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  • Saint Augustin : la grâce, en croyant et non en comprenant

    Le soutien à participation au régime impérial, le refus des courants populaires (comme le donatisme) et d’une religion rationaliste (comme le pélagianisme l’exigeait), tout cela imposait à Augustin de renforcer toujours plus une vision du monde où l’Humanité a un statut inférieur, relevant de quelque chose de mauvais.

    C’était nécessaire, afin d’empêcher justement que prime une perspective rationaliste de la religion. Augustin se tourne de manière violente vers une intériorisation de la religion, dans une démarche résolument anti-rationaliste.

    C’est de là que provient sa conception de la grâce, d’une très grande brutalité, puisque l’Humanité serait déchue depuis Adam et si le Christ s’est sacrifié pour rattraper cela, il n’en reste pas moins qu’on reste dépendant du bon vouloir de Dieu libre ou non de donner sa grâce.

    Peter Paul Rubens  (1577–1640),
    Saint Augustin, entre 1636 et 1638

    Cela bloque conception systématique d’une démarche humaine, au profit de la foi et de la foi seule.

    Augustin résume bien sa conception de la grâce dans De la nature et de la grâce, réfutation de Pélage. Voici comment il formule sa conception :

    « L’homme fut créé sans tache et sans souillure ; mais Adam se rendit coupable, et toute sa postérité a besoin d’être guérie, parce qu’elle n’est plus saine.

    Malgré sa chute, il lui reste des biens qui font partie de sa constitution, de sa vie, de ses sens, de son intelligence, et ces biens, il les a reçus de la main de son Créateur. 

    Le vice est survenu, plongeant dans les ténèbres et affaiblissant ces biens naturels et rendant nécessaires la diffusion de la lumière et l’application du remède ; mais ce vice n’est point l’œuvre de Dieu; car ce vice de la part d’Adam, fut le résultat du dérèglement de son libre arbitre, et, de la part de hommes, il est la conséquence du péché originel.

    Par conséquent notre nature viciée n’a plus droit qu’à un châtiment légitime. Sans doute, nous sommes devenus une nouvelle créature en Jésus-Christ, mais. « nous étions par la corruption de notre nature, enfant de colère aussi bien que les autres hommes.

    Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé par l’amour extrême dont il nous a aimés lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a rendu la vie en Jésus-Christ, par la grâce duquel nous sommes sauvés (Ephés. II, 3-5.).

    Or, cette grâce de Jésus-Christ, sans laquelle ni les enfants ni les adultes ne peuvent être sauvés, ne nous est point donnée à raison de nos mérites, mais d’une manière absolument gratuite ; de là son nom de grâce. « Nous avons été justifiés gratuitement par son sang », dit l’Apôtre.

    D’où il suit que ceux qui n’ont pas été délivrés par cette grâce, soit parce qu’ils n’ont pas pu en entendre parler, soit parce qu’ils n’ont pas voulu obéir, soit que leur âge ne leur permette pas de comprendre, soit enfin parce qu’ils n’ont pas reçu le sacrement de la régénération, qu’ils auraient pu recevoir ci qui les aurait sauvés, tous ceux-là, dis-je, sont privés du bonheur du ciel, et cette condamnation n’est que justice ; car ils ne sont pas sans péché, soit qu’il s’agisse du péché originel, soit qu’il s’agisse des péchés actuels.

    « Car tous ont péché », soit en Adam, soit en eux-mêmes, et « tous ont besoin de la gloire de Dieu ».

    Ainsi donc, par le fait de leur origine, tous les hommes sont soumis au châtiment, et lors même que tous subiraient en réalité le supplice de la damnation, ce ne serait que rigoureuse justice. Voilà pourquoi ceux qui sont délivrés par la grâce ne sont pas appelés des vases de leurs propres mérites, mais des vases de miséricorde (Rom. IX, 23.).

    Et de qui cette miséricorde, si ce n’est de celui qui a envoyé Jésus-Christ en ce monde pour sauver les pécheurs (I Tim. I, 15.), c’est-à-dire ceux qu’il a connus par sa prescience, qu’il a prédestinés, qu’il a appelés, qu’il a justifiés et qu’il a glorifiés (Rom. VIII, 29, 30.) ? »

    À partir du moment où le péché domine, alors non seulement l’Église reste le seul vecteur pouvant sauver, mais qui plus est il faut une soumission totale de son esprit.

    Voici comment, dans Du combat chrétien, Augustin enseigne qu’il faut « se soumettre à Dieu en toutes choses » :

    « Soumettons notre âme à Dieu, si nous voulons tenir notre corps en servitude et triompher de Satan.

    C’est la foi d’abord qui attache notre âme à Dieu; ensuite la morale, dont la pratique fortifie notre foi, nourrit la charité, et donne un vif éclat à ce qui n’était auparavant qu’une simple croyance. En effet, dès que la connaissance et l’action rendent l’homme heureux, il faut d’un côté se garder de l’erreur; de l’autre, éviter toute souillure. C’est une erreur grave de croire qu’on puisse connaître la vérité, tout en vivant dans le désordre.

    Or, c’est un désordre que d’aimer le monde, d’en estimer tous les biens passagers et périssables, de les désirer, de faire des efforts pour les acquérir, de mettre sa joie dans leur abondance, de craindre qu’on ne les perde, et de se désoler, quand ils nous sont enlevés.

    L’homme qui vit ainsi ne peut ni contempler la vérité pure et immuable, ni s’attacher à elle, ni prendre son essor pour l’éternité. Aussi , pour purifier notre esprit, nous devons croire d’abord ce que nous ne sommes pas encore capables de comprendre.

    Car le prophète a dit avec vérité : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez point ».

    L’Église enseigne en peu de mots ce qu’on doit croire : elle parle des choses éternelles que ne peuvent comprendre encore les âmes charnelles; des choses temporelles accomplies ou à accomplir, de tout ce que l’éternelle Providence a fait et fera pour le salut des hommes.

    Croyons donc au Père, au Fils et au Saint-Esprit: voilà lesbiens éternels et immuables, c’est un seul Dieu, l’éternelle Trinité en une seule substance ; Dieu, de qui tout est sorti , par qui tout a été fait, en qui tout réside. »

    Il faut croire, et non pas raisonner. Il faut espérer la grâce, bien agir ne suffit pas. Avec Augustin, on a une vision de la réalité particulièrement mauvaise, indéniablement empruntée au manichéisme qui opposait un monde spirituel bon et une monde matériel mauvais.

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  • Saint Augustin contre le donatisme et le pélagianisme

    De multiples oppositions sont nées au cours de l’affirmation de cette sorte de césaro-papisme, d’intégration de la religion dans le système de domination impériale restructurée.

    Augustin va appuyer de toutes ses forces l’écrasement dans la violence des chrétiens donatistes, expliquant même que face à « la barbare et violente hérésie des Donatistes, toute indulgence pourrait paraître plus cruelle que leur cruauté même ».

    Ce donatisme était, de fait, l’expression d’une grande radicalité. Il s’agissait d’un courant chrétien refusant que soit pardonné de manière générale aux évêques qui avaient failli lors de la sanglante persécution de l’empereur païen Dioclétien, de 303 à 305.

    Il semblait de fait inacceptable que soient acceptés comme évêques des gens ayant brûlé des ouvrages chrétiens ou pratiqué des sacrifices sous la pression meurtrière du régime.

    Ce jusqu’au-boutisme anti-païen convergea même en Afrique du Nord avec la révolte violente des circoncellions, des ouvriers agricoles itinérants, contre les propriétaires terriens. Il s’exprima également par un culte populaire du martyr et une rupture très nette avec le pouvoir central impérial.

    On a ici indéniablement ici l’expression de l’impatience populaire par rapport aux promesses chrétiennes, une expression de la lutte de classes.

    Le christianisme fut en mesure ensuite, avec Augustin se revendiquant de Constantin Ier, d’écraser idéologiquement le donatisme au Concile de Carthage en 411, où se réunirent 286 représentants traditionalistes et 279 opposants donatistes.

     Saint Augustin remettant ses règles à Saint Norbert de Xanten [qui vécut 500 ans plus tard], illustration, vers 1140, Allemagne

    Il s’ensuivit une répression forcenée de la part de l’empire, accompagnée d’une série importante de scissions dans le donatisme.

    L’invasion vandale en 429, avec la chute de Carthage, le bastion donatiste, en 439, marqua la perte par l’Empire romain de l’Afrique du Nord pour un siècle et le donatisme disparut alors comme proposition religieuse historique.

    Il est cependant significatif que John Wycliffe et Jan Hus furent, par la suite, attaqués par le catholicisme romain comme relevant d’une forme de donatisme.

    À ce grand ennemi d’Augustin qu’est le donatisme, il faut ajouter le pélagianisme. Elle a comme origine la conception de Pélage, origine de Bretagne romaine et installé à Rome.

    À ses yeux, l’être humain n’est pas condamné par le péché commis par Adam. La mort n’est pas une conséquence de son acte et l’Humanité n’est nullement condamnée.

    Le pélagianisme s’appuie sur un passage du Deutéronome (24:16) :

    « On ne fera point mourir les pères pour les enfants, et l’on ne fera point mourir les enfants pour les pères; on fera mourir chacun pour son péché. »

    Pélage dit ainsi :

    « Si le péché d’Adam doit retomber sur ceux qui ne pèchent pas, la justice de Jésus-Christ doit suffire également à ceux qui ne croient pas ; c’est-à-dire si nous participons au mal sans notre faute, nous devons aussi pouvoir participer au bien sans notre mérite. »

    De là le raisonnement suivante :

    « Ces choses se suivent et se tiennent : si l’homme a le devoir d’éviter le péché, c’est qu’il le peut ; il serait injuste et absurde de lui attribuer à crime ce qu’il ne dépend pas de lui d’éviter. S’il ne le peut pas, il n’a aucune obligation. »

    Par conséquent, l’être humain dispose par conséquent du libre-arbitre en tant que tel et peut faire des choix corrects ou non, mais tout dépend de lui, il n’a pas besoin de grâce divine pour cela. Il y a ici une réelle autonomie qui est affirmée, chaque humain étant en mesure d’aller dans le bon sens, par lui-même, et d’ainsi mériter de Dieu par son choix même.

    Le choix d’un être humain a par conséquent une valeur en soi. Pélage résume ainsi sa pensée en les formules suivantes :

    « La raison n’est pas viciée par le péché originel. La perfection est possible. »

    Il y a ici une insistance particulière sur le caractère bon de la nature humaine, sur la capacité naturelle à incliner vers ce qui est juste ; Pélage souligne d’ailleurs la question de l’importance de la conscience :

    « Chaque fois que je dois traiter de la conduite des mœurs et de la manière de mener une vie sainte, je commence d’ordinaire par montrer la force et la qualité de la nature humaine (…).

    Il y a en effet, selon moi, en notre esprit, pour ainsi dire une sorte de sainteté naturelle.

    Siégeant en la citadelle de l’esprit, elle juge du mal et du bien.

    De même qu’elle approuve les actions honorables et droites, de même elle condamne les méfaits. Elle juge les litiges d’après le témoignage de la conscience, selon une sorte de loi intérieure. »

    Il y a là une dimension tout à fait rationaliste et humaniste et on comprend pourquoi l’Église catholique a, par la suite, considéré que le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau relevait du pélagianisme.

    Au début du XXIe siècle, les papes Benoît XVI et François expliquèrent également que les courants ultra-conservateurs de l’Église relevaient d’une forme de pélagianisme, c’est-à-dire d’une assurance confortable en le dogme comme assurance d’être sauvé, alors qu’en réalité « les pauvres sont l’Évangile ».

    Le pélagianisme est, de fait, une perspective rationaliste affirmant qu’il existe un déterminisme possible selon les actions. Pélage exprime une confiance complète en l’être humain et sa capacité d’agir en fonction de ses choix corrects.

    Quelle force sociale pouvait soutenir une telle conception ? Pélage était en fait très actif auprès des grandes familles romaines. Il était également lié, semble-t-il, au haut clergé romain.

    La démarche de Pélage, en fait, imposait une approche philosophique qui se situait clairement dans la perspective des courants gréco-romains, principalement le stoïcisme. A cela s’ajoute que s’il y a une réflexion nécessaire sur le bien et le mal à partir de l’autonomie de l’individu, cela signifie que les laïcs auraient leur mot à dire.

    Pélage était lui-même un ascète et sa vision de la religion était celle d’une sorte d’accompagnatrice de la civilisation, par en bas, avec une charge démocratique tout à fait clair.

    C’était catégoriquement inacceptable pour le christianisme, tout comme pour l’empire. Augustin joua ici un rôle capital, en tant que figure majeure de l’opposition au pélagianisme.

    Il développa toute une conception où l’humanité, condamnée par le péché d’Adam, devait non seulement obéir à l’Église pour agir de manière correcte, mais en plus se soumettre à une grâce divine.

    Et effectivement, les conciles de Carthage de 415 et de 418, celui d’Antioche en 424, le Concile œcuménique d’Éphèse en 431 brisèrent au fur et à mesure le pélagianisme, alors que Pélage est excommunié en 426, Augustin jouant un rôle majeur à ce niveau.

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  • Saint Augustin et le césaro-papisme

    Augustin, né en 354, émerge comme figure historique dans la continuité du tournant de Constantin.

    De fait, à la mort de Théodose, en 395, l’Empire se divisa avec ses fils en Empire romain d’occident et Empire romain d’orient, et cela définitivement contrairement aux apparences alors. Le processus d’effondrement continua, et en 410 les Goths pillèrent Rome.

    Augustin, qui avait déjà fait la louange, le panégyrique, de Valentinien II dans les années 380, prit donc l’occasion de la chute de la ville de Rome pour rédiger, de 413 à 427, les 22 livres de La Cité de Dieu contre les païens. On y trouve une conception qui rejoint ce qui sera qualifiée bien plus tard de « césaro-papisme ».

    Augustin formule la nécessité, pour un régime nouveau, de puiser dans une source idéologique fondamentalement différente, adaptée à son époque. Le régime est appelé par la religion à la soutenir, à la porter.

    Groupe de Vergos, Saint Augustin faisant face aux hérétiques, vers 1470/1475-1486

    Il y a une convergence historique entre les intérêts d’un empire moribond cherchant à se reformuler et une religion portée par les masses en attente d’un progrès de civilisation, mais formulée de manière mystique et conçue par des fanatiques.

    Voici comment Augustin fait l’éloge de la soumission sociale de reconnaissance de l’empereur et même d’acceptation de l’esclavage comme une conséquence de la nature pécheresse de l’être humain :

    « Si nous appelons heureux quelques empereurs chrétiens, ce n’est pas pour avoir régné longtemps, pour être morts paisiblement en laissant leur couronne à leurs enfants, ni pour avoir vaincu leurs ennemis du dehors ou réprimé ceux du dedans.

    Ces biens ou ces consolations d’une misérable vie ont été aussi le partage de plusieurs princes qui adoraient les démons, et qui n’appartenaient pas au royaume de Dieu, et il en a été ainsi par un conseil particulier de la Providence, afin que ceux qui croiraient en elle ne désirassent pas ces biens temporels comme l’objet suprême de la félicité.

    Nous appelons les princes heureux quand ils font régner la justice, quand, au milieu des louanges qu’on leur prodigue ou des respects qu’on leur rend, ils ne s’enorgueillissent pas, mais se souviennent qu’ils sont hommes;

    quand ils soumettent leur puissance à la puissance souveraine de Dieu ou la font servir à la propagation du vrai culte, craignant Dieu, l’aimant, l’adorant et préférant à leur royaume celui où ils ne craignent pas d’avoir des égaux; quand ils sont lents à punir et prompts à pardonner, ne punissant que dans l’intérêt de l’Etat et non dans celui de leur vengeance, ne pardonnant qu’avec l’espoir que les coupables se corrigeront, et non pour assurer l’impunité aux crimes, tempérant leur sévérité par des actes de clémence et par des bienfaits, quand des actes de rigueur sont nécessaires;

    d’autant plus retenus dans leurs plaisirs qu’ils sont plus libres de s’y abandonner à leur gré; aimant mieux commander à leurs passions qu’à tous les peuples de la terre; faisant tout cela, non pour la vaine gloire, mais pour la félicité éternelle, et offrant enfin au vrai Dieu pour leurs péchés le sacrifice de l’humilité, de la miséricorde et de la prière.

    Voilà les princes chrétiens que nous appelons heureux, heureux par l’espérance dès ce monde, heureux en réalité quand ce que nous espérons sera accompli (…).

    Ainsi la paix du corps réside dans le juste tempérament de ses parties, et celle de l’âme sensible dans le calme régulier de ses appétits satisfaits.

    La paix de, l’âme raisonnable, c’est en elle le parfait accord de la connaissance et de l’action ; et celle du corps et de l’âme, c’est la vie bien ordonnée et la santé de l’animal.

    La paix entre l’homme mortel et Dieu est une obéissance réglée par la foi et soumise à la loi éternelle ; celle des hommes entre eux, une concorde raisonnable. La paix d’une maison, c’est une juste correspondance entre ceux qui y commandent et ceux qui y obéissent.

    La paix d’une cité, c’est la même correspondance entre ses membres (…).

    Tout l’usage des choses temporelles se rapporte dans la cité de la terre à la paix terrestre, dans la cité de Dieu à la paix éternelle (…).

    Or, tant qu’il habite dans ce corps mortel, il est en quelque sorte étranger à l’égard de Dieu, et marche par la foi, comme dit l’Apôtre, et non par la claire vision il faut donc qu’il rapporte et la paix du corps et celle de l’âme, et celle enfin des deux ensemble, à cette paix supérieure qui est entre l’homme mortel et Dieu immortel, afin que son obéissance soit réglée par la foi et soumise à la loi éternelle.

    Et puisque ce divin maître enseigne deux choses principales, d’abord l’amour de Dieu, et puis l’amour du prochain où est renfermé l’amour de soi-même (lequel ne peut jamais égarer celui qui aime Dieu), il s’ensuit que chacun doit porter son prochain à aimer Dieu, pour obéir au précepte qui lui commande de l’aimer comme il s’aime lui-même.

    Il doit donc rendre cet office de charité à sa femme, à ses enfants, à ses domestiques et à tous les hommes, autant que possible, comme il doit vouloir que les autres le lui rendent, s’il en est besoin ; et ainsi il aura la paix avec tous, autant que cela dépendra de lui : j’entends une paix humaine, c’est-à-dire cette concorde bien réglée, dont la première loi est de ne faire tort à personne, et la seconde de faire du bien à qui l’on peut.

    En conséquence, l’homme commencera par prendre soin des siens ; car la nature et la société lui donnent auprès de ceux-là un accès plus facile et des moyens de secours plus opportuns. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre, que « quiconque n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison , est apostat et pire qu’un infidèle ».

    Voilà aussi d’où naît la paix domestique, c’est-à-dire la bonne intelligence entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent dans une maison.

    Ceux-là y commandent qui ont soin des autres, comme le mari commande à la femme, le père et la mère aux enfants, et les maîtres aux serviteurs; et les autres obéissent, comme les femmes à leurs maris; les enfants à leurs pères et à leurs mères, et les serviteurs à leurs maîtres.

    Mais dans la maison d’un homme de bien qui vit de la foi et qui est étranger ici-bas, ceux qui commandent servent ceux à qui ils semblent commander ; car ils commandent, non par un esprit de domination, mais par un esprit de charité ; ils ne veulent pas donner avec orgueil des ordres, mais avec bonté des secours (…).

    Notre-Seigneur dit: « Quiconque pèche est  esclave du péché »; et ainsi il y a beaucoup de mauvais maîtres qui ont des hommes pieux pour esclaves et qui n’en sont pas plus libres pour cela.

    Car il est écrit: « L’homme est adjugé comme esclave à celui qui l’a vaincu ».

    Et certes il vaut mieux être l’esclave d’un homme que d’une passion ; car est-il une passion, par exemple, qui exerce une domination plus cruelle sur le coeur des hommes que la passion de dominer?

    Aussi bien, dans cet ordre de choses qui soumet quelques hommes à d’autres hommes, l’humilité est aussi avantageuse à l’esclave que l’orgueil est funeste au maître.

    Mais dans l’ordre naturel où Dieu a créé l’homme, nul n’est esclave de l’homme ni du péché ; l’esclavage est donc une peine, et elle a été imposée par cette loi qui commande de conserver l’ordre naturel et qui défend de le troubler, puisque, si l’on n’avait rien fait contre cette loi, l’esclavage n’aurait rien à punir.

    C’est pourquoi l’Apôtre avertit les esclaves d’être soumis à leurs maîtres, et de les servir de bon cœur et de bonne volonté, afin que, s’ils ne peuvent être affranchis de leur servitude, ils sachent y trouver la liberté, en ne servant point par crainte, mais par amour, jusqu’à ce que l’iniquité passe et que toute domination humaine soit anéantie, au jour où Dieu sera tout en tous. »

    Ce point de vue va avoir une conséquence capitale. En effet, cette acceptation de la reconnaissance du régime social, phase de transition entre le mode de production esclavagiste et le mode de production féodal, implique une passivité face à l’existence.

    Augustin va donc devenir le grand ennemi du pélagianisme qui prône la liberté complète face au bien et au mal, en s’appuyant sur la notion de péché originel, de nature mauvaise de l’être humain à la base même.

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  • Saint Augustin : l’Empire romain se tourne vers le christianisme

    Il faut saisir ici le contexte historique, pour comprendre la portée politique du fanatisme d’Augustin, qui formule en fait une nouvelle idéologie pour un nouveau régime, né des décombres de l’Empire romain.

    Augustin est né en 354 et à cette époque, le régime impérial n’en finit pas de s’effondrer. Il est cependant déjà largement christianisé.

    À la fin du IIIe siècle, l’Empire avait tenté le tout pour le tout avec la tentative d’une division administrative avec quatre responsables – la tétrarchie –, qui toutefois n’empêcha pas une bataille générale au sommet de l’État, avec une coexistence temporaire de plusieurs dirigeants, une lutte de factions, etc.

    C’était bien entendu un contexte où les différentes forces sociales appuyaient soit des religions différentes (paganisme ou christianisme), soit des interprétations différentes du christianisme.

    Cette période se termina avec l’avènement de l’empereur Constantin Ier, qui régna de 306 à 337. Celui-ci fit en effet en sorte, par l’édit de Milan, que le christianisme soit autorisé dans l’Empire et il organisa la tenue du concile de Nicée en 325, le premier grand concile général des évêques chrétiens.

    Cela servait sa volonté d’unification, alors qu’il avait réussi à réunifier l’Empire lui-même ; il fit d’ailleurs en sorte qu’à partir de ce moment ses légions romaines utilisaient le symbole « Chi-Rho » dans leur bannière, le labarum : il s’agit des deux premières lettres du nom du Christ en grec, Χριστός.

    C’était ce que les courants religieux anti-catholiques romains appellent le « tournant de Constantin », qui fut la première étape fut l’Imperium Romanum Christianum.

    Constantin Ier toléra les cultes païens, dont lui-même était encore le « Grand Pontife », la monnaie exaltant le dieu soleil, mais il reconnut les tribunaux épiscopaux. Il est également à l’origine de la construction de bâtiments aussi important que la Basilique Saint-Jean-de-Latran, de Saint-Pierre de Rome, Sainte-Sophie de Constantinople ou le Saint-Sépulcre de Jérusalem.

    À ce titre, cet empereur romain est un Saint aux yeux de l’Église Orthodoxe, un « égal aux apôtres » et dans les faits, cette logique de christianisation institutionnalisée par l’Empire se prolongea de manière systématique après Constantin Ier.

    Ainsi, en 380, les principaux dirigeants établirent le christianisme comme religion officielle par l’édit de Thessalonique, ce qui signifiait la persécution de tous les cultes païens (et donc également les Jeux Olympiques), mais également des courants philosophiques (stoïcisme, épicurisme, néo-platonisme, etc.).

    Voici le texte de l’Édit :

    « Édit des empereurs Gratien, Valentinien II et Théodose Auguste, au peuple de la ville de Constantinople. Nous voulons que tous les peuples que régit la modération de Notre Clémence s’engagent dans cette religion que le divin Pierre Apôtre a donné aux Romains – ainsi que l’affirme une tradition qui depuis lui est parvenue jusqu’à maintenant – et qu’il est clair que suivent le pontife Damase Ier et l’évêque d’Alexandrie, Pierre, homme d’une sainteté apostolique : c’est-à-dire que, en accord avec la discipline apostolique et la doctrine évangélique, nous croyons en l’unique Divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit, dans une égale Majesté et une pieuse Trinité.

    Nous ordonnons que ceux qui suivent cette loi prennent le nom de Chrétiens Catholiques et que les autres, que nous jugeons déments et insensés, assument l’infamie de l’hérésie. Leurs assemblées ne pourront pas recevoir le nom d’églises et ils seront l’objet, d’abord de la vengeance divine, ensuite seront châtiés à notre propre initiative que nous avons adopté suivant la volonté céleste.

    Donné le troisième jour des calendes de mars à Thessalonique, Gratien Auguste étant consul pour la cinquième fois et Théodose Auguste pour la première fois. »

    En 392, Théodose Ier fut en mesure de réunifier l’Empire, avec un rapport à la religion déjà très net. Ainsi, l’évêque de Milan Ambroise fit marcher celui-ci pieds nus dans la cendre, dans le cadre d’une pénitence suite au massacre de dix mille personnes suite à une révolte en 390 à Thessalonique.

    Le christianisme s’était imposé et l’Empire le reconnaissait, et inversement le christianisme reconnaissait l’existence d’un pouvoir civil centralisé et disposant des armes. C’est ce que va théoriser Augustin.

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  • La signification de l’effondrement de Rome pour Saint Augustin

    La grande actualité pour Augustin, c’est l’effondrement de Rome. Lui-même de culture romaine, pétri de rhétorique et de littérature latine, il a notamment voyagé à Carthage, puis Milan. Et il constate la fin de l’empire, qu’il analyse profondément dans La Cité de Dieu contre les païens, ainsi que dans De la ruine de Rome. 

    Il oppose la puissance de Rome à celle du message du Christ ; l’effondrement de Rome est la preuve de la vanité de ce qui est terrestre.

    Dans De la ruine de Rome, il avertit ainsi :

    « Que ce châtiment nous serve d’exemple; que cet incendie à la clarté duquel le Seigneur nous montre si bien l’instabilité et la caducité des vanités du monde, éteigne pour toujours dans la crainte la concupiscence mauvaise et l’appétit désordonné des voluptés coupables, plutôt que de servir de prétexte à des murmures blasphématoires contre Dieu.

    L’aire n’éprouve-t-elle pas les déchirements du traîneau quand on veut broyer l’épi et purifier le grain; la fournaise a besoin d’être chauffée pour réduire la paille en cendres et purifier l’or.

    De même la tribulation est venue fondre sur Rome, pour purifier et délivrer l’homme juste, et pour y frapper l’impie du châtiment qu’il méritait, soit que la mort l’ait précipité dans le gouffre des souffrances éternelles, soit que dans la vie qui lui était conservée il n’ait trouvé qu’une occasion de blasphémer avec plus d’audace, soit enfin que Dieu, dans son infinie miséricorde, ait voulu purifier dans la pénitence ceux qu’il prédestinait à jouir du bonheur du ciel.

    Que les souffrances des justes ne soient point pour nous un sujet de scandale; elles ne sont pour eux qu’une épreuve, et non point un signe de réprobation.

    Nous frémissons d’horreur en voyant sur la terre le juste en proie aux tribulations de la calomnie et de la douleur, et nous oublions ce qu’eut à souffrir le juste par excellence et le Saint des saints.

    Ce que Rome a souffert, un homme l’avait souffert avant elle. Et voyez quel est cet homme « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (Apoc. XIX, 16.), lié, garotté, flagellé, couvert de tous les outrages, suspendu à une croix, et y rendant le dernier soupir. Crucifiez Rome avec Jésus-Christ; crucifiez toute la terre avec Jésus-Christ; crucifiez le ciel et la terre avec Jésus-Christ; quelle comparaison établir entre la créature et le Créateur, entre l’œuvre et l’Ouvrier ? « Tout a été fait par lui et rien n’a été fait sans lui » (Jean, I, 3.), et cependant il a été traité comme un ver de terre par ses persécuteurs.

    Supportons donc ce que Dieu veut que nous supportions; n’est-il pas le bon médecin qui connaît parfaitement quelle douleur pourra nous guérir? Il est écrit : « La patience est par« faite dans ses œuvres » (Jacq. I, 4.), quelle sera donc l’oeuvre de la patience, si nous n’avons rien à souffrir?

    Pourquoi refusons-nous de souffrir les maux temporels ? Craignons-nous donc d’arriver à la perfection?

    Prions avec ardeur dans les gémissements et dans les larmes, conjurons le Seigneur de réaliser à notre égard cette belle parole de l’Apôtre : « Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera tirer avantage de la tentation, afin que vous puissiez persévérer » (I Cor. X, 13.). »

    Augustin joue un rôle exceptionnel pour le christianisme, car il renverse la signification de l’effondrement de Rome. Celle-ci n’est pas la fin des temps comme on pouvait le penser, marquant l’avènement du royaume de Dieu, mais la fin d’une époque où l’Église n’existait pas encore.

    À l’espoir mystique lancé par le Christ, on a un remplacement par l’institution de l’Église porteuse du message du Christ.

    Philippe de Champaigne  (1602–1674),
    Saint Augustin, vers 1645-1650

    La fin de Rome ne marque pas la fin des temps – comme on pouvait le penser avec le Christ, initialement un rebelle juif se situant dans une perspective de messianisme à portée politique nationale – mais la fin d’une étape seulement.

    L’Église est donc présentée comme le Christ maintenu ; elle est le sas. C’est le sens du concept de Cité de Dieu : l’Église est le portail. Jésus ne clôt pas un cycle historique ; il en ouvre un autre, où il faut se tourner vers l’Église.

    On a ici toute la théorisation du rôle suprême de cette dernière. Voici comment, dans La Cité de Dieu contre les païens, Augustin relie l’Église et l’Écriture, c’est-à-dire une force matérielle – la religion, le clergé – à l’autorité divine.

    « Nous appelons Cité de Dieu celle à qui rend témoignage cette Écriture dont l’autorité divine s’est assujettie toutes sortes d’esprits, non par le caprice des volontés humaines, mais par la disposition souveraine de la providence de Dieu.

    « On a dit de toi des choses glorieuses, Ô Cité de Dieu! » Et dans un autre psaume: « Le Seigneur est grand et digne des plus  hautes louanges dans la Cité de notre Dieu et sur sa montagne sainte, d’où il accroît les allégresses de toute la terre ».

    Et un peu après: « Ce que nous avions entendu, nous  l’avons vu dans la Cité du Seigneur des armées, dans la Cité de notre Dieu; Dieu l’a fondée pour l’éternité ». Et encore dans un autre psaume: « Un torrent de joie inonde  la Cité de Dieu; le Très-Haut a sanctifié son  tabernacle; Dieu est au milieu d’elle, elle ne  sera point ébranlée ».

    Ces témoignages, et d’autres semblables qu’il serait trop long de rapporter, nous apprennent qu’il existe une Cité de Dieu dont nous désirons être citoyens par l’amour que son fondateur nous a inspiré.

    Les citoyens de la Cité de la terre préfèrent leurs divinités à ce fondateur de la Cité sainte, faute de savoir qu’il est le Dieu des dieux, non des faux dieux, c’est-à-dire des dieux impies et superbes, qui, privés de la lumière immuable et commune à tous, et réduits à une puissance stérile, s’attachent avec fureur à leurs misérables privilèges pour obtenir des honneurs divins de ceux qu’ils ont trompés et assujettis, mais des dieux saints et pieux qui aiment mieux rester soumis à un seul que de se soumettre aux autres et adorer Dieu que d’être adorés en sa place. »

    Telle est la signification de l’effondrement de Rome : l’ouverture de l’époque de l’Église.

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  • Saint Augustin : «il existe deux cités»

    Augustin est l’une des plus grandes figures du christianisme ; aux côtés d’Ambroise de Milan, Jérôme de Stridon et Grégoire le Grand, il est l’un des quatre Pères de l’Église catholique romaine ; avec Thomas d’Aquin, il forme le binôme suprême de l’idéologie catholique.

    Né en 354 et mort en 430 en Algérie actuelle, vivant dans une société prolongeant directement les conquêtes romaines et lui-même étant d’origine berbère, latine et phénicienne, Augustin a suivi les modes intellectuelles propre à la culture romaine d’alors.

    Il s’est d’abord rapproché des philosophes (c’est-à-dire du platonisme), puis des manichéens, avant d’embrasser le christianisme, dont il est devenu par la suite l’idéologie.

    Car Augustin est un fanatique ayant pour obsession les démons, commentant les textes, définissant la manière de les comprendre et de les expliquer, explicitant les concepts les plus difficiles, tentant de trouver des justificatifs aux contradictions des textes, menant des combats incessants contre toutes les déviations nombreuses existant par rapport à ce qu’il considère être la vraie foi.

    Parmi ces déviations, il y a la science : Augustin est pour la soumission complète de la raison, son effacement devant le culte de Dieu.

    Sandro Botticelli  (1445–1510),
    Saint Augustin, 1480

    Ses reproches à l’humanité sont continus, son ton acerbe, son cynisme par conséquent justifié à ses yeux, comme par exemple dans sa Réfutation d’un écrit de Parménien, où il justifie les punitions, la mise à mort d’ennemis de ce qu’il considère être la vraie religion :

    « Du reste, tout ce bruit que l’on fait autour des châtiments qu’ils subissent, ne vient-il pas uniquement de ce que la multitude des hommes place son cœur, non pas dans son cœur, mais dans ses yeux?

    Que du sang humain vienne à couler, on frémit à cet aspect. Et si un hérétique ou un schismatique meurt dans le schisme et le sacrilège, privé de la paix de Jésus-Christ et séparé de sa communion, parce que rien ne frappe les yeux, personne ne pleure; il y a plus, car c’est à peine si, en vertu de l’habitude, on ne répond pas par un sourire à cette mort qui est de toutes la plus triste et la plus déplorable dans son horrible vérité.

    Et les auteurs de tant de morts de cette espèce nous insultent publiquement, sans daigner se réunir en conférence avec nous pour y mettre la vérité dans tout son jour.

    D’un autre côté, en admettant que des peines temporelles leur soient infligées par l’usage légitime que les princes de la terre font de leur puissance, que sont donc ces peines en comparaison des maux de toute sorte qu’ils sèment chaque jour de tous côtés contrairement à toutes les lois civiles et ecclésiastiques?

    Ils nous appellent les persécuteurs du corps : pourquoi ne s’appellent-ils pas les bourreaux des âmes, qu’ils immolent sans pour cela épargner davantage les corps?

    Mais tel est l’effet de la mansuétude chrétienne sur les mœurs, qu’on juge plus sévèrement un oeil arraché dans la lutte, qu’une intelligence aveuglée dans le schisme : voilà ce qui explique pourquoi ils parlent contre nous, et parlent avec nous; et quand la vérité les condamne au silence le plus absolu, l’iniquité ne leur permet pas de se taire. »

    C’est que la pensée d’Augustin n’est nullement un dépassement du platonisme et du manichéisme, pour aboutir au christianisme. Du point de vue matérialiste dialectique, Augustin synthétise justement le platonisme et le manichéisme, ce qui lui permet de s’insérer dans le christianisme et de le révolutionner, au point d’en être le principal théoricien pendant plusieurs siècles.

    L’expression la plus nette de cela se lit dans sa théorie de la « Cité de Dieu », qu’il oppose à la « Cité des méchants », les deux coexistant et s’opposant jusqu’à la fin des temps. Il s’agit là ni plus ni moins que de la reprise de la conception manichéenne comme quoi le bien et le mal, Dieu et Satan, s’opposent, le monde existant de par leur opposition.

    Voici ce que dit Augustin dans sa Méthode pour enseigner aux catéchumènes les éléments du christianisme:

    « N’allons pas nous troubler en voyant le grand nombre suivre les inspirations de Satan, tandis que le petit nombre obéit au Seigneur : entre la quantité du grain et celle de la paille, il y a toujours une disproportion considérable; et, si un gros tas de paille n’est point un embarras pour le laboureur, le nombre des coupables n’est rien aux yeux de Celui qui connaît les moyens d’en faire justice et d’empêcher le désordre de s’introduire dans son royaume et d’en troubler l’harmonie.

    Qu’on ne se figure pas que Satan triomphe, parce que le nombre de ses vainqueurs est inférieur à celui de ses victimes.

    Il existe deux cités, établies à l’origine du monde et qui dureront jusqu’à la fin des siècles, celle des méchants et celle des justes : elles ne se distinguent aujourd’hui que par l’esprit qui les anime; mais, au jour du jugement, elles seront séparées de corps comme d’esprit.

    Les hommes enivrés d’orgueil, que travaille l’ambition de régner sur le monde avec tout le faste et toute la pompe des vanités humaines, forment une société étroite avec les démons qui sont animés des mêmes passions et mettent également leur gloire à soumettre les hommes à leur empire; quoique les biens du monde excitent souvent des luttes entre eux, ils n’en éprouvent pas moins une égale ambition dont le poids les entraîne tous dans le même abîme, où ils se trouvent associés par la ressemblance des caractères et des crimes.

    Au contraire, les hommes et les purs esprits qui oublient leur gloire pour ne chercher que celle de Dieu et qui s’attachent humblement à lui, ne sont tous non plus qu’une seule société. Et cependant, Dieu est plein de miséricorde et de patience pour les impies : il leur ménage l’occasion de se repentir et de se corriger (…).

    Nous avons déjà parlé de ces deux  cités qui doivent subsister ensemble à travers les vicissitudes des âges, depuis l’origine du monde jusqu’à la fin des siècles, et au jour du jugement où elles seront à jamais séparées. »

    La Cité de Dieu contre les païens est, à ce titre, l’une des œuvres les plus connues d’Augustin ; elle forme la base même de son approche. Voici comment il y différencie les deux cités :

    « Deux amours ont donc bâti deux cités : l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu, celle de la terre, et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même, celle du ciel.

    L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur; l’une brigue la gloire des hommes, et l’autre ne veut pour toute gloire que le témoignage de sa conscience; l’une marche la tête levée, toute bouffie d’orgueil, et l’autre dit-à Dieu : « Vous êtes ma gloire, et c’est vous qui me faites marcher la tête levée » (Ps. III, 4 .) ; en l’une, les princes sont dominés par la passion de dominer sur leurs sujets, et en l’autre, les princes et les sujets s’assistent mutuellement, ceux-là par leur bon gouvernement, et ceux-ci par leur obéissance; l’une aime sa propre force en la personne de ses souverains, et l’autre dit à Dieu : « Seigneur, qui êtes ma vertu, je vous aimerai » (Ps. XVII, 2.).

    Aussi les sages de l’une, vivant selon l’homme, n’ont cherché que les biens du corps ou de l’âme, ou de tous les deux ensemble; et si quelques-uns ont connu Dieu, ils ne lui ont point rendu l’homme et l’hommage qui lui sont dus, mais ils se sont perdus dans la vanité de leurs pensées et sont tombés dans l’erreur et l’aveuglement.

    En se disant sages, c’est-à-dire en se glorifiant de leur sagesse, ils sont devenus fous et ont rendu l’honneur qui n’appartient qu’au Dieu incorruptible à l’image de l’homme corruptible et à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents; car, ou bien ils ont porté les peuples à adorer les idoles, ou bien ils les ont suivis, aimant mieux rendre le culte souverain à la créature qu’au Créateur, qui est béni dans tous les siècles (Rom.. I, 21-25.).

    Dans l’autre cité, au contraire, il n’y a de sagesse que la piété, qui fonde le culte légitime du vrai Dieu et attend pour récompense dans la société des saints, c’est-à-dire des hommes et des anges, l’accomplissement de cette parole : « Dieu tout en tous » (Cor. V, 28.). » 

    Pourquoi cette conception de deux cités ? Pour la simple raison que nous sommes au IVe et au Ve siècles. Le Christ a fourni son message il y a plusieurs centaines d’années et la fin des temps n’apparaît pas comme immédiate, alors qu’en même temps l’Empire romain s’effondre littéralement.

    Avec cet effondrement, le mode de production esclavagiste cède la place au mode de production féodal et justement le christianisme accompagne ce processus.

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  • L’importance de Paul Boccara dans le PCF

    Paul Boccara ne dépassa pas le rang de cadre de prestige et d’analyste incontournable ; même s’il forma les cadres, il ne parvint jamais à la direction. C’est que finalement personne n’était dupe de son rôle de machine à écrire du PCF.

    Ce que dit Pierre Laurent, en tant que dirigeant du PCF au moment de la mort de Paul Boccara, dans la seconde partie des années 2010, est très significatif. Fils d’un dirigeant du PCF, Pierre Laurent a en effet été formé par le boccarisme en tant que tel :

    « Paul a marqué des générations de militants, et j’en fais partie. Nous planchions alors dans les écoles de formation du Parti tout à la fois sur Marx, sur Lénine et sur les analyses de Paul sur le capitalisme monopoliste d’État. »

    Pierre Laurent le présenta également « théoricien, penseur » ; il salua ses travaux sur le capitalisme monopoliste d’État, la « théorie de la crise suraccumulation-dévalorisation du capital », les « nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises, alternatifs à ceux de la rentabilité financière ».

    Et il le présent a aussi comme décisif pour la stratégie du PCF du milieu des années 2010 :

    « Il a été le créateur du projet de « sécurité d’emploi et/ou de formation » aujourd’hui porté par le PCF. »

    Seulement, à lire cela, on voit mal pourquoi il ne serait pas devenu le dirigeant du PCF, puisqu’il a théorisé sa conception, formulé sa ligne politique, effectué ses analyses, etc. On voit bien qu’au-delà des salutations, il y a simplement la reconnaissance faite à un intellectuel.

    Paul Boccara était de fait une figure incontournable du PCF, particulièrement présent dans sa vie interne, jusqu’au folklore : avec la délégation du Val-de-Marne, il entonnait des chansons révolutionnaires à la fin des congrès. Son but était simplement d’apparaître comme le plus grand disciple de Karl Marx.

    Il avait au moins réussi cela aux dépens de Roger Garaudy et Louis Althusser, dont il parle par ailleurs en 1961, dans une série d’articles intitulée Quelques hypothèses sur le développement du « Capital ».

    Roger Garaudy, philosophe officiel du PCF, affirmait qu’il était nécessaire de réduire le marxisme à un humanisme révolutionnaire, et qui pour cette raison se fera progressivement mettre hors-jeu.

    Louis Althusser proposait quant à lui une version structuraliste du marxisme, affirmant avec ses disciples dans la série d’ouvrages Lire le capital qu’il fallait lire celui-ci philosophiquement, sans rapport avec l’histoire, la politique ou l’économie. Lui aussi sera mis de côté par le PCF.

    Seule la perspective de Paul Boccara pouvait satisfaire le PCF, proposant à l’aristocratie ouvrière une idéologie clef en main, avec une participation aux institutions et une souplesse idéologique totale.

    C’est d’ailleurs lui qui fit en sorte d’établir le dispositif justifiant de supprimer tout référence à Lénine, tout en ayant une certaine lecture de Karl Marx qui justifierait la différence avec les socialistes.

    Dans Pour une révolution dans la révolution théorique marxiste, écrit en 1990, il expose cela de la manière suivante :

    « Dans les conditions de la crise du capitalisme monopoliste d’État actuel dans les pays dits développés ou dits en voie de développement, comme dans celles de la crise des tentatives de construction d’un socialisme de rattrapage étatiste dans des pays en règle générale arriérés, plus que jamais il s’agit de renouer, par delà toutes les graves réductions et déformations ultérieures, avec le processus essentiellement inachevé de la révolution théorique initiée par Marx (…).

    Confondre la pensée de Jaurès avec celle de Blum perpétue un grave détournement d’héritage, masquant l’effort de dépassement rassembleur de Jaurès jusqu’à l’extrême-gauche « syndicaliste révolutionnaire » mais s’opposant à l’extrême-droite socialiste comme les « ministérialistes » (pour la participation à des gouvernements bourgeois radicaux.

    Cependant les efforts de synthèse intellectuelle liés à la sincère passion révolutionnaire de Jaurès, si suggestifs soient-ils, sont encore beaucoup trop éclectiques et trop peu profonds par rapport à l’ampleur et à la rigueur théorique de l’œuvre de Marx elle-même inachevée et donc également par rapport à ses potentialités de développement radicalement nouveaux.

    Mais aussi, j’ai déjà eu l’occasion depuis une trentaine d’années de montrer, précisément à travers des essais d’avancée positive, les graves insuffisances, par rapport aux potentialités des hypothèses de Marx, de la pensée de Lénine.

    Ces insuffisances concernent notamment l’analyse des transformations technologiques ou économiques du capitalisme et du capitalisme monopoliste d’État, ou encore l’analyse des formes de l’État bourgeois et de l’évolution de Marx tendant à s’émanciper des idées de dictature du prolétariat d’origine babouviste ou blanquiste, etc.

    Mais aujourd’hui les réductions et les déformations de Marx par les analyses de Lénine liées à l’arriération russe de l’époque, malgré des tentatives suggestives d’analyses nouvelles, sont encore plus des entraves pour des élaborations créatrices, étant donné notamment leur contribution théorique à la construction d’un socialisme étatiste, même dans des formes se voulant plus ouvertes et pragmatiques.

    Elles sont aussi des entraves face à toute la richesse de la pensée et de la recherche théorique sociales ultérieures à Marx et ne partant pas de lui, si unilatérales et discutables soient-elles. »

    Lénine est également présenté comme suit :

    « Au-delà de son sens de la rupture révolutionnaire contre tout attentisme social-démocrate, ses insuffisances objectives et subjectives seront particulièrement graves du point de vue non d’une rupture révolutionnaire, mais d’une construction proprement socialiste. »

    Paul Boccara fit ainsi passer le PCF d’un « marxisme-léninisme » révisionniste au post-marxisme.

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  • Paul Boccara : «Anthroponomie» et civilisation

    Le concept d’anthroponomie est employé pour la première fois par Paul Boccara en 1969, mais c’est surtout après 1990 qu’il va l’utiliser en remplacement du programme communiste.

    Ce terme apparaît à la suite du manifeste de Champigny, en décembre 1968, où le PCF souligne l’importance des formes para-étatiques pour mobiliser les masses. Il y a là une idée de « reconquête » de l’État, d’où d’ailleurs les références historiques toujours plus nombreuses du PCF à un 1789 fantasmé.

    L’anthroponomie apparaît comme le pendant théorique et culturelle de cette pseudo conquête ; cela désigne chez Paul Boccara toutes les activités non économiques. La sphère de l’activité non économique devrait prendre toujours plus le dessus ; c’est ni plus ni moins qu’une sorte de théorie du temps libre, une version ultra édulcorée du communisme.

    Il faut avoir en tête ici que chez Paul Boccara, il est possible d’intégrer dans une « planification démocratique » même le secteur capitaliste privé, et que plus il y a « démocratie », plus il y a de l’espace pour l’anthroponomie.

    Et cette démarche réformiste est valable pour tout et n’importe quoi : la Communauté Européenne, l’ONU, le FMI, etc. Tout est récupérable… si on le gère différemment, si on le tourne mieux.

    En 2010, Paul Boccara affirma par exemple ouvertement qu’il n’était nul besoin de s’opposer à l’euro, qui pourrait être un moyen « pour le financement du progrès social et de la coopération en Europe ». Il suffirait que soit formé un « fonds européen de développement social, écologique et solidaire », prêtant à taux zéro ou presque pour ce qui serait socialement utile.

    Cette dimension « sociale », « écologique », « solidaire », etc., c’est cette « anthroponomie », une sorte de sphère regroupant tout ce qui relève de la « régénération humaine », formulation sans contenu autre qu’idéaliste qui est devenu au fur et à mesure le mot d’ordre général de Paul Boccara et du boccarisme.

    Voici ce que cela donne, en 2010, dans Pour des avancées des théories hétérodoxes ou critiques :

    « Il convient d’insister sur le fait que l’on ne peut réussir à maîtriser et à commencer à dépasser les marchés sans l’avancée de nouveaux pouvoirs et d’une nouvelle culture pour animer les nouvelles institutions.

    Plus largement il s’agit, en liaison avec l’économie, de transformations au-delà d’elle dans tous les domaines anthroponomiques [concept de Paul Boccara, désignant « les aspects non économiques de la vie humaine »] de la société et de toute la civilisation.

    En ce qui concerne une nouvelle gouvernance mondiale, on pourrait chercher à construire des institutions de démocratie participative internationale, au-delà du Conseil économique et social de l’ONU actuel, et d’une expansion considérable des grandes agences de l’ONU.

    Pour une nouvelle civilisation, il ne suffit pas de nouveaux pouvoirs, il faut que puisse se développer une autre culture et un nouvel humanisme. Cela se rapporterait à des valeurs de partages jusqu’à chacun.

    Ce serait des partages des ressources, des pouvoirs, des informations et des rôles, tout particulièrement des rôles de création, pour une civilisation d’intercréativité. »

    Paul Boccara ne parvint jamais à formuler autre chose qu’un charabia idéaliste au sujet de la civilisation et de la régénération humaine, et ce malgré un intense travail pour théoriser quelque chose. Voici ce qu’il disait déjà en 1986 :

    « L’ensemble de mon travail sur les interventions des travailleurs dans les gestions se relie non seulement à mes recherches économiques antérieures mais à des recherches nouvelles, dans le cadre de mon projet dit anthroponomique de type transdisciplinaire, en coopération avec des sociologues, des spécialistes du psychisme, de la langue, etc.

    Ainsi, au-delà des approches en cours liées aux recherches en gestion, sur les problèmes d’organisation, de pouvoir, ou encore de psychologie des groupes d’individus, je prétends introduire des concepts différents comme ceux des identités contradictoires et relationnelles de chaque travailleur, des crises d’identité de ces travailleurs. »

    Il était évident que Paul Boccara ne pouvait parvenir à quelque chose, puisqu’il s’agit ici d’un révisionnisme résolu, cherchant à définir le communisme en des termes idéalistes, de le réduire au partage, la solidarité, etc.

    Il parviendra cependant à former les cadres du PCF dans cette perspective.

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  • La coopération économique selon Paul Boccara

    Si l’on ne comprend pas le déplacement idéologique léger fait par Paul Boccara dans sa conception, on ne comprend pas pourquoi le PCF est parvenu à se maintenir durant les années 1990, 2000, 2010.

    En maintenant les exigences sociales, ainsi que la logique de participation au gouvernement, mais en mettant surtout l’accent sur la participation aux institutions depuis les organismes existants, il a maintenu en place tout l’appareil du PCF.

    Cette participation aux organismes institutionnels était auparavant présenté comme un moyen pour aller dans le sens de la démocratisation. Désormais, c’était considéré comme une fin en soi. Le PCF se considérait comme une démocratie en soi, comme porteur de la démocratie sociale.

    Cette fiction maintenait la grande unité de la base, alors que l’appareil du PCF profitant de toutes façons de vastes corruptions, notamment au niveau municipal ou par l’intermédiaire des structures syndicales, avait tout intérêt à ce que rien ne bouge.

    La CGT elle-même, largement impliqué dans les comités d’entreprise avec ses contre-projets, et avec des responsables largement corrompus socialement, avait les mêmes intérêts.

    Paul Boccara put donc appeler à des choses absolument non communistes comme une « coopération et compétition coordonnée » entre les entreprises, ou bien demander à ce que les collectivités territoriales épaulent les demandes des petites entreprises auprès des banques. Cela ne choquait désormais plus personne.

    L’ennemi était désormais seulement la finance – auparavant la lutte contre la finance était censée permettre le démarrage d’une lutte contre tout le capitalisme – et tout était permis du moment que la finance était présentée comme l’ennemi.

    Voici comment Paul Boccara, dans Les interventions dans les régions : un moyen de dépasser les contradictions de la politique du gouvernement de gauche sur l’emploi et la finance, formule cette fiction idéologique anti « finance » :

    « La question de la mobilisation du crédit, des banques et des institutions financières reste, pour l’essentiel, tabou, non seulement pour le gouvernement ou les médias, mais aussi pour le mouvement social, y compris les communistes.

    Or dans la réalité, une mobilisation novatrice du crédit et des banques pourrait être cruciale (…).

    On peut même dire que toute la crise systémique consiste dans le recul du crédit pour la production, qui était devenu trop inflationniste, en faveur de la croissance du marché financier et de la déflation relative du crédit pour la production – et encore plus pour l’emploi – sous la pression des capitaux à vocation multinationale.

    Au contraire pour contribuer à un recul fondamental du marché financier et à la sortie de la crise, il faudrait un nouveau type de crédit peu inflationniste et relançant efficacement, de façon moderne, la production, l’emploi, la formation, la recherche, les coopérations. »

    Le PCF est, à partir de 1989, ouvertement pour l’amélioration de l’économie capitaliste, formulé comme son encadrement pour échapper à la logique financière. La base ayant été éduquée dans le fait que seule la finance formait l’obstacle au progrès – et cette idée était déjà présente à l’époque de Maurice Thorez, avant même Paul Boccara – ne pouvait qu’accepter cela.

    Pour tout de même disposer d’une sorte de projet, Paul Boccara dut inventer une nouvelle conception, celle d’un « communisme » qui consisterait en une logique de communautarisation sociale.

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  • Paul Boccara et la mixité économique

    L’échec du PCF lors de la participation au gouvernement et l’effondrement du bloc de l’est en 1989 amena une adaptation théorique. Paul Boccara, toujours en place, quoi qu’il arrive, maintint la ligne générale mais en accentuant le trait de l’autogestion.

    L’échec du bloc de l’est, ainsi que du gouvernement de 1981 malgré les nationalisations, tiendraient au caractère « étatiste » de la perspective tracée. Dans ce cadre, la référence à Lénine fut abandonnée.

    Le secteur public se vit également attribuer désormais une valeur foncièrement positive. Si auparavant, l’État était analysé comme un serviteur des monopoles, désormais sa nature neutre est assumée. Le secteur public fut présenté comme pouvant avoir, indifféremment, une gestion pro-bénéfices ou une gestion sociale.

    C’est de là que vint la théorie de la mixité qui devrait s’installer dans l’économie, avec un large secteur public à vocation « sociale ». Ce serait une mixité « marché / partage ».

    Évidemment, cela fut justifié par une prétendue nouvelle phase de la crise du capitalisme monopoliste d’État, une nouvelle « forme ».

    En avril 1990, Paul Boccara explique dans une interview à Économie et Politique que :

    « Le copilotage État / privé n’est plus le même aujourd’hui dans la crise que celui du CME classique. L’enjeu est donc bien celui d’une nouvelle économie mixte. Mais laquelle ? (…)

    La question d’une nouvelle économie mixte à prédominance publique et sociale pour aller de l’avant est posée très fortement (…).

    Notre conception n’a rien à voir avec la tradition étatiste d’une unification. Quel est aujourd’hui le rôle de l’État ? Il intervient pour favoriser le capital, mais aussi pour le corriger, y compris sous la pression des luttes, les effets de cette action.

    Il joue donc des deux côtés. Il faut casser cette conception où c’est toujours l’État qui décide l’essentiel dans le secteur public, soit pour soutenir le privé, soit pour « corriger ».

    L’enjeu du changement révolutionnaire n’est pas dans la correction par un État plus démocratique et prétendument « égalisateur ». L’intervention de l’État devrait pouvoir consister désormais davantage à lâcher des pouvoirs décentralisés et à aider à leur mise en œuvre. »

    On est encore résolument dans le vargisme, mais le programme n’est plus une démocratie avancée, avec une certaine centralisation, mais une sorte de participation des masses à l’économie à partir des organismes « démocratiques » existants, ainsi que par un appui d’une banque publique ayant une « bonne » orientation.

    On reste dans le principe suivant lequel il faut de nouveaux critères de gestion dans les entreprises, aux dépens de la dimension financière, des dividendes, mais cette fois il est parlé, comme ici en 1999, de : « mixité conflictuelle, viable et évolutive avec la rentabilité des capitaux »

    Voici comment cette perspective est résumée par Paul Boccara, en 1994 :

    « Proposer une mixité tout à fait nouvelle, à prédominance publique et sociale, (avec prépondérance de critères d’efficacité sociale sur les critères de rentabilité capitaliste), cela veut dire

    1) que le secteur public, industriel et du crédit, puisse inciter des entreprises privées à faire telle chose et non pas telle autre ce qui implique des incitations économiques fortes, et convergentes sur divers plans, liées à de nouveaux critères d’efficacité sociale des fonds, notamment au niveau de la fiscalité du crédit ;

    2) et aussi que les travailleurs, les populations, les élus puissent intervenir à partir de critères de cohérence nouveaux, surtout les fonds de l’entreprise pour des choix concrets sociaux et efficace.

    Il faut voir l’ampleur du changement, la créativité culturelle et politique nécessaire. Il faut tenir les deux bouts dans la durée et en ayant confiance dans notre peuple.

    D’abord, il faut des changements de très grande ampleur, d’une très grande cohérence, systémique, c’est-à-dire qui change le système, même si c’est pour une mixité nouvelle. C’est un autre système mixte. »

    C’est somme toute la ligne du Parti socialiste des années 1980.

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  • Paul Boccara et l’autogestion pour la base de masse

    La proposition stratégique du « traité » sur le capitalisme monopoliste d’État sous-tend que la bourgeoise alliée à l’aristocratie ouvrière gagnerait beaucoup : il y aurait la paix sociale grâce au PCF et à la CGT, les autres fractions de la bourgeoisie seraient mises de côté, il y aurait l’alliance avec l’URSS, qui est militairement dans les années 1980 résolument prédominante, engloutissant son économie dans un complexe militaro-industriel hypertrophié.

    Cela impliquait donc la capacité pour le PCF à montrer qu’il était capable de mobiliser les masses pour ce projet, qu’il avait un moyen tactique voire stratégique de stabiliser un éventuel un nouveau régime.

    L’acquisition de cette base de masse est ce que Paul Boccara appelle « la voie autogestionnaire de la révolution en France ».

    L’alliance avec le Parti socialiste pour l’arrivée au gouvernement et pour qu’il y ait des nationalisations n’était qu’un aspect de la question pour le PCF ; le second aspect était la mobilisation pour un basculement.

    En clair, la France devait dans cette logique connaître une économie avec d’un côté une bourgeoisie industrielle, capitaliste, et de l’autre côté un secteur public Etat de type bureaucratique – corporatiste pro-soviétique.

    En 1976, Paul Boccara résuma de la manière suivante ce programme lors d’un colloque sur l’inflation à Stockholm rassemblant les partis occidentaux liés à l’URSS, au nom de la délégation française, en conclusion de son exposé :

    « Les mesures de politique immédiate, tout en étant proposées dans le cadre de la domination monopoliste d’État, doivent nécessairement déjà mettre en cause le gâchis des profits et de l’accumulation monopoliste ainsi que leur financement pour lutter contre les effets de la crise.

    Dans les conditions de la France, le Programme commun de la gauche de transformation démocratique très profonde, par la nationalisation antimonopoliste et la démocratisation de l’État, doit permettre de commencer à sortir de la crise.

    C’est la marche au socialisme comme progression sur toute la ligne de la démocratie, sur le terrain politique comme sur le terrain économique, qui permettra à la France de sortir définitivement de la crise du capitalisme.

    La gravité de la crise du système monétaire et de l’inflation accélérée actuelle, comme les efforts sans précédents de régulation autoritaire des revenus de tous les travailleurs, montrent avec les autres manifestations de la crise du système, que le changement de société constitue bien la perspective des luttes de classe et de masse démocratique dans notre pays. »

    Il va de soi également que la capacité ou non de mobiliser était essentiel pour le processus de basculement. D’où la tentative, une fois au gouvernement, de pousser au maximum dans le sens d’une mobilisation pour un « basculement ».

    Voici comment Paul Boccara, en 1982, alors que le PCF est au gouvernement depuis l’accession de François Mitterrand à la présidence l’année précédente, appelle au socialisme autogestionnaire, à aller dans le sens de ce basculement :

    « Dans les conditions politiques actuelles, l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises peut être d’une importance décisive.

    En effet, les efforts du gouvernement de gauche et de la nouvelle majorité se heurtent aux gâchis des moyens et des hommes des gestions actuelles dominées par les critères capitalistes.

    Si l’on ne menait pas une lutte suffisamment efficace contre ces gâchis, alors par exemple tous les efforts financiers du gouvernement, au nom de l’emploi, pourraient ressembler aux efforts des Danaïdes de la légende qui n’arrivaient jamais à remplir leur tonneau crevé.

    Inversement, si l’on arrivait à développer une intervention des travailleurs commençant à changer, dans une mesure appréciable, les gestions des entreprises, dans les nationalisées en premier lieu mais aussi partiellement dans les autres, alors, à travers des luttes de classe d’un contenu nouveau, on pourrait commencer à sortir concrètement, ici et là puis dans tout le pays, du chômage et des autres maux de la crise.

    En même temps, on commencerait à construire, au fond, à travers des luttes acharnées, économiques, politiques et idéologiques, le socialisme à la française, un socialisme autogestionnaire. »

    L’élan économique ne satisfaisant pas François Mitterrand, qui ne voyait pas non plus de vraie mobilisation de la base populaire sous l’impulsion du PCF, les ministres communistes quittèrent finalement rapidement le gouvernement. L’échec était patent et le PCF était qui plus est devenu bien inférieur électoralement au PS.

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  • Paul Boccara et l’alliance avec le Parti socialiste

    Le principal partenaire potentiel du Parti Communiste français fut bien entendu le Parti socialiste. A cela s’ajoutent les républicains de gauche, c’est-à-dire le centre-gauche, les radicaux de gauche, etc.

    Dans les années 1970, le PS venait de se réunifier, sous l’égide de François Mitterrand ; il restait toutefois divisé en de multiples courants. Il n’y avait donc pas la force de frappe militante et organisationnelle du PCF, d’ailleurs encore plus fort électoralement.

    Le PS va réussir à renverser la tendance, même si sur le plan militant, il y aura une forme de parité. Lorsque le PCF et le PS proposèrent un programme commun de gouvernement le 27 juin 1972, chacun espérait utiliser l’autre ; c’est en fin de compte le PS qui l’emportera.

    Au sujet de ce programme commun, Paul Boccara dit la chose suivante lors d’une intervention au XXe congrès du PCF, qui se tint à Saint-Ouen du 13 au 17 décembre 1972 ; intitulée La nouvelle logique économique du programme commun nouvelles conditions de production et développement des hommes, il y est dit :

    « Quel est le caractère fondamental du Programme commun ?

    C’est qu’il apporte, comme l’a montré dans le rapport du Comité central Georges Marchais, la solution à la crise du capitalisme monopoliste d’État.

    Il s’agit de la solution, à la fois véritable et immédiatement possible, dans les conditions de la France (…).

    On ne peut sortir de la crise par un replâtrage du système actuel, mais par les transformations démocratiques profondes, antimonopolistes, organisées par le Programme commun.

    Cependant, cette solution à la crise du système rompant avec le capitalisme monopoliste d’État et immédiatement disponible, ne constitue pas encore le socialisme.

    L’application du Programme commun ouvrira, disons-nous, la voie au socialisme, en instaurant une phase de transition vers un socialisme développé dans les conditions spécifiques de la France (…).

    Issue des travaux du Parti sur la « régulation économique » démocratique, développée dès 1971 par notre Parti dans la bataille pour Changer de cap, l’idée de cette nouvelle logique économique est désormais revendiquée par le Programme commun.

    Elle peut et doit devenir une arme puissante dans la bataille politique pour faire triompher le Programme commun et, demain, pour l’appliquer.

    Si nous ouvrons le Programme commun, nous lisons à la page 139 : « Le gouvernement maintiendra les équilibres financiers en s’appuyant sur une nouvelle logique de croissance ». (…)

    Les monopoles dominants des secteurs-clés de l’industrie étant nationalisés, l’économie nationale pourra connaître, dans ces secteurs décisifs, une restructuration et une gestion démocratiques dans le cadre du plan.

    Cela permettra la suppression des gaspillages capitalistes les plus importants, de grandes économies de dimension, le progrès systématique de l’automation, de nouvelles conditions de travail et d’emploi.

    Cela permettra une croissance importante de la production, avec une augmentation sensible de la part de valeur du produit qui, au lieu d’être accumulée, reviendra aux travailleurs, aux équipements et aux consommations collectives.

    Le secteur privé important subsistant sera encadré par le secteur public nouveau industriel, bancaire et de consommation par les fournitures, les débouchés, les crédits.

    Malgré le maintien d’une certaine accumulation et d’un certain profit privés, il devra respecter les orientations de la planification nationale et admettre notamment un accroissement de la part de valeur du produit revenant aux travailleurs et aux consommations collectives. »

    Le programme commun connut une actualisation en 1977, puis de nouveaux accords de gouvernement fut fait après 1981, alors qu’il y avait des ministres du PCF.

    Cependant, il ne faudrait pas penser que les nationalisations consistaient une fin en soi pour le PCF ; celui-ci exigeait un processus d’implication des masses, justement parce que sa démarche était qu’il y ait un basculement pro-soviétique. C’est le sens du thème récurrent de l’autogestion.

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  • Paul Boccara et le principe de participation au gouvernement

    Le PCF, avec son « traité », était en mesure de faire un projet de gouvernement, dans une perspective pro-soviétique ouverte. La comparaison avec le Parti Communiste italien est ici très utile.

    Dès son huitième congrès les 27-29 septembre 1956, le Parti Communiste italien alla dans le sens d’une participation ouverte aux institutions et de soutien au régime. Cela allait provoquer une très profonde crise idéologique et un vaste mouvement anti-révisionniste en Italie.

    Les Brigades Rouges sont nées dans la classe ouvrière notamment en réponse à cette tendance d’implication dans le régime ; l’enlèvement d’Aldo Moro, afin de frapper le « compromis historique » entre démocrates-chrétiens et le Parti Communiste italien, apparaît non pas tant comme un choix stratégique que le produit inévitable d’une certaine mise en perspective.

    Une preuve de cela est que les Brigades Rouges, jusqu’à 1982 et leur choix d’une identité bien déterminée, ne cherchèrent nullement à concurrencer le Parti Communiste italien en termes d’organisation partidaire, de structure politique organisée, etc. C’était finalement davantage le basculement du Parti Communiste italien du « bon côté » qui était visé.

    Le Parti Communiste français eut de son côté une perspective totalement différente. Il n’avait jamais assumé de ligne révolutionnaire, tout en maintenant une imagerie « dure » et un réformisme intransigeant ; c’est toute l’ambiguïté de la ligne de Maurice Thorez d’une sorte de « Parti syndicaliste ».

    En Italie, donc, Palmiro Togliatti affirmait ouvertement qu’il était possible d’utiliser le parlement bourgeois pour réaliser socialisme, qu’un régime multi-partis était possible ; le Parti Communiste français, lui, disait uniquement qu’il était possible d’utiliser le parlement bourgeois pour arriver au point où il doit y avoir le grand changement pour instaurer le socialisme, pour « arracher » l’appareil d’État à la bourgeoisie, comme le formula son idéologue Roger Garaudy.

    De très nombreux intellectuels du Parti Communiste français ou gravitant autour émergèrent par ailleurs entièrement sur le terrain de l’étude de l’État comme terrain « neutre » dont il faudrait saisir les particularités (Louis Althusser avec sa thèse des structures, Nikos Poulantzas avec son analyse de l’appareil d’Etat, avec alors en général une très grande attirance pour les thèses intellectualo-culturelles d’Antonio Gramsci, etc.).

    Le Parti Communiste français se posait alors comme un continuateur intransigeant de l’affirmation de la lutte de classes, opposé à la fois à Staline et au révisionnisme « italien ».

    Le Parti Communiste français s’alignant entièrement sur la ligne soviétique Varga – Khrouchtchev écrasa par ailleurs peu avant avant mai 1968 les nombreux partisans des thèses « italiennes » au sein de l’Union des Étudiants Communistes (l’autre fraction oppositionnelle, « pro-chinoise », consistant en ce qui allait par la suite donner l’UJCML, guidée par Robert Linhart).

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  • Paul Boccara et le «Traité marxiste d’économie politique»

    La section économique du comité central du Parti Communiste français publia en 1971, en deux tomes de 450 pages,un Traité marxiste d’économie politique – Le capitalisme monopoliste d’État.

    Il s’agit en fait d’un condensé des conceptions déjà élaborées à travers de nombreux articles dans la revue Économie et politique. L’ouvrage est censé être collectif et on trouve en introduction une longue liste de rédacteurs, avec une insistance sur leur rôle au sein des institutions françaises.

    On a ainsi plusieurs professeurs agrégés et universitaires en tous genres dans les domaines économiques, mathématique ou sociologique. Sont également mis en avant la formation ou le rôle de certains au CNRS, à l’ENA ou encore à Polytechnique. Un inspecteur général et un ancien ingénieur d’État sont également cités comme rédacteurs.

    C’est un moyen pour les auteurs de se présenter comme légitimes à gérer l’État, puisque le connaissant de l’intérieur. Pour cette raison, Paul Boccara fut symboliquement mis de côté du comité de rédaction final, même si en réalité il relut et corrigea la version finale de l’ouvrage.

    Celui-ci est, de fait, entièrement vargiste-boccariste. Le capitalisme y est présenté comme organisé, avec une production marquée par une forme de planification, sous la supervision de l’État. On lit ainsi, dans les premières pages :

    « Il n’est pas question d’analyser ici, en détail, les divers aspects du capitalisme monopoliste d’État.

    Nous n’en présenterons, dans ce premier chapitre, que les traits spécifiques, ceux qui marquent fondamentalement l’originalité du capitalisme monopoliste d’État comme phase particulière et ultime de l’impérialisme.

    Si le financement public en est la caractéristique essentielle, l’existence d’un secteur public diversifié, d’une planification d’État, l’organisation même de la production, manifeste l’emprise du capitalisme monopoliste d’État sur toute la vie économique de la société. »

    Le « traité » fournit, clef en main, les principes techniques de la théorie du capitalisme monopoliste d’État, visant très clairement les économistes et les techniciens des organismes économiques.

    Son plan indique très bien l’idée qu’il y a derrière : montrer que pour le passage à une sorte de forme sociale pro-soviétique, il n’y aurait somme toute pas grand-chose à faire. Le découpage des parties et les chapitres font aboutir à cette vision des choses.

    Le tome 1 regroupe cinq chapitres. Le premier est général et divisé en quatre parties :

    I Les développements contradictoires du capitalisme
    II Le financement public, caractéristique dominante du capitalisme monopoliste d’État
    III Les principales manifestations du capitalisme monopoliste d’État
    IV Le développement contemporain des antagonismes capitalistes

    Le chapitre deux est consacré aux forces productives et aux rapports de production, divisé en quatre parties :

    I Rapports de productions et développement des forces productives
    II Le développement actuel de la science et de la technique
    III Forces productives et rapports de production dans le mouvement historique
    IV Perspectives. La démocratie avancée et le socialisme

    Le chapitre trois est consacré aux classes sociales et se divisent là encore en quatre parties :

    I Classes et conscience de classe
    II Deux classes fondamentales : la classe ouvrière, la bourgeoisie
    III Croissance des couches intermédiaires salariées
    IV Polarisation des rapports sociaux

    Le chapitre quatre est consacré à l’exploitation et se divise en six parties :

    I Les formes de l’exploitation dans le capitalisme monopoliste d’État
    II Marché de la force de travail et politique monopoliste de l’emploi
    III La pression des monopoles d’État sur les salaires
    IV Intensité et durée du travail
    V L’insatisfaction grandissante des besoins sous le capitalisme monopoliste d’État
    VI Contradictions de l’exploitation sous le capitalisme monopoliste d’État

    Le cinquième est dernier chapitre est consacré à l’inflation et divisé en trois parties :

    I Expérience quotidienne de l’inflation
    II La monnaie et la production capitaliste
    III L’inflation

    Le tome 2 propose les six chapitres suivant, avec d’abord celui consacré aux monopoles et capital financier, divisé en quatre parties :

    I Les monopoles industriels
    II Le capital financier
    III Les contradictions de l’accumulation monopolistes
    Conclusion

    Le chapitre sept est consacré aux traits actuels du système impérialiste et divisé en cinq parties :

    I Le caractère transnational croissant de l’accumulation du capital
    II l’internationalisme monopoliste de la production
    III Néo-colonialisme et mouvement de libération nationale
    IV L’intégration impérialiste
    Conclusion

    Le chapitre huit évoque l’État et le financement des monopoles, en six parties :

    I Caractéristiques générales du financement public dans le capitalisme monopoliste d’État
    II Drainage et affectation des fonds publics
    III Le budget de l’État
    IV La monnaie, le crédit et l’inflation
    V les « intermédiaires financiers »
    VI L’approfondissement par l’État des contradictions du mode de production capitaliste

    Le chapitre neuf est intitulé La planification du capitalisme monopoliste d’État, et divisé en cinq parties :

    I La planification dans le capitalisme monopoliste d’État
    II Formes d’élaboration du plan et domaines de la politique économique
    III Technique de planification
    IV Evolution de la planification et de la politique du capital monopoliste en France
    V Planification monopoliste d’État : résumé des analyses précédentes

    Enfin, le chapitre dix est consacré aux nationalisations et se divise en parties :

    I Nationalisations et capitalisme monopoliste d’État
    II Les nationalisations démocratiques, élément décisif du progrès économique et social
    III La gestion démocratique, facteur décisif du progrès économique et social
    IV Nationalisations démocratiques et socialisme

    Une dernière partie, sorte de post-face, est intitulé Démocratie et socialisme.

    C’est une conclusion logique, car après avoir montré que l’État était déjà fortement présent dans l’économie et jouant soi-disant un rôle pratiquement directeur, il n’y avait plus qu’à indiquer qu’il suffirait de faire en sorte que l’État s’oriente dans une autre perspective, tout en restant lui-même.

    C’est ni plus ni moins que le projet d’alliance de l’aristocratie ouvrière avec une partie de la bourgeoisie, pour contrebalancer les forces bourgeoises dominantes dans l’État.

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  • Paul Boccara, la démocratie avancée et la satellisation pro-soviétique

    Il est évident que ce catastrophisme, adossé à un appel à participer massivement aux institutions, combinait les intérêts de l’aristocratie ouvrière et du social-impérialisme soviétique.

    Il saute aux yeux que le programme « frontiste » proposé par le PCF – tout le monde sauf une petite poignée taxée d’oligarchie financière – était ni plus ni moins qu’une proposition stratégique à une partie de la bourgeoisie française – celle ne convergeant pas avec les intérêts américains – de s’allier au social-impérialisme soviétique.

    Ce plan était pourtant incohérent puisque le gaullisme, représentant la bourgeoisie la plus agressive, monopoliste, était justement en opposition aux États-Unis, à l’opposé de la bourgeoisie commerciale ou industrielle, qui appréciait tout à fait le plan d’unité économique européenne sous protection américaine.

    Quoiqu’il en soit, le PCF se posait, avec la CGT, comme vecteur et garant d’une stabilité sociale en cas de retournement pro-soviétique, qui pourrait d’ailleurs passer par une certaine neutralité bienveillante au départ.

    L’article de 1987, Un krach dans la crise, est clair pour qui a saisi cet arrière-plan :

    « Dans l’immédiat et en France, on peut proposer de lutter directement contre la croissance financière et en faveur de la croissance de l’emploi efficace, d’un nouveau type de croissance de la production réelle.

    Dans chaque entreprise, les travailleurs peuvent immédiatement exiger de réduire l’accumulation financière, en faisant des propositions d’augmentation de la production réelle et de l’emploi efficace avec de nouvelles coopérations.

    Les taux d’intérêt doivent être relevées pour les opérations financières, mais abaissés pour la croissance de l’emploi efficace. On doit aussi taxer les opérations financières et les exportations de capitaux, rétablir le contrôle des changes (…).

    La France, pays capitaliste développé et moyen particulièrement menacé en Europe, peut sur cette base prendre l’initiative de rapprochement nouveaux avec les pays du Tiers-Monde et les pays socialistes en liaison avec d’autres relations de rééquilibrage pour la croissance réelle de tous dans la Communauté Européenne. »

    L’idée est que la France a tout à perdre de la puissance américaine et de l’importance de l’économie allemande ; elle a inversement des intérêts dans le tiers-monde qu’elle doit préserver, sans en avoir véritablement les moyens.

    Un soutien du social-impérialisme soviétique apparaîtrait alors comme idéal, surtout si les États-Unis venaient à connaître une crise économique importante.

    Pour encadrer parfaitement cette proposition stratégique, le PCF publia un traité d’économie politique résumant toute cette conception.

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