L’action directe et l’écrasement par l’État de la CGT du début du siècle

La grande mobilisation de la CGT dans un esprit d’action directe est en faveur de la journée de huit heures. Reprenant le principe de la manifestation du premier mai à la social-démocratie, la CGT compte en faire une démonstration de force en 1906. A partir de cette date, les travailleurs sont censés arrêter de travailler à la huitième heure.

Dès 1905 le processus de propagande intense est en cours ; le texte suivant fut diffusé par affiche à cent mille exemplaires :

« Nous voulons la journée de huit heures. La réduction de la journée de travail s’impose, tant au point de vue physique que moral et social. Il y a intérêt personnel et intérêt social – c’est-à-dire intérêt de solidarité – à réduire le plus possible la durée du travail.

Que faut-il faire ? Devons-nous, comme on a eu trop tendance à le faire, continuer à nous en reposer sur le bon vouloir des législateurs ? Non !

De nous-mêmes doit venir, l’amélioration de notre sort ! Les libertés ne se mendient pas : elles s’arrachent de haute lutte !

Vouloir, c’est pouvoir. Voulons donc la journée de huit heures et nous l’aurons ! »

Bourse du travail à Paris
À partir du 1er mai 1906 nous ne travaillerons que 8 heures par jour

La CGT compte alors 2 400 syndicats pour 203 000 adhérents, soit le double de 1902 ; elle est ultra-minoritaire chez les travailleurs (4-5% seulement), mais elle a atteint une masse suffisante pour chercher à jouer la minorité agissante.

La catastrophe de la mine de Courrières le 10 mars 1906, faisant 1200 morts chez les mineurs, provoque alors une grande tension, 40 000 mineurs faisant grève avec également des affrontements dans la foulée. En avril, les grévistes sont 200 000 dans la métallurgie, le livre, le bâtiment, l’ameublement, la voiture.

Georges Clemenceau, président du conseil et ministre de l’Intérieur, fait alors en sorte d’écraser la manifestation du premier mai aux moyens de la police et de l’armée dans tout Paris, avec 800 arrestations, de nombreux blessés voire même des morts. Auparavant, il avait fait perquisitionner les locaux de la CGT, fait arrêter le secrétaire général et le trésorier.

Si les manifestations ont également eu lieu dans le Nord, ainsi qu’à Bordeaux, Brest, Toulon notamment, il faut attendre quelques jours toutefois pour qu’une nouvelle vague de grève resurgisse, avec 200 000 grévistes à Paris et un mouvement à Lyon. L’initiative s’enlise finalement rapidement, laissant la CGT avec la fierté d’avoir lancé un mouvement d’ampleur, mais sans le succès escompté.

Cela suffit néanmoins à maintenir l’option autocentrée initiale. Lorsque, après cet épisode, le guesdiste Victor Renard proposa, au congrès d’Amiens en octobre 1906, que la CGT s’ouvre aux socialistes, sa motion fut littéralement écrasée, par 736 voix contre 34, avec 37 abstentions.

Ce sont donc les forces anarchistes qui prédominent à la CGT, avec une opposition réformiste ; au même congrès la motion antimilitariste et antipatriotique est votée par 488 voix contre 310 avec 49 abstentions. Georges Clemenceau prolonge alors la répression à l’occasion d’une séquence marquante.

En mai-juillet 1908 se tient à Draveil un mouvement grève de terrassiers, que les patrons tentent de casser avec des « jaunes ». La tension monte et la police tue deux grévistes, puis encore deux autres à bout portant dans une salle de permanence syndicaliste remplie de gens.

L’ensemble de la séquence va alors amener 667 ouvriers à être blessé et 20 à être tués, 4 l’étant (et 200 blessés) à Villeneuve-Saint-Georges le 30 juillet 1908, lors d’affrontements de plusieurs centaines d’ouvriers avec plusieurs régiments de cavalerie.

C’était le point culminant d’une fuite en avant dans « l’action directe » de la CGT, avec en sous-main l’action de l’agent provocateur Lucien Métivier, agissant directement sur les ordres de Georges Clemenceau pour mettre de l’huile pour le feu.

Le gouvernement en profita pour arrêter 31 dirigeants de la CGT ; l’appel de la CGT à la grève générale pour le 3 août fut dans un tel contexte une défaite. Le gouvernement fit en sorte que le patronat lâche un peu de lest pour que le travail reprenne, avant d’annoncer une amnistie au début de l’année 1909.

Il faut noter ici le rôle d’Aristide Briand, ancienne figure syndicaliste révolutionnaire devenu Ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes de Georges Clemenceau.

C’était une défaite pour la CGT et en conséquence, à son congrès de Marseille en octobre 1908, les réformistes prennent le dessus aisément en l’absence des dirigeants syndicalistes révolutionnaires et dans l’atmosphère de défaite.

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L’action directe substitutiste comme pratique à l’origine de la CGT

La pratique syndicaliste révolutionnaire est directement issue de la vision du monde des bourses du travail. Il ne faut pas penser que la démarche des bourses du travail disparaît une fois la Confédération Générale du Travail (CGT) fondée : en réalité, elle se maintient.

Dans le Journal des Correspondances, organe officiel des syndicats affiliés à la commission syndicale du Parti Ouvrier Belge, on lit en septembre 1908 une présentation de la CGT française. Il y est expliqué que :

« Chaque syndicat est autonome. Il adhère, d’une part, à sa fédération de métier ou d’industrie, et, d’autre part, à son union locale (dénommée improprement Bourse du Travail). Cette double affiliation est strictement obligatoire.Chaque fédération est autonome ; les décisions des Congrès généraux, qui se tiennent tous les deux ans, ne sont pas impératives ; ce ne sont que des indications générales, dont les fédérations et les syndicats s’inspirent dans la mesure qu’ils jugent opportune (…).

En dehors de tout principe théorique, ce fédéralisme extrême est rendu absolument indispensable par suite des anciennes rivalités, mal apaisées, et des différences de conceptions philosophiques.

Mais il est indéniable que ces divergences – nées des luttes politiques d’antan – s’apaisent progressivement, et qu’un esprit confédéral commun se dégage peu à peu.

Cet esprit confédéral commun, qui se dégage non d’une théorie mais des faits de chaque jour, est ce que l’on a appelé le « syndicalisme révolutionnaire » (…).

Beaucoup d’encre a été versée au sujet de l’action directe. Question d’étiquette, assurément, car elle n’est autre que l’ensemble des moyens purement syndicaux, tels qu’ils sont employés dans tous les pays.

L’originalité de l’Action Directe est peut-être la conception philosophique qui est à sa base, selon laquelle la Force est le fondement du Droit. »

Le syndicalisme français de la Confédération Générale du Travail a ainsi maintenu à travers son développement sa double structure, à la fois par fédération professionnelle et par union locale / départementale ; il y a une répartition de l’identité et de la pratique syndicales qui est issue de cette structuration.

En effet, si la pratique est celle de la fédération professionnelle, l’identité est celle de l’union locale, départementale, etc., qui est quant à elle interprofessionnelle. Il y a ainsi une pratique économiste locale et un imaginaire de portée générale.

Cette incohérence explique la vision que la CGT a d’elle-même, ainsi que sa démarche de « minorité agissante ».

Émile Pouget (1860-1931), figure du mouvement ayant notamment écrit sur le sabotage, explique la chose suivante dans sa brochure La confédération générale du travail :

« Le groupement des syndicats d’une même ville s’est fait plus spontanément que le groupement fédéral corporatif, rayonnant sur toute la France. Il a d’ailleurs été facilité par l’appui de municipalités, qui, avec une arrière-pensée politique, ont donné locaux et subventions à ces agglomérats de syndicats.

Ces institutions nouvelles ont pris le titre de Bourses du Travail. Les municipalités avaient espéré que ces organisations limiteraient leur action au terre-à-terre corporativiste et avaient escompté par leurs largesses, s’attirer la reconnaissance des syndicats, s’en faire une clientèle électorale.

Or, la Bourse du Travail est, en devenir, l’organisme qui, dans une société transformée, où il n’y aura plus possibilité d’exploitation humaine, se substituera à la municipalité. »

On est ici dans une fiction : il y a une lutte terre à terre, le plus local, le plus élémentaire, mais il y a l’imagination d’en même temps lutter au niveau le plus général. Cette fiction tient au caractère interprofessionnel, qui sert de masque général à une réduction de la lutte au particulier.

Émile Pouget

De fait, le syndicalisme révolutionnaire n’a jamais produit d’analyse de la société, d’analyse culturelle, d’analyse économique, ni même de plan syndical pour la gestion de la société toute entière. Il n’a jamais dépassé le niveau :

– d’un discours antipolitique systématique focalisé sur l’anticommunisme ;

– d’une démarche classiquement syndicale avec la mise en avant d’un mythe mobilisateur : la grève générale.

Ainsi, c’est le syndicalisme le plus traditionnel qui est réalisé, mais il y a une imagerie ultra-révolutionnaire.

Si ce syndicalisme traditionnel est cependant appelé « action directe » lorsqu’il parvient à donner naissance à un mouvement, c’est qu’il aiderait prétendument les travailleurs directement, à leur niveau, et donc les unifieraient en tant que classe. Victor Griffuelhes, alors qu’il vient de quitter la fonction de secrétaire de la CGT en 1909, explique dans sa brochure Le syndicalisme révolutionnaire que :

« À la confiance dans le Dieu du prêtre, à la confiance dans le Pouvoir des politiciens inculquée au prolétaire moderne, le syndicalisme substitue la confiance en soi, à l’action étiquetée tutélaire de Dieu et du Pouvoir il substitue l’action directe – orientée dans le sens d’une révolution sociale – des intéressés, c’est-à-dire des salariés (…).

Le syndicalisme, répétons-le, est le mouvement, l’action de la classe ouvrière ; il n’est pas la classe ouvrière elle-même.

C’est-à-dire que le producteur, en s’organisant avec des producteurs comme lui en vue de lutter contre un ennemi commun : le patronat, en combattant par le syndicat et dans le syndicat pour la conquête d’améliorations, créé l’action et forme le mouvement ouvrier. »

C’est là une conception authentiquement substitutiste. C’est l’action qui formerait le mouvement la classe ouvrière, celle-ci consistant ici uniquement en un stock de ressources pour une initiative idéaliste-volontariste.

Le syndicalisme révolutionnaire, c’est ainsi le syndicaliste en « mouvement », en « action ». Comme il n’y a pas de médiation politique ou culturelle, cette action est immédiate, elle est « directe ». Elle s’imagine comme ayant une portée générale, car l’identité passe par les unions locales, départementales, les bourses du travail.

C’est une illusion complète aveuglant ses partisans qui s’auto-intoxiquent comme menant un travail d’ampleur et de profondeur, alors que c’est du simple syndicalisme.

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À l’origine de la CGT : syndicats et bourses du travail

La Charte d’Amiens n’est nullement tombée du ciel. Dès sa fondation en 1895, la Confédération Générale du Travail (CGT) précise dans ses statuts :

« Les éléments constituant la Confédération générale du travail devront se tenir en dehors de toute école politique. La C.G.T. a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans les liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale. »

L’amendement est voté par 124 voix contre 14, avec 6 abstentions. Ont voté en ce sens les anarchistes, les réformistes, les socialistes allemanistes, les socialistes partisans d’Edouard Vaillant ; seuls les guesdistes s’y sont opposés.

La révision des statuts en 1902 ne modifie pas l’axe anti-politique :

« La Confédération générale du travail a pour but: le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels. Elle groupe, en dehors de toute école politique) tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

Nul ne peut se servir de son titre de confédéré ou d’une fonction de la fédération dans un acte électoral politique quelconque. »

La Charte d’Amiens ajoute simplement une dimension violemment offensive à cette perspective anti-politique, car il y avait eu en 1905 la fondation du Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière, qui s’alignait au moins en partie sur la social-démocratie allemande rejetant la grève générale.

Le Parti socialiste SFIO sera toujours extrêmement prudent et cherchera toujours à ménager autant que possible la susceptibilité de la CGT. Néanmoins, c’est contre lui que la CGT, à partir de 1910, utilise la Charte d’Amiens comme véritable outil intellectuel-conceptuel anti-politique.

La source de cette ligne remonte à loin, bien avant de devenir une affirmation idéologique, sous la forme du syndicalisme révolutionnaire. Cela procède de la naissance du mouvement revendicatif en France.

Deux mouvements se forment en parallèle, historiquement. Il a d’un côté l’éclosion de syndicats locaux, s’unissant par branches et formant une Fédération Nationale des Syndicats en 1886. Les partisans de Jules Guesde jouent ici un rôle essentiel.

Il y a ensuite un mouvement interprofessionnel formant des « bourses du travail » s’unissant en une Fédération des Bourses du Travail en 1892.

Les bourses du travail consistaient en des lieux fournis par les municipalités aux syndicats pour disposer de bureaux, de salles de réunions, de bibliothèques.

La bourse du travail de Marseille
au début du XXe siècle

Le tournant a lieu en 1894. Les guesdistes, tournés au moins relativement vers la social-démocratie allemande et soucieux en tout cas de centralisation, sont battus par les fédéralistes au congrès de Nantes de la Fédération Nationale des Syndicats.

Le congrès de Nantes invite également les autres structures syndicales à son prochain congrès. Ce dernier se transforme alors, comme la Fédération des Bourses du Travail accepte l’invitation, le 7e congrès national des chambres syndicales, groupes corporatifs, fédérations de métiers, unions et bourses du travail.

Ce congrès se déroule à Limoges fin septembre 1895 avec 75 délégués, ayant été mis en place par un comité national avec trois membres des deux fédérations et un représentant de chaque fédération d’industrie. C’est la naissance de la Confédération Générale du Travail.

Cela signifie que, dès le départ, le courant des « bourses du travail » et des fédéralistes l’emporte sur la ligne syndicaliste centralisée. A l’arrière-plan, on a la figure de Fernand Pelloutier (1867-1901).

C’est lui qui, en tant que secrétaire général de la Fédération des Bourses du travail, théorise avec le trésorier de la Fédération des Bourses du Travail, Henri Girard, la mise en perspective syndicaliste révolutionnaire avec l’ouvrage Qu’est-ce que la grève générale ? (Leçon faite par un ouvrier aux docteurs en socialisme).

C’est également lui qui mena l’opération de présence anarchiste et syndicaliste révolutionnaire massive lors du congrès socialiste international de Londres de 1896, obligeant ce dernier à les expulser alors que les partisans de Jules Guesde s’étaient fait déborder au sein de la délégation française.

Fernand Pelloutier vers 1890

C’est encore lui, surtout, qui maintient la Fédération des Bourses du travail au sein de la CGT : jusqu’en 1902, elle a ainsi tenu des congrès parallèles. Ce n’est qu’en 1902 que la Fédération est en tant que telle absorbée par le syndicat, qui alors dispose d’une double organisation, avec d’un côté les fédérations s’appuyant sur les professions et de l’autre les unions territoriales à quoi s’ajoutent les bourses du travail (celles-ci sont 57 en 1900, 110 en 1904, 157 en 1908).

On a ici la source précise de l’économisme propre au syndicalisme révolutionnaire. En effet, les bourses du travail ne sont pas considérés comme des lieux de rencontre, mais comme l’embryon de la société future, une contre-société devant finir par l’emporter en submergeant le capitalisme par la grève.

De plus, le maintien de structures territoriales forment des entités strictement parallèles à la direction, ce qui aboutit à un double pouvoir, permettant l’action quasi indépendante des uns et des autres, ce qui est formalisé par le statut de « confédération » du syndicat.

Personne n’est ici redevable de rien, puisque chaque structure est autonome ; il y a toujours moyen d’y trouver son compte dans un cadre ou un autre (local, territorial, ou bien fédéral, voire à la direction) et les congrès ne sont au sens strict que des établissements de rapports de force.

La bourse du travail de Toulouse

Enfin, dernier aspect terrible, la dimension interprofessionnelle fournit l’illusion permanente à une CGT minoritaire – 4-5 % des travailleurs grosso modo avant 1914 – qu’elle représente, en plus petit, l’ensemble des travailleurs, qu’elle est le pivot de tout ce qui se passe, que sa généralisation n’est qu’une question quantitative, elle seule fournissant la qualité décisive.

Le syndicalisme révolutionnaire se reproduit ainsi inlassablement dans le syndicat.

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Élitisme et rejet de la politique à l’origine de la CGT

Robert Michels, Allemand s’alignant sur les positions du syndicalisme à la française au début du XXe siècle, prolongera sa critique de la social-démocratie allemande en adhérant au fascisme italien. Cette trajectoire est commune aux principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire. La raison en est leur échec à produire un mouvement révolutionnaire de masse « pur ».

Deux directions furent alors prises. Il y eut soit l’ajout du nationalisme comme moteur de mobilisation des masses, soit la conception élitiste de la société.

Robert Michels théorisera ainsi une prétendue loi d’airain de l’oligarchie. Il y aurait toujours une minorité qui dirige, les masses étant selon lui par définition inertes. Si pour lui la démocratie est meilleure qu’une « sélection » héréditaire des dirigeants, la conception fasciste d’une élite née dans le combat, se renouvelant, lui convint parfaitement.

Cette tendance est irrépressible chez tous les syndicalistes révolutionnaires. Victor Griffuelhes, qui fut secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT) de 1901 à 1909, soutint la « défense nationale » en 1914. Il en va de même pour Émile Pouget, grand théoricien du « sabotage » comme moyen d’action et éminente figure de la CGT, qui cessa même toute activité en 1914, achetant un terrain dans le sud de Paris pour y bâtir une maison.

Victor Griffuelhes en 1906,
alors secrétaire de la CGT

Hubert Lagardelle devint ministre du Travail du régime de Vichy. Édouard Berth fut un acteur majeur des Cahiers du Cercle Proudhon fondés en 1911 avec des cadres de l’extrême-droite monarchiste, pour une synthèse « nationale » et « sociale ».

C’était là l’aboutissement de toute une conception spécifiquement française, que Victor Griffuelhes résume parfaitement en affirmant :

« Le syndicalisme français se caractérise par l’action spontanée et créatrice… Cette action n’a pas été commandée par des formules et des affirmations théoriques quelconques. Elle n’a pas été davantage une manifestation se déroulant selon un plan prévu par nous d’avance. »

À l’opposé du syndicalisme allemand, mis en place par la social-démocratie, le syndicalisme français est né sur le terrain des luttes sociales, avec une confrontation aux forces de répression aboutissant à un anti-Etatisme primaire. La politique et la théorie lui apparaissaient extérieures à sa propre démarche.

Là où le marxisme raisonne en termes de théorie et de conscience, le syndicalisme révolutionnaire conçoit en termes de vitalité et d’action.

Le syndicalisme révolutionnaire est ainsi un mouvement strictement parallèle à la social-démocratie, avec une farouche détestation. Lorsque la social-démocratie allemande, à son congrès de septembre 1906, récuse la « grève générale » comme solution à tous les problèmes, le syndicalisme français en fait l’alpha et l’oméga de sa démarche, avec la Charte d’Amiens votée en octobre 1906 au congrès de la CGT, avec 830 voix sur 839.

En voici le texte :

« La C.G.T. groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.

Le congrès précise par les points suivants cette affirmation théorique :

Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme, il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale…

Le congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle de la situation des salariés, qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

Il ne faut pas se leurrer : au moment de l’adoption de la charte, la CGT s’appuie sur 200 000 membres seulement, sur six millions de travailleurs. C’est une démarche élitiste, avec une prime au plus virulent, au plus véhément, caractéristique du syndicalisme révolutionnaire.

Il y a l’idée d’une « méthode » qui serait « pure ». La récupération de celle-ci par le fascisme à la prétention « nationale » et sociale » n’en est que plus cohérent. On a d’ailleurs les germes menant à l’effondrement en 1914, avec le passage dans la soumission au nationalisme sur le plan culturel et par fascination pour la « mobilisation » populaire.

Mais, ce qui est plus important au sens strict pour comprendre la Confédération Générale du Travail, c’est qu’il y a le principe élaboré en France du syndicat comme contre-société. Pour la CGT, l’histoire est l’histoire de la lutte syndicale.

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L’origine de la CGT : un état d’esprit syndicaliste révolutionnaire

Il n’est pas possible de comprendre la fondation de la Confédération Générale du Travail, sa culture et son organisation tout au long de son histoire, sans saisir la nature du syndicalisme révolutionnaire qui lui a donné naissance et a façonné sa matrice.

Le syndicalisme révolutionnaire est une démarche historiquement extrêmement puissante en France ; on peut dire qu’elle a formé intellectuellement, moralement et culturellement la classe ouvrière française, tout comme le marxisme de la social-démocratie a fait de même pour la classe ouvrière allemande.

Concrètement, les socialistes français étaient fascinés par l’ampleur du développement du mouvement ouvrier allemand. Cependant, sa dimension organisée lui semblait incompréhensible, car elle s’appuyait sur des ressorts théoriques. La social-démocratie allemande fonctionnait suivant une théorie, des principes idéologiques normatifs, sous l’impulsion du marxisme.

Cela impliquait une dimension stratégique. Or, le parcours français avait été celui de la révolution française, d’abord à la fin du 18e siècle, puis au début du 19e siècle avec les crises successives, et cela jusqu’en 1848. Puis, il y eut un moment de crise générale avec la Commune de Paris en 1871, et sa défaite avait amené la dispersion de l’ensemble des forces.

Commune de Paris, la colonne de la place Vendôme détruite car symbole du militarisme

A cela s’ajoute le faible développement du capitalisme, impliquant le maintien d’un capitalisme local et artisanal, notamment à Paris.

Les socialistes français ont ainsi l’habitude de vouloir s’impliquer dans un mouvement de masses de nature turbulente, dans des soulèvements, dans des fractions populaires au sein des soulèvements, etc.

A cela s’ajoute l’importance également de la petite-bourgeoisie, dont l’anarchisme de petit propriétaire de Pierre-Joseph Proudhon est tout à fait représentatif.

Pierre-Joseph Proudhon,
théoricien d’un socialisme fédéraliste éclectique culminant en éloge de la petite propriété

La conception programmatique de la social-démocratie allemande semblait donc aux socialistes français une sorte de simulacre intellectualisant pour pactiser avec l’État, un simple prétexte à l’opportunisme ; le marxisme, quant à lui, était inconnu ou incompris et au mieux résumé à des remarques « matérialistes historiques ».

L’article « Les dangers du parti socialiste allemand », qu’on trouve dans la revue bi-mensuelle internationale Le mouvement socialiste, dirigée par Hubert Lagardelle, est ici tout à fait représentatif de ce point de vue.

Écrit par l’Allemand Robert Michels qui sympathise justement avec la tendance « à la française », il parle du congrès international socialiste d’Amsterdam de 1904. Son point de vue est celui de la tendance se formant précisément cette année-là, et qui prendra le nom de « syndicalisme révolutionnaire ».

« Lorsque la salle du Congrès d’Amsterdam retentit sous les accusations que Jaurès jetait à la face des socialistes allemands, il dût y en avoir beaucoup, parmi nos camarades de tous les pays qui, en entendant ce réquisitoire, se dirent : «Quel dommage que de telles vérités sortent d’une telle bouche ! »

Ce n’était précisément pas à Jaurès qu’il appartenait, en effet, de jouer le rôle d’accusateur public contre l’opportunisme, et de traîner ce dernier à la barre ! Mais la déposition sur un vol commis peut-être vraie même dans la bouche du voleur. Les attaques de Jaurès, étranges de la part d’un tel homme, n’en étaient pas moins fondées.

La « conquête du pouvoir » est sans doute chose trop difficile, pour que même avec trois millions de voix, le socialisme allemand n’ait pu songer à la tenter.

Mais si un parti, qui dispose d’une telle puissance électorale est à ce point incapable d’opérer le moindre changement; si un tel parti reste à l’état de microcosme, si non invisible du moins négligeable et impuissant à influencer même l’État dans un sens libéral, il donne par là le signe manifeste d’une désastreuse stérilité, d’un manque de forces à peine croyable pour tous ceux qui ignorent l’histoire du parti socialiste allemand et du milieu où il évolue (…).

La grève générale? La grève militaire? — De semblables conceptions n’ont guère l’oreille des socialistes allemands. Les controverses fameuses entre Liebknecht et Nieuwenhuis sont encore trop fraîches dans les mémoires. En Allemagne, on qualifie d’ « utopie » la grève générale militaire (…).

Un État bourgeois fort a toujours comme pendant un prolétariat faible, et un prolétariat faible rend l’État fort. Un acte politique vigoureux exige des masses énergiques et révolutionnaires. Pour que soit assuré le succès d’un mouvement de masses comme la grève générale, il manque au prolétariat allemand un facteur essentiel : la colonie courageuse de l’action, le ferment révolutionnaire.

La faute en est à nous seuls. Nous ne disposons pas de nos masses, — pas même des 300.000 adhérents à notre parti. Ceux-ci — ce n’est plus un secret pour personne — ne se mettraient pas en branle, pour un grand mouvement.

Nos masses sont paresseuses et inaptes à l’action, parce que l’éducation que leur a donnée le parti socialiste allemand est plutôt politique, et même diplomatique, que socialiste et morale (…).

La vérité, c’est que le prétendu radicalisme du socialisme allemand ne s’occupe plus de créer des personnalités socialistes, des consciences socialistes. Il en est ainsi partout, en France et en Italie, comme en Allemagne.

Le parlementarisme tue le socialisme envisagé sous ses aspects les plus profonds, en lui substituant un socialisme politicien unilatéral. Les hommes de cœur et de pensée, qui sont dans nos rangs, voient disparaître avec tristesse tout le côté idéaliste de notre système d’idées.

Autrefois le socialisme était une foi, un sentiment qui prenait l’homme tout entier et le déterminait dans tous les actes de sa vie (…).

Le parlementarisme envahit tout. »

Toutes les thèses syndicalistes révolutionnaires sont ici résumées. La constitution d’un mouvement ouvrier organisé sur une base politique aboutirait à la formation d’une caste bureaucratique s’articulant autour du parlementarisme. Or, le socialisme serait une foi, et par conséquent il serait anéanti par un tel phénomène.

Il s’agirait donc en retourner à une position d’affrontement direct, avec une sorte d’ouvrier s’assumant guerrier. Georges Sorel élaborera de manière approfondie cette théorie au cœur du syndicalisme révolutionnaire, notamment avec ses Réflexions sur la violence.

La CGT sera organisée comme structure de lutte portant cette démarche et s’imaginant comme une contre-société. La CGT n’a jamais été conçu comme un « syndicat », mais comme un syndicat – société.

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Le Parti Socialiste SFIO et la soumission à la CGT

En 1907, au Congrès de Stuttgart, la seconde Internationale décida dans une motion concernant les rapports dans chaque pays entre le Parti et les syndicats, que ceux-ci devaient avoir des « relations étroites » et « rendues permanentes ». Mais les Français se défaussèrent ; après le vote, Marcel Sembat prit la parole et expliqua la chose suivante :

« La majorité de la délégation française déclare que dans la France, l’évolution des rapports entre les organisations syndicale et politique de la classe ouvrière, a subi un cours différent et que l’indépendance réciproque et l’autonomie du Parti socialiste et de la C. G. T., sont une condition nécessaire de leur développement et de leur action et de la possibilité ultérieure d’un rapprochement spontané. »

Les Français, ne voyant pas de protestation après avoir affirmé cela, considérèrent qu’ils pouvaient faire comme ils l’entendaient. Mais en réalité, c’était le masque d’une soumission entière à la CGT. Non pas seulement en raison de la très forte influence anarchiste ou syndicaliste dite révolutionnaire, mais tout simplement parce que la majorité des socialistes considère alors que la révolution sera le produit d’une agitation électorale combinée à une grève générale menée par le syndicat lui-même.

Jean Jaurès expliquait ainsi au congrès de 1912 du Parti Socialiste SFIO que ce serait amener « la guerre civile dans la classe ouvrière » que d’appliquer les principes de la social-démocratie internationale ; Edouard Vaillant parla lui de « crime » si l’on appliquait ces principes, de « déclaration de guerre à la C.G.T. ».

On a ici une différence fondamentale entre les collectivistes à la française et la social-démocratie internationale.

C’est d’ailleurs une double intoxication, tant du Parti Socialiste SFIO sur son importance historique, que de la part de la CGT. Car celle-ci ne représente qu’une toute petite minorité agissante, d’où justement son apparente radicalité et ses discours de minorité agissante au nom de tous.

Ce n’est pas seulement une question de taux de syndicalisation : si la France a un faible taux, elle n’est pas si mal lotie. Le vrai problème est la division syndicale, l’importance mineure de la CGT : seulement 35 % des syndiqués sont membres de la CGT. Sur un peu plus d’un million de syndiqués en général, 400 000 étant dans des syndicats patronaux. Il faut également compter 5 407 syndicats agricoles, réunissant plus de 910 000 syndiqués, à l’écart des socialistes.

Le taux d’appartenance au syndicat lié à l’Internationale est par contre de 100 % en Espagne, de 100 % aussi en Serbie et aux Etats-Unis, de pratiquement 100 % en Hongrie, de plus de 97 % en Norvège et en Bosnie-Herzégovine, de 89 % en Croatie, de presque 89 % en Autriche, de presque 83 % au Danemark, de 78 % en Allemagne, de 73 % en Belgique, de 69 % en Suède.

Numériquement, les chiffres ont leur importance aussi : il y a, avant 1914, seulement 355 000 syndiqués CGT sur plus de 11 millions de travailleurs. Ainsi, non seulement la CGT est largement marginale dans la classe ouvrière, malgré que 40 % des entreprises aient plus de cent ouvriers, mais la paysannerie qui forme la moitié du pays est entièrement coupée d’elle.

La répression est également brutale. En 1906, c’est l’armée qui est envoyée pour mater la grève générale du bassin minier à la suite de la catastrophe de Courrières, ayant tué un millier de mineurs. Les gendarmes tirent en 1908 sur les carriers des sablières à Draveil, tuant deux ouvriers, puis quatre lors de l’écrasement de la manifestation de la CGT à Villeneuve. La grève dans les PTT, en mars – mai 1909, voit également une défaite complète de la CGT.

Cela n’empêche pas celle-ci de s’imaginer au centre de tout le processus de transformation sociale. Elle est grisée par son développement : le nombre de syndicats CGT est de 1043 en 1902, 1220 en 1903, 1792 en 1904, 2399 en 1906, 2590 en 1908, 3012 en 1910. Elle s’imagine que le processus ne peut pas être interrompu et même qu’elle peut déjà se placer au centre de l’initiative, d’où l’adoption de la charte dite d’Amiens en octobre 1906.

Cette adoption provoqua un vaste au débat au congrès du Parti socialiste (SFIO) qui se déroula du 1er au 4 novembre de la même année, d’ailleurs le moment de la charte visait évidemment à provoquer une certaine rupture entre la CGT et le Parti, avec paradoxalement l’accord de la majorité des socialistes, qui avaient par ailleurs l’obligation statutaire d’adhérer à la CGT si c’était possible dans leur activité salariale.

Car la charte d’Amiens est très claire : il est interdit en d’amener les questions politiques dans le syndicat, ce dernier ne doit aborder que les questions économiques, ce qui serait en soi une préparation aux grandes transformations sociales, avec bien entendu à l’arrière-plan le mythe de la grève générale.

La politique est résumée à une activité de partis et de sectes à la marge du mouvement :

« En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »

Le socialiste Victor Renard avait pourtant proposé une motion disant que :

« Le Comité Confédéral est invité à s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes ou permanentes, avec le conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières. »

Cependant, 774 voix du congrès de la CGT s’y opposèrent, contre 34 pour, alors que le positionnement anti-politique de la Charte d’Amiens aura, lors du même congrès, 834 pour, 8 contre (et une abstention). Cela signifie que non seulement les socialistes apparaissent ici comme une minorité politique très faible au congrès alors qu’ils sont physiquement massivement présents. Ils sont en fait d’accord sur cette répartition : la CGT s’appropriait la dimension économique et il ne restait plus que le terrain parlementaire pour le Parti.

Jean Jaurès avait déjà affirmé cette ligne lors du second congrès du Parti Socialiste SFIO :

« Ayons confiance dans la classe ouvrière agissant par l’action politique et par l’action économique, ou plutôt par une seule et grande action politique qui a deux organes, le syndicalisme et l’action parlementaire, et allons ainsi à la bataille.

A mesure que nous agirons, le vice de chaque méthode s’éliminera et seule la partie efficace de chacune subsistera. »

Cela ne pouvait que renforcer l’économisme syndical et l’électoralisme du Parti ; cela signifiait que le Parti socialiste (SFIO) non seulement ne dirigeait pas le syndicat comme c’est le cas en Allemagne, mais qu’en plus le terrain syndical asséchait entièrement désormais tout ce qui ressemblerait à une discussion politique. C’était là dépolitiser la classe ouvrière française et donner des ailes à l’esprit insurrectionnaliste blanquiste, anarchiste. Karl Kautsky était très clair à ce sujet :

« Quant à la résolution de la majorité française, elle est totalement inacceptable.

D’une part, parce qu’elle représente la grève générale comme un moyen suprême dans la lutte économique, tandis que la majorité des camarades allemands reconnaît simplement la grève générale comme un moyen de lute éventuel dans la bataille politique.

Ensuite, c’est qu’elle conçoit l’autonomie syndicale dans l’esprit anarchiste. »

Jules Guesde avait de son côté conscience de cela, expliquant avec justesse au second congrès :

« On peut laisser croire à la Bourgeoisie qu’il y a là une véritable force, mais en fait, au point de vue numérique, vous savez bien que nos syndicats sont tout à faits insuffisants, que, comparés à ce qu’ils sont en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, ils n’existent à peu près pas. »

Cela n’empêcha pas le choix de la soumission à la CGT, de toutes façons. Deux résolutions se firent face alors au troisième congrès du Parti socialiste SFIO, en 1906, pour tenter de répondre à cette crise imposée par la ligne anti-Parti de la CGT.

La première, proposée par le guesdiste Charles Dumas soutenu par les 42 délégués du Nord acquis à Jules Guesde, affirme une tentative d’esprit d’unité :

« Considérant que c’est la même classe, le même prolétariat qui s’organise et agit, qui doit s’organiser et agir en Syndicats ici, sur le terrain corporatif, en parti socialiste là, sur le terrain politique ;

Que si ces deux modes d’organisation et d’action de la même classe ne sauraient être confondus, distincts qu’ils sont et doivent rester de but et de moyens, ils ne sauraient s’ignorer, s’éviter, à plus forte raison s’opposer sans diviser mortellement le prolétariat contre lui-même et le rendre incapable d’affranchissement ;

Le Congrès déclare :

Il y a lieu de pourvoir à ce que, selon les circonstances, l’action syndicale et l’action politique des travailleurs puissent se concerter et se combiner. »

Cette proposition reçut 130 voix et échoua par conséquent face à la résolution suivante, faite par la Fédération du Tarn et recevant 148 voix (pour 9 abstentions). Il s’agit ici d’une capitulation ouverte et d’un appel à une sorte de « parallélisme » fondamentalement opposé aux principes socialistes.

« Le Congrès, convaincu que la classe ouvrière ne pourra s’affranchir pleinement que par la force combinée de l’action politique et de l’action syndicale, par le syndicalisme allant jusqu’à la grève générale et par la conquête de tout le pouvoir politique en vue de l’expropriation générale du capitalisme ;

Convaincu que cette double action sera d’autant plus efficace que l’organisme politique et l’organisme économique auront leur pleine autonomie ;

Prenant acte de la résolution du Congrès d’Amiens, qui affirme l’indépendance du syndicalisme à l’égard de tout parti politique et qui assigne en même temps au syndicalisme un but que le socialisme seul, comme parti politique, reconnaît et poursuit ;

Considérant que cette concordance fondamentale de l’action politique et de l’action économique du prolétariat amènera nécessairement, sans confusion, ni subordination, ni défiance, une libre coopération entre les deux organismes ;

Invite tous les militants à travailleur de leur mieux à dissiper tout malentendu entre la Confédération du Travail et le Parti socialiste. »

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Le congrès constitutif de la CGT-Force Ouvrière

Le 12 et 13 avril 1948, c’est le premier Congrès national de la CGT-Force Ouvrière, au Palais de la Mutualité. Le nom de Force ouvrière est massivement adoptée (14 260 mandats contre 1790), mais comme ajout au sigle CGT. Le congrès se veut d’ailleurs le 33e congrès corporatif.

La voie était d’autant plus ouverte que le régime lui-même appuyait l’initiative, reconnaissant début avril le caractère « représentatif » de cette « nouvelle » CGT. Dès le départ, la CGT-Force Ouvrière a ainsi profité d’appuis extérieurs massifs, permettant une inscription dans la réalité française.

Cela n’aurait cependant pas été possible, si la base même de la CGT-Force Ouvrière ne reflétait pas la permanence de tout un état d’esprit syndicaliste non seulement apolitique, mais même anti-politique. Les propos de Raoul Lenoir (1872-1963), un ancien militant, secrétaire de la fédération des métaux en 1909, sont sans ambiguïtés aucune :

« N’importe quel gouvernement quel qu’il soit, un gouvernement de droite, d’extrême-gauche, du parti socialiste, du parti républicain, si, en face de lui, surtout dans la situation où nous sommes, il n’y a pas une force syndicale puissante, indépendante, examinant elle-même ses problèmes, ses moyens d’action, vous pourrez dire ce que vous voudrez, ce sera quand même une dictature qui pèsera sur la classe ouvrière. »

De tels propos reflètent tant la vision des choses des tenants du « syndicalisme libre » que celle des syndicalistes révolutionnaires, d’où leur union pour plusieurs décennies au sein de la CGT-Force Ouvrière, qui ne changera jamais d’orientation.

La charte d’Amiens est d’ailleurs bien entendu très largement mise en avant et les syndicats de la CGT-Force Ouvrière affirment au congrès que :

« Instruits par une douloureuse expérience, ils proclament attentatoire à l’unité ouvrière la recherche systématique de postes de responsabilités syndicales par les militants des partis politiques en vue de faire du mouvement syndical un instrument des partis. »

Les personnes élus aux postes dirigeants lors du congrès sont immédiatement la garantie de l’ancrage dans ce positionnement. Robert Bothereau devient le chef incontesté, comme secrétaire général. Pierre Neumeyer est trésorier.

Comme témoins, jouant le rôle de garants également, on a Chester représentant les TUC anglais et Williams pour le CIO américain. Ce dernier lit au congrès un texte du président du CIO, Philip Murray, avec un appui ouvert au Plan Marshall :

« Le programme d’aide à l’Europe constitue un effort du peuple américain, dans son ensemble, en vue d’apporter sa part à la reconstruction de l’Europe dévastée par la guerre. »

A son congrès constitutif, la CGT-Force Ouvrière pose quatre axes syndicaux :

– une « réforme administrative tenant compte du reclassement de la fonction publique »,

– une « réforme fiscale établissant l’égalité devant l’impôt »,

– une « réduction des crédits militaires »,

– une « répartition plus équitable du revenu national ».

C’est là ni plus ni moins que l’orientation des socialistes de la SFIO. Il s’agit de prôner le « social » et de s’ancrer dans les masses, en sachant pertinemment qu’on sera minoritaire, et qu’on pourra jouer de démagogie alors que s’affrontent la Droite et les communistes.

D’ailleurs, immédiatement, la CGT met en place des « comités contre la vie chère » et la CGT-Force Ouvrière cherche à se placer comme arbitre lors du grand conflit des mineurs porté par la CGT et le gouvernement qui n’hésite pas à envoyer les CRS avec l’emploi d’armes à feu. L’Union Syndicale de la région parisienne expliqua alors qu’elle :

« dénonce l’exploitation qui est faite de la misère ouvrière à des fins nettement politiques, ouvrant la voie à la dictature qui précipiterait la classe ouvrière dans les chaos d’une nouvelle guerre mondiale. »

Cette ligne est systématique et se décline à tous les niveaux. Ainsi, au niveau international, la CGT-Force Ouvrière tient le même discours. Bothereau, son dirigeant, explique en 1959 lors du 6e congrès, à Paris :

« Faisons de l’Europe un exemple pour les peuples qui accèdent à leur liberté. Car la liberté à elle seule n’est pas le bonheur. Entre le libéralisme des U.S.A. [sic] et le totalitarisme communiste, réalisons une forme originale d’économie collective. »

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La mise en place de la CGT-Force Ouvrière

Dès la conférence nationale des 18-19 décembre 1947, la CGT-Force Ouvrière reçut des soutiens massifs.

La fondation de la CGT-Force Ouvrière

Il y eut déjà celui de la SFIO, évidemment, par la voix de Léon Blum dans son organe Le Populaire :

« Le devoir du Parti socialiste est d’appuyer de toutes ses forces le mouvement Force Ouvrière. Il faut détacher les travailleurs de la tyrannie absurde et intolérable du communisme. »

Une du Populaire et éditorial de Léon Blum en faveur de la scission dans la CGT
au nom d’un syndicalisme libre et autonome (sic)

Le 19 décembre, Léon Jouhaux, Robert Bothereau, Albert Bouzanquet, Georges Delamarre, Pierre Neumeyer, membres du Bureau confédéral de la CGT, donnèrent de fait leur démission. Pierre Le Brun et Louis Saillant, initialement sur la même ligne, refusèrent de faire de même.

Le 22 décembre, une circulaire fut envoyée aux responsables départementaux de la CGT pour annoncer que le Groupe central a tenu une seconde Conférence nationale les 18 et 19 décembre afin de prendre la direction du mouvement, sous le nom de CGT-Force Ouvrière.

Le 24 décembre, Albert Bouzanquet au nom de la CGT-Force Ouvrière envoie une autre circulaire aux responsables syndicaux pour « reconstituer une CGT débarrassée de toute influence ». Parmi les signataires de la circulaire, on a Robert Bothereau, Pierre Neumeyer et Georges Delamarre.

Le syndicat américain AFL fit immédiatement de nombreux et importants prêts à la CGT-FO, qui ne furent évidemment jamais remboursés. A cela s’ajoute une aide matérielle, comme des voitures, des machines à écrire, etc. Il est connu qu’il s’agissait là d’un intermédiaire de la CIA pour appuyer les forces anticommunistes.

Le ministre du travail Daniel Mayer fournit à la nouvelle entité une grande subvention en deux fois, à hauteur de 50 millions de francs de l’époque.

Des pans entiers de la CGT quittèrent celle-ci. A la Fédération des travaux publics par exemple, 38 des 44 syndicats votèrent pour la CGT-FO, 3 seulement refusèrent d’obtempérer.

Du côté des autonomes, la CGT-FO eut une résonnance évidente. A la RATP se forma par exemple un Syndicat général autonome du métro, qui une fois ayant rassemblé les différentes structures rejoignit la CGT-FO.

La CGT-FO ne parvient pas à s’établir de manière autre que minoritaire chez les ouvriers ; chez les fonctionnaires par contre, elle avait le dessus.

Concrètement, la CGT-FO fut non seulement capable de se structurer, mais même d’organiser autour de 500 000 personnes, avec comme base le rejet de la CGT, désormais dénommé CGTK, le « K » désignant le Kominform, le Bureau d’information des partis communistes et ouvriers regroupant les principaux Partis Communistes d’Europe.

La CGT ayant quant à elle 3,2 millions de membres en 1948, contre plus de 5 millions avant la scission. Plus d’un million de travailleurs quittèrent les syndicats au cours de ce processus.

Il faudra cependant plusieurs mois d’attente avant que la rupture ne donne naissance au nouveau syndicat de manière formelle, donnant à la convergence la forme d’un saut structurel syndical dans les institutions elles-mêmes, par la formation d’un syndicat de masse anticommuniste et non pas, comme avec la CFTC liée à l’Église catholique, simplement non communiste.

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La constitution de la CGT-Force Ouvrière

L’acceptation du plan Marshall, dans le contexte de la grande grève de la fin de l’année 1947, va être considéré comme le moment idéal pour former un nouveau syndicat. Par qui ? C’est un vaste débat encore, car tellement d’intérêts convergent qu’on ne sait pas à qui attribuer l’initiative directe de la rupture.

Il est clair que le moteur n’a été ni la direction socialiste – qui espéraient encore amenuiser la direction communiste de la CGT – ni les trotskistes se prétendant au-dessus des réformistes et des « staliniens », ni même des anarchistes espérant encore une dynamique syndicaliste révolutionnaire indépendante.

Toute la question est de savoir si les tenants du syndicalisme ont pris l’initiative d’eux-mêmes, faisant face selon eux à un mur, ou bien si la CIA a servi de déclic en proposant une aide matérielle massive en cas de constitution d’un nouveau syndicat. Dans tous les cas, il y avait une réelle convergence de nombreux éléments, avec un véritable activisme anticommuniste à la base.

De fait, la position de la minorité syndicaliste libre dans la CGT était de toutes façons intenable. A la commission administrative, elle avait 15 délégués contre 20, mais l’actualité revenait au PCF et donc à la majorité de la CGT, qui domine en fait dans un rapport de 3/4 – 1/4.

Léon Jouhaux, le dirigeant historique de la CGT d’avant-guerre, était déjà très âgé et proposait un programme, Nos tâches d’avenir, où « un très grand secteur privé » est mis en valeur, ce qui ne pouvait satisfaire les exigences d’une CGT pro-communiste, ni même les besoins d’une confrontation avec le PCF.

Tout dépendait en fait de Force Ouvrière. Des groupes « Les amis de F.O. » avaient été fondés ; ils profitèrent du contexte pour tenir un congrès avec 250 personnes, les 8 et 9 novembre 1947 à Paris, soit quelques ajours avant la réunion du comité confédéral national de la CGT à ce sujet.

Le plan Marshall y fut approuvé. C’était là donner un gage énorme aux forces pro-américaines et au gouvernement. Robert Bothereau y était nommé dirigeant, ce qui montrait également qu’il y a avait une figure reconnue sur le plan interne.

Robert Bothereau

Cela provoqua un effet de convergence. Les groupes Force Ouvrière se multiplièrent de fait dans tout le pays, alors qu’ils n’étaient présents que dans 35 départements encore en avril de la même année.

Le 28 novembre 1947, les « amis de Combat syndical », une structure syndicale pro-SFIO chez les postiers, appela à la formation d’une nouvelle entité syndicale, au motif qu’entre les gaullistes et les communistes, on risquait un coup de force dans un sens ou dans l’autre.

La base socialiste organisée dans les entreprises encouragea alors massivement cette tendance, appuyant systématiquement Force Ouvrière. Même les sections locales de la SFIO s’y mirent.

Force Ouvrière organisa des réunions directes avec le ministre du travail Daniel Mayer, l’ancien dirigeant de la SFIO, en contournant la direction de la CGT. Cette dernière comptait à l’inverse élargir la lutte par un Manifeste aux travailleurs de France et l’organisation de vastes assemblées générales ouvertes à tous les travailleurs.

La contradiction historique est alors explosive et jamais la base mobilisée dans une dynamique anticommuniste ne pouvait suivre la CGT dans son positionnement de conflit avec l’Etat. Georges Lefranc, un historien du syndicalisme historiquement lié au planisme farouchement anticommuniste et aux « espoirs » sociaux en le régime de Vichy, résume de manière assez nette ce panorama au sein des anticommunistes :

« La scission fut imposée à des leaders qui ne la voulaient pas ou qui ne la voulaient pas encore, par des militants du rang qui ne concevaient même pas qu’on pût encore en reculer l’heure. »

La direction de Force Ouvrière n’eut pas le choix. Le « Groupe central » tint alors une seconde Conférence nationale les 18 et 19 décembre pour fonder la CGT-Force Ouvrière.

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La CGT, le plan Marshall et les grèves de fin 1947

Dès leur sortie du gouvernement, les communistes lancent une grande vague de grèves. Ils espéraient ainsi regagner le terrain occupé par l’ultra-gauche et les tenants du syndicalisme libre. Désormais n’étant plus soumis à la discipline républicaine, le PCF pensait facilement l’emporter.

Le pic a lieu en novembre. Marseille est le lieu de multiples affrontements, avec une grève générale même suite au meurtre d’un ouvrier, Vincent Voulant, par la mafia du clan Guérini. 80 000 mineurs rentrent en grève, fer de lance d’un mouvement touchant les travailleurs de Renault et Citroën, les dockers, les métallos, les travailleurs des BPT, l’Education nationale, la fonction publique.

Le 29 novembre 30 000 grévistes manifestent même en force à Saint-Étienne, avec affrontement généralisé à la barre de fer avec les CRS.

Le ministre de l’Intérieur, Jules Moch membre de la SFIO, fait appel à l’armée et au 11e régiment parachutiste de choc, bras armé du service Action du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage.

Une de l’Humanité du 1er décembre 1947

Finalement, le 9 décembre 1947, le Comité central de grève constitué par les fédérations CGT décide de cesser le mouvement.

Entre-temps, des affrontements violents avaient parfois lieu avec les éléments de la CGT opposés à une grève considérée par eux comme « politique ».

Cependant, cet affrontement était strictement parallèle à une question éminemment politique s’affirmant dans le cadre de l’affrontement international entre capitalisme et communisme, celle du plan Marshall.

L’appel d’air provoqué par l’énorme investissement américain – une savante combinaison de prêts et de dons liés à l’industrie américaine – allait cimenter tous les opposants au PCF et exercer une pression énorme dans un pays en reconstruction.

Le paradoxe est ainsi que les tenants du syndicalisme libre pouvaient désormais exiger l’acceptation de ce soutien, alors qu’ils appuyaient auparavant les velléités d’ultra-gauche de revendications généralisées sans aucune perspective d’ensemble ni analyse réaliste de la situation.

Le PCF réfuta le plan Marshall avec un vrai temps de retard, qui fut critiqué dans le Mouvement Communiste International. Voici comment, dans l’Humanité du 12 octobre 1947, le secrétaire général de la CGT, Benoit Frachon, présente les raisons pour lesquelles il faut combattre le Plan Marshall :

« L’émotion soulevée par l’invraisemblable discours de Ramadier n’est pas près de s’éteindre.

C’est une politique de catastrophe nous ont dit certains représentants qualifiés de l’industrie. Tandis que pour la classe ouvrière surgit le spectre d’un chômage massif qu’évoque nécessairement la menace des fermetures d’usines et de chantiers annoncées par le président du Conseil.

Politique de catastrophe!

Le mot n’est pas trop fort. Politique aussi qui tend à ruiner, pour des buts qui ne sont que trop clairs, l’effort de reconstruction accompli, par la classe ouvrière, malgré les saboteurs (…).

Il est vrai que les trusts américains pourraient s’inquiéter de la modernisation de notre industrie sidérurgique, du perfectionnement de nos procédés de fabrication des automobiles, notamment chez Renault et chez Berliet.

Ils ont prévu la reconstruction rapide de l’industrie de la Ruhr, ils peuvent fabriquer suffisamment d’automobiles pour nous en vendre. Alors, pourquoi songer à développer nos propres industries «concurrentes» ?

La veille du jour ou Ramadier fit son discours, Philippe Lamour, secrétaire général de la C.G.A., parlait devant les représentants de la presse. Il indiquait, avec raison, qu’un des obstacles essentiels au développement de la production agricole était qu’on ne pouvait fournir aux paysans l’équipement dont ils ont besoin.

«Nous avons 200.000 demandes de tracteurs en série qui ne sont pas satisfaites», disait-il. Ramadier répond: «Nous n’avons pas de dollars». Mais il annonce en même temps que des usines seront fermées parce que les commandes seront suspendues. Ne croyez pas que l’idée puisse lui venir que ces usines pourraient faire les tracteurs que réclament les paysans (…).

Songez donc, les Américains fabriquent des tracteurs. Nous n’avons pas de dollars! Qu’à cela ne tienne, à force de concessions les Américains nous en prêteront.

Tandis que se précise cette politique de liquidation de nos principales industries, il ne se passe pas de jour sans qu’on nous annonce officiellement l’arrivée de délégués américains, experts ou non. M. MacMartin, président de l’Export-Import Bank va visiter nos principaux centres industriels. Les hommes les plus représentatifs de la banque et de l’industrie des U.S.A., pressent nos ministres de réduire les tarifs douaniers. «On nous l’a promis» , disent-ils.

Ils exigent qu’on crée les conditions nécessaires à des investissements solides et sûrs de capitaux, les leurs, en France.

Chaque Français a l’impression pénible que notre pays devient un vaste champ de foire où les maquignons viennent tâter les flancs du bétail avant de l’achever, sous la conduite de vendeurs accommodants qui déprécient eux-mêmes la marchandise. Gare à la ruade qui pourrait bien laisser pantois marchands et acheteurs (…).

Les événements vont vite. Les possesseurs de dollars qui commandent désormais sans partage se font plus exigeants. La classe ouvrière n’a pas l’habitude de céder au chantage. Le plan Monnet annexe du plan Marshall! Ce ne peut pas être son affaire.

Son plan à elle, c’est celui du redressement dans l’indépendance, la souveraineté du pays dans l’épanouissement d’une véritable démocratie. »

Un mois après, les 12-13 novembre 1947, le comité confédéral national de la CGT rejetait l’acceptation du Plan Marshall, par plus de 800 voix contre un peu plus d’une centaine.

« Le C.C.N. condamne le plan Marshall qui loin d’être un plan d’aide à la France et à l’Europe, n’est qu’une partie d’un plan d’asservissement du monde aux trusts capitalistes américains et la préparation à une nouvelle guerre mondiale. »

La motion d’acceptation du Plan Marshall était portée par Robert Bothereau. C’est lui qui allait également, immédiatement, lever le drapeau de la scission dans la CGT.

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La grève de 1947, arme des trusts

Les socialistes et les tenants du syndicalisme libre rongeaient leur frein dans la CGT ; à l’arrière-plan, il y a également les anarchistes et les trotskistes, qui espèrent pouvoir affaiblir à la moindre occasion le PCF.

Or, le PCF se retrouve profondément coincé par sa ligne de soumission au gaullisme. Il y a en effet une ligne républicaine assumée, le PCF se présentant comme le meilleur élève du régime républicain et encourageant la reprise de la production par tous les moyens. C’est une ligne de démocratie populaire mais totalement désaxée de par le fait que la question du pouvoir est totalement oubliée.

La bataille de la production, publié en 1946

Cette conception développée par Maurice Thorez l’emporte cependant entièrement dans le PCF. Victorin Duguet, mineur devenu secrétaire fédéral CGT, puis président des Charbonnages de France, explique en mars 1947 :

« Ce que je vais vous dire vous paraîtra dur, mais il faut que vous produisiez davantage. La nationalisation des mines n’est pas un échec : il faut faire la preuve que le rendement, le prix de revient, l’ordre et la discipline sont meilleurs qu’avant guerre, sinon il en sera fini des Houillères nationales. »

Or, non seulement la ligne est incohérente, mais en plus les masses ne la comprennent pas pour une partie significative. Il s’ensuit une incompréhension fondamentale de la position du PCF et des séries de grèves.

Cela produisit un espace dans lequel va se précipiter l’ultra-gauche, qui profite du désarroi des masses alors que le marché noir est encore là, que la production n’atteint le niveau de 1938 que vers fin 1949, que les prix ont été par multiplié quatre, cinq, six par rapport à l’avant-guerre, les salaires seulement par entre trois et quatre.

Au moyen de la démagogie et du rejet de toute analyse politique de la situation, l’ultra-gauche anarchiste et trotskistes lance des initiatives de lutte, soutenues par les tenants du syndicalisme libre voyant un espace pour affirmer la nature purement « syndicale » de la CGT.

Au mois d’août 1946, les Postes et Télécommunications entrent en grève. Elle se termine rapidement par un succès après un énorme élan, mais le PCF a tout compris : il sait que la « minorité » de la CGT a été au cœur d’une véritable tentative de déstabilisation, à la fois sociale et syndicale.

Elle a d’ailleurs formé indépendamment un Comité national de grève. Les socialistes embraient d’ailleurs aussi et dans l’organe Le Populaire, on appelle en août à une CGT au-dessus des partis politiques.

L’opération est une réussite : le Comité national de grève entraîne peu après 15 000 personnes hors de la CGT, la moitié formant un Comité d’action syndicaliste (CAS) en décembre 1946 dont le dirigeant était Camille Mourguès, issu de la gauche pro-trotskiste de la SFIO qui forma en 1938 le Parti socialiste ouvrier et paysan. Son premier inscrit fut Jean Mathé, secrétaire général du Syndicat national des agents des PTT en 1927 et qui ne participa pas à la Résistance.

D’autres CAS se constituèrent, comme CAS SNCF, Métaux, Transports, Hôpitaux, Alimentation.

Ce qui s’enclenchait était une véritable vague de grèves rendant l’ambiance explosive.


Nombre
de grèves
Nombre
de grévistes
Journées perdues
1946 528 180 000 386 000
1947 2 285 Pratiquement 3 millions 22 673 000
1948 1 425 Un peu plus de 6,5 millions 13 133 000

Les trotskistes réalisent alors un coup formidable : en avril 1947, ils déclenchent une grève dans les ateliers 6 et 18 de l’usine Renault-Billancourt. La CGT tente de relativiser, mais la conscience des masses est trop faible pour faire de la politique, alors que qui plus est la grève est appuyée par les socialistes (les Jeunesses socialistes apportant même une voiture avec des hauts-parleurs), les anarchistes, ainsi que la CFTC, le syndicat lié à l’Église catholique.

La CGT, déboussolé entre sa nature syndicale et son positionnement pro-PCF, s’enlise et échoue. Elle cède et suit le mouvement, privilégiant la tournure syndicaliste, pour réussir à prendre le dessus et arracher un accord.

Mais le PCF en paie le prix fort : il est exclu du gouvernement le 4 mai 1947 par le président du conseil Paul Ramadier, ce que confirme immédiatement le conseil national de la SFIO le 6 mai par 2529 mandats contre 2125.

Les trotskistes, eux, sont galvanisés et leurs trois principaux courants possèdent désormais une dynamique pour les cinquante prochaines années.

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Les socialistes face au PCF en 1945 et la question de la CGT

Les socialistes avaient immédiatement compris que le PCF disposait d’une hégémonie politique, idéologique et culturelle à gauche. Ils n’étaient pas marginaux pour autant : la SFIO avait désormais 400 000 membres, soit 300 000 de plus qu’avant la seconde guerre mondiale. Cela ne durera cependant pas : le nombre passe à 350 000 en 1946, 322 000 en 1947, 222 000 en 1948.

C’est que les socialistes n’avaient pas d’identité politique en propre. Les socialistes français étaient traversés en courant, le Front populaire les avait dépassé, ils n’avaient aucune ossature idéologique. Allaient-ils pencher à gauche vers le PCF ou bien vers le centre avec le Mouvement républicain populaire ?

Au 38e congrès, en 1946, Léon Blum résume ce dilemme en ses termes, exprimant en même temps un anticommunisme farouche, qui va caractériser les socialistes pour les 30 prochaines années :

« Nous l’avons connue pendant les vingt ans de l’entre-deux guerres. Ce n’était pas entre MRP [alliance du centre et des gaullistes] et communistes que le Parti avait à tenir sa voie droite, mais entre le parti radical et les communistes ; cependant, le problème était le même et les difficultés étaient les mêmes. 

Mais alors, s’il en est ainsi – et je suis convaincu qu’il en est ainsi – où faut-il chercher la cause ? Laissez-moi vous le dire avec gravité, presque avec sévérité, mais avec une affection fraternelle, je dirai même paternelle, et comme un homme qui, depuis bien des années, a consacré à notre parti tout ce qu’il a pu donner d’efforts et d’intelligence (…).

Le trouble du Parti, ce malaise dont l’analyse ne découvre pas les causes, ou qui est hors de toutes proportions raisonnables avec ses causes, je crains qu’il ne soit d’essence panique, qu’il ne traduise les formes complexes – excusez le mot – de la peur.

Je crois que, dans son ensemble, le Parti a peur. Il a peur des communistes. Il a peur du qu’en-dira-t-on communiste.

C’est avec anxiété que vous vous demandez à tout instant : “ Mais que feront les communistes ? Et si les communistes ne votaient pas comme nous ?… ”

La polémique communiste, le dénigrement communiste, agissent sur vous, vous gagnent à votre insu et vous désagrègent. »

S’il parle ainsi, ce n’est pas tant que Léon Blum a peur que les socialistes se tournent vers les communistes, mais qu’il craint que la SFIO ne cherche à concurrencer le PCF de manière frontale. Et c’est effectivement ce qui va se passer.

Refusant de se tourner vers les communistes à l’opposé de ce qui se passe dans de nombreux pays, principalement ceux de l’Est européen, les socialistes formèrent dès 1945 des Groupes Socialistes d’Entreprise, afin de disposer d’un certain ancrage populaire.

Ces GSE doivent également étudier l’opinion publique, faire remonter les informations sur les entreprises, les professions, la vie économique du pays. Il y a également l’obligation d’adhérer au syndicat, donc la CGT puisque l’autre syndicat est lié à l’Église catholique.

La conséquence de cette orientation est que tant Léon Blum que la direction de la SFIO, structurée autour de Daniel Mayer qui l’a conduit durant l’Occupation et l’a fait s’engager dans la Résistance, sont balayés au 38e congrès. La résolution sur le rapport moral et la politique générale du Parti en vue du congrès national d’août 1946 annonçait déjà la couleur :

« Les causes profondes du malaise actuel du Parti Socialiste sont en premier lieu d’ordre doctrinal :

Certes nous ne considérons pas le marxisme comme un dogme. Il est une méthode de prospection des faits économiques et sociaux, une doctrine d’action qui permet de progresser dans la lutte pour l’émancipation des travailleurs à la condition d’être constamment confrontée avec le réel et enrichie par les leçons de l’expérience.

Mais nous estimons que doivent être condamnées les tentatives révisionnistes, notamment celles qui, se fondant sur une conception erronée de l’humanisme, ont pu laisser croire à nos adversaires que le Parti oubliait cette réalité fondamentale qu’est la lutte des classes.

C’est cet affaiblissement de la pensée marxiste dans le parti qui l’a conduit à négliger les tâches essentielles d’organisation, de propagande et de pénétration dans les masses populaires pour se cantonner dans l’action parlementaire et ministérielle et a engendré, sur ce plan même, les erreurs politiques et tactiques commises depuis la libération. »

En clair, la direction est rejetée, car les socialistes ont accepté d’être coincé entre le MRP et le PCF, et que la situation est intenable à moyen terme. Il faut un tournant à gauche, afin de faire revenir les socialistes dans l’action politique et de tenir au PCF. L’un des signataires de la résolution est Guy Mollet, qui va alors devenir au congrès le dirigeant des socialistes.

Lors de son deuxième discours tenu au congrès, où il s’oppose à Léon Blum, il est très clair :

« Nous faisons nôtre la phrase de Léon Blum : « La fin du socialisme est la libération intégrale de la personne humaine. » Nous sommes d’accord et nous pensons même que l’humanisme n’est pas seulement un but, mais un moyen qui, d’ailleurs, a eu sa nécessité historique, particulièrement au sortir de la Libération, et qui peut enrichir la doctrine marxiste qui est et qui reste l’axe immuable du socialisme.

En effet, on vient au Parti par sens de l’humain, mais on ne peut réaliser cette libération de l’homme que par la réalisation d’un programme marxiste.

L’humanisme, certes, a toute sa valeur à la hauteur de l’individu, mais, quand il s’agit d’interpréter les phénomènes sociaux portant sur les masses, l’analyse marxiste garde toute sa force et sa vérité. C’est cette synthèse harmonieuse nécessaire qu’il nous faut ensemble préserver.

La différence que j’ai cru sentir avec Léon Blum sur un autre point est plus sensible. C’est lorsque nous parlant de la participation au pouvoir en régime capitaliste, il nous a dit que nos hommes au gouvernement devaient être les gérants honnêtes et loyaux des affaires du capitalisme.

Reprenant et développant cette idée, notre camarade Philip, ce matin, évoquait l’immense œuvre des philosophes du 18e siècle et montrait comment cette oeuvre nous avait valu la Déclaration des droits et la nuit du 4 août.

D’accord camarades, mais nous n’oublions pas que pour permettre la nuit du 4 août, pour permettre la Déclaration des Droits, il a fallu aussi un certain 14 juillet.

C’est parce que nous avons conscience que l’avènement définitif du socialisme, c’est-à-dire la libération totale de l’homme, peut trouver un jour dressée contre lui la force même brutale du capitalisme qu’il nous faut élargir notre base ouvrière et préparer à la fois la prise du pouvoir politique, sa défense éventuelle et son exercice. C’est cette synthèse qui fut un jour réalisée dans le Parti (…)

La période de stabilité apparente du capitalisme est dépassée. Actuellement, nous avons une société de transition en plein mouvement où se combattent le capitalisme et le socialisme. La participation au pouvoir se trouve ne plus être qu’une forme de la lutte de classe.

Au pouvoir, nous restons les représentants de la classe ouvrière. Au pouvoir, nous n’avons pas à corriger le système capitaliste, mais à fournir à la classe ouvrière les tremplins de son action de demain (…).

Il convient de sauvegarder l’indépendance et l’originalité du Parti. En conséquence, il ne faut pas aller à cette unité d’action en chien battu, il nous faut au contraire prendre le maximum d’initiatives et de garanties afin de ne pas donner l’impression d’être à la remorque d’un parti qui, en fait, n’est pas révolutionnaire comme nous le sommes.

Voilà camarades, notre véritable position sur ce point. On est jamais mieux servi que par soi-même. Elle n’est ni communisante, ni non plus anticommuniste, elle est tout bonnement socialiste. »

En conséquence, les socialistes étaient prêts à n’importe quelle initiative plaçant le PCF dans les cordes. La formation de la CGT-Force Ouvrière va être un véritable cadeau, une occasion qui ne sera pas manquée.

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Résistance Ouvrière, noyau dur de la future CGT-FO

Quelques mois à peine après la réunification de la CGT dans la clandestinité, les tenants du « syndicalisme libre » organisèrent, en août 1943, le journal Résistance Ouvrière. On y trouve trois types de gens :

– les tenants du syndicalisme libre à la Léon Jouhaux, comme Robert Bothereau et Neumeyer ;

– d’importantes figures socialistes, comme Albert Gazier, Oreste Capocci et Gérard Ouradou ;

des syndicalistes révolutionnaires, comme André Lucot.

Le sous-titre de Résistance Ouvrière était Hebdomadaire du Comité d’Étude et de Documentation Économique et Syndicale. Le journal devient, le 20 décembre 1945, Force Ouvrière, avec comme sous-titre Hier Résistance Ouvrière – Aujourd’hui Force.

L’éditorial précise bien :

« Force Ouvrière n’est pas un journal nouveau. Il est la continuation de « Résistance Ouvrière ». »

Le changement de ce sous-titre marque toute l’évolution aboutissant à la naissance de la CGT – Force Ouvrière.

En octobre 1947, le sous-titre change en effet de nouveau et devient : FO défend la CGT contre toute emprise politique.

Il y aura au total 119 numéros de Force Ouvrière jusqu’à la scission, le numéro 120 devenant l’organe du nouveau syndicat, avec comme sous-titre :

« Pour la liberté et l’indépendance syndicale »

C’est-à-dire qu’on a au départ un groupe ne faisant que se regrouper, pour ensuite chercher à s’opposer à la politique dans la CGT, pour finalement revendiquer à la fois le « syndicalisme libre » et l’anticommunisme.

La rhétorique anti-communiste de la CGT-FO va en effet être systématique et une composante centrale de son identité.

Quelles ont été les étapes du processus ? Initialement, les partisans du « syndicalisme libre » sont paralysés en 1945. Ils sont éparpillés, certains ont collaboré, dans tous les cas ils sont en échec total.

C’est que la charte d’Amiens a beau être la référence partagée, la tendance à converger avec la ligne du Parti Communiste Français l’emporte. La CGT est le grand syndicat des travailleurs, avec cinq millions de membres, une unité déterminée : Benoît Frachon, du PCF et faisant office de dirigeant, lors de la remise de son rapport au 26e congrès de la CGT les 8-12 avril 1946, obtient un appui par 84,4 % des voix.

Et elle a des succès concrets, tangibles. Aux élections à la Sécurité Sociale, la CGT a 59 % des voix, contre 26 % des voix pour la CFTC liée à l’Église catholique. La grève du mardi 25 mars 1947, pour la baisse des prix et la paix au Vietnam, rassemble un million de personnes en France, dont 500 000 à Paris et 180 000 à Lyon.

Les masses passent du côté du PCF et comme seuls les syndicats de plus de 5000 membres ont droit de cité, la CGT a une orientation très nette. Au congrès de la CGT d’avril 1946, cette tendance pro-communiste représente 80 % des délégués, alors qu’électoralement le PCF représente même 29 % des voix aux élections nationales, étant le principal parti.

Pour les tenants du syndicalisme libre, structurés dans Résistance Ouvrière devenue Force Ouvrière, il s’agit de faire le dos rond et d’attendre le moment opportun.

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La CGT réunifiée de 1943-1945, parallèle à celle de 1936

Les tenants du syndicalisme libre, s’ils avaient le « manifeste des douze » de 1940, n’avaient toutefois plus l’initiative. Le PCF menait la résistance et il prônait l’unité à la base pour une nouvelle CGT. Il était impossible de faire face à un tel succès populaire et les tenants du syndicalisme libre durent donc composer. Différentes réunions clandestines eurent lieu à partir de 1943, car la CGT ne pouvait que se réunifier face à l’occupant allemand, la pression des masses étant aussi forte qu’en 1936.

La CGT intégra ainsi les Comités départementaux de la Libération, appelant à la grève générale le 18 août 1944. Dès le lendemain commence l’insurrection parisienne, alors que l’Appel de la CGT clandestine aux travailleurs de France, publiée auparavant, prônait la mise en place de milices patriotiques.

A la fin août 1944, il y avait à la direction de la CGT 6 personnes liées à la CGT de tradition réformiste, 3 de la tradition CGT Unitaire liée au PCF.

Finalement, début septembre 1945, la CGT a comme dirigeants à la fois Léon Jouhaux, l’ex anarchiste toujours anticommuniste forcené mais désormais réformiste, et Benoît Frachon lié au PCF.

On retrouve ici les deux tendances s’étant affirmées dans la CGT à la suite d’Octobre 1917 en Russie. Léon Jouhaux est secrétaire de la CGT depuis… 1909, et l’adjonction d’un autre secrétaire, communiste, témoigne de la base pro-PCF dans la CGT, puisque le vote de 1945 créant cette fonction a été victorieux avec 23 fédérations contre 15, 66 unions départementales contre 27.

La une du journal Le Peuple, organe officiel de la Confédération générale du travail (CGT), datée du 28 septembre 1945.

En fait, la CGT n’avait plus connu de réelle unité depuis la révolution russe, à part au moment de 1936. En fait, si la majorité des socialistes avait rejoint l’Internationale Communiste lors du congrès du Parti socialiste SFIO en 1920 à Tours, mais la CGT restait quant à elle à la traîne.

Possédant une véritable identité, entre réformisme et anarchisme, elle s’opposa au communisme. Cela n’empêche pas une opposition de naître, mais celle-ci était surtout portée par les Comités syndicalistes révolutionnaires.

D’ailleurs, si l’on regarde bien, bon nombre de communistes avaient également, en réalité, une lecture syndicaliste révolutionnaire. Concrètement, on peut s’apercevoir que l’interprétation de ce qu’était le bolchevisme pour bon nombre d’adhérents au Parti Communiste était largement erronée. Il s’ensuivit un parcours chaotique pour la Section Française de l’Internationale Communiste.

La CGT fut en mesure de mettre à l’écart ces velléités syndicalistes révolutionnaires entremêlées de revendications communistes. Dès 1921, la tendance révolutionnaire est donc mise à l’écart, fondant une CGT dite unitaire, avec des communistes et des syndicalistes révolutionnaires, ce qui était intenable également.

Un épisode marquant fut d’ailleurs la « fusillade de la Grange-aux-Belles », en janvier 1924, où un meeting communiste fut faire face aux provocations des syndicalistes révolutionnaires. Cela se termina au pistolet, avec deux morts.

L’intense activité de l’Internationale Communiste força toujours plus le cours des choses et les syndicalistes révolutionnaires fondirent alors en 1926 la Confédération générale du travail – Syndicaliste révolutionnaire.

Les choses en restèrent là jusqu’à la crise des années 1930. La CGT, s’unifiant sous l’impulsion des masses antifascistes face au 6 février 1934, était passé d’un million à cinq millions de membres dans le cadre du Front populaire. Les communistes revenaient sur le devant de la scène.

Cependant, avec l’enlisement du Front populaire, les forces anticommunistes finirent par l’emporter et profitèrent du pacte germano-soviétique pour écraser les communistes par ailleurs désormais pourchassés par l’État lui-même. La Résistance et la Libération renversaient la situation et ramenaient les communistes sur le devant de la scène, dans le même schéma qu’en 1936.

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