[Avril 1920.]
Au lendemain du 2 août 1914, au début de la boucherie
impérialiste, les syndicats comptaient plus de 10 millions de
membres. Ils n’opposèrent pourtant nulle part une résistance tant
soit peu sérieuse à la boucherie impérialiste.
Au contraire, les chefs de l’ancien mouvement syndical se mirent dans la plupart des cas, eux et leurs organisations, à la disposition des gouvernements bourgeois. Tout l’appareil des anciens syndicats fut mis au service du haut commandement impérialiste.
Toutes les lois sur la protection du travail furent abrogées par la bourgeoisie avec l’entier consentement des chefs des syndicats. Un travail obligatoire extrêmement lourd, un travail de forçat imposé même à des femmes de 60 ans, fut institué par la bourgeoisie avec l’approbation de ces mêmes chefs.
Mais les leaders des anciens syndicats asservirent aussi dans le domaine intellectuel leurs organisations à la bourgeoisie.
Les revues et les journaux édités par les anciens syndicats bénirent les ouvriers allant au devant de la mort ; cette presse ouvrière les bénit au nom du capital, répéta le mensonge bourgeois sur la « défense de la patrie » et se fit partout la protagoniste des idées bourgeoises, qu’elle s’efforça de répandre dans le cœur même des ouvriers syndiqués.
Les anciens syndicats rongés par la gangrène de l’opportunisme, trahis par leurs chefs, élevés dans l’atmosphère de serre du réformisme pacifique, n’eurent pas la force d’élever la moindre protestation contre la tuerie impérialiste.
Les syndicats qualifiés « libres » dirigés par
Legien fusionnèrent en réalité avec les syndicats traîtres, les
syndicats jaunes, fournisseurs de renards1.
Mais voilà que la guerre est finie. La paix impérialiste
conclue aux dépens des peuples, montre aux aveugles mêmes au nom de
quoi elle fut menée.
Les armées sont démobilisées, les ouvriers reviennent à
leurs organisations.
Que vont devenir les syndicats ? Dans quelle voie vont-ils
entrer ?
Leurs anciens leaders voudraient les pousser de nouveau dans la
voie bourgeoise. Les bourreaux de la classe ouvrière, ses pères
bourreaux — un Noske en Allemagne, un Seidi en Hongrie — sont
sortis des cadres de l’ancien mouvement syndical.
Demain, si les circonstances leur sont favorables, MM. Jouhaux en
France, Gompers en Amérique, etc. deviendront à leur tour des
Noske, bourreaux de la classe ouvrière, comme il est arrivé à
leurs pareils dans plus d’un pays.
Quels sont les traits caractéristiques de l’ancien mouvement
syndical qui l’ont conduit à la capitulation devant la
bourgeoisie ? Ce sont :
L’esprit étroitement corporatif. L’éparpillement dans l’organisation. Le respect de la légalité bourgeoise. L’habitude de faire fond sur l’aristocratie ouvrière et de méconnaître les manœuvres et les ouvriers non qualifiés. Les cotisations trop élevées, inaccessibles à l’ouvrier ordinaire.
La concentration de toute la direction des syndicats entre les mains de personnes se trouvant en haut de l’échelle ouvrière, fonctionnaires qui tendaient de plus en plus à constituer une caste bureaucratique syndicale. La propagande de la neutralité en présence des questions politiques posées devant le prolétariat équivalait en réalité au soutien de la politique bourgeoise.
Le sabotage des contrats collectifs, qui, en fait, aboutissait à la conclusion de ces contrats par la bureaucratie syndicale et à l’asservissement par les capitalistes des ouvriers d’une profession donnée pour toute une suite d’années. La surestimation d’améliorations insignifiantes (par exemple, de l’augmentation purement nominale des salaires) que les syndicats réussissaient à obtenir des patrons, à l’aide d’une entente pacifique.
La mise au premier plan des questions de secours et de mutualité au préjudice des caisses de grèves et de la combativité des syndicats. L’habitude de considérer les syndicats comme des organisations dont toute la mission est d’améliorer les conditions du travail dans les cadres du régime capitaliste et qui ne se donnent nullement pour but le renversement révolutionnaire du système capitaliste.
Tel fut l’ancien mouvement professionnel « libre», l’ancien
trade-unionisme. Une pareille ambiance permettait à Gompers, en
Amérique, de vendre les votes des syndicats pendant les
élections présidentielles, et aux Legien de tous les pays de faire
des syndicats les instruments de la bourgeoisie.
Les syndicats vont-ils suivre l’ancienne voie du réformisme,
c’est-à-dire, en réalité, de la bourgeoisie ? Telle est la
question la plus importante qui se pose devant le mouvement ouvrier
international.
Nous sommes profondément persuadés qu’il n’en sera rien. Un vent nouveau a soufflé maintenant sur les édifices des anciens syndicats.
Les « comités des fabriques et usines » créés en Angleterre, les « conseils d’exploitation » de l’Allemagne, les nouveaux points de cristallisation dans les syndicats français, les grandes unions telles que « la Triple Alliance » en Angleterre, les nouveaux courants dans le mouvement professionnel américain — autant de symptômes montrant qu’une transmutation de valeurs commence dans le mouvement syndical du monde entier.
Un nouveau mouvement syndical se forme sous nos yeux.
Quels devront être ses traits caractéristiques ?
Il faut qu’il renonce à toutes les survivances de l’étroitesse corporative. Il faut qu’il mette à l’ordre du jour la lutte immédiate — d’accord avec le Parti Communiste — pour la dictature du prolétariat et pour le régime des Soviets, il faut qu’il refuse de repriser à la mode réformiste les anciennes défroques du capitalisme.
Le nouveau mouvement syndical doit mettre au premier plan la grève générale et préparer la combinaison de cette grève avec l’insurrection à main armée. Les nouveaux syndicats doivent embrasser la masse ouvrière et non plus l’aristocratie ouvrière Ils doivent appliquer le principe d’une stricte centralisation et de l’organisation par industrie et non par métiers.
Ils doivent tendre à obtenir un contrôle ouvrier réel sur la production, et participer ensuite énergiquement à l’organisation de l’industrie par la classe ouvrière victorieuse de la bourgeoisie.
Ils doivent entreprendre une lutte révolutionnaire pour la socialisation immédiate des principales branches de l’économie, sans oublier que nulle organisation sérieuse n’est possible avant la conquête du pouvoir soviétiste par le prolétariat.
Ils doivent expulser systématiquement de leur milieu les bureaucrates, infectés d’opinions bourgeoises et incapables de diriger la lutte révolutionnaire des masses prolétariennes. Ils doivent procéder chez eux au nettoyage effectué voilà quelques années par les syndicats russes et que les syndicats de l’Allemagne et des autres pays commencent maintenant.
La leçon donnée par la guerre n’est pas perdue. Les masses prolétariennes diront leur mot. Les syndicats ne peuvent plus réduire le travail à la lutte pour de dérisoires augmentations de salaires.
La cherté incroyable des objets de première nécessité, cherté croissante dans le monde entier, rend plus illusoires que jamais les « conquêtes » dont les trade-unionistes, ancienne manière, étaient si fiers. Ou les syndicats doivent se transformer en véritables organisations militantes de la classe ouvrière ou ils disparaîtront.
La puissante vague de grèves qui ébranle tout le continent européen, ainsi que l’Amérique et les autres parties du monde, est la meilleure preuve que les syndicats ne pourriront pas sur place, mais se régénéreront vite.
Ils ne se tiendront pas à l’écart des grandioses problèmes qui concentrent l’attention du monde entier, qui divisent l’humanité entière en deux camps, celui des Blancs et celui des Rouges.
Chaque syndicat est maintenant contraint de s’intéresser aux questions des impôts directs ou indirects, au problème du paiement, des emprunts de guerre, à la nationalisation des chemins de fer, des mines, des principales branches de l’industrie, etc.
Chaque syndiqué doit comprendre chaque jour plus clairement que
la neutralité prêchée dans les syndicats par la bourgeoisie et par
les opportunistes n’est qu’une duperie bourgeoise, qu’on ne peut
rester ni tiède ni froid dans la lutte décisive engagée entre les
deux classes.
Un mouvement de désagrégation est commencé dans les syndicats.
Nous ne les reconnaîtrons plus dans quelques années. Les anciens
bureaucrates du mouvement syndical seront des généraux sans armées.
La nouvelle époque fera surgir une nouvelle génération de
leaders prolétariens du mouvement syndical régénéré.
Mais la bourgeoisie prévoyante veille. Par l’entremise de ses serviteurs éprouvés, par l’entremise des anciens leaders, elle s’efforce de nouveau à conquérir le mouvement.
Un congrès s’est réuni à Amsterdam. « Congrès international des Syndicats ». Legien, Jouhaux, Gompers et d’autres agents de la bourgeoisie ont voulu remettre le mouvement professionnel dans l’ancienne voie.
La Ligue des Nations, qui n’est en réalité qu’une association de malfaiteurs impérialistes, a convoqué à Washington et ensuite à Paris une ridicule conférence sur la « protection internationale du travail » où les deux tiers des voix appartenaient à la bourgeoisie et un tiers à ses agents (MM. Legien, Jouhaux et Cie) qui ont encore l’outrecuidance de se qualifier « représentants ouvriers ».
Ces conférences de représentants triés par la bourgeoisie ont essayé de mettre une camisole de force au mouvement ouvrier en voie de régénération. Les forces réunies des ministres bourgeois et de la bureaucratie syndicale veulent l’étendre sur le lit de Procuste du réformisme petit-bourgeois.
L’Internationale communiste en appelle aux prolétaires syndiqués
du monde entier2. Mettez un terme, camarades, à ces railleries
bourgeoises, démasquez l’infâme comédie que jouent à vos
dépens les ploutocrates ; dites au monde que vous n’avez rien
de commun avec les créatures de Clemenceau et de Wilson.
Les meilleurs éléments du prolétariat mondial exigent partout la création du pouvoir soviétiste. Le temps n’est pas loin où l’humanité entière conquerra la forme du gouvernement soviétiste, c’est-à-dire prolétarien.
Les syndicats continueront alors à jouer un rôle d’une importance énorme dans l’œuvre de transformation de l’économie capitaliste sur les bases du communisme. Ils auront leur place d’honneur à côté des Soviets comme nous le voyons maintenant dans la Russie sioviétiste.
L’Internationale communiste tient pour erronées les opinions de la minorité des communistes allemands qui se prononce contre la nécessité des syndicats en général.
Les Soviets industriels des entreprises (les comités des fabriques et des usines) qui se créent dans plusieurs pays non seulement ne rendent pas les syndicats inutiles, mais tout au contraire doivent être eux-mêmes, comme en Russie soviétiste, les principaux centres des syndicats industriels.
L’Internationale communiste estime que l’heure est venue où les
syndicats, libérés des influences bourgeoises et des
influences social-chauvinistes, doivent créer sans tarder leur
organisation internationale par industries et à l’échelle mondiale.
Nous devons opposer à l’Internationale jaune des syndicats, à
l’Internationale que les agents de la bourgeoisie s’efforcent de
recréer à Amsterdam, à Washington et à Paris, l’Internationale
rouge des syndicat, réellement prolétariens, l’Internationale
syndicale qui œuvrera d’accord avec la 3e Internationale
communiste.
Dans plusieurs pays les syndicats traversent une crise marquée. L’ivraie est séparée du froment. L’Allemagne qui fut le rempart du mouvement bourgeois professionnel jaune dont le mouvement fut dirigé par les Legien et les Noske, voit toute une série de syndicats se détourner des social-démocrates jaunes et passer à la révolution prolétarienne.
Plusieurs syndicats ont déjà chassé les anciens chefs qui livrèrent naguère le mouvement professionnel aux capitalistes. Les syndicats italiens adoptent presque entièrement la plate-forme du pouvoir soviétiste. Le mouvement prolétarien révolutionnaire s’accuse de plus en plus énergiquement dans les syndicats scandinaves.
Les masses ouvrières des syndicats français, anglais, américains, néerlandais, espagnols renient l’ancienne tactique bourgeoise et exigent de nouvelles méthodes révolutionnaires En Russie trois millions et demi de syndiqués soutiennent sans réserve et avec un entier dévouement la dictature prolétarienne. Dans les pays balkaniques, la plupart des syndicats nouent des relations étroites avec les partis communistes et se placent eux-mêmes sous le glorieux drapeau communiste.
La 1re Internationale, l’Association Internationale des
Travailleurs dirigée par Marx et Engels, tendait à embrasser toutes
les organisations ouvrières et, entre autres, les syndicats.
La 2e Internationale (actuellement dissoute) invitait les
syndicats à ses congrès, mais n’avait avec eux aucun lien
d’organisation solide.
La 3e Internationale a l’intention de suivre sous ce rapport la
voie de la 1re Internationale. Tout vrai syndicat prolétarien
militant qui se posera les problèmes esquissés ci-dessus tendra
lui-même à une étroite union avec l’avant-garde du prolétariat
international organisé dans l’Internationale communiste.
L’œuvre d’émancipation de la classe ouvrière exige la concentration de toutes les forces organisées du prolétariat. Nous avons besoin d’armes de toutes espèces pour monter avec succès à l’assaut du capitalisme.
L’Internationale communiste doit faire face sur tous les fronts à la lutte libératrice du prolétariat international. A cet effet, elle tend à la plus étroite union avec les syndicats révolutionnaires qui comprennent les problèmes de notre époque.
L’Internationale communiste veut unifier non seulement les organisations politiques des travailleurs, mais aussi toutes les organisations ouvrières reconnaissant non en paroles, mais en action la lutte révolutionnaire et tendant à la conquête de la dictature prolétarienne.
Le Comité exécutif de l’Internationale communiste estime que ce ne sont pas seulement les partis politiques communistes qui doivent prendre part aux congrès de l’Internationale communiste, mais aussi les syndicats adoptant la plate-forme révolutionnaire. Les syndicats rouges doivent s’unir internationalement et devenir partie intégrante (section) de l’Internationale communiste.
Nous le proposons aux ouvriers syndiqués du monde enlier.
L’évolution, la désagrégation qui se sont produites dans les
partis politiques du prolétariat se produiront immanquablement
dans le mouvement syndical. Tous les grands partis ouvriers ont
quitté la 2e internationale ; et de même tous les syndicats
honnêtes devront rompre avec l’Internationale jaune des
syndicats.
Nous proposons aux travailleurs syndiqués du monde entier de
discuter cet appel dans leurs assemblées générales et nous
sommes profondément convaincus que les prolétaires honnêtes de
tous les pays viendront serrer énergiquement la main que leur tend
l’Internationale communiste.
Vive le nouveau mouvement syndical purifié de la contagion
opportuniste !
Vive l’Internationale des syndicats rouges !
Le Président du Comité exécutif de l’Internationale communiste : G. ZINOVIEV.
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