Alexandre d’Aphrodise ouvre la voie à la Falsafa

Pour comprendre pourquoi Alexandre d’Aphrodise représente un tournant favorable à l’élan de la philosophie d’Aristote chez les philosophes de la civilisation islamique, il suffit se de se tourner vers un propos d’Averroès (1126–1198), qui sera pareillement nommé le « commentateur ».

Dans ses remarques au sujet du Commentaire de la Métaphysique (point Λ 7) d’Aristote par Alexandre d’Aphrodise, Averroès cite de dernier :

« Il n’est pas nécessaire de comprendre par « plaisir » le plaisir qui découle d’une affection.

Car la puissance qui est liée à l’affection a pour opposé la peine, alors que le plaisir qui est dans l’intellect lui-même n’est pas une affection et n’a pas d’opposé, puisque cette saisie [intellectuelle] n’a pas pour opposé une ignorance.

En effet, le plaisir est l’un des concomitants de la saisie [intellectuelle], tout comme l’ombre l’est pour le corps.

Et s’il y a une saisie qui n’a pas d’opposé et qui n’est pas en puissance à un certain moment, celui qui saisit n’est jamais accompagné d’une douleur causée par l’absence de saisie. »

On a ici le principe selon lequel l’être humain peut lui-même atteindre une béatitude au moyen d’une compréhension du monde. En effet, on pense en conceptualisant. Donc le monde est déjà conceptualisé dans sa nature même. La pensée de l’être humain est un intellect passif retrouvant, lorsqu’il est mis en branle, l’intellect actif à l’échelle de l’univers.

Il suffit de lire le passage suivant du Coran, de la sourate Yunus, pour retrouver l’écho de cette exigence de se tourner vers la compréhension du monde tel qu’il est :

« C’est Lui qui a fait du soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps). Allah n’a créé cela qu’en toute vérité. Il expose les signes pour les gens doués de savoir.

Dans l’alternance de la nuit et du jour, et aussi dans tout ce qu’Allah a créé dans les cieux et la terre, il y a des signes, certes, pour des gens qui craignent (Allah). »

Naturellement, les vrais religieux, au sens strict, ne peuvent nullement se retrouver dans le matérialisme d’Aristote, son panthéisme souligné par Alexandre d’Aphrodise. Mais plus il y avait une charge matérialiste dans la civilisation islamique, plus était inévitable la convergence avec la perspective d’Aristote, par les points mis en avant d’Alexandre d’Aphrodise.

C’est pour cela qu’on va avoir chez Alexandre d’Aphrodise et les philosophes de la Falsfa arabo-persane littéralement la conception commune d’un esprit humain se tournant vers le monde pour en refléter les concepts, à la manière d’un ordinateur relié à un réseau afin de puiser des informations correctes dans un système central.

On est ici dans une adéquation intellectuelle avec l’ordre cosmique, une quête scientifique. Les auteurs de la falsafa arabo-persane appartiendront à la culture islamique, mais rejetteront catégoriquement le soufisme, les mysticismes islamiques en général. Il s’agit d’une perspective scientifique, d’un éveil intellectuel, de correction de ce qui est erroné afin de correspondre à sa propre essence, car chaque chose obéit par nature à son essence naturelle.

En s’identifiant au monde, comme « création divine » selon le Coran mais en fait également et surtout comme nature éternelle, l’être humain est un animal qui par son intellect matériel peut procéder à des abstractions et des raisonnements, l’amenant à saisir l’ordre du monde, à s’y reconnaître.

Illustration islamique, vers 1220, montrant Aristote enseignant à un disciple

On n’est pas dans une reconnaissance passive du cours du monde, comme chez le stoïcisme. On est dans une bataille pour faire parler le monde, pour se mettre en adéquation avec lui. On a ici un point de la plus haute valeur matérialiste, avec une portée dialectique formidable.

Le problème historique, inévitable, c’est bien sûr que ni Aristote ni Alexandre d’Aphrodise ne connaissaient le principe du reflet, de par leur époque arriérée. Mais ils étaient matérialistes : on apprend par les sens et si l’intellect agent n’est pas considéré comme matériel, au sens de la matière se reflétant par son mouvement dialectique dans l’esprit, il n’est pas considéré comme non immatériel pour autant, car il existe de par l’existence de la matière ayant des « formes ».

En fait, le problème était insoluble pour Aristote et Alexandre d’Aphrodise, car pour eux la matière était statique et il fallait qu’elle soit mise en mouvement. En réalité, tout est tout le temps en mouvement. Ni Aristote ni Alexandre d’Aphrodise ne pouvaient donc saisir le mouvement de la matière dans l’esprit, comme reflet.

Ils ont cependant eu l’intuition matérialiste que l’être humain ne pense pas, que l’intellect matériel d’un individu n’est qu’une copie de l’intellect agent universel.

En insistant en particulier sur cet aspect, Alexandre d’Aphrodise a permis de saisir de manière adéquate la démarche d’Aristote, et donc de réactiver le matérialisme comme vision d’un monde unifié. C’est cela que saisit la falsafa arabo-persane.

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Alexandre d’Aphrodise et l’essence dans le rapport universel-particulier

Alexandre d’Aphrodise a une position concrète différente de celle d’Aristote, au sens où si ce dernier se tourne vers le mouvement, la réalisation d’une potentialité pré-définie, ce qu’il appelle l’entéléchie, lui décale l’axe central vers la notion d’essence.

Il n’y a au sens strict, pas de divergences entre les deux. Ainsi, chez Alexandre d’Aphrodise, même la quête du plaisir n’est pas simplement porté par la satisfaction propre au désir, mais également par le fait que l’acte menant au plaisir relève d’un mouvement naturel, dont la réalisation est elle-même cohérente.

Alexandre d’Aphrodise constate dans De anima liber cum mantissa [Livre sur l’âme avec supplément] que :

« En désirant l’acte non entravé conforme à ce qu’ils sont, ils désireront leur bien propre et leur plaisir – s’il est vrai que le plaisir est un acte non entravé de la disposition naturelle – et, en outre, le fait que le plaisir résulte pour eux-mêmes (car c’est l’acte qui leur est particulier qu’ils désirent).

Celui en effet qui désire son acte propre, conforme à ce qu’il est en puissance, désire manifestement le caractère non entravé [de cet acte] (car ce qui empêche et entrave cet acte est, pour celui qui le désire, à fuir), et, en même temps, un acte de cette sorte est aussi plaisant.

Il désire non pas simplement un acte, mais le fait même d’être en acte, et en désirant cet acte propre, c’est le fait même d’éprouver du plaisir qu’il désirera, et ce d’autant plus que le plaisir suit un tel acte, auquel, comme acte premier, il est approprié. Il n’a pas fait du plaisir le but de son désir, mais il a ce plaisir en tant qu’il suit l’acte, car tout ce qui est conforme à la nature est plaisant. »

Cela est tout à fait conforme à la philosophie d’Aristote. Cependant, on sait que celui-ci a procédé avec les syllogismes à un moyen de développer les connaissances ; tourné vers la physique, il a posé les bases d’un vaste catalogue de la réalité, au moyen des espèces, des genres, etc. On a tout un panorama de divisions et de sub-divisions et Aristote est très clairement orienté vers le catalogage de toute la réalité.

Son immense projet est toutefois ici passé de la science à la philosophie : Alexandre d’Aphrodise quitte le terrain de l’étude des processus au sens de leur dynamique pour s’orienter vers le monde divisé en essences.

C’est pour lui l’aspect principal, car ce qu’il privilégie, ce sont les modalités permettant le monde plus que les modalités du monde lui-même, la métaphysique, plutôt que la physique. Naturellement, on a perdu l’essentiel des textes d’Alexandre d’Aphrodise et peut-être n’est-ce pas le cas, néanmoins c’est ce qui resta historiquement.

Cela se révèle d’ailleurs également, relativement, dans sa compréhension de l’opposition entre l’universel et le particulier.

Dans De l’interprétation, Aristote définissait notamment les choses ainsi :

« J’appelle universel ce dont la nature est d’être affirmé de plusieurs sujets, et singulier ce qui ne le peut : par exemple, homme est un terme universel, et Callias un terme individuel. »

Seulement voilà, pour qu’homme soit un terme universel, il faut qu’il y ait des hommes. Aristote insiste sur le fait que la généralité n’existe que de manière postérieure à l’existence réelle, concrète, de particuliers relevant de cette généralité.

Ce n’est pas un idéaliste : Platon, au contraire, dit qu’il y a des Idées existant au préalable, façonnant la matière et aboutissant à des reflets matériels imparfaits de ces idées (car matériels).

Tel n’est pas du tout le cas chez Aristote et Alexandre d’Aphrodise défend de manière adéquate sa conception, en disant par exemple que :

« Un être humain est un être humain de par sa nature telle, qu’il y en ait ou pas plusieurs partageant cette nature. »

Alexandre d’Aphrodise rejette donc les mathématiques comme base scientifique unilatérale : les objets mathématiques n’existent en effet pas en soi, ils sont seulement conçus par la pensée. On est ici dans la conception matérialiste d’Aristote, dans le refus de l’idéalisme croyant qu’un Dieu unique aurait inventé la multiplicité et façonner la matière au moyen de celle-ci, suivant des « codes », des combinaisons, etc.

Et ce faisant, il pose l’affirmation de l’essence de l’être humain. Il y a donc une contradiction entre l’essence humaine, d’un côté, universelle, et l’être humain individuel, particulier, de l’autre.

Lorsqu’il parle de l’existence de différences, Alexandre d’Aphrodise explique de manière cohérente que :

« Les substances particulières sont celles qui reçoivent les contraires, tandis que les genres, les différences et les formes ne reçoivent aucunement les contraires, car ils sont universels et généraux. »

On a ainsi des essences pour chaque chose. Mais chaque chose peut se retrouver dans une situation particulière (par rapport aux autres choses). Il y a une tension entre l’universel – un cadre fixé pour chaque chose, ou plutôt une nature, une essence – et le particulier, celui-ci connaissant dans des situations multiples.

Dans le cas où il s’agit d’un être humain, on a alors qui plus est la question de savoir si l’essence simple prédomine, au sens où l’animalité décide, ou bien si on est passé dans la raisonnement amenant à des alternatives parmi lesquelles choisir.

On a ici une systématisation de la démarche d’Aristote. Ce dernier posait son système comme analyse de la dynamique du monde, une dynamique qu’il appelle entéléchie car chose produite est déterminée par une fin bien déterminée.

Alexandre d’Aphrodise renverse la perspective, il ne cherche pas à saisir la dynamique dans son mouvement, mais dans sa réalité statique exigeant qu’on aille à l’essence pour parvenir à se définir. Il ouvre ici le cycle qui va consister principalement en Avicenne, Averroès, Spinoza.

Chez ces quatre philosophes, il s’agit de se mettre à l’écoute de son essence pour se placer sur la bonne longueur d’onde.

Et Alexandre d’Aphrodise distingue pour cette raison trois intellects : l’intellect matériel qu’on peut qualifier de passif, de tablette d’argile sur laquelle rien n’est écrit, puis l’intellect matériel mis en branle, mis concrètement à disposition, ayant conscience d’être réflexion.

On a enfin l’intellect agent, qui permet à l’intellect matériel d’être mis en branle, en tant que réflexion intellectuelle virtuelle de l’ordre cosmique.

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Alexandre d’Aphrodise et la question du déterminisme et de l’essence

Alexandre d’Aphrodise se heurte forcément à l’un des problèmes fondamentaux de la philosophie d’Aristote : la question du déterminisme. Le stoïcisme était un prolongement cohérent d’Aristote, au sens où si tout est cause et conséquence, alors tout est déterminé et la psychologie doit se conformer à ce qui apparaît comme étant le destin.

Seulement, Alexandre d’Aphrodise sait que s’il accepte cela, alors la philosophie d’Aristote devient une reconnaissance passive de la réalité. Or, Aristote exprimait non pas la mentalité du citoyen romain se conformant à ce que sa situation implique, mais celle de l’esclavagiste grec choisissant telle ou telle réalisation.

Par conséquent, Alexandre d’Aphrodise réactive la notion de production qui avait été perdue avec les Romains. Il dit : soit la production de quelqu’un se tourne vers une satisfaction naturelle, soit elle se tourne vers ce qui relève d’un choix de la raison.

On a ici soit la nature directement animale de l’être humain, soit sa capacité à se tourner vers l’intellect agent, reflet de l’univers, qui guide alors la réflexion.

Or, si on peut mal raisonner, une orientation simplement animale est implacable. Ce sont donc deux choses différentes.

Ce qu’on appelle destin relève par conséquent de la dimension directement naturelle, alors que l’autre aspect, non déterminé, relève de la délibération faite par les êtres humains, de manière juste ou pas.

Il va de soi qu’il faut ici relativiser cela : si Alexandre d’Aphrodise ne connaît bien entendu pas le principe de mode de production façonnant les esprits, il considère en fait que soit on pense bien et qu’on est conforme à l’ordre du monde, soit que l’on pense mal mais alors qu’on ne pense pas vraiment, on s’égare en fait, et cela ne tient pas.

Il y a ainsi d’un côté ce qui arrive inéluctablement, car de manière naturelle, et de l’autre ce qui relève d’un certain relativisme, d’alternatives.

Dans son traité sur la providence, Alexandre d’Aphrodise dit ainsi que :

« La puissance divine que nous avons appelée également nature constitue les choses qui existent en elle et les façonne avec proportion et ordre, et non par délibération.

Car la nature n’appartient pas à chacun des êtres qu’elle produit en tant qu’elle le penserait et le méditerait rationnellement – du fait que la nature est une puissance irrationnelle [en fait non rationnel, au-delà du rationnel] – mais du fait de l’être de chacun ; c’est de cette manière que chacun se produit en conformité avec son être à partir de l’animal et du corps divin, ce dernier étant l’engendreur de son principe.

Puisqu’en effet son existence provient de ce corps et qu’il vient à être une chose procédant et émanant de lui, il se trouve qu’en raison de son analogie avec lui, il est de sa nature de produire tout mouvement ordonné de telle sorte qu’il agit selon des nombres et des rapports déterminés.

Il n’est en effet pas possible qu’apparaissent dans les actes et les mouvements des rejetons des animaux mortels des indices et des signes de leur race, tandis que ce qui est engendré des dieux ne conserverait pas, entre autres choses qui lui appartiennent, la bonne ordonnance provenant des choses divines.

Et il faut savoir que le mouvement qui provient de la nature ressemble d’une certaine manière à ce qui apparaît dans ce que suscitent les faiseurs d’automates.

Nous voyons souvent de tels mouvements inanimés se produire, de manière artificielle, lorsque le faiseur d’automates leur procure un principe de mouvement. Ainsi, certains paraissent danser, d’autres lutter, d’autres se mouvoir d’autres mouvements suivant un ordre et un rythme, du fait que leur artisan leur a prodigué une telle constitution. »

L’être humain a une essence, comme les automates sont déterminés à telle ou telle action. La marge de manœuvre de la délibération est ainsi calibrée par définition même. Le déterminisme ne s’exprime qu’en rapport avec l’essence de l’être humain, avec une opposition entre le particulier et l’universel.

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Alexandre d’Aphrodise et le dépassement du scepticisme, de l’épicurisme et du stoïcisme

Alexandre d’Aphrodise représente un immense moment de tension. Au moment où il intervient philosophiquement, l’idéalisme s’est puissamment structuré intellectuellement ; on le désigne parfois comme « moyen-platonisme », parce qu’il préfigure le néo-platonisme émergeant peu après la mort d’Alexandre d’Aphrodise.

Or, ce dernier va totalement à rebours du néo-platonisme. Les tenants de Platon se tournaient toujours davantage vers la magie, le mysticisme, dépassant le platonisme déjà puissamment idéaliste, pour ne pas dire totalement religieux. Mais Alexandre d’Aphrodise, lui, se revendique de l’aristotélisme comme matérialisme et rejette tout apport ; il veut l’orthodoxie. Et lorsqu’il exige un rappel strict et sans ajouts de la philosophie d’Aristote, il présente celle-ci comme une doctrine complète.

Il défend la conception d’Aristote. L’être humain ne pense pas : sa pensée n’est que le reflet de l’ordre du monde. Soit l’être humain est tourné vers sa réalité animale, soit il est éveillé et cherche à comprendre l’ordre de l’univers, y voyant quelque chose de réel et de bon.

Il est ici un point culminant de tout un renouveau de l’intérêt pour Aristote existant alors depuis quelques décennies ; à ce titre, il sera par la suite nommé le « commentateur » (ho exêgetês).

Manuscrit médiéval, en latin, de la Physique d’Aristote

Et c’est en tant que commentateur, en résumant la démarche d’Aristote, en formulant les différentes possibilités de réponse aux questions en suspens, qu’il va affirmer la dimension systématique de la « métaphysique », posant une doctrine matérialiste unifiée.

Alexandre d’Aphrodise est donc le héraut du matérialisme à ce moment-là. On ne peut pas comprendre son impact, la charge matérialiste qu’il représente historiquement, si on ne voit pas cela.

Le contexte historique est celui d’un affrontement intense entre idéalisme et matérialisme, entre le matérialisme authentique et les tendances secondaires du matérialisme.

Pour cette raison, Alexandre d’Aphrodise fait face à deux contre-courants : tout d’abord, le platonisme et le néo-platonisme qui rejettent la matière, au profit du seul esprit. Le conflit est ici facile à comprendre, puisque le matérialisme rejette le dualisme opposant corps et esprit.

Ensuite, il y a l’épicurisme, le stoïcisme et le scepticisme qui se tournent vers un matérialisme sensualiste et immédiatiste-psychologique.

Cette dernière direction était, dialectiquement, présente chez Aristote. Tant l’épicurisme que le stoïcisme et le scepticisme sont une lecture dialectiquement possible d’Aristote. Le contexte romain a asséché la dynamique scientifique, affaiblissant la démarche d’Aristote et permettant l’affirmation d’une série de questionnements et de positionnements, matérialistes mais éclectiques ou étroits.

Copie romaine d’une représentation hellénistique d’Epicure, fin du 3e siècle – début du 2e siècle avant notre ère

Le scepticisme appelle à prendre le monde comme si complexe qu’on ne peut être certain de rien ; l’épicurisme appelle à être heureux matériellement par sobriété, la vie à l’écart de tout souci possible ; le stoïcisme appelle à être heureux en se reconnaissant dans le mouvement inéluctable des choses qui se déroulent.

Alexandre d’Aphrodise intervient alors, dans la réaffirmation du matérialisme, et il va mettre l’accent sur un aspect permettant la reconstitution de la philosophie d’Aristote, et ainsi son affirmation.

Chez Aristote, l’être humain se situe dans l’univers et peut avoir conscience de sa place de manière active. Cependant, en développant de manière approfondie le principe du mouvement comme dynamique, en posant le monde comme succession de causes et de conséquences, en définissant les règles du syllogisme… Aristote avait posé un espace logico-rationaliste à côté de son affirmation du monde comme naturel.

Le scepticisme, l’épicurisme et le stoïcisme se sont engouffrés dans cette brèche. Le scepticisme met de côté l’univers en se résumant à une logique immédiatiste. L’épicurisme rejette qu’on puisse avoir conscience de sa place dans l’univers qui serait pur hasard et en reste à une logique immédiatiste-sensualiste.

Enfin, le stoïcisme fait des causes et des conséquences un système unifié supprimant toute dimension active de la part des êtres humains, qui doivent se conformer à leur sort.

Alexandre d’Aphrodise rejette alors le scepticisme par définition pour son rejet de la science, il met de côté l’épicurisme comme étant un fétichisme du bien-être naturel et il combat le stoïcisme comme relevant d’une fascination intellectuelle passive pour l’ordre cosmique (et ces deux philosophies apparaissent clairement comme de l’aristotélisme déformé dans un sens ou dans l’autre).

Il expose alors la place de l’être humain dans l’univers selon Aristote. C’est un moment clef dans la bataille pour le matérialisme et cela se lit avec la question du déterminisme et de l’essentialisme.

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Alexandre d’Aphrodise et la position de l’être humain dans l’univers

Alexandre d’Aphrodise est un matérialiste ; il affirme que la Nature, d’une richesse incroyable, façonne le monde. Se tourner vers la Nature pour la comprendre est la meilleure chose à faire : en reflétant dans son esprit les concepts des réalités matérielles, on obtient le vrai bonheur contemplatif.

Il va de soi que les commentateurs bourgeois ont été dans l’impossibilité de comprendre toute cette démarche d’Alexandre d’Aphrodise, et même d’Aristote. Ils ont été incapables d’en saisir la charge matérialiste, car seul le matérialisme dialectique permet de comprendre qui est un de ses lointains ancêtres.

Les commentateurs bourgeois ont cherché à comprendre l’intellect agent comme une sorte de forme immatérielle flottante, ne comprenant pas que c’est simplement l’ordre du monde qu’on peut rationaliser intellectuellement en tournant son esprit vers lui et non plus vers une simple immédiateté comme le font les animaux.

On ne peut pas, chez Aristote, faire des abstractions virtuelles – les abstractions sont issues de la réalité elle-même et le matérialisme dialectique montre bien comment le monde est lui-même dialectique, donc les raisonnements également, retombant sur la réalité dialectique, et inversement.

Tout se reflète et l’esprit humain n’est qu’un lieu de passage, un reflet de la matière, celle de la personne ayant cet esprit, celle de la réalité elle-même.

Version latine du Traité de l’âme d’Aristote, début du 14e siècle

La démarche d’Alexandre d’Aphrodise aboutit ainsi de manière cohérente à un panthéisme, comme chez Aristote et comme chez Spinoza ; ayant par contre réfuté la Nature, les commentateurs bourgeois ne peuvent pas saisir la substance de leur approche concernant la « pensée ».

« Penser », pour un être humain, c’est penser le monde par le monde, avec le monde ; dans les commentaires sur les Premiers analytiques attribués à Alexandre d’Aphrodise, on lit ainsi :

« Théoriser est le plus grand des biens humains. »

L’être humain est, chez Aristote et Alexandre d’Aphrodise (et Spinoza), un être tourné vers la contemplation théorique. Il est capable de recevoir, par un esprit récepteur, l’ordre du monde.

Si l’être humain avait un esprit plein, il ne pourrait rien intégrer ; s’il avait un esprit partiellement plein, il ne pourrait pas assumer les vérités telles quelles mais seulement ces vérités associées à ce qu’il y a déjà dans son esprit.

Si l’esprit humain avait sa propre « composition » pour ainsi dire, il ne pourrait pas intégrer la composition qu’est la réalité.

Alexandre d’Aphrodise en déduit fort logiquement qu’il n’y a rien à la base, à part le mélange matériel permettant à l’esprit d’exister, et l’intellect agent vient imprimer ses concepts sur cet intellect matériel.

L’être humain a alors un esprit mis en branle et est en mesure de disposer de la satisfaction d’un regard théorique contemplatif.

Il faut bien souligner cet aspect essentiel d’un esprit qui est à l’origine comme une tablette d’argile, ou plus exactement portant la potentialité de se transformer en tablette d’argile avec quelque chose s’écrivant dessus. L’intellect matériel est un simple récepteur, il n’a pas de nature propre.

Dans son Grand Commentaire du Traité sur l’âme d’Aristote, Averroès constate ainsi au sujet d’Alexandre d’Aphrodise que :

« Alexandre explique la démonstration d’Aristote concluant que l’intellect matériel n’est pas passif, qu’il n’est pas quelque chose dont on dit « ceci », à savoir un corps ou une faculté [existant] dans le corps, comme visant la préparation elle-même et non le sujet de la préparation.

C’est pourquoi il dit dans son livre De l’âme que l’intellect matériel ressemble plus à la préparation qui est dans la tablette non écrite qu’à la tablette préparée elle-même ; que cette préparation peut être vraiment caractérisée [comme] « ce qui n’est pas quelque chose dont on dit ‘‘ceci’’, ni un corps ni une faculté [existant] dans le corps » et qu’elle n’est pas passive. »

C’est grâce à l’ordre cosmique, universel, que quelque chose peut être écrit dans le mélange physico-chimique. Il n’y a pas de tablette attendant passivement d’être écrite, seulement les éléments du mélange qui, telle une matière première, sont disponibles pour mettre en place cet intellect matériel, qui est une conséquence de l’action de l’intellect agent.

L’intellect matériel ne peut avoir comme « forme » que celle de l’intellect agent l’ayant façonné. L’intellect matériel se tourne ainsi toujours plus vers l’intellect agent.

Mettre l’intellect matériel en branle, c’est contempler le monde par le monde, c’est retrouver l’ordre cosmique en lui-même, c’est le bien absolu. Et plus on renforce cette contemplation de type scientifique, plus on retrouver les concepts des choses matérielles, plus le bien absolu s’exprime en nous.

Au sens strict, on peut dire que Denis Diderot est, suivant cette vision des choses, l’être humain le plus accompli en raison de l’Encyclopédie.

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Le panthéisme d’Alexandre d’Aphrodise

Ce qui pousse Alexandre d’Aphrodise à se tourner vers la métaphysique plus que la physique, c’est qu’il suit jusqu’au bout la démarche d’Aristote. Chez ce dernier, le producteur a plus de dignité que le produit. C’était là le reflet du mode de production esclavagiste.

Il est donc cohérent de s’attarder davantage sur ce qui permet le monde que le monde lui-même. Seulement, nous sommes dans le monde nous-mêmes. Aussi Alexandre d’Aphrodise souligne-t-il bien que c’est depuis le monde qu’il faut partir et que c’est le monde qu’il faut aller, car il n’y a rien d’autre que le monde.

La métaphysique se trouve dans la physique, et inversement. Comme chez Spinoza, Dieu est le monde et on a pratiquement le même découpage entre une nature naturante et une nature naturée.

Copie manuscrite de la Métaphysique d’Aristote, entre 1311 et 1321

On a d’ailleurs le même modèle quant à l’esprit, puisque raisonner correctement c’est saisir sa propre détermination naturelle, d’une part, et par conséquent se tourner vers la Nature, qui est le bien absolu, puisqu’elle est tout, le monde en lui-même.

Alexandre d’Aphrodise ne peut ainsi nullement concevoir, à la romaine comme le stoïcisme l’a fait, que l’ordre cosmique n’existe que dans la société. L’ordre cosmique est bien plus vaste et c’est en scientifique, non en citoyen parfait, qu’il faut affirmer son existence.

Et toute personne doit être scientifique, car le monde est la Nature elle-même. De manière fort cohérente d’ailleurs, et dans la perspective d’Aristote, Alexandre d’Aphrodise assimile en effet l’ordre cosmique à Dieu lui-même, et re-penser l’intellect agent c’est déjà se tourner vers Dieu, qui n’est plus alors que le système cosmique en tant que tel.

On a ainsi des êtres humains relevant d’un aspect d’un ordre cosmique, totalement naturel, qui s’extrait de leur position pour en fait la reconnaître intellectuellement et, en la contemplant, être heureux de la bonté, de la beauté de cet ordre cosmique.

Page de titre de l’édition de 1708 de L’éthique de Spinoza

Ce qu’on appelle l’intellect agent se confond avec Dieu, réduit à un « moteur premier » automatisé, comme chez Spinoza. Le moteur premier, c’est le moteur non mu, le grand démarreur du monde, Dieu, mais un Dieu tourné vers lui-même, nullement tourné vers le monde matériel qu’il a fait se mouvoir.

Il l’a toujours fait et le fera toujours. Il est impersonnel, littéralement virtuel. Et comme il porte le monde, il est en fait le monde lui-même car l’intellect agent et Dieu sont une seule et même chose. Dieu n’est pas loin, il est au contraire présent et même très présent puisque chaque aspect de la réalité est un aspect du tout.

Chez Alexandre d’Aphrodise, Dieu est le « bien suprême », la « substance absolument sans matière », c’est-à-dire qu’il se ramène à l’ordre cosmique lui-même. Voilà pourquoi l’intellect agent est ce « Dieu » : la pensée de ce Dieu est le reflet du monde, car Dieu est le monde.

Les caractères de l’ordre cosmique se « lisent » de manière naturelle pour des êtres naturels.

Et comme un producteur a plus de dignité que le produit, Dieu est au-dessus du monde, mais en même temps l’aboutissement du monde est Dieu lui-même. On atteint ici le matérialisme le plus développé possible pour l’époque.

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Alexandre d’Aphrodise et l’esprit matériel dans un monde matériel

Alexandre d’Aphrodise souligne bien que l’esprit humain est vide en soi, qu’il ne fait que refléter les vérités du monde formant l’intellect agent. Le « moteur premier », qui a permis l’existence du monde en le mettant en branle, assurant sa dynamique, est lui-même l’intellect agent.

On obtient par conséquent, de manière absolument cohérente, une reconnaissance de la nature comme réalité. Car c’est la nature qui permet à ce « mélange », qu’on dirait aujourd’hui physico-chimique, de se mettre en place pour former l’esprit.

Et cet esprit ne peut se tourner que vers deux choses : ce qui est ressenti, d’une part, ce qui est conceptualisé, d’autre part. Et ce qui est conceptualisé reflète le monde matériel lui-même.

Tout est ainsi matériel : la formation de l’esprit, son activité elle-même, ce vers quoi il se tourne. La réalité matérielle est à la fois naturelle et d’une richesse incroyable.

Dans un texte sur l’âme attribué à Alexandre d’Aphrodise, De anima liber cum mantissa [Livre sur l’âme avec supplément], on lit ce qui correspond tout à fait à son approche selon laquelle tout relève d’une combinaison de la nature, qui est d’une richesse incroyable.

On a une série d’oppositions dialectiques, même si évidemment on a des catégories encore idéalistes en raison de l’arriération de l’époque (le chaud / le froid, le sec / l’humide, etc.).

« Il faut que celui qui s’apprête à suivre des discours sur l’âme et à consentir aux définitions portant sur sa substance s’aperçoive d’abord du caractère extraordinaire et magnifique de la nature, qui surpasse celle de bien d’autres choses.

Car lorsque nous aurons appris quel genre de chose est la nature et que nous serons convaincus que ses œuvres sont plus merveilleuses que toutes les réalisations admirables de l’art, nous croirons plus facilement les choses qui seront dites sur l’âme (…).

C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de la différence de formes dans les corps naturels, puisqu’ils tiennent clairement de leurs substrats les causes de leur variété.

Car la multiplicité des formes, dans les corps qui les reçoivent, et leur différente combinaison constitueraient des causes raisonnables d’une aussi grande variété.

Car si, quand le substrat est unique et qu’il ne contribue à aucune différence pour les êtres qui naissent de lui (la matière est en effet de ce genre), le sec, l’humide, le chaud et le froid, qui naissent deux par deux dans la matière, deviennent cause d’une aussi grande différence pour les choses qui naissent d’elle – à savoir que l’un d’eux devient feu, l’autre air, l’autre terre et l’autre eau; que l’un est lourd, l’autre léger et que les autres éléments ont chacune de ces qualités de façon secondaire –, comment ne serait-il pas raisonnable que les corps qui naissent de la combinaison et du mélange qualifiés de chacun de ces éléments diffèrent complètement les uns des autres par les formes et par les puissances qui peuvent les mouvoir? »

L’expression philosophique d’Alexandre d’Aphrodise est aussi imbuvable que celle d’Aristote. Néanmoins on voit bien comment il y a ici une insistance sur les mélanges chimiques qu’on trouve dans la nature, dans leur richesse, leur multiplicité combinatoire.

C’est là un souci matérialiste, une insistance à se tourner vers le réel et à ne pas chercher de solutions dans l’au-delà, l’immatériel, la spiritualité, etc. Alexandre d’Aphrodise insiste par ailleurs de manière significative sur la notion d’étonnement devant la Nature, base d’une quête de connaissance. C’est un principe aristotélicien par excellence et cela aboutit à la contemplation du monde comme plus haut degré de la science.

Alexandre d’Aphrodise met ainsi l’accent sur le panthéisme, alors qu’Aristote s’orientait principalement par rapport à la question de la physique considérée comme une dynamique, chaque chose étant ce qu’elle est à la suite d’une production en vue d’un but.

La métaphysique était le support des principes d’Aristote sur la physique (avec toutes ses branches) – Alexandre d’Aphrodise renverse la perspective et se focalise sur la métaphysique, sur l’univers comme nature organisée.

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Alexandre d’Aphrodise et la nature de l’intellect agent

Alexandre d’Aphrodise va répondre de manière la plus claire possible à la nature de l’intellect agent. Son raisonnement est implacable.

Il faut partir du principe suivant. Les concepts pensés par des êtres humains n’existent que de manière pensée par des êtres humains. Quand ceux-ci meurent, leur pensée meurt avec. Il n’y a pas d’âme au sens religieux, quand on est mort, on est mort.

Dans son analyse du traité de l’âme d’Aristote, Alexandre d’Aphrodise dit ainsi que :

« Pour les formes données dans une matière, comme on l’a dit, dès lors que de telles formes ne sont pas pensées, aucune d’elles n’est intellect, puisque c’est dans le fait d’être pensées que consiste pour elles l’hypostase du fait qu’elles sont intelligibles.

En effet, les universels et les communs existent dans les choses particulières et matérielles. C’est une fois pensés à part de la matière qu’ils deviennent universels et communs, et ils sont intellects au moment où ils sont pensés.

S’ils ne sont pas pensés, ils ne sont plus. De sorte que, séparés de l’intellect qui les pense, ils se corrompent, puisque leur être réside dans le fait d’être pensés. »

On a alors le problème suivant : qui porte l’intellect agent, puisque les concepts doivent être portés par quelque chose ? La question n’est pas de savoir ce que sont ces concepts, car ils sont bien la conceptualisation de choses matérielles, réelles.

Cependant, il faut bien savoir où sont « stockés » ces concepts. Alexandre d’Aphrodise dit ici que c’est l’univers lui-même qui porte cet intellect agent.

C’est tout à fait cohérent : il y a un « moteur premier » ayant mis l’univers en branle et la réalité est en mouvement grâce à ce moteur premier. Ce moteur premier a toujours existé et le monde a toujours existé ; c’est l’équivalent de la conception « déiste » de nombreux auteurs des Lumières. Dieu est un démarreur, un horloger.

Or, ce moteur premier est la cause de la réalité matérielle, par conséquent les formes de la matière première qui a été façonnée par le moteur premier relèvent du moteur premier lui-même. Ce n’est pas ici l’être humain qui a été créé à l’image de Dieu, mais l’univers entier qui correspond à l’image du « moteur premier ».

Alexandre d’Aphrodise dit la chose suivante dans son analyse du traité de l’âme d’Aristote :

« Pour toute chose, en effet, c’est ce qui est par excellence et au plus haut point quelque chose, qui est cause, pour toutes les autres, du fait qu’elles ont aussi cette nature (…).

Ainsi, ce qui est suprêmement visible – telle est la lumière – est cause de la visibilité de toutes les autres choses visibles.

Et de même, le bien suprême et premier est cause, pour tous les autres biens, du fait qu’ils sont tels.

En effet, les autres biens sont distingués en fonction de leur contribution à celui-là.

Et donc ce qui est, par sa nature propre, suprêmement intelligible est vraisemblablement aussi cause de l’intellection des autres choses.

Étant tel, ce sera donc l’intellect agent.

En effet, s’il n’existait pas un intelligible par nature, alors rien d’autre ne deviendrait intelligible, comme on l’a dit auparavant. Car dans tous les cas où il existe à la fois un étant qui est souverainement tel et un autre qui l’est en second lieu, celui qui l’est en second lieu tient son être de ce qui l’est souverainement.

En outre, si un tel intellect est la première cause, qui est cause et principe de l’être pour toutes les autres choses, il sera alors également agent, dans la mesure où il sera cause de l’être de toutes les choses pensées. »

C’est parce que l’univers est cohérent que chaque chose est cohérente, c’est parce qu’on peut saisir la cohérence de l’univers qu’on peut saisir la cohérence de chaque chose.

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Alexandre d’Aphrodise et l’intellect matériel

Alexandre d’Aphrodise va préciser le rôle de l’intellect agent, au moyen du concept d’intellect matériel. Ce faisant, il ne fait que re-dire Aristote, au sens strict. Mais il rend plus clair la question et insiste sur cet aspect de sa philosophie, jusqu’à en faire l’aspect principal d’ailleurs.

La question qui se pose est en effet la suivante. L’être humain ne pense pas, sa pensée est reflet. Mais qu’est-ce qui permet cette pensée comme reflet ? C’est la matière elle-même.

Alexandre d’Aphrodise est matérialiste, il ne croit pas en une « âme » au sens religieux du terme, mais en un esprit permis par un certain agencement physico-chimique.

Il souligne donc bien le caractère temporaire de la pensée c’est-à-dire la capacité individuelle à raisonner, à réfléchir c’est-à-dire à réfléchir tel un miroir l’ordre cosmique. Lorsqu’on meurt, l’esprit meurt aussi. Il re-dit ainsi Aristote et rejette tout caractère « éternel » de l’esprit.

Cet intellect des êtres humains est donc matériel. L’esprit se forme par un agencement chimique ; il dit dans De l’Intellect selon l’opinion d’Aristote :

« Lorsqu’à partir de ce corps, quand il présente un certain degré de mélange, est engendré quelque chose, naissant de la totalité du mixte et apte à servir d’instrument à l’intellect qui est dans ce mixte, et puisqu’il existe en tout corps et que cet instrument est aussi un corps, on l’appelle intellect en puissance ; et c’est une faculté produite par le mélange qui intervient dans les corps, et qui est préparée à recevoir l’intellect qui est en acte. »

En clair, la capacité à réfléchir est le produit d’une certaine mixture matérielle et quand on se met à réfléchir, actualisant cette capacité, c’est que la mixture s’est prolongée en réceptacle des raisonnements.

Mais qu’est-ce qui amène cette mixture à s’activer ? C’est l’intellect agent, c’est-à-dire actif. Cet intellect, gigantesque pack de tous les concepts des réalités matérielles, met en branle les intellects matériels.

Ceux-ci se confrontent à la réalité matérielle et en « lisent » alors automatiquement les concepts. Aristote, défendant le matérialisme, les sens, explique en effet que ce qui est pensé est identique à ce qui pense.

C’est le contraire du « je pense donc je suis » de Descartes. En effet, pour dire qu’on pense donc qu’on est, il faut penser qu’on pense qu’on est. Cela implique alors de penser qu’on pense qu’on pense qu’on est. Et ainsi de suite à l’infini, ce qui n’a aucun sens.

L’être humain est donc immédiat, sa pensée est lui-même ; il n’y a pas de dualisme, pas de séparation entre le corps et l’esprit.

Alexandre d’Aphrodise, dans son écrit sur l’intellect, définit ainsi l’action de l’intellect agent sur l’intellect matériel :

« Cet être est à la fois intelligible par sa propre nature et intellect en acte; il est la cause qui porte l’intellect matériel à séparer, en la rapportant à une forme de ce genre, chacune des formes engagées dans la matière, à l’imiter, à la penser et à la rendre intelligible (…).

Il arrive en nous de l’extérieur, lorsque nous le pensons, puisque c’est par la préhension de la forme que l’intellection se produit en nous, et qu’il est la forme immatérielle, indépendante de la matière sans en avoir été séparée par la pensée abstractive.

Dans ces conditions, il est évidemment séparé de nous, puisque ce n’est pas notre pensée qui lui confère sa quiddité d’intellect, mais qu’il la possède par nature, étant à la fois intellect en acte et intelligible en acte (…).

Tout comme la lumière, qui est cause de la vision en acte, est perçue elle-même ainsi que ce qui l’accompagne, et grâce à elle, la couleur, ainsi l’intellect extérieur est cause de notre intellection tout en étant pensé lui-même ; il ne crée pas l’intellect, mais perfectionne par sa propre nature l’intellect existant et le conduit vers ses fonctions propres.

Donc l’intelligible par nature, c’est l’intellect suprême ; les autres intelligibles existent par l’art et par l’opération de l’intellect humain : l’intellect potentiel les crée, sans pâtir et sans être amené à l’existence par une cause étrangère (même avant son acte il était intellect), mais après avoir été augmenté et perfectionné.

Une fois perfectionné, il pense, et les intelligibles par nature, et ceux qui dépendent de son activité et de son art propres. L’action est en effet le trait propre de l’intellect, et penser c’est, pour lui, agir et non pâtir. »

La question se pose alors : qui est cet intellect agent ?

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Alexandre d’Aphrodise et l’intellect agent

Alexandre d’Aphrodise est porté par l’effondrement du système romain ; il exprime la réaffirmation d’une lecture scientifique du monde. Comme il doit le faire contre d’autres courants (le platonisme, le scepticisme, l’épicurisme, le stoïcisme), il cherche un axe central. C’est « l’intellect agent » qui est alors érigé comme clef de voûte de l’aristotélisme.

Ce moment va être grandement salué par les philosophes de la civilisation islamique ; de fait, il portera toute leur approche. Toute la philosophie arabo-persane, tout en discutant des modalités de l’intellect agent, ne cessera de le placer au centre de sa propre activité et considérera toujours Alexandre d’Aphrodise comme un titan.

Miniature persane représentant Avicenne

Le principe est simple : l’être humain ne pense pas. Lorsqu’on « pense », on s’appuie sur le réel et par conséquent on pense le réel, c’est-à-dire que le réel pense en nous. Le réel se reflète dans notre pensée, pour employer ce concept matérialiste dialectique.

Du point de vue d’Aristote et d’Alexandre d’Aphrodise, cela donne la chose dite de la manière suivante : chaque phénomène consiste en de la matière première et une « forme ». Par exemple une table a le bois comme matière mais une forme de table.

Le phénomène connaît un processus passant par la matière première, mais dont les modalités passent par la forme. C’est pourquoi la table est employée comme table, même si elle était par ailleurs dans une autre matière première.

Quand on pense, on ne fait que refléter des concepts de forme existant. On ne pense pas le concept de table, on retrouve un concept de table préexistant. Ce concept n’existe pas tout seul, dans un « monde des idées » comme le croit Platon. S’il est immatériel, il n’existe dans la réalité que comme abstraction de choses concrètes. Le concept de table est immatériel, mais est l’abstraction des tables qui existent réellement.

Voici comment Alexandre d’Aphrodise présente la chose dans ses remarques sur le traité de l’âme d’Aristote :

« Mais si, d’autre part, il y a des formes, telles celles par soi, séparées de la matière et de tout sujet, alors celles-là sont intelligibles au plus haut point, puisqu’elles ont dans leur nature propre le fait d’être telles et non pas en recevant le secours de ce qui les pense.

Et les intelligibles qui sont intelligibles par leur nature propre le sont en acte, car ceux donnés dans une matière sont intelligibles en puissance. Or l’intelligible en acte est identique à l’intellect en acte, s’il est vrai que ce qui est pensé est identique à ce qui pense. Par conséquent, la forme immatérielle est souverainement intellect en acte (…).

Ces formes adviennent, dans celui qui les pense, telles qu’elles sont par leur propre nature, c’est-à-dire indépendamment du fait d’être pensées. »

On a ainsi un concept abstrait, qui généralise quelque chose, qui est donc immatériel, mais qui n’existe que parce que ce quelque chose existe. On ne peut pas « inventer », « imaginer » des concepts ne reflétant pas le réel. On ne peut pas « créer » un concept. Dans la démarche d’Aristote, la pensée est reflet et imaginer par exemple une voiture avec des ailes et une queue de dragon, c’est simplement mélanger les concepts de voiture, d’oiseau et de dragon.

Une fois qu’on est lancé dans sa pensée (comme reflet), on acquière d’autant plus de concepts. Bien penser, c’est alors retrouver par la pensée l’ordre du monde. On a un monde conceptualisé qui se reflète dans notre pensée consistant en une accumulation de concepts.

Cependant, nous mourrons et notre esprit meurt donc aussi. Aristote est matérialiste : il n’y a pas de vie après la mort, d’âme éternelle, etc. Faut-il alors considérer que les concepts pensés, reflétés, disparaissent avec notre mort ?

C’est là qu’intervient le concept d’intellect agent. L’intellect agent est comme un gigantesque pack de tous les concepts de la réalité et ce pack flotte dans le monde, comme un stock attendant d’être re-pensé.

C’est bien entendu ici un contournement du principe de reflet, qu’Aristote ne connaissait pas, même s’il se fondait sur les sens, qu’il était matérialiste. Il ne pouvait pas atteindre ce concept, car il vivait dans une société esclavagiste, avec des décideurs et des décidés.

Au-delà de l’impact des sens, il avait besoin d’une mise en action de la « pensée » humaine. Alexandre d’Aphrodise va ici éclaircir davantage le concept d’intellect agent.

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Alexandre d’Aphrodise comme commentateur et son cadre historique

Alexandre d’Aphrodise a lui-même enseigné la philosophie d’Aristote à Athènes, de 189 à 209. Il était alors considéré comme le commentateur d’Aristote, au sens de la fidélité aux enseignements de celui-ci. Comprendre Aristote, c’était s’appuyer sur Alexandre d’Aphrodise.

Les philosophes arabes, persans et juifs qui se tourneront vers Aristote passeront ainsi par Alexandre d’Aphrodise et ne cesseront de souligner son rôle éminent comme défenseur de celui-ci.

Le processus est le suivant. Historiquement, Platon et Aristote émergent au moment de l’effondrement de la Grèce antique et par la suite, ni la Macédoine d’Alexandre le grand ni Rome ne reprendront leurs philosophies au sens strict. Alexandre le grand était le disciple d’Aristote mais son empire s’effondra immédiatement après sa mort ; Rome avait sa propre dynamique extensive, à rebours de la Grèce des clans et des cités.

Le platonisme se conjugua alors avec tous les courants mystiques, le culte des oracles, bref toutes les fantasmagories magiques croyant en l’au-delà et en son intervention dans le monde. C’était là cohérent avec le fond idéaliste de Platon, qui croyait en un monde parallèle idéal, intermédiaire entre Dieu et le monde matériel.

Centre de la fresque L’école d’Athènes, de Raphaël (1509-1510).
A gauche, Platon indique le ciel, le monde des idées.
A droite, Aristote désigne le sol, la matière.

L’aristotélisme forma quant à lui le noyau d’un matérialisme qui s’exprima de plusieurs manières, dans un processus intellectuel particulièrement tourmenté, déséquilibré, sur lequel on sait peu de choses.

Il y eut ainsi l’épicurisme, qui est un sensualisme. Il y eut également le stoïcisme, consistant en la philosophie d’Aristote déformée en un matérialisme tournant autour du destin, tiré dans différents sens, notamment comme vecteur idéologique de la citoyenneté romaine. On eut également le scepticisme, qui est un matérialisme relativiste.

Dans ces trois cas, on un matérialisme de repli (avec l’épicurisme), de mise à l’écart (avec le scepticisme), de participation (avec le stoïcisme), toujours entièrement axé sur la psychologie et la question de l’interprétation logique des choses à faire, ne pas faire, etc.

Cela est propre à la nature du système romain, utilitariste par excellence. Il n’existait pas d’espace philosophico-scientifique comme dans le système grec et surtout athénien, malgré que tous deux étaient de type esclavagiste. Rome signifiait l’expansion et il n’existait tout simplement pas de temps mort, alors que le système esclavagiste grec restait clanique ou monarchique, voire démocratique à l’échelle locale.

Il y eut bien entendu des aspects scientifiques dans le parcours romain, cependant cela consista en un accompagnement des progrès de la civilisation, pas en des recherches approfondies par des intellectuels comme chez les Grecs.

Le christianisme marqua alors l’ébranlement de Rome et l’effondrement de sa dynamique marqua la résurgence des philosophies d’Aristote et de Platon. La raison en est l’effondrement de la citoyenneté romaine comme principe et par conséquent la mise à nu du squelette intellectuel fondamental de l’idéalisme et du matérialisme alors.

Tout idéaliste devait, même s’il était tourné entièrement vers le mysticisme, s’appuyer sur la philosophie de Platon, tout comme les matérialistes, même stoïciens, devaient se confronter à Aristote.

C’est précisément ici qu’intervient Alexandre d’Aphrodise. C’est ce qui explique un phénomène historique absolument capital. Pourquoi les intellectuels les plus avancés, les plus matérialistes, les plus démocratiques de la civilisation islamique ont-ils vu en Aristote, grâce à Alexandre d’Aphrodise, un point d’appui absolument central à leur propre vision du monde ?

Qu’est-ce qui a provoqué la tradition en latin, en arabe, en syriaque, des œuvres d’Alexandre d’Aphrodise, consistant principalement en des commentaires sur les travaux d’Aristote ?

Version latine du Commentaire sur les premiers analytiques d’Aristote par Alexandre d’Aphrodise, 1549

La clef réside dans le fait qu’Alexandre d’Aphrodise a souligné que la mise en perspective d’Aristote était une vision du monde complète et valide. Cela a semblé tout à fait juste aux matérialistes de la civilisation islamique.

L’épicurisme et le stoïcisme apparaissaient comme trop limités, comme trop peu développés. La philosophie d’Aristote, par contre, semblait le matérialisme le plus accompli.

Il fallait pour cela toutefois un aspect principal, portant le processus. C’est ce qui fit d’Alexandre d’Aphrodise le héraut du matérialisme. Il a en effet souligné un aspect très précis de la philosophie d’Aristote, qui va servir de grand détonateur matérialiste. C’est ce détonateur qui permit à la Falsafa arabo-persane de se former, à l’averroïsme latin d’ébranler le catholicisme à la toute fin du moyen-âge, à Spinoza d’affirmer sa philosophie.

Ce détonateur, c’est « l’intellect agent ».

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La place historique essentielle d’Alexandre d’Aphrodise

Alexandre d’Aphrodise, né en 150 de notre ère, est un philosophe très largement méconnu, pour ne pas dire inconnu. Sa fonction historique a pourtant été immense, puisqu’il a repris la drapeau de la philosophie d’Aristote. C’est ainsi grâce à lui que les auteurs arabes, persans, juifs, ont accès à celle-ci.

Par avoir accès, il ne faut pas simplement entendre avoir accès aux thèses d’Aristote. Alexandre d’Aphrodise pose en effet la philosophie d’Aristote comme un système complet, répondant à toutes les questions concernant l’univers.

Buste d’Aristote. Marbre, copie romaine d’un original grec en bronze de Lysippse (vers 330 av. J.-C.). 

Cela signifie qu’historiquement Alexandre d’Aphrodise est le premier à affirmer une vision du monde qui ne soit pas mystico-religieuse, mais matérialiste. Cette vision du monde a bien entendu été mise en place par Aristote, c’est cependant Alexandre d’Aphrodise qui en fait un drapeau en tant que tel.

C’est ce drapeau que reprendront les philosophes arabes, persans et juifs, avant que la religion islamique et la religion juive ne parviennent à le faire tomber sous leurs coups féodaux. C’est cependant ce même drapeau qui va être repris à la fin du moyen-âge en Europe, notamment aux université de Paris et de Padoue, obligeant l’Église à combattre de manière la plus farouche « l’averroïsme latin » et « l’alexandrinisme ».

L’averroïsme latin (à Paris) et l’alexandrinisme (à Padoue), prolongements de la philosophie d’Aristote, sont en fait les bases réelles de l’humanisme et de la Renaissance respectivement.

 Averroès, version en latin du Grand Commentaire du De anima d’Aristote, milieu-fin du XIIIe siècle

En effet, le catholicisme romain n’eut pas le même succès que le judaïsme et l’Islam, religions qui réussirent à écraser les formes du progrès. Il ne parvint pas à éteindre le feu matérialiste, car le développement de la bourgeoisie établissait un support à celui-ci.

Le catholicisme romain essaya pourtant même d’intégrer la philosophie matérialiste d’Aristote, en en faisant une interprétation totalement tronquée. Thomas d’Aquin se présenta comme le vrai représentant d’Aristote, accusant Alexandre d’Aphrodise d’avoir modifié celle-ci, de l’avoir mal compris, etc.

C’était pourtant vain et le développement irrépressible du matérialisme aboutit, malgré la réaction catholique et féodale, au titan que fut Spinoza (1632-1677).

Spinoza

Lorsque Spinoza dit que « L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien à part l’essence actuelle de cette chose », il paraphrase Aristote. Lorsque Spinoza dit que Dieu est en réalité l’univers, qu’être philosophe c’est comprendre qu’il faille se conformer à lui, il paraphrase Alexandre d’Aphrodise.

Spinoza alla cependant plus loin.

En effet, Aristote avait la hantise de se perdre dans l’infini ; il affirmait une science capable de définir des définitions, des catégories, des déductions logiques. Il s’agissait de comprendre le monde en rangeant tout dans des cases, chaque case correspondant à chaque type de chose réelle. Alexandre d’Aphrodise mit lui l’accent sur le côté unifié de l’univers.

Spinoza était d’ailleurs avec eux, sur tous les plans : la science dresse des catégories, reconnaît les essences des choses, l’univers est « un ». L’éthique de Spinoza est en ce sens le point culminant, car le plus lisible, le plus clair, le plus approfondi, de la philosophie d’Aristote et de son défenseur Alexandre d’Aphrodise.

Cependant, Spinoza ajouta une chose : l’infini. Spinoza n’avait pas peur de se perdre dans l’infini, bien au contraire, c’était même le cœur de sa démarche. La douzième Lettre à Louis Meyer, qu’on appellera la « lettre sur l’infini », ouvre une nouvelle époque : celle de la dialectique, de la contradiction entre le fini et l’infini.

Illustration de Spinoza dans sa lettre dite de l’infini

Hegel s’appuie directement sur la perspective de Spinoza ; il considère que Spinoza est la base même de la perspective à développer. Développant ses recherches sur la dialectique, Hegel ne perd jamais de vue le principe de Spinoza selon lequel « toute détermination est négation » et Karl Marx s’appuie directement là-dessus.

Le capital de Karl Marx est une analyse entièrement dialectique et Karl Marx ne cesse de souligner que toute définition du réel doit se fonder sur le principe comme quoi « toute détermination est négation » ; il laissera à Friedrich Engels le soin de formuler les principes de la dialectique de la nature. Le matérialisme dialectique était né.

Il y avait cependant un prix à payer pour cela. La philosophie de Spinoza dispose en effet de deux aspects :

– le premier aspect est, au sens strict, la philosophie d’Aristote, avec la reconnaissance de la Nature, l’être humain comme un animal dont la pensée n’est que le reflet de la Nature ;

– le second est la réflexion sur contradiction entre le fini et l’infini.

En raison du développement inégal, on a Hegel qui se fonde sur le second aspect, mettant de côté le premier aspect. Karl Marx rétablit la perspective en « remettant Hegel sur ses pieds » en plaçant la dialectique dans la réalité elle-même, au moyen du matérialisme.

Or, pour ce matérialisme, Karl Marx et Friedrich Engels s’appuyaient sur les courants portés par la bourgeoisie : les humanistes, les utopistes, le matérialisme anglais, les Lumières françaises.

Karl Marx a fait son mémoire d’université sur la Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure ; pour lui, avant ces matérialistes, il existait des courants étant leurs « ancêtres » qui furent dans l’antiquité l’atomisme et l’épicurisme. Dans La Sainte Famille, Karl Marx et Friedrich Engels disent ainsi :

« Dès sa première heure, la métaphysique du XVIIe siècle, représentée, pour la France, surtout par Descartes, a eu le matérialisme pour antagoniste. Descartes le rencontre personnellement en Gassendi, restaurateur du matérialisme épicurien. Le matérialisme français et anglais est toujours demeuré en rapports étroits avec Démocrite et Epicure. »

Cela impliquait cependant que Karl Marx et Friedrich Engels sont entièrement passés à côté de la tradition matérialiste partant d’Aristote, passant par Alexandre d’Aphrodise pour aboutir à Avicenne, Averroès, Spinoza.

Karl Marx et Friedrich Engels considèrent Aristote comme un grand penseur de la logique et des catégories, mais ils ne connaissent pas ses thèses comme quoi l’être humain ne pense pas et ils le voient comme un « métaphysicien », pas comme un matérialiste au sens strict. Il en va de même pour Spinoza.

Ils voient de la dialectique en mouvement dans leurs philosophies et s’en inspirent, mais ils ne considèrent pas que c’est là du matérialisme : cela reste pour eux de la métaphysique. Ils ne voient pas qu’il y a la « métaphysique » authentique, matérialiste, et son interprétation catholique réactionnaire.

Ils pensent qu’il y a la métaphysique comme idéologie féodale et le matérialisme sensualiste comme idéologie de la bourgeoisie. Évidemment, cela va poser un casse-tête insurmontable en URSS socialiste de l’époque de Staline, où il était évident qu’Avicenne, Averroès, Spinoza étaient des matérialistes.

Ce problème fut si insurmontable que lorsque Vladimir Vernadsky affirme au début des années 1920 que la vie sur Terre représente une Biosphère et par la suite que l’humanité consciente forme une « noosphère » (noos voulant dire intellect en grec ancien) modifiant la planète, il n’est personne pour lui expliquer que c’est précisément la thèse d’Aristote et d’Alexandre d’Aphrodise.

La thèse de Vladimir Vernadsky fut ainsi considéré comme juste, mais l’URSS socialiste ne fut pas pour autant en mesure de l’intégrer au sens strict dans son dispositif idéologique.

Il faudra attendre la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine populaire pour que soit comblé le premier aspect, celui allant d’Aristote à Spinoza, par une profonde réflexion sur la pensée comme reflet des conditions objectives, avec la considération que toute « pensée » accompagne le mouvement de l’univers.

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Maïmonide et Aristote

Le problème fondamental des affirmations de Maïmonide, c’est qu’elles en font un disciple d’Aristote, d’un « philosophe » qui n’utilise pas directement les écrits sacrés ou la tradition orale.

Le guide des égarés s’est, pour cette raison, fait littéralement écharpé par nombre de rabbins, justement pour cette tendance « philosophique ».

En effet, comme nous l’avons vu, il est absolument évident que Maïmonide reprend le schéma mélangeant Platon à Aristote, où on a : DIEU => premier ange (ou sphère) => second ange => etc. jusqu’à => 10e sphère => notre monde.

Maïmonide dit ouvertement :

« Nous avons déjà donné précédemment, dans ce traité, un chapitre où l’on expose que les anges ne sont pas des corps. C’est aussi ce qu’a dit Aristote ; seulement il y a ici une différence de dénomination : lui, il dit « Intelligences séparées », tandis que nous, nous disons « anges. »

Quant à ce qu’il dit, que ces Intelligences séparées sont aussi des intermédiaires entre Dieu et les (autres) êtres et que c’est par leur intermédiaire que sont mues les sphères, – ce qui est la cause de la naissance de tout ce qui naît, – c’est aussi ce que proclament tous les livres (sacrés) ; car tu n’y trouveras jamais que Dieu fasse quelque chose autrement que par l’intermédiaire d’un ange. »

Le guides des égarés

C’est le schéma que l’on retrouve chez Al Farabi et Avicenne : le Dieu « bon » en soi produit indirectement une première sphère, qui alors créé de fait le multiple (Dieu n’est plus « seul »), et donc créé une seconde sphère, qui en créé une troisième, etc.

Naturellement, Maïmonide ne parle jamais d’Avicenne, il attribue sa conception au judaïsme authentique, mais qui aurait été perdu, etc. C’est une démarche d’attribution à un passé mythique que l’on retrouvera systématiquement dans la kabbale.

Cependant, ce n’est pas tout. Maïmonide suit ici tellement Aristote qu’il parle lui-même de sphères et reconnaît tout à fait l’importance de l’astrologie. Maïmonide admett ainsi tout à fait le système où tout vient par en haut par une succession d’étapes, d’anges, mais sa vision du monde emprunte très largement au néo-platonisme, à la lecture « magique » du monde.

Le « un » s’épanche sur le monde, et les humains doivent remonter à la source. Normalement, Aristote considère que l’humain est heureux en méditant sur le monde, car le moteur divin est loin et tourné vers lui-même.

Mais Maïmonide a besoin d’un Dieu « pensant », pour justifier le libre-arbitre. Qu’à cela ne tienne, il reprend le thème néo-platonicien du « Dieu-Un » comme source où il faut retourner. Il a juste besoin d’ajouter que Dieu a choisi de faire des émanations.

Il dit ainsi, de manière conforme au néo-platonisme :

« Il en est de même dans l’univers : l’épanchement, qui vient de Dieu pour produire ces Intelligences séparées, se communique aussi de ces intelligences pour qu’elles se produisent les unes les autres, jusqu’à l’intellect actif avec lequel cesse la production des intelligences séparées.

De chaque intelligence séparée, il émane également une autre production, jusqu’à ce que les sphères aboutissent à celle de la lune.

Après cette dernière vient ce (bas) corps qui naît et périt, je veux dire la matière première et ce qui en est composé. De chaque sphère il vient des forces (qui se communiquent) aux éléments, jusqu’à ce que leur épanchement s’arrête au terme (du monde) de la naissance et de la corruption. » (Le guides des égarés)

Et voici comment il présente le rôle des « planètes », des « sphères », des anges intermédiaires :

« On sait, et c’est une chose répandue dans tous les livres des philosophes, que lorsqu’ils parlent du régime (du monde), ils disent que le régime de ce monde inférieur, je veux dire du monde de la naissance et de la corruption, n’a lieu qu’au moyen des forces qui découlent des sphères célestes.

Nous avons déjà dit cela plusieurs fois, et tu trouveras que les docteurs disent de même (Beréchit Rabbâ 10) [commentaire de la Torâ datant des 5-6e siècles] : « Il n’y a pas jusqu’à la moindre plante ici-bas qui n’ait au firmament son mazzâl (c’est-à-dire son étoile), qui la frappe et lui ordonne de croître, ainsi qu’il est dit (Job 38:33) : « Connais-tu les lois du ciel, ou sais-tu indiquer sa domination (son influence) sur la terre ? » – (par mazzâl on désigne aussi un « astre », comme tu le trouvers clairement au commencement du Beréchit Rabbâ, où ils disent : « Il y a tel mazzâl (c’est-à-dire tel astre ou telle planète) qui achève sa course en trente jours, et tel autre qui achève sa course en trente ans).

Ils sont donc clairement indiqué par ce passage que même les individus de la nature sont sous l’influence particulière des forces de certains astres ; car quoique toutes les forces ensemble de la sphère céleste se répandent dans tous les êtres, chaque espèce cependant se trouve aussi sous l’influence particulière d’un astre quelconque.

Il en est comme des forces d’un seul corps, car l’univers tout entier est un seul individu, comme nous l’avons dit. »
(Le guides des égarés)

Nous touchons ici le cœur de la vision du monde de Maïmonide :

a) il accepte la vision d’Aristote : moteur divin => 1ère sphère => 2de sphère, etc.

b) mais comme il a besoin d’un Dieu actif et non pas passif comme le moteur divin, il puise dans Platon le principe du « Dieu-Un » penché sur le monde produit de ses émanations divines.

Le système tient, mais est contradictoire. C’est précisément là qu’intervient la kabbale, pour combler le système en modifiant l’ordre hiérarchique et en faisant placer Platon et son « Dieu-Un » avant Aristote et sa division en sphères.

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Aristote, la philosophie première et la peur de l’infini

Il est frappant de voir qu’à de nombreuses dans « La métaphysique », Aristote souligne plusieurs une erreur, en disant qu’elle reviendrait à se perdre dans l’infini. L’appréhension de l’infini est systématique chez Aristote, et c’est paradoxal, car pour lui l’univers a éternellement existé, parallèlement au moteur premier.

On a donc bien quelque chose d’infini dans sa durée, son existence, et partant de là sa nature. Spinoza verra bien cela et c’est pour cela il assumera le cheminement d’Aristote jusqu’au bout en disant que, somme toute, il n’y a qu’une seule substance, l’univers lui-même, qui se confond avec « Dieu ».

Aristote est ici coincé dans le mode de production esclavagiste ; d’un côté, il doit considérer comme éternelles les lois de la réalité (dans une société se re-produisant simplement), de l’autre il doit faire de chaque processus une réalisation concrète avec un début et une fin.

Dans le livre II, Petit alpha (α), on a cette idée typique de l’approche aristotélicienne :

« Il est évident qu’il y a un premier principe, et qu’il n’existe ni une série infinie de causes, ni une infinité d’espèces de causes.

Ainsi, sous le point de vue de la matière, il est impossible qu’il y ait production à l’infini ; que la chair, par exemple, vienne de la terre, la terre de l’air, l’air du feu, sans que cela s’arrête.

De même pour le principe du mouvement : on ne dira pas que l’homme a été mis en mouvement par l’air, l’air par le soleil, le soleil par la discorde, et ainsi à l’infini.

De même encore, on ne peut, pour la cause finale, aller à l’infini et dire que la marche est en vue de la santé, la santé en vue du bonheur, le bonheur en vue d’autre chose, et que toute chose est toujours ainsi en vue d’une autre.

De même enfin pour la cause essentielle. »

Aristote oppose le fini à l’infini ; il faudra attendre Spinoza et Hegel pour qu’il soit vu qu’il y a du fini dans l’infini et de l’infini dans le fini. Aristote est comme pétrifié à l’intérieur du mode de production où il vit et ne parvient pas à s’en extirper ; il fait du rejet de l’infini la clef même de la connaissance.

Dans le même livre, il souligne le caractère inéluctable selon lui de son approche :

« Ceux qui admettent ainsi la production à l’infini, ne voient pas qu’ils suppriment par là même le bien.

Or, y a-t-il quelqu’un qui voudrait entreprendre une chose, s’il ne devait pas arriver à l’achever ? Ce serait l’acte d’un insensé.

L’homme raisonnable agit toujours en vue de quelque chose ; et c’est-là une fin, car le but qu’on se propose est une fin. On ne peut pas non plus ramener indéfiniment l’essence à une autre essence. Il faut s’arrêter. Toujours l’essence qui précède est plus essence que celle qui suit ; mais si ce qui précède ne l’est pas encore, à plus forte raison ce qui suit.

Bien plus, ce genre de système rend toute connaissance impossible. On ne peut savoir, il est impossible de rien connaître, avant d’arriver à ce qui est simple et indivisible.

Or, comment penser à cette infinité d’êtres dont on nous parle ? Il n’en est pas ici comme de la ligne, qui ne s’arrête pas dans ses divisions : la pensée a besoin de points d’arrêt.

Aussi, si vous parcourez cette ligne qui se divise à l’infini, vous n’en pouvez compter toutes les divisions. Ajoutons que nous ne concevons la matière que dans un objet en mouvement.

Or, aucun de ces objets n’est marqué du caractère de l’infini. Si ces objets sont réellement infinis, le caractère propre de l’infini n’est pas l’infini.

Et quand bien même on dirait seulement qu’il y a un nombre infini d’espèces de causes, la connaissance serait encore impossible. Car nous croyons savoir quand nous connaissons les causes ; et il n’est point possible que dans un temps fini, nous puissions parcourir une série infinie. »

C’est là la justification de la métaphysique, comme compréhension du principe de « cause sans cause » éternellement accomplie et s’accomplissant, véritable essence du monde où tout est cause et conséquence, accomplissement. Dans le huitième livre, Êta (Η), Aristote résume cela de manière très ramassée :

« Tout ce qui devient vient de quelque chose et devient quelque chose »

Voici un autre exemple d’argumentation contre l’infini, tirée du livre VII, Zêta (Ζ). Aristote dit que s’il y avait des choses nouvelles, elles devraient provenir elles-mêmes d’autre chose, et cela à l’infini. C’est donc impossible suivant cette mise en perspective.

Voici ce qu’il dit :

« C’est que faire une chose particulière et individuelle, c’est la faire en la tirant absolument du sujet.

Je m’explique : rendre rond un morceau d’airain, par exemple, ce n’est faire, ni la rondeur, ni la sphère ; c’est faire quelque autre chose ; en d’autres termes, si l’on veut, c’est donner cette forme de sphère à un objet différent.

Si l’on faisait la sphère, on ne pourrait la faire apparemment qu’en la tirant d’une autre chose également.

Ainsi, dans l’exemple cité, on se proposait de faire une boule d’airain, c’est-à-dire de faire de ceci, qui est de l’airain, cela qui est une sphère.

Si donc on faisait aussi la forme, on ne pourrait la faire que de la même manière ; et dès lors, la série des productions successives se perdrait nécessairement dans l’infini. »

Karl Marx a justement répondu à cette question de l’infini. Reprenant justement les écrits d’Aristote sur l’argent, il dépasse leur limite historique ; dans Le capital, il pose justement la question de la richesse qui pareillement ne peut venir de quelque part, et qui trouve la solution dans le travail lui-même, à l’intérieur du mode de production et non pas par un apport extérieur. Karl Marx arrachait le matérialisme à la métaphysique, et dans les Manuscrits de 1844, il exposait justement le principe de transformation qu’Aristote avait raté.

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Aristote et la philosophie première : un matérialisme conséquent

Suivent alors à cet Aristote matérialiste (qui a été vu par Karl Marx, Friedrich Engels, Lénine) deux autres Aristote :

a) il y a celui qui va chercher des intermédiaires divins directs au moteur premier, et va les placer dans les cieux. Pour lui, les étoiles sont des êtres vivants parfaits, accomplissant impeccablement leur acte ; ils sont ce qui encerclent notre monde, tout comme le moteur premier les encercle. Notre propre accomplissement est parallèle aux leurs, d’où l’astrologie comme principe d’explication ce qui nous arrive ;

b) à rebours de cet Aristote idéaliste, il y a celui qui affirme que l’être humain ne pense pas et que sa pensée, si elle est adéquate, ne fait que refléter l’accomplissement général de l’univers. C’est l’Aristote ici pratiquement athée, puisque l’univers est uniquement ce qu’il est, avec l’être humain étant un animal raisonnable dont l’esprit est comme une tablette d’argile sur laquelle vient écrire la réalité.

Ce second Aristote est celui de la falsafa arabo-persane, avec Alfarabi, Avicenne, Averroès. Il faut ici en saisir la genèse.

Avec Aristote, nous nous situons à la fin de la Grèce antique, juste à la veille de son effondrement. Socrate et son disciple Platon tentent de procéder à une régénération au moyen d’un idéalisme ultra-violent, avec un système de castes et de mysticisme hiérarchique.

Aristote, lui-même un disciple de Platon, propose quant à lui au contraire un matérialisme complet. L’un de ses disciples sera pas moins qu’Alexandre le grand et c’est lui qui scelle le destin de la Grèce, profitant de l’affrontement de Sparte et Athènes pour vaincre ces deux forces établies et établir le début d’un empire à prétention universelle.

Alexandre le grand, dans une mosaïque de Pompéi, second siècle de notre ère.

Ce sera ensuite Rome qui prendra le relais, mais il faudra attendre la civilisation islamique arabo-persane et ses philosophes pour qu’Aristote soit compris et établi comme le grand maître de la pensée. Cette falsafa, terme pour désigner la philosophie en arabe, se fera elle-même entièrement anéantie par la réaction religieuse musulmane, mais ses effets iront jusqu’où en Europe où cela lancera l’averroïsme latin, puis l’humanisme.

Ainsi, à la lumière du matérialisme historique, nous avons de nombreux points de repère. On sait déjà qu’Aristote s’arrache à Platon et à son système fondé sur un « monde des idées ». Cela, tout le monde l’a vu. Cependant, il y a deux autres faits qui vont nous aider à nous orienter.

Le premier, c’est que contrairement à la légende de Platon et Aristote comme grands philosophes d’une Grèce antique idéalisée, on est avec ces deux philosophes au moment du grand effondrement de la Grèce.

D’ailleurs, la pensée d’Aristote disparaît, ou plus exactement se transforme, puisque le stoïcisme est ni plus ni moins qu’une variante de l’aristotélisme. Le stoïcisme n’a conservé que les éléments « utiles » de la pensée d’Aristote pour la nouvelle période, et cela dans un contexte déjà celui de la Rome antique.

Or, cela signifie qu’Aristote n’est pas parvenu à élaborer un système de pensée fermé, suffisamment équilibré pour se maintenir. C’est un point très important pour comprendre « La métaphysique » : qui y cherche un système ne peut qu’échouer.

Le second fait, c’est que la civilisation islamique arabo-persane a produit une philosophie dont Aristote a été le héraut, « La métaphysique » une référence essentielle. Cette philosophie a été portée par des titans du matérialisme : on peut s’appuyer sur eux pour comprendre « La métaphysique ».

Il faut bien saisir ici dialectiquement que même si « La métaphysique » n’est pas un système fermé, elle porte en elle l’exigence d’un système fermé. Aristote vise clairement dans les textes de « La métaphysique » à opposer un système de pensée complet opposé au système de pensée complet (quant à lui idéaliste) de Platon.

Conversation imaginaire entre l’aristotélicien Averroès
et le néo-platonicien Porphyre (qui vécut huit siècles plus tôt).
Liber de herbis, par Monfredo de Monte Imperiali, XVe siècle.

C’est pour cette raison que l’approche d’Aristote ne pourra réapparaître qu’avec la civilisation islamique arabo-persane : il fallait raisonner à la base en termes de système complet pour pouvoir appréhender les thèses systématiques d’Aristote.

Il va ainsi y avoir une montée en puissance de l’interprétation d’Aristote en rapport avec la révélation coranique qui se veut elle aussi système complet. Sans l’affirmation par l’Islam d’une nature organisée de l’univers, avec des valeurs psychologiques, morales, sociales, etc. qui y sont associées, il n’y avait pas l’espace pour saisir la philosophie d’Aristote (en tant que système complet, en tant que système complet par ailleurs non terminé dans sa mise en place).

Voilà pourquoi seul le matérialisme dialectique, qui est également une cosmologie complète touchant à tous les domaines (psychologie, morale, société, etc.) peut saisir réellement la démarche d’Aristote.

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