Le Parti Socialiste SFIO, une tradition collectiviste et non social-démocrate

Le Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière est né en 1905, comme unité de tous les socialistes répondant à l’appel de la social-démocratie internationale, et plus précisément la section allemande. Cette dernière, forte de son prestige, tant par l’affirmation de l’idéologie de Karl Marx et Friedrich Engels que par sa très grand puissance sur le plan de l’organisation, joua un rôle décisif pour littéralement forcer les Français à cesser leurs divisions.

Karl Marx

Encore faut-il noter que cela ne fut pas suffisant. Non seulement des socialistes dits « indépendants » subsistèrent à l’écart, notamment sur le plan électoral, mais même à l’intérieur du Parti unifié, les regroupements se maintenaient et s’affrontaient.

Pire encore, le fait que ces regroupements ne soient pas formalisés amena de véritable conflits internes, à tous les niveaux. Une majorité et des minorités se combattaient au sein des sections, au sein des Fédérations, au sein du Parti lui-même, et ce fut d’autant plus puissant que le Parti Socialiste SFIO conserva toujours une structure entièrement fédérale.

Le Parti ne disposait d’une unité qu’en apparence, que de manière formelle. Et cela ne fut pas le seul souci fondamental du Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière. En effet, celui-ci émerge au moment où la République s’affirme de manière moderne, porté par des « radicaux » se positionnant au centre et se voulant clairement anti-conservateurs. Cela se déroule parallèlement à un grand élan capitaliste, connu sous le nom de Belle Époque.

Une partie significative des socialistes du Parti unifié était attirée par cette dynamique, au nom de la perspective d’une « république sociale ». A l’arrière-plan, il y a ici l’influence prépondérante de la franc-maçonnerie, qui phagocyte littéralement tous les aspects intellectuels au sein du Parti même.

Pour ajouter à la complexité, l’anarchisme exerçait également une influence puissante. La majorité du Parti était tout à fait d’accord avec la ligne selon laquelle le syndicat se développant parallèlement, la Confédération générale du travail, devait rester totalement indépendante du Parti. Ce dernier était considéré comme devant s’occuper des élections, les travailleurs devant à l’opposé préparer la société future en s’organisant de manière syndicale.

Sigle de la CGT adopté en 1904

Or, tant le Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière que la Confédération générale du travail étaient tout à fait minoritaires. Leur optimisme particulièrement volontariste ne s’appuyait sur rien de conséquent, malgré les rodomontades systématiques comme quoi la France était à la pointe du mouvement ouvrier mondial.

Cela se lira de manière pratique avec l’effondrement en 1914. Cet effondrement n’est pas simplement idéologique : en pratique, ni le PS – SFIO ni la CGT n’avaient de base cohérente. Il y aurait dû y avoir un refus de la guerre au moins pour des raisons culturelles, par antimilitarisme, mais on avait affaire ici à un idéalisme collectiviste.

Et cet idéalisme forçait, par définition, la réalité. Le vrai fond du problème est que, avec la guerre faisant irruption, le PS – SFIO et la CGT ont été obligés de constater la vanité de leurs conceptions de minorités agissantes.

Ni l’un ni l’autre n’avaient de prise sur le réel, de présence authentique dans la société française toute entière. Il s’agissait de phénomènes non pas marginaux, mais en tout cas sans poids réel sur l’évolution des choses.

Cela ne pouvait amener qu’au seul choix restant : celui de l’accompagnement. D’ailleurs, la trajectoire des socialistes après 1918 resta un simple accompagnement.

La majorité accompagna la révolution russe, sans en comprendre les tenants et aboutissants, la minorité accompagna la république, les cadres opportunistes accompagnèrent les hautes instances institutionnelles du capitalisme et de l’Etat, d’autres encore accompagnèrent la montée du fascisme et le régime de Pétain.

Le Parti Socialiste SFIO est un exemple de l’échec en raison de sa nature non social-démocrate ; c’est un cas d’école du collectivisme à la française, avec tous ses errements.

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L’expulsion du «groupe anti-parti» en URSS en 1957

Le Comité Central du PCUS se réunit en session du 22 au 29 juin 1957, pour considérer la « question du groupe anti-parti de Malenkov, Kaganovitch et Molotov qui s’est formé au sein du Présidium du Comité Central du Parti ».

Le bilan de la session est que le « groupe anti-parti » s’est formé à la suite du XXe congrès du PCUS pour en contrer les décisions, mais qu’en fait déjà auparavant ses membres cherchaient à s’opposer à la tendance s’affirmant, principalement la coexistence pacifique.

Le bilan de la session explique que Georgi Malenkov, Lazare Kaganovitch et Vyatislav Molotov cherchaient à contrer la réorganisation de l’industrie et de l’agriculture, s’opposant ainsi à la croissance nécessaire. Mieux encore :

« Les camarades Malenkov, Kaganovitch et Molotov s’opposaient de manière véhémente aux mesures prises par le Comité Central et l’ensemble du Parti pour éliminer les conséquences du culte du dirigeant individuel, pour éliminer les violations de la loi révolutionnaire qui se sont produites et pour créer des conditions ôtant le sol à cela. »

Selon le bilan de la session, toute l’URSS soutiendrait le XXe congrès ; Malenkov, Kaganovitch et Molotov seraient restés « sourds à ce mouvement créatif des masses ».

C’est principalement Vyatislav Molotov qui est visé, Lazare Kaganovitch étant considéré comme pratiquement équivalent dans son opposition, Georgi Malenkov étant moins impliqué mais engagé dans le même esprit :

« Le camarade Molotov a formé des obstacles à la conclusion du traité d’État avec l’Autriche et à l’amélioration des relations avec cet État situé au centre de l’Europe. La conclusion du traité avec l’Autriche revêt une grande importance pour la réduction de la tension internationale générale. Il était également opposé à la normalisation des relations avec le Japon, alors que cette normalisation a joué un rôle important dans le relâchement des tensions internationales en Extrême-Orient.

Il s’est opposé aux propositions fondamentales élaborées par le Parti sur la possibilité de prévenir les guerres dans les conditions actuelles, sur la possibilité de passer différemment au socialisme dans différents pays, sur la nécessité de renforcer les contacts entre le Parti communiste d’Union soviétique et les partis progressistes de pays étrangers.

Le camarade Molotov s’est opposé à plusieurs reprises aux nouvelles mesures nécessaires du gouvernement soviétique en matière de défense de la paix et de sécurité des peuples. Il a notamment nié l’opportunité d’établir des contacts personnels entre les dirigeants de l’URSS et les hommes d’État d’autres pays, ce qui est essentiel pour parvenir à la compréhension mutuelle et améliorer les relations internationales.

Sur nombre des questions ci-dessus, l’avis du camarade Molotov a été appuyé par le camarade Kaganovich et, dans un certain nombre de cas, par le camarade Malenkov (…).

Ce qui sous-tend la position des camarades Malenkov, Kaganovich et Molotov – qui est en contradiction avec la ligne du parti – est le fait qu’ils étaient et sont toujours enchaînés par de vieilles notions et méthodes, qu’ils sont devenus séparés de la vie du parti et du pays et ne voient pas les nouvelles conditions, la nouvelle situation, qu’ils adoptent une attitude conservatrice et s’attachent obstinément à des formes et des méthodes de travail obsolètes qui ne correspondent plus aux intérêts du mouvement vers le communisme, rejetant ainsi ce qui est engendré par la vie et découle des intérêts du développement de la société soviétique, des intérêts de tout le camp socialiste (…).

Tant dans les questions intérieures que dans les questions de politique étrangère, ils sont sectaires et dogmatiques et utilisent une approche scolastique et inerte du marxisme-léninisme.

Ils ne réalisent pas que, dans les conditions actuelles, le marxisme-léninisme en action et la lutte pour le communisme se manifestent dans la mise en œuvre des décisions du XXe Congrès du Parti, dans la poursuite persistante de la politique de la coexistence pacifique, de la lutte pour l’amitié entre les peuples et la politique de consolidation de part en part du camp socialiste, dans la gestion industrielle améliorée, dans la lutte pour le progrès global de l’agriculture, pour l’abondance de produits alimentaires, pour la construction de logements à grande échelle, pour l’élargissement des pouvoirs des républiques fédérées, pour l’épanouissement des cultures nationales, pour le développement général de l’initiative des masses. »

Toute l’argumentation profitait de la thèse de la nouvelle période censée avoir commencé en 1952. Le XXe congrès avait été la réalisation révisionniste des erreurs fondamentales du XIXe congrès de 1952.

L’écrasement du « groupe anti-parti » marquait la fin de cette séquence.

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La tentative du «groupe anti-Parti» de renverser Nikita Khrouchtchev

Le bloc autour de Georgi Malenkov, Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, avec Nicolaï Boulganine comme principal soutien, ne comprenait pas le caractère erroné du XIXe congrès et par conséquent considérait qu’il fallait simplement mettre de côté une ligne erronée.

Leur démarche fut pour cette raison entièrement machiavélique, sans proposition idéologique ni appel aux masses. L’organisation d’une réunion du Présidium du 18 juin 1957 fut ainsi choisi car les partisans de Nikita Khrouchtchev étaient loin pour beaucoup : Mikhail Souslov était en vacances depuis le 19 mai, Alexeï Kirichenko était à une session du Comité Central du Parti d’Ukraine, Maksim Sabourov (dont le positionnement était ambigu mais finalement anti-Khrouchtchev) avait une réunion du CEMA à Varsovie.

Mikhail Souslov

Du côté des candidats devant également être présents à la réunion, Frol Kozlov était à Leningrad pour le 250e anniversaire de la ville, Nuritdin Mukhitdinov devait a priori être en Ouzbékistan, Nicolaï Shvernik devait participer à des célébrations à Oufa.

Nicolaï Boulganine et Nikita Khrouchtchev revinrent d’un séjour officiel en Finlande du 6 au 14 juin et à leur arrivée, Georgi Malenkov demanda la réunion du Présidium pour décider de qui participerait finalement aux célébrations à Leningrad le 22 juin. Il fut convenu du 18 juin.

Dès le départ, le droit de présider la réunion fut dénié à Nikita Khrouchtchev, qui fut remplacé par Georgi Malenkov pour ce rôle et qui commença la dénonciation des activités, depuis 1955, menées par le secrétaire du Comité Central du PCUS.

Vyatislav Molotov qualifia Nikita Khrouchtchev de « démagogue sans aucune base idéologique » ; l’accusation générale était qu’il avait « une approche purement pragmatique », qu’il cherchait « à placer l’économie au-dessus de la politique ».

Nikita Khrouchtchev refusa cependant de démissionner de son poste et le bloc opposé à lui refusa d’employer la force.

A l’enterrement de Staline : Nicolaï Boulganine, Nikita Khrouchtchev,
ainsi que Lazare Kaganovitch et Anastas Mikoyan

Les quelques heures de perdues permirent une mobilisation générale des partisans de Nikita Khrouchtchev au sein du Comité Central, qui se précipitèrent de tout le pays et même de l’étranger pour intervenir en sa faveur. La première chose qu’ils firent, pour gagner du temps, fut d’envoyer une pétition à la réunion du Présidium, exigeant que celui-ci lui passe la main.

Le bloc des opposants chercha à louvoyer – en demandant la démission de Nikita Khrouchtchev comme préalable, etc. – mais il dut se rendre à l’évidence et plia face à l’initiative de tenir une session du Comité Central.

Celle-ci ouvrit le 22 juin, avec 309 personnes en comptant les candidats. Elle dura huit jours.

Il est frappant que le bloc des opposants, ayant limité son combat au Présidium, n’avait rien prévu pour la bataille du Comité Central – peut-être pensaient-ils que de toutes façons, elle était perdue d’avance puisque ses membres étaient nouveaux, liés à Nikita Khrouchtchev, etc.

De toutes manières, le bloc lui-même se délita immédiatement, l’opportunisme gagnant la plupart. Au final, il resta au centre de la problématique seulement Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, ainsi que Georgi Malenkov, puis finalement Vyatislav Molotov seulement.

Il fut le seul membre du Comité Central à ne pas voter, le 29 juin, sa propre exclusion de cet organisme, ainsi que celle de Lazare Kaganovitch, Georgi Malenkov et Dimitrii Shepilov. Kliment Vorochilov et Nicolaï Boulganine restèrent par contre membres du Présidium, avec un blâme non rendu public.

Nicolaü Boulganine dut finalement faire face à l’offensive contre lui de Nikita Khrouchtchev en décembre 1958, tout comme Maksim Sabourov et Mikhail Pervukhine en février 1959, et finalement Kliment Vorochilov en octobre 1961.

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Le vacillement de la position de Nikita Khrouchtchev à la suite du XXe congrès du PCUS

Le grand remue-ménage dans les pays de l’Est européen et une opposition diffuse en URSS même affaiblissait grandement la position de Nikita Khrouchtchev. Lorsque ce dernier alla avec Anastas Mikoyan rendre visite en Pologne à Władysław Gomułka, en octobre 1956, il fut accompagné de Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, ce qui est un gage très clair aux forces opposées à lui.

Georgi Malenkov se rendit quant à lui à Budapest en janvier 1957 avec Nikita Khrouchtchev pour une réunion des dirigeants de l’Europe de l’Est et de l’URSS.

Et précisément durant cette période – d’octobre 1956 au tout début de l’année 1957 – les rumeurs allèrent bon train en URSS et dans les pays de l’Est comme quoi Nikita Khrouchtchev allait être remplacé.

Georgi Malenkov

Il apparut toutefois clairement qu’à partir de février 1957, il a regagné ses positions acquises, comme en témoignaient les apparitions publiques nombreuses et les différents programmes de l’économie soviétique auxquels il se voyait associé.

La clef fut la session du Comité Central de décembre 1956. Deux tendances y apparurent : celle considérant qu’il fallait en revenir au réalisme et arrêter d’imaginer un tempo incroyable amenant au dépassement du niveau américain à court terme, et celle s’appuyant sur le Parti et l’armée considérant qu’il y avait une incapacité ou une obstruction des hauts cadres de l’industrie.

Le résultat fut une alliance temporaire des deux : d’un côté il fut officiellement affirmé que l’administration de l’économie allait réétudier le plan quinquennal pour éventuellement le réviser (à la baisse), de l’autre de manière non officielle il fut décidé d’étudier les problèmes internes d’organisation de l’administration de l’économie.

Une photo d’avant 1953, avec :
Georgi Malenkov, Lavrenti Beria, Nikita Khrouchtchev, Staline

Début février 1957, Mikhail Pervukhine présenta ainsi le plan pour l’année en cours, qui prévoyait 7,7 % de croissance et non plus 10,8 %. Parallèlement, il fut décidé de procéder à une coordination accrue entre les régions et par conséquent une décentralisation significative de la planification ; cela fut validé par le Plénum de la mi-février.

Cela signifie que Nikita Khrouchtchev avait réussi à neutraliser l’appareil économique au prix d’un compromis sur l’intensité de la production, tout en réussissant à briser en particulier l’appareil de planification, sous prétexte de la moderniser dans le cadre de « l’édification du communisme ». Cette tendance allait massivement se renforcer par la suite, avec la mise en concurrence des entreprises encadrées désormais par un nouveau type de « plan ».

Tout cela fut considéré comme allant trop loin par des forces parfois ayant épaulé Nikita Khrouchtchev jusque-là. Un front se forma par conséquent autour de Georgi Malenkov, Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, épaulés de Nicolaï Boulganine, Kliment Vorochilov, ainsi que de Dimitrii Shepilov, lui-même trouvant trop risqué la ligne de Nikita Khrouchtchev qu’il avait appuyé pourtant de bout en bout.

Dimitrii Shepilov, en 1955

L’objectif de ce bloc ne fut pas de lancer une bataille idéologique dans le Parti, mais de simplement conquérir la majorité au Présidium, afin de démettre Nikita Khrouchtchev. On voit ici que sur le plan des mentalités et de la conscience, on reste totalement bloqué à l’horizon établi par le XIXe congrès et que la question de la sécurité d’État est considérée comme réglée.

En pratique, tout le monde a accepté la thèse de 1952 comme quoi l’URSS rentrait dans une étape entièrement nouvelle et part de cette base. La construction du socialisme était terminée, et donc le rôle de Staline également ; il s’agissait simplement de gérer au mieux les forces productives. Aucun opposant à Nikita Khrouchtchev ne sort de ce cadre conceptuel après la liquidation de l’appareil de sécurité d’État.

Le bloc autour de Georgi Malenkov, Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch s’imaginait donc qu’il allait procéder à une correction du cours – peut-être à une rectification, il n’y a aucune clarté à ce sujet. Mais dans tous les cas, il ne considérait pas que l’ensemble du processus en cours était contre-révolutionnaire au sens strict.

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La publication du «rapport secret» de Nikita Khrouchtchev et son impact

Si le « rapport secret » ne fut pas publié en URSS avant 1989 et si son existence même était un non-dit, le document parvint dans les pays capitalistes qui s’empressèrent de le publier dans son intégralité.

Cela fut fait par le New York Times le 5 juin 1956, Le Monde le 6 juin 1956 et dans la version dominical du Guardian, appelé The Observer, le 10 juin 1956.

C’est la CIA qui obtint le document par l’intermédiaire des services secrets israéliens, qui eux-mêmes l’avaient obtenu par un journaliste polonais juif tombé dessus par hasard en rendant visite à sa petite amie travaillant comme apprentie secrétaire pour le premier secrétaire du Parti en Pologne.

Il est toutefois tout à fait possible qu’il s’agisse d’une légende et que le document fut fait passer exprès à l’Ouest à l’initiative de Nikita Khrouchtchev et de ses partisans.

Page de garde d’une version française et d’une version polonaise éditée à Paris (en 1956)
du pseudo rapport secret

La publication indirecte d’un tel document déboussola en tout cas totalement le Mouvement Communiste International. Le Parti Communiste italien, par la voix de Palmiro Togliatti en fut immédiatement satisfait tout en exprimant ouvertement le regret qu’il n’aille pas plus loin quant à la lutte contre une dégénérescence de l’URSS, ce que la résolution du PCUS sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » trouve d’ailleurs dommageable.

Le Parti Communiste Français, dont Maurice Thorez, Jacques Duclos et Pierre Doize étaient à Moscou pour le XXe congrès, était bien plus réticent. Il accompagne finalement le processus, mais avec prudence.

La Chine populaire soutint le mouvement initialement, mais les dissensions en son sein s’exprimèrent et la grande bataille anti-révisionniste commença.

Mais, surtout, le « rapport secret » eut un impact dévastateur dans les pays de l’Est européen, nés du principe de démocratie populaire formulée justement à l’époque de Staline.

En République Démocratique Allemande, il scella le tournant révisionniste déjà entamé. Dès le 4 mars, le dirigeant du SED Walter Ulbricht expliqua dans Neues Deutschland, l’organe du Parti, que :

« On ne peut pas compter Staline parmi les classiques du marxisme. »

Tout comme le Tchécoslovaque Klement Gottwald revint gravement malade de l’enterrement de Joseph Staline, le dirigeant du Parti polonais Bolesław Bierut tomba malade à la fin du XXe congrès et décéda. Dans les deux cas, la thèse de l’assassinat ne laissa guère de doutes. Le successeur de Bolesław Bierut, Edward Ochab, dut faire face à une révolte immédiate en liaison avec une hausse des prix décidée ; la répression qu’il décida fit 90 morts et 900 blessés.

Pour cette raison, c’esdt Władysław Gomułka, autrefois emprisonné pour sa ligne contre-révolutionnaire, qui fut mis à la tête du Parti le 21 octobre 1956. Il prôna une « voie polonaise au socialisme » et obtint le départ des nombreux officiers soviétiques chapeautant l’armée polonaise et même le poste de ministre de la défense, avec le maréchal Constantin Rokossowki (d’origine polonaise).

L’écho fut immédiat en Hongrie : dès le 23 octobre, des milliers d’étudiants détruisirent à Budapest un monument en l’honneur de Staline. Les chars soviétiques arrivèrent dans la ville dès le lendemain, mais la situation se calma relativement avec l’arrivée au pouvoir du réformiste Imre Nagy, qui obtint le départ des chars le 30 octobre.

Cela jeta de l’huile sur le feu et les opposants commencèrent une chasse aux communistes dans Budapest. Lorsque Imre Nagy parla de quitter le pacte de Varsovie, les chars soviétiques revinrent et écrasèrent l’insurrection du 4 au 15 novembre 1956, faisant 5 000 morts et 60 000 prisonniers.

La révolte anticommuniste de Budapest en 1956

L’initiative de Nikita Khrouchtchev bouleversait réellement la situation et apparaissait comme un coup de tonnerre dans un ciel serein – même si ses fondements étaient en réalité profondément enracinés à partir de la grande polémique lancée par Eugen Varga dans l’URSS de l’immédiate après-guerre.

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Le document «Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences» et la justification de la nouvelle direction

Le document du Comité Central intitulé sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » devait forcément justifier la direction actuelle du PCUS. Cela était compliqué, forcément, puisqu’elle vient directement de la période passée.

On a ainsi droit à de véritables contorsions visant à légitimer la direction ayant émergée depuis 1952-1953. Pour s’en sortir, le document s’appuie immanquablement sur le XIXe congrès : la période serait totalement différente, l’URSS n’a plus rien à voir avec avant, etc.

« Au sein du Comité central du Parti il a existé un noyau léniniste de dirigeants qui comprenaient avec justesse les besoins venus à maturité (…).

On ne peut dire qu’une résistance n’a pas été opposée aux phénomènes négatifs qui étaient liés au culte de la personnalité et qui freinaient la progression du socialiste. Bien plus, il y a eu des périodes, par exemple pendant la guerre, où les actes personnels de Staline ont été sensiblement limités, où les conséquences négatives des actes illégaux ou arbitraires, etc. ont été sensiblement atténuées (…).

Après la victoire, les conséquences négatives du culte de la personnalité se sont de nouveau amplifiées. Le noyau léniniste du Comité central, dès la mort de Staline, a engagé résolument une lutte contre le culte de la personnalité et ses graves conséquences.

On peut se demander pourquoi ces personnes ne se sont pas dressées ouvertement contre Staline et ne (l’ont) pas écarté de la direction ? Dans les conditions données, cela était irréalisable (…).

Les Soviétiques voyaient en Staline un homme qui défend toujours l’URSS contre les manœuvres de l’ennemi, qui lutte pour la cause du socialisme (…). Toute prise de position contre lui n’aurait pas été comprise par le peuple (…).

Nombre de faits et d’actes erronés de Staline, surtout en ce qui concerne la violation de la légalité soviétique, n’ont été connus que ces derniers temps, seulement après sa mort, surtout après que la bande de Beria a été démasquée (…).

Ce serait une grossière erreur de tirer de l’existence dans le passé du culte de la personnalité la conclusion que des changements se seraient produits dans le régime social de l’URSS, ou de rechercher la source de ce culte dans la nature du régime social soviétique (…).

Aucun culte de la personnalité ne pouvait changer la nature de l’État socialiste fondé sur la propriété sociale des moyens de production, l’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie et l’amitié des peuples, bien que ce culte ait porté un sérieux préjudice au développement de la démocratie socialiste, à l’essor de l’initiative créatrice de millions d’hommes.

Penser qu’une personnalité isolée, même aussi importante que Staline, ait pu changer notre régime social et politique signifie entrer en contradiction profonde avec les faits, avec le marxisme, avec la vérité, tomber dans l’idéalisme (…).

Nos ennemis affirment que le culte de Staline n’aurait pas été engendré par des conditions historiques déterminées qui appartiennent déjà au passé, mais par le système soviétique lui-même, par le fait qu’à leur avis, il ne serait pas démocratique, etc. De telles affirmations calomnieuses sont réfutées par toute l’histoire du développement de l’État soviétique.

Les Soviets, en tant que nouvelle forme démocratique du pouvoir d’État, ont surgi comme le résultat de la création révolutionnaire des larges masses populaires dressées dans la lutte pour la liberté. Ils ont été et ils restent les organes du véritable pouvoir du peuple (…).

Lorsque, dans notre pays, les dernières classes exploiteuses eurent été liquidées, lorsque le socialisme fut devenu le système dominant dans toute l’économie nationale et que la situation internationale de notre pays eut radicalement changé, le cadre de la démocratie soviétique s’est incommensurablement élargi et il continue de s’élargir (…).

Malgré le culte de la personnalité et en dépit de ce culte, la puissante initiative des masses populaires dirigées par le Parti communiste, initiative engendrée par notre régime, accomplissait sa grande œuvre historique (…).

Il n’est pas d’attaque haineuse et calomnieuse de nos ennemis qui puisse arrêter la marche irrésistible du développement historique de l’humanité vers le communisme. »

Il est véritablement frappant de voir que l’esprit du document est rigoureusement optimiste, au sens de triomphaliste. Le révisionnisme de Nikita Khrouchtchev ne se présente jamais comme un recul, mais toujours comme une fantastique progression.

Ne pas voir cela empêche de voir le soutien massif qu’il a obtenu.

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Le document «Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences» et la question du rôle de Staline

Dans le prolongement de l’interprétation « historique » de Staline, le document du Comité Central intitulé sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » a une interprétation « psychologique » de Staline, qui s’associe inévitablement à la remise en cause de l’appareil de sécurité d’État.

La voici :

« Occupant pendant une longue période de temps le poste de secrétaire général du C.C. du Parti, J.V. Staline a lutté activement, avec d’autres dirigeants, pour appliquer les préceptes léninistes. Il était dévoué au marxisme-léninisme en tant que théoricien et grand organisateur.

Il a dirigé la lutte du parti contre les trotskistes, les opportunistes de droite, les nationalistes bourgeois, contre les manœuvres de l’encerclement capitaliste. Staline a acquis une grande autorité et une popularité dans cette lutte politique et idéologique.

Cependant, on commença à lier à son nom toutes nos grandes victoires, ce qui était une erreur. Les succès remportés par le Parti communiste et le pays des Soviets, la glorification de son nom lui tournèrent la tête. C’est dans cette situation que le culte de Staline commença à se former progressivement.

Le développement de ce culte fut favorisé, dans une mesure considérable, par certains traits individuels de J.V. Staline, dont le caractère négatif avait déjà été indiqué par V.I. Lénine.

À la fin de 1922, V. Lénine adressait au congrès du parti une lettre qui disait : « Le camarade Staline devenu secrétaire général a concentré dans ses mains un pouvoir illimité, et je ne suis pas sûr qu’il saura toujours s’en servir avec assez de prudence. (…) Staline est trop brutal, et ce défaut tout à fait tolérable entre nous, communistes, devient intolérable au poste de secrétaire général. C’est pourquoi je propose aux camarades d’examiner le moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer quelqu’un d’autre, qui aurait sur le camarade Staline cette seule supériorité d’être plus tolérant, plus loyal, plus poli (…), moins capricieux, etc. » (…)

Maintenu au poste de secrétaire général du Comité central, Staline tint compte des remarques critiques de Vladimir Illitch dans la première période après la mort de celui-ci. Cependant, par la suite, Staline qui avait surestimé immensément ses mérites, crut en sa propre infaillibilité.

Certaines restrictions de la démocratie du parti et de la démocratie soviétique, inévitables dans les conditions de la lutte acharnée contre l’ennemi de classe et ses agents, puis plus tard dans les conditions de la guerre contre les envahisseurs fascistes allemands, Staline commença à les introduire comme règle dans la vie du parti et de l’État, violant grossièrement les principes léninistes de direction (…).

Staline se trouvait, en fait, hors de la critique. La formule erronée de Staline, selon laquelle à mesure que l’Union Soviétique progresse vers le socialisme la lutte de classe s’aggravera davantage, a causé un grand préjudice à la cause de la construction socialiste, au développement de la démocratie à l’intérieur du parti et de l’État (…) .

Cette formule théorique erronée servit, en pratique, pour justifier les violations les plus grossières de la légalité socialiste et la répression de masse. C’est justement dans ces conditions qu’était créée notamment une situation particulière pour les organismes de la sécurité d’État (…), au contrôle de ces organismes par le parti et le gouvernement se substitua progressivement le contrôle personnel de Staline, et l’administration habituelle de la justice fut souvent remplacée par ses décisions personnelles.

La situation se compliqua encore davantage lorsque la bande criminelle de Beria, agent de l’impérialisme international, se trouva placée à la tête des organismes de la sécurité d’État.

La légalité soviétique fut gravement violée et des répressions en masse furent déchaînées. Nombre de communistes et de Soviétiques sans-parti honnêtes ont été calomniés et ont souffert, sans l’avoir mérité, par suite des manœuvres des ennemis. »

La dénonciation révisionniste de Staline va toujours avec la condamnation :

– de l’appareil de sécurité d’État ;

– de la théorie de l’aggravation de la lutte des classes dans la construction du socialisme ;

– de « l’arbitraire » dominant dans le cadre des deux éléments précédents.

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Le document «Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences» et la question historique de Staline

Le document du Comité Central intitulé sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » se veut rigoureusement dans la continuité de l’esprit du XIXe congrès. Il présente le rejet de Staline comme une simple rectification par rapport au culte de la personnalité, une simple correction technique.

Cette approche va avoir une grande réussite là où le niveau idéologique est faible et de par l’espace ouvert par le XIXe congrès comme quoi l’URSS serait dans une époque entièrement nouvelle.

Cette approche touche même l’interprétation faite de Staline, dont la signification historique consisterait en un simple accident, un sous-produit d’une certaine situation. Cette thèse est l’explication classique des révisionnistes.

Voici comment le document du Comité Central du PCUS présente la chose :

« Pendant plus d’un quart de siècle, le pays des Soviets a été le seul pays qui frayait à l’humanité la voie du socialisme. Il était comme une forteresse assiégée, au milieu de l’encerclement capitaliste.

Après l’échec de l’intervention de 14 États en 1918-1920, les ennemis du pays des Soviets s’efforcèrent par tous les moyens de saper le premier État socialiste du monde. La menace d’une nouvelle agression impérialiste contre l’URSS s’accentua particulièrement après que le fascisme se fut emparé du pouvoir en Allemagne en 1933 (…)

Dans ce climat de la menace croissante d’une nouvelle guerre, du refus des puissances occidentales d’accepter les mesures maintes fois proposées par l’Union Soviétique pour mettre à la raison le fascisme et organiser la sécurité collective, le pays des Soviets fut contraint de tendre toutes ses forces pour consolider sa défense, pour combattre les manœuvres de l’encerclement capitaliste hostile.

Le Parti devait éduquer tout le peuple dans un esprit de constante vigilance en le mobilisant contre l’ennemi extérieur. Les manœuvres de la réaction internationale étaient d’autant plus dangereuses qu’une lutte de classe acharnée se poursuivait depuis longtemps à l’intérieur du pays et qu’il s’agissait de savoir : « qui l’emportera ? ».

Après la mort de Lénine, on vit s’intensifier, au sein du Parti, des tendances ennemies : trotskistes, opportunistes de droite, nationalistes bourgeois, qui repoussaient la théorie léniniste sur la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays, ce qui aurait abouti, en fait, à la restauration du capitalisme en URSS. Le Parti engagea une lutte impitoyable contre ces ennemis du léninisme.

En réalisant les préceptes léninistes, le Parti communiste s’orienta vers l’industrialisation socialiste du pays, la collectivisation de l’agriculture et la mise en œuvre de la révolution culturelle.

Le peuple soviétique et le Parti communiste durent vaincre des obstacles et des difficultés incroyables dans l’accomplissement de ces tâches grandioses, en vue d’édifier la société socialiste dans un seul pays pris à part.

Notre pays devait liquider son retard séculaire, transformer toute son économie nationale sur des bases nouvelles, socialistes, en une période historique très courte, sans aucune aide économique de l’extérieur.

Cette situation internationale et intérieure complexe nécessitait une discipline de fer, une élévation inlassable de la vigilance, la centralisation la plus rigoureuse de la direction, ce qui ne pouvait pas ne pas influencer négativement le développement de certaines formes démocratiques. (…)

Mais déjà à l’époque, le Parti et le peuple considéraient ces restrictions comme temporaires, comme devant être éliminées à mesure que l’État soviétique se renforcerait et que les forces de démocratie et de socialisme se développeraient dans le monde. »

L’action de Staline représenterait donc un accident de parcours, une sorte de catastrophe inévitable, mais de toutes façons totalement dépassée. C’est une interprétation mécanique-historique qui ne fait même pas d’effort d’analyse, se contentant d’un argumentation servant en réalité les intérêts de la nouvelle bourgeoisie en URSS liquidant le socialisme.

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Le «rapport secret» et le document «Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences»

Les révisionnistes avaient pu, à la suite du XXe congrès du PCUS, littéralement matraquer l’opinion publique petit bout par petit bout, évitant absolument de centraliser le débat et donc d’avoir à faire face à une problématique idéologique.

La publication, le 30 juin 1956, d’un document du Comité Central intitulé sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » est le point culminant de cette séquence.

Il s’agit de la version « acceptable » en URSS du rapport secret. Le ton est mesuré dans son expression et sa réalisation a été menée sous la supervision de celui qui est le grand théoricien de l’URSS de 1956 à son effondrement : Mikhail Souslov.

Le document, qui parut dans la Pravda le 2 juillet 1956, était la base idéologique officielle quant à la question de Staline. Tout est présenté comme une rectification du travail du Parti, alors qu’il s’agit d’une liquidation.

Cela est d’autant plus facile que le XXe congrès se place aisément dans la continuité du XIXe congrès, c’est-à-dire dans la situation de « l’édification du communisme », avec l’affirmation de la primauté du développement des forces productives, au dépens de toute question politique.

On lit ainsi :

« Le XXe Congrès du Parti, qui a marqué une nouvelle étape dans le développement fructueux du marxisme-léninisme, a donné une profonde analyse de la situation internationale et intérieure contemporaine, a armé le Parti communiste et tout le peuple soviétique d’un plan grandiose pour poursuivre la lutte pour l’édification du communisme, a ouvert de nouvelles perspectives pour l’action commune de tous les partis de la classe ouvrière en vue d’écarter la menace d’une nouvelle guerre et de défendre les intérêts des travailleurs (…).

Les milieux réactionnaires des États-Unis et de certaines autres puissances capitalistes sont manifestement préoccupés par le grandiose programme de lutte pour la consolidation de la paix, tracé par le XXe Congrès du PCUS. (…)

Il n’est pas fortuit que ce soit les milieux impérialistes des États-Unis qui aient fait le plus de bruit autour de la lutte contre le culte de la personnalité en URSS. L’existence de phénomènes négatifs liés à ce culte présentait pour eux l’avantage de pouvoir utiliser ces faits pour lutter contre le socialisme.

Maintenant que notre parti élimine hardiment les conséquences du culte de la personnalité, les impérialistes considèrent cela comme un facteur qui accélère le mouvement de notre pays en avant, vers le communisme, et qui affaiblit les positions du capitalisme (…).

La presse bourgeoise mène une large campagne antisoviétique de calomnies, pour laquelle les milieux réactionnaires cherchent à utiliser certains faits relatifs au culte de J.V. Staline, condamné par le Parti communiste de l’Union Soviétique. Les organisateurs de cette campagne mettent tout en œuvre pour « brouiller les cartes », pour dissimuler le fait qu’il s’agit d’une étape dépassée dans la vie du pays des Soviets (…).

Le culte de la personnalité est contraire à la nature du régime socialiste et est devenu un frein sur la voie du développement de la démocratie soviétique et du progrès de la société soviétique vers le communisme. »

Le document de la direction du PCUS « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » dépolitise habilement toute la question du « culte de la personnalité » en la plaçant sous l’angle d’une amélioration de la réalité soviétique.

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La révélation très progressive des thèses du «rapport secret» en URSS

Le fameux rapport secret de Nikita Krouchtchev le resta entièrement. Il était considéré comme un document interne à l’élite du Parti, élite bien évidemment choisie par les révisionnistes depuis 1953 et même avant, vue la nature du XIXe congrès de 1952.

Il fut ainsi imprimé et distribué le premier mars 1956 aux membres les plus anciens des fonctionnaires du Comité Central, le document passant le cinq mars de « top secret » à « pas à publier ». Il ne fut d’ailleurs publié en tant que tel qu’en 1989.

L’onde de choc traversa cependant l’URSS. Elle provoqua une révolte de masse en Géorgie, dont la capitale Tbilissi fut paralysée le 9 mars, avant l’écrasement par les tanks. Un autre exemple héroïque fut la grande révolte des nombreux communistes émigrés de Grèce à la suite de la guerre civile, qui menèrent une immense bataille anti-révisionniste dans la ville de Tachkent, elle-aussi noyée dans le sang.

La première référence de la Pravda à l’existence du « rapport secret » date de quatre mois après le congrès, mais seulement en référence des critiques faites à l’étranger par des communistes à ce sujet. Cela restait toutefois flou, car la norme était que les attaques faites à l’étranger contre Staline s’appuyant sur le XXe congrès, qui commencèrent en mars 1956 avec Walter Ulbricht en RDA, étaient censurées des compte-rendus.

La rumeur d’un rapport secret s’était donc lentement répandue en URSS dans le mois suivant le XXe congrès, avec également un encadrement effectué par des meetings du Parti au sujet des résolutions prises par le congrès.

Un des meetings suivant le XXe congrès

Il est très difficile de savoir à quel point ces meetings – dans les entreprises, les bureaux, les usines, etc. – ont touché de larges masses, et dans quelle mesure ils ont été structurés en amont par les partisans de Nikita Khrouchtchev.

Il y a en tout cas clairement le souci d’accompagner les masses de manière très lente dans un rejet de Staline. Ainsi, la radio soviétique ne diffusa plus l’hymne soviétique que sans les paroles, car celles-ci font référence à Staline.

Un des meetings suivant le XXe congrès

Le précis d’histoire du PCUS(b), le document communiste le plus édité de la première partie du XXe siècle, le manuel communiste par excellence, disparut des librairies. L’Institut Marx-Engels-Lénine-Staline devint l’Institut pour le marxisme-léninisme.

Les représentations de Staline telles que les statues, bustes, photos, affiches… commencèrent rapidement à disparaître, et ce jusqu’au musée Lénine, la galerie Trétiakov et le musée militaire.

Les usines automobiles Staline à Moscou abandonnèrent la référence nominative, pour prendre finalement celle de l’ancien manager I.A. Likhachev.

Mieux encore, dans les écoles, l’enseignement de la Seconde Guerre mondiale fut abandonné pour l’année 1956 et les épreuves d’histoire annulées à la fin de l’année. La principale historienne, Anna Pankratova, annonça dans une interview à la radio qu’il y avait une relecture en train d’être faite de l’histoire soviétique et qu’il faudrait du temps pour sa mise en place.

Le 28 mars, la Pravda publia un éditorial dénonçant le culte de la personnalité, qui a « pris des formes toujours plus monstrueuses et a provoqué des dégâts sérieux à notre cause », aboutissant à des « distorsions des principes du Parti et de la démocratie du Parti, la violation de la loi révolutionnaire et des répressions injustifiées ».

Cela n’impliquait pas un rejet de Staline, qui avait rendu de nombreux « grands services » et qui était « l’un des plus forts marxistes ». Cette démarche fut accompagnée d’articles du même type, de plus en plus critiques mais à chaque fois dans un domaine spécifique seulement, dans l’organe de l’armée L’étoile rouge, ainsi que dans la Gazette littéraire et dans Questions d’histoire, avant d’être systématisée aussi à La vie du Parti, le Bulletin du Soviet suprême, la revue L’État soviétique et la loi, etc.).

La revue L’État soviétique et la loi attaqua le procureur Andreï Vichinsky, la grande figure du droit de l’URSS socialiste ; la revue La Gazette littéraire dénonça les effets du culte de la personnalité dans la littérature et les arts, etc.

Andreï Vichinsky,
la grande figure du droit de l’URSS socialiste

Le 5 avril, la Pravda publia également un éditorial attaquant des positions « anti-Parti » s’étant exprimées dans le PCUS et qui auraient le tort d’assimiler la critique du culte de la personnalité à celle de la ligne politique du Parti alors.

Le 7 avril, la presse et la radio mentionnèrent très largement la parution par la Pravda de l’éditorial légèrement abrégé du Quotidien du peuple, l’organe de presse communiste chinois, au sujet de la question de Staline.

Deux éléments contenus dans l’article n’avaient pas encore été officiellement employés par les médias soviétiques : l’accusation selon laquelle Staline aurait manqué de vigilance en 1941, et la considération comme quoi la ligne par rapport à la Yougoslavie titiste aurait été erronée.

L’accusation chinoise concernant 1941 fut repris par la revue La gazette militaireà la fin avril, critiquée comme revenant à une critique du Parti le 9 mai par la revue de l’armée L’étoile rouge, soutenue finalement par Questions d’histoire et enfin par la revue théorique du Parti Kommunist elle-même.

Tout cela servait la mise en place pas à pas de la liquidation de Staline. Pour cette raison de lenteur de progression, les critiques de Staline allant plus loin et qu’on trouvait en Pologne, en RDA, en Tchécoslovaquie, continuèrent à être censurées.

Chaque porte devait être ouverte lentement et spécifiquement, et spécifiquement seulement, pour éviter les troubles. La revue théorique du Parti, Kommunist, devait d’ailleurs admettre dans son numéro d’avril que :

« Les décisions du XXe Congrès sur l’abolition du culte de la personnalité n’ont pas été unanimement approuvées en Union soviétique. »

Une autre technique indirecte fut la publication de documents annonciateurs d’une mise en valeur de figures auparavant réprouvées. En publiant le 22 avril une lettre de Lénine à Rykov, la Pravda officialisait sa réhabilitation. La revue Questions d’histoire fit même avec des figures purgées comme Stanislav Kossior, Nikolaï Voznesensky, Pavel Postyshev, Ian Roudzoutak, Vlas Chubar, etc.

La même revue publia également des articles remettant en cause le rôle de Staline, par exemple comme dirigeant de la branche caucasienne de la social-démocratie de 1903 à 1905 ; la publication du 40e volume de la grande encyclopédie soviétique fut également repoussée, en raison de toute une série de modifications devant être réalisées.

Enfin, la revue de la jeunesse communiste, la Komsomolskaya Pravda, publia en partie le « testament de Lénine » sans aucune précision, à la mi-mai 1956. Un mois plus tard il fut publié en entier dans Kommunist avec un éditorial expliquant que « Staline avait commis des erreurs sérieuses de direction dans l’agriculture, des affaires militaires et le domaine de la politique étrangère ».

La publication fut accompagnée d’autres textes de Lénine, le tout fut rassemblé sous la forme d’un pamphlet publié à un million d’exemplaires, suivi d’un autre avec le texte du 30 juin 1956 du Comité Central du PCUS sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences ».

Entre-temps, le 27 juin 1956, la Pravda republia un article du New York Daily Worker, écrit par Eugene Dennis. Celui-ci parlait du rapport secret, mais de manière mesurée et louant la direction du PCUS. Il fut donc utilisé pour apporter la première véritable reconnaissance officielle, indirecte, en URSS même, qu’il y avait bien eu un rapport secret.

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Le «rapport secret» du XXe congrès du PCUS et les affabulations sur le culte de la personnalité

L’une des affirmations essentielles de Nikita Khrouchtchev au XXe congrès est que Staline aurait organisé autour de lui un « culte de la personnalité ». Or, il n’a jamais été parlé de la personnalité de Staline au sens strict, seulement de sa réalité dirigeante aux différents niveaux (idéologique, politique, économique, militaire, etc.).

Nikita Khrouchtchev fait exprès de gommer toute la dimension éducative-propagandiste de la question de Staline. Il dresse donc un réquisitoire-catalogue, encore une fois censé être justifié par le XIXe congrès.

Il faut bien voir que comme ce congrès a supprimé le poste de secrétaire général du Parti, alors il y a un espace pour le rejet de la mise en valeur des dirigeants. Nikita Khrouchtchev cadre habilement par rapport à cet aspect, comme ici :

« Et est-ce à l’insu de Staline que de nombreuses villes et entreprises ont pris son nom?

Est-ce à son insu que des monuments à Staline ont été élevés dans tout le pays – ces « monuments commémoratifs pour un vivant »?

C’est un fait que Staline lui-même avait signé le 2 juillet 1951 une résolution du Conseil des ministres de l’URSS concernant l’érection, sur le canal Volga-Don, d’un impressionnant monument à Staline ; le 4 septembre de la même année, il avait publié un décret accordant trente-trois tonnes de cuivre pour la construction de ce monument massif.

Quiconque a visité la région de Stalingrad a certainement vu l’immense statue qui y est édifiée, et cela dans un lieu que ne fréquente presque personne. Des sommes considérables ont été dépensées pour l’édifier, alors que les gens de cette région vivaient depuis la guerre dans des huttes. »

Les accusations de Nikita Khrouchtchev sont clairement de mauvaise foi et cherchent uniquement à dresser un tableau pittoresque jusqu’au grotesque. Il dit par exemple :

« Il y a lieu de noter que Staline dressait ses plans [pour la Seconde Guerre mondiale] en utilisant un globe terrestre. (Remous dans la salle.) »

Or, les capacités de dirigeant militaire de Staline sont extrêmement connues et l’invraisemblance du propos est de toute façon évidente.

Voici un autre exemple du même type :

« C’est à travers des films qu’il connaissait la campagne et l’agriculture. Et ces films avaient beaucoup embelli la réalité dans le domaine de l’agriculture.

De nombreux films peignaient sous de telles couleurs la vie kolkhozienne, que l’on pouvait voir des tables crouler sous le poids des dindes et des oies. Évidemment, Staline croyait qu’il en était effectivement ainsi. »

La critique de Nikita Khrouchtchev vise à faire de Staline un monstre, afin de dépolitiser la question. Cela provoquera beaucoup de troubles en URSS dans les mois qui suivirent : comment une personne censée être folle et criminelle a-t-elle pu être à la tête du Parti, comme l’a affirmé Nikita Khrouchtchev ?

L’invraisemblance des propos de Nikita Khrouchtchev était ainsi très offensive, mais également source d’instabilité profonde quant à la légitimité de l’ensemble du régime. Cela sera un aspect déterminant pour sa mise de côté par la suite par la clique dirigeant l’URSS.

Un autre exemple d’affabulation est l’accusation de Nikita Khrouchtchev à l’encontre de Staline d’avoir entièrement bloqué l’attribution du Prix Lénine instauré en 1925 ; en réalité le prix a bien été attribué, jusqu’en 1935.

Mais il ne faut pas rater l’aspect principal : la remise en cause de l’appareil de sécurité d’État, au nom de la pacification bourgeoise. Beria est autant visé que Staline. Nikita Khrouchtchev dit ainsi dans son « rapport secret » :

« Un rôle spécialement bas a été joué par un ennemi féroce de notre parti, Béria, agent d’un service d’espionnage étranger dans l’organisation de certaines affaires sales et honteuses. Béria avait gagné la confiance de Staline.

De quelle manière ce provocateur parvint-il à atteindre une situation au sein du Parti et de l’État, de façon à devenir le premier vice-président du Conseil des ministres de l’Union soviétique et le membre du Bureau politique du Comité central?

Il est maintenant prouvé que ce scélérat a gravi les différents échelons du pouvoir en passant sur un nombre incalculable de cadavres.

Existait-il des indices indiquant que Béria était un ennemi du Parti? Il en existait, en effet. Déjà en 1937, lors d’un plénum du Comité central, l’ancien commissaire du Peuple à la Santé publique Kaminski, déclarait que Béria travaillait pour les services d’espionnage du Moussavat.

Le plénum du Comité central avait à peine achevé ses travaux que Kaminski était arrêté et fusillé.

Est-ce que Staline avait examiné la déclaration de Kaminski?

Non, parce que Staline avait confiance en Béria et que cela lui suffisait. Et, lorsque Staline croyait en quelqu’un ou en quelque chose, personne ne pouvait avancer une opinion contraire. Quiconque aurait osé exprimer une opinion contraire aurait subi le sort de Kaminski. »

Le noyau dur de la dynamique de Nikita Khrouchtchev, c’est l’appel général à la pacification bourgeoise :

« Camarades! Le culte de l’individu a provoqué l’emploi de principes erronés dans le travail du Parti et dans l’activité économique; il a conduit à la violation des règles de la démocratie intérieure du Parti et des soviets, à une administration stérile, à des déviations de toutes sortes, dissimulant les lacunes et fardant la réalité. Notre Nation a donné naissance à de nombreux courtisans et spécialistes du faux optimisme et de la duperie. »

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Le «rapport secret» du XXe congrès du PCUS et la «légalité socialiste»

Nikita Khrouchtchev ne pouvait pas que dénoncer une période particulière, même si elle relevait de la lutte des classes la plus haute. Il devait également faire en sorte que la caste bureaucratique prenant forme, se façonnant comme nouvelle bourgeoisie, puisse s’approprier de manière aisée, tranquille pour ainsi dire, les différents leviers de la société.

Il dut donc faire une sorte de contrat, en disant en résumé : moi et ma clique on prend la direction, mais on s’occupe de vous permettre de vous installer, car de toutes façons on va faire en sorte que les moindres problèmes se résolvent de manière désormais bourgeoise-pacifique.

En langage pseudo-communiste, cela donne : la direction collective s’impose comme seule forme apte à maintenir la « légalité socialiste », car sinon c’est le triomphe de l’arbitraire.

Il va de soi que Nikita Khrouchtchev insiste particulièrement sur ce dernier aspect, car il doit à tout prix rassurer la caste bureaucratique s’installant, afin de maintenir sa position.

Ce qui est par ailleurs marquant ici, c’est que la plupart des dénonciations de Staline dans les pays impérialistes s’appuient directement sur les pseudos-explications de Nikita Khrouchtchev.

Voici donc la formulation, à mots voilés, du contrat bourgeois-pacifique de résolution des questions internes à la caste bureaucratique, à travers la dénonciation fantasmée de Staline.

« Pour quelle raison les répressions de masse contre les activistes n’ont-elles cessé d’augmenter après le XVIIe Congrès?

C’est parce que, à l’époque, Staline s’était élevé à un tel point au-dessus du Parti et au-dessus de la Nation qu’il avait cessé de prendre en considération le Comité central ou le Parti.

Alors qu’il avait toujours tenu compte de l’opinion de la collectivité avant le XVIIe Congrès, après la totale liquidation politique des trotskistes, des zinoviévistes et des boukhariniens, au moment où cette lutte et les victoires socialistes avaient conduit à l’unité du Parti, Staline avait cessé, à un point toujours plus grand, de tenir compte des membres du Comité central du Parti et même des membres du Bureau politique.

Staline pensait que, désormais, il pouvait décider seul de toutes choses et que les figurants étaient les seuls gens dont il ait encore besoin; il traitait tous les autres de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus que lui obéir et l’encenser.

Après l’assassinat criminel de S.M. Kirov, commencèrent les répressions de masse et les brutales violations de la légalité socialiste. Le soir du 1er décembre 1934, sur l’initiative de Staline (sans l’approbation du Bureau politique, qui fut acquise par hasard deux jours plus tard), le secrétaire du Présidium du Comité central exécutif, Enoukidzé, signait la directive suivante :

« 1. Ordre est donné aux organismes d’instruction d’accélérer l’étude des procès de ceux qui sont accusés de préparation ou d’exécution d’actes terroristes.

2. Ordre est donné aux organes judiciaires de ne pas suspendre l’exécution des sentences de mort relatives aux crimes de cette catégorie afin d’étudier les possibilités de grâce, du fait que le Présidium du Comité central exécutif de l’URSS ne considère pas possible de recevoir les pétitions de cette nature.

3.Ordre est donné aux organismes du commissariat des Affaires intérieures d’exécuter les sentences de mort contre les criminels de la catégorie ci-dessus immédiatement après le prononcé de ces sentences. »

Cette directive devint la base des actes massifs d’abus contre la légalité socialiste.

Au cours de nombreux procès les accusés durent répondre de « la préparation » d’actes terroristes ; cela les privait de toute possibilité de réexamen de leurs procès, même lorsqu’ils déclaraient devant le tribunal que leurs « aveux » leur avaient été arrachés de force et que, d’une manière convaincante, ils apportaient la preuve de la fausseté des accusations portées contre eux. »

Les accusations de Nikita Khrouchtchev sont pratiquement de nature apolitique ; c’est qu’il défend le point de vue bourgeois de rapports pacifiés – conformément aux besoins de la bourgeoisie naissante et se structurant en URSS.

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Le «rapport secret» du XXe congrès du PCUS et le rejet de l’appareil de sécurité d’Etat

Nikita Khrouchtchev se situant sur le terrain du XIXe congrès, il appuie les points relatifs à celui-ci. Le XIXe congrès ayant instauré une « direction collective » et aboli le poste de secrétaire général du Parti, il passe par là pour condamner le passé – évidemment par rapport à un présent censé être impeccable par définition même.

« Ainsi que l’ont prouvé les événements ultérieurs, l’inquiétude de Lénine était justifiée: dans la première période qui a suivi la mort de Lénine, Staline prêtait encore attention à ses conseils [à ceux de Lénine], mais plus tard il commença à ignorer les graves avertissements de Vladimir Ilitch.

Quand on analyse la façon d’agir de Staline à l’égard de la direction du Parti et du pays, quand on s’arrête à considérer tout ce que Staline a commis, il faut bien se convaincre que les craintes de Lénine étaient justifiées.

Le côté négatif de Staline, qui, du temps de Lénine, n’était encore que naissant, s’était transformé dans les dernières années en un grave abus de pouvoir par Staline, qui a causé un tort indicible à notre Parti.

Nous devons étudier sérieusement et analyser correctement cette question afin d’être à même de prévenir toute possibilité d’un retour, sous quelque forme que ce soit, de ce qui s’est produit du vivant de Staline, qui ne tolérait absolument pas la direction et le travail collectifs et qui pratiquait la violence brutale, non seulement contre tout ce qui s’opposait à lui, mais aussi contre tout ce qui paraissait, à son esprit, capricieux et despotique, contraire à ses conceptions. »

Si la critique en restait là, on aurait pu comprendre qu’il s’agit d’une rectification, Nikita Khrouchtchev asseyant son pouvoir et avec lui toute une clique opportuniste. Cependant, l’URSS de Staline était socialiste et il existait par conséquent un appareil de sécurité d’État.

La base socialiste était préservée par celui-ci, toute la société étant organisée en fonction de lui et inversement. Cela est évidemment inacceptable pour une clique désireuse d’agir comme bon lui semble.

Elle avait donc décapité dès la mort de Staline l’appareil de sécurité d’État et instauré un KGB à son service. Mais il lui fallait également idéologiquement dénoncer la lutte de classes et cela était d’autant plus important de le faire que la lutte des classes avait abouti à frapper les éléments traîtres dans le Parti lui-même.

Ces éléments traîtres étant opportunistes, ils convergeaient par définition avec la clique de Nikita Khrouchtchev. Il était d’autant plus important de se focaliser sur la période 1937-1938 où l’appareil de sécurité d’État avait été en première ligne pour assumer la lutte des classes, protéger l’État socialiste, frappant jusque dans le Parti.

Voici comment Nikita Khrouchtchev expose cela.

« Staline n’agissait pas par persuasion au moyen d’explications et de patiente collaboration avec des gens, mais en imposant ses conceptions et en exigeant une soumission absolue à son opinion. Quiconque s’opposait à sa conception ou essayait d’expliquer son point de vue et l’exactitude de sa position était destiné à être retranché de la collectivité dirigeante et voué par la suite à l’annihilation morale et physique.

Cela fut particulièrement vrai pendant la période qui a suivi le XVIIe Congrès, au moment où d’éminents dirigeants du Parti et des militants honnêtes et dévoués à la cause du communisme sont tombés, victimes du despotisme de Staline.

Nous devons affirmer que le Parti a mené un dur combat contre les trotskistes, les droitiers et les nationalistes bourgeois et qu’il a désarmé idéologiquement tous les ennemis du léninisme. Ce combat idéologique a été conduit avec succès, ce qui a eu pour résultat de renforcer et de tremper le Parti. Là, Staline a joué un rôle positif (…).

Il est intéressant de noter le fait que, même pendant que se déroulait la furieuse lutte idéologique contre les trotskistes, les zinoviévistes, les boukhariniens et les autres, on n’a jamais pris contre eux des mesures de répression extrêmes. La lutte se situait sur le terrain idéologique.

Mais quelques années plus tard, alors que le socialisme était fondamentalement édifié dans notre pays, alors que les classes exploitantes étaient généralement liquidées, alors que la structure sociale soviétique avait radicalement changé, alors que la base sociale pour les mouvements et les groupes politiques hostiles au Parti s’était extrêmement rétrécie, alors que les adversaires idéologiques du Parti étaient depuis longtemps vaincus politiquement, c’est alors que commença la répression contre eux.

C’est exactement pendant cette période (1936-19371938) qu’est née la pratique de la répression massive au moyen de l’appareil gouvernemental, d’abord contre les ennemis du léninisme – trotskistes, zinoviévistes, boukhariniens – depuis longtemps vaincus politiquement par le Parti, et également ensuite contre de nombreux communistes honnêtes, contre les cadres du Parti qui avaient porté le lourd fardeau de la guerre civile et des premières et très difficiles années de l’industrialisation et de la collectivisation, qui avaient activement lutté contre les trotskistes et les droitiers pour le triomphe de la ligne du parti léniniste.

Staline fut à l’origine de la conception d’« ennemi du peuple ».

Ce terme rendit automatiquement inutile d’établir la preuve des erreurs idéologiques de l’homme ou des hommes engagés dans une controverse; ce terme rendit possible l’utilisation de la répression la plus cruelle, violant toutes les normes de la légalité révolutionnaire contre quiconque, de quelque manière que ce soit, n’était pas d’accord avec lui; contre ceux qui étaient seulement suspects d’intentions hostiles, contre ceux qui avaient mauvaise réputation.

Ce concept d’« ennemi du peuple » éliminait en fait la possibilité d’une lutte idéologique quelconque, de faire connaître son point de vue sur telle ou telle question, même celle qui avait un caractère pratique.

Pour l’essentiel et en fait la seule preuve de culpabilité dont il était fait usage, contre toutes les normes de la science juridique actuelle, était la « confession » de l’accusé lui-même; et comme l’ont prouvé les enquêtes faites ultérieurement, les « confessions » étaient obtenues au moyen de pressions physiques contre l’accusé.

Cela a conduit à des violations manifestes de la légalité révolutionnaire et au fait que de nombreuses personnes, parfaitement innocentes, qui, dans le passé, avaient défendu la ligne du Parti, devinrent des victimes. »

C’est là une dénonciation très claire de la lutte des classes en URSS. La lutte contre les éléments capitulant dans la construction de l’URSS – les trotskystes, zinoviévistes, boukhariniens, etc. – est fort logiquement acceptée puisque la clique de Nikita Khrouchtchev est à la tête de l’URSS.

Mais elle ne peut pas accepter les luttes de classes en URSS même, parce qu’elle a désormais le pouvoir et qu’elle ne veut pas de celles-ci, mais également parce que cela impliquait la capacité de l’appareil de sécurité d’État à posséder une primauté technique sur le Parti, qui est désormais le sas de la bureaucratie formant une nouvelle bourgeoisie.

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Le sens du «rapport secret» du XXe congrès du PCUS

La logique de Nikita Khrouchtchev est très simple. Le XIXe congrès avait posé une nouvelle étape : celle d’aller du socialisme au communisme. Il était donc ouvertement affirmé que tout un cycle était terminé.

Nikita Khrouchtchev pouvait donc parler de la période d’avant 1952 comme quelque chose relevant irrémédiablement du passé, puisqu’on était censé être passé à totalement autre chose.

La critique de Staline ne tient pas seulement à la mort de celui-ci en 1953, bien au contraire même : elle tient à la mise en place en 1952 d’une direction collective, le poste de secrétaire général du Parti disparaissant.

Staline lui-même avait fait la promotion d’une direction collective. Or, c’est une erreur historique : en raison du développement inégal, il se cristallise toujours un dirigeant, en interaction avec la direction dans son ensemble.

Nikita Khrouchtchev peut donc parler au nom de la direction collective d’autant plus facilement que celle-ci a été mise en place par les institutions dans leur ensemble.

Et il peut critiquer le passé au nom d’une étape supérieure, nouvelle, ouverte par le XIXe congrès. À ce moment-là, l’œuvre de Staline fait déjà ouvertement office d’action passée, de contribution à la situation présente.

Nikita Khrouchtchev

Bien entendu, cela n’est qu’une forme. Le contenu est la volonté de former une caste bureaucratique profitant de la situation en trouvant un accord avec les États-Unis d’Amérique, ce qui aboutit à la formation d’une nouvelle bourgeoisie.

Cependant, le XXe congrès ne joue que sur la forme. C’est d’ailleurs pour cela que Nikita Khrouchtchev se fera éjecter par la suite : à avoir trop appuyé sur la forme, les déséquilibres devenaient trop importants pour une véritable bourgeoisie instaurant son pouvoir et systématisant sa domination.

Nikita Khrouchtchev est un bureaucrate opportuniste à l’initiative d’une nouvelle caste ; après lui on a carrément une bourgeoisie installée au cœur d’un pays organisé en un social-impérialisme. Il y a une différence de qualité.

Nikita Khrouchtchev se situe entièrement sur le terrain du XIXe congrès, sur sa logique de « direction collective » et de simple appui au développement des forces productives pour instaurer à court terme le communisme. Il ne modifiera jamais cette approche tout au long de la période où il fut de facto le chef de l’URSS.

Nikita Khrouchtchev, quand il affirmait que l’URSS instaurerait le communisme au début des années 1980, se situait entièrement sur le terrain du XIXe congrès.

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La présentation du «rapport secret» lors du XXe congrès du PCUS

La réunion à huis-clos annoncé inopinément le matin du vendredi eut du retard. Elle devait commencer à 18h, elle eut en fait lieu peu après minuit.

Nicolaï Boulganine prit le premier la parole, pour simplement annoncer que Nikita Khrouchtchev allait s’adresser aux délégués. Celui-ci fit immédiatement la précision suivante :

« Nous devrions examiner très sérieusement la question du culte de la personnalité.

Aucune nouvelle à ce sujet ne devra filtrer à l’extérieur; la presse spécialement ne doit pas en être informée. C’est donc pour cette raison que nous examinons cette question ici, en séance à huis clos du Congrès. Il y a des limites à tout.

Nous ne devons pas fournir des munitions à l’ennemi; nous ne devons pas laver notre linge sale devant ses yeux. Je pense que les délégués au Congrès comprendront et évalueront à leur juste valeur toutes les propositions qui leur seront faites.

(Applaudissements tumultueux.) »

Voici le tout début de son propos. Il faut bien noter qu’il s’agit de la version « officielle » du texte. Il n’y a pas eu de retranscription ni d’enregistrement du discours lu par Nikita Khrouchtchev. Il fut également interdit de prendre des notes.

« Camarades,

Dans le rapport du Comité central du Parti au XXe Congrès, dans un certain nombre de discours prononcés par des délégués au Congrès, ainsi que lors de réunions plénières du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique, pas mal de choses ont été dites au sujet du culte de la personnalité et de ses conséquences néfastes.

Après la mort de Staline, le Comité central du Parti a commencé à appliquer une politique tendant à expliquer brièvement, mais d’une façon positive, qu’il était intolérable et étranger à l’esprit du marxisme-léninisme d’exalter une personne et d’en faire un surhomme doté de qualités surnaturelles à l’égal d’un dieu. Un tel homme est supposé tout savoir, penser pour tout le monde, tout faire et être infaillible.

Ce sentiment à l’égard d’un homme, et singulièrement à l’égard de Staline, a été entretenu parmi nous pendant de nombreuses années.

Le but du présent Rapport n’est pas de procéder à une critique approfondie de la vie de Staline et de ses activités. Sur les mérites de Staline suffisamment de livres, d’opuscules et d’études ont été écrits durant sa vie.

Le rôle de Staline dans la préparation et l’exécution de la révolution socialiste, lors de la guerre civile, ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme dans notre pays est universellement connu. Chacun connaît cela parfaitement.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une question qui a une importance pour le Parti actuellement et dans l’avenir.

Ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment le culte de la personne de Staline n’a cessé de croître, comment ce culte devint, à un moment précis, la source de toute une série de perversions graves et sans cesse plus sérieuses des principes du Parti, de la démocratie du Parti; de la légalité révolutionnaire.

En raison du fait que tout le monde ne semble pas encore bien comprendre les conséquences pratiques, résultant du culte de l’individu, le grave préjudice causé par la violation du principe de la direction collective du Parti du fait de l’accumulation entre les mains d’une personne d’un pouvoir immense et illimité, le Comité central du Parti considère qu’il est absolument nécessaire de remettre au XXe Congrès du parti communiste de l’Union soviétique tout le dossier de cette question. »

Nikita Khrouchtchev lut ensuite pendant plusieurs heures son discours intitulé « Sur le culte de la personnalité et ses conséquences ».

Il n’y eut ni questions, ni débats. Le rapport secret se termina par un vote des délégués soutenant ce qui avait été dit. Pendant ce temps, les délégations étrangères avaient accès au document par écrit au Kremlin, mais sans le droit de prendre des notes.

Il y avait, de toutes façons, une seule idée de fond. Car le discours de Nikita Khrouchtchev a une particularité précise : il aborde de très nombreux thèmes, mais ni la question du rôle dirigeant du Parti, ni l’industrialisation menée. Il se focalise sur le « culte de la personnalité », avec la personne de Staline présentée comme « brutale », amenant la « violation » des normes du Parti et les vastes opérations de répression, soulignant aussi le rôle « exagéré » attribué à Staline durant la Seconde Guerre mondiale.

Pour renforcer cette atmosphère, le « testament de Lénine » fut également distribué dès le départ aux délégués.

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