Extraits du Orbis sensualium pictus de Comenius (1658)

[Voici des exemples d’images et de texte qu’on trouve dans Orbis sensualium pictus.]

LA COURTOISIE (AMITIÉ)

Les hommes sont faits pour s’entr’aider les uns les autres dans leurs besoins; qu’ils soient donc courtois (obligeants). Soyez doux (amiable) et affable de visage (jovial) [1], civil et honnête dans vos manières et dans vos moeurs [2], gracieux et véritable dans vos paroles [3], franc et loyal de coeur [4]. Aimez, si vous souhaitez être aimé; ainsi, il se fera une amitié mutuelle [5], comme celle des tourterelles [6] (qui s’aiment tendrement), unanime, paisible et réciproquement affectionnée. Les hommes fantasques (étranges, bizarres) sont haïs de tout le monde; ils sont envieux, incivils (grossiers), querelleux, colériques [7] (irascibles), cruels [8] et implacables, plutôt des loups et des lions que des hommes, et ils sont divisés entre eux-mêmes; c’est pourquoi il arrive souvent qu’ils se battent en duel [9]. L’envieux [10] en veut à tout le monde et se perd lui-même.

L’IMPRIMERIE

L’imprimeur est assorti de lettres de métal en grand nombre et de toutes sortes, arrangées (partagées) en une caisse par cassetins [5]. Le compositeur [1] les en tire l’une après l’autre, et compose les mots avec le poinçon selon la copie (le manuscrit) qu’il tient fichée devant soi à un mordant [2] (avec le composteur [3]) jusqu’à ce qu’une ligne (ou un verset) soit achevée; qu’il met (agence, ajuste) dans la forme [4] (la galée), successivement jusqu’à ce qu’il puisse en faire une page [36]; qu’il couche encore une fois (derechef) sur le composoir [7], et il l’y serre avec des plaques de fer [8], par le moyen de la vis [9] et des barreaux afin que les lettres demeurent bien en-semble, unies, et il la met sous la presse [10]. En suite de quoi, l’imprimeur mouille (humecte) les lettres avec l’encre à imprimer, se servant de balles de cuir [11], à présent de cylindres; il y met par-dessus des feuilles de papier qu’il couvre d’un châssis [12], et après qu’il les a couchées dans le coffret sous la presse [13], il leur fait emboire les lettres, en les pressurant du varrinet (du barreau) [15].  

L’ETUDE

Le cabinet (1) est l’endroit où l’étudiant (2) est assis seul à l’écart des hommes; il s’y adonne aux études. Il lit des livres (3); avec une plume (4), il note sur un cahier (5) des morceaux choisis ou les marque sur le livre d’un trait ou d’une astérisque en marge. Quand il travaille tard, il allume une bougie (8) posée sur un chandelier (9). Il mouche la bougie avec une pincette (10). Devant la flamme, il place un écran vert (11) pour ne pas être ébloui. Quand la nuit vient, il utilise une lanterne (15) ou une torche (16).

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

L’appel universaliste de Comenius

« Ce n’est pas un seul d’entre vous que j’appelle pour être juge ni un nombre limité, ni une multitude non plus ; je vous appelle au contraire tous à la fois à former un tribunal ; ce n’est pas la sentence de plusieurs d’entre vous que j’attends, c’est la sentence de tous…

Et si je vous appelle en nombre illimité, ce n’est pas pour vous faire décider du sort d’un seul homme, mais du salut du monde entier ; je ne vous mène pas devant l’autel d’une divinité fictive, mais devant la face du vrai Dieu vivant … qui n’est pas le roi des guerres et des meurtres, mais de la paix et de la vie, et qui vous a comblés de ses présents pour vous confier la direction des affaires humaines …

Disons ouvertement que les erreurs ne naissent que de l’ignorance ; il faut qu’elles s’effacent à la paisible lumière de la vérité sans voile. Il faut que les sectes, nées de la discorde et nourries dans leur croissance et dans leur affermissement de la même source, se dissolvent sous l’action de la douce chaleur de l’amour et revêtissent des formes nouvelles ; c’est pour elles le seul chemin à prendre.

Ce ne sont pas les ténèbres qui chassent les ténèbres; une opinion ne cède pas sa place à une autre opinion, une secte ne disparaît pas pour faire régner une autre secte ; où il y a de la haine, on ne peut guère y remédier par de la haine, car le double mal attire plutôt de l’endurcissement des deux côtés…

Par conséquent, comme ce n’est pas aux batailles que nous voulons inviter les hommes, mais à la contemplation et à l’union… il est juste que nous en donnions l’exemple en prenant soin de commencer à un endroit où il n’y a point de différence d’opinion qui nous divise, nous rendant suspects les uns aux autres.

Nous allons procéder lentement et par degrés, en évitant tout ce qui pourrait offenser ; on va s’y prendre de manière à faire participer à nos efforts et à leur continuation sans aucun obstacle les Juifs, les Turcs, les païens et à plus forte raison nous autres chrétiens qui aurons d’abord à expliquer nos points de vue les uns aux autres.

Que chacun de nous atteigne à ce point où il sentira les rayons de la lumière briller et l’enceinte de la vérité se fermer autour de lui de manière qu’il ne puisse ni facilement reculer, par peur de se couvrir de honte, ni faire un pas en avant qui lui fasse espérer plus de lumière !

Qu’il se mette donc à se réjouir en Dieu en se voyant uni à tous les autres dans la vérité et dans l’Harmonie commune !…

Nous désirons que le furieux Mars, qui a dépeuplé le monde chrétien, meure et périsse et que tous les peuples forment un seul troupeau couchant tranquillement au même pâturage.

Nous voulons que les peuples forgent de leurs glaives des hoyaux et de leurs lances des serpes ; nous désirons qu’une nation ne tire plus l’épée contre une autre et que l’on n’apprenne plus la guerre.

Quelle autre chose serait à désirer sinon une harpe qui remplirait de douceur les esprits des hommes, jusqu’alors féroces ? Une telle harpe une fois inventée, que pourrions-nous vouloir sinon nous mettre au milieu des autres : et éveiller ses tendres sons?

Or, notre doux Père nous a déjà fait connaître la harpe de la panharmonie, destinée à remplir le monde de ses doux sons. Si nous ne saisissons pas l’occasion de lever la main, de prendre la harpe, de l’accorder, de la touche pour modérer par sa musique suave les esprits furieux de ceux qui écoutent, nous serons des ingrats et nous mériterons d’être punis pour avoir méprisé le don de Dieu. »

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

La pédagogie de Comenius: l’art universel d’enseigner tout à tous

Comenius est l’auteur d’un ouvrage intitulé La grande didactique présenté de la manière suivante :

« La grande didactique

Traité de l’art universel d’enseigner tout à tous

ou

le moyen sûr et soigneusement établi d’instituer dans toutes les communes, dans toutes les villes et dans tous les villages de n’importe quel pays chrétien, des écoles telles que toute la jeunesse des deux sexes, sans excepter personne nulle part, puisse être formée aux belles lettres et aux sciences,

façonnée aux bonnes mœurs, imprégnée de piété et par ce moyen être instruite, en son jeune âge, de tout ce qui sert à sa vie présente et future :

cela

avec économie de temps et de fatigue
avec joie et solidité

Ouvrage

où les raisons de tout ce qui est recommandé sont tirées de la nature des choses elles-mêmes et leur vérité démontrée par des exemples empruntés aux arts mécaniques ; où le cours des études est divisé en années, en mois, en jours et en heures ; où enfin est indiquée la voie facile et sûre de mettre le tout en pratique. »

On reconnaît les valeurs portées par la bourgeoisie à l’époque : sens pratique et universalisme. Il est difficile de comprendre la dimension révolutionnaire de cet appel démocratique pour l’éducation des masses, puisque entre-temps celle-ci s’est réalisée, même si sur le plan du contenu la bourgeoisie devenue réactionnaire a bien sûr imposé ce dont elle avait besoin.

Cette combinaison d’esprit démocratique absolu et de sens pratique est précisément ce qui fournit à Comenius sa dimension historique. Il assume l’humanisme et ne laisse strictement personne derrière, et en même temps il affirme qu’un rythme éducatif est possible pour tous et toutes, un rythme amenant une harmonie intellectuelle en suivant des formes appropriées. La lassitude ne peut tout simplement pas exister quand on apprend, si l’enseignement est adéquat.

Dans l’Avertissement aux lecteurs au début de cette œuvre, Comenius précise de la manière suivante son intention :

« Mais j’ose promettre, moi, une grande didactique, c’est-à-dire un art universel qui permet d’enseigner tout à tous avec un résultat infaillible ; d’enseigner vite, sans lassitude ni ennui chez les élèves et chez les maîtres, mais au contraire dans le plus vif plaisir ; de donner un enseignement solide, surtout pas superficiel ou formel, en amenant les élèves à la vraie science, à des moeurs aimables et à la piété de coeur.

Enfin, je démontre tout cela a priori, c’est-à-dire en le tirant de la nature immuable des choses ; comme d’une source vive coulent sans cesse des ruisseaux qui s’unissent finalement en un seul fleuve, j’établis une technique universelle qui permet de fonder des écoles universelles. »

Comenius n’a cessé de donner des indications pratiques dans ses ouvrages, fonctionnant en quelque sorte comme un système éducatif clef en main. Voici les conseils que donne Comenius sur le plan pratique pour l’enseignant: 

« Faire en sorte que les tout soit facile à apprendre. Tu y arriveras si tu observes les conseils suivants :

1. En ce qui regarde le temps

1. Commence de bonne heure.
2. N’interromps pas ton enseignement.
3. Agrémente la pratique scolaire de choses agréables.

2. En ce qui concerne les moyens d’instruction :

1. Que tout soit préparé d’avance.
2. Que tout soit prêt à servir immédiatement.
3. Que tout soit aussi simple et aussi direct que possible.

3. Pour ce qui est des objets :

1. Adresse-toi, en premier lieu, aux sens qui saisissent la réalité.
2. Éprouve les choses par la pratique.
3. La discussion des choses ne doit venir qu’après.

4. Pour ce qui est de la manière de procéder :

1. Présente d’abord une vue d’ensemble de ton sujet ; esquisse-le dans ses grandes lignes, d’une façon sommaire.
2. Après, tu le traiteras plus à fond, dans chacune de ses parties.
3. Enfin, tu en feras l’analyse exacte et minutieuse. »

Comenius insiste sur l’aspect principal : le reflet dans le cerveau de ce qui est enseigné, et le message ne doit pas être parasité. Chercher des ouvrages alors qu’on est en pleine explication ne relève pas ici tant de la perte du temps que de la perte d’attention. Il faut bien souligner ici que chez Comenius, tout comme auparavant chez Averroès, Avicenne, Aristote, l’esprit humain est fait de manière adéquate pour réceptionner les reflets de la réalité.

C’est la thèse matérialiste selon laquelle l’être humain ne pense pas, mais reflète, et selon laquelle c’est là sa nature même, et son bonheur. De la même manière qu’on doit jouer aux échecs et non aux dés, car le cerveau joue alors et ne laisse rien à l’absurde hasard. Il y a une joie dans le processus même de réflexion, dans son adéquation à la réalité. Comenius expose ainsi cette thèse :

« La jouissance qui vient de nous-mêmes consiste dans le doux plaisir qu’éprouve un homme vertueux à voir qu’il est toujours prêt, grâce à son esprit et son caractère bien ordonnés, à suivre les règles de la justice. Cette joie est bien supérieure à celle que nous avons mentionnée plus haut [la jouissance qui provient des choses elles-mêmes], et elle est attestée par le proverbe qui dit : bonne conscience est un festin continuel. »

Comenius ne pouvait bien entendu réaliser son projet ; il fera tout pour tenter de profiter des forces progressistes : ayant failli travailler pour le cardinal de Richelieu, il préférera se tourner vers les forces protestantes ou s’en rapprochant, comme la Suède ou l’Angleterre, et lui-même exilé finira sa vie à Amsterdam, dans la Hollande bastion du progressisme alors.

Il basculera également parfois, par dépit, dans le mysticisme, espérant une fin des temps pour balayer les forces de la réaction catholique et féodale. C’est un aspect inévitable de par le manque de maturité de son époque.

Les derniers jours de Jan Amos Komenský à Naarden,
peinture de Alphonse Mucha dans son Epopée slave, 1918

Toutefois, Comenius avait contribué de manière formidable à l’éducation et au matérialisme, et ses écrits jouent un rôle de très grande importance sur le plan éducatif dans toute l’époque qui suit en Europe.

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

La pédagogie de Comenius: une école démocratique

« On y arrivera si tous apprennent à user de livres non pas comme de canapés qu’on déplace à loisir et où il faut si bon sommeiller, mais comme de véhicules qui les transportent rapidement vers le lieu où ils doivent parvenir, vers la sagesse.

Ce n’est donc pas assez de posséder de bons livres ; on doit aussi les lire avec diligence ; et non seulement les lire, mais encore les comprendre comme il faut, s’imprégner de ce qu’ils contiennent et agir selon leurs préceptes. Pour que tous sachent faire tout cela dans la dernière étape de l’humanité, celle de la sagesse, ils devront se mettre sous la conduite de pédagogues universels. »

Comenius a compris que la cause hussite a échoué, et historiquement il vit au moment même où, lors de la bataille dite de La Montagne blanche en 1619, les forces catholiques et autrichiennes écrasent les forces de Bohême favorables au calvinisme et aux Tchèques. Il sait toutefois que la base nationale tchèque ne saurait être totalement brisée par l’empire autrichien et le catholicisme, aussi décide-t-il de contribuer à la nouvelle vague de la lutte à venir, par l’éducation.

Il le fait en situation d’exil, alors que la répression autrichienne et catholique se généralise, dans une orgie baroque et jésuite. Lorsque Comenius affirme qu’il faut faire en sorte que « toute la jeunesse de la nation entière apprenne à lire et à écrire », c’est là son but : soulever le pays tout entier, dans une cause démocratique consistant à abattre la domination autrichienne et l’obscurantisme catholique. C’est de là que vient son projet d’école généralisée.

Son œuvre intitulée Projet succinct pour le rétablissement des écoles dans le royaume de Bohême commence ainsi de la manière suivante :

« Le rétablissement glorieux et le bel épanouissement aux yeux d’autres nations, de l’Église, de l’État et de toute la nation de Bohême (quand il plaira à Dieu de restituer la souveraineté au peuple tchèque), auront à reposer sur une reconstruction sage et circonspecte de l’enseignement. »

Comenius va alors réfléchir et prévoir tous les niveaux éducatifs. On commence par l’école maternelle allant jusqu’à l’âge de six ans, puis on passe à l’école nationale, c’est-à-dire l’école primaire, jusqu’à l’âge de douze ans. Ces écoles doivent être présentes dans tout le pays, dans le moindre village.

Il y a ensuite l’école latine, où l’on apprend, jusqu’à dix-huit ans, les langues et les arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, musique, astronomie et géométrie). Il y a, enfin, l’Académie, où jusqu’à l’âge de vingt-quatre – vingt-cinq ans, on se spécialise dans un domaine (médecine, philosophie, jurisprudence, etc.), dans un cycle d’études comprenant deux – trois ans à l’étranger.

Comenius considère qu’il ne doit y avoir que deux heures de cours le matin et deux heures de cours l’après-midi, en raison de la nécessité de travailler dans les champs : c’est dire si son souci d’organisation est démocratique.

De la même manière, il considère que le cours doit consister tout d’abord en une explication d’un quart d’heure, ensuite en une discussion ou un jeu à ce sujet entre les élèves, puis finalement en une nouvelle intervention de l’enseignant pour effectuer des précisions et corrections.

Comenius insiste pour que cela soit le même enseignant qui enseigne toute l’année, aidé d’assistants vérifiant les cahiers, la discipline, ces assistants étant les élèves de la classe du niveau d’au-dessus.

On a là une insistance sur la nature démocratique de l’école, dans sa vie intérieure, et d’ailleurs c’est l’État central qui doit fournit les moyens matériels, Comenius demandant bien sûr qu’on cesse de financer les jésuites et les couvents. Il insiste également sur l’intégration des orphelins : dans sa démarche, absolument personne n’est oublié ; s’il y a des gens qui ont du mal à apprendre, il ne faut pas les rejeter, mais les aider collectivement.

Comenius dit ainsi :

« Le fait qu’il y ait des intelligences naturellement faibles et bornées n’est pas un obstacle, mais au contraire une obligation urgente de cultiver tous les esprits. Car, plus un enfant est intellectuellement faible et peu développé, plus il a besoin de secours pour se libérer de son engourdissement et se guérir de sa faiblesse. Il n’est pas possible de trouver un esprit si disgracié que la culture ne parvienne, peu à peu, à améliorer. »

Il faut également noter que Comenius appelle à une inspection des écoles : à chaque fois les religieux locaux, régionaux ou nationaux doivent inspecter les écoles relevant de leur niveau, l’évêque inspectant l’académie, les doyens de région s’occupant des écoles latines, etc. Or, dans la démarche religieuse de Comenius qui appartient aux Frères moraves issus du hussitisme, les responsables religieux sont élus par la base, par la population elle-même.

On a donc des écoliers qui s’auto-supervisent et qui sont contrôlés par la population elle-même, le savoir étant transmis de génération en génération. Il y a là un véritable modèle démocratique, d’esprit universaliste et collectiviste.

Enfin, soulignons la question féministe, s’opposant frontalement au catholicisme.

La question des femmes est bien entendu très importante. Comenius a ici une position tout à fait cohérente, affirmant qu’il faut arracher les femmes à l’infantilisme dans lequel on les a confinés. Il dit ainsi :

« Il n’est possible d’avancer aucune bonne raison pour priver le sexe faible (qu’on me permette de donner un avis aussi sur ce point) de l’étude des sciences et des lettres (qu’il s’agisse de l’enseignement en latin ou de l’enseignement donné en langue vulgaire).

En vérité, les femmes sont douées d’une intelligence agile et qui les rend aptes à comprendre la science et l’art comme nous, souvent même mieux que nous.

Pour elles, comme pour nous, est ouverte la voie des plus hautes destinées. Souvent elles ont été appelées à gouverner des Etats, à donner des conseils salutaires aux rois, aux princes, à exercer la médecine ou d’autres arts utiles au genre humain…

Pourquoi voudrions-nous les admettre seulement à l’a b c, puis les éloigner de l’étude des livres ? Craindrions-nous leur frivolité ? Mais plus nous leur apprendrons à réfléchir, moins elles seront frivoles, car la frivolité est généralement la conséquence du désœuvrement de l’esprit.

Nous devons laisser aux femmes la liberté de lire, sous réserve que ne leur soient pas donnés en pâture toute sorte d’ouvrages stupides et mal écrits (pas plus à elles qu’à la jeunesse de l’autre sexe ; et il est déplorable que ce mal jusqu’ici n’ait pas été évité avec plus de précaution). »

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

La pédagogie de Comenius: miroir et esprit de synthèse

Comenius exprime de manière magistrale la position matérialiste de l’esprit de synthèse. Il y a là un point historique d’une importance transcendante.

Il est intéressant de savoir ici que Comenius a vécu à la même époque que René Descartes, et qu’il l’a rencontré. Les quelques heures de discussion n’ont abouti à rien, et pour cause. Descartes considère qu’il faut partir de l’individu et étudier le monde morceau par morceau, en partant de l’élément le plus simple.

Comenius, lui, fait comme Baruch Spinoza : il part du tout. Il est d’accord pour aller du simple au complexe, sauf que lui reconnaît la nature de « tout » à ce qui est complexe ; il dit ainsi :

« Un tout est antérieur à ses parties, car il est plus grand que chacune de ses parties, pénètre plus tôt dans nos sens, et attire les regards. Ce qui est volumineux peut être aperçu de loin ; ce n’est qu’en s’approchant et les examinant l’une après l’autre que l’on voit les petites choses.

Le tout est un, alors que les parties sont nombreuses ; l’unité se conçoit mieux et plus facilement que la pluralité. »

« Conduis-le [Comenius s’adresse à l’enseignant] par degrés, allant du général au particulier, du total au partiel, du simple au complexe, jusqu’à ce qu’il acquière un savoir le plus spécial, le plus détaillé, le plus articulé. »

Voici un exemple que donne Comenius, montrant qu’il ne faut pas perdre de vue l’unité lorsqu’on analyse ce qu’on doit considérer, en étant matérialiste, comme des aspects de l’ensemble :

« Regarde un anatomiste et un boucher ! Tous deux découpent des corps d’animaux, mais avec quelle différence !

L’anatomiste sectionne les nerfs et les tendons dans les membres et les jointures, prenant soin de ne pas séparer ce qui doit être réuni, et séparant les éléments qui sont sans rapport les uns avec les autres ; le boucher découpe les membres d’un corps comme bon lui semble, sectionnant les veines et faisant des morceaux comme il le veut.

La différence entre les deux concernera aussi la connaissance même des choses ; celle-ci sera bien différente dans les deux cas. Alors qu’un anatomiste sectionnant une ou deux fois un corps connaîtra aussitôt sa structure, un boucher ne sera jamais capable, découpât-il mille fois un corps, de pénétrer les secrets de la nature dans ses œuvres magistrales.

La même différence existe entre ceux qui analysent les choses en se laissant guider par la nature de ces mêmes choses, et ceux qui le font à l’aveuglette. Les premiers éclairent leur raison et leur entendement, analysent les choses finement dans le miroir de leur intelligence ; les autres manient grossièrement, faisant violence à l’intelligence en y introduisant l’obscurité et l’erreur (…).

La synthèse est la recomposition d’un corps, d’un tout, avec ses éléments séparés. Elle contribue donc beaucoup à la connaissance parfaite des choses, dans la mesure où elle est vraie.

Observer les éléments et les parties en eux-mêmes n’est pas profitable, car on a du mal à comprendre quel en est le sens ; mais une fois coordonnés et intégrés dans un ordre supérieur, ces éléments démontrent tout de suite leur utilité, et l’on peut s’en servir immédiatement, comme nous l’avons vu à propos de l’horloge démontée et remontée.

La méthode syncrétique consiste à comparer les parties avec d’autres parties, et les touts avec d’autres touts.

Elle jette beaucoup de lumière sur la connaissance des choses et la multiplie infiniment.

Comprendre les choses isolément (comme on le voit couramment) a quelque chose de fragmentaire ; mais comprendre l’harmonie des choses, leurs rapports et interdépendances – voilà ce qui répand dans l’esprit une lumière vive dont tout est éclairé. »

Il y a là un point extrêmement important sur le plan historique ; il est impossible de ne pas voir ici posées des bases relevant de la dialectique. Et Comenius formule cela en se focalisant sur la matière.

Selon Comenius, les éléments auxquels il faut accorder son attention quand on enseigne sont les sens (qui doivent être « stimulés et aiguisés » afin d’apprendre à « observer les objets »), l’intelligence (qui doit « pénétrer de plus en plus jusqu’au fond des choses »), la mémoire (pour se souvenir), la langue (pour s’exprimer), la main (pour exécuter les actions), la volonté (pour être encouragé à bien agir), le coeur (pour avoir en affection les choses bonnes).

C’est toujours l’activité pratique qui compte – d’où le principe du jeu comme forme de l’esprit saisissant la réalité. Le jeu, c’est le miroir, l’activité pratique, la transformation, l’esprit de synthèse.

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

Comenius: le jeu de l’esprit et l’être humain formé par le travail

On sait à quel point l’obscurantisme religieux est un obstacle à la science, car il affirme qu’il faut partir de la « révélation » comme base « scientifique ». On trouve bien sûr chez Comenius la position matérialiste inverse ; s’il reconnaît la religion, il le fait toujours en la considérant comme base morale finale, nullement comme socle clérical.

Il affirme ainsi que dans l’enseignement :

« Il faudra procéder graduellement, en commençant par les choses matérielles, en continuant sa route avec les choses de l’esprit, et en la terminant par les choses révélées. »

Comenius inverse donc la position qui est celle du baroque et des jésuites, pour qui l’extase mystico-religieuse est la seule base réelle de la « science » qui est, de ce fait religion. Comenius est sur une base matérialiste, qui s’oppose directement au catholicisme dans son approche.

Portrait de Comenius
par Karol Miloslav Lehotský
(1846-1915)

Comenius appelle à la raison, et non à la mystique; il est pour l’apprentissage de tous et de tous, de manière ouverte, et non pour un élitisme fabriqué par les jésuites. Il est pour un cerveau capable de refléter l’ensemble de la réalité matérielle – ce que précisément le baroque considère comme impossible.

Comme on le sait d’ailleurs, pour le matérialisme dialectique, la pensée est un reflet ; par conséquent, un cerveau ne peut pas reconstituer à lui tout seul, séparément, isolément, tous les éléments scientifiques. Il y a besoin d’amener au cerveau les informations.

Comenius dit de la même manière :

« L’homme, par sa propre vertu, grandit avec des formes humaines, oui, comme une bête sauvage grandit avec ses propres formes, mais il ne peut devenir un être raisonnable, savant, honnête et pieux, si on ne lui a pas d’abord inculqué (comme on opère le greffage) des éléments de science et des principes d’honnêteté et de piété. »

Comenius s’avère alors le fondateur de la pédagogie, car il propose alors deux perspectives concrètes pour que le cerveau soit façonné dans une direction concrète et cohérente.

D’abord, le cerveau reflétant la réalité en s’appuyant sur les sens, Comenius considère qu’il faut profiter du jeu pour avancer, c’est-à-dire pour combiner les sens et la réflexion. Mao Zedong, dans De la pratique, disait que :

« Si l’on veut acquérir des connaissances, il faut prendre part à la pratique qui transforme la réalité. Si l’on veut connaître le goût d’une poire, il faut la transformer : en la goûtant. »

Comenius dit pareillement, au sujet de l’enseignement et de son rapport à la pratique :

« C’est en écrivant qu’on apprend à écrire ; en dessinant, l’art de dessin ; en chantant, on apprend à chanter, etc. De même, c’est en agissant que nous apprenons à agir, et c’est par la pratique que nous apprenons à exécuter différents travaux.

D’où la devise qui dit, providentiellement : Fabricando fabricamur, ce qui veut dire : c’est le travail qui fait l’homme (l’homme se fait par le travail). »

Seulement, ce travail ne doit pas borner l’esprit, il doit au contraire s’appuyer sur lui comme moteur.

A l’opposé de René Descartes, Comenius ne sépare pas abstraitement le corps et l’esprit. Il faut donc que les deux soient en action, pour que l’enseignement se déroule de manière adéquate. Comenius explique ainsi au sujet du développement de « l’agilité extérieure du corps » :

« Par jeux nous entendons les mouvements du corps et de l’âme. Il ne faut pas les interdire à la jeunesse ; bien au contraire, ils doivent être recherchés et soutenus. Mais la raison doit présider au choix des jeux, pour qu’on en retire du profit.

Les exercices qui s’y rattachent consistent en mouvements variés, tels que la course ou le saut, divers jeux compétitifs, pratiqués avec modération, jeux de balle, lancement du poids, exercices avec la massue, jeu de colin-maillard et d’autres jeux pratiqués, décemment.

On pensera aussi à organiser des sorties et des promenades à l’intérieur de l’école ou au jardin.

Il vaut mieux que ces promenades soient collectives et non individuelles, pour donner l’occasion aux élèves de converser les uns avec les autres, et par là, de s’exercer, se détendre et se récréer.

On peut aussi permettre les jeux pendant lesquels on est assis, à condition qu’ils fournissent une occasion pour exercer l’esprit, tels les échecs, etc. Il faut interdire absolument les jeux de cartes et de dés parce que, d’une part, dans ceux-ci, c’est le hasard qui décide de tout et, d’autre part, en raison de l’anxiété et de la tension d’esprit qu’ils causent à certains gens ; encore faut-il dire qu’ils ne jouissent pas d’une bonne réputation, car on en abuse généralement. »

Comenius propose alors la généralisation de jeux dans l’enseignement, ce qui est logique : si le cerveau dispose de plasticité et que son activité est une réflexion, alors forcément plus on joue, plus on participe au monde et plus on reflète, le jeu étant lui-même une activité en miroir par rapport à l’autre, aidant à l’activité du cerveau. Voici ce que propose Comenius :

« On pourra y introduire

des jeux d’alphabet des jeux d’histoire
de lecture de métaphysique
d’écriture de physique
de dessin techniques –
de calcul illustrant
de géométrie les principes
de musique de la morale
et de la religions

mais surtout des scènes bibliques (…).

En agrémentant l’enseignement de divertissements variés et profitables

1) la santé : les mouvements, la course, la lutte ;

2) aux sens : lecture des journaux, inspection des dessins, etc.

3) à l’intelligence : concours divers, amusettes, etc.

4) à la mémoire : récitation et répétition des passages avec concours et prix divers ;

5) au jugement : devinettes et dissertations ;

6) à l’habileté de la main ; tâches et travaux bien disposés ;

7) à l’art de l’éloquence : dialogues improvisés ; lettres et discours fictifs.

De cette manière, on pourra, à bon droit, dire de cette école qu’elle est SCHOLA LUDUS. »

Avec Comenius, on a des activités tout azimut ; il s’oppose particulièrement à l’unilatéralisme et affirme qu’il faut inversement partir dans toutes les directions. Il a compris la nature du jeu pour l’être humain : penser, c’est jouer.

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

Comenius et le monde en images puisque le monde sensible est perçu par des images

Aujourd’hui, lorsqu’on regarde une encyclopédie ou un document présentant un contenu, on a l’habitude de voir une ou plusieurs images qui sont associées à l’explication. C’est à Comenius qu’on doit cette pratique.

Suivons ici son raisonnement, fondé sur une exigence démocratique. Comenius considère que « dans les écoles, tous doivent être instruits en tout ».

Mais il sait qu’il y a une contradiction avec l’immensité des choses à apprendre si on se spécialise. Aussi faut-il trouver un moyen afin que l’esprit scientifique prédomine toujours face aux choses qu’on découvre, même si on ne les a pas étudiées.

Comenius dit ainsi :

« Il faut donc en arriver à une organisation telle que personne, pendant son séjour sur terre, ne rencontre rien qui lui soit absolument inconnu et dont il ne puisse tirer en quelque mesure parti, sensément et sans tomber dans les pièges de l’erreur. »

Comenius a trouvé comme moyen pas moins que l’image. Si en effet la pensée reflète la réalité, telle une tablette inscrivant ce que les sens lui fournissent comme informations, alors tout passe par l’image.

Quel est le rôle de l’image ? En fait, Comenius considère que l’esprit humain se divise en trois parties : l’intelligence, la volonté et la mémoire. Ces parties ne sont pas séparées, et l’enseignement doit permettre d’éclairer l’intelligence, de diriger la volonté et d’éveiller la conscience.

C’est là une division, encore une fois, conforme au matérialisme dialectique : la conscience doit saisir la réalité, alors qu’elle est en retard sur elle dans sa transformation (puisqu’elle ne fait que refléter le réel) ; la volonté doit être dirigée selon des principes ; enfin, l’intelligence doit être éclairée c’est-à-dire qu’elle doit profiter d’un épanouissement et de méthodes efficaces.

L’image a ici une fonction essentielle. Elle est un point de repère et un guide ; voici ce qu’explique Comenius, dans la préface à son ouvrage Le monde en images :

« Voici donc une aide et un expédient nouveau pour les écoles: la peinture et la nomenclature de toutes les choses fondamentales qui existent au monde et aussi de toutes les actions principales qui se font au cours de la vie humaine!

Afin qu’il ne vous semble pas ennuyeux, mes très-chers maîtres et précepteurs, de feuilleter et de parcourir ce livre, je vais vous dire, en peu de mots, le grand profit que vous pourrez en tirer.

Ce livre, tel que vous le voyez, n’est pas un gros volume. Il est pourtant un compendieux abrégé de l’ensemble du monde et de toute la langue, abrégé qui est embelli et rempli de peintures, de nomenclatures et de descriptions de toutes choses.

I. Les peintures ou figures, ce sont des idées ou portraits de tout ce qu’il y a de visible au monde; à ces idées de choses visibles se rattachent, en une certaine façon, celles des choses invisibles, et ceci dans l’ordre selon lequel elles ont été rangées et décrites dans la Porte des Langues [manuel pour apprendre une langue étrangère, fondé sur le même principe d’images], de sorte que rien de nécessaire et d’essentiel n’y a été omis ou négligé.

II. Les nomenclatures sont les titres et les inscriptions qu’on a joints à chacune des peintures ou figures et qui expriment, par un mot général, le contenu de son sujet.

III. Les descriptions sont les explications de la peinture ou de la figure selon ses parties. Ces explications sont exprimées par leurs propres noms, de sorte que le même chiffre mis sur la figure ou la peinture et auprès de leur signification, montre d’une façon évidente les choses qui se correspondent. »

Publié au milieu du XVIIe siècle, Le monde en images, dont le véritable titre est Orbis sensualium pictus (l’image du monde sensible), eut un succès considérable en Europe. Ce fut un manuel d’apprentissage extrêmement apprécié; il connut notamment deux versions quadrilingues (latin, allemand, italien et français, ainsi que latin, tchèque, allemand et hongrois).

Johann Wolfgang von Goethe le présenta dans ses mémoires comme le premier véritable ouvrage destiné aux enfants.

La Porte des langues, dont il est parlé plus haut, est un manuel de langues fondé sur un principe tout à fait similaire, et pareillement fondé sur la vision matérialiste du monde.

Pour apprendre une langue, plutôt que l’accumulation de mots, Comenius a prôné l’apprentissage raisonné. Sa Porte des langues consiste ainsi en des blocs de mots en latin et dans une autre langue, regroupés par thématiques.

Les 8000 mots les plus usités sont ainsi regroupés en 1000 thèmes, afin de faciliter la compréhension et l’apprentissage. Il n’est guère difficile de voir la fantastique modernité de cette approche.

Toutefois, Comenius jugeant l’approche encore trop difficile, ajouta les images, ce qui amena l’Orbis sensualium pictus, dont l’épigraphe annonce ainsi fièrement: Omnia sponte fluant, absit violentia rebus (Que tout vienne spontanément, que la contrainte soit bannie). Chaque image comporte en son sein des numéros, reliés à un vocabulaire précis, permettant de s’en faire une meilleure image, reflétant la réalité.

L’Orbis sensualium pictus avait ainsi une double nature: il servait à la présentation de la réalité par des scènes, il permettait d’acquérir le vocabulaire allant avec, et si du vocabulaire en langue étrangère était placé en parallèle du texte en langue nationale, il y avait l’apprentissage d’une nouvelle langue.

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

Comenius: plasticité du cerveau et pensée comme images transmises par les sens

Comenius est un penseur formidable, car il a compris la réalité du cerveau ; c’est pour cela qu’il a pu affirmer qu’il fallait enseigner, et qu’il a pu proposer un modèle d’enseignement, d’esprit universel.

Pour les matérialistes, le cerveau est de la matière grise ; comme l’a formulé Aristote, c’est une tablette, on dirait aujourd’hui un disque dur.

Or, on sait bien que le cerveau est bien plus plastique dans la jeunesse : il reflète mieux qu’il ne le fait par la suite.

Justement, voici ce que dit Comenius, comparant le cerveau à la cire, affirmant ouvertement la thèse matérialiste du reflet :

« C’est une propriété constatée chez tous les êtres à leur naissance qu’il est très facile de les plier et de leur donner une forme lorsqu’ils sont encore tendres, mais qu’il n’obéissent plus dès qu’ils sont devenus durs. La cire molle se laisse facilement pétrir et façonner ; durcie, elle se brise sous l’effort (…).

Son cerveau [à l’être humain], en effet, qui dans la mesure où il reçoit les images transmises par les sens agit, avons-nous dit, comme une cire, est humide et plastique dans sa jeunesse et apte à recevoir toutes les images qui lui sont présentées ; plus tard, il se sèche et durcit, peu à peu, de telle manière que, l’expérience le prouve, les objets du monde extérieur ne s’y gravent plus aussi aisément. »

Voilà qui est tout à fait matérialiste, et il est impossible de ne pas souscrire à cela. C’est une considération fondamentale, que l’on doit avoir en tête lorsqu’on veut enseigner.

Comenius
dans une édition allemande de 1913
du Didactica magna

Comenius a tellement compris la question du reflet qu’il parle de l’école comme devant être en quelque sorte un théâtre, présentant la réalité en captant l’attention. La mise en avant du jeu procède de la même approche.

Comenius dit par ailleurs ouvertement que :

« L’objet, l’idée de l’objet et le mot sont des notions corrélatives, liées par des rapports mutuels, car les idées (les concepts) sont les images, les reflets d’objets dans notre conscience, alors que les mots reflètent les idées.

D’où il ressort, de toute nécessité, qu’on doit, tout d’abord, montrer aux hommes des choses (des objets) afin que, les regardant, ils se créent des représentations (des idées) de ces choses et apprennent, par la suite, à nommer ce qu’ils saisissent.

Et toujours, il faut que ces trois entités, a) l’objet ; b) l’idée ; et c) la parole, aillent ensemble. Et encore, que d’abord l’objet soit présenté, que sa présentation soit suivie d’une explication qui nous permette de nous en faire une idée juste, et qu’enfin l’objet reçoive un nom. »

Et Comenius continue, dans une approche extrêmement proche du matérialisme dialectique :

« «A priori», c’est ce que nous percevons par nos sens, car rien ne peut être compris à moins d’être perçu d’abord par les sens.

Ce qui provient de la Révélation (qui complète notre savoir là où nos sens et notre intellect ne nous suffisent plus – tout en admettant que nous préférons connaître tout, autant que faire se peut, par nos propres moyens), n’entre dans notre conscience qu’après ce qui a été compris par l’intellect.

Mais il existe une autre raison qui fait qu’à l’école pansophique [école de la philosophie générale, complète, totale] il importe de présenter d’abord ce que nous percevons par les sens, ensuite ce que nous comprenons par le raisonnement et enfin, en dernière instance, ce qui nous vient de la révélation divine (qui demande à être écoutée, car nos sens et notre raison ont des limites).

En effet, la meilleure façon de connaître les choses est celle qui les étudie dans leur devenir et leur enchaînement.

Tout d’abord, Dieu a créé le monde, rempli de ses œuvres que nous percevons par les sens ; ensuite, il a créé l’homme, doué de raisonnement. Mais l’homme ne connaît pas lui-même tant qu’il ne comprend pas qu’il est rempli d’images de chose.

Ce n’est qu’alors qu’il s’aperçoit qu’il est un microcosme, créé à l’image du Dieu omniscient. En comparant entre elles les notions abstraites des choses, en les décomposant et les recomposant, il multiplie la joie que lui procure la lumière de sa raison. »

Si on remplace le concept de Dieu par celui d’Univers, alors on a ici un exposé naïf mais tout à fait authentique du concept matérialiste dialectique de la pensée comme reflet de la matière en mouvement.

La conception de Dieu chez Comenius est tellement proche de Baruch Spinoza qu’ici, si on remplace Dieu par la nature (ou l’univers), tout est une évidence :

« Les exercices des organes des sens sont particulièrement importants et nécessaires. Ils ne doivent jamais être négligés, car c’est par les sens que l’intelligence parvient à la connaissance des choses.

Ce que l’on propose aux élèves doit saisir, mouvoir et captiver leurs sens et, par l’intermédiaire de ceux-ci, leur intelligence.

Ce sont, en effet, les choses elles-mêmes qui doivent parler aux élèves, pas nous ; de la même manière, Dieu agit avec nous dans l’école de la vie : tout le théâtre de la nature est empli par Lui de peintures, de statues et d’images visibles et palpables qui émettent des sons et qui spleines de saveurs, et par lesquelles il nous instruit silencieusement mais avec un grand profit pour nous, en accompagnant ses paroles de quelques rares préceptes.

Il devrait en être de même dans notre école : tout ce que l’on doit savoir sur les objets du monde sensible devrait être appris par ces objets eux-mêmes.

Tantôt il faut les montrer, pour qu’on puisse les voir, toucher, entendre, sentir, etc., tantôt ils seront représentés par des images et des illustrations. »

C’est là une théorie de la connaissance tout à fait matérialiste, et on comprend qu’il fallait attendre un tel niveau pour arriver à formuler l’exigence démocratique de l’éducation pour tous : seul le matérialisme porte en lui l’universel, et une compréhension claire, par la théorie du reflet, de la possibilité d’acquérir des connaissances.

Sans théorie matérialiste de la connaissance, pas d’éducation.

>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

Comenius: l’enseignement par le jeu, pour tous et toutes

« Puisse l’école cesser d’être un labyrinthe, un bagne, une prison et un lieu de détresse, et puisse-t-elle commencer à être un stade, un palais, un festin et un paradis ! »

Tel est l’appel de Jan Amos Komenský (1592-1670), dit Comenius, qui n’est pas moins que le fondateur de la pédagogie.

Dessin de Comenius
par Reinecke, Pedagogikens historia, 1895

Car il est tout à fait erroné, comme on le fait en France, de s’imaginer en effet que les formes « modernes » ont été élaborées dans l’antiquité gréco-romaine. C’est là le point de vue catholique, celui de la Renaissance, et il s’oppose au point de vue du matérialisme dialectique, qui considère l’humanisme comme la grande période d’affirmation de l’esprit démocratique porté par la bourgeoisie naissante.

Comenius appartient à cette vague, sauf qu’il est emprisonné dans le XVIIe siècle, où la réaction catholique tente, au moyen du baroque organisé par les jésuites, de contrecarrer les avancées de l’humanisme et du protestantisme.

Comenius a alors un destin qu’on peut qualifier d’historique, puisqu’il est né en Bohême et appartient à la culture hussite, et meurt à Amsterdam où justement le protestantisme victorieux est le prolongement du hussitisme.

Le hussitisme défait par la direction, Comenius appelle la nation tchèque à s’éduquer, mais n’ayant pas les moyens de mettre en place un programme d’éducation nationale, il en forme un qui est universel.

Comenius s’adresse à tous les êtres humains, sans distinction d’origine ou de sexe.


Jürgen Ovens  (1623–1678),
Jan Amos Comenius (Komensky) (1592-1670)

Comenius lève le drapeau démocratique, dans l’esprit du hussitisme :

« Que Dieu ne fasse de distinctions en faveur de personne, c’est lui-même qui l’atteste en mainte occasion. Donc, si nous n’admettons que quelques-uns pour être éduqués, à l’exclusion des autres, nous commettons une injustice non seulement envers ceux qui sont doués de la même nature que nous-mêmes, mais encore envers Dieu lui-même qui veut être reconnu, aimé et loué par tous ceux qu’il a créés à son image. »

Ne nous y trompons pas : c’est de l’être humain raisonnable dont parle ici Comenius, qui va organiser tous les plans pour une école publique de masses, concernant toute la jeunesse sans exception.

Il va également aborder en détails la question du contenu, et là, chose formidable, il reprend précisément et naturellement les thèses de l’averroïsme, faisant de la pensée un reflet de la réalité perçu par les sens, avec même une explication parfaitement matérialiste de l’importance de l’éducation dans la jeunesse en raison de la plasticité du cerveau.

Pour cette raison, par ailleurs, il est le grand théoricien de l’apprentissage par le jeu. Comenius a ici une compréhension approfondie de la nature du cerveau, puisqu’il préfigure la thèse matérialiste dialectique de la pensée comme reflet et forcément qui dit reflet dit jeu de miroir.

Voici comment Comenius présente sa conception du jeu comme base de la pédagogie authentique :

« L’école doit être un lieu où l’on se divertit, où tout se passe agréablement et spontanément.

Est-ce que, en jouant, nous sommes pleins de colère et de bile ? Est-ce à un jeu qu’on donne des soufflets et des coups de fouet à quelqu’un ? Même les apprentis artisans méritent d’être mieux traités !

Doit-il en être autrement quand il s’agit de ceux qui apprennent les art et les lettres ? Jamais !

Les maîtres d’écoles doivent se comporter, chacun dans son milieu, de la même façon avec les enfants qui leur ont été confiés que Dieu, dans sa sagesse, se comporte envers ses créatures, et surtout avec les êtres humains.

Il est donc clair que tout ce qui naît, se développe et se forme, se fait spontanément et sans violence. Ce que Dieu donne au genre humain, c’est des invites, des conseils, des encouragements.

Nous autres pédagogues, nous devrions donc non seulement être utiles à nos élèves, mais aussi les distraire agréablement. »

Comenius est, ainsi, l’enseignant des enseignants : toute réflexion sur l’enseignement est impossible sans lui.

=>Retour au dossier sur la pédagogie de Comenius

P.C. d’Inde (Marxiste-Léniniste) / Naxalbari : Le MLM et la pensée Mao Zedong ne sont pas la même chose

Les dernières décennies ont vu les maoïstes remporter des succès significatifs dans la lutte idéologique et dans la pratique révolutionnaire, établissant le marxisme-léninisme-maoïsme comme commandant et guide de la révolution prolétarienne mondiale. 

Cela est visible dans deux aspects reliés entre eux. 

Plus que jamais auparavant, mener la Guerre Populaire ou s’activer à la préparation de son déclenchement est considéré comme la tâche centrale d’un parti maoïste. 

Sous ce rapport, la polarisation à l’intérieur du mouvement marxiste-léniniste au sens large qui a émergé dans les années 1960, entre les communistes authentiques et les diverses formes d’opportunisme de droite, s’est donc aiguisée. 

L’opportunisme de droite, le centrisme et le dogmato-révisionnisme sont de plus en plus forcés de dévoiler leur essence contre-révolutionnaire. 

La possibilité de concilier les deux contraires sous la bannière de la pensée mao zedong est en train de disparaître. 

Autrefois, les variétés de l’opportunisme de droite ont cherché à empêcher l’adoption du MLM en agitant le spectre du Lin Piaoisme et en soulevant un nuage de fumée sur les problèmes de l’heure. 

Cette tentative a échoué. 

Ceux qui ont joué ce jeu ont désormais été forcé de montrer leurs vraies couleurs en déviant du MLM et de la voie révolutionnaire encore plus explicitement. 

Cependant, les opportunistes de droite n’ont pas abandonné la partie. 

Certains d’entre eux ont feint d’accepter le maoïsme sans faire aucune rupture décisive avec leur passé. Pour ces gens, le MLM n’est rien d’autre qu’un nouveau cheval à enfourcher, puisque les leurs sont à l’agonie. 

C’est une loi de la révolution que le révisionnisme et d’autres variétés étrangères au communisme sont vouées à adopter de nouvelles formes à chaque avancée de la lutte des classes. 

Par conséquent, une telle adoption du MLM n’est pas surprenante. 

En revanche, les maoïstes ont évidemment à contrer ces tactiques opportunistes de droite. Malheureusement, une idée erronée persiste dans les rangs maoïstes, devient un obstacle dans cette lutte. 

Elle fournit aussi un espace à cette tactique opportuniste de droite. Quelle est cette idée erronée ? 

C’est l’idée que le MLM et la pensée mao zedong soient une seule et même chose. 

Ce qui est vrai, c’est que le passage du terme de pensée mao zedong au terme de MLM représente le passage à une explication plus précise et plus scientifique des contributions de Mao. 

Ce changement terminologique est également nécessaire pour tracer une ligne de démarcation plus nette face au révisionnisme moderne. 

Mais, si l’on ne parvient pas à clarifier la différence entre MLM et pensée mao zedong, l’adoption du MLM ne reviendra justement qu’à un changement terminologique. La porte sera donc ouverte aux variétés d’opportunisme de droite que nous avons mentionnées. 

Quelle est l’origine de cette idée erronée? Elle provient d’une vue formaliste de la situation. 

Comme nous l’avions expliqué dans un article passé : « Il est vrai qu’un catalogue formel comparant la pensée mao zedong et le maoïsme ne révèlera rien de nouveau. 

Mais là n’est pas la question, et nous devons prendre garde à ne pas tomber dans ce piège formaliste tendu par les adversaires du maoïsme. » 

La pensée mao zedong et le maoïsme ne sont pas la même chose. Ce dernier apporte quelque chose de nouveau. Quelque chose d’une grande importance idéologique est conquis avec l’adoption du maoïsme. 

Cette nouveauté ne réside pas dans le mot lui-même. 

Elle réside dans la rupture avec la compréhension incomplète ou mutilée de l’universalité des conceptions de Mao prises comme un tout, et dans le saut qualitatif qu’elles permettent de faire pour mieux s’emparer de notre idéologie, de façon plus élevée et plus profonde. 

Evidemment, tout raisonnement qui ne ferait qu’insister sur l’absence de nouveauté, ferait échouer la tâche de mobiliser tout le Parti et de le mener à cette rupture. 

La tâche de donner corps à ce grand potentiel, dans une rectification idéologique vigoureuse pour s’emparer au mieux du marxisme-léninisme-maoïsme serait accomplie partiellement. 

Ou pire, elle serait abandonnée à la spontanéité. 

Les dirigeants fondateurs des nouveaux partis marxistes-léninistes dans les années 1960 avaient fait de l’adoption de la pensée mao zedong en tant que nouvelle, troisième et supérieure étape du marxisme-léninisme la pierre de touche de la rupture avec le révisionnisme. 

Ils ont appliqué cette idéologie pour construire la ligne révolutionnaire et guider la pratique. 

Tous les partis maoïstes actuels tirent leur origine de tels sauts qualitatifs. 

Mais de là à aujourd’hui, l’adoption du MLM n’ a pas été en ligne droite. 

Nous n’avons pas besoin ici de détailler tout le processus, mais il est clair que cette avancée a été gagnée dans la lutte contre les tendances qui oeuvraient contre la ferme saisie de l’universalité des contributions de Mao. 

Cette lutte est encore en cours et doit être complétée. 

Examinons une question spécifique, la théorie de la Guerre Populaire. 

Lorsque la pensée mao zedong était arborée, pendant une longue période, la tendance dominante était de la voir comme quelque chose de spécifique, justifiée et applicable seulement dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux. 

Des échos de cette tendance continuent d’exister, dans les partis maoïstes, encore aujourd’hui. 

Toutefois, les dirigeants fondateurs des nouveaux partis marxistes-léninistes des années 1960 étaient tout à fait clairs au sujet de l’universalité de la guerre populaire. Les écrits de Charu Mazumdar en sont un exemple. 

Dans ces conditions, comment expliquer l’émergence de la vue erronée qui limite la Guerre Populaire aux pays opprimés ? Cela a été une déviation. 

Pour la combattre, Il a fallu attendre l’explication puissante du maoïsme en tant que nouvelle étape du marxisme-léninisme et de l’universalité de la Guerre Populaire par le Parti Communiste du Pérou. 

Le Mouvement Révolutionnaire Internationaliste (MRI) et les partis qui y participent acceptent l’idée que « Mao Zedong a développé la compréhension de la science militaire du prolétariat par sa théorie et sa pratique de la Guerre Populaire » et que celle-ci est « applicable universellement dans tous les pays, bien qu’elle doive être appliquée aux conditions concrètes de chaque pays… » 

Evidemment, c’est un des points où la compréhension encore incomplète de la nouvelle étape atteinte grâce aux contributions de Mao a été rectifiée par l’adoption du maoïsme. 

Est-ce que cela n’était qu’une simple répétition de ce qui a été dit dans les années 1960 ? Non, cela reflétait une compréhension plus profonde et complète. 

Compréhension basée, à l’époque, sur les leçons des expériences avancées gagnées par la guerre populaire au Pérou, laquelle était guidée par une compréhension avancée des contributions de Mao, et en particulier de la théorie de la Guerre Populaire. 

Cette compréhension a été enrichie par la suite avec la guerre populaire au Népal, en particulier avec l’intégration des tactiques d’insurrections armées, de l’intervention politique au niveau des centres urbains dans le cadre de la guerre populaire prolongée.

Aujourd’hui, accepter en paroles l’universalité de la guerre populaire tout en refusant de reconnaître et de tirer des leçons de ces exemples avancés n’aurait aucun sens. 

Adopter le maoïsme tout en niant les contributions théoriques faites par ces guerres populaires serait comprendre de façon incomplète l’universalité du maoïsme. 

Pourquoi cela est-il arrivé ? 

Dans les années 60, le camarade Charu Mazumdar écrivait : «Aujourd’hui que nous possédons la brillante pensée du président Mao Zedong, le stade le plus haut du développement du marxisme-léninisme, pour nous guider, il est impératif pour nous de juger toutes choses à nouveau à la lumière de la pensée mao zedong et de construire une voie entièrement nouvelle pour aller de l’avant.» 

L’adoption du maoïsme réclame justement de nous exactement cet impératif de « tout reprendre à neuf ». 

Il exige un regard renouvelé sur toute la question de l’idéologie, de son développement en général et en particulier sur les apports de Mao. 

Pour qu’elle ait un sens concret et directement compréhensible, il faut relier cette adoption à un examen approfondi de la ligne et de la pratique du parti. 

Et cette adoption doit apprendre des toutes dernières expériences les plus avancées du prolétariat international. 

Pour certains partis, il s’agira de mener une rupture décisive avec ses déviations élémentaires et rejoindre la voie révolutionnaire. 

Pour d’autres, déjà engagés dans la pratique révolutionnaire, il s’agira de rectifier des aspects spécifiques. 

Le point commun, c’est la nécessité d’une rectification idéologico-politique. 

C’est le point essentiel de cette « reprise à neuf ». 

Ce point essentiel passe à la trappe lorsque le maoïsme et la pensée mao zedong sont déclarés identiques et qu’il ne s’agit donc que d’adopter une meilleure dénomination. 

L’adoption de la pensée mao zedong dans les années 60 avait signifié : rompre avec le révisionnisme et construire un nouveau parti sur de nouveaux fondements. 

Maintenant que cette tâche est consommée, d’autant plus que la rupture avec le révisionnisme est allée en se consolidant et s’aiguisant pendant ces décennies de lutte armée révolutionnaire, y a-t-il encore besoin d’appeler à la rectification idéologico-politique au moment d’adopter le maoïsme ? 

Les expériences du mouvement communiste international et national nous donnent clairement la réponse. 

Persister dans la voie de la Guerre Populaire donne certainement une base puissante pour identifier et corriger les erreurs. 

Mais la question de savoir si cette rectification va jusqu’aux racines et se fait de manière ouverte et compréhensible, ou si elle se limite à corriger certaines positions particulières, ne peut pas être tranchée par la seule lutte armée révolutionnaire. 

Elle ne peut pas être vérifiée non plus par la pratique immédiate, car les résultats de ces différences d’approche se révèlent seulement à long terme. 

Il s’agit principalement de la question de mener fermement et de façon ininterrompue la lutte idéologique. 

Il s’agit d’appliquer complètement le principe « c’est la ligne qui est principale ». 

Il s’agit de forger le parti et les masses dans l’acier de cet enseignement maoïste décisif, pour les temps présents et pour la révolution prolongée jusqu’au communisme. 

De plus, même si l’adoption du maoïsme n’est considérée que comme une meilleure dénomination aiguisant la démarcation avec le révisionnisme, cela n’implique t-il pas une rectification idéologico-politique ? 

« Combattre l’égoïsme, critiquer le révisionnisme » était un mot d’ordre important de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. 

Le révisionnisme moderne dans le mouvement marxiste-léniniste au sens large distille son venin en présentant une vision tronquée ou mutilée des enseignements de Mao Zedong. 

Pour critiquer et détruire cette influence, les maoïstes doivent aiguiser leur propre compréhension idéologique, en particulier leur compréhension de l’universalité du maoïsme. 

Ces deux tâches sont unies inséparablement. Si notre aiguisement idéologique, si la rectification est laissée de côté sous prétexte que nous avons toujours été des maoïstes, alors le combat contre le révisionnisme en sera affaibli. 

Pour citer un document du PCP : « Il est vital et urgent d’analyser le maoïsme une fois encore, en vue de définir plus et mieux son contenu, en étant guidés par l’idée qu’arborer, défendre et appliquer le maoïsme est l’essence de la lutte entre le marxisme et le révisionnisme d’aujourd’hui. » 

Nous avons dit que le réexamen de notre idéologie implique également d’apprendre des expériences nouvelles et avancées du prolétariat international. 

Comment juger si une expérience est avancée ou non ? 

La vérification par la pratique fournit sans aucun doute le critère. Mais l’interprétation de cela est devenue une affaire importante dans la lutte pour déterminer le caractère avancé des acquis des guerres populaires au Népal et au Pérou. 

Les juger principalement par les progrès ou les reculs immédiats ou par le niveau de lutte armée et de répression, cela serait mal utiliser le critère de la pratique. 

De même, minimiser leurs leçons sous prétexte qu’elles viennent de petits pays aux Etats faibles, etc… est tout aussi faux. 

Dans ces deux façons de voir, l’absence de l’aspect idéologique saute aux yeux. 

Sans lui, le critère de la pratique est réduit à un simple empirisme. 

La liaison dialectique de l’universel et du particulier est rompue. 

Une des leçons importantes de la lutte pour établir le MLM a été une compréhension plus profonde de la remarque de Mao selon laquelle, dans le développement de l’idéologie prolétarienne, «la base c’est la science sociale, la lutte des classes». 

C’est lorsqu’elle s’appuie sur les riches expériences de la lutte des classes révolutionnaire que l’idéologie peut se développer. 

Des développements nouveaux, plus profonds, plus avancés de théories existantes peuvent alors émerger. De nouveaux concepts peuvent être développés. 

Si tel est le cas ou non, on ne peut le décider que sur la base du MLM. 

Sans aucun doute, les leçons d’une révolution particulière ne peuvent pas être appliquées mécaniquement ailleurs. Mais c’est aussi le cas du MLM lui-même. 

Si les leçons d’une révolution particulière s’accordent avec le MLM, si elles nous montrent une nouvelle façon de connaître et d’agir, alors ces leçons doivent être nécessairement être soutenues et appliquées. Cela aussi est une pierre de touche de l’adoption du MLM par un parti. 

Qu’est-ce que l’on perd en négligeant l’étude consciencieuse de ces compréhensions avancées ? 

Pour donner un exemple précis, il y a deux ans, le Comité Central non-divisé du PCI(ML) Janasakthi a publié un document officiel. 

Ce document attribuait les échecs de leur parti au fait qu’il n’avait pas su prendre en main les contre-offensives tactiques. 

Ce qui est instructif à nos yeux, c’est que cette « rectification » ait pu se faire sans aucune rupture avec la «théorie des phases» de la ligne de CP Reddy (une variante de la ligne de Nagi Reddy) [la théorie anti-maoïste des phases dit : d’abord la lutte économique, puis la résistance armée pour défendre les gains économiques, enfin la lutte armée pour le pouvoir politique]. 

En fait, tout le document n’était qu’une tentative éclectique pour que deux fusionnent en un : combiner l’opportunisme de droite de CP Reddy avec Charu Mazumdar. 

Quel leçon tirer de cela ? La tendance dominante dans les critiques maoïstes de la théorie des phases a toujours visé l’incapacité du PCI (ML) Janaskathi à mener la lutte armée contre l’Etat. 

C’est la pierre de touche de la critique contre la « théorie des phases ». 

Cette dernière a été mise en comparaison avec la croissance du mouvement révolutionnaire dirigé par les maoïstes, qui a persisté dans la lutte armée et l’a élevée au niveau de la Guerre Populaire contre l’Etat. Cette comparaison faite dans le contexte de l’Inde est certainement utile pour exposer cette théorie anti-maoïste. 

Mais ne mettre l’accent que sur une seule forme de la manifestation de la « théorie des phases » a aussi permis d’éviter l’examen et la dénonciation de cette négation du dynamisme de la guerre, qui est sa véritable essence. 

Cela a affaibli la critique de la « théorie des phases ». 

Cela a ouvert la porte aux manoeuvres de la direction de Janaskathi ayant pour but de donner les apparences d’ une rectification. 

Une des raisons ayant permis cela a été l’incapacité d’examiner toute l’affaire avec le recul permis par les théories et expériences nouvelles et avancées de la Guerre Populaire, au profit de considérations et exemples limités à l’Inde. 

Dans le cas particulier de Janaskathi, un groupe de camarades qui ont sérieusement entrepris de reconsidérer leur passé avec ce recul ont réussi à aller à la rupture, au contraire d’autres sections qui continuent à patauger plus ou moins profondément dans le marais de Nagi Reddy. 

Ceci a permis à ces camarades d’arriver à la conclusion ferme que c’est la compréhension correcte du maoïsme, plus que son adoption formelle, qui est la question-clé pour l’unification des maoïstes de l’Inde en un seul parti, en un parti basé sur le MLM et uni au MRI. 

Aujourd’hui que l’opportunisme de droite rend des hommages peu sincères au MLM en vue de s’atteler au char de l’unification en cours des maoïstes authentiques, ce développement a une grande signification. 

Il insiste une fois encore sur l’importance vitale d’approfondir notre compréhension du MLM, en particulier du maoïsme, et de livrer combat contre les vues qui brouillent la netteté du saut effectué par l’adoption du marxisme-léninisme-maoïsme à la place de la pensée mao zedong. 

Par Ajith, pour le
CPI (ML) Naxalbari

=>Retour au dossier sur Charu Mazumdar
et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PC d’Inde (Maoïste): déclaration quant au meurtre de Mallojula Koteswara Rao

Condamnons le meurtre brutal du camarade Mallojula Koteswara Rao, l’apprécié dirigeant des masses opprimées, le dirigeant de la révolution indienne et membre du Bureau Politique du PCI (maoïste) ! Observons une semaine de protestation du 29 novembre au 5 décembre [2011] et une grève générale en Inde de 48 heures les 4 et 5 décembre !

Le 24 novembre 2011 restera une journée noire dans les annales de l’histoire du mouvement révolutionnaire indien. La clique dirigeante fasciste Sonia-Manmohan-Pranab-Chidambaram-Jairam Ramesh, qui n’a cessé de hurler comme quoi le PCI (maoïste) serait « la plus grande menace pour la sécurité intérieure », en collusion avec la ministre en chef du Bengale occidental Mamata Banerjee, ont tué le camarade Mallojula Koteswara Rao, après l’avoir capturé vivant dans un complot planifié bien organisé.

Cette clique, qui avait tué le camarade Azad, notre porte-parole de parti le 1er juillet 2010, a encore une fois lancé son filet et étanché sa soif de sang. Mamata Banerjee, qui avait versé des larmes de crocodile sur l’assassinat du Camarade Azad avant de parvenir au pouvoir, tout en en mettant d’une part en scène les pourparlers après son entrée en fonction, a tué un autre des plus hauts dirigeants le Camarade Koteswara Rao et par là montré sans fards ses aspects anti-populaire et fasciste.

Les agences centrales de renseignement et les agences de renseignement meurtrières du Bengale occidental et de l’Andhra Pradesh l’ont pourchassé dans une conspiration bien planifiée et l’ont lâchement tué dans une opération conjointe ; ils distribuent désormais une histoire inventée d’affrontement.

Le secrétaire central de l’Intérieur RK Singh, en mentant comme quoi ils ne savaient pas avec certitude qui était mort dans l’affrontement, a dans le même temps annoncé que c’était un coup dur pour le mouvement maoïste. Il a ainsi dévoilé la conspiration derrière ce meurtre.

Le peuple opprimé enverra absolument au cimetière les classes dirigeantes exploiteuses et leurs maîtres impérialistes qui rêvent le jour, en pensant qu’ils pourraient éliminer le parti maoïste en tuant les plus hauts dirigeants du mouvement révolutionnaire.

Le Camarade Koteswara Rao, qui est très populaire sous le nom de Prahlad, Ramji, Kishenji et Bimal à l’intérieur du parti et parmi le peuple, est l’un des importants dirigeants du mouvement révolutionnaire indien.

Ce guerrier infatigable, qui n’a jamais reposé son dans la lutte pour la libération des masses opprimées durant 37 ans et qui a donné sa vie pour le bien de l’idéologie en laquelle il croyait, est né en 1954 à Peddapally ville du district de Karimnagar dans le Telangana du Nord, en Andhra Pradesh. Élevé par son père Late Venkataiah qui a été un combattant de la liberté et par sa mère Madhuramma, qui avait des opinions progressistes, Koteswara Rao s’est imprégné depuis l’enfance de l’amour pour son pays et ses masses opprimées.

En 1969, il avait participé au mouvement historique pour un Telangana indépendant, alors qu’il était étudiant au lycée dans la ville de Peddapally. Il a rejoint le mouvement révolutionnaire sous l’inspiration des glorieux mouvements de Naxalbari et de Srikakulam tout en obtenant son diplôme de collège SRR de Karimnagar.

Il a commencé à travailler comme un membre actif du Parti en 1974. Il a passé quelque temps en prison durant la période noire de l’état d’urgence. Après la levée de l’état d’urgence, il a commencé à travailler comme organisateur du parti dans son district natal de Karimnagar.

Il a répondu à l’appel de la campagne du parti « Aller dans les Villages » et a développé des relations avec la paysannerie en allant dans les villages. Il était un de ceux qui ont joué un rôle prépondérant dans l’essor du mouvement paysan populaire comme « Jagityal Jaitrayatra » (la Marche de la Victoire de Jagityal) en 1978.

Ce faisant, il a été élu membre du comité du district du comité conjoint Adilabad-Karimnagar du PCI (ML). En 1979, lorsque ce comité a été divisé en deux comités de district, il devint le secrétaire du comité du district de Karimnagar. Il a participé à la douzième conférence du parti de l’État de l’Andhra Pradesh, il a été élu au Comité d’État d’Andhra Pradesh (AP) et il a pris les responsabilités de secrétaire.

Jusqu’en 1985, dans le cadre de la direction du comité d’Etat de l’Andhra Pradesh, il a joué un rôle crucial dans la propagation du mouvement dans tout l’État et dans le développement du mouvement du Nord Telangana qui avançait avec la perspective de zone de guérilla.

Il a joué un rôle de premier plan dans l’expansion du mouvement au Dandakaranya (DK) et à son développement. Il a été transféré à Dandakaranya en 1986 et il a pris des responsabilités en tant que membre du Comité de Forêt. Il a dirigé des escadrons de guérilla et le peuple dans les zones de Gadchiroli et Bastar du DK. En 1993, il a été coopté comme membre dans le Comité central d’organisation (COC).

A partir de 1994, il a principalement travaillé à répandre et à développer le mouvement révolutionnaire dans les parties Est et Nord de l’Inde, y compris au Bengale occidental.

A été particulièrement extraordinaire son rôle dans l’unification des forces révolutionnaires, dispersées après l’échec du mouvement de Naxalbari au Bengale occidental et dans la relance du mouvement révolutionnaire.

Il se mêlait profondément avec les masses opprimées du Bengale et les différentes sections du camp révolutionnaire, il a appris la langue bengali avec détermination et a laissé une marque indélébile dans le cœur des gens là-bas.

Il a travaillé sans relâche dans la réalisation de l’unité avec plusieurs groupes révolutionnaires et dans le renforcement du parti.

Le Camarade Koteswara Rao a été élu en tant que membre du Comité Central (CC) lors de la Conférence spéciale nationale de ce qui était alors le PCI (ML) (Guerre Populaire), tenue en 1995.

Il s’est efforcé de réaliser l’unité entre les groupes [PCI(ML] Guerre Populaire et [PCI(ML] Unité du Parti en 1998.

Lors du Congrès du Parti du PCI (ML) (Guerre Populaire) d’alors, tenu en 2001, il a de nouveau été élu au CC et au Politburo. Il a pris les responsabilités de secrétaire du Bureau régional du Nord (NRB) et il a dirigé les mouvements révolutionnaires dans les états du Bihar, de Jharkhand, du Bengale occidental, de Delhi, Haryana et du Pendjab.

Simultanément, il a joué un rôle clé dans les pourparlers d’unité entre le groupe Guerre Populaire et le MCCI d’alors. Il a servi comme membre du CC et du Politburo unifiés formés après la fusion des deux partis en 2004 et a travaillé comme membre du Bureau régional de l’Est (ERB). Il s’est surtout concentré sur le mouvement d’état du Bengale occidental et a continué en tant que porte-parole de l’ERB.

Le Camarade Koteswara Rao a joué un rôle prépondérant dans la gestion des revues du parti et dans le domaine de l’éducation politique au sein du parti. Il a pris part à la gestion de « Kranti », « Errajenda », « Jung », « Prabhat », « Vanguard » et d’autres revues du parti.

Il a joué un rôle spécial dans la publication des diverses revus révolutionnaire au Bengale occidental. Il a écrit dans ces revues de nombreux articles théoriques et politiques.

Il a été membre de la Sous-commission sur l’éducation politique (SCOPE) et a joué un rôle prépondérant dans l’enseignement du marxisme-léninisme-maoïsme dans les rangs du parti.

Dans toute l’histoire du parti, il a joué un rôle mémorable dans l’élargissement du mouvement révolutionnaire, en enrichissant les documents du parti et dans le développement du mouvement. Il a participé au Congrès de l’Unité – 9 e Congrès du parti tenu en janvier 2007, a été élu membre du CC une fois de plus et a pris les responsabilités de membre du Bureau Politique et membre de l’ERB.

A été remarquable l’orientation politique donnée par le camarade Koteswara Rao aux mouvements populaires de Singur et Nandigram, qui éclatèrent en 2007 contre les politiques anti-populaire et pro-monopoles du gouvernement social-fasciste du PCM [Parti Communiste Marxiste] au Bengale occidental, et en particulier au glorieux soulèvement de la rébellion populaire à Lalgarh contre les atrocités de la police.

Il a guidé le comité de l’État du Bengale occidental et les rangs du parti pour diriger ces mouvements, et d’autre part a mené avec initiative la propagande du parti à travers les médias.

En 2009, quand la clique Chidambaram a essayé de tromper les classes moyennes au nom de pourparlers et de cessez-le-feu, il a travaillé de manière significative pour les démasquer. Il fait un énorme travail, en portant bien haut l’importance de la Guerre Populaire et en amenant la politique révolutionnaire au sein des vastes masses. Ce grand voyage révolutionnaire, qui a duré près de quatre décennies, est connu une fin abrupte le 24 Novembre 2011.

Peuple bien-aimé! Démocrates!

Condamnons cet assassinat brutal. C’est la conspiration des classes dirigeantes pour détruire la direction révolutionnaire et priver le peuple de l’orientation correcte et la direction prolétarienne. Il est un fait connu que le mouvement maoïste est le plus grand obstacle aux voleurs et grands compradores qui entassent des millions dans des banques suisses en vendant pour des cacahuètes Jal[l’eau], Jungle [la forêt] et Zameen [la terre] du pays pour les requins impérialistes.

L’offensive brutale aux multiples facettes menée à l’échelle du pays et baptisée Opération Green Hunt de ces deux dernières années sert exactement cet objectif. Cet assassinat de sang-froid fait partie de cela. Il est du devoir des patriotes et des personnes éprises de liberté de ce pays de protéger le mouvement révolutionnaire et ses dirigeants comme la prunelle de leurs yeux. Il s’agit d’assurer l’avenir du pays et celui des générations à venir.

Même à l’âge de 57 ans, le Camarade Koteswara Rao a mené la vie dure d’un guérillero tel un jeune homme et il remplissait les cadres et le peuple d’un grand enthousiasme partout où il allait. Sa vie servira particulièrement de grande inspiration pour la jeune génération. Il étudiait et travaillait pendant des heures sans repos et il parcourait de grandes distances. Il dormait très peu, menait une vie simple et fut un travailleur acharné.

Il se mêlait facilement avec les gens de tous âges et avec des gens de différentes sections sociales et les remplissait d’enthousiasme révolutionnaire. Aucun doute, le martyre du camarade Koteswara Rao est une grande perte pour le mouvement révolutionnaire indien.

Mais le peuple de notre pays est très grand. C’est le peuple et les mouvements populaires qui ont donné naissance aux révolutionnaires courageux et dévoués comme Koteswara Rao. Les ouvriers et les paysans et les révolutionnaires qui ont imprégné l’esprit révolutionnaire de Koteswara Rao depuis Jagityal jusqu’à Jungle Mahal, et qui se sont armés du parfum révolutionnaire qu’il a répandu dans tout le pays, mèneront avec certitude la révolution de nouvelle démocratie indienne sur le chemin de la victoire. Ils anéantiront les impérialistes et leurs laquais propriétaires terriens et la bourgeoisie compradore bureaucratique ainsi que leurs représentants comme Sonia, Manmohan, Chidambaram et Mamata Banerjee.

Notre Comité Central appelle le peuple du pays à observer une semaine de protestation du 29 novembre au 5 décembre  et à observer une « Bharat Bandh » [grève générale indienne] de 48 heures les 4 et 5 décembre pour protester contre l’assassinat brutal du camarade Koteswara Rao.

Nous appelons à divers programmes, comme la tenue de réunions, de rassemblements, de dharnas [protestations sous la forme d’occupation], le fait porter des badges noirs, de tenir des barrages routiers, etc. pour protester contre cet assassinat.

Nous demandons que les trains, les routes, les établissements commerciaux et éducatifs soient fermés et que toutes sortes de transactions commerciales soient arrêtées dans le cadre de la « Bharat Bandh » des 4 et 5 décembre. Cependant, nous exemptons les services médicaux de la Bandh.

(Abhay) 
Porte-parole, Comité Central, PCI (maoïste)

=>Retour au dossier sur Charu Mazumdar
et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PC d’Inde (Maoïste) : Interview du secrétaire général, juin 2006

People’s March : Comment voyez-vous les développements actuels au Népal ? 

Azad : Nous avons en Inde observé les développements en cours avec grand intérêt. 

L’agitation de masse militante par le peuple du Népal contre le régime réactionnaire et autocratique du Roi Gyanendra en avril, dans le contexte de la puissante lutte armée, était en effet historique. 

Le peuple du Népal avait inscrit un chapitre glorieux dans les annales du Népal en forçant le roi fasciste à abandonner sa position résolue et à concéder le pouvoir au parlement. 

En particulier une mobilisation forte d’un million de personnes dans Kathmandou en juin et les centaines milliers de personnes mobilisées dans les zones rurales indique l’influence croissante des maoïstes dans le pays. 

Leur influence touche même les secteurs urbains. 

Notre Parti salue a lutte historique du peuple du Népal pour la démocratie et une société meilleure. 

Cependant, les révolutionnaires en Inde espèrent que la lutte au Népal continuera jusqu’au renversement du roi ainsi que du soi-disant parlement et la conquête du pouvoir par les forces révolutionnaires et démocratiques. 

Nous espérons que les maoïstes pourront maintenir leur initiative pour diriger les développements politiques en cours. 

Ils devraient rester vigilants dans leur alliance avec l’alliance des sept partis, qui veut passer un compromis avec le roi et trahir les aspirations du peuple. 

P.M. : Comment voyez-vous la tactique du PCN (maoïste) qui rejoint le gouvernement intérimaire et fait la promesse pour respecter le verdict de l’assemblée constitutive ? Azad : La situation au Népal et dans le monde est complexe. 

En raison de la faiblesse du mouvement communiste international nous voyons beaucoup de guerres populaires embourbées pendant des décennies dans une lutte pour la survie. 

Dans cette situation il est évident que le Parti et les masses népalaises ont fait des avancées historiques. 

Mais nous pensons qu’il y a besoin d’être prudent quant aux tactiques actuelles. 

Nous pensons que les maoïstes, en formant un gouvernement en commun avec les partis bourgeois-féodaux de compradores tels que le congrès réactionnaire du Népal, les révisionnistes du PCN-UML et les autres partis des classes dominantes, ne réussiront pas vraiment étant donné qu’ils représentent deux intérêts de classe diamétralement opposés. 

C’est une compréhension erronée de la question de l’Etat au Népal que d’envisager la possibilité d’une transition pacifique de l’Assemblée Constitutionnelle à la République de Nouvelle Démocratie. 

On peut apporter quelques réformes par en-haut et satisfaire certaines sections pauvres du peuple mais ceci ne résoudra jamais les problèmes de base du peuple, car vous ne pouvez pas briser le féodalisme et jeter l’impérialisme hors du Népal en utilisant le vieil Etat malgré tous les efforts pour l’embellir et lui donner une façade rénovée. 

Seul un bouleversement révolutionnaire des masses peut atteindre cet objectif. 

Sans aucun doute, les mobilisations de masse énormes dans tout le pays et les efforts pour créer un essor révolutionnaire encore plus large sont des préparatifs positifs pour mener la révolution en avant, mais certaines déclarations dans les interviews tendent à donner l’impression que le PCN (maoïste) insiste exagérément sur la possibilité de faire avancer le mouvement par l’Assemblée constituante et par l’alliance avec les 7 partis. 

Ceci peut avoir des implications dangereuses. 

L’insistance actuelle du PCN (maoïste) doit être vue avec prudence surtout qu’elle a lieu après qu’il eut brillamment édifié son Armée Populaire de 25.000 combattants, ses Bases d’Appui, son Front Uni et ses organes de Nouveau Pouvoir, et eut déclaré qu’il était dans la phase de l’offensive stratégique pour prendre le pouvoir. 

Dans ce processus ils ont efficacement défait tous les efforts de la police et de l’Armée Royale Népalaises pour les écraser en maintenant l’initiative politico-militaire. 

Mais maintenant il n’y a plus aucune référence à cela, on ne parle plus de l’offensive stratégique ni de la question de comment la faire avancer. 

Ils se réfèrent naturellement sur ce point à une révolution du type de février [1917] et que pour cela des préparations doivent être menées pour la révolution d’octobre, mais nous ne sommes pas au courant que cela corresponde avec leur plan de l’offensive stratégique. 

P.M. : Et que diriez-vous de la dissolution des organes révolutionnaires de pouvoir et la fusion des deux armées ? 

Azad : Ces organes sont le produit de la guerre populaire prolongée contre le vieil Etat et ils se tiennent à la lumière du jour en tant qu’exemples brillants de la dictature démocratique du peuple au niveau local, brillamment établi par le PCN (maoïste). 

Les tâches immédiates et les tactiques devraient servir à renforcer ces organes et à les mouler dans des organes de soulèvement comme les Soviets en Russie et en Chine révolutionnaires. 

Tout en consolidant ces organes de pouvoir nous devons tâcher de mobiliser les masses de façon considérable dans des soulèvements et tâcher de prendre les villes menant à la conquête finale du pouvoir au moment opportun. 

En fait dans la situation concrète au Népal aujourd’hui, les maoïstes ont en tant que tel seulement deux options révolutionnaires. 

Ou bien ils doivent intensifier le soulèvement de masse, faire évoluer les formes d’organisation de pouvoir politique appropriées à saisir le pouvoir politique au niveau national / de tout le Népal, ou si ce n’est pas possible dû à un équilibre défavorable des forces de classes, les zones libérées existantes doivent être consolidées et renforcées et les mesures prises pour accomplir les tâches démocratiques et avancer en direction des tâches socialistes. 

Il est possible que dans ce processus deux Népal émergent – l’un réactionnaire basé à Katmandou et quelques villes et le Népal révolutionnaire basé dans les campagnes. 

En ce qui concerne la fusion de l’armée au sein d’une armée étatique refondée, c’est même encore plus dangereux. 

Mao a dit que sans armée populaire le peuple n’a rien. 

L’armée est l’un des instruments principaux de la domination de classe. 

Comment deux classes diamétralement opposées peuvent-elles avoir une seule armée? 

En fusionnant l’armée populaire avec l’armée réactionnaire des classes dominantes (jusqu’ici domestique fidèle du roi) le peuple sera sans défense en cas d’offensive armée réactionnaire par l’ennemi. 

Nous avons des expériences de plusieurs pays où les masses laborieuses ont massivement souffert en raison de la ligne erronée du parti communiste. 

En Indonésie nous connaissons le cruel massacre des communistes et de leurs sympathisants effectué par les classes dominantes dues à la ligne consistant à se lier d’amitié avec les classes dominantes réactionnaires qu’ils ont considérées comme des forces patriotiques et démocratiques. 

Nous avons également devant nous les exemples du Chili, du Nicaragua et de plusieurs autres pays. 

On ne peut pas éliminer la possibilité des classes dominantes réactionnaires d’effectuer un coup d’Etat et de rétablir leur monopole du pouvoir politique au moment opportun où les forces révolutionnaires ont été efficacement désarmées ou affaiblies. 

Ceci a été l’expérience dans plusieurs pays suivant la seconde guerre mondiale, par exemple en France, en Grèce etc. 

Mais, naturellement, si les maoïstes ne constituent pas une menace face aux intérêts de l’impérialisme et de la bourgeoisie bureaucratique compradore (BBC) et s’ils s’adaptent et s’incorporent au système alors eux aussi sont reçus chaleureusement par les classes dominantes. 

L’invitation faite à l’ONU de diriger le cessez-le-feu et de surveiller la démobilisation des forces armées populaires est également dangereuse. 

L’ONU est essentiellement un instrument de l’impérialisme et en particulier de l’impérialisme américain. 

Il est destiné à fonctionner dans l’intérêt des classes dominantes réactionnaires du Népal et de l’impérialisme. 

De façon générale, la décision du PCN (maoïste) de dissoudre les gouvernements populaires révolutionnaires dans les campagnes et de fusionner l’Armée Populaire de Libération avec l’armée réactionnaire lancera un processus irréversible de perte de toutes les conquêtes révolutionnaires réalisés jusqu’à maintenant. 

P.M. : Les divers partis parlementaires en Inde, pour ne pas parler des partis de gauche comme le CPI [PC d’Inde] et la CPI (M) [PC d’Inde (Marxiste)], ont salué la ligne de la participation au gouvernement intérimaire et à la démocratie parlementaire choisie par les maoïstes du Népal et disent qu’elle aura un impact positif sur le mouvement maoïste en Inde. Comment votre Parti évalue-t-il son impact ? 

Azad : Ces partis en Inde ont l’espoir subjectif que les développements au Népal auront un impact « positif » sur le mouvement de maoïste dans notre pays (ce qu’ils veulent dire par positif consiste en ce que les maoïstes cessent la lutte armée et joignent le prétendu courant principal de la politique parlementaire). N’importe qui au courant de l’histoire du mouvement maoïste en Inde, avec les nombreuses avancées et reculs dans les dernières quatre décennies depuis Naxalbari [révolte paysanne de 1967], sait que notre mouvement est solide. 

Même lorsque confrontés à de grandes difficultés et défis, les maoïstes authentiques en Inde n’ont jamais vacillé ou dérivé de leur ligne de nouvelle révolution démocratique, de la réaliser par la ligne de la guerre populaire prolongée. 

Ils avaient non seulement rejeté la voie parlementaire mais avaient également lutté contre les partis qui ont voulu participer aux élections en prétendant l’utiliser comme tactique. 

Naturellement, il existe quelques pseudo-partis révolutionnaires, comme le CPI (ml) – Liberation qui a dégénéré et rejoint les partis parlementaires mais ils se montrent devant le peuple comme des partis révisionnistes déguisés en MLM. 

Aucun étonnement ainsi à ce que les nombreux partis de la classe dominante et les prétendus partis de gauche en Inde soient exaltées par le changement de la position du PCN (maoïste) menée par le camarade Prachanda. 

Ils saluent naturellement la ligne prise par le PCN (maoïste) et invitent les maoïstes en Inde à prendre conscience de la futilité de la lutte armée et à suivre les maoïstes du Népal pour participer à la porcherie parlementaire en Inde. 

En tant qu’ennemis et adversaires forcenés de la révolution tous ces partis ont été au premier plan pour supprimer la guerre populaire en marche en Inde. 

La décision du PCN (maoïste) de participer au gouvernement avec les partis réactionnaires, de déclarer leur engagement à la prétendue domination de la loi et la future constitution, et de devenir des acteurs dans le jeu des élections parlementaires suivant les élections à l’assemblée constituante est venue comme un bol d’air frais pour les partis des classes dominantes au Népal et le système parlementaire en Inde. 

En fait, dans son entrevue février dernier avec [le journal] The Hindu, le camarade Prachanda lui-même a fait remarquer l’impact « positif » que sa ligne de démocratie multipartite aura sur le mouvement maoïste en Inde. 

Cela a dû être un grand soulagement pour les classes dominantes indiennes d’entendre le camarade Prachanda parler de l’engagement de son Parti pour la démocratie multipartite et du message qu’il veut donner au mouvement Naxalite en Inde en établissant avec succès la démocratie multipartite au Népal. 

Quand on lui demanda ce qu’il dirait s’il devaient rencontrer le premier ministre indien Manmohan Singh, le camarade Prachanda dit : 

« Nous combattons pour une démocratie multipartite véritable mais ils sont emprisonnés là, à Patna, Siliguri, Chennai. 

Si vous les libérez tous, un message en sortira. 

Et si vous vous pensez que le mouvement Naxalite en Inde est un problème pour vous, nous pensons que nous essayons de traiter les problèmes au Népal d’une nouvelle manière, ainsi si vous libérez nos camarades et si nous réussissons à établir la démocratie multipartite au Népal, ceci sera un message très grand pour le mouvement Naxalite en Inde. 

En d’autres termes le terrain sera préparé pour eux pour penser d’une nouvelle manière politique. 

Les mots ne sont pas suffisants ; nous devons confirmer ce que nous disons en établissant cette démocratie. » 

C’est vraiment une question très inquiétante de voir que le camarade Prachanda, au lieu d’exiger des classes dominantes indiennes expansionnistes l’arrêt de toute interférence et de cesser se mêler dans les affaires internes du Népal, ait seulement parlé de la façon dont leur tactique provoquerait un changement des perspectives des maoïstes en Inde. 

Inutile de dire, ces remarques ont non seulement été profondément mal vécues par les masses révolutionnaires de notre pays qui connaissent le misérable système de la démocratie parlementaire en Inde, mais elles seront également montrées comme totalement fausses par leur pratique révolutionnaire. 

P.M. : Le CPM [PC d’Inde (Marxiste)] et un de ses leaders, Sitaram Yechuri, ont été mis en avant comme le messie pour jouer un rôle entre les maoïstes et l’Alliance des Sept Partis. 

Après son retour en Inde lui et son parti ont conseillé aux maoïstes indiens de suivre la ligne du PCN (maoïste). Comment expliquez-vous ceci quand ils semblent hostiles aux maoïstes ici ? Indépendamment de cela, Yechury [un des dirigeants majeurs du PC d’Inde (Marxiste)] a dit à la presse que les maoïstes indiens ont projeté de le tuer et que le secret concernant cette décision lui a été fourni par les maoïstes du Népal. Quel est votre commentaire s’il vous plaît ? 

Azad : Le PC d’Inde (Marxiste) est un parti des classes dominantes indiennes, représentant les intérêts de l’impérialisme, du féodalisme et la bourgeoisie bureaucratique compradore en Inde. Sa tâche principale semblait être d’amener les maoïstes népalais dans le « courant principal » parlementaire, qu’il nous prêche aussi en Inde. 

Parce que nous n’accédons pas à leurs exigences ils ont employé les pires formes de terreur d’Etat contre nous comme au Bengale occidental. 

Leur but est le même dans les deux pays – pacifier les maoïstes en Inde avec des balles et faire la même chose avec les maoïstes népalais avec des balles enrobées de sucre. 

Yechuri et le CPM ont en effet joué un rôle plus effectif pour les classes dominantes indiennes quand le congrès s’y prenait gauchement avec le fiasco de Karan Singh [envoyé officiel spécial de l’Inde au Népal]. 

Quand il a exagéré sa « diplomatie » et a été mis à l’écart, il a inventé la théorie de la conspiration des maoïstes en Inde visant à le tuer pour regagner de la crédibilité et pour essayer de semer les graines de la méfiance entre les deux partis maoïstes. 

Un vrai Chanakya [philosophe indien du 4-3ème siècle avant JC, appelé le « Machiavel » de l’Inde] ! ! 

P.M. : Pourquoi êtes-vous opposés à la tactique de la démocratie multipartite comme celle proposé par le PCN (maoïste) ? 

Azad : Premièrement, nous sommes considérablement troublés par l’affirmation mise en avant par le camarade Prachanda dans ses diverses interviews, selon laquelle son parti s’est engagé dans la démocratie multipartite, qui sera pratiquée non pas après la prise révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat, mais dans la société semi-féodale semi-coloniale. 

Le document du congrès de 2003 était assez vague concernant le concept de démocratie multipartite ou de concurrence politique du PCN (maoïste), c’est-à-dire s’il est applicable après la prise du pouvoir par le parti révolutionnaire ou avant la prise elle-même. 

Il indique seulement qu’il est possible d’organiser la concurrence politique dans les limites constitutionnelles de l’état démocratique anti-féodal et anti-impérialiste. 

Cependant, les rapports, les interviews et les documents publiés après l’accord de Delhi de 12 points entre le PCN (maoïste) et l’alliance des sept partis en novembre 2005 soulignent tous le besoin de concurrence dans le système existant après que l’Assemblée constituante soit élue. 

Il y a également confusion concernant le caractère de classe des partis avec qui une telle concurrence politique doit être conduite. 

Tandis que le document 2003 déclarait clairement que ces forces seront anti-féodales et anti-impérialiste dans leur nature, les documents d’après novembre 2005 et les interviews du PCN (Maoïste) permettent de généraliser une telle compétition parmi les constituants de l’alliance des sept partis, qui sont fondamentalement bourgeois-féodal bureaucratique dans leur caractère malgré leur rôle contre la monarchie, ou, plus spécifiquement, contre la domination autocratique du Roi Gyanendra. 

En fait, dans le même document intitulé « La situation actuelle et nos tâches », présenté par le camarade Prachanda et adopté par la réunion du Comité central du PCN (maoïste) en mai 2003, il a correctement décrit la nature des partis parlementaires au Népal dans les termes suivants : 

« En apparence cela peut apparaître comme une lutte triangulaire impliquant la monarchie, les forces parlementaires et les forces révolutionnaires, mais dans son essence et si on regarde d’un point de vue de classe, la lutte implique seulement deux forces (forces réactionnaires et démocratiques). 

Il a été prouvé en pratique que les différences entre les groupes monarchiques et parlementaires autocratiques ne consistent qu’en différences concernant le partage du pouvoir dans le vieil état. 

On l’a prouvé maintes et maintes fois au Népal que la monarchie au nom du (faux) patriotisme et les forces parlementaires au nom de la (fausse) démocratie veulent occuper les places du pouvoir et trahir la nation et le peuple sur une base de classe inchangée. (…) 

Ce que nous avions dit d’un point de vue théorique et de classe et qui se confirme toujours davantage dans le processus actuel de cessez-le-feu et de négociation, c’est que c’est seulement le conflit d’intérêts entre les différents centres réactionnaires internationaux qui est derrière les récriminations et les contradictions mutuelles entre différents groupes réactionnaires au Népal. 

Pendant que l’armée royale et les éléments du Palais sont manoeuvrés et protégés par l’impérialisme occidental, en particulier l’impérialisme américain, et les forces parlementaires principales par les dominants indiens qui cherchent l’hégémonie spéciale en Asie du sud, ils subissent la secousse continue de la guerre entre eux. 

Par conséquent il devrait être clair pour l’ensemble du Parti que, avec comme arrière-plan le développement politique en particulier après le massacre du Palais [meurtres au sein de la famille royale] l’idée de voir ou bien les forces monarchiques ou bien parlementaires du Népal comme plus démocratiques ou plus nationaliste que l’autre, est particulièrement nocive et erronée. 

Il est devenu plus clair encore aujourd’hui au Népal que nous ne pourrons jamais avoir quelque rapport idéologique et politique que ce soit avec les groupes monarchiques ou parlementaires, excepté pour gérer des contradictions dans une situation particulière. » 

Tandis que l’analyse ci-dessus du caractère de classe des partis parlementaires, de leur fausse démocratie et de l’allégeance à diverses puissances impérialistes, est fondamentalement correcte, il est en effet très triste que le PCN (maoïste) n’ait pas adhéré fermement à cette analyse d’une perspective stratégique et de classe. 

Une chose est de faire des ajustements nécessaires, des arrangements et l’unité tactique avec ces forces parlementaires et même avec une section des impérialistes contre l’ennemi principal quand les conditions pour de telles alliances deviennent mûres, mais autre chose est de créer des illusions sur le caractère de ces partis ou oublier de voir leurs liens avec les impérialistes et les expansionnistes indiens. Cela portera un grand tort à la révolution sur le long terme. 

D’ailleurs, nous voyons que le camarade Prachanda et le PCN (maoïste) ont transformé la tactique en stratégie et en voie de la révolution mondiale pour le 21è siècle. 

Ainsi, dans son interview accordée à The Hindu, le camarade Prachanda a souligné le fait que l’engagement des maoïstes à la démocratie multipartite n’est pas tactique mais est le résultat d’une discussion idéologique prolongée dans le parti pendant trois ans. 

Il a dit : « notre décision sur la démocratie multipartite est une position théoriquement et stratégiquement développée et nous disons aux partis parlementaires que nous sommes prêts à entrer en concurrence pacifique avec vous tous. » 

Le chef de PCN (maoïste) a directement assuré les partis parlementaires bourgeois-féodaux des compradores que son parti était prêt à entrer en concurrence pacifique avec eux. 

Et en décrivant cette décision sur la démocratie multipartite comme une position développée théoriquement et stratégiquement, le camarade Prachanda a mis en avant une thèse dangereuse – celle de la coexistence pacifique avec les partis des classes dominantes au lieu de les renverser par la révolution ; celle de la concurrence pacifique avec tous les autres partis parlementaires, y compris les partis des classes dominantes qui sont des faire-valoir de l’impérialisme ou de la réaction étrangère, dans de prétendues élections parlementaires ; 

celle d’abandonner l’objectif de construire le socialisme pendant une période indéfinie ; 

et celle d’ouvrir large des portes pour que les réactionnaires féodaux-compradores viennent au pouvoir en utilisant le caractère arriéré des masses et le soutien massif des réactionnaires domestiques et étrangers ou des forces bourgeoises bureaucratiques compradores et des forces petites-bourgeoises et féodales pour détourner le cours entier du développement de la société loin de la direction socialiste, afin de maintenir le système existant (même si c’est sous une nouvelle forme) au nom de la démocratie et du patriotisme. 

Quel que puisse être nos bonnes intentions pour établir un système plus démocratique, les lois régissant la lutte de classe n’autorisent pas un tel système. 

L’histoire a prouvé maintes et maintes fois ceci depuis les jours de la Commune de Paris jusqu’aux révolutions plus récentes en Asie, en Afrique et en Amérique latine. 

P.M. : Êtes-vous alors en faveur de démocratie multipartite au moins après la conquête du pouvoir? 

Sinon quelle est la forme de gouvernement que vous envisagez après la révolution? 

Azad : La compréhension Marxiste-Léniniste-Maoïste concernant la forme de gouvernement qui sera plus la plus adaptée pour le prolétariat est la commune ou Soviet ou le Conseil révolutionnaire qui peuvent le mieux servir le prolétariat et la grande majorité des masses dans la mesure où ils agissent non pas comment salons de thé et de simples formes législatives, mais en tant que corps législatifs et exécutifs. 

Les représentants à ces corps sont élus et sont sujets à révocation à n’importe quel moment où les gens considèrent qu’ils ne servent pas leurs intérêts. 

Si nous regardons le processus même de la guerre populaire prolongées elle nécessite l’établissement dans les zones libérées du pouvoir démocratique de toutes les forces anti-impérialistes et anti-féodales SOUS LA DIRECTION DU PROLÉTARIAT, élu démocratiquement aux gram sabhas [conseils populaires] avec le droit de les révoquer également par le conseil populaire. 

Ici il y a une interaction étroite entre les structures de pouvoir et la volonté du peuple et c’est donc vraiment démocratique. 

Une fois que la pouvoir est pris au niveau de toute l’Inde, jusqu’au passage à l’étape socialiste, tous les partis authentiquement anti-impérialistes et anti-féodaux feront partie du nouveau pouvoir, et la transition au socialisme peut seulement avoir lieu en continuant la lutte de classe sous la dictature du prolétariat. 

Ceci ne nie pas la démocratie pour les masses dans leur ensemble mais, comme dit Lénine, la petite production produit quotidiennement la bourgeoisie, à chaque heure, et ces éléments trouveront leurs représentants dans toutes les instances du pouvoir d’état, y compris le Parti. 

Peut-on concevoir une meilleure forme de gouvernement et un meilleur exercice de la démocratie dans son véritable sens? 

Lénine a dit : « Décider, périodiquement pour un certain nombre d’années, quel membre de la classe dirigeante foulera aux pieds, écrasera le peuple au Parlement, telle est l’essence véritable du parlementarisme bourgeois non seulement dans les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans les républiques les plus démocratiques. » [L’Etat et la révolution] 

Cela a été dit par Lénine il y a un siècle. 

Depuis, particulièrement depuis la seconde guerre mondiale, le parlement et les institutions qui vont avec sont devenus encore plus corrompus et pourris à la base. 

Un bon exemple de la façon dont le nouveau pouvoir a été établi est la commune de Paris. 

Les concepts pratiqués là ont été travaillés par les Soviets de l’URSS, les communes en Chine et les expériences du Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et on tente de les mettre en pratique dans les zones libérées formées par les maoïstes dans différentes parties du monde. 

Le camarade Lénine a également expliqué très lucidement comment le Parlement fonctionne même dans la plus démocratique des républiques et, l’opposant à la Commune, a montré comment les communes (ou les Soviets en Russie et les Conseils révolutionnaires en Chine) sont les formes de gouvernement les plus appropriées pour le prolétariat et les masses laborieuses. 

« La république parlementaire bourgeoise entrave, étouffe la vie politique propre des masses, leur participation directe à l’organisation démocratique de toute la vie de l’État, de la base au sommet. Les Soviets des députés ouvriers et soldats font tout le contraire. » [Les tâches du prolétariat dans notre révolution] 

« Certes, le moyen de sortir du parlementarisme ne consiste pas à détruire les organismes représentatifs et le principe électif, mais à transformer ces moulins à paroles que sont les organismes représentatifs en assemblées « agissantes ». 

« La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois.» [L’Etat et la révolution] 

« Au parlementarisme vénal, pourri jusqu’à la moelle, de la société bourgeoise, la Commune substitue des organismes où la liberté d’opinion et de discussion ne dégénère pas en duperie, car les parlementaires doivent travailler eux-mêmes, appliquer eux-mêmes leurs lois, en vérifier eux-mêmes les effets, en répondre eux-mêmes directement devant leurs électeurs. » [L’Etat et la révolution] 

« Nous ne pouvons concevoir une démocratie, même une démocratie prolétarienne, sans organismes représentatifs: mais nous pouvons et devons la concevoir sans parlementarisme, si la critique de la société bourgeoise n’est pas pour nous un vain mot, si notre volonté de renverser la domination de la bourgeoisie est une volonté sérieuse et sincère et non une phrase « électorale » destinée à capter les voix des ouvriers, comme chez les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires. » [L’Etat et la révolution] 

P.M. : Et comment assurez-vous la concurrence politique avec d’autres partis ? 

Le PCN (maoïste) affirme que c’est seulement en organisant la concurrence politique et en institutionnalisant le droit des masses d’amener au pouvoir un parti révolutionnaire alternatif que la contre-révolution peut être efficacement constatée. 

Azad : Il est en effet étonnant que le PCN (maoïste) en arrive à une telle conclusion même y compris après que le prolétariat soit lesté des expériences riches et diverses sur la période de transition du capitalisme au socialisme, après qu’il soit armé avec une forme, une méthode et une arme si appropriée comme la révolution culturelle, et soit en possession de la richesse des écrits de nos professeurs – Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao – et par plusieurs auteurs marxistes, au sujet de constater la dégénérescence du Parti, de l’Armée et de l’Etat ; de prévenir de la restauration du capitalisme ; et construire un nouveau type d’Etat et de société. 

Penser que le prolétarisation et la révolutionnarisation continues du parti communiste puissent être assurés et que la contre-révolution puisse être efficacement constatée en organisant une prétendue concurrence politique ou en institutionnalisant le droit des masses à installer un parti ou une direction révolutionnaire alternatif à la tête de l’Etat signifie tomber dans le piège du formalisme bourgeois et mine la vraie tâche consistant à mobiliser les masses intensivement pour mener la lutte de classe rageuse contre les vieilles classes réactionnaires défaites et la nouvelle classe bourgeoise se développant au sein du Parti, de l’armée et de l’administration. 

Il est difficile de saisir comment des partis révolutionnaires alternatifs peuvent exister d’autant plus que les partis communistes ont toujours compris que les différentes lignes politiques ont représenté des perspectives prolétariennes ou des perspectives bourgeoises. 

Le point crucial ne se situe pas en assurant la droite des masses de remplacer un Parti par un autre par les élections, qui est de toute façon la norme dans n’importe quelle république bourgeoise ou république bourgeoise-féodale bureaucratique, mais en assurant leur participation active et créatrice en dirigeant le Parti et l’Etat, en scrutant l’apparition d’une nouvelle classe bureaucratique, et en participant elles-mêmes à l’administration de l’Etat et de la société et au processus entier de la transformation révolutionnaire. 

Et cela sera la première tâche du Parti que d’organiser et mener les masses à étudier la contre-révolution et à amener la transformation révolutionnaire dans toutes les sphères par la révolution ininterrompue sous la dictature du prolétariat. 

Et c’est la leçon la plus importante qui nous est apportée par l’expérience historique entière de la révolution mondiale, en particulier par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. 

D’ailleurs, est-il possible que le Parti du prolétariat empêche le retour des classes défaites au pouvoir et prévienne la contre-révolution pacifiquement ou par un coup de force, en leur fournissant une telle occasion de concurrencer d’une façon « démocratique »? 

Le Parti bolchévique aurait-il gagné les élections en Russie après la révolution, s’ils avaient organisé une telle concurrence politique, vue son absence presque totale dans les campagnes où les idées les plus réactionnaires régnaient en maître? 

En fait, le Parti bolchévique a dû même dissoudre l’assemblée constituante juste après qu’il ait pris le pouvoir malgré le fait que c’était seulement une minorité en son sein, car l’assemblée constituante a agi en tant qu’instrument des réactionnaires et est devenue un obstacle face à 

la mise en oeuvre des réformes révolutionnaires et face à l’exercice de la dictature prolétariat, comme dans les soviets. 

Cela n’est pas simplement le cas de la Russie : dans beaucoup de pays, en particulier dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux, où la petite production et l’économie paysanne prédominent, l’idéologie féodale, culture, les coutumes et la force de l’habitude parmi la majorité de la population rendra possible pour d’autres partis non prolétariens et même réactionnaires d’arriver au pouvoir relativement facilement sous le manteau anti-féodal anti-impérialiste. 

Par conséquent il n’est pas étonnant si nous constatons que la proposition idéaliste et subjective du PCN (maoïste), même si faite avec de bonnes intentions, devient finalement un outil commode dans les mains des partisans de la voie capitaliste pour saisir la pouvoir. 

En ce qui concerne la concurrence politique avec d’autres partis, nous avons l’expérience de la Chine où plusieurs partis démocratiques tels que la ligue démocratique, le parti des paysans et ouvriers et le parti des ouvriers et d’autres ont concurrencé le PC de Chine et participé aux élections dans les divers organes du pouvoir. 

Bien que ceux-ci aient existé pendant presque une décennie après la révolution, le peuple les a rejetés quand ils ont refusé de soutenir le socialisme et ont essayé de suivre la voie capitaliste. 

La concurrence politique a été encouragée en Chine, pas sous forme de participation dans le type d’élections parlementaires bourgeoises occidentales mais aux élections dans diverses instances. 

Les partis démocratiques et les organismes appartenant aux quatre classes qui ont formé les forces motrices de la révolution participaient aux élections dans diverses instances. 

Le PCC a lutté pour unir tous les partis et forces anti-féodaux anti-impérialistes pendant la nouvelle révolution démocratique et également après la prise du pouvoir et l’établissement de la démocratie populaire ou dictature démocratique populaire. 

Dans son article « De la juste résolution des contradictions au sein du peuple » en 1957, Mao a expliqué ainsi la politique du PCC envers les autres partis politiques après la prise du pouvoir: 

« Coexistence prolongée du Parti communiste et des partis démocratiques, tel est notre désir, telle est aussi notre politique. 

Quant à savoir si les partis démocratiques pourront exister durant une longue période, cela n’est pas simplement déterminé par le seul désir du Parti communiste, cela est aussi fonction du comportement des partis démocratiques en partant de la confiance qu’ils se voient accorder par le peuple. 

Le contrôle mutuel entre les partis politiques existe également depuis longtemps déjà, en ce sens qu’ils se donnent des conseils et se critiquent mutuellement. 

Le contrôle mutuel n’est naturellement pas unilatéral: le Parti communiste peut contrôler les partis démocratiques, et ceux-ci peuvent aussi contrôler le Parti communiste. » 

En Chine beaucoup de méthodes ont été développées pour empêcher la restauration capitaliste et l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie dans le gouvernement et le Parti.

Le mouvement Que cent fleurs fleurissent et que cent écoles rivalisent de Mao a laissé cent écoles de pensée contester ; son système de « trois-tiers» de la représentation démocratique qui limite les sièges des membres de parti communiste dans tous les corps élus à un maximum d’un tiers du tout et donne deux-tiers des sièges aux membres d’autres partis et éléments non du Parti ; sa mise en avant de six critères politiques pour que les partis politiques se présentent aux élections ; etc. ; sont seulement quelques uns des exemples adoptés. 

La démocratie n’est pas simplement une formalité consistant à émettre un vote mais doit exister dans le processus très vivant de toute organisation, avec la direction sous la surveillance étroite des masses et des cadres ; cela n’est possible qu’avec le fait d’augmenter la conscience MLM du Parti et des masses et l’intensification de la lutte de classe. 

En Chine il y avait beaucoup de partis partageant la pouvoir après la révolution mais l’unité était sur une base de principe, et faisait partie du front pour approfondir la lutte de classe contre les restes des forces féodales et de la bourgeoisie bureaucratique-compradore. 

Au Népal ils diluent en pratique la lutte de classe en formant un gouvernement avec les éléments féodaux et de la bourgeoisie bureaucratique-compradore. 

La chose la plus importante est que tous les corps révolutionnaires dans l’Etat démocratique populaire soient élus et que chaque personne ainsi élue soit sujette à révocation, ce qui ne se fait pas dans les prétendues démocraties parlementaires. 

P.M. : Trouvez-vous quelque chose d’erroné quand le PCN (maoïste) indique qu’il ira à la nouvelle étape démocratique par l’intermédiaire de la république démocratique ou multipartite bourgeoise ? 

Azad : Aucun maoïste ne dirait qu’il est erroné de combattre pour l’exigence d’une République et pour le renversement de la monarchie autocratique. 

Et de même, aucun ne s’opposerait à ce que soit forgé un front uni de tout ceux qui sont opposés à l’ennemi principal à n’importe quel moment donné. 

Inutile de dire, un front uni de cette sorte serait purement tactique en nature et ne peut pas, et ne devrait pas, en aucune circonstance, déterminer le chemin et la direction de la révolution lui-même. 

Le problème avec le théorisation du PCN (maoïste) repose dans le fait qu’en transformant le combat contre l’autocratie en un sous-étape de la république de nouvelle démocratie, avec la tendance de faire que la sous-étape impose (domine et détermine) la direction et la voie mêmes de la révolution. 

Le programme et la stratégie de la république de nouvelle démocratie élaborés par le Parti avant son lancement de la lutte armée, ses cibles à renverser, et même l’analyse concrète de classe faite plus tôt, fondée sur les avancées de la révolution jusqu’ici, sont maintenant subordonnés aux besoins de la prétendue sous-étape de la révolution népalaise. 

La sous-étape d’une république démocratique bourgeoise semble, dans leurs interviews et rapports, être devenue le facteur déterminant tout. 

Pour autant que nous le sachions, nous pouvons dire que les nombreux types de système d’Etat dans le monde peuvent être réduits à trois sortes de base selon le caractère de classe de leur pouvoir politique : (1) républiques sous la dictature bourgeoise (en plus de ces derniers il y a les fausses républiques dans les pays arriérés semi-féodaux, semi-coloniaux sous la dictature commune de la bourgeoisie bureaucratique-compradore et les éléments féodaux, soutenue par l’impérialisme) ; (2) républiques sous la dictature du prolétariat ; et (3) républiques sous la dictature commune de plusieurs classes révolutionnaires. 

Essentiellement, le slogan d’une république démocratique bourgeoise donnée par le PCN (maoïste) ne peut pas ne pas relever du premier type de république malgré la participation du parti révolutionnaire dans le pouvoir d’Etat avec les partis bourgeois-féodaux compradores. 

Dans son entrevue avec le correspondant de la BBC, le camarade Prachanda a donné sa vision du futur Népal dans les termes suivants : « Nous croyons que le peuple népalais s’acheminera vers une république et, pacifiquement, le processus de reconstruction du Népal avancera. » 

« Dans cinq ans le Népal deviendra une nation belle, pacifique et progressiste. » 

« Dans cinq ans que les millions de Népalais s’élanceront de l’avant avec la mission de bâtir un beau futur, et le Népal commencera vraiment à devenir un paradis sur terre. » 

Il a plus loin affirmé qu’une république démocratique élue d’une telle manière résoudra les problèmes de Népalais !! » 

« Nous croyons qu’avec l’élection d’une assemblée constituante, une république démocratique sera formée au Népal. 

Et ceci résoudra les problèmes des Népalais et mènera le pays dans un chemin plus progressiste. » 

N’importe qui lisant les lignes ci-dessus penserait que ces vues reflètent plus un sentiment nationaliste que des perspectives prolétaires de classe. 

Comment le Népal commencera-t-il à devenir un « paradis sur terre » après être devenu une république bourgeoise ? 

Comment la formation d’une république démocratique « peut-elle résoudre les problèmes des Népalais » ? 

Peut-elle se libérer des griffes de l’impérialisme après être devenue une république dans l’ère impérialiste actuelle ? 

Est-ce que le PCN (maoïste), qui prétend croire au MLM, pense vraiment que le « processus de reconstruction du Népal avancera d’une manière pacifique » ? 

Et y a-t-il un seul exemple dans l’histoire du monde où un tel processus pacifique de reconstruction a eu lieu ? 

L’histoire de la révolution mondiale ne montre-t-elle pas cette lutte de classe amère, sanglante et violente parfois, continue même après des décennies après la prise du pouvoir par le prolétariat ? 

Alors comment le camarade Prachanda pourrait-il penser à un processus si pacifique de reconstruction du Népal même à ce sous-étage ? 

Les partis appartenant à l’alliance des sept partis combattent-ils vraiment l’impérialisme, l’expansionnisme indien et le féodalisme au Népal ? 

Y a-t-il une garantie que le PCN (maoïste) battra les partis bourgeois-féodales, auxquelles il veut être assorti pour la concurrence politique dans les élections et pour s’assurer que le Népal ne tombe sous les griffes de l’impérialisme et de l’expansionnisme indien ? 

Comment peut-on croire qu’une fois finies les élections à l’Assemblée constituante et le Népal devenu une République, pas sous la conduite de la partie de classe ouvrière mais peut-être sous une alliance d’une combinaison de partis, c’est-à-dire une alliance des classes dominantes et de la classe ouvrière sous la direction du PCN (maoïste), le pays se libérerait du féodalisme et de l’impérialisme et deviendrait une «nation belle, pacifique et progressiste»? 

Selon l’opinion du camarade Prachanda, « la classe réactionnaire et leurs partis essayeront de transformer cette république en une république parlementaire bourgeoise, tandis que notre Parti de la classe prolétarienne essaiera de la transformer en république de nouvelle démocratie. Combien de temps durera la période de la transition, ce n’est pas une chose qui peut en ce moment être assurée. Il est clair que cela dépendra de la situation nationale et internationale et de l’état de l’équilibre des pouvoirs. » 

Cette prétendue république multipartite transitoire est cherchée pour être transformée en république de nouvelle démocratie par la lutte pacifique au moyen de la concurrence politique avec la classe réactionnaire et leurs partis, qui essaient de la transformer en république parlementaire bourgeoise ! ! 

Quelles que soient les tactiques adoptées par le PCN (maoïste) l’aspect le plus critiquable de ce discours c’est de projeter ces tactiques en tant que position théoriquement développée, qu’elle pense devrait être le modèle pour les révolutions au 21ème siècle. 

Au nom de lutter contre le dogmatisme nos camarades de PCN (maoïste) glissent sur un terrain dangereux. 

Qui plus est, tant que le Parti mène une lutte cohérente contre l’impérialisme et les réactionnaires locaux, et poursuit la ligne de la redistribution de la terre et de la richesse, de la nationalisation de tout les compradores, des industries étrangères, des banques et du commerce extérieur, il est sûr de faire face à l’opposition des autres partis parlementaires. 

Et s’il veut faire partie du jeu parlementaire il doit respecter ses règles et ne peut pas mener à bien ses politiques anti-féodales, anti-impérialistes, d’une manière complète. 

Même l’indépendance de l’ordre judiciaire doit être identifiée en tant qu’élément du jeu du parlement et peut causer l’obstruction à chaque réforme que le Parti maoïste essaye de lancer après être venu au pouvoir par des élections. 

Ceci déjà est vu avec l’accord de 8 points étant expliqué comme illégal. 

Quant à l’impérialisme US, il exige fortement que les maoïstes ne devraient participer à l’assemblée constituante qu’après avoir rendu les armes. 

Le PCN (maoïste) s’est correctement opposé à cette position des USA et également des expansionnistes indiens. Nous comptons qu’ils resteront fermes en cela. 

Alors il y aura plusieurs institutions comme l’ordre judiciaire, la commission d’élection, les médias, diverses instances artistiques, culturelles et même religieuses, les organismes non gouvernementaux, et également les organismes de droits de l’homme dont certains sont formés par les classes dominantes, et ainsi de suite. 

Si on glisse dans le marécage de la prétendue république démocratique multipartite, on ne peut pas éviter de soutenir ces prétendues institutions indépendantes. 

Beaucoup de ces dernières peuvent devenir des planques pour les forces réactionnaires et travailler à la contre-révolution, de manière subtile et diversifiée. 

On ne peut pas oublier la façon subtile dont les agences occidentales ont infiltré et ont subverti les sociétés dans les pays de l’Europe de l’est et même dans l’ancienne Union Soviétique. 

P.M. : Le camarade Prachanda dit que la tactique adoptée par son parti est fondée sur les spécificités de l’équilibre politique et militaire dans le monde aussi bien que l’équilibre particulier de classe, politique et de pouvoir au Népal sans compter les expériences du 20ème siècle. Quelle est l’opinion de votre Parti sur ceci ? 

Azad : Il est vrai que le camarade Prachanda dans son interview de février dernier dans The Hindu a cité les trois facteurs ci-dessus quant à la décision de son Parti en faveur de la démocratie multipartite. 

En fait, cette position pouvait être vue dans le PCN (maoïste) même avant ladite entrevue. 

Par exemple, lors de la réunion du comité central en août 2004, il a commencé à être sceptique au sujet des perspectives de la victoire dans un petit pays comme le Népal quand il est confronté à l’impérialisme et qu’il n’y a aucun avancée de mouvements révolutionnaire forts. 

« Dans le contexte actuel, quand avec la restauration du capitalisme en Chine là il n’y a aucun autre Etat socialiste existant, quand malgré les conditions objectives favorables il n’y a actuellement aucune avancée d’aucun mouvement révolutionnaire fort sous la conduite du prolétariat, et quand l’impérialisme mondial attaque le peuple partout comme un tigre blessé, est-il possible à un petit pays avec une contrainte géopolitique spécifique comme le Népal d’aller à la victoire au point de prendre l’Etat central par la révolution ? 

C’est la question la plus significative étant posée au Parti aujourd’hui. 

La réponse à cette question peut seulement être trouvée dans le Marxisme-Léninisme-Maoisme et de ceci dépend le futur de la révolution népalaise. » 

Le même plénum avait également précisé les raisons de l’adoption de la série d’étapes tactiques comme le cessez-le-feu, la négociation, l’issue politique etc.. 

« Il n’y a aucun doute que les forces impérialistes sont maintenant en train de préparer des attaques bien plus sinistres alors que la guerre populaire népalaise a en vue l’offensive stratégique depuis sa position actuelle d’équilibre stratégique. 

Les complexités, les chances et les problèmes de la révolution népalaise sont les manifestations de cet état objectif… mais, au Népal, le développement de la révolution a atteint une étape très sensible de préparation pour l’offensive stratégique. 

Il est essentiel de comprendre que la série d’étapes tactiques entreprises par le Parti tels que le cessez-le-feu, la négociation, l’issue politique etc. sont fondés sur cette situation stratégiquement favorable et tactiquement défavorable de la situation mondiale et de l’état de l’équilibre stratégique à l’intérieur du pays. » 

Il est vrai que partout les révolutions se confrontent à une situation dure, particulièrement après le revers en Chine. 

Tactiquement parlant, dans le monde actuel, les forces ennemies sont tout à fait fortes tandis que nos forces subjectives sont faibles. 

L’impérialisme mondial a lâché partout une offensive massive sur les forces révolutionnaires, les mouvements de libération nationale et les mouvements populaires. 

Mais ce n’est qu’un côté de la médaille. 

En même temps, les conditions objectives sont tout à fait favorables ; l’impérialisme, en particulier l’impérialisme US, est détesté par les peuples partout dans le monde et les mouvements populaires massifs éclatent dans le monde entier contre l’impérialisme, en particulier l’impérialisme US. N’importe quelle révolution dans le monde d’aujourd’hui doit inévitablement faire face aux attaques des impérialistes. 

Pour faire face à un ennemi beaucoup plus grand que les forces révolutionnaires, la question ne se pose pas : cela peut et exigera une grande flexibilité dans la tactique. 

En particulier quand nous sommes une force considérable, une telle flexibilité peut être maniée plus efficacement pour l’accomplissement de nos buts. 

Mais en faisant ainsi, il y a toujours le danger de perdre de vue nos tâches stratégiques de prise du pouvoir par la force armée. 

Au vu des rapports fait par la direction du PCN (maoïste) il s’avère que ce danger est présent. 

Beaucoup de rapports faits et d’interviews données tendent à nier des positions marxistes de base concernant l’Etat et la révolution. 

On peut dire que cela a été fait dans le contexte de la diplomatie ; mais son résultat final est d’induire en erreur le camp révolutionnaire et progressiste. 

Ce n’est pas cela qu’on attend d’un homme d’Etat marxiste. 

Dans l’interview le camarade Prachanda était allé jusqu’à dire : « Nous sommes prêts à accepter le verdict populaire, s’il choisissait la monarchie constitutionnelle et la démocratie multipartite. » 

C’est en effet une grande tragédie de voir le Parti maoïste finir finalement dans ces positions politiques malgré le fait d’avoir de fait le pouvoir dans la majeure partie des campagnes. 

P.M. : Le camarade Prachanda dit que la ligne de la démocratie multipartite s’applique au mouvement maoïste en Inde aussi. Comment votre Parti voit-il ceci ? 

Azad : Nous avons vu ses commentaires sur ce point dans son entrevue avec le correspondant de The Hindu. 

On y lit : « Nous croyons qu’elle s’applique à eux aussi. 

Nous voulons discuter ceci. 

Ils doivent comprendre ceci et emprunter cette route. 

Sur la question de la direction et sur la démocratie multipartite, ou plutôt la concurrence multipartite je crois ceux qui s’appellent des révolutionnaires en l’Inde ont besoin de penser à ces questions. 

Et il y a besoin d’aller en direction de cette pratique. Nous souhaitons discuter avec eux sur ceci. 

Si les révolutionnaires ne voient pas le besoin de développement idéologique, ils n’iront nulle part. » 

Un tel conseil était mis en avant des divers partis parlementaires des classes dominantes en Inde depuis longtemps. Les révisionnistes des CPI et CPI (M), qui jurent par Marx et Lénine, nous sermonnent régulièrement dans leurs magazines, documents et rapports, au sujet de la futilité de la lutte armée pour prendre le pouvoir d’état et réaliser la transformation sociale révolutionnaire. 

Ils essayent désespérément de montrer à quel point la démocratie multipartite parlementaire est le meilleur instrument pour réaliser cette transformation comme en ont été témoins le Bengale occidental et le Kerala. 

Le CPI (ml) – Liberation, au nom du MLM, prêche les vertus de la démocratie multipartite et traite tous ceux qui ne souhaitent pas être liés à la porcherie parlementaire d’ anarchistes et d’ aventuristes. 

Il est bon que le PCN (maoïste) veuille discuter avec les maoïstes d’Inde de la question de la direction et de la démocratie multipartite. 

Il y a eu des discussions et échanges intéressants d’opinions et d’expériences entre les directions de nos deux partis sur le concept de la direction, sur la question du culte de personnalité et la concentration de tout le pouvoir dans les mains d’un individu, etc. 

Notre avis a toujours été qu’il est qu’une bonne partie de la direction du Parti travaille parmi les masses et se concentre sur la construction la lutte de classe, même après la prise du pouvoir, afin d’empêcher la dégénérescence chez les fonctionnaires du Parti, les fonctionnaires dans les divers départements d’Etat, en particulier les forces armées, dans les diverses unités de la sphère de production, et ainsi de suite. 

Nous devons encourager les masses à critiquer les erreurs commises par le Parti et les chefs du Parti même au cours du mouvement révolutionnaire avant la prise du la pouvoir. 

Nous devons développer la direction collective plutôt que de se concentrer sur une autorité révolutionnaire individuelle ou déléguée. 

La dépendance sur un ou peu d’individus au lieu de développer la direction collective et d’impliquer l’adhésion entière du Parti et des masses dans la prise de décision a été l’une des causes qui a mené à de grands retournements en Russie et en Chine où, après la chute des dirigeants prolétariens exceptionnels comme Staline et Mao, le PCUS et le PCC sont devenus révsionnistes si facilement. Nous sommes d’accord avec le camarade Prachanda quand il dit qu’ «à partir des enseignements des Etats communistes du 20ème siècle – nous voulons nous situer sur un nouveau plan au sujet de la direction – où une seule personne ne reste pas le chef de parti ou le chef d’Etat. » 

En fait, cela avait également été l’un des points principaux de discussion pendant la lutte interne au PCN (maoïste) dans les années 2004 – 2005 où le camarade Bhattarai (Laldhoj), dans ses Questions de base pour la discussion à l’intérieur du Parti, a soulevé des questions comme : La direction prolétarienne est-elle une expression centralisée de collectivité, ou est-elle centrée sur une personne? La loi principale de la dialectique, à savoir un se divise en deux, s’applique-t-elle à la direction centrale ou pas ? 

Comment le système d’une personne unique au sommet du Parti, de l’armée et de l’Etat, et cela qui plus est à vie, peut-il résoudre la question de produire des successeurs révolutionnaires et la révolution ininterrompue ? 

Notre Parti, CPI (maoïste) souhaite conduire une discussion sérieuse sur ces questions et également sur la question de la voie Prachanda et sur les concepts de voie, de pensée et de isme . 

P.M. : Que diriez-vous en ce qui concerne le concept de la démocratie du 21ème siècle tel que proposé par le PCN (maoïste) dirigé par le camarade Prachanda ? 

Azad : Qu’est qu’il y a de neuf dans ce concept de la démocratie du 21ème siècle élevé au pinacle par le PCN (maoïste) et comment est-il qualitativement différent de la démocratie du 20ème siècle ? 

Le PCN (maoïste) avait également affirmé que sa « décision sur la démocratie multipartite est une position stratégiquement et théoriquement développée » également applicable aux conditions de l’Inde. 

La différence entre démocratie bourgeoise et démocratie prolétarienne est connue, la démocratie elle aussi a un caractère de classe, dans une société divisée en classe, la démocratie sert la classe dominante et exerce la dictature sur le reste du peuple. 

Dans une république bourgeoise la nature de la démocratie est bourgeoise. 

Elle consiste à servir la bourgeoisie tout en opprimant la grande majorité du peuple. Son essence c’est la dictature bourgeoise. 

De même, dans les républiques démocratiques populaire, la démocratie s’exerce pour toutes les classes anti-féodales et anti-impérialistes tandis que la dictature s’exerce sur les ennemis du peuple et leurs agents. 

La différence qualitative entre les différents types de démocraties se situe dans leur caractère de classe. 

Mais quand le PCN (maoïste) indique qu’il y a une différence qualitative entre la démocratie des 20èmes et 21èmes siècles sans aucune référence à leur caractère de classe, elle est non seulement très incertaine, mais semble aussi hautement subjective.

Une des raisons données est que « le 21è siècle connaît un développement sans précédent des sciences et de la technologie, en particulier des technologies de communication électronique dans le monde. » 

La manière dont ce développement sans précédent concerne la stratégie des révolutions au 21ème siècle ou sur la nature de la démocratie au 21ème siècle n’est pas claire. 

Le PCN (m) dit que « dans le domaine de l’idéologie, le comité central a essayé de dessiner un profil stratégique de la révolution mondiale basé sur l’analyse de la situation du monde contemporain et surtout sur les nouvelles analyses de l’impérialisme globalisé et du mouvement prolétarien et a réussi pour présenter un concept totalement nouveauau sujet de la direction, de l’accomplissement de la révolution et de la prévention de la contre-révolution » et « dans le domaine de la politique » elle indique qu’il a fait « un saut qualitatif dans la conception de la stratégie politique et militaire et de la tactique, par rapport à ce qui fut établi au 20ème siècle. » 

Nous ne sommes toujours pas au clair sur la signification de cette conception et de ce saut qualitatif proclamés par le PCN (maoïste), à l’exception de leur ligne de démocratie multipartite et de concurrence politique qui se réduit à la concurrence pacifique des divers partis réactionnaires et révisionnistes pour le pouvoir dans une prétendue république démocratique multipartite transitoire. 

P.M. : Pour conclure, vers où voyez-vous aller la révolution népalaise ? 

Azad : Nous sommes également au fait de rapports qui signalent que l’Armée Populaire de Libération maintient toujours sa puissance de feu et sa vigilance. 

Il y a aussi la référence au récent essor révolutionnaire compris comme une révolution de Février [1917] allant vers la préparation d’une révolution d’Octobre [1917] 

Il y a également des rapports au sujet de mobilisations de masse énormes pour gagner de nouvelles forces aux côtés de la révolution, y compris dans les secteurs urbains. 

En outre les impérialistes US et les expansionnistes indiens (leur faire-valoir y compris, Yechuri) essayent ouvertement de saboter l’alliance en exigeant comme préalable la reddition des armes maoïstes. 

De plus, les maoïstes ont déclaré qu’ils n’abandonneront pas leurs armes et maintiendront leurs propres bases à la campagne. 

Voilà des tendances positives indiquant qu eles maoïstes sont prêts à aller vers la révolution de nouvelle démocratie. 

Il y a le besoin de prendre garde à deux situations : tomber dans les pièges tendus par les classes dominantes et leurs maîtres impérialistes et expansionnistes ; prendre garde en second lieu de l’éventualité d’un massacre soudain des communistes comme on ne a été témoin en Grèce, en Indonésie, au Chili et un certain nombre d’autres pays. 

Même une base de masse énorme dans ces pays n’a pas arrêté de tels massacres. Mais nous comptons sur le PCN(m) pour faire aller de l’avant la révolution vers la conquête du pouvoir dans tout le pays. 

P.M. : Une dernière question. Quel est le message que vous donneriez aux révolutionnaires du Népal, de l’Inde et du reste du monde ? 

Azad : D’abord nous inviterions sérieusement le PCN (maoïste) et sa direction à reconsidérer certaines de ses positions récentes et pour apprendre de l’histoire des erreurs passées. 

Le Parti et le peuple du Népal ont une grande histoire de lutte et de sacrifice. Plus de 10.000 personnes ont perdu leurs vies au cours de la guerre populaire en cours. Nous saluons ces martyrs héroïques de la révolution népalaise et de la révolution mondiale 

Nous sommes confiants dans les capacités du grand peuple népalais à faire avancer la révolution malgré les tours et détours qui ont lieu dans le mouvement. 

Il n’y a aucun doute que la révolution n’est pas quelque chose de simple, mais avance en zigzags. 

Nous invitons également le peuple de l’Inde à prêter un soutien total à la révolution népalaise. 

Mais ce faisant, il est également du devoir du prolétariat de l’Inde et du monde de faire des suggestions amicales à leurs camarades du Népal. 

Après tout, les intérêts de la révolution népalaise sont infiniment dans l’intérêt de révolution du monde, et plus particulièrement de sa voisine, la révolution indienne. Le peuple révolutionnaire de l’Inde est prêt à n’importe quel sacrifice pour soutenir la révolution népalaise. 

Nous sommes confiants en notre marche en avant, ensemble, contre le système odieux de l’impérialisme mondial et sa base semi-féodale locale. 

P.M. : Au nom de People’s March, nous vous remercions pour l’interview sur cette question si cruciale dans un pays voisin. 

Azad : Merci 

=>Retour au dossier sur Charu Mazumdar
et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PC d’Inde (Maoïste) : Communiqué de presse, 13 novembre 2006 (sur le Népal)

Un nouveau Népal ne peut surgir que de la destruction de l’Etat réactionnaire!
Déposer les armes de l’APL sous la supervision de l’ONU reviendrait à désarmer les masses! 

Le 5 novembre, le PCN (Maoïste) a entériné un accord avec le gouvernement du Népal stipulant que l’APL [Armée Populaire de Libération] déposerait les armes dans sept cantonnements désignés, alors que les forces armées du gouvernement déposeraient également un nombre équivalent d’armes. 

Celles-ci seraient placées sous la supervision d’une équipe d’observation de l’ONU, pendant que les clefs des casiers des armes de l’APL seraient avec le parti Maoïste. 

Il a été également entériné par les deux parties que le présent Parlement serait dissous et qu’il serait formé un nouveau Parlement intérimaire avec un partage des sièges pour les Maoïstes, pour former un gouvernement intérimaire avec certains portefeuilles [ministériels] pour les Maoïstes, et l’élection d’une Assemblée Constituante d’ici l’été prochain, qui est censée décider du destin de la monarchie et du futur du Népal.

L’accord a reçu un caractère officiel quand le premier ministre Koirala et le président du PCN(M) le camarade Prachanda ont signé l’accord et l’ont déclaré publiquement. 

Le Comité Central du PCI(Maoïste) a été troublé par cet accord conclu par un parti Maoïste fraternel au Népal avec le gouvernement de l’alliance de sept partis dirigé par le protégé de l’Inde qu’est Koirala.

L’accord de dépôt des armes de l’armée populaire dans des cantonnements désignés est chargé d’implications dangereuses. Cet acte pourrait amener le désarmement des masses opprimées du Népal et une annulation des gains effectués par le peuple du Népal au prix d’immenses sacrifices dans la guerre populaire longue d’une décennie . 

La clause dans l’accord de déposer un nombre équivalent d’armes par les deux parties fonctionnera de manière évidente en faveur du gouvernement dirigé par Koirala vu que ce dernier aura l’option d’utiliser l’énorme stock d’armes toujours à disposition de l’armée à tout moment, et de renforcer par la suite l’armée réactionnaire du gouvernement. 

La décision prise par le PCN(Maoïste) sur la question de la gestion des armes, même s’il est considéré que c’est un pas tactique pour achever les objectifs immédiats de former une assemblée constituante, est nuisible aux intérêts de la révolution.

L’ensemble des expériences de la révolution mondiale a démontré à maintes reprises que sans l’armée populaire il était impossible pour le peuple d’exercer le pouvoir. Rien n’est plus atroce pour l’impérialisme et les réactionnaires que les masses armées et c’est ainsi ils acceptent avec plaisir n’importe accord pour désarmer celles-ci.

En fait, désarmer le masses a été le refrain constant de toutes les classes dominantes réactionnaires depuis l’émergence même d’une société divisée en classe. Les masses désarmées sont une proie facile pour les classes réactionnaires et les impérialistes qui vont jusqu’à effectuer des massacres, comme l’a montré l’histoire.

Le Comité Central du PCI(Maoïste), en tant qu’un des détachement du prolétariat mondial, avertit le PCN(Maoïste) et le peuple du Népal devant le grave danger inhérent à l’accord de dépôt des armes et les appelle à reconsidérer leurs tactiques à la lumière des amères expériences historiques.

L’accord entre les Maoïstes pour faire partie du gouvernement intérimaire ne peut pas transformer le caractère réactionnaire de la machine d’Etat qui sert les classes dominantes exploiteuses et les impérialistes. L’Etat peut être l’instrument dans les mains soit des classes exploiteuses soit du prolétariat mais il ne peut pas servir les intérêts des deux, ceux-ci s’affrontant complètement. 

C’est le principe de base fondamental du Marxisme qu’aucun changement de base du système social ne peut être amené sans destruction de la machine d’Etat. Des réformes d’en haut ne peuvent amener aucun changement qualitatif dans le système social exploiteur, quel que soit la manière dont on pourrait considérer comme démocratique la nouvelle Constitution, et même si les Maoïstes deviennent une composante importante du gouvernement. 

C’est une complète illusion que de penser qu’un nouveau Népal pourrait être construit sans détruire l’Etat existant.

Une autre illusion que l’accord crée concerne le soit disant rôle impartial ou neutre de l’ONU. L’ONU est en réalité un instrument aux mains des impérialistes, en particulier des impérialistes US, afin de dominer, tyranniser et interférer dans les affaires des pays du tiers-monde, au bénéfice des impérialistes. 

Elle est utilisée comme un simulacre pour donner de la légitimité à des actes éhontés d’oppression et de suppression des peuples du tiers-monde par les impérialistes. 

L’Afghanistan et l’Irak sont les exemples les plus récents du rôle direct de l’ONU dans la légitimation de l’agression et de l’occupation impérialistes de ces pays. 

C’est le devoir des révolutionnaires de montrer, de s’opposer et de combattre le rôle impérialiste de l’ONU. Accorder à cette dernière un quelconque rôle dans la gestion des armes, la supervision des élections et le processus de paix au Népal, signifierait seulement appeler à l’interférence impérialiste, en particulier celle de l’impérialisme US.

Un autre facteur troublant est l’illusion nourrie par les Maoïstes du Népal concernant le rôle des expansionnistes indiens. 

Les classes dominantes indiennes sont la plus grande menace aux peuples de l’ensemble du sous-continent et il est le devoir des peuples des différents pays d’Asie du Sud de combattre de manière unie l’expansionnisme indien. 

L’Etat indien, avec le soutien de l’impérialisme US, a continuellement interféré dans les affaires internes du Népal; il a soutenu la monarchie tout en encourageant ses laquais parmi les forces parlementaires au nom de la théorie des deux piliers [théorie indienne comme quoi le Népal repose à la fois sur la monarchie constitutionnelle et sur le multipartisme]; il a entraîné et élargi toutes les formes d’aides à l’Armée Royale du Népal dans leur offensive militaire contre les Maoïstes, il a effectué des accords secrets avec le [parti du] Congrès Népalais dirigé par Koirala ainsi qu’avec d’autres partis réactionnaires, et il a poussé à désarmer l’APL et les masses du Népal et à isoler les Maoïstes.

Son but est d’arracher les richesses naturelles du Népal, particulièrement son énorme potentiel hydro-électrique et de faire du Népal un refuge sûr pour les impérialistes et les capitalistes compradores indiens.

L’éloge répété du camarade Prachanda pour le rôle de l’Inde concernant l’accord entre les Maoïstes et l’alliance des sept partis au Népal forme des illusions parmi les masses au sujet de l’Inde, au lieu de les préparer à combattre les expansionnistes indiens qui sont toujours intéressés à avoir le Népal sous la main dans le futur. 

Encore plus surprenante est l’assertion par le PCN(Maoïste) que leurs présentes « tactiques » au Népal serait un exemple pour d’autres partis maoïstes en Asie du Sud. Le camarade Prachanda a également effectué un appel à d’autres partis maoïstes, pour qu’ils reconsidèrent leurs stratégies révolutionnaires et qu’ils pratiquent la démocratie multiparti au nom de la démocratie du 21ème siècle.

Notre Comité Central affirme de manière cristalline au PCN(M) et au peuple en général qu’il ne peut pas y avoir de démocratie authentique dans aucun pays sans la prise du pouvoir d’Etat par le prolétariat, et que la soit disant démocratie multiparti ne peut amener aucun changement essentiel dans la vie du peuple.

Il appelle les partis maoïstes et les peuples d’Asie du Sud à persister dans la voie de la guerre populaire prolongée comme montrée par le camarade Mao. 

Nous appelons également de nouveau le PCN(Maoïste) à reconsidérer ses tactiques présentes qui sont en fait en train de modifier le fondement même de la direction stratégique de la révolution au Népal, et à se retirer de leur accord avec leur gouvernement du Népal pour le dépôt des armes de l’APL vu que cela rendrait le peuple sans défense face aux attaques des réactionaires.

Azad 
Porte-parole
Comité Central,
Parti Communiste de l’Inde (Maoïste) 

=>Retour au dossier sur Charu Mazumdar
et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PCI (ML) – Guerre Populaire : La mondialisation

Parti Communiste d’Inde Marxiste-Léniniste / Guerre populaire

La mondialisation 
 

Qu’est-ce que la mondialisation? Quel est son impact sur le prolétariat et les peuples opprimés dans le monde?

Le terme “mondialisation” est devenu à la mode suite à la très longue crise qui a commencé au début des années 1970, et il est particulièrement en vogue depuis 1980. 

Le phénomène de mondialisation devrait être approché sous deux angles à la fois : primo, ce qu’il représente réellement, et secundo, ce qu’il est censé devenir.

Si l’on veut comprendre l’essence même du processus, il est nécessaire de tenir compte des sept aspects suivants:

1. L’expansion sans précédent des rapports capitalistes de production à l’échelle mondiale.
2. L’internationalisation de la production accompagnée d’une circulation croissante des investissements directs à l’étranger (IDE).
3. L’apparition d’une nouvelle division internationale du travail et l’importance croissante d’un marché mondial de l’emploi.
4. La mondialisation de la finance ou l’accroissement des marchés financiers internationaux dans des proportions étonnantes;
5. L’interdépendance croissante à l’échelle mondiale des différentes économies;
6. Les limites de la mondialisation, l’accroissement du protectionnisme et l’apparition de blocs commerciaux;
7. L’impact de la mondialisation sur le prolétariat, les opprimés et les nations du monde entier, ce qui définit les tâches de la classe ouvrière.

1. Expansion internationale des rapports de production capitalistes

En premier lieu, la mondialisation signifie la mondialisation du capitalisme, c’est-à-dire l’extension des rapports capitalistes de production, des valeurs et de l’éthique capitalistes à de nouvelles sphères et à des régions de plus en plus vastes du monde.

Le capitalisme, comme l’expliquait Marx, montre une tendance constante à l’expansion. 

En fait, lorsque Marx et Engels ont écrit Le Manifeste du Parti communiste, le capitalisme en était toujours à ses débuts dans la plus grande partie de la planète. 

Ce n’était un système socio-économique dominant que dans certaines parties de l’Europe occidentale: en Grande-Bretagne et en Belgique. 

Le capitalisme se développa ensuite en Allemagne, où c’étaient encore des rapports précapitalistes qui prévalaient; le Japon en était toujours à un stade féodal et l’Amérique était entrée dans la phase naissante du capitalisme. 

Mais durant le dernier quart du XIXe siècle, on a assisté à un développement phénoménal du capitalisme.

Le capitalisme industriel s’est très vite étendu aux Etats-Unis, en Allemagne, en France et en Scandinavie (Norvège, Suède, Danemark, Finlande et Islande) et il a ouvert le reste du monde au commerce capitaliste. 

Cependant, malgré la rapidité de l’expansion du capitalisme et du commerce mondial au cours de la période allant des années 1870 à la Première Guerre mondiale, le système des usines n’a été une caractéristique dominante qu’en Allemagne occidentale et centrale, au Nord-Est des Etats-Unis, et dans certaines parties de l’Europe orientale et centrale. 

Alors qu’en 1880, en Amérique, 50% de la population dépendait de l’agriculture, dans la plupart des pays d’Europe, c’était la majorité des gens qui y était encore occupée. 

Dans les pays relativement industrialisés comme les Etats-Unis et l’Allemagne, un tiers de la population travaillait toujours dans l’agriculture au moment de la guerre. 

En 1929, lorsque l’Amérique et le reste de la planète ont été ébranlés par la seconde Grande Dépression, un Américain sur quatre était toujours fermier. 

Ceci constitue un terrible contraste avec la situation du milieu des années 1970; alors qu’un Américain sur vingt-huit seulement vivait de l’agriculture (environ 3,7% de la population totale), aujourd’hui, seul un Américain sur cinquante est encore fermier (exactement 2%).

Cela montre comment le capitalisme s’étend sans cesse vers de nouvelles zones en démantelant toutes les formes précapitalistes de production.

Le cas du Japon illustre sans doute encore mieux ce phénomène. 

En 1900, le Japon n’occupait qu’un demi-million d’ouvriers dans ses usines. En 1935, leur nombre était passé à 5,9 millions. 

Même à la veille de la Seconde Guerre mondiale, 50% de la population japonaise était toujours employée dans l’agriculture et la pêche. 

Aujourd’hui, ces chiffres ont été ramenés à une proportion négligeable de la population. 

Une expansion aussi rapide des rapports capitalistes de production via la transformation de l’agriculture, des services, du secteur ménager, etc., n’a pas tardé à se produire dans tous les pays capitalistes.

Le capitalisme transforme la société tout entière en une gigantesque place de marché. 

Tout particulièrement à l’époque du capitalisme monopoliste, le mode capitaliste de production conditionne et remodèle les besoins de l’individu, de la famille et, partant, de toute la société. 

Il convertit chaque produit du travail humain en produit de consommation. 

Il crée, de cette façon, un marché universel. 

En premier lieu, le capitalisme monopoliste convertit la production totale de marchandises en biens de consommation; ensuite, il transforme une gamme sans cesse croissante de services en autres biens de consommation; et finalement, il invente et introduit de nouveaux produits et services dont certains deviennent indispensables, étant donné que toutes les alternatives ont été systématiquement détruites suite aux changements de la vie moderne. 

Le temps de loisirs est devenu lui aussi tributaire du marché. 

Parcs récréatifs, extravagances spectaculaires en matière de distraction, voyages organisés, salons de massage et de beauté, motels, hôtels, restaurants, réseaux de télévision par satellite, moyens d’information sous contrôle impérialiste et autres services pourvoient à toute une série de besoins croissants (dont la plupart ont été provoqués artificiellement) chez les gens. Par conséquent, l’industrialisation de l’alimentation et des autres produits nécessaires au ménage, le développement de l’entretien ménager moderne et des industries de services, et la récupération du travail ménager non payé sous forme de travail dans des usines, bureaux, hôpitaux, lavoirs, boutiques de vêtements, magasins de détail, restaurants, etc., tout cela mène à une totale dépendance de toute vie sociale vis-à-vis des marchés. 

Même pour le travail envers les jeunes, les personnes âgées, les malades et les handicapés, ou pour les distractions, l’amusement et la sécurité, on est obligé de dépendre du marché. 

Et il n’y a pas que les besoins en matériel et en services à être canalisés par le marché. 

Même les schémas émotionnels de la vie passent également par là, aujourd’hui.

Dans la plupart des pays industriels, on a assisté, au cours de ce siècle et plus spécialement dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, à l’incorporation à grande échelle des femmes dans la main-d’oeuvre salariée. 

Par exemple, en Grande-Bretagne, en 1851, moins de cent femmes étaient employées de bureau, ce qui représentait moins de 0,1% de l’effectif total des employés. En 1961, toujours en Grande-Bretagne, ce taux de participation féminine atteignait les deux tiers. 

Aux Etats-Unis, en 1900, les trois quarts des 900.000 employés étaient des hommes et seulement 200.000 étaient des femmes. 

En 1970, il y avait plus de dix millions de femmes employées constituant environ les trois quarts des employés! 

On assiste donc à un transfert partiel du travail en provenance du domaine ménager non capitaliste vers les relations capitalistes. 

Les chaînes de restaurants fast-food ont quasiment étendu leurs tentacules à toute la planète, y compris la Chine, l’Europe de l’Est et les républiques de l’ancienne Union soviétique. McDonald, Pizza Hut, Kentucky Fried Chicken ont même fait leur entrée dans un pays comme l’Inde. 

Ces chaînes, combinées à l’invasion à grande échelle du marché par les boissons non alcoolisées et l’eau minérale, ont modifié les habitudes alimentaires des pays industrialisés et des classes aisées des pays du tiers-monde. 

L’importance de cette transformation peut être jugée à partir des chiffres de consommation de boissons aux Etats-Unis pour le début des années 1990. 

Les boissons gazeuses non alcoolisées constituent 25% de cette consommation; la bière atteint 12%; le lait 15%; le café 11%; les jus de fruits 6%; les autres boissons 12%; alors que l’eau potable du robinet ne constitue que 19% du volume bu aux Etats-Unis. 

En contraste avec ces chiffres, l’eau représente 97% de la consommation en boisson des gens du tiers-monde. C’est pourquoi Coca Cola, Pepsi Cola et d’autres ont mis au point des stratégies commerciales agressives en vue de provoquer certains changements substantiels dans les normes de consommation dans le tiers-monde.

En dehors de l’expansion du marché domestique, deux facteurs supplémentaires ont contribué au développement du capitalisme sur le plan mondial : (a) l’accroissement des exportations de marchandises et de capitaux outre-mer et (b) sa pénétration au sein des plantations, des industries pétrolières et autres industries d’extraction dans les colonies, les semi-colonies et les pays dépendants.

(a) L’exportation de biens et de capitaux en direction des marchés d’outre- mer s’est également développée très rapidement à partir des années 1870. 

Durant la période située entre 1880 et 1913, on a assisté à la croissance la plus rapide de tous les temps du commerce mondial, et ce jusqu’à nos jours. 

Il a en effet connu une croissance annuelle de 14%, contre 7% entre 1950 et 1973, 3% entre 1973 et 1987, et une croissance pratiquement nulle au cours de l’entre-deux-guerres. Cette période (1880-1913) a également connu une augmentation importante de l’exportation de capitaux, bien que la part des investissements directs de l’étranger ait été négligeable.

La raison de cet accroissement rapide des exportations de marchandises et de capitaux durant cette période est à rapprocher de l’ascension du capital monopoliste suite à la première Grande Dépression de 1873-1895. 

Les marchés nationaux de l’Europe occidentale étaient trop petits pour absorber l’augmentation massive de production, et ce grâce aux niveaux élevés de concentration et de centralisation de capitaux et de production qui conduisirent à l’apparition de gigantesques monopoles nationaux au sein des pays capitalistes. 

L’accumulation massive entre les mains des monopoles capitalistes d’une plus-value devait trouver des débouchés outre-mer à cause de l’exiguïté des marchés domestiques et de la baisse des taux de profit sur ces marchés. 

Par conséquent, si l’on voulait sortir de la crise, au cours de ce dernier quart du XIXe siècle, il fallait recourir à l’exportation de capitaux financiers et à la mainmise des marchés extérieurs.

Cela a débouché sur une expansion du capitalisme à l’échelle mondiale et a amené les différentes économies nationales à ne plus former qu’un seul marché mondial. 

Mais le faible pouvoir d’achat des masses dans les pays du tiers-monde a constitué (et constitue d’ailleurs toujours à l’heure actuelle) une entrave à l’expansion rapide du capitalisme. 

En dépit de ces limitations, l’accroissement des exportations de capitaux et de marchandises dans ces pays ces derniers années a partiellement ouvert de nouveaux secteurs à la pénétration et l’exploitation du capitalisme.

(b) En envahissant les secteurs des plantations et les industries pétrolières et extractives, les rapports capitalistes de production se sont étendus à certaines poches des pays coloniaux, semi-coloniaux et dépendants, et ce, déjà avant la Seconde Guerre mondiale. 

Mais le très faible pouvoir d’achat des masses de ces pays, la nécessité impérative pour l’impérialisme de préserver les structures sociales féodales, précapitalistes et autres dans ces mêmes pays – à la fois pour les maintenir en perpétuel état de dépendance vis-à-vis de l’impérialisme et pour y contrecarrer toute possibilité de révolution -, et les craintes et les hésitations des impérialistes à pénétrer dans le secteur manufacturier de ces pays, tous ces facteurs ont constitué des obstacles plus que sérieux à l’extension des rapports capitalistes de production dans les pays du tiers-monde, c’est-à-dire là où vit aujourd’hui la grande majorité des habitants de cette planète.

Mais l’offensive du capital a transformé ces économies de façon considérable; des communautés primitives de type tribal ont été démembrées, des sociétés de type féodal ont été transformées en sociétés semi-féodales, des communautés entières ont été déracinées et recyclées pour travailler dans les plantations, dans les mines ou dans la construction; les économies nationales ont été de plus en plus intégrées à l’économie mondiale; le commerce des affaires, les assurances, les transports et les communications se sont développés jusqu’à un certain point. 

Et par conséquent, aussi bancals et déformés qu’ils puissent être, c’est de façon bien tangible que les rapports capitalistes se sont introduits dans les colonies, les semi-colonies et les pays dépendants, au cours d’une période coloniale qui s’est poursuivie grosso modo jusqu’au milieu du XXe siècle.

Et cela a continué même après la fin de la domination coloniale directe, lorsqu’une nouvelle élite consumériste – une classe de nouveaux riches et de parvenus – est apparue dans le tiers-monde tant dans les régions rurales que dans les zones urbaines. Les monopoles impérialistes ont envahi massivement l’industrie légère des pays du tiers-monde au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale, et ce, grâce aux politiques des import-substitution adoptées par la plupart des régimes du tiers-monde. 

La surcapacité croissante de l’industrie, la stagnation virtuelle des marchés à domicile après le sursaut d’après-guerre, l’accumulation massive de surplus dans les mains des monopoles industriels et banquiers, et la baisse des taux de profit, ont propulsé le capital impérialiste plus sauvagement encore vers les marchés du tiers-monde afin d’y chercher des débouchés lucratifs, et ce, dès la crise économique mondiale qui a commencé à la fin des années 1960 et qui s’est fait réellement sentir en 1973.

Le capital international a dressé les plans de nouvelles stratégies destinées à sortir de cette crise de l’après-guerre. 

Les fonds accumulés par les banques ont été prêtés aux gouvernements du tiers-monde dans l’espoir de rendements garantis, alors que les entreprises industrielles ne pouvaient rembourser leurs emprunts, à cause des pertes qu’elles subissaient régulièrement. 

Le développement dans les pays du tiers-monde du “secteur tertiaire” devait conduire à un regain d’expansion des rapports capitalistes dans ces régions. 

Des stratégies de “Révolution verte” ont donc été élaborées afin de trouver des marchés pour leurs tracteurs, moissonneuses-batteuses, machines en tous genres, pour leurs semences, engrais, pesticides et autres équipements et fournitures agricoles. 

Par conséquent, les rapports capitalistes se sont étendus jusqu’à certaines poches du secteur agraire. 

Le secteur des biens d’équipement (industrie lourde) – qu’à l’époque, les impérialistes se refusaient à encourager dans les pays du tiers-monde, par crainte de perdre leur emprise sur les économies de ces derniers et de les voir s’ériger en rivaux sur les marchés mondiaux – est devenu un important terrain d’investissements au cours des années 1980. 

Au cours de cette période, des usines entières ont été déplacées vers certains pays du tiers-monde. 

Au nom de la modernisation et de l’automatisation, un nombre sans cesse croissant d’industries de biens d’équipement ont été implantées dans ces mêmes pays. 

En plus de l’introduction dans le tiers-monde de marchandises et d’investissements de capitaux en provenance de l’étranger, le secteur des services a été forcé lui aussi de s’ouvrir aux firmes mondiales. 

Le développement des opérations bancaires, du commerce, des assurances, de la propriété foncière, des opérations boursières et autres institutions financières a débouché sur un nouveau développement des rapports capitalistes à l’échelle mondiale. 

Les prétendues Zones de Promotion à l’Exportation ainsi que les Zones de Libre-Echange, instaurées avec tant d’enthousiasme par les firmes transnationales dans le tiers-monde afin d’y installer leurs filiales, ont amené un nombre considérable de femmes à la production sociale.

Ce développement des rapports capitalistes s’accompagne d’une détérioration drastique des niveaux de vie d’une partie importante de la population. 

La destruction successive des forces productrices due à la surcapacité et à la surproduction à l’échelle mondiale: les mesures d’austérité, les réductions salariales, l’inflation galopante et la création d’une importante armée de sans-emploi due à la rationalisation et aux restructurations destinées à hausser la productivité (mais qui augmentent en même temps l’exploitation du travail), tout cela a contribué à la baisse du pouvoir d’achat de la population. 

Par conséquent, la propagation des rapports capitalistes n’a absolument rien à voir avec une quelconque amélioration des conditions de vie des gens opprimés. La promotion agressive de l’industrie du sexe est un exemple de ce vers quoi tend la mondialisation du capitalisme. 

Rien qu’en Asie (particulièrement en Thaïlande et aux Philippines), un million d’enfants ont été prostitués ces dernières années: cela montre le caractère cruel de l’expansion des rapports capitalistes dans les sociétés semi-féodales, semi-coloniales du tiers-monde.

En Chine, le capitalisme s’est développé sur les cadavres de milliers de travailleurs. 

Rien qu’au cours des huit premiers mois de 1993, 11.000 ouvriers chinois ont été tués dans des accidents de travail. 

Lors d’un de ces horribles accidents qui nous ramène au XVIIIe siècle, 81 ouvrières ont été tuées en novembre 1993, alors que les portes et les fenêtres avaient été fermées afin de garder les gens à l’intérieur de l’usine pendant les heures de travail! 

Des conditions de travail exécrables, de longues heures de travail, des salaires inadéquats et même des châtiments corporels sont les caractéristiques essentielles du capitalisme qui est occupé à se répandre rapidement en Chine et dans d’autres pays de la région Asie-Pacifique dont on prétend qu’elle est aujourd’hui celle qui connaît la croissance la plus rapide au monde.

2. Internationalisation de la production

Une autre trait essentiel de la mondialisation ou de l’internationalisation du capitalisme consiste en l’internationalisation de la production qui se caractérise par le développement d’entreprises et de banques transnationales géantes ainsi que d’autres oligopoles à l’échelle mondiale.

Le capital, naturellement, a toujours opéré sur le plan international, et ce dès les tout premiers jours du capitalisme. 

Le capital marchand opérant à l’échelle mondiale a précédé l’apparition du mode de production capitaliste en Europe. 

Au XIXe siècle, la finance s’est de plus en plus internationalisée, au fur et à mesure que la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne investissaient à l’étranger dans des obligations gouvernementales et municipales et dans des actions de chemins de fer, de tramways et de services publics. L’internationalisation du capital a progressé rapidement au cours des quatre décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. 

Mais en contraste avec les investissements directs à l’étranger (ou IDE), associés aux transnationales depuis 1960, l’investissement étranger d’avant la Première Guerre mondiale consistait avant tout en un investissement de portefeuille, c’est-à-dire en prêts au développement, consentis à long terme et libres de cotation, et en investissements dans des parts, des obligations et des titres. 

Par conséquent, au moment où éclate la Première Guerre mondiale, 90% de tous les investissements à l’étranger consistaient en investissements de portefeuille.

L’internationalisation de l’économie mondiale à cette époque avait été réalisée par le biais du commerce de marchandises, l’exportation de capitaux privés et l’exploitation des colonies. 

Des centaines de “comptoirs” s’étaient constitués à partir des années 1880 et avaient mobilisé des capitaux dans des proportions encore jamais vues. 

Ces “comptoirs” avaient été fondés pour développer et commercialiser des produits de base tels que le sucre, le café, le tabac, le caoutchouc, l’étain et le pétrole à partir des colonies britanniques et hollandaises. Un “comptoir” opérait surtout dans un pays étranger tandis que l’équipe directoriale et le secrétariat restaient dans la mère patrie. 

De nombreuses firmes indépendantes britanniques opéraient aux Etats-Unis. 

On peut repérer les origines de certaines transnationales actuelles dans les compagnies indépendantes de cette époque. 

Le développement des firmes multinationales anglo-hollandaises – la Royal Dutch/Shell par exemple – peut être considéré comme un processus de concentration de plusieurs compagnies indépendantes de ce type.

La transformation du capitalisme de libre concurrence en capitalisme monopoliste qui a eu lieu durant la Grande Dépression du dernier quart du XIXe siècle (1873-1895) a vu également la montée des trusts, des cartels, des syndicats et d’autres formes de monopoles internationaux. 

On a assisté à une augmentation impressionnante des niveaux de concentration du capital et de la production, c’est-à-dire que les unités de production acquéraient des dimensions de plus en plus grandes parce que l’on réinvestissait l’accumulation de plus-value dans la production aussi bien que dans la centralisation du capital et de la production. En d’autres termes, il y avait un nombre de plus en plus restreint d’unités de production suite à la fusion de différents capitaux. 

Au cours de cette période, des “barons voleurs”, tels Rockefeller, Carnegie et Morgan, ont racheté des groupes concurrents à bas prix et ont acquis des positions dominantes au sein de l’économie américaine. Une vague massive de fusions et d’acquisitions s’est donc produite aux Etats-Unis entre 1893 et 1904.

Par exemple, en 1897, on comptait 82 groupes industriels dotés d’une capitalisation de plus d’un milliard de dollars. 

Au cours des trois années 1898-1900, onze grands conglomérats se sont formés avec une capitalisation de l’ordre de 1,14 milliard de dollars, et le plus grand de tous, l’US Steel Corporation, est apparu en 1901, avec une capitalisation de 1,4 milliard de dollars.

En Allemagne et au Japon, l’Etat est intervenu directement dans la création de monopoles géants afin de pouvoir rivaliser sur le plan international avec les Britanniques, les Français et les Hollandais. 

Certaines transnationales d’aujourd’hui tirent leur origine de l’internationalisation du capital productif au cours des années qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Singer, ITT, General Electric et Westinghouse aux Etats-Unis, Dunlop et les frères Lever (Unilever actuellement) en Grande-Bretagne, Siemens et General Electric (AEG) en Allemagne, BBC (aujourd’hui ABB) et Nestlé en Suisse, la Royal Dutch (qui a fusionné avec Shell) et Philips aux Pays-Bas, Pirelli en Italie, Ericsson, SKF, ASEA (aujourd’hui fusionné avec BBL pour former ABB) et Alfa Laval en Suède, Gevaert en Belgique et plusieurs autres compagnies possédaient des usines en Europe et aux Etats-Unis. 

L’insuffisance des marchés domestiques, la hausse des droits de douane ainsi que d’autres barrières douanières et non douanières dans les pays étrangers, tout cela avait amené l’ensemble de ces firmes à installer des usines dans d’autres pays afin de s’emparer de leurs marchés.

Par exemple, suite à la hausse des droits de douane sur les fils conducteurs, la compagnie italienne Pirelli s’était hâtée de construire une manufacture de conducteurs électriques dès 1901 en Espagne, et une autre usine avait été installée en Grande-Bretagne en 1913, en commun avec une firme britannique. 

Les deux firmes allemandes Siemens et AEG avaient installé des filiales dans des pays protégés par des droits de douane élevés comme la Russie, l’Autriche, la Hongrie, l’Espagne et la France. AEG s’était également lancé dans la production en Italie en 1909, vu que ce pays pratiquait la discrimination commerciale non tarifaire.

Malgré cela, les activités transnationales menées par divers monopoles durant cette période se sont limitées à quelques pays industrialisés d’Europe et aux Etats-Unis et elles n’ont couvert que certains secteurs. A l’époque, seules quelques centaines de compagnies opéraient outre-mer, et c’est peu comparé aux 37.000 transnationales, réunissant 170.000 filiales, qui sont répandues aujourd’hui à travers le monde.

Dans les pays du tiers-monde, les activités des monopoles se sont surtout concentrées sur le secteur primaire, c’est-à-dire dans les plantations et l’extraction des ressources naturelles. 

Les grandes opérations des transnationales dans ces régions datent du tournant du XXe siècle – pétrole et investissements miniers au Mexique, mines de cuivre au Chili, au Pérou et au Congo belge, bauxite dans les Guyanes britannique et hollandaise, et pétrole dans les Indes orientales néerlandaises. 

Dans le domaine de l’agriculture, la United Fruit Company des Etats-Unis a été fondée en 1899, et elle a établi son “empire bananier” en Amérique centrale et dans les Caraïbes avant la Première Guerre mondiale. 

En Afrique, la compagnie anglo-néerlandaise Unilever a investi dans les huiles végétales, ainsi que dans la firme Cadbury et le cacao, toujours avant la guerre de 1914-1918. Dunlop possédait des plantations de caoutchouc en Malaisie et Brooke Bond a installé ses plantations de thé en Inde et au Sri Lanka. 

Les principales compagnies du secteur alimentaire ont investi dans les plantations de cannes à sucre à Cuba. W.R. Grace & Co s’est lancé dans la production sucrière au Pérou. 

Les plus grandes transnationales, comme Exxon, Royal Dutch Shell, Anaconda, Kennecott et Alcoa, se sont constituées afin de s’assurer dans le tiers-monde, et à bas prix, ces sources d’approvisionnement en matières premières d’une d’importance capitale.

Lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale, 60% de tous les IDE se trouvaient dans les colonies, les semi-colonies et les pays dépendants: 55% de ces IDE couvraient le secteur primaire, contre 15% seulement pour les industries de transformation. 

La ruée vers les colonies, les querelles au sujet des sources d’approvisionnement en matières premières, des marchés et des zones où les capitaux pouvaient être investis – en bref, la lutte pour une nouvelle répartition du monde – tout cela s’est traduit par des guerres commerciales, des guerres monétaires et des confrontations armées entre les différentes puissances impérialistes, et ce durant plus de trois décennies à dater de 1914. Le protectionnisme croissant, caractérisé par des barrières douanières et non douanières élevées, l’extrême chaos et l’instabilité de l’ordre mondial, ainsi que le développement des luttes de libération nationale partout dans le monde ont ralenti l’internationalisation du capital productif jusque dans les années 1950.

Cependant, durant l’entre-deux-guerres, les firmes industrielles ont commencé leurs activités dans le tiers-monde. 

En 1939, les entreprises mondiales de pointe (à la fois américaines et européennes) ont implanté pas moins de deux cents filiales en Amérique latine. C’était le cas des sociétés américaines telles que Ford, General Motors, Goodyear, Firestone, National Cash Register, General Electric, Singer, Abbott et Parke Davis, et des firmes européennes comme Siemens, Philips, Pirelli, Unilever, Roche, Nestlé et Olivetti. Dans le reste du tiers-monde, une centaine de filiales à peine avaient été installées avant la Seconde Guerre mondiale.

L’activité des transnationales a continué à être dominée par le secteur primaire tout au long de cette période; des plantations de café ont été lancées au Kenya, des plantations d’hévéas (caoutchouc) au Liberia; on a ouvert des mines de cuivre en Zambie, on a extrait du pétrole au Moyen-Orient, et on s’est lancé dans l’extraction de métaux précieux en Afrique du Sud. 

Tout ceci revient donc à dire que les investissements directs de l’étranger dans le tiers-monde jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ont concerné avant tout le secteur primaire.

Malgré le haut niveau de protectionnisme développé durant l’entre-deux-guerres et le bas niveau des activités manufacturières mises sur pied par les entreprises dans les pays du tiers-monde, on a assisté à une concentration croissante des capitaux dans tous les pays capitalistes importants, et certains secteurs industriels clés furent dominés par un petit nombre de monopoles et d’oligopoles géants. 

US Steel pour les Etats-Unis et Krupp pour l’Allemagne, dans les secteurs du fer et de l’acier; la Standard Oil du New Jersey et la Royal Dutch/Shell dans le domaine du pétrole; I.G. Farben, ICI et Du Pont pour l’industrie chimique; l’American Tobacco Company et la British American Tobacco Company pour le tabac; Pepsi Co et Coca Cola dans l’industrie de la limonade; Unilever dans les savons, etc. 

Au Japon, quatre zaibatsus – Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo et Yasuda – contrôlaient la quasi-totalité de l’industrie, de la finance et du commerce extérieur du pays.

L’internationalisation de la production a effectué un grand bond en avant après la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement à partir de la moitié des années 1970, lorsque d’autres pays tels que l’Allemagne et le Japon se sont joints aux Etats-Unis pour installer des usines de transformation à l’étranger. 

Au contraire de l’investissement de portefeuille encouragé avant la Première Guerre mondiale, les investissements directs à l’étranger après la Seconde Guerre mondiale furent concentrés dans les secteurs manufacturiers et tertiaires. 

Ce glissement reflète les nouvelles réalités de la néo-colonisation de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. 

Sous la domination coloniale, l’exportation de capitaux était destinée principalement à l’extraction de matières premières et des ressources naturelles, au développement de l’infrastructure nécessaire à ce genre d’activités, ainsi qu’à la mise en place d’appareils administratifs de répression au sein des colonies. 

Durant la phase de “domination indirecte”, par contre, c’est l’industrie manufacturière qui, dans le tiers-monde, a attiré le plus les investissements des transnationales. La composition par grands secteurs du stock des IDE pour certains pays entre 1975 et 1988 est présentée dans le Tableau 1.

Tableau 1. Secteur
 PrimaireSecondaireTertiaire
France197522,138,239,7
198815,036,648,3
Allemagne19764,548,347,2
19882,843,453,7
Pays-Bas197546,838,614,6
198736,424,738,8
Royaume-Uni198726,934,438,6
Etats-Unis197526,445,028,6
198916,740,942,3
Tableau 2.
Stock des IDEFlux (moyenne annuelle)
198019881980-841985-89
CEE (1)milliards de $1533311539
% total mondial33344137
Etats-Unismilliards de $2203451418
% total mondial46353117
Japanmilliards de $20111424
% total mondial4111023
Le monde entier (2) milliards de $47497444105
1 Les chiffres de la CEE n’incluent pas l’Irlande, la Grèce et le Luxembourg. I

ls excluent également les IDE à l’intérieur de la CEE. 

Si l’on porte en compte ces derniers, on obtient un stock extérieur de 203 milliards de dollars en 1988 (44%), et cela porte les transferts à 22 milliards (47%) pour la période 1980-84 et à 59 milliards (47% également) pour la période 1985-89.
2 Les chiffres n’incluent pas les IDE à l’intérieur de la CEE.
Sources : UNCTC, Directory of Transnational Corporations, New York, UNCTC, 1991.

Il n’y a qu’à comparer les montants d’IDE au début de l’ère impérialiste avec ceux de la phase actuelle pour constater la progression phénoménale. Par exemple, le stock allemand d’IDE en 1914 était de 2,6 milliards de dollars (aux prix actuels), alors qu’en 1990, il atteignait la somme sidérante de 129,1 milliards de dollars – soit cinquante fois plus! Entre 1985 et 1990 seulement, les investissements allemands ont été multipliés par 2,5.

La crise des années 1970 s’est accompagnée d’un développement extraordinaire des IDE de la part des Etats-Unis, de la CEE et du Japon, comme on peut le voir dans les chiffres pour 1980 et 1988, que voici:

Les flux totaux vers l’extérieur de l’OCDE étaient deux fois plus élevés dans les années 1980 que dans les années 70.

Le développement des IDE a été encore plus spectaculaire après 1988. Le stock des IDE a atteint le total de 2.000 milliards de dollars en 1992. Au début des années 1990, on estimait qu’il y avait dans le monde 37.000 transnationales – dont 24.000 situées dans les 14 pays les plus industrialisés -, avec plus de 170.000 filiales à l’étranger englobant pratiquement tous les secteurs de l’économie mondiale. 

C’est une progression impressionnante, car, en 1969, il n’y avait que 7.300 transnationales disposant de 27.300 filiales. 

Durant les deux dernières décennies, se manifeste donc une nouvelle phase de l’internationalisation de la production.

Entre 1983 et 1992, les IDE se sont développés plus de quatre fois plus vite que la production mondiale et trois fois plus vite que le commerce mondial. 

La majeure partie du développement des IDE provient des 200 entreprises les plus importantes du globe.

Tableau 3. Le top-200: Profil de la puissance mondiale
19821992
PaysNombre firmesVentes milliards de $% de 200 firmesNombre firmesVentes milliards de $% de 200 firmes
Etats-Unis801.302,542,8601.720,129,3
Japon35657,321,5542.095,435,7
France16182,66,023530,29,0
Allemagne17207,56,821563,09,6
Royaume-Uni18264,78,714310,05,3
Suisse220,40,78152,42,6
Pays-Bas486,42,85214,13,6
Italie584,52,85126,82,2
Corée du Sud18,00,3344,30,8
Brésuk227,40,9229,80,5
Suède112,00,4228,10,5
Espagne221,60,7118,60,3
Canada755,11,8117,20,3
Belgique19,20,3112,20,2
Autres8106,43,5
Total2003.045,7100,02005.862,1 
PIB monde12.600,021.900,0
Top 200 (en % PIB)24,226,8
Source: Calculs des auteurs à partir de chiffres d’affaires, de rapports d’entreprises et de statistiques nationales.

Ce top-200 des firmes les plus importantes a doublé ses revenus cumulés en l’espace de dix années seulement – passant de 3.000 milliards de dollars en 1982 à 5.900 milliards en 1992 – un chiffre record encore jamais rencontré dans l’histoire de l’humanité. 

La part de ces 200 entreprises dans le PIB (Produit intérieur brut) de la planète pour l’année 1992 était de 26,8%. 

Pas moins de 172 de ces sociétés, soit 86%, appartenaient à cinq pays impérialistes seulement – les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France. 

Mais alors que l’on assiste à un certain tassement dans la croissance mondiale, les avoirs de ces 200 compagnies, par contre, ne cessent d’augmenter à une vitesse phénoménale.

Plus révélateur encore est le fait que parmi les profits cumulés de 73,4 milliards de dollars pour l’ensemble du top-200, près de 47%, soit 34,8 milliards, ont été engrangés par 5% seulement de ces firmes, soit une dizaine d’entre elles.

Un autre secteur qui a connu une vague de concentration au cours des cinq décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, c’est le commerce. 

Aujourd’hui, le volume de la quasi-totalité des marchandises est commercialisé par une poignée de sociétés commerciales géantes. 

80% des exportations de matières premières de trois breuvages (café, thé et cacao) sont contrôlées par trois à six firmes. Au Japon, neuf “sogo shoshas” (grandes sociétés de commerce) s’approprient plus d’un tiers du PNB du pays et contrôlent 52% des parts dans les exportations du pays, ainsi que 63% des importations. 

Les ventes de ces neuf “sogo shoshas” ont dépassé 386 milliards de dollars en 1985 – c’est-à-dire 2,5 fois les chiffres de 1975.

Une autre caractéristique nouvelle des années 1970 et 1980 est la montée des “conglomérats”, regroupant des filiales s’occupant de finances, de services, d’agriculture et d’industrie. 

Au Japon, six de ces conglomérats sont apparus, comportant chacun une banque, un ou plusieurs “sogo shoshas” et des douzaines de filiales industrielles. 

Au total, la concentration et la centralisation du capital de toutes les filiales de ces six conglomérats japonais représentent les quatre cinquièmes du PNB du pays.

Après l’effondrement de l’Union soviétique, le retour de l’Europe de l’Est à des régimes à capitalisme bureaucratique et le glissement vers un capitalisme à part entière en Chine, à Cuba et au Vietnam, les transnationales, et tout spécialement celles du top-200, ont pour la première fois accès à la totalité du marché mondial. Pour les transnationales, la Chine est apparue comme le centre d’intérêt principal, attirant plus de 16.000 filiales. 

En Tchéquie, la firme allemande VW a repris la principale compagnie automobile, Skoda. 

En Pologne, Pepsi Company’s Food International a fait main basse sur le plus gros chocolatier du pays, Wedel, en 1991, tandis que Nestlé, l’an dernier, faisait de même avec le second chocolatier polonais. 

Le top-200 des transnationales soutient activement les mouvements de privatisation de ces pays, et ceci afin d’absorber leurs marchés et d’étendre leurs propres filiales de production à ces pays à bas salaires possédant des infrastructures hautement développées. 

Et ce sont ces mêmes transnationales qui ont réclamé à grands cris la déréglementation, la libéralisation, la privatisation et toute une série d’autres mesures dans les pays du tiers monde, afin de faciliter leur propre entrée dans les secteurs jusqu’alors “protégés”. 

Ce sont encore ces mêmes transnationales qui exigent la suppression de toutes les restrictions à l’entrée sur les marchés du tiers-monde au nom d’un équilibre des chances. 

En utilisant le pouvoir de leurs gouvernements représentés par les tout-puissants G-7, ou plus largement, par l’OCDE et ses 24 membres, ces transnationales ont forcé les pays du tiers-monde à autoriser l’accès complet de leurs économies aux marchandises, services et technologies en provenance de l’étranger: depuis 1980, environ 80 de ces pays se sont donc vu imposer des Programmes Structurels d’Ajustement (PSA). 

Avec les gouvernements impérialistes, le FMI, la Banque mondiale, le GATT et plusieurs autres institutions multilatérales servent à accélérer les exportations de capitaux afin d’établir des unités de production des transnationales dans le monde entier. 

Afin de stopper la baisse du taux de profit dans l’industrie, les transnationales ont hâté la relocalisation de leurs unités de production ou d’une partie de leurs opérations dans des zones où l’on trouve en abondance une main-d’oeuvre à bon marché, des matières premières peu coûteuses, des possibilités de transport à faible coût et d’autres infrastructures, ainsi que des marchés prometteurs. 

Alors que la mise en place d’industries légères, en plus des industries minières et de raffinage du pétrole, caractérisait les activités des transnationales dans le tiers-monde jusqu’au début des années 1970, le déclenchement de la crise économique mondiale à partir de 1973 et le déclin consécutif de la demande de biens d’équipement dans les pays impérialistes ont fait que ces mêmes biens d’équipement ont commencé à être exportés en énormes quantités vers le tiers monde. 

A la fin des années 1970, on estime que 38% des ventes de la General Electric américaine consistaient en complexes industriels et en usines fournies clés en main aux pays du tiers-monde, et 42% de ses profits étaient à mettre au crédit de ces transactions avec l’étranger. 

Le nombre d’usines pétrochimiques dans le monde s’est accru de moitié pour la seule période 1973-1978, alors qu’au cours de la même époque, la surcapacité en Europe conduisait à la fermeture d’un certain nombre d’entreprises du même secteur. 

Plusieurs firmes chimiques ont été installées par les transnationales en Europe de l’Est et dans les pays de la région Asie-Pacifique entre les années 1970 et 1980. 

Des usines sidérurgiques ont été construites au Brésil, au Mexique, à Taiwan, en Corée du Sud, au Venezuela, aux Philippines et en Chine. 

Etant donné que les coûts de production sont inférieurs dans les pays du tiers-monde, une quantité croissante des marchandises demandées par les pays impérialistes et le marché mondial est manufacturée par les transnationales implantées dans ces pays, ce qui fait qu’il a été nécessaire d’y introduire une stratégie orientée en premier lieu sur l’exportation. 

Les transnationales des Etats-Unis ont transféré une partie de leur production au Mexique et en Amérique latine; celles du Japon ont relocalisé une partie importante de leurs industries de transformation à Taiwan, en Corée du Sud, en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie et dans d’autres pays de l’Asie de l’Est, les transnationales allemandes se sont étendues à l’Europe de l’Est et dans les pays baltes en même temps que dans certains pays du tiers monde comme le Brésil. 

Les salaires réels dans ces pays peuvent être jusqu’à 40 fois inférieurs à ceux pratiqués aux Etats-Unis, dans la CEE ou au Japon. 

Les prétendus excédents commerciaux provoqués par certains des pays du tiers-monde, et plus particulièrement par les Economies d’industrialisation récente (EIR) comme la Chine et certains pays de la région Asie-Pacifique, ne sont pas dus à l’exportation des marchandises produites par les industries autochtones, mais aux exportations réalisées par les filiales américaines, japonaises et autres installées dans ces pays, ainsi qu’aux relations intra-entreprises (c’est-à-dire entre les différentes filiales d’une même transnationale).

Le caractère international de la production est devenu possible du fait de la division internationale du travail dans le secteur des industries de transformation. 

En fonction de cela, ce genre d’industrie est (a) de plus en plus sous-divisé en un certain nombre de segments (b) localisés dans différents sites de production selon (c) la combinaison la plus profitable entre le travail, les capitaux, les subsides gouvernementaux et les coûts de transport et (d) soumis à une coordination centralisée de façon stratégique des quartiers généraux, qui, eux, ont su tirer un maximum de profit des progrès et des innovations spectaculaires réalisés dans la technologie de l’information et dans les communications par satellites.

Ceci est très bien illustré par le professeur de Harvard, Robert Reich, dans le cas d’un modèle de voiture de la General Motors: si la valeur totale d’une Pontiac Le Mans s’élève à 20.000 dollars, 6.000 dollars sont produits en Corée du Sud (assemblage), 3.500 dollars au Japon (moteur et essieux), 1.500 dollars en Allemagne (design et style), 800 dollars par des fournisseurs d’accessoires à Taiwan et à Singapour, et 600 dollars encore en Grande-Bretagne, en Irlande et dans les Barbades (divers services).

C’est pourquoi l’on ne peut prétendre que la voiture a été manufacturée aux Etats-Unis ou dans aucun autre pays en particulier. 

Ce n’est qu’en vertu du fait que la General Motors est une transnationale américaine que la voiture sera déclarée avoir été “made in USA”. 

Un nombre croissant de marchandises sont aujourd’hui étiquetées comme étant “de fabrication allemande” ou “de fabrication japonaise”, au lieu de “made in Germany” ou “made in Japan”, pour la simple raison que ces marchandises sont produites par des filiales à l’étranger de transnationales allemandes ou japonaises.

C’est uniquement dans ce contexte que l’on peut comprendre les appels des transnationales en faveur d’un monde sans frontières ainsi que de la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et du travail entre les différents pays en vue d’en arriver à la création d’un “village mondial”.

3. La nouvelle division internationale du travail (DIT)

La vieille division internationale du travail a divisé le monde en nations industrielles avancées et en pays arriérés producteurs de matières premières. C’étaient les transactions entre ces groupes de pays qui dominaient le commerce mondial. 

Quant aux firmes internationales, si elles avaient un département production, elles étaient impliquées dans l’extraction des matières premières dans ces pays arriérés. 

Avec l’évolution de la firme transnationale, cette simple dichotomie allait disparaître progressivement. 

Au début, le changement de production et d’investissement s’est produit entre le centre et la périphérie, à l’intérieur des pays industrialisés ou vers leurs voisins géographiques. Les entreprises américaines ont investi en Europe et au Mexique. 

Des sociétés basées en Europe occidentale ont investi chez leurs voisins du sud et en Irlande, et plus récemment, des sociétés japonaises ont fait de même en Corée du Sud et à Taiwan.

Mais la longue période de boom qui s’est étendue sur le quart de siècle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire jusqu’au début des années 1970, a vu croître dans les vieux pays industrialisés, le pouvoir et le militantisme de la classe ouvrière, ce qui s’est traduit, du point de vue capitaliste, par une augmentation proportionnelle des salaires et par une baisse tout aussi proportionnelle de la productivité. 

Au cours de cette période, il y a également eu une migration massive de main-d’oeuvre en provenance des pays du tiers-monde vers les nations industrielles avancées.

Mais, comme on l’a déjà mentionné plus haut, la tendance à partir du début des années 1970 a consisté à transférer un nombre de plus en plus élevé d’industries des pays impérialistes vers le tiers-monde, tout en réduisant la main-d’oeuvre dans toutes les entreprises industrielles majeures. 

Et comme elles considèrent le monde comme un seul et même territoire quand il s’agit d’y effectuer leurs opérations, les départements différents de chaque industrie se sont subdivisés et ont été répartis sur différents sites, dans différents pays et dans différents centres, de façon à pouvoir réaliser d’énormes profits en utilisant au mieux les avantages offerts par une telle chaîne de production mondiale. 

La révolution récente dans la technologie de l’information et le développement accru des systèmes de communication et de transport a accéléré ce processus. 

La diffusion rapide d’une structure organisationnelle à divisions multiples parmi les firmes géantes du monde capitaliste a fourni un environnement idéal à la flexibilité des capitaux dans le monde. 

Cette innovation organisationnelle ou la méthode qui consiste à confier à des sous-traitants un nombre de plus en plus élevé d’opérations, et ce même dans les entreprises les plus modernes, est de plus en plus fréquemment utilisée à la fois pour acquérir de la main-d’oeuvre à très bas prix et briser les reins aux forces organisées du travail. 

Par exemple, un géant mondial de l’automobile tel que la Toyota Motor Corporation ne développe lui-même que le moteur hautement automatisé et ne possède que des usines excessivement modernes d’assemblage final. Le reste des tâches est confié à des sous-traitants.

Selon une estimation proposée par le MITI (ministère du Commerce international et de l’Industrie au Japon), le système de production du fabricant d’automobiles moyen au Japon comprend 171 sous-traitants au premier échelon, 4.000 au second et 31.600 au troisième. 

En 1978, parmi les 13.430 fabricants japonais de pièces automobiles, 80% employaient moins de 20 ouvriers, et parmi ceux-ci, un tiers utilisaient de un à trois ouvriers.

Par conséquent, la chaîne japonaise de production automobile relie le moteur le plus hautement automatisé et les usines d’assemblage les plus sophistiquées au monde avec convoyeurs aux petits ateliers surpeuplés situés dans des arrière-cours, où des familles pauvres matricent de petites pièces sur des presses à pied, et ce, dix heures par jour tout au long de l’année.

C’est ce modèle que l’on est occupé à imposer au tiers-monde, en tirant parti de la main-d’oeuvre à bon marché et des autres ressources locales propres à chaque pays.

La tendance à pratiquer la sous-traitance avec des firmes plus petites ou avec des familles (comme on le voit dans le cas du textile et du software en informatique) se manifeste tant à l’intérieur du pays qu’entre les pays. 

Cette tendance se rencontre simultanément avec celle qui consiste à déplacer des unités complètes de production d’une partie du pays vers une autre ou d’un pays à l’autre.

De plus en plus, les entreprises les plus importantes sont appelées à devenir des centres de coordination pour un grand nombre d’unités de production, chacune fournissant des services à l’organisation dominante à des taux compétitifs et offrant des salaires concurrentiels. 

Ceci représente une extension de la notion de sociétés multidivisionnelles, avec la centralisation des décisions stratégiques et de l’allocation des capitaux, d’une part, et de la décentralisation des décisions opérationnelles de production, d’autre part. 

Aujourd’hui, le marketing stratégique et les décisions concernant la production sont attribuées au quartier général, alors que les petites unités ont des relations de satellite avec l’entreprise dominante, souvent dans le cadre de contrats à long terme. 

Le rôle fondamental de la firme dominante est alors d’assurer une allocation de la production, sur le plan interne et externe, en fonction de la minimisation des coûts, tout en maintenant ou en améliorant le contrôle du marché. Les exemples suivants soulignent l’importance croissante du marché international du travail aux yeux des transnationales.

A la fin des années 1980, le nombre d’employés des transnationales suédoises opérant hors de la Suède approchait le demi-million, c’est-à-dire le quart de tous les employés des firmes commerciales et industrielles originaires de la Suède. 

Les vingt transnationales suédoises les plus importantes emploient plus de main-d’oeuvre à l’étranger qu’en Suède et leur production à l’étranger a augmenté, passant de 28% en 1968 à 47% en 1986. 

A la fin des années 1970, les transnationales hollandaises employaient trois fois plus de main-d’oeuvre à l’étranger que chez elles. 

Les principales compagnies chimiques allemandes – BASF, Bayer et Hoechst – non seulement vendent, mais encore produisent davantage à l’étranger qu’en Allemagne. 

Même les firmes chimiques allemandes de moyen format, comme Henkel, Schering, Beiersdorf et autres, ont expatrié leur production à la fois en raison des mesures sévères imposées en Allemagne contre la pollution et en faveur de la sécurité, et également des coûts élevés de la main-d’oeuvre allemande. 

En 1990, les deux tiers de la main-d’oeuvre de Beiersdorf étaient employés hors d’Allemagne. 

Bosch et Siemens dans l’industrie électrique, ainsi que les géants de l’automobile que sont Volkswagen, Mercedes-Benz, BMW, MAN (constructeur de camions), etc., ont également installé certaines de leurs usines à l’étranger au cours des deux dernières décennies. 

En 1990, la firme mondiale Siemens possédait quelque 210 usines en dehors de l’Allemagne. 

Le cas de la Suisse est encore plus saisissant. En 1980, le top-50 des transnationales suisses produisait 2,1 fois plus à l’étranger qu’à domicile. 

Alors qu’elles employaient une main-d’oeuvre d’environ 550.000 personnes à l’étranger, elles n’en employaient que 250.000 en Suisse même. 

Si le personnel total de toutes les compagnies suisses est pris en compte, la main-d’oeuvre employée à l’étranger était passée de 16% du total en 1980 à 36% en 1989. 

Deux des plus importantes transnationales suisses – Nestlé et ABB – disposent d’une majorité écrasante de main-d’oeuvre dans leurs usines opérant hors du territoire national.

La nouvelle division internationale du travail place la planification, la gestion, la recherche et développement (R&D) et les brevets du processus de production dans les mains de la compagnie mère, tandis que la production et l’assemblage seront exécutés par de la main-d’oeuvre non qualifiée et semi-qualifiée des pays du tiers-monde. 

Au point de vue R&D, les transnationales mettent l’accent sur le développement d’une technologie qui disqualifie (au sens propre du terme) toutes les opérations. 

Alors que les secteurs du processus de production requérant une main-d’oeuvre qualifiée tendent à se concentrer dans les pays industrialisés, les activités non qualifiées se répandent à chaque coin du globe. 

Par conséquent, les pays impérialistes retiennent les cerveaux alors que le travail manuel est accompli par la main-d’oeuvre du tiers-monde. 

Non seulement une telle division du travail place le contrôle effectif de l’industrie entre les mains de la maison mère de la transnationale, malgré le fait que les usines où s’effectue la fabrication réelle sont situées dans les pays du tiers-monde, mais en plus elle donne la possibilité aux firmes mondiales de transférer leurs unités de production dans d’autres lieux (pays) du grand village mondial. 

L’abondante disponibilité de main-d’oeuvre non qualifiée et semi-qualifiée partout dans le monde rend ceci possible et certaines des transnationales ont transféré leurs opérations d’un pays à l’autre chaque fois qu’il y a eu une hausse des salaires ou une menace de nationalisation. 

Certaines des entreprises japonaises qui avaient installé des usines d’assemblage d’articles électroniques de consommation courante à Singapour, à Hong Kong, en Corée du Sud et à Taiwan, au cours des années 1970, ont transféré leurs opérations en Malaisie, en Indonésie, aux Philippines, au Vietnam, en Chine, en Thaïlande ou ailleurs, cette dernière décennie, à cause de la hausse des salaires dans les pays précités.

Les transnationales dépensent des millions de dollars chaque année en R&D afin de subdiviser encore plus le processus de production et de le réduire à des opérations de plus en plus simples requérant le moins de qualification possible et, de cette façon, de tirer partout avantage de la chaîne globale de production. 

L’usine mobile ne représente que l’une des innovations mises au point par la firme mondiale à ce stade ultime du capitalisme.

Une compagnie japonaise, Ishikawajima-Harima Heavy Industries a construit des usines de pâte à papier et d’énergie sur des barges maritimes. 

L’idée est de faire accoster ces usines mobiles dans un pays du tiers-monde à bas salaires et, ensuite, si les salaires augmentent trop rapidement, de remorquer ces usines jusqu’à des zones où les salaires sont moins élevés. 

Techniquement, c’est possible pour de nombreuses industries au sein desquelles l’interruption du processus de production en est arrivée au point où les ouvriers peuvent être formés à la plupart de ces emplois non qualifiés en un seul jour ou tout au plus en une semaine.

Ces innovations sont encensées par les économistes bourgeois, depuis le monétariste de Chicago Milton Friedman jusqu’à Manmohan Singh, de Delhi, qui justifient les DIT au nom de la loi éculée de l’avantage comparatif telle que la formulait la vieille école classique. Cette théorie, développée en 1817 par l’agent de change et millionnaire David Ricardo, affirme que chaque pays devrait se spécialiser dans les domaines de production dans lesquels il jouit d’un avantage relatif par rapport aux autres nations et que même un pays pauvre peut tirer un certain avantage d’une production de marchandises dans laquelle il est relativement efficace. 

Etant donné que les pays du tiers-monde, comme l’Inde, par exemple, présentent l’avantage relatif sur l’Europe, les Etats-Unis ou le Japon, de fournir la main-d’oeuvre la moins chère sur le marché mondial du travail, ils devraient donc être à même d’en tirer un avantage.

Le travail, le seul apport industriel que le tiers-monde est à même de fournir en abondance, est exploité à fond afin de sauver le capitalisme de sa crise finale.

La mondialisation du capital et de la production a donc également débouché sur la mondialisation de la main-d’oeuvre à bon marché. 

La disponibilité des ressources illimitées en ce domaine dans les pays du tiers-monde ainsi qu’en Chine, en Europe de l’Est, dans les pays baltes, la CEI (ex-URSS) et d’autres anciens pays socialistes qui ont été pleinement intégrés à l’économie mondiale à la fin des années 1980, a entraîné un déclin marqué des salaires réels même dans les pays capitalistes les plus avancés – les Etats-Unis, le Japon et la CEE. 

Les politiques structurelles d’ajustement, impulsées par le FMI, la Banque mondiale, ont détruit massivement l’industrie locale dans les pays du tiers-monde, ainsi que les formes pré-capitalistes de production. 

Cela a permis de créer un vaste réservoir mondial de main-d’oeuvre à bon marché. D’où la baisse de pouvoir de négociation de l’ouvrier qui mène à la réduction des salaires dans les pays impérialistes à un niveau misérable, en rapport avec les théories de la liberté de marché prônée par Milton Friedman et les autres nouveaux disciples d’Adam Smith. 

Les menaces de fermetures et de licenciements dans les industries (provenant d’une surproduction et d’une surcapacité sans précédent à l’échelle mondiale) et les nouvelles tactiques mises au point par la bourgeoisie et consistant à travailler avec des sous-traitants et à déménager dans des zones à bas salaires, tout cela a provoqué un degré élevé d’insécurité sociale parmi les travailleurs du monde entier.

La nouvelle division internationale du travail des transnationales est également utilisée en tant qu’arme destinée à dominer les travailleurs en les divisant (“diviser pour régner”) et à réduire la capacité des travailleurs à s’investir dans des grèves radicales.

Un rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) présente la chose très crûment:

«Les transnationales utilisent leurs usines disposées à travers le monde comme une menace destinée à contrer les exigences et le pouvoir des syndicats. 

Si le syndicat ne veut pas céder, la compagnie peut ou va même jusqu’à menacer de transférer sa production vers un autre pays, ou elle peut utiliser les unités dont elle dispose déjà dans un autre pays pour pénaliser le syndicat “revendicatif”, ou la compagnie peut même menacer de mettre un terme à ses investissements futurs dans le pays où le syndicat exprime des exigences “déraisonnables” (c’est-à-dire déraisonnables aux yeux de la compagnie, naturellement). 

Le syndicat range toutes ces tactiques dans la catégorie générale des menaces de transfert de production et elles font partie des tactiques des entreprises multinationales à propos du travail.»

Les cinq cents firmes les plus importantes de la planète ont licencié plus de 400.000 travailleurs par an au cours de la dernière décennie (ce qui fait un total de 4 millions), pour des raisons d’automatisation, de rationalisation et de restructuration. 

Les prolétaires du monde entier doivent faire face aux mesures d’austérité, aux réductions ou gel des salaires, aux restrictions dans les programmes sociaux, aux plans d’épargne-pension obligatoires, aux départs anticipés à la retraite, à la création d’un secteur informel et à d’autres formes d’exploitation. 

C’est de cette façon que les conditions objectives pour mener une lutte unie à un niveau mondial se sont multipliées comme jamais auparavant.

  4. Internationalisation du capital financier

L’apparition de l’impérialisme est liée à l’apparition du capital financier. Comme Lénine l’a fait remarquer: «Ainsi, le 20ème siècle marque le tournant où l’ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général.» 1

Plus loin, Lénine fait encore remarquer: «Le propre du capitalisme est, en règle générale, de séparer la propriété du capital de son application à la production; de séparer le capital-argent du capital industriel ou productif; de séparer le rentier, qui ne vit que du revenu qu’il tire du capital-argent, de l’industriel, ainsi que de tous ceux qui participent directement à la gestion des capitaux. 

L’impérialisme, ou la domination du capital financier, est ce stade suprême du capitalisme où cette séparation atteint de vastes proportions. La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l’hégémonie du rentier et de l’oligarchie financière; elle signifie une situation privilégiée pour un petit nombre d’Etats financièrement “puissants”, par rapport à tous les autres.»2

A l’époque de Lénine, les marchés financiers internationaux en étaient toujours à leurs premiers balbutiements, en dépit du degré élevé d’internationalisation qui caractérisait les marchés financiers mondiaux entre le dernier quart du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale.

Historiquement, le capital-argent a été une expression nominale de la quantité de marchandises et de services produite par une économie donnée. 

Mais au cours des années 80, la finance a fini par se dissocier de la production et par assumer un rôle indépendant, autocratique, sur l’économie réelle. 

Pour reprendre les mots du “gourou” du management bourgeois, Peter Drucker: «Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, l’économie “réelle” des marchandises et des services, et l’économie “symbolique” de l’argent, du crédit et du capital ne sont plus étroitement liées l’une à l’autre; bien au contraire, elles poursuivent même des voies de plus en plus distinctes.»3

Depuis 1973, la crise économique mondiale croissante s’est caractérisée par une baisse du taux moyen du profit industriel et par une surcapacité et une surproduction au niveau mondial. 

Cela a dissuadé les capitalistes d’investir encore dans l’industrie. 

Ils ont commencé à placer leur argent davantage dans la spéculation, dans le but de réaliser des bénéfices financiers immédiats.

Les manipulateurs financiers de Wall Street ont fait leur apparition en tant que personnages clés de l’économie mondiale des années 1980. 

Même une entreprise importante comme la General Motors a dû licencier 74.000 travailleurs dans 21 de ses usines en 1991-92, afin d’infléchir le cours de ses obligations, qui aurait provoqué une hausse des charges de la dette si elle avait dû emprunter.

Pour reprendre les termes de The Economist de Londres, la nouvelle phase de la finance mondiale qui est apparue dans les années 1980 grâce aux nouvelles technologies en électronique et en communication, se caractérise par «les marchés financiers les plus librement fluctuants et les plus sophistiqués (c’est-à-dire compliqués) que le monde ait jamais connus – devises, marchandises, obligations du gouvernements et privées : tout est maintenant publié, coté, acheté, vendu à toute heure du jour et partout dans le monde.»4

Une caractéristique importante de la mondialisation de la finance est le nouveau rôle des prêts bancaires à l’étranger. 

Traditionnellement, le rôle des opérations bancaires internationales est de faciliter le commerce mondial. 

A une date aussi tardive que le milieu des années 1960, le volume des activités bancaires internationales se montait à environ dix pour-cent du volume du commerce mondial des économies de marché. 

Mais, au cours des deux dernières décennies, le développement de ces opérations bancaires s’est amplifié avec l’expansion du commerce international. 

Au milieu des années 1980, le volume des émissions bancaires internationales a dépassé en fait les chiffres combinés du commerce mondial et de toutes les économies de marché. 

Aujourd’hui, ces opérations bancaires globales n’ont plus la moindre relation avec le commerce international. 

Sur septante dollars qui changent de mains sur le marché des devises, un seul sert en fait à payer un échange commercial de marchandises ou de services!

Sur le marché mondial des devises, plus de 900 milliards de dollars sont échangés chaque jour dans le monde.

Alors que le commerce des devises constitue l’aspect le plus versatile des marchés financiers internationaux, les prêts transnationaux et l’échange de titres se sont également développés de façon spectaculaire. 

En 1980, les prêts bancaires internationaux correspondaient à quatre pour-cent de la valeur de toutes les marchandises et de tous les services produits dans les pays industrialisés. 

En 1991, ces crédits bancaires équivalaient à 44% du PIB officiel des nations industrialisées. 

La valeur nette des prêts bancaires internationaux est passée de 530 milliards de dollars en 1978 à 3.610 milliards de dollars en 1991. 

La même année, les obligations internationales en cours représentaient une valeur de 1.651 milliards de dollars.

On peut juger de la simple ampleur de la superstructure financière en expansion en lisant ces lignes de Peter Drucker:

Aujourd’hui, «le commerce mondial de marchandises et de services se chiffre à environ 2.500 à 3.000 milliards de dollars l’année. 

Mais le marché londonien de l’Eurodollar, dans lequel les institutions financières mondiales s’empruntent et se prêtent les unes aux autres, tourne autour de 300 milliards de dollars par jour ouvrable, soit environ 75.000 milliards de dollars l’année, un volume au moins 25 fois supérieur à celui du commerce mondial.»

«S’ajoutent à cela les transactions d’échanges avec l’étranger dans les principaux centres monétaires mondiaux, et dans lesquels on échange une monnaie contre une autre. 

Elles tournent autour de 150 milliards de dollars par jour ouvrable, soit environ 38.000 milliards de dollars l’année, ce qui correspond à 12 fois la valeur du commerce mondial de biens et de services».5

Au cours des années 1970 et 1980, de nouveaux instruments financiers ont été introduits, élargissant la base du système de crédit et, en même temps, ouvrant les portes à une spéculation effrénée. 

L’un de ces instruments n’est autre que les marchés financiers des opérations à terme, où l’on engage des paris sur les taux d’intérêt qui seront en application à une certaine date dans le futur. 

Cette pratique s’est répandue des Etats-Unis à Londres, Tokyo, Sydney, Paris et Francfort. 

La valeur des actifs – biens immobiliers, stocks, instruments financiers et objets d’art – a grimpé à une vitesse vertigineuse au cours des années 1980. 

La prédominance du capital financier sur l’économie réelle a détruit les emplois et le capital productif. Les parts de Xerox ont grimpé de 9% lorsqu’on y a proclamé le licenciement de 10.000 travailleurs. Comme un analyste du Washington Post l’explique:

«Wall Street ne s’en fait guère à longue échéance. Ce qui la préoccupe, c’est le prix que vaudra le stock demain, et ses valeurs sont aujourd’hui adoptées par l’Amérique des Entreprises. L’on ne vénère que ce qui est solide. C’est devenu un univers de cupidité masquée, mais non seulement la puanteur de cette cupidité passe-t-elle inaperçue et échappe-t-elle aux critiques à Washington, où les démocrates ont rejoint les républicains par fidélité envers ceux qui paient les factures de leurs campagnes, en plus, il faut encore qu’on l’applaudisse!»

Après que l’on ait introduit les taux d’échange flottants en mars 1973, la spéculation effrénée est devenue la caractéristique principale des marchés des devises. L’expansion de la superstructure financière a été rendue possible par un approvisionnement continu en dollars américains sans aucun rapport avec l’économie réelle. 

Entre 1969 et 1977, le nombre de dollars détenu en dehors des Etats-Unis a été multiplié par 4,5 et ce nombre n’a cessé de croître depuis lors.

Le réseau de la finance internationale a tout d’une chaîne de maisons de jeux ou de casinos où des milliers de milliards de dollars changent de mains tout au long de l’année. 

Le monde se rapproche d’une “économie de casino”, et c’est exactement ce qu’avait prédit Keynes.

Même des Etats nationaux puissants sont demeurés des spectateurs impuissants face à cette partie de jeu internationale jouée par les grandes banques internationales et les spéculateurs financiers. 

Il n’existe aucun mécanisme international à même de régler les mouvements financiers au delà des frontières nationales. 

Les spéculateurs en devises, les courtiers en titres, les détenteurs d’obligations internationales, les manipulateurs de biens immobiliers et autres escrocs de la finance ont le pouvoir de conduire une nation même puissante au bord de la ruine et de la banqueroute. 

Par exemple, si le stock de dollars est liquidé durant la nuit en échange de yens ou de deutsche marks (DM), l’économie américaine pourrait s’effondrer, ou l’inverse. 

De la même manière, la vente soudaine de titres gouvernementaux et de bons du trésor sur le marché pourrait conduire le gouvernement en question à la faillite financière. 

Les détenteurs d’obligations internationales sont libres à tout moment de vendre pour des millions de dollars de titres américains à long terme littéralement en quelques secondes. 

Ils détiennent, par conséquent, un pouvoir énorme sur les décisions économiques de n’importe quel président américain, qu’il soit républicain ou démocrate.

A quel point la vitesse et la fréquence des transactions rendent toute forme de réglementation extrêmement difficile, c’est ce que nous révèle le directeur exécutif de la banque de Montréal, Bill Mulholland:

«En un clin d’oeil, je pourrais mettre de côté l’argent provenant de toutes ces meutes de fous furieux branchés sur l’affaire et j’aurais tellement d’avance sur eux qu’il n’y aurait jamais le moindre espoir pour eux de trouver une piste. 

Avec la technologie électronique, on peut faire transiter l’argent par Winnipeg, Toronto, New York, Miami, les îles Caïmans, les Bahamas, jusqu’en Suisse, et je défie quiconque d’en suivre la trace.»

Des entreprises peuvent être achetées ou liquidées, les prix de certaines propriétés immobilières peuvent être gonflés ou baissés artificiellement, comme on l’a vu lors de la frénésie d’achats et de ventes qui s’est emparée des Etats-Unis au cours des années 1980 ou du Japon au début des années 1990. 

Le retrait de la livre anglaise ou de la lire italienne du mécanisme des taux monétaires de l’Union européenne en 1993 était dû à la fiévreuse partie de vente enclenchée par les spéculations sur les devises.

La crise financière qui a frappé le Mexique le 20 décembre 1994 et au cours de laquelle le peso a perdu 40% de sa valeur illustre les perspectives que l’on réserve aux pays du tiers-monde. 

En onze jours exactement, le marché financier mexicain (la Bolsa) a perdu 50% de sa valeur. 

Cela est dû à la désaffection du capital financier vis-à-vis du commerce et de la production, étant donné que l’on dépense des milliards de dollars dans la spéculation.

Aujourd’hui, le système financier international est devenu plus fragile que jamais. 

Les activités industrielles sont devenues une bulle d’air dans le tourbillon de la spéculation. 

C’est pourquoi l’effondrement du système monétaire international entraînerait aujourd’hui des conséquences beaucoup plus néfastes que celles du krach de 1929.

5. Accroissement de l’interdépendance internationale

Aujourd’hui, l’interdépendance entre les diverses économies nationales a atteint un niveau sans précédent. L’interdépendance a commencé à l’époque du capitalisme mercantile des XVIIe et XVIIIe siècles. 

Elle était fondée sur le commerce des esclaves en Afrique, l’économie des plantations reposant sur la main-d’oeuvre des esclaves dans les Amériques, et la production industrielle en Europe occidentale. 

Cela a conduit à une vaste accumulation de capital au XVIIIe siècle et à un marché mondial unique dans la seconde moitié du XIXe siècle. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les pays impérialistes reposaient sur les colonies, les semi-colonies et les pays dépendants pour s’approvisionner à bon marché en matières premières, pour élargir leurs marchés et pour constituer des zones d’investissement pour leurs capitaux. 

Les colonies, quant à elles, devaient dépendre, quoique dans une moindre mesure, des pays impérialistes pour les produits manufacturés. Des pays comme les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne liaient leur prospérité, pour une part importante, au commerce international étant donné l’exiguïté de leurs propres marchés. 

Bien que les années de l’entre-deux-guerres aient perturbé le commerce international et la circulation des capitaux financiers, les deux dernières décennies ont permis d’assister à un accroissement sans précédent de l’interdépendance. 

Aujourd’hui, il y a une seule économie mondiale au sens macro-économique du terme. 

Les différents paramètres économiques variables, comme le revenu, l’inflation, le chômage, etc., ne sont pas des entités nationales indépendantes. 

Ils ne peuvent être bien saisis qu’au niveau planétaire. 

L’Etat-nation ne dispose que d’une très petite marge de manoeuvre économique et son pouvoir macro-économique est très restreint. 

Il est devenu dépendant de politiques macro-économiques édictées à l’étranger. Une crise dans un pays conduit à une autre ailleurs, comme l’a illustré la récente crise mexicaine. 

Un effondrement des cours des titres à Wall Street, Tokyo, Londres ou Francfort pourrait déboucher sur un krach dans tous les centres financiers de la planète – Paris, Sydney, Singapour, Hongkong, voire peut-être Bombay. 

Pour le dire plus crûment, si Wall Street éternue, Tokyo attrape froid et vice versa. 

Et si Walt Street attrape froid, le tiers-monde quant à lui mourra de pneumonie.

Par conséquent, avec l’interconnexion et l’intégration des économies nationales dans un seul et même système, la santé d’un seul est considérée comme dépendante de celle des autres. 

150 milliards ont été dépensés par les banques centrales en vue de stabiliser le dollar après les Accords du Louvre en 1987. 

Une fois de plus, la glissade dangereuse du dollar face aux principales devises internationales, en 1994 et début 1995, a provoqué une frénésie d’achat de dollars par le Japon, l’Allemagne et d’autres pays impérialistes, afin de soutenir la monnaie américaine. 

Car la sévère baisse de valeur du dollar pourrait avoir un impact dévastateur sur les ventes de marchandises japonaises dont les prix sont de plus en plus élevés sur le marché international.

Comme nous l’avons déjà vu, de nos jours, les marchés des capitaux et les marchés financiers, le marché des marchandises et des services, ainsi que celui du travail, deviennent de plus en plus intégrés. 

Les obstacles à la fluidité des échanges entre les pays sont démantelés. 

En 1980, les tarifs douaniers dans les pays industriels s’élevaient en moyenne à moins de 10% (ce qui constitue une énorme diminution par rapport à 1950, où ils tournaient encore aux alentours de 25%). 

En 1990, ils avaient encore été ramenés à 5% environ. Mais le protectionnisme universel pour les marchandises agricoles et les “barrières non douanières” sont toujours en vigueur (nous y reviendrons un peu plus loin).

Une proportion croissante de la production est destinée aux marchés internationaux. Dans les quatre économies européennes les plus importantes, à savoir l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, les importations de marchandises manufacturées s’élevaient à 30% de la consommation intérieure vers le milieu des années 1980. 

Le commerce international et les investissements se sont développés plus rapidement que la production, et ce, au cours de chaque année qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.

En se répandant à toute la surface de la terre, la mondialisation de la production et les activités des transnationales ont provoqué une interdépendance accrue des différentes économies. 

Le commerce intra-groupe (entre une maison mère et ses filiales à l’étranger) constitue lui-même jusqu’à 40% du commerce mondial, et le top-200 des transnationales à lui seul a monopolisé les trois quarts de ces 40%.

Dans les pays du tiers-monde, les programmes d’ajustement structurel visent à ouvrir la totalité de l’économie de ces pays aux marchandises, services et investissements de capitaux en provenance de l’étranger. 

Cela facilite les opérations sauvages des transnationales et des conglomérats de services et met l’accent sur les stratégies orientées vers l’exportation. Ces programmes ont rendu les pays du tiers-monde encore plus dépendants du marché mondial.

6. Les limites de la mondialisation

Le processus de mondialisation en cours est en proie aux mêmes contradictions que celles qui caractérisaient la première phase rapide d’internationalisation. La saturation des marchés domestiques, le passage rapide à l’internationalisation du capital et les accroissements massifs des exportations de marchandises et du capital financier ont débouché sur une intensification des rivalités entre les impérialistes. 

Elle s’est concrétisée dans les guerres commerciales, les batailles de devises et l’accroissement du protectionnisme. 

On court à une confrontation militaire. 

De même, la concentration et la centralisation accrue du capital et de la production, l’apparition de trusts, d’unions, de cartels et de sociétés holding au niveau international n’avaient conduit qu’à une ruée folle sur les sources de matières premières et sur les marchés. 

Elles avaient intensifié la compétition impitoyable entre les groupes monopolistes rivaux et débouché en fin de compte sur la Première Guerre mondiale. Des contradictions similaires et même plus profondes ont fait leur apparition au sein du système capitaliste mondial en cette fin de XXe siècle.

D’une certaine façon, la situation mondiale actuelle ressemble à la situation particulièrement instable, rongée par la crise et les conflits, qui existait entre la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. L’accroissement d’intensité du conflit entre diverses transnationales, les entreprises financières et les pays impérialistes, d’une part, et le déclin drastique de la demande générale, l’endettement croissant des pays du tiers-monde et l’expansion du chômage, d’autre part, indiquent les limites de la mondialisation.

Le chaos et l’absence d’harmonie, la rupture du système international de façon à dissocier les relations commerciales et les blocs de devises, ainsi que le déclin du rôle prédominant des Etats-Unis, caractérisent de plus en plus la scène mondiale actuelle en même temps que l’interdépendance croissante des diverses économies nationales. 

Une polarisation est occupée à se produire entre les trois devises clés – le dollar américain, le deutsch mark et le yen japonais. 

L’interdépendance et l’intégration au niveau régional augmente de pair avec l’intégration au niveau mondial. 

Les blocs commerciaux régionaux et les zones de libre-échange servent en fait de bases et de tremplins à chacune des puissances impérialistes majeures afin d’asseoir leur domination mondiale.

L’Union européenne, constituée de quinze membres (anciennement Communauté européenne), a émergé comme le bloc commercial le plus puissant. On assiste maintenant à une libre circulation des marchandises, des services, du capital et de la main-d’oeuvre entre les quinze pays de l’Union européenne, au sein de laquelle la plupart des contrôles frontaliers ont été supprimés ces dernières années. 

Les Etats-Unis, eux aussi, ont contracté des accords de partenariat avec des pays de l’Europe de l’Est, les Etats baltes et les pays de l’ex-URSS.

Depuis 1985, les membres de l’Union européenne ont été les investisseurs les plus importants en Yougoslavie, en Tchéquie et en Slovaquie, en Hongrie, en Russie, dans certaines parties du Moyen-Orient et en Afrique du Nord, voire même au Brésil. 

Le stock mondial des investissements de l’Union européenne a atteint le même niveau que celui des Etats-Unis à la fin des années 1980. Dans plusieurs pays d’Amérique latine, on assiste à une rivalité économique croissante entre les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne.

C’était en fait l’expansion économique agressive des firmes américaines depuis les années 1950 qui avait indiqué la voie à cette nouvelle phase de mondialisation. 

Après la Seconde Guerre mondiale, pendant près de trois décennies, l’impérialisme américain a chaudement défendu les quatre libertés expansionnistes – liberté d’entreprise, de concurrence, d’accès et d’échange. 

La suprématie industrielle et le rôle prédominant des Etats-Unis, les importantes ressources de crédit à la disposition du gouvernement et des entreprises, l’apparition du dollar en tant que nouvelle devise internationale de réserve ont été les instruments de cette phase. 

Mais au cours des années 1980, ce sont ces mêmes transnationales américaines qui ont commencé à mener campagne pour protéger le marché américain contre l’invasion des automobiles et appareils électroniques japonais et les marchandises européennes. 

Le libre-échange a donc ouvert la voie aux barrières douanières et non douanières au moment même où la compétitivité des firmes américaines et la productivité de la main-d’oeuvre américaine amorçaient un déclin comparable à celui du Japon et de l’Allemagne au début des années 1980. 

La part américaine dans la somme mondiale des avoirs directs à l’étranger a baissé de 47% en 1960 à 28% en 1989. 

Les Etats-Unis, qui détenaient la première position dans le développement de la plupart des technologies de pointe, ont maintenant cédé cette position au Japon en ce qui concerne les microprocesseurs, les équipements de fabrication des semi-conducteurs, la robotique, les machines-outils à contrôle numérique, l’optoélectronique et les autres secteurs stratégiques. 

La créativité américaine dans le cadre de la recherche et développement s’est de plus en plus confinée à l’industrie de défense, à la production d’armes de destruction massive de plus en plus sophistiquées.

Le volume des exportations allemandes de marchandises a atteint aujourd’hui le même niveau que celui des Etats-Unis entre 1982 et 1991, le déficit cumulé de l’Amérique par rapport au Japon a été multiplié par 5,5, et par rapport à l’Allemagne, par 7.

Afin de combler sa perte de compétitivité commerciale par rapport au Japon et à l’Union européenne et pour compenser sa perte de marchés et ses moindres investissements dans une grande partie de l’Europe, au Moyen-Orient et dans la région Asie-Pacifique, les Etats-Unis ont dû resserrer leur emprise sur les économies latino-américaines.

La formation de l’ALENA (NAFTA en anglais) a converti l’Amérique du Nord en zone de libre-échange et la plupart des contrôles frontaliers entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique ont été supprimés. 

Il existe également des projets de constituer un bloc commercial encore plus important qui couvrira l’Amérique du Nord, centrale et du Sud dans ce qu’on appellera “l’Initiative pour les Amériques”.

Le Japon est devenu aujourd’hui le principal partenaire commercial de la Corée du Sud, de Singapour, de la Malaisie et de l’Indonésie. C’est également le principal investisseur étranger à Taiwan, en Corée du Sud, en Indonésie, en Thaïlande, à Hongkong et aux Philippines. 

A la fin des années 1980, le stock mondial total des investissements japonais a atteint environ le tiers de celui des Etats-Unis ou de l’Union européenne, et il s’est accru beaucoup plus rapidement depuis du fait de la hausse du yen. 

Le Japon essaie actuellement de former un bloc séparé indépendant dans la région Asie-Pacifique.

Les guerres commerciales entre ces blocs économiques augmentent. 

Les barrières non douanières telles que les restrictions volontaires à l’exportation qui limitent les exportations japonaises en Europe et aux Etats-Unis ont gagné en importance. 

Ces contradictions croissantes entre les impérialistes vont déboucher sur une augmentation des mesures protectionnistes qui vont saper le processus de mondialisation.

Mais il y a d’autres entraves sévères au processus de mondialisation comme le déclin de la demande mondiale de biens et de services ou l’endettement non seulement du tiers-monde mais également des pays impérialistes, le chômage qui monte en flèche, l’inflation et l’appauvrissement des masses.

En fait, tous les ingrédients du processus de mondialisation, la privatisation, la suppression des règlements, la dévaluation des monnaies, la libéralisation des échanges et autres politiques en faveur du “marché libre” – c’est-à-dire en gros tout ce que préconisent vigoureusement à travers le monde les firmes et les banques transnationales et les sociétés géantes de commerce – sont devenus des obstacles sérieux à la poursuite de la mondialisation. 

En effet, cela diminue le pouvoir d’achat de l’immense majorité des habitants de la planète et provoque un déclin important de la demande mondiale en biens et services. 

Les industries domestiques ont été détruites, incapables de résister à l’assaut des transnationales et des importations à bon marché. 

Le monde paysan s’est appauvri, voire paupérisé, du fait de sa dépendance vis-à-vis d’un marché mondial où les prix des marchandises agricoles sont contrôlés par un petit nombre de firmes spécialisées dans l’agro-alimentaire. 

Les travailleurs sont exclus du marché de l’emploi suite aux privatisations, à l’automatisation et aux restructurations. 

La majorité de la population s’est appauvrie suite à la cherté croissante de la vie et aux restrictions draconiennes pratiquées par les gouvernements dans les dépenses sociales.

La dette extérieure totale des pays du tiers-monde a doublé entre 1982 et 1993, passant de 819 milliards à 1.712 milliards de dollars. 

Ces mêmes pays du tiers-monde sont forcés de transférer annuellement vers les pays impérialistes 50 milliards de dollars pour les charges de la dette. 

Et, afin de rembourser cette dette, ce sont encore les masses appauvries qui sont mises à contribution par le biais de taxes indirectes et de coupes sombres dans les salaires. 

En outre, la dépendance excessive du tiers-monde vis-à-vis du marché mondial, et ce au nom de la mondialisation, conduit à la marginalisation de ces économies et à la paupérisation des masses. 

Par conséquent, tant les gouvernements du tiers-monde que les gens, accablés par le fardeau de la dette, achètent de moins en moins de marchandises en provenance des transnationales. 

La fuite des capitaux du tiers-monde a atteint des proportions alarmantes. 

Entre 1982 et le premier trimestre de 1994, environ 206 milliards de dollars ont été transférés d’Amérique latine vers les Etats-Unis.

Même aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, la demande de marchandises a baissé, à cause du déclin des salaires réels, de la montée du chômage et d’une détérioration générale des niveaux de vie. 

Même les gouvernements ont fini par s’endetter lourdement et sont forcés de dépenser moins dans le secteur social. 

L’Amérique fournit l’exemple extrême d’une économie rongée par la dette.

Entre 1980 et 1991, la dette fédérale globale a augmenté de 13,3%; la dette des ménages et celle des entreprises respectivement de 9,3 et de 7,8%. 

La dette combinée représente la somme colossale de 10.500 milliards de dollars, et elle s’accroît à un taux annuel de 10%. 

Sur base d’un intérêt annuel modéré de 7% sur cette dette, les remboursements des intérêts par les Etats-Unis tourneraient autour de 733 milliards de dollars par an. 

La dette fédérale américaine, qui représentait environ 900 milliards de dollars en 1981, a quadruplé pour se chiffrer à 3.600 milliards de dollars en 1992. 

Par conséquent, le gouvernement américain, qui jusqu’alors avait consommé une part appréciable des marchandises produites, n’est plus capable d’absorber de nouveaux achats du fait du lourd fardeau de la dette. La dette des ménages aussi s’est développée rapidement, passant de 1.800 milliards de dollars en 1980 à 4.800 milliards en 1991. 

Ce qui explique que la demande de marchandises de la part des consommateurs américains ait baissé de façon drastique. Excepté l’achat de nouvelles marchandises, les consommateurs américains sont maintenant forcés de rembourser les prêts qu’ils ont reçus auprès des banques.

L’endettement international, c’est-à-dire les dettes totales de tous les gouvernements, entreprises et ménages réunis, a dépassé les 30.000 milliards de dollars et il croît à un taux annuel de 8 à 10%. La dette conduit de plus en plus à une dépression de la demande mondiale.

Le chômage s’est accru pour atteindre dans le monde capitaliste des niveaux records rappelant la crise des années 1930. 

Le nombre total officiel de chômeurs aujourd’hui dans les pays de l’OCDE tourne autour des 38 millions. 

Il y en a encore beaucoup plus qui sont sous-employés.

Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), quelque 30% de la main-d’oeuvre mondiale est au chômage ou sous-employée. 120 millions de personnes sont recensées comme étant sans travail et 700 millions sont sous-employées, ce qui signifie clairement que 820 millions de personnes sont réellement exclues, entièrement ou partiellement, d’une économie mondiale aujourd’hui presque totalement dominée par le capitalisme. 

Un tel chômage massif est une aubaine pour les transnationales qui peuvent ainsi obtenir de la main-d’oeuvre à bon marché et réaliser des profits extraordinaires.

Mais les conditions de vie de la majorité écrasante des peuples du monde se détériorent, et elles sont donc appelées à provoquer une sérieuse instabilité sociale et politique en même temps qu’un développement accru de mouvements populaires.

La mondialisation de l’économie mondiale conduit, par conséquent, à une sévère crise économique, sociale et politique qui, à son tour, devient inévitablement un obstacle à une mondialisation ultérieure.

7. L’impact de la mondialisation sur le prolétariat mondial et les opprimés

Nous avons déjà vu l’effet de la mondialisation sur les diverses classes sociales et sur la classe ouvrière en particulier.

La crise économique mondiale qui a commencé au début des années 1970 a vu le démantèlement des prétendus Etats-providence qui ont été créés après la grande crise des années 1930, et plus particulièrement après la Seconde Guerre mondiale.

Depuis la fin des années 1970, pratiquement tous les gouvernements, qu’il s’agisse de ceux des républicains Reagan et Bush ou du démocrate Clinton, de ceux de la conservatrice Thatcher ou du “socialiste” Mitterrand, ou encore de ceux du “communiste” Deng Xiao Ping ou d’un quelconque comprador du tiers-monde, ont remplacé la politique keynésienne préconisant la réglementation étatique de l’économie par le marché libre tel que le défendent les conservateurs néo-libéraux du type Hayek et Milton Friedman. 

Aux yeux des transnationales et des spéculateurs financiers du monde, les politiques keynésiennes, qui les avaient aidés à accumuler d’énormes surplus au cours de la période du boom des années 1950 et 1960, étaient devenues, avec le début de la crise des années 1970, des obstacles à une plus ample accumulation. 

La libéralisation, la privatisation et la suppression des règlements étaient devenues les nouveaux chevaux de bataille des transnationales et des financiers internationaux de la planète, pour lesquels toute forme de structure régulatrice prend des allures d’étouffoir et d’entrave à leurs opérations à l’échelle mondiale. En outre, si l’on s’en tenait à la politique keynésienne consistant à fournir du plein-emploi (quelles que soient ses limitations), il devenait plus difficile au capital de trouver de la main-d’oeuvre à bon marché. Les politiques préconisant le marché libre s’avéraient donc nécessaires afin de créer une espèce d’immense armée de réserve composée de sans-emploi, et ce, dans l’intention de briser le pouvoir de négociation des travailleurs et d’obtenir par-là même une main-d’oeuvre à meilleur marché.

Les politiques prônant la liberté de marché et les programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale ont entraîné pour la grande majorité des habitants de la planète une pauvreté de plus en plus généralisée, ainsi que dénuement, misère et maladie.

Les travailleurs des pays impérialistes sont forcés de mener des batailles plus dures contre les réductions salariales, les hausses de cadences, les plans d’austérité, la réduction des dépenses sociales et pour toute une série d’autres droits. 

Même la promesse solennelle des mesures Medicare et Medicaid annoncés par Clinton au cours de sa campagne électorale (la réforme des soins de santé a constitué le seul facteur prépondérant dans sa victoire en 1992) a été laissée en suspens du fait des pressions des transnationales et de la rareté des fonds publics. 

La plupart des Etats des Etats-Unis connaissent d’énormes déficits budgétaires et ils ont donc rogné fortement sur les dépenses sociales. 

De ce fait, les Noirs et les gens de couleur sont devenus un problème particulièrement épineux. 

Les ghettos à l’intérieur des villes se multiplient. 

Les conditions d’existence, même parmi la classe moyenne, dégénèrent de façon alarmante. De nos jours, le travail contractuel et les boulots à temps partiel sont devenus une caractéristique générale de tous les pays industrialisés.

Toutes ces situations incitent la classe ouvrière, même dans les pays impérialistes, à déclencher des luttes radicales. 

Le processus de mondialisation met donc également en exergue la nécessite d’organiser les luttes de la classe ouvrière à une échelle mondiale. 

Il renforce aussi le fondement objectif de l’unité des deux courants dans le monde de la révolution socialiste: les mouvements ouvriers dans les pays impérialistes et les révolutions démocratiques nationales anti-impérialistes dans les pays du tiers-monde. 

La tâche du prolétariat mondial consiste à utiliser la situation révolutionnaire favorable qu’a provoquée la mondialisation de l’économie mondiale.

Notes

1 Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Oeuvres complètes, Edition du Progrès, Moscou, Tome 2, p.244-245.
2 Lénine, op. cit., p.258.
3 The Changed World Economy, Foreign Affairs, Spring, 1986.
4 The Economist, 27 avril 1991.
5 Peter Drucker, The Changed World Economy, cité dans “Globalisation – to what end? , Harry Magdoff.

=>Retour au dossier sur Charu Mazumdar
et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PCI (ML) – Guerre Populaire : Expériences de la lutte armée en Inde

Parti Communiste d’Inde Marxiste-Léniniste / Guerre populaire 

Expériences de la lutte armée en Inde 

Avril 1996
 

« La prise du pouvoir étatique par la force armée, le règlement de ce problème par la guerre, est la forme la plus importante et la plus noble de la révolution. 

Mais alors que le principe reste le même (pour tous les pays), son application par le Parti du prolétariat trouve son expression de diverses façons selon les conditions variables qui peuvent se présenter. » 

Voilà, la conception de Mao Zedong.
L’application de ce principe aux conditions concrètes de l’Inde est l’une des caractéristiques majeures qui dans notre pays permet de distinguer les partis révolutionnaires des partis révisionnistes. 

Ces derniers, qui représentent toutes les tendances, ont rejeté la lutte armée en refusant la voie de la guerre populaire prolongée. 

Certains partis qui avaient accepté cette voie en théorie n’ont pas réussi à déclencher ni même à préparer la lutte armée, invoquant l’excuse que pour l’instant le pays n’offre pas de situation favorable à la révolution.

Dans un pays semi-féodal et semi-colonial comme l’Inde, caractérisé par un développement économique, social et politique inégal, il est impossible d’organiser une révolution à travers tout le pays au même moment. 

Le Parti Communiste d’Inde (marxiste-léniniste) (People’s War) (Guerre du Peuple), en abrégé le pci(ml)(pw) adhère fermement au point de vue maoïste. 

Selon ce principe il est possible et nécessaire de déclencher la lutte armée dans des régions attardées et soigneusement choisies au préalable, puis de l’étendre progressivement à d’autres régions, pour en fin de compte s’emparer des villes afin d’achever la victoire à l’échelle du pays tout entier.

Après avoir analysé les caractéristiques spécifiques et les données spéciales de l’Inde, notre Parti a choisi des régions arriérées, stratégiquement importantes pour pouvoir mener une guerre de guérilla et construire des zones de guérilla ainsi que des zones d’implantation. 

C’est dans cette perspective que notre Parti a mené la lutte armée ces seize dernières années, depuis sa formation le 22 avril 1980.

Notre Parti a subi une sévère répression de la part des forces ennemies et a fait progresser la lutte dans le Nord Telengana et le Dandakaranya au point de réussir la constitution de zones de guérilla de premier niveau. 

Il a également été à même de déclencher et de faire progresser la lutte armée dans certaines autres régions du pays et il a réussi à l’associer à d’autres formes de lutte.

Aperçu historique

L’Inde est un vaste pays agraire avec une population de 945 millions d’habitants. C’est un pays à plusieurs nationalités et divisé en différents Etats, donc chacun a plus ou moins la taille d’un pays européen. L’impact de la Révolution russe de 1917 a été considérable sur les mouvements asiatiques qui luttaient pour leur indépendance en affrontant la domination coloniale. 

En conséquence, au cours des années 20, des partis communistes apparaissent dans de nombreux pays d’Asie. Le Parti Communiste de l’Inde (pci) est fondé en 1925. 

Mais bien qu’il ait joué un rôle actif au cours des luttes contre les Britanniques, il n’a pas réussi à donner la priorité au mouvement anti-impérialiste. 

En outre, il agissait comme s’il était une aile du Parti du Congrès (le principal représentant de la grande bourgeoisie compradore, et des classes des grands propriétaires terriens), qui avait réussi à détourner le peuple indien de la lutte de libération nationale proprement dite et est finalement parvenu à prendre le pouvoir en collusion avec l’impérialisme britannique.

Le pci, cependant, a mené quelques combats glorieux, comme l’insurrection armée du Telengana de 1946 à 1951 et la révolte de Tebhaga, au Bengale. 

Bien que le Telengana ait montré la voie de la révolution indienne, la direction du pci ne témoignait pas d’une compréhension très nette de la voie, des perspectives, de la stratégie et des tactiques de la révolution indienne. 

Et de fait, le parti abandonne la lutte armée en 1951 et emprunte la voie parlementaire. 

La mort du camarade Staline et la montée du révisionnisme khrouchtchévien catalysent internationalement sa transformation en un parti totalement révisionniste. 

Le Grand Débat de la fin des années 50 et des années 60 entre le pcc (Chine) et le pcus (Union soviétique) a exercé un profond impact sur le mouvement communiste indien. 

Combiné à d’autres facteurs, cela a amené entre autres la formation du pci(m). 

Mais le pci(m) refusait également de marquer une rupture complète avec la politique révisionniste. Le mécontentement des révolutionnaires communistes purs à l’intérieur du pci(m), en même temps que l’impact de la Grande Révolution Culturelle et Prolétarienne, débouche finalement sur l’insurrection de Naxalbari, en 1967.

Le tournant historique

En 1966, la politique des classes dirigeantes indiennes s’est exacerbée par une crise politique et économique. 

Au cours de ces années, ceux qui tiraient gloire de leur qualité de dirigeants du mouvement communiste de l’Inde, se chargent d’enjoliver les lignes de conduite de la classe dirigeante et de garder le peuple soumis à toutes sortes de moyens idéologiques trompeurs. 

Leur opportunisme profondément ancré, leur longue période de suivisme vis-à-vis du Parti du Congrès, leur loyauté à Nehru et à sa famille plutôt qu’au marxisme-léninisme et au peuple, leur attachement à la voie de la paix, etc. déçoivent profondément les rangs communistes; où ils sont reconnus comme des agents étrangers à l’intérieur du mouvement communiste. 

Les événements qui se déroulent à l’époque sur le front international – les luttes historiques des marxistes-léninistes conduits par Mao Zedong contre le révisionnisme moderne dirigé par les leaders soviétiques, la marche victorieuse des luttes de libération nationale au Viet-Nam et partout ailleurs, l’insurrection des jeunes en Europe et en Amérique et la Grande Révolution Culturelle et Prolétarienne en Chine – activent grandement le ferment idéologico-politique présent en Inde.

Naxalbari a permis aux communistes d’établir clairement la différence entre le communisme révolutionnaire et l’opportunisme. Un tournant de l’histoire a été franchi.

Dans ce petit village du Bengale occidental, des paysans avaient pris les armes contre les propriétaires terriens et l’Etat. 

Guidé par la pensée de Mao Zedong, le camarade Charu Mazumdar avait assuré la direction des cadres et des paysans de Naxalbari. 

Les dirigeants indiens, avec la collaboration indéfectible, des partis révisionnistes, ont maté sans la moindre pitié, cette révolte paysanne. 

Mais depuis Naxalbari, le mouvement communiste indien et la politique indienne n’ont plus jamais été les mêmes. 

Cette révolte a servi d’introduction à la politique de la lutte armée et a provoqué une rupture complète avec la politique révisionniste. L’appel de Naxalbari n’avait pas été lancé uniquement dans l’intention de confisquer des terres, mais aussi dans le but de s’emparer du pouvoir. 

Il analysait correctement le caractère de classe de la société indienne en la définissant comme étant semi-féodale et semi-coloniale; la révolution était de type néo-démocratique et la voie à choisir était celle de la guerre populaire prolongée. 

Sur cette base, et en optant pour l’idéologie marxiste-léniniste-maoïste de Mao Zedong, un nouveau parti, le Parti Communiste de l’Inde (marxiste-léniniste) est fondé le 22 avril 1969. 

En mai 1970, a lieu le 8e Congrès – pour suivre la numérotation du pci et du pci(m) – et un programme, des statuts et un rapport politique et organisationnel sont adoptés. 

Mais, à cause de certaines erreurs tactiques « gauchistes », le Parti n’est pas capable de faire face à la brutale répression lancée par l’ennemi contre le mouvement révolutionnaire. 

Pendant deux longues années, des milliers de révolutionnaires sont massacrés, des milliers d’autres emprisonnés et brutalement torturés, et la direction du parti décimée. 

Après 1972, avec le martyre du camarade Charu Mazumdar, le mouvement connaît une période de désarroi; il se scinde en un certain nombre de petits groupes dont le fonctionnement est local.

Processus vers la réunification

Après 1972, de petits groupes font des tentatives répétées en faveur de la réunification. 

Trois tendances principales se dégagent: ceux qui continuent à soutenir l’ancienne ligne ultra-gauchiste prônant l’annihilation; d’autres qui se laissent glisser vers la ligne opposée de l’opportunisme de droite et qui en viennent à compter essentiellement sur la participation aux élections; d’autres encore, qui cherchent à rectifier les erreurs gauchistes tout en poursuivant la voie de la guerre populaire prolongée. 

C’est au sein de cette troisième tendance que le pci(ml)(pw) est fondé en 1980. Le rétablissement de ce centre est effectué sur base d’une révision autocritique des dix dernières années, d’une ligne tactique, et du développement d’un vaste mouvement révolutionnaire dans l’Andhra Pradesh, adoptant la révolution agraire armée comme tâche principale.

L’autocritique analysait les aspects positifs et négatifs de la ligne formulée à partir de Naxalbari et sa pratique. 

De cette analyse, le Parti a pu tirer certaines leçons et développer une ligne tactique.

Les principales caractéristiques positives de Naxalbari et du pci(ml) étaient les suivantes:

  1. Son analyse de la société indienne, semi-féodale et semi-coloniale, était correcte.
  2. Il soulignait à juste titre que la voie de la révolution était la révolution agraire armée et, avec tout autant de clairvoyance, il rejetait la voie parlementaire.
  3. Il établissait une démarcation très nette entre le marxisme et le révisionnisme, et il dénonçait clairement l’URSS en tant que puissance social-impérialiste.
  4. Il faisait une analyse pertinente de l’Inde en tant que pays à plusieurs nationalités et il soutenait ouvertement les luttes menées par les diverses nationalités pour obtenir leur autodétermination.
  5. Il défendait correctement la Chine socialiste de l’époque et exposait les desseins expansionnistes des classes dirigeantes indiennes à l’égard de leurs voisins.
  6. Il diffusait largement la pensée de Mao Zedong et bâtissait le Parti selon les principes léninistes.
  7. Il ne limitait pas l’appel à la révolution armée à de simples résolutions. Des milliers de jeunes et d’étudiants furent amenés à se rendre dans les zones rurales, à s’intégrer à la paysannerie et à l’éveiller à la révolution.

Les imperfections étaient:

  1. Il avait fait une mauvaise estimation de l’époque et une évaluation erronée de la situation nationale et internationale – fondamentalement il surestimait les conditions objectives qui avaient conduit à des erreurs gauchistes dans le choix de ses tactiques.
  2. Il évaluait de façon tout aussi erronée les forces subjectives: il existait une tendance à se lancer sans arrêt dans des actions sans préparation suffisante de la force subjective.
  3. Il lançait des appels et des slogans impossibles à appliquer.
  4. Il niait le besoin de construire des organisations de masse et le besoin d’adopter des formes variées de lutte.
  5. Il adoptait des tactiques aventureuses dans les villes.
  6. Il adoptait des méthodes bureaucratiques dans le fonctionnement du Parti.

Compte tenu de cette analyse historique concrète, et se basant sur la force de leur vaste mouvement dans l’Andhra Pradesh, les camarades de l’Andhra ont pris des initiatives destinées à réorganiser le centre pour les groupes disséminés de révolutionnaires.

Le 22 avril 1980, se basant sur cette analyse et sur une nouvelle ligne tactique, le pci(ml)(pw) est constitué. 

Il tire son nom de son organe clandestin, People’s War (Guerre Populaire). 

Le nouveau Comité central est constitué au cours de la lutte simultanée contre des déviations de gauche et de droite dans les mouvements révolutionnaires.

Répression et résistance

Fin des années 70: vers une nouvelle vague de luttes populaires

Tout au long des années soixante et compte tenu des éléments mentionnés ci-dessus, d’importantes sections de jeunes de l’Andhra Pradesh vont s’inspirer de la politique révolutionnaire. 

Des branches de l’Union Radicale des Etudiants (rsu, Radical Students Union) s’établissent un peu partout dans les collèges d’Etat et même dans de nombreuses écoles. 

La Ligue Radicale des Jeunes (ryl, Radical Youth League) s’établit plus tard dans les villages, les villes, les bidonvilles, etc. 

Les ailes culturelles, le rwa (Revolutionary Writers Association – Association des Ecrivains Révolutionnaires) et le jnm (Jana Natya Mandali – le Groupe de Théâtre Populaire) jouent désormais un rôle important dans l’éveil des masses. 

Le rwa, avec ses poèmes, ses nouvelles et ses romans, crée un climat favorable à la révolution parmi les gens instruits et influence même l’intelligentsia; tandis que la jnm, avec ses chants, ses danses et ses ballades légendaires, conduit des milliers de gens à accepter la politique révolutionnaire.

Comme le Parti prend une certaine ampleur, il est possible d’envoyer des cadres à la campagne pour s’intégrer à la paysannerie, propager la politique révolutionnaire et organiser les luttes antiféodales. Au cours des vacances d’été, des milliers d’étudiants, par groupes de sept à dix, se rendent dans les villages dans le cadre des campagnes « Allez au village! », afin de propager la politique révolutionnaire, et de construire les unités des ryl. 

En 1978, les efforts aboutissent à un grand rassemblement paysan dans le district de Karimnagar, dont le point culminant est une énorme procession de 30.000 personnes dans le Jagityala Taluka Centre. Le mouvement paysan se répand rapidement dans les districts de Adilabad, Warangal et Nizamabad. 

Des luttes menées par des étudiants et des jeunes se propagent également à travers l’Andhra Pradesh au cours des années 1978-80.

1980: un pas vers la forêt

Vu l’importance croissante du mouvement, la répression s’intensifie. Arrestations en masse, tortures brutales et destruction des biens du peuple deviennent monnaie courante. 

Le Jagityala et les talukas voisines de Siricilla sont déclarés « zones de troubles » par l’Etat, qui installe de cette manière une autorité fasciste sur la région. A ce stade, le Comité de l’Etat d’Andhra Pradesh prend la décision d’intensifier ces luttes en projetant d’établir une zone de guérilla dans les districts de Karimnagar, Adilabad, Warangal et Khammam. 

Le document Notre ligne tactique avait déjà expliqué qu’une zone de guérilla est « une zone intermédiaire où les deux camps en même temps, le régime réactionnaire et les forces révolutionnaires, sont en lutte pour s’assurer le contrôle total; alors qu’aucun des deux camps n’est capable d’établir un régime stable. »

Le Projet de Zone de Guérilla expliquait la nécessité d’envoyer des pelotons dans les forêts. En accord avec cette ligne, en 1980, le Parti prend la décision d’envoyer un tiers des cadres dans les forêts. 

En 1980-81, un total de sept pelotons pénètre dans les forêts du Dandakaranya (la vaste ceinture forestière de l’Inde centrale qui comprend des parties de l’Andhra Pradesh du Maharashtra, du Madhya Pradesh et de l’Orissa). 

Durant la période de 1980-84, guidées par notre Parti, les luttes paysannes dans le Nord Telengana et le Dandakaranya prennent une tournure militante. 

L’organisation s’étend progressivement à de nouvelles zones et la conscientisation des masses atteint de hauts niveaux. 

On constitue différentes organisations de masses parmi les tribus, telles les dakms (Organisation tribale des paysans et des travailleurs de Dandakaranya) et, plus tard, les kams (Organisation tribale des femmes révolutionnaires). 

La structure organisationnelle de ces organisations de masse et du Parti se développe et se consolide. 

Parallèlement aux luttes paysannes, les escarmouches avec les propriétaires terriens se multiplient. En dépit de la répression organisée par l’Etat, le mouvement s’étend à de nouvelles zones. 

Des modifications indispensables sont apportées à la structure du Parti et des pelotons au fur et à mesure que le mouvement gagne en importance.

1985-87: la première vague de répression

En 1985, le gouvernement central et celui de l’Etat déclenchent une guerre non déclarée contre le mouvement. 

Pour contrer cette attaque, le Parti formule ses tactiques de la guerre d’autodéfense en mai 1985. 1985-1987 représente une période sombre où le mouvement subit de nombreuses pertes et où l’ennemi prend le dessus. 

Cependant, le Parti est à même de résister aux attaques de l’ennemi en comptant avant tout sur le peuple opprimé, en consolidant les pelotons et en organisant des représailles armées contre l’offensive ennemie. 

A la mi-août 1988, la fortune commence à tourner. 

Fin 1989, le mouvement de résistance armée finit par prendre le dessus. 

Durant cette période, la lutte armée est toujours aussi intense et la « guerre non déclarée » du gouvernement est battue en brèche et repoussée. Le mouvement peut donc se retrancher dans des positions solides.

1990: un bref répit

En 1990, à cause de contradictions au sein des classes dirigeantes et de pression croissante du mouvement populaire, le nouveau gouvernement du Congrès en Andhra Pradesh ralentit la répression pendant un moment. 

Le Parti en tire avantage en se concentrant sur la consolidation de ses propres unités, sur les organisations de masse au niveau des villages, sur les pelotons de défense des villages, et sur les pelotons armés réguliers; il étend le mouvement à de nouvelles zones, et dirige les luttes du peuple contre de nombreux problèmes. 

Une foule de rassemblements, de démonstrations et d’actions de masse militantes ont lieu, bloquant les chemins de fer, ou perturbant le trafic routier. 

Les paysans durcissent leurs exigences afin d’obtenir de l’électricité pour l’irrigation; la fourniture appropriée d’engrais et de pesticides non dilués; l’octroi de prix de base raisonnables pour la canne à sucre, le tabac, le coton, etc.; l’annulation de la dette des paysans; l’octroi assuré de crédits auprès des coopératives et des banques. 

La force des rassemblements au niveau de la taluka se situe entre 10.000 à 40.000 personnes, tandis qu’au niveau du district ce nombre dépasse bien souvent les 100.000 personnes.

Finalement, ce mouvement de masse connaît son apogée lors de la réunion de la Conférence du Tiers Etat de la Ryatu Coolie Sangam (rcs: organisation des paysans) de Warangal les 5 et 6 mai 1992: plus d’un million de personnes sont présentes.

Jusqu’à cette époque, les partis révisionnistes proclamaient à qui voulait l’entendre que nous n’étions qu’une équipe de terroristes sans soutien parmi la masse. 

Le groupe Vinod Mishra du pci(ml) (maintenant dans le camp du pci-pci(m) ) prétendait également la même chose. 

Mais ces rassemblements gigantesques et ces luttes de masse ont fait taire la campagne de désinformation des révisionnistes.

Or, pendant cette période, le Parti se concentre surtout sur la lutte pour les terres: on entreprend sur une grande échelle l’occupation des fiefs des grands propriétaires par la paysannerie pauvre et sans terre. 

Les propriétaires terriens qui sont restés dans le Nord Telengana fuient les villages, où l’autorité féodale a été quasiment réduite à néant.

1991: seconde vague de répression

En 1991, la répression gouvernementale s’acharne plus violemment encore sur le mouvement. Jusqu’en 1991, les opérations de police étaient organisées séparément par les gouvernements respectifs des Etats. 

Mais cette fois, le gouvernement central met sur pied une « Cellule centrale » qui dépend directement du ministère de l’Intérieur. 

En outre, un Commandement commun des opérations est instauré pour organiser la guerre d’élimination. En décembre 1991, il envoie précipitamment des bataillons de la bsf (Border Security Force – Force de sécurité des frontières) et de l’itbp (Indo-Tibetan Border Police – Police frontalière indo-tibétaine) au Telengana pour renforcer les effectifs importants qui s’y trouvent déjà et qui appartiennent aux crpf (Central Reserve Police Force), cisf et apsp. 

En mai 1992, le gouvernement de l’Andhra Pradesh décrète l’interdiction du pci(ml)(pw) et de sept organisations révolutionnaires de masse qui représentent les fers de lance du mouvement (comprenant le rsu, le ryl, le rcs, le jnm et le sikasa: les organisations de masse des étudiants, de la jeunesse, de la paysannerie, du secteur culturel, des artistes et des travailleurs. 

De ce fait, ce qui constitue au début une guerre non déclarée se transforme désormais en une opération de contre-insurrection à grande échelle. 

Des horreurs massives, des meurtres dûs à de « faux rendez-vous » et des « redditions » forcées deviennent les caractéristiques dominantes de la campagne de suppression. 

En dix mois environ, quelque 160 « faux rendez-vous » sont programmés, tuant près de 200 personnes. 

Des milliers d’autres sont arrêtées et torturées, des maisons sont saccagées, des récoltes et des propriétés, pour une valeur de plusieurs milliards de roupies, sont détruites au cours de raids particulièrement violents effectués par les forces armées de l’Etat.

Au vu de ces nouvelles conditions de répression, les grands rassemblements de l’année précédente ne sont plus possibles, mais la paysannerie commence à résister aux forces gouvernementales en adoptant de nouvelles méthodes. 

En dépit du soutien actif de l’Etat, les propriétaires terriens sont incapables de réoccuper leurs terres. 

Même si les moissons sont récoltées par les propriétaires, les paysans pauvres s’en emparent. 

Les luttes concernant la cueillette des feuilles de tendu et pour l’obtention de salaires plus élevés continuent elles aussi. 

Les organisations de masse se reforment elles-mêmes en comités clandestins plus efficaces. 

Alors que, dans le passé, la paysannerie manifestait souvent sa réprobation et sa douleur en se contentant d’attaquer les propriétés du gouvernement, dorénavant elle à fait graduellement appel à la résistance armée de masse. 

Sous la direction des pelotons locaux de défense villageoise (Gram Rakshak Dals ou grd), des détachements assez importants, comptant entre 50 et 100 personnes, voire plus, organisent la défense collective et harcèlent les troupes ennemies. 

Les pelotons de la guérilla armée rendent coup pour coup à l’offensive ennemie grâce à des embuscades dressées contre les véhicules ennemis, des attaques contre certains commissariats de police ou contre des avant-postes isolés à l’intérieur des régions, et en éliminant purement et simplement certains fonctionnaires de la police qui se sont conduits de façon particulièrement cruelle. 

Le peuple soutient avec enthousiasme les pelotons de la guérilla armée et leur fournit des abris, de la nourriture et un passage sûr au milieu des raids de la police et des opérations de ratissage et de patrouille. 

La résistance armée du peuple reçoit le support actif des combattants de la guérilla, qui l’orientent vers la constitution et le développement d’une milice populaire forte.

Les leçons de notre expérience

Lorsqu’il fut décidé en 1980 de développer le Nord Telengana en zone de guérilla, nous ne disposions pas encore de pelotons armés de guérilleros. 

Ce fut seulement à cette époque qu’apparut une première forme élémentaire de structure militaire, populairement connue sous le nom de Système 1 + 2 (chaque organisateur était accompagné par deux membres du peloton). 

En 1985, tous les centres du Nord Telengana avaient adopté le Système 1 + 2. Ce schéma continua à être utilisé au Nord Telengana jusqu’en 1987. 

Entre 1987 et 1989, vu que la répression gagnait en intensité, ces Sections 1 + 2 se développèrent pour constituer des pelotons comptant entre cinq et sept membres. Aujourd’hui, selon le terrain, des pelotons de sept, neuf ou onze membres fonctionnent dans la zone. 

Au Dandakaranya, les pelotons forestiers ont débuté avec cinq membres et aujourd’hui, ils fonctionnent avec onze membres.

La compétence militaire des pelotons a augmenté de façon significative, alors qu’elle était absolument nulle au début. 

Entre 1980 et 1984, les organisateurs et les pelotons étaient capables d’isoler et de mettre à genoux les ennemis locaux. Au cours de cette période, les rencontres avec la police étaient rares. 

Mais vu que les autorités féodales se faisaient régulièrement écraser, les forces de l’Etat commencèrent à adopter une attitude de plus en plus agressive. 

Depuis 1985, dans le cadre de notre guerre défensive, des pelotons de guérilla entreprennent des actions contre des officiers de police ayant fait preuve de cruauté. 

Depuis 1987, nous dressons des embuscades contre les troupes en patrouille. 

Nos pelotons résistent à la police et aux troupes de l’Etat grâce à des raids et à des embuscades mis sur pied avec la coopération des masses. 

Aujourd’hui, les pelotons se déplacent en formation militaire.

Comme Mao l’avait dit, c’est en faisant la guerre que nous apprenons la guerre et que nous développons notre connaissance de la science de la guerre. Les normes de recrutement ont été rehaussées. 

La discipline dans les pelotons a été renforcée en les soumettant à des règlements. En outre, parallèlement à l’intensification de la résistance armée et à l’augmentation du nombre de pelotons, le niveau des masses a augmenté lui aussi. 

Selon ce processus, pour la mi-1985, les premiers pelotons de guérilla au Dandakaranya se sont développés en pelotons relativement mieux entraînés et mieux armés, avec une plus haute conscience révolutionnaire. 

C’est pour défendre les masses contre les ennemis locaux, pour harceler les forces gouvernementales au niveau local, et pour opérer en tant qu’unités d’assistance armée aux pelotons de guérilla, que les pelotons de défense des villages ont été organisés.

Presque 900 personnes, parmi lesquelles des dirigeants du Parti à différents niveaux, des membres des pelotons, des responsables d’organisations des masses, et des sympathisants, sont devenus des martyrs au cours de ces 16 dernières années en Andhra Pradesh et au Dandakaranya. 

Dans tout processus de changement, c’est la phase initiale qui requiert le plus de temps; c’est un fait que beaucoup de sang a été versé, aussi bien en raison du manque d’expérience que de la supériorité écrasante des forces ennemies. 

Tactiquement parlant, l’ennemi est très puissant, il possède une armée moderne bien équipée, dispose de systèmes perfectionnés de transports et de communications.

Par conséquent, nous avons opté pour une guerre de type prolongé et nous connaîtrons sans doute plusieurs revers avant de remporter la victoire finale. 

L’expérience de ces seize dernières années nous a appris qu’il est possible de mener la guerre contre l’Etat indien, quelle que soit sa puissance sur le plan tactique, et d’établir le pouvoir du peuple en choisissant des zones sous-développées, en mobilisant les masses autour d’une ligne de masse révolutionnaire et en frappant l’ennemi au cours d’une guerre de guérilla autodéfensive.

Aujourd’hui, notre Parti est en meilleure position politiquement et organisationnellement que lorsqu’il avait produit son document sur La zone de guérilla. A cette époque, le mouvement était confiné à quelques poches. Aujourd’hui, il y a deux comités de zones de guérilla qui fonctionnent directement sous l’autorité du comité central: le comité du Dandakaranya compte environ 8 millions d’habitants et une superficie de 84.116 km2 et le comité de Nord Telengana 12,2 millions d’habitants pour une superficie de 76.478 km2.

En dehors des deux zones de guérilla ci-dessus, il existe trois autres régions en phase préparatoire de zone de guérilla:

  • La zone orientale, qui couvre les 4 districts de Nord Andhra ainsi que deux districts d’Orissa, avec une population globale d’environ 18,3 millions d’habitants pour une superficie de 73.841 km2.
  • La région du Sud Telengana qui couvre quatre districts pour une population combinée de 10,9 millions d’habitants et une superficie de 49.864 km2.
  • La région forestière de Nallamala, qui comprend des parties de huit districts et compte une population d’environ 12 millions d’habitants.

Le Parti s’est attelé à la tâche de renforcer les pelotons réguliers de guérilla et les pelotons de défense des villages dans ces régions, consolidant les unités de parti et les organisation de masse, formant des comités de village consistant en forces populaires révolutionnaires antiféodales et anti-impérialistes. 

Le Parti a également mobilisé les masses en constituant des mouvements militants sur une grande échelle afin de contrer les offensives ennemies. 

Nous croyons fermement que ces trois régions vont bientôt être transformées en zones de guérilla de plein développement.

Le Parti a commis certaines erreurs dans le passé en ne réussissant pas à appliquer à fond le slogan tactique « Tout le pouvoir aux comités de village! » dans le Nord Telengana et le Dankanaranya, lorsque les conditions pour le faire étaient favorables, c’est-à-dire à la fin des années 80. 

Aujourd’hui, cette erreur a été rectifiée et des comités de villages ont été constitués partout où il y a un membre du Parti pour les diriger. 

Différents comités se sont formés sous la direction du comité de village: comité de développement, comité légal… 

C’est la forme embryonnaire du nouveau pouvoir politique populaire.

Le Parti a commis quelques erreurs dans le passé: il a omis d’avancer le mot d’ordre tactique: « Tout le pouvoir aux comités de village » dans le Nord Telengana et Dandakaranya quand les conditions mûrissaient, à la fin des années 80. 

Maintenant nous avons rectifié cela et partout où il y a un militant du Parti pour les diriger, se forment des comités de villages. D’autres comités encore ressortent sous l’autorité du comité de village: comité de développement, comité légal, etc. 

Ces comités constituent la forme embryonnaire du nouveau pouvoir politique du peuple.

Après avoir établi une forte base rurale pour étayer le mouvement, le Parti cherche maintenant à établir sa présence à un niveau regroupant l’ensemble de l’Inde. 

Après avoir mené à bien une énorme somme de travail de base sur les plans idéologique, politique et organisationnel, le Comité central organisateur a mis sur pied en novembre 1985 la première Conférence panindienne, succédant au 8e Congrès de 1970. 

Des délégués de l’Andhra Pradesh, du Dandakaranya et du Nord Telengana, du Tamildanu, du Karnataka, du Maharashtra, du Haryana et du Bengale occidental ont assisté à la conférence. 

Cette conférence spéciale a adopté une résolution politique tenant compte des changements qui avaient eu lieu sur la scène nationale et internationale. 

Elle a accepté également un rapport organisationnel politique qui analysait les principaux défauts de notre ligne politique et de notre travail d’organisation depuis 1980. 

La Conférence a par ailleurs affiné le programme originel et les statuts de 1970 et a élu un Comité central.

Organisations de masse, luttes de masse et travail politique de masse

C’est le peuple qui fait la révolution, et pas simplement le Parti ou les pelotons. 

Le Parti dirige le peuple vers la victoire tandis que l’armée populaire est la principale organisation qui mène la guerre contre l’ennemi. 

Mais sans le support enthousiaste des masses, la victoire est inconcevable. 

En Inde, la pensée révisionniste qui règne dans certains cercles est si profondément enracinée que seuls ceux qui participent aux élections et qui mettent l’accent sur les luttes légales sont considérés comme effectuant du travail de masse; tandis que toute organisation agissant en dehors du cadre légal installé par les gens au pouvoir est considérée comme une équipe de « terroristes ». 

Selon la ligne de pensée révisionniste, les processions passives, les grèves annoncées de travailleurs, les grèves de la faim, les rassemblements de routine devant le Parlement, etc., même s’ils se sont révélés être une forme inefficace de combat, sont les seules formes concevables du travail de masse. 

Et pour eux, la participation aux élections est la seule forme de mobilisation politique du peuple. 

En fait, au niveau villageois, les masses doivent être continuellement mobilisées politiquement afin qu’elles puissent asseoir leur autorité par le biais du comité de village. La mobilisation du peuple pour la prise du pouvoir est l’aspect le plus important de la mobilisation politique. 

Sans aucun doute, en période électorale, une vaste mobilisation en faveur du boycott peut aider à éduquer considérablement les masses sur le caractère des différents partis politiques, sur le caractère de classe de l’Etat et sur la nécessité qu’il y a d’écraser ce dernier. 

La propagande politique et la mobilisation ont constitué une importante tâche pour notre Parti depuis son apparition. 

En fait, depuis 1978, chaque fois que des opportunités de légalité se sont présentées, l’Union Radicale des Etudiants de l’Andhra Pradesh a adhéré à la campagne « Aller au village ». 

Pendant les vacances scolaires du collège, des centaines d’étudiants constituaient entre eux de petits groupes et allaient en campagne dans les villages, prêchant la politique de la révolution armée contre l’impérialisme, le féodalisme et leurs agents. 

D’importantes processions ont été organisées afin de soutenir la commission Mandal en faveur des réserves destinées aux obc (castes déshéritées), et de lutter contre les forces fascistes hindouistes, en arrachant la suppression de l’acte antiterrorisme (tada), contre le fmi et le projet Dunkel et même contre l’agression américaine en Irak. 

Une lutte originale a été celle menée par 120 camarades de la prison de Warangal qui se sont privés d’un repas par jour pendant dix jours et ont fait don du montant ainsi épargné, soit 4174 roupies, aux victimes du tremblement de terre qui avait frappé le Maharashtra.

Aussi, durant ces six dernières années, le Parti a organisé des « Journées de travail », au cours desquelles tous les villageois étaient censés travailler pendant toute une journée pour le Parti. 

Des milliers de villageois ont participé à ces « Journées de travail » et ont fait don en gros de 2 millions de roupies au Parti chaque année. D’abord, ces journées avaient été mises sur pied comme s’il s’agissait d’un festival des masses. Ensuite, lorsque la police a interdit sans rémission les programmes de ces « Journées de Travail », on a décidé par la suite de les organiser en secret.

Depuis 1980, les gens des tribus ont cessé le paiement de tout un assortiment de taxes et ont commencé à défricher les forêts et à cultiver les terres ainsi gagnées. 

Des centaines de milliers d’arpents de terres forestières ont été occupés. On a également réoccupé des terres qui avaient appartenu à des commerçants ou à des fonctionnaires des forêts. 

En 1989, lorsque la répression contre le mouvement s’est quelque peu ralentie, un grand mouvement paysan s’est constitué afin d’occuper les terres des grands propriétaires, se basant sur le principe de « la terre à qui la travaille ».

Des milliers de paysans ont mené activement cette lutte, plantant des drapeaux rouges et occupant les terres des grands propriétaires. 

A partir de 1991, le gouvernement a répliqué par une répression redoublée, mais il a été incapable de restaurer l’autorité des propriétaires. 

Au cours de la dernière décennie, sous la direction du Parti, environ cent mille hectares de terres forestières et d’autres types de terres du gouvernement, parallèlement avec vingt-cinq mille hectares supplémentaires de terres reprises aux propriétaires, ont été saisies et occupées par la paysannerie.

Dans les zones reculées du Dandakaranya, la famine sévit de façon endémique en raison des absences fréquentes de pluie et, partant, de récoltes. 

Dans ces zones, les villageois sont mobilisés dans des raids de famine contre les grands propriétaires, les usuriers et les commerçants. 

Les récoltes confisquées sont distribuées parmi les villageois. 

Des suppléments de récoltes, d’argent et de marchandises sont également distribués.

Dans ces mêmes districts, les dakms ont mené plusieurs luttes en faveur de l’augmentation des prix de vente des produits forestiers et ils ont combattu les fraudes des commerçants. Les dakms ont réussi à augmenter le prix de vente du coton, du tabac, des mahuas, des balais, des noix forestières, des gommes, etc.

En outre, les deux luttes les plus importantes à l’intérieur de la zone forestière se sont exercées sur l’augmentation des taux salariaux pour la cueillette des feuilles de tendu et pour la récolte du bambou. 

Ces luttes ont été les plus militantes et ce sont aussi celles qui ont connu le plus grand succès; elles ont mis à genoux le gouvernement et les entrepreneurs et elles ont modifié considérablement le cours des existences frappées par la pauvreté des gens de ces tribus. 

Au moment où les pelotons sont entrés dans les forêts en 1980-81, le tarif appliqué à la cueillette de la feuille de tendu n’était encore que de 3 paise (0,03 roupie) par bouquet. L’année dernière, les cueilleurs recevaient 120 paise (1,20 roupie) le bouquet. Pour la cueillette du bambou, les tarifs sont passés de 25 paise par bouquet en 1982 à plus de 120 paise l’année dernière.

Plusieurs luttes ont également eu lieu dans les diverses prisons de l’Andhra Pradesh, la plus longue et la plus suivie étant celle a été livrée entre décembre 1994 et janvier 1995. Un millier de prisonniers environ ont déclenché une grève simultanée dans les cinq prisons centrales et trois prisons de district en Andhra Pradesh. 

Les exigences politiques comprenaient: la levée de l’interdiction frappant le pci(ml)(pw) et ses organisations de masse; l’annulation du tada (Acte antiterrorisme) et le retrait de tous les cas tada; le retrait de la Central Reserve Police Force et de la Border Security Force de Telengana; une enquête judiciaire sur tous les meurtres sur « faux rendez-vous »; le retrait de l’Inde de l’Organisation du Commerce Mondial; etc. 

Il y eut quarante-trois autres exigences relatives aux conditions de vie dans les prisons. 

La lutte dans les prisons est significative en ceci qu’elle a suscité de larges manifestations de soutien de la part du monde extérieur.

Lutte des mineurs houillers du Singareni

Le 1er avril 1995, cent dix mille mineurs appartenant aux houillères de l’Andhra Pradesh ont déclenché une grève de vingt jours, exigeant la fixation du cinquième barème salarial qui avait été suspendu au cours des 45 mois précédents. 

La grève avait été déclenchée en réponse à un appel lancé par la sajac (Singareni Associations’ Joint Action Committee – Comité d’Action Uni des Associations du Singareni) et par le syndicat clandestin sikasa (Singareni Karmika Samakhya). Bien que l’appel à la grève ait été rejeté par tous les syndicats nationaux et qu’onait dû faire face à l’usage intensif de la violence par la police, plus de 90% des travailleurs ont quand même arrêté le travail, et la production a été stoppée dans les 57 puits.

Le sikasa organisait les travailleurs depuis 1980. 

En 1981, les travailleurs avaient mené avec succès une grève de 56 jours contre le cut off eight muster system (système d’astreinte des huit jours, un système qui prétendait déduire huit journées de salaire pour chaque jour de grève) et avait forcé la direction à suspendre son application même. 

C’est ainsi qu’en 1989 également le sikasa a mené une grève marathon de 40 jours au cours de laquelle plus de 70.000 mineurs ont participé à la mise en application du quatrième barème salarial. 

En outre, le sikasa a également livré avec succès de nombreuses batailles en faveur du logement, des facilités d’éducation, des commodités de l’existence, en faveur de meilleures mesures de sécurité sur les lieux de travail, et aussi contre les lignes de conduite économiques dictées par le fmi.

Dans cette lutte, tous les dirigeants du sajac ont été arrêtés le 15 avril. 

Le 16, le Singareni a observé un arrêt total de travail exigeant la libération des gens arrêtés.

Comme la grève se poursuivait, les livraisons de charbon vers tout le Sud de l’Inde ont cessé, immobilisant d’importantes centrales de production d’énergie ainsi que des usines chimiques et de fabrication d’engrais. 

Les gens de l’Andhra Pradesh sont descendus dans la rue pour offrir leur soutien total aux mineurs en grève. 

La pression publique a forcé le gouvernement de l’Etat à relaxer les mineurs arrêtés. 

En fin de compte, vu l’ampleur de cette pression, le gouvernement central a bien été obligé de se soumettre aux exigences des travailleurs et de signer le cinquième accord sur les barèmes salariaux du charbon le 28 avril. Mais, comme en octobre, l’accord n’avait toujours pas été mis en application, les mineurs se sont à nouveau mis en grève du 16 octobre au 14 novembre 1995.

Les travailleurs du Singareni ont montré la voie de la lutte non seulement aux mineurs du pays entier, mais à la classe ouvrière indienne dans son ensemble. 

Les luttes du Singareni ont indiqué clairement la banqueroute des syndicats révisionnistes et jeté la lumière sur leur rôle en tant qu’agents de la direction et de la classe dirigeante au sein du mouvement de la classe ouvrière.

Vers un front uni révolutionnaire

Afin de renverser l’ennemi et d’établir une démocratie populaire, il est absolument nécessaire de construire un front révolutionnaire uni sous direction prolétarienne en unifiant toutes les forces démocratiques qui peuvent l’être, et en rassemblant toutes les classes et toutes les couches de la population, tous les partis, groupes et individus qui s’opposent aux trois ennemis du peuple indien. C’est l’alliance du prolétariat et de la paysannerie qui forme la base de ce front.

Tout en donnant de l’importance à la construction de front rassemblant des individus et des groupes à l’échelle des villages, notre Parti a mis sur pied des forums unis et a entrepris des programmes associés d’action au niveau des districts et de l’Etat là où nous sommes forts. 

Il a aussi pris l’initiative de former des fronts d’étudiants, d’écrivains et d’artistes culturels à travers toute l’Inde. 

Mais c’est le front uni au niveau des villages qui fournit les forces vives réelles du front sur le plan national.

En Inde, un aspect important du front uni sera de se joindre à toutes les diverses nationalités qui mènent la lutte armée pour leur autodétermination. 

Bien que notre Parti ait soutenu toutes les luttes nationalistes dès le départ, aucun front uni entre les divers mouvements nationalistes et les mouvements révolutionnaires n’a encore pris forme. 

Ce n’est que lorsqu’un tel front uni sera mis sur pied que les deux mouvements pourront vaincre leur ennemi commun par une action combinée. 

Des tactiques peuvent également être mises sur pied pour faire face au gouvernement central de façon plus homogène.

Il faut qu’on se montre extrêmement prudent, à la fois contre les déviations de gauche et de droite, lorsqu’on construit le front révolutionnaire uni. 

En Inde, l’expérience sur ce plan a été de cesser la lutte armée au nom de la construction d’un front uni à base large en collaboration avec d’autres forces démocratiques ou en refusant de prendre la moindre initiative pour former un front uni avec d’autres forces combattantes, en prétextant du fait qu’elles sont sous contrôle non-prolétarien. 

C’est le point de vue de notre Parti: il convient que la tâche de faire progresser la lutte armée et celle de constituer un front uni soient inséparablement associées l’une à l’autre. 

Notre Parti est actuellement en train de tenter d’unifier toutes les forces menant la lutte armée contre l’Etat indien.

A partir de l’expérience décrite plus haut avec les luttes de masse, nous pouvons voir que ces luttes ont connu du succès lorsqu’elles ont été associées à la lutte armée et que les mobilisations maximales de masse se sont produites dans les zones où la lutte armée a été très intense. 

Dans des pays comme l’Inde, la principale forme de lutte est la lutte armée; mais d’autres formes de luttes des masses et d’organisations de masse sont indispensables. 

Les organisations de masse et les luttes de masse sont la préparation à la lutte armée avant que celle-ci soit déclenchée, et elles la serviront ensuite, directement ou indirectement.

La question du boycott des élections

Il est prouvé depuis longtemps que le Parlement et les assemblées en Inde sont des organisations artificielles qui sabordent les aspirations démocratiques du peuple. 

Il ne s’agit pas que de cela, comme les enseignants marxistes l’ont montré, mais la question d’utiliser les organisations parlementaires comme arme tactique dans toute organisation surgit seulement lorsqu’il n’existe pas de situation révolutionnaire, c’est-à-dire au stade où nous sommes précisément en train de préparer la révolution. 

Mais, en Inde, la situation révolutionnaire est excellente, et dans la voie de la guerre du peuple prolongée, la lutte armée figure au programme depuis le commencement. 

Par conséquent, aujourd’hui, nous ne pouvons croire que l’utilisation des organisations parlementaires est nécessaire ou utile pour faire progresser la lutte révolutionnaire en Inde.

En outre, dans l’Inde d’aujourd’hui, le Parlement est considéré comme une supercherie et une fraude même selon les standards bourgeois. Tout un éventail de tromperies au nom des réformes électorales est utilisé par l’Etat pour enjoliver le Parlement et les assemblées de façon qu’ils entretiennent la confiance du peuple à leur égard. 

Les formes traditionnelles, pacifiques et légales de mobilisation ont tellement fait la preuve de leur impuissance et de leur inutilité, que les masses opprimées se sont systématiquement détournées des révisionnistes pour se diriger vers les alternatives révolutionnaires, les alternatives de lutte des nationalités, les alternatives de caste ou même l’alternative fasciste qui se donne des allures militantes.

Dans une telle situation, utiliser l’alternative parlementaire signifie susciter des illusions parmi le peuple sur l’utilité des organisations parlementaires et revient par conséquent à détourner le peuple de la voie de la lutte révolutionnaire.

Un bon exemple en est le prétendu pci(ml) de Vinod Mishra. 

Après avoir construit une large base de masse pour le parti parmi la paysannerie de Bhojpur, le mouvement aurait pu aller de l’avant afin d’établir l’autorité de la paysannerie dans le village, et la région aurait pu progresser vers l’établissement d’une zone de guérilla. Mais ce parti a conduit le peuple de Bhojpur dans la direction de la porcherie parlementaire. D’autres groupes, comme le pci(ml)(Janashakti) et le pci(ml)(Pranibagchi), qui ont participé à chacune des élections en invoquant la tactique qui prétend qu’il n’y a pas de situation révolutionnaire dans le pays, ont également abandonné la tâche consistant à intensifier la lutte de classe et à combattre l’Etat indien. 

Bien qu’ils ne soient pas devenus des révisionnistes complets comme le groupe de Vinod Mishra, leur ligne est cependant celle de l’opportunisme de droite.

En résumé, la participation aux élections ou leur boycott est une question de tactique. 

En Inde, le boycott des élections sera la tactique la plus efficace si l’on désire faire progresser la lutte de classe. 

Dans le dernier quart de siècle d’expérience acquise depuis Naxalbari, tous les groupes marxistes-léninistes qui se sont tournés vers la participation aux élections se sont révélés incapables de combattre les forces armées de l’Etat, et s’enlisent aujourd’hui dans les processus des luttes légales. 

La plupart de ces groupes stagnent, s’enfonçant de plus en plus dans le bourbier de l’opportunisme de droite. 

Mais ces partis qui ont fait progresser la lutte de classe en boycottant les élections ont réussi à développer de puissants mouvements révolutionnaires.

Faire progresser la révolution indienne en tant que composante de la révolution mondiale

La présente révolution indienne est une part importante d’un mouvement anti-impérialiste de portée mondiale qui cherche à établir un nouvel ordre socialiste. 

L’Inde est un pays très vaste avec une très forte population. 

Une cassure dans la chaîne impérialiste dans un pays comme l’Inde va se répercuter dans tout le système impérialiste. Mais ceci ne sera pas possible sans la solidarité du mouvement international de la classe ouvrière.

L’unité des deux courants de la révolution mondiale, à savoir les révolutions néo-démocratiques dans les pays arriérés et les révolutions socialistes dans les pays capitalistes développés, jettera les bases de la destruction complète de l’impérialisme.

Avec cette perspective à l’esprit, notre Parti est déterminé à travailler pour l’unité du mouvement révolutionnaire en Inde avec les mouvements anti-impérialistes existant aujourd’hui dans d’autres parties du monde.

Aujourd’hui, l’impérialisme est empêtré dans la plus sévère crise générale de son histoire d’après-guerre. 

L’effondrement de l’Union soviétique en tant que superpuissance et l’affaiblissement de la superpuissance américaine ont montré que même les superpuissances impérialistes ne sont que des tigres de papier en face de la résistance.

Des centaines de milliers de personnes à travers le monde ont perdu la vie en manifestant leur opposition à l’exploitation et à l’oppression impérialistes. 

Le pci(ml)(pw) salue les martyrs héroïques du Pérou, des Philippines, du Kampuchéa, de la Colombie, du Mexique, du Kurdistan et d’autres pays d’Asie, en Afrique et en Amérique latine, qui sont tombés au cours de la lutte pour la libération du joug des l’impérialisme et du féodalisme. 

Nous saluons les martyrs qui sont tombés au sein des mouvements révolutionnaires en Europe, en Amérique du Nord et au Japon.

Nous nous engageons à mettre tout en oeuvre pour accomplir les rêves et les aspirations de tous ces martyrs.

5 avril 1996

=>Retour au dossier sur Charu Mazumdar
et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)