Le Front paysan, front de la droite agrarienne

La chute du prix du blé entraîne entre 1933 et 1935 une crise des ciseaux. Les paysans sont moins bien payés alors que le coût d’investissement est resté le même. L’augmentation des cotisations sociales et l’exode rural des ouvriers agricoles rend la situation intenable, d’autant plus que les paysans-propriétaires, appuyée par la droite, se refuse à toute mécanisation.

En 1927, Gabriel Fleurant dit « Agricola », président de l’Union des paysans de l’Oise, fonde le Parti agraire paysan français (PAPF). Il se veut apolitique et corporatiste et souhaite offrir une passerelle politique pour envoyer des « députés paysans ».

En 1934, la puissante Union Centrale des Syndicats Agricoles (regroupant des gros propriétaires) passe sous la présidence de Jacques Leroy-Ladurie, issue de la grande famille normande ; elle devient l’UNSA (union nationale des syndicats agricoles) qui se proclame l’outil de « l’émancipation paysanne » et profite des fonds de la banque Worms grâce à Gabriel Leroy-Ladurie, frère de Jacques.

C’est l’aboutissement d’une fracture née à la fin du XIXe siècle au sein du syndicalisme agricole. L’UNSA est le prolongement du syndicalisme d’obédience catholique, connue sous le nom de « Rue d’Athènes » du fait du lieu de son siège social à Paris.

L’autre, de nature républicaine, dit du « boulevard Saint-Germain », pareillement en raison de l’adresse (en l’occurrence de la Société des agriculteurs de France), souhaitait une fusion avec les mutuelles agricoles, très liées aux républicains radicaux-socialistes depuis la fin du XIXe siècle, et offrant des crédits aux paysans. C’est une logique très affairiste et libérale de l’agriculture.

Il faut noter tout de même que des régions comme le midi, le centre et le sud-ouest restaient des zones rurales acquises à la gauche, socialiste ou communiste.

Avec la tension des années 1930, les agrariens-catholiques forment le bloc le plus actif, combinant finalement le style antiparlementaire porté par Henri Dorgères et la tradition catholique-conservatrice de la droite agrarienne traditionnelle.

Henri Dorgères

À l’été 1934, c’est la naissance du Front paysan réunissant la « défense paysanne », le PAPF et l’UNSA, avec Henri Dorgères, Jacques Leroy-Ladurie et Pierre Mathé (militant lorrain du PAPF) comme figures notables.

L’expérience du Front paysan marque les esprits avec de grandes rassemblements dans le nord et l’ouest du pays ; il y a ainsi 5 000 personnes à Caen le 29 septembre 1934.

Le 1er octobre 1934, ce sont 25 000 personnes réunies à Rennes, avec des pancartes « pas d’argent, pas d’impôts », « a bas la déflation des prix », « Front Paysan », « ruiner le paysan, c’est ruiner la France ».

Des journaux locaux comme l’Action paysanne à Toulouse soutiennent l’élan ; de son côté, Henri Dorgères écrit en 1935 une petit brochure militante intitulée « Haut les fourches ! », conforme au style fasciste :

« À la République parlementaire et individualiste qui divise et qui corrompt, la paysannerie désire de plus en plus voir substituer une République corporative et familiale.

Pour nous, la souveraineté dans l’État doit résider dans le métier, qui assure la vie matérielle des individus ainsi que la prospérité de la nation, et dans la famille qui en garantit la continuité. »

Lors d’une élection législative partielle à Blois en mars 1935, Henri Dorgères est investi par le Parti agraire paysan français et parvient au second tour. C’est une des premières confrontations entre le Front paysan, soutenu par toute la droite, et le front commun antifasciste qui soutiendra au second tour le candidat radical-socialiste finalement vainqueur.

Henri Dorgères

Le journal de la SFIO, Le Populaire, titre le premier avril : « le fasciste-royaliste Dorgères, pseudo-paysan et démagogue est battu à Blois ! »

Henri Dorgères et son mouvement incarne alors clairement le fascisme rural. Le 27 juillet, le journal antisémite « Je suis partout » écrit :

« Ce qui compte, heureusement, ce sont les ligues nationales, ce sont les groupements de « Défense paysanne », dont nous avons, dès l’origine, souligné ici le caractère (Famille, Région, Pays, Métier) et la portée sociale et nationale. Avez-vous vu lu Haut les fourches, le premier livre où M. Henri Dorgères exprime ses vues simples, claires et saines ?

Achetez et lisez Haut les fourches. Ne décourager pas les « condamnés de Rouen ».

Bourgeois des villes, comprenez-vous que les Henri Dorgères, Les Mathé, les Leroy-Ladurie sont seuls capables de vous éviter une « Jacquerie » ? 

Sans eux, la paysannerie française mal informée et exaspérée par les sacrifices qu’on lui impose sans profit pour les consommateurs, passerait au communisme.

Capitalistes, grands financiers, ne gaspillez plus vos millions pour corrompre les hommes et les partis de gauche et d’extrême-gauche. Vous avez devant vous des forces jeunes et incorruptibles, lesquelles vous vaincront. »

Le 25 août 1935 au parc des expositions à Rouen, un meeting du Front paysan rassemble 10 000 personnes, avec 30 départements représentés, en présence de Jacques Leroy-Ladurie et de Pierre Mathé. Des hauts parleurs sont placés pour que les nombreuses personnes massées en dehors écoutent les discours.

Ce meeting vise à soutenir Henri Dorgères qui était mis en accusation pour atteinte au crédit de l’État après des appels à refuser l’impôt et se retirer des caisses de dépôts.

Cela intervient quelques semaines après le serment antifasciste des socialistes et des communistes à Paris, le 14 juillet.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

L’Humanité sur l’incident de Bray-sur-Somme

Voici ce que dit l’Humanité au sujet de l’affaire Salvaudon.

La démonstration pro-fasciste du koulak de Bray-sur-Somme, 20 juin 1933

Quatre paysans ont été blessés dont un grièvement par les grades mobiles

Le bilan des brutalités policières de dimanche à la terme de Bray-sur-Somme, se traduit par 4 paysans blessé, dont un grièvement.

Le gros propriétaire terrien Salvaudon, soutenu par les chefs fascistes de la ligue des contribuables et les Dorgères et Delhay, dirigeants d’une organisation agraire-fasciste de l’ouest, avait fait appel aux petits paysans, aux ouvriers agricoles, amenés par les koulaks, la contrée.

Pour leur agitation fasciste, pour la défense de leurs propres intérêts, les capitalistes de la terre exploitent la misère gui augmente à la campagne chez les petits paysans qui eux, ne font pas des « démonstrations » à la manière du koulak de Bray, mais veulent lutter contre la misère, contre les saisies véritables !

Saisies dont la menace plane sur eux de plus en plus, aussi bien de la part des gros propriétaires que de l’Etat bourgeois – l’Humanité ne signalait-elle pas samedi dernier, le cas d’un petit paysan menacé de saisie par le Crédit agricole ?

Le gouvernement de gauche ne trouve pas de crédits pour les petits paysans, mais il trouve des sommes énormes pour son armée de mercenaires qui, comme hier, frappaient à coups de sabre paysans pauvres et ouvriers agricoles, trompés par la démagogie des chefs fascistes à la d’Anthouard et à la Dorgères !

L’exemple des petits vignerons

Nous devons être dans toutes les manifestations paysannes, en développant nos revendications précises, pour combattre la démagogie fasciste, pour éclairer les exploités qui, comme hier, ont suivi les émules du baron d’Anthouard, pour briser le « bloc rural » chez à MM. les chefs verts, admirateurs de Hitler.

Et, dans ces manifestations, et partout à la campagne, il faut populariser l’exemple des petits vignerons du Bitterois qui, brisant le « bloc viticole », ont soutenu activement les ouvriers viticoles en grève contre les vinassiers – l’ennemi commun.

Les sept arrêtés avant-hier à Brai, ont vu leur mandat d’arrêt confirmé. Ils passeront prochainement devant le tribunal correctionnel de Péronne.

Parmi eux, on sait qu’il y a les chefs agraires Dorgères et Delhay.

Gageons que leur condamnation (?) sera plus faible que celle que le gouvernement de gauche a fait prononcer contre les ouvriers agricoles de Capestang qui eux luttaient pour leur pain ! »

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Henri Dorgères et les chemises vertes

Le tournant de l’affaire de Bray-sur-Somme en juin 1933

Au cours des années 1930, une des principales formes prises par l’action directe dans la paysannerie est l’opposition à la vente-saisie des biens. C’est en grande partie la CGPT (Confédération Générale des Paysans-Travailleurs), fondée en 1929 et liée au Parti communiste, qui développe ce type d’action visant à s’opposer, parfois physiquement, à la vente de biens après le non-remboursement d’emprunts. On voit cela par exemple dans le film « la vie est à nous » de 1936.

La « défense paysanne » réactionnaire va ainsi reprendre à son compte cette forme d’opposition là où elle est bien implantée. La difficulté résidait dans l’équilibre à avoir puisque la vente sur saisie révélait parfois une expropriation par une grand propriétaire lorsque le paysan était un fermier. Pour éviter la dimension lutte des classes, la « défense paysanne » s’opposait surtout au vente-saisie de la part de l’État.

L’affaire de la vente-saisie de Salvaudon en 16 juin 1933 est alors un grand marqueur.

Henri Dorgères

Salvaudon était le propriétaire d’une ferme de 240 hectares à Bonfray à quelques kilomètres de Bray-sur-Somme ; il employait 18 salariés et 20 saisonniers. Salvaudon était aussi un notable, conseiller d’arrondissement de son village et membre de la Ligue des contribuables depuis 1931.

Il avait ainsi juré de ne jamais cotiser pour les assurances sociales et avait été condamné à payer une amende de plus de 10 000 francs, qu’il refusait d’ailleurs de payer. Le 16 juin 1933, l’État devait procéder à la vente-saisie de son camion et d’une automobile, signe révélateur d’un style de vie éloigné des masses paysannes.

Salvaudon avait ainsi appelé l’Action française et la Ligue des contribuables à venir le soutenir lors de la venue des fonctionnaires. Henri Dorgères était là en tant que membre de la Fédération des contribuables, afin d’en faire une tribune politique ; il s’était fait au préalable connaître lors de réunions politiques les dimanches des foires agricoles.

Au matin du 18 juin, ce sont 1 500 personnes en soutien de Salvaudon qui font face à plusieurs centaines de gendarmes et 150 gardes mobiles à cheval, alors que les routes d’accès sont fermées.

Salvaudon est dans son bureau, revêtu son uniforme d’officier décoré de croix de guerres et propose des objets ridicules pour la vente. Des discours sont prononcés dans la cour de la ferme, dont un par Henri Dorgères. Alors que la gendarmerie donne l’ordre de dispersion, elle reçoit des projectiles. Il y a quatre blessés et huit arrestations, dont Henri Dorgères et deux membres du Parti agraire paysan français.

Des barricades sont alors montées autour de la ferme, avec des charrues, des râteaux, des herses… Lorsque la vente commence, les acquéreurs sont bousculés, sifflés et les opposants font en sorte de placer les acheteurs de leur camp.

Le procès de Henri Dorgères fut par la suite l’occasion d’une vaste campagne de soutien. L’arrestation parallèle de membres du Parti agraire paysan français favorisa également le rapprochement avec les notables de la droite agrarienne représentés par celui-ci.

Adolphe Pointier, futur président de l’Association générale des producteurs de blé et Jacques Leroy-Ladurie, un des hauts responsables de la puissante Union Centrale des Syndicats Agricoles, apportèrent un soutien public à Dorgères.

La « défense paysanne » devint ainsi un véritable mouvement d’ampleur, reconnu nationalement.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

Le dorgérisme comme développement d’un mouvement antiparlementaire

Comme la petite-bourgeoisie est une couche sociale coincée entre prolétariat et bourgeoisie, elle s’enferme dans une instabilité qui s’exprime dans un style politique. Le « dorgérisme » est avant tout une méthode d’action qui combine l’antiparlementarisme et l’action directe, mélange politique tout à fait français.

Le 1er février 1930, lors du lancement officiel des « Comités de défense paysanne », ce sont 16 000 personnes qui se rassemblent au nom du refus de l’inscription à la caisse d’assurance sociale. La « Défense paysanne » récupère alors des syndicalistes issus des « cultivateurs-cultivants » et va en progressant toujours plus, profitant du laxisme du ministre de l’agriculture André Tardieu.

Une quarantaine de réunions se succèdent dans l’année et la Défense Paysanne compose une partie de la contestation anti-fiscale, portée officiellement par la Ligue des contribuables, Dorgères étant le délégué régional et son président à Rennes.

Lors de la campagne électorale des législatives de 1932, ce sont 20 000 personnes qui se rassemblent à Rennes en compagnie de nombreux notables agrariens, à Lisieux ce sont 6 000 paysans qui sont présents, ainsi que plusieurs milliers à Caen, 15 000 personnes à Angers quelques mois plus tard…

La lutte anti-fiscale se propage en fait dans les couches petites-bourgeois et l’enjeu en Bretagne est l’encadrement de la paysannerie. L’augmentation du prix du blé va alors permettre le durcissement du mouvement. Henri Dorgères assume le combat brutal, puisant dans une démarche patriarcale et populiste, comme ici :

« Il faut que les parlementaires se mettent dans la tête que le passage a tabac est devenu pour eux un risque professionnel.

En Bretagne, cette année, contrairement a ce qui se faisait depuis un temps immémorial, les parlementaires – les députés surtout – n’ont fait que de rares apparitions dans les comices agricoles.  »

Ou encore, cette consigne :

« Lorsque le député vient à la campagne, il ne lui est pas possible de se faire escorter partout par des gendarmes ou des policiers.

En pareil cas, loin de la garde prétorienne, vous avez entre les mains un des responsables de la situation. C’est le moment de lui faire voir, non seulement par des paroles, mais par des violences, que vous n’êtes pas contents. »

À Rennes, une manifestation à la suite d’un rassemblement culmine dans un mouvement au domicile du député radical-socialiste Cadoret. Cela termine en des jets de pierre contre le domicile, avec des carreaux brisés. A Chartes, c’est à l’appel du Parti agraire paysan français que 3 000 cultivateurs enfoncent les grilles de la préfecture.

Tout au long de l’année 1933, la contestation paysanne antiparlementaire s’intensifie, comme à Nantes où 10 000 personnes se réunissent le 24 mars 1933.

Dans ce cadre, Henri Dorgères fonde un empire de presse financé par le Duc d’Harcourt, éleveur et député du calvados, proche de l’Action française puis du Parti Social Français de La Rocque.

En avril 1933 est lancé le mensuel « La voix du paysan » et de nouveaux soutiens de la bourgeoisie foncière affluent, comme le marquis de Kérouartz, le Comte Roger de la Bourdonnaye, alors président de la chambre d’agriculture d’Ile-et-Vilaine, et Jacques Lemaigre-Dubreuil, actionnaire des huiles Lesieur.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

Henri Dorgères lance un soulèvement paysan-populiste

Au début de l’année 1919, de vastes grèves en France débouchaient sur la reconnaissance légale de la journée de 8 heures.

Or, l’exploitation agricole est alors en concurrence avec l’industrie, et la journée de 8 heures et le mode de vie urbain attirent bien davantage que l’isolement social et culturel et les 12 à 16 heures de travaux ruraux.

La petite et la moyenne paysannerie, propriétaire ou fermière, celle dont le recours à la main d’œuvre est essentielle, va alors chercher à s’opposer à cette prolétarisation des ouvriers agricoles.

Et cela produit une panique petite-bourgeoise devant l’affaiblissement du statut paysan et de son poids social. Henri Dorgères joue alors le rôle de catalyseur.

Diffusé à plus de 26 000 exemplaires, le journal qu’il dirige, Le Progrès Agricole de l’Ouest, lui permet de diffuser des éléments agricoles techniques et de proposer une aide juridique concernant les ennuis avec les administrations fiscales.

Son objectif assumé est la sauvegarde de la communauté d’intérêt du paysan-villageois, ou du village paysan, en cherchant à former une communauté « historique », opposée à la lutte des classes.

Il faut ainsi arriver, coûte que coûte, à unifier le grand producteur de betterave du Nord, le petit vigneron de la Loire, les maraîchers du Bassin parisien :

« Nous avons créé une fierté paysanne qui n’existait pas, un esprit de corps qui s’opposait à l’esprit de classe du prolétariat. Nous répétions sans cesse qu’on ne pouvait bien défendre un métier qu’à la condition d’en être fier.

A l’époque, un complexe d’infériorité atteignait presque toute la Paysannerie et il en a fallu des efforts pour chasser ce complexe. »

Évidemment, l’agriculture recoupe des réalités différentes, de statuts (métayage, fermage), de conditions, ouvriers agricoles ou propriétaires, de cultures. Henri Dorgères pouvait cependant s’appuyer sur un processus de concentration agricole encore très lent.

En 1920, il y a en France 32 000 exploitations de plus de 100 hectares pour 2 685 000 de moins de 10 hectares, avec un inégal développement entre l’Île-de-France, le sud avec des exploitations mécanisés et concentrés, et le reste du pays où subsiste la petite et moyenne exploitation, plutôt familiale.

Il fallut donc d’autant plus renforcer l’aspect agressif, avec une contestation typiquement petite-bourgeoise qui est la lutte contre l’imposition.

C’est après l’instauration de la loi Loucheur du 5 avril 1928 sur les assurances sociales pour les ouvriers agricoles que Henri Dorgères adhère à la Ligue des contribuables et se lance dans les premières batailles. Selon lui, cela augmente les charges sociales et entraîne une voile administratif intolérable dans une communauté villageoise préservée du contractualisme libéral (assigné au monde urbain opposant capitalistes et ouvriers).

Le 28 février 1928, ce sont 12 000 personnes qui manifestent à Vannes contre la loi Loucheur et où Henri Dorgères prend la première fois la parole.

Jusqu’au début de l’année 1933, Henri Dorgères se présentera sous l’étiquette de la Ligue des contribuables, mouvement anti-fiscaliste qui bascule dans le fascisme en 1934 sous la présidence de Jacques Lemaigre-Lebreuil, actionnaire principal des huiles Lesieur et soutien du journal de Dorgères avec des encarts publicitaires.

L’essentiel était l’organisation des paysans – dans une forme paysanne populiste – et c’est pourquoi Dorgères mit en place, avec une trentaine de paysans, au début du mois de janvier 1929 un « Comité de défense contre les assurances sociales » dans les locaux du journal Le Progrès Agricole de l’Ouest, à Rennes, en même temps qu’une pétition qui va recueillir plus de 150 000 signatures en un mois et demi.

Toute l’instabilité de la petite-bourgeoisie passe alors par la couche de la moyenne paysannerie, qui réclame tout à la fois moins de taxes et d’impôts, et plus de protectionnisme.

Henri Dorgères explique alors à ce sujet :

« La Défense Paysanne c’était les « Etats-Généraux » de la Paysannerie appuyés sur la masse des petits cultivateurs et dressés contre un Etat qui les oppressait. Nous n’étions nous que leurs mandants, que leurs « délégués » et c’est d’ailleurs ce titre de délégué général qui m’avait été attribué. »

Et en 1935 il raconte dans « Haut les fourches » :

« Chaque cultivateur syndiqué, chaque syndicat local, chaque union régionale doit comprendre que l’action commune ne libérera la terre de la double hypothèque libérale et marxiste, dont elle acquitte depuis de trop longues années le lourd tribut, que lorsque leurs aspirations collectives pourront se faire jour sur le plan national.

Dussions-nous fonder 10 000 syndicats nouveaux, enregistrer 500 000 adhésions nouvelles, rien ne sera fait tant que l’Union nationale ne sera pas devenue un instrument aussi efficace et redouté que la C.G.T. ou le Comité des Forges.

Guerre de classes ? Non pas.

Nous entendons tout au contraire imposer sur le terrain syndical ce tiers parti, fier de ce qu’il a su réaliser dans la fraternité des sillons, mais plus fier encore d’être dès maintenant le précurseur de l’ordre corporatif de demain. »

Henri Dorgères va jusqu’à parler d’un « État paysan », d’une « dictature paysanne ». Il a été au cœur d’un mouvement paysan-populiste, qui converge entièrement avec le Fascisme se développant dans les années 1920-1930 comme expression de la contre-révolution.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

La Bretagne, la bataille pour l’hégémonie catholique et Henri Dorgères

L’installation de la République a produit une division dans le monde agricole entre syndicats républicains et syndicats catholiques liés à l’Église. Et, dans la mouvance catholique elle-même, une division entre démocrates-chrétiens et catholiques traditionalistes était née.

En 1894, Marc Saignier fonde la revue démocrate-chrétienne Le Sillon, et en 1898 c’est le journal l’Action française qui apparaît.

Cette division de la mouvance catholique s’aiguisait avec l’intervention du pape Pie X. En 1910, le pape condamna la mouvance démocrate-chrétienne issue du Sillon pour son rapprochement considéré comme blasphématoire de la « Révolution française » et des principes chrétiens. D’un autre côté, c’est en décembre 1926, que l’Église condamna l’Action française à cause de la subordination de la foi religieuse à l’action militante, politique.

Cela souligne l’instabilité de cette question paysanne-catholique, historiquement si entremêlés et dont on a un fameux exemple en Pologne, en Autriche, au Portugal.

António de Oliveira Salazar, professeur d’économie catholique, à la tête de l’Estado Novo fasciste portugais de 1932 à 1968

Et, pour des raisons historiques, c’est en Bretagne que cette question va se cristalliser.

On y trouve le Nouvelliste de Bretagne, soutenu par l’Épiscopat de Bretagne et financé par Paul Féron-Vrau, propriétaire d’une industrie textile à Lille organisée autour des principes du catholicisme social.

On trouve également dans la région le journal Ouest-éclair (qui deviendra Ouest-France à la sortie de la guerre) soutenant le mouvement syndical des « cultivateurs-cultivants » de l’abbé Mancel et les caisses mutuelles rurales de l’abbé Trochu.

Ouest-éclair évoluait dans le sillage du Parti démocrate-populaire fondé en 1924, qui visait à établir l’indépendance économique et morale des petits paysans et ouvriers agricoles, au nom du catholicisme social.

C’est alors une véritable bataille pour l’unification politique des catholiques et lors des élections législatives de 1928, ces divisions s’expriment largement. Le 17 avril, Eugène Delahaye, rédacteur en chef du Nouvelliste écrit, dans un article titré « Oh la barbe ! » :

« Être avec Trochu ou être avec Maurras ! Il n’y a pas de milieu, prétend tous les matins l’Ouest-Eclair. Eh bien si, il y a un milieu… et un large milieu dans lequel se trouvent des milliers et des milliers de braves gens qui, catholiques, patriotes, homme d’ordre, cherchent dans l’union la victoire contre toutes les gauches. »

Et l’Ouest-Éclair de répondre le lendemain :

« Contre le cartel des gauches, nous avons réalisé l’union la plus large. Ce que nous n’avons pas voulu faire, c’est l’alliance avec les monarchistes et nous croyons que cette attitude d’indépendance et de fidélité à notre idéal démocratique et républicain, bien loin d’affaiblir la position des défenseurs de la politique d’union nationale, la renforcera. »

Dans le cadre de cette tension, on trouve la figure de Henri Auguste-d’Halluin. Né en 1897 à Wasquehal, petite ville de 6 000 habitants dans le Nord, il est envoyé à Rennes en 1921 comme journaliste au Nouvelliste de Bretagne.

En fait, avec ses premiers écrits dans l’Action française contre l’« excès de centralisation et de paperasserie de la République », il a rencontré l’évêque Charost de Lille, qui l’a propulsé comme journaliste politique.

Il quitte ensuite le Nouvelliste de Bretagne, considérant que la ligne n’y était pas pas assez dure, et fonde d’abord La Province, puis surtout en mars 1925 le Progrès Agricole de l’Ouest, où il signe ses articles Henri Dorgères, du nom d’un petit village en périphérie de Rennes.

Le crash de 1929 et la Grande Dépression qui s’en suivit avec la chute des prix agricoles aiguisèrent alors les contradictions sociales, aussi l’objectif devenait directement l’unification de la droite rurale.

Henri Dorgères devint alors une figure de premier plan.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

Jacques Bainville et l’Action française comme clef idéologique du populisme paysan

L’une des grandes expressions du poids historique de la paysannerie française, c’est l’Action française, un mouvement monarchiste à la fois activiste et intellectuel, formant une immense opposition politique à la France républicaine entre 1871 et 1914, ainsi que relativement dans les années 1920-1930.

En se basant sur la tradition contre-révolutionnaire de Joseph de Maistre (1753-1821), Louis de Bonald (1754-1840) et de Frédéric Le Play (1806-1882) – ces deux derniers auteurs jouant par ailleurs un rôle clef dans la naissance de l’idéologie de la « sociologie » -, cette mouvance va formuler une grande thèse romantique anticapitaliste, consistant à dénoncer la modernité des individus atomisés et ne se rejoignant que par l’intermédiaire de contrats sociaux.

Le contre-modèle est une monarchie idéalisée comme une grande société organique, quasiment une famille, constituée en corporations solidaires.

Les principales figures du mouvement furent Charles Maurras (1868-1952), Maurice Pujo (1872-1955), Léon Daudet (1867-1942) et Jacques Bainville (1879-1936).

C’est lors des funérailles, le 13 juillet 1936, de ce dernier, entré dans le cercle maurrassien dès début 1900, que les camelots du Roy, troupe de choc de l’Action française, agressèrent notamment Léon Blum, alors président du Conseil des ministres et passant non loin en voiture.

Jacques Bainville

Grand théoricien de la monarchie « éternelle », Jacques Bainville a rédigé plusieurs articles où il intègre la paysannerie comme devant être le moteur du nationalisme de l’Action française, notamment dans le quotidien La Liberté, dont le renégat du communisme et fasciste Jacques Doriot deviendra rédacteur en chef en 1937.

Surtout, il affirme le maintien de la France en quelque sorte profonde à travers les vicissitudes historiques ; il constate que la France résiste totalement à ce qui est, du point de vue communiste, la crise générale du capitalisme ouverte en 1917-1918 et marquant une offensive de la révolution mondiale.

Il affirme ainsi de manière assez juste en 1920, dans Les conséquences politiques de la paix, que :

« Par un curieux renversement des choses, la France de la Révolution est devenue le pays le plus réactionnaire du monde.

Aux yeux des masses prolétariennes et paysannes de l’Europe orientale, qui tendent vers des formes barbares de dictature beaucoup plus que vers la démocratie parlementaire, nous sommes un peuple de « bourgeois ». Rien n’est plus vrai. »

C’est là une intuition politique qui débouchera directement sur le pétainisme, avec son culte de la « terre » qui ne « ment pas ».

C’est que, malgré l’électrification générale des communes rurales, le gouffre reste important avec la ville ; la paysannerie envie le poste TSF, les meubles modernes, les journaux quotidiens, la motocyclette, les vêtements diversifiés… Tout en restant circonspecte, étrangère, voire hostile au mode de vie urbain.

Toutefois, comme, avec l’élargissement de la propriété paysanne à la suite de la guerre, la vie cléricale à la campagne s’érode et la place prise par les femmes dans le travail au champ bouscule l’organisation traditionnelle patriarcale, cela provoque d’autant plus de troubles.

Le mode de vie paysan reste un « monde à part » fondé sur le village et des relations communautaires, tout en étant ébranlé et par là mis en branle. Jacques Banville écrit dans La Liberté en novembre 1929 :

« On peut prévoir que l’exode continuera tant que les villes auront du travail à offrir.

Il s’arrêtera quand l’activité́ industrielle se ralentira, ce qui, chose à noter d’ailleurs, pourrait bien arriver par une crise agricole, laquelle déterminerait une régression des achats, une « sous-consommation » de la part d’une clientèle nombreuse.

Alors, le paysan restera à la terre, féconde en hommes et en fruits. Alors, comme aux autres époques qui avaient vu la même désertion, il ne faudra pas plus d’une ou deux générations pour que les campagnes soient repeuplées. »

On voit ici une confiance absolue dans la nature agraire de la France, comme rempart à la modernité ; comme il s’agit d’un romantisme anticapitaliste, d’un idéalisme, il y en même temps la considération que la force de la France éternelle, c’est la communauté paysanne, et un appel en ce sens.

Jacques Bainville écrit en 1924 dans Heur et malheur de la France :

« La grande faculté de la France, une de ses facultés maîtresses, aurait dit Taine, c’est de reconstituer sans cesse une classe moyenne qui, elle-même, engendre toutes les aristocraties.

À la base se trouve une race paysanne, ancienne et dure, qui crée constamment de la richesse et qui, par la plus réelle des richesses, celle du sol fécondé par le travail, s’élève constamment.

Un vieux proverbe de la noblesse française disait : « Nous venons tous de la charrue. » C’est encore vrai de nos jours pour toutes nos espèces d’aristocratie, y compris celle de l’intelligence.

Vingt millions de paysans forment l’humus dont se nourrit sans cesse ce qui fait la France.

Vingt millions de paysans qui ont deux passions, celle de l’épargne et celle de l’ordre, sont les garanties de toutes nos renaissances.

Quelles que soient nos plaies financières, politiques ou sociales, on peut compter que le paysan français, par son labeur aussi régulier qu’opiniâtre, rétablira l’équilibre et aura raison de tout. »

Cette conception va irriguer tout un espace politique et culturel.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

Le poids rural dans la France du XIXe siècle et du début du XXe siècle

Au XVIIIe siècle se met en œuvre la dissolution progressive de la propriété féodale de la terre. Il est souvent dit que la Révolution française a aboli les privilèges, répartissant la terre avec la propriété paysanne. Cela est vrai, mais cela n’arrive pas d’un coup de baguette magique : il y a tout un long processus historique, dont la Révolution française est le saut qualitatif, elle-même se déroulant de 1789 à 1871.

Cependant, la substance de la Révolution française dans la question paysanne se lit déjà dès l’instauration du code civil de Napoléon en 1804 qui ne reconnaît juridiquement que la propriété individuelle.

Cela pose toutefois une contradiction importante entre une masse de paysans formant la majorité des Français, produisant de manière isolée, et une petite propriété devant nécessairement s’insérer dans une dynamique capitaliste impliquant une coopération au moyen du capital et ainsi une modernisation, une rationalisation.

C’est précisément cette contradiction qui va donner naissance à une petite-bourgeoisie paysanne, qui ne possède pas une idéologie mais un style, qu’on qualifiera par la suite de « poujadiste », et dont la base a été fourni par Henri Dorgères entre la première et la seconde guerre mondiales.

On ne peut pas comprendre la France du XIXe siècle et celle du début du XXe siècle sans voir que son socle est paysan. Au début du XXe siècle, il y a encore autant d’ouvriers agricoles que d’ouvriers de l’industrie.

La population urbaine française ne devient aussi nombreuse que la population paysanne qu’en 1930 – et encore cela suppose-t-il que les urbains sont eux-mêmes d’extraction paysanne toute fraîche. Un excellent exemple est la culture propre aux cafés, brasseries et bars-tabac aux mains des Auvergnats à Paris.

Communautés immigrantes de Paris en 1932, almanach Hachette

La France est ainsi, sur une longue période, une « nation paysanne ». C’est ce qu’avait admirablement remarqué Karl Marx dans son analyse du 18 brumaire de Louis Napoléon Bonaparte, avec le fameux passage du « sac de pommes de terre » :

« la grande masse de la nation française est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon qu’un sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre. »

Cette longue existence paysanne alors que le capitalisme s’élance pratiquement sans freins depuis 1789 est lourd de conséquences.

La combinaison de l’héritage familial paysan et le morcellement des terres en des petits propriétaires a pour conséquence de freiner le développement du capitalisme en France, et donc, dialectiquement de limiter la maturation idéologique de la classe ouvrière.

C’est ce qui explique le contournement en France de cette tâche de maturation historique, assumée inversement par la social-démocratie en Allemagne et en Autriche, avec le syndicalisme révolutionnaire et son principe de la « minorité agissante », ainsi que le républicanisme social de Jean Jaurès.

Jean Jaurès

Le formidable poids de la paysannerie isole en fait les ouvriers et fait placer le centre de gravité de la vie politique française au « centre », avec les radicaux. C’est le socle de la IIIe République française, qui va de 1870 à 1940.

Les notables libéraux-républicains du parti radical-socialiste ont joué ici un rôle fondamental dans la domination de la bourgeoisie industrielle en confirmant la petite propriété rurale.

Revenu en France en juin 1871 après la Commune de Paris, Léon Gambetta déclare à Bordeaux :

« C’est donc aux paysans qu’il faut s’adresser sans relâche, c’est eux qu’il faut relever et instruire.

Les mots, que les partis ont échangés, de ruralité, de chambre rurale, il faut les relever et ne pas en faire une injure.

Ah ! il faudrait désirer qu’il y eût une chambre rurale dans le sens profond et vrai de ce mot, car ce n’est pas avec des hobereaux que l’on fait une Chambre rurale, c’est avec des paysans éclairés et libres, aptes à se représenter eux-mêmes ; et alors, au lieu d’être une raillerie, cette qualification de Chambre rurale serait un hommage rendu aux progrès de la civilisation dans les masses. »

C’est qu’à l’époque la base de la vie politique française est dans les campagnes, qui produisent des figures réactionnaires locales, que l’on retrouve notamment au Sénat, une entité jouant le rôle de frein réactionnaire dans le cadre des institutions.

Cette dynamique est telle qu’il se fonde une chambre des ruraux en 1875, une « Société nationale d’encouragement à l’agriculture » en 1880, fusionnée en 1912 dans une Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricole regroupant jusqu’à 1 910 538 membres en 1930.

Entre-temps il y avait également eu la création du Crédit agricole, afin de fournir la paysannerie en liquidité tout en sauvegardant le mode familial d’exploitation.

Jules Breton, Fin du travail, 1886-1887

On peut voir ici que la bourgeoisie industrielle de la Belle époque a soutenu la petite production familiale autosuffisante, comme base sociale à son hégémonie politique : la reproduction simple à la campagne était un gage de stabilité du régime.

Sur 14 millions de paysans en 1930, 80 % sont ainsi propriétaires. C’est une immense base petite-bourgeoisie, par définition opposée au collectivisme, hostile à la modernité, enfermée dans des mythes traditionalistes en fait sans cesse renouvelés.

Les crises économiques de 1892 et de 1929, pas plus que la crise générale du capitalisme ouverte en 1917-1918, ne changeront cette caractéristique ; la France profite en effet, grâce à cette base paysanne et son Empire colonial, d’un relatif isolement du capitalisme mondial, lui permettant à la fois autonomie et stabilité.

Mais la progression inexorable de l’accumulation capitaliste, ainsi que les défis mondiaux des années 1930 – la marche à la guerre avec sa nécessaire militarisation, la rationalisation capitaliste devenant prégnante – obligèrent cette paysannerie à devenir une couche sociale également particulièrement agitée.

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Henri Dorgères et les chemises vertes

La nature du groupe Barbé-Celor et son impact sur le PCF bolchevisé

Le problème de fond du Parti Communiste, c’est sa prise de contrôle par un groupe secret s’imaginant œuvrer pour son bien. On trouve à sa tête :

– Henri Barbé, grande figure des Jeunesses Communistes de la région parisienne, activiste ayant dans la seconde partie des années 1930 récolté 18 années de prison et 100 000 francs d’amende et y échappant en devenant parlementaire puis en fuyant en URSS où il travaille au sein de l’Internationale Communiste ;

– Pierre Celor, cadre communiste très engagé contre le colonialisme puis un haut responsable des Jeunesses Communistes, devenant ensuite un des principaux dirigeants devant agir dans l’illégalité en raison de la répression.

Henri Barbé et Pierre Celor étaient de purs produits du mouvement communiste français naissant ; nés tous les deux en 1902, ils représentent une nouvelle génération façonnée par l’ultra-activisme.

Ils sont les dirigeants de fait du Parti Communiste aux côtés de Benoît Frachon (né en 1893) et de Maurice Thorez (né en 1900), ces deux derniers étant absents de la mi-1929 à la mi-1930 en raison de leur emprisonnement.

Henri Barbé et Pierre Celor pensent avoir la ligne juste et prennent toutes les décisions par en haut, établissant un appareil parallèle pour contourner les liaisons habituelles. Cela asphyxiait littéralement la vie intérieure du Parti Communiste qui devient à la fois insupportable et morte.

L’Internationale Communiste s’aperçut en 1930 qu’il y avait un véritable problème et chercha des explications ; il y eut alors une autocritique de la direction, Maurice Thorez apparaissant comme le plus en pointe à ce niveau.

Il formula cela de manière très juste dans une réunion au Comité Central de juillet 1930 :

« On doit lutter contre toutes les méthodes mécaniques et sans affaiblir la lutte contre les déviations opportunistes, réaliser une plus grande démocratie intérieure.

Dans le Parti, chaque ouvrier doit se sentir la possibilité d’émettre son opinion sans qu’immédiatement il soit traité d’opportuniste ou de social-démocrate.

Nous, Comité Central, nous devons dire cela au Parti. »

En juillet 1931, l’Internationale Communiste revint à la charge en ayant cette fois compris l’existence du groupe Barbé-Celor, qui est alors liquidé par le Parti Communiste.

Pierre Celor fut ensuite exclu en 1932, Henri Barbé en 1934 (tous deux deviendront par la suite des catholiques intégristes, fanatiques anticommunistes, Henri Barbé devenant même un activiste de la Collaboration).

Entre-temps, c’est Maurice Thorez qui redressa la barre, se faisant connaître comme le dirigeant du Parti au moyen d’une vaste campagne de rectification menée à travers différents articles dans l’Humanité publiés entre août et septembre 1931 par Maurice Thorez : « Pas de mannequins » le 14 août, « Que les bouches s’ouvrent » le 21 août, « Enfin on va discuter » le 1er septembre, « Jetons la pagaïe » le 23 septembre, alors que s’ouvre une nouvelle rubrique dans l’Humanité : « Sous les feux de la critique ».

Voici comment, le 28 octobre 1931, il caractérisa dans l’Humanité le problème que posait le groupe Barbé-Celor avec l’article « Pour un bon travail de masse – Caractéristiques politiques d’un groupe ‘‘sans principes’’ » :

« De tous les maux dont a souffert le Parti, dans ces dernières années, le moindre ne fut pas le développement dangereux d’un certain « esprit de groupe », – reflet des tendances sectaires ou réaction erronée devant les difficultés, – qui conduisit à un rétrécissement anormal des directions à tous les échelons.

Le Comité Central, dans sa session de mai, signala le danger au Parti. Il exigea formellement la liquidation de l’esprit de groupe et des tendances aux groupes plus ou moins formellement constitués.

En juillet, le Comité Central a constaté, malgré sa résolution de mai, non plus seulement le développement de l’esprit de groupe, mais bien l’existence d’un groupe fermé dont les membres, soumis à la discipline de groupe, se réunissaient en dehors des organismes réguliers du Parti, pour se concerter et déterminer leur attitude commune dans tous les problèmes de la politique du Parti.

Le Comité Central, avec juste raison, considère le groupe comme une des causes essentielles de la régression temporaire de notre mouvement.

L’activité de groupe, en tout temps néfaste au Parti, a été dans la dernière période une lutte sans principes contre les directives pressantes de l’Internationale et contre les justes résolutions du Comité Central sur le tournant.

On doit dire « groupe sans principes » parce que les membres du groupe n’ont jamais formulé ouvertement des opinions nettement opposées aux résolutions du Parti et de l’Internationale Communiste.

Au contraire, ils ont prononcé de nombreux discours les approuvant. Ils ont ainsi trompé le Parti et l’Internationale Communiste en taisant leurs divergences.

Car le groupe, sans plate-forme définie, n’en exprime pas moins un système de conceptions erronées, – que d’autres camarades du Parti partagent ou ont partagées, ce qui les fit agir sous l’impulsion du groupe, – et qu’il convient d’analyser et de réfuter.

L’idéologie de groupe, en général, c’est la méfiance érigée en principe envers les forces de la classe ouvrière et du Parti, c’est l’étroitesse politique qui produit le sectarisme.

Les membres du groupe condamné par le Comité Central nourrissaient en outre leur sectarisme de considérations sur le rôle de la jeunesse.

Ayant tous appartenu à la jeunesse communiste ils « se considéraient comme ayant le monopole de la ligne politique juste. C’était le reflet du manque de confiance dans TOUT le Parti ».

Leur « méfiance sans base politique » s’étendait uniformément à tous les membres du Parti et des directions, avant tout aux militants des syndicats.

Il est clair que se manifeste ici une grave déviation. C’est plus que « l’avant-gardisme », cette erreur de caractère gauchiste qui se croient plus révolutionnaires que leurs frères aînés, membres du Parti.

La déviation du groupe s’apparente plutôt à la conception autrefois développée par Trotsky, pour qui « la jeunesse était le baromètre du Parti ».

Le Comité Central, tout le Parti bolchévik, et aussi la jeunesse communiste de l’Union Soviétique, condamnèrent vigoureusement cette opinion de Trotsky. De même fut condamnée l’erreur analogue de Chatzskine et autres en 1928-1929 (…).

Le groupe se considérait comme prédestinée », et, dès lors, tout son objectif consistait à préparer ou assurer l’exercice de cette prérogative d’un nouveau genre. Une telle suffisance est de nature petite-bourgeoise et n’a rien de communiste.

Cette première déviation des membres du groupe fait comprendre leur activité hostile à l’égard de tous les camarades de la direction qui n’étaient pas du groupe. Elle explique la pratique de désagrégation. »

Le Parti Communiste s’est ainsi bien élancé grâce à la bolchevisation réalisée en 1927-1928, sous l’impulsion de l’Internationale Communiste. Mais le processus a été mal calibré et a produit une ligne opportuniste le gauche, le groupe Barbé-Celor menant le Parti dans le mur en étouffant la vie intérieure, en détruisant les dynamiques idéologiques et en prolongeant un style à la fois syndicaliste révolutionnaire et sectaire.

En 1931, c’est la rectification et c’est Maurice Thorez qui la mène, alors que de nouveaux défis vont s’imposer très rapidement avec la montée du fascisme en France et qui vont révéler que c’est une ligne opportuniste de droite qui succède à celle de gauche.

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Le PCF bolchevisé et son nombre statique

La ligne des « barricades » reflète d’autant plus un volontarisme suiviste que, entre-temps et parallèlement, le Parti Communiste n’arrive pas à mobiliser à partir de lui-même, ni pour le premier mai, ni pour célébrer la Commune de Paris au mur des fédérés, ni pour l’initiative anti-guerre du premier août, alors que ce sont les dates clefs pour lesquelles une grande énergie est investie.

Le premier mai 1930, l’Humanité est ainsi saisie, même si 80 000 exemplaires sont tout de même diffusés, les rassemblements ne dépassent pas l’influence immédiate du Parti, tout comme le 25 mai 1930 pour la Commune au mur des fédérés, avec plusieurs dizaines de milliers subissant une attaque de la police.

Craignant encore un manque de succès, le Comité Central du Parti Communiste produisit alors juste avant le premier août 1930 un document réalisé avec l’Internationale Communiste lançant un grand avertissement.

Hors de question de continuer à accepter une démarche rentre-dedans dans le style français, cette fois il faut œuvrer de manière multiple et constructive. Il est ainsi dit :

« L’Internationale et le Parti communiste ont attiré justement l’attention des masses travailleuses sur l’aggravation du danger de guerre : guerre entre les États impérialistes en proie aux difficultés économiques, guerre surtout du monde capitaliste contre l’État soviétique où se réalise le socialisme.

L’Internationale Communiste et le Parti considèrent comme une tâche constante et primordiale, plus que jamais actuelle, la lutte effective contre le danger de guerre, notamment par l’organisation de puissantes démonstrations prolétariennes à l’usine et dans la rue, et par la préparation méthodique de la grève politique de masse, en liaison avec la défense des revendications partielles des travailleurs.

Le Comité Central sur proposition du bureau politique estime qu’il ne convient pas de maintenir, pour le 1er Août 1930, le mot d’ordre de « grève politique de masse ». La « GRÈVE POLITIQUE DE MASSE » n’est pas un jeu auquel on se livre PÉRIODIQUEMENT et pour une journée (…).

La réalisation de la « GRÈVE POLITIQUE DE MASSE » exige un effort considérable du Parti pour le RASSEMBLEMENT ET L’ORGANISATION PRÉALABLES des prolétaires en parant des revendications les plus minimes de la classe ouvrière (augmentation de salaires, assurances sociales réelles aux frais des exploiteurs et de l’État et gérées seulement par les ouvriers, journée de sept heures, etc.), pour aboutir à la lutte pour les objectifs politiques et fondamentaux du prolétariat.

Or, la journée du 1er Août 1929, première grande manifestation révolutionnaire internationale contre la guerre impérialiste et les journées des 6 mars et 1er mai 1930 ont souligné la faiblesse extrême d’organisation des masses et de leur guide, le Parti communiste.

Le 1er Août 1929 a mobilisé les masses dans une journée de grève politique. Le 1er Août 1930 doit connaître d’autres formes de lutte : démonstrations de rues, manifestations à l’intérieur et à la sortie des usines.

Le 1er Août 1930 doit se dérouler sous le signe de l’ORGANISATION DES MASSES, du renforcement du Parti communiste et des organisations révolutionnaires du prolétariat (…), pour la réalisation d’un véritable Front unique groupant les ouvriers communistes et socialistes, [et les syndiqués] unitaires, confédérés et inorganisés, dans les comités de lutte, élus démocratiquement par la masse et n’agissant que sous le contrôle permanent de la masse (…).

Le Comité Central, en indiquant pour le 1er Août d’autres formes de lutte que la grève dans tout le pays, condamne à l’avance les interprétations erronées et dangereuses des adversaires opportunistes et « gauchistes » de la ligne juste du Parti.

Il souligne contre les opportunistes que le retrait, pour le 1er Août, du mot d’ordre de GRÈVE POLITIQUE, ne signifie en aucune façon une atténuation de la lutte contre la guerre impérialiste, dont le danger croît, ainsi qu’en témoignent les événements quotidiens, non plus qu’un abandon de la « grève politique de masses ».

Il souligne contre les « gauchistes » que ce retrait ne signifie pas un recul vers des « formes périmées » de lutte, mais le souci de procéder à un rassemblement et à l’organisation de plus larges masses. »

Ce fut cependant encore un échec, relatif puisqu’il y avait plusieurs dizaines de milliers de personnes, mais c’est toujours l’environnement direct du Parti, alors qu’il y eut encore des arrestations préventives, comme celles du rédacteur en chef de l’Humanité Florimond Bonte et de son gérant Marcel Mérel-Vevoz, du secrétaire de la Fédération unitaire de l’Alimentation Maurice Simonin, du secrétaire de la Fédération des marins de la CGT Unitaire Auguste Dumay.

Il en alla de même pour le premier mai 1931, où même plus de mille personnes furent arrêtés à la suite d’un meeting au Cirque d’hiver, ou bien encore avec les 40 000 manifestants fin mai 1931 pour le rassemblement traditionnel pour célébrer la Commune de Paris.

Au lendemain du premier août 1931, c’est toujours le même terrible constat très dur qui s’impose : la mobilisation n’a pas dépassé le cadre habituel du Parti.

Et lorsque les Jeunesses Communistes essaient de manifester pour la Journée internationale de la jeunesse le 6 septembre 1931, la répression est immédiate et débouche sur une centaine d’arrestations.

Il y a même, au sens strict, régression ; il y a ainsi 3 300 cellules du Parti en 1927, mais seulement 1 350 en 1931, alors que le nombre de cellules d’entreprises passe lui-même de 900 à 300.

Le Parti Communiste est passé de pratiquement 54 000 membres en 1927 à 38 500 en 1929, puis un peu plus de 30 000 en 1931. L’Humanité a perdu des dizaines de milliers de lecteurs, tombant à 140 000, dont 27 000 à Paris.

C’est que le Parti Communiste a un grand problème et il est interne.

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Le PCF bolchevisé, Parti des barricades

Cet espoir du Parti Communiste de passer en force après le 1er août 1929 était particulièrement volontariste. Le Parti, en 1929, n’a que 358 cellules d’entreprises, qui regroupent seulement 5660 membres dans des usines regroupant un peu moins de 300 000 personnes.

De plus, la répression ne s’arrête pas. En septembre 1929, toutes les salles municipales sont interdites à la CGT Unitaire sur ordre du gouvernement, début octobre c’est le congrès de la Jeunesse Communiste qui ne peut pas obtenir de salle, fin octobre c’est l’Humanité qui se voit ajouter une inculpation : celle de complot contre la sûreté extérieure de l’État.

Ainsi, Marcel Cachin, Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier sont, en tant que directeurs et rédacteurs de l’Humanité, accusés d’espionnage ; Jacques Doriot, André Marty et Jacques Duclos, en tant que membres du Comité Central du Parti Communiste, sont accusés de complot.

Cependant, la position du Parti Communiste reflète également une nouvelle situation, celle d’une poussée révolutionnaire des masses, alors que la France n’échappe plus à la première crise générale du capitalisme à la suite de la crise américaine d’octobre 1929.

Le nombre de grèves en 1930 augmente de plus de 50 % par rapport à 1929 et le niveau de violence s’élève particulièrement.

Un événement marquant est, en juillet 1930, une manifestation au Petit-Quevilly contre la loi sur les assurances sociales se faisant aux dépens des ouvriers. Lorsque les forces de l’ordre bloquent le cortège se dirigeant vers le centre de Rouen, du matériel d’un chantier voisin est récupéré et il s’ensuit un violent affrontement.

Mais le véritable symbole va se produire une année plus tard.

La grève du textile à Roubaix contre la baisse des salaires est portée par 114 000 des 127 000 travailleurs en mai 1931 ; en juin 199 usines sont fermées, 12 le sont partiellement, seulement 9 sont en activité, alors que de véritables barricades sont construites dans le quartier des Longues Haies, prélude à de violentes bagarres de rue avec la police.

Ces barricades sont, pour le Parti Communiste, le symbole même de sa ligne appelant à des actions exemplaires de masse appelées à devenir toujours plus puissantes et à se développer comme insurrection urbaine.

C’est que, très bien structurées, ces barricades disposaient même de fils de fer tendus sur leur devant pour empêcher le passage de la police à cheval, alors que le repli était parfaitement assuré et prévu.

Le Parti Communiste publie dans ce cadre une brochure élogieuse sur cet épisode des barricades, avec une préface de Maurice Thorez, lui-même expliquant, en juin 1931, dans son article « La leçon des barricades » en Une de l’Humanité, que :

« Les barricades de la rue des Longues-Haies ont suscité un vif élan d’enthousiasme dans la classe ouvrière.

Le vieux sang révolutionnaire bouillonne de nouveau dans les veines des prolétaires du pays. Dimanche, dans les rues de Lille et sous le dôme historique, témoin des controverses passionnées [dites sur « les deux méthodes »] entre ces deux grands artisans de notre mouvement ouvrier que furent Guesde et Jaurès [en novembre 1900 à l’hippodrome de Lille], la foule immense des travailleurs exprimait, bien, par ses. cris et ses chants, le sentiment populaire d’admiration pour les glorieux combattants de Roubaix.

Ce n’est pas chez les prolétaires que l’on trouverait ces canailles – flétries jadis par Guesde [qui a rejoint l’Union sacrée en 1914 et est resté SFIO en 1920] – qui insultent les « émeutiers ».

Les petits bourgeois du [quotidien de la SFIO] Populaire, plus lâches encore que leurs maîtres capitalistes, peuvent tenter de discréditer les ouvriers de leur propre parti qui se sont battus, coude à coude avec les nôtres, contre l’odieuse garde mobile, instrument de la dictature bourgeoise !

La classe ouvrière ne se laisse pas abuser. Elle est, sans réserves, solidaire des courageux lutteurs des barricades.

Notre tâche de communistes est dégager rapidement la signification et les enseignements des barricades de Roubaix afin que les travailleurs n’entretiennent pas seulement la leçon d’héroïsme, mais qu’ils en comprennent la ̃portée historique et qu’ils puisent, dans cet épisode de la lutte des classes, la certitude des combats révolutionnaires à venir et de la victoire prolétarienne qui les couronnera si nous savons les préparer.

Les barricades de Roubaix ont fait plus pour détruire les illusions dans la démocratie mensongère de la bourgeoisie et dans la mystique réformiste de la « paix sociale », que des dizaines d’articles ou de discours communistes.

Que le premier grand combat de rue se soit déroulé Roubaix, où prédomine encore l’influence social-démocrate, c’est l’indication la plus sûre d’un profond mouvement de radicalisation des masses ouvrières, dont les luttes, atteignent déjà aux formes les plus élevées !

Les barricades de Roubaix, alors que les prolétaires d’Allemagne en dressaient dans leurs grandes villes, montrent aussi l’approfondissement et la généralisation de la crise qui ébranle le monde capitaliste.

Elles confirment la poussée révolutionnaire mondiale. Elles ont une valeur internationale.

Les barricadés ont été pour les ouvriers de Roubaix le seul moyen de garder la rue qu’on voulait leur enlever. Elles ont été le moyen de conserver le pain qu’on veut leur ôter de la bouche.

La démonstration est ainsi faite aux prolétaires attentifs que, dans l’étape actuelle de la lutte des classes, la simple défense du salaire prend rapidement les aspects d’une grande bataille politique.

La grève du Nord met en jeu, avec les intérêts opposés des ouvriers et des patrons, tout le plan de misère, de répression et de guerre de la bourgeoisie impérialiste, dont le patronat du Nord est une fraction importante.

La grève du Nord voit s’exercer, contre les prolétaires sortis des usines, la politique du capital représenté par ses ministres, ses procureurs, ses juges, ses gardes mobiles et servi par ses laquais les chefs social-fascistes. Les manœuvres hypocrites d’arbitrage se combinent avec la répression et la terreur policière.

Et cependant, voilà que le prolétariat fait reculer la garde mobile, troupes de choc chère à MM. les socialistes qui en ont prévu la création et l’emploi dans les grèves (projet Renaudel sur la réorganisation militaire).

Déjà les mineurs, à Henin-Liétard, Sin-le-Noble, Lens et dans vingt autres cités, avaient magnifiquement répondu aux charges des « cosaques ».

Déjà, pour la première fois depuis longtemps, les ouvriers parisiens, malgré les 35 000 flics de Laval, avaient manifesté dans Paris le 1er mai dernier.

Maintenant, les ouvriers de Roubaix apportent à leur tour la preuve que l’on peut résister victorieusement à l’attaque et à la provocation policières.

La bourgeoisie aux abois avait espéré que la puissance de son formidable appareil militaire et policier suffirait à briser la moindre grève pour le pain et à entraver les progrès du mouvement révolutionnaire.

Elle comptait aussi sur le poison réformiste et démocratique distillé savamment depuis des décades dans les masses prolétariennes.

L’exemple de Roubaix montre que MM. les bourgeois et les chefs social-fascistes déchanteront.

A quelques semaines du 1er août, qui verra de puissantes démonstrations prolétariennes contre la guerre impérialiste et pour la paix, et alors qu’il faut rassembler les forces pour l’aide rapide aux grévistes du Nord, tous les travailleurs feront bien de méditer sur les enseignements des barricades de Roubaix.

Ils se convaincront de la possibilité de manifester, envers et contre tout, pour les revendications ouvrières. Et ils feront un grand pas dans la voie qui mène, à travers les combats, au renversement de la Dictature bourgeoise et à l’instauration delà dictature du prolétariat. »

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Le PCF bolchevisé et le 1er août

La très violente répression contre le Parti Communiste à la mi-juillet, dans la foulée du sixième congrès tenu en mars, n’a pas empêché le début d’une nouvelle séquence, celle du premier août. C’est en effet une journée internationale contre la guerre considérée comme de haute importance pour l’Internationale Communiste.

En ce sens, en amont du 1er août 1929, le Parti Communiste avait depuis de très nombreuses semaines appelé à une mobilisation anti-guerre pour cette date, y associant toujours plus un appel à la bataille contre la répression.

Ce fut cependant un échec quasi complet. La police saisit l’Humanité et occupa l’imprimerie, tout en arrêtant des centaines de personnes. Il y avait bien l’idée de sortir en catastrophe un nouveau journal, L’Internationale, mais celui-ci fut immédiatement interdit également.

Il y eut bien des manifestations un peu partout dans le pays, mais la répression policière fut omniprésente, avec Paris en état de siège.

En toute bonne logique, il aurait fallu avoir conscience de la faiblesse historique du moment, mais une telle considération était hors d’atteinte pour des communistes fondamentalement liés à la tradition syndicaliste révolutionnaire française.

Le Parti Communiste se précipita donc d’autant plus dans l’agitation permanente, prônant la grève politique de masse. Maurice Thorez fait même du 1er août 1929 le modèle embryonnaire de ce qui doit se développer, considérant que :

« Le 1er août, le prolétariat, à l’appel de l’Internationale communiste, se proposait de manifester contre la guerre impérialiste et pour la défense de l’U.R.S.S. La liaison établie avec les revendications immédiates ne soulignait que plus fortement le caractère profondément politique du mot d’ordre principal et de celui qui le suivait immédiatement : lutte contre la social-démocratie.

Les formes de la manifestation du 1er août ont été multiples. La plus efficace a été la grève.

Des centaines de milliers de prolétaires ont réalisé le 1er août une importante grève politique de masse. Le chômage a été presque total pour les mineurs ; le bâtiment, les métallurgistes, les ouvriers du textile ont fourni de gros bataillons de grévistes. Les ouvriers des services publics, en nombre encore restreint il est vrai, ont aussi participé à la grève politique.

Souvent loin de se croiser les bras et de rester tranquillement chez eux, les grévistes ont manifesté dans les rues et ont soutenu de violents combats contre les forces policières. Les manifestations commencèrent même dans les usines, et la lutte contre la police en uniforme fut menée à l’intérieur des entreprises.

Chez Citroën ce fut dans la journée une succession d’actions partielles qui aboutirent à la grève sur le tas et au chômage de milliers d’ouvriers, et ce malgré la terreur policière et le mouchardage « rationalisé ».

Il se produisit des cas de fraternisation entre grévistes et soldats, notamment à Troyes, Sète et Anzin.

Ce qui donne toute leur signification à la grève politique du 1er août et aux autres moyens de lutte révolutionnaires qui l’accompagnèrent, c’est leur application dans les conditions d’un régime d’exception, qui démontre un effort formidable de la bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire, mais qui souligne aussi le passage à un degré plus élevé de l’action de masse contre l’impérialisme.

La grève politique du 1er août s’est réalisée contre la coalition gouvernementale, patronale et social-démocrate.

Le gouvernement bourgeois a mobilisé pour la première fois à l’échelle nationale ses nouvelles formations de guerre civile ; il a fait procéder à une occupation militaire ostensible des centres industriels.

La presse bourgeoise a donné à fond contre le communisme et la « Journée rouge ».

Mais c’est la social-démocratie qui a fourni les arguments idéologiques contre le « putsch » communiste, qui a dénoncé la « violence » communiste et qui a engagé, parallèlement au complot gouvernemental, une abominable campagne de calomnies et de ragots policiers contre le Parti communiste et ses militants.

La grève politique a permis de démasquer les opportunistes du Parti et leurs amis de la C.G.T.U.

Les dirigeants de certains syndicats unitaires, sous l’inspiration des Monatte et Cie, sont allés jusqu’au sabotage direct de la « grève communiste », tandis que dans le Parti les éléments « légalistes » et passifs se sont découverts et ont suscité contre eux l’indignation des éléments combatifs du Parti et des sympathisants qui participèrent ardemment à l’action du 1er août.

Une constatation de prix, c’est la nécessité pour le succès de la grève politique de savoir bien relier les revendications les plus minimes aux mots d’ordre principaux.

Partout où cette liaison a été opérée de façon satisfaisante la grève fut presque totale (par exemple chez les mineurs).

Ainsi il apparaît que, bien loin de conduire à la méconnaissance et à la sous-estimation des revendications partielles, la grève politique de masse exige leur parfaite élaboration et vulgarisation et une grande aptitude à les rattacher aux objectifs plus généraux du prolétariat.

Le 1er août a montré l’influence grandissante du Parti communiste, la reconnaissance dans la bataille de son rôle dirigeant, c’est-à-dire, par conséquent, la maturité politique déjà grande de larges couches de la classe ouvrière. Sous l’influence des facteurs objectifs et subjectifs, un nombre considérable de prolétaires se sont assimilé « pratiquement » la « grève politique de masse ».

Enfin l’action du 1er août a mis en relief la valeur de la grève politique de masse combinée avec d’autres formes de lutte, en premier lieu la manifestation d’usine et de rue.

On a vu comment l’usine était vraiment la base d’opérations du prolétariat révolutionnaire, le pivot de son action, comment il partait de là pour opposer un front solide aux attaques policières et réussir à tenir la rue.

Mais on a vu aussi l’importance des problèmes d’organisation. L’initiative des masses s’est manifestée avec une étonnante variété ; elle s’est surtout déployée là où l’organisation en avait créé les prémisses, elle n’a pu nulle part suppléer totalement à l’absence d’organisation.

Deux questions principales sont posées à ce sujet :

1° le rassemblement des ouvriers de l’entreprise dans une large organisation qui prépare activement la grève et en assure la réussite ; c’était le rôle dévolu aux comités du 1er août, dont bien peu furent effectivement constitués ;

2° la constitution, avec l’aide de comités de lutte, de groupes de défense ouvrière pour l’organisation du débauchage, la protection des cortèges ouvriers, et la lutte contre la police. »

Naturellement, la répression se prolongea ; à la mi-août c’est la Banque Ouvrière et Paysanne qui fut la cible d’un raid, alors que depuis des semaines il y avait l’objectif de la faire s’effondrer et de couler l’Humanité par la même occasion.

Cela provoqua des frictions entre la direction du Parti et la direction de l’Humanité, celle-ci mettant en avant le quotidien comme « historique » depuis Jean Jaurès et valorisant particulièrement la Banque Ouvrière et Paysanne, alors que la direction souhaitait bien sûr que ce soit en tant qu’organe du Parti que l’Humanité soit valorisée et présentée comme une cible de la bourgeoisie.

En ce sens, il y a un tournant avec le 1er août 1929 : le Parti Communiste entend passer en force.

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Le PCF bolchevisé et son sixième congrès

La très violente répression générale contre le Parti Communiste à la mi-1929 se produisit alors qu’il venait de tenir son sixième congrès, qui établissait le triomphe de la bolchevisation dans les faits, le précédent congrès ayant eu lieu en 1926.

Le contexte de sa tenue était évidemment explosif dans le cadre de la montée en puissance de la répression.

Le 18 mars 1929, le Parti décidait de tenir un meeting à Issy-les-Moulineaux, une ville de la banlieue parisienne qui comme la banlieue ouest en général est alors largement ouvrière, avec des usines de métallurgie, d’aviation, d’appareillage électrique, de chimie. Le maire socialiste Justin Oudin, qui était un renégat du Parti, refusa de fournir la seule salle adéquate à la mairie, puis appela même les forces de l’ordre qui vinrent à 1500, tant en civil qu’en voitures et à cheval.

Le 24 mars, la police arrêta les 120 congressistes présents à Clichy pour la conférence du Parti pour la région parisienne, huit furent jetés en prison après avoir été sévèrement tabassés. Lorsque la mairie de Clichy raconta la répression sur des affiches municipales, la police arrêta les colleurs et lacéra les affiches ; cinq meetings en région parisienne s’ensuivent.

Lorsque le 31 mars, le sixième congrès se tint à Saint-Denis, la ville était comme assiégée par les forces de l’ordre.

Dans cette atmosphère bouillante, alors que se préfigure une terrible répression, le manifeste du congrès dit notamment :

« Composés en énorme majorité de militants de l’usine, formés au cours de la lutte quotidienne et acharnés contre le patronat, l’État bourgeois et la trahison socialiste, sans cesse frappés par la répression patronale et gouvernementale, les membres du Congrès représentent l’avant-garde authentique de la classe ouvrière exploitée par le capitalisme français.

Aussi, loin des préoccupations parlementaires sordides auxquelles se complaisent les politiciens bourgeois ou « socialistes » de tous les autres partis, le 6e Congrès du Parti communiste français a étudié et déterminé les moyens et la tactique de la lutte à mener en FRANCE dans la période actuelle ; lutte dont l’aboutissement historique est : L’INSTAURATION DU COMMUNISME MONDIAL PAR LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT (…).

Cette lutte gigantesque se déroule dans une période où le monde entier vit SOUS LA MENACE D’UNE NOUVELLE GUERRE IMPÉRIALISTE PROCHAINE (…).

Les magnats français de l’industrie lourde et de la finance qui détiennent le pouvoir véritable du pays examinent en ce moment les bilans de leurs banques, supputent les profits colossaux de leurs ventes et de l’exportation de leurs capitaux et rêvent de la conquête des nouveaux marchés encore plus fructueux.

Mais lancés dans une concurrence effrénée, ils se heurtent partout aux impérialismes rivaux, en première ligne desquels s’impose l’insatiable et colossal impérialisme américain.

Parcourant le monde à la recherche de débouchés sans lesquels c’est la décadence et la faillite, ils se heurtent pleins de haine et de rage à l’Union des Républiques socialistes soviétiques, à la Chine et aux Indes, énormes continents où fermentent de gigantesques luttes révolutionnaires.

Dans leur fièvre de profits, dans l’impérieuse nécessité d’assurer leur suprématie, ils mettent tout en œuvre pour pouvoir résoudre ces conflits non plus seulement par des moyens économiques, mais par la force, PAR LA GUERRE.

C’est pourquoi, par instant, sous l’épais manteau de la diplomatie secrète, apparaît partiellement, à la lueur des scandales, TOUTE LA TRAME DE LEUR PRÉPARATION INTENSE DE LEUR GUERRE (…).

Inquiet du développement du Parti communiste dont l’influence va croissant dans les entreprises, dans l’armée et la marine et qui entraîne des masses de plus en plus nombreuses à l’action, IL [l’État impérialiste] VEUT LE METTRE HORS LA LOI (…).

A partir de la guerre du Maroc, le rôle du parti socialiste change et se précise. D’instrument de défense de la bourgeoisie, il devient l’instrument de L’ATTAQUE CAPITALISTE CONTRE LA CLASSE OUVRIÈRE (…).

Des usines doivent partir les colonnes ouvrières compactes et disciplinées. A travers la lutte pour les revendications immédiates, elles briseront la paix industrielle qui prépare la guerre.

En liaison avec elles, les manifestations de soldats et de réservistes qui ont fait retentir l’Internationale dans les camps et hisser le drapeau rouge sur les casernes, le mouvement d’organisation et de défense des paysans contre le capitalisme et l’État, le mouvement profond des masses opprimées d’Alsace-Lorraine, les insurrections héroïques qui surgissent dans les colonies « françaises » donnent à tout ce mouvement son véritable caractère politique de lutte grandiose contre l’impérialisme français (…).

Ouvriers, paysans, soldats, esclaves des colonies !

Le Parti communiste vous appelle à l’unification de votre lutte commune contre l’impérialisme et ses laquais socialistes.

Face au front unique que la bourgeoise et la social-démocratie ont réalisé pour la guerre impérialiste et pour l’étouffement de la révolution prolétarienne, le Parti communiste vous appelle au front unique de tous les exploités et opprimés : CLASSE CONTRE CLASSE ! »

Le 6e congrès fait surtout preuve d’autocritique, d’une grande portée parce qu’elle implique de se mettre à la hauteur des enjeux, de disposer enfin d’une grille d’analyses. Le rapport au congrès dit ainsi :

« N’ayant pas justement apprécié dans son constant développement la politique suivie par la grande bourgeoisie pour obtenir la constitution d un gouvernement fort, capable d’appliquer sa politique de stabilisation et do rationalisation par une sur-exploitation des masses ouvrières et paysannes dans la métropole et des colonies, la Direction du Parti ne comprit pas immédiatement la signification de la venue de l’Union Nationale au pouvoir avec Poincaré et n’informa pas le Parti.

Elle ne vit pas tout de suite que ce gouvernement signifiait le rassemblement de la quasi-totalité de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie, avec l’appui du Parti socialiste, pour la réalisation d’une politique commune, dont la base allait être le plan des experts. »

Et effectivement, cela permettait également l’offensive contre le Parti dans la foulée du congrès.

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Le PCF bolchevisé acculé mais résistant

Les très bons résultats communistes aux élections de 1928 sont une défaite pour la SFIO ; celle-ci a pratiquement 1,7 millions de voix, mais le Parti Communiste un peu plus d’un million de voix et il apparaît ainsi comme tout sauf marginalisé.

De plus, c’est la droite qui l’emporte et parvient à une alliance avec le centre, ce qui ruine la prétention « réaliste » de la SFIO à une majorité d’union avec les centristes et l’amène à accuser les communistes de faire le « jeu de la réaction ».

Il est toutefois un point positif pour elle, c’est que sa base n’a pas du tout été ébranlé. Il n’y a pas eu de mouvement de la base pour l’unité, à part à Forcalquier dans les Basses-Alpes, car le SFIO Charles Baron a accepté une base d’unité dès le départ, mais en même temps il avait rejoint le Parti Communiste en 1920 pour s’en faire exclure en 1924 pour appartenance à la franc-maçonnerie.

Une autre exception est que le Parti Communiste ne s’était pas maintenu au second tour à Avesnes dans le Pas-de-Calais où un candidat était ouvertement celui de la haute bourgeoisie.

La SFIO – qui est un parti avec une présence importante d’instituteurs et de fonctionnaires en général, ainsi que de professions libérales – se mit par conséquent à renforcer sa dénonciation systématique des communistes, ce qui se lit à son congrès à la fin du mois de mai 1928, où la motion qui triomphe parle du « bolchevisme qui démoralise et dégrade la classe ouvrière ».

En réponse, le Parti Communiste tire régulièrement à boulets rouges sur les « social-fascistes ». Il va devoir cependant faire face à un gouvernement de droite qui sait que la SFIO ne fera rien en sa faveur.

La pression monte immédiatement, comme au début août 1928, avec à la suite d’un meeting parisien de 10 000 personnes, l’interdiction le lendemain d’un meeting anti-guerre à Ivry et l’arrestation de pratiquement 1400 personnes.

Elle ne va pas cesser de grimper, jusqu’à la mi-1929. Le premier mai 1929 est ainsi marqué par plus de 300 arrestations préventives.

Cependant il y a des manifestations à Paris et en région parisienne (Argenteuil, Bezons, Gennevilliers, Puteaux, Vitry, Saint-Germain, Aulnay, Levallois, Villejuif, Villeparisis…), Lille, Valenciennes, Dunkerque, Rouen, La Rochelle, Chalons sur Saône… ainsi que dans plusieurs villes où l’interdiction de manifester fut bravé : à Douai, Saint-Quentin, Reims, Dijon, Saint-Étienne, Lyon, Bordeaux…

Ainsi qu’à Lens où les barrages des forces de l’ordre furent forcés, mais que la répression s’abattit tout de même en raison de la pression du maire socialiste Alfred Maës (dans la foulée la ville sera en état de siège pour l’interdiction d’un meeting du Secours Rouge le 3 mai).

Pratiquement 4 000 personnes auront été arrêtés par la police pendant cette courte séquence.

Aux élections municipales de mai 1929, le Parti Communiste maintient ses positions et élargit un peu son champ électoral. Les communistes disposent alors de 115 conseils municipaux contre 70 auparavant, dont 26 (contre 21 auparavant) dans les villes de plus de 5 000 habitants, ainsi que des minorités dans 139 (contre 55 auparavant).

Mais le 26 mai lorsque des dizaines de milliers de personnes viennent au cimetière parisien du Père-Lachaise célébrer la Commune, il y a de très violents accrochages avec la police qui multiplie agressions et provocations.

Le 17 juillet 1929 a lieu la perquisition de l’Humanité et du siège du PCF, avec des arrestations ; quatre jours plus tard, le 21 juillet, 96 communistes sont arrêtés à Villeneuve-Saint-Georges et accusés de complot contre la sûreté de l’État.

Le 21 juillet la police tente le coup de force à Clichy et Villeneuve-Saint-Georges, procédant à une centaine d’arrestations, alors que des perquisitions ont encore lieu chez des cadres et dans des locaux parisiens (siège de l’Humanité, du Parti au niveau national et celui pour la région, les syndicats unitaires…) de par la suite, que le gérant de l’Humanité est condamné à quinze ans de prison…

L’Humanité a été perquisitionné trois fois en huit jours.

Et, à la fin juillet 1929, ont été arrêtés pas moins que Maurice Thorez et Benoît Frachon (soit la moitié de la direction), le gérant de l’Humanité Gérard Daquin de Saint-Preux, le secrétaire de rédaction de l’Humanité Pierre Forestier, le secrétaire des travailleurs des chemins de fer de la CGT Unitaire Lucien Midol, le secrétaire de la Fédération postale de la CGT Unitaire Henri Gourdeaux, l’un des responsables de la région parisienne et membre du Comité Central Marcel Maizières, l’important cadre Édouard Dudilieux, etc.

L’Avant-Garde, le journal des Jeunesses Communistes, est également saisi, alors que dans la foulée, pour la journée internationale contre la guerre le 1er août le Parti Communiste échoue totalement dans sa mobilisation et seulement 8 000 ouvriers font grève et manifestent, l’Humanité étant saisie.

Cet échec est du à une répression sévère ; alors que la grève a commencé à 11 heures (afin que celle-ci soit vraiment « d’entreprise »), l’État mène des arrestations préventives, lance la police, les gardes mobiles, l’armée. Les affrontements sont nombreux : à l’usine parisienne de Citroën, à Alais, Bezons, Waziers-Douai, Rouen, Nîmes, Troyes, Romilly, Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, Sète, Audincourt, Anzin…

Suivront en septembre les arrestations du secrétaire de la CGT Unitaire Gaston Monmousseau et de Paul Vaillant-Couturier ; toutes les manifestations communistes sont interdites. 1 127 communistes ont été condamnés, pour 260 années de prison au total, avec plus d’un million de francs à payer.

Cela provoqua une vague capitularde avec des gens fondant un « Parti ouvrier-paysan », avec comme noyau dur les « six » (Louis Sellier, Jean Garchery, Charles Joly, Louis Castellaz, Camille Renault, Louis Gélis) ; cet éphémère nouveau parti s’alliera au « parti socialiste-communiste » pour fonder le « parti d’unité prolétarienne », qui lui-même rejoindra la SFIO en juin 1937.

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Le PCF bolchevisé, borné mais exemplaire de combativité

La ligne « classe contre classe » est à la fois le prolongement et le dépassement du Parti Communiste des années 1920. En effet, d’un côté, il s’agit de se positionner comme faction bolchevique de la classe ouvrière, d’exiger un conflit de classe ouvert et d’attirer à soi les ouvriers dans le cadre de ce conflit.

De l’autre, la dimension bolchevique est relativisée par un style « minorité agissante » typique du syndicalisme révolutionnaire français. Cela se lit de deux manières. Tout d’abord, dans la forme, l’Humanité utilisant pendant toute cette période l’expression syndicaliste révolutionnaire « action directe », ce qui est littéralement aberrant.

Dans le contenu ensuite, puisque le Parti Communiste et la CGT Unitaire marchent en tandem, l’un étant l’autre dans les faits et vice et versa. Être un bon communiste est alors ni plus ni moins qu’être un bon syndicaliste, si l’on omet l’appareil du Parti, la Jeunesse Communiste et l’Humanité.

C’est là une contradiction entre bolchevisme et syndicalisme révolutionnaire et cela va littéralement pencher du second côté, dès le départ avec un sectarisme affiché et à la fin avec la révélation de l’existence d’une direction cachée en 1931.

Le sectarisme est la marque du Parti Communiste « classe contre classe » et c’est d’ailleurs la même chose en Allemagne, où l’Internationale Communiste bataille de manière ininterrompue contre ce défaut rédhibitoire.

En France, pays de moindre importance et de moindre envergure dans la vague révolutionnaire mondiale, bien plus arriérée politiquement et idéologiquement, le Parti Communiste a une marge de manœuvre plus grande ; ce n’est pas avant 1930 que l’Internationale Communiste viendra mettre le holà.

Au début 1928, le Parti Communiste peut donc assumer une ligne particulièrement romantique où il se présente comme résolument seul, persécuté par le « bloc de toute la bourgeoisie » et en proie à l’hostilité du « socialisme failli ».

Et comme le congrès de décembre 1927 de la SFIO a rejeté la proposition (par ailleurs purement symbolique) d’un « Bloc ouvrier et paysan » – Léon Blum précisant qu’il ne ferait même pas aux communistes l’honneur d’une réponse-, la ligne « classe contre classe » peut d’autant plus prendre un tournant sectaire.

En théorie, il s’agit de mettre en valeur un Front ouvrier dans les luttes menées, d’attirer tous les ouvriers. En pratique, le Parti Communiste va se précipiter par l’intermédiaire de la CGT Unitaire dans une ligne combative substitutiste.

De touts façons, dans les faits, le Parti Communiste n’a pas de réel programme, à part un système de valeurs consistant à se référer à l’expérience soviétique, à ce qui se construit en URSS par le socialisme. L’Humanité y accorde une place essentielle et les brochures s’orientent également de plus en plus en ce sens, la très grande majorité étant consacré à l’URSS, une petite minorité étant au sujet de la France.

Pour le reste, l’Humanité, qui fait six pages et est composé de brefs articles pour la plupart, aborde les luttes ouvrières, la vie politique, les faits divers, parfois la science et le sport. Le quotidien du Parti n’est en fait qu’une caisse de résonance, il n’a pas de ligne éditoriale particulière, il n’est pas porté par une équipe ayant une vision du monde propre à un organe de presse.

Et ce n’est pas le Parti qui peut lui amener, puisqu’il se voit lui-même comme un Parti de combat, ni plus, ni moins.

Si cela a cependant ses limites, cela correspond à une situation française réelle. Lorsque le 21 janvier 1928, le numéro spécial de l’Humanité consacré à la répression est publié, l’État le fait directement saisir de par la menace que cela représente. Cela débouche le lendemain sur une grande manifestation ouvrière en périphérie de Paris, à Levallois-Perret.

En mars 1928, l’appel à la grève dans le bâtiment est un grand succès en régions parisienne, tout comme la manifestation parisienne du 15 avril 1928 pour l’amnistie et pour la défense de l’URSS, qui est marquée par un court très violent affrontement avec une police agressive et ultra-provocatrice.

De plus, cette combativité est alimentée en thèmes par l’Internationale Communiste et au fur et à mesure, les deux thèmes principaux deviennent la guerre impérialiste et la rationalisation.

Le Parti Communiste est ainsi borné, mais combatif et s’inscrit dans le prestige de l’URSS. En ce sens, il n’est qu’une fraction de la classe ouvrière, mais une fraction reconnue et soutenue, à défaut qu’il y ait une participation de masse.

Cela se voit dans les bons résultats aux élections législatives d’avril 1928, où le Parti Communiste présente donc sa liste du Bloc ouvrier et paysan, alors que s’allient les radicaux-socialistes, les républicains socialistes et les socialistes.

Ce Bloc ouvrier et paysan témoigne du progrès communiste dans l’Allier, les Bouches-du-Rhône, le Gard, la Loire, le Nord, le Pas-de-Calais, la Saône-et-Loire, la Haute-Vienne, ainsi que l’Alsace où le Parti Communiste est un fervent partisan de l’autonomie.

Le Bloc ouvrier et paysan obtient ainsi 1 063 943 voix, la SFIO 1 698 084, les républicains socialistes 410 375, les radicaux et les radiaux socialistes 1 655 427.

C’est un très bon résultat communiste, avec ce paradoxe que le Parti Communiste, qui n’a que 52 000 membres au moment des élections, en aura… 38 000 l’année suivante.

Le Parti Communiste est une fraction reconnue et rien d’autre, s’appuyant de manière centrale sur son bastion de la banlieue de la Seine, la fameuse ceinture rouge autour de Paris, avec d’ailleurs 114 000 voix pour les communistes au premier tour, 141 000 au second (sur 370 000).

Il y a d’ailleurs le début de ce qui devient la fête de l’Humanité, avec 50 000 personnes à Garches en juillet 1928.

En ce qui concerne les élections nationales elles-mêmes, elles sont totalement au désavantage du Parti Communiste en raison du vote local et à deux tours. L’absence de proportionnelle fait qu’au lieu qu’il y ait 67 députés communistes, il n’y en aura que 14, dont deux se feront recaler pour « inéligibilité » dans le cadre de la répression anticommuniste.

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