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  • Les contours militaires des prochains conflits impérialistes et la substance de la guerre populaire au 21e siècle

    Si elle n’est pas empêchée, la guerre impérialiste mondiale vers laquelle on tend ne se déclenchera pas de manière directe ; elle va passer par de violents accrochages, dont les contours militaires sont absolument nouveaux. Une importante réflexion est nécessaire à ce sujet.

    Il ne s’agit pas seulement que la technologie a modifié la donne, c’est aussi que le matériau humain lui-même a changé. Les êtres humains sont en effet davantage formés dans l’utilisation de la technologie, des réseaux ; leur attention porte beaucoup plus facilement sur le court terme, aux dépens d’ailleurs d’efforts intellectuels et conceptuels prolongés.

    Les êtres humains ont d’habitude l’avantage de devoir réagir et interagir, d’être placé dans un réseau d’activité. C’est le reflet d’exigences bien plus grandes du capitalisme quant aux réactions humaines dans les activités manuelles et intellectuelles.

    C’est que la grande croissance des forces productives a modifié la donne, dans une situation de stabilité relative qui puise sa source dans la victoire de la superpuissance impérialiste américaine sur la superpuissance social-impérialiste soviétique, d’une part, et l’intégration du social-fascisme chinois dans le marché mondial, d’autre part.

    Les êtres humains du début du 21e siècle seraient de ce fait absolument incapables de supporter les tranchées de la première guerre mondiale avec ses combats rudimentaires ; non seulement les conditions de vie leur sembleraient intenables, mais l’ennui et l’incompréhension de la simplicité des tâches leur seraient insupportables.

    Même la seconde guerre mondiale, avec ses opérations conjuguées à grande échelle, ne correspond plus à des mentalités habituées à combiner, à apporter une certaine initiative, à ajouter quelque chose dans les activités, et cela à court terme.

    Le travail d’aujourd’hui, même élémentaire, exige beaucoup plus d’intensité physique et psychique, de par une division du travail extrêmement approfondi. Les êtres humains sont bien plus insérés dans la production capitaliste qu’avant, même si un certain confort matériel apparaît comme pendant du développement de la consommation.

    Cela modifie nécessairement les contours de la guerre.

    Les états-majors et l’insertion du matériau humain dans la technologie

    Les états-majors ont constaté cette importante modification des êtres humains et le matériau humain pour leurs troupes est désormais sélectionné. L’armée s’est professionnalisée ; elle n’est plus une troupe expérimentée organisant des appelés. C’est là une transformation radicale, parallèle à la spécialisation toujours plus poussée dans la société.

    Les états-majors ont ainsi eu le souci d’intégrer cette spécialisation dans leur propre démarche. Ils ont cependant un souci de taille. Si les mentalités humaines sont désormais portés vers une plus grande rapidité de décision, il faut en même temps que cela corresponde aux vues de l’état-major.

    Pour procéder à une image pittoresque, il suffit de penser à la contradiction dans le football. Les meilleurs entraîneurs sont devenus des experts en tactique de jeu, mais les joueurs sont le plus souvent peu éduqués et qui plus est aux mœurs simplistes ou décadentes. Les joueurs ne sont donc pas en mesure de suivre les entraîneurs, d’appliquer leurs consignes, voire même de les comprendre.

    Les armées ont en un sens le même problème et cherchent à compenser cette contradiction en renforçant à tout prix la dimension « réseau ». Un joueur sur un terrain de football pourra toujours éviter les consignes en se positionnant de manière erronée. Mais les armées peuvent empêcher les soldats d’agir de manière « spontanée » en multipliant les couches de réseaux, c’est-à-dire en récoltant un maximum d’informations et en donnant des ordres en temps réel.

    C’est le sens de la professionnalisation de l’armée, moyen essentiel pour systématiser les réseaux. L’expression consacrée en France pour cela est le « combat en réseau infocentré ».

    Un soldat livré à lui-même agira relativement comme bon lui semble, en fonction de sa formation et de ses impulsions, alors qu’un soldat connecté en permanence, donnant des informations sur sa position en temps réel, recevant des ordres, dépendant des autres et du type de matériel fourni, n’aura pas d’autres choix possibles que celui de suivre à la lettre les décisions venant par en haut.

    Le « combat en réseau infocentré »

    Le « combat en réseau infocentré » suit une logique implacable et c’est même sa nature de se constituer comme un raisonnement logique systématique.

    Chaque élément donne des informations à une centrale, qui fournit en réponse des ordres aux différents éléments afin d’être le plus efficace possible. C’est la reprise de la théorie de la cybernétique : tout mouvement consiste en des données quantitatives, qu’il faut agencer.

    Un tel agencement serait possible de la manière la plus efficace au moyen de scénarios d’évaluation établis au préalable et de calculs rationnels des gains et des pertes. On est dans la logique formelle, avec des données fixées une fois pour toutes, qu’on prévoit avec des scénarios.

    Afin de s’assurer que le scénario prévu triomphe, l’accent est mis sur la dimension technologique, car fournissant les paramètres les plus stables.

    Le « combat en réseau infocentré » et la technologie comme clef

    Le « combat en réseau infocentré » est obligé d’avoir comme aspect principal la technologie et non le matériau humain. Cela tient à sa lecture formelle, qui ne reconnaît pas la dignité du réel, le caractère vivant des processus. Il considère tout comme « mort » et étant donné que le matériau humain est instable, insuffisamment « mort », il cherche à le neutraliser de la manière la plus poussée possible.

    Son objectif concret est de réduire autant que possible ce qui n’est pas automatique. C’est le même raisonnement que le capitalisme mettant des gens au chômage en se procurant des machines pour les remplacer, alors que la richesse vient pourtant de ces gens.

    Le « combat en réseau infocentré » privilégie donc les couches technologiques, qui en se superposant se neutralisent les unes les autres et permet à l’état-major de tout paramétrer. En pratique, cela donne la chose suivante :

    – brouillage électroniques des forces ennemies pour affaiblit leur capacité de réaction ;

    – système satellitaire ultra-précis pour dégager les points à viser ;

    – missiles guidées de haute précision pour atteindre ces points ;

    – envoi de troupes spéciales afin de procurer des informations ou d’attaquer des centres névralgiques ;

    – soutien aérien et pilonnage afin de maintenir une domination en surface ;

    – emploi de blindés de haut niveau pour asseoir l’emprise territoriale ;

    – actions de drones armés téléguidés afin de procéder au harcèlement.

    En clair, c’est une progression par petits blocs. L’infiltration désorganise la ligne de front, avec immédiatement une double offensive par l’artillerie et les drones, puis un assaut des blindés.

    La supériorité n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, qualitative. La supériorité est purement quantitative : la maîtrise technologique est censée déplacer la nature de la bataille pour asseoir une nouvelle supériorité purement numérique. L’idée est simplement d’anéantir le centre de décision et de désorganiser les troupes ennemies, afin d’être en mesure de prendre le dessus quantitativement. La technologie ouvre la voie.

    La guerre populaire et le peuple comme clef

    Le « combat en réseau infocentré » se présente sous la forme d’une logique. La guerre populaire est, inversement, un système.

    La logique passe par la technologie, par l’assemblage de données sous une forme mathématique, avec un agencement logique, prévu par le calcul. Les « wargames » sont des entraînements aux multiples scénarios. L’armée française a d’ailleurs embauché en 2020 une série d’auteurs de science-fiction pour former une « red team » alimentant l’état-major en scénarios surprenants.

    Le système, à l’inverse, passe par le peuple, par la combinaison systématique de la dignité du réel, avec un agencement dialectique, imprévu et construit dans l’interaction. Il ne peut y avoir d’entraînement scénarisé au sens strict, car chaque situation est par définition nouvelle et elle-même en mouvement, en transformation, nécessitant par conséquent un choix adéquat de nature politique.

    Cela sous-tend que les forces militaires de la révolution n’existent pas au préalable : elles se construisent au fur et à mesure, dans un processus prolongé. Les états-majors passent par en haut : ils ont leurs troupes et leurs scénarios prévoyant tel ou tel mode opératoire ; les forces révolutionnaires passent par en bas.

    La génération des forces militaires de la révolution

    La révolution génère les forces pour la faire vaincre et inversement ; c’est un processus dialectique entre les masses populaires et le processus historique, à travers le Parti Communiste dont la substance est de permettre la réalisation de ce processus.

    Le Parti ne peut pas, de lui-même, générer abstraitement des organismes de masse, a fortiori des organismes révolutionnaires de masse. Il faut pour cela que la crise générale du capitalisme soit enclenché et déchire tellement la situation historique que même les revendications concernant les besoins immédiats relèvent de l’antagonisme.

    La base de cela, c’est la contradiction entre la restructuration capitaliste et la réalité prolétarienne. Lorsque la base prolétarienne ne tolère plus la restructuration, se produit la confrontation et l’émergence du terrain révolutionnaire comme aire de l’autonomie prolétarienne par rapport à l’État et à la bourgeoisie.

    C’est dans cette aire que se constituent les forces militaires de la révolution ; c’est un processus à la fois similaire et convergent avec la reconstitution du tissu prolétarien en tant que tel.

    Le besoin de communisme et la recomposition du prolétariat

    Le Parti Communiste a un aperçu complexe du processus révolutionnaire parce qu’il sait que c’est le besoin de communisme qui s’exprime historiquement et que le prolétariat se recompose secteur par secteur dans la bataille face à l’État et la bourgeoisie, contre la crise et ses restructurations capitalistes, contre la guerre.

    L’unification des masses populaires s’accompagne pour cette raison de l’établissement du programme démocratique populaire, dans l’accumulation/synthèse des éléments de ce programme par l’expérience révolutionnaire concrète.

    Si l’état-major militaire d’une armée réactionnaire a déjà ses scénarios, ses plans, sa logique, la guerre populaire consiste en un processus concret, non linéaire, porté par la subjectivité révolutionnaire se confrontant au réel et le transformant, accumulant les éléments d’un programme qui, une fois synthétisée, reflète le triomphe de la révolution.

    Le Système du pouvoir prolétarien

    De par le lent processus de formation des forces militaires révolutionnaires, il ne peut pas y avoir un « centre » de décision qui serait, immanquablement, la cible de la contre-révolution et qui, surtout, n’aurait pas un regard « intérieur ».

    L’état-major d’une armée bourgeoise se veut « neutre », « objectif », avec des règles et des principes valables de manière systématique ; les forces révolutionnaires s’appuient de leur côté sur une compréhension dialectique concrète de la dignité du réel, le centre n’étant pas tant un lieu de décision qu’une base idéologique et politique, ayant formé une démarche servant de guide au processus.

    C’est sur la base d’une telle pensée-guide que les différentes forces s’étant condensées dans le processus révolutionnaire se reconnaisse et s’agglomère, préservant leur compartimentation pour éviter l’écrasement, mais se reliant de manière dialectique dans les actions se combinant pour former un Système de pouvoir.

    Le pouvoir prolétarien se constituant au fur et à mesure consiste en un système articulant de manière naturelle les forces s’accumulant dans le processus révolutionnaire. Il ne répond pas à un plan préétabli ou bien un modèle idéologique abstrait, bref à une logique formelle comme chez les états-majors bourgeois.

    Il est le produit naturel d’une généralisation des forces révolutionnaires se combinant, secteur par secteur.

    Et cette question de la capacité des forces militaires révolutionnaires à s’agglomérer dépend du niveau des communistes y participant et ayant atteint le niveau pour les diriger, puisqu’en dernier ressort la question décisive est celle de l’interaction dialectique que seuls les communistes peuvent saisir. La capacité des communistes à calibrer les activités des forces révolutionnaires conformément aux termes de l’affrontement en perpétuelle transformation est la clef de la victoire.

    La question des termes de l’affrontement

    Le « combat en réseau infocentré » exige de connaître au préalable les termes de l’affrontement, alors que la guerre populaire considère que ces termes sont en perpétuelle transformation et ne peuvent être connues au préalable.

    Le « combat en réseau infocentré » raisonne en terme de « super-cerveau » plaçant des pions ; la guerre populaire se place comme Système de pouvoir se construisant dans les faits par des contre-pouvoirs démantelant l’ancien État.

    Le « combat en réseau infocentré » est une conception de la guerre en général, alors que la guerre populaire est la conception spécifique du prolétariat pour prendre le pouvoir.

    C’est que la bourgeoisie ne « pense » pas et ne peut pas voir un aperçu clair de la lutte des classes, alors que le prolétariat acquière une maturité toujours plus grande dans le processus révolutionnaire exposé et orienté par le Parti Communiste.

    On peut dresser le tableau suivant des questions principales de la guerre :


    BourgeoisieProlétariat
    CommandementMécanique-hiérarchiséIdéologique-politique
    ContrôleTechnique-satellitaireHumain
    CommunicationsTechnique-satellitaireHumain
    OrdinateursGrande puissance de calculCapacité de nuisance
    InformationsDonnées mathématiquesCombinaison humaine
    SurveillanceTechnique-satellitaireHumain
    ReconnaissanceTechnique-satellitaireHumain
    DoctrineÉcrasementAffirmation
    StratégieVisant la résolutionCherchant le prolongé
    TactiqueScénariséAdaptation au réel
    TechnologiesHaut niveauFaible niveau

    Tout cela n’a bien entendu qu’une valeur introductive, le problème se posant concrètement, dans le cadre de la crise générale du capitalisme.

    Ce qui compte principalement, c’est de voir que pour le matérialisme dialectique, la guerre populaire a comme cœur le peuple ; pour les états-majors, la guerre impérialiste a comme cœur la technologie. Pour la guerre populaire, le chef est un soldat qui indique une voie et chaque soldat est un chef à petite échelle ; pour la guerre impérialiste, les soldats ne sont que des pions placés selon les calculs de l’état-major.

    Pour la guerre populaire, les forces militaires se construisent secteur par secteur ; pour les états-majors, ce sont des forces préexistantes. Pour la guerre populaire, le processus est prolongé ; pour les états-majors, il s’agit de trouver le moyen de mener une frappe décisive.

  • Les PIB belge et français en 2020 : une dette budgétaire impliquant la restructuration capitaliste

    Les institutions belges et françaises ont, à la fin de l’année 2020, fourni des données concernant le recul du PIB. Il faut bien sûr être prudent avec cela, car il est extrêmement difficile dans une société capitaliste d’avoir un aperçu fiable de la comptabilité. Il y a de plus un grand rôle idéologique dans les messages qui sont fait passés par l’intermédiaire de ces institutions. Il s’agit de leur part de montrer que la situation est bien suivie, voire bien supervisée, etc.

    Du côté belge, la Banque Nationale de Belgique parle d’une chute du PIB de 6,7 %, avec pour chaque trimestre une évolution respective de – 3,4 %, – 11,8 %, +11,4 %, -1,5 %. Du côté français, l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) parle d’une chute du PIB de 9 %.

    Les deux institutions se réjouissent du fait que ces chiffres sont moins importants qu’elles ne le pensaient. Elles constatent cependant qu’un retour à la « normale » ne se produirait pas avant la fin de 2022, avec également beaucoup d’incertitudes en raison de la pandémie encore en cours.

    Surtout, elles constatent toutes deux une explosion du déficit des États, qui comme on le sait sont intervenus massivement pour maintenir l’ordre capitaliste. Pour ces institutions, un tel déficit est intenable et doit être réglé, en général mais aussi de manière plus particulière en cas de nouveau choc exigeant une nouvelle intervention. Ce qui se joue donc ici, c’est la future restructuration visant à faire payer la crise aux masses populaires.

    La Banque Nationale de Belgique annonce la couleur en parlant de « feuille de route » pour résoudre une situation intenable :

    « Le déficit budgétaire se creuserait sensiblement pour atteindre 10,6 % du PIB en 2020, sous l’effet de la crise économique qui induit automatiquement plus de dépenses et moins de recettes, mais aussi en raison des importantes mesures de soutien.

    Ces dernières sont cependant principalement de nature temporaire; par conséquent, le déficit devrait se réduire dans les prochaines années, mais il se maintiendrait malgré tout aux alentours de 6 % du PIB.

    La dette publique rapportée au PIB grimperait à quelque 120 % en 2023 et, dans l’hypothèse d’une normalisation de la croissance et d’un déficit budgétaire constant, elle continuerait d’augmenter par la suite.

    Cette situation budgétaire intenable signifie que les éventuelles mesures de relance supplémentaires doivent être temporaires et cibler les entreprises saines et les groupes vulnérables. Pour donner un caractère durable à la reprise économique, une feuille de route pour l’assainissement des finances publiques s’impose également. »

    Il est intéressant de voir la Banque Nationale de Belgique parler de soutenir les entreprises saines… mais aussi les groupes vulnérables, montrant que les groupes forment un secteur à part dans le capitalisme, au-delà de la question d’être « sain » ou pas. On reconnaît ici la force des monopoles dans le capitalisme.

    L’INSEE constate pareillement pour la France que c’est l’État qui a assumé les frais de la crise :

    « En moyenne annuelle, l’ordre de grandeur du recul du PIB en 2020 est confirmé à – 9 %. Il est intéressant de se pencher sur la décomposition de cette baisse, selon les trois approches du PIB en comptabilité nationale (production, demande, revenu).

    L’approche « production » reflète les forts contrastes sectoriels inhérents à la crise actuelle, les pertes d’activité étant largement conditionnées au degré d’exposition de chaque secteur aux mesures d’endiguement sanitaire.

    Ainsi, le recul de 9 points du PIB sur l’année est surtout un recul des services marchands (contribution de 5 points), en particulier des transports, de l’hébergement-restauration, du commerce et des services aux ménages.

    La construction, l’industrie et les autres services ont également été affectés, en particulier pendant le premier confinement, avant d’apprendre à « vivre avec le virus » via les protocoles sanitaires et le télétravail.

    Selon l’approche « demande », près de 8 points des 9 % de recul du PIB sont liés à la contraction de la demande intérieure et 2 points à celle du commerce extérieur, la contribution des variations de stocks ayant été, en sens inverse, légèrement positive.

    Tous les principaux postes de la demande se sont bien sûr contractés en 2020 et le recul de la consommation des ménages (laquelle représente plus de la moitié du PIB) pèse lourd dans cette contraction. Mais la consommation des ménages a moins chuté que le PIB, à l’inverse des exportations.

    Enfin, l’approche « revenu » traduit les soutiens budgétaires massifs qui ont visé à protéger les revenus et le tissu productif, même si en la matière des disparités existent entre les ménages ou entre les entreprises.

    Ainsi, en moyenne annuelle, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages ne baisserait « que » de l’ordre de 0,3 % en 2020, et de 0,9 % en le ramenant au nombre d’unités de consommation.

    Cela traduit notamment le fait que grâce au dispositif de chômage partiel, l’emploi baisserait beaucoup moins que l’activité : entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020, 600 000 emplois salariés (et 700 0000 en incluant les non-salariés) seraient détruits, soit 2,3 % du niveau d’avant-crise.

    Le taux de marge des entreprises perdrait quant à lui près de 4 points en moyenne sur l’année. La plus grande partie des pertes de revenus liées à la crise serait prise en charge par le compte des administrations publiques. »

    Il ne faut toutefois pas se fier aux apparences, car si les États ont une dette d’autour de 100 %, c’est également le cas des entreprises et des ménages. La situation est donc plus qu’explosive.

    La différence, c’est que les États représentant une forme socialisée à la plus haute échelle, leur faillite s’accompagne forcément de celle de la société toute entière. Il faut donc que les États se renflouent.

    Mais comment faire ? Il y a les impôts, qui nécessitent toutefois une vie économique toujours plus élargie. Or, jusqu’à la fin de 2022, on ne sera même pas au niveau de 2019. Il faudrait atteindre 2023 pour espérer une reprise économique, alors qu’entre-temps il peut se passer de nombreuses choses nécessitant davantage de dépenses étatiques.

    Il y a les privatisations. Celles-ci vont forcément se développer, à tous les niveaux. L’idée même d’un État assurant un arrière-plan universaliste – avec des musées, une éducation, différents services de santé et de transport, etc. – va nécessairement être remise en cause.

    Ce démantèlement de l’État est cependant en conflit fondamental avec la nécessité pour les monopoles d’un État qui soit puissant afin d’être capable d’agir sur le plan mondial, de manière impérialiste. Une roquette antichar, c’est 900 euros, un missile qui parcourt 400 kilomètres et détruit un bunker, cela coûte pratiquement un million d’euros.

    Il faut donc que l’armée soit capable d’avoir un budget militaire élevé, avec un appareil d’État de qualité pour gérer cette armée, ce qui a également un coût et implique que l’État ne soit pas réduit à la portion congrue.

    On a donc des PIB belge et français en 2020 qu’on doit relier
    à une dette budgétaire massive, qui implique une restructuration capitaliste, qui toutefois n’est pas dans l’intérêt des monopoles si cela va avec le démantèlement de l’État.

    Les monopoles ont intérêt à un État fort : c’est l’expression, dans la crise générale du capitalisme, à la mise en place d’un capitalisme monopoliste d’État comme forme nouvelle propre à la phase de guerre impérialiste. Le capitalisme nécessite pourtant en même temps un budget qui soit « sain ». La guerre apparaît alors comme la seule porte de sortie.

  • Gonzalo, le marxisme-léninisme-maoïsme principalement maoïsme et la pensée guide

    Mao Zedong a apporté au matérialisme dialectique le concept d’aspect principal, aspect principal qui conditionne les aspects secondaires et « tire », « pousse », met en branle le développement d’un processus. Cet aspect principal peut changer, un aspect secondaire peut devenir principal et le principal ainsi secondaire, mais il y a toujours dans un phénomène à la fois plusieurs aspects et un aspect principal.

    Comme tout est contradiction, il va de soi qu’un aspect est une contradiction. On a ainsi des contradictions dans un phénomène lui-même contradictoire. Mao Zedong nous dit :

    « Dans un processus de développement complexe d’une chose ou d’un phénomène, il existe toute une série de contradictions; l’une d’elles est nécessairement la contradiction principale, dont l’existence et le développement déterminent l’existence et le développement des autres contradictions ou agissent sur eux. »

    Si l’on ne saisit pas quel est l’aspect principal, on saisit mal le phénomène. On constate ce dernier, mais on ne comprend pas comment il se développe, car on n’entrevoit pas suffisamment le fil conducteur. Mao Zedong nous explique cela de la manière suivante :

    « Par conséquent, dans l’étude de tout processus complexe où il existe deux contradictions ou davantage, nous devons nous efforcer de trouver la contradiction principale.

    Lorsque celle-ci est trouvée, tous les problèmes se résolvent aisément. »

    Mao Zedong parle de deux contradictions comme « minimum », car tout est contradiction, y compris une contradiction. Une contradiction fait forcément face à une contradiction, sinon elle ne serait pas contradictoire, ou plus précisément en contradiction ; elle serait quelque chose sans contradiction, mais ayant en soi une contradiction.

    Ce serait là séparer les choses, les isoler, en imaginant qu’elles ont un développement dialectique à part mais sans se relier.

    C’est également naturellement un « minimum » relatif, puisque tout étant contradictoire, tout est contradictoire à l’infini, l’infini étant lui-même contradictoire. Deux contradictions font forcément elles-mêmes face à une contradiction, ensemble lui-même faisant face à une contradiction, etc. C’est le principe d’un univers en oignon avec différentes couches inter-reliées, tel un océan de contradictions.

    Gonzalo, à la tête du Parti Communiste du Pérou, a souligné cette question de l’aspect principal. Les documents du Parti Communiste du Pérou ont systématisé l’emploi du terme principalement après avoir caractérisé un phénomène de plusieurs manières.

    Lorsqu’il est parlé d’arborer, de défendre et d’appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme, il va être ainsi ajouté « principalement appliquer », car appliquer est l’aspect principal, de par la dignité du réel. S’il est parlé de plusieurs dirigeants, un dirigeant en particulier va être mis en avant par le terme « principalement », afin de montrer qu’il est l’aspect principal, puisqu’il y a forcément un aspect principal.

    Le premier congrès du Parti Communiste du Pérou reconstitué dit ainsi :

    « Dans son processus de développement toute révolution dans la lutte du prolétariat comme classe dirigeante et surtout le Parti Communiste qui arbore ses irrévocables intérêts de classe, génère un groupe de chefs et principalement un qui la représente et qui la dirige, un chef d’autorité et ascendant reconnu. »

    Dans le document La ligne internationale, on lit :

    « Le prolétariat engendra une idéologie: le marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme, pour la révolution mondiale et le marxisme-léninisme-maoïsme, pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo, pour la révolution péruvienne. »

    Cette dernière citation est très importante, pour deux raisons.

    La première, c’est qu’est posée la question de la construction du marxisme, avec ses étapes. La seconde, c’est que chez Gonzalo la construction du marxisme ne saurait être conçue sans pensée guide.

    Concrètement, lorsqu’on parle du « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme », on entend par là deux choses.

    La première, c’est qu’il y a eu des étapes : le marxisme, puis Lénine faisant des apports synthétisés par Staline, puis Mao Zedong faisant des apports (justement synthétisés par Gonzalo).

    La seconde est tout aussi importante et sa difficulté exige une maîtrise avancée du matérialisme dialectique. En effet, si l’on regarde de manière formelle les choses, on s’imagine qu’on aurait trois choses différentes – le marxisme, le léninisme, le maoïsme – et que c’est la dernière qui compterait le plus, « principalement ».

    Or, ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit. Il s’agit d’une seule et même chose, ayant plusieurs aspects.

    Mais il y a alors une erreur à éviter, qui consiste à dire que ces aspects étant évolutifs, il faut passer d’abord par le premier, puis le second, puis le troisième, afin de monter en puissance, ou bien inversement, passer d’abord par le troisième, puis par le second, puis par le premier, pour « relire » ce qui est passé à partir du niveau le plus haut.

    C’est une erreur, car c’est considérer que le marxisme-léninisme-maoïsme serait le fruit d’une « accumulation » dont on saisirait, de manière unilatérale, la substance en allant dans un sens ou dans un autre.

    En réalité, il y a une seule et même chose, le marxisme-léninisme-maoïsme, mais cette chose s’est déployée dans le temps, c’est-à-dire qu’elle s’est matériellement transformée. Ce n’est pas un concept qui flotterait au-dessus de la réalité. Une telle chos n’existe pas.

    La question du « principalement » signifie que de la même manière qu’un être humain adulte n’est plus un enfant, même s’il en est le prolongement, le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » implique une transformation ; cela signifie qu’il n’est pas possible de saisir l’idéologie à partir d’un point de vue antérieur de son développement.

    Bien entendu, on peut relire Karl Marx à partir de Mao Zedong et mieux comprendre Mao Zedong à la lumière de Karl Marx. La question n’est pas là ; ce qui est en jeu ici, c’est le développement, le caractère non statique de tout phénomène, donc du marxisme-léninisme-maoïsme également.

    C’est pour cela qu’il n’est pas possible, du point de vue de Gonzalo, de séparer le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » de la pensée guide. Un phénomène idéologique, puisqu’il est en mouvement, est forcément porté par la pensée de quelqu’un et de ce fait les deux aspects – idéologie et pensée – sont indissociables.

    D’où la présentation liée des deux concepts :

    « Le prolétariat engendra une idéologie: le marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme, pour la révolution mondiale et le marxisme-léninisme-maoïsme, pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo, pour la révolution péruvienne. »

    La différence entre le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » et le « marxisme-léninisme-maoïsme, pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo » est celle entre l’universel et le particulier. Et il n’y a pas l’un sans l’autre.

    C’est là le grand mérite de Gonzalo que d’avoir non seulement systématisé la question de l’aspect principal, mais également de n’avoir pas fait de l’idéologie quelque chose de formel, d’idéal, d’abstrait, d’avoir saisi que celle-ci se développait concrètement, donc avec un aspect principal, et donc concrètement, et donc avec un aspect principal, etc., dans un jeu dialectique ininterrompu.

    D’où le principe de la pensée guide, qui découle du fait qu’il y a un aspect principal au marxisme-léninisme-maoïsme.

    Il y a le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » comme aspect universel et le « marxisme-léninisme-maoïsme, pensée XYZ, principalement pensée XYZ » dans chaque pays où le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » se réalise, comme aspect particulier (de l’idéologie universelle) porté par un aspect particulier (la pensée guide), au sein d’un phénomène général (le marxisme-léninisme-maoïsme, lui-même principalement le maoïsme).

    Gonzalo a bien saisi la question de l’aspect particulier dans son rapport à la contradiction entre l’universel et le particulier ; il a compris le rapport dialectique entre le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » comme aspect universel et le « marxisme-léninisme-maoïsme, pensée XYZ, principalement pensée XYZ » comme aspect particulier.

  • Michel-Ange, la Chapelle Sixtine et la fresque nationale italienne à la suite de Dante et Boccace

    Michel-Ange a peint le plafond de la Chapelle Sixtine durant les années 1508-1521, alors que sa fresque du Jugement dernier concerne les années 1536-1541. Ce sont là de longues années et pourquoi Michel-Ange est-il passé si aisément de la sculpture monumentale à ce délire coloré rempli de figures colossales?

    La création d’Ève par Michel-Ange, plafond de la Chapelle Sixtine

    C’est qu’en fait, l’Eglise n’a pas fait que détourner la sculpture massive de Michel-Ange pour réussir à occuper spatialement la Chapelle Sixtine. Elle a également réalisé une appropriation du style italien, celui de la fresque. C’est ce qui explique l’engagement de Michel-Ange.

    Il faut ici comprendre le cheminement historique de l’Italie et la mentalité nationale qui en découle. Lorsque commence une période plus stable, plus lisible après l’effondrement du système esclavagiste s’étalant sur des siècles à travers la chute de Rome, alors que des villes se développent autour du commerce et des échanges, deux figures apparaissent exprimant un immense niveau de culture.

    Le premier est Dante Alighieri (1265-1321) et le second Boccace (1313-1375). Dante a écrit la fameuse Comédie, à la fin de sa vie ; la première édition imprimée apparaissant en 1472. L’adjectif « divine » a été ajouté devant le titre par Boccace, auteur de son côté du Décaméron (1349-1353).

    Portrait de Dante Alighieri, détail d’une fresque de la chapelle du Bargello attribuée à Giotto di Bondone

    Tous deux sont florentins et leur approche similaire va caractériser la démarche nationale italienne. Le principe est très simple : même si on est au 14e siècle seulement, l’Italie profite d’un très riche patrimoine littéraire à travers les œuvres en latin de l’ancienne Rome. Cela fait qu’il y a déjà un bagage intellectuel, avec des références donc, mais également des auteurs parlant d’autres auteurs, d’autres gens, etc.

    Or, que va-t-il se passer? Lorsque Florence se développe au 12e siècle, pour former une république avec tout un appareil administratif et une sorte de noblesse locale, il va immédiatement y avoir une tentative de coller à ce système de références, de faire comme si la société était aussi rempli de personnalités et de faits que pour toute la littérature de l’antiquité romaine.

    De plus, les grandes œuvres latines sont l’Énéide de Virgile et les Métamorphoses d’Ovide, deux vastes fresques, s’étalant sur un vaste champ de faits et de gens.

    On a donc immédiatement une orientation vers le portrait d’ensemble, sous la forme d’une fresque, de manière littéraire mais avec des images figurées ; le troisième auteur national italien, Pétrarque (1304-1374), procédera de même dans son éloge de la femme aimée prétexte à la fresque d’Il Canzoniere, vaste recueil de poèmes.

    La Comédie correspond donc à ce jeu intellectuel, dont il est considéré comme l’expression la plus substantielle. Dante y raconte comment il visite l’enfer, le purgatoire, le paradis ; la liste de ses références à des faits et des gens est absolument innombrable et a donné naissance à un océan d’ouvrages d’analyses de ces références. Impossible de lire quelques lignes sans avoir des notes en série pour émettre telle ou telle hypothèse.

    Une des premières éditions de la Comédie

    Cela n’empêche pas l’oeuvre d’être magistrale de par son ample mouvement et ses figures particulièrement imagées, ses remarques intellectuelles imbriquées dans une approche littéraire particulièrement soignée.

    On a là le cœur de l’approche italienne : celui de la fresque littéraire à contenu intellectuel, à travers des figures imagés.

    Le Décaméron de Boccace relève du même principe. Des jeunes gens fuient la peste noire frappant Florence et pendant leur séjour à la campagne, chacun des dix protagonistes doit chaque jour raconter une petite histoire. Et là on a pareillement une fresque littéraire prétexte à des remarques intellectuelles, à travers des figures imagées.

    On comprend maintenant aisément que ce qui a attiré Michel-Ange dans la réalisation de la fresque de la Chapelle Sixtine, c’est la réalisation d’une sorte de panorama à l’italienne.

    Le sacrifice de Noé

    Le plafond de la Chapelle Sixtine ne présente pas simplement des thèmes religieux, on y trouve une fresque historique, avec la création du monde, celle de l’humanité, puis les débuts de l’humanité avec Noé.

    On a donc une trame pour ainsi dire à l’italienne, avec tout d’abord la séparation de la lumière des ténèbres, la création des astres, la séparation des eaux. Suivent la création d’Adam, celle d’Ève, le péché originel et enfin le sacrifice de Noé, le déluge, l’ivresse de Noé. Le Jugement dernier est pareillement composé de multiples éléments en mouvement, présentant ce jour d’intervention divine sous toutes ses facettes.

    Mais que restait-il d’italien? Strictement rien. On a ici un tournant, qui va être fatal à l’Italie : le Vatican a aspiré les forces nationales accompagnant l’émergence du capitalisme italien, de sa bourgeoisie.

    Le Vatican va évidemment, dans la foulée, briser ces forces nationales sur le plan culturel, passant très rapidement dans le camp du baroque pour réaliser une propagande populaire anti-protestante et anti-humaniste. Et la nation italienne aura perdu tout point de repère, errant dans son affirmation historique.

    Saint-Blaise et Sainte-Catherine dans le Jugement dernier de Michel-Ange : à gauche une copie du 16e siècle de l’original, à droite la version retouchée au même siècle par le Vatican, qui jusqu’au 20e siècle procéda à de tels ajustements

    Il est un homme qui, cependant, saisi le caractère éminemment décadent de la Rome de l’époque de Michel-Ange : Martin Luther. Ce dernier est à Rome, en 1510-1511 ; Michel-Ange était déjà depuis plusieurs années à l’oeuvre pour le plafond de la Chapelle Sixtine.

    Martin Luther en reviendra avec une haine complète pour la papauté et Rome, cette « prostituée babylonienne ». Le plafond de la Chapelle Sixtine est inagurée par le pape Jules II le 31 octobre 1512 ; le 31 octobre 1517 Martin Luther placarde ses 95 thèses sur les portes de l’église de Wittemberg.

    Martin Luther posait l’exigence de l’autonomie individuelle en pleine acceptation de sa vie intérieure, en prenant appui sur l’image d’un Christ humain en souffrance. Michel-Ange, quant à lui, ne représentait même pas le Christ sur le plafond de la Chapelle Sixtine ! Et il le montrait en colosse dans le Jugement dernier.

    Ce rejet de la vie intérieure, on le voit à une anecdote révélatrice. Lorsque le mur destiné au Jugement dernier fut préparé pour de la peinture à l’huile, techniquement plus précis et permettant des retouches, Michel-Ange, alors déjà âgé, fit tout recommencer à zéro pour peindre sur la mode des fresques, directement sur un enduit en train de sécher, avec cette idée de l’élan physique pour présenter une trame générale.

    C’était un geste italien – mais qui par son rejet de l’esprit de synthèse allait contribuer à nier l’Italie pour toute une période historique.

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  • Michel-Ange et la Chapelle Sixtine

    La Chapelle Sixtine est un palais du pape au Vatican ; de taille importante – 40 mètres de long sur 13 mètres de large avec 21 mètres de hauteur – elle est depuis le XIVe siècle le lieu d’élection du pape après le décès de celui.

    Un conclave, c’est-à-dire l’assemblée des cardinaux pour l’élection du prochain pape

    Cette chapelle est la Magna Capella Sacri Palatii ou Grande Chapelle du Sacré Palais ; seul le pape peut y célébrer une messe. Et ce lieu, un des principaux lieux idéologiques du catholicisme romain, fut principalement décoré par Michel-Ange, qui y passa de très nombreuses années de sa vie.

    C’était là un détournement catholique romain de l’activité de Michel-Ange. De sculpteur, il passa à peintre et de ce fait toute sa substance artistique se voyait tronquée. Au lieu de réaliser des figures monumentales sous la forme de statue, il se mit à mettre en place des figures théâtrales dans le cadre de mises en scène au service de la fiction religieuse.

    La dimension corporelle, le jeu dialectique des éléments sculpturaux… tout cela disparaissait au profit d’un travail d’agencement à grande échelle, illusion de complexité et réelle grossièreté dans l’assemblage à la fonction directement idéologique.

    Il suffit de voir Judith et Holopherne pour cerner ce qui est perdu par rapport à la sculpture. Le rapport à la réalité a disparu, seule reste la dimension massive utile pour occuper le vaste espace, ce qui est entièrement formel.

    On retrouve dans la punition de Haman des éléments sculpturaux, au point qu’on devine que cela aurait été une statue très intéressante, mais on a là simplement une occupation d’espace, avec des personnages d’arrière-plan aux traits simplistes.

    La Chapelle Sixtine combine occupation spatiale et simplicité, afin d’impressionner dans la présentation de la doctrine catholique romaine. C’est un détournement de la sculpture de Michel-Ange, dont la substance pour ainsi dire massive est déviée vers une mobilisation pour mettre en place des formes spatialement grandes, occupant assez d’espace et assez nombreuses pour surcharger l’esprit, faire impression.

    La Chapelle Sixtine est le lieu même d’une surcharge générale, avec tous ses murs et son plafond emplis de scènes, de couleurs ; c’est l’exact contraire de l’appel à la raison que font, au même moment, l’humanisme et le protestantisme.

    Ce qui était la liaison entre le naturel et le matériau brut dans la sculpture devient, même dans le meilleur des cas, une illustration isolée, dans une posture forcée, dans un environnement littéralement kitsch, comme ici pour la Sibylle libyque qui aurait pu être prétexte à une sculpture de la plus haute valeur.

    Et pour la grande majorité des cas, on a droit à des représentations tout à fait traditionnellement catholiques, associés à un côté massif provenant de la sculpture, aboutissant à des êtres physiquement grossiers, disproportionnés, dont seul intérêt plastique est d’occuper l’espace, comme ici pour le premier jour de la Création.

    Le caractère colossal et lascif des nus masculins qu’on trouve autour des figures religieuses est tout à fait représentatif d’un état d’esprit décadent propre à la papauté de l’époque
    Un nu plus en détail, très réussi mais entièrement tourné vers la dimension lascive et colossale agrémentant une représentation religieuse

    L’affrontement entre David et Goliath n’a aucune majesté : il suffit de le comparer à la statue de David ! Quant à la représentation du Déluge, on a un assemblage de choses massives : les corps, les muscles, les tissus, le bois, tout est boursouflé, dans une esthétisation de l’occupation de l’espace qui n’a aucune finesse, aucun rapport à la réalité.

    On est dans une combinaison de la fantasmagorie religieuse et du fantasme de l’occupation spatiale massive.

    La Création d’Adam est tout à fait en phase avec cette lecture esthétique boursouflée. Dieu est présenté de manière théologiquement absurde sous une forme humaine, accompagné d’êtres aux formes arrondies, pour ne pas dire qu’ils sont grotesques, dans un monument de kitscherie.

    Adam, à l’image d’un Dieu désormais humain, est très réussi de par sa dimension sculpturale, mais il aurait dû justement être une sculpture et non pas se retrouver amalgamé à une accumulation de formes et de couleurs.

    Cette autre représentation de Dieu sur le plafond de la Chapelle Sixtine témoigne de ce côté massif et on voit bien comment Michel-Ange a pu s’attacher à ce projet : il a fait un fétiche de la dimension massive.

    Les formes sont tout aussi grossières pour la fresque Le Jugement dernier, au fond de la Chapelle Sixtine. Le Christ est d’un caractère lourd, massif : il est l’exact opposé du Christ humain, fragile, symbole d’une humanité en quête d’un progrès intérieur, que met alors en avant le protestantisme avec sobriété et raison.

    Le Christ du Jugement dernier est à l’image d’un assemblage de personnages physiquement grotesques, tous plus massifs les uns que les autres et de ce qui relève littéralement d’une sorte de fantasme corporel homosexuel par ailleurs : tout est lourd, musclé, viril, massif dans les gestes.

    Michel-Ange a trahi la cause du réalisme avec ses travaux pour la Chapelle Sixtine : il a accepté le détournement de son art pour une orientation vers le massif au service d’une occupation spatiale servant une opération de propagande catholique romaine passant par la noyade des esprits.

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  • Le David de Michel-Ange

    Michel-Ange a sculpté le David de septembre 1501 à mai 1504 ; c’est une statue de marbre qui fait plus de quatre mètres. Sa gloire tient surtout à ce qu’au moment de sa réalisation, Florence est une Cité-État. L’oeuvre est alors placée devant le Palazzo Vecchio, le siège municipal de Florence, et est censé symboliser la détermination de l’esprit « républicain ».

    Au-delà de toute considération politique de ce type, il est en tout cas très clair que le David, de manière encore plus nette que le Moïse et la Pietà, est séparé de la religion. Il est évident que le thème religieux relève du contexte historique, voire sert même de prétexte.

    La référence à l’antiquité gréco-romaine apparaît si clairement qu’on doit parler de drapeau de la nation italienne en formation. Il y a ici un rapprochement assumé avec l’idéal antique, dans sa dimension païenne, avec l’harmonie, la détermination virile, la nudité aux muscles façonnés, la dimension imposante, etc.

    En ce sens, le David est un recul par rapport à la complexité du Moïse et de la Pietà. C’est, si l’on veut, un travail de référence, une allusion esthétique, un exposé nostalgique de l’idéalisme antique.

    Le problème de fond, c’est la simplicité apparente, qui élude toute complexité, toute profondeur psychologique, tout esprit synthétique. On est ici dans une immédiateté analytique, le grand travers de la Renaissance qui fonctionne par rapprochements, allusions, codes, dans un mélange de religion catholique romaine et de références idéalistes à Platon.

    Naturellement, les tenants de la Renaissance valorisent cette approche se voulant « harmonieuse », « idéale », qui en réalité laisse sur sa faim de par l’absence de contenu. L’oeuvre, relevant de l’idéalisme, est purement auto-référentielle.

    Le David de Michel-Ange présente ainsi un tournant dans l’histoire de l’art de la Renaissance italienne. Il montre que la nation italienne en formation a passé un cap, qu’elle sait exprimer un art national, mais qu’en même temps elle est obligé de passer par le prisme de la référence antique pour être en mesure de faire face au catholicisme romain.

    Ce faisant, tournant le dos à la réalité, à un rapport assumé à la réalité, le développement de la nation italienne se brisait. Il ne faisait plus le poids face à la production massive du catholicisme romain, qui profitant de ses réseaux pouvait se permettre d’intégrer des aspects populaires.

    Le baroque n’est pas qu’une réaction au réalisme de l’art flamand, au protestantisme, à l’humanisme ; il est aussi une déviation des énergies populaires italienne, autrichienne, tchèque, ôtant le terrain, du moins pour un temps, pour une affirmation nationale.

    La position de Michel-Ange est donc celle de celui qui a été le plus loin dans l’affirmation nationale italienne dans le domaine de la sculpture. L’utilisation de son talent pour la Chapelle Sixtine est littéralement un détournement ; il suffit de voir le travail effectué sur le David, oscillant entre réalisme et idéalisme, pour voir le décalage avec de très grandes fresques allégoriques techniquement faibles et directement religieuses.

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  • La Pietà de Michel-Ange

    Si Michel-Ange est parvenu à réaliser une sculpture d’une telle qualité avec Moïse, il faut bien saisir que ce n’est aucunement de l’art religieux, ce qui d’ailleurs n’existe pas au sens strict. Tout art est l’expression d’une société bien déterminée, la dimension religieuse n’étant qu’un voile.

    Michel-Ange exprime, substantiellement, l’affirmation de la nation italienne ; ce qu’on appelle la Renaissance n’est nullement un processus universel ou existant à travers divers pays, c’est au sens strict la Renaissance italienne.

    Michel-Ange exprime l’émergence de la nation italienne et historiquement, le Vatican a un poids tel qu’il vient largement parasiter celle-ci. Cela se révèle tout à fait avec la Pietà.

    Cette statue de marbre, réalisée par Michel-Ange en 1498-1499, fait grosso modo deux mètres sur deux, avec 70 cm de profondeur. Elle se trouve depuis le 18e siècle à la basilique Saint-Pierre du Vatican ; à l’origine, elle devait se situer dans une chapelle romaine liée au roi de France.

    Pour comprendre le caractère proprement non religieux de l’oeuvre, il suffit de porter son attention sur les proportions. On se doute qu’en sculpture, le rapport des proportions joue un rôle bien plus grand qu’en peinture (les fresques de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine sont d’ailleurs un détournement de la sculpture vers la peinture, ce qui est erroné).

    Il y a une dimension monumentale dans une sculpture et le rapport géométrique des éléments s’impose aux sens. Or, ici, ce qui se présente immédiatement, c’est la disproportion entre la Vierge Marie et le Christ.

    Une présentation en trois dimensions de l’oeuvre (réalisé pour wikipédia) souligne cette disproportion. La Vierge Marie est un bloc servant de support au Christ.

    Ainsi, la statue du Moïse possède une contradiction directement interne : une partie du corps est en mouvement, une autre est statique. Ici, les aspects statique et en mouvement s’opposent par l’intermédiaire de deux figures, au lieu d’une seule comme pour Moïse.

    On peut bien sûr trouver toutes les explications religieuses que l’on veut à cette disproportion. Cependant, ce serait partir d’un point de vue religieux. Un regard authentique sur l’oeuvre voit sa dynamique interne et cherche à saisir ce que cela reflète.

    Pour avancer, il faut ainsi voir le sens de l’interaction entre les deux figures, et pas simplement leur rapport formel.

    Ce dernier, donc consiste en ce que la Vierge Marie est présente de manière massive, alors que le Christ est allongé en formant un mouvement arrondi.

    Or, on s’aperçoit alors que des éléments de la Vierge Marie accompagnent la position du Christ, la renforçant.

    S’agit-il d’un simple appui formel? Si c’était le cas, on aurait un Christ en quelque sorte arrondi, comme en mouvement, et une Vierge Marie massive servant d’arrière-plan. Ce ne serait pas là un chef d’oeuvre, car les éléments ne se combineraient pas, il y aurait simplement une tentative d’emboîter les deux figures, ce qui serait forcément bancal.

    C’est là où il faut quitter le terrain directement religieux et voir la construction de l’oeuvre en tant que telle, dans sa dimension naturelle-humaine. Il s’agit de cerner les rapports internes à l’oeuvre, ses liaisons internes, ses rapports combinatoires.

    On s’aperçoit alors que Michel-Ange a utilisé le drapé de l’habit de la Vierge Marie pour combiner et recombiner en série avec la forme du Christ. Il y a un sens aigu de la combinaison, sans que l’ensemble ne soit surchargé.

    Un nombre très important d’éléments arrondis aurait pu encore être représenté, témoignant de la complexité de l’oeuvre

    On a ainsi un rapport approfondi de la Vierge Marie avec le Christ, mais en même temps une rupture puisque la Vierge Marie est massive, alors que le Christ est bien plus petit et qui plus est clairement dans une forme arrondie.

    Ainsi, il y a un rapport et en même temps il n’y a pas un rapport entre la Vierge Marie et le Christ… exactement comme une mère et son fils, mais d’autant plus comme entre la Vierge Marie et celui censé être Dieu.

    Etant donné qu’il faut que ce rapport et ce non-rapport soient eux-mêmes une unité des contraires qui soit dialectique, on doit les mettre en rapport avec les visages des deux figures. Il apparaît en effet que la Vierge Marie a un visage très jeune, et même plus que celui du Christ.

    Cela laisse forcément penser au tout début du dernier chapitre de la Divine Comédie de Dante, où Saint-Bernard intonne une prière qui commence par :

    « Vierge Mère, fille de ton Fils »

    Le sens de cette oeuvre est ainsi le paradoxe dialectique d’une mère qui est en même temps fille de son fils puisque celui-ci est censé être Dieu. C’est cela qui explique qu’il n’y a pas de tristesse dans le visage de la Vierge Marie, alors qu’en même temps le Christ apparaît sous la forme d’un corps tout à fait humain, à la fois fragile et brisé.

    C’est là qu’on saisit comment Michel-Ange a pris la religion comme contexte, mais dépasse largement son cadre en faisant des interactions dialectiques s’appuyant sur la réalité technique de la sculpture, mais également sur le corps humain, sur l’interaction ici de deux corps humains.

    Il y a une dignité entièrement humaine qui en ressort, et de ce fait aucune dimension de type mystico-religieux telle qu’on le voit par la suite avec le baroque.

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  • Le Moïse de Michel-Ange

    Un sculpteur prend une matière première, qu’il agence d’une certaine manière. Cette matière n’est pas que première, d’ailleurs, elle reste, elle confère à la forme sa nature concrète, elle est le matériau de la statue elle-même.

    Il y a ainsi un rapport de va-et-vient entre le matériau et la forme : la matière se veut brute, elle donne de la densité, la forme se veut raffinée, elle donne de l’intensité.

    Si Michel-Ange est un immense sculpteur, c’est parce qu’il a admirablement bien saisi ce rapport. Ses statues sont massives, elles s’appuient sur un caractère brut de la matière qui s’impose à celui qui les regarde. En même temps, il y a un travail raffiné pour établir des éléments donnant à la forme une complexité telle que la dimension brute, monumentale, devient secondaire et ne consiste plus qu’en un apport quantitatif à la dimension qualitative de la statue.

    Cela se lit parfaitement dans le Moïse de Michel-Ange, réalisé dans la période 1513-1516 ; c’est une oeuvre en marbre, d’une hauteur de 235 cm.

    Moïse appartient à une série d’œuvres sculptées du mausolée du pape Jules II, un projet maintes fois remanié pendant plusieurs décennies, que Michel-Ange ne fut jamais en mesure de terminer.

    Moïse est une oeuvre magistrale, portant la sculpture à un niveau encore plus élevé, en apportant de la monumentalité au contrapposto, c’est-à-dire au hanchement, à la posture avec une partie du corps fléchi, le poids du corps étant porté par une jambe seulement.

    L’approche de Michel-Ange est productive à tous les niveaux, avec des oppositions dialectiques puissantes, qui elles-mêmes se relient même dialectiquement les unes aux autres.

    Une première série dialectique est aisée à remarquer. Les deux bras sont en opposition : dans un cas l’avant-bras va vers le haut, dans l’autre il va vers le bas. C’est une opposition, avec un bras venant se poser sur le corps, comme détendu, avec la main sans fonction particulière, et un autre venant tenir les tables de la loi par l’intermédiaire d’une main ayant une fonction donc bien déterminée.

    Cette série répond dialectiquement à celle des deux jambes. La jambe droite permet une assise solide sur le sol, avec le pied posé, alors que la jambe gauche est en action, maintenant la position tournée du corps, avec par conséquent un pied à moitié posé.

    Les deux mains s’opposent, les deux pieds s’opposent, les mains et les pieds s’opposent, avec les bras et les jambes évidemment en rapport avec ces oppositions.

    Michel-Ange a, naturellement, rendu bien plus complexe cette opposition, en ajoutant un puissant contraste. Le tissu sur la jambe droite est plié et replié, il est comme en mouvement, s’opposant évidemment à la raideur de la jambe sur laquelle il est posé.

    Inversement, la jambe gauche en action, en tension, a sur elle un tissu marqué par une certaine raideur. Et qu’est-ce qui vient s’opposer à cette raideur ? Les muscles de la jambe qui sont comme dessinés, dans leur tension, par la raideur du tissu, dans une sorte de conflit renforçant l’idée que Moïse est en appui.

    On comprend maintenant pourquoi les tables de la loi sont au-dessus du tissu plié et replié. Sa forme géométrique s’oppose à ce tissu. Elles viennent comme casser, comme stopper le mouvement, d’ailleurs lui-même contradictoire : c’est l’avantage du tissu comme froissé, du drapé.

    C’est alors que Michel-Ange a l’idée d’ajouter des éléments faisant de ce Moïse un chef d’œuvre. La difficulté, on la devine, c’est qu’une statue implique une terrible rigidité. Sur le plan plastique, tout est figé. Même si l’on ajoute quelques éléments semblant en mouvement, la statue est comme posée pour l’éternité.

    C’est le sens des muscles des bras parfaitement ciselés par le sculpteur. Ceux-ci sont, fort logiquement, reliés aux mains et ces mains sont en opposition dialectique. Elles relèvent d’un mouvement vers l’intérieur, se rejoignant, mais l’une étant au-dessus de l’autre.

    Il faut évidemment que le buste suive, et là Michel-Ange va profiter du drapé pour asseoir l’opposition, tout en ajoutant une bande sur le haut du bras gauche afin de neutraliser celle-ci et de maintenir la cohérence de la pose. Cela ne suffirait pas et Michel-Ange profite du haut de l’habit de Moïse pour ancrer la scène, notamment au-dessus des tables de la loi, qui elles-mêmes exercent un poids absolument nécessaire à l’équilibre de l’ensemble.

    Si on regarde bien, l’habit au-dessus des tables de la loi glisse vers le bas en étant comme aplati, alors qu’il est comme tranché de l’autre côté, afin d’affaiblir la surface de ce côté-ci.

    Ce jeu d’opposition apparaît clairement si on regarde la statue depuis le côté inverse par rapport à là où elle penche. On voit très bien qu’il y a une pose figée, mais qu’il y a toute une série d’oppositions à l’oeuvre, une série d’oppositions entre les éléments.

    Les personnages à côté de Moïse sont Léa et Rachel, symbolisant, dans la tradition de Dante, respectivement la Vita activa et la Vita contemplativa

    Restait pour Michel-Ange à trouver un moyen pour que toutes ces oppositions n’apparaissent pas comme formelles. Michel-Ange a pour cela utilisé la barbe. Elle est en contradiction avec la position de la tête et pour que cela puisse se produire, le sculpteur a cassé son mouvement en quatre, avec deux directions opposées, mais évidemment un aspect principal : le fait que la barbe aille vers le bas.

    Comme il fallait maintenir l’ensemble, la main gauche a été utilisée pour comme saisir ou retenir la barbe. Reste alors un problème : comment maintenir la posture? Il faut en effet qu’elle reste naturelle. Il risquait d’y avoir un décalage entre le buste et la tête, l’un ou l’autre apparaissant possiblement comme disproportionné de par l’intensité de la barbe.

    Michel-Ange a résolu le problème avec deux sortes de triche, pour ainsi dire, mais évidemment avec une subtilité formidable.

    La première, c’est que si on y prend garde, Moïse est en fait très en arrière dans sa posture. Cela a donné à certains commentateurs l’impression d’ailleurs qu’il était en train de se lever ; il fut pensé à la scène du veau d’or et Moïse courroucé se lance contre eux. En réalité, Michel-Ange devait massifier l’assise pour donner de la contenance à la pose.

    L’autre triche consista… à faire prolonger la barbe, à la faire se prolonger dans les cheveux. Comme c’est une sculpture, c’est largement faisable : il n’y a pas de changement de couleur, de texture. Il suffisait de continuer l’ondulation et il y avait une continuité d’ensemble.

    Pour que la tête ne disparaisse toutefois pas dans le processus, Michel-Ange a rééquilibré dans l’autre sens avec deux cornes. Celles-ci relèvent d’une tradition erronée dans le catholicisme romain, l’hébreu parlant de rayons lumineux.

    Il faut ensuite constater la nature du regard, qui porte sur ce qui se passe à la gauche de Moïse. Les yeux prolongent la direction des cornes.

    C’est que Moïse est à l’écart, il protège les tables de la loi ; il est celui qui est tourné vers ce qui n’est pas les tables de la loi, mais qui penche vers elle. Il est le messager, le prophète. Il est le fort parmi les faibles, le prophète parmi les hommes, et le faible parmi le fort, Dieu. La contradiction de sa position historique se reflète dans cette oeuvre.

    Giorgio Vasari, illustre peintre et historien de l’art du XVIe siècle, dit avec justesse que c’est une représentation d’un ami de Dieu :

    « Michel-Ange a terminé le Moïse en marbre, une statue d’une taille de cinq braccia, inégalée par aucune œuvre moderne ou ancienne.

    Assis dans une attitude sérieuse, il repose avec un bras sur les tables, et avec l’autre tient sa longue barbe brillante, les poils, si difficiles à restituer en sculpture, étant si doux et duveteux qu’il semble que le ciseau de fer ait dû devenir un pinceau.

    Le beau visage, comme celui d’un saint et puissant prince, semble on le considère avoir besoin du voile pour le recouvrir, tant il paraît splendide et brillant, et si bien l’artiste a présenté dans le marbre la divinité dont Dieu avait doté cette sainte figure.

    Les draperies tombent en plis gracieux, les muscles de les bras et les os des mains sont d’une telle beauté et perfection, tout comme les jambes et les genoux, les pieds étaient ornés d’excellents souliers, que Moïse peut maintenant être appelé plus que jamais l’ami de Dieu, puisque Dieu a permis à son corps d’être prêt pour la résurrection avant les autres par la main de Michel-Ange.

    Les Juifs vont toujours tous les samedis en troupes pour le visiter et l’adorer comme une chose divine et non humaine. »

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  • Le sens de la scission au congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920

    Les scissionnistes avaient admirablement bien mené leur opération. Les partisans de l’Internationale Communiste pensaient en être débarrassés ; Ludovic-Oscar Frossard dit ainsi :

    « Ne nous dissimulons pas que la scission qui est intervenue est une scission de chefs bien plus qu’une scission de troupes – je pourrais même dire qu’elle est surtout une scission d’élus. (Applaudissements.) »

    C’était là une illusion totale, fondée sur une incompréhension d’un affrontement entre lignes. Les scissionnistes avaient formé un bloc et posé lors du congrès les bases de leur structuration. C’est tout à fait flagrant quand on voit les propos de Léon Blum au congrès de Tours quant à la défense nationale.

    Feignant l’humilité, prétendant s’empresser de quitter la tribune, Léon Blum a donné des gages à la bourgeoisie pour la suite :

    « Nous avons volontairement posé le problème dans notre motion. Nous avons affirmé quelque chose, et nous l’affirmons encore : il y a des circonstances où, même en régime capitaliste, le devoir de défense nationale existe pour les socialistes. (Mouvements divers).

    Je ne veux pas entrer dans le fond du débat.

    [Une voix : Précisez.]

    Non. Je ne veux pas prendre corps à corps une pensée qui, au fond, est une pensée tolstoïenne ou néo-chrétienne plutôt qu’une pensée socialiste.

    [Un délégué : Précisez les cas ; faites une hypothèse.]

    C’est bien simple : l’hypothèse d’une agression caractérisée, l’attaque de quelque nation que ce soit. (Mouvements divers, bruits, cris : « À bas la guerre ! ». Les délégués entonnent L’Internationale. Tumulte)

    [Le président : La parole est à Pressemane avec l’autorisation du camarade Blum.

    Voix nombreuses : Non ! Non ! (Bruit)]

    Je suis resté quelques minutes de trop à la tribune. Je vous remercie de l’attention que vous m’avez prêtée. Les derniers mots que j’ai prononcés ont fait apparaître chez vous des sentiments que vous exprimerez, j’espère, dans votre motion, car elle est encore muette sur ce point. (Applaudissement sur les bancs de droite, cris, tumulte)

    Cela dit, je me hâte de conclure et de descendre de la tribune.

    Sur les questions d’organisation, sur les questions de conception révolutionnaire, sur les rapports de l’organisation politique et de l’organisation corporative, sur la question de la dictature du prolétariat, sur la question de la défense nationale, je pourrais dire aussi sur ce résidu sentimental de la doctrine communiste, que nous ne pouvons pas plus accepter que sa forme théorique, sur tous ces points, il y a opposition et contradiction formelles entre ce qui a été jusqu’à présent le socialisme et ce qui sera demain le communisme. »

    Léon Blum ne quitta évidemment pas la tribune, continuant son discours.

    Daniel Renoult intervint dans la foulée pour le dénoncer vigoureusement, fort logiquement :

    « Je déclare que, en effet, à l’heure actuelle, après le discours provocateur que vous venez d’entendre, il est impossible que des socialistes vraiment révolutionnaires cohabitent dans le même Parti avec Léon Blum ! »

    Cela était juste, mais pour autant le congrès avait laissé un immense espace à Léon Blum qui, dans les faits, avaient bien plus que les tenants de la IIIe Internationale compris que le bolchevisme est une idéologie tout à fait complète :

    « Le IIe congrès international de Moscou avait eu de toute évidence le caractère d’une sorte de Congrès constituant.

    Sur tous les terrains, au point de vue doctrinal comme au point de vue tactique, il a énoncé un ensemble de résolutions qui se complètent les unes et les autres et dont l’ensemble forme une sorte d’édifice architectural, entièrement proportionné dans son plan, dont toutes les parties se tiennent les unes aux autres, dont il est impossible de nier le caractère de puissance et de majesté.

    Vous êtes en présence d’un tout, d’un ensemble doctrinal. Dès lors, la question qui se pose à tous est la suivante : Acceptez-vous ou n’acceptez-vous pas cet ensemble de doctrines qui ont été formulées par le Congrès de l’Internationale communiste ?

    Et accepter – j’espère qu’il n’y aura aucune divergence de pensée sur ce point – accepter, cela veut dire, accepter dans son intelligence, dans son cœur et dans sa volonté ; cela veut dire accepter avec la résolution de se conformer désormais d’une façon stricte dans sa pensée et dans son action, à la nouvelle doctrine qui a été formulée.

    Toute autre adhésion serait une comédie et indigne du Parti français.

    Vous êtes en présence d’un ensemble. Il n’y a même pas lieu d’ergoter sur tel ou tel point de détail. Il s’agit de voir la pensée d’ensemble, la pensée centrale.

    Si vous acceptez avec telle ou telle réserve de détail, peu importe. On ne chicane pas avec une doctrine comme celle-là.

    Mais si vous contestez des parties essentielles, alors vraiment vous n’avez pas le droit d’adhérer avec des réticences, avec des arrière-pensées ou avec des restrictions mentales.

    Il ne s’agit pas de dire : « J’adhère, mais du bout des lèvres, avec la certitude que tout cela n’est qu’une plaisanterie, et demain, le parti continuera à vivre ou à agir comme il le faisait hier ».

    Nous sommes tous d’accord pour rejeter de pareilles interprétations. (Applaudissements). »

    Léon Blum n’hésita pas à dire qu’il avait mieux compris la IIIe Internationale que ses partisans, que d’ailleurs la IIIe Internationale reconnaît tout à fait qu’elle veut refonder entièrement les socialistes français, sur une nouvelle base.

    En ce sens, il avait un coup d’avance sur les partisans de l’Internationale Communiste, qui de leur côté n’avaient pas saisi l’ampleur de la rupture.

    Leur manifeste écrit par Paul Vaillant-Couturier se fonde d’ailleurs sur une sorte de combinaison du « socialisme français » avec l’Internationale Communiste.

    Pour cette raison, la Section Française de l’Internationale Communiste naît aisément mais se précipite dans une liste sans fin de problèmes, alors que les scissionnistes naissent dans le chaos mais disposent d’une matrice déjà mise en place, leur permettant de se réactiver avec aisance, récupérant même le nom de Parti socialiste SFIO.

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  • La sortie des scissionnistes au congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920

    Devant l’exigence des « reconstructeurs », les partisans de la IIIe Internationale se posaient comme les défenseurs du passé de la SFIO et réfutèrent le principe d’exclusions. Ludovic-Oscar Frossard expliqua même qu’il n’était pas d’accord avec Zinoviev, que les centristes ne seraient pas « des serviteurs de l’influence bourgeoise ».

    Il tenta de jouer sur les sentiments, ne comprenant rien à au terrible coup que les centristes portaient au Parti :

    « Camarades de la reconstruction : restez avec nous ! Je le proclame : vous êtes autant que nous de bons ouvriers du Socialisme international.

    Restez avec nous, ô vous avec qui j’ai lutté dans les conditions les plus difficiles. Restez avec nous, je vous le demande. Restez avec nous pour l’avenir du Socialisme international !

    Il ne se peut pas que vous restiez insensibles à l’appel que je vous adresse de toutes mes forces, presque en désespéré.

    Camarades de la reconstruction, à cette heure difficile où nous tenons les destinées de notre parti entre nos mains, élevez-vous, je vous en conjure, comme j’essaie de le faire moi-même, au-dessus de nos déchirements intérieurs, si douloureux qu’ils soient, arrachez-vous aux blessures d’amour-propre et ne songez, comme j’essaie de le faire en cet instant suprême, qu’à l’intérêt qui doit nous unir tous, celui de la classe ouvrière et du Socialisme international. »

    Or, tout cela n’avait aucun sens. La position des centristes quant au télégramme de la IIIe Internationale n’était évidemment qu’un prétexte. En les valorisant ainsi, alors qu’ils étaient d’avoir une démarche scissionniste, Ludovic-Oscar Frossard ne faisait que leur donner une légitimité. Les centristes ruèrent ainsi dans les brancards, refusèrent d’en accepter le contenu, Longuet étant ici un très bon acteur.

    « Daniel Renoult : Mon cher Longuet…

    Longuet : Non ! Non ! Je suis un agent de la bourgeoisie, je ne peux plus vous être cher.

    Daniel Renoult : Je vous ai dit, mon cher Longuet… (Bruit au centre.) Vous le savez, nous vous l’avons dit au cours de la discussion que nous avons eue cet après-midi, nous n’acceptons à aucun degré l’interprétation que vous donnez à cette phrase de Zinoviev…

    Longuet : Ce n’est pas une interprétation, il y a des mots. »

    Et évidemment, la motion proposée par les partisans de la IIIe Internationale fut refusée par les « reconstructeurs », qui argumentaient qu’il faudrait dénoncer le télégramme, la confiance serait rompue, le prestige des centristes critiqués étant perdu ils seraient déshonorés s’ils restaient, etc.

    Qui vint alors à la rescousse des « reconstructeurs » ? Bien évidemment Léon Blum et sa tendance de « résistance socialiste ». C’était un admirable coup tactique. En se mettant à la marge au moment du vote, les partisans de Léon Blum n’apparaissaient pas comme des opposants à la bonne marche des choses et ils avaient d’autant plus les mains libres pour venir à la défense d’une minorité prétendument agressée par la nouvelle direction.

    Les partisans de Léon Blum affirmèrent ainsi qu’ils soutiendraient la motion des « reconstructeurs », rédigée par Paul Mistral, qui obtint 1398 mandats. La motion de la nouvelle direction s’appuyait de son côté sur 3 247 mandats, alors qu’il y avait 143 abstentions et 29 absents.

    Or, cela impliquait la formation de deux nouveaux blocs, une chose qui n’aurait pas pu avoir lieu si les partisans de Léon Blum avaient participé au vote initial.

    Ne restait plus alors qu’à porter le coup de grâce. Paul Faure annonça que les « reconstructeurs » se réuniraient le lendemain matin pour examiner la situation, c’est-à-dire évidemment en réalité de former une nouvelle structure, dont les bases avaient été prévues depuis plusieurs mois déjà. Il y a notamment une captation de fonds pour Le Populaire, un quotidien parisien qui deviendra par la suite l’organe de la SFIO « maintenue ».

    Il fallait toutefois que la mise à l’écart des « reconstructeurs » tourne à la crise ouverte. Là encore, les partisans de Léon Blum furent à la manœuvre. Dans la foulée de la décision des « reconstructeurs » de se réunir le lendemain, Dominique Paoli annonça le départ des partisans de la « résistance socialiste », officialisant par-là la scission, la déclaration qu’il lut accusant bien entendu la majorité de sectarisme, d’aventurisme, de dogmatisme, etc.

    « En dépit de tous les artifices accumulés jusqu’à la dernière heure pour en dissimuler le caractère et les conséquences, l’adhésion sans réserves et sans garanties à la IIIe Internationale crée un Parti entièrement nouveau, nouveau par sa doctrine, nouveau par sa tactique, nouveau par ses règles d’organisation et de discipline.

    Il ne dépend pas d’un vote de Congrès de reporter sur le Parti de demain l’engagement qui continue à nous lier au Parti d’hier et d’aujourd’hui ; qu’il ne dépend pas davantage d’un vote de Congrès d’interrompre la vie du socialisme en France ni d’empêcher la participation du prolétariat français à une Internationale qui puisse comprendre l’universalité des travailleurs organisés.

    Nous laissons donc le premier Congrès communiste tenir ici ses assises. Le Congrès du Parti socialiste (Section française de l’Internationale ouvrière) continuera ses travaux dans la salle du Démophile, 72 rue de Lariche, demain jeudi, à 10 heures du matin.

    Y sont invités tous ceux des délégués qui n’acceptent pas les résolutions du Congrès de Tours transformant le Parti en Parti communiste. »

    Non seulement les partisans de l’Internationale Communistes s’étaient fait manœuvrés, mais ils ne virent même pas que les scissionnistes menaient une grande opération de récupération du Parti socialiste SFIO afin de s’en présenter comme le canal historique, les seuls légitimes.

    Les partisans de l’Internationale Communiste pensaient avoir à faire face séparément à la droite, les « reconstructeurs », la « résistance socialiste » : tout convergeait en fait contre eux. Leur réussite dans la transformation du Parti socialiste SFIO en Section Française de l’Internationale Communiste commençait par une débâcle politique.

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  • Le piège en deux temps du vote pour l’adhésion au congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920

    Le piège s’est immanquablement refermé sur les partisans de la IIIe Internationale, en deux temps trois mouvements. La première étape consista à organiser un petit scandale avant le vote, au cinquième jour, le 29 décembre.

    À un moment pendant le congrès, on s’aperçoit qu’il manque des délégués, qui discutent à l’extérieur, apparemment en recherche d’un accord en marge du congrès. C’est le scandale général, il y a des débats pour savoir s’il doit y avoir ou non suspension de séance, ce qui a finalement lieu à 16h45, pour une reprise à 18h15, d’une très courte durée, juste le temps de décider de reprendre à 20h30 !

    La reprise a lieu en fait à 21h ; Fernand Le Goïc voulut intervenir en proposant une sorte de motion conciliatrice pour tout le monde, mais n’ayant pas de mandat il en fut empêché tant par le président que par l’ensemble des présents.

    Au congrès de Tours

    La première étape visait à établir une véritable tension, tout en cassant l’élan naturel allant au vote. Il fallait prolonger le tir et pour cette raison, dans la foulée, Léon Blum intervint alors encore une fois… pour dire que lui et ses partisans ne participeraient pas au vote sur l’adhésion à la IIIe Internationale !

    C’était là un coup magistral. Il s’agissait de pouvoir se positionner comme non-réformiste tout en faisant passer les pro-IIIe Internationale pour des sectaires. Ce coup était sorti de nulle part et personne ne protesta devant une telle action dont la nature était pourtant évidente si on réfléchit aux forces en présence.

    Les partisans de l’Internationale Communiste étaient piégés par leur volonté d’en finir. Et en apparence, ils triomphèrent, puisque le vote dans la foulée donna 3 208 mandats pour l’adhésion à la IIIe Internationale, à quoi s’ajoutent 44 mandats pour la motion d’ultra-gauche qui se reporta sur celle-ci.

    En face, la motion Longuet n’obtenait que 1 022 mandats, alors qu’il y avait 60 mandats pour une motion proposée par Adrien Pressemanne et voulant maintenir le principe de la « défense nationale ». Il y avait également 397 abstentions et 32 absents.

    Aux résultats, les partisans de la IIIe Internationale entonnèrent l’Internationale, repris par les partisans de Longuet qui enchaînèrent par « Vive Jaurès ! », ce qui fut repris par les premiers sous la forme « Vivent Jaurès et Lénine ! ».

    Dominique Paoli, Jules Blanc et Yvonne Sadoul au congrès de Tours

    Vint alors la troisième étape. En ne participant pas au vote les partisans de Jean Jaurès avaient provoqué une scission sans même que cela se remarque. Les « reconstructeurs » se précipitèrent dans la brèche.

    Ils exigèrent en effet dans la foulée du vote pour rejoindre la IIIe Internationale que soit votée la motion suivante, qui rejetait le contenu du message reçu par télégramme lors du congrès par cette même IIIe Internationale :

    « La Congrès, profondément ému par le télégramme du Comité exécutif de la IIIe Internationale et les violentes polémiques qu’il contient, déclare se refuser à s’engager dans la voie des exclusions demandées par ce télégramme, et proclame sa volonté de maintenir intacte l’unité actuelle du Parti socialiste. »

    Cette proposition de motion fut accompagnée d’un ultimatum : si elle n’était pas votée, les reconstructeurs sortiraient du Parti.

    Ce n’était évidemment qu’un prétexte pour ne pas se plier à la majorité. Mais celle-ci avait commise l’erreur de permettre à la tendance de Léon Blum de se mettre de côté et d’avoir toléré le scandale de négociations en coulisses en plein congrès.

    Qui plus est, les réserves de Ludovic-Oscar Frossard et de Marcel Cachin sur une prétendue brutalité de la part des bolcheviks laissaient un espace pour la présentation du télégramme comme d’un chantage.

    Les nouveaux majoritaires continuèrent d’ailleurs en cherchant à se distinguer de l’exigence des bolcheviks. La réponse des partisans de la IIIe Internationale, par la voix de Daniel Renoult, est ainsi… qu’il n’est pas besoin d’une telle motion, car aucune exclusion n’était prévue ! Du moment qu’on accepte les nouvelles règles dans le Parti, personne ne se fera exclure, le télégramme dit une chose mais ce serait négociable, etc.

    Une motion en ce sens fut alors proposée, contournant les exigences de la IIIe Internationale en disant que tout cela relève du débat d’idées, qu’il ne faut pas éjecter les centristes, etc.

    « Le Congrès ayant pris connaissance de la déclaration du camarade Zinovieff et de la critique qu’elle dirige, dans les termes ardents de la polémique doctrinale contre la politique de la droite et celle de la fraction dite centriste, rappelle que l’indispensable discipline vis-à-vis de l’Internationale communiste n’exclut pas pour celle-ci, ainsi qu’il est dit dans l’article 16 des conditions votées par le dernier Congrès de Moscou, le devoir de tenir compte des circonstances de lutte si variées et de n’adopter de résolutions générales et obligatoires que dans la mesure où elles sont possibles.

    Il déclare que la motion d’adhésion signée par le Comité français de la IIIe Internationale, approuvée par le Conseil exécutif de la IIIe Internationale, légifère pour l’avenir, n’impose aucune exclusion pour le passé, et précise, de la manière la plus formelle, que les exclusions prévues à l’article 7 et à l’article 20 des conditions de Moscou ne peuvent s’appliquer à aucun membre du Parti acceptant, dans son principe, la décision du présent Congrès et conformant son action publique à la discipline commune. »

    C’était là tenter une conciliation qui était précisément ce que les scissionnistes attendaient. Ils n’avaient qu’à finir le travail.

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  • Le jeu tactique des oppositionnels au congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920

    La grande erreur tactique de la gauche du Parti, c’est que les jeux sont faits : on sait avant même le congrès que l’adhésion à la IIIe Internationale est acquise, puisque chaque Fédération a voté en son sein et que les résultats sont connus avant le congrès lui-même. Or, cela permet à la droite de se poser comme unitaire et comme martyre.

    Les premiers mots du premier orateur, Léon Blum, relèvent de ce jeu tactique :

    « Je demande au Congrès d’avoir égard à ce qu’il y a d’ingrat dans la tâche que mes camarades m’ont confiée devant une assemblée dont la résolution est arrêtée, dont la volonté d’adhésion est fixée et inébranlable. »

    Il en va de même pour les premiers propos de Paul Faure, consistant à s’étonner qu’il va répéter ce qu’il a dit au congrès précédent, à Strasbourg, sans que cette fois la majorité du Parti soit avec lui :

    « Je sens que je vais me heurter à l’hostilité d’une grande majorité. Il faut donc qu’il se soit passé quelque chose de grave pour qu’il y ait eu un pareil déplacement des forces socialistes !

    Il faut que nous nous expliquions, que nous nous demandions les uns et les autres, pourquoi ce changement si rapide et si spontané chez les autres ?

    Je disais à Strasbourg : À Moscou ? – Oui ! Aujourd’hui encore je continue à faire la demande en mariage, mais pour le mariage il faut être deux et les réponses qui nous sont faites ne favorisent pas, à mon sens, le contrat. »

    Toute l’argumentation de la tendance de Léon Blum, comme celle de Longuet – Paul Faure dont elle n’est qu’une variante, est de dire que normalement les socialistes français savent discuter, qu’ils sont ouverts entre eux, que tout le monde se connaît, que donc rester bloqué sur tel ou tel point c’est sortir de la tradition, qu’eux défendent par conséquent la tradition, que les tenants de la IIIe Internationale importent des comportements et des attitudes étrangères et hors contexte, etc.

    Les oppositionnels seraient donc des martyrs d’un sectarisme importé de Russie. Léon Blum a le dessus parmi les oppositionnels justement parce que sa critique va plus loin : c’est celle qui oppose le plus le socialisme à la française au bolchevisme, parce qu’en fait il dénonce en même temps la social-démocratie historique avec sa primauté du politique et son souci de centralisation.

    Léon Blum ne le sait pas, mais il se fait le défenseur intransigeant de l’opposition au bolchevisme autant qu’à la social-démocratie, et c’est pour cela que son discours au congrès de Tours aura un tel succès. Elle reflète toute une tradition française, en opposant un parti décentralisé, fédéral, avec des tendances, au « bloc » de type social-démocrate / bolchevik :

    « Quel sera le parti nouveau que vous voulez créer ?

    Au lieu de la volonté populaire se formant à la base et remontant de degré en degré, votre régime de centralisation comporte la subordination de chaque organisme à l’organisme qui lui est hiérarchiquement supérieur ; c’est, au sommet, un comité directeur de qui tout doit dépendre, c’est une sorte de commandement militaire formulé d’en haut et se transmettant de grade en grade jusqu’aux simples militants, jusqu’aux simples sections.

    L’autonomie des groupes et des fédérations ? Les thèses vous disent que c’est une pure et simple hérésie. Il ne peut plus être question de cela dans l’organisme communiste.

    Donc hiérarchisation de tous les organes du Parti, de telle façon que tout organe dépende, par une subordination directe, de l’organisme qui lui est supérieur (…).

    Les thèses communistes vont vous imposer, d’une part, la subordination à tous les degrés, avec à la tête, un comité directeur, et, de l’autre, des organismes clandestins que vous êtes tenus d’organiser (…).

    Comment ces organismes se formeront-ils ? Est-ce qu’à l’issue de ce congrès, après avoir nommé votre comité directeur public, vous allez procéder à la nomination du comité clandestin ? (Exclamations)

    Est-ce que vous allez mettre aux voix la désignation de cet organisme ? (Applaudissements à droite)

    Votre comité directeur occulte ne pourra donc pas naître d’une délibération publique de votre congrès, il faudra qu’il ait une autre origine. Il faudra que sa constitution vous soit apportée du dehors.

    Ceci revient à dire que, dans le Parti qu’on veut nous faire, le pouvoir central appartiendra finalement à un comité occulte désigné – il n’y a pas d’autre hypothèse possible – sous le contrôle du comité exécutif de l’Internationale elle-même. Les actes les plus graves de la vie du Parti, ses décisions seront prises par qui ? Par des hommes que vous ne connaîtrez pas. (Exclamations. Bruit. Mouvement) (…)

    Il est vraiment bien extraordinaire qu’on vienne nous parler de tyrannie dans le Parti actuel : tyrannie des chefs, tyrannie des élus. Je ne sais pas quels moyens les élus emploient aujourd’hui pour exercer leur tyrannie, mais du moins vous les connaissez, vous pouvez vous en prendre à eux.

    Et demain ? Vous vous en prendrez à qui ? À des anonymes, à des inconnus, à des masques. (Protestations sur certains bancs, applaudissements sur d’autres)

    L’unité dans le Parti – on vous l’a dit hier en des termes que je voudrais que vous n’oubliiez pas – étant jusqu’à ce jour une unité synthétique, une unité harmonique, c’était une sorte de résultante de toutes les forces, et toutes les tendances intervenaient pour fixer et déterminer l’axe commun de l’action.

    Vous, ce n’est plus l’unité en ce sens que vous recherchez, c’est l’uniformité, homogénéité absolues.

    Vous ne voulez dans votre Parti que des hommes disposés, non seulement à agir ensemble, mais encore prenant l’engagement de penser ensemble : votre doctrine est fixée une fois pour toutes !

    Ne varietur ! Qui ne l’accepte pas, n’entre pas dans votre parti ; qui ne l’accepte plus devra en sortir. »

    Tout cela relève d’un jeu tactique en fait, car le but des oppositionnels est de présenter le vote majoritaire comme un putsch, une anomalie. Une fois mis cela en place lors des discours, la fracture sera aisément assumée au moment des votes.

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  • L’incapacité à dépasser les traditions socialistes françaises congrès de Tours de 1920

    Les appréhensions quant à la prise du pouvoir par la lutte armée s’accompagnaient de toute une série d’autres du même type, largement partagées. Ludovic-Oscar Frossard, pourtant le chef de file avec Marcel Cachin du mouvement pour l’adhésion à l’Internationale Communiste, ne cachait pas ses « réserves ».

    De manière totalement opposée au bolchevisme et absolument dans la tradition socialiste française, il expliqua ainsi qu’il voulait l’indépendance syndicale :

    « Je ne dissimule pas un instant au Congrès que je préférerais que le mouvement syndical, dans notre pays, à l’exemple du mouvement syndical dans d’autres pays, s’accordât davantage avec le mouvement socialiste (très bien!) et que si j’avais le choix, je préférerais à notre Confédération Générale du Travail une C.G.T. qui, à l’exemple de la Confédération Générale du Travail italienne, se mettrait à la disposition du Parti pour les grands mouvements d’ordre politique nécessités par les circonstances. »

    Puis, après avoir expliqué que c’est la conséquence du refus des syndicalistes de se plier aux réformistes socialistes alors, Frossard en déduit que :

    « La subordination du mouvement syndical au mouvement socialiste est dans notre pays une impossibilité matérielle et une impossibilité morale.

    Aussi bien n’est-ce pas cela qui importe pour l’action révolutionnaire que nous voulons accomplir. Ce qui importe, c’est que la Confédération Générale du Travail soit pénétrée de cet esprit ; c’est que dans les syndicats les socialistes sachent demeurer des socialistes prêts à toutes les éventualités (Applaudissements.)

    Ce qui importe, c’est qu’ils n’oublient jamais, nulle part, sur quelque terrain qu’ils se placent, leur devoir de socialistes ; c’est qu’on en finisse avec cette situation paradoxale de militants socialistes qui, au sein de l’organisation syndicale, combattent avec véhémence comme des « politiciens » leurs camarades du parti (Applaudissements.)

    Ce qui importe enfin, c’est que, par une propagande inlassable, nous parvenions à opérer le redressement de notre mouvement ouvrier et à lui redonner cette belle vigueur révolutionnaire qu’il avait avant la guerre (…).

    J’ai confiance que nous parviendrons à réaliser, non pas la subordination d’un mouvement à l’autre, mais l’unité de front du prolétariat révolutionnaire dans notre pays. Et c’est cela qui importe ?

    Il n’est pas un seul d’entre nous, je tiens à le redire, qui veuille domestiquer le mouvement syndical. »

    Ludovic-Oscar Frossard restait tout à fait dans le cadre de l’acceptation socialiste, voire de la fascination pour l’actionnisme substitutiste des syndicalistes révolutionnaires, pourtant foncièrement hostiles au Parti Socialiste SFIO.

    Une autre réserve de Ludovic-Oscar Frossard concernait la question de l’épuration. Base de la démarche bolchevik, Ludovic-Oscar Frossard la récusait au nom bien entendu des traditions socialistes françaises.

    Voici ce qu’il dit, assumant d’être en conflit avec l’Internationale Communiste :

    « Je parle ici au nom de la majorité solidaire : aucune exclusion.

    Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement ? J’ai dit, non seulement ici, mais à Moscou et dans toute la campagne qui aboutit à l’adhésion de notre Parti à la IIIe Internationale, que des hommes comme moi se déshonoreraient s’ils acceptaient de renier et de frapper ceux aux côtés desquels ils ont mené la bataille pour le redressement socialiste pendant de longues années.

    Je le répète encore aujourd’hui, si l’on m’avait demandé de frapper Longuet d’exclusion, si l’exclusion de Longuet avait pu être votée par ce Congrès, moi, je serai parti avec Longuet. (Applaudissements.)

    On me demande d’être net, je suis net. (Mouvements divers.)

    Il n’est rien qui puisse, sur ce point, modifier ni mon état d’esprit, ni celui des membres de ma fraction, ni la résolution que nous avons signée ensemble. (Très bien à gauche.) (…)

    Ce n’est pas sans tristesse que je conclus. Nous allons nous séparer (…).

    Quant à moi, demain, je parlerai de vous sans amertume. Demain je ne prononcerai pas à votre égard une parole blessante. Je vous considère comme des socialistes et je le dis.

    Je vois ici des hommes que je connais depuis quinze ans, des hommes comme Blum qui a apporté au Parti son talent, sa vaste culture, sa puissance de travail, qui l’a grandement honoré, des hommes comme Renaudel, avec lequel je n’ai jamais été d’accord dans le Parti, mais dont je sais qu’il est un homme de courage et de probité (Applaudissements.), Renaudel dont il nous arrive souvent de nous dire entre nous : « S’il était avec nous, quelle belle force révolutionnaire ce serait. » (Très bien ! Mouvements.) (…)

    Maintenant, c’est à mes amis du centre que je vais m’adresser. Je leur dis : vous n’avez pas le droit de nous quitter ; vous ne le pouvez pas ; vous ne le devez pas. Nous avons besoin de vous comme vous avez besoin de nous. »

    Ludovic-Oscar Frossard en reste tout à fait au socialisme comme tempérament, faisant même l’éloge du mysticisme en s’appuyant sur la grande figure de l’idéalisme spiritualiste que fut Charles Péguy :

    « Je me souviens d’une époque où nous redoutions que les jeunes s’en aillent à d’autres organisations que les nôtres.

    Ils sont venus, les uns par passion anti-militariste et antiguerrière, les autres, comme autrefois ceux dont Charles Péguy parlait dans son livre Notre jeunesse, à la recherche d’une « mystique ».

    D’où qu’ils viennent, qu’ils soient les bienvenus parmi nous. »

    On est là très éloigné des exigences de conscience et d’organisation du bolchevisme. Et c’est justement cet idéalisme qui va donner des armes à Léon Blum pour présenter les oppositionnels comme les seuls rationalistes.

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  • Le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la grande peur de la lutte armée

    Le Parti socialiste SFIO, depuis sa fondation en 1905, est une machine de propagande se mettant en branle avec les élections. Il n’est pas un Parti de lutte sociale, car il laisse cela aux syndicats ; il n’est pas un Parti de lutte politique, car il est axé sur la République parlementaire.

    Il n’a donc aucune expérience du combat politique ouvert et de la clandestinité ; il appréhende donc particulièrement les exigences bolcheviques d’aller dans le sens de la guerre civile.

    L’opposition à l’adhésion ne cesse d’insister sur la question du mode d’organisation bolchevique, espérant convaincre encore en jouant la carte des traditions socialistes de soumission au cadre républicain. Les deux figures clefs sont Paul Faure et Léon Blum, qui prendront ensuite la direction de la SFIO « maintenue », Paul Faure étant le numéro 1 et également le rédacteur en chef du quotidien de la SFIO, Le Populaire.

    A la sortie du congrès de Tours

    Voici comment Paul Faure accuse au Congrès de Tours les partisans de l’Internationale Communiste de courir à l’aventure :

    « Dans la direction où vous allez, il faut que vous sachiez à quelles forces de résistance et de répression vous allez vous heurter. (Applaudissements sur certains bancs, bruits.)

    Toutes ces organisations se préparent contre la classe ouvrière et tout soulèvement éventuel. Elles se préparent non plus seulement avec le fusil – cette période est dépassée – mais, je le répète, avec les mitrailleuses, avec les gaz asphyxiants… (Interruptions, tumulte.).

    Il y a plus encore que l’organisation policière et militaire des répressions éventuelles. Vous vous heurterez aussi à l’organisation systématique et habile des briseurs de grèves (…).

    Toutes les révolutions ont été faites par des armées en déroute. (Très bien!) Les révolutions allemande, autrichienne, russe ont été faites par des armées, avec des soldats.

    Maintenant que les soldats ont rendu leurs armes, vous n’avez plus rien entre les mains.

    La bourgeoise – persuadez-vous en bien – cette bourgeoisie que vous avertissez tous les jours que vous allez faire la révolution, s’amuse de vous et vous amènera dans des guet-apens. (Applaudissements sur certains bancs. Mouvements divers.) »

    Voici comment Léon Blum dit la même chose en attaquant plus précisément le bolchevisme :

    « Il n’y a pas un socialiste, si modéré soit-il, qui se soit jamais condamné à n’attendre que d’un succès électoral la conquête du pouvoir. Là-dessus, il n’y a aucune discussion possible.

    Notre formule à tous est cette formule de Guesde, que Bracke me répétait il y a quelque temps : « Par tous les moyens, y compris les moyens légaux. »

    Mais cela dit, où apparaît le point de divergence ? Il apparaît en ceci, c’est que la conception révolutionnaire que je viens de vous indiquer, et qui était celle de Jaurès, de Vaillant, de Guesde, a toujours eu à se défendre contre deux déviations contraires et a toujours frayé difficilement son chemin entre une déviation de droite et une déviation de gauche.

    La première est précisément cette déviation réformiste dont je parlais tout à l’heure. Le fond de la thèse réformiste, c’est que, sinon la totalité de la transformation sociale, du moins ce qu’il y a de plus substantiel dans les avantages qu’elle doit procurer à la classe ouvrière, peut être obtenu sans crise préalable du pouvoir politique. Là est l’essence du réformisme.

    Mais il y a une seconde erreur, dont je suis bien obligé de dire qu’elle est, dans son essence, anarchiste. C’est celle qui consiste à penser que la conquête des pouvoirs publics est par elle-même une fin, alors qu’elle n’est qu’un moyen, qu’elle est le but, alors qu’elle n’est que la condition, qu’elle est la pièce, alors qu’elle n’est que le prologue (…).

    Ouvrez votre carte du Parti. Quel est l’objet que le parti socialiste jusqu’à présent se donnait à lui-même ? C’est la transformation du régime économique.

    Ouvrez les statuts de l’Internationale communiste. Lisez l’article dans lequel l’Internationale définit son but.

    Quel est ce but ? La lutte à la main armée contre le pouvoir bourgeois. »

    Suit alors une dénonciation populiste du bolchevisme par Léon Blum : ce serait du blanquisme, des petites avant-gardes cherchant non pas à organiser les masses « inorganiques », mais à les entraîner dans un soulèvement, etc.

    Cette question de la prise du pouvoir par la lutte armée reflète en fait tout l’arrière-plan républicain du Parti socialiste SFIO.

    =>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste

  • L’intervention de Clara Zetkine au nom de l’Internationale Communiste au congrès de Tours en 1920

    L’Internationale Communiste envoya au congrès de Tours la communiste allemande Clara Zetkine, déjà très âgée puisque née en 1857. Elle fut dans l’impossibilité d’arriver dès le départ, car le gouvernement français d’Alexandre Millerand – exclu du Parti socialiste SFIO en 1904 – lui avait interdit l’entrée dans le pays.

    Elle écrivit par conséquent une lettre dénonçant son impossibilité de venir, dont le ton est très différent de celui du triomphalisme qu’on trouvait alors dans les rangs du Parti Socialiste SFIO, puisqu’elle accuse celui-ci d’être dans une faiblesse complète.

    Outre que le gouvernement soit en mesure de faire ce qu’il veut de par la faible influence des socialistes, elle rappelle que le gouvernement a accusé de complot Fernand Loriot et Boris Souvarine, à la suite de grèves des cheminots en mai ; il s’agit des principaux cadres du Comité de la IIIe Internationale, qui furent emprisonnés à la suite de cette accusation et ne purent ainsi participer au congrès de Tours.

    « Je laisse aux ouvriers révolutionnaires de France la réponse à donner au gouvernement [pour son interdiction d’entrée dans le pays], recourant aux moyens les plus misérables dans la lutte gigantesque entre les classes antagonistes.

    Il y en a une seule, digne d’eux. C’est l’adhésion à la Troisième Internationale, dont je devais être une porte-parole.

    Petite comme est la chose en elle-même, le refus du visa ressemble pourtant à ces pailles qui font voir d’où le vent vient et dans quel sens il va.

    Le même Parti Socialiste français, dont la plus grande majorité a enchaîné le prolétariat du pays au char de la guerre sanglante des impérialistes, assoiffés de profit et de puissance, ne jouit pas en récompense d’assez d’autorité et de respect, pour pouvoir décider qui sera admis à son Congrès et qui y prendra la parole.

    C’est le gouvernement des renégats du socialisme, des serviteurs sans vergogne et sans scrupule des expropriateurs des ouvriers et paysans, qui en décide. Les prolétaires qui, insensément, criminellement, ont sacrifié des centaines de milliers de leurs meilleurs, ne sont pas libres d’accorder l’hospitalité de leur pays à qui bon leur semble.

    Quelle preuve éclatante de la faiblesse, de l’impuissance de la classe ouvrière en France !

    Ce petit fait accentue ce que l’emprisonnement de longs mois des communistes convaincus et dévoués Loriot et Souvarine, ce que les condamnations des grévistes courageux ont gravé au cerveau des ouvriers français. »

    Arrivée enfin au congrès, de manière clandestine, elle tint un discours dans la même perspective :

    « Pour que ce Congrès réalise cette œuvre grandiose de l’Histoire, il faut que vous fassiez de la division pour arriver à l’union.

    Il faut faire la division avec le passé, avec la politique réformiste, opportuniste, des majoritaires et des centristes avec leur phraséologie et leur idéologie opportunistes et contre-révolutionnaires, phraséologie des social-patriotes d’un côté et social-pacifistes de l’autre.

    Il faut substituer à cette politique la politique purement révolutionnaire et la lutte de classes du prolétariat.

    L’unité du Parti que vous avez à présent n’est pas une forteresse qui décuplera vos forces dans la lutte contre l’ennemi.

    Cette unité du Parti n’est même pas une maison bien construite dans laquelle vous trouverez les agréments d’une petite vie domestique pour les travaux de réforme ; c’est un bâtiment en ruines, c’est une maison croulante où nos pas en avant sont empêchés par les ruines du passé (…).

    Il faut donner votre adhésion pure et simple, nettement, à la Troisième Internationale, pas seulement à ses principes, à sa tactique, mais aussi à ses conditions. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) (…)

    Tous nos efforts au Parlement seront toujours anéantis par les balles et les mitrailleuses au service de la bourgeoisie. Alors, il faut arriver à la lutte révolutionnaire pour conquérir le pouvoir politique.

    Et si vous voulez faire cette conquête, vous ne pouvez pas marcher la main dans la main avec les défenseurs d’une politique de trahison et de faiblesse. »

    Cette insistance sur les balles et les mitrailleuses était évidente du point de vue de l’Internationale Communiste, mais elle posait un vrai problème de fond dans la tradition socialiste.

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