Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La vision du monde de l’austro-marxisme : les masses

    La République, cela représentait pour la social-démocratie autrichienne les masses formant une unité collective. L’insistance est complète sur les droits des masses, l’épanouissement des masses, le poids de vue de masse.

    Masse de gens (dans le stade de Vienne)
    Un parmi des millions (avec une famille de petits paysans autrichiens)
    Le peuple avec nous !
    200 000 personnes manifestent sur la [la principale avenue viennoise enserrant le premier arrondissement qu’est la] Ringstrasse pour le droit au travail et la liberté !
    Un parmi des millions (avec une chômeuse à Riga en Lettonie)
    Sentiment de masse et sentiment des masses

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  • La vision du monde de l’austro-marxisme : la République

    La social-démocratie autrichienne rejetait le principe de pouvoir soviétique élaboré par le bolchevisme. Elle tenait à une république parlementaire, tout comme la social-démocratie allemande à la suite de Rosa Luxembourg par ailleurs. Cependant, la social-démocratie autrichienne allait bien plus loin que la social-démocratie allemande dans le rejet des institutions.

    Pour elle, la République c’était la forme devenant forcément socialiste et seul le drapeau rouge allait de toutes façons avec. C’est un positionnement réellement centriste entre réformisme et bolchevisme.

    La République se tient solide et inébranlable !
    (à l’arrière-plan la mairie de Vienne la rouge)
    La République entre nos mains
    Jour de la République – notre jour !
    Le 12 novembre à Vienne
    Le 12 novembre à Vienne
    L’Autriche est une République démocratique. Son droit vient du peuple (article 1 de la constitution)
    Fête de la République à Vienne
    Le parlement est menacé ! Le peuple la défendra !
    Le parlement est menacé ! Une promenade dans le chef d’oeuvre de [l’architecte] Hansen
    Une valorisation de l’art néo-classique strictement parallèle à celle en URSS
    L’Autriche est une République démocratique… Et le restera, malgré tout ! (cette dernière expression est une allusion à Rosa Luxembourg qui l’employa)

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  • L’austro-marxiste Otto Bauer et l’équilibre des forces

    Du point de vue bourgeois, l’austro-marxisme consiste en l’école marxiste telle qu’elle émerge dans la social-démocratie autrichienne avant 1914, dans le cadre de l’Autriche-Hongrie. En réalité, l’austro-marxisme consiste en un style politique et une idéologie développée par le Parti Ouvrier Social-Démocrate en Autriche entre 1918 et 1934. 

    Cette ligne a été développée par Otto Bauer, qui se situe dans la pratique dans la continuité directe de Karl Kautsky. Karl Kautsky se voulait à gauche de la social-démocratie, il refusait la première guerre mondiale, mais en même temps il ne reconnaissait pas la valeur du bolchevisme, qu’il voyait comme une déviation aventuriste en décalage avec la réalité historique.

    Otto Bauer est sur la même ligne et au tout début des années 1920, il dit ainsi de la Russie soviétique la chose suivante :

    « Toute révolution bourgeoise commence par la révolte de la bourgeoisie contre l’absolutisme et contre la féodalité. Mais ce soulèvement déchaîne les forces des masses laborieuses : éléments plébéiens dans les villes, paysans dans les campagnes (…).

    L’idéologie communiste de la Révolution russe était une de ces idéologies enthousiastes, illusoires, utopiques, auxquelles la révolution bourgeoise est toujours sujette durant sa phase de dictature plébéienne.

    Elle a, dans le développement de la Révolution russe, la même importance qu’ont eue l’idéologie du « royaume d’Israël » dans la Révolution anglaise, l’idéologie égalitaire jacobine dans la Révolution française.

    Le communisme russe n’est pas le socialisme d’un prolétariat évolué, éduqué, mûri sur la base du grand capitalisme, capable de mener la lutte réelle pour la socialisation de tous les moyens de production et d’échange déjà préformée, déjà rendue matériellement possible par l’évolution du capitalisme lui-même.

    Il a été plutôt l’illusion des masses plébéiennes d’un pays qui vient seulement de s’affranchir ds chaînes de la féodalité, masses qui, hissées temporairement au pouvoir par la révolution bourgeoise, cherchent en vain à réaliser leur idéal pour échouer contre le degré de développement trop bas des forces productives et par apprendre de l’expérience que leur domination ne peut réaliser leur idéal communiste, mais n’a été que le moyen employé par l’histoire pour détruire touts les vestiges de la féodalité et créer par là les conditions de développement du capitalisme sur une nouvelle base élargie (…).

    La pratique réelle du « cours nouveau » [il s’agit de la période de la NEP] est la reconstruction de l’économie capitaliste.

    Mais on avait cru pouvoir accomplir cette reconstruction du capitalisme sous la « dictature du prolétariat ». C’est encore et toujours une utopie, toujours une illusion. »

    Par la suite, Otto Bauer évoluera fondamentalement dans cette approche, devenant pro-soviétique tout en conservant une approche critique. Il se situe ainsi dans le prolongement de Karl Kautsky, mais avec une évolution que celui-ci n’aura pas.

    Otto Bauer

    Né en septembre 1881, Otto Bauer avait des parents bourgeois juifs tchèques ; son père possédait une usine de textile à Warndorf ainsi qu’un comptoir à Nachod. Sa sœur Ida est historiquement connue comme étant l’une des « patientes » que Sigmund Freud prétend avoir guéri ; il parle d’elle sous le pseudonyme de Dora.

    L’éducation d’Otto Bauer fut de haut niveau ; il maîtrisait, outre l’allemand et le tchèque, le français et l’anglais, ainsi que le grec, puis le serbo-croate et le russe qu’il appris durant sa captivité lors de la première guerre mondiale.

    Il fit des études de droit et envoya à 23 ans un texte intitulé La théorie marxiste des crises économiques à Karl Kautsky, ce qui marquale début d’une correspondance. De fait, Otto Bauer s’imposa immédiatement comme une grande figure intellectuelle du marxisme, capable malgré son jeune âge de faire une conférence d’une heure et demie sans aucune note.

    Otto Bauer fut alors le cadet de la première génération de l’austo-marxisme, dont lui-même sera le dirigeant de la seconde génération, lorsque l’austro-marxisme sera synthétisé.

    Otto Bauer

    Fréquentant de manière régulière Rudolf Hilferding (l’auteur de l’ouvrage Le capital financier en 1910 que Lénine employa pour sa propre thèse sur l’impérialisme), Max Adler, Karl Renner, Gustav Eckstein, Otto Bauer se vit donner comme tache d’analyser la questions des nationalités en Autriche-Hongrie. Il y a affirma la possibilité de nations sans territoires, ce qui lui valut une critique significative de la part de Lénine.

    Après le succès électoral de 1907, il devint le secrétaire des parlementaires qui étaient passés de 10 à 87, participant la même année à la fondation de la revue théorique du Parti, Der Kampf. Il devait en 1914 être le rapporteur du congrès de la seconde Internationale, qui ne put se tenir. En 1918, avec l’instauration de la république autrichienne, il devint ministre des affaires étrangères.

    Dès ce moment, sans en être formellement le dirigeant, il devint l’idéologue et la principale figure du Parti Ouvrier Social-Démocrate. La principale substance idéologique apportée par Otto Bauer est que la bourgeoisie est déjà caduque historiquement, mais que la classe ouvrière est trop faible. Il y a donc une période de latence, qui d’ailleurs présenterait une caractéristique historique générale.

    Dans une analyse au titre évocateur, L’équilibre des forces de classe, Otto Bauer explique que :

    « Dans mon histoire de la révolution autrichienne, j’ai montré que le résultat de la révolution étaiit un état où ni la bourgeoisie ni le prolétariat ne pouvait contrôler l’État, que les deux devaient concrètement se le partager.

    L’État n’a été dans cette phase de développement ni une organisation de domination de la bourgeoisie, ni un organisation de domination du prolétariat. »

    Otto Bauer se justifie en mentionnant les remarques de Karl Marx et Friedrich Engels au sujet de la monarchie absolue en France et de la glorious revolution britannique, où il y a eu un compromis entre certaines fractions de la bourgeoisie et de l’aristocratie, sur l’appui des paysans à l’appareil d’État de Napoléon III ou bien l’alliance entre l’aristocratie financière et les junkers en Prusse.

    Cela signifie qu’il y a des phases d’interpénétration des classes ennemies dans l’État. Il considère ainsi que :

    « Selon la conception de Marx, le développement de l’État se présente par conséquent de la manière suivante dans la période historique de la montée de la bourgeoisie : au début de la période, l’État était la simple organisation de domination de la classe des propriétaires terriens, à la fin la simple organisation de domination de la bourgeoisie.

    Entre l’État féodal et l’État bourgeois il y a eu une période d’équilibre des forces de classe, où les deux classes ou bien tombaient sous la domination d’une violence d’État s’autonomisant, ou bien devaient se partager la domination. »

    Ce point de vue diverge du point de vue communiste, dans la mesure où pour le matérialisme dialectique la forme de l’État correspond à son fond. C’est la raison pour laquelle la révolution d’Octobre 1917 en Russie s’est présentée comme « le pouvoir des soviets », que les concepts de « démocratie populaire », de « nouvelle démocratie » ont pu être développés. Il y a un certain équilibre, mais la forme tend dans une certaine direction.

    On ne trouve pas cela chez Otto Bauer qui, tout comme Karl Kautsky, rejetait précisément le « pouvoir des soviets » au nom d’un concept de démocratie aux contours flou, ou plus précisément essentiellement bourgeois, ne se détachant pas du modèle de la bourgeoisie lors de son époque progressiste, anti-féodale.

    C’est qu’Otto Bauer rejette justement le matérialisme dialectique, la vision de l’histoire sous forme de saut, conformément à la nature. L’austro-marxisme s’appuie sur Kant ou Mach ; ici Otto Bauer s’appuie sur ce dernier, le citant pour justifier sa vision de l’État comme lieu temporaire d’interpénétration des classes.

    « Le processus en entier », dit Mach qui constate un processus analogue dans la science naturelle, « le processus en entier a seulement un sens économique. Nous commençons avec une reproduction des faits avec les complexes stables, habituels, qui nous sont communs, et ajoutons par la suite l’inhabituel corrigeant. »

    Cette conception a trois conséquences. La première est de voir le fascisme comme un coup d’État de bandits s’arrogeant le pouvoir, avec l’acceptation de la bourgeoisie du moment qu’elle se sent protégée du prolétariat. Otto Bauer a ici la même conception que le trotskysme.

    La seconde est de voir le bolchevisme comme l’expression d’une couche parasitaire se plaçant au-dessus des paysans, des ouvriers et de la nouvelle bourgeoisie formée au moment de la NEP. C’est là aussi un point de vue proche du trotskysme. Cependant, dans les deux cas, Otto Bauer changera de point de vue après la défaite de l’austro-marxisme en 1934, se rapprochant largement du point de vue communiste.

    La troisième est que l’État autrichien né en 1918 est un équilibre des classes. Et effectivement, la social-démocratie autrichienne a vraiment considéré que c’était le cas, au point que le symbole de l’État lui-même correspond à cette conception.

    Le symbole national de l’Autriche de 1918 à 1934 et à partir de 1945

    Le nouvel État avait comme blason l’aigle autrichien, avec sur sa tête une couronne consistant en une tour crénelée, symbole de la ville, c’est-à-dire de la bourgeoisie, alors que les pattes tiennent un marteau et une faucille, symbole de la classe ouvrière et de la paysannerie. Les réalisations de Vienne la rouge semblaient confirmer cette analyse.

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  • La vision du monde de l’austro-marxisme : l’internationalisme

    La social-démocratie autrichienne se considère comme dans le prolongement direct de la seconde Internationale. Le nom du Parti – Parti Ouvrier Social-Démocrate – est d’ailleurs très clair quant à l’orientation centriste, refusant l’avancée vers le bolchevisme mais également tout recul vers le réformisme.

    L’internationalisme prolétarien est ainsi une composante essentielle de la matrice du Parti.

    Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
    Peuples entendez le signal [début de l’Internationale en allemand]
    Notre est le monde !
    Vive la République espagnole !
    Matteotti Cinq ans après le meurtre
    Les travailleurs n’ont rien à perdre à part [leurs chaînes, mais un monde à gagner]
    [La classe ouvrière lutte : contre le militarisme] le capitalisme – pour la fraternisation de l’humanité !
    (dans la main, le Manifeste communiste)
    Le travail va recevoir le monde
    [Une fraternité organisée unit les] travailleurs de toutes les races et de toutes les langues
    Bataille de rue à Budapest
    Les travailleurs de couleurs se réveillent aussi !
    Une image du congrès noir venant de se tenir en Afrique du Sud
    Prolétaires de couleur

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  • La vision du monde de l’austro-marxisme : la paysannerie

    Représentant le bastion ouvrier viennois, la social-démocratie autrichienne s’évertua à se tourner vers la paysannerie. C’est un effort notable, rendu inévitable par ailleurs dans un pays très profondément marqué par la contradiction villes-campagnes.

    [Région du] Burgenland : paysans sans terre
    La terre aux paysans, pas aux châtelains !
    Le temps des récoltes
    Les travailleuses des campagnes
    Le temps des récoltes !
    La récolte
    Les paysans de Vienne
    Une paysanne du Burgenland

    En même temps, l’identité ouvrière des rouges s’opposait clairement aux forces des campagnes exprimant la réaction catholique des grands propriétaires terriens.

    Ils veulent voler le soutien à 70 000 chômeurs !
    Votez social-démocrate !
    Assez de la spéculation sur les logements ! Artisans et commerçants profitez de la protection des locataires et votez social-démocrate !
    Des appartements populaires pas des villas de luxe ! Ne laissez pas la protection des locataires se faire démolir ! Votez social-démocrate !

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  • La vision du monde de l’austro-marxisme : le prolétariat

    L’austro-marxisme pose l’affirmation du prolétariat littéralement en termes d’autonomie à tous les niveaux. La vie ouvrière est séparée de celle de la bourgeoisie à tous les niveaux : pour la morale, la vie quotidienne, la conception des choses, etc.

    Le travail est valorisé, dans son rapport au corps, comme une base saine pour un monde nouveau.

    Travail dans la chaleur
    La symbolique du travail
    Les femmes qui portent des pierres [précieuses ou non]
    Portraits de prolétaires
    L’ouvrier au dur labeur à Vienne
    Des monteurs
    Un instant pour souffler
    Une dénonciation du chômage
    Les tramways

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  • L’austro-marxisme et la révolution de la vie quotidienne

    La première guerre mondiale et la révolution de 1917 avaient profondément ébranlé le mouvement ouvrier en Europe. Le soutien de la social-démocratie à la guerre – à part la social-démocratie russe, avec Lénine – avait fini par disqualifier tout une génération de dirigeants du mouvement ouvrier une fois le conflit terminé.

    En même temps, l’onde de choc de la révolution russe avait produit dans de nombreux pays une vague de formation de « conseils » sur le modèle « soviétique » russe, notamment en Allemagne, en Hongrie et en Autriche.

    Cependant, dans ce dernier pays, la puissante social-démocratie fut assez puissante pour gérer les conseils, les amenant à se résumer à l’affirmation de la république. Le Parti Communiste se formant alors – en novembre 1918, l’un des tous premiers – paiera durement le prix de cet échec des conseils, en étant condamné à une totale marginalité.

    La social-démocratie justifiait sa position en raison de l’isolement total du pays, de la famine, du risque de menace armée extérieure, notamment italienne. Mais sa conception de l’Etat faisait également qu’elle n’avait pas confiance dans les conseils.

    Dans ce contexte, elle devint la force majeure dans la naissance de la république et bénéficiera pendant vingt ans d’une aura inébranlable.

    Affiche électorale d’après 1918 de la social-démocratie autrichienne vantant les acquis dans le secteur du logement de Vienne la rouge face aux réactionnaires de type catholiques-bourgeoisie agraire

    Elle se considérait comme exempte des défauts ayant abouti à ce qu’elle voyait comme une double catastrophe de valeur égale : d’un côté la répression social-démocrate, avec Gustav Noske, Philipp Scheidemann, Friedrich Ebert, de la révolution allemande, de l’autre ce qui était considéré comme l’aventurisme tournant à la catastrophe des pro-soviétiques en Hongrie et en Bavière.

    L’une des figures exemplaires de cette vision du monde est Friedrich Adler, fils d’un des principaux fondateurs de la social-démocratie autrichienne, Victor Adler. Alors que la social-démocratie soutenait la guerre de 1914-1918, Friedrich Adler exécuta en 1916 l’aristocrate et grand propriétaire terrien Karl Stürgkh, ministre qui était le grand représentant du « parti de la guerre » et avait mis de côté le parlement pour lancer celle-ci en 1914.

    Affiche électorale d’après 1918 vantant les impôts visant les riches

    On notera d’ailleurs que cette mise de côté du parlement fit que la social-démocratie autrichienne n’eut pas à voter les crédits de guerre, bénéficiant par conséquent d’une certaine aura par la négative comparée à ceux se lançant ouvertement dans l’Union Sacrée dans les autres pays.

    Condamné à mort, peine commuée en 18 années de bagne, Friedrich Adler sera libéré par la révolution de 1918, mais jouera alors paradoxalement un rôle central pour étouffer les tentatives insurrectionnelles, devenant une des grandes figures de la social-démocratie autrichienne qui tentait de former ce qu’elle voyait comme une voie intermédiaire entre réformisme et révolution, par la combinaison de ces deux approches.

    Profitant d’une solide base ouvrière et d’une affirmation radicale déterminée comme en témoigne le programme historique de Hainfeld de 1889, la social-démocratie autrichienne se donnait comme tache ce que Max Adler résumait de la manière suivante : « bas les pattes devant l’Etat bourgeois », c’est-à-dire que le mouvement ouvrier devait échapper à toute intégration intellectuelle et culturelle.

    Affiche d’après 1918 : Sportifs, votez social-démocrate !

    La social-démocratie visait à ce que Richard Wagner appelait « l’autosocialisation par en bas », par opposition à une « socialisation forcée unilatérale par en haut ». L’approche communiste de Lénine était refusée, mais la social-démocratie autrichienne refusait une opposition frontale comme le faisait la social-démocratie allemande. D’ailleurs, elle passa rapidement à un soutien marqué au socialisme soviétique, tout en considérant qu’il devrait inévitablement se réformer.

    La social-démocratie d’Autriche justifiait sa critique par le fait que la Russie était trop arriérée, alors que la classe ouvrière avait en Autriche réussi à imposer un style social-démocrate.

    Le socialisme dans les faits, cela voulait dire défendre un style prolétarien, comme par exemple pour les femmes des cheveux courts et un type plus large de pantalon, par opposition aux coupes de cheveux « raffinées » et les jupes, relevant d’un style soumis aux critères bourgeois d’une femme réduite au statut d’objet, d’une pseudo-féminisation aliénée.

    Elle, elle va bien !

    Lors de la victoire social-démocrate aux élections autrichiennes de 1927, des quotidiens britanniques n’hésitèrent ainsi pas à parler d’élections « coupes à la garçonne », pour insister sur à quel point la question de fond était culturelle.

    De fait, la social-démocratie autrichienne parvint à conquérir la mairie de Vienne, alors une des principales villes du monde, et de la transformer en bastion social-démocrate avec une partie très significative de sa population d’organisée dans ses rangs.

    Mise en valeur de la seconde olympiade ouvrière à Vienne en 1931, avec le HLM Karl Marx en toile de fond

    D’innombrables organismes générés par le Parti Ouvrier Social-Démocrate devait permettre le triomphe de l’ensemble des valeurs synthétisées : une vie « simple » et « naturelle », à travers la connaissance des sciences et des techniques, avec une grande insistance sur le sport, en particulier la natation, et le refus général de l’alcool et du tabac, un refus d’une sexualité tant bornée que « libre » au profit d’un esprit de camaraderie dans le couple, ainsi qu’entre parents et enfants.

    Otto Bauer résumait cette démarche authentiquement social-démocrate – on aurait souvent du mal à voir la différence avec les valeurs prônées alors en Union Soviétique avec Staline – comme relevant de « l’idéalisme et la sobriété », la presse social-démocrate n’hésitant pas à parler de « révolution de la vie quotidienne ».

    Eloge de la prohibition américaine à l’occasion de ses dix ans
    « La lutte contre l’ennemi à mort qu’est l’alcool doit encore être menée avec plus de force sur l’ancien continent »

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  • La violence armée à Dijon de juin 2020, déchéance de la révolte de 2005, expression de la crise générale de l’armée de réserve industrielle

    Les « quartiers », base de l’armée de réserve industrielle

    Ce qui s’est passé à Dijon pendant plusieurs jours, et surtout plusieurs nuits, révèle l’affirmation d’une contradiction absolument terrible déchirant le tissu populaire des secteurs marginalisés. Cette contradiction est celle entre un capitalisme s’étendant, mais plaçant toujours plus une armée de réserve prolétarienne dans des conditions de précarité et d’isolement social.

    L’affrontement de centaines de jeunes d’origine maghrébine et tchétchène, sur une base ethnique et au moyen d’armes allant de la barre de fer au fusil automatique, correspond à une marginalisation, une communautarisation et une aliénation complète de pans entiers du peuple réduits au statut de force de travail éventuelle.

    C’est ce que Karl Marx appelle « l’armée de réserve industrielle ». Il explique dans Le Capital que l’approfondissent du capitalisme amenait la formation d’une « armée de réserve » toujours plus grande : « La réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables. »

    Les « quartiers », assemblés par en haut par le capitalisme à partir des années 1960, forment la base de cette armée de réserve industrielle, dont on se sert éventuellement, en s’en servant de soupape également pour pressuriser les salaires. L’origine immigrée prévaut, comme garantie d’un manque de conscience politique et d’expériences des luttes de classe dans le capitalisme, avec aussi un faible niveau d’étude.

    L’armée de réserve industrielle est la cinquième roue du carrosse et les « quartiers » sont par essence même marginalisés, avec un pied dans le prolétariat mais, en même temps, un pied dans le lumpenproletariat.

    Le tournant des années 1990

    Le caractère ultra-violent des événements de Dijon, avec l’absence d’intervention policière voire militaire, a profondément marqué les esprits. Qui observe cela en regardant les années 1990 y voit forcément un écho familier, mais baroque.

    Pourquoi les années 1990 ont-elles ici une importance ? A cette époque, le capitalisme français, comme les autres États avancés du capitalisme, a achevé de digérer le contrecoup des soulèvements de 1968. La fin de la décolonisation et l’effondrement du Bloc de l’Est semblaient aussi ouvrir des perspectives désormais illimitées au capitalisme, à quoi il faut ajouter le processus d’unification européenne dans de nombreux domaines : économiques, juridiques, monétaire, etc.

    Cette digestion a abouti sur le plan intellectuel à laisser une large place dans les analyses publiques à ce courant de pensée que l’on doit qualifier de « post-moderne ». Par ce terme, on entend ces théories intellectuelles qui se proposent de rendre intelligible les rapports sociaux à l’échelle de l’individu et de son vécu, immédiat ou imaginaire, exprimé à travers des « discours ».

    En raison de l’existence de structures de pouvoir qui se pensent utiles au gouvernement des populations, la société constituerait un champ de confrontation de ces discours, les uns dominants, les autres dominés, de manière complexe et « intersectionnelle », ce qui générerait des oppressions au détriment de certains individus.

    Il n’est plus alors question de lutte des classes et même de révolution, mais d’émanciper les individus des oppressions qu’ils subissent d’une part et de « gestion » des conflits d’autre part. On ne parle plus de Socialisme mais de « justice sociale ».

    Cela accompagne le démantèlement par le capitalisme français de toutes les structures antagoniques relevant du communisme, leur isolement, leur destruction culturelle et idéologique.

    L’affirmation de la vision du monde post-moderne

    Très intellectuel dans les années 1960-1970, le courant de pensée post-moderne se diffuse plus largement dans les années 1980 dans les médias et dans les structures liés à l’université et l’éducation. Il profite alors largement de la lessiveuse de la pensée « anti-totalitaire » des années 1970, qui s’appuie largement sur la découverte littéraire des « dissidents » de l’Union soviétique de cette époque, comme Milan Kundera ou Alexandre Soljenitsyne.

    Puis ce courant fini par gagner les organisations politiques dont les cadres sont progressivement formés dans cette perspective. Après l’épisode de ce que l’on appelé les « nouveaux philosophes » et sur le plan politique la « seconde gauche », la figure du sociologue s’impose dans les représentations culturelles françaises comme la figure par excellence de l’intellectuel à la place de l’écrivain.

    C’est à ce moment-là qu’un bourgeois comme Pierre Bourdieu est monté au pinacle de la « contestation », aux côtés du Monde diplomatique et de son prolongement ATTAC, etc. Ce sont les années 1990 et « l’altermondialisme ».

    Durant cette décennie, la question des classes populaire prend chez ces gens la forme de celle de la banlieue et de l’immigration, que sociologues et démographes ne cessent de scruter. Bien entendu, tous ne sont pas à l’unisson, mais il y a une véritable dynamique de fond. Depuis les émeutes de Vénissieux (dans le quartier des Minguettes en 1981) dans la banlieue de Lyon et la Marche pour l’égalité (dite « Marche des Beurs », en 1983), les post-modernes ont fait de la banlieue et de l’immigration deux termes symétriques qu’ils analysent comme un « phénomène », selon leurs catégories.

    La « découverte » des cités et des « quartiers » dans les années 1990

    La vie populaire dans les quartiers « sensibles » des grandes métropoles capitalistes retient grandement l’attention de la société française d’alors, ouvrant un champ sans précédent à l’expression de celle-ci sur le plan culturel.

    C’est l’époque où le hip hop décolle en France comme moyen d’expression de ces secteurs des couches populaires françaises, avec tout un style, toute une culture qui marque l’ensemble de la jeunesse de cette génération bien au-delà des celles banlieues et des immigrés ou de leurs descendants. Ainsi, le phénomène des tagueurs a connu dès le départ une nette participation de petits-bourgeois, voire même de bourgeois.

    Cependant, avec une certaine justesse, la question des banlieues et de l’immigration a alors été comprise comme une contradiction du capitalisme français et la jeunesse de ces quartiers est allé dans la direction de multiplier de formes relevant de petits soulèvements, à Paris, à Marseille, à Toulouse, partout ensuite.

    La nécessité de développer les consciences se fit jour. Sur ce plan, le rap a joué un rôle central, exprimant de manière parfois brutale et vulgaire, mais le plus souvent authentiquement, les contradictions au sein des masses de ces secteurs populaires : la vie morose, la pression permanente des flics et en particulier ceux des organes de répression policier comme la BAC, le vide affectif, l’absence de perspective, les drogues et les trafics, etc…

    Les cités et les « quartiers » comme question sociale : 2005

    Les sujets s’inspiraient alors très majoritairement de la vie quotidienne et bien peu des questions que l’on appelle « identitaires ». Il n’échappait à personne bien sûr que la questions des migrations était ici centrale, mais cela s’insérait dans une mise en perspective plus globale. Pour preuve, on a deux films emblématiques : La haine de Mathieu Kassowitz en 1995 et Ma 6-T va crack-er de Jean-François Richet en 1997.

    Ce dernier était d’ultra-gauche, avant une carrière hollywoodienne, et ainsi le Virgin Megastore des Champs-Élysées était tapissé d’étoile rouges entourées chacune d’une roue dentée et d’un épi de blé. La Bande Originale du film devint un grand classique de par le choix très approfondi de chansons à portée sociale-révolutionnaire, dans une ambiance à la fois très sombre et très antagonique.

    La chanson Les flammes du mal, de Passi, reflètent au mieux cette perspective où « c’est certain les plombs vont sauter ma cité va craquer : « Le sang et le feu sont réclamés par la foule / Sur le bitume l’engrenage se déroule / Foutre le dawa, niquer la rhala / Les flammes de l’enfer vu que le paradis n’est pas ».

    L’embrasement tant attendu se produira en octobre-novembre 2005, partant de Clichy-sous-Bois pour s’étendre à toute la France. Il y aura pratiquement 10 000 voitures incendiées, 233 bâtiments publics dégradés, l’ensemble des dégâts s’élevant à 250 millions d’euros à peu près.

    La révolte de 2005 comme antagonisme

    Le noyau allant former le PCF(mlm) salua la révolte et l’encouragea, considérant en janvier 2006, dans « Continuons le processus enclenché, continuons à nous rebeller ! », qu’il y avait une fenêtre de tir pour une affirmation antagonique :

    « Nous voulons dire ici quelques mots à propos de la situation issue de la révolte de novembre. Parce que pour nous celle-ci continue.

    Pour nous la révolte est dans l’ordre des choses; pour nous il est normal que les masses se révoltent. C’est là-dessus que se fonde notre stratégie communiste (…).

    L’une des accusations qui a été faite par ceux qui sont social en paroles, impérialiste dans les faits, est que cette révolte était aveugle, que les révoltés étaient des « lumpen », qu’un tel mouvement était apolitique car n’avait pas de revendications.

    Il va de soi qu’un tel discours est celui de représentants de couches sociales opposées à la révolution. Car c’est la jeunesse prolétaire qui s’est révoltée.

    Un mouvement révolutionnaire ne peut pas partir de fonctionnaires, dont le poste est garanti à vie, ni des étudiants, qui espèrent tout de même avancer dans le système et s’en sortir individuellement.

    Il était inévitable également que les travailleurs subissant le chantage au chômage dans les entreprises capitalistes n’osent pas du jour au lendemain se rebeller, surtout quand tout le monde sait que les syndicats sont opposés aux conflits durs et à la confrontation avec les entreprises.

    Il fallait donc que cela soit ceux qui n’ont rien à perdre qui lèvent le drapeau de la révolte et qui rejettent l’ordre social.

    « La pauvreté est une force motrice de la révolution, les pauvres sont les plus révolutionnaires, la pauvreté est le plus beau des chants…. La pauvreté n’est pas une opprobre, c’est un honneur. » (Gonzalo)

    De plus, une critique de la révolte sincère ne regretterait qu’une chose: qu’il n’y ait pas eu une organisation authentiquement révolutionnaire capable d’approfondir et d’élargir le mouvement (…). Pourtant la jeunesse révoltée a osé, elle n’a compté que sur elle-même. Elle n’a pas écouté ceux qui lui disaient qu’il ne fallait pas le faire, comme les mafias qui préfèrent le calme pour leur business, les religieux qui veulent intégrer l’Etat, etc.

    Elle s’est organisée comme les masses s’organisent toujours lorsqu’elles se révoltent.

    Il s’agit d’une rébellion authentique (…). La bourgeoisie a d’ailleurs diffusé tous le mensonges possibles sur la révolte.

    On a parlé de causes religieuses, ethniques, banlieusardes, etc. On a parlé d’actions violentes pour être violentes, on a parlé d’actions n’ayant aucun sens, de destructions gratuites.

    Même ceux qui se prétendaient en opposition au système capitaliste ont repris ce refrain. Leur masque social-impérialiste est tombé : leur discours est social, mais leur pratique impérialiste : en fait ils veulent surtout une France paisible et forte (…).

    Le peuple en action, voilà la solution et voilà ce qui s’est passé.

    Ce qu’il faut regretter c’est que l’ensemble du prolétariat n’ait pas rejoint la révolte. Le prolétariat aurait dû suivre sa composante la plus opprimée et la plus déterminée : la jeunesse prolétarienne.

    Ce qu’il faut critiquer, c’est la soumission des révolutionnaires de salon à la petite-bourgeoisie, révolutionnaires de salon qui ne conçoivent qu’une lutte syndicale et associative, et qui s’enfuient dès que les luttes de classes s’emballent.

    Parmi ces gens il y en a aussi pour arriver quand tout est fini et prétendre, eux, « comprendre. » Les masses n’ont pas besoin qu’on les comprenne, elles ont besoin qu’on les organise.

    Car oui, c’est vrai, le peuple veut la guerre, oui les masses veulent détruire l’Etat. Seuls les partisans du capitalisme peuvent critiquer cela et la violence qui en découle.

    Seuls des petits-bourgeois peuvent préférer un monde paisible, ne dérangeant pas leur commerce. Et seuls des traîtres peuvent rejeter la révolte, ou la passer sous silence, sous prétexte que les formes de la lutte ne sont pas « adéquates » (…).

    La révolte de la jeunesse prolétarienne n’est pas une « révolte des banlieues. » C’est une révolte dans la continuité de la révolte des masses contre l’oppression. C’est une rébellion.

    Voilà le principe essentiel de la ligne de masses des communistes authentiques.

    Et la tâche des communistes, c’est d’accepter le développement inégal de la révolution, le décalage entre la situation sociale et la pratique des masses, pour tout remettre à niveau et développer la conscience révolutionnaire. Voilà les tâches très pratiques des communistes dans les mois à venir. »

    La révolte de 2005 et son inaboutissement

    Cette fenêtre de tir ne s’est pourtant pas concrétisé et au lieu de contribuer à un antagonisme populaire majeur, la révolte de 2005 s’est transformée en défaite et a amené un recul majeur des positions populaires, prolétariennes.

    Le bilan tiré en 2015, dans « 10 ans après les émeutes de novembre 2005 en France », cherche à définir ce qui a empêché l’alliance de la jeunesse révoltée et du prolétariat :

    « Il y a des moments dans l’histoire d’un pays où la vie quotidienne, avec son train-train, est bouleversée. Tout s’accélère, brutalement ; les masques politiques et sociaux tombent, tout se révèle à la face de la société.

    La crise de mai 1968 a été un tel moment, et d’une manière moins importante mais significative, les émeutes de novembre 2005 ont également consisté en un moment de ce type.

    Psychologiquement, cela a été un moment frappant, quasi traumatisant. Si une révolte de banlieues existait comme possibilité aux yeux de la société française, cela restait quelque chose de vague, sans réalité. C’est pourquoi la société française a été frappée de stupeur, littéralement. Il y a ici quelque chose de dommage, et d’inévitable, et d’historiquement très important.

    D’inévitable, parce que l’année 2005 était un tournant.

    Il y avait alors en au mois de mai le référendum sur la constitution européenne, et le « Non » qui avait gagné apparaissait au PCF(mlm) comme social-chauvin, ouvrant la voie au Front National. Ceux qui réduisent la lutte de classes aux revendications économiques – aidant le fascisme tant en pratique que sur le plan des idées – semblaient avoir gagné.

    Si le « Non » avait eu un autre contenu, authentiquement progressiste, réellement de luttes de classes, les émeutes de novembre 2005 n’auraient d’ailleurs pas eu cet effet de division au sein des masses populaires françaises.

    Mais comme le « Non » était social-chauvin, les émeutes de novembre 2005 ont été dénoncées, de manière unilatérale. Le Parti Socialiste et le Parti « Communiste » français les condamnaient, pendant que l’extrême-gauche, si prompte à parler de « révolution », était entièrement déboussolée, et n’avait qu’un seul mot d’ordre : se dissocier, à tout prix.

    À ce titre, il est significatif que les anarchistes et les trotskystes n’aient pris position qu’une fois que l’état d’urgence a été proclamé. Ils n’ont commencé à parler qu’une fois que l’État avait eu l’initiative, révélant leur nature de supplétif « démocratique » du capitalisme.

    Personne ne savait quoi faire de cette violence anti-étatique… personne, bien entendu, à part le PCF(mlm) et les secteurs des militants révolutionnaires autonomes assumant l’antagonisme avec le mode de production capitaliste.

    Car pour le PCF(mlm) comme pour les milieux autonomes alors, 2005 aurait pu être une conjonction historique. Les masses populaires avaient connu, dans le secteur de la jeunesse, de multiples expériences de luttes de classe franchement antagoniques avec le capitalisme, notamment avec les luttes anti-CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle ou « SMIC Jeunes »), en 1994.

    Du côté des travailleurs, les grèves de 1995 avaient été la plus forte vague de ce type depuis 1968 ; il y avait eu de réelles mobilisations de masse tant dans le public que dans le privé contre le « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale.

    La culture prolétarienne des assemblées générales était particulièrement vivante et la possibilité d’une vraie émergence d’une autonomie populaire assumant l’antagonisme était considérée comme possible… (…).

    Cette révolte n’a, toutefois, abouti à rien et cela est très visible dans le fait qu’elles n’ont justement pas donné lieu à un mouvement d’assemblées générales permettant l’organisation des masses.

    En fait, elle a témoigné d’une fracture des masses populaires, entre les secteurs populaires des banlieues, de culture très urbaine et souvent liées à l’immigration, et les masses populaires de la « France profonde ».

    L’échec de l’union des masses a provoqué l’émergence d’Alain Soral, de Dieudonné ; cela a renforcé Marine Le Pen.

    L’extrême-gauche s’est précipitée dans les thèses d’ultra-gauche, exprimant le point de vue des bobos de centre-ville tentant de gagner les banlieusards.

    Les banlieues se sont elles aussi plongées dans les thèses post-modernes, notamment avec l’Islam.

    Les masses populaires de province ont, quant à elles, considéré qu’elles étaient seules, abandonnées de tous, et ont choisi de soutenir le Front National.

    Tout aurait pu être très différent.

    Et la question de l’unité des secteurs populaires doit donc être bien à l’esprit des progressistes : on a là un contre-exemple historique. »

    Un rendez-vous raté avec l’Histoire lourd de conséquences

    Le bilan, tracé en 2005 par l’avant-garde en France, prévoit de manière admirable le processus allant de 2005 à 2020 : un isolement ouvrier dans le Front National, une basculement dans les idéologies post-modernes, notamment la religion, pour les banlieues, et la transformation de l’extrême-gauche en une ultra-gauche.

    On a ici un terrible rendez-vous manqué avec l’Histoire, en raison du refus de reconnaître la signification historique, culturelle et politique de la violence par une gauche française d’un anticommunisme virulent et entièrement inféodée au réformisme, à l’anarchisme et au trotskysme.

    En 2002, soit sept ans après une révolte ayant ébranlé le pays, la trotskyste Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière fait 5,72% aux présidentielles et le trotskyste Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire 4,25% des voix, soit plus que Robert Hue du Parti « Communiste » français (3,37%). 2,8 millions de personnes avaient fait le choix pour des partis se présentant comme révolutionnaires !

    Il n’en restera pourtant rien, car on est là dans le simulacre, un accompagnement de l’inaboutissement de la révolte de 2005.

    Les productions culturelles de cette époque reflètent ce désarroi ; on peut illustrer cela par les ambiguïtés du groupe Sniper, très populaire alors et qui avait cherché à conserver une certaine authenticité, mais qui n’arriva pas à dépasser les incohérences et s’est fait alors rattraper par des séries de polémiques avec les « identitaires ». On a ici en fait un passage la démarche identitaire-communautaire qui s’est généralisée.

    Les idéologies post-modernes, qui acceptent le capitalisme mais prétendent révolutionner la société, tout en s’abstenant de faire la révolution, se sont engouffrés dans la défaite de 2005.

    Elles ont imposé l’idée de lier la question des migrations non pas aux circulation de population conforme au fonctionnement même du capitalisme, mais au colonialisme français et à ses héritages.

    Elles ont imposé l’idée de lier la question des banlieues non pas à la contradiction entre les villes et les campagnes, mais à celle du développement « culturel » des personnes issues de l’immigration, vues d’ailleurs non comme une composante du peuple, mais comme des communautés oppressées par la domination culturelle française et « bourgeoise » au sens que les deux termes seraient synonymes.

    Une fuite en avant identitaire et communautaire

    Les intellectuels et idéologues post-modernes ont obtenu le soutien de la petite-bourgeoisie d’origine immigrée, mais pas seulement. Les États semi-féodaux semi-coloniaux d’où venaient la majorité des migrants ont joué un grand rôle contre-révolutionnaire dans l’encadrement de ces habitants immigrés ou issus de l’immigration des banlieues et dans l’assaut contre toute compréhension de la lutte des classes.

    Des pays comme le Maroc, l’Algérie ou la Turquie notamment ont imposé un encadrement quasi policier fondé sur les superstitions religieuse et la soumission à l’autorité. Ils ont propagé un « anti-impérialisme », une lecture religieuse du monde, un antisémitisme à prétention « révolutionnaire ».

    Le salafisme, ce courant de retrait du monde et de refus de la vie politique s’est ici d’autant plus développé qu’il présentait à la fois une expression parallèle, parfois soutenu financièrement, de ces interventions étatiques, et un refus d’avoir affaire à des questions étatiques, institutionnelles.

    Son audience a été extrêmement significative, reflétant tout à fait une mentalité de repli, de défaite. Les tenants de « l’État islamique » apparaissent ici comme ceux voulant se replier jusqu’au bout, dans un pays paradisiaque imaginaire défini de manière ultra-romantique.

    C’est là une expression de décadence totale, d’effondrement des mentalités sociales et des rapports démocratiques.

    C’est l’irruption d’une néo-féodalité au cœur de l’un des pays les plus riches du monde, une chose impensable dont l’existence révèle que tout s’effondre au fur et à mesure.

    Tout cela fait qu’à partir de 2005, il est toujours plus marquant que la question des banlieues et de l’immigration telle que formulée dans cette perspective post-moderne, « post coloniale », devient une abstraction de plus en plus éloignée de la vie quotidienne.

    C’est la raison de la récupération de la question palestinienne, purgée de sa réalité démocratique, pour en faire un vecteur désincarné d’un anti-capitalisme romantique souvent teinté d’antisémitisme pour disposer d’une « charge » idéologique suffisante. Il s’agit d’une opération de séduction tout à fait calculée, afin d’évincer toute approche communiste.

    C’est cette déconnexion, expression d’une crise idéologique extrêmement profonde et d’un désarroi terrible avec une petite-bourgeoisie toujours plus agitée, qui a produit les machines de guerre qu’ont été les « Indigènes de la République » et leur dénonciation des Français « souchiens », l’humoriste Dieudonné et sa « quenelle », Alain Soral et ses succès d’édition autour d’« Égalité et réconciliation », les attentats terroristes islamistes en France, notamment ceux du Bataclan, de Charlie Hebdo et les assassinats antisémites d’enfants juifs à Toulouse.

    Une expression de la crise générale de la petite-bourgeoisie et de l’armée de réserve industrielle

    Il est marquant que tous ces mouvements identitaire et communautaire produits par la crise ont imaginé être la solution à une crise interprétée selon leurs propres termes. Tous annonçaient un basculement en leur faveur, mais il n’en fut rien, toute tentative de formaliser quelque chose aboutissant à un échec complet. Les « Indigènes de la République » tablaient par exemple « le Bandung du Nord » de 2018, une sorte de colloque international censé élancer « l’anti racisme politique » en France derrière les figures du PIR.

    L’événement, qui aurait dû former une « Internationale décoloniale » en tant qu’« alliance politique entre les mouvements décoloniaux d’Occident » se fondant sur les « mouvements sociaux des communautés noires, indigènes, rroms, asiatiques et islamiques », a été en fait sans importance.

    Cela n’empêche pas ces « identitaires » et communautaristes de se prétendre au centre de l’Histoire. Lors du colloque « Quelles alliances avec la Gauche ? », Omar Slaouti parle de manière à la fois farfelue et mégalomane de « la centralité du Sud global qui pénètre le Nord par tous les pores » et revendique la « centralité politique ». La déclaration finale affirme que les « diasporas non blanches » seules peuvent frayer « de nouvelles voies politiques ».

    C’est en fait une vague petite-bourgeoise, intellectuelle et démagogue, jouant sur l’affect : c’est cela qui explique comment en juin 2020, le collectif « la vérité pour Adama », après avoir été adoubé par la gauche post-moderne en particulier le P«C»F, a pu surfer sur la vague d’émotion anti-raciste en France à la suite du meurtre de George Floyd aux États-Unis par un policier.

    Cet empilement de « mouvements » post-modernes a un même fond à vrai dire : il s’agit de mettre à la remorque les masses populaires d’un secteur de la petite bourgeoisie en contournant la lutte des classes pour la désamorcer avec un « nouveau paradigme », qui cible la société et non l’État et la bourgeoisie, afin de mener la lutte des places et non la lutte des classes.

    Le cannibalisme social comme agonie de la petite-bourgeoisie et de l’armée de réserve industrielle dans le cadre de la crise générale du capitalisme

    C’est cette désintégration sur le mode identitaire et communautaire qui amène un affrontement communautaire entre Maghrébins et Tchétchènes en 2020, là où la révolte de 2005 possédait une dimension sociale évidente de par sa nature même. Et cet a affrontement s’aligne sur la question des clans, menant des trafics, disposant d’armes, cherchant à agir en cannibales sociaux.

    On retrouve ici tout un romantisme du semi-féodalisme des masses immigrées de pays semi-coloniaux, notamment en s’appuyant sur les secteurs les plus arriérés du sous-prolétariat urbain des cités.

    La famille que serait la mafia, l’honneur dû entre ses membres, l’argent facile, l’idée d’être en « transgression » : cette fascination pour le banditisme a littéralement pourri le rap français dans les années 2000, avec la complaisance des médias et des secteurs de la gauche post-moderne.

    Il est dans cette ordre d’idée incroyablement parlant que le réalisateur de Ma 6-T va crack-er se soit installé dans le cinéma hollywoodien avec des films alliant milieu de la criminalité et ultra-violence.

    Le crime, le trafic de drogue, la prostitution… sont devenus ni plus ni moins que des éléments « normaux » de la vie des « quartiers », alors que les masses sont incapables de s’y opposer, que ce soit sur le plan moral ou matériel.

    Au cours de ce processus, le capitalisme a fait du football, du kebab, du rap, de l’habillement de « rebelle » des quartiers autant d’icônes faussement transgressives.

    La marchandisation est bien entendu le grand invisible, la thématique que n’abordent jamais les identitaires, les communautaristes, les post-modernes, car ils sont l’expression du capitalisme le plus extrême, le plus corrosif. Ils expriment sa crise générale, car ils veulent faire vivre un capitalisme différent, entièrement différent, c’est-à-dire redémarré.

    Comme c’est impossible, ils sont obligés de charger la barque d’autant plus. L’irrationalisme, le fanatisme et le nihilisme prédominent chez eux toujours plus.

    C’est l’agonie de couches sociales portées par le capitalisme, vivant par lui et pour lui, se prétendant contre pour gagner des places, mais indissociablement subordonnée à sa substance et donc condamnées à ne pas pouvoir changer leur condition, seulement à disparaître avec le socialisme.

  • Qu’est-ce que la crise générale du capitalisme ?

    1) Le concept de crise

    a) Le profit capitaliste et la chute tendancielle du taux de profit

    Le mode de production capitaliste s’appuie sur l’accumulation du capital. Karl Marx, dans Le capital, décrit dès le départ les cycles Argent – Marchandise – Argent et Marchandise – Argent – Marchandise. Le capitaliste apporte de l’argent pour produire des marchandises et obtenir plus d’argent en retour ; la marchandise est mise sur le marché, vendue pour de l’argent, ce qui amène avec cet argent une nouvelle production de marchandises.

    Cependant, le capitaliste investit du capital pour avoir toujours plus de capital : le capitalisme entraîne le capitaliste et non le contraire. Il y a en effet d’entraînement, où le capitaliste sert le capital et non le contraire. Cet effet d’entraînement repose sur l’opposition irréductible de deux classes.

    Le capitaliste exploite en effet les travailleurs qu’il emploie, en les rémunérant moins que ce qu’ils apportent dans la production. Plus le capitaliste fait grandir son capital, plus il renforce la classe capitaliste aux dépens de la classe laborieuse : le prolétariat.

    Plus le capitaliste accumule du capital plus il est lui-même capitaliste et plus il enchaîne le prolétaire comme prolétaire.

    Cependant, le paradoxe historique est que les capitalistes, qui forment une seule et même classe, sont divisés entre eux, ils sont en concurrence, en compétition pour parvenir à renforcer l’accumulation du capital qu’ils portent individuellement.

    L’exploitation est ainsi renforcée, d’un côté en employant davantage de prolétaires afin de mettre en activité le capital, de l’autre en en mettant de côté afin de rogner sur les salaires. Or, comme c’est le prolétaire qui apporte la richesse « en plus » par son exploitation, les licenciements impliquent un abaissement du taux d’exploitation réaliser par le capitaliste : c’est la baisse tendancielle du taux de profit.

    b) La surproduction de capital et la surproduction de marchandise

    Les capitalistes constatent la baisse tendancielle du taux de profit mais ne parviennent pas à trouver sa source, ce qui renforce encore plus leur fuite en avant à l’élargissement le plus large possible de l’accumulation du capital d’un côté, aux licenciements en masse de l’autre. Cela accentue encore plus les contradictions et renforce à terme la baisse tendancielle du taux de profit.

    Ce processus s’accompagne d’une hausse de la productivité, donc du nombre de marchandises. Il faut toutefois les écouler et les licenciements assèchent le marché où le faire. On se retrouve avec une surproduction de marchandises, la spéculation, les crises, un capital inemployé, une population littéralement mise de côté dans la production et la consommation.

    C’est là un paradoxe historique : le capitalisme développe les capacités productives, mais se retrouve à un moment à ne plus être en mesure d’en faire quelque chose. Dans Le capital, Karl Marx synthétise cette contradiction en disant que :

    « Plus la force productive se développe, plus elle entre en conflit avec la base étroite sur laquelle sont fondés les rapports de consommation. »

    Ce conflit ne s’exprime pas nécessairement par une crise générale. En effet, ce qui caractérise la crise – la surproduction de capital et la surproduction de marchandises, soit l’une, soit l’autre, soit les deux – peut amener un redémarrage : les nouveaux capitalistes prennent la place des anciens ou ouvrent de nouveaux marchés, les marchandises dépréciées mais massives sont employées pour redémarrer un cycle de consommation et d’accumulation.

    Pour qu’il y ait une crise générale, il faut que les capitalistes ne puissent plus exercer leur fonction, qu’ils ne soient plus capitalistes, qu’ils ne se déterminent plus par rapport au taux de profit. Cela implique une situation où il y a des monopoles si puissants qu’ils aient mis de côté les capitalistes concurrents et qu’ils puissent se contenter d’accumuler du capital en élargissant leur production, sans viser à un taux de profit toujours plus haut.

    Ces monopoles doivent être compris de manière dialectique. Leur forme sont très différentes : monopoles en tant que tel ou quasi-monopoles (Windows, Apple, Boeing, Airbus, Total, BP…), trusts, conglomérats (LVMH, Bouygues, General Electric…), mais cela ne change rien au fait que les grands capitalistes ont des intérêts croisés, entremêlés, en même temps qu’antagoniques et que toutes les formes monopolistes relèvent d’une oligarchie, et ce peu importe la forme de ses activités à la nature monopoliste.

    c) La base capitaliste et sa superstructure

    Le capitalisme signifie concurrence, mais la tendance à la formation de monopoles est irrépressible. Au cours de ce processus, la compétition toujours plus aiguë s’accompagne d’une chute tendancielle du taux de profit, accentuant les situations de crise et généralisant les faiblesses de la base capitaliste en renforçant les contradictions toujours plus antagoniques.

    Le capitalisme peut en soi, abstraitement, toujours surmonter des crises de surproduction sauf que le capitalisme est travaillé de l’intérieur par la formation d’une superstructure consistant en les monopoles. Lénine a défini cela comme l’impérialisme.

    Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, il dit :

    « La libre concurrence est le trait essentiel du capitalisme et de la production marchande en général ; le monopole est exactement le contraire de la libre concurrence ; mais nous avons vu cette dernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande production, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plus grande encore, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu’elle a fait et qu’elle fait surgir le monopole : les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d’une dizaine de banques brassant des milliards.

    En même temps, les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus; ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents. Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur. »

    On a ainsi un capitalisme monopoliste qui s’impose d’autant plus qu’il étouffe relativement le capitalisme concurrentiel présent et qu’il atteint une telle dimension qu’il échappe à la perspective capitaliste, et donc à la baisse tendancielle du taux de profit, en passant sur un mode purement parasitaire.

    Le développement des monopoles est ainsi un aspect de la crise capitaliste : il l’amène, il la porte, il consiste en elle, en amenant l’extinction de la concurrence.

    d) Le caractère général de la crise

    Le caractère général de la crise est atteint lorsque que la surproduction de capital et la surproduction de marchandises se produisent en commun et ne peuvent plus être surmontées, car aucun redémarrage n’est possible en raison du poids immense des monopoles. Il ne plus y avoir de crise relative, servant de décompression pour un redémarrage.

    Cela ne veut nullement dire que dans certains secteurs, il n’existe pas un élan capitaliste concurrentiel, mais cela reste totalement partiel. Les forces productives ne connaissent plus de développement et le seul moyen de résorber ce problème, c’est de procéder à la socialisation des monopoles puis de l’économie toute entière.

    Le capitalisme monopoliste, lorsqu’il prédomine et asphyxie l’économie de type capitaliste pour le faire passer à un régime parasitaire, forme l’antichambre du socialisme.

    La première guerre mondiale et la révolution russe sont au cœur d’une telle crise générale du capitalisme, la première historiquement.

    2) La première crise générale du capitalisme définie par l’Internationale Communiste

    a) La définition historique de la crise générale du capitalisme

    Le concept de crise générale du capitalismea été développé par l’Internationale Communiste. Celle-ci affirmait sa justification historique par l’ouverture d’une nouvelle époque.

    L’affirmation d’une organisation unitaire des communistes à l’échelle mondiale correspondait à la mise en place progressive de la république socialiste mondiale, alors que le capitalisme est entré dans sa phase de déclin, d’effondrement.

    Le Programme de l’Internationale communiste, adopté par le VIe Congrès mondial, le premier septembre 1928 à Moscou, présente de la manière suivante cette question :

    « La lutte entre les principaux États capitalistes pour un nouveau partage du monde provoqua la première guerre impérialiste mondiale (1914-1918). Cette guerre ébranla le système capitaliste mondial et inaugura la période de sa crise générale (…) .

    L’ébranlement profond du capitalisme mondial, l’aggravation de la lutte de classes et l’influence immédiate de la révolution prolétarienne d’Octobre, déterminèrent des révolutions et des mouvements révolutionnaires tant en Europe que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux (…). Ces faits et des événements tels que l’insurrection de l’Indonésie, l’effervescence profonde de l’Inde, la grande révolution chinoise qui a ébranlé tout le continent asiatique, forment les chaînons de l’action révolutionnaire internationale et sont les éléments constituants de la grave crise générale du capitalisme.

    Ce procès de la révolution mondiale comprend la lutte immédiate pour la dictature du prolétariat, les guerres de libération nationale et les soulèvements coloniaux contre l’impérialisme, indissolublement liés au mouvement agraire des grandes masses paysannes.

    La masse innombrable des hommes s’est ainsi trouvée entraînée dans le torrent révolutionnaire. L’histoire du monde est entrée dans une nouvelle phase, celle de la crise générale et durable du système capitaliste.

    L’unité de l’économie mondiale s’exprime dans le caractère international de la révolution ; et l’inégalité de développement des diverses parties de l’économie mondiale dans le fait que les révolutions n’éclatent pas simultanément dans les différents pays. »

    La crise générale du capitalisme n’est pas présentée comme simplement économique, elle n’est pas considérée non plus comme un « arrêt » du capitalisme, même si les possibilités de développement sont bloquées de par la prédominance de la surproduction de capital et de la surproduction de marchandises.

    La crise générale du capitalisme consiste en l’instabilité générale de l’économie, des institutions, des mœurs, de l’idéologie dominante, avec en opposition dialectique une activité des masses dans le sens du soulèvement, une tendance à la révolution démocratique anti-impérialiste et la révolution socialiste.

    b) Les phénomènes accompagnant la crise générale du capitalisme

    L’Internationale Communiste s’est organisée comme Parti Communiste à l’échelle mondial afin de fournir un état-major donnant des directives aux communistes de chaque pays. Seul un aperçu mondial permettait, selon elle, de déduire les tactiques adéquates dans chaque pays, la crise générale du capitalisme s’y exprimant de manière spécifique dans le blocage de l’économie, mais en correspondance avec des tendances générales.

    Les phénomènes accompagnant la crise générale du capitalisme étaient, selon l’Internationale Communiste, les suivants :

    – une tendance accrue aux monopoles de la part des entreprises capitalistes afin de chercher à surmonter le manque de débouchés ;

    – une pression renforcée sur les masses, amenant leur paupérisation (relative, absolue), afin de leur faire porter tout le poids d’une relance du capitalisme ;

    – une fuite en avant dans la recherche technique afin de trouver des solutions miracles ;

    – un renforcement agressif de la compétition internationale pour le contrôle des matières premières, des zones d’influence ;

    – une intervention étatique approfondie au service des monopoles ;

    – une instabilité économique avec l’éruption de crises ;

    – une généralisation des initiatives unilatérales par en haut dans le domaine politique ;

    – la soumission de l’appareil social-réformiste à l’appareil d’État et la quête de solution planiste ;

    – une diffusion rapide des idéologies réactionnaires de type mystiques ;

    – un développement urgentiste du fascisme comme mouvement contre-révolutionnaire.

    Ces phénomènes correspondent au déclin du capitalisme, le mouvement communiste étant la résolution dialectique de la crise.

    c) La décadence des classes dominantes et leur remplacement

    Ce qui détermine en fait la nature de la crise générale du capitalisme pour l’Internationale Communiste, c’est à juste titre la question du remplacement des classes dominantes. Ces dernières, entrées en décadence, ne peuvent plus assurer la conduite de la société. Leurs valeurs et leurs décisions n’ont plus d’autre dimension historique que leur propre survie.

    Si ces classes dominantes ont pu jouer auparavant un rôle historiquement positif, elles sont désormais passées de l’autre côté du miroir et sont réactionnaires sur le plan historique.

    Ces classes dominantes se ressemblent d’ailleurs de moins en moins : la passivité bureaucratique prend le pas sur l’esprit d’initiative, les capacités de décision cèdent le pas au relativisme, l’héritage culturelle historique est rejetée au profit d’une fuite en avant subjectiviste.

    La classe ouvrière, elle, se ressemble à elle-même de plus en plus ; elle prend possession de ses moyens historiques et s’affirme politiquement dans une tendance révolutionnaire. Elle cherche à façonner la société selon ses propres valeurs, à conduire les choix de la société dans tous les domaines.

    Au sens strict, la crise générale du capitalisme consiste en le remplacement de l’ancien par le nouveau. L’ancien décline et cède la place au nouveau grandissant.

    d) Le dépassement du capitalisme comme mode de production

    Un mode de production n’est pas une manière avec laquelle sont produites les biens que consomment une société. C’est un type d’organisation productive permettant la reproduction de la vie de l’humanité et son élargissement.

    Cette reproduction de la vie concerne en premier lieu les besoins vitaux, mais s’élargit au fur et à mesure à sa vie culturelle. Cela accompagne le développement des forces productives et les rapport sociaux relatifs à un certain développement des forces productives connaissent une révolution lorsque celles-ci exigent une modification.

    Les grandes étapes marquées par des révolutions consistent en les modes de production : au communisme primitif succède le mode de production esclavagiste, suivi du féodalisme, du capitalisme, du socialisme et du communisme.

    Il ne faut donc pas considérer que le capitalisme serait une « économie » avec d’un côté une certaine forme d’organisation de la production et de l’autre une certaine forme de répartition. Ce n’est en effet qu’un aspect de la question du mode de production ; pour mieux percevoir les choses, il faut raisonner en termes de civilisation, de développement de l’humanité parallèlement à celui des forces productives (et inversement).

    Karl Marx, dans la Critique de l’Économie politique, explique que :

    « Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles.

    L’ensemble de ces rapports forme ; la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle.

    Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.

    A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors, et qui n’en sont que l’expression juridique.

    Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves.

    Alors commence une ère de révolution sociale. Le changement dans les fondations économiques s’accompagne d’un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice.

    Quand on considère ce bouleversements il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l’esprit de rigueur des sciences naturelles.

    Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu’au bout. »

    Un mode de production correspond ainsi à toute une étape historique de l’humanité et absolument tous les domaines sont concernés, tant dans la vie quotidienne que dans la vision du monde, tant dans les normes culturelles que dans les valeurs sociales.

    La crise générale d’un mode de production entremêle tous ces aspects.

    3) La conception erronée d’un capitalisme organisé

    a) Le planisme et le néo-socialisme

    Le remplacement de l’ancien par le nouveau implique de considérer que tout phénomène relève du mouvement dialectique. Si on adopte un autre point de vue, alors la crise générale du capitalisme ne peut pas être générale. Elle est au mieux un fait, mais conditionné par des choix et des situations.

    Ainsi, les réformistes ont affirmé que le capitalisme en crise devait avoir comme réponse non pas le changement des classes dominantes et le dépassement du capitalisme comme mode de production, mais des modifications en profondeur dans le système économique capitaliste.

    Cela aboutit notamment aux idéologies « planiste » et « néo-socialiste » des années 1930 qui firent de toute aile du réformisme un mouvement en convergence avec le fascisme. Une figure majeure de cette convergence fut Henri de Man, dont le Parti Ouvrier Belge s’aligna sur le principe « Le Plan, tout le Plan, rien que le Plan ». Il fallait organiser le capitalisme pour le modifier, l’améliorer, le changer et mettre de côté toute autre considération.

    En 1926, Henri de Man expliquait dans Au-delà du marxisme :

    « Pour le marxisme, la révolution sociale – la crise finale qui doit résoudre la tension entre Bourgeoisie et Prolétariat, entre Capitalisme et Socialisme – ressemble à s’y méprendre à un mouvement de forces mécaniques, tel qu’il résulte du choc de deux corps. Son contenu est donc donné a priori et une fois pour toutes (…).

    Les expressions telles que capitalisme et socialisme ne désignent pas des phénomènes empiriques qui appartiennent au monde des réalités. Ce ne sont que des catégories, des produits de l’abstraction conceptuelle. Il n’y a aucune réalité qui corresponde soit au concept capitalisme, soit au concept socialisme.

    Le socialisme en particulier n’est qu’une hypothèse, la représentation d’un ordre social possible, ou plutôt de certains traits schématiques et caractéristiques d’un tel ordre, qui n’existe pas encore et qui n’a jamais existé.

    Mais le concept capitalisme lui aussi ne correspond qu’à une représentation conçue dans notre cerveau (…).

    Qui pourrait dire : à tel moment et à tel endroit le féodalisme prit fin et fit place au capitalisme ? Dans la société actuelle, les formes économiques les plus diverses coexistent (…). Un antagonisme comme celui qui s’exprime dans l’antithèse marxiste Capitalisme-Socialisme est un état de mentalité et non un fait de la réalité objective. »

    Il n’y aurait pas de camp figé ni de « capitalisme » en soi : il ne pourrait donc pas y avoir de crise générale du capitalisme, seulement une crise à laquelle il faudrait répondre par un plan cherchant à mobiliser le plus largement possible.

    b) la social-démocratie

    Une autre conception du capitalisme organisé au sein des réformistes fut développé par toute une série d’intellectuels historiques de la social-démocratie, dont Karl Kautsky et Rudolf Hilferding. En Russie, Boukharine s’aligna sur cette même conception. Ils écrivirent de nombreuses analyses où ils affirmèrent que si le capitalisme peut connaître une crise, la tendance au monopole l’emporte inéluctablement.

    Or, si les monopoles l’emportent, alors cela sera la paix mondiale et l’absence de crise, de par un capitalisme désormais unifié et organisé. Il suffirait ensuite de prendre le contrôle de ces monopoles à un moment pour que ce soit le socialisme.

    Boukharine résume tout à fait cette conception en disant en 1929 dans un article de la Pravda, « La théorie de la « gabegie organisée » », pour lequel il sera critiqué pour déviationnisme social-démocrate, que :

    « Aujourd’hui le capitalisme d’État grandit sur une nouvelle base.

    Dans un certain sens, toutes réserves faites sur la nature relative de l’analogie, on peut dire que le capitalisme d’État contemporain, dans les pays capitalistes « avancés », est comparable au capitalisme d’État de [la période de mobilisation générale pendant la guerre de ] 1914-18 (…).

    Dans les pays capitalistes la question n’est plus celle d’une théorie de l’économie planifiée dans une forteresse assiégée (le « capitalisme d’État de guerre »), mais concerne l’analyse des tendances vers le capitalisme d’État qui se développe dans un système capitaliste « normal ». »

    Le capitalisme d’État correspondrait à une rationalisation du capitalisme, ce qui serait positif et irait dans le sens d’une meilleure organisation, donc du « socialisme », ce dernier étant conçu comme principe d’organisation seulement.

    Si crise du capitalisme il peut y avoir, cela ne peut être nullement une crise générale, seulement une crise relative, car le principe d’organisation permettrait au capitalisme de surmonter lui-même ses problèmes internes, allant ainsi indirectement au socialisme.

    c) Le « capitalisme monopoliste d’État »

    La conception du « capitalisme organisé » après 1918 fut remise en avant par l’économiste Eugen Varga, plaçant cette fois le curseur en 1945. La seconde guerre mondiale aurait amené un interventionnisme d’État majeur aboutissant à une rationalisation du capitalisme par l’appareil d’État.

    Eugen Varga explique dans Le Capitalisme du XXe siècle, publié en 1961, que :

    « Le capitalisme monopoliste d’État qui a émergé durant la première guerre mondiale s’est pleinement développé (…).

    Le capitalisme monopoliste d’État est l’alliance des forces des monopoles et de l’État bourgeois (…), effectué principalement sous la forme de la fusion des monopoles et de la machine d’État.

    Les monopoles envoient leurs représentants à des postes dirigeants dans le gouvernement, comme ministres, sénateurs ou membres du parlement.

    La réciproque est également vrai – des généraux, des diplomates et des ministres quittent fréquemment le service du gouvernement pour des postes hautement payés dans les monopoles. L’alliance prend aussi la forme de décisions communes au sujet de questions économiques importantes (…).

    Le capitalisme monopoliste d’État pleinement développé se manifeste principalement par la régulation étatique de l’économie, des entreprises possédées par l’État et l’appropriation et la redistribution d’une plus part du revenu national par l’État. »

    Il ne peut donc plus y avoir de crise générale du capitalisme, puisque le capitalisme est désormais organisé par l’État, présenté comme neutre, et qu’il suffirait de contrôler pour parvenir à contrôler le capitalisme.

    d) Le corporatisme

    Une partie des réformistes n’accepta pas l’idée que le capitalisme organisé puisse passer par les monopoles et prolongea la conception planiste jusqu’au bout. Cela donne l’idéologie corporatiste, qui considère qu’il n’y a pas tant un capitalisme ou un socialisme – c’est le point commun avec le planisme – qu’une communauté générale d’intérêt.

    Il faut donc l’unité du capital et du travail au moyen d’une vaste organisation en corporations, au service de l’ensemble social ayant une dimension nationale. C’est le fascisme italien, le national-socialisme allemand, l’État corporatiste autrichien, ainsi que toutes les variantes espagnole, portugaise, hongroise, roumaine, slovaque, ukrainienne, polonaise, etc.

    Le corporatisme ne considère pas qu’il y a un capitalisme qui est en crise, mais une dégénérescence de la société sur le plan des idées et de l’organisation. Le fascisme se présente comme un mouvement régénérateur des élites devant mettre en place une organisation adéquate de la société.

    Il est l’expression de l’autodéfense du mode de production capitaliste, sous la direction de l’oligarchie utilisant la petite-bourgeoisie comme levier.

    4) L’approfondissement du capitalisme au-delà de la première crise

    a) Le dépassement de la première crise

    Il n’est pas possible de saisir la crise générale du capitalisme de manière statique, formelle, car elle forme tout un processus. Voilà pourquoi Karl Marx, dans Le capital, utilise à de nombreuses reprises l’expression ceteribus partibus lors de ses explications d’un aspect du capitalisme.

    Cela signifie « toutes choses étant égales par ailleurs », comme si on se fondait sur une analyse de la chose « pure », isolément, abstraitement séparée, dans un cadre statique, ce qui n’est jamais réel mais est nécessaire pour les besoins de l’aperçu explicatif général.

    Concrètement, la crise générale du capitalisme n’a pas un « point départ » ni un « arrêt ». Comme elle concerne tous les aspects de la vie (car elle est interne à un mode de production et non pas une « économie »), elle est une expression de tout un mouvement historique.

    Et le mode de production capitaliste a réussi à s’arracher à sa première crise générale. La raison en est que les facteurs antagoniques n’ont pas joué à plein là où ils le devraient : l’échec des révolutions dans la partie orientale de l’Europe a notamment permis une stabilisation relative dans la partie occidentale, puis le fascisme et l’avancée vers la guerre ont fourni une dynamique suffisante pour tenir dans l’entre-deux guerre.

    Après 1945, plusieurs facteurs déjà présents sont alors intervenus en acquérant une qualité nouvelle, repoussant au loin la crise générale en relançant les forces productives.

    Le capitalisme américain déjà puissant et le capitalisme japonais en développement avaient été les maillons forts du capitalisme lors de la première crise générale.

    C’est pour cette raison qu’après 1945 le capitalisme américain joua le rôle d’aiguillon historique et d’orientation systématique au capitalisme mondial, en profitant du capitalisme japonais ainsi que capitalisme allemand de l’Ouest du pays qui avait été très largement préservé des destructions.

    Le capitalisme n’a ainsi pas dépassé sa première crise générale pour des raison extérieures, mais de manière interne car des facteurs secondaires sont devenus principaux, permettant une relance du capital, de la production, de la consommation.

    Ces facteurs sont nés dans la crise, par la crise et sur le terrain de la crise, pour répondre à la crise, amenant un dépassement relatif de la crise pour toute une vaste période.

    b) L’utilisation des animaux et la systématisation

    Le capitalisme américain a historiquement pu profiter de l’absence d’obstacles économiques et culturels pour se développer pleinement, tout en étant constamment renforcée par une immigration apportant tant de la main d’œuvre que de nouvelles qualifications.

    C’est le passage extrêmement rapide à une grande densité qui a permis au capitalisme américain de trouver de nouvelles voies, telles le travail à la chaîne organisée sur des assemblages, dont le modèle fut les abattoirs de Chicago, préfigurant les usines de Ford à Detroit. Il ne s’agit pas que du développement de l’organisation du travail, mais bien de la systématisation de l’appropriation capitaliste de tous les aspects possibles de la production et de la consommation.

    L’écrivain français Paul Bourget constate déjà en 1893 :

    « Je ne sais qui a dit plaisamment qu’un porc entrait à l’abattoir de Chicago pour en ressortir un quart d’heure après, jambon, saucisson, saucisse, pommade à la graisse et reliure de Bible.

    C’est l’exagération humoristique, mais à peine chargée, du travail hâtif et minutieux que nous voyons s’accomplir sur les bêtes tuées tout à l’heure devant nous, et la distribution de ce travail, sa précision, sa simplicité, sa suite ininterrompue nous font oublier la férocité, utile mais intolérable, des scènes auxquelles nous avons assisté.

    Dans l’immense salle, des comptoirs se succèdent, placés sans trop d’ordre à la suite les uns des autres. Chaque membre de l’animal est détaché et utilisé, sans qu’un tendon ou un os soit perdu. »

    La croissance naturelle des animaux a été intégrée au capitalisme et ceux-ci modifiés génétiquement afin d’encore plus contribuer à l’extension et l’intensification de la production. Les animaux ont été employés de manière dantesque dans la production, principalement pour l’alimentation mais également dans toute une série d’autres domaines, absolument tout étant récupéré par la machinerie capitaliste œuvrant à se systématiser.

    C’est ce processus qui amène la systématisation des farines raffinées, de McDonald’s et sa mécanique parfaitement rodée au point d’être le symbole du capitalisme américain, de Coca Cola, exemple même de l’utilisation massive du sucre comme moyen de former de nouveaux marchés en faussant tout le rapport naturel du métabolisme à l’alimentation, en aliénant le rapport naturel à celle-ci.

    Le capitalisme façonne tout un chacun comme simple consommateur individuel dont les comportements et les attitudes doivent s’insérer dans une consommation capitaliste présente à tous les niveaux.

    La chirurgie esthétique, le changement systématique de tout le dentier des stars hollywoodiennes, la « trans-sexualité », la Gestation Pour Autrui… chaque individu ne doit plus exister que par ses choix de consommation, dans tous les domaines, sans aucune limite autre que les possibilités techniques.

    c) Le développement technique-technologique et l’encadrement

    Le capitalisme a systématisé sa présence à tous les niveaux de la vie individuelle, en forçant sa pénétration dans tous les domaines possibles, et pour cela il a profité du développement technique et des avancées technologiques. Les calculateurs, l’automation, la robotisation, l’informatique… ont incroyablement facilité l’intensification capitaliste.

    Moins le capitalisme a été capable de produire des savants, des théories, des conceptions, plus il a reposé son approche sur le calcul des possibilités, les statistiques obtenus de manière toujours plus massive.

    Il a fallu, afin de mettre cela en place, non seulement former une vaste couche de cadres, ingénieurs et techniciens, mais également renforcer toujours davantage le réagencement de l’organisation capitaliste, au moyen d’une participation accrue des syndicats. La formation d’une aristocratie ouvrière extrêmement puissante a été un levier essentiel pour la modernisation capitaliste et la mobilisation passive des masses au sein des nouvelles formes productives.

    Le formidable développement des réseaux de communication (courrier, colis, téléphone, télex, fax, internet, etc.) a été également un accélérateur de l’intensification et de l’extension du capitalisme à toujours plus de domaines.

    Dans ce contexte, tout le mouvement ouvrier a, à partir des années 1950 et parallèlement au révisionnisme soviétique, basculé dans les pays capitalistes dans un soutien intérieur au capitalisme, alors que la classe ouvrière s’est retrouvée rivetée à la production en échange d’une progression matérielle individuelle avec un accès à la propriété.

    L’immense consensus qui s’en est produit – la CGT et son bras politique le P«C»F étant en France le principal obstacle au mouvement de mai 1968 – a permis au capitalisme d’approfondir son expansion et de parvenir à de véritables rapports internationaux le servant.

    d) Le division mondiale du travail

    La décolonisation a été un puissant moteur pour le capitalisme. En effet, le modèle économique colonial était arriéré, alors que la mise en place d’États indépendants en apparence, mais semi-féodaux semi-coloniaux en réalité, permettaient leur intégration modernisée dans la division mondiale du travail.

    La gestion directe par un capitalisme bureaucratique de monocultures tels l’huile de palme et le soja, aux croissances très fortes et à ce titre très utiles à l’intensification capitaliste, a été un vecteur immense de l’accumulation capitaliste à l’échelle mondiale. Mais cela est vrai en général pour toutes les matières premières, depuis le café jusqu’aux métaux rares, ainsi que pour la transformation de pays en ateliers géants, voire en usines géantes comme la Chine.

    L’intégration de la Chine dans le dispositif capitaliste, à partir de la fin des années 1970, a ici apporté un immense développement au capitalisme mondial. Il a également été profité de l’intégration de l’ensemble des pays de l’Est européen alors que la superpuissance social-impérialiste soviétique s’était effondrée, permettant à la superpuissance américaine mais également à l’impérialisme allemand de grandement en profiter.

    Le développement de l’Union européenne comme marché unifié est ici exemplaire également de toute une période de stabilité et de consensus, avec des crises ne marquant que des temps d’arrêt et n’empêchant pas une intensification capitaliste et une extension toujours plus grande de ses domaines.

    5) La découverte de la modernisation du capitalisme

    a) Une mise en perspective approfondie par le maoïsme

    Chaque passage d’une étape à une autre exige un renversement dans tous les domaines. Il ne s’agit pas seulement de l’économie, mais de toutes les approches concernant la vie. Ce sont les communistes chinois, avec Mao Zedong à leur tête, qui ont saisi de manière bien plus approfondie cette question, à travers la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    En constatant le triomphe du révisionnisme en URSS à partir de 1953 et en saisissant les contradictions propres à une société socialiste, les communistes chinois ont saisi l’ampleur des questions idéologiques et culturelles qui sont en jeu dans le processus révolutionnaire.

    En 1975, dans De la dictature intégrale sur la bourgeoisie, Zhang Chunqiao qui fut l’une des figures de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne explique que :

    « Tout changement important du système de propriété au cours de l’histoire, tant lors de la substitution du système féodal à l’esclavagisme que pendant celle du capitalisme au féodalisme, a invariablement commencé par la prise du pouvoir, pour passer ensuite, en s’appuyant sur la force du pouvoir conquis, à la transformation sur une vaste échelle de la propriété, et à la consolidation et au développement du nouveau système de propriété (…)

    Réfléchissons un peu, camarades.

    Si, au lieu de comprendre les choses ainsi, on s’emploie, en théorie comme dans la pratique, à limiter, tronquer et altérer le marxisme, à faire de la dictature du prolétariat un mot creux, à mutiler la dictature intégrale sur la bourgeoisie, et que l’on exerce cette dictature dans certains domaines seulement, et non pas dans tous les domaines, à une certaine étape seulement (par exemple avant la transformation du système de propriété) et non pas à toutes les étapes ; autrement dit, si, au lieu de détruire totalement tous les « villages fortifiés » de la bourgeoisie, on en conserve quelques-uns et qu’on la laisse élargir à nouveau ses effectifs, n’est-ce pas préparer là des conditions à la restauration de la bourgeoisie et faire de la dictature du prolétariat un paravent de la bourgeoisie, notamment de la bourgeoisie nouvellement engendrée ? »

    En comprenant de manière meilleure la question de la restauration, les communistes chinois indiquent en même temps les exigences du chemin révolutionnaire. L’ancien régime possède des « villages fortifiés » qui lui permettent de reprendre le dessus si son affaiblissement n’est pas poussé jusqu’au bout et concerne tous les domaines de la vie.

    Cette manière de voir les choses en profondeur a permis de saisir davantage l’ensemble des aspects du capitalisme et leur interaction.

    b) La fin de la première crise générale du capitalisme

    La première crise générale du capitalisme a été considérée comme irrépressible par l’Internationale Communiste ; Lénine pensait que le processus de la révolution mondiale se déroulerait relativement rapidement. Il a ensuite été compris que le processus serait complexe et prolongé, que le déclin du capitalisme connaissait par endroits des contre-tendances.

    L’irruption du fascisme comme mouvement conquérant le pouvoir dans toute une série de pays et la marche à la guerre impérialiste ont alors précipité les choses. La question était en 1945 de savoir quelle serait la substance de la situation.

    Les communistes ont alors fait l’erreur de considérer que la situation n’était que le prolongement du passé et qu’un paupérisation générale se produisait. L’ensemble des analyses communistes produits après 1945 se fonde sur un capitalisme qui serait en train de s’effriter et dont il faudrait simplement accompagner un inévitable tassement jusqu’à l’effondrement.

    Cette analyse totalement erronée, alors que se produisait une gigantesque vague d’accumulation capitaliste, a largement contribué à la désagrégation du Mouvement Communiste International alors que le révisionnisme s’infiltrait déjà, notamment à travers la thèse de « l’accompagnement » de la crise capitaliste, par des moyens pacifiques car le phénomène irait de lui-même.

    c) La compréhension de la relance du capitalisme après 1945

    Les communistes chinois ont repoussé l’ensemble des thèses révisionnistes, mais ils n’ont pas étudié la question de la crise générale du capitalisme. Cela a posé un énorme problème dans les pays impérialistes, car les avant-gardes ont alors cherché à expliquer la stabilité du capitalisme en reprenant la thèse révisionniste du « capitalisme monopoliste d’État » d’Eugen Varga.

    L’État « socialiserait » les pertes et « organiserait » le capitalisme pour les monopoles. Accepter cette lecture du révisionnisme, c’était se mettre dans son orbite et disparaître, ou bien se précipiter dans un volontarisme relevant de l’idéalisme.

    Heureusement, il y a eu des avant-gardes des pays impérialistes qui n’ont pas basculé dans cette réduction « marxiste-léniniste » du capitalisme à une « économie », car ayant réellement compris le sens profond de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Des organisations comme la Fraction Armée Rouge en Allemagne de l’Ouest et à Berlin-Ouest et le Collectif Politique Métropolitain en Italie ont saisi le 24 heures du 24 du capitalisme. La Fraction Armée Rouge affirme avec justesse en 1972 :

    « Le fait est que l’exploitation dans le domaine de la production a pris une forme jamais atteinte de charge physique, un degré jamais atteint de charge psychique, avec l’éparpillement plus avancé du travail s’est produite et développée une terrifiante augmentation de l’intensité du travail.

    Le fait est qu’à partir de cela, la mise en place des huit heures de travail quotidiennes – le présupposé pour l’augmentation de l’intensité du travail – le système s’est rendu maître de l’ensemble du temps libre des gens.

    À leur exploitation physique dans l’entreprise s’est ajoutée l’exploitation de leurs sentiments et de leurs pensées, de leurs souhaits et de leurs utopies – au despotisme des capitalistes dans l’entreprise s’est ajouté le despotisme des capitalistes dans tous les domaines de la vie, par la consommation de masse et les médias de masse.

    Avec la mise en place de la journée de huit heures, les 24 heures journalières de la domination du système sur les travailleurs a commencé sa marche victorieuse – avec l’établissement d’une capacité d’achats de masse et la « pointe des revenus », le système a commencé sa marche victorieuse sur les plans, les besoins, les alternatives, la fantaisie, la spontanéité, bref : de tout l’être humain !

    Le système a réussi à faire en sorte que dans les métropoles, les masses sont tellement plongées dans leur propre saleté, qu’elles semblent avoir dans une large mesure perdu le sentiment de leur situation comme exploitées et opprimées.

    Cela, de telle manière qu’elles prennent en compte, acceptant cela tacitement, tout crime du système, pour la voiture, quelques fringues, une assurance-vie et un crédit immobilier, qu’elles ne peuvent pratiquement rien se représenter et souhaiter d’autre qu’une voiture, un voyage de vacances, une baignoire carrelée.

    Il se conclut de cela cependant que le sujet révolutionnaire est quiconque se libère de ces encadrements et qui refuse de participer aux crimes du système.

    Que quiconque trouve son identité dans la lutte de libération des peuples du tiers-monde, quiconque refuse de participer, quiconque ne participe plus, est un sujet révolutionnaire – un camarade. »

    Si la Fraction Armée Rouge a surestimé cette dimension du rupture, il n’en reste pas moins qu’il y a une part indéniable de vérité quant à la neutralisation des pays impérialiste alors que l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie devenaient la « zone des tempêtes ».

    C’est pourquoi le concept de « poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialiste » fut forgé en Italie afin d’avoir un aperçu correct de cette question du 24 heures sur 24 du capitalisme.

    d) La découverte de la systématisation du capitalisme

    C’est sur le terrain de l’opposition au 24 heures sur 24 du capitalisme que se sont développés, entre 1945 et 2020, les mouvements révolutionnaires authentiques dans les métropoles impérialistes. Ils ne sont pas partis du fait que le capitalisme moderne amènerait moins d’exploitation, mais au contraire qu’il l’approfondirait d’une manière intense, au point d’amener une aliénation générale.

    Ils ont, en pratique, compris que plus le capitalisme se développe, plus il écrase, appauvrit, abrutit les masses, par encore plus d’exploitation physique et psychique, encore plus de dégradation morale. Karl Marx, dans Le capital, souligne de la manière suivante ce rapport dialectique entre le développement du capitalisme et l’écrasement des prolétaires sur le plan humain :

    « Mais toutes les méthodes qui aident à la production de la plus-value favorisent également l’accumulation, et toute extension de celle-ci appelle à son tour celles-là.

    Il en résulte que, quel que soit le taux des salaires, haut ou bas, la condition du travailleur doit empirer à mesure que le capital s’accumule.

    Enfin la loi, qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation et celui de la surpopulation relative, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher.

    C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

    C’est ainsi sur le terrain de la rébellion au 24 heures sur 24 du capitalisme, son exploitation, son aliénation, que s’est formée la résistance allant historiquement dans le sens de l’affirmation communiste. Ce processus a été différent selon les situations historiques.

    Le Front de Libération Animale s’est formée comme vague populaire en Grande-Bretagne, pays où la problématique animale était apparue en premier au XIXe siècle, au moment de la cynique généralisation industrielle de l’emploi des animaux dans l’industrie alimentaire, les cosmétiques et pour les tests en général.

    Les États-Unis, pays de grands espaces, ont connu un vaste mouvement d’écodéfense, comme avec le Front de Libération de la Terre ; en Belgique, c’est dans l’opposition aux initiatives impérialistes dans le cadre de l’OTAN et à l’intégration du prolétariat qu’est apparue la contestation réelle du capitalisme.

    L’Italie a connu le basculement de secteurs du prolétariat dans l’autonomie prolétaire afin de remplacer l’État réactionnaire par le pouvoir concret des masses comme nouvel État ; en Allemagne, bastion capitaliste, il y a eu la centaine de logements occupés à Berlin-Ouest puis dans le Berlin réunifié avec les autonomes, dans une critique de la vie quotidienne allant jusqu’à la confrontation avec les initiatives impérialistes.

    Les années 1980, apogée de la rébellion dans les pays impérialistes, ont été marqué par l’espoir de former un front de toutes les dynamiques de rupture avec le mode de vie impérialiste.

    Cependant, l’effondrement du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine dans le circuit capitaliste mondial ont totalement anéanti les fondements mêmes de la démarche, en raison d’un capitalisme sorti renforcé et élargi, profitant également de progrès techniques et technologiques.

    6) La seconde crise générale du capitalisme

    a) Le covid-19 comme expression d’une crise d’expansion

    L’intégration de la Chine comme atelier, puis usine majeure du monde, a permis un très grand élan du capitalisme, la crise du covid-19 étant son expression directe. Le PCF(mlm), dans son document de mars 2020 au sujet de cette question, pose que :

    « L’irruption d’une souche de coronavirus particulière, jamais encore identifiée chez l’être humain, ne doit rien au hasard.

    C’est un produit – entièrement nouveau, un saut qualitatif du virus – de la collision entre les villes et les campagnes provoquée par le mode de production capitaliste (MPC).

    Ces villes et ces campagnes sont, qui plus est, elles-mêmes largement façonnées par le MPC, ce qui est vrai du mode de vie de l’humanité en général.

    Et tout cela se déroule de manière planétaire. Il ne faut donc pas penser que la crise sanitaire vienne de l’extérieur de l’humanité, de l’extérieur du MPC, bien au contraire.

    Elle naît de l’intérieur même du MPC et du monde qu’il a formé à son image. Un monde qui n’est nullement fini, ferme, stable, permanent… et qui s’effondre sous les coups de boutoir de ce qui est nouveau, exponentiel, en rupture (…).

    La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est directement issue du développement du MPC en Chine, développement monopoliste et bureaucratique, avec des métropoles établies en peu de temps et engloutissant tout leur entourage (…).

    Ces sauts entre espèces de virus, qu’on ne trouve pas en situation naturelle, deviennent récurrents en raison de la situation imposée par le MPC.

    Tout le monde a pour cette raison entendu parler du VIH, d’Ebola, des grippes aviaires, des grippes porcines. La grippe dite espagnole, qui a tué entre 20 et 100 millions de personnes en 1918, est de ce type également ; provenant d’un élevage d’animaux aux États-Unis, elle reflète le début de la généralisation du rapport dénaturé à la vie.

    Le MPC produit, par son action (et son inaction), des phénomènes destructeurs, naissant de la contradiction entre lui et la vie sur Terre.

    Rien de tout cela n’est cependant saisissable par le MPC, qui ne cerne la réalité qu’au moyen de statistiques, du « big data », de l’évaluation quantitative de données. 

    Le principe du développement qualitatif est étranger au MPC. »

    Le capitalisme a connu une expansion telle qu’il s’attaque désormais directement à la dimension biologique et provoque des situations nouvelles, explosives, montrant que la limite a été franchie et que désormais la tendance est unilatéralement à la destruction.

    b) La décadence complète des valeurs dominantes

    Le capitalisme lessive en général toutes les consciences ; la Fraction Armée Rouge constatait déjà en 1982 que :

    « L’impérialisme ne dispose plus d’aucune perspective productive, positive; il n’est plus que destruction. C’est là l’essentiel de l’expérience où s’enracine la nouvelle militance dans tous les domaines de la vie.

    Cette expérience est vécue de façon matérielle dans la base économique de la vie, dans l’armement et la préparation de la guerre nucléaire, dans celle des conditions de vie naturelles et sociales, et à l’intérieur de l’individu lui-même, où l’aliénation et l’oppression s’expriment par une déformation massive et la destruction de toute la richesse individuelle de la pensée, de la sensibilité, de la structure de la personnalité. La plupart en perdent tout espoir.

    L’impérialisme dans les centres a perfectionné et systématisé sa domination au point qu’ils ne trouvent plus la force de résister.

    Taux de suicides en forte augmentation, fuite dans la maladie, l’alcool, les tranquillisants, les drogues, voilà la réaction à la réalité d’une longue histoire d’échecs, d’épreuves et de souffrances, de dépolitisation, alors que la violence extérieure n’est plus perçue comme la cause de tout cela. »

    C’est encore plus vrai dans la séquence commencée en 1989, qui a de plus profité de l’effondrement littéral de toutes les résistances s’étant affirmé dans les années 1980.

    Les années 1990-2010 ont été une traversée du désert pour les avant-gardes communistes des pays impérialistes, et même dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux qui ont été entraîné dans le développement capitaliste.

    La révolte durant cette période a été façonnée par le capitalisme comme révolte contre soi-même : au lieu de changer le monde, on change d’identité, de « sexe », de communauté, on tombe dans le sado-masochisme, les drogues, l’alcool, etc.

    Le choix par une consommation « différente » est esthétisée en moyen de devenir soi-même, alors qu’en réalité dans le capitalisme les consciences sont aliénés et les personnalités déformées.

    Le capitalisme a réussi à former un gigantesque marché aux idées où le nationalisme répond au communautarisme, l’idéologie LGBT au traditionalisme, l’antispécisme au repli localiste, la religion à l’hédonisme, l’esprit mafieux à la démarche de l’entrepreneuriat capitaliste dans le secteur informatique, le hardcore gamer entièrement tourné vers les jeux vidéos à l’utilisateur de réseau sociaux fascinés par le luxe dans la mode, etc.

    Ces idéalismes n’existent que sur le terreau de l’aliénation et de la neutralisation du tissu prolétarien permettant la lutte des classes.

    C’est la raison pour laquelle ils imprègnent toujours plus la société et dissolvent même les anciens conservatisme, afin de former autant de « villages fortifiés » capitalistes.

    c) L’affrontement entre les deux superpuissances américaine et chinoise

    Les années 1980 ont été des années de tension extrême, où le risque de guerre impérialiste, sur le territoire de l’Europe de l’Ouest, a été majeure. C’est de là que partait toute conception révolutionnaire authentique. L’effondrement du social-impérialisme soviétique a permis au capitalisme de faire croire qu’il formait désormais une utopie consumériste, mais la tendance à la guerre n’en est que revenue plus forte.

    La crise générale du capitalisme s’exprime également par la formation de deux protagonistes en opposition frontale pour l’hégémonie mondiale, en l’occurrence la superpuissance impérialiste américaine dominante et l’outsider qu’est la Chine mettant en place sa dimension de superpuissance.

    La crise du covid-19 est issue de la montée en puissance de la Chine vers le statut de superpuissance et des immenses destructions que cela a exigé dans l’environnement et dans le mode de vie. C’est une marche forcée d’autant plus importante que la Chine a grandi précisément dans la relance du capitalisme après 1989 et qu’elle en est une composante essentielle.

    L’affrontement entre les deux superpuissances n’est ainsi pas un arrière-plan contextuel, mais bien une composante de la crise générale du capitalisme. Dans tous les domaines, le capitalisme amène l’improductivité ou bien les conflits destructeurs.

    d) Paralysie économique et implosion de la société

    Le covid-19 a impliqué une paralysie de l’économie en raison du confinement, montrant que la croissance chaotique capitaliste était rentrée en contradiction avec la vie elle-même. En démantelant les réalités naturelles, que ce soit avec les immenses fermes industrielles, la négation des sexes au nom des « genres », le culte des apparences virtuelles, la malbouffe, etc., le capitalisme a soulevé une pierre qu’il a fait retomber sur ses pieds.

    L’expansion a été telle que désormais, la surproduction de capital et la surproduction de marchandises sont à l’ordre du jour, alors que d’immenses monopoles sont présents sur la planète. Ceux qui décident toujours plus des orientations, ce sont Nestlé, Danone, VISA, Amazon, Microsoft, LVMH, Berkshire Hathaway, Johnson & Johnson, JPMorgan Chase, Coca Cola, McDonald’s, AT&T, Walmart, Toyota, Siemens, etc.

    Le capitalisme voit son élan cassé et son consensus se briser dans ses maillons faibles, aboutissant à une implosion de la société. Ce processus n’a pas été « causé » par la crise du covid-19, il s’agit d’un mouvement général, avec une marée montante de la seconde crise générale du capitalisme.

    La société relevant du mode de production capitaliste n’existe que comme fuite en avant, avec des individus isolés portant des projets utiles à l’expansion du capital. Lorsque la machine se grippe, le capitalisme devient comme un pantin désarticulé. Son déclin s’exprime à tous les niveaux et ce déclin correspond, dans les faits, à l’affirmation de la proposition stratégique communiste, au remplacement de l’ancien par le nouveau.

    7) La révolution mondiale comme réponse

    a) Le mouvement dialectique crise – révolution

    Le processus révolutionnaire n’existe pas indépendamment du mode de production ; il est le miroir de son déclin. Il n’y a pas de sens non plus à séparer les conditions objectives des conditions subjectives, car les deux sont liées : s’il y a les conditions objectives mais pas les conditions subjectives, c’est que la lutte des classes n’est pas arrivé encore à ébranler et démanteler les « villages fortifiés » capitalistes, que ceux-ci restent des cibles.

    Ce qu’on appelle « guerre populaire », c’est le processus de conquête du pouvoir par la classe ouvrière et ses alliés, sous la direction de la classe ouvrière, qui correspond au déclin des forces capitalistes ayant le pouvoir entre leurs mains.

    Il ne peut pas y avoir de révolution qui soit séparée de la crise, car la crise est la révolution et inversement. La crise contient elle-même des étapes et ces étapes sont elles-mêmes celles de la révolution.

    Le Parti Communiste du Pérou, en 1988, souligne bien que la révolution démocratique se déroule par rapport à la « crise générale du capitalisme bureaucratique » et que ses modalités sont déterminantes dans le processus.

    La guerre populaire est la réponse au fait que le capitalisme, au Pérou, est rentré dans un cul-de-sac : sa crise générale est la guerre populaire et inversement.

    « L’État, dirigé par la bourgeoisie bureaucratique, devient donc le moteur de l’économie, mais c’est durant ce moment de l’histoire que l’économie entre dans une grave crise. Et le troisième moment, qui s’ouvre à partir de 1980 et qui se poursuit est celui du début de la crise généralisée du capitalisme bureaucratique et de sa destruction finale ; ce moment s’amorce avec la guerre populaire.

    Ce capitalisme qui est né, malade, en état critique, pourri, lié à la féodalité et soumis à l’impérialisme, entre en une crise générale en ce troisième moment et court à sa destruction sans que rient ne puisse le sauver (…).

    Le troisième moment est marqué par le début de la guerre populaire, sous la direction du PCP , jalon transcendant de l’histoire et qui la change radicalement par le bond qualitatif supérieur que représente la prise du Pouvoir au moyen de la force armée et de la guerre populaire.

    Tout cela prouve l’aspect politique du capitalisme bureaucratique, qui apparaît à peine, et que le Président Gonzalo considère comme un aspect clé, car le capitalisme bureaucratique fait mûrir les conditions pour la révolution et, aujourd’hui, quant il entre dans son étape finale, il fait mûrir les conditions pour le développement et le triomphe de la révolution. »

    Ce qui est vrai pour le capitalisme bureaucratique dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux est valable pour les pays impérialistes, avec le capitalisme monopoliste. Leur nature parasitaire correspond au tassement du capitalisme, à l’arrivée à sa limite. Chaque pays connaît sa propre expression de la crise, le capitalisme ayant un parcours déterminé dans un cadre national.

    b) La crise d’envergure nationale

    La crise générale du capitalisme implique la mobilisation toujours plus grande des secteurs de la société, dans une situation donnée, formée dans un cadre national déterminé. Le fascisme vise justement à détourner les masses mobilisées par la crise pour les orienter vers l’option réactionnaire.

    Lénine, dans La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), précise de la manière suivante comment la crise et la révolution sont étroitement liés comme pôle d’une contradiction dans un pays :

    « La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois.

    C’est seulement lorsque « ceux d’en bas » ne veulent plus et que « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes: la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs).

    Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut: premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle ; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement. »

    c) Le programme et la formation d’un nouvel État

    La question du pouvoir d’État est central dans la dialectique crise – révolution ; elle en est la substance. Le remplacement d’une classe dominante par une autre, afin d’assurer la direction de la société et de l’orienter vers le positif et non le négatif, est une exigence historique.

    La démocratie populaire, comme alliance anti-monopoliste, est la clef pour faire face au capitalisme en déclin, dominé par les monopoles et allant à la guerre. La démocratie populaire aboutit, de manière ininterrompue, au socialisme, car elle s’aligne déjà sur la résolution révolutionnaire des contradictions villes / campagnes et travail manuel / travail intellectuel.

    Telle est le noyau de l’orientation du programme révolutionnaire, et cela quelle que soit la composition concrète de celui-ci réalisé dans le parcours concret, qui est spécifique à chaque pays de par les conditions particulières du capitalisme.

    Les Brigades Rouges, dans leurs Vingt thèses finales en 1980, affirment la chose suivante quant aux points nodaux de la séquence révolutionnaire :

    « Sans un Programme de Transition au Communisme, qui explique les objectifs sociaux de la guerre, il n’est pas possible de localiser toutes les composantes prolétariennes qui y sont objectivement intéressés.

    Ce programme, d’autre part, ne naît pas de rien, mais de dix années de luttes prolétariennes, de critique pratique et radicale de l’usine et de la formation sociale capitaliste, il dispose de grandes lignes qui ont été esquissées dans son contenu essentiel, que nous pouvons résumer ainsi :

    – réduction du temps de travail : travailler tous, travailler moins ; libération massive du temps social et construction des conditions sociales pour son utilisation évoluée ;

    – recomposition du travail manuel et du travail intellectuel, de l’étude et du travail, pour chaque individu et pour tout son temps de vie ;

    – renversement de l’exercice du pouvoir et des flux de conception de la finalité collective, à tous les niveaux de la vie sociale :

    – restructuration de la production, du rapport homme-nature, sur la base des valeurs d’usage collectivement définis et historiquement possibles ;

    – remise à plat de notre formation sociale suivant les principes d’un internationalisme prolétarien effectif. »

    d) Le Parti, avant-garde du système de pouvoir populaire

    Dans le parcours de la crise générale du capitalisme, il y a un détachement, pas à pas, de différents secteurs populaires, strate par strate, par rapport au consensus capitaliste. L’avant-garde, Parti de la classe ouvrière, permet l’articulation de ces détachements, faisant du démantèlement du consensus dans la crise l’affirmation de la proposition stratégique communiste.

    La difficulté est de parvenir à conjuguer politiquement les expériences différentes faites dans l’antagonisme grandissant avec le capitalisme en phase de déclin. De son côté, la bourgeoisie cherche inlassablement à restructurer, afin de relancer le processus capitaliste, toujours aux dépens de la classe ouvrière, et avec la guerre impérialiste comme seule perspective.

    L’avant-garde œuvre donc à la sédimentation des acquis de la lutte des classes, pour avancer dans les étapes de destruction du vieil État et de construction du nouveau. La contre-révolution cherche à protéger ce qui doit être détruit et à démanteler ce qui a été formé. Cet affrontement entre révolution et contre-révolution se fait en spirale ; le parcours révolutionnaire, de dépassement de la crise générale, n’est pas linéaire.

    Seul un haut niveau de maîtrise du matérialisme dialectique permet la saisie des différents moments, des différentes phases et étapes de concrétisation de la crise générale du capitalisme, et sans cette saisie, aucune orientation n’est possible pour calibrer les termes de l’initiative politique.

    Comme l’a formulé Mao Zedong :

    « Sans contraste, pas de différenciation.

    Sans différenciation et sans lutte, pas de développement. »

    La crise générale permet l’affirmation pleine et entière, dans un mouvement en spirale, de la contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie ; la guerre populaire est le dépassement de la crise générale par le renversement des classes dominantes et la constitution du nouvel État : l’océan des masses en armes.

  • Crise générale et guerre impérialiste : le chef d’état-major de l’armée de terre française annonce les conflits militaires ouverts pour 2030

    Le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), a été auditionné le 17 juin 2020 par la Commission de la défense nationale et des forces armées. Cela s’est déroulé à huis-clos, mais la perspective est tout de même sortie, alors que parallèlement s’est déroulé un accrochage franco-turc exemplaire de l’entrée dans la nouvelle période, celle allant à l’affrontement ouvert.

    La France est partie prenante dans la bataille de deux factions en Libye ; elle agit en soutien à l’une des deux aux côtés des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et de la Russie, tandis que dans l’autre camp on trouve le camp des Frères musulmans, avec la Turquie et le Qatar.

    Dans ce contexte, la frégate française « Courbet » a été le 10 juin 2020 ciblé trois fois par les radars de tirs de deux navires turcs, pendant trente-quarante secondes. Cette intervention turque a empêché la frégate française, navigant pour le compte de l’OTAN et supervisé directement par l’état-major maritime de l’OTAN, d’arraisonner un navire turc sans balise ni numéro d’identification, soupçonné de contrebande d’armes à destination de la Libye.

    Surtout, elle relève normalement symboliquement d’un acte de guerre aux yeux des armées. La Marine française est folle de rage de l’humiliation subie et prête à monter en gamme dans le conflit. Pourtant, seulement sept pays de l’OTAN sur trente ont été d’accord avec la protestation française. Les contradictions inter-impérialistes sont trop fortes ; il est désormais clair que l’on va aux conflits militaires.

    Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre, a ainsi été limpide devant la Commission de la défense nationale et des forces armées. Présentant la nouvelle vision stratégique de l’armée de terre, il a eu des phrases sont dont certaines ont été savamment sorties du huis-clos :

    « Nous imaginions une situation en 2035… Mais en 2020, un certain nombre de cases sont déjà cochées »

    « être prêt immédiatement » [pour une guerre, à partir de 2030]

    « Nous avons besoin d’une armée de terre durcie prête à faire face à des chocs plus rudes »

    « Nous sommes à la fin d’un cycle de conflictualité »

    « Le déploiement de la force est devenu un mode de gestion. On teste durement sans avoir peur de l’incident et avec l’utilisation habile de manœuvres sous le seuil »

    « Il ne manque que le patient zéro de l’épidémie guerrière »

    Finie l’époque où la guerre consistait en une petite expédition de quelques professionnels aguerris épaulées par l’aviation. On rentre désormais dans les scénarios d’une guerre symétrique, avec des forces égales. Il est ouvertement parlé, dans cette perspective, de conflit de haute densité, d’État à État, avec donc un ébranlement des fondations institutionnelles et par conséquent la nécessité d’une unité nationale bien solide.

    Le général d’armée Thierry Burkhard table évidemment sur le programme Scorpion pour remettre en marche l’armée française, avec des blindés connectés, des soldats tous en liaison de manière pointue, des drones, une informatisation généralisée des prévisions et des communications, etc.

    Le Monde a publié le 17 juin, soit le jour du rapport du général d’armée Thierry Burkhard – aucun hasard à cela – un article annonçant ouvertement l’affrontement… en plein milieu des populations :

    « La puissance de demain, c’est la mise en réseau des combattants », explique le général Charles Beaudouin, responsable de « Scorpion » à l’état-major de l’armée de terre.

    Pour celui-ci, les guerres des années 2030 se feront en coalition, dans les villes, parmi des populations hyperconnectées informées en temps réel, et avec des pertes humaines importantes.

    « Aujourd’hui la manœuvre sur le terrain se fait en fonction des liaisons disponibles, avec des matériels différents, trop facilement détectés », détaille le général.« Demain les différents postes de transmissions et d’information auront des composants communs, se reconnaîtront et se relaieront automatiquement. En cas de perte d’un relais, le système se reconfigurera automatiquement. »

    Les chefs pourront alors mieux se concentrer sur l’ennemi.

    Il y a, dans les faits, une puissante mobilisation de l’appareil intellectuel et politique en faveur de l’armée, pour qu’il y ait un consensus, un esprit d’unité sans failles. Tout fonctionne par réponse à des signaux, cela tant à l’intérieur d’un pays qu’entre pays, comme lorsque le 12 juin la France effectue l’un de ses très rares tests de missile potentiellement nucléaire mer-sol le jour où la Russie inaugure un sous-marin lanceur de missiles nucléaires, le Prince Vladimir.

    On a ici affaire à un élargissement de l’envergure militaire, à une massification de la question militaire. Le général d’armée Thierry Burkhard entend de ce fait également organiser en 2023 un vaste exercice militaire de 15 000 hommes, comme avertissement aux forces « adversaires », mais naturellement cela sera aussi un moyen de mobiliser en faveur de l’armée à l’échelle nationale.

    Cette vision stratégique nouvelle, annoncée ouvertement, reflète la crise générale du capitalisme : d’ailleurs la ligne est ouvertement celle de l’affrontement, avec un horizon établi pour 2030.

  • La crise générale du capitalisme n’a ni « avant » ni « après », ni « cause » ni « conséquence »

    La crise générale du mode de production capitaliste (MPC) touche tous les domaines de la vie et par conséquent son mouvement dialectique est véritablement général ; si aucun phénomène n’existe isolément, c’est d’autant plus vrai pour le MPC.

    Il faut raisonner en termes de marée montante et ne pas chercher un endroit précis où faire apparaître la crise générale du MPC, comme s’il y avait une cause et que la crise serait une « création » à un moment donné.

    Eugen Varga commet très précisément cette erreur. Lors d’un débat en 1947 en URSS concernant sa vision erronée d’un capitalisme désormais organisé (le « capitalisme monopoliste d’État »), il affirme la chose suivante, montrant son incompréhension du matérialisme dialectique :

    « On ne peut pas fixer la crise générale du capitalisme à une année précise, un mois ou même un jour particulier.

    Il y a des camarades qui prétendent que la crise générale du capitalisme a commencé avec la révolution d’Octobre, avec le début de la division du monde en deux systèmes.

    Le camarade Staline fait par contre remarquer que la première guerre mondiale a été l’expression de la crise générale du capitalisme. Si pourtant il en est ainsi, alors nous devons dire que la crise générale du capitalisme était déjà établie.

    Lorsqu’un phénomène trouve son expression, alors elle doit également être existante. C’est ma manière de voir les choses.

    Et s’il en est ainsi, alors cela signifie qu’il y avait déjà avant 1914 une crise générale du capitalisme. Je suis d’avis que la première étape de la crise générale du capitalisme coïncide avec le plein développement du stade monopoliste du capitalisme. »

    Cette conception est totalement fausse. Du fait qu’on ne puisse pas désigner un moment particulier, ce qui reste discutable par ailleurs, Eugen Varga aboutit à la question de trouver un « début ». Ce début est alors repoussé dans le passé, et la fin est toujours repoussé à plus tard, le capitalisme étant en déclin, en crise générale, mais cela pendant des décennies entières !

    Ce que n’a pas compris Eugen Varga, c’est que la première guerre mondiale peut tout à fait être l’expression de la première crise générale du capitalisme… Même si celle-ci ne se déclenche qu’après.

    Le mouvement dialectique n’a rien à voir avec le principe de « cause » et de « conséquence ». Le mouvement matériel prime également sur le temps, qui n’est que la description du mouvement matériel. Il n’y a pas de « temps » en soi.

    La première guerre mondiale a été l’expression de la crise générale du MPC, car celle-ci était justement en train de surgir comme phénomène, et telle une marée montante, elle charrie toute une série de phénomènes avant même d’émerger en tant que tel. Ce n’est pas parce qu’un homme et une femme se rencontrent et tombent amoureux qu’ils vont se marier, mais parce qu’ils sont dans un mouvement où ils vont se marier que leur rencontre connaît un tournant.

    Ainsi, on peut très bien considérer que la crise générale du capitalisme se déclenche avec la formation de deux systèmes, tout en disant, dialectiquement, que la première guerre mondiale a été une expression de la crise générale du capitalisme. Il n’y a ni début ni fin dans le mouvement général de la matière, pas de commencement avec un « big bang », ni de fin des temps. Il n’y a pas de négation de la négation, de « cassure » dans le développement général : il y a des sauts.

    De la même manière, Eugen Varga n’a pas compris qu’il ne fallait pas chercher une date pour trouver le déclenchement de la crise générale du MPC. C’est un phénomène qu’il faut chercher, qui est lui-même « dans le temps » – et qui en réalité définit le temps, ce dernier étant un moyen pour procéder à la description du mouvement de la matière.

    On voit bien par exemple que l’émergence de l’humanité a considérablement accéléré les phénomènes au niveau planétaire. C’est un excellent exemple de crise générale.

    Eugen Varga se situait en fait en dehors du processus révolutionnaire, voilà pourquoi il avait besoin de formaliser la crise générale du capitalisme. Celle-ci est un processus et, au sens strict, nous en sommes les protagonistes. Il faudra attendre que le mode de production capitaliste soit entièrement dépasse pour avoir un aperçu adéquat de l’ensemble du processus de crise générale du MPC / révolution mondiale.

    C’est lorsque, en effet, tous les aspects de la crise générale du MPC auront connu un saut qu’on pourra les définir adéquatement et voir comment ils se sont transformés. La question animale, par exemple, relève de la crise du MPC et selon l’ampleur de sa transformation, on pourra dire quand le processus s’est enclenché historiquement.

    Faut-il partir de la systématisation de l’utilisation d’animaux dans l’industrie dans les années 1950 par le MPC ? De la destruction de la vie à l’échelle planétaire dans les années 2000 ? Et dans quelle mesure l’émergence de l’élevage relève-t-elle de cette question ?

    Toutes ces questions sont de type pratiques encore. Et on ne les saisit pas avec un « avant » et un « après », une « cause » et une « conséquence ».

  • La révolution culturelle chinoise du début des années 1970 jusqu’en 1976

    La fin de l’année 1971 fut marquée par une purge dans l’armée, mais la situation était ardue alors que le social-impérialisme soviétique devenait la principale superpuissance et exerçait une pression gigantesque. Pour cette raison, Mao Zedong reçut le président américain Richard Nixon en février 1972.

    Ce fut l’apogée de Zhou Enlai. Premier ministre de 1949 à sa mort en 1976, il fut aussi ministre des affaires étrangères de 1949 à 1958, participant à la conférence de Bandung en 1955. Il était d’ailleurs très connu internationalement, disposant d’une aura de diplomate particulièrement fin et posé.

    Zhou Enlai

    Seulement, Zhou Enlai était avant tout un centriste, cherchant à neutraliser toutes les oppositions au sein du Parti. Il exprimait un appel d’air produit par la situation, avec une tendance à vouloir « geler » la situation.

    Zhou Enlai fut ainsi, après la mort de Lin Piao, la grande figure d’une neutralisation générale des événements. Cela le conduisit notamment à considérer qu’il fallait prolonger le rapport avec la superpuissance américaine en allant plus loin qu’un simple rapport tactique par rapport à la superpuissance soviétique alors la plus agressive dans le monde.

    Ce positionnement centriste, ainsi que la mort de Lin Piao qui affaiblit en apparence la gauche du Parti, aboutit à une réaffirmation de la droite, qui rejetait la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne mais était hostile à un retrait de l’affirmation chinoise.

    Le diplomate américain Henry Kissinger, Zhou Enlai et Mao Zedong

    Zhou Enlai s’effondra alors sous les coups de la gauche appuyés par la droite. Le dixième congrès national du Parti, en 1973, marqua ainsi la victoire de la gauche sur le centre si renforcé dans l’après-1971, mais indiqua en même temps le retour de l’affrontement gauche – droite.

    Tant le rapport politique que la révision de la constitution furent réalisés dans la perspective de la gauche, cependant le Comité Central voyait un retour en son sein de figures de la droite.

    Le 10 mars 1973, Deng Xiaoping était d’ailleurs réhabilité et il allait toujours plus renforcer ses positions. En avril 1974, c’est lui qui représente la Chine à l’assemblée générale des Nations-Unies ; en janvier 1975, il était secrétaire du Bureau Politique, vice-premier ministre et chef d’état-major de l’armée.

    Reflet de l’équilibre, le second vice-premier ministre et chef du département politique de l’armée était Zhang Chunqiao, un des dirigeants de la gauche du Parti issu du Comité révolutionnaire de Shanghaï.

    Deng Xiaoping accueilli par le premier ministre français Jacques Chirac en 1975

    La situation était explosive et lorsqu’en 1975 Deng Xiaoping proposa sa « rectification globale », devant ni plus ni moins que liquider tous les acquis de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, l’affrontement était posé.

    Lorsque Zhou Enlai meurt en janvier 1976, le deuil est interdit quinze jours après sa mort, mais me 5 avril, alors que traditionnellement on « balaie » les tombes et on paie hommage aux morts, un rassemblement de masse pour l’honorer se transforma en protestation contre la gauche du Parti.

    Deng Xiaoping est alors refoulé du Parti et dénoncé comme« le plus grand représentant sans repentance des tenants de la voie capitaliste dans le Parti », le Bureau Politique le condamnant ouvertement le 7 avril 1976.

    Mao Zedong, déjà très atteint par l’âge et la maladie, et Deng Xiaoping en 1976

    Cependant, la gauche du Parti n’était pas encore prêt à gérer seule l’ensemble du Parti, sa base n’était pas assez solide. Sa dernière campagne de masse visait Confucius, afin de briser idéologiquement a posteriori la démarche de Lin Piao et la nouvelle situation exigeait trop d’elle.

    Lorsque Mao Zedong décéda en septembre 1976, le coup d’État en faveur de Deng Xiaoping fut inexorable et la gauche ne parvint même pas à lancer le soulèvement armé organisé à Shanghai, avec des milices préparées et munies de 74 000 armes, 300 canons et d’importants stocks de munitions.

    La droite écrasa totalement la gauche et mit fin à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, transformant la Chine en régime fasciste restaurant le capitalisme.

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  • La nouvelle situation en 1971 et la faction matérialiste dialectique

    La tentative de Lin Piao fut une catastrophe pour la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, au sens où non seulement le Parti s’était avéré en partie dépassé, mais qu’il en allait autant de l’armée.

    Concrètement, les Gardes rouges avaient réussi à lancer un mouvement brisant la dynamique des partisans de la voie capitaliste, mais leur factionnalisme avait exigé un intense travail d’organisation qui exigea l’appui de l’armée. Et alors qu’en décembre 1968 les Gardes rouges se dissolvaient pour aller travailler dans les campagnes et se mêler au peuple – ce qui va concerner une quinzaine de millions de jeunes- une faction de l’armée avait cherché à prendre le dessus.

    C’était un processus difficile à saisir et, d’ailleurs, la plupart des observateurs, y compris dans les mouvements marxistes-léninistes sur toute la planète, ne parvenaient plus à rien suivre. Le souci était qu’il y avait bien un processus de dénonciation du révisionnisme qui avait été lancé, un refus de la voie capitaliste, mais tout s’éparpillait et il n’existait pas de Centre organisé.

    Il existait une dynamique réelle, avec un véritable approfondissement, donnant un nouvel élan à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, mais de manière isolée. Ce processus dura de 1971 à 1975, très riche en production idéologique et en expérience, mais sans capacité politique d’intervention au-delà d’un soutien à Mao Zedong.

    Toute une nouvelle génération de communistes avait saisi les principes de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et avaient saisi qu’au lieu seulement d’en arriver à la conception d’une lutte de deux lignes contre la restauration capitaliste, il fallait partir de là.

    Cela va donner naissance à une production très importante de documents sur le matérialisme dialectique. Dans tous les domaines, des noyaux actifs œuvraient à formuler la vision du monde communiste, que ce soit pour la cosmologie ou l’organisation de l’usine, la mise en place des types de travaux ou la structuration de l’État.

    Quatre figures agissaient en première ligne :

    – Jiang Qing, née en 1914, mariée à Mao Zedong en 1938, agissant principalement dans le domaine de l’art et plus spécifiquement de l’opéra ;

    – Wang Hongwen, né en 1935, qui a été le grand initiateur et organisateur de la Commune de Shanghai

    – Zhang Chunqiao, né en 1917, théoricien qui écrira notamment le document « De la dictature intégrale sur la bourgeoisie » ;

    – Yao Wenyuan, né en 1931, qui commença son activité comme critique littéraire.

    Ces figures sont communément appelées « ultra-gauchistes » dans la propagande anti-maoïste chinoise, qui les désigne également comme la « bande des quatre ».

    D’autres activistes furent notamment le danseur de ballet Liu Qingtang, vice-ministre de la culture en 1975-1976, le musicien Yu Huiyong, ministre de la culture en 1975-1976, le chanteur d’opéra Qian Haoliang, l’écrivain Xu Jingxian, le vétéran Ma Tianshui particulièrement actif comme dirigeant à Shanghai, le neveu de Mao Zedong Mao Yuanxin, Chi Qun d’une équipe de propagande de la pensée Mao Zedong de l’armée, l’enseignant Li Qinglin, l’ouvrière du textile de Shanghai Wang Xiuzhen, etc.

    Wang Hongwen était considéré comme la principale figure dirigeante (devenant de fait le numéro 3 du Parti), Yao Wenyuan comme le grand propandiste (dirigeant de fait le Quotidien du Peuple et l’organe théorique Le drapeau rouge), Wang Xiuzhen étant promise à un rôle très important.

    Ils représentent le lieu de synthèse de tous les acquis de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne de 1966 à 1971, avec la tentative de formuler les principes généraux et le mode d’organisation adéquat pour concrétiser celle-ci au niveau de la Chine populaire.

    Wang Hongwen

    Il est cependant très clair que cette gauche du Parti est, dans les faits, réduite à être une faction du Parti, tant parce qu’elle ne dispose pas d’une large base que par le fait qu’elle ne parvient pas à se poser politiquement.

    Tant qu’il y aura Mao Zedong, ces quatre figures lui serviront de fer de lance (et quand on parle des « quatre » en Chine on montre les cinq doigts d’une main disant : « oui, oui, quatre »). Mais sans Mao Zedong comme pivot politique, la gauche sera politiquement désarmée.

    C’est pourtant Mao Zedong qui, en 1974-1975, avait posé les bases d’une intense réflexion sur l’organisation étatique de la dictature du prolétariat. Il s’avérait cependant qu’il y avait trop de choses à digérer historiquement et que l’arriération historique de la Chine populaire ne permettait pas un élan suffisant pour une synthèse.

    Mao Zedong cherchait inlassablement à faire en sorte que la ligne noire abatte ses cartes, qu’elle se révèle, afin qu’il y ait un processus dialectique qui se mette en œuvre pour la ligne rouge. La situation historique fit cependant que la ligne noire put forcer la société chinoise à aller dans le sens de la dépolitisation et du pragmatisme.

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  • L’intervention de l’armée lors de la révolution culturelle chinoise et la tentative de coup d’État militaire

    Afin de chercher à neutraliser les Gardes rouges, les partisans de Liu Shaoqi et Deng Xiaoping profitaient de leur liaison avec l’armée. Pour cette raison, le 5 octobre 1966, le Comité Central du Parti Communiste de Chine annula le rôle dirigeant des comités du Parti dans les lycées et les universités militaires. 18 millions d’armes à feu furent distribuées aux masses, ainsi qu’une dizaine de milliers de pièces d’artillerie et trois millions de grenades.

    On était passé à la question directe du pouvoir et à Shanghai, la principale ville industrielle, les gardes rouges et les rebelles, au nombre d’un million, dirigés par Wang Hongwen, renversèrent même la municipalité en janvier 1967, afin de former une Commune.

    Cette « tempête de janvier » fut considérée par Mao Zedong comme une initiative formant un modèle et au bout d’un mois la Commune de Shanghai fut formalisée comme « Comité révolutionnaire », suivant le principe de la « triple alliance » devant se généraliser dans le pays : la triple alliance formait un Comité révolutionnaire en unissant le Parti, l’armée et les rebelles, et remplaçait les institutions précédentes.

    Cette triple alliance déplut fortement, dans sa substance, au « nouveau courant d’idées », avec notamment Yang Xiguang, voulant le démantèlement du Parti et de l’État pour un pays entièrement organisé en communes. Cette petite faction ultra-gauchiste, très forte toutefois dans la région du Hunan, fut liquidée en 1968.

    Mais surtout, les cadres de l’armée n’étaient majoritairement pas favorable à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Concrètement, l’armée intervint ainsi, sans employer les armes, en penchant pour l’un ou l’autre des courants des Gardes rouges et des rebelles. L’affrontement idéologique culmina même en le « contre-courant de Février », où une partie des responsables de l’armée assumèrent de s’opposer à Mao Zedong.

    L’intervention de l’armée se généralisa pendant toute l’année 1967, avec des conflits ardus dans toutes les villes importantes. Les incidents se multipliaient avant de connaître une certaine stabilisation vers la fin de l’année, alors qu’à partir de l’été 1968, les équipes de propagande de la pensée Mao Zedong de l’armée furent envoyés dans les écoles, les institutions et les agences gouvernementales où le factionnalisme se maintenait encore.

    Lin Piao, Zhou Enlai, Mao Zedong

    Ce processus favorisait Lin Piao, ministre de la défense à partir de 1959. Il représentait le courant de l’armée favorable à la rupture avec les principes soviétiques ; lui-même écrira en 1965 Vive la victorieuse guerre populaire !, où l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie étaient définies comme les campagnes encerclant les villes. La même année, il mit en place le Petit Livre Rouge pour le diffuser dans l’armée.

    Au milieu de l’année 1967, c’est lui qui devint la position clef dans le régime, puisqu’en faisant pencher la balance par l’armée, il facilitait une orientation ou une autre. En s’opposant aux partisans de Liu Shaoqi et Deng Xiaoping, il assit les fondements de la ligne de Mao Zedong du nouveau régime et au 5 septembre 1968, l’ensemble du pays avait comme administration des « Comités révolutionnaires ».

    En octobre 1968, Liu Shaoqi fut rejeté du Parti lors de la 12e session plénière du huitième Comité Central, dont environ 65 % des membres et des suppléants avaient été purgés.

    Mao Zedong et Lin Piao

    Lin Piao devint de facto le numéro deux du pays. C’est lui qui lit le rapport politique au 9e congrès du Parti, en avril 1969, où sa position de numéro 2 est publiquement ratifiée, alors que 80 % du personnel du Comité Central, y compris ses suppléants, a été changé.

    Il va alors se produire ce que Mao définit par la suite comme « un combat entre deux quartiers-généraux ».

    Une tendance se forma en effet inévitablement dans l’armée considérant que, après tout, l’armée avait décidé de l’issue de la bataille et qu’elle était le garant de l’ordre, que le Parti avait été mis de côté par les Gardes rouges et les rebelles sur le plan de l’initiative politique, idéologique et culturelle.

    La conclusion était que l’armée devait former l’ossature elle-même du régime. Mao Zedong avait posé une nouvelle approche, une nouvelle dynamique, il fallait désormais la solidifier.

    En août 1970, au moment de la seconde session plénière du nouveau Comité Central, Lin Piao tenta ainsi de nommer Mao Zedong président de la république, c’est-à-dire qu’il devait servir de symbole d’une période désormais concrétisée par la prise de la direction du pays par l’armée.

    Cela allait de pair avec une incessante propagande en faveur de Mao Zedong qui serait un nouveau « pic », un « génie », etc. C’était un moyen d’en faire une figure vidée de sens et justifiant la main-mise de l’armée.

    On était passé ici d’une approche de soutien à Mao Zedong sur un mode unilatéral, dont le Petit Livre Rouge mis en place par Lin Piao était le symbole, à une position d’ultra-droite.

    Mao réfuta cette initiative pro-armée et commença à remettre de l’ordre en faisant reculer les prérogatives de l’armée. Parallèlement, le Parti désorganisé par les affrontements à partir de 1966 se réorganisa ; entre novembre 1970 et août 1971, l’ensemble des comités au niveau des provinces était reconstitué.

    Cela provoqua une situation de cristallisation et d’opposition entre le Parti en réaffirmation et l’armée.

    La situation était d’autant plus tendue qu’au sein du Parti, l’armée tenait un nombre essentiel de postes : 13 postes au Bureau Politique sur 25, 64 postes au Comité Central sur 170, 21 postes de président des Comités Révolutionnaires au niveau des provinces sur 29 (et 90 sur 250 pour les postes de vice-président), 22 postes de premier secrétaire des Comités provinciaux du Parti syr 29 (et 95 postes de secrétaires sur 158).

    La ligne de Mao Zedong l’emportait cependant inlassablement et la fraction de l’armée la plus opportuniste tenta le tout pour le tout. Lors du premier mai 1971, Lin Piao n’apparut qu’une minute et en septembre, il tenta un coup d’État passant par l’assassinat de Mao Zedong.

    Ce fut l’échec et Lin Piao tenta de se réfugier en URSS, mais son avion se crasha en Mongolie le 13 septembre.

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  • Les trois quartiers généraux des Gardes Rouges et l’affrontement entre factions

    L’immense vague des Gardes rouges à travers tout le pays, fut suivie de l’émergence des rebelles et elle devint irrépressible.

    Les opposants à Mao Zedong mirent alors l’accent sur la question de l’activité des « groupes de travail » pendant les « cinquante jours ». Ils cherchèrent à valoriser ceux-ci, tout en poussant à la formation de factions conservatrices, opposés aux initiatives des Gardes rouges, voire à former des Gardes rouges ayant d’autres cibles.

    C’était là une véritable manœuvre exprimant la ligne de Liu Shaoqi et Deng Xiaoping. On eut ainsi tout d’abord une mobilisation contre la restauration du capitalisme pour ainsi dire en général, qui se transforma ensuite, dans une nouvelle étape, en une bataille au contenu directement politique.

    Le curseur déplaça concrètement, passant d’un conflit ouvert entre partisans de Mao Zedong et ce qui relevait de manière flagrante de la restauration du capitalisme à une opposition non ouverte publiquement entre la ligne de Mao Zedong et celle de Liu Shaoqi et Deng Xiaoping, ces derniers n’étant pas mentionnés nommément, seulement indirectement.

    Ce processus complexe aboutit à des affrontements parfois très violents entre factions des Gardes rouges se revendiquant en apparence de la même idéologie et des mêmes principes. Ces divisions se cristallisèrent politiquement avec la question des « Quartiers Généraux ».

    Les Gardes rouges, dont les dirigeants étaient élus et révocables, avaient en effet mis en place des « Quartiers Généraux ». Il en existait deux, mais un troisième se forma à l’initiative de gardes rouges déçus de ce qu’ils considéraient comme une collusion ou une convergence avec Liu Shaoqi et Deng Xiaoping.

    Ils venaient principalement de l’université Tsinghoua de Pékin, de l’institut d’aéronautique et l’institut de géologie ; ce « troisième poste de commandement » en tant que « Quartier Général rebelle révolutionnaire de la capitale des Gardes rouges de l’université » profita rapidement d’un appui avec l’éditorial du Drapeau rouge du 3 octobre 1966, qui visait Liu Shaoqi et Deng Xiaoping et où on lisait notamment :

    « Si ceux qui ont commis des erreurs persistent dans leur attitude et les aggravent, ces contradictions peuvent devenir antagoniques. »

    Liu Shaoqi et Deng Xiaoping durent alors faire leurs autocritiques. Le premier fut placé en résidence surveillée chez lui et le second envoyé dans une usine dans une zone agricole.

    Cependant, ils ne sont pas encore critiqués nommément dans la presse ; Liu Shaoqi est défini par périphrase comme « le Kouchtchev chinois », « le plus haut des responsables engagés dans la voie capitaliste », Deng Xiaoping étant « un autre haut responsable engagé dans la voie capitaliste ».

    Malgré leur mise à l’écart, leurs partisans s’avéraient encore largement présents, que ce soit au niveau des municipalités ou des comités du Parti ; leur influence restait notable et, surtout elle agissait en sous-main.

    En apparence, les deux premiers quartiers généraux, où ils disposaient de l’hégémonie, prétendaient évidemment eux aussi défendre Mao Zedong et dénoncer les partisans de la voie capitaliste.

    L’intense confusion ne cessa pas, les affrontements violents entre gardes rouges, voire très violents et parfois armés, se prolongèrent, dans un imbroglio extrêmement grand et toujours plus étendu.

    On était passé d’une révolte soutenue contre les tenants censés être purement isolés de la voie capitaliste à un affrontement entre deux factions du Parti, à travers les Gardes rouges. L’opération de rectification se transformait en véritable lutte entre deux lignes.

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