Les suites immédiates du 6 février 1934

Au moment du 6 février 1934, tout est particulièrement tumultueux. Il est compris, de part et d’autre, qu’une crise de régime s’exprime, dans le prolongement de la première crise générale du capitalisme commencée en 1917 et n’atteignant la France que dans un second temps, en liaison avec la crise américaine de 1929.

Ainsi, dès le 7 février, la Confédération générale du travail appelle à la grève générale pour le 12 février, un lundi. L’appel est le suivant :

« La Commission Administrative de la Confédération Générale du Travail a décidé hier, 7 février, que contre les menaces de fascisme et pour la défense des libertés publiques, une grève générale limitée à 24 heures devra être effectuée le 12 février.

Pour ce faire, les Union doivent en informer leurs syndicats pour que ceux-ci réunissent leur corporation dans leurs locaux habituels, le dimanche 11 février, en vue de préparer l’application de la décision confédérale. »

À Paris l’Action française organise des marches sur les boulevards, cherchant à faire monter la tension, alors que le Parti Communiste Français organise un rassemblement place de la République, avec une série d’affrontements avec la police, notamment au pistolet ; il y a 573 arrestations et plusieurs tués.

Le Parti Communiste Française réitère le 8, mais surtout le 9, avec 40 000 manifestants affrontant la police pour accéder à une place de la République qui leur est interdite ; il y a même l’érection de barricades. Le bilan va être de 1200 arrestations, de plusieurs centaines de blessés et encore une fois de plusieurs tués. C’est le moment historique où les quartiers de Ménilmontant et de Belleville, au nord de Paris non loin de la place de la République, apparaissent comme les bastions révolutionnaires.

L’appel à la mobilisation du 9 février 1934 lancé par le Parti Communiste Français et les Jeunesses Communistes est ici exemplaire de l’approche faite. Il n’y a pas d’unité proposée organiquement au Parti socialiste, seulement un appel à sa base ; il n’est pas non plus considéré que le fascisme entend renverser le régime – bien au contraire, le régime est présenté comme manœuvrant lui-même les fascistes.

« Brisez la vague fasciste !

Travailleurs !

Le sang ouvrier coule dans les rues de Paris !
Ce n’était pas assez de la baisse des salaires et du chômage ! Ce n’était pas assez du vol des assurances sociales ! Ce n’était pas assez des scandales répétés illustrant un régime qui se décompose !

À la faveur d’une démonstration provocatrice de bandes fascistes qu’elle a aidé à s’organiser militairement, la bourgeoisie jette son masque démocratique. Elle ne peut plus gouverner avec les anciennes méthodes.

Elle recourt à la dictature ouverte et à la terreur pour résister à la poussée révolutionnaire des masses. Un nouveau pas est fait vers le fascisme.

La politique du moindre mal qui a assuré te soutien des socialistes aux ministères de baisse des salaires et des traitements, aux ministères clos scandales, au ministère des fusilleurs Daladier Frot, voudrait livrer aujourd’hui le prolétariat aux mains de cette Union nationale que les fascistes saluent de leurs acclamations, tandis que Chiappe, complice de Staviski, s’apprête à réintégrer triomphalement la Préfecture de police.

En face de cette situation, le parti socialiste n’ose même plus maintenir son appel démagogique à une manifestation dans Paris.

Seul, le Parti communiste, sous le drapeau de la Commune, sous le drapeau qui flotte victorieux sur un sixième du globe en U.R.S.S. et sur un quart de la Chine, sous le drapeau de Lénine, vous appelle à l’action de classe sur tous les terrains.

Il faut briser la vague fasciste montante. Le succès dépend de la classe ouvrière, et d’elle seule, de son action de masse vigoureuse, rapide et unie.

FRONT UNIQUE D’ACTION POUR BRISER L’OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE ! OUVRIERS SOCIALISTES ET COMMUNISTES ! Préparez dans l’action la grève revendicative et politique de masse pour lundi.

OUVRIERS PARISIENS EN MASSE CE SOIR, A 20 HEURES, PLACE DE LA REPUBLIQUE.

Rassemblement dans les quartiers ouvriers pour s’y rendre en groupes.

LUTTONS ENSEMBLE

Pour l’arrestation immédiate du provocateur CHIAPPE, des chefs des ligues fascistes et des fusilleurs DALADIER et FROT !
Pour la dissolution des ligues fascistes!

Pour vos revendications immédiates !

Pour la représentation proportionnelle et la dissolution de la Chambre !

Pour la liberté de manifestations et de réunions

Pour la défense des libertés et de la presse ouvrières !

A bas la dictature sanglante du capital !

Vive le gouvernement ouvrier et paysan

LE PARTI ET LES JEUNESSES COMMUNISTES. »

On peut comparer cet appel à celui fait par la CGT et mis en avant par le Parti socialiste SFIO pour mobiliser le 12 février :

« Au Peuple ! Aux Travailleurs !

Le sang a coulé. Aujourd’hui, les factieux, fauteurs d’émeutes, sont démasqués.

L’offensive qui se dessinait depuis quelques mois contre les libertés publiques et la démocratie, a éclaté. Comptant sur la misère, sur le chômage, sur l’affreuse angoisse des jeunes, les forces fascistes militantes dressées contre le régime, ont agi.

Les scandales récents, la soif de justice du peuple ont été odieusement exploités. Pas un mot, pas une pensée pour les malheureux morts de la tragédie de Lagny. L’émeute a dicté sa volonté et la démocratie en reste dangereusement menacée.

Nous, travailleurs organisés, nous le répétons, nous ne voulons pas que soient confondus les voleurs, leurs suppôts et la démocratie. Nous voulons conserver les libertés fondamentales, si héroïquement arrachées par nos aïeux, et sans lesquelles la vie n’est plus digne d’être vécue.

C’est pour affirmer cette volonté inébranlable que les travailleurs, tous les travailleurs, doivent cesser le travail le lundi 12 février. Il faut démontrer que les forces populaires n’assisteront pas muettes et immobiles aux tentatives de substituer la dictature à la démocratie.

JEUNES HOMMES ! Devant vous, l’avenir est fermé. Vous avez cependant droit à la vie et c’est pour vous que les organisations syndicales agissent pour un ordre économique nouveau.

PAYSANS ! La classe ouvrière connaît votre misère. Elle a toujours pactisé avec vos propres révoltes. La Confédération Générale du Travail a toujours préconisé, sur le plan national et international, les mesures économiques propres à assurer votre condition de vie par l’écoulement normal et régulier de vos produits. Vous êtes attachés aux libertés républicaines et vous serez avec nous pour en assurer la défense.

INTELLECTUELS ET TECHNICIENS ! Vous êtes, vous aussi, profondément touchés par la crise qui vous prive de vos moyens d’existence et consomme la ruine de vos espérances les plus légitimes. Le fascisme vous asservirait. Votre personnalité ne peut s’exprimer totalement que dans un régime acceptant la liberté de pensée et la liberté de son expression.

TRAVAILLEURS ! Prenez garde ! La dictature hideuse vous guette. La barbarie hitlérienne avec ses violences, ses camps de concentration, ses matraquages, essaie de s’imposer en France. Vous ne voulez pas du traitement fasciste ou hitlérien. Vous voulez vivre libres, et travailler pour vivre !

Pour cela, à titre d’avertissement et pour manifester votre force et votre volonté, vous appliquerez unanimement, le lundi 12 février, le mot d’ordre de grève générale de 24 heures proclamé par la C. G. T.

La Confédération Générale du Travail »

Le Parti Communiste Français et la CGT Unitaire se cantonnèrent quant à eux dans des appels à l’action, se positionnant encore et toujours sur une ligne de débordement. Le 12 février 1934 fut alors le grand révélateur politique.

=>Retour au dossier sur
La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français