son élan est tel qu’après son discours au congrès de Tours, de nombreuses demandes arrivent au bureau du congrès pour que celui-ci soit édité en brochure, ce qui est immédiatement décidé à la fin de la prise de parole.

    Cette décision sera répétée plusieurs fois par la suite dans le congrès, mais le fait est que le discours de Marcel Cachin a véritablement donné le ton du côté des partisans de la IIIe Internationale.

    Marcel Cachin en 1918

    On a un bon aperçu de ce sentimentalisme révolutionnaire, mêlant ferveur et espoir, authenticité et idéalisme, dans ce qu’il écrit en août dans son carnet, alors qu’il avait été en Russie en avril 1917 initialement pour demander que celle-ci continue la guerre :

    « Il faut agir dans le sens de Moscou, car d’abord ils ont montré le chemin et ont déjà accompli une moitié de leur tâche, celle qui est la moins aisée, la destruction du régime de l’argent. Et d’avoir agi leur confère un prestige immense et légitime. Puis, ils sont restés dans la tradition révolutionnaire des temps modernes.

    Ils sont nourris de la révolution française. Et ils sont nourris de Marx, d’Engels, des enseignements de la Commune. Ils sont la vie, l’avenir : ils ont frayé une voie nouvelle à l’humanité. Sans faiblir, sans fléchir, une voie farouche, ils vont de l’avant ». 

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • Le congrès de Tours et l’affrontement quant à la question de l’adhésion à l’Internationale Communiste

    Le 18e congrès de la SFIO s’est tenu du 25 au 30 décembre 1920 à Tours ; il est le prolongement direct du congrès précédent, qui s’est tenu à Strasbourg, sur le plan des idées, et bien entendu en ce qui concerne le principe fédéral. On a des délégués d’une fédération votant dans un sens, d’autres dans un autre sens ; la tradition est celle, socialiste, du Parti comme lieu de convergence.

    Cependant, la base s’est cependant élargie, d’environ 30 %. Il y a un engouement et une attraction toujours plus grande pour la révolution russe, alors que l’Internationale Communiste, très faible à sa fondation, gagne en ampleur et en organisation : la tenue de son second congrès, en juillet 1920, bouleverse littéralement l’impression qu’on a d’elle.

    C’en est fini de l’hypothèse, dominante à Strasbourg, du mouvement ouvrier français comme îlot préservé des tempêtes sur la carte du socialisme international. La question se pose simplement : se mettre à l’heure de Moscou, ou pas. Le second congrès de l’Internationale Communiste a une aura telle que l’issue semble d’ailleurs inéluctable et les opposants à l’adhésion à la nouvelle Internationale savent dès le milieu de l’année que tout est plié pour eux.

    Cela va leur laisser d’autant plus le temps de mettre en place un stratagème ingénieux pour torpiller le congrès de Tours. Cela va être facilité par le dédoublement des deux tendances en présence.

    Le congrès de Tours de la SFIO en 1920

    On a ainsi comme tendance principale celle de Marcel Cachin et de Ludovic-Oscar Frossard, qui est pour l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste, et celle de Jean Longuet et Paul Faure, qui s’y oppose.

    Cependant, la première tendance se voit dédoublée par celle de Georges Leroy et Maurice Heine, deux syndicalistes révolutionnaires ayant participé à l’aventure du « Parti Communiste » – « Fédération Communiste des Soviets ». Ils considèrent qu’il faut affirmer bien davantage la rupture avec la droite et le centre du Parti ; dans les faits, il s’agit en fait surtout d’une tentative de prendre le contrôle de la direction en se présentant comme les seuls ayant été vraiment en rupture depuis le départ.

    La seconde tendance est, elle, dédoublée par celle de Léon Blum et Dominique Paoli. Tout comme la motion Leroy – Heine se veut la motion Cachin – Frossard en plus poussée, la motion Blum – Paoli se veut la motion Longuet – Paul Faure en plus dure, en plus anti-bolchevik.

    L’ambiance est ici paradoxale : d’un côté il y a l’habituelle fraternité socialiste dépassant les tendances, dans une perspective de cohabitation et d’acceptation des autres tendances même si on les récuse, etc. De l’autre, les contradictions sont trop fortes et imposent les antagonismes.

    Paul Vaillant-Couturier résume la situation de la manière suivante. Lui-même avait participé à toute la guerre mondiale de manière très volontaire (cinq citations à l’ordre de l’armée, médaille militaire, Croix de guerre 1914-1918), mais en était sorti socialiste convaincu et il deviendra une grande figure des communistes.

    Paul Vaillant-Couturier en 1921

    Il fut d’ailleurs extrêmement populaire ; à son décès en 1937 à 45 ans, des centaines de milliers de personnes accompagnent le cercueil à travers Paris, avant le Père-Lachaise (il fut le premier communiste enterré là-bas, ce qui ouvrit une tradition par la suite).

    « Il ne s’agit plus de donner à une motion le nom d’un homme, mais d’en regarder l’esprit, de voir quelle est la grande crise qui nous divise.

    Il y a ici des hommes qui ne peuvent plus collaborer dans le même parti. Il faut le dire.

    Quelque douleur que nous ayons à l’avouer, il y a ici des hommes qui ne peuvent plus travailler ensemble. Ils se retrouveront peut-être sur certains terrains pour des actions communes.

    Je serais désolé de penser que je ne me rencontrerai pas parfois avec mes camarades Sembat, Bracke, Boncour, pour mener certaines batailles.

    J’espère, lorsque les batailles de cette nature viendront, que, contrairement à l’expérience de l’histoire, les social-patriotes ne seront pas du côté de la bourgeoisie pour nous faire la guerre.

    Je compte sur eux pour qu’ils évitent ce geste, contrairement à l’expérience de l’histoire. Mais je ne me fais pas d’illusions, je sais que certains d’entre eux vont être entraînés, attirés par le flot bourgeois, malgré eux.

    Je sais que cela doit arriver fatalement ; je sais que la bourgeoisie, à l’issue de ce Congrès, tournant des yeux attendris vers vous, va vous couvrir de fleurs. (Applaudissements.)

    Je sais que cela se produira fatalement. Mais j’espère que vous aurez la force d’âme de résister au chant de toutes ces sirènes… (Mouvements divers.)

    Je ne désespère pas de voir certains d’entre vous, éclairés par les faits, revenir vers nous, car un homme peut toujours s’être trompé, car un homme peut toujours avoir eu des illusions sur ce qui était son devoir. »

    Ce qui est flagrant, tout au long du congrès de Tours, c’est que personne ne voulait la scission, tout le monde affirme vouloir l’éviter.

    En même temps, il y avait deux camps exprimant deux orientations opposées : en pratique, le Parti socialiste SFIO se retrouvait piégé par l’Histoire, réfutait ce piège, mais devait en sortir coûte que coûte pour subsister dans un sens ou dans un autre.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • Du Parti socialiste SFIO au Parti Communiste SFIC: un saut qualitatif extrêmement tourmenté

    L’adhésion du Parti socialiste SFIO à l’Internationale Communiste lors du congrès de Tours de décembre 1920 reflète un parcours très compliqué en cette direction ; ce fut tellement le cas qu’au sens strict, la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste est plus symbolique qu’autre chose.

    Les raisons à cela sont multiples et se combinent.

    1. Tout d’abord, le Parti socialiste SFIO est étranger à la tradition social-démocrate. Il ne fait pas du marxisme ni sa référence systématique, ni sa doctrine en tant que tel. Il n’a pas de système de pensée fermé, mais un style : l’union de tous les « socialistes » voulant dépasser le capitalisme, quelles que soient leurs approches, quels que soient leurs choix, etc.

    Le Parti vit à côté du syndicat – la CGT – et admet la séparation des deux entités, sans parler de la subordination du syndicat au Parti, inconcevable pour les syndicalistes et même pour les socialistes.

    Comme le bolchevisme est une évolution de la social-démocratie russe, il aurait fallu que le Parti socialiste SFIO passe à la tradition social-démocrate puis au bolchevisme. Cela ne fut nullement vu.

    La conséquence, on s’en doute, est que rapidement les socialistes pro-IIIe Internationale s’apercevront qu’ils se sont fourvoyés ; bien souvent ils refuseront de se remettre en cause et ils partiront. Les années suivant la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste sont marquées par des départs en série, y compris au plus haut niveau.

    Le chef de file des partisans de la IIIe Internationale lors du congrès de Tours, Ludovic-Oscar Frossard, qui devint le premier dirigeant historique de la Section Française de l’Internationale Communiste, démissionnera dès janvier 1923, pour rejoindre la Section Française de l’Internationale Ouvrière « maintenue ».

    2. Le problème qu’on a avec les anciens socialistes est également valable pour les nouveaux adhérents, arrivés en 1919-1920 en ayant l’impression qu’être en phase avec la révolution russe, c’était adopter le style « socialiste ». Les exigences de la IIIe Internationale n’en apparaîtront que plus rudes.

    En 1919, le Parti socialiste SFIO a autour de 130 000 adhérents ; en 1920, au congrès de Tours, il s’appuie sur 178 372 adhérents.

    En 1921, la Section Française de l’Internationale Communiste a 109 391 adhérents ; en 1922 elle n’en a plus que 78 828. En 1923, elle n’en a plus qu’autour de 45 000.

    En 1924, elle en a 70 000, pour retomber à 60 000 en 1925. Il y a 55 000 adhérents en 1926, 54 000 en 1927, 52 000 en 1928, chiffre qui restera grosso modo le même jusqu’en 1934. Et encore faut-il considérer que seule une moitié des adhérents est réellement active.

    La Section Française de l’Internationale Communiste a été un lieu de projection et il y a une incapacité majeure des gens la rejoignant à s’adapter aux exigences de l’Internationale Communiste.

    3. Les délégués présents au congrès de Tours ne représentaient, de fait, pas réellement les adhérents. Eux-mêmes l’expliquent lors des présentations des votes sur la IIIe Internationale dans chaque Fédération : une grande partie des adhérents n’a tout simplement pas participé !

    De plus, ceux qui ont participé ne savaient pas exactement de quoi il en retournait. Nombre de Fédérations votent pour la IIIe Internationale… tout en soulignant l’exigence de l’unité et en réfutant toute exclusion de la minorité. C’est là une incompréhension totale du bolchevisme, des 21 conditions pour l’adhésion à la IIIe Internationale.

    La majorité de la Fédération socialiste de l’Ain, par la voix de René Nicod, proposa ainsi une motion d’ajournement, avec comme motif le constat tout à fait réaliste comme quoi :

    « L’effondrement de l’unité socialiste serait en France la première défaite de l’Internationale socialiste et la première grande victoire de la bourgeoisie capitaliste.

    Si ce n’est pas le Parti tout entier, mais si c’est un parti amputé qui entre à l’Internationale d’action désirable – que ce soit la IIIe ou que soit une autre – la portée de cet événement sera considérablement amoindrie.

    Or, le Parti socialiste constate que sur cette question particulière de l’adhésion ou de la non-adhésion à la IIIe Internationale, ses militants les plus qualifiés, ceux qui sont les plus imprégnés de sa doctrine, ceux qui sont les plus fidèles à sa tradition, sont presque partout en complet désaccord quant à la valeur socialiste ou à l’opportunité d’une décision immédiate.

    Ce désaccord, qui oppose artificiellement des hommes qui, hier encore, semblaient en parfaite communion d’idées quant à la doctrine, à l’organisation, aux méthodes de propagande et d’action du Parti, est dû à ce que les thèses de Moscou et les conditions préalables posées à l’adhésion de la IIIe Internationale n’ont généralement pas été étudiées et jugées en elles-mêmes, mais en fonction de ce grand événement qu’est la Révolution russe. »

    Cette motion visait dans les faits à temporiser en faveur d’une unité des restes de la seconde Internationale (qui deviendra ce qu’on appellera la « seconde et demie », avec Vienne comme centre névralgique) et de la IIIe Internationale. Ce n’était là pas réaliste, mais cela reflète l’approche « socialiste », incapable de saisir les choses de manière idéologique.

    D’ailleurs, l’ensemble du Parti socialiste SFIO est grosso modo en accord avec cette approche. Même les partisans de la IIIe Internationale soulignent que, finalement, l’adhésion à celle-ci ne changera pas immédiatement quoi que ce soit, qu’il n’y aura pas d’expulsions de membres, que les traditions sont préservées : elles seraient simplement améliorées, le bolchevisme étant une technique, une « exigence », etc.

    4. Les seuls qui avaient réellement compris les exigences du bolchevisme s’y opposaient. Sachant qu’ils allaient être en minorité au congrès de Tours, ils ont savonné la planche, préparé la scission de manière particulièrement machiavélique afin de passer pour des martyrs du sectarisme et du dogmatisme. Le plan réussira à merveille, les partisans de la IIIe Internationale, plus volontaires qu’autre chose, ne remarqueront même pas comment ils se font piégés.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • Parti Communiste, crise générale, démocratie populaire

    L’Histoire est l’histoire de la lutte des classes et le Parti Communiste est l’organisation des gens ayant justement compris le sens de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une idée révolutionnaire plaquée abstraitement sur une société, ou même de grandes réformes élaborées de manière théorique et qu’on voudrait voir être instaurées.

    Le Parti Communiste pose son regard au moyen d’une grille historique : il définit la situation, les tâches et agit conformément à la lutte des classes, qui historiquement marque le passage du capitalisme au socialisme.

    Il fait face à l’opportunisme, qui profite du fait que certaines choses ne soient pas encore possibles pour prôner un soutien au capitalisme ; il fait face au gauchisme qui veut forcer le cours de l’histoire au moyen de méthodes se voyant attribuées des propriétés littéralement magiques.

    Au-delà de ces considérations générales, il faut voir en quoi le Parti Communiste est le produit d’une époque… le produit de son époque. Il est en effet incarné ; ce sont des êtres de chair qui le composent, qui l’ont forgé, qui sont forgés par lui. Étant donné qu’il est composé d’êtres concrets, de militants, de cadres, d’une direction, sur la base d’une pensée ayant synthétisé la nature du pays concerné… c’est tout un processus historique complexe, dont le cheminement n’est pas linéaire.

    Au cours de ce processus, à la base, il y a le noyau dur, qui voit le chemin et qui agit en tant que Parti pour le Parti. Ce sont des gens qui ont compris les caractéristiques générales de la période historique, qui ont participé à la lutte des classes de leur pays et en ont saisi les traits généraux. Ce noyau est déjà le Parti et il ne l’est pas encore, car il représente la substance du Parti, qui cependant doit encore se conjuguer avec les luttes de classes pour produire l’Histoire.

    Il est tout à fait possible que l’Histoire ne soit, en certains cas, pas au rendez-vous, ce qui fait qu’il y a de la lutte de classes, mais pas selon les modalités attendues. En Allemagne de l’Ouest, au début des années 1970, la Fraction Armée Rouge naît par exemple de ce constat d’impossibilité de la révolution à court et moyen terme, de par les conditions historiques alors. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien à faire, cependant l’ambition est forcément moins grande de par un telle analyse qui montre que la situation oblige les communistes à rester particulièrement isolés.

    Heureusement, nous échappons en 2020 en France à un tel triste constat, ou plus exactement nous commençons à y échapper. La raison, c’est l’irruption de la seconde crise générale du capitalisme.

    Le PCF(mlm) a affirmé que l’irruption du COVID-19 correspondait à l’expression d’une nouvelle crise générale du capitalisme. La première crise générale du capitalisme avait ,comme aspect principal, la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel : la bourgeoisie totalement aux commandes avait mené les travailleurs à la boucherie de 1914-1918, mais heureusement les bolcheviks avaient saisi la situation et mené les travailleurs au pouvoir en Russie.

    La seconde crise générale du capitalisme a de son côté, comme aspect principal, la contradiction entre villes et campagnes : le capitalisme élancé au niveau mondial provoque une urbanisation qui défigure la Biosphère planétaire et provoque des catastrophes sanitaires, dont celle du COVID-19 qui a littéralement provoqué de lourds blocages économiques et politiques.

    Le mode de production capitaliste est rentré dans le mur et c’est cela qui justifie le Parti Communiste. Le Parti Communiste Français a été le Parti à la suite de la première crise générale, le PCF(mlm) sera celui de la seconde.

    Mais comment réussir là où le Parti Communiste Français a échoué ? Justement en comprenant mieux la seconde crise générale que le Parti Communiste Français n’avait compris la première.

    Rappelons les faits. Le Parti Communiste Français avait très bien compris le Front populaire, dont il a été l’initiateur concret. Il a été toutefois incapable de prolonger le tir, ce qui s’est vu dans le réformisme de Maurice Thorez, le dirigeant du Parti Communiste Français du tout début des années 1930 au début des années 1960. Au lieu d’en arriver à la Démocratie populaire, le Parti Communiste Français a cherché à démocratiser le capitalisme. Il s’est donc inscrit dans les institutions. Il s’est fait engloutir.

    Alors, pour se justifier, il a mis en avant la théorie du « Capitalisme Monopoliste d’État » : l’État serait devenu neutre, il aurait fusionné avec les grands capitalistes, il faudrait l’arracher à ceux-ci et le démocratiser.

    C’est là du révisionnisme. Le PCF(mlm) l’a compris et a par conséquent réactivé l’affirmation de la nécessité de la Démocratie populaire, en se réappropriant les enseignements de l’Internationale Communiste et de Staline, en revenant à la source. Ce fut un processus complexe, une bataille pour la récupération des fondamentaux, un travail de fond idéologique de grande ampleur.

    Qu’est-ce que la Démocratie populaire ? C’est l’unité des forces anti-monopolistes. Il ne s’agit pas de réaliser le socialisme, il s’agit d’unir les forces refusant le pouvoir des monopoles et ses menées guerrières. On l’aura compris : la notion de Démocratie populaire est éminemment défensive ; elle est dialectiquement le pendant de la révolution. S’il y a une offensive alors on peut faire la révolution ; si on ne peut pas, que le capitalisme a l’initiative, il faut la Démocratie populaire.

    Comment le capitalisme peut-il avoir l’initiative ? En allant vers la guerre impérialiste par la mobilisation populaire au moyen du fascisme. C’est la fuite en avant de la bourgeoisie passée sous la direction de sa partie la plus agressive, la plus puissante, celle des monopoles.

    Ce processus était extrêmement puissant dans les années 1920-1930 en raison de la crise générale du capitalisme produite par la première guerre mondiale et la révolution russe d’octobre 1917. Le capitalisme était en perdition et pour s’en sortir, chaque pays allait à la confrontation. Les communistes allemands, autrichiens et italiens, pour ne mentionner que les cas les plus connus, se sont faits littéralement déborder par ce processus.

    Pourquoi le PCF(mlm) affirme-t-il qu’il faut la Démocratie populaire ? Pourquoi adopter une position défensive ? La raison en est que dans les métropoles impérialistes, le 24 heures sur 24 du capitalisme a littéralement lessivé le mouvement ouvrier. En 2020, le niveau de conscience est pratiquement nul, le degré de corruption immense. Que ce soit sur le plan des idées, de l’organisation, de tout ce qu’on voudra, les masses populaires sont en-dessous de tout. Elles sont emprisonnées dans le capitalisme.

    Il suffit de voir les gilets jaunes, un mouvement petit-bourgeois radicalisé, sans base ni envergure puisque petit-bourgeois. Qu’un tel mouvement puisse exister en dit long sur le vide complet qui caractérise la situation française. Les syndicalistes tentent des coups de force sans y arriver, les anarchistes cassent des vitrines et tout s’arrête là, alors qu’une partie des masses est attirée par l’extrême-droite pour espérer qu’un capitalisme national les aidera à s’en sortir.

    Le processus est bien entendu contradictoire, mais dans tous les cas il est évident que le processus de reconstruction du camp des travailleurs va être particulièrement douloureux, étant donné tous les sacrifices à réaliser. Il y a une certaine expérience du conflit social, mais aucune perspective de lutte de classe consciente et il n’y a de ce fait ni détermination, ni engagement, ni participation de la classe ouvrière à quoi que ce soit pour l’instant.

    Tout cela va changer, mais cela implique une transformation très exigeante, qui devra se produire dans un contexte très difficile. Autant dire que c’est une position défensive, alors que du côté du capitalisme, il y a une longue expérience du pouvoir, un État à son service, un processus d’entraînement dans la compétition impérialiste internationale, dont la confrontation sino-américaine, c’est-à-dire la bataille de la superpuissance hégémonique contre la superpuissance en devenir cherchant à prendre directement la première place, est l’aspect principal.

    La ligne n’est donc pas celle de promouvoir directement la révolution, une chose qui apparaît clairement impossible. La ligne est de mettre en place les vecteurs démocratiques populaires forgeant un contre-pouvoir face à ce qui caractérise le capitalisme en crise : l’effondrement de la société sur elle-même et sa reprise en main par en haut.

    La difficulté est d’à la fois lutter contre la décadence et d’également lutter contre ce qui prétend lutter contre cette tendance. Le capitalisme en crise, c’est en effet l’individualisme, les idéologies relativistes allant jusqu’à nier la réalité biologique humaine, l’affirmation des « libertés » absolues de l’individu à faire ce qu’il entend comme il l’entend… et en même temps une mobilisation collective sur une base nationaliste, avec une militarisation généralisée accompagnant l’avancée vers la guerre impérialiste.

    Autrement dit, c’est en comprenant les modalités de la crise générale que le Parti Communiste se construit, parallèlement à la crise, comme réponse historique à la crise. Il n’est pas un produit de la lutte de classes en général ou d’activités en particulier. Il suit une ligne historique qui est celle de la crise. C’est parce qu’ils n’ont pas compris ces modalités que les communistes ont échoué en Europe dans les années 1920-1930, à un moment la crise les a dépassés.

  • 20 thèses pour la démocratie populaire

    Version de novembre 2019. Texte disponible au format pdf.

    1.

    Il y a deux faits marquants sur le plan des tendances à l’échelle mondiale. Le premier est l’émergence d’une idéologie libérale cosmopolite affirmant le caractère irréductiblement différent de chaque individu. C’est là le reflet de la diffusion renforcée du capital au-delà de toutes frontières politiques, économiques, sociales, culturelles, etc., c’est-à-dire la « mondialisation ». Le second phénomène est un repli identitaire, une crispation générale sur la base nationale, avec un esprit agressif d’égoïsme et de compétition. C’est là le reflet de la concurrence capitaliste mondiale.

    2.

    Les forces révolutionnaires sont pratiquement inexistantes dans un tel contexte, car elles sont coincées entre un « progressisme » appuyant le libéralisme et un conservatisme aux prétentions sociales. À cet espace particulièrement restreint s’ajoute le fait que lors du grand cycle d’accumulation capitaliste commencé en 1945, la tentative de construire des avant-gardes révolutionnaires durant la période 1960-1980 a échoué, ce qui renforce d’autant plus les faiblesses et l’isolement.

    3.

    Le capitalisme a des besoins contradictoires. D’un côté, il a tout à fait besoin que le marché se développe, alors que de l’autre, il y a des bases capitalistes en concurrence qui vont à l’affrontement pour maintenir ou conquérir une position monopoliste, principalement les États-Unis et la Chine. La thèse communiste est que l’aspect principal de la situation mondiale est la concurrence et non l’établissement du marché mondial unifié ; la thèse sociale-réformiste prétend que c’est l’établissement du marché mondial unifié et non la guerre, celle-ci étant évitable.

    4.

    Les masses des pays capitalistes ont subi l’atomisation propre au capitalisme, avec la dépolitisation et l’indifférence à la démocratie dans le cadre d’une société de consommation répondant aux exigences capitalistes. Elles sont profondément corrompues dans leur mode de vie et sur le plan des valeurs en général. Elles repoussent au maximum le fait de se remettre en cause, épousent aisément le populisme comme dernier recours, sont rétives aux principes d’organisation collective et de responsabilité personnelle.

    5.

    Ces masses ont en même temps connu le développement des forces productives et par conséquent une élévation de leur niveau culturel, une meilleure compréhension de la réalité. Leur besoin d’une société où s’épanouir a grandi sans commune mesure, tout comme leur capacité d’analyse, d’ouverture sur des thèmes multiples. À cela s’ajoute le métissage, le dépassement des barrières ethniques ou religieuses.

    6.

    La paralysie des masses, l’affrontement libéralisme « progressiste » – conservatisme identitaire, la tendance à la guerre… impliquent que le principe même de démocratie endure toujours plus les coups de boutoirs de l’individualisme forcené, du sectarisme nationaliste, de la militarisation, de l’indifférence apolitique et du populisme démagogue. La démocratie bourgeoise elle-même s’effiloche, s’amenuise, s’efface.

    7.

    Il ne s’agit pas de savoir si le programme d’une révolution doit s’en tenir à une perspective maximaliste ou minimale. Le principe même de programme en faveur d’un socialisme construit rationnellement par des masses mobilisées positivement est une abstraction complète dans un tel contexte. Il ne peut exister au mieux que des poches de résistance et un travail au corps de toute la société par des principes.

    8.

    En même temps, les avancées d’un repli sectaire, nationaliste, militariste ne peuvent aucunement se maintenir sur le long terme. De manière dialectique, leur existence est liée à la passivité des masses brisées par le développement et l’approfondissement du capitalisme… alors qu’en même temps et par là même, les masses ont atteint un niveau de conscience concrète et d’ouverture sur le monde totalement incompatible avec tout nationalisme. Le capitalisme a permis l’avènement possible d’une république unifiée des masses mondiales – mais il est incapable d’y parvenir, car la concurrence produit le monopole et donc la tendance à la division par l’affrontement.

    9.

    Ce qui se joue à l’arrière-plan, c’est l’entrée en décadence complète des couches dominantes de la société, qui ne maîtrisent plus rien et se font les simples jouets de la compétition capitaliste mondiale. Cela se déroule alors que les masses aliénées et exploitées ont les moyens de changer tout cela, mais ne sont pas engagées encore dans le processus. C’est là où émerge la conscience naissante des masses mondiales et en particulier de la classe ouvrière, dans cet affrontement entre tendances :

    * l’enfermement dans des activités bornées / l’affirmation de la nécessité de la combinaison du travail manuel et du travail intellectuel pour être épanoui ;

    * l’esprit superficiel de consommation futile / la mise en valeur des classiques et l’élévation du niveau culturel ;

    * l’art contemporain et le subjectivisme dans l’esthétique / le réalisme dans les arts et les lettres ;

    * la démarche utilitariste de tout ce qui existe / la valorisation et la protection de la matière vivante comme produit de l’évolution ininterrompue de l’univers ;

    * le rejet des réalités matérielles au nom d’un prétendu libre-arbitre / l’affirmation de la dimension naturelle de l’humanité

    * les comportements concurrentiels et l’éloge de la brutalité / la défense de la civilisation et l’esprit de collectivité ;

    * le goût pour la petite propriété et l’accumulation de richesses / l’épanouissement personnel dans la participation à l’universalisme de la société.

    10.

    L’affrontement entre ces tendances se lit comme l’affrontement entre le capitalisme en crise ainsi que toujours plus aux mains des monopoles et la démocratie populaire comme expression des intérêts réels des masses mondiales. Le processus d’affirmation des masses populaires est en effet à la fois lent et non-linéaire, il s’affirme comme une boule de neige accumulant au fur et à mesure de la puissance. Les communistes se placent et émergent dans le rôle d’appareil au service des masses dans le cadre de leur affrontement avec les valeurs anti-démocratiques, dans leur prise de conscience rationnelle des faits, dans leur auto-organisation pour établir un nouveau pouvoir permettant le triomphe de la tendance positive et l’écrasement de la tendance négative.

    11.

    L’Internationale Communiste constatait déjà que la France était une puissance capitaliste vivant au-dessus de ses moyens. Son passé colonial, sa puissance financière, sa base industrielle, son aura culturelle… l’amènent à vouloir se maintenir comme une des puissances majeures, mais cela lui a toujours été difficile. Les déconvenues ont été nombreuses, comme la défaite de 1940 et le démantèlement de l’immense empire colonial, même si dans ce dernier cas une forme nouvelle de colonialisme, plus subtile, s’est instaurée. La France apparaît ici comme le maillon faible de la chaîne impérialiste, avec un État historiquement très volontariste et une bourgeoisie aux ambitions démesurées. La tendance au néo-gaullisme lui est naturelle.

    12.

    La France a une longue tradition de rapports bourgeois pacifiés, au moyen de dispositifs puissants tels les syndicats, la franc-maçonnerie, l’idéologie de la neutralité républicaine, le monde associatif, le réseau des municipalités, des départements et des régions. Même le Parti Communiste français membre de l’Internationale Communiste a fini par succomber culturellement et idéologiquement malgré sa puissante base de masse. Il y a en France une grande tradition du « refus des extrêmes », de la « mesure » comme critère de vérité, d’annulation des contradictions.

    13.

    En France, les masses sont systématiquement mises à l’écart des processus de décisions, mais en même temps leur mobilisation-intégration dans les institutions, les initiatives militaristes… est une règle considérée comme incontournable. Il y a un style napoléonien chez les couches dominantes, qui ne se contentent pas de vouloir une soumission, mais exigent bien une participation au mouvement d’ensemble.

    14.

    L’idéologie républicaine est très puissante depuis Jean Jaurès ; elle affirme que la défense du régime républicain implique en soi une défense des masses populaires, voire même une tendance à la justice sociale, à la socialisation, au socialisme. C’est un aspect idéologique et culturel très puissant, qui a historiquement anéanti en France l’assimilation des enseignements de Karl Marx et Friedrich Engels. La France n’a pas connu de social-démocratie, mais des socialistes fédérés, sans unité ni souci de cohérence. Le Parti Communiste français a émergé par la suite comme courant ultra-gauchiste avant de se recentrer.

    15.

    L’anarchisme est une démarche très importante en France. Cela tient à la petite propriété paysanne s’étant très longtemps maintenue, ainsi qu’à l’existence d’une petite-bourgeoisie numériquement très importante. Sans ambition mais soucieux de faire du bruit et de se raccrocher à tout ce qu’il peut, l’anarchisme français est un obstacle majeur à une lutte prolongée, consciente, organisée, assumant la formation d’un nouveau pouvoir.

    16.

    Les larges masses affrontent ici deux écueils : tout d’abord, la capacité de la haute-bourgeoisie à parvenir à des mobilisations dans le sens de la réimpulsion du régime, du capitalisme, sous une bannière néo-gaulliste. Ensuite, les voies de garage des versions républicaine ou anarchiste de protestation, les deux se nourrissant l’une de l’autre de par les trahisons des uns, les absences de résultat de l’autre.

    17.

    De par son histoire, la France a cependant un important parcours de combat démocratique et d’exigences populaires. Le refus d’un caractère trop unilatéral des décisions étatiques est fortement présent, ainsi qu’un large refus de la torture et de la militarisation. Même le chauvinisme de grande puissance échoue à s’enraciner suffisamment pour aboutir à un nationalisme ayant une large base populaire organisée. À cela s’ajoute un souci très partagé d’exigence en termes de civilisation.

    18.

    La France connaît également des marqueurs historiques servant d’indicateurs dans la compréhension de la lutte des masses populaires : la Commune de Paris de 1871, le Front populaire de 1936, la Résistance, mai 1968. Il y a également une tradition d’effervescence combative dans de larges secteurs des masses, notamment la jeunesse. À cela s’ajoute la question de l’écologie et des animaux qui apparaît comme un nouveau et très important segment du réseau de contradictions de la société française.

    19.

    Il apparaît de tout ceci que les masses n’ont aucune capacité à agir de manière consciente et organisée face aux événements ; elles sont clairement à la traîne par rapport à ceux-ci. Tout volontarisme visant à pousser de manière offensive les masses à l’action sur un terrain de grande ampleur ou bien avec un niveau approfondi ne peut qu’échouer. Il y a toutefois le terreau parfait pour une résistance aux initiatives des couches dominantes, à condition que les masses disposent des outils adéquats pour canaliser leur résistance et établir des points de fixation où développer la conscience de leur expérience et, au-delà, la conscience de l’ensemble des rapports sociaux.

    20.

    La démocratie populaire est la bannière adéquate pour synthétiser les oppositions de masse qui cherchent à dépasser le simple horizon immédiat de résistance pour tenter d’aller à une véritable mise en perspective. La multiplicité des expériences pose ici la nécessité de toute une série d’étapes démocratiques, qui permettront d’aller dans le sens d’une synthèse socialiste sous l’impulsion de la classe ouvrière. Le retard à l’allumage des masses populaires se convertit ainsi en résistance populaire diffuse, se cristallisant au fur et à mesure de l’affirmation de la tendance à la guerre, se synthétisant dans le refus du triomphe de la tendance négative et comprenant la nécessité absolue de faire triompher la tendance positive : celle de la socialisation des monopoles, de la destruction du parti de la guerre, de l’écrasement de la haute bourgeoisie décadente.

  • L’idéologie au poste de commande du Parti Communiste: contre le révisionnisme

    La grande erreur historique des communistes français a été de penser qu’ils accompagnaient un processus qui était indépendant d’eux et que par conséquent ils pouvaient, ils devaient même adapter en permanence leurs conceptions, leurs idées, leurs modalités d’organisation.

    La révolution viendrait d’elle-même, il n’y aurait qu’à suivre le cours des choses, à maintenir ses positions en général, quitte à abandonner des principes en particulier ; tout serait bon du moment qu’on s’installe dans le paysage, et plus on s’installe dans le paysage plus la révolution qui vient d’elle-même permettrait de triompher.

    Sans même le remarquer, les communistes français ont alors basculé dans le révisionnisme. Il est tout à fait remarquable qu’il n’y ait aucun traumatisme chez les communistes français malgré le fait qu’ils aient changé d’idéologie du tout au tout, d’organisation du tout au tout, de conception du tout au tout. Ils ont accepté les modifications telle une évidence, sans se poser aucune question.

    Les communistes français sont passés sans aucun problème de l’étude de Staline au rejet total de Staline, de la révolution aux nationalisations pour s’approprier le « capitalisme monopoliste d’Etat », de la dictature du prolétariat au programme gouvernemental. Il n’y a pas eu de conflit, d’opposition interne, de rébellion ; tout a été parfaitement lisse.

    C’est là un problème de fond, quelque chose qui doit être compris, sinon on ne peut pas régler le problème qu’on peut résumer de la manière suivante : comment se fait-il que des gens révolutionnaires, en France, se transforment en réformistes sans même s’en apercevoir ? Pourquoi les gens ne restent-ils révolutionnaires d’ailleurs qu’à un moment de leur vie, avant de reprendre une vie « normale » ?

    C’est là que se pose la problématique de l’idéologie comme devant être au poste de commande. Il n’y a pas un Parti Communiste avec une idéologie – mais une idéologie avec un Parti Communiste. Toute autre conception est de l’opportunisme.

    Si on regarde plus en détail le parcours du Parti Communiste Français et qu’on cherche bien, on peut bien trouver une révolte, au début des années 1960. Mais elle est totalement marginale et se déroule parallèlement au Parti Communiste Français, elle ne l’atteint pas.

    Cette révolte avait eu lieu dans le Parti Communiste Français et dans l’Union des Étudiants Communistes.

    Au PCF, il y avait eu quelques protestations au sujet de la question algérienne et la question de soutenir François Mitterrand aux élections. S’est alors produit un rapprochement avec les thèses de Mao Zedong, ce qui a donné la formation de cercles marxistes-léninistes et la formation en 1967 d’un Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France.

    Dans l’Union des Étudiants Communistes, il y a eu des jeunes marqués par la Chine populaire de Mao Zedong, par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Ils ont alors formé une Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste).

    Or, quel a été le problème ? Les gens formant le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France ne consistaient qu’en quelques mécontents. Ils sont partis, cela a déplu au Parti Communiste Français, mais cela n’a nullement touché sa base. D’ailleurs le Parti Communiste Français a énormément profité de mai 1968, bien qu’il ait été contre, et pas vraiment le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France, alors qu’il était pour !

    Le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France n’a été, dans les faits, qu’une sorte de micro-copie du Parti Communiste Français, incapable de rompre avec son style de travail, son approche, son révisionnisme. Il n’a été qu’une fraction de mécontents, incapables de rupture.

    On ne peut pas en dire autant de l’Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste). Là, il y avait l’ambition de systématiser les positions pour reconstituer le Parti Communiste. Et l’Union s’est prolongée dans la Gauche Prolétarienne qui a organisé des révoltes populaires. Mais la reconstitution a été abandonnée, au profit d’un « Parti de la Résistance ».

    C’est que la marche était trop haute. Et quelle a été cette marche ? La thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».

    C’est qu’il ne suffisait pas de s’apercevoir au milieu des années 1960 que le Parti Communiste Français avait jeté par-dessus bord les thèses de Marx, Engels, Lénine et Staline, qu’il était devenu un rouage des institutions, tout comme la CGT. Encore fallait-il savoir pourquoi.

    Si on ne comprend pas pourquoi, on tente de mener la révolution en trouvant des idées « géniales » pour faire avancer les choses, puis on s’aperçoit qu’il y avait une part de vrai dans ce qu’on fait, parce qu’on veut la révolution et qu’on fait avancer l’idée de révolution, mais qu’on est surtout hors du contexte historique, qu’on se marginalise, et alors on capitule. Cela a été le sort des initiatives « gauchistes » des années 1970.

    Les « gauchistes » ont tenté de créer un « parti » révolutionnaire nouveau, ils ont pratiqué l’hyper-activisme sur la base de quelques idées, puis est venu l’isolement, la défaite, après une période de succès relatif.

    C’est qu’il n’est pas besoin d’idées « géniales », mais d’une vue réaliste de la situation historique du pays, de ses contradictions, de sa situation économique, politique, idéologique, culturelle, militaire.

    Dans d’autres pays, il y a pu ainsi y avoir une reconstitution, car un révolutionnaire s’est forgé comme Dirigeant et a dit : l’interprétation de notre pays faite par le Parti Communiste devenu révisionniste est fausse, voilà où est l’erreur, voilà comment il faut la corriger. En Inde, en Turquie, au Pérou… la reconstitution avait comme axe central la conception de la situation historique du pays concerné.

    Tel ou tel révolutionnaire, forgé dans la lutte des classes, a dit : il y a des contradictions que le Parti Communiste devenu révisionniste ne voit pas, ou bien fait exprès de ne pas voir. Il n’est plus sur les rails historiques de la révolution, il ne fait plus qu’accompagner le cours des choses.

    Ainsi apparaissent des documents fondamentaux, analysant le pays, montrant le parcours de celui-ci, les contradictions existantes. Par exemple, en Amérique du Sud, les révisionnistes ont dit qu’il fallait se soumettre à la bourgeoisie nationale, pour acquérir une réelle indépendance. Les véritables communistes ont alors dit : c’est de l’escroquerie, la bourgeoisie nationale existe mais elle est faible, ce que vous appelez bourgeoisie nationale est une bourgeoisie bureaucratique que vous voulez simplement faire passer dans le camp soviétique.

    En ce qui concerne la France, le problème est simple, les « gauchistes » ont sombré face au Parti Communiste Français révisionniste car ils n’ont pas étudié la situation historique de la France. Le Parti Communiste Français révisionniste n’avait de son côté pas besoin d’une telle analyse, puisqu’il accompagnait le cours des choses. Il profitait du développement du capitalisme, de l’élargissement de l’aristocratie ouvrière, pour se corrompre à travers les municipalités et la CGT.

    Il était forcément dans le vrai… même si du mauvais côté de la barrière. Les « gauchistes » pouvaient être du bon côté de la barrière comme ils le voulaient, ils n’en restaient pas moins hors-sol.

    Sans une analyse correcte de l’Histoire, on ne peut pas trouver les leviers pour exister de manière révolutionnaire – c’est plus simple pour les non-révolutionnaires, les contre-révolutionnaires, qui eux ne font qu’accompagner ce qui se passe.

    Ainsi, si on est vraiment révolutionnaire, quand on regarde un groupe, une organisation, un parti qui se dit révolutionnaire, il faut demander : quelle est votre vue d’ensemble ? Soit, vous avez un point de vue sur les faits divers, des faits politiques du jour, des événements qui se sont produits… Mais quelle est votre vision d’ensemble ? Quelle est la tendance historique de la France, son mouvement concret, son évolution particulière ?

    Et donc, qu’est-ce qu’une analyse correcte de l’Histoire pour la France ? En quoi cela a-t-il un rapport avec l’idéologie au poste de commande du Parti Communiste ? C’est que l’analyse correcte de la situation historique d’un pays et l’idéologie sont une seule et même chose ; ce sont les deux faces de la même contradiction.

    On arrive à l’idéologie correcte quand on comprend véritablement la situation d’un pays ; on ne peut comprendre la situation d’un pays qu’au moyen de l’idéologie adéquate.

    On ne peut pas étudier le marxisme dans une chambre pendant vingt ans, l’avoir compris et se mettre à analyser la société à partir de ce qu’on a appris. Pareillement, on ne peut pas lutter et s’imaginer qu’on va avoir spontanément une vue d’ensemble, un regard d’envergure. Il faut la combinaison dialectique de la dignité du réel et de la théorie communiste.

    Il y a pour notre pays un exemple très parlant et malheureusement glaçant. Le Parti Communiste Français révisionniste a justifié son approche au moyen de la théorie du « capitalisme monopoliste d’État », au début des années 1960. Paul Boccara, un jeune économiste, a formulé que l’impérialisme était un concept dépassé, que désormais l’État venait organiser le capitalisme, qu’il y avait fusion des grandes entreprises et de l’État.

    Cette conception devint immédiatement la conception du Parti Communiste Français, de l’URSS, de tous les pays satellites de l’URSS. Il y avait d’ailleurs à l’arrière-plan le travail de l’économiste soviétique Eugen Varga au sujet de ce prétendu « capitalisme monopoliste d’État » dans les années 1950.

    Or, il aura fallu attendre les années 2010 et le PCF(mlm) pour qu’il y ait une analyse de la question du capitalisme monopoliste d’État ! Naturellement, le PCF(mlm) rejette cette conception révisionniste qui trahit le concept d’impérialisme forgé par Lénine, cette conception révisionniste qui revient à la théorie social-démocrate des années 1920 d’un « capitalisme organisé ».

    Mais au-delà de ce rejet, on peut voir qu’il s’agit de toute façon de la seule étude de fond menée ! Pire encore, la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » a été unanimement acceptée à l’époque ! Que ce soit du côté du théoricien trotskiste Ernest Mandel, du gauchiste Paul Mattick, des « marxistes-léninistes » du PCMLF et du PCR(ml), tous sont d’accord pour dire qu’il y aurait en France un « capitalisme monopoliste d’État » !

    Ce faisant, ils se plaçaient eux-mêmes dans l’orbite du Parti Communiste Français révisionniste. Ils donnaient des réponses « révolutionnaires » à une question qui, en réalité, ne se posait pas du tout ainsi.

    Et ce qui est dramatique, c’est que la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » ait pu être validée au sein du Parti Communiste Français sans produire aucune rébellion. Des gens pourtant formés à comprendre l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme ont accepté, sans sourciller, une thèse disant qu’on était passé à autre chose, à un stade post-impérialiste. C’est là une catastrophe.

    Et la source de cette catastrophe, c’est la considération que le Parti a une idéologie, alors que c’est le contraire. Il y a comme aspect principal l’universel : la vision du monde communiste, le matérialisme dialectique, l’idéologie de Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong. Et il y a comme aspect particulier le Parti Communiste de tel ou tel pays, appliquant l’idéologie aux conditions concrètes.

    Le révisionnisme nie l’universalité de la vision du monde, il nie le matérialisme dialectique, il nie que le Parti soit une expression historique dont le fondement est nécessairement idéologique. Le révisionnisme fait du Parti un regroupement puisant comme il le veut dans les idées, dans les conceptions, dans les points de vue, selon les besoins apparents du jour.

    Contre le révisionnisme, il faut l’idéologie au poste de commande du Parti Communiste, avec le Parti Communiste comme expression concrète, particulière, de l’idéologie universelle : le matérialisme dialectique, aujourd’hui à son étape marxiste-léniniste-maoïste.

    C’est cela, correspondre à la vision communiste du monde.

  • L’esprit national français et le Parti Communiste

    L’Italien Vincenzo Gioberti, un partisan de l’unité nationale italienne au XIXe siècle, disait des Français qu’ils sont des gens « qui vont par sauts et par bonds, et qui sont des gens de premier mouvement ». C’est que les Français sont des gens pour qui vivre c’est, dans un même élan, raisonner et se mettre à relier, enchaîner, combiner, associer, arranger, composer, coordonner, apparier, ordonnancer.

    C’est un jeu de l’esprit qui permet de triompher de l’adversité et c’est le sens du mot de Napoléon dans une lettre : « c’est impossible m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »

    Les Français sont au sens positif mathématiciens, ingénieurs, pharmaciens, avocats, militaires du génie. Ils sont au sens négatif des politiciens opportunistes, des libertins pour qui tromper est un plaisir de l’esprit, des commerçants truqueurs, des religieux prenant des libertés avec leur propre religion, des généraux calculateurs.

    Les caractéristiques de l’esprit national français

    Les Français sont particulièrement sociables : ils ont besoin d’entendre des bons mots. Pour eux, rire, c’est apprécier un trait de l’esprit et aussi pardonnent-t-ils tous les propos, toutes les caricatures, refusant de s’offusquer au nom de tel ou tel principe féodal-patriarcal. Les Français aiment les éclairs de génie et peu importe qu’une œuvre soit longue et insipide, si on y trouve de belles formules. On pardonne le caractère insipide des Fleurs du Mal de Baudelaire rien que pour le vers si bien trouvé « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! ».

    Les Français sont donc littéraires, car ils aiment agencer les mots, mais ces mots peuvent être des idées, des formules ou des actions. Il y a cette idée de bricoler en raisonnant, de s’arracher à l’adversité en étant ingénieux, de pouvoir agencer les gens et les faits de la meilleur manière, bref : de puiser dans l’esprit les ressources pour forcer les choses.

    Les Français apprécient donc les sports où il y a de subites fulgurances, ce qu’on appelle le « French flair » dans le rugby mondial, cet esprit à-propos qui fait que la France est la hantise du football allemand pour ses initiatives inattendues, comme sorties de nulle part.

    Pour les Français, un mot, une idée, une action… relève toujours d’une partition, celle de la raison, comprise comme un jeu de l’esprit. C’est par la conscience en action, en raisonnement, en calcul, que tout est possible. Charles de Saint-Évremond définit au XVIIe siècle cette vision des choses en disant que : « Il n’est rien que l’intelligence du Français ne puisse faire, pourvu qu’il veuille bien se donner la peine de réfléchir ».

    Le trait d’esprit comme marque française

    Si l’on comprend tout cela, alors Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1897) apparaît comme une œuvre réactionnaire, car elle caricature ce qui est la marque française : la capacité à forger un trait d’esprit non pas gratuitement, mais au service d’une vision approfondie des choses. Dans la pièce Cyrano de Bergerac et dans le comique produit de manière commerciale, c’est au contraire totalement vain.

    Le véritable trait d’esprit comme marque française correspond, dans sa nature authentique, à des pointes venant couronner un subtil agencement. On précise, par un bon mot, par une tournure d’esprit, ce qui forme tout un ensemble à l’arrière-plan. Le bon mot, la forme harmonieuse, symétrique, la formule particulière… est là pour souligner toute une œuvre de l’esprit à l’arrière-plan.

    Ce sont les ornements ingénieux soulignant les châteaux de la Loire, c’est Molière et ses pointes comiques au cœur des portraits de caractères non raisonnables, c’est La Bruyère et son mot juste pour porter la peinture démonstrative de caractères également. C’est Racine et ses expressions ciblées dans les portraits de psychologies raisonnant calmement sur leur folie furieuse, c’est le château de Versailles et son très raisonnable jardin formant son écrin, c’est la déclaration des droits de l’Homme comme expression constitutionnelle raisonnée d’un peuple raisonnable composé de citoyens.

    L’esprit en réflexion ou le doute permanent

    Comme ici penser c’est réfléchir et que réfléchir c’est triompher, les Français ne veulent jamais s’interrompre dans la mise en branle de l’esprit. C’est là leur problème : ils raisonnent en roue libre, jusqu’à déraisonner. Les Français n’aiment pas les pensées qui se concluent, ils n’aiment pas les théoriciens, les idéologues, les théologiens, les penseurs. Ils apprécient les intellectuels, ceux pour qui, à l’instar de Pascal, « La vérité est une pointe subtile ».

    Les vrais auteurs sont donc, aux yeux des Français, les essayistes : Montaigne, Camus, Voltaire, Jaurès, Sartre, Maurras, Bernanos… Dites une chose en disant que vous en êtes certains, les Français ne vous écouteront pas. Dites la même en chose en disant que vous en doutez encore, ils la croiront !

    Le caractère historique de l’esprit national français

    Les Français ont systématisé le doute cartésien, le doute permanent de Descartes au sujet de toute chose, qui était déjà exprimé dans le scepticisme de Montaigne. C’est pour cela qu’on dit des Français qu’ils sont « cartésiens ».

    Mais c’est là en réalité une faiblesse historique, c’est le fruit de l’incapacité à assumer le protestantisme, alors que Jean Calvin est par ailleurs Français.

    Historiquement, le relativisme français existe pour mettre de côté la religion catholique omniprésente, parce que le pays n’a pas été à la hauteur pour assumer le calvinisme et son affirmation de la responsabilité personnelle, de l’autonomie de la raison.

    Ce relativisme traverse l’Histoire française, depuis François Ier et sa mise au second plan de la religion, jusqu’à la franc-maçonnerie avec son refus bourgeois des contradictions intellectuelles et bien sûr l’idéologie républicaine qui cherche à neutraliser toute opinion, toute idée, toute valeur.

    Le capitalisme avancé, avec son ultra-individualisme, son égocentrisme, ne pouvait qu’être en phase avec un tel relativisme, un tel repli sur l’individu. C’est la raison pour laquelle l’idéologie « post-moderne » s’appuie en grande partie sur les philosophes français relativistes, existentialistes, tournés vers la conscience individuelle « critique », etc.

    L’esprit national français se retourne en son contraire

    Le relativisme et le scepticisme ont joué un rôle historique positif en tant que posture défensive, contre l’Église catholique, mais une fois qu’ils s’étaient installés, ils se sont avérés insuffisants pour formuler des choses positives qui soient ancrées.

    Le relativisme et le scepticisme ont asséché la vigueur de l’esprit, apportant de la rigidité dans une société censée être fluidifiée par le « génie français ».

    La société bourgeoise a toujours plus systématisé ce qu’avait déjà mis en œuvre, en partie, la société féodale ; l’esprit français, « carré » et ingénieux, s’est réduit au fait de picorer, piocher, emprunter une démarche partiellement seulement. Être poli, cultivé serait emprunter des prêts-à-penser, des prêts-à-exister en société.

    « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément » expliquait ainsi Boileau dans son fameux Art poétique du XVIIe siècle, ce grand classique français. Et force est de constater qu’au-delà des mérites d’une telle approche, cela a produit des générations d’écoliers se croyant intelligents et même subtils, car ils écrivaient avec des paragraphes organisés dans leurs rédactions et qu’ils connaissaient la géométrie.

    L’esprit national français et la question romantique

    Les Français veulent de la rigueur dans l’expression des choses et des personnes : c’était un grand progrès face à la barbarie et au féodalisme. Mais ce progrès, devenu fictif, formel, abstrait, a produit un rejet de la vie dans toute sa complexité.

    Les Français voient dans les caractères entiers des dogmatiques ou des fantaisistes, qui systématisent leurs travers consistant à se laisser entraîner comme malgré eux, de se laisser emporter. Les Français valorisent de rester à distance des choses, de maintenir un écart et cela est particulièrement vrai dans leur rapport dénaturé aux animaux.

    Cette problématique était apparue dès le XVIIIe siècle et le romantisme est justement né en Allemagne et en Angleterre comme expression du besoin d’authenticité face aux manières, aux règles, aux codes sociaux que l’esprit national français a produit et finalement transformé partiellement en arbitraire au XVIIe siècle.

    L’amour romantique, immédiat et unitaire, a été le symbole d’une opposition à un esprit français pour qui les sentiments ne pouvaient être exprimés que par étapes, selon des règles préétablies, telles que notamment présentées dans la « carte de Tendre » au XVIIe siècle.

    Les contradictions de l’esprit national français

    La France a payé cher la contradiction entre l’approche raisonnable – formelle de son esprit national et le romantisme international. Par esprit de défense nationale, elle a réfuté le romantisme, ce qui a amené la naissance d’un romantisme à la française qui a été une démarche ultra-réactionnaire, un travestissement des romantismes allemand et anglais, visant à utiliser le naturel, le sentimental… pour mieux attaquer la République. Cette interprétation proprement française du romantisme sera la base idéologique de l’idéologie monarchiste française jusqu’en 1914, puis du fascisme international comme idéologie se prétendant libératrice, spontanée, vitaliste, créatrice, etc.

    Qui plus est, dans une société capitaliste développée, l’esprit formel d’abstraction et le repli sur une conscience relativiste devaient immanquablement se généraliser. Les Français sont alors d’autant plus aisément versatiles, superficiels, vaniteux, légers, inconstants.

    Pire encore, au niveau de la superstructure idéologique, les contradictions sont antagoniques entre un esprit républicain se voulant universel et une reconnaissance de tous les relativismes communautaires et religieux.

    Dépasser l’esprit national français en l’amenant à l’universel

    L’esprit national français accompagne l’émergence du peuple français et il va se prolonger, en ne gardant toutefois que l’essentiellement positif, dans l’intégration et la dissolution du peuple français dans la république socialiste mondiale.

    Ce processus est historiquement évident rien que par le fait que l’esprit national français a été un obstacle général à l’intégration des principes du marxisme. L’esprit national français a permis l’avènement d’un socialisme français remuant, en mouvement permanent, capable de prendre des initiatives, mais incapable de cimenter son activité sur les plans intellectuel, théorique et culturel.

    Heureusement la dimension activiste d’esprits sur la brèche en permanence a permis d’agir face à la tentative de coup d’État du 6 février 1934. Elle a permis d’avoir des luttes de classe avec des esprits clairs, pleines de fulgurances dans leurs interventions antifascistes, ouvrant la voie au Front populaire. Mai 1968 ne s’explique pas sans saisir l’esprit national français et c’est ce qui lui confère une expression littéraire, artistique.

    Mais l’absence de cimentation aura amené le Front populaire et Mai 1968 dans une impasse ; l’esprit national français se complaît dans l’action pour l’action. Il ne construit pas.

    Les socialistes et l’esprit national français

    Les socialistes français, lors de leur unification en 1905, ont souligné que dans leurs rangs deux choses devaient primer : tout d’abord une expression entièrement libre, ensuite une représentation proportionnelle dans la direction des idées exprimées dans le Parti. Cette approche était accompagnée d’un fédéralisme à tous les niveaux.

    Cette conception s’oppose historiquement à celle de la social-démocratie, qui pose une centralisation organique et exige une même mise en perspective. Elle s’appuie très clairement sur le libéralisme bourgeois, avec notamment la franc-maçonnerie, ainsi que sur le scepticisme ayant traversé l’histoire culturelle française.

    Les socialistes avaient bien entendu des moments de fulgurance, avec des figures politiques haut-en-couleur connues pour cela, tels Jules Guesde et Jean Jaurès. Le refus de systématiser fermait toutefois la porte à toute possibilité d’établir un programme politique bien déterminé.

    Les communistes et l’esprit national français

    Le Parti Communiste est une tentative de dépasser le socialisme français avec ses traditions relativistes. Il a cependant échoué et est revenu très rapidement, dès les années 1930, à une valorisation de l’esprit républicain.

    Lorsqu’il s’appuyait sur l’esprit national français, le Parti Communiste a été remuant, efficace avec des activistes plein d’esprit, mais lorsqu’il a pris l’esprit national français comme fin en soi, il s’est transformé en une démarche stérile, dans un style de travail formel.

    Le Parti Communiste a dès les années 1930 mis en valeur la Marseillaise, la République, le drapeau Bleu Blanc Rouge, affirmant que l’esprit national français non seulement se conjuguait au communisme, mais même qu’il lui ouvrait la voie, voire qu’il était lui-même le chemin au communisme.

    Toutes les positions de Maurice Thorez sont traversées par cette valorisation de l’esprit national français, qui est en réalité une soumission à la société bourgeoise. C’est que l’esprit national français n’existe pas abstraitement, il existe seulement comme mise en perspective d’une classe porteuse de son dépassement dans l’universel.

    Parti Communiste de France et non pas Parti Communiste Français

    L’interprétation bourgeoise de l’esprit national français a tellement apporté de subversion dans les rangs communistes que le nom du Parti a été incorrect, étant le seul dans l’Internationale Communiste à utiliser l’adjectif national, au lieu de désigner la localisation historique, géographique.

    La correction d’une telle erreur ne peut qu’être la suivante : l’esprit national français accompagne la nation, mais il n’est pas la nation et obéit à la loi de la contradiction dans son parcours.

    Ainsi, si le relativisme français a permis comme retrait intellectuel défensif de faire céder le catholicisme, il aurait mieux valu que le calvinisme l’emporte, car il représentait une affirmation réellement positive en comparaison.

    Le subtil agencement des choses n’a pareillement pas le même sens suivant qu’on se cantonne dans la gestion des choses comme un bourgeois maniaque ou qu’on reconnaisse la dignité du réel avec son mouvement dialectique. L’esprit national français, par exemple, consiste aussi en l’application criminelle de l’expérimentation animale comme « jeu de l’esprit ».

    En ce sens, et c’est sans doute vrai pour tous les pays, on peut dire que l’esprit national français a une portée seulement démocratique, qu’il accompagne la mise en place de la nation comme forme civilisée d’organisation sociale, mais que sa limite repose dans sa vision du monde, forcément bornée.

    C’est en effet la classe bourgeoise qui établit la nation dès l’émergence du capitalisme et si elle permet de dépasser les divisions antérieures, elle ne parvient pas à l’universel, à une vision mondiale de la communauté humaine.

    Le prolétariat, classe universelle, peut puiser dans la réalité nationale-démocratique, mais son drapeau est nécessairement uniquement rouge, car son esprit est par définition international, mondial ; son esprit est celui de l’humanité travailleuse toute entière dans sa marche au communisme.

    Le Parti Communiste est pour cette raison le Parti de la classe ouvrière, classe universelle, dans les conditions concrètes d’un pays qui a son parcours qui lui est propre. Le Parti Communiste a ainsi une dimension universelle, tout en étant lui-même particulier : pour faire l’Histoire universelle, il doit dépasser l’Histoire de son pays, et pour cela il doit déjà faire l’Histoire de son pays. L’aspect principal est toutefois l’aspect universel.

    Le Parti Communiste ne peut pas être « français », mais de France, même si bien sûr le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) s’appuie sur la réalité nationale-démocratique française pour faire triompher la démocratie populaire comme expression de la dictature du prolétariat.

    Il en va de même pour l’art dans le socialisme, qui sera national dans sa forme, mais socialiste dans son contenu. Les meilleurs traits nationaux passent dans l’universel, les autres disparaissent, tout comme le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) s’effacera dans le Parti Communiste mondial.

  • Le renversement du rapport de force au sein du Parti socialiste SFIO quant à l’Internationale Communiste

    Entre le congrès de Strasbourg de la fin février 1920 et celui de Tours de la fin décembre de la même année, le rapport de force interne – grosso modo de 70 % / 30 % – va se renverser au profit des partisans de la IIIe Internationale.

    La raison, c’est qu’en juillet 1920, l’Internationale Communiste tient son second congrès. Ce qui était considéré comme un simple appel avec le premier congrès se pose désormais comme véritable organisation mondiale, avec des soutiens désormais réellement nombreux.

    Il y a des positionnements politiques, il y a une dynamique, il y a le régime soviétique qui montre sa stabilité, tout cela forme une véritable proposition stratégique. D’août à décembre 1920, la question de l’adhésion à la IIIe Internationale devient l’obsession chez les socialistes et il est clair qu’il y a un engouement très net devant ce qui semble inéluctable.

    Naturellement, c’est un déclic qui se produit avec retard en France, puisque le processus fut enclenché dès la révolution d’Octobre 1917 dans de nombreux pays. Mais cela amène d’autant plus de volonté de rattraper le temps perdu. La minorité au sein de la CGT progresse de manière notable au congrès d’Orléans de fin septembre – début octobre 1920, obtenant 659 mandats contre 1 485 à la majorité.

    Mais cela se lit surtout avec les jeunesses de la SFIO, les Jeunesses socialistes. Avant même la fin de la guerre, à la conférence de Saint-Denis de juin 1918, la première depuis de 1913, le courant de Jean Longuet y devint majoritaire tout comme dans la SFIO. Pierre Lainé, né en 1899 et nouveau dirigeant avec 169 mandats contre 10, appartenait à ce courant depuis son adolescence.

    Naturellement, les jeunesses étaient sur une ligne plus dure que leurs aînés et les partisans de la IIIe Internationale y étaient plus puissants. En avril 1920, lors de la conférence des jeunesses à Troyes, la tendance longuettiste de Pierre Lainé représente 3 168 mandats, le Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes 2 350 mandats, alors qu’une troisième tendance, partisane de l’adhésion mais considérant qu’elle n’était pas encore possible, obtenait 1826 mandats.

    L’Avant-garde, journal Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes puis ensuite des Jeunesses Communistes

    On notera que le représentant de la première tendance, Pierre Lainé, restera dans la SFIO « maintenue », tout comme le représentant de la troisième tendance, Émile Auclair, après un bref passage chez les communistes. Enfin, le représentant de la seconde tendance, Maurice Laporte, joua un rôle très important dans les Jeunesses Communistes, avant de craquer en prison en 1923, de travailler pour la police et de devenir un ardent collaborateur des nazis pendant l’Occupation.

    Sous l’impulsion du second congrès de l’Internationale Communiste, la seconde et la troisième tendance s’unirent à la fin juillet 1920 comme Comité de l’Internationale Communiste des Jeunes. Fin septembre, ils mettent en place un journal, L’Avant-garde ouvrière et communiste, dirigé par Gabriel Péri et obtiennent la mise en place d’un congrès à la fin de l’année.

    La tendance longuettiste de Pierre Lainé fut balayée, sa résolution favorable à l’attente n’emportant que 1958 mandats, contre 5 443 pour l’adhésion immédiate à la IIIe Internationale (avec 350 abstentions).

    Voici la résolution ayant triomphé:

    « Le Congrès National des Jeunesses socialistes réuni à Paris les 30 octobre et 1er novembre 1920, constatant :

    que la IIIe Internationale rassemble tous les socialistes révolutionnaires du monde entier ;

    qu’elle répudie tout « socialisme de guerre » passé et futur, méconnaît le mythe que représente la Défense nationale, préconise l’intransigeance révolutionnaire et la dictature du prolétariat par le régime des Conseils des travailleurs se substituant à la fausse démocratie bourgeoise parlementaire, que ce régime peut seul faire triompher la production au bénéfice total du producteur et instaurer le Communisme ;

    constatant, d’autre part, que l’Union Internationale des Jeunesses socialistes a fait faillite au même titre que la IIe Internationale,

    le Congrès condamne avec force et refuse de s’associer jamais avec les Jeunesses qui, répudiant en 1914 les principes fondamentaux du socialisme en approuvant, de quelque manière que ce soit, la politique dite « d’Union sacrée », continuent deux ans après les hostilités à rester fidèles à leurs erreurs et à collaborer de près ou de loin, consciemment ou inconsciemment, avec la politique des renégats de la lutte sacrée de classe.

    Elle condamne également les tentatives des Jeunesses jaunes de Noske, d’Allemagne, de Renner, d’Autriche, faites dans le but de reconstruire une Internationale qui serait en complète opposition avec l’Internationale Communiste des Jeunes ;

    Le Congrès, conscient de l’idée de lutte de classe qui s’est affirmée dans l’Internationale Communiste des Jeunes ne faisant pas double emploi avec la IIIe Internationale, lui donne son entier appui et son adhésion non conditionnée, comme elle la donne sans réserve aucune à son aînée et approuve pleinement son manifeste et son programme lancé au Congrès international tenue le 25 novembre à Berlin ;

    De plus, le Congrès,

    considérant que la division qui s’est affirmée au sein de la Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes résulte d’une divergence profonde sur le but et la doctrine ;

    considérant qu’aucune organisation ne saurait exercer d’action révolutionnaire sérieuse et efficace si ses membres sont ainsi divisés sur les principes mêmes de la lutte ;

    affirme que s’il est vrai que tous les communistes ont l’impérieux devoir d’adhérer sans réserve à la IIIe Internationale, il n’en est pas moins évident que seuls les communistes doivent y avoir accès.

    En conséquence :

    soucieux de permettre aux éléments révolutionnaires des Jeunesses de France d’adhérer à l’Internationale Communiste des Jeunes, le Congrès pour clarifier définitivement la situation et faire œuvre durable, décide la transformation des Jeunesses Socialistes de France en Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes Communistes, et admet pleinement la déclaration et le programme général d’action suivant, qui sera celui de la Fédération ainsi reconstituée. »

    Les Jeunesses Socialistes devinrent les Fédérations nationales des Jeunesses Socialistes Communistes de France, puis en mai 1921 la Fédération nationale des Jeunesses Communistes.

    Ce qui s’était fait dans les Jeunesses reflétait de fait la tendance générale dans le Parti. Pourtant les partisans de la IIIe Internationale auraient dû tirer une leçon de ce qui s’était passé après le vote.

    Prenant la parole au nom des désormais minoritaires, Pierre Lainé lut une résolution où il affirma, au nom des 1958 mandats qui s’étaient portés sur lui, qu’il était pris acte « de l’acte d’indiscipline de la majorité qui vient de proclamer l’autonomie des Jeunesses ». On avait ici déjà la base du discours de la minorité, qui accusait la majorité de liquidation, d’aventurisme, de dogmatisme, etc. et ne comptait certainement pas accepter les décisions prises.

    =>Retour au dossier sur le Parti socialiste SFIO
    au lendemain de la première guerre mondiale

  • Le triomphe de la tradition socialiste française au congrès de Strasbourg de 1920

    Au congrès de Strasbourg, on retrouve la même situation qu’aux congrès d’avant-guerre. Les sections de la SFIO sont de taille tout à fait disparate, numériquement comme politiquement.

    Il y a un côté fourre-tout dans la démarche, le congrès étant par ailleurs marqué dès le début par des compte-rendus sans fin sur la trésorerie, la non-publication des cartes et des timbres, la question de l’imprimeur changé avec le nouveau ne publiant pas assez et avec retard, etc. etc.

    Dès le tout début du congrès, un délégué de la Fédération du Jura expliqua par exemple également que la société future serait entièrement décentralisée, organisée par communes et cantons se fédérant, avec un parlement régional, etc. Ces thèses anarchistes furent considérées comme relevant de la pensée socialiste dans sa multiplicité et ne choquait pas.

    Là où tout cela est fortement hypocrite et en tout cas inégal, c’est qu’on a encore et toujours quelques fédérations poids lourds, telle celle de la Seine avec 721 mandats – cela correspond grosso modo à la région parisienne -, celle du Nord avec 567 mandats et celle du Pas-de-Calais avec 479 mandats, la Seine-et-Oise 171 mandats.

    Pour le reste, les sections se divisent entre celles ayant 50-100 mandats – le Haut-Rhin a 101 mandats, le Gard 89, l’Isère 57, l’Oise 47, la Nièvre 44,… – et celles en ayant 10-30 (l’Eure en a 10 la Mayenne 7, la Haute-Savoie 11, le Finistère 36, etc.). Le poids des grandes fédérations est donc énorme.

    Pour autant, cela ne doit pas donner l’idée que la SFIO soit un parti puissant. Les Fédérations les plus puissantes ont un nombre restreint de membres ! On a pour la Seine 18 075 cartes de membre, le Nord 14 700, le Pas-de-Calais 11 950… Suivent la Seine-et-Oise avec 5 600 membres, la Moselle avec 4 500 membres, le Haut-Rhin avec 4 300 membres, le Bas-Rhin avec 3 200 membres…

    Au total, cela fait autour de 130 000 membres, dans 95 fédérations, avec seulement au total… quatre permanents, ce qui est la preuve d’une immense incapacité organisationnelle. On est à rebours des révolutionnaires professionnels prônés par Lénine.

    Si l’on ajoute à cela que tels mandatés d’une Fédération peuvent voter dans un sens, d’autres mandatés de la même Fédération dans un autre, on peut voir qu’on a le principe de la division poussé jusqu’à son paroxysme. Un mandaté peut d’ailleurs souvent avoir le droit d’éventuellement… voter contre ce pour quoi il a été mandaté, tous les mandats n’étant pas impératifs !

    Dans un tel rassemblement fourre-tout, les éléments traditionalistes du Parti n’ont aucun mal à surnager et à apparaître comme ceux qui forment le socle même de l’organisation. Paul Faure et Léon Blum apparaissent ici comme les meilleurs représentants d’une telle perspective et ils dirigeront d’ailleurs la SFIO de l’entre-deux guerres.

    Ils représentent la tradition socialiste française, dans le rejet de la social-démocratie et du bolchevisme ; leur ligne est de pratiquer le réformisme, sans fermer la porte à la révolution pour le jour où elle arriverait éventuellement.

    Avec une telle ligne, typique d’ailleurs du socialisme français – un discours à prétention révolutionnaire, une pratique réformiste, exactement comme chez Jean Jaurès – il n’y a pas de mal à balayer les ultras ne parvenant pas à asseoir leur démarche de manière conséquente.

    Paul Faure défend ainsi aisément la tradition socialiste française contre les éléments exigeant de renverser la table, sans disposer d’aucune approche au sens strict à part le volontarisme cherchant une légitimité en se revendiquant abstraitement de la IIIe Internationale :

    « Ah ! Du haut de vous-mêmes, vous nous dites : « les réformes, n’en parlons plus ! » Si, en revenant de Strasbourg, le Soviet central est constitué à Paris, et si la révolution est faite, il est possible, en effet, qu’on ne parlera plus de réformes, ou plus exactement, qu’on commencera à en parler. (Très bien ! Applaudissements)

    Mais il faut envisager l’hypothèse, évidemment ennuyeuse et pénible, où la révolution ne sera pas faite et où nous n’aurons pas le pouvoir dictatorial.

    Nous serons demain encore dans un pays où le capitalisme existera. Ceci est à craindre. J’entends bien que nous devons préparer le jour où nous pourrons abattre ce régime abject du capitalisme, je n’ai fait que cela depuis que je milite, je continuerai ; mais tant qu’il vivra, nous serons obligés tout de même de vivre avec lui, dans lui.

    Si vous clamez nous ne voulons plus de réformes du tout, et je vous l’ai entendu dire, non seulement dans ce Congrès, mais ailleurs, il faut que vous rectifiiez, que vous essayiez de faire rectifier par le Parti notre doctrine traditionnelle. »

    Léon Blum a exactement la même approche lorsqu’il justifie l’injustifiable au nom d’une sorte de pragmatisme révolutionnaire où, sans « révolution », tout est permis dans la compromission :

    « Je pense que la participation ministérielle pendant la guerre n’a été à aucun degré le signe d’une inflexion révisionniste de la pensée socialiste, car ce n’est pas pour collaborer à des réformes sociales que le Parti socialiste a accepté le pouvoir.

    Il l’a accepté pour un tout autre objet ; il l’a accepté dans des circonstances que la résolution Kautsky de Paris qualifiait de circonstances exceptionnelles ; il l’a accepté avec l’autorisation et la ramification des organes qualifiés du Parti socialiste. »

    Il s’en sort une conclusion logique : il faut balancer par-dessus bord la seconde Internationale, qui est incapable de maintenir cette « fiction » révolutionnaire… Mais il ne faut surtout pas rejoindre la IIIe Internationale, qui exige que la révolution, c’est-à-dire la prise dans la violence du pouvoir d’État, soit la perspective centrale.

    Pour cette raison, 4 330 mandats contre 337 votent la sortie de la seconde Internationale (avec 53 abstentions et 109 absents).

    Puis 3 031 mandats se prononcent pour la « reconstruction » d’une nouvelle Internationale, les tenants de la IIIe Internationale obtenant 1 621 mandats, un score honorable mais dans une absence d’unité, de clarté, de connaissance même d’ailleurs de ce qu’est réellement la IIIe Internationale, qui est simplement assimilée ou confondue avec la révolution russe.

    En fait, le congrès de Strasbourg marque simplement un recentrage du Parti socialiste SFIO. Les ex-majoritaires ont disparu : ils ont été liquidés en 1918-1919, ils sont trop compromis.

    Mais le Parti ne rejette pas leur activité durant la guerre, ils considèrent seulement qu’ils sont allés trop loin, alors que de toute façon ils sont carbonisés niveau crédibilité « révolutionnaire ». Ils sont donc simplement remplacés par des gens voulant simplement en revenir à la ligne d’avant 1914, Paul Faure et Léon Blum étant leurs chefs de file.

    On est donc dans l’ambiguïté assumée entre réforme et révolution, comme on le voit rien qu’à la première phrase de la résolution de politique intérieure adoptée au congrès qui affirme que :

    « Le Parti socialiste déclare que, plus que jamais, dans les circonstances présentes, son action nationale doit être fonction de l’action internationale du socialisme mondial. »

    C’est très symbolique puisque le Parti socialiste SFIO a abandonné la seconde Internationale sans rejoindre la IIIe, flottant dans un vide permettant toutes les ambiguïtés entre réforme et révolution qui lui sont caractéristiques… avec, naturellement, le « républicanisme ». La résolution de politique intérieure appelle ainsi à « la sauvegarde de la République », expliquant qu’il y a « un danger pour le régime ».

    On est ainsi de retour à avant 1914. Le Congrès de Tours, avec un renversement total de perspective, n’en sera que d’autant plus une surprise.

    =>Retour au dossier sur le Parti socialiste SFIO
    au lendemain de la première guerre mondiale