L’organisation du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu du 5 novembre au 5 décembre 1922. 104 personnes prirent la parole, pour 187 discours.

Affiche soviétique pour le 5e anniversaire de la révolution d’Octobre et le 4e congrès de l’Internationale Communiste

Étaient présents 343 délégués représentant 58 pays ; le nombre de délégués a été réparti selon l’importance de chaque Parti, ainsi que de la situation du pays de ceux-ci, de l’importance dans la crise en cours, etc.

C’est ce qui explique le peu de délégués pour certaines délégations, malgré un nombre important de membres. Ainsi, on le Parti norvégien, avec 60 000 membres, qui a 5 délégués seulement, et le Parti bulgare, avec 40 000 membres, qui a 6 délégués.

Si le premier, qui a un nombre très important de membres par rapport à la taille de son pays a beaucoup de problèmes internes, le second est pourtant considéré comme celui le plus exemplaire dans l’Internationale Communiste, après bien entendu le Parti russe.

Inversement, le Parti japonais, qui n’a que 250 membres pourtant, a 4 délégués, tout comme le Parti américain, qui a 8 000 membres seulement, a 8 délégués. C’est là bien sûr l’importance de leurs pays respectifs qui jouent.

Ces différenciations se lisent également très bien quand on voit la nature du bloc de Partis ayant un nombre important de délégués bien plus important que les autres.

Des délégués américains au quatrième congrès

Le Parti russe, au pouvoir et s’appuyant sur 324 522 membres, a 75 délégués ; le Parti ukrainien, qui a 80 000 membres, a 10 délégués.

Le Parti allemand, qui dispose de 226 000 membres, a 23 délégués, tout comme le Parti français, qui a pourtant 78 828 membres. Le Parti italien, qui a 24 638 membres, a 21 délégués, alors que le Parti tchécoslovaque, qui a 170 000 membres, n’ en a que 17.

On doit noter ici de plus que le Parti italien comptait alors seulement 1,5 % de femmes dans ses rangs, contre 20 % pour le Parti tchécoslovaque.

C’est un aspect considéré comme secondaire, ou plutôt comme un processus en cours : il existe en effet un secrétariat dirigé par Clara Zetkine, épaulant le Secrétariat de l’Internationale Communiste (la part de femmes dans le Parti allemand est de 11-12 %, dans le Parti norvégien de 15 %, dans le Parti français de 2 %, en Belgique de 6 %, en Angleterre le chiffre est également très faible).

Pareillement afin de les valoriser, les sections jeunesse et syndicale de l’Internationale Communiste profitent de 20 délégués chacun également.

On comprend donc qu’une importance essentielle va être accordée à la France, à l’Italie, aux États-Unis, à la Tchécoslovaquie, à la jeunesse, aux syndicats. C’est un aspect important, car cela signifie qu’à son quatrième congrès, l’Internationale Communiste assume d’être encore en construction, en évolution.

Des délégués au quatrième congrès

On comprend inversement, dans une telle situation, quelle est la difficulté d’évaluer correctement les Partis relevant d’un pays où la révolution a échoué. Le Parti finlandais, qui a 25 000 membres et réussit à avoir un rôle significatif encore malgré la sanglante répression, a 7 délégués ; le Parti hongrois, qui est démantelé dans le pays et n’existe de manière organisée qu’en exil, a 7 délégués également, mais nommés directement par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.

Le restant des pays présents, pour citer les principaux, a un nombre de délégués plus restreints: Espagne (3 délégués), Roumanie (3), Suède (6), Lettonie (6), Suisse (3), Autriche (4), Pays-Bas (1), Belgique (1), Chine (3 invités, 1 seul présent), Inde (4 invités, 1 seul présent), Irlande (3), Azerbaïdjan (2), Géorgie (2), Lituanie (2), Estonie (2), Danemark (1), Perse (2), Turquie (2), Australie (2), Argentine (2), Afrique du Sud (1), Java (1), Canada (1), Portugal (1), Chili (1), Uruguay (1), Brésil (1), Mexique (1), Arménie (1).

A cela s’ajoute une soixantaine de délégués n’ayant qu’un droit de vote consultatif.

On aurait tort toutefois de considérer que tout cela a été bien organisé : en effet, des querelles très importantes étaient nées dans de nombreux partis. On a ainsi l’exemple tout à fait parlant du Parti Communiste d’Autriche.

Le Comité Exécutif reçoit un message comme quoi trois délégués ont été élus mais ne pourront pas venir pour des raisons matérielles et que, de toutes façons, leur mandat leur a finalement été enlevé au profit d’un autre. Ils arrivent tout de même, et le quatrième dans la foulée. Ce genre de situation est typique de conflit allant jusqu’à être d’une très grande virulence entre différentes tendances, différentes fractions.

Une large partie du quatrième congrès est polluée par des discussions d’opposition entre les tendances, avec en toile de fond ce qui a été mis en avant par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste :

– le front unique, afin de relancer la mobilisation ouvrière ;

– l’appel à un gouvernement ouvrier, comme expression politique parallèle au front unique.

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de l’Internationale Communiste

La situation au moment du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à la fin de l’année 1922. C’est un congrès de transition : on n’est déjà plus dans l’esprit des précédents congrès, on n’est pas encore dans celui de ceux qui vont suivre.

Au moment où il s’ouvre, la marche sur Rome vient d’avoir lieu et on commence à comprendre que le fascisme n’est pas qu’un aspect de la réaction, qu’il est un saut qualitatif de celle-ci. Cela va modifier l’ensemble de la démarche de l’Internationale Communiste, pour aboutir à la thèse du Front populaire, quelques années plus tard.

De plus, en 1922, il est clair que la vague révolutionnaire issu d’octobre 1917 a connu, non pas un temps d’arrêt au sens strict, mais un détour et qu’on est là en pleine offensive du capital. Il s’agit donc de renforcer la base prolétarienne, d’où la stratégie du front unique et d’appel à un gouvernement ouvrier.

Le précédent congrès posait les bases de cette approche, le tout reposant sur l’évaluation de la crise générale du capitalisme, dont Eugen Varga est encore, pour l’instant, le principal analyste. Le capitalisme est en déclin, il cherche cependant une voie pour bloquer celui-ci de manière relative, en pressurisant les salaires, en augmentant le temps de travail, etc.

Eugen Varga, La situation de l’économie mondiale et le cours de la politique économique ces trois dernières années, 1922

La dimension de transition ne repose toutefois pas qu’en l’irruption du fascisme dans la conquête du pouvoir et l’offensive du capital. L’Internationale Communiste s’aperçoit également que ses tâches sont bien plus denses que prévues.

Il y a déjà des questions, comme celle des situations dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, qui demandent un gigantesque investissement intellectuel, d’analyses historiques approfondies. Cela exige de mettre des structures en place.

Il y a ensuite que la construction des Partis Communistes se déroule de manière bien moins correcte que prévue. Les Français sont divisés en tendances, les Danois ont deux structures séparées, les Norvégiens sont divisés et la direction a un mauvais rapport avec l’Internationale Communiste, la direction des Italiens a une démarche ultra-sectaire, etc.

On ne saurait comprendre l’ampleur de cette crise qu’affronte l’Internationale Communiste si l’on ne voit pas qu’il y a déjà eu une tentative de la résorber. Le Comité Exécutif élargi s’est en effet réuni à Moscou du 24 février au 4 mars 1922, avec 36 délégations.

On peut considérer que c’est le noyau dure de l’Internationale Communiste qui s’est alors réuni, avec comme pays représentés :

– l’Allemagne, la France, la Tchécoslovaquie, l’Italie, l’Angleterre, les Etats-Unis, le Japon ;

– la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie,

– la Pologne, la Bulgarie, la Yougoslavie, la Roumanie,

– la Norvège, le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Hollande, l’Espagne, la Suisse, l’Autriche, la Hongrie,

– le Canada, l’Australie, l’Argentine ;

– la Perse, la Chine, l’Afrique du Sud, Java.

Cette session du Comité Exécutif élargi a concrètement abordé les mêmes points que lors du congrès à venir – ce qui signifie que n’ont pas été résolus les problèmes entre-temps, lors d’une période de plus de six mois.

De plus, il y a ouvertement une opposition à l’application du principe de Front unique, avec une motion « minoritaire » signée des Partis espagnol, français et italien. Pour eux, hors de question de chercher à travailler avec les socialistes en général.

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste va révéler qu’on est à un tournant historique et que la réalisation du prolongement de la vague révolutionnaire d’octobre 1917 va être bien plus compliqué que ce que les communistes s’imaginaient.

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de l’Internationale Communiste

Les messages du Comité Exécutif après le second congrès de l’Internationale Communiste

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fit plusieurs appels après le deuxième congrès.

Il fit ainsi vers le milieu du mois d’août un appel aux ouvriers de France et de Grande-Bretagne, appelant à leur mobilisation contre les chargements de munitions pour la Pologne, qui menait alors des offensives anti-soviétiques.

Il y avait déjà eu des grèves à ce sujet en Grande-Bretagne et le conseil central d’action à Londres avait menacé le premier ministre d’un mouvement plus dur en cas de soutien à la Pologne ou à l’armée blanche de Wrangel.

L’appel de l’Internationale Communiste souligne l’importance de la question :

« La guerre entre la Pologne blanche et la Russie soviétique est une guerre entre la bourgeoisie et le prolétariat du monde entier. Cela est devenu évident pour tout travailleur conscient. L’issue de cette guerre dépend avant tout des actions des travailleurs de Grande-Bretagne et de France. »

Un peu plus tard encore dans le mois, un appel fut fait aux syndicats pour la mise en place d’une Internationale Syndicale Rouge. L’appel dit notamment :

« Travailleurs, membres des syndicats de tous les pays!
Le travailleur le plus arriéré, l’organisation de travailleurs la plus arriérée, doit maintenant
reconnaître que le monde bourgeois tombe en ruines. »

À la toute fin du mois, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste écrivit aux socialistes italiens, reprochant une démarche trop indécise, irrésolue dans la résolution des problèmes posés par la droite dans le Parti. Ce message fut suivi d’une lettre ouverte au prolétariat italien, le 22 septembre 1920.

Il y eut également le même mois un document pour expliquer les accords de paix faits avec la Pologne, un appel aux ouvriers de France à l’occasion du 15e congrès de la CGT qui se tint du 27 septembre au 2 octobre 1920, une lettre ouverte aux membres de l’USPD allemande à l’occasion de son congrès qui se tint du 12 au 17 octobre.

Zinoviev participa d’ailleurs à ce congrès, faisant un discours de quatre heures. Le congrès accepta par 236 voix contre 156 l’adhésion à l’Internationale et 300 000 membres de l’USPD rejoignirent de ce fait le KPD (qui avait lui 50 000 membres alors). La majorité des 55 quotidiens et des 81 députés au Reichstag restèrent cependant dans une USPD maintenue qui rejoignit les socialistes en septembre 1922.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fit ensuite une lettre en octobre 1920 à l’occasion du congrès du KPD.

En novembre 1920, il fit un appel aux membres du Parti Socialiste italien et des syndicats en Italie ; on y lit notamment :

« La révolution prolétarienne frappe à votre porte. Vous êtes plus proches de la victoire que les travailleurs de tout autre pays. Il y a en Italie pratiquement à portée de main les prérequis pour une révolution prolétarienne victorieuse.

Les prérequis sont pratiquement tous là, excepté un en particulier : c’est le niveau d’organisation dans vos rangs. Nous ne disons pas que vous n’êtes pas organisés. La classe ouvrière italienne est organisée.

Mais vos organisations ne sont pas homogènes. Des réformistes y ont trouvé place. »

Une lettre fut envoyée encore en novembre 1920 en Allemagne à l’occasion du congrès du KPD, puis le même mois une autre, signée également par l’Internationale Syndicale Rouge, à la Fédération syndicale internationale (fondée en 1919 et regroupant les syndicats rejetant la révolution russe).

Cette lettre consiste en fait en une lettre ouverte, contenant des dénonciations de la Fédération syndicale internationale comme regroupant des syndicats jaunes.

À la toute fin du mois, il y eut une résolution acceptant le KAPD allemand comme parti sympathisant de l’Internationale Communiste. Ce choix fut fait après deux sessions du Comité Exécutif abordant cette question, avec une opposition très forte des directions du KPD et de l’USPD avant que ces organisation ne soient réunies. Le KPD unifié envoya par la suite en janvier 1921 une lettre de protestation, le Comité Exécutif refaisant un vote pour valider cette résolution.

En décembre 1920, le Comité Exécutif envoya une lettre à la SFIO à l’occasion du congrès de Tours, Clara Zetkine y étant la représentante de l’Internationale Communiste. Il y avait 285 délégués avec 4574 mandats ; 3028 voix se portèrent sur l’adhésion à l’Internationale Communiste, contre 1022.

En janvier 1921, le Comité Exécutif envoya une lettre aux Parti Socialiste italien, qui tenait son congrès à Livourne, Khristo Kabakchiev et Karl Radek y étant les représentants de l’Internationale Communiste.

La résolution d’Amadeo Bordiga en faveur des 21 conditions reçut 59 000 voix, celle d’une acceptation sous conditions formulée par Giacinto Menotti Serrati en reçut 98 000, celle de Filippo Turati appelant au rejet en reçut 15 000. L’aile gauche sortit fonder le Parti Communiste et le Parti Socialiste italien fut exclu de l’Internationale Communiste.

Le même mois, le Comité Exécutif fit une résolution au sujet de la conférence de Vienne des partis socialistes, qui se tint du 22 au 27 février avec 80 délégués de 13 pays. Cela donna naissance à l’Internationale dite de Vienne, qualifiée d’Internationale « deux et demi » par l’Internationale Communiste. En décembre 1922, la seconde Internationale l’Internationale dite de Vienne la rejoignit et cela donna naissance à l’Internationale ouvrière socialiste.

En février 1921, le Comité Exécutif fit une résolution sur la démission de cinq membres du Comité Central du KPD, ces membres de la direction de la section allemande reprochant l’Internationale Communiste de trop pousser vers l’avant, notamment en Italie.

Une résolution eut lieu en mars 1921 au sujet de la révolte anti-soviétique de Kronstadt, puis une autre au sujet du soulèvement de mars en Allemagne. La résolution salue le soulèvement et affirme qu’il s’agit d’une expérience sur le chemin de la victoire.

Cet épisode provoqua beaucoup de remous dans le KPD, qui perdit la moitié de ses membres, et en avril 1921 le Comité Exécutif fit une résolution sur l’expulsion des rangs du KPD de son ancien dirigeant Paul Levi.

En mai 1921, le Comité Exécutif fit une résolution au sujet des réparations que devait alors payer l’Allemagne à la suite de la guerre mondiale, expliquant qu’accepter ces exigences aboutirait au suicide économique de 60 millions de personnes.

Puis vint l’appel pour le troisième congrès de l’Internationale Communiste.

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de l’Internationale communiste

Les 21 conditions au second congrès de l’Internationale Communiste

Le congrès se termine, le 7 août, par une session spéciale commune à l’Internationale Communiste, au Comité Central exécutif russe, au Soviet de Moscou, des syndicats et des conseils d’entreprises. Mais au-delà des documents votés concernant les lignes dans différents domaines, il fut procédé à la mise en place de « conditions » d’appartenance à l’Internationale Communiste.

Ce sont les communistes russes qui en sont à l’origine et le fait de les faire voter est une exigence de reconnaissance de leur statut d’avant-garde sur le plan international.

Les 21 conditions exigent en effet un remodelage complet des organisations existantes, qu’elles aient adhéré ou pas à l’Internationale Communiste, avec une discipline et une centralisation qui, dans les faits, sont étrangers à la tradition social-démocrate d’Europe et ce malgré ses prétentions sur ce plan.

Il va de soi que c’est encore pire pour ce qui ne relève pas de cette tradition, comme les socialistes français avec leur tradition de fédéralisme, leur refus catégorique de la discipline, etc.

Les communistes russes mettent ainsi la pression. Si le premier congrès n’avait pas atteint cette dimension en termes de structuration, l’idée est que, maintenant que l’Internationale Communiste se concrétise, ceux qui veulent en faire partie doivent assumer.

Une manifestation du second congrès peint par Boris Kustodiev

Zinoviev, dans sa présentation des 21 conditions, explique d’ailleurs qu’il ne suffira pas de les accepter pour être « baptisé » communiste. Les choses seront vérifiées.

En ce sens, les 21 conditions sont une offensive très claire contre le « centre », qui affirme rejeter les réformistes, mais sans concrétiser sa démarche au point de réellement rejoindre les communistes.

Dans ses documents du deuxième congrès, l’Internationale Communiste valorise ainsi les 21 conditions en soulignant que c’est un garde-fou :

« L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la III° Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la II° Internationale.

En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la II° Internationale.

Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

C’est pourquoi le 2° Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent. »

Ces 21 conditions devinrent la grande actualité du mouvement ouvrier.

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de l’Internationale communiste

La question française au second congrès de l’Internationale Communiste

La question française fut très importante pour l’Internationale Communiste, tout autant que la question allemande, et même la question italienne. L’objectif assumé était de récupérer les socialistes français dans leur majorité, tout comme d’intégrer l’USPD allemande et les socialistes italiens. C’était là assurer une base de masse.

Le congrès de Strasbourg de la SFIO avait choisi en janvier 1920, par 4300 voix contre 300, de quitter la seconde Internationale. Un autre vote du congrès rejetait par contre, avec 2/3 des voix, l’adhésion à l’Internationale Communiste.

Il s’ensuivit un double mouvement : d’une part des discussions avec l’Internationale Communiste, de l’autre des tractations avec l’USPD allemande, ainsi que les socialistes italiens et suisses, pour une conférence internationale au sujet de la question de l’Internationale en général.

Ludovic-Oscar Frossard et Marcel Cachin allèrent donc à Moscou pour des discussions avec l’Internationale Communiste, assistant à deux sessions de son Comité Exécutif. Finalement, la SFIO décidèrent par 2735 voix et 1632 abstentions de les envoyer assister au second congrès de l’Internationale Communiste.

Marcel Cachin en 1918

Ce double positionnement était inacceptable pour l’Internationale Communiste, qui exigeait une purge idéologique et organisationnelle de la part des socialistes français. Les deux délégués reçurent donc, comme les délégués de l’USPD, de nombreuses remontrances.

Zinoviev constate ainsi au congrès que Marcel Cachin est sincère, un vrai combattant malgré qu’il ait commis des erreurs. Or, Zinoviev constate qu’en 1920, parlant du président américain Wilson, celui-ci le désigne comme le « dernier grand bourgeois », et parle de la « démocratie américaine » comme s’étant opposé aux événements des dernières années.

C’est là du social-pacifisme à la Jean Jaurès, pour Zinoviev, et c’est insuffisant. Pareillement, Zinoviev constate que Ludovic-Oscar Frossard, dans un écrit de février 1920, explique que l’adhésion à l’Internationale Communiste ne changera pas la question des élections et de l’alliance avec d’autres partis. Et Zinoviev de constater, de manière abrupte :

« Ainsi comme vous voyez, on a ainsi la conception que l’Internationale Communiste est une bonne brasserie, où les représentants des différents pays chantent « l’Internationale » et se font réciproquement des compliments.

Après, on se sépare et on continue ses vieilles pratiques.

Nous ne permettrons jamais cette satanée démarche de la IIde Internationale. »

Par la suite, Ludovic-Oscar Frossard, franc-maçon, refusera la bolchevisation et quittera le mouvement dès la fin du second congrès de l’Internationale Communiste, pour rejoindre les socialistes et devenir relativement un collaborateur du régime de Pétain après 1940. Marcel Cachin quittera lui la franc-maçonnerie comme demandé ; directeur de l’Humanité depuis 1918, il le resta jusqu’à sa mort en 1958.

Zinoviev est également outré que dans L’Humanité, telle tendance ait droit à tant d’articles, telle autre à tant d’articles, etc. Ainsi le centre a huit articles, la droite en a trois et la gauche quatre. Zinoviev compare cela à huit gouttes d’eau distillée, trois gouttes de poison et quatre gouttes de lait comme contre-poison.

Il mentionne une autre habitude néfaste :

« Frossard a expliqué avant son départ de Paris : j’aimerais aller à Moscou sans Renaudel. Nous allons avoir une discussion difficile avec les camarades russes ; c’est mieux qu’il reste à la maison.

Mais dans la lettre à ce sujet, monsieur Renaudel est désigné par Frossard comme « notre ami ». Ces manières françaises, nous devons les abolir.

Elles ne sont également pas totalement françaises. Modigliani écrit également à Serrati et Serrati à Prampolini : mon ami.

Cette méthode française et italienne ne peut pas être la nôtre. »

La critique la plus brutale vint d’Aron Goldenberg, qui dénonça que tel représentant des socialistes français ait voté les crédits de guerre, tel autre le budget ayant servi notamment à l’intervention militaire française contre la Russie rouge.

Les socialistes français ne feraient que reprendre la phraséologie révolutionnaire, alors qu’ils ont soutenu la guerre impérialiste jusqu’au bout ; structurellement, c’est un parti de l’aristocratie ouvrière, avec des réformistes petit-bourgeois s’étant enlisés dans leur propre démarche. Cachin et Frossard reflètent la position des socialistes français, qui est de prétendre qu’ils seraient d’accord sur tout avec l’Internationale Communiste, mais ce serait une duperie.

C’était là une ligne gauchiste, Aron Goldenberg passant d’ailleurs dans le camp de l’ultra-gauche à la toute fin des années 1920, alors que l’ouverture très critique des communistes russes aux socialistes français allait porter ses fruits.

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de l’Internationale communiste

Incompréhensions et désaccords au second congrès de l’Internationale Communiste

Ce qui se joue en fait lors du second congrès de l’Internationale Communiste, c’est toute une lecture du communisme. Le second congrès témoigne ici d’un profond malentendu chez certains, d’une parfaite compréhension de ce qui se passe pour d’autres.

Les délégués hongrois avaient ainsi parfaitement compris le bolchevisme et la Russie soviétique, s’appuyant sur leur propre expérience. Il en va de même pour les Bulgares. En fait, leur propre parcours les amenait à cela.

Lénine

Cependant, d’autres arrivaient avec des conceptions totalement étrangères au bolchevisme, et ayant plaqué leur propre lecture des choses sur l’Internationale Communiste, ils formulaient des points de vue au mieux étonnants, au pire ahurissant.

Ainsi, le KAPD – Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne – demandait son adhésion à l’Internationale Communiste, alors qu’en même temps il considérait que le Parti Communiste devait se dissoudre dans les soviets, les conseils.

L’Espagnol Ángel Pestaña, du syndicat communiste libertaire CNT, défendit le syndicalisme contre la primauté du Parti, affirmant même que ce n’est pas le Parti qui a organisé l’armée rouge, car la révolution française montrerait qu’on a toujours comme allant de soi un parti et une armée dans une situation de crise. Ángel Pestaña resta donc communiste libertaire mais fondit ensuite un « Parti syndicaliste » possibiliste communiste libertaire qui participa au Front populaire.

L’Allemand Augustin Souchy mit pareillement en avant le syndicalisme révolutionnaire, et le Britannique Jack Tanner, du mouvement syndicaliste anti-parlementaire des Shop Stewards, rejeta que la Russie soviétique puisse servir de modèle à tous les pays :

« Ce qui se passe en Russie en ce moment ne peut pas être le modèle type pour tous les pays. En Angleterre par exemple, la situation est en général tout à fait différente de la situation comme celle en Russie avant la révolution.

Les Shop Stewards comprennent la dictature du prolétariat différemment d’en Russie. Ils la comprennent comme la dictature d’une minorité, comme celle représentée par les Shop Stewards. »

Augustin Souchy revint à un anarchisme primaire, Jack Tanner rejoint les communistes mais simplement quelques mois, afin de repasser au syndicalisme pur et dur.

Cette mentalité était typique d’une ultra-gauche marginalisée, coupée de la social-démocratie historique, proche de l’anarchisme mais plus d’esprit syndicaliste révolutionnaire, qui avait une lecture idéaliste du bolchevisme. En France s’était fondé en mai 1919 un « Parti Communiste » sur cette base, qui devint dès décembre une « Fédération communiste des soviets » ne durant que quelque temps.

La Maladie infantile du communisme
(le « gauchisme »), écrit par Lénine en mai 1920

Toutefois, les communistes russes firent de réels efforts pour amener tous ces gens à faire un saut qualitatif en direction du bolchevisme, considérant que leur volontarisme représentait une certaine valeur, l’expression d’une combativité dans le contexte de la vague de la révolution mondiale.

Lénine tenta de temporiser avec les Britanniques, en disant qu’il s’agissait là d’un simple préjugé à l’égard du terme de Parti, les Shop Stewards ayant par ailleurs un comité national pour diriger le mouvement.

La discussion était cependant d’autant plus difficile que, par exemple, Jack Tanner défendait également le principe comme quoi il ne faudrait pas de directives internationales, chaque regroupement membre de l’Internationale Communiste – y compris sous une forme non politique -, devant avoir toute latitude pour sa propre stratégie, ses propres tactiques. Cela faisait beaucoup.

Pour ajouter à la complication, allant totalement à l’encontre des Shop Stewards, le British Socialist Party demanda à pouvoir continuer comme fraction au sein du Labour Party, ce que Lénine considérait comme tactiquement juste, puisqu’il s’agissait d’une sorte de grand parti syndicaliste, avec 6-7 millions de travailleurs.

Lénine

Lénine fut entendu : l’Internationale Communiste décida que les communistes britanniques devraient rejoindre le Labour Party si ce n’était pas déjà fait (58 voix pour, 24 contre, 2 abstentions).

Les communistes russes avaient le même positionnement par rapport à l’USPD allemande, qui se rapprochait ouvertement de l’Internationale Communiste et disposait de 800 000 adhérents (11 000 étant même en prison), même s’il existait une aile droite très puissante encore.

Cela était considéré comme intolérable par les gauchistes, David Wijnkoop des Pays-Bas étant furieux de la présence de l’USPD allemande et agressa ouvertement son délégué Ernst Däumig, ce qui aboutit à des insultes avec Radek. Il rejetait tout autant les socialistes français, qui formaient une question toute particulière.

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de l’Internationale communiste

La question du style de travail communiste au second congrès de l’Internationale Communiste

Le second congrès de l’Internationale Communiste dresse toute une série de constats. Il ne s’agit pas vraiment d’évaluations, celles-ci n’émergeant que par la suite dans les grandes débats des congrès suivants. Le second congrès soupèse la situation et tranche directement, car le contexte n’est pas celui où il faut voir comment fonctionne un appareil communiste pour éventuellement rectifier le tir, mais celui où il faut constituer des Partis Communistes.

Or, il y avait sur ce plan de nombreux soucis. La section suédoise n’avait pas encore pris la dénomination de communiste et tolérait une droite ; la section norvégienne intégrait des sections syndicales entières et acceptait ouvertement les tendances de droite.

La version soviétique de la revue L’Internationale Communiste

En Italie, Filippo Turati paradait en tant que socialiste tout en exprimant ouvertement ses points de vue droitiers, alors qu’officiellement il relevait de l’Internationale Communiste puisque appartenant à sa section italienne. Cette dernière n’a par ailleurs pas encore changé de nom et reculait même devant cette nécessité, cherchant une option « socialiste-communiste ».

En Allemagne, l’USPD sympathisante avait dans ses rangs Karl Kautsky et le souci était non pas tant lui-même, politiquement fini, que le kautskysme comme tendance social-pacifiste convergeant avec l’impérialisme.

Tout cela, somme toute, met les communistes russes hors d’eux, puisqu’ils veulent former des avant-gardes organisés et structurés. Cependant, ils savent que la situation est délicate, car la rupture doit se faire avec un mouvement d’entraînement à la base, en direction du communisme, et sans céder aux courants droitiers qui sont forts, en particulier dans les appareils.

Lénine

Boukharine prend ainsi les parlementaires et s’aperçoit que pour l’USPD allemande, tout comme pour les partis français, italien, norvégien… seule une toute petite minorité est pour l’Internationale Communiste, la majorité étant centriste et l’aile droite étant carrément forte.

C’est là un obstacle dans la rupture avec le style social-démocrate devenu décadent, sans oublier que c’est grave pour l’Italie, puisque le Parti appartient déjà à l’Internationale Communiste.

À ce problème avec la droite s’ajoute le problème avec les gauchistes. Ceux-ci ont une base idéologique de type syndicaliste révolutionnaire, avec comme principaux représentants les syndicalistes britanniques et américains, ainsi que l’Italien Amadeo Bordiga.

Ils refusent catégoriquement le parlement, considérant cette forme sociale comme dépassée et les parlementaires comme l’expression, dans tous les cas, de la contre-révolution. Le Britannique Willie Gallacher cite l’exemple anglais comme typique pour lui de l’impossibilité d’aller au parlement, mentionnant le comportement de John Maclean, qui dans les discours racontent qu’il est bolchevik et veut renverser le parlement, et au parlement qu’il n’est pas bolchevik.

Lénine dénoncera ce qui est pour lui une posture ; il intervient ainsi directement pour critiquer les affirmations d’Amadeo Bordiga :

« Le camarade Bordiga a visiblement voulu défendre ici le point de vue des marxistes italiens, mais il n’a néanmoins répondu à aucun des arguments avancés par d’autres marxistes en faveur de l’action parlementaire.

Il a reconnu que l’expérience historique ne se crée pas artificiellement. Il vient de nous dire qu’il faut reporter lutte dans un autre domaine. Ignorerait-il que toute crise révolutionnaire s’accompagne d’une crise parlementaire ?

Il a dit, c’est vrai, qu’il faut reporter la lutte dans un autre domaine, dans les Soviets. Mais il a reconnu lui-même qu’il n’est pas possible de créer artificiellement des Soviets. L’exemple de la Russie prouve qu’on ne peut les organiser que pendant la révolution ou bien juste à la veille de la révolution.

Du temps de Kérenski, les Soviets (les Soviets menchéviks) étaient organisés d’une telle manière qu’ils ne pouvaient en aucune façon constituer le pouvoir prolétarien.

Le parlement est un produit du développement historique, que nous ne pouvons éliminer tant que nous ne sommes pas suffisamment forts pour dissoudre cette institution bourgeoise.

Ce n’est qu’en en faisant partie que l’on peut, partant des conditions historiques données, lutter contre la société bourgeoise et le parlementarisme. Le moyen dont la bourgeoisie se sert dans la lutte doit être aussi utilisé par le prolétariat, dans des buts tout autres évidemment. Vous ne pouvez pas affirmer qu’il n’en est pas ainsi,et, si vous voulez le contester, vous devez effacer l’expérience de tous les événements révolutionnaires du monde. »

Lénine a en cela le grand soutien des Bulgares. Schablin, délégué du Parti Communiste de Bulgarie, justifie la thèse de Lénine : dans son pays, les communistes ont réussi historiquement à faire dans le Parlement une base d’agitation. En 1914, trois députés opposés à la guerre furent mis en prison, alors que des centaines de militants furent fusillés.

Et entre 1919 et 1920, malgré la terreur, le nombre de députés communistes passa de 47 à 50, soit 120 000 voix en 1919 et 187 000 en 1920. La bourgeoisie fut obligée, afin de trouver une majorité, d’enlever leur mandat de député à 9 communistes. Lénine a donc raison d’exiger une analyse concrète de la situation particulière sur la base de la tendance générale (qui est la révolution mondiale) et de ne pas faire de l’anti-parlementarisme un marqueur identitaire.

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Les complications au second congrès de l’Internationale Communiste

On a un très bon aperçu des complications du second congrès si on porte le regard sur ceux nommés à la présidence du second congrès. Il s’agit de :

– l’Allemand Paul Levi,

– le Français Alfred Rosmer

– l’Italien Giacinto Menotti Serrati,

– les russes Lénine et Zinoviev.

Alfred Rosmer est typique de tout un esprit français pro-communiste après 1918. Il vient de l’anarchisme puis est passé dans le camp du syndicalisme révolutionnaire, voyant en la révolution russe une concrétisation inattendue de ses idéaux. Il finira par rompre au milieu des années 1920 avec le mouvement communiste, pour se tourner vers le trotskysme, dans un esprit syndicaliste révolutionnaire.

Paul Levi fut l’un des fondateurs du mouvement communiste allemand aux côtés de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et il en devint même le dirigeant au moment du second congrès. Mais il capitule très rapidement et rejoint dès 1922 les socialistes, qui pourtant avaient écrasé les spartakistes.

Giacinto Menotti Serrati est une personnalité très différente des deux autres, qui capitulèrent. En effet, il a une véritable réflexion de fond qu’il assume et il y a de très grandes incompréhensions lors des débats.

Giacinto Menotti Serrati

On lui reproche ainsi de tutoyer dans ses messages des dirigeants socialistes d’orientation réformiste, ce à quoi il répond tout simplement qu’en Italie, les socialistes se tutoient tous, n’y voyant donc pas malice, alors que pour les communistes de Russie cela semblait un insupportable copinage.

Un autre exemple est que Giacinto Menotti Serrati considérait que Filippo Turati, aussi réformiste et opportuniste qu’il était, s’était opposé à la première guerre mondiale (en fait seulement jusqu’en 1917), et que par conséquent, il fallait avoir un regard approfondi et circonspect.

On ne sera pas étonné que Lénine lui reprocha par conséquent au congrès un certain sentimentalisme.

La différence complète de style se révèle aussi dans cette anecdote : Giacinto Menotti Serrati expliqua qu’on ne disposait pas de « sincéromètre » pour évaluer la sincérité des partis désireux de rejoindre l’Internationale Communiste. Ce fut pas moins que Lénine qui intervint alors pour lui dire qu’on le trouverait !

La question qu’il y a l’arrière-plan est dans l’évaluation de la situation couplée aux exigences de structuration rapide. Giacinto Menotti Serrati est ici à rebours de l’Internationale Communiste. Pour lui, la prise en considération des conditions concrètes de chaque pays doit être déterminante et prime sur la formation de Partis Communistes à court terme.

À ses yeux, l’USPD allemande a une base de masses dans un pays connaissant des troubles révolutionnaires : on peut en attendre quelque chose. Pour la France et ses socialistes, c’est le contraire.

Pour la même raison, Giacinto Menotti Serrati s’opposera à la formation pour lui trop précoce d’un Parti Communiste en Italie. Le IIIe congrès le considérera pour cette raison comme un renégat – mais lui et ses « maximalistes » socialistes rejoindront bien finalement le Parti Communiste formé en Italie, et il sera même leur délégué au IVe congrès de l’Internationale Communiste.

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Les exigences sur le plan de l’organisation au second congrès de l’Internationale Communiste

Consciente de sa force grandissante relevant d’une tendance de fond, l’Internationale Communiste posait ses exigences. Elle profitait ici du fait d’avoir réussi à se fonder au premier congrès, forçant à une prise de position qui soit nette.

Elle savait cependant qu’un travail gigantesque était à mener. Les choses allaient vite, étaient nombreuses et il n’y avait pas un regard adéquat à ce sujet, sans même parler d’une organisation apte à saisir le mouvement. Zinoviev résuma cet aspect en disant :

« Nous avons maintenant chaque jour, chaque heure des grèves économiques, dont nous ne savons même qu’elles ont eu lieu. D’une telle centrale [dirigeant chaque grève, comme dans la première Internationale], il ne peut être question, justement parce que le mouvement a si énormément grandi. »

Pour cette raison, l’Internationale Communiste fut très attentive à imposer une approche bolchevique, avec un esprit de conséquence à la mesure des exigences de l’époque. Zinoviev donne un exemple significatif de l’approche qu’avaient de nombreux partisans de l’entrée dans l’Internationale Communiste :

« J’ai encore lu certaines affirmations de différents réformistes « de gauche » dans la « Revue » des camarades français, comme par exemple Claude Trèves.

Trèves est pour qu’on rentre tout de suite dans l’Internationale Communiste, mais sous la condition que l’on ait pas le besoin de se lier et qu’il n’y ait pas de mots d’ordre pour les pays en particulier.

Le sens de cela, c’est qu’ils veulent entrer tout de suite, mais sans se lier et avec une telle « autonomie », que ces gens continueraient de faire comme avant.

Le plus fort, c’est monsieur Modigliani, un « aussi-socialiste » italien, qui l’a formulé. Il est maintenant formellement un membre de l’Internationale Communiste, mais il n’est pas un camarade pour nous.

Il était récemment à Paris et voulait amener Longuet à rentrer dans l’Internationale Communiste, et il a motivé cela de la manière suivante : pourquoi ne pas rentrer dans l’Internationale Communiste ? Cela ne nous engage à rien. On doit simplement envoyer une carte postale à l’Exécutif toutes les deux semaines. C’est tout. Pourquoi ne pas le faire ? »

On reconnaît bien ici que, à l’arrière-plan, ce sont les communistes de l’URSS qui donnent le ton et qui fournissent la base idéologique pour la mise en place des institutions de l’Internationale communiste.

D’ailleurs, celle-ci exigeait désormais que chaque Parti envoie un délégué présent de manière permanente auprès du Comité Exécutif. Ce dernier se posait toujours plus comme un véritable état-major de la révolution mondiale, cherchant à structurer les troupes de sympathisants pour en faire une véritable armée. Telle est l’identité fondamentale des débuts de l’Internationale Communiste.

L’introduction du congrès, rédigé par le président du Comité Exécutif, Zinoviev, et son secrétaire, Radek, le soulignait par ailleurs :

« Le premier congrès de l’Internationale Communiste a planté le drapeau du communisme. Aujourd’hui, des millions d’ouvriers conscients se situent déjà sous cette bannière.

Il s’agit maintenant plus de propagande des idées communistes. Ce qui s’ouvre maintenant, c’est l’époque de l’organisation du prolétariat communiste et de la lutte immédiate pour la révolution communiste. »

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La question de la formation des Partis Communistes au second congrès de l’Internationale Communiste

Le grand souci du second congrès de l’Internationale Communiste n’était pas les problèmes d’organisation, bien que ceux-ci aient été très importants.

Ce qui était la vraie problématique de l’Internationale Communiste, c’était son succès. Tout le monde savait bien que pour sa première année d’existence, l’Internationale Communiste n’avait été qu’un outil propagandiste.

La situation était désormais modifiée et le fait de vouloir la rejoindre était devenue une tendance irrépressible dans le mouvement ouvrier. Il ne s’agissait plus de savoir si l’Internationale Communiste allait être rejointe par de très nombreuses organisations, mais comment celle-ci allait gérer toutes les adhésions et ensuite sa propre organisation.

Edition américaine éditée par la section américaine du Manifeste du second congrès

Autant les courants droitiers cherchant à la rejoindre pour gagner en prestige étaient facilement identifiables, autant la situation était plus compliquée avec les courants gauchistes.

Pour ces derniers, à l’activisme il est vrai important, un Parti Communiste n’était rien d’autre qu’un rassemblement des éléments les plus volontaires dans une sorte de super comité révolutionnaire aux contours très lâches et se fondant avec la révolution une fois celle-ci lancée.

On l’aura compris : l’Internationale Communiste faisait face d’un côté à ceux n’ayant pas assez rompu avec la social-démocratie telle qu’elle a existé dans le passé, et ceux ne venant pas de la social-démocratie mais véhiculant des préjugés et illusions de type syndicaliste révolutionnaire, voire anarchiste.

Zinoviev, lors du congrès, résume la situation dans les partis sociaux-démocrates de la manière suivante :

« Nous avons la même division tripartite du mouvement dans chaque pays :

1. une droite expressément opportuniste, qui est maintenant le soutien le plus important de la bourgeoisie ;

2. un milieu plus ou moins affirmé, le marais, le centre, qui est également le soutien de l’ordre bourgeois ;

3. une gauche, qui est plus ou moins clairement communiste ou au moins penche vers le communisme. »

La position n’était toutefois pas de battre la droite en neutralisant le centre, mais d’organiser la fracture à partir de la gauche. Au second congrès de l’Internationale Communiste, il y a encore l’esprit d’urgence par rapport à la vague de la révolution mondiale faisant vaciller les pays capitalistes d’Europe.

Le compte-rendu des débats du second congrès dans son édition américaine

Ainsi, malgré cette situation difficile, la perspective affirmée est triomphaliste. Il est alors considéré que la révolution mondiale engloutirait l’Europe d’ici deux, trois années. Surtout, il était considéré que la révolution d’Octobre avait ébranlé la domination sur les pays coloniaux ou semi-coloniaux, que par conséquent l’Inde et la Chine s’ébranleraient bientôt, faisant pencher – de par leur exigence démocratique – la balance de manière définitive du côté de la révolution mondiale.

Il était considéré par l’Internationale Communiste, et cela de manière très claire, que les rapports économiques entre l’Europe et les colonies étaient devenus la base même du capitalisme.

Cela allait donc également avec la dénonciation de tout l’appareil syndical et politique ouvrier devenu corrompu de par la stabilité capitaliste profitant de ces rapports. L’objectif double de l’Internationale Communiste est alors de :

– former une nouvelle génération de cadres communistes ayant la prise du pouvoir par l’insurrection comme objectif ;

– établir une démarche saine, rompant avec les traditions réformistes se maintenant de par la corruption due à l’exploitation des pays dominés.

Pour ce faire, l’Internationale Communiste mit en place des conditions d’appartenance à sa structure, ce qui rendit le second congrès très célèbre, les 21 conditions se posant comme la ligne de démarcation entre socialistes et communistes.

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de l’Internationale communiste

La tenue et l’esprit du second congrès de l’Internationale Communiste

Les conditions de la tenue du deuxième congrès de l’Internationale Communiste furent extrêmement difficiles, car la Russie soviétique connaissait un blocus international.

Trouver des traducteurs et des secrétaires pour noter les discours était ardu ; seulement deux dactylos furent trouvés en allemand, un en français, aucun en anglais. Rien que pour déchiffrer les notes du congrès, il fallut deux mois.

Des délégués du second congrès

Les votes effectués concernent les orientations générales, qui sont débattues au congrès avec des intervenants donnant leur point de vue. Ces orientations générales sont :

– travaillées en amont dans des commissions, qui formulent un texte d’orientation servant de base de discussion ;

– retournées aux commissions concernées pour l’écriture d’une version finale.

Les commissions sont composées de délégués de tous les pays ; leurs thématiques sont les suivantes :

– le mouvement syndical :

– le parlementarisme ;

– la question agraire ;

– les tâches de l’Internationale ;

– la question coloniale et nationale ;

– les conditions d’adhésion.

Lénine est lui-même membre de plusieurs commissions : celle sur la question agraire, celle sur les tâches de l’Internationale, celle sur la question coloniale et nationale.

Lénine au second congrès

Le ton est résolument offensif. Zinoviev, qui préside l’Internationale Communiste souligne l’importance d’une structure clandestine, il explique l’importance de combattre les syndicats jaunes, y compris de manière armée, etc.

Dès la première session du congrès, il explique la situation et l’ambition du mouvement :

« L’effondrement de la seconde Internationale [des sociaux-démocrates refusant la révolution russe] reflète l’effondrement de l’ordre bourgeois lui-même. C’est le pivot autour duquel tout se tourne.

Nous avons battu la seconde Internationale, parce que « le crépuscule des dieux » du capitalisme a commencé.

Nous avons battu la IIde Internationale parce que la bourgeoisie ne peut et ne pourra liquider nulle part dans le monde entier le testament de la guerre impérialiste. »

Dans un discours le dernier jour, le 7 août 1920, il dit même que le second congrès qui se termine est le précurseur d’un autre congrès mondial, celui des républiques soviétiques à l’échelle de planète.

Cette vision est clairement urgentiste et sera remise en cause par la suite ; ainsi le IIIe congrès de l’Internationale Communiste n’adoptera pas le point de vue comme quoi la IIde Internationale était totalement écrasée.

Lénine au second congrès de l’Internationale Communiste

Cependant, la clef de l’attitude de l’Internationale Communiste face aux questions, c’est qu’il est considéré qu’il y a une crise générale du capitalisme. Au départ, c’est Eugen Varga qui fut chargé d’établir une analyse approfondie de ce phénomène, avec ses conséquences. L’idée générale, c’est que le capitalisme ne parvient pas à se remettre de la guerre mondiale. Il surmonte certains aspects, mais il reste prisonnier de tels problèmes qu’il va à son effondrement.

Lénine intervient de fait au tout début du congrès, pour faire un long exposé de l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme. Il souligne qu’il ne faut pas être unilatéral : il ne s’agit pas de dire que la bourgeoisie n’a plus d’issue, car celle-ci peut forcer le cours des choses sur plusieurs aspects encore.

L’Internationale Communiste se réunit justement, selon Lénine, comme preuve historique que la bourgeoisie ne sera pas en mesure de le faire ; Lénine pose en fait une alternative historique. D’où son exigence que d’authentiques Partis Communistes soient formés, pour profiter de la crise révolutionnaire.

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Le succès dans la mise en place du second congrès de l’Internationale Communiste

Le second congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à Saint-Pétersbourg le 19 juillet, puis à Moscou du 23 juillet au 7 août 1920. C’était là concrétiser le mouvement lancé au premier congrès, ce que l’Internationale Communiste voyait comme un succès total, puisque l’objectif était la formation de Partis Communistes partout dans le monde, sur la base de la rupture avec la IIde Internationale, l’ancienne Internationale des forces social-démocrates, d’où viennent les bolcheviks russes eux-mêmes.

Sur ce point, une véritable dynamique était enclenchée et connaissait des succès. Dans les faits, l’Internationale Communiste se positionnait comme un véritable centre de gravité politique, vers lequel il fallait, d’une manière ou d’une autre, se tourner quand on était lié à la classe ouvrière.

Cela se lit dans une présence de délégués d’origine très variée.

Des délégués du second congrès,
Lénine au premier plan

On a la Corée (1 délégué), la Turquie (3 délégués), le Mexique (2 délégués), la Yougoslavie (1 délégué), la Géorgie (5 délégués), le Danemark (2 délégués), la Belgique (1 délégué), la Chine (2 délégués consultatifs seulement), l’Inde (2 délégués consultatifs seulement), l’Italie (4 délégués ainsi que 5 délégués consultatifs seulement), l’Angleterre (6 délégués), les États-Unis (six délégués), la Pologne (1 délégué), l’Arménie (2 délégués), l’Azerbaïdjan (1 délégué), la Bulgarie (3 délégués), la Suède (2 délégués), l’Australie (2 délégués consultatifs seulement).

On a les Pays-Bas (2 délégués), l’Estonie (2 délégués), la Finlande (6 délégués ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), l’Allemagne (6 délégués du KPD, 7 délégués consultatifs seulement de l’USPD), la France (5 délégués du Comité de la IIIe Internationale, ainsi que 2 délégués de la Jeunesse et 3 délégués consultatifs seulement), l’Irlande (5 délégués), la Lettonie (5 délégués), la Lituanie – Biélorussie (2 délégués), la Suisse (5 délégués), la Norvège (8 délégués).

On a l’Autriche (4 délégués), la Galicie orientale (3 délégués), la Perse (1 délégué ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), l’Espagne (1 délégué), la Tchécoslovaquie (3 délégués, ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), la Hongrie (4 délégués et 5 délégués consultatifs seulement), et enfin, bien sûr, la Russie (67 délégués et 4 consultatifs seulement).

C’est là un indéniable succès sur le plan international, comparé au premier congrès. Cela complique évidemment d’autant plus les modalités des votes effectués.

Concrètement, cela donne 167 délégués pouvant voter, 51 dont l’expression n’est que consultative.

Des 167 voix, 124 relèvent de Partis Communistes déjà constitués et 12 d’organisations de jeunesse, soit 31 de structures seulement proches ou très proches du communisme.

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Manifeste du second congrès de l’Internationale communiste

Le monde capitaliste et l’Internationale Communiste

I. — LES RAPPORTS INTERNATIONAUX APRÈS VERSAILLES

C’est avec mélancolie et regret que la bourgeoisie du monde entier se rappelle les jours d’antan. Tous les fondements de la politique internationale ou intérieure sont bouleversés ou ébranlés. Pour le monde des exploiteurs demain est gros d’orages. La guerre impérialiste a achevé de détruire le vieux système des alliances et des assurances mutuelles sur lequel étaient basés l’équilibre international et la paix armée. Aucun équilibre nouveau ne résulte de la paix de Versailles.

La Russie d’abord, ensuite l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne ont été jetées hors de la lice. Ces puissances de premier ordre, qui avaient occupé la première place parmi les pirates de l’impérialisme mondial, sont devenues elles-mêmes les victimes du pillage et ont été livrées au démembrement.

Devant l’impérialisme vainqueur de l’Entente s’est ouvert un champ illimité d’exploitation coloniale, commençant au Rhin, embrassant toute l’Europe centrale et orientale, pour finir à l’Océan Pacifique. Est-ce que le Congo, la Syrie, l’Égypte et le Mexique peuvent entrer en comparaison avec les steppes, les forêts et les montagnes de la Russie, avec les forces ouvrières, avec les ouvriers qualifiés de l’Allemagne ?

Le nouveau programme colonial des vainqueurs était bien simple : renverser la république prolétarienne en Russie, faire main basse sur nos matières premières, accaparer la main-d’œuvre allemande, le charbon allemand, imposer à l’entrepreneur allemand le rôle de garde-chiourme et avoir à leur disposition les marchandises ainsi obtenues ainsi que les revenus des entreprises.

Le projet « d’organiser l’Europe » qui avait été conçu par l’impérialisme allemand à l’époque de ses succès militaires, a été repris par l’Entente victorieuse. En traduisant à la barre des accusés les chenapans de l’empire allemand les gouvernements de l’Entente les considèrent bien comme leurs pairs.

Mais même dans le camp des vainqueurs il y a des vaincus.

Enivrée par son chauvinisme et par ses victoires, la bourgeoisie française se voit déjà maîtresse de l’Europe. En réalité jamais la France n’a été à tous les points de vue dans une dépendance plus servile vis-à-vis de ses rivales plus puissantes, l’Angleterre et l’Amérique.

La France prescrit à la Belgique un programme économique et militaire, et transforme sa faible alliée en province vassale, mais, vis-à-vis de l’Angleterre, elle joue, en plus grand, le rôle de la Belgique. Pour le moment les impérialistes anglais laissent aux usuriers français le soin de se faire justice dans les limites continentales qui leur sont assignées, faisant ainsi retomber sur la France l’indignation des travailleurs de l’Europe et de l’Angleterre même.

La puissance de la France, saignée à blanc et ruinée, n’est qu’apparente et factice ; un jour plus tôt ou plus tard les social-patriotes français seront bien obligés de s’en apercevoir.

L’Italie a encore plus perdu de son poids dans les relations internationales. Manquant de charbon, manquant de pain, manquant de matières premières, absolument déséquilibrée par la guerre, la bourgeoisie italienne, en dépit de toute sa mauvaise volonté, n’est pas capable de réaliser dans la mesure où elle le voudrait, les droits qu’elle croit avoir au pillage et à la violence, même dans les coins de colonies que l’Angleterre a bien voulu lui abandonner.

Le Japon, en proie aux contradictions inhérentes au régime capitaliste dans une société demeurée féodale, est à la veille d’une crise révolutionnaire des plus profondes ; déjà, malgré des circonstances plutôt favorables dans la politique internationale, cette crise a paralysé son élan impérialiste.

Restent seulement deux véritables grandes puissances mondiales, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

L’impérialisme anglais s’est débarrassé de son rival asiatique, le tsarisme, et de la menaçante concurrence allemande. La puissance de la Grande-Bretagne sur les mers atteint son apogée. Elle entoure les continents d’une chaîne de peuples qui lui sont soumis.

Elle a mis la main sur la Finlande, l’Estonie et la Lettonie ; elle enlève à la Suède et à la Norvège les derniers vestiges de leur indépendance ; elle transforme la mer Baltique en un golfe qui appartient aux eaux britanniques. Personne ne lui résiste dans la mer du Nord. Possédant le Cap, l’Égypte, l’Inde, la Perse, l’Afghanistan, elle fait de l’Océan Indien une mer intérieure entièrement soumise à son pouvoir. Étant maîtresse des océans, l’Angleterre contrôle les continents. Souveraine du monde, elle ne trouve des limites à sa puissance que dans la république américaine du dollar et dans la république russe des Soviets.

La guerre mondiale a définitivement obligé les États-Unis à renoncer à leur conservatisme continental. Élargissant son essor, le programme de son capitalisme national, — « l’Amérique aux Américains » (doctrine de Monroe) — a été remplacé par le programme de l’impérialisme : « Le monde entier aux Américains ».

Ne se contentant plus d’exploiter la guerre par le commerce, par l’industrie et par les opérations de Bourse, cherchant d’autres sources de richesse que celles qu’elle tirait du sang européen, lorsqu’elle était neutre, l’Amérique est entrée dans la guerre, a joué un rôle décisif dans la défaite de l’Allemagne et s’est mêlée de résoudre toutes les questions de politique européenne et mondiale.

Sous le drapeau de la Société des Nations, les États-Unis ont tenté de faire passer de l’autre côté de l’océan l’expérience qu’ils avaient déjà faite chez eux d’une association fédérative de grands peuples appartenant à des races diverses ; ils ont voulu enchaîner à leur char triomphal les peuples de l’Europe et des autres parties du monde, en les assujettissant au gouvernement de Washington. La Ligue des Nations ne devait plus être en somme qu’une société jouissant d’un monopole mondial, sous la firme : « Yankee & Co ».

Le Président des États-Unis, le grand prophète des lieux communs, est descendu de son Sinaï pour conquérir l’Europe, apportant avec lui ses quatorze articles. Les boursiers, les ministres, les gens d’affaires de la bourgeoisie ne se sont pas trompés une seule minute sur le véritable sens de la nouvelle révélation.

En revanche, les « socialistes » européens, travaillés par le ferment de Kautsky, ont été saisis d’une extase religieuse et se sont mis à danser, comme le roi David, en accompagnant l’arche sainte de Wilson.

Lorsqu’il a fallu résoudre des questions pratiques, l’apôtre américain a fort bien vu qu’en dépit de la hausse extraordinaire du dollar, la primauté appartenait encore et toujours à la Grande-Bretagne sur toutes les routes maritimes qui réunissent et qui séparent les nations ; car l’Angleterre dispose de la flotte la plus forte, du câble le plus long, et elle a une antique expérience de la piraterie mondiale.

En outre, Wilson s’est heurté à la république soviétique et au communisme. Profondément blessé, le Messie américain a désavoué la Ligue des Nations dont l’Angleterre avait fait une de ses chancelleries diplomatiques, et il a tourné le dos à l’Europe.

Ce serait toutefois un enfantillage de penser qu’après avoir subi un premier échec de la part de l’Angleterre l’impérialisme américain rentrera dans sa coquille, nous voulons dire : se conformera de nouveau à la doctrine de Monroe.

Non, continuant à asservir par des moyens de plus en plus violents le continent américain, transformant en colonies les pays de l’Amérique centrale et méridionale, les États-Unis, représentés par leurs deux partis dirigeants, les démocrates et les républicains, se préparent, pour faire pièce à la Ligue des Nations créée par l’Angleterre, à constituer leur propre Ligue, dans laquelle l’Amérique du Nord jouerait le rôle d’un centre mondial. Pour prendre les choses par le bon bout, ils ont l’intention de faire de leur flotte, dans le courant des trois ou cinq prochaines années, un instrument de lutte plus puissant que n’est la flotte britannique. C’est ce qui oblige l’Angleterre impérialiste à se poser la question : être ou ne pas être ?

À la rivalité furieuse de ces deux géants dans le domaine des constructions navales s’ajoute une lutte non moins furieuse pour la possession du pétrole.

La France qui comptait jouer un rôle d’arbitre entre l’Angleterre et les États-Unis s’est trouvée entraînée dans l’orbite de la Grande-Bretagne, comme un satellite de deuxième grandeur ; la Ligue des Nations est pour elle un fardeau intolérable et elle cherche à s’en défaire en fomentant un antagonisme entre l’Angleterre et l’Amérique du Nord.

Ainsi les forces les plus puissantes travaillent à préparer un nouveau duel mondial.

Le programme de l’émancipation des petites nations, qui avait été mis en avant pendant la guerre, a amené la débâcle complète et l’asservissement absolu des peuples des Balkans, vainqueurs et vaincus, et la balkanisation d’une partie considérable de l’Europe. Les intérêts impérialistes des vainqueurs les ont engagés à détacher des grandes puissances qu’ils avaient battues certains petits États représentants des nationalités distinctes.

Ici il ne saurait être question de ce que l’on appelle le principe des nationalités : l’impérialisme consiste à briser les cadres nationaux, même ceux des grandes puissances. Les petits États bourgeois récemment créés ne sont que les sous-produits de l’impérialisme. En créant, pour y trouver un appui provisoire, toute une série de petites nations, ouvertement opprimées ou officiellement protégées, mais en réalité vassales — l’Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Yougoslavie, la Bohème, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Arménie, la Géorgie, etc… — en les dominant au moyen des banques, des chemins de fer, du monopole des charbons l’impérialisme les condamne à souffrir de difficultés économiques et nationales intolérables, de conflits interminables, de querelles sanglantes.

Quelle monstrueuse raillerie est dans l’histoire ce fait que la restauration de la Pologne, après avoir fait partie du programme de la démocratie révolutionnaire et des premières manifestations du prolétariat international, a été réalisée par l’impérialisme afin de faire obstacle à la Révolution ! La Pologne « démocratique », dont les précurseurs moururent sur les barricades de l’Europe entière, est en ce moment un instrument malpropre et sanglant entre les mains des brigands anglo-français qui attaquent la première république prolétarienne que le monde ait jamais vu.

À côté de la Pologne, la Tchécoslovaquie, « démocratique », vendue au capital français, fournit une garde blanche contre la Russie soviétique, contre la Hongrie soviétique.

La tentative héroïque faite par le prolétariat hongrois pour s’arracher au chaos politique et économique de l’Europe centrale et entrer dans la voie de la fédération soviétique, — qui est vraiment l’unique voie de salut — a été étouffée par la réaction capitaliste coalisée, au moment où, trompé par les partis qui le dirigent, le prolétariat des grandes puissances européennes s’est trouvé incapable de remplir son devoir envers la Hongrie socialiste et envers lui-même.

Le gouvernement soviétique de Budapest a été renversé avec l’aide de social-traîtres qui, après s’être maintenus au pouvoir pendant trois ans et demi, ont été jetés à terre par la canaille contre-révolutionnaire déchaînée, dont les crimes sanglants ont surpassé ceux de Koltchak, de Dénikine, de Wrangel et des autres agents de l’Entente… Mais, même abattue pour un temps, la Hongrie soviétique continue à éclairer, comme un phare splendide, les travailleurs de l’Europe centrale.

Le peuple turc ne veut pas se soumettre à la honteuse paix que lui imposent les tyrans de Londres. Pour faire exécuter les clauses du traité, l’Angleterre a armé et lancé la Grèce contre la Turquie. De cette manière la péninsule balkanique et l’Asie-Mineure, Turcs et Grecs, sont condamnés à une dévastation complète, à des massacres mutuels.

Dans la lutte de l’Entente contre la Turquie, l’Arménie a été inscrite au programme, de même que la Belgique dans la lutte contre l’Allemagne, de même que la Serbie dans la lutte contre l’Autriche-Hongrie. Après que l’Arménie a été constituée — sans frontières définies, sans possibilité d’existence — Wilson a refusé d’accepter le mandat arménien que lui proposait « la Ligue des Nations » : car le sol de l’Arménie ne renferme ni naphte, ni platine. L’Arménie « émancipée » est plus que jamais sans défense.

Presque chacun des États « nationaux » nouvellement créés a son irrédentisme, c’est-à-dire son abcès national latent.

En même temps la lutte nationale, dans les domaines possédés par les vainqueurs, a atteint sa plus haute tension. La bourgeoisie anglaise qui voudrait prendre sous sa tutelle les peuples des quatre parties du monde, est incapable de résoudre d’une manière satisfaisante la question irlandaise qui se pose dans son voisinage immédiat.

La question nationale dans les colonies est encore plus grosse de menaces. L’Égypte, l’Inde, la Perse sont secoués par les insurrections. Les prolétaires avancés de l’Europe et de l’Amérique transmettent aux travailleurs des colonies la devise de la fédération soviétique.

L’Europe officielle, gouvernementale, nationale, civilisée, bourgeoise, — telle qu’elle est sortie de la guerre et de la paix ce Versailles — suggère l’idée d’une maison de fous. Les petits États créés par des moyens artificiels, morcelés, étouffant au point de vue économique dans les bornes qui leur ont été prescrites, se prennent à la gorge et combattent pour s’arracher des ports, des provinces, des petites villes de rien du tout. Ils cherchent la protection des États plus forts, dont l’antagonisme s’accroît de jour en jour. L’Italie garde une attitude hostile à la France et serait disposée à soutenir contre elle l’Allemagne, si celle-ci se trouvait capable de relever la tête.

La France est empoisonnée par l’envie qu’elle porte à l’Angleterre et, pour obtenir qu’on lui paie ses rentes, elle est prête à mettre de nouveau le feu aux quatre coins de l’Europe. L’Angleterre maintient avec l’aide de la France l’Europe dans un état de chaos et d’impuissance qui lui laisse les mains libres pour effectuer ses opérations mondiales, dirigées contre l’Amérique. Les États-Unis laissent le Japon s’enliser dans la Sibérie orientale, pour assurer pendant ce temps à leur flotte la supériorité sur celle de la Grande-Bretagne avant 1925, à moins que l’Angleterre ne se décide à se mesurer avec eux avant cette date.

Pour compléter comme il convient ce tableau, l’oracle militaire de la bourgeoisie française, le maréchal Foch nous prévient que la guerre future aura pour point de départ le point où la guerre précédente s’est arrêtée : on verra d’abord apparaître les avions et les tanks, le fusil automatique et les mitrailleuses au lieu du fusil portatif, la grenade au lieu de la baïonnette.

Ouvriers et paysans de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Australie ! Vous avez sacrifié dix millions de vies, vingt millions de blessés et d’invalides. Maintenant vous savez du moins ce que vous avez obtenu à ce prix !

II. LA SITUATION ÉCONOMIQUE

En même temps l’humanité continue à se ruiner.

La guerre a détruit mécaniquement les liens économiques dont le développement constituait une des plus importantes conquêtes du capitalisme mondial. Depuis 1914, l’Angleterre, la France et l’Italie ont été complètement séparées de l’Europe centrale et du proche Orient, depuis 1917 — de la Russie.

Durant plusieurs années d’une guerre qui a détruit ce qui avait été l’œuvre de plusieurs générations, le travail humain, réduit au minimum, a été appliqué principalement à transformer en marchandises les réserves des matières premières dont on disposait depuis longtemps et dont on a fait surtout des armes et des instruments de destruction.

Dans les domaines économiques où l’homme entre en lutte immédiate avec la nature avare et inerte, en tirant de ses entrailles le combustible et les matières premières, le travail a été progressivement réduit à néant. La victoire de l’Entente et la paix de Versailles n’ont point arrêter la destruction économique et la décadence générale, elles en ont seulement modifié les voies et les formes.

Le blocus de la Russie soviétique et la guerre civile suscitée artificiellement le long de ses fertiles frontières ont causé et causent encore des dommages inappréciables au bien-être de l’humanité toute entière. Si la Russie était soutenue, au point de vue technique, dans une mesure même très modeste, — l’Internationale l’affirme devant le monde entier — elle pourrait, grâce aux formes soviétiques d’économie, donner deux et trois fois plus de produits alimentaires et de matières premières à l’Europe que n’en donnait autrefois la Russie du Tsar. Au lieu de cela, l’impérialisme anglo-français force la République des travailleurs à employer toute son énergie et toutes ses ressources à sa défense.

Pour priver les ouvriers russes de combustible, l’Angleterre a retenu entre ses griffes Bakou dont le pétrole est resté de cette façon à peu près inutilisé, car elle n’a réussi a en importer qu’une infime partie. Le richissime bassin houiller du Don a été dévasté par les bandits blancs aux gages de l’Entente, chaque fois qu’ils ont réussi à prendre l’offensive dans ce secteur. Les ingénieurs et les sapeurs français se sont plus d’une fois appliqués à détruire nos ponts et nos voies ferrés ; et le Japon n’a pas cessé jusqu’ici de piller et de ruiner la Sibérie orientale.

La science industrielle allemande et le taux de production très élevé de la main-d’œuvre allemande, ces deux facteurs d’une extrême importance pour la renaissance de la vie économique européenne, sont paralysés par les clauses de la paix de Versailles encore plus qu’ils ne l’avaient été par la guerre.

L’Entente se trouve devant un dilemme : pour pouvoir exiger le payement il faut donner le moyen de travailler, pour laisser travailler il faut laisser vivre. Et donner à l’Allemagne ruinée, dépecée, exsangue, le moyen de se refaire une vie, c’est lui rendre possible un sursaut de protestation. Foch a peur d’une revanche allemande, et cette crainte transpire dans tout ce qu’il entreprend, par exemple dans la façon de resserrer chaque jour davantage l’étau militaire qui doit empêcher l’Allemagne de se redresser.

Tous manquent de quelque chose, tous sont dans le besoin. Non pas seulement le bilan de l’Allemagne, mais également celui de la France et de l’Angleterre, se signalent exclusivement par leur passif. La dette française s’élève à 300 milliards de francs, dont les deux tiers au moins, selon l’assertion du sénateur réactionnaire Gaudin de Villaine, sont les résultats de toute sorte de déprédations, d’abus et de désordres.

La France a besoin d’or, la France a besoin de charbon. Les bourgeois français en appellent aux tombes innombrables des soldats tombés pendant la guerre pour réclamer les intérêts de ses capitaux. L’Allemagne doit payer : est-ce que le général Foch n’a pas assez de Sénégalais pour occuper les villes allemandes ? La Russie doit payer ! Pour nous en persuader, le gouvernement français dépense à dévaster la Russie, les milliards arrachés aux contribuables pour la reconstitution des départements français.

L’entente financière internationale qui devait alléger le fardeau des impôts français en annulant les dettes de guerre, cette entente n’a pas eu lieu : les États-Unis se sont montrés très peu disposés à faire à l’Europe un cadeau de 10 milliards de livres sterling.

L’émission du papier-monnaie continue, atteignant chaque jour un chiffre plus imposant. En Russie, où il existe une organisation économique unifiée, une répartition systématique des denrées et où le salaire en montée tend de plus en plus à être remplacé par le payement en nature, l’émission continuelle des papier-monnaie et la chute rapide de leur taux ne font que confirmer le délabrement du vieux système financier et commercial. Mais dans les pays de capitalisme la quantité croissante des bons du trésor en cours sont l’indice d’un profond désarroi économique et d’une faillite imminente.

Les conférences convoquées par l’Entente voyagent de place en place, cherchant à s’inspirer de telle ou telle plage à la mode. Chacun réclame les intérêts du sang versé pendant la guerre, une indemnité proportionnelle au nombre de ses tués. Cette manière de bourse ambulante rabâche tous les quinze jours la même question : à savoir, si c’est 50 ou 55 % que la France doit recevoir, d’une contribution que l’Allemagne n’est pas en état de payer. Ces conférences fantasmagoriques sont bien faites pour couronner la fameuse « organisation » de l’Europe, qu’on s’était tant plu à vanter.

La guerre a fait subir au capitalisme une évolution. Le pressurage systématique de la plus-value qui fut jadis pour l’entrepreneur la seule source de revenu, semble à présent une occupation trop fade aux messieurs les bourgeois qui ont pris l’habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l’espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes basées sur le brigandage international.

Le bourgeois a rejeté quelques préjugés qui le gênaient et acquis par contre un certain coup de main qui lui manquait jusqu’ici. La guerre l’a accoutumé, comme aux actes les plus ordinaires, à réduire par le blocus des pays entiers à la famine, à bombarder et incendier des villes et villages pacifiques, à infecter les sources et les rivières en y jetant des cultures du choléra, à transporter de la dynamite dans des valises diplomatiques, à émettre des billets de banque faux imitant ceux de l’ennemi, à employer la corruption, l’espionnage et la contrebande dans des proportions jusque-là inouïes.

Les moyens d’action appliqués à la guerre restèrent en vigueur dans le monde commercial après la conclusion de la paix. Les opérations commerciales de quelque importance s’effectuent sous l’égide de l’État. Ce dernier est devenu semblable à une association de malfaiteurs armés jusqu’aux dents. Le terrain de la production mondiale se rétrécit chaque jour davantage et la mainmise sur la production devient d’autant plus frénétique et revient d’autant plus chère.

Empêcher : voilà le dernier mot de la politique du capitalisme, la devise qui remplace le protectionnisme et le libre-échangisme ! L’agression dont a été victime la Hongrie de la part des chenapans roumains qui y pillèrent tout ce qui leur tomba sous la main, locomotives et bijoux indifféremment, caractérise la philosophie économique de Lloyd George et de Millerand.

Dans sa politique économique intérieur, la bourgeoisie ne sait à quoi s’en tenir entre un système de nationalisation, de réglementation et de contrôle de l’état qui pourrait être des plus efficaces, et, d’autre part, les protestations qui se font entendre contre la mainmise effectuée par l’État sur les affaires économiques.

Le parlement français cherche à trouver un compromis qui lui permettrait de concentrer la direction de toutes les voies ferrées de la république dans des mains uniques sans pour cela léser les intérêts des capitalistes actionnaires dans les compagnies de chemin de fer privées. En même temps, la presse capitaliste mène une campagne enragée contre « l’étatisme » qui est le premier pas de l’intervention de l’État et qui met un frein à l’initiative privée. Les chemins de fer américains, qui, dirigés pendant la guerre par l’État, avaient été désorganisés, sont tombés dans une situation encore plus difficile lorsque le contrôle du gouvernement a été supprimé. Néanmoins, le parti républicain promet dans son programme d’affranchir la vie économique de l’arbitrage gouvernemental.

Le chef des trade-unions américains, Samul Gompers, ce vieux cerbère du Capital, lutte contre la nationalisation des chemins de fer que, de leur côté, les naïfs adeptes les charlatans du réformisme proposent à la France en guise de pensée universelle. En réalité, l’intervention désordonnée de l’état ne serait faite que pour seconder l’activité pernicieuse des spéculateurs, pour achever d’introduire le désarroi le plus complet dans l’économie du capitalisme, à l’heure où celui-ci se trouve dans sa période de décadence. Enlever aux trusts les moyens de production et de transport pour les transmettre à « la nation », c’est-à-dire à l’état bourgeois, c’est-à-dire au plus puissant et au plus avide des trusts capitalistes, ce n’est non pas enrayer le mal, mais en faire une loi commune.

La baisse de prix et la hausse du taux de la monnaie ne sont que des indices trompeurs qui ne peuvent cacher la ruine imminente. Les prix ont beau baisser, cela ne veut pas dire qu’il y ait une augmentation de matières premières ni que le travail soit devenu plus productif.

Après l’épreuve sanglante de la guerre, la masse ouvrière n’est plus capable de travailler avec la même vigueur dans les mêmes conditions.

La destruction au cours de quelques heures de valeurs dont la création avait demandé des années, l’impudent agiotage d’une clique financière avec des enjeux de plusieurs milliards et, à côté de cela, des monceaux d’ossements et de ruines — ces leçons données par l’histoire, étaient peu faites pour soutenir dans la classe ouvrière la discipline automatique inhérente au travail salarié. Les économistes bourgeois et les faiseurs de feuilletons nous parlent d’une « vague de paresse » qui déferlerait, selon eux, sur l’Europe, menaçant son avenir économique.

Les administrateurs cherchent à gagner du temps en accordant certains privilèges aux ouvriers qualifiés. Mais ils perdent leur peine. Pour la reconstitution et le développement de la production au travail, il est nécessaire que la classe ouvrière sache pertinemment que chaque coup de marteau aura pour résultat d’améliorer son sort, de lui rendre plus facile l’instruction et de la rapprocher d’une paix universelle. Or, cette assurance ne peut lui être donnée que par une révolution sociale.

La hausse de prix sur les denrées alimentaires sème le mécontentement et la révolte dans tous les pays. La bourgeoisie de France, d’Italie, d’Allemagne et des autres pays ne trouve que des palliatifs à opposer au fléau de la vie chère et à la vague menaçante des grèves. Pour être en mesure de payer aux agriculteurs ne fut ce qu’une partie de leurs frais de production, l’état, couvert de dettes, s’engage dans des spéculations louches, se dévalise lui-même pour retarder le quart d’heure de Rabelais.

S’il est vrai que certaines catégories d’ouvriers vivent actuellement dans des conditions même meilleures qu’avant la guerre, cela ne signifie rien en réalité quant à ce qui concerne l’état économique des pays capitalistes. On obtient des résultats éphémères en s’adressant à demain pour ouvrir des emprunts de charlatans ; demain amènera la misère et toutes sortes de calamités.

Que dire des États-Unis ? « L’Amérique est l’espoir de l’humanité » : par la bouche de Millerand, le bourgeois français répète cette sentence de Turgot, il espère qu’on lui remettra ses dettes, lui qui ne les remet à personne. Mais les États-Unis ne sont pas capables de tirer l’Europe de l’impasse économique où elle est engagée. Durant les six dernières années ils ont épuisé leur stock de matières premières. L’adaptation du capitalisme, américain aux exigences de la guerre mondiale, a rétréci sa base industrielle.

Les Européens ont cessé d’émigrer en Amérique. Une vague de retour a arraché à l’industrie américaine des centaines de milliers d’Allemands, d’Italiens, Polonais, de Serbes, de Tchèques qu’appelaient en Europe soit la mobilisation, soit le mirage d’une patrie recouvrée. Le manque de matières premières et de forces ouvrières pèse lourdement sur la République transatlantique et engendre une profonde crise économique, par suite de laquelle le prolétariat américain entre dans une nouvelle phase de lutte révolutionnaire. L’Amérique s’européanise rapidement.

Les neutres n’ont pas échappé aux conséquences de la guerre et du blocus. Semblable à un liquide enfermé dans des vases communicants, l’économie des États capitalistes étroitement reliés entre eux, grand ou petits, belligérants ou neutres, vainqueurs ou vaincus, tend à prendre un seul et même niveau — celui de la misère de la famine et du dépérissement.

La Suisse vit au jour le jour, chaque éventualité menace de la jeter hors de tout équilibre. En Scandinavie, une riche importation d’or ne saurait résoudre le problème de l’approvisionnement. On est obligé de demander du charbon à l’Angleterre par petites portions, et cela avec force courbettes. En dépit de la famine en Europe, la pêche en Norvège subit une crise inouïe.

L’Espagne, d’où la France a fait venir des hommes, des chevaux et des vivres, ne peut se tirer de nombre de difficultés, au point de vue du ravitaillement, lesquelles entraînent à leur tour des grèves violentes et des manifestations de la part des masses que la faim oblige à descendre dans la rue.

La bourgeoisie compte fermement sur les campagnes. Ses économistes affirment que le bien-être des paysans a extraordinairement augmenté. C’est une illusion. Il est vrai que les paysans qui apportent leurs produits au marché ont plus ou moins fait fortune, partout, pendant la guerre. Ils ont vendu leurs produits à très haut prix et ont payé d’une monnaie qui leur revient à bon marché les dettes qu’ils avaient faites lorsque l’argent coûtait cher. C’est là pour eux un avantage évident.

Mais, durant la guerre, leurs exploitations sont tombées dans le désordre et leur rendement a faibli. Ils ont besoin d’objets fabriqués. Et le prix de ces objets a augmenté dans la mesure où l’argent est devenu meilleur marché. Les exigences du fisc sont devenues monstrueuses et menacent d’engloutir le paysan avec ses produits et ses terres. Ainsi après une période de relèvement momentané du bien-être, les paysans de la petite classe tombent de plus en plus dans des difficultés irréductibles. Leur mécontentement au sujet des résultats de la guerre ne fera que croître et, représenté par une armée permanente, le paysan prépare à la bourgeoisie pas mal de surprises désagréables.

La restauration économique de l’Europe, dont parlent les ministres qui la gouvernent, est un mensonge. L’Europe se ruine et le monde entier se ruine avec elle.

Sur les bases du capitalisme il n’est point de salut. La politique de l’impérialisme ne saurait éliminer le besoin, elle ne peut que le rendre plus douloureux en favorisant la dilapidation des réserves dont on dispose encore.

La question du combustible et des matières premières est une question internationale que l’on ne peut résoudre que sur la base d’une production réglée sur un plan, mise en commun, socialisée.

Il faut annuler les dettes d’état. Il faut émanciper le travail et ses fruits du tribut monstrueux qu’il paie à la ploutocratie mondiale. Il faut renverser la ploutocratie. Il faut jeter à bas les barrières gouvernementales qui fractionnent l’économie mondiale. Au Conseil Suprême Économique des impérialistes de l’Entente, il faut substituer un Conseil Suprême Économique du prolétariat mondial pour l’exploitation centralisée de toutes les ressources de l’humanité.

Il faut tuer l’impérialisme pour que le genre humain puisse continuer à subsister.

III. — LE RÉGIME BOURGEOIS APRÈS LA GUERRE

Toute l’énergie des classes opulentes est concentrée sur ces deux questions : se maintenir au pouvoir dans la lutte internationale et ne pas permettre au prolétariat de devenir maître du pays.

Conformément à ce programme, les anciens groupes politiques parmi la bourgeoisie en Russie où l’étendard du parti constitutionnel-démocrate (K. D.) est devenu durant la période décisive de la lutte, l’étendard de tous les riches dressés contre la révolution des ouvriers et des paysans, mais aussi dans les pays dont la culture politique est plus ancienne et a des racines plus profondes, les programmes d’autrefois qui séparaient les diverses fractions de la bourgeoisie ont disparu, presque sans laisser de traces, bien avant l’attaque ouverte qui a été menée par le prolétariat révolutionnaire.

Lloyd George se fait le héraut de l’union des conservateurs, des unionistes et des libéraux pour la lutte en commun contre la domination menaçante de la classe ouvrière. Ce vieux démagogue établit à la base de son système la sainte église, qu’il compare à une station centrale d’électricité fournissant un courant égal à tous les partis des classes opulentes.

En France, l’époque si peu lointaine encore et si bruyante de l’anticléricalisme semble n’être plus qu’une vision de l’autre monde : les radicaux, les royalistes et les catholiques constituent actuellement un bloc de l’ordre national contre le prolétariat qui lève la tête. Tendant la main à toutes les forces de la réaction, le gouvernement français soutient le cent-noir Wrangel et renoue ses rapports diplomatiques avec le Vatican.

Le neutre convaincu, le germanophile Giolitti se saisit du gouvernail de l’état italien en qualité de chef commun des interventionnistes, des neutralistes, des cléricaux, des mazzinistes : il est prêt à louvoyer dans les questions secondaires de la politique intérieure et extérieure pour repousser avec d’autant plus d’énergie l’offensive des prolétaires révolutionnaires dans les villes et les villages. Le Gouvernement de Giolitti se considère à bon droit comme le dernier atout de la bourgeoisie italienne.

La politique de tous les gouvernements allemands et des partis gouvernementaux, après la défaite des Hohenzollern, a tendu à établir de concert avec les classes dirigeantes de l’Entente, un terrain commun de haine contre le bolchevisme, c’est-à-dire contre la révolution prolétarienne.

Au moment où le Shylock anglo-français étouffe avec une férocité croissante le peuple allemand, la bourgeoisie allemande, sans distinction de partis, demande à l’ennemi de relâcher le nœud qui l’étrangle juste assez pour pouvoir, de ses propres mains, égorger l’avant-garde du prolétariat allemand.

C’est en somme à cela que reviennent toujours les conférences périodiques qui ont lieu et les conventions que l’on signe au sujet du désarmement et de la livraison des engins de guerre.

En Amérique, on ne fait plus aucune différence entre Républicains et Démocrates. Ces puissantes organisations politiques d’exploiteurs, adaptées au cercle restreint des intérêts américains, ont montré en toute évidence à quel point elles étaient dénuées de consistance lorsque la bourgeoisie américaine est entrée dans la lice du brigandage mondial.

Jamais encore les intrigues des chefs et de leurs bandes — dans l’opposition comme dans les ministères — n’avaient fait preuve d’un semblable cynisme, n’avaient agi aussi ouvertement. Mais en même temps tous les chefs, et leurs cliques, les partis bourgeois de tous les pays, constituent un front commun contre le prolétariat révolutionnaire.

Au moment où les imbéciles de la social-démocratie continuent à opposer le chemin de la démocratie aux violences de la voie dictatoriale, les derniers vestiges de la démocratie sont foulés aux pieds et anéantis dans tous les États du monde.

Après une guerre durant laquelle les chambres de représentants, quoique ne disposant pas du pouvoir, servaient à couvrir par leurs cris patriotiques l’action des bandes dirigeantes impérialistes, les parlements sont tombés dans une complète prostration. Toutes les questions sérieuses se résolvent en dehors des parlements. L’élargissement illusoire des prérogatives parlementaires, solennellement proclamé par les saltimbanques de l’impérialisme en Italie et dans les autres pays, ne change rien à l’état des choses.

Véritables maîtres de la situation, disposant du sort de l’état, lord Rothschild, lord Weir, Morgan et Rockfeller, Schneider et Loucheur, Hugo Stinnes et Felix Deutsch, Rizzello et Agnelli — ces rois de l’or, du charbon, du pétrole et du métal — agissent derrière les coulisses en envoyant aux parlements leurs petits commis pour exécuter leurs travaux.

Le parlement français, qu’amuse encore la procédure des lectures à trois reprises de projets de lois insignifiants, le parlement français plus que tout autre discrédité par l’abus de la rhétorique, par le mensonge, par le cynisme avec lequel il se laisse acheter, apprend tout à coup que les quatre milliards qu’il avait destinés aux réparations dans les régions dévastées de la France ont été dépensées par Clemenceau pour des fins tout autres, et principalement pour poursuivre l’œuvre de dévastation entreprise dans les provinces russes.

L’écrasante majorité des députés du parlement anglais, soi-disant tout-puissant, n’est pas plus renseignée au sujet des véritables intentions de Lloyd George et de Kerson, en ce qui concerne la Russie Soviétique et même la France, que les vieilles femmes dans les villages du Bengale.

Aux États-Unis le parlement est un chœur obéissant ou qui ronchonne quelquefois sous la baguette du président ; celui-ci n’est que le suppôt de la machine électorale qui sert d’appareil politique aux trusts — maintenant, après la guerre, dans une beaucoup plus large mesure qu’auparavant.

Le parlementarisme tardif des Allemands, avorton de la révolution bourgeoise, qui n’est elle-même qu’un avorton de l’histoire, est sujet dès l’enfance à toutes les maladies qui affectent les vieux chiens. Le Reichstag de la République d’Ebert, « le plus démocratique du monde », reste impuissant non seulement devant le bâton de maréchal que brandit Foch, mais aussi devant les machinations de ses boursiers, de ses Stinnes ainsi que devant les complots militaires d’une clique d’officiers. La démocratie parlementaire allemande n’est qu’un vide entre deux dictatures.

Il s’est produit durant la guerre de profondes modifications dans la composition même de la bourgeoisie. En face de l’appauvrissement général du monde entier, la concentration des capitaux a fait tout à coup un grand saut en avant.

On a vu se mettre en vedette des maisons de commerce qui restaient autrefois dans l’ombre. La solidité, l’équilibre, la propension aux compromis « raisonnables », l’observation d’un certain décorum dans l’exploitation comme dans l’utilisation des produits, — tout cela a disparu sous le torrent de l’impérialisme.

Ce sont de nouveaux riches qui ont occupé l’avant-scène : fournisseurs d’armée, spéculateurs de bas étage, parvenus, rastaquouères, maraudeurs, repris de justice couverts de diamants, canaille sans foi ni loi, avide de luxe, prête aux dernières atrocités pour entraver la révolution prolétarienne qui ne peut leur promettre qu’un nœud coulant.

Le régime actuel en tant que domination des riches, se dresse devant les masses dans toute sont impudence. En Amérique, en France, en Angleterre le luxe d’après-guerre a pris un caractère frénétique. Paris, bondé de parasites du patriotisme international, ressemble, d’après l’aveu du Temps, à une Babylone à la veille d’une catastrophe.

C’est au gré de cette bourgeoisie que se rangent la politique, la justice, la presse, l’art, l’Église. Tous les freins, tous les principes sont laissés de côté. Wilson, Clemenceau, Millerand, Lloyd George, Churchill ne s’arrêtent pas devant les plus impudentes tromperies, devant les mensonges les plus grossiers et, lorsque on les surprend à accomplir des actes malhonnêtes, ils poursuivent tranquillement des exploits qui devraient les mener devant la cour d’assises.

Les règles classiques de la perversité politique, telles que les a rédigées le vieux Machiavel, ne sont plus que les innocents aphorismes d’un nigaud de province en comparaison avec les principes sur lesquels se règlent les gouvernants bourgeois d’aujourd’hui. Les tribunaux, qui couvraient autrefois d’un clinquant démocratique leur essence bourgeoise, se sont mis à bafouer ouvertement les prolétaires et accomplissent un travail de provocation contre-révolutionnaire.

Les juges de la 3e République acquittent sans broncher l’assassin de Jaurès. Les tribunaux de l’Allemagne, qui avait été proclamée république socialiste, encouragent les assassins de Liebknecht, de Rosa Luxemburg et de bien d’autres martyrs du prolétariat. Les tribunaux des démocraties bourgeoises servent à légaliser solennellement tous les crimes de la terreur blanche.

La presse bourgeoise se laisse ouvertement acheter, elle porte l’estampille des vendus sur le front, comme une marque de fabrique. Les journaux dirigeants de la bourgeoisie mondiale sont des fabriques monstrueuses de mensonges, de calomnies et de prisons spirituelles.

Les dispositions et les sentiments de la bourgeoisie sont sujets à des hausses et à des baisses nerveuses, comme le prix de ses marchés. Durant les premiers mois qui ont suivi la fin de la guerre, la bourgeoisie internationale, surtout la bourgeoisie française, claquait des dents devant le communisme menaçant. Elle se faisait de l’imminence du danger une idée en rapport avec les crimes sanglants qu’elle avait commis.

Mais elle a su repousser la première attaque. Reliés à elle par les chaînes d’une responsabilité commune, les partis socialistes et les syndicats de la 2e Internationale lui ont rendu un dernier service, en prêtant le dos aux premiers coups portés par la colère des travailleurs. Au prix du naufrage complet de la 2e Internationale, la bourgeoisie a reçu quelque répit. Il a suffi d’un certain nombre de votes contre-révolutionnaires obtenus par Clemenceau aux élections parlementaires, de quelques mois d’équilibre instable, de l’insuccès de la grève de mai pour que la bourgeoisie française envisage avec assurance la solidité inébranlable de son régime. L’orgueil de cette classe a atteint le niveau auquel s’étaient autrefois élevées ses craintes.

La menace est devenue l’argument unique de la bourgeoisie. Elle ne croit pas aux phrases et exige des actes : qu’on arrête, qu’on disperse les manifestations, qu’on confisque, qu’on fusille !

Les ministres bourgeois et les parlementaires tâchent d’en imposer à la bourgeoisie en faisant figure d’hommes bien trempés, d’hommes d’acier. Lloyd George conseille sèchement aux ministres allemands de fusilier leurs communards, comme on l’a fait en France en 1871. Un fonctionnaire de troisième ordre peut compter sur les applaudissements tumultueux de la Chambre s’il sait mettre à la fin d’un pauvre compte rendu quelques menaces à l’adresse des ouvriers.

Tandis que l’administration se transforme en une organisation de plus en plus éhontée, destinée à exercer des répressions sanglantes, à l’égard des classes laborieuses, d’autres organisations contre-révolutionnaires privées, formées sous son égide et mises à sa disposition, travaillent à empêcher par la force les grèves, à commettre des provocations, à donner de faux témoignages, à détruire les organisations révolutionnaires, à s’emparer des institutions communistes, à massacrer et incendier, à assassiner les tribus révolutionnaires, et prennent d’autres mesures à l’avenant pour défendre la propriété privée et la démocratie.

Les fils des gros propriétaires, des gros bourgeois, les petits bourgeois qui ne savent à quoi s’en prendre et en général les éléments déclassés, en premier lieu les ci-devant de diverses catégories émigrées de Russie, forment d’inépuisables cadres de réserve pour les armées irrégulières de la contre-révolution. Des officiers élevés à l’école de la guerre impérialiste sont à leur tête.

Les vingt mille officiers de l’armée de Hohenzollern constituent, surtout après la révolte de Kapp-Lüttwitz, un noyau contre-révolutionnaire solide dont la démocratie allemande ne sera pas à même de venir à bout si le marteau de la dictature du prolétariat ne vient le briser. Cette organisation centralisée des terroristes de l’ancien régime se complète par les détachements de partisans formés par les hauts bourreaux prussiens.

Aux États-Unis, des unions comme la National Security League ou le Knigths of Liberty sont les régiments d’avant-garde du capital et sur leurs flancs agissent ces bandes de brigands que sont les Detective agencies d’espionnage privé.

En France la Ligue Civique n’est autre chose qu’une organisation perfectionnée de « renards » et la Confédération du Travail, d’ailleurs réformiste, est mise hors la loi.

La maffia des officiers blancs de Hongrie qui persiste à avoir une existence clandestine bien que leur gouvernement de bourreaux contre-révolutionnaires subsiste par le bon plaisir de l’Angleterre, a montré au prolétariat du monde entier comment se pratiquent cette civilisation et cette humanité que préconisent Wilson et Lloyd George après avoir maudit le pouvoir des Soviets et les violences révolutionnaires.

Les gouvernements « démocratiques » de la Finlande, de la Géorgie, de la Lettonie et de l’Estonie suent sang et eau pour atteindre le niveau de perfection de leur prototype hongrois. À Barcelone, la police a sous ses ordres une bande d’assassins. Et il en est de même partout.

Même dans un pays vaincu et ruiné comme la Bulgarie, les officiers sans emploi se réunissent en sociétés secrètes qui sont prêtes au premier signe à faire preuve de leur patriotisme au détriment des ouvriers bulgares.

Tel qu’il est mis en pratique dans le régime bourgeois d’après-guerre, le programme d’une conciliation des intérêts contradictoires, d’une collaboration des classes, d’un réformisme parlementaire, d’une socialisation graduelle et d’un accord mutuel au sein de chaque nation, tout cela ne présente qu’une sinistre bouffonnerie.

La bourgeoisie s’est refusée une fois pour toutes à concilier ses propres intérêts et ceux du prolétariat au moyen de simples réformes. Elle corrompt ceux qui ont pris les aumônes de la classe ouvrière et soumet le prolétariat par le fer et le sang à une règle inflexible.

Pas une seule question importante ne se décide à la majorité des voix. Du principe démocratique il n’est resté qu’un souvenir dans les cervelles fumeuses des réformistes. L’état se borne chaque jour davantage à recruter ce qui constitue le nerf essentiel des gouvernements, c’est-à-dire des régiments de soldats.

La bourgeoisie ne perd plus son temps à « compter les poires sur l’arbre », elle compte les fusils, les mitrailleuses et les canons qui seront à sa disposition lorsque l’heure sera venue où la question du pouvoir et de la propriété ne souffrira plus aucun délai.

Qui vient nous parler de collaboration ou de médiation ? Ce qu’il faut pour notre salut, c’est la ruine de la bourgeoisie et seule la révolution prolétarienne peut causer cette ruine.

IV. — LA RUSSIE SOVIÉTISTE

Le chauvinisme, la cupidité, la discorde s’entrechoquent dans une sarabande effrénée et seul à la face du monde le principe du communisme reste vivace et créateur. Bien que le pouvoir des Soviets se soit établi pour commencer dans un pays arriéré, dévasté par la guerre, entouré d’ennemis puissants, il s’est montré doué non seulement d’une ténacité peu commune, mais aussi d’une activité inouïe. Il a prouvé par le fait la force potentielle du communisme. Le développement et le raffermissement du pouvoir soviétique constituent le point culminant de l’histoire du monde depuis la création de l’Internationale Communiste.

La capacité de former une armée a toujours été considérée jusqu’ici comme le critérium de toute activité économique ou politique. La force ou la faiblesse de l’armée sont l’indice qui sert à évaluer la force ou la faiblesse de l’état au point de vue économique.

Le pouvoir des Soviets a créé au bruit du canon une force militaire de premier ordre, et grâce à elle il a battu avec une supériorité indiscutable non seulement les champions de la vieille Russie monarchiste et bourgeoise, les armées de Koltchak, Dénikine, Youdénitch, Wrangel et autres, mais aussi les armées nationales des républiques « démocratiques » qui entrent en ligne pour le bon plaisir de l’impérialisme mondial (Finlande, Estonie, Lettonie, Pologne).

Au point de vue économique c’est déjà un grand miracle que la Russie soviétique ait tenu bon ces trois premières années. Elle a fait mieux, elle s’est développée, parce que, ayant eu l’énergie d’arracher d’entre les mains de la bourgeoisie les instruments d’exploitation, elle en a fait des instruments de production industrielle et les a mis méthodiquement en action. Le fracas des pièces d’artillerie le long du front immense qui encercle la Russie des toutes parts ne l’a pas empêché de prendre des mesures pour rétablir la vie économique et intellectuelle bouleversée.

La monopolisation par l’état socialiste des principales denrées alimentaires et la lutte sans merci contre les spéculateurs ont seules sauvegardé les villes russes d’une famine mortelle et donné la possibilité de ravitailler l’Armée Rouge. La réunion de toutes les usines, des fabriques, des chemins de fer et de la navigation sous l’égide de l’état a seule permis de régulariser la production et d’organiser le transport.

La concentration de l’industrie et du transport entre les mains du gouvernement amène à la simplification des méthodes techniques en créant des modèles uniques pour les diverses pièces, modèles qui servent de prototype à toute production ultérieure. Seul le socialisme rend possible d’évaluer avec précision la quantité de boulons pour locomotives, pour wagons et pour steamers qui sont à produire et à réparer.

De même on peut prévoir périodiquement la production en gros nécessaire des pièces des machines adaptées au prototype, ce qui présente des avantages incalculables pour l’intensification de la production.

Le progrès économique, l’organisation scientifique de l’industrie, la mise en pratique du système Taylor épuré de toutes tendances au « sweating », ne rencontrent plus en Russie soviétique d’autres obstacles que ceux que tâchent de susciter les impérialistes étrangers.

Tandis que les intérêts des nationalités, se heurtant aux prétentions impérialistes, sont une source continuelle de conflits universels, de révoltes et de guerres, la Russie socialiste a montré qu’un gouvernement ouvrier est capable de concilier les besoins nationaux avec les besoins économiques, épurant les premiers de tout chauvinisme et les seconds de tout impérialisme.

Le socialisme a pour but de relier toutes les régions, toutes les provinces, toutes les nationalités par l’unité d’un même système économique. Le centralisme économique n’admettant plus l’exploitation d’une classe par une autre, d’une nation par une autre, et étant par cela même également avantageux pour toutes, ne paralyse en aucune façon le libre développement de l’économie nationale.

L’exemple de la Russie des Soviets permet aux peuples de l’Europe Centrale, du sud-est des Balkans, des possessions coloniales de la Grande-Bretagne, à toutes les nations, à toutes les peuplades opprimées, aux Égyptiens et aux Turcs, aux Hindous et aux Persans, aux Irlandais et aux Bulgares, de se rendre compte que la solidarité de toutes les nationalités du monde n’est réalisable que par une fédération de républiques soviétiques.

La révolution a fait de la Russie la première puissance prolétarienne. Depuis trois ans qu’elle existe, ses frontières n’ont pas cessé de se transformer. Devenues plus étroites sous les coups de boutoir de l’impérialisme mondial, elles reprenaient leur extension lorsque la poussée diminuait d’intensité. La lutte pour les Soviets est devenue la lutte contre le capitalisme mondial.

La question de la Russie des Soviets est devenue une pierre de touche pour toutes les organisations ouvrières. La deuxième et infâme trahison de la social-démocratie allemande après celle du 4 août 1914, c’est que, faisant partie du gouvernement elle a demandé secours à l’impérialisme occidental, au lieu de s’allier à la révolution d’Orient. L’Allemagne soviétique alliée à la Russie soviétique, elles auraient été plus fortes à elles deux que tous les États capitalistes pris ensemble.

L’Internationale Communiste a fait sienne la cause de la Russie soviétique. Le prolétariat international ne remettra son glaive au fourreau que lorsque la Russie soviétique sera devenue l’un des chaînons d’une Fédération de républiques soviétiques embrassant le monde.

V. — LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
ET L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

La guerre civile est mise à l’ordre du jour dans le monde entier. La devise en est : « Le pouvoir aux Soviets ».

Le capitalisme a transformé en prolétariat l’immense majorité de l’humanité. L’impérialisme a tiré les masses de leur inertie et les a incitées au mouvement révolutionnaire. Ce que nous entendons actuellement par le mot « masse » n’est pas ce que nous entendions par là il y a quelques années. Ce qui était la masse à l’époque du parlementarisme et du trade-unionisme est devenu de nos jours l’élite. Des millions et des dizaines de millions d’hommes qui avaient vécu jusqu’ici en dehors de toute politique sont en train de se transformer en une masse révolutionnaire.

La guerre a mis tout le monde sur pied, a éveillé le sens politique des milieux les plus arriérés, leur a donné des illusions et des espérances, et les a toutes déçues. Étroite discipline corporative et, en somme, inertie des prolétaires les plus conscients d’un côté, apathie incurable des masses, de l’autre — ces traits caractéristiques des anciennes formes du mouvement ouvrier, sont tombés dans l’oubli pour toujours. Des millions de nouvelles recrues viennent d’entrer en ligne.

Les femmes qui ont perdu leurs maris et leurs pères et qui ont dû se mettre au travail à leur place, prennent une large part au mouvement révolutionnaire. Les ouvriers de la nouvelle génération, habitués dès l’enfance aux grondements et aux éclairs de la guerre mondiale, ont accueilli la révolution comme leur élément naturel. La lutte passe par des phases différentes suivant le pays, mais cette lutte est la dernière. Il arrive que les vagues révolutionnaires, déferlant contre l’édifice d’une organisation surannée, lui prêtent une nouvelle vie. Des vieilles enseignes, des devises à demi effacées surnagent çà et là à la surface des flots.

Il y a dans les cervelles du trouble, des ténèbres, des préjugés, des illusions. Mais le mouvement dans son ensemble a un caractère profondément révolutionnaire. On ne peut ni l’éteindre ni l’arrêter. Il s’étend, se raffermit, se purifie, rejette tout ce qui a fait son temps. Il ne s’arrêtera pas que le prolétariat mondial ne soit arrivé au pouvoir.

La grève est le moyen d’action le plus habituel au mouvement révolutionnaire. Ce qui la cause le plus souvent, irrésistiblement, c’est la hausse des prix sur les denrées de première nécessité. La grève surgit souvent de conflits régionaux. Elle est le cri de protestation des masses impatientées par le tripotage parlementaire des socialistes. Elle exprime la solidarité entre les exploités d’un même pays ou de pays différents. Ses devises sont de nature à la fois économique et politique.

Souvent des bribes de réformisme s’y entremêlent à des mots d’ordre de révolution sociale. Elle se calme, semble vouloir finir, puis reprend de plus belle, ébranlant la production, menaçant l’appareil gouvernemental. Elle met en fureur la bourgeoisie parce qu’elle profite de toute occasion pour exprimer sa sympathie à la Russie soviétique. Les pressentiments des exploiteurs ne les trompent pas. Cette grève désordonnée n’est autre chose en effet qu’une revue des forces révolutionnaires, un appel aux armes du prolétariat révolutionnaire.

L’étroite dépendance dans laquelle se trouvent tous les pays vis-à-vis les uns des autres et qui s’est révélée d’une façon si catastrophique pendant la guerre, donne une importance particulière aux branches du travail qui relient les pays et place au premier rang les cheminots et les ouvriers du transport en général. Le prolétariat du transport a eu l’occasion de montrer une partie de sa force dans le boycottage de la Hongrie et de la Pologne blanches.

La grève et le boycottage, méthodes que la classe ouvrière mettait en œuvre au début de sa lutte trade-unioniste, c’est-à-dire quand elle n’avait pas encore commencé à utiliser le parlementarisme, ont revêtu de nos jours la même importance et la même signification redoutables que la préparation de l’artillerie avant la dernière attaque.

L’impuissance à laquelle l’individu se trouve de plus en plus réduit devant la poussée aveugle des événements historiques oblige non seulement de nouveaux groupes d’ouvriers et d’ouvrières, mais encore les employés, les fonctionnaires, les intellectuels petits-bourgeois à entrer dans les rangs des organisations syndicales.

Avant que la marche de la révolution prolétarienne oblige à créer des Soviets qui planeront au-dessus de toutes les vieilles organisations ouvrières, les travailleurs se groupent en syndicats, tolèrent en attendant l’ancienne constitution de ces syndicats, leur programme officiel, leur élite dirigeante, mais en apportant dans ces organisations l’énergie révolutionnaire croissante des masses qui ne s’étaient point révélées jusque-là.

Les couches les plus basses, les prolétaires des campagnes, les manœuvres relèvent la tête. En Italie, en Allemagne et dans d’autres pays on observe une croissance magnifique du mouvement révolutionnaire des ouvriers agricoles et leur rapprochement avec le prolétariat des villes.

Les paysans pauvres regardent d’un meilleur œil le socialisme. Si les intrigues des réformistes parlementaires qui cherchent à exploiter les préjugés de propriété du moujik sont restées infructueuses, le mouvement vraiment révolutionnaire du prolétariat, sa lutte indomptable contre les oppresseurs, font naître une lueur d’espérance dans le cœur du travailleur le plus humble, le plus courbé vers la glèbe, le plus miséreux.

L’abîme de la misère humaine et de l’ignorance est insondable. Toute couche qui vient de se redresser en laisse derrière elle une autre qui tente à peine de se soulever. Mais l’avant-garde ne doit pas attendre la masse compacte de l’arrière pour engager le combat. Le soin de réveiller, de stimuler et d’éduquer ses couches les plus arriérées, la classe ouvrière le prendra lorsqu’elle sera parvenue au pouvoir.

Les travailleurs des colonies et des pays à demi coloniaux se sont réveillés. Dans les espaces infinis de l’Inde, de l’Égypte, de la Perse, sur lesquels se dresse l’hydre monstrueuse de l’impérialisme anglais, sur cette mer humaine sans fond, s’accomplit un travail latent ininterrompu, soulevant des vagues qui font trembler dans la City les actions de la Bourse et les cœurs.

Dans le mouvement des peuples coloniaux, l’élément social sous toutes ses formes se mêle à l’élément national, mais tous les deux sont dirigés contre l’impérialisme. Depuis les premières tentatives jusqu’aux formes perfectionnées, le chemin de la lutte se poursuit dans les colonies et dans les pays arriérés en général à marches forcées, sous la pression de l’impérialisme moderne et sous la direction du prolétariat révolutionnaire.

Le rapprochement fécond qui s’opère entre les peuples musulmans et non-musulmans, unis par les chaînes communes de la domination anglaise et de la domination étrangère en général, l’épuration intérieure du mouvement, la diminution constante de l’influence du clergé et de la réaction chauvine, la lutte simultanée menée par les indigènes à la fois contre les envahisseurs et contre leurs propriétaires suzerains, prêtres et usuriers, font de l’armée de l’insurrection coloniale grandissante une force historique de premier ordre, une réserve inépuisable pour le prolétariat mondial.

Les parias se lèvent. Leur pensée qui s’éveille se reporte vers la Russie des Soviets, vers les barricades dressées dans les rues des villes d’Allemagne, vers la lutte désespérée des ouvriers grévistes de l’Angleterre, vers l’Internationale Communiste.

Le socialisme qui, directement ou indirectement, défend la situation privilégiée de certaines nations au détriment des autres, qui s’accommode de l’esclavage colonial, qui admet des différences de droits entre les hommes de race et de couleur différentes ; qui aide la bourgeoisie de la métropole à maintenir sa domination sur les colonies au lieu de favoriser l’insurrection armée de Ces colonies ; le socialisme anglais qui ne soutient pas de tout son pouvoir l’insurrection de l’Irlande, de l’Égypte et de l’Inde contre la ploutocratie londonienne — ce « socialisme » loin de pouvoir prétendre au mandat et à la confiance du prolétariat, mérite sinon des balles, du moins la marque de l’opprobre.

Or, dans ses efforts pour amener la révolution mondiale, le prolétariat se heurte non seulement aux lignes de fil de fer barbelé à moitié détruites qui se dressent encore entre les pays depuis la guerre, mais surtout à l’égoïsme, au conservatisme, à l’aveuglement et à la trahison des vieilles organisations de partis et des syndicats qui ont vécu de lui à l’époque précédente.

La trahison dont s’est rendue coutumière la social-démocratie internationale n’a rien d’égal dans l’histoire de la lutte contre l’asservissement. C’est en Allemagne que les conséquences en sont les plus terribles. La défaite de l’impérialisme allemand a été en même temps celle du système d’économie capitaliste.

En dehors du prolétariat il n’y avait aucune classe qui pût prétendre au pouvoir d’état. Le perfectionnement de la technique, le nombre et le niveau intellectuel de la classe ouvrière allemande étaient un sur garant du succès de la révolution sociale. Malheureusement la social-démocratie allemande s’est mise en travers de la voie. Grâce à des manœuvres compliquées dans lesquelles la ruse se mêle à la bêtise, elle a paralysé l’énergie du prolétariat pour le détourner de la conquête du pouvoir qui était son but naturel et nécessaire.

La social-démocratie s’était évertuée pendant des dizaines d’années à conquérir la confiance des ouvriers, pour, ensuite, au moment décisif, quand le sort de la société bourgeoise était en jeu, mettre toute son autorité au service des exploiteurs.

La trahison du libéralisme et la faillite de la démocratie bourgeoise sont des épisodes insignifiants en comparaison de la trahison monstrueuse des partis socialistes. Le rôle de l’Église elle-même, cette station électrique centrale du conservatisme, comme l’a définie Lloyd George, pâlit devant le rôle anti-socialiste de la 2e Internationale.

La social-démocratie a voulu justifier sa trahison envers la révolution pendant la guerre par la formule de défense nationale. Elle couvre sa politique contre-révolutionnaire, après la conclusion de la paix, avec la formule de démocratie. Défense nationale et démocratie, voilà les formules solennelles de capitulation du prolétariat devant la volonté de la bourgeoisie.

Mais la chute ne s’arrête pas là. Continuant sa politique de défense du régime capitaliste, la social-démocratie est obligée, à la remorque de la bourgeoise, de fouler aux pieds la « défense nationale » et la « démocratie ». Scheidemann et Ebert baisent les mains de l’impérialisme français dont ils réclament l’appui contre la révolution soviétique. Noske incarne la terreur blanche et la contre-révolution bourgeoise.

Albert Thomas se transforme en commis de la Ligue des Nations, cette honteuse agence de l’impérialisme. Vandervelde, éloquente image de la fragilité de la 2e Internationale dont il était le chef, devient ministre du roi, collègue du calotin Delacrois, défenseur des prêtres catholiques belges et avocat des atrocités capitalistes commises sur les nègres du Congo.

Henderson, qui singe les grands hommes de la bourgeoisie, qui figure à tour de rôle comme ministre du roi et représentant de l’opposition ouvrière de Sa Majesté ; Tom Shaw qui réclame du gouvernement soviétique des preuves irréfutables comme quoi le gouvernement de Londres est composé d’escrocs, de bandits et de parjures, que sont donc tous ces messieurs, sinon les ennemis jurés de la classe ouvrière ?

Renner et Seitz, Niemets et Tousar, Troelstra et Branting, Daszinsky et Tchkéidzé, chacun d’eux traduit, dans la langue de sa petite bourgeoisie malhonnête, la faillite de la 2e Internationale.

Karl Kautsky enfin, ex-théoricien de la 2e Internationale et ex-marxiste, devient le conseiller ânonnant attitré de la presse jaune de tous les pays.

Sous l’impulsion des masses, les éléments plus élastiques du vieux socialisme, sans pour cela changer de nature, changent de tournure et de couleur, rompent ou s’apprêtent à rompre avec la 2e Internationale, battant en retraite comme toujours devant toute action de masse et révolutionnaire et même devant tout prélude sérieux de l’action.

Pour caractériser et, en même temps, pour confondre les acteurs de cette mascarade, il suffit de dire que le parti socialiste polonais qui a pour chef Daszinsky et pour patron Pilsudsky, le parti du cynisme bourgeois et du fanatisme chauvin, déclare se retirer de la 2e Internationale.

L’élite parlementaire dirigeante du parti socialiste français qui vote actuellement contre le budget et contre le traité de Versailles, reste au fond un des piliers de la république bourgeoise. Ses gestes d’opposition vont, de temps en temps juste assez loin pour ne pas ébranler la demi-confiance des milieux les plus conservateurs parmi le prolétariat.

Dans les questions capitales de la lutte de classe, le socialisme parlementaire français continue de tromper la volonté de la classe ouvrière, en lui suggérant que le moment actuel n’est pas propice à la conquête du pouvoir, parce que la France est trop appauvrie de même qu’hier il était défavorable à cause de la guerre, comme à la veille de la guerre c’était la prospérité industrielle qui y faisait obstacle et, auparavant, la crise industrielle. À côté du socialisme parlementaire et sur le même plan siège le syndicalisme bavard et trompeur des Jouhaux et Cie.

La création d’un parti communiste fort et trempé par l’esprit d’unité et de discipline en France est une question de vie ou de mort pour le prolétariat français.

La nouvelle génération des ouvriers allemands fait son éducation et puise sa force dans les grèves et les insurrections.

Son expérience lui coûte d’autant plus de victimes que le Parti Socialiste Indépendant continuera de subir l’influence des conservateurs social-démocrates et des routiniers qui se remémorent la social-démocratie des temps de Bebel, qui ne comprennent rien au caractère de l’époque révolutionnaire actuelle, tremblent devant la guerre civile et la terreur révolutionnaire, se laissent aller au courant des événements, dans l’attente du miracle qui doit venir en aide à leur incapacité.

C’est dans le feu de la lutte que le parti de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht enseigne aux ouvriers allemands où se trouve le bon chemin.

Parmi le mouvement ouvrier anglais la routine est telle qu’on n’a pas encore senti en Angleterre le besoin de changer son fusil d’épaule : les chefs du parti ouvrier britannique s’entêtent à vouloir rester dans les cadres de la 2e Internationale.

Tandis que le cours des événements des dernières années, en rompant la stabilité de la vie économique dans l’Angleterre conservatrice, a rendu les masses travailleuses on ne peut plus aptes à assimiler le programme révolutionnaire, la mécanique officielle de la nation bourgeoise avec son pouvoir royal, sa Chambre des lords, sa Chambre des Communes, son Église, ses trade-unions, son parti ouvrier, George V, l’évêque de Canterbury et Henderson, reste intacte comme un frein automatique puissant contre le développement.

Il n’y a que le parti communiste affranchi de la routine et de l’esprit de secte, intimement lié aux grandes organisations ouvrières qui peut opposer l’élément prolétarien à cette élite officielle.

En Italie, où la bourgeoisie reconnaît franchement que le sort du pays se trouve désormais, en fin de compte, entre les mains du parti socialiste, la politique de l’aile droite représentée par Turati s’efforce de faire rentrer le torrent de la révolution prolétarienne dans l’ornière des réformes parlementaires. C’est dans ce sabotage intérieur que réside actuellement le plus grand danger.

Prolétaires d’Italie, songez à la Hongrie dont l’exemple est entré dans l’histoire pour rappeler malheureusement que dans la lutte pour le pouvoir, comme pendant l’exercice du pouvoir, le prolétariat doit rester intrépide, rejeter tous les éléments équivoques et faire impitoyablement justice de toutes les tentatives de trahison !

Les catastrophes militaires, suivies d’une crise économique redoutable, inaugurent un nouveau chapitre dans le mouvement ouvrier des États-Unis et dans les autres pays du continent américain. La liquidation du charlatanisme et de l’impudence du wilsonisme, c’est la liquidation par le fait même de ce socialisme américain, mélange d’illusions pacifistes et d’activité mercantile, dont le trade-unionisme gauche des Gompers et Cie, est le couronnement.

L’union étroite des partis ouvriers révolutionnaires et des organisations prolétariennes du continent américain, de la presqu’île de l’Alaska au cap Horn, en une section américaine compacte de l’Internationale, en face de l’impérialisme tout puissant et menaçant des États-Unis, voilà le problème qui doit être réalisé dans la lutte contre toutes les forces mobilisées par le dollar pour sa défense.

Les socialistes de gouvernement et leurs consorts de tous les pays ont eu beaucoup de raisons pour accuser les communistes de provoquer, par leur tactique intransigeante, l’activité de la contre-révolution dont ils contribuent à resserrer les rangs. Cette inculpation politique n’est pas autre chose qu’une réédition tardive des plaintes du libéralisme. Ce dernier précisément affirmait que la lutte spontanée du prolétariat pousse les privilégiés dans le camp de la réaction. C’est une vérité incontestable.

Si la classe ouvrière ne s’attaquait pas aux fondements de la domination de la bourgeoisie, celle-ci n’aurait pas besoin de répressions.

L’idée même de contre-révolution n’existerait pas si l’histoire ne connaissait pas de révolution. Si les insurrections du prolétariat entraînent fatalement l’union de la bourgeoisie pour la défense et la contre-attaque, cela ne prouve qu’une chose, c’est que la révolution est la lutte de deux classes irréconciliables qui ne peut aboutir qu’au triomphe définitif de l’une sur l’autre.

Le communisme récuse avec mépris la politique qui consiste à maintenir les masses dans la stagnation, en leur faisant redouter la massue de la contre-révolution.

À l’incohérence et au chaos du monde capitaliste dont les derniers efforts menacent d’engloutir toute la civilisation humaine, l’Internationale Communiste oppose la lutte combinée du prolétariat mondial, pour la destruction de la propriété particulière comme instrument de production, et pour la reconstruction d’une économie nationale et mondiale fondée sur un plan économique unique, établi et réalisé par la société solidaire des producteurs.

En groupant sous le drapeau de la dictature du prolétariat et du système soviétique de l’état les millions de travailleurs de toutes les parties du monde, l’Internationale Communiste lutte obstinément pour organiser et pour purifier ses propres éléments.

L’Internationale Communiste, c’est le parti de l’insurrection du prolétariat mondial révolutionné. Elle rejette toutes les organisations et les partis qui, sous une forme ouverte ou voilée, endorment, démoralisent et énervent le prolétariat, en l’exhortant à s’incliner devant les fétiches dont se pare la dictature de la bourgeoisie : la légalité, la démocratie, la défense nationale, etc…

L’Internationale Communiste ne peut pas non plus tolérer dans ses rangs les organisations qui, tout en inscrivant dans leur programme la dictature du prolétariat, persistent à mener une politique qui s’entête à chercher une solution pacifique à la crise historique. Ce n’est pas résoudre la question que de reconnaître le système soviétique. L’organisation soviétique ne renferme pas une vertu miraculeuse.

Cette vertu révolutionnaire réside dans le prolétariat lui-même. Il faut que celui-ci n’hésite pas à se soulever et à conquérir le pouvoir et alors seulement l’organisation soviétique manifestera ses qualités et restera pour lui l’arme la plus efficace.

L’Internationale Communiste prétend expulser des rangs du mouvement ouvrier tous les chefs qui sont liés directement ou indirectement par une collaboration politique avec la bourgeoisie.

Ce qu’il nous faut, ce sont des chefs qui n’aient pour la société bourgeoise qu’une haine mortelle, qui organisent le prolétariat en vue d’une lutte impitoyable, qui soient prêts à mener au combat l’armée des insurgés, qui ne s’arrêtent pas à mi-chemin quoiqu’il arrive et qui ne craignent pas de recourir à des mesures de répression impitoyables contre tous ceux qui tenteront par la force de les contrecarrer.

L’Internationale Communiste, c’est le parti international de l’insurrection et de la dictature prolétariennes. Pour elle, il n’existe pas d’autres buts ni d’autres problèmes que ceux de la classe ouvrière. Les prétentions des petites sectes dont chacune veut sauver la classe ouvrière à sa manière, sont étrangères et contraires à l’esprit de l’Internationale Communiste.

Elle ne possède pas la panacée universelle, le remède infaillible à tous les maux ; elle tire leçon de l’expérience de la classe ouvrière dans le passé et dans le présent, cette expérience lui sert à réparer ses fautes et ses omissions ; elle en tire un plan général et elle ne reconnaît et n’adopte que les formules révolutionnaires qui sont celles de l’action de masse.

Organisation professionnelle, grève économique et politique, boycottage, élections parlementaires et municipales, tribune parlementaire, propagande légale et illégale, organisations secrètes au sein de l’armée, travail coopératif, barricades, l’Internationale Communiste ne repousse aucune des formes d’organisation ou de lutte créées au cours du développement du mouvement ouvrier, mais aussi elle n’en consacre aucune en qualité de panacée universelle.

Le système des Soviets n’est pas uniquement un principe abstrait que les communistes veulent opposer au système parlementaire. Les Soviets sont un appareil du pouvoir prolétarien qui, après la lutte et seulement par le moyen de cette lutte, doit remplacer le parlementarisme.

Tout en combattant de la façon la plus décidée contre le réformisme des syndicats, contre le carriérisme et le crétinisme des parlements, l’Internationale Communiste ne laisse pas de condamner le fanatisme de ceux qui invitent les prolétaires à quitter les rangs d’organisations syndicales comptant des millions de membres et à tourner le dos aux institutions parlementaires et municipales.

Les communistes en aucune façon ne se détournent des masses dupées et vendues par les réformistes et les patriotes, mais ils acceptent la lutte avec eux, au sein même des organisations de masses et des institutions créées par la société bourgeoise, de façon à pouvoir renverser celle-ci rapidement et à coup sûr.

Pendant que, sous l’égide de la 2e internationale, les systèmes d’organisation de classe et les moyens de lutte presque exclusivement légaux se sont trouvés, en fin de compte, assujettis au contrôle et à la direction de la bourgeoisie et que la classe révolutionnaire a été musclée par les agents réformistes, l’Internationale Communiste tout au contraire arrache d’entre les mains de la bourgeoisie les guides qu’elle avait accaparées, prend sur soi l’organisation du mouvement ouvrier, le rassemble sous un commandement révolutionnaire et, aidée par lui, propose au prolétariat un but unique, à savoir : la prise du pouvoir pour la destruction de l’état bourgeois et la constitution d’une société communiste.

Au cours de toute son activité, qu’il soit instigateur d’une grève de protestation, chef d’une organisation clandestine, secrétaire d’un syndicat, propagandiste dans les meetings ou député au parlement, pionnier de la coopération ou soldat à la barricade, le communiste se doit de rester fidèle, c’est-à-dire qu’il doit être soumis à la discipline du parti, lutteur infatigable, ennemi mortel de la société capitaliste, de ses bases économiques, de ses formes administratives, de son mensonge démocratique, de sa religion et de sa morale ; il doit être le défenseur plein d’abnégation de la révolution prolétarienne et l’infatigable champion de la société nouvelle.

Ouvriers et ouvrières !

Il n’y a sur la terre qu’un seul drapeau qui mérite que l’on combatte et qu’on meure sous ses plis, c’est le drapeau de l’Internationale Communiste !

SIGNÉ :

RUSSIE : N. Lénine, G. Zinoviev, N. Boukharine, L. Trotsky.
ALLEMAGNE : P. Lévi, E. Meyer, Y. Walcher, R. Wolfstein.
FRANCE : Rosmer, Jacques Sadoul, Henri Guilbeaux.
ANGLETERRE : Tom Quelch, Gallacher, Silvya Pankhurst, Mas
AMÉRIQUE (E.-U.) : Fleen, A. Frayna, A. Bilan, J. Reed.
ITALIE : D.M. Serrati, N. Bombacci, Graziadei, A. Bordiga.
NORVÈGE : Frys, Shaefflo, A. Madsen.
SUÈDE : K. Dalstroem, Samuelson, Winberg.
DANEMARK : O. Jorgenson, M. Nilsen.
HOLLANDE : Wijncup, Jansen, Van Leuve.
BELGIQUE : Van Overstraeten.
ESPAGNE : Pestaña.
SUISSE : Herzog, J. Humbert-Droz.
HONGRIE : Racoczy, A. Roudnyansky, Varga.
GALICIE : Levitsky.
POLOGNE : J. Marchlevsky.
LATVIE : Stoutclika, Krastjyn.
LITHUANIE : Mitzkévich-Kapsukas.
TCHÉCOSLOVAQUIE : Vanek, Gula, Zapototsky.
ESTONIE : R. Wakman, G. Poegelman.
FINLANDE : I. Rakhia, Letonmiaky, K. Manner.
BULGARIE : Kabaktchiev, Maximov, Chabline.
YOUGOSLAVIE : Milkitch.
GÉORGIE : M. Tsakiah.
ARMÉNIE : Nazaritian.
TURQUIE : Nichad.
PERSE : Sultan-Zadé.
INDE : Atcharia, Sheffik.
INDES-NÉERLANDAISES : Maring.
CHINE : Laou-Siou-Tchéou.
CORÉE : Pak Djinchoun, Him Houlin.

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de l’Internationale communiste

Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le Parti Communiste et le parlementarisme

I. — LA NOUVELLE ÉPOQUE
ET LE NOUVEAU PARLEMENTARISME

L’attitude des partis socialistes à l’égard du parlementarisme consistait à l’origine, à l’époque de la Première Internationale, à utiliser les Parlements bourgeois pour l’agitation. On envisageait la participation à l’action parlementaire du point de vue du développement de la conscience de classe, c’est-à-dire de l’éveil de l’hostilité des classes prolétariennes contre les classes dirigeantes. Cette attitude se modifia, non sous l’influence d’une théorie, mais sous celle du progrès politique. Par suite de l’augmentation incessante des forces productrices et de l’élargissement du domaine de l’exploitation capitaliste, le capitalisme et, avec lui, les États parlementaires acquirent une stabilité durable.

De là, l’adaptation de la tactique parlementaire des partis socialistes à l’action législative « organique » des Parlements bourgeois et l’importance toujours croissante de la lutte pour l’introduction des réformes dans les cadres du capitalisme, la prédominance du programme minimum des partis socialistes, la transformation du programme maximum en une plate-forme destinée aux discussions sur un « but final » éloigné. Sur cette base se développèrent l’arrivisme parlementaire, la corruption, la trahison ouverte ou camouflée des intérêts primordiaux de la classe ouvrière.

L’attitude de la 3e Internationale envers le parlementarisme n’est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. À l’époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l’impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d’actes de brigandage, œuvres de l’impérialisme ; les réformes parlementaires, dépourvues d’esprit de suite et de stabilité et conçues sans plan d’ensemble, ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses.

Le parlementarisme a perdu sa stabilité de même que toute la société bourgeoise. La transition de la période organique à la période critique crée une nouvelle base à la tactique du prolétariat dans le domaine parlementaire. C’est ainsi que le parti ouvrier russe (le parti bolchevik) détermina déjà les bases du parlementarisme révolutionnaire à l’époque antérieure, la Russie ayant perdu depuis 1905 son équilibre politique et social et étant entrée dès lors dans une période de tourmentes et de bouleversements.

Quand des socialistes, aspirant au communisme, soulignent que l’heure de la révolution n’est pas encore venue dans leurs pays et se refusent à se séparer des opportunistes parlementaires, ils procèdent, au fond, d’une représentation, consciente ou inconsciente, de la période qui s’ouvre, considérée comme une période de stabilité relative de la société impérialiste et pensent pour cette raison qu’une collaboration avec les Turati et les Longuet peut donner sur cette base des résultats pratiques dans la lutte pour les réformes.

Le communisme doit prendre pour point de départ l’étude théorique de notre époque (apogée du capitalisme, tendances de l’impérialisme à sa propre négation et à sa propre destruction, aggravation continue de la guerre civile, etc…). Les formes des relations politiques et des groupements peuvent différer dans les divers pays, mais le fond des choses reste le même partout : il s’agit pour nous de la préparation immédiate, politique et technique, du soulèvement prolétarien qui doit détruire le pouvoir bourgeois et établir le nouveau pouvoir prolétarien.

Pour les communistes, le Parlement ne peut être en aucun cas, à l’heure actuelle, le théâtre d’une lutte pour des réformes et pour l’amélioration de la situation de la classe ouvrière, comme il arriva à certains moments, à l’époque antérieure. Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement définitivement sorti du Parlement. D’autre part, la bourgeoisie est obligée, par ses rapports avec les masses laborieuses et aussi par suite des rapports complexes existant au sein des classes bourgeoises, de faire approuver de diverses façons certaines de ses actions par le Parlement, où les coteries se disputent le pouvoir, manifestent leurs forces et leurs faiblesses, se compromettent, etc…

Aussi le devoir historique immédiat de la classe ouvrière est-il d’arracher ces appareils aux classes dirigeantes, de les briser, de les détruire et de leur substituer les nouveaux organes du pouvoir prolétarien. L’état-major révolutionnaire de la classe ouvrière est d’ailleurs profondément intéressé à avoir dans les institutions parlementaires de la bourgeoisie des éclaireurs qui faciliteront son œuvre de destruction. On voit clairement dès lors la différence essentielle entre la tactique des communistes allant au Parlement à des fins révolutionnaires, et celle du parlementarisme socialiste qui commence par reconnaître la stabilité relative, la durée indéfinie du régime. Le parlementarisme socialiste se donne pour tâche d’obtenir à tout prix des réformes ; il est intéressé à ce que chaque conquête soit mise par les masses au compte du parlementarisme socialiste (Turati, Longuet et Cie).

Le vieux parlementarisme d’adaptation est remplacé par un parlementarisme nouveau, qui est l’un des moyens de détruire le parlementarisme en général. Mais les traditions écœurantes de l’ancienne tactique parlementaire rapprochent certains éléments révolutionnaires des antiparlementaires par principe (les I.W.W., les syndicalistes révolutionnaires, le Parti ouvrier communiste d’Allemagne).

Considérant cette situation, le 2e Congrès de l’Internationale Communiste arrive aux conclusions suivantes :

II. — LE COMMUNISME,
LA LUTTE POUR LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT ET « POUR L’UTILISATION » DU PARLEMENT BOURGEOIS

1. Le parlementarisme de gouvernement est devenu la forme « démocratique » de la domination de la bourgeoisie, à laquelle il faut, à un moment donné de son développement, une fiction de représentation populaire exprimant en apparence la « volonté du peuple » et non celle des classes, mais constituant en réalité, aux mains du Capital régnant, un instrument de coercition et d’oppression.

2. Le parlementarisme est une forme déterminée de l’État. Aussi ne convient-il en aucune façon à la société communiste, qui ne connaît ni classes, ni lutte de classes, ni pouvoir gouvernemental d’aucune sorte.

3. Le parlementarisme ne peut pas être non plus la forme du gouvernement « prolétarien » dans la période de transition de la dictature de la bourgeoisie à la dictature du prolétariat. Au moment le plus grave de la lutte de classes, lorsque celle-ci se transforme en guerre civile, le prolétariat doit bâtir inévitablement sa propre organisation gouvernementale, considérée comme une organisation de combat dans laquelle les représentants des anciennes classes dominantes ne seront pas admis ; toute fiction de volonté populaire est, au cours de cette phase, nuisible au prolétariat ; celui-ci n’a nul besoin de la séparation parlementaire des pouvoirs, qui ne pourrait que lui être néfaste ; la République des Soviets est la forme de la dictature du prolétariat.

4. Les Parlements bourgeois, constituant un des principaux appareils de la machine gouvernementale de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l’État bourgeois, en général. La tâche du prolétariat consiste à faire sauter la machine gouvernementale de la bourgeoisie, à la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des Républiques ou celles des monarchies constitutionnelles.

5. Il en est de même des institutions municipales ou communales de la bourgeoisie, qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux. A la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie : elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les Soviets de députés ouvriers.

6. Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future ; il se refuse à y voir la forme de la dictature de classe du prolétariat ; il nie la possibilité de la conquête durable des Parlements ; il se donne pour but l’abolition du parlementarisme. Il ne peut dès lors être question de l’utilisation des institutions gouvernementales bourgeoises qu’en vue de leur destruction. C’est dans ce sens et uniquement dans ce sens que la question peut être posée.

7. Toute lutte de classes est une lutte politique, car elle est, en fin de compte, une lutte pour le pouvoir. Toute grève, étendue à un pays entier, devient une menace pour l’État bourgeois et acquiert par là même un caractère politique. S’efforcer de renverser la bourgeoisie et de détruire l’État bourgeois, c’est soutenir une lutte politique. Nous devons créer un appareil de gouvernement et de coercition prolétarien, de classe, contre la bourgeoisie réfractaire ; c’est, quel que soit cet appareil, conquérir le pouvoir politique.

8. La lutte politique ne se réduit donc nullement à une question d’attitude envers le parlementarisme. Elle embrasse toute la lutte de la classe du prolétariat, pour autant que cette lutte cesse d’être locale et partielle et tend au renversement du régime capitaliste en général.

9. La méthode fondamentale de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, c’est-à-dire contre son pouvoir gouvernemental, est avant tout celle des actions en masse. Ces dernières sont organisées et dirigées par les organisations de masse du prolétariat (syndicats, partis, soviets), sous la conduite générale du Parti communiste, solidement uni, discipliné et centralisé. La guerre civile est une guerre. Dans cette guerre, le prolétariat doit avoir de bons cadres politiques et un bon état-major politique dirigeant toutes les opérations dans tous les domaines de l’action.

10. La lutte des masses constitue tout un système d’actions en voie de développement, qui s’avivent par leur forme même et mènent logiquement à l’insurrection contre l’État capitaliste. Dans cette lutte de masse, appelée à se transformer en guerre civile, le parti dirigeant du prolétariat doit, en règle générale, fortifier toutes ses positions légales, en faire des points d’appui secondaires de son action révolutionnaire et les subordonner au plan de la campagne principale, c’est-à-dire à la lutte des masses.

11. La tribune du Parlement bourgeois est un de ces points d’appui secondaires. On ne peut pas invoquer contre l’action parlementaire, la qualité bourgeoise de l’institution même. Le Parti communiste y entre non pour s’y livrer à une action organique, mais pour saper de l’intérieur la machine gouvernementale et le Parlement (exemples : l’action de Liebknecht en Allemagne, celle des bolcheviks à la Douma du tsar, à la « Conférence démocratique » et au « Pré-parlement » de Kérensky, à l’Assemblée constituante, dans les municipalités ; enfin, l’action des communistes bulgares).

12. Cette action parlementaire, qui consiste surtout à user de la tribune parlementaire à des fins d’agitation révolutionnaire, à dénoncer les manœuvres de l’adversaire, à grouper autour de certaines idées les masses qui, surtout dans les pays arriérés, considèrent la tribune parlementaire, avec de grandes illusions démocratiques, doit être totalement subordonnée aux buts et aux tâches de la lutte extra-parlementaire des masses.

La participation aux campagnes électorales et la propagande révolutionnaire du haut de la tribune parlementaire ont une signification particulière pour la conquête politique des milieux de la classe ouvrière qui, comme les masses laborieuses rurales, sont demeurés jusqu’à présent à l’écart du mouvement révolutionnaire et de la politique.

13. Les communistes, s’ils obtiennent la majorité dans les municipalités, doivent :

a) former une opposition révolutionnaire à l’égard du pouvoir central de la bourgeoisie ;

b) s’efforcer par tous les moyens de rendre service à la partie la plus pauvre de la population (mesures économiques, création ou tentative de création d’une milice ouvrière armée, etc…) ;

c) révéler en toute occasion les obstacles suscités par l’État bourgeois contre toute réforme radicale ;

d) développer sur cette base une propagande révolutionnaire énergique, sans craindre le conflit avec le pouvoir bourgeois ;

e) remplacer, dans certaines circonstances, les municipalités par des Soviets de députés ouvriers. Toute l’action des communistes dans les municipalités doit donc s’intégrer dans l’œuvre générale de désagrégation du système capitaliste ;

14. La campagne électorale elle-même doit être menée, non dans le sens de l’obtention du maximum de mandats parlementaires, mais dans celui de la mobilisation des masses sous les mots d’ordre de la révolution prolétarienne. La lutte électorale ne doit pas être le fait des seuls dirigeants du Parti, l’ensemble des membres du Parti doit y prendre part ; tout mouvement des masses doit être utilisé (grèves, manifestations, effervescence dans l’armée et la flotte, etc…) ; on établira avec ce mouvement un contact étroit ; l’activité des organisations prolétariennes de masse sera sans cesse stimulée.

15. Ces conditions et celles qui sont indiquées dans une instruction spéciale étant observées, l’action parlementaire se trouve en complète opposition avec l’écœurante petite politique des partis socialistes de tous les pays, dont les députés vont au Parlement pour soutenir cette institution « démocratique », et, dans le meilleur des cas, pour la « conquérir ». Le Parti communiste ne peut admettre que l’utilisation exclusivement révolutionnaire du parlementarisme, à la manière de Karl Liebknecht, de Hoeglund et de bolcheviks.

III. AU PARLEMENT

16. « L’antiparlementarisme » de principe, conçu comme le refus absolu et catégorique de participer aux élections et à l’action parlementaire révolutionnaire, n’est donc qu’une doctrine enfantine et naïve ne résistant pas à la critique, résultat parfois d’une saine aversion pour les politiciens parlementaires, mais qui n’aperçoit pas, par ailleurs, la possibilité du parlementarisme révolutionnaire. Il arrive, de plus, que cette opinion se base sur une notion tout à fait erronée du rôle du Parti, considéré non comme l’avant-garde ouvrière centralisée et organisée pour le combat, mais comme un système décentralisé de groupes mal reliés entre eux.

17. D’un autre côté, la nécessité d’une participation effective à des élections et à des assemblées parlementaires données ne découle nullement de la reconnaissance en principe de l’action révolutionnaire au Parlement. Tout dépend ici d’une série de conditions spécifiques. La sortie des communistes du Parlement peut devenir nécessaire à un moment donné. C’était le cas, lorsque les bolchéviks se retirèrent du Pré-parlement de Kérensky, afin de le torpiller, de le rendre du coup impuissant et de lui opposer plus nettement le Soviet de Pétrograd à la veille de se mettre à la tête de l’insurrection ; c’était le cas, lorsque les bolchéviks reportèrent le centre de gravité des événements politiques au 3e Congrès des Soviets. En d’autres circonstances, le boycottage les élections peut s’imposer, ou l’anéantissement immédiat, par la force, de l’État bourgeois et de la coterie bourgeoise ; ou encore la participation aux élections coïncidant avec le boycottage du Parlement même, etc…

18. Reconnaissant ainsi, en règle générale, la nécessité de participer aux élections parlementaires et municipales et de travailler dans les Parlements et les municipalités, le Parti communiste doit trancher la question selon le cas concret, en s’inspirant des particularités spécifiques de la situation. Le boycottage des élections ou du Parlement, de même que la sortie du Parlement, sont surtout admissibles en présence de conditions permettant le passage immédiat à la lutte armée pour la conquête du pouvoir.

19. Il est indispensable d’avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question. Le centre de gravité étant dans la lutte extra-parlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l’utilisation du parlementarisme.

20. C’est pourquoi l’Internationale communiste affirme de la façon la plus catégorique qu’elle considère comme une faute grave envers le mouvement ouvrier toute scission ou tentative de scission provoquée au sein du Parti communiste par cette question et uniquement par cette question. Le Congrès invite tous les partisans de la lutte de masse pour la dictature du prolétariat, sous la direction d’un parti centralisé sur toutes les organisations de la classe ouvrière, à réaliser l’unité complète des éléments communistes, en dépit des divergences de vues possibles quant à l’utilisation des Parlements bourgeois.

IV. — LA TACTIQUE RÉVOLUTIONNAIRE

Les mesures suivantes s’imposent afin de garantir l’application effective d’une tactique révolutionnaire au Parlement :

1. Le Parti communiste dans son ensemble et son Comité central s’assurent, dès la période préparatoire qui précède les élections, de la sincérité et de la valeur communiste des membres du groupe parlementaire communiste ; il a le droit indiscutable de récuser tout candidat désigné par une organisation, s’il n’a pas la conviction que ce candidat fera une politique véritablement communiste.

Les partis communistes doivent renoncer à la vieille habitude social-démocrate de faire exclusivement élire des parlementaires « expérimentés », et surtout des avocats. De règle, les candidats seront pris parmi les ouvriers : on ne craindra pas de désigner de simples membres du Parti sans grande expérience parlementaire.

Les partis communistes doivent repousser avec un mépris impitoyable les arrivistes qui viennent à eux, à seule fin d’entrer au Parlement. Les Comités centraux ne doivent approuver que les candidatures d’hommes qui, de longues années durant, ont donné des preuves indiscutables de leur dévouement à la classe ouvrière.

2. Les élections achevées, il appartient exclusivement au Comité central du Parti communiste d’organiser le groupe parlementaire, que le Parti soit à ce moment légal ou illégal. Le choix du président et des membres du bureau du groupe parlementaire doit être approuvé par le Comité central. Le Comité central du Parti aura au groupe parlementaire un représentant permanent jouissant du droit de veto. Sur toutes les questions politiques importantes, le groupe parlementaire est tenu de demander les directives préalables du Comité central.

Le Comité central a le droit et le devoir de désigner ou de récuser les orateurs du groupe appelés à intervenir sur des questions importantes et d’exiger que les thèses ou le texte complet de leurs discours, etc…, soient soumis à son approbation. Tout candidat porté sur la liste communiste signe l’engagement officiel de résigner son mandat à la première injonction du Comité central, afin que le Parti ait toujours la possibilité de le remplacer.

3. Dans les pays où des réformistes, des demi-réformistes, voire simplement des arrivistes ont déjà réussi à s’introduire dans le groupe parlementaire communiste (c’est déjà le cas pour plusieurs pays), les Comités centraux des partis communistes sont tenus de procéder à une épuration radicale de ces groupes, en s’inspirant du principe qu’un groupe parlementaire peu nombreux, mais vraiment communiste sert beaucoup mieux les intérêts de la classe ouvrière qu’un groupe nombreux sans ferme politique communiste.

4. Tout député communiste est tenu, sur décision du Comité central, d’unir le travail illégal au travail légal. Dans les pays où les députés communistes bénéficient encore, en vertu des lois bourgeoises, d’une certaine immunité parlementaire, cette immunité doit servir à l’organisation et à la propagande illégale du Parti.

5. Les députés communistes sont tenus de subordonner toute leur activité parlementaire à l’action extra-parlementaire du Parti. Le dépôt régulier de projets de loi purement démonstratifs conçus, non en vue de leur adoption par la majorité bourgeoise, mais pour la propagande, l’agitation et l’organisation, doit avoir lieu sur les indications du Parti et de son Comité central.

6. Le député communiste est tenu de se mettre en tête des masses prolétariennes, au premier rang, bien en vue, dans les manifestations et les actions révolutionnaires.

7. Les députés communistes sont tenus de nouer par tous les moyens (sous le contrôle du Parti) des relations épistolaires et autres avec les ouvriers, les paysans et les travailleurs révolutionnaires de toutes catégories, sans imiter en aucun cas les députés socialistes qui s’efforcent d’entretenir avec leurs électeurs des relations d’affaires. Ils sont à tout moment à la disposition des organisations communistes pour le travail de propagande dans le pays.

8. Tout député communiste au Parlement est tenu de se rappeler qu’il n’est pas un « législateur » cherchant un langage commun avec d’autres législateurs, mais un agitateur du Parti envoyé chez l’ennemi pour appliquer les décisions du Parti. Le député communiste est responsable non devant la masse anonyme des électeurs, mais devant le Parti communiste légal et illégal.

9. Les députés communistes doivent tenir au Parlement un langage intelligible à l’ouvrier, au paysan, à la blanchisseuse, au pâtre, de façon que le Parti puisse éditer leurs discours en tracts et les répandre dans les coins les plus reculés du pays.

10. Les ouvriers communistes du rang doivent, même s’ils n’en sont qu’à leurs débuts parlementaires, aborder sans crainte la tribune des Parlements bourgeois et ne point céder la place à des orateurs plus « expérimentés ». En cas de nécessité, les députés ouvriers liront simplement leurs discours, destinés à être reproduits par la presse et en tracts.

11. Les députés communistes sont tenus d’utiliser la tribune parlementaire pour démasquer non seulement la bourgeoisie et sa valetaille officielle, mais aussi les social-patriotes, les réformistes, les politiciens équivoques du centre et, de façon générale, les adversaires du communisme, et, aussi, en vue de propager largement les idées de la 3e Internationale.

12. Les députés communistes, n’y en aurait-il qu’un ou deux, sont tenus de jeter, par toute leur attitude, le défi au capitalisme et de ne jamais oublier que celui-là seul est digne du nom de communiste qui se révèle, non verbalement, mais par des actes, l’ennemi de la société bourgeoise et de ses serviteurs social-patriotes.

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de l’Internationale communiste

Thèses sur la question agraire du second congrès de l’Internationale communiste

1. Le prolétariat industriel des villes, dirigé par le Parti communiste, peut seul libérer les masses laborieuses des campagnes du joug des capitalistes et des propriétaires fonciers, de la désorganisation économique et des guerres impérialistes, qui recommenceront inévitablement si le régime capitaliste subsiste. Les masses laborieuses des campagnes ne pourront être libérées qu’à condition de prendre fait et cause pour le prolétariat communiste et de l’aider sans réserve dans sa lutte révolutionnaire pour le renversement du régime d’oppression des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie.

D’un autre côté, le prolétariat industriel ne pourra s’acquitter de sa mission historique mondiale, qui est l’émancipation de l’humanité du joug du capitalisme et des guerres, s’il se renferme dans les limites de ses intérêts particuliers et corporatifs et se borne placidement aux démarches et aux efforts tendant à l’amélioration de sa situation bourgeoise parfois très satisfaisante. C’est ainsi que se passent les choses dans nombre des pays avancés où existe une « aristocratie ouvrière », fondement des partis soi-disant socialistes de la 2e Internationale, mais en réalité ennemis mortels du socialisme, traîtres envers sa doctrine, bourgeois chauvins et agents des capitalistes parmi les travailleurs. Le prolétariat ne pourra jamais être une force révolutionnaire active, une classe agissant dans l’intérêt du socialisme, s’il ne se conduit pas comme une avant-garde du peuple laborieux que l’on exploite, s’il ne se comporte pas comme le chef de guerre à qui incombe la mission de le conduire à l’assaut des exploiteurs ; mais jamais cet assaut ne réussira si les campagnes ne participent à la lutte des classes, si la masse des paysans laborieux ne se joint pas au parti communiste prolétarien des villes et si, enfin, ce dernier ne l’instruit pas.

2. La masse des paysans laborieux que l’on exploite et que le prolétariat des villes doit conduire au combat, ou, tout au moins, gagner à sa cause, est représentée, dans tous les pays capitalistes, par :

1°) Le prolétariat agricole composé de journaliers ou valets de ferme, embauchés à l’année, à terme ou à la journée, et qui gagnent leur vie par leur travail salarié dans les diverses entreprises capitalistes d’économie rurale et industrielle. L’organisation de ce prolétariat en une catégorie distincte et indépendante des autres groupes de la population des campagnes (au point de vue politique, militaire, professionnel, coopératif, etc…), une propagande intense dans ce milieu, destinée à l’amener au pouvoir soviétique et à la dictature du prolétariat, telle est la tâche fondamentale des partis communistes dans tous les pays ;

2°) Les demi-prolétaires ou les paysans, travaillant en qualité d’ouvriers embauchés, dans diverses entreprises agricoles, industrielles ou capitalistes, ou cultivant le lopin de terre qu’ils possèdent ou louent et qui ne leur rapporte que le minimum nécessaire pour assurer l’existence de leur famille. Cette catégorie de travailleurs ruraux est très nombreuse dans les pays capitalistes ; les représentants de la bourgeoisie et les « socialistes » jaunes de la 2e Internationale, cherchent à dissimuler ses conditions d’existence véritables, particulièrement la situation économique ; tantôt en trompant sciemment les ouvriers, tantôt par suite de leur propre aveuglement, qui provient des idées routinières de la bourgeoisie ; ils confondent volontiers ce groupe avec la grande masse des « paysans ». Cette manœuvre, foncièrement bourgeoise, en vue de duper les ouvriers, est surtout pratiquée en Allemagne, en France, en Amérique, et dans quelques autres pays. En organisant bien le travail du Parti communiste, ce groupe social pourra devenir un fidèle soutien du communisme, car la situation de ces demi-prolétaires est très précaire et l’adhésion leur vaudra des avantages énormes et immédiats.

Dans certains pays, il n’existe pas de distinction claire entre ces deux premiers groupes ; il serait donc loisible, suivant les circonstances, de leur donner une organisation commune ;

3°) Les petits propriétaires, les petits fermiers qui possèdent ou louent de petits lopins de terre et peuvent satisfaire aux besoins de leur ménage et de leur famille sans embaucher des travailleurs salariés. Cette catégorie de ruraux a beaucoup à gagner à la victoire du prolétariat ; le triomphe de la classe ouvrière donne aussitôt à chaque représentant de ce groupe les biens et les avantages qui suivent :

a) Non-paiement du prix du bail et abolition du métayage (il en serait ainsi en France, en Italie, etc…) payés jusqu’à présent aux grands propriétaires fonciers ;

b) Abolition des dettes hypothécaires ;

c) Émancipation de l’oppression économique exercée par les grands propriétaires fonciers, laquelle se présente sous les aspects les plus divers (droit d’usage des bois et forêts, de friches, etc…) ;

d) Secours agricole spécial et financier immédiat du pouvoir prolétarien, notamment secours en outillage agricole ; octroi de constructions se trouvant sur le territoire de vastes domaines capitalistes expropriés par le prolétariat, transformation immédiate par le gouvernement prolétarien de toutes les coopératives rurales et des compagnies agricoles, qui n’étaient avantageuses sous le régime capitaliste qu’aux paysans riches et aisés, en organisations économiques ayant pour but de secourir, en premier lieu, la population pauvre, c’est-à-dire les prolétaires, les demi-prolétaires et les paysans pauvres.

Le Parti communiste doit aussi comprendre que pendant la période de transition du capitalisme au communisme, c’est-à-dire pendant la dictature du prolétariat, cette catégorie de la population rurale manifestera des hésitations plus ou moins sensibles et un certain penchant à la liberté du commerce et à la propriété privée ; car, nombre de ceux qui la composent faisant, au moins dans une petite mesure, le commerce des articles de première nécessité, sont déjà démoralisés par la spéculation et par leurs habitudes de propriété. Si, cependant, le gouvernement prolétarien réalise, dans cette question, une politique ferme et inexorable, et si le prolétariat vainqueur écrase sans merci les gros propriétaires fonciers et les paysans aisés, ces hésitations ne sauront être de longue durée et ne pourront modifier ce fait indubitable qu’en fin de compte le groupe dont il s’agit sympathise avec la révolution prolétarienne.

3. Ces trois catégories de la population rurale, prises ensemble, forment, dans tous les pays capitalistes, la majorité de la population. Le succès d’un coup d’État prolétarien, tant dans les villes que dans les villages, peut donc être considéré comme indiscutable et certain. L’opinion opposée est cependant très en faveur dans la société actuelle. En voici les raisons : elle ne se maintient qu’à force d’agissements trompeurs de la science : de la statistique bourgeoise qui cherche à voiler par tous les moyens en son pouvoir l’insondable abîme qui sépare ces classes rurales de leurs exploiteurs, les propriétaires fonciers et les capitalistes, ainsi que les demi-prolétaires et les paysans pauvres des paysans aisés ; cette opinion persiste grâce à la maladresse des héros de la 2e Internationale Jaune et de « l’aristocratie ouvrière » dépravée par les privilèges impérialistes, et à la mauvaise volonté qu’ils mettent à faire, parmi les paysans pauvres, une propagande prolétarienne et révolutionnaire vigoureuse et un bon travail d’organisation ; les opportunistes employaient et emploient toujours leurs efforts à imaginer diverses variétés d’accord pratiques et théoriques avec la bourgeoisie, y compris les paysans riches et aisés, et ne pensent nullement au renversement révolutionnaire du gouvernement bourgeois et de la bourgeoisie elle-même ; enfin, l’opinion dont il s’agit se maintient jusqu’ici grâce à un préjuge opiniâtre et, pour ainsi dire, inébranlable, parce qu’il se trouve étroitement uni à tous les autres préjugés du parlementarisme et de la bourgeoisie démocratique ; ce préjugé consiste dans la non-compréhension d’une vérité parfaitement démontrée par le marxisme théorique et suffisamment prouvée par l’expérience de la révolution prolétarienne russe ; cette vérité est que les trois catégories de la population rurale dont nous avons parlé, abruties, désunies, opprimées et vouées, dans les pays même les plus civilisés, à une existence demi-barbare, ont, par conséquent, un intérêt économique, social et intellectuel à la victoire du socialisme, mais ne peuvent néanmoins appuyer vigoureusement le prolétariat révolutionnaire qu’après la conquête du pouvoir politique, lorsqu’il aura fait justice des gros propriétaires fonciers et capitalistes mettant ainsi les masses rurales dans l’obligation de constater qu’elles ont, en lui, un chef et un défenseur organisé, assez puissant pour les diriger et leur montrer la bonne voie.

4. Les « paysans moyens » sont au point de vue économique de petits propriétaires ruraux qui possèdent ou prennent à terme, eux aussi, des lopins de terre peu considérables sans doute, mais leur permettant quand même, sous le régime capitaliste, non seulement de nourrir leur famille et d’entretenir en bon état leur petite propriété rurale, mais de réaliser encore un excédent de bénéfices, pouvant, tout au moins dans les années de bonne récolte, être transformé en économies relativement importantes ; ces paysans embauchent assez souvent des ouvriers (par exemple, deux ou trois ouvriers par entreprises) dont ils ont besoin pour toutes sortes de travaux. On pourrait citer ici l’exemple concret de « paysans moyens » d’un pays capitaliste avancé : ceux de l’Allemagne. Il y avait, en Allemagne, d’après le recensement de 1907, une catégorie de propriétaires ruraux possédant chacun de cinq à dix hectares, dans les propriétés desquels le nombre des ouvriers embauchés s’élevait presque au tiers du chiffre total des travailleurs des champs.

[Note : voici quelques chiffres exacts : Allemagne : propriétés rurales de 5 à 10 hectares, employant des ouvriers embauchés : 652 798 (sur 5 736 082), ouvriers salariés : 487 764, ouvriers mariés : 2 003 633. Autriche (recensement de 1910) : 383 351 propriétés rurales, dont 126.136 employant des travailleurs embauchés, ouvriers salariés : 146 044, ouvriers mariés : 1 265 969. Le nombre total des fermes en Autriche s’élève à 2 856 349.]

En France, où les cultures spéciales, comme la viticulture, sont plus développées, et où la terre demande beaucoup plus d’effort et de soins, les propriétés rurales de cette catégorie emploient probablement un nombre plus important de travailleurs salariés.

Pour son avenir le plus rapproché et pour toute la première période de sa dictature, le prolétariat révolutionnaire ne peut pas se donner comme tâche la conquête politique de cette catégorie rurale et doit se borner à sa neutralisation, dans la lutte qui se livre entre le prolétariat et la bourgeoisie. Le penchant de cette couche de la population tantôt vers un parti politique, tantôt vers un autre, est inévitable et, probablement, sera-t-il au commencement de la nouvelle époque et dans les pays foncièrement capitalistes, favorable à la bourgeoisie. Tendance d’ailleurs fort naturelle, l’esprit de propriété privée jouant chez elle un rôle prépondérant. Le prolétariat vainqueur améliorera immédiatement la situation économique de cette couche de la population en supprimant le système du bail, les dettes hypothécaires et en introduisant dans l’agriculture l’usage des machines et l’emploi de l’électricité. Cependant, dans la plupart des pays capitalistes, le pouvoir prolétarien ne devra pas abolir sur le champ et complètement le droit de propriété privée, mais il devra affranchir cette classe de toutes les obligations et impositions auxquelles elle est sujette de la part des propriétaires fonciers ; le pouvoir soviétique assurera aux paysans pauvres et d’aisance moyenne la possession de leurs terres, dont il cherchera même à augmenter la superficie, en mettant les paysans en possession de terres qu’ils affermaient autrefois (abolition du fermage).

Toutes ces mesures, suivies d’une lutte sans merci contre la bourgeoisie, assurera le succès complet de la politique de neutralisation. C’est avec la plus grande circonspection que le pouvoir prolétarien doit passer à l’agriculture collectiviste, progressivement, à force d’exemples, et sans la moindre mesure de coercition à l’égard des paysans « moyens ».

5. Les paysans riches et aisés sont les entrepreneurs capitalistes de l’agriculture ; ils cultivent habituellement leurs terres avec le concours des travailleurs salariés et ne sont rattachés à la classe paysanne que par leur développement intellectuel très restreint, par leur vie rustique et par le travail personnel qu’ils font en commun avec les ouvriers qu’ils embauchent. Cette couche de la population rurale est très nombreuse et représente en même temps l’adversaire le plus invétéré du prolétariat révolutionnaire. Aussi, tout le travail politique des partis communistes dans les campagnes doit-il se concentrer dans la lutte contre cet élément, pour émanciper la majorité de la population rurale laborieuse et exploitée, de l’influence morale et politique, si pernicieuse, de ces exploiteurs ruraux.

Il est bien possible que, dès la victoire du prolétariat dans les villes, ces éléments aient recours à des actes de sabotage et même à des prises d’armes, manifestement contre-révolutionnaires. Aussi, le prolétariat révolutionnaire devra-t-il commencer sur-le-champ la préparation intellectuelle et organisatrice de toutes les forces dont il aura besoin pour les désarmer et pour leur porter, tandis qu’il renversera le régime capitaliste et industriel, le coup de grâce. À cet effet, le prolétariat révolutionnaire des villes devra armer ses alliés ruraux et organiser, dans tous les villages des soviets où nul exploiteur ne sera admis et où les prolétaires et les demi-prolétaires seront appelés à jouer le rôle prépondérant. Même dans ce cas cependant, la tâche immédiate du prolétariat vainqueur ne devra pas comporter l’expropriation des grandes propriétés paysannes, parce que à ce moment même les conditions matérielles et, en partie, techniques et sociales, nécessaires à la socialisation des grandes propriétés, ne seront pas encore réalisées. Tout porte à croire que, dans certains cas isolés, des terres affermées ou strictement nécessaires aux paysans pauvres du voisinage seront confisquées ; on accordera également à ces derniers, l’usage gratuit, à certaines conditions toutefois, d’une partie de l’outillage agricole des propriétaires ruraux riches ou aisés. Mais, en règle générale, le pouvoir prolétarien devra laisser leurs terres aux paysans riches et aisés et ne s’en emparer que dans le cas d’une opposition manifeste à la politique et aux prescriptions du pouvoir des travailleurs. Cette ligne de conduite est nécessaire, l’expérience de la révolution prolétarienne russe, où la lutte contre les paysans riches et aisés traîne en longueur dans des conditions très complexes, ayant démontré que ces éléments de la population rurale, douloureusement frappés pour toutes leurs tentatives de résistance, même les moindres, sont pourtant capables de s’acquitter loyalement des travaux que leur confie l’État prolétarien et commencent même, quoique très lentement, à se pénétrer de respect envers le pouvoir qui défend tout travailleur et écrase impitoyablement le riche oisif.

Les conditions spéciales qui ont compliqué et retardé la lutte du prolétariat russe, vainqueur de la bourgeoisie, contre les paysans riches, dérivaient uniquement du fait qu’après l’événement du 25 octobre 1917, la révolution russe avait traversé une phase « démocratique » — c’est-à-dire, au fond, bourgeoise démocratique — de lutte des paysans contre les propriétaires fonciers ; on doit encore ces conditions spéciales à la faiblesse numérique et à l’état arriéré du prolétariat des villes et, enfin, à l’immensité du pays et au délabrement de ses voies de communication. Mais les pays avancés de l’Europe et de l’Amérique ignorent toutes ces causes de retard, et c’est pourquoi leur prolétariat révolutionnaire doit briser plus énergiquement, plus rapidement, avec plus de décision et beaucoup plus de succès, la résistance des paysans riches et aisés et leur ôter, à l’avenir, toute possibilité d’opposition. Cette victoire de la masse des prolétaires, des demi-prolétaires et des paysans, est absolument indispensable, et tant qu’elle n’aura pas été remportée, le pouvoir prolétarien ne pourra se considérer comme une autorité stable et ferme.

6. Le prolétariat révolutionnaire doit confisquer immédiatement et sans réserve toutes les terres appartenant aux grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire à toutes les personnes exploitant systématiquement, dans les pays capitalistes, que ce soit de façon directe ou par l’entremise de leurs fermiers, les travailleurs salariés, les paysans pauvres et même, assez souvent, les paysans moyens de la région, à tous les propriétaires qui ne participent aucunement au travail physique dans la plupart des cas, descendants des barons féodaux (nobles de Russie, d’Allemagne et de Hongrie, seigneurs restaurés de France, lords anglais, anciens possesseurs d’esclaves en Amérique), magnats de la haute finance ou, enfin, ceux qui sont issus de ces deux catégories d’exploiteurs et de fainéants.

Les partis communistes doivent s’opposer énergiquement à l’idée d’accorder une indemnité aux grands propriétaires fonciers expropriés et lutter contre toute propagande en ce sens ; les partis communistes ne doivent pas oublier que le versement d’une semblable indemnité serait une trahison envers le socialisme et une contribution nouvelle imposée aux masses exploitées, accablées par le fardeau de la guerre qui a multiplié le nombre des millionnaires et a accru leurs fortunes.

Dans les pays capitalistes avancés, l’Internationale Communiste estime qu’il serait bon et pratique de maintenir intactes les grandes propriétés agricoles et de les exploiter de la même façon que les « propriétés soviétiques » russes [Note : il serait bon de favoriser la création de domaines administrés par des collectivités (Communes)].

Quant à la culture des terres enlevées par le prolétariat vainqueur aux grands propriétaires fonciers, en Russie, elles étaient jusqu’à présent partagées entre les paysans ; c’est que le pays est très arriéré au point de vue économique. Dans des cas très rares le gouvernement prolétarien russe a maintenu en son pouvoir des propriétés rurales dites « soviétiques » et que l’État prolétarien exploite lui-même, en transformant les anciens ouvriers salariés en « délégués de travail » ou en membres de soviets.

La conservation des grands domaines sert mieux les intérêts des éléments révolutionnaires de la population, surtout des agriculteurs qui ne possèdent point de terres, des demi-prolétaires et des petits propriétaires qui vivent souvent de leur travail dans les grandes entreprises. En outre, la nationalisation des grands domaines rend la population urbaine moins dépendante à l’égard des campagnes au point de vue du ravitaillement.

Là où subsistent encore des vestiges du système féodal, où les privilèges des propriétaires fonciers engendrent des formes spéciales d’exploitation, où l’on voit encore le « servage » et le « métayage », il est nécessaire de remettre aux paysans une partie du sol des grands domaines.

Dans les pays où les grands domaines sont en nombre insignifiant, où un grand nombre de petits tenanciers demandent des terres, la distribution des grands domaines en lots peut être un moyen sûr pour gagner les paysans à la révolution, alors que la conservation de ces quelques grands domaines ne serait d’aucun intérêt pour les villes, au point de vue du ravitaillement.

La première et la plus importante tâche du prolétariat est de s’assurer une victoire durable. Le prolétariat ne doit pas redouter une baisse de la production, si cela est nécessaire, pour le succès de la révolution. Ce n’est qu’en maintenant la classe moyenne des paysans dans la neutralité et en s’assurant l’appui de la majorité, si ce n’est de la totalité, des prolétaires des campagnes, que l’on pourra assurer au pouvoir prolétarien une existence durable.

Toutes les fois que les terres des grands propriétaires fonciers seront distribuées, les intérêts du prolétariat agricole devront passer avant tout.

Tout l’outillage agricole et technique des grandes propriétés foncières et rurales doit être confisqué et remis à l’État, à condition toutefois, qu’après la distribution de cet outillage, en quantité suffisante, aux grandes propriétés rurales de l’État, les petits paysans puissent en profiter gratuitement, en se conformant aux règlements élaborés à ce sujet par le pouvoir prolétarien.

Si, tout au commencement de la révolution prolétarienne, la confiscation immédiate des grandes propriétés foncières, ainsi que l’expulsion ou l’internement de leurs propriétaires, leaders de la contre-révolution et oppresseurs impitoyables de toute la population rurale, sont absolument nécessaires, le pouvoir prolétarien doit tendre systématiquement, au fur et à mesure de la consolidation de sa position dans les villes et les campagnes, à l’utilisation des forces de cette classe, qui possède une expérience précieuse des connaissances et des capacités organisatrices, pour créer avec son concours, et sous le contrôle de communistes éprouvés, une vaste agriculture soviétique.

7. Le socialisme ne vaincra définitivement le capitalisme et ne sera à jamais affermi qu’au moment où le pouvoir gouvernemental prolétarien, ayant réprimé toute résistance des exploiteurs et assuré son autorité, aura réorganisé toute l’industrie sur la base d’une nouvelle production collectiviste et sur un nouveau fondement technique (application générale de l’énergie électrique dans toutes les branches de l’agriculture et de l’économie rurale). Cette réorganisation seule peut donner aux villes la possibilité d’offrir aux campagnes arriérées une aide technique et sociale susceptible de déterminer un accroissement extraordinaire de la productivité du travail agricole et rural et d’engager, par l’exemple, les petits laboureurs à passer, dans leur propre intérêt, progressivement, à une culture collectiviste mécanique.

C’est précisément dans les campagnes que la possibilité d’une lutte victorieuse pour la cause socialiste exige de la part de tous les partis communistes un effort pour susciter, parmi le prolétariat industriel, le sentiment de la nécessité des sacrifices à consentir pour le renversement de la bourgeoisie et pour la consolidation du pouvoir prolétarien ; chose absolument nécessaire parce que la dictature du prolétariat signifie qu’il sait organiser et conduire les travailleurs exploités et que son avant-garde est toujours prête, pour atteindre ce but, au maximum d’efforts héroïques et de sacrifices ; en outre, pour remporter la victoire définitive, le socialisme exige que les masses laborieuses les plus exploitées des campagnes puissent voir, dès la victoire des ouvriers, leur situation presque immédiatement améliorée aux dépens des exploiteurs ; s’il n’en était pas ainsi, le prolétariat industriel ne pourrait pas compter sur l’appui des campagnes et ne pourrait pas, de ce fait, assurer le ravitaillement des villes.

8. Les difficultés énormes que présentent l’organisation et la préparation à la lutte révolutionnaire de la masse des travailleurs ruraux que le régime capitaliste avait abrutis, éparpillés et asservis, à peu près autant qu’au moyen-âge, exige de la part des partis communistes, la plus grande attention envers le mouvement gréviste rural, l’appui vigoureux et le développement intense des grèves de masses de prolétaires et des demi-prolétaires ruraux. L’expérience des révolutions russes de 1905 et 1917, confirmée et complétée actuellement par celle de la révolution allemande et d’autres pays avancés, prouve que seul le mouvement gréviste, progressant sans cesse (avec la participation, dans certaines conditions, des « petits paysans ») peut tirer les villages de leur léthargie, réveiller chez les paysans la conscience de classe et le sentiment de la nécessité d’une organisation de classe des masses rurales exploitées et montrer clairement aux habitants de la campagne l’importance pratique de leur union avec les travailleurs des villes. À ce point de vue, la création de syndicats ouvriers agricoles et la collaboration des communistes dans les organisations d’ouvriers agricoles et forestiers sont de la plus haute importance. Les communistes doivent particulièrement soutenir les organisations formées par la population agricole étroitement liée au mouvement ouvrier révolutionnaire. Une propagande énergique doit être faite parmi les paysans prolétaires.

Le Congrès de l’Internationale Communiste flétrit et condamne sévèrement les socialistes félons et traîtres que l’on trouve malheureusement, non seulement au sein de la l’Internationale Jaune, mais aussi parmi les trois partis européens les plus importants, sortis de cette Internationale ; le congrès voue à la honte les socialistes capables non seulement de considérer d’un œil indifférent le mouvement gréviste rural, mais encore de lui résister (comme K. Kautsky), de peur qu’il n’en résulte une réduction du ravitaillement. Tous les programmes et toutes les déclarations les plus solennels n’ont aucune valeur, s’il n’est pas possible de prouver pratiquement que les communistes et les leaders ouvriers savent mettre au-dessus de toutes choses le développement de la révolution prolétarienne et sa victoire, qu’ils savent consentir pour elle aux sacrifices les plus pénibles, parce qu’il n’est pas d’autres issues, pas d’autres moyens pour vaincre la famine et la désorganisation économique et pour conjurer de nouvelles guerres impérialistes.

9. Les partis communistes doivent faire tout ce qui dépend d’eux pour commencer au plus tôt l’organisation des soviets dans les campagnes et en premier lieu, des soviets qui représenteraient des travailleurs salariés et les demi-prolétaires. Ce n’est qu’en coopération étroite avec le mouvement gréviste des masses et avec la classe la plus opprimée que les soviets seront à même de s’acquitter de leur mission et deviendront assez forts pour soumettre à leur influence (et les incorporer par la suite) les « petits paysans ». Si cependant le mouvement gréviste n’est pas encore assez développé et la capacité d’organisation du prolétariat rural est encore trop faible, tant à cause de l’oppression des propriétaires fonciers et des paysans riches, que de l’insuffisance de l’appui fourni par les ouvriers industriels et par leurs syndicats, la création des soviets dans les campagnes demande une longue préparation ; elle doit être faite par la création des foyers communistes, par une propagande active, en termes clairs et nets, des aspirations communistes que l’on expliquera à force d’exemples illustrant les diverses méthodes d’exploitation et d’oppression, et enfin au moyen de tournées de propagande systématiques des travailleurs industriels dans les campagnes.

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de l’Internationale communiste