Kant et l’espace

Comment Emmanuel Kant a-t-il pu reconnaître la nature, et considérer qu’elle se transformait ?

Pour comprendre cela, il faut étudier ce qu’il dit d’un côté au sujet de l’espace, de l’autre au sujet du temps. Son point de vue a été expliqué dans son œuvre « classique » : la Critique de la raison pure.

Première édition de la Critique de la raison pure, 1781

Que nous dit Emmanuel Kant au sujet de l’espace ? Pour lui, on est obligé de reconnaître que l’espace existe. On sait que l’espace existe : on sait que des objets existent par exemple à côté de nous. Ce ne sont pas les objets qui nous le diraient, dans un langage qu’on comprendrait au moyen des sensations, car on sait à la base qu’il y a des choses en plus de nous.

On admet, selon Emmanuel Kant, à la base même, qu’il existe des choses en plus de nous, et où pourraient-elles se trouver, si ce n’est dans l’espace ? Emmanuel Kant dit ainsi :

« L’espace est une représentation nécessaire, a priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. Il est impossible de se représenter qu’il n’y ait point d’espace, quoiqu’on puisse bien concevoir qu’il ne s’y trouve pas d’objets.

Il est donc considéré comme la condition de la possibilité des phénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende, et il n’est autre chose qu’une représentation a priori, servant nécessairement de fondement aux phénomènes extérieurs. »

L’espace est ainsi une « intuition », tellement forte que si on imagine des espaces, on les conçoit comme se situant à l’intérieur de l’espace. Par définition, on pense que l’espace est infini, et c’est bien la preuve que ce concept ne nous est donné par les objets, mais existe à la base même.

Seulement, à la base de quoi ? Pour le matérialisme dialectique, la réponse est : à la base de l’univers, qui est infini dans l’espace et dans le temps. Emmanuel Kant, lui, pose l’être humain comme base. Selon lui, l’être humain vit dans l’univers, mais à son échelle pour ainsi dire.

Donc quand l’être humain entre en rapport avec les objets dans l’espace, il perçoit l’espace par ces objets. Il dit ainsi :

« Nous ne pouvons donc parler de l’espace, de l’être étendu, etc., qu’au point de vue de l’homme.

Si nous sortons de la condition subjective sans laquelle nous ne saurions recevoir d’intuitions extérieures, c’est-à-dire être affectés par les objets, la représentation de l’espace ne signifie plus rien. »

Ainsi, l’espace est perçu par l’intermédiaire d’objets, et si l’on supprime – en esprit – toutes les qualités (poids, grandeur, etc.) à ces objets, alors selon Emmanuel Kant on a une « intuition pure » de ces objets, qu’il appelle également « espace ».

Chacun a ainsi sa propre perception de l’espace :

« Comme nous ne saurions faire des conditions particulières de la sensibilité les conditions de la possibilité des choses, mais celles seulement de leur manifestation phénoménale, nous pouvons bien dire que l’espace contient toutes les choses qui peuvent nous apparaître extérieurement, mais non toutes les choses en elles-mêmes, qu’on puisse ou non les intuitionner et quel que soit le sujet qui le puisse.

En effet, il nous est impossible de juger des intuitions que peuvent avoir d’autres êtres pensants et de savoir si elles sont liées aux mêmes conditions qui limitent nos intuitions et qui sont pour nous universellement valables. »

L’espace est alors le lieu d’une sorte de vision sans sensation, où chaque objet devient en quelque sorte pur, « transcendantal ». Nous ne percevons également les phénomènes que personnellement, à notre manière.

Emmanuel Kant précise bien ici :

« Le concept transcendantal des phénomènes dans l’espace est un avertissement critique qu’en général rien de ce qui est intuitionné dans l’espace n’est une chose en soi, et que l’espace n’est pas une forme des choses, — forme qui leur serait propre en quelque sorte en soi, — mais que les objets ne nous sont pas du tout connus en eux-mêmes et que ce que nous nommons objets extérieurs n’est pas autre chose que de simples représentations de notre sensibilité dont la forme est l’espace, et dont le véritable corrélatif, c’est-à-dire la chose en soi, n’est pas du tout connu et ne peut pas être connu par là.

Mais on ne s’en enquiert jamais dans l’expérience. »

C’est là un concept totalement idéaliste. Comme chez Platon on a en quelque sorte des idées pures, des objets purs, sauf que ce « monde des idées » est dans notre univers (et non pas dans l’au-delà). On ne perçoit par contre, pareillement, de ces objets qu’une dimension concrète, par les sens.

La vérité est alors toujours relative : on voit facilement comment le subjectivisme bourgeois a pu s’appuyer dessus.

On comprend pourquoi Gonzalo a pu faire dans sa jeunesse un mémoire de philosophie sur la théorie de l’espace chez Emmanuel Kant: c’est un exercice important que de la réfuter.

Néanmoins, il n’y a là pas grand-chose chez Emmanuel Kant qui soit fondamentalement différent de ce qu’a pu dire René Descartes, pour qui l’on doit être « comme maître et possesseur de la nature » : l’espace est reconnu comme lieu du travail. La reconnaissance des sens par rapport aux objets, on la retrouve pareillement déjà chez les empiristes anglais, Francis Bacon en tête.

Où est alors l’originalité de Emmanuel Kant, ses apports ?

Elle réside dans sa conception du temps.

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Kant et le ralentissement de la rotation de la terre par la marée

Selon les termes de Friedrich Engels, la théorie du ralentissement de la rotation de la terre par la marée énoncée par Emmanuel Kant est l’une de ses « deux hypothèses géniales ». La théorie est issue d’un essai d’à peine neuf pages dont l’objectif initial était de répondre à un problème posé par l’Académie Royale des Sciences, à savoir si la rotation de la Terre avait connu des altérations depuis qu’elle existe.

Rejetant l’idée de se baser les connaissances du passé qu’il juge « obscures » et « peu fiables », il s’en remet à l’étude de la nature. Il commence comme suit :

« La Terre tourne sans cesse autour de son axe avec un mouvement libre qui, lui ayant été imprimé depuis le temps de sa formation, continuerait désormais inchangé pour un temps infini et avec la même vitesse et la même direction, sans aucun obstacle ou aucune cause externe pour le ralentir ou l’accélérer.

Je vais montrer qu’une telle cause externe existe en réalité, et que c’est vraiment une cause qui diminue le mouvement de la Terre et tend même à détruire sa rotation, au cours de périodes de temps immensément grandes.

Cet événement, qui est un jour destiné à arriver, est si important et merveilleux que, bien que le moment fatal de cet événement soit tellement lointain que même la capacité de la Terre à être habitée et la durée de la race humaine n’atteindra pas le dixième de cette durée, déjà la simple certitude de ce destin prochain et l’approche constante de sa nature, est digne de notre admiration et de notre observation. »

Emmanuel Kant explique alors qu’il est important de prendre en compte la matière fluide de la planète Terre, dont le mouvement est sensible aux attractions des corps célestes.

Constatant que les océans couvrent un tiers de la surface de la planète et qu’ils sont constamment en mouvement, notamment du fait de l’attraction de la Lune, il affirme qu’une attention particulière doit être donnée à ce phénomène.

Emmanuel Kant tente alors d’estimer, avec les données dont il dispose, le ralentissement de la Terre en nombre d’heures perdues chaque année. Et il conclut :

« Par conséquent, nous ne devrions plus pouvoir douter que le mouvement perpétuel d’est en ouest de l’océan, étant une force réelle et considérable, contribue tout le temps à la diminution de la rotation axiale de la Terre, le résultat devant devenir perceptible au bout de longues périodes de temps.

Désormais la preuve doit à juste titre être fournie pour soutenir cette hypothèse ; mais je dois confesser que je ne peux trouver aucune trace d’un événement qui peut être conjecturé de manière sûre ; je laisse donc aux autres le mérite de compléter le sujet lorsque ce sera possible. »

L’essai a ainsi été récompensé par l’Académie des Sciences de Berlin en 1754. Et, aujourd’hui encore, il est toujours cité comme découvreur du ralentissement de la rotation de la Terre.

Mais, à la fin de son essai, il aborde également un sujet qui a trait à la deuxième hypothèse géniale dont il est à l’origine : la formation de la Lune. Il explique ainsi :

« Il peut être inféré en toute certitude que l’attraction que la Terre exerce sur la Lune au temps de sa formation originelle, lorsque sa masse était encore fluide, a pu faire diminuer la rotation axiale – que cette planète voisine est supposée avoir exercer en ce temps avec une vélocité plus grande – de la manière indiquée par le résidu régulé.

A partir de cela, nous voyons aussi que la Lune est un corps céleste tardif, qui a été ajouté à la Terre après que cette dernière a déjà franchi l’état fluide et passé à l’état solide ; sans quoi l’attraction de la Lune l’aurait sans doute soumis, dans un temps court, au même destin auquel la Lune a été soumis sous l’influence de notre Terre.

Cette dernière remarque peut être vue comme un échantillon de l’Histoire Naturelle des Cieux, dans laquelle le premier état de la nature, la production des corps célestes et les causes de leur connexion systématique, devrait être déterminé à partir des indications ou des traces que montrent les relations dans la structure du monde. »

En 1754 donc, Emmanuel Kant expose une conception particulièrement perspicace de la formation des corps célestes. L’année suivante, il continuera à étoffer cette théorie en publiant un essai sur l’Histoire universelle de la nature et théorie du ciel.

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«Kant est l’initiateur de deux hypothèses géniales»

Immanuel Kant est le premier penseur permettant à la science de rompre avec le déisme, justifiant enfin le monde sans besoin d’une « pichenette » divine à l’origine. Citons ici de nouveau Friedrich Engels, cette fois dans l’Anti-Dühring, soulignant l’importance d’Emmanuel Kant :

« La théorie kantienne qui place l’origine de tous les corps célestes actuels dans des masses nébuleuses en rotation, a été le plus grand progrès que l’astronomie eût fait depuis Copernic.

Pour la première fois s’est trouvée ébranlée l’idée que la nature n’a pas d’histoire dans le temps.

Jusque-là, les corps célestes passaient pour être demeurés dès l’origine dans des orbites et des états toujours identiques ; et même si, sur les divers corps célestes, les êtres organiques individuels mouraient, les genres et les espèces passaient cependant pour immuables.

Certes, la nature était évidemment animée d’un mouvement incessant, mais ce mouvement apparaissait comme la répétition constante des mêmes processus.

C’est Kant qui ouvrit la première brèche dans cette représentation qui répondait tout à fait au mode de penser métaphysique, et il le fit d’une manière si scientifique que la plupart des démonstrations qu’il a utilisées sont encore valables aujourd’hui.

A vrai dire, la théorie kantienne est restée jusqu’à nos jours, rigoureusement parlant, une hypothèse.

Mais jusqu’à maintenant, le système copernicien de l’univers n’est lui-même rien de plus, et l’opposition scientifique à la théorie de Kant a dû se taire depuis que le spectroscope a prouvé, d’une façon qui réduit à néant toute contestation, l’existence sur la voûte céleste de ces masses gazeuses en ignition. »

Emil Doerstling (1859-1940), Kant et ses compagnons de table, 1892/1893

Emmanuel Kant a ainsi joué un rôle très important dans le domaine scientifique. Mais pourquoi est-il désormais, alors, mis en avant comme le grand penseur de l’idéalisme ?

La raison en est que l’idéalisme allemand, auquel il appartient, s’est effondré, car Hegel a fait avancer les choses, en reconnaissant le mouvement et en plaçant celui-ci dans la réalité elle-même, avec le travail comme moyen de la reconnaissance d’une conscience par les autres. Ajustée, corrigée, remise sur ses pieds, la pensée de Hegel pouvait céder la place au marxisme.

Voici comment Friedrich Engels résume cela, parlant des deux philosophies dialectiques historiques principales :

« La première est la philosophie grecque. Ici, la pensée dialectique apparaît encore dans sa simplicité naturelle, sans être encore troublée par les charmants obstacles que la métaphysique des XVIIe et XVIIIe siècles – Bacon et Locke en Angleterre, Wolff en Allemagne – s’est élevée elle-même et avec lesquels elle s’est barré le passage de la compréhension du singulier à la compréhension du tout, à l’intelligence de l’enchaînement universel.

Chez les Grecs – précisément parce qu’ils n’étaient pas encore parvenus à la désarticulation, à l’analyse de la nature – la nature est encore conçue comme un tout, dans son ensemble. L’enchaînement général des phénomènes de la nature n’est pas démontré dans le détail, il est pour les Grecs le résultat de l’intuition immédiate.

C’est en cela que réside l’insuffisance de la philosophie grecque, insuffisance qui l’a obligée par la suite à céder la place à d’autres façons de voir. Mais c’est aussi en cela que réside sa supériorité sur tous ses adversaires métaphysiques postérieurs (…).

La deuxième forme de la dialectique, celle qui est la plus familière aux savants allemands, est la philosophie classique allemande de Kant à Hegel. Ici, les premiers pas sont déjà faits, puisque, même en dehors du néo-kantisme déjà cité, il revient à la mode de revenir à Kant.

Depuis que l’on a découvert que Kant est l’initiateur de deux hypothèses géniales sans lesquelles la science théorique actuelle de la nature ne peut aller de l’avant – la théorie précédemment attribuée à Laplace sur l’origine du système solaire et la théorie du ralentissement de la rotation de la terre par la marée – Kant a été, à juste titre, remis en honneur par les savants.

Mais ce serait une besogne inutilement pénible et peu profitable que de vouloir étudier la dialectique chez Kant depuis qu’on trouve un vaste compendium de la dialectique, quoique développé en partant de prémisses tout à fait fausses, dans les oeuvres de Hegel. »

De fait, Emmanuel Kant est le premier penseur d’un courant à laquelle appartiennent Johann Gottlieb Fichte et Hegel, mais seul ce dernier forme un socle suffisant. Emmanuel Kant, dans son orientation scientifique, était limité par son époque.

Pour cette raison, il a posé des limites dans la connaissance, affirmant qu’on ne pourrait jamais connaître la « chose en soi », c’est-à-dire la chose en elle-même. On ne pourrait, de manière scientifique, que connaître le phénomène en ce qu’il a un rapport avec nous.

C’est là un idéalisme niant la compréhension du mouvement interne du phénomène : c’est là imposer une limitation qui va justement être systématiquement reprise, par la suite, par le néo-kantisme qui forme la véritable base de la démarche bourgeoise dans les sciences.

La bourgeoisie, toujours plus réactionnaire, s’est donc replongée dans l’idéalisme allemand, pour n’en tirer évidemment que les éléments les plus faux, les plus idéalistes. Friedrich Engels note ainsi :

« Dans les Universités, les genres les plus divers d’éclectisme se faisaient concurrence, en ne s’accordant qu’en ceci : ils étaient tous des rapiéçages faits uniquement des chutes de philosophies révolues, et ils étaient tous également métaphysiques.

Des restes de la philosophie classique, il ne réchappa qu’un certain néo-kantisme, dont le dernier mot était la chose en soi éternellement inconnaissable, donc la partie de Kant qui méritait le moins d’être conservée. Le résultat final fut l’incohérence et la confusion qui règnent actuellement dans la pensée théorique. »

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«La découverte de Kant était la source de tout progrès ultérieur»

Emmanuel Kant (1724-1804) est un « philosophe » extrêmement connu, et pour cause : nul autre penseur n’a autant systématisé la démarche bourgeoise dans la théorie et dans la pratique. Il n’est pas d’idéalisme aujourd’hui qui ne s’appuie sur Emmanuel Kant pour s’opposer au matérialisme dialectique ; le kantisme est une étude incontournable pour tout penseur bourgeois authentique.

Toutefois, Emmanuel Kant ne représente pas la pensée idéaliste la plus développée – représentant de la bourgeoisie, il a également porté des aspects matérialistes s’opposant à la féodalité, ce qui fait que comprendre Emmanuel Kant, et le kantisme, exige de ne pas avoir en seule perspective le néo-kantisme.

Il faut avoir comme perspective principale, pour la figure d’Emmanuel Kant, les travaux de Galilée et d’Isaac Newton.

Johann Gottlieb Becker (1720-1782),
Immanuel Kant (1724-1804), 1768

Friedrich Engels, à ce titre, parle à plusieurs reprises d’Emmanuel Kant dans son classique La dialectique de la nature. Il y exprime un point de vue qui peut a priori surprendre, tellement on assimile celui-ci à un idéaliste complet, un philosophe bourgeois le plus classique qui soit.

Friedrich Engels attribue même un rôle historique éminent à Emmanuel Kant. Il affirme, de manière indiscutable, qu’il est le porteur de toute une nouvelle époque pour la pensée. Pourquoi ? Parce qu’il est le premier à poser la démarche d’une science reconnaissant la nature, considérant celle-ci comme en mouvement.

La philosophie de la Grèce antique comprenait de nombreux penseurs reconnaissant la nature et interprétant celle-ci comme en mouvement, mais ne maîtrisait pas encore la démarche de l’expérience. Les penseurs de la bourgeoisie naissante avait découvert cette démarche, l’avait systématisée, notamment avec Francis Bacon et René Descartes – pour autant, ils pensaient que le monde avait été « donné » par Dieu aux êtres humains.

Galilée et Isaac Newton souffraient encore de cet emprisonnement métaphysique, où les mathématiques étaient d’origine divine.

Emmanuel Kant joue un rôle historique, car il reconnaît l’existence en tant que telle de l’univers. Il inscrit l’être humain non pas dans une humanité abstraite, séparée du monde qui n’est qu’un matériau fourni par Dieu, mais dans l’univers, dans le temps.

A l’espace affirmé par Galilée et Isaac Newton, Emmanuel Kant ajoute le temps.

Voici comment Friedrich Engels explique ce rôle historique d’Emmanuel Kant :

« Autant, dans la première moitié du XVIIIe siècle, la science de la nature était supérieure à l’antiquité grecque par le volume des connaissances et même par le classement de ses matériaux, autant elle lui était inférieure en ce qui concerne l’emprise de la pensée sur ces matériaux, la conception générale de la nature.

Pour les philosophes grecs, le monde était essentiellement quelque chose qui était sorti du chaos, qui s’était développé, qui était le résultat d’un devenir.

Pour les savants de la période que nous considérons, il était quelque chose d’ossifié, d’immuable : quelque chose qui, pour la plupart d’entre eux, avait été créé d’un seul coup. La science était encore prise profondément dans la théologie.

Partout elle cherche et trouve comme principe dernier une impulsion de l’extérieur, qui n’est pas explicable à partir de la nature elle-même.

Même si l’on conçoit l’attraction, pompeusement baptisée par Newton gravitation universelle, comme une propriété essentielle de la matière, d’où vient la force tangentielle inexpliquée à laquelle, au début, les planètes doivent leurs orbites ? Comment sont nées les innombrables espèces végétales et animales ? Et à plus forte raison l’homme, dont il était pourtant établi qu’il n’a pas existé de toute éternité ?

A ces questions, la science de la nature ne répondait que trop souvent en invoquant la responsabilité du Créateur de toutes choses.

Copernic ouvre cette période en adressant à la théologie une lettre de rupture ; Newton la termine avec le postulat du choc initial produit par Dieu.

L’idée générale la plus haute à laquelle se soit élevée cette science de la nature est celle de la finalité des dispositions établies dans la nature, c’est la plate téléologie de Wolff, selon laquelle les chats ont été créés pour manger les souris, les souris pour être mangées par les chats, et l’ensemble de la nature pour rendre témoignage de la sagesse du Créateur.

C’est un grand honneur pour la philosophie de ce temps qu’elle ne se soit pas laissé induire en erreur par l’état limité des connaissances qu’on avait alors sur la nature et qu’elle ait persisté – de Spinoza jusqu’aux grands matérialistes français – à explorer le monde lui-même en laissant à la science de la nature de l’avenir le soin de donner les justifications de détail.

Si je classe encore les matérialistes du XVIIIe siècle dans cette période, c’est qu’ils n’avaient pas à leur disposition d’autres données scientifiques que celles que j’ai décrites plus haut.

L’œuvre décisive de Kant est restée pour eux un mystère et Laplace n’est venu que longtemps après eux. N’oublions pas que cette conception désuète de la nature, tient que les progrès de la science y fissent des accrocs de toute part, a dominé toute la première moitié du XIXe siècle et que l’essentiel en est enseigné aujourd’hui encore dans toutes les écoles.

La première brèche fut ouverte dans cette conception pétrifiée de la nature non par un savant, mais par un philosophe.

En 1755, paraissait l’Histoire universelle de la nature et la théorie du ciel de Kant. Il n’était plus question de choc initial ; la terre et tout le système solaire apparaissaient comme le résultat d’un devenir dans le temps.

Si la grande majorité des savants avaient moins donné dans cette aversion de la pensée qu’exprime l’avertissement de Newton : « Physique, garde-toi de la métaphysique », ils n’auraient pu manquer de tirer de cette découverte géniale de Kant des conclusions qui leur eussent épargné des égarements sans fin, une somme énorme de temps et de peine dissipée en de fausses directions.

Car la découverte de Kant était la source de tout progrès ultérieur.

Dès lors que la terre était le résultat d’un devenir, son état géologique, géographique et climatique actuel, ses plantes et animaux étaient aussi, nécessairement, le résultat d’un devenir; elle avait nécessairement une histoire faite non seulement de juxtaposition dans l’espace, mais de succession dans le temps.

Si tout de suite l’on avait poussé résolument les recherches dans cette direction, la science, de la nature serait aujourd’hui beaucoup plus avancée qu’elle ne l’est. Mais pouvait-il rien venir de bon de la philosophie ?

L’œuvre de Kant resta sans résultat immédiat, jusqu’au jour où, bien des années après, Laplace et Herschel développèrent son contenu et lui donnèrent un fondement plus précis en mettant peu à peu en honneur l’ « hypothèse de la nébuleuse ».

D’autres découvertes la firent enfin triompher ; les plus importantes d’entre elles ont été : le mouvement propre des étoiles fixes ; la démonstration de l’existence d’un milieu résistant dans l’espace de l’univers ; la preuve, grâce à l’analyse spectrale, de l’identité chimique de la matière dans l’univers et de l’existence de nébuleuses incandescentes telles que Kant les avait supposées. »

Friedrich Engels attribue ainsi un rôle éminemment positif à Emmanuel Kant, qui a dépassé le matérialisme mécaniste qui refusait de reconnaître la nature et de considérer celle-ci comme se transformant.

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Newton et la gravitation universelle

En comprenant de manière plus approfondie le mouvement dans l’espace expliqué par Galilée, Isaac Newton put formuler sa fameuse thèse de la gravité. L’idée lui serait venu alors qu’il vit une pomme tomber. C’est sans doute seulement une anecdote, qui d’ailleurs fut popularisée par Voltaire sur la base de ce que lui avait raconté la nièce d’Isaac Newton.

Voici l’autre version, qu’on retrouve dans Les Mémoires de la vie de Sir Isaac Newton, publiées en 1752 par William Stukeley. On y lit :

« Nous sommes allés boire le thé à l’ombre d’un pommier. Il me dit qu’il se trouvait dans une situation analogue lorsque lui est venue l’idée de la gravitation, suggérée par la chute d’une pomme, alors qu’il était d’humeur contemplative. Pourquoi cette pomme doit-elle toujours choir perpendiculairement au sol, se dit-il? »

Pourquoi l’exemple de la pomme ? Déjà, il faut voir ici qu’Isaac Newton reprend Galilée, qui avait observé que deux objets, même de masses différentes, et sans prendre en compte la résistance de l’air, ont une pesanteur similaire : ils tombent à la même vitesse.

Mais pourquoi la pomme tombe-t-elle ? Isaac Newton considère alors que c’est en raison de l’attraction que possède chaque masse.

Il faut ici se souvenir qu’Isaac Newton a soutenu qu’une force provoquait toujours une contre-force. Si la pomme fait un mouvement vers la Terre, la réciproque est vraie. Mais c’est la pomme qui va vers la Terre, et non l’inverse : c’est ici que la masse rentre en jeu. Il se passe la même chose pour la Lune, attirée vers la Terre exactement comme la pomme.

Isaac Newton a alors compris que la Lune était en mouvement et que la Terre exerçait une force sur elle, la mettant en orbite, c’est-à-dire l’interceptant, mais pas totalement.

La pomme, par contre, est interceptée, en raison de sa faible masse. Tout est une question du rapport entre les forces, amenant le repos, ou bien tel ou tel mouvement, et encore ici cela dépend-il du référentiel : c’est précisément sur ce point qu’Albert Einstein va perfectionner cette perspective.

Ici, on a Isaac Newton généralisant la conception du mouvement dans l’espace, et l’universalisant, par la théorie de l’attraction universelle.

Il en exprime la loi de la manière suivante :

« Deux corps quelconques s’attirent selon une force proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare. »

L’ouvrage d’Isaac Newton Philosophiae naturalis principia mathematica, 1687

Les conséquences sont innombrables. On comprend le mouvement des planètes ; les mathématiques servent à les étudier, avec d’innombrables applications sur Terre. On a ici, en fait, la véritable découverte d’une force universelle, qui devient par conséquent utilisable puisqu’on en connaît les principes généraux. Le voyage sur la Lune est la conséquence directe de cela.

Il est nécessaire de voir ici qu’Isaac Newton n’explique pas l’origine de la gravitation ; comme le remarquent Karl Marx et Friedrich Engels, il ne fait qu’en « observer » les traits. Karl Marx et Friedrich Engels auront des mots très durs pour Isaac Newton, accusés de n’avoir eu du succès qu’en redisant ce qu’avait déjà affirmé Johannes Kepler, qui avait effectivement déjà formulé les principes de la gravitation universelle.

Isaac Newton profitait d’une situation sociale différente, et d’ailleurs il se gardait bien de tenter une explication générale comme le tenta Johannes Kepler. Isaac Newton n’hésitait pas à bien souligner que :

« Les lois de la gravitation gouvernent le mouvement des planètes et des comètes, mais ne permettent pas de déterminer leur état primitif; leur agencement si élégant ne peut être que le fruit du dessein et de la seigneurie d’un Être intelligent et tout-puissant. »

Il appartint alors à Emmanuel Kant d’expulser Dieu de l’espace, afin de véritablement laïciser la science.

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Newton ajoute un niveau au référentiel galiléen

Que dit Isaac Newton ? Comment a-t-il réussi à laïciser l’espace, ou tout au moins à aller en ce sens, se posant comme maillon entre Galilée et Emmanuel Kant ?

Isaac Newton a compris que le problème de Galilée était dans la question du référentiel. Un référentiel dans l’espace-temps aboutissait nécessairement à isoler les phénomènes et surtout à engloutir l’espace et le temps dans le phénomène lui-même.

C’était cela, la grande menace pressentie par l’Église : que l’espace et le temps n’existent que physiquement.

Isaac Newton a alors coupé la poire en deux. Il y a l’espace et le temps, qu’il qualifie d’absolus, et il y a l’espace et le temps qu’il qualifie de relatifs. Les formes absolues fournissent alors un cadre pour des espaces et des temps qui varient.

Isaac Newton explique ainsi :

« I Le temps absolu, vrai et mathématique, sans relation à rien d’extérieur, coule uniformément, et s’appelle durée. Le temps relatif, apparent et vulgaire, est cette mesure sensible et externe d’une partie de durée quelconque (égale ou inégale) prise du mouvement : telles sont les mesures d’heures, de jours, de mois, etc, dont on se sert ordinairement à la place du temps vrai.

II. L’espace absolu, sans relation aux choses externes, demeure toujours similaire et immobile. L’espace relatif est cette mesure ou dimension mobile de l’espace absolu, laquelle tombe sous nos sens par la relation aux corps, et que le vulgaire confond avec l’espace immobile. C’est ainsi, par exemple, qu’un espace, pris en dedans de la terre ou dans le ciel, est déterminé par la situation qu’il a à l’égard de la terre.

L’espace absolu et l’espace relatif sont les mêmes d’espèce et de grandeur; mais ils ne le sont pas toujours de nombre; car, par exemple, lorsque la terre change de place dans l’espace, l’espace qui contient notre air demeure le même par rapport à la terre, quoique l’air occupe nécessairement les différentes parties de l’espace dans lesquelles il passe, et qu’il en change réellement sans cesse (…).

Le mouvement absolu est la translation des corps d’un lieu absolu dans un autre lieu absolu, et le mouvement relatif est la translation d’un lieu relatif dans un autre lieu relatif; ainsi, dans un vaisseau poussé par le vent, le lieu relatif d’un corps est la partie du vaisseau dans laquelle ce corps se trouve, ou l’espace qu’il occupe dans la cavité du vaisseau; et cet espace se meut avec le vaisseau; et le repos relatif de ce corps est la permanence dans la même partie de la cavité du vaisseau.

Mais le repos vrai du corps est la permanence dans la partie de l’espace immobile, où l’on suppose que se meut le vaisseau et tout ce qu’il contient.

Ainsi, si la terre était en repos, le corps qui est dans un repos relatif dans le Vaisseau aurait un mouvement vrai et absolu, dont la vitesse serait égale à celle qui emporte le vaisseau sur la surface de la terre; mais la terre se mouvant dans l’espace, le mouvement vrai et absolu de ce corps est composé du mouvement vrai de la terre dans l’espace immobile, et du mouvement relatif du vaisseau sur la surface de la terre; et si le corps avait un mouvement relatif dans le vaisseau, son mouvement vrai et absolu serait composé de son mouvement relatif dans le vaisseau, du mouvement relatif du vaisseau sur la terre, et du mouvement vrai de la terre dans l’espace absolu.

Quant au mouvement relatif de ce corps sur la terre, il serait formé dans ce cas de son mouvement relatif dans le vaisseau, et du mouvement relatif du vaisseau sur la terre (…).

L’ordre des parties de l’espace est aussi immuable que celui des parties du temps; car si les parties de l’espace sortaient de leur Lieu, ce serait, si l’on peut s’exprimer ainsi, sortir d’elles-mêmes.

Les temps et les espaces n’ont pas d’autres lieux qu’eux-mêmes, et ils sont les lieux de toutes les choses.

Tout est dans le temps, quant à l’ordre de la succession : tout est dans l’espace, quant à l’ordre de la situation. C’est là ce qui détermine leur essence, et il serait absurde que les lieux primordiaux se {mussent}. Ces lieux sont donc les lieux absolus, et la seule translation de ces lieux fait les mouvements absolus.

Comme les parties de l’espace ne peuvent être vues ni distinguées les unes des autres par nos sens, nous y suppléons par des mesures sensibles.

Ainsi nous déterminons les lieux par les positions et les distances à quelque corps que nous regardons comme immobile, et nous mesurons ensuite les mouvements des corps par rapport à ces lieux ainsi déterminés : nous nous servons donc des lieux et des mouvements relatifs à la place des lieux et des mouvements absolus; et il est à propos d’en user ainsi dans la vie civile; mais dans les manières philosophiques, il faut faire abstraction des sens; car il se peut faire qu’il n’y ait aucun corps véritablement en repos, auquel on puisse rapporter les lieux et les mouvements. »

Godfrey Kneller  (1646–1723),
Portrait de Sir Isaac Newton, 1702

Qu’est-ce que cela veut dire ? En fait, Galilée affirmait que tout était en mouvement, sauf si les forces s’annulaient : il y avait alors repos.

Mais chez Isaac Newton le mouvement lui-même est entièrement relatif car tout est en mouvement.

Dans l’exemple donné, un être humain peut être au repos relatif dans la cabine d’un bateau, mais la planète est en mouvement donc en fait l’être humain bouge et avec le bateau et avec la planète, alors que lui-même ne change pas de place dans la cabine.

Isaac Newton place le référentiel galiléen dans un autre référentiel galiléen, en quelque sorte.

Isaac Newton constate avec Galilée que quelque chose bouge en fonction de sa propre masse et de la force motrice qui le met en branle, et cela forcément dans le sens de la ligne droite. Comme cela se déroule dans le même « vide » que Galilée, un objet est soit toujours au repos, soit toujours en mouvement, jusqu’à ce qu’une force intervienne pour mettre en mouvement ou au repos.

Seulement Isaac Newton peut également remarquer que toute action présuppose une réaction inverse : quand on pousse quelque chose, la résistance à la poussée est équivalente. Quand on exerce une pression sur le sol, le sol exerce en même temps une pression sur nous, une route agit sur un pneu par friction (l’usant) mais en même temps la voiture avance de par la pression du pneu sur la route.

Isaac Newton a ainsi ajouté un niveau au référentiel galiléen, et en a déduit des interactions nouvelles, formant les principes de la gravitation universelle.

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Newton laïcise l’espace

Il faut bien faire attention à ne pas inverser les faits. Ce n’est pas parce qu’ils pensaient que Dieu avait fondé le monde mathématiquement que les scientifiques ont avancé, aux XVIe-XVIIe siècles. S’ils ont pensé cela, c’est justement parce qu’ils ont fait des progrès techniques et pratiques.

Leur vision du monde est le reflet de leur activité pratique au service d’une classe poussant à la transformation de la production : la bourgeoisie.

Le protestantisme est né comme apologie de l’activité individuelle au sein d’un monde fourni par Dieu comme « matériel ». Quand on lit Galilée, on retrouve précisément cette conception, qui est la même à différents degrés chez René Descartes, la franc-maçonnerie, degrés décidés par les conditions historiques.

Voici ce que dit Galilée :

« La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l’Univers), mais on ne peut le comprendre si d’abord on n’apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit.

Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d’autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d’y comprendre un mot. Dépourvu de ces moyens, on erre vainement dans un labyrinthe obscur. »

Les mathématiques deviennent alors un langage indépendant, au caractère pratiquement divin. Il n’y a plus besoin de se connecter à la réalité ; les mathématiques, dans leur autonomie, peuvent étudier la réalité, puisque celle-ci a été façonné par Dieu au moyen des mathématiques.

On a là un fétichisme d’un simple outil, les mathématiques, qui replonge dans Pythagore et Platon pour s’auto-justifier.

De la même manière, lorsque Galilée reprend le principe des atomes, c’est parce qu’il a besoin d’expliquer pourquoi les sens perçoivent les choses « différemment » selon les gens, les situations, etc. : il attribue tout cela aux atomes, qui sont de simples briques sans quantité, qui sont donc de la simple matière première brute façonnée par les mathématiques, c’est-à-dire par les chiffres divins, exactement comme dans le néo-platonisme.

Il y a ici un fétichisme des mathématiques, qui d’outil deviennent vision du monde. C’est cela la clef pour comprendre la polémique célèbre avec l’Église catholique. Et derrière, il y a le besoin de la bourgeoisie : il faut les mathématiques pour progresser techniquement, et cela à tout prix.

Ce sont ainsi les mathématiques qu’attaque en tant que tel le dominicain Tommaso Caccini (1574–1648) lors d’un sermon à l’église Santa Maria Novella de Florence, en décembre 1614, accusant Galilée d’être précisément un de ses principaux promoteurs.

Et c’est par conséquent l’anglais Isaac Newton (1643-1727) qui a réussi à prolonger l’effort de Galilée, dans un contexte bien différent, puisque lui était en Angleterre, pays où la féodalité avait subi un assaut terrible, et où un compromis avec la religion était ainsi bien plus aisé.

Copie récente du portrait d’Isaac Newton
par Godfrey Kneller (1689)

Isaac Newton s’appuie directement sur cette perspective mathématique, comme en témoigne le titre de son œuvre principale : Philosophiae naturalis principia mathematica ; c’est-à-dire Principes mathématiques de la philosophie naturelle.

Il reprend directement la perspective de Galilée ; le mathématicien français Alexis Clairaut (1713-1765), dans une œuvre intitulée Du systeme du monde, dans les principes de la gravitation universelle, critique Isaac Newton, mais souligne dès le début :

« Le fameux livre des Principes mathématiques de la philosophie naturelle a été l’époque d’une grande révolution dans la Physique.

La méthode qu’a suivie M. Newton, son illustre Auteur, pour remonter des faits aux causes, a répandu la lumière des Mathématiques sur une science qui jusqu’alors avait été dans les ténèbres des conjectures et des hypothèses. »

Quant à Voltaire, il publiera en France Les Eléments de la philosophie de Newton, qui seront republiés vingt-six fois entre 1738 et 1785, alors qu’Émilie du Châtelet, elle-même scientifique, a de son côté traduit les Principes mathématiques de la philosophie naturelle.

Seulement, à la différence de Galilée avec son offensive générale qui faisait qu’il reconnaissait la religion, mais ne la plaçait pas de manière détaillée dans sa démarche, Isaac Newton a bien pris soin de préciser le rapport au divin.

Galilée n’avait pas réussi à laïciser l’espace, d’où son agressivité sur l’héliocentrisme. Isaac Newton, lui, a réussi, en formulant le point de vue suivant :

« Il [Dieu] est éternel et infini, omnipotent et omniscient ; c’est-à-dire que sa durée va de l’éternité à l’éternité, sa présence de l’infini à l’infini… Il n’est pas l’éternité et l’infini, mais éternel et infini ; il n’est pas la durée ou l’espace, mais il perdure et est présent.

Il perdure pour toujours, et est présent partout, et en existant toujours et partout, il constitue la durée et l’espace. »

« L’espace n’est pas un être, un être éternel et infini, mais une propriété, ou une conséquence de l’existence d’un être infini et éternel. »

Il résume cela en disant :

« L’espace est comme le toucher de Dieu, puisqu’il touche bord à bord tous les corps comme immédiate extériorité. »

Avec l’héliocentrisme, Galilée rejetait Dieu de l’espace. Chez Isaac Newton, Dieu permet à l’espace d’exister : il pouvait, dans le contexte anglais et sans domination du Vatican, laïciser l’espace.

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L’affaire Galilée

L’affaire Galilée ne consiste pas du tout en ce en quoi les commentateurs bourgeois l’ont résumée. Il est en effet considéré ici que Galilée aurait défendu la thèse de Nicolas Copernic comme quoi la Terre tournait autour du soleil, et non le contraire ; l’inquisition l’aurait alors brutalement réprimé, faisant de Galilée un martyr de la science.

En réalité, l’affaire de l’affirmation de l’héliocentrisme contre le géocentrisme n’a été qu’un prétexte. Le véritable problème de fond était la physique de Galilée, et nullement l’héliocentrisme qui n’était qu’une conséquence d’une problématique provoquée par la physique de Galilée : la laïcité.

Galilée est, en effet, un enfant de la Renaissance italienne : il s’intéresse initialement aux arts, notamment la peinture, et son intérêt pour les sciences découle de cette perspective. Sa vision d’un monde organisé en chiffres correspond absolument à l’idéologie néo-platonicienne au cœur de la Renaissance italienne.

Galilée devint ainsi un savant au service de la République de Venise, enseignant les mathématiques, l’astronomie, la mécanique appliquée ainsi que l’architecture militaire. Il travailla sur l’artillerie lourde (trouvant que 45° est le meilleur angle) et inventa un thermomètre, une balance hydrostatique, un compas (dit de proportion), etc.

Il inventa notamment aussi une lunette astronomique, découvrant ainsi les satellites de Jupiter, les anneaux de Saturne, les tâches solaires, etc. Il racontera ses découvertes notamment dans Sidereus Nuncius, publié en mars 1610.

Voici ce que dit Galilée au début de cette œuvre :

« LE MESSAGER DES ÉTOILES

Observations récentes montrant les nouveaux aspects de la face de la Lune, de la voie lactée, les étoiles nébuleuses, les innombrables fixes, ainsi que quatre planètes

LES ÉTOILES MÉDICÉENNES

Jusque-là jamais observées ni rapportées.

Ce sont assurément de grands sujets que je propose, dans ce court traité, à ceux qui s’intéressent à l’observation de la Nature afin qu’ils les examinent et les contemplent. Grands, d’abord du fait de l’importance du sujet mais aussi de sa nouveauté et enfin par l’instrument qui nous a permis de les découvrir.

C’est une grande tâche que de montrer l’existence d’un très grand nombre d’étoiles fixes qui jusqu’alors n’ont pas pu être observées par nos sens et d’en augmenter le nombre de plus de dix fois celles qui sont déjà connues.

Il est très beau et agréable d’observer la surface de la Lune qui est pourtant à presque soixante diamètres terrestres de nous, comme si elle était distante de seulement deux mesures. »

C’est dans ce cadre que Galilée a admis la thèse héliocentrique de Nicolas Copernic, dont l’oeuvre, De revolutionibus orbium coelestium, a été suspendue par l’inquisition. La thèse héliocentrique ne pouvait être présentée uniquement que comme une « hypothèse » d’un modèle mathématique.

Le théologien et astronome Paolo Antonio Foscarini (1565–1616) publia alors en 1615 une œuvre défendant Nicolas Copernic et affirmant que l’héliocentrisme ne remettait nullement en cause la Bible. Une interdiction s’en suivit, et le pape Urbain VIII, ami de Galilée, demanda alors à celui-ci de publier une œuvre confrontant géocentrisme et héliocentrisme, en respectant bien le principe selon lequel ce serait encore seulement une hypothèse.

Galilée était alors au cœur du Vatican, puisqu’en 1611 il avait présenté ses découvertes au Collège pontifical et à l’Académie des Lyncéens, devenant membre de cette dernière qui était une association scientifique nouvellement formée.

Cependant, Galilée allait pour beaucoup trop loin dans le néo-platonisme de la Renaissance. Dans Il Saggiatore, publié en 1623 et dédié au pape Urbain VIII, il avait déjà ouvertement présenté les mathématiques comme le langage de la nature :

« La philosophie est écrite dans ce vaste livre constamment ouvert devant nos yeux (je veux dire l’univers), et on ne peut le comprendre si d’abord on n’apprend à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit.

Or il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont le triangle et le cercle et autres figures géométriques, sans lesquelles il est humainement impossible d’en comprendre un mot. »

Galilée prolongea son initiative, jusqu’à un coup trop osé : il décida ainsi de ne fournir à la censure que la préface et la conclusion de l’œuvre demandée par le pape, intitulée Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. 

Or, lorsque l’ouvrage paraît, en 1632, on s’aperçoit que c’est un brûlot : Filippo Salviati, un Florentin porte-parole de Galilée, y convainc le Vénitien et sage Giovan Francesco Sagredo, ridiculisant un personnage appelé Simplicio, partisan du géocentrisme.

La demande du pape a été ainsi contournée, et ce coup de force en faveur d’une laïcisation de la science se voit nécessairement écrasé par le pape qui tentait de ménager une position intermédiaire, puis par l’Inquisition elle-même, qui fit de l’héliocentrisme le symbole de la remise en cause scientifique de son existence, l’Église interdisant cette thèse jusqu’en 1757.

Voici le début de la repentance de Galilée exigée par le Vatican :

« Moi, Galiléo, fils de feu Vincenzio Galilei de Florence, âgé de soixante dix ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté, ayant devant les yeux et touchant de ma main les Saints Évangiles, jure que j’ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l’aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église catholique et apostolique affirme, présente et enseigne.

Cependant, alors que j’avais été condamné par injonction du Saint-office d’abandonner complètement la croyance fausse que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n’est pas au centre du monde et se déplace, et de ne pas défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit, par oral ou par écrit ; et après avoir été averti que cette doctrine n’est pas conforme à ce que disent les Saintes Écritures, j’ai écrit et publié un livre dans lequel je traite de cette doctrine condamnée et la présente par des arguments très pressants, sans la réfuter en aucune manière ; ce pour quoi j’ai été tenu pour hautement suspect d’hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n’est pas le centre, et se meut.

J’abjure et maudis d’un cœur sincère et d’une foi non feinte mes erreurs. »

Or, il faut voir la suite : Galilée fut donc menacé, mais sa condamnation transformée en résidence surveillée, d’abord chez un archevêque, ensuite chez lui. Il ne fit jamais la récitation des psaumes de la pénitence une fois par semaine, sa fille religieuse s’en chargeant. Enfin, il continua à profiter des bénéfices ecclésiastiques promis par le pape.

On ne peut pas parler d’une répression sanglante. L’héliocentrisme n’était qu’un prétexte. Le contexte véritable était que la position de Galilée a été écrasée au moment où elle aboutissait à une conséquence pratique : la séparation de la science et de l’Église.

Au-delà de la question de l’héliocentrisme, il y a la même question que celle posée par l’averroïsme : la science peut-elle parvenir de manière autonome à la vérité ?

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Le pendule de Foucault

Un exemple concret de tentative d’utilisation du référentiel galiléen est le « Pendule de Foucault ». Léon Foucault était un physicien français du XIXe siècle qui a eu pour ambition de prouver la rotation de la Terre.

Tout comme il est difficile de déterminer si un bateau est en mouvement ou non uniquement grâce à l’observation du mouvement des objets à son bord, il est difficile de prouver le mouvement de la Terre en étant à sa surface.

En mars 1851, Léon Foucault effectue la première démonstration publique au Panthéon de Paris de son dispositif appelé « Pendule de Foucault ». Le dispositif en question consiste en un poids suspendu, grâce à un long fil, au plafond du Panthéon. On tire alors le poids puis on le lâche pour observer son mouvement.

Dans la version présentée en 1851, le pendule oscillait au dessus d’un disque recouvert de sable dans lequel le poids, muni d’une pointe, venait tracer des sillons. Les spectateurs pouvaient alors observer que, peu à peu, les traces laissées par le pendule se décalaient. Autrement dit, le balancement du pendule semblait changer de direction.

Or, en science, il est admis que la direction de balancement d’un pendule ne se modifie pas au cours du temps. Par exemple, si on faisait se balancer un pendule et qu’on montait dans un manège de fête foraine, alors, quelque soit la position qu’on aurait dans ce manège qui tourne, le pendule se balancerait toujours dans la même direction, celle du départ.

La conclusion qui en a été tirée était donc que c’était le sol qui tournait – du fait de la rotation de la Terre – et non le pendule qui changeait de direction.

Si on s’arrête là, la planète Terre est un référentiel galiléen puisque le mouvement du pendule est rectiligne.

Outre le fait que le pendule finit par s’arrêter (son mouvement n’est donc pas uniforme), les scientifiques ont cependant bien vite constaté que ce mouvement n’était pas tout à fait rectiligne non plus. Le pendule se déplaçait en formant une ellipse très écrasée.

Pour expliquer cela, les chercheurs vont faire appel à la « force de Coriolis ». Cette « force » est en réalité une force fictive, de l’aveu même des scientifiques qui la présente. À quoi correspond-elle ?

Pour répondre à cela, prenons un exemple très simple qu’il est possible de vivre dans le manège de la Cité des sciences de la Villette à Paris : on rentre dans un manège et on marche sur un plateau circulaire clos pouvant être mis en rotation. Et une fois la rotation enclenchée, le visiteur est invité, entre autre, à faire rouler une balle au sol.

Et lorsqu’on se trouve dans le manège, on observe que la balle envoyée droit devant décrit une courbe (l’animation du bas sur l’image ci-contre). Toutefois, si on se trouvait au dessus du manège – donc sans être soi-même en rotation – alors on observerait que la trajectoire de cette balle serait bien rectiligne.

C’est dans ce sens que la force de Coriolis est qualifiée de « fictive ». Elle n’existe que pour expliquer l’expérience d’un individu sur un objet en rotation. Alors que si l’individu se trouve à l’extérieur de ce même objet en rotation, alors la force de Coriolis disparaît.

La raison d’être de la force de Coriolis est donc pragmatique : elle existe pour simplifier les équations du mouvement dans un repère en rotation. Mais l’existence de la force de Coriolis a également pour conséquence que le pendule de Foucault se trouve en réalité dans un référentiel non galiléen – un référentiel non galiléen étant un référentiel qui ne remplit pas les conditions nécessaires pour être galiléen, autrement dit un référentiel dans lequel le mouvement d’un objet n’est pas tout à fait rectiligne sous l’exercice d’une force d’inertie.

L’exemple du pendule de Foucault montre ainsi l’étude d’un mouvement dans sa particularité dans un monde relativement incohérent puisque la force d’inertie disparaît selon le point de vue de l’observateur.

D’ailleurs, si on continue le raisonnement relatif à la force de Coriolis et au pendule, tout comme on observe un décalage quand on regarde le pendule depuis la Terre, on finirait également par voir un décalage si l’on regardait le mouvement depuis la Lune, puisque le système solaire est lui-même en rotation. Et ainsi de suite pour les galaxies, les amas de galaxies, les superamas, etc.

Par conséquent, tout comme le vide est une pure fiction, il n’existe pas réellement de référentiel galiléen. Il n’existe que des référentiels considérés comme galiléens dans une certaine mesure, décidés pour des besoins pratiques.

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Le référentiel galiléen

C’est l’une des choses les plus logiques et les moins logiques, et forcément Aristote le savait. Pourquoi il n’en a pas parlé, c’est un autre problème ; ce qui compte c’est que Galilée en a fait un système.

Voici comment il présente cela, dans Dialogue concernant les deux plus grands systèmes du monde.

Le principe est simple : quand on est dans un bateau, et qu’on lance un objet à quelqu’un, on le fait de la même manière que le bateau soit à quai ou en mouvement.

La raison en est que lorsque le bateau est en mouvement, il transmet son mouvement à l’ensemble des choses qui sont dessus.

« Enfermez-vous avec un ami dans la cabine principale à l’intérieur d’un grand bateau et prenez avec vous des mouches, des papillons, et d’autres petits animaux volants.

Prenez une grande cuve d’eau avec un poisson dedans, suspendez une bouteille qui se vide goutte à goutte dans un grand récipient en dessous d’elle.

Avec le bateau à l’arrêt, observez soigneusement comment les petits animaux volent à des vitesses égales vers tous les côtés de la cabine.

Le poisson nage indifféremment dans toutes les directions, les gouttes tombent dans le récipient en dessous, et si vous lancez quelque chose à votre ami, vous n’avez pas besoin de le lancer plus fort dans une direction que dans une autre, les distances étant égales, et si vous sautez à pieds joints, vous franchissez des distances égales dans toutes les directions.

Lorsque vous aurez observé toutes ces choses soigneusement (bien qu’il n’y ait aucun doute que lorsque le bateau est à l’arrêt, les choses doivent se passer ainsi), faites avancer le bateau à l’allure qui vous plaira, pour autant que la vitesse soit uniforme [c’est-à-dire constante] et ne fluctue pas de part et d’autre.

Vous ne verrez pas le moindre changement dans aucun des effets mentionnés et même aucun d’eux ne vous permettra de dire si le bateau est en mouvement ou à l’arrêt. »

La conséquence intellectuelle est énorme. Si on est dans la cabine d’un bateau, et qu’on laisse tomber quelque chose par terre, cela se déroulera de la même manière que le bateau soit en mouvement ou pas.

Pour savoir si donc le bateau est en mouvement ou non, il faut prendre comme référence autre chose que le bateau. Il n’y a pas de mouvement en général, il y a seulement des mouvements de choses par rapport à d’autres.

C’est ainsi parvenir à une étude scientifique d’une réalité particulière, mais au prix de la suppression du système général.

Galilée a tenté ici de faire avancer les choses au moyen de la mécanique. Mais pour faire cela, il a dû prendre des exemples particuliers, et faire sauter l’univers comme ensemble organisé.

Ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre. On comprend aisément pourquoi au début du XXIe siècle, quand le matérialisme dialectique est paradoxalement faible, s’expriment les fétichistes féodaux de « l’ordre » universel et ceux capitalistes du fait particulier, isolé, « rationnel ». Ce sont les fruits pourris de la vision bourgeoise de la science.

En ne s’intéressant qu’aux éléments séparés, Galilée nie la possibilité d’une compréhension générale de la réalité. Il est d’ailleurs obligé de s’appuyer sur une abstraction pour justifier son raisonnement : le vide.

Si tout doit être en mouvement et non au repos, dans une situation « normale », alors il faut une situation où cette situation « normale » prévaut. C’est le vide.

Dans le vide, tout se meut de manière linéaire, sans interruption, et s’il y a repos, c’est que ce mouvement est stoppé par des forces interagissantes. Mais rien ne prouve ce vide, que Galilée remplit d’ailleurs d’atomes qu’il qualifie de « sans quantité ».

Le vide n’est ici, clairement, nullement un espace particulier, mais un non-espace, défini de manière purement négative, comme négation des forces en présence telle que Galilée les interprète. En ce sens, c’est une pure fiction, qui sert de justification à la théorie des forces s’annulant mutuellement pour les situations de repos.

Galilée avait donc à s’opposer au matérialisme, au monisme, selon qui, comme l’avait affirmé Aristote :

« Telles sont les différentes significations de l’Un : le continu naturel, le tout, l’individu et l’universel. »

Il devait le faire comme moyen pour justifier une analyse scientifique purement locale. L’intérêt du vide, ici, est bien sûr de justifier inversement le mouvement dans l’espace non vide : il fallait bien que Galilée, qui ne pouvait saisir l’auto-mouvement de la matière, trouve une origine au mouvement et la situe spatialement.

L’exemple du pendule de Foucault illustre parfaitement cette démarche en quête d’un référentiel.

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Galilée et le mouvement en particulier

Aristote considérait que le monde était de la matière « formée » répartie en différents endroits, et mis en branle par la super-entité, le « moteur premier ».

Cependant, ce mouvement toujours provoqué depuis l’extérieur, ce déplacement forcé, était difficile à prouver : Aristote avait buté sur un point fondamental et évident. Lorsqu’on prend une pierre et qu’on la jette, la pierre continue sa projection, sans être en liaison avec la main qui l’a projeté.

Or, dans la logique de la cause et de la conséquence, la main est la cause du mouvement : comment l’objet en repos peut-il conserver ce qui appartient à la cause ?

Il y avait là un problème essentiel. Ce principe de la conservation de l’énergie, de sa transmission, était totalement incompris. Or, avec les progrès matériels, la bourgeoisie exigeait une compréhension du mouvement – si ce n’est le mouvement en général, au moins le mouvement en particulier.

C’est là qu’intervient Galilée, en traitant de la chute des corps. Il affirme que l’accélération de la chute est universelle : la pesanteur est la même pour tous les objets sur Terre ; ils tomberont de la même manière, quelle que soit leur masse (ici on ne prend pas en compte la résistance de l’air).

Ce qui veut dire qu’on peut considérer n’importe quel phénomène isolément, en utilisant un type de calcul théorique valable dans tous les cas.

C’était là révolutionnaire. Auparavant, de nombreuses choses posaient un grand souci à la science : les expériences étaient difficiles à mettre en place, il fallait les généraliser ce qui était encore plus difficile, il fallait les noter, les diffuser, etc. Sur le plan de la technique et de l’information, on fait « avec les moyens du bord ».

Or, ici, Galilée joue un rôle historique : il affirme qu’on peut contourner cela en généralisant certaines tendances sous la forme de lois. On peut alors utiliser la théorie, l’abstraction, de manière généralisée. Les mathématiques priment ici, comme méthode, comme moyen de former des combinaisons qui fourniront forcément un résultat sur le plan physique.

Phases de la Lune dessinées par Galilée en 1616

Regardon les Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles se rapportant à la mécanique et au mouvement local, titre choisi par l’éditeur de l’ouvrage, en Hollande, en 1638.

Galilée y affirme que les mathématiques fournissent la compréhension de la chute d’un corps :

« Nous apportons sur le sujet le plus ancien une science absolument nouvelle.

Il n’est peut-être rien dans la nature d’antérieur au mouvement, et les traités que lui ont consacrés les philosophes ne sont petits ni par le nombre ni par le volume pourtant, parmi ses propriétés, nombreuses et dignes d’être connues sont celles qui, à ma connaissance, n’ont encore été ni observées ni démontrées.

Certaines, plus apparentes, ont été remarquées, tel le fait que le mouvement naturel des graves, en chute libre, est continuellement accéléré selon quelle proportion, toutefois, se produit cette accélération, on ne l’a pas établi jusqu’ici : nul en effet, que je sache, n’a démontré que les espaces parcourus en des temps égaux par un mobile partant du repos ont entre eux même rapport que les nombres impairs successifs à partir de l’unité.

On a observé que les corps lancés, ou projectiles, décrivent une courbe d’un certain type mais que cette courbe soit une parabole, personne ne l’a mis en évidence.

Ce sont ces faits, et d’autres non moins nombreux et dignes d’être connus, qui vont être démontrés, et ainsi — ce que j’estime beaucoup plus important — ouvrir l’accès à une science aussi vaste qu’éminente, dont mes propres travaux marqueront le commencement et dont des esprits plus perspicaces que le mien exploreront les parties les plus cachées. »

Il y a toutefois ici un problème. Afin de justifier la réalité du calcul mathématique qu’il effectue, Galilée est obligé de renverser le rapport entre repos et mouvement. Pour Aristote tout est au repos et parfois seulement en mouvement ; chez Galilée, tout est en mouvement et parfois seulement au repos.

Tout chose existe dans un circuit de forces amenant au mouvement, et ce n’est que lorsque les mouvement s’annulent qu’il y a le repos :

« Si fluide, si ténu et si tranquille que soit le milieu, il s’oppose en effet au mouvement qui le traverse avec une résistance dont la grandeur dépend directement de la rapidité avec laquelle il doit s’ouvrir pour céder le passage au mobile.

Et comme celui-ci par nature va en accélérant continuellement, ainsi que je l’ai dit, il rencontre de la part du milieu une résistance sans cesse croissante, d’où résulte un ralentissement et une diminution dans l’acquisition de nouveaux degrés de vitesse.

Si bien qu’en fin de compte, la vitesse, d’une part, la résistance du milieu de l’autre, atteignent à une grandeur où, s’équilibrant l’une l’autre, toute accélération est empêchée, et le mobile réduit à un mouvement régulier et uniforme qu’il conserve par la suite. »

Galilée a modifié le rapport cause-conséquence d’Aristote en généralisant le mouvement : ce qu’il faut rechercher ce n’est plus la cause du mouvement, mais la cause du repos.

Cela permet de s’intéresser non plus au système en entier, avec des composantes au repos, mais des éléments séparés, individualisés, en étudiant leur mouvement.

Cela suppose un renversement total de perspective et c’est ce qui a été appelé historiquement le référentiel galiléen.

Galilée et le mouvement

Galilée (Galileo Galilei en italien) est une figure très connue ; on sait de lui, d’habitude, qu’il a affirmé l’héliocentrisme et que l’Église s’est opposée à lui, car elle considérait que la Terre était au centre de l’univers.

Toutefois, une telle interprétation des faits est erronée ; il ne faut pas considérer de manière unilatérale que Galilée est le représentant du matérialisme, un ennemi de l’idéalisme et du féodalisme. D’ailleurs, Galilée, qui agissait au XVIIe siècle, avait même le soutien du pape.

Galilée est en réalité un auteur à mi-chemin, exactement comme René Descartes, à l’opposé de Baruch Spinoza.

Il est quelqu’un qui combine, qui mélange, qui associe ; il est à ce titre tout à fait dans la tradition de la Renaissance italienne ; il n’appartient pas au courant de l’humanisme, du protestantisme, de la peinture flamande, de l’affirmation scientifique en tant que telle.

Giusto Sustermans  (1597–1681), Galilée, 1636

L’héliocentrisme est d’ailleurs une question tout à fait secondaire, le vrai fond du travail de Galilée étant la physique. Toute la question était de savoir comment combiner ces avancées scientifiques avec la vision du monde de l’Église.

Il faut se rappeler ici que l’Église avait, jusqu’au XIIe siècle, catégoriquement refusé tout apport scientifique réel, afin de promouvoir une vision du monde d’un féodalisme totalement primitif. La pénétration des conceptions d’Aristote, à partir du monde arabo-persan, principalement avec Avicenne et Averroès (ce qu’on a appelé l’averroïsme), a forcé l’Église à adapter son discours.

C’est Thomas d’Aquin qui se chargea de cette adaptation, ce qui fera de lui un « père de l’Eglise ». Et la question par rapport à Galilée, est de savoir comment ses apports étaient, ou non, combinables avec ce que disait l’Église.

Or, il y avait une contradiction fondamentale dans l’adaptation faite par l’Église des thèses d’Aristote qui, lui, professait le matérialisme.

Aux yeux d’Aristote, le monde obéissait à une combinaison logique, la matière brute étant « formée » par une super-entité ayant produit indirectement le monde, par un surplus de bonté.

La moindre chose produite par cette super-identité a ainsi une identité à la base, une nature précise. Les événements qui se produisent sont cohérents, s’inscrivant dans les rapports nécessairement ordonnés dès le départ, de par l’existence même du monde.

Il n’y a donc pas de hasard, mais un emplacement tout désigné pour chaque être, qui lui-même possédait une définition particulière, une « forme » bien précise.

Aristote s’apercevant bien que les êtres humains meurent et que leurs enfants sont « différents », il théorise également les espèces, chaque espèce s’inscrivant dans un cycle infini, tout comme le mouvement des planètes.

A la question de l’œuf ou de la poule (qu’il pose), il répond qu’il n’y a pas de première poule, ni de premier œuf : les cycles se répètent de manière infinie. Il n’y a donc pas de création du monde, pas de premier homme.

A la question de la pensée, Aristote explique que les humains ne pensent pas, leur capacité d’atteindre la vérité n’étant qu’une correspondance avec l’intellect agent, pensée correcte, juste, universelle nécessairement, coexistant avec le monde qu’il exprime, auquel il correspond.

Le matérialisme dialectique ajoute à la conception d’Aristote la notion d’auto-développement : il n’y a pas de première poule, mais la poule évolue à travers les millénaires, car la matière s’auto-transforme. Quant à la pensée (scientifique) des êtres humains, elle n’est pas en correspondance avec un intellect agent virtuel de l’univers, mais le reflet de l’univers lui-même.

Tout cela, la bourgeoisie ne pouvait pas le comprendre, nécessairement. C’est là qu’intervient Galilée.

Dominique Tintoret  (1560–1635), Galilée, vers 1602-1607

L’Église avait gommé l’aspect matérialiste d’Aristote, afin de proposer un contre-Aristote à l’Aristote matérialiste de l’averroïsme arabe, puis latin. Cependant, il y avait forcément des contradictions en série entre l’Aristote christianisé et les enseignements d’Aristote concernant la physique.

Aristote considérait ainsi que le repos était le statut normal de chaque chose, et qu’une chose pouvait être mis en mouvement, mais depuis l’extérieur d’elle-même seulement. C’est là le fameux principe de la cause et de la conséquence.

C’est pourquoi l’univers a besoin d’un premier moteur (« Dieu »), qui fournit la première « pichenette » amenant un enchaînement de mouvements en série (il va de soi que le premier moteur, cause de toutes les causes, est immobile, sans quoi il aurait lui-même besoin d’un moteur ; ce statut particulier fait de lui justement être « Dieu »).

La conception d’Aristote dans la physique est ainsi tout un enchaînement de causes et de conséquences. Le judaïsme et l’Islam reprendront cette conception d’une « cause de toutes les causes », tout comme le christianisme par la suite ; à chaque fois il y aura des modifications des enseignements d’Aristote afin de les faire correspondre aux « révélations ».

Le problème était donc qu’Aristote ne connaissait pas la nature en auto-mouvement de la matière ; il a donc cherché le mouvement hors de la matière – d’où l’idée d’une intervention extérieure.

Le matérialisme dialectique ajoute cela à Aristote, sans remettre en cause la conception « totale » d’Aristote : il y a bien un seul univers, une seule réalité, où tout est entremêlé, associé, combiné, synthétiquement lié. Pour le matérialisme dialectique, il n’y a au fond qu’une entité : l’univers. Tout le reste n’est que composants de l’univers.

C’est exactement sur ce point qu’intervient Galilée, remettant en cause le principe du « tout ».

Chez Aristote, le monde est cohérent, comme pour le matérialisme dialectique, mais il est statique. Galilée veut reconnaître le mouvement, alors il nie la cohérence du monde, et affirme que tout est tout le temps en mouvement.

Le repos n’est que la rencontre de forces s’opposant, s’auto-annulant.

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et la reconnaissance de l’espace et du temps

Galilée, Newton, Kant et la reconnaissance de l’espace et du temps: l’affirmation laïque de la science

La féodalité possédait une conception précise de ce qu’elle appelait la « création » : le monde était statique, fourni tel quel par Dieu, et la société devait se reproduire fidèlement, tout comme la nature se reproduisait à chaque cycle.

Au départ, cette conception n’était pas élaborée véritablement ; ce n’est qu’avec l’irruption du matérialisme en Europe, sous la forme de l’averroïsme, au XIIIe siècle, que la panique devint générale dans la féodalité et qu’une véritable théorie fut construite à ce sujet, notamment par Thomas d’Aquin.

Le paradoxe ici était que la féodalité faisait semblant d’accepter certaines thèses seulement d’Aristote, celles qui lui permettaient de maintenir une position réactionnaire, afin de contrer l’averroïsme qui portait la dimension progressiste d’Aristote. Cela fit que lutter contre la féodalité signifiait lutter également contre ce qui semblait être la philosophie d’Aristote.

Cette précision est d’importance, toutefois, quand on regarde les choses en détail ; ce qui compte le plus, c’est de voir que la féodalité avait une conception bien à elle de la réalité matérielle, de la nature, bref de l’espace et du temps.

Or, la bourgeoisie naissante avait besoin de progrès matériels. Elle ne pouvait se contenter d’accepter la domination idéologique d’une conception disant que tout se répète par cycle, tant dans la nature que dans la société, et que rien ne doit changer, que tout est statique par définition.

La bourgeoisie naissante devait transformer, aussi a-t-elle fourni les moyens matériels de vivre et de travailler à des artisans, des artistes, des penseurs se mettant à son service.

Cela, les rois, les empereurs, les princes, etc. l’avaient parfois déjà fait, ayant besoin d’une meilleure administration, d’une meilleure armée, de meilleurs fonctionnaires. La monarchie absolue de Louis XIV est ici un exemple fameux.

Mais ce n’était rien en comparaison de ce que la bourgeoisie était en mesure de faire.

Rembrandt, La Leçon d’anatomie du docteur Tulp, 1632

Pour libérer la science face aux thèses féodales, la bourgeoisie a eu trois figures magistrales : Galilée, Isaac Newton et Emmanuel Kant, qui se suivent et voient leurs idées s’assembler jusqu’à l’affirmation de :

– la séparation radicale entre la science et la religion ;

– la réflexion sur la technique (avec les instruments) et la science, notamment au moyen de la géométrie et des mathématiques.

Comment ont-ils fait cela ? En chassant Dieu de l’espace et du temps. Telle a été leur mission, tel a été leur rôle historique. Ils ont laïcisé la science – ils ne l’ont pas amené jusqu’à l’athéisme, car seul le matérialisme dialectique peut faire ainsi.

Mais ils ont pu faire en sorte que les scientifiques disposent désormais d’une autonomie de plus en plus complète – avec un prix à payer toutefois.

En rejetant le concept Dieu hors des sciences, la science de l’époque a rejeté le principe d’universel, pour plonger dans le particulier. Elle a abandonné la possibilité d’affirmer une explication du monde qui soit totale – cela, seule la classe ouvrière pourra le faire ensuite, avec le matérialisme dialectique.

Aussi, dans la science portée par la bourgeoisie, ce n’est pas la réalité physique qui prime, mais les mathématiques, c’est-à-dire les calculs aidant la compréhension de la physique du monde local, et basculant toujours plus dans l’abstraction, dans l’idéalisme, dans l’autonomie complète, et cela au nom de la nature « organisée » mathématiquement du monde.

C’était obligatoire de par la vision bourgeoise du monde des scientifiques alors.

Chez Galilée, Isaac Newton, Emmanuel Kant, comme chez les auteurs du matérialisme anglais ou les déistes français (et René Descartes avant eux), la franc-maçonnerie, etc., Dieu a fourni le matériel à la raison humaine, pour en disposer comme bon lui semble.

Dieu a conçu le monde mathématiquement, et la raison humaine peut remonter jusqu’à Dieu par une compréhension rationnelle, mathématique, séparée des sens et de la réalité.

L’espace-temps, en définitive, n’est plus que le « cadre » du monde donné à l’humanité par Dieu. C’est là un point de vue pratique pour la bourgeoisie.

Voici comment le chevalier Louis de Jaucourt expose le point de vue d’Isaac Newton dans son article de l’Encyclopédie au sujet de l’Espace, en 1751 :

« L’autorité de M. Newton a fait embrasser l’opinion du vide absolu à plusieurs mathématiciens. Ce grand homme croyoit, au rapport de M. Locke, qu’on pouvoit expliquer la création de la matière, en supposant que Dieu auroit rendu plusieurs parties de l’espace impénétrables : on voit dans le scholium generale, qui est à la fin des principes de M. Newton, qu’il croyoit que l’espace étoit l’immensité de Dieu ; il l’appelle, dans son optique le sensorium de Dieu, c’est-à-dire, ce par le moyen de quoi Dieu est présent à toutes choses. »

Dieu est présent, mais en même temps absent : il n’est plus que l’origine d’un monde dont la compréhension devient autonome de la religion.

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et la reconnaissance de l’espace et du temps

Comité exécutif de l’Internationale Communiste: aux prolétaires de tous les pays [sur l’attaque polonaise]

[Mai 1920.]

Ouvriers de tous les pays !

De nouveau, le sang coule en Orient ! De nouveau, des opérations militaires ruinent de vastes régions ; de nouveau les masses qui aspirent à la paix, au travail créateur, à la régénération et à la reconstruction de leur Etat, sont forcées à combattre.

L’offensive de la Pologne capitaliste et bourgeoise contre la Russie socialiste interrompt, de nouveau, la travail pacifique que les ouvriers et les paysans russes ont commencé après avoir défait les agents du capitalisme mondial — Koltchak, Denikine et Youdénitch — et conquis définitivement les terres, les fabriques et les usines des propriétaires et des bourgeois.

A qui est la faute de ces nouveaux crimes ?

Vous savez que le Pouvoir Soviétiste avait reconnu l’indépendance de la Pologne dès le premier jour où cet État fut créé. Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste a fait, à maintes reprises, des propositions de paix au gouvernement polonais.

Vous savez que le pouvoir soviétiste, en ménageant le sang des ouvriers russes et polonais, était toujours prêt à des concessions territoriales et économiques.

Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste, étant sûr que les ouvriers polonais, alliés du prolétariat russe, prendront, tôt ou tard le pouvoir entre leurs mains, consentait même à concéder aux classes dirigeantes polonaises des territoires qui ne peuvent appartenir à la Pologne pour des raisons purement ethnographiques.

Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste consentait à ce que la conférence de paix fût tenue non seulement à Varsovie, mais même à Paris ou à Londres, dans une de ces capitales bourgeoises, si étroitement liées avec les capitalistes et les propriétaires polonais.

Mais à toutes les propositions de paix du gouvernement soviétiste, la Pologne a répondu par une offensive félonne contre l’Ukraine, offensive qui a pour mot d’ordre le rétablissement du pouvoir de Petlioura, de cet aventurier qui se vendait tantôt aux impérialistes alliés, tantôt aux impérialistes allemands, et qui se met maintenant au service des propriétaires polonais, oppresseurs séculaires du peuple ukrainien.

La Pologne n’a commencé la guerre que pour imposer à la Russie, ruinée par les incessantes attaques des capitalistes alliés, une énorme contribution territoriale et pécuniaire.

Mais la faute de cette guerre est non seulement aux propriétaires et capitalistes polonais, elle est aussi aux gouvernements de l’Entente. Ce sont eux qui ont armé et qui arment toujours la Pologne blanche.

Tout en traitant avec le gouvernement soviétiste la question du rétablissement des relations commerciales avec la Russie, les impérialistes alliés ne perdent pas l’espoir de briser le pouvoir des ouvriers et des paysans de la Russie soviétiste.

L’Entente estime que la République des Soviets commencera à se décomposer politiquement dès qu’elle aura entamé des rapports commerciaux réguliers avec l’Europe ; en même temps, elle espère anéantir la Russie soviétiste par un coup qu’elle cherche à lui porter par la main d’un pays étranger quelconque.

Les impérialistes alliés croient toujours qu’ils pourront écraser le prolétariat russe et le ramener de nouveau à l’esclavage, s’ils lancent contre lui de nouvelles hordes contre-révolutionnaires.

Les capitalistes français ont envoyé à la Pologne non seulement des armes, en quantité énorme, mais encore 600 officiers (sous les ordres du général Henry) qui aideront les officiers polonais mal instruits à attaquer la Russie soviétiste.

D’un seul mot, mais catégorique et ferme, le gouvernement anglais aurait pu empêcher cette guerre, en déclarant : « Assez de guerres, assez de destructions ! La Russie est une source inépuisable de matières brutes et le monde entier en a besoin. ».

Mais le gouvernement de Lloyd George, qui fait appel, dans ses notes au gouvernement soviétiste, aux sentiments d’humanité et qui exige l’amnistie pour tous les contre-révolutionnaires d’Arkhangel et de Crimée, le gouvernement de Lloyd George n’a pas voulu dire que c’était assez de sang et de larmes.

Les bandits polonais ont promis à Lloyd George de lui envoyer de l’Ukraine occupée du blé et des matières premières, et cette promesse avait suffi pour que le gouvernement britannique, tout en poursuivant ses pourparlers avec la Russie soviétiste relativement au rétablissement des rapports commerciaux, autorisât la Pologne blanche à attaquer la république soviétiste.

Le gouvernement italien de Nitti, qui a une peur bleue des masses révolutionnaires italiennes et qui profite de toute occasion pour manifester au peuple russe ses sentiments d’amitié, le gouvernement italien, au lieu de protester contre l’offensive de la Pologne blanche, lui envoie des armes par l’intermédiaire de l’Autriche.

Quant au gouvernement américain, on le connaît bien. Les aviateurs américains bombardent les villes ukrainiennes. La faute de cette guerre est aux gouvernements de tous les pays alliés qui soutiennent tous, plus ou moins, les bandits et les voleurs polonais.

Ouvriers de tous les pays !

La Russie soviétiste aura raison des bandits sans vergogne de l’impérialisme polonais, comme elle a déjà eu raison de Youdénitch, de Koltchak et de Dénikine, que vos gouvernements avaient soutenus non moins énergiquement.

Après les premières victoires très faciles que les légions polonaises ont remportées en Ukraine, elles auront à essuyer la colère des ouvriers et des paysans de toute la Russie et même celle des masses sans-parti qui comprennent maintenant que le gouvernement soviétiste est le véritable défenseur de l’indépendance du grand pays.

Mais il s’agit de savoir, quelle sera la durée de cette guerre, combien de richesses seront encore anéanties et combien de blessures nouvelles aura encore à guérir le peuple russe.

Il ne dépend que de vous, ouvriers de tous les pays, que cette guerre finisse, le plus vite possible, par une débâcle des capitalistes et des propriétaires polonais. Ouvriers des fabriques de munitions de guerre de la France, de l’Angleterre, de l’Italie et de l’Amérique !

Ne fabriquez pas un seul fusil, un seul canon pour la Pologne. Ouvriers des transports, cheminots, chargeurs et matelots ! Empêchez qu’on envoie à la Pologne des munitions et des vivres qui aideront les blancs à faire la guerre à la Russie soviétiste.

Ouvriers de tous les pays alliés !

Organisez des manifestations et des grèves et parcourez les rues de vos villes avec des drapeaux portant comme devise ces mots : « Pas de concours à la Pologne blanche ! » Les alliés doivent museler leurs chiens de chasse — les capitalistes et les propriétaires polonais — et conclure une paix honnête avec la Russie soviétiste.

Ouvriers de l’Allemagne et de l’Autriche ! Vous savez que la Russie soviétiste est la base de la révolution mondiale et qu’il n’y a que cette révolution qui puisse vous libérer du joug de vos propres capitalistes et de la corde que les traités de paix de Versailles et de Saint-Germain ont passée à votre cou.

Cheminots allemands ! Arrêtez tous les trains qui se rendent de France en Pologne. Ouvriers du port de Dantzig ! Ne déchargez pas les steamers à destination de la Pologne. Cheminots autrichiens ! Pas un train ne doit passer de l’Italie en Pologne.

Ouvriers de la Roumanie, de la Finlande et du pays letton ! Vos gouvernements blancs, qui se sont liés par des traités secrets avec les propriétaires polonais, peuvent vous entraîner dans cette guerre. Soyez prudents et faites votre possible pour empêcher cette honte.

Ouvriers de la Pologne ! Une lutte commune de trente ans vous lie avec le prolétariat russe ; il est donc inutile de vous rappeler votre devoir. Vous le faites consciencieusement : vous organisez des manifestations et des grèves et vous exigez la paix avec la Russie soviétiste, en participant ainsi à notre lutte qui vous coûte déjà des milliers de victimes.

C’est avec fierté que vous regarde la 3e Internationale, dont les fondateurs comptent dans leurs rangs Rosa Luxemburg et Jean Tyszkevicz ; la 3e Internationale est sûre que vous tendrez, à l’heure qu’il est, tous vos efforts pour attaquer la Pologne blanche sur ses arrières et pour remporter, avec le concours des ouvriers de la Russie, une victoire décisive sur les capitalistes et propriétaires polonais !

Vous savez que ce n’est pas l’esclavage que la Russie soviétiste apporte à la Pologne, mais la liberté nationale, l’émancipation de l’oppression du capitalisme allié et un secours puissant dans votre lutte contre vos propres capitalistes.

La victoire de la Russie ouvrière et paysanne sera aussi celle du prolétariat polonais, qui est le frère et l’allié des ouvriers et des paysans russes. Attaquez donc, ouvriers, polonais ! C’est votre combat final ! Le jour approche où la justice de votre pays sera entre vos mains.

A bas les capitalistes et propriétaires polonais ! Vive la Russie soviétiste des ouvriers et des paysans !

A bas la guerre ! Vive la paix entre les peuples qui travaillent de la Russie et de la Pologne !

A bas le jeu criminel des gouvernements alliés ! Vive la révolution prolétarienne internationale !

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste

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Comité exécutif de l’Internationale Communiste: aux syndicats de tous les pays

[Avril 1920.]

Au lendemain du 2 août 1914, au début de la bou­cherie impérialiste, les syndicats comptaient plus de 10 millions de membres. Ils n’opposèrent pourtant nulle part une résistance tant soit peu sérieuse à la boucherie impérialiste.

Au contraire, les chefs de l’ancien mouvement syn­dical se mirent dans la plupart des cas, eux et leurs organisations, à la disposition des gouvernements bourgeois. Tout l’appareil des anciens syndicats fut mis au service du haut commandement impérialiste.

Toutes les lois sur la protection du travail furent abrogées par la bourgeoisie avec l’entier consente­ment des chefs des syndicats. Un travail obligatoire extrêmement lourd, un travail de forçat imposé même à des femmes de 60 ans, fut institué par la bour­geoisie avec l’approbation de ces mêmes chefs.

Mais les leaders des anciens syndicats asservirent aussi dans le domaine intellectuel leurs organisations à la bourgeoisie.

Les revues et les journaux édités par les anciens syndicats bénirent les ouvriers allant au devant de la mort ; cette presse ouvrière les bénit au nom du capital, répéta le mensonge bourgeois sur la « défense de la patrie » et se fit partout la prota­goniste des idées bourgeoises, qu’elle s’efforça de ré­pandre dans le cœur même des ouvriers syndiqués.

Les anciens syndicats rongés par la gangrène de l’op­portunisme, trahis par leurs chefs, élevés dans l’atmosphère de serre du réformisme pacifique, n’eurent pas la force d’élever la moindre protestation contre la tuerie impérialiste.

Les syndicats qualifiés « libres » dirigés par Legien fusionnèrent en réalité avec les syndicats traîtres, les syndicats jaunes, fournisseurs de renards1.

Mais voilà que la guerre est finie. La paix impé­rialiste conclue aux dépens des peuples, montre aux aveugles mêmes au nom de quoi elle fut menée.

Les armées sont démobilisées, les ouvriers revien­nent à leurs organisations.

Que vont devenir les syndicats ? Dans quelle voie vont-ils entrer ?

Leurs anciens leaders voudraient les pousser de nouveau dans la voie bourgeoise. Les bourreaux de la classe ouvrière, ses pères bourreaux — un Noske en Allemagne, un Seidi en Hongrie — sont sortis des cadres de l’ancien mouvement syndical.

Demain, si les circonstances leur sont favorables, MM. Jouhaux en France, Gompers en Amérique, etc. deviendront à leur tour des Noske, bourreaux de la classe ouvrière, comme il est arrivé à leurs pareils dans plus d’un pays.

Quels sont les traits caractéristiques de l’ancien mouvement syndical qui l’ont conduit à la capitula­tion devant la bourgeoisie ? Ce sont :

L’esprit étroitement corporatif. L’éparpillement dans l’organisation. Le respect de la légalité bour­geoise. L’habitude de faire fond sur l’aristocratie ouvrière et de méconnaître les manœuvres et les ouvriers non qualifiés. Les cotisations trop élevées, inaccessibles à l’ouvrier ordinaire.

La concentration de toute la direction des syndicats entre les mains de personnes se trouvant en haut de l’échelle ouvrière, fonctionnaires qui tendaient de plus en plus à consti­tuer une caste bureaucratique syndicale. La propa­gande de la neutralité en présence des questions poli­tiques posées devant le prolétariat équivalait en réa­lité au soutien de la politique bourgeoise.

Le sabo­tage des contrats collectifs, qui, en fait, aboutissait à la conclusion de ces contrats par la bureaucratie syndicale et à l’asservissement par les capitalistes des ouvriers d’une profession donnée pour toute une suite d’années. La surestimation d’améliorations insi­gnifiantes (par exemple, de l’augmentation purement nominale des salaires) que les syndicats réussissaient à obtenir des patrons, à l’aide d’une entente pacifique.

La mise au premier plan des questions de secours et de mutualité au préjudice des caisses de grèves et de la combativité des syndicats. L’habitude de considérer les syndicats comme des organisations dont toute la mission est d’améliorer les conditions du travail dans les cadres du régime capitaliste et qui ne se donnent nullement pour but le renversement révolutionnaire du système capitaliste.

Tel fut l’ancien mouvement professionnel « libre», l’ancien trade-unionisme. Une pareille ambiance per­mettait à Gompers, en Amérique, de vendre les vo­tes des syndicats pendant les élections présidentielles, et aux Legien de tous les pays de faire des syndicats les instruments de la bourgeoisie.

Les syndicats vont-ils suivre l’ancienne voie du réformisme, c’est-à-dire, en réalité, de la bourgeoisie ? Telle est la question la plus importante qui se pose devant le mouvement ouvrier international.

Nous sommes profondément persuadés qu’il n’en sera rien. Un vent nouveau a soufflé maintenant sur les édi­fices des anciens syndicats.

Les « comités des fabri­ques et usines » créés en Angleterre, les « conseils d’exploitation » de l’Allemagne, les nouveaux points de cristallisation dans les syndicats français, les grandes unions telles que « la Triple Alliance » en An­gleterre, les nouveaux courants dans le mouvement professionnel américain — autant de symptômes mon­trant qu’une transmutation de valeurs commence dans le mouvement syndical du monde entier.

Un nouveau mouvement syndical se forme sous nos yeux.

Quels devront être ses traits caractéristiques ?

Il faut qu’il renonce à toutes les survivances de l’étroitesse corporative. Il faut qu’il mette à l’ordre du jour la lutte immédiate — d’accord avec le Parti Communiste — pour la dictature du prolétariat et pour le régime des Soviets, il faut qu’il refuse de repriser à la mode réformiste les anciennes défroques du capitalisme.

Le nouveau mouvement syndical doit mettre au premier plan la grève générale et préparer la combinaison de cette grève avec l’insurrection à main armée. Les nouveaux syndicats doivent embras­ser la masse ouvrière et non plus l’aristocratie ou­vrière Ils doivent appliquer le principe d’une stricte centralisation et de l’organisation par industrie et non par métiers.

Ils doivent tendre à obtenir un contrôle ouvrier réel sur la production, et participer ensuite énergiquement à l’organisation de l’industrie par la classe ouvrière victorieuse de la bourgeoisie.

Ils doivent entreprendre une lutte révolutionnaire pour la socialisation immédiate des principales branches de l’économie, sans oublier que nulle organisation sé­rieuse n’est possible avant la conquête du pouvoir soviétiste par le prolétariat.

Ils doivent expulser systématiquement de leur milieu les bureaucrates, infec­tés d’opinions bourgeoises et incapables de diriger la lutte révolutionnaire des masses prolétariennes. Ils doivent procéder chez eux au nettoyage effectué voilà quelques années par les syndicats russes et que les syndicats de l’Allemagne et des autres pays commencent maintenant.

La leçon donnée par la guerre n’est pas perdue. Les masses prolétariennes diront leur mot. Les syn­dicats ne peuvent plus réduire le travail à la lutte pour de dérisoires augmentations de salaires.

La cherté incroyable des objets de première nécessité, cherté croissante dans le monde entier, rend plus illu­soires que jamais les « conquêtes » dont les trade-unionistes, ancienne manière, étaient si fiers. Ou les syndicats doivent se transformer en véritables orga­nisations militantes de la classe ouvrière ou ils dis­paraîtront.

La puissante vague de grèves qui ébranle tout le continent européen, ainsi que l’Amérique et les autres parties du monde, est la meilleure preuve que les syn­dicats ne pourriront pas sur place, mais se régénére­ront vite.

Ils ne se tiendront pas à l’écart des gran­dioses problèmes qui concentrent l’attention du monde entier, qui divisent l’humanité entière en deux camps, celui des Blancs et celui des Rouges.

Chaque syndicat est maintenant contraint de s’intéresser aux questions des impôts directs ou indirects, au problème du paie­ment, des emprunts de guerre, à la nationalisation des chemins de fer, des mines, des principales bran­ches de l’industrie, etc.

Chaque syndiqué doit comprendre chaque jour plus clairement que la neutralité prêchée dans les syndicats par la bourgeoisie et par les opportunistes n’est qu’une duperie bourgeoise, qu’on ne peut rester ni tiède ni froid dans la lutte décisive engagée entre les deux classes.

Un mouvement de désagrégation est commencé dans les syndicats. Nous ne les reconnaîtrons plus dans quelques années. Les anciens bureaucrates du mouvement syndical seront des généraux sans armées. La nouvelle époque fera surgir une nouvelle généra­tion de leaders prolétariens du mouvement syndical régénéré.

Mais la bourgeoisie prévoyante veille. Par l’entre­mise de ses serviteurs éprouvés, par l’entremise des anciens leaders, elle s’efforce de nouveau à conquérir le mouvement.

Un congrès s’est réuni à Amsterdam. « Congrès international des Syndicats ». Legien, Jouhaux, Gompers et d’autres agents de la bourgeoi­sie ont voulu remettre le mouvement professionnel dans l’ancienne voie.

La Ligue des Nations, qui n’est en réalité qu’une association de malfaiteurs impérialistes, a convoqué à Washington et ensuite à Paris une ridicule conférence sur la « protection internatio­nale du travail » où les deux tiers des voix apparte­naient à la bourgeoisie et un tiers à ses agents (MM. Legien, Jouhaux et Cie) qui ont encore l’outrecui­dance de se qualifier « représentants ouvriers ».

Ces conférences de représentants triés par la bourgeoisie ont essayé de mettre une camisole de force au mou­vement ouvrier en voie de régénération. Les forces réunies des ministres bourgeois et de la bureaucratie syndicale veulent l’étendre sur le lit de Procuste du réformisme petit-bourgeois.

L’Internationale communiste en appelle aux prolétaires syndiqués du monde entier2. Mettez un terme, camarades, à ces railleries bourgeoises, démas­quez l’infâme comédie que jouent à vos dépens les ploutocrates ; dites au monde que vous n’avez rien de commun avec les créatures de Clemenceau et de Wilson.

Les meilleurs éléments du prolétariat mondial exi­gent partout la création du pouvoir soviétiste. Le temps n’est pas loin où l’humanité entière conquerra la forme du gouvernement soviétiste, c’est-à-dire pro­létarien.

Les syndicats continueront alors à jouer un rôle d’une importance énorme dans l’œuvre de trans­formation de l’économie capitaliste sur les bases du communisme. Ils auront leur place d’honneur à côté des Soviets comme nous le voyons maintenant dans la Russie sioviétiste.

L’Internationale communiste tient pour erronées les opinions de la minorité des communistes allemands qui se prononce contre la nécessité des syndicats en général.

Les Soviets industriels des entreprises (les comités des fabriques et des usines) qui se créent dans plusieurs pays non seulement ne rendent pas les syndicats inutiles, mais tout au contraire doivent être eux-mêmes, comme en Russie soviétiste, les prin­cipaux centres des syndicats industriels.

L’Internationale communiste estime que l’heure est venue où les syndicats, libérés des influences bour­geoises et des influences social-chauvinistes, doivent créer sans tarder leur organisation internationale par industries et à l’échelle mondiale.

Nous devons opposer à l’Internationale jaune des syndicats, à l’Internationale que les agents de la bourgeoisie s’efforcent de recréer à Amsterdam, à Washington et à Paris, l’Internationale rouge des syndicat, réellement prolétariens, l’Internationale syndicale qui œuvrera d’accord avec la 3e Internatio­nale communiste.

Dans plusieurs pays les syndicats traversent une crise marquée. L’ivraie est séparée du froment. L’Al­lemagne qui fut le rempart du mouvement bourgeois professionnel jaune dont le mouvement fut dirigé par les Legien et les Noske, voit toute une série de syn­dicats se détourner des social-démocrates jaunes et passer à la révolution prolétarienne.

Plusieurs syndi­cats ont déjà chassé les anciens chefs qui livrèrent naguère le mouvement professionnel aux capitalistes. Les syndicats italiens adoptent presque entièrement la plate-forme du pouvoir soviétiste. Le mouvement prolétarien révolutionnaire s’accuse de plus en plus énergiquement dans les syndicats scandinaves.

Les masses ouvrières des syndicats français, anglais, amé­ricains, néerlandais, espagnols renient l’ancienne tactique bourgeoise et exigent de nouvelles méthodes ré­volutionnaires En Russie trois millions et demi de syndiqués soutiennent sans réserve et avec un entier dévouement la dictature prolétarienne. Dans les pays balkaniques, la plupart des syndicats nouent des rela­tions étroites avec les partis communistes et se pla­cent eux-mêmes sous le glorieux drapeau communiste.

La 1re Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs dirigée par Marx et Engels, tendait à embrasser toutes les organisations ouvrières et, en­tre autres, les syndicats.

La 2e Internationale (actuellement dissoute) invi­tait les syndicats à ses congrès, mais n’avait avec eux aucun lien d’organisation solide.

La 3e Internationale a l’intention de suivre sous ce rapport la voie de la 1re Internationale. Tout vrai syn­dicat prolétarien militant qui se posera les problèmes esquissés ci-dessus tendra lui-même à une étroite union avec l’avant-garde du prolétariat international organisé dans l’Internationale communiste.

L’œuvre d’émancipation de la classe ouvrière exige la concentration de toutes les forces organisées du prolétariat. Nous avons besoin d’armes de toutes espè­ces pour monter avec succès à l’assaut du capitalisme.

L’Internationale communiste doit faire face sur tous les fronts à la lutte libératrice du prolétariat interna­tional. A cet effet, elle tend à la plus étroite union avec les syndicats révolutionnaires qui comprennent les problèmes de notre époque.

L’Internationale communiste veut unifier non seule­ment les organisations politiques des travailleurs, mais aussi toutes les organisations ouvrières recon­naissant non en paroles, mais en action la lutte révo­lutionnaire et tendant à la conquête de la dictature prolétarienne.

Le Comité exécutif de l’Internationale communiste estime que ce ne sont pas seulement les partis politiques communistes qui doivent prendre part aux congrès de l’Internationale communiste, mais aussi les syndicats adoptant la plate-forme révolution­naire. Les syndicats rouges doivent s’unir internatio­nalement et devenir partie intégrante (section) de l’Internationale communiste.

Nous le proposons aux ouvriers syndiqués du monde enlier. L’évolution, la désagrégation qui se sont pro­duites dans les partis politiques du prolétariat se pro­duiront immanquablement dans le mouvement syndi­cal. Tous les grands partis ouvriers ont quitté la 2e internationale ; et de même tous les syndicats hon­nêtes devront rompre avec l’Internationale jaune des syndicats.

Nous proposons aux travailleurs syndiqués du monde entier de discuter cet appel dans leurs assem­blées générales et nous sommes profondément convaincus que les prolétaires honnêtes de tous les pays viendront serrer énergiquement la main que leur tend l’Internationale communiste.

Vive le nouveau mouvement syndical purifié de la contagion opportuniste !

Vive l’Internationale des syndicats rouges !

Le Président du Comité exécutif de l’Internationale communiste : G. ZINOVIEV.

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