Plate-forme du Comité Palestine (1969)

[10 février 1969.]

– I) Les comités Palestine sont créés dans le but de soutenir la lutte révolutionnaire du peuple palestinien contre le sionisme et l’impérialisme avec à sa tête l’impérialisme américain et d’appuyer activement le mouvement de libération de la Palestine.

– II) Les C.P. rejettent toute solution négociée qui ne tiendrait pas compte des droits nationaux du peuple palestinien sur la Palestine tout entière.

Par conséquent, les C.P. rejettent la résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967.

– III) Les C.P. soutiennent la guerre populaire qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de récupérer ses droits historiques et légitimes.

Cette lutte s’inscrit dans le cadre de la lutte mondiale contre l’impérialisme et ses alliés objectifs, les oligarchies intérieures.

– IV) Les C.P. soutiennent toute lutte du mouvement de libération palestinien contre tout régime, arabe ou non, réactionnaire ou pseudo progressiste, qui voudrait soit éliminer, soit récupérer le mouvement de lutte palestinienne.

– V) Les C.P. soutiennent le mouvement de libération palestinien dans sa volonté de détruire l’Etat d’Israël en tant qu’Etat aux structures théocratiques, racistes, colonialistes, capitalistes et fascistes, et de construire une Palestine laïque démocratique et socialiste.

Les C.P. soutiennent donc, comme l’a déjà fait le mouvement de libération palestinien, tous les groupes et militants, dont les militants juifs qui à l’intérieur d’Israël ou ailleurs, combattent pour les mêmes objectifs que les Palestiniens arabes.

– VI) Les C.P. luttent contre le sionisme et le racisme antijuif qui sont à l’origine de la création de l’Etat d’Israël et contre l’exploitation raciste (antijuive ou anti-arabe) du problème palestinien par les groupes fascistes et néofascistes.

– VII) Les C.P. considèrent que la lutte révolutionnaire du peuple palestinien est partie intégrante de la révolution mondiale, qu’elle peut jouer un rôle important dans la prise de conscience anti-impérialiste en Europe et en France et qu’elle se trouve à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire des pays arabes et du Proche-Orient.

– VIII) Les C.P. forment une coordination. Cette coordination est composée de deux délégués de chaque comité Palestine. Des militants sont mandatés par l’assemblée pour certains travaux, ces militants sont révocables à tout moment.

Vive la lutte révolutionnaire du peuple palestinien !

Comité Palestine  

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Gauche Prolétarienne: La J.C.R. en mai-juin 1968

[Extrait des Cahiers de la Gauche Prolétarienne, n°1, avril 1969]

On doit se demander la raison des profondes affinités qui lient depuis pas mal de temps une fraction des trotskystes et le P.S.U.

Ces affinités ont conduit à Charléty.

[Allusion au meeting du 27 mai à Charléty appelé par le P.S.U., la CFDT, l’UNEF, le SNES Sup, et la JCR. Mendès-France était présent à la tribune]

Et comme il ne semble pas qu’il y ait eu la moindre autocritique sur ce point, comme sur bien d’autres, on est en droit de se poser et de poser des questions.

Rappelons les faits essentiels ; l’ex-J.C.R. dans la première semaine de mai constitue le bras séculier de l’U.N.E,F. ; dans les semaines qui suivent, elle se concentre dans les facultés et les coordinations naissantes ; dans la semaine décisive 24-31, elle se retrouve avec le P.S.U. lors des manifestations du 24 puis au stade Charléty.

Enfin, à partir de ce moment, vu la  » contre-offensive gaulliste « , elle décide que le temps du reflux étant arrivé, sa tâche est d’organiser î’avant-garde et surtout comme l’agitation des masses se perpétuait, il fallait protéger cette avant-garde naissante des tentations de l’aventurisme, du jusqu’au-boutisme.

Les partisans de  » la résistance prolétarienne  » se virent ainsi gratifiés de l’étiquette de  » jusqu’au-boutiste « .

C’était l’époque où l’on évoquait les grandes ombres du passé; on rappelait que le mouvement ouvrier avait mis des années après  » le massacre de la Commune  » pour se remettre de son affaiblissement.

D’où venaient ces idées ?

Moins des manuels et des souvenirs que du P.C. révisionniste.

La suite allait le démontrer amplement ; le thème de la Commune,  » solo funèbre  » pour la classe ouvrière est le thème de prédilection de Waldeck Rochet.

Comme on le voit d’après ces faits, la question s’impose : pour quelle raison cette proximité politique de l’ex-J.C.R. et du P.S.U. ?

La pensée avant-gardiste

Son expression la plus fulgurante est celle de la  » répétition « , 1968 est la répétition générale de la révolution socialiste française.

Bien, mais là où l’effet devient franchement burlesque, c’est lorsqu’on analyse le contenu de cette répétition.

En gros, si en 68, cela n’a pas marché, c’est parce qu’il n’y avait pas d’avant-garde ; s’il n’y avait pas d’avant-garde, c’est qu’au moment décisif, des militants d’avant-garde n’ont pas eu les moyens de faire pénétrer dans les masses la ligne d’avant-garde qui est celle du  » contrôle ouvrier « , la ligne de la  » transition révolutionnaire « .

Cela  » répète  » le programme de transition de Trotsky écrit en 1938. Ce n’est pas tout, ce programme est une répétition du programme de Lénine en 1917.

Et comme chacun sait, 17 a été précédé de la répétition du 1905. La lutte des classes est un théâtre où on joue toujours la même pièce.

Une telle pensée d’avant-garde qui aurait maintenu, répété, la première pièce d’avant-garde jouée sur la scène, la révolution bolchevique : voilà ce qui a manqué en 68.

Lisons le jeu de l’ex-J.C.R. pendant la tempête révolutionnaire à la lumière de cette pensée.

L’ex-J.C.R. est l’avant-garde puisque cette pensée est la sienne, mais en 68 cette avant-garde n’était pas en mesure de fonctionner comme avant-garde,

Deux conséquences : elle réagissait aux modifications du rapport de forces comme si elle le dominait politiquement ; elle se mettait à la place d’une avant-garde qu’elle n’était pas en fait mais qu’elle aurait pu être.

Ainsi, la semaine du 24 au 31 est-elle décisive : le pouvoir était vacant, pourquoi ? tout simplement parce que si à la place du P.C. F. -C. G. T. il y avait eu l’avant-garde cela se serait passé autrement : le pouvoir aurait été à prendre (et on l’aurait pris)…

De même puisque le P.C. F. ne réagissait pas à la contre- offensive du pouvoir le 31, puisque à partir de ce moment le pouvoir n’était plus à prendre, l’objectif ne pouvait être que de protéger l’avant-garde (celle qui… à la place du P.C. F. eût changé la face de l’histoire).

On voit la conséquence pratique : cette identification imaginaire aboutit à suivre le rapport de forces tel qu’il est tranché par le P.C. F.

On est l’ombre révolutionnaire du P.C.F., l’ombre portée.

La résistance prolétarienne est inadmissible dans cet ordre d’idées.

En effet son objectif est précisément de dérégler le jeu gaullisme-P.C.F.

Son objectif, c’est que la force ouvrière réprimée idéologiquement par le révisionnisme s’exprime avec l’aide des étudiants révolutionnaires.

Cette expression-là c’est l’aurore d’un parti prolétarien.

Un parti qui naisse de la lutte révolutionnaire des masses (ouvriers et étudiants révolutionnaires) contre les ennemis, la contre-révoultion : le pouvoir et son complice révisionniste.

Deux voies : ou l’on se proclame (en pensée ou en paroles) une avant-garde et cela amène à une pratique politique  » paradoxale « .

Ou l’on édifie une avant-garde, le noyau dirigeant de la cause du peuple.

Et alors on part de la réalité. Ce qui veut dire, entre autres, qu’on part du fait que les masses ne nous reconnaissent pas encore comme avant-garde.

Transformer cette réalité c’est montrer dans les faits en quoi l’on a fait avancer l’histoire.

Le rêvolutionnarisme petit-bourgeois

On a vu comment une pensée avant-gardiste se donne en pensée ce qui est à créer dans la matière. On a vu qu’une telle pensée implique le suivisme.

En effet cette avant-garde imaginaire est contrainte de partir de la réalité que ceux qui sont à la place qu’elle désire (la direction de la classe ouvrière) produisent. En d’autres termes, elle suit (en critiquant).

Ce qui reste à analyser c’est le fait suivant : quelle est dans ce cas précis la position réelle adoptée par cette avant-garde en paroles ?

Si elle n’est pas à l’avant, alors où est-elle ? Les faits montrent que l’ex-J.C.R. s’est trouvée à la  » gauche  » du P.S.U. Pourquoi cette position ?

Pour répondre à cette question il ne suffit pas de dire que « dirigeant  » le même mouvement (le mouvement étudiant) ce n’est pas un hasard qu’ils se soient retrouvés bons compagnons; d’autres groupements politiques avaient une influence de masse dans le mouvement des étudiants révolutionnaires qui n’ont pas pris cette orientation putschiste (ex-22 mars, ex-U.J.C.M.L.).

Il faut donc que ce rapprochement ait non seulement été facilité par une référence sociale commune (le mouvement étudiant), mais par une politique convergente. C’est ce qu’il faut déterminer.

La convergence idéologique était perceptible, bien avant mai: les thèses de Mandel, ie penseur de l’ex-J.C.R,, l’adaptateur du programme de transition de Trotsky aux conditions de notre époque, ont rencontré et partiellement fusionné avec les thèses du socialisme petit-bourgeois : les thèses du  » réformisme révolutionnaire « .

La ligne du  » contrôle ouvrier  » est devenue la ligne des  » réformes de structures anticapitalistes « .

La ligne du  » contre-pouvoir  » a été amalgamée avec celle du  » double pouvoir « , Le contre-pouvoir pour les réformistes révolutionnaires c’est la ligne qui consiste à opposer à une politique une autre politique, à un pouvoir de décision un contre-pou voir de décision ; par exemple, opposer au pouvoir patronal le pouvoir syndical ; au plan, un contre-plan; au modèle de civilisation, un autre modèle de civilisation.

On voit évidemment que cette ligne part des formes du despotisme impérialiste (extension du despotisme ; phénomènes nouveaux de distribution du pouvoir) et lui oppose une ligne d’action  » réformiste  » : en effet au lieu de déterminer une politique qui s’oppose radicalement à la structure actuelle du despotisme, on propose une politique qui, épousant les formes du despotisme telles qu’elles apparaissent, n’est rien d’autre que le renouvellement de la tactique classique du réformisme : le  » grignotage  » imaginaire du pouvoir, le refus réel de sa destruction en raison du refus de poser concrètement la question du fusil qui est le pilier du despotisme impérialiste.

Apparemment dans le cas trotskyste, c’est radicalement différent : puisque le thème de l’insurrection armée est invoqué. Mais ce n’est qu’une apparence.

Considérons le programme de transition de Trotsky, base de référence.

II semble qu’il répète en tous points le programme bolchevique de 1917.

Mais il y a un hic : le thème du contrôle ouvrier en 17 est subordonné à un contexte concret où il prend tout son sens.

Dégagé de ce contexte, il perd tout son sens. Quel est ce contexte ?

L’existence de Soviets, d’un pouvoir rouge inventé par les masses.

Quelle est l’essence de ce pouvoir ? C’est un pouvoir révolutionnaire parce qu’il combine grâce à l’action dirigeante des bolcheviks les deux conditions essentielles : l’appui des masses et le fusil.

C’est un pouvoir parce que sa base est une base de masse et que son pilier, l’embryon de l’armée, est constitué.

En d’autres termes pour se retrouver dans une situation du type 1917 il faudrait non seulement avoir sa  » ligne de contrôle ouvrier  » (ça n’a jamais été une ligne pour Lénine, tout au plus un élément secondaire de la ligne) mais surtout il faudrait avoir réglé la question de l’armement unifié des classes révolutionnaires (et pas seulement du prolétariat) des classes révolutionnaires, de la majorité réelle du peuple.

(La majorité réelle qui n’a, bien entendu, rien à voir avec une quel-majonte électorale, c’est la majorité des masses populaires actives inquement que les révolutionnaires bolcheviks ont pour tâche de mobi-user consciemment).

Une paille comme on voit !

En 1917, le Soviet était une forme inédite d’armement unifié des classes révolutionnaires.

On connaît le secret de l’affaire : la guerre inter-impérïaliste avait aboli la distance villes-campagnes (problème fondamental de la révolution mise), cette même guerre avait donné le fusil au paysan : c’était le soldat.

La question principale de la révolution est celle du pouvoir, c’est-à-dire avant la dictature du prolétariat celle de la guerre révolutionnaire : ce n’est pas, et pour cause, la question du contrôle ouvrier (ou de l’autogestion).

Quand on prétend avoir répété le grand soir en sortant de mai 68 avec la ligne du contrôle ouvrier, qu’est-ce que l’on fait d’autre qu’oublier le fusil, même si par ailleurs on bavarde sur l’insurrection armée et les piquets de grève qui en sont les premiers détachements.

Croit-on que c’est en un mois qu’on invente la solution de ce problème ?

Autant dire qu’on ne le considère pas comme un problème.

Dans le contexte de mai 68 où la violence ne fut jamais politico-militaire mais toujours politico-idéologique (en effet, elle visait moins à anéantir l’ennemi qu’à éveiller les forces de l’ami), on comprend que cet oubli de fusil redevienne actuel.

Les continuateurs de Trotsky et les partisans de la voie pacifique extraparlementaire (P.S.U.) se retrouvent sur le même terrain. On comprend les émouvantes communions de Charléty.

On voit comment base sociale (révolte idéologique anti-autoritaire à caractère petit-bourgeois) et idéologique (amalgame de la ligne de transition trotskyste et la ligne de transition réformiste révolutionnaire) se conjoignent pour donner Charléty.

Tout cela est cimenté par la position vis-à-vis du révisionnisme intitulé « bureaucratie stalinienne ».

De même que la ligne du P.S.U. suppose l’unité de la gauche et que la tactique du P.S.U. c’est de faire pression sur la gauche pour  » renouveler  » le socialisme ; la tactique des trotskystes est de faire pression sur la bureaucratie stalinienne, parti ouvrier mais affligé d’une tare (il a rejeté la ligne du contrôle ouvrier).

Voilà comment à Charléty la pression du réformisme révolutionnaire s’est conjointe avec la pression de la ligne du contrôle ouvrier ; double pression qui devait accabler le révisionnisme.

Les faits : loin d’être accablé, le révisionnisme est sorti renforcé de Charléty, II y a ainsi d’étranges avant-gardes.

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Gauche Prolétarienne: Information (1969)

1° La campagne de mobilisation sur Flins n’a pas été simplement l’occasion de fêter un anniversaire; elle a été l’occasion d’intensifier la lutte contre nos ennemis et de transformer idéologiquement et politiquement l’organisation et ses rapports avec les masses : attiser la haine de classe contre la bourgeoisie, ses flics, ses valets révisionnistes, ses infiltrés liquidateurs; opposer à l’électoralisme, la voie révolutionnaire de Mai; préparer de manière révolutionnaire la nouvelle étape du développement de la gauche ouverte par le stage des GTC et la recherche d’une issue prolétarienne à la révolte anti-autoritaire.

Tels étaient les axes de la campagne.

2° La campagne se divise en trois moments : une phase de préparation révolutionnaire de l’opinion; puis l’action centrale à Flins que l’on peut définir comme action de partisan dans l’étape de révolutionnarisation idéologique; enfin une phase de popularisation de cette action.

3° Les acquis de la phase de préparation idéologique de l’opinion sont grands.

Ils sont apparus au cours d’un grand nombre d’actions impulsées soit par les secteurs soit par la CPM (ces actions allaient des petits meetings improvisés devant les usines et des bombages massifs dans le métro, aux meetings centraux devant le Lycée Gilles Tautin, dans les Gares Saint-Lazare et du Nord et à l’action de casse parfaitement réussie de la chambre patronale des constructeurs d’automobiles).

– Développement de la résistance violente aux flics. Cette résistance est apparue comme un des facteurs les plus importants de la révolutionnarisation des masses (les camarades ont été physiquement aidés par des ouvriers et des commerçants, au marché de Montrouge, devant l’usine Lissac, etc.)-

– La lutte contre la liquidation a fait un bond en avant dans l’organisation. Tous les groupes liquides ont montré leur incapacité à organiser quoi que ce soit (douze liquides de divers groupes n’arrivent même pas à déposer une gerbe sur la tombe de Gilles).

Pour la première fois depuis la liquidation de septembre des liquides qui refusaient de se soumettre à la critique des masses ont été vidés militairement par des militants de la GP.

-La mobilisation n’a cessé de croître pendant toute cette période : quantitativement par le nombre des effectifs, qualitativement par le niveau idéologique et la compréhension des cibles politiques de la campagne (des secteurs apparemment morcelés ont trouvé leur unité de combat au cours de la campagne).

– L’organisation a commencé à marcher sur ses deux jambes : dans ces dix jours de campagne toutes les unités se sont tournées vers le travail en direction de la classe ouvrière en utilisant les forces neuves issues de la révolte anti autoritaire.

Les camarades des équipes de propagande ont été bien accueillis par les masses : la campagne intervenant à
un moment politique particulièrement favorable (ébranlement idéologique produit par le développement des luttes dans les lycées; début d’une flambée de luttes ouvrières, échéance électorale) et avait un impact dans les masses.

4° L’action sur Flins a été conçue comme une action mobile de partisans intervenant dans une base ennemie (présences nombreuses de cadres fascistes et de gardiens, encerclement policier) frappant rapidement avec pour cible mener la lutte de classe dans l’usine, révolutionnariser les masses, et s’esquivant après l’action.

– L’action proprement dite a été marquée par la recherche du point de vue de l’usine : pendant une demi-heure la loi du patron a été brisée (sa pelouse piétinée, son monument aux morts badigeonné, ses cadres frappés).

S’il n’y a pas eu intervention militaire massive en notre faveur des ouvriers (seuls une dizaine se sont battus avec nous) il y a eu soutien idéologique actif (approbation de l’action dans les discussions,  » fourniture d’armements « … on nous a passé des bouteilles, des pierres).

C’est essentiellement la dure bagarre avec la maîtrise qui a été (plus que les prises de paroles) l’instrument de la révolutionnarisation idéologique des ouvriers.

C’est cette bagarre qui a tracé les lignes de classes dans l’usine (dans l’usine on ne parle que de ça) et qui fournit aux GTC un terrain de luttes très favorable.

– Le repli découlait de notre conception de l’action de partisan : il fallait échapper à l’important dispositif policier qui allait être mis en place immédiatement après l’action.

Le seul moyen était l’esquive à pied sur un difficile parcours de quinze à vingt kilomètres en utilisant les conditions naturelles.

L’esquive a été totalement réussie; les seuls camarades piqués, moins de dix sur plus de cent cinquante l’ont été après l’esquive au moment de la récupération en bagnole.

Le très haut niveau idéologique des camarades a permis de faire respecter la discipline nécessaire, de venir en aide aux camarades les plus épuisés, de conserver la cohésion malgré les difficultés.

– La phase de popularisation commence maintenant : elle consiste en une explication massive de la campagne dans son ensemble et de l’action, dans les usines, les marchés, les métros.

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Introduction et Conclusion de « Vers la Guerre Civile » (1969)

[Introduction et conclusion de l’ouvrage « Vers la guerre civile », écrit parJuly, Geismar et Morane E., paru aux Editions Premieres, Paris 1969.]

Depuis Mai, le combat s’est poursuivi, illustrant cette vérité du printemps révolutionnaire : les luttes de Mai-Juin sont à l’origine du processus révolutionnaire qui travaille actuellement l’Europe capitaliste.

Le putsch monétaire de Novembre, l’impasse universitaire, les grèves générales en Italie, tels sont les moments les plus accentués de ce processus.

Toute tâche politique, actuellement, ne peut s’opérer qu’en référence au tronc commun des expériences du printemps 1968, à ce qui constitue d’ores et déjà la TRADITION DE MAI.

Cette tradition appartient inaliénablement au mouvement prolétarien français.

Il ne s’agit pas d’y échapper, même inconsciemment, en croyant y trouver la confirmation de sa pratique antérieure, alors que le mouvement a enterré vivants, et les « modernistes  » de la veine gorzienne, et les constructeurs S.G.D.G. d’organisations révolutionnaires trotskystes en tous genres.

La réapparition, la morgue  » victorieuse  » de certains n’y changera rien.

La RENTABILISATION de l’expérience révolutionnaire accumulée par le mouvement de masse exige des initiatives qui soient en accord avec les luttes du printemps et la logique du mouvement révolutionnaire.

Entendons par là le mouvement dans sa continuité comme dans ses discontinuités dans toutes les ruptures que les tactiques du P.C.F., de la petite bourgeoisie politique et évidemment, de la contre-révolution elle-même y ont introduit.

Entendons aussi le mouvement dans son éparpillement temporel et spatial.

Aussi, toute perspective qui vise la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie et toute organisation du travail militant et révolutionnaire, doit-elle être capable à la fois de rendre compte de la tradition de Mai  » et de s’articuler sur cette tradition d’une manière prolétarienne.

La tradition de Mai, d’abord.

Ces écrits cherchent à montrer la POSSIBILITÉ d’une maîtrise RATIONNELLE de l’ensemble des luttes, des pratiques, des formes d’action et des idées du printemps 68.

Il faut parvenir à déchiffrer le SENS du mouvement de masse et mettre en évidence UN DISCOURS DE LA RÉVOLUTION qu’aurait  » parlé  » le mouvement de masse.

Il faut en articuler LA THÉORIE.

Discours irréductible, spécifique, original, le premier de ce type en Europe occidentale, dans un pays capitaliste avancé, c’est lui qui permet de construire les points de départ théoriques de la nouvelle période historique, période inaugurée par l’escalade menée par les révolutionnaires vietnamiens dans leur riposte à l’impérialisme américain.

Il y a là un hiatus, une véritable coupure par rapport aux pratiques militantes antérieures.

Mais alors qu’il était impossible avant Mai, de construire la théorie de ce hiatus, et donc de taire la théorie de la crise du mouvement ouvrier international, le mouvement de masse de Mai a fait surgir de nouvelles possibilités.

Il a dégagé, par conséquent, un champ théorique et militant, que ces écrits tentent d’explorer sans en donner toutefois des formes élaborées.

Il ne s’agit pas encore de constituer LA THÉORIE DE MAI.

L’absence, d’un CENTRE du mouvement de masse, en Mai, et aujourd’hui encore, prive ce mouvement d’un tel instrument de luttes et aussi de connaissances.

Cette absence est, du reste, l’un des éléments constitutifs de Mai.

Elle est aussi la caractéristique de la faiblesse actuelle du mouvement.

L’état de dispersion des fonctions essentielles d’un tel Centre est particulièrement apparente en Mai.

Naturellement appauvries, ces fonctions furent à l’époque assumé plus ou moins consciemment par divers centres partiels.

Les divergences stratégiques aggravèrent cette dispersion politiques d’autant que certains centres partiels projetaient (de façon plus ou moins avouée) d’être le Centre exclusif.

Telle fut la grande faiblesse de Mai.

C’est cette réalité-là, maintenue entre-temps sous d’autres formes, qui empêche d’élaborer la théorie de Mai : une telle théorie suppose un centre, un quartier général prolétarien, autant qu’elle l’induit.

Il ne peut donc s’agir, ICI ET MAINTENANT, que d’une série D’APPROXIMATIONS théoriques.

Voilà pourquoi les différents chapitres sont explicitement DATES, lis portent par là la marque du TEMPS DE LEUR ÉCRITURE et l’empreinte de cette approximation.

Ce livre n’est pas un tout, il est fondamentalement inachevé et fragmentaire.

Il faut, en second lieu, lier d’une manière prolétarienne la pratique militante actuelle à la Tradition instaurée par Mai.

Mai est encore sur l’estomac  » de beaucoup de militants, et de théoriciens  » patentés « .

Ne parlons pas des bourgeois, qui préfèrent  » poursuivre  » comme si de rien n’était, tels qu’en eux-mêmes ils imaginent que l’éternité les change

Mai, néanmoins, a remis la société française sur ses pieds.

Il a donné à voir crûment la réalité des contradictions de classes qui fondent cette société.

Il a remis la révolution et la lutte de classe au centre de toute stratégie.

Sans vouloir jouer aux prophètes : l’horizon 70 ou 72 de la France, c’est la révolution.

En révolutionnarisant les masses, Mai a révolutionnarisé les militants.

Par l’action, par la confrontation à la pratique concrète de la révolution en France, ils se sont transformés.

Idées, pratiques, idéologies ont été brassées.

De cet ensemble d’échanges, de tout ce brassage, se dégage peu à peu un sang neuf.

Du vaste métabolisme développé par les crises des divers courants à travers les lieux militants de Mai, émergent des faisceaux de convergences et des éléments stratégiques se dégagent

De la rentrée 1967, à Flins, à la rentrée 1968, à travers les brassages internes à chaque courant, à chaque mouvement, à chaque organisation, à travers les différents apports et rejets successifs, Mai a jeté les bases du dégagement d’un courant révolutionnaire en France; cependant, il n’a pas achevé ce métabolisme.

Tous les éléments sont là à portée de la main, il reste à les ressaisir – c’est la définition de la TRADITION de Mai et à les articuler sur la pratique militante, c’est-à-dire opérer une rupture qualitative, un BOND EN AVANT.

La constitution organique de ce courant et la lutte de classe qu’il doit mener au sein du mouvement de masse pour prolétariser Mai, c’est aujourd’hui l’ouverture d’une nouvelle étape décisive, où va se jouer l’avenir de la révolution.

Toute perspective révolutionnaire, toute stratégie révolutionnaire en France, doivent unir de manière créatrice les traditions de lutte du peuple, et les principes théoriques du marxisme combattant.

Cette fusion créatrice, elle s’appelle en Chine le Maoïsme, elle s’est appelée en U.R.S.S. le Léninisme.

Ici, elle est encore à effectuer.

Ce livre veut contribuer activement (quoique de manière très partielle) au métabolisme du mouvement révolutionnaire de masse qui tend à rejeter de lui-même les scories et les corps qui le condamnent à l’inertie.

Contribution partielle, puisque les auteurs, anciens militants du Mouvement du 22 Mars, ne sont encore que les parties prenantes d’une série nécessairement partielle du processus d’échanges et de brassages exprimé par les crises violentes que connaissent les courants révolutionnaires depuis Mai.

Les actions militantes, les contingences mêmes de l’action accélèrent chaque jour ce métabolisme.

Il possède une logique propre et une perspective : la PROLÉTARISATION DU MOUVEMENT DE MASSE.

Ce processus entretient la grande peur de la bourgeoisie.

Aujourd’hui, la bourgeoisie a peur.

Doublement peur.

D’une part, elle a appris en huit mois que le Gaullisme avait préparé, depuis près de trente ans, la France à la guerre civile ; aujourd’hui, le point de non-retour est atteint, la bourgeoisie est prise au piège de l’affrontement.

D’autre part, Mai se prolétarise et prend une identité révolutionnaire.

Cette identité, la bourgeoisie doit nécessairement tenter d’en venir à bout et de la détruire.

Cela mène inéluctablement à l’affrontement direct, physique, avec le mouvement révolutionnaire de masse.

Même si elle ne veut pas entendre parler de cet horizon-là, la bourgeoisie court à l’affrontement.

Mai, en France, c’est le début d’une lutte de classe prolongée.
Voici tes premiers jours de la guerre populaire contre les expropriateurs, les premiers jours de ta guerre civile.

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LA LONGUE MARCHE DU QUARTIER GENERAL

L’inachèvement de l’étape de Mai, la survivance des facteurs qui la pérennisent, qui entretiennent son inertie, pseudo-centres et polycentres, appellent un véritable bond en avant, une rupture violente qui la liquide.

Ce bond est une nécessité.

C’est dans cette inertie qu’il doit permettre de trancher, accomplissant ainsi le métabolisme de Mai.

Ce bond a une base objective.

Le métabolisme actuellement en suspens, de cette première étape du processus révolutionnaire, a produit des éléments de stratégie, a fait converger des militants autour de ces éléments, créant ainsi les conditions nécessaires à l’existence d’un courant révolutionnaire, issu de l’articulation prolétarienne de la tradition de Mai, et d’un centre provisoire, mais néanmoins réel du mouvement.

Un tel centre condense la possibilité du passage à la seconde étape du processus.

Il assume dans le moment actuel, deux fonctions :

– Il marque concrètement le passage à la seconde étape.

– Il est l’organisateur de la rupture.

En tant qu’organisateur de la rupture, il constitue, le courant révolutionnaire, par la ressaisie de l’étape de Mai et donne sa maîtrise politique.

En milieu universitaire, la lutte du centre vise l’idéologie de la  » révolte des producteurs « .

Elle lui oppose radicalement, à partir de sa réfutation, une perspective de prolétarisation, de recentrage du mouvement sur le prolétariat, son idéologie et ses tâches historiques.

L’Université après Mai, toujours partie du champ de luttes, n’en est plus l’élément moteur.

L’action militante dans le lieu universitaire conserve pas moins une double valeur politique – La bataille sur le front idéologique qui s’y développe, interdit toute possibilité d’utilisation de l’Université par la bourgeoisie, dans ses tentatives de remodeler l’idéologie dominante. –

Le développement de la lutte anti-autoritaire continue à saper l’idéologie bourgeoise, à mettre en échec le principe d’autorité sur lequel s’ossature tout le système de domination.
Une telle lutte atteindra d’autant plus sa cible, si elle est menée, non seulement comme négation de l’idéologie bourgeoise, mais comme arme prolétarienne.

La prolétarisation des militants étudiants est à l’ordre du jour dès lors qu’ils ne sont pas pris d’emblée pour des producteurs.

Il s’agit d’opérer la fusion révolutionnaire des éléments les plus avancés parmi les travailleurs intellectuels et les travailleurs manuels.

Dans la classe ouvrière, cette prolétarisation – au sens de dégage nient d’une idéologie prolétarienne autonome par rapport à bourgeoisie, comme au révisionnisme est aussi à l’ordre du jour Le mouvement doit conquérir son autonomie.

Elle passe par la rupture, nécessaire, avec les institutions révisionnistes.

Au sein, même du mouvement, la lutte contre l’entrisme, à partir de l’analyse du fonctionnement du couple P.C.F.-C.G.T., devient la clé de toute autonomisation possible du mouvement.

Ces luttes débloquent le processus d’autonomisation de la force révolutionnaire et lui confère une puissance politique d’intervention,’ qui détermine toute lutte ouvrière, dans la mesure où les noyaux militants réalisés, dominent l’ensemble des fonctions du mouvement révolutionnaire politique, syndicale, de résistance…

La rupture avec le révisionnisme dépend de l’importance et du poids politique de la fusion de ces fonctions par le courant révolutionnaire, dans un même lieu militant.

La ressaisie, par chaque unité militante, des embryons de fonctions décisives de l’action politique, telles qu’elles sont apparues au cours du processus révolutionnaire, définit la phase décisive de la constitution organique du courant révolutionnaire.

Là réside la clef de tout avenir stratégique et tactique de la force révolutionnaire.

Le développement de bastions prolétariens assumant pas à pas, la totalité des tâches révolutionnaires de la conjoncture, fusionnant en une même force ses fonctions idéologique, syndicale, politique… tel est l’axe de la prolétarisation du mouvement de masse.

Les effets d’une telle force doivent nécessairement amener les organisations syndicales à se situer par rapport aux initiatives de ce bastion, à se laisser entraîner par elles, au risque de se dénaturer profondément, ou bien à les condamner violemment, et alors accélérer la crise du révisionnisme en reconnaissant l’appartenance au mouvement révolutionnaire de secteurs de plus en plus larges de la classe ouvrière.

Cette visée de la force révolutionnaire en émergence, appelle un processus permanent d’échanges entre les fronts de lutte, entre les entreprises et les Facultés.

Si l’insertion de militants, étudiants à l’origine, dans le travail de liaison entre les entreprises, entre les entreprises et les Facultés est un facteur essentiel de leur prolétarisation, c’est aussi la garantie de la possibilité concrète de dialectisation du savoir de la fraction révolutionnaire des intellectuels et de la connaissance ouvrière de la lutte de classe.

Réciproquement, l’insertion de militants ouvriers parmi les étudiants contribue à la prolétarisation des luttes dans l’Université et, par ailleurs, à la destruction de la spécialisation des tâches politiques au sein du courant révolutionnaire.

Cette lame de fond, de prolétarisation du mouvement révolutionnaire, n’a de valeur concrète, qu’en tant qu’elle articule cette prolétarisation à la tradition de Mai.

La perspective de cette lame de fond c’est, fondamentalement, la fusion de la fraction révolutionnaire des étudiants et des fractions prolétariennes de la classe ouvrière.

Cette fusion d’étudiants et de travailleurs, c’est la clef de voûte de la Révolution en France.

C’est l’objectif stratégique de l’étape à réaliser.

Le mouvement révolutionnaire est actuellement fluide.

Les fluctuations du polycentrisme, des pseudo-centres, dans cette phase d’inachèvement du métabolisme de Mai, le développement des contradictions entre lui et le révisionnisme, entre lui et la bourgeoisie, fondent la nécessité du bond en avant et son urgence.

Un nombre limité d’unités militantes peuvent initier cette étape.

Cela suppose, en permanence, un brassage et des échanges d’expériences.

Ces échanges, la maîtrise de ces luttes, supposent l’émergence d’un centre, d’un quartier général provisoire, qui prenne en charge ce bond en avant.

Centre, bien sûr, puisque investi de l’ensemble des fonctions qui découlent des éléments stratégiques issus de la tradition de Mai, mais néanmoins, provisoire, dans la mesure où l’étape de Mai n’est pas encore accomplie, et où ce n’est qu’à la suite de la reconnaissance par le mouvement de ce centre, comme tel, qu’il pourra assumer véritablement ses fonctions de direction.

Au cours de ce processus d’accomplissement de l’étape de Mai, et de la rupture constitutive de la nouvelle étape, il est prévisible, qu’au sein même du centre comme entre le centre provisoire et le mouvement, un nouveau métabolisme va se développer.

Il aboutira à l’édification de la charpente de l’avant-garde prolétarienne, celle de la nouvelle période historique.

Cette émergence du centre, c’est le début d’une longue marche du centre, de sa prolétarisation sous le contrôle des masses populaires.

Ce bond en avant, c’est la lutte de classe, ici et maintenant, c’est la libération du processus révolutionnaire, c’est l’avenir des victoires décisives sur la dictature de la bourgeoisie.

1er mars 1969 

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Les chansons de la Gauche Prolétarienne «Les nouveaux partisans», «Cogne en nous même le sang»

Les nouveaux partisans en mp3

Cogne en nous même le sang en mp3

Les chansons « Les nouveaux partisans », « Cogne en nous même le sang » forment un 45 tours deux chansons produit par « Expression Spontanée », dont les membre ne sont pas présentés. Au dos du 45 tours est écrit:

COLLECTION EXPRESSION SPONTANÉE

Production de disques qui ne trouveraient pas leur place dans le système commercial actuel, basé trop souvent sur le profit et l’abrutissement de l’individu, et diffusés en dehors des circuits traditionnels.

Ces 6 disques ne sont pas parfaits. Ils ont le mérite d’exister et d’être vendus 3 F, et de créer une nouvelle démarche.

Ne rangez pas ces disques dans votre bibliothèque. Ce ne sont ni des objets de musée ni des instruments de propagande, mais un véhicule de pensée vivante et d’expression spontanée.

Faites les écouter dans les ateliers, les lycées, les usines, les bureaux, les immeubles. N’oubliez pas: la diffusion, c’est vous!

Ce 45 tours a été enregistré et converti en mp3 par une version passée de ce site, avec un certain succès, puisque la chanteuse, Dominique Grange, refit surface, tout en se dédouanant de tout maoïsme et réécrivant en ce sens son propre passé.

Voici les paroles de la chanson Les nouveaux partisans.

Écoutez les nos voix
Qui montent des usines,
Nos voix de prolétaires
Qui disent y en a marre.

Marre de se lever
Tous les jours à cinq heures
Pour prendre un car, un train
Parqués comme du bétail.

Marre de la machine,
Qui nous saoule la tête.
Marre des cheffaillons,
Du chrono qui nous crève.

Marre de la vie d’esclave,
De la vie de misère.
Écoutez les nos voix,
Elles annoncent la guerre !

Nous sommes les nouveaux partisans,
Francs-tireurs de la guerre de classe !
Le camp du peuple est notre camp,
Nous sommes les nouveaux partisans !

Regardez l’exploité
Quand il rentre le soir

Et regardez les femmes
Qui triment toute leur vie

Vous qui bavez sur nous
Qui dites qu’on s’embourgeoise.

Descendez dans la mine
A six-cent mètres de fond !

C’est pas sur vos tapis
Qu’on meurt de silicose.

Vous comptez vos profits,
On compte nos mutilés.

Regardez-nous vieillir
Au rythme des cadences,
Patrons regardez-nous,
C’est la guerre qui commence !

Nous sommes les nouveaux partisans,
Francs-tireurs de la guerre de classe !
Le camp du peuple est notre camp,
Nous sommes les nouveaux partisans !

Et vous les garde-chiourmes de la classe ouvrière
Vous sucrez sur notre dos, ça ne vous gêne pas

Vos permanents larbins nous conseillent la belote
Et parlent en notre nom au bureau du patron !

Voter, manipuler, recommencez Grenelle
Vous ne nous tromperez pas
Maintenant ça ne marche plus !

Il n’y a que deux camps,
Vous n’êtes plus du notre !
A tous les collabos, nous on fera la guerre !

Nous sommes les nouveaux partisans,
Francs-tireurs de la guerre de classe !
Le camp du peuple est notre camp,
Nous sommes les nouveaux partisans !

Baladez vous un peu dans les foyers putrides
Où on dort par roulement quand on fait les 3/8

La révolte qui gronde aux foyers noirs d’Ivry
Annonce la vengeance des morts d’Aubervilliers

C’est la révolte aussi au coeur des bidonvilles
Où la misère s’entasse, avec la maladie

Mais tous les travailleurs immigrés sont nos frères
Tous unis avec eux, on vous déclare la guerre !

Nous sommes les nouveaux partisans,
Francs-tireurs de la guerre de classe !
Le camp du peuple est notre camp,
Nous sommes les nouveaux partisans !

La violence est partout, vous nous l’avez apprise
Patrons qui exploitez, et flics, qui matraquez

Mais à votre oppression, nous crions: Résistance !
Vous expulsez Kader, Mohammed se dresse !

Car on expulse pas la révolte du peuple
Peuple qui se prépare à reprendre les armes
Que des traîtres lui ont volé en 45
Oui bourgeois contre vous le peuple veut la guerre !

Nous sommes les nouveaux partisans,
Francs-tireurs de la guerre de classe !
Le camp du peuple est notre camp,
Nous sommes les nouveaux partisans !

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Gauche Prolétarienne: Coup pour Coup

[Supplément à la Cause du Peuple n°20.]

La tâche centrale et la forme suprême de la Révolution, c’est la conquête du pouvoir par la lutte armée, c’est résoudre le problème par la guerre.
MAO TSE-TOUNG

I. GUERRE OU PAIX ?

Nous ne cachons pas que nous sommes résolument opposés aux syndicats.

Comme les mineurs du Limbourg saccageant les maisons syndicales aux cris de  » Syndicats bandits  » ; comme les mineurs de Suède, du Danemark rejetant leurs soi-disant délégués, comme les ouvriers de la Fiat imposant dans leur lutte le mot d’ordre :  » Nous sommes tous des délégués « .

Et si dans l’Europe de la paix, des contrats, et de la prospérité capitalistes, les ouvriers commencent à lutter sans demander l’autorisation syndicale, c’est que dans l’occident décadent, une idée neuve se répand comme la foudre : à bas la paix sociale ; il faut de nouvelles formes de combat, il faut en finir avec la pratique actuelle des syndicats.

D’un côté ceux qui déclarent la guerre à l’ordre social bourgeois ; de l’autre, ceux qui veulent organiser coûte que coûte la paix sociale.

Les gouvernants les plus lucides disent ouvertement qu’ils veulent encourager le syndicalisme pour avoir un pouvoir  » compensateur  » dans les usines.

Que dit Chaban à la télé ?

 » Mon pari, c’est… l’existence et le développement de syndicats suffisamment représentatifs pour s’engager, et désireux de le faire contractuel-lement, en se consacrant à la défense des intérêts professionnels. « 

Dans les grandes entreprises, il est vital pour les capitalistes de prévoir les mouvements sociaux et de les prévenir ; pour atteindre cet objectif, un partage entre le pouvoir patronal et le pouvoir syndical est nécessaire : patrons et syndicats s’engagent par des contrats de progrès comme à l’EDF ou des accords comme à Berliet à respecter ensemble certaines limites.

Quand c’est possible on rogne, sans trop en avoir l’air, le droit de grève. Cela permet à la direction de l’entreprise de prévoir et de calculer le prix  » de la lutte de classes « .

C’est arrivé à un tel point qu’en Allemagne par exemple, des actions industrielles sont bien cotées en Bourse quand l’entreprise concernée possède de  » puissants syndicats « .

Mais la paix sociale c’est une paix dans l’esclavage ; c’est comme quand on reçoit une gifle et qu’en tend l’autre joue.

Accepter cette paix, c’est subir le terrorisme patronal sans réagir :

– accepter des normes et des cadences inhumaines en disant amen et  » c’est la technique qui le veut  » ;

– accepter des assassinats déguisés en accidents de travail en disant amen,  » c’est la fatalité qui le veut « .

C’est : accepter d’être ravalé au rang de marchandise. Nous refusons, nous ne tendrons plus l’autre joue, nous ferons la guerre, judicieusement mais totalement jusqu’à la victoire : jusqu’au moment où nous imposerons la paix, la vraie, la paix dans la liberté.

A ce moment les terroristes, ceux qui tuent les ouvriers et martyrisent les familles pauvres, ceux qui auront survécu, seront à la chaîne : le travail productif à la longue leur donnera des idées plus justes.

II. RESISTER OU CAPITULER

Quand on est agressé on peut soit résister, soit s’abstenir, quitte à chercher quelques moyens de pression pour dissuader l’agresseur.

Mais l’expérience montre que la bonne dissuasion c’est la résistance.

Quand dans un atelier les cadences sont augmentées, on peut soit les saboter EN TRAVAILLANT MOINS, en réduisant la production, soit faire pression par une pétition à la direction pour qu’elle consente à ne pas trop nous demander ; mais si elle a augmenté les cadences c’est parce qu’elle veut nous demander trop ; donc pas la peine de faire pression, résistons.

Un chef salaud nous traite comme des moins que rien ; va-t-on faire pression sur son supérieur pour que ça cesse ? au mieux on le mutera, et il emmerdera dans un autre atelier les ouvriers.

Non, tant qu’on ne lui aura pas rabattu la grande gueule proprement, il ne changera pas sa manière de faire. Donc pas de pression, la résistance !

Un ouvrier est assassiné dans un chantier ou au fond de la mine.

Qu’estce qu’on fait ?

On attend que le ministre de l’Industrie grâce à nos pressions fasse une enquête ?

On voit ce que ça donne à la raffinerie de Feyzin : ce ne sont pas les vrais criminels de la haute qui passeront en justice.

Et la direction des Charbonnages passera-t-elle aux assises ? Comme nous sommes réalistes, nous savons que non. Alors on laisse faire ?

Non, on résiste : on sabote l’outil de production sur le chantier ou on avertit par des moyens frappants la direction des Charbonnages qu’il faudra faire attention : que si elle croit à la fatalité du coup de grisou qui tue, pas nous.

On résiste.

Il y a toujours sur chaque aspect de la vie de l’exploité deux voies : résister ou capituler.

La capitulation camouflée : c’est  » faire pression « . Pétain aussi », sous l’occupation allemande, faisait pression sur les autorités allemandes.

Or cette tendance remonte très loin : au début du siècle un chef syndicaliste, Griffuelhes disait  » faire pression c’est l’objet du mouvement syndical « .

C’est cette pratique syndicaliste-là que nous refusons. A la même époque à peu près les militants ouvriers les plus audacieux ne l’entendaient pas de cette oreille.

Quand après une grande grève des postiers, on licencia par centaines, des groupes révolutionnaires de partisans s’organisèrent pour saboter à grande échelle les fils télégraphiques : sabotage par représailles jusqu’à la réintégration des licenciés.

Résistance et non pas pression.

Chaque ouvrier pris individuellement sait bien qu’il y a deux attitudes : la révolte ou l’acceptation.

Mais individuellement on n’arrive à rien, il faut transformer la révolte individuelle, la haine personnelle de l’ouvrier en une révolte collective, en une haine de classe.

Notre point de vue c’est qu’il faut systématiser ces idées de la révolte et de la résistance et non pas les idées de l’acceptation, de la servilité.

Le syndicalisme qui, lui,  » fait pression « , systématise non la révolte mais la servilité.

De par sa situation même d’exploité, le prolétaire a l’instinct de la résistance.

Dans sa tête des tas d’idées se forment pour en finir avec l’insupportable.

Il invente des ruses de guerre, il pense à casser la gueule à un chef, à séquestrer le patron, à saboter l’organisation du travail, en désorganisant la production voulue par le patron, à saboter l’outil de production de telle manière à frapper le patron (dans son portefeuille) et non le consommateur éventuel.

Notre travail c’est de nous appuyer sur ces ruses pour faire de l’usine-bagne un terrain bourré d’embûches pour le patron.

Les syndicalistes disent qu’ils veulent faire une pression constante sur la direction ; nous, nous la harcèlerons sans interruption.

Sur tous les aspects de l’exploitation et de l’asservissement. Nous donnons des coups au patron qui lui fassent perdre du fric ou qui lui fassent perdre son arrogance.

Les groupes qui s’édifient dans cette pratique sont des groupes de résistance non des groupes de pression. Ils imposent leur loi à l’oppresseur, ils ne plient pas devant la loi du patron.

III. PROTECTION LEGALE OU PROTECTION DES MASSES

Ça n’est pas légal de casser la gueule collectivement à un chef ou de saboter les cadences.

Les groupes de résistants forcément se mettent hors de la loi des patrons.

C’est normal, la loi n’est pas faite pour le pauvre, mais pour les patrons.

Résister c’est donc faire une chose illégale. De tous temps les oppresseurs ont inversé les rôles, ils appelaient terroristes les résistants et hommes respectueux de la loi les profiteurs et les assassins.

Le colonel Fabien, héros de la résistance, était un terroriste et le commandant SS et le milicien fasciste l’autorité légale.

Qui est le terroriste ? celui qui assassine le mineur ou celui qui résiste aux assassinats et venge les mineurs ?

Il y a deux morales.

Quand Dassault tue, c’est pour le développement de l’aéronautique et de notre commerce extérieur ; quand un ouvrier résiste c’est un voyou.

C’est clair : on ne se laissera pas ligoter par cette loi.

Les syndicalistes, eux, estiment que le sommet du progrès c’est qu’ils sont reconnus légalement.

Passe encore : ça pourrait être une victoire de se faire reconnaître par la loi.

Mais si ça signifie : s’en tenir à la loi, ne rien faire qui risque de remettre en question cette légalité, à quoi ça conduit ? à accepter la loi du patron, à FAIRE RESPECTER LA LOI DU PATRON.

On devient un bon policier : le syndicalisme c’est devenu la police syndicale.

Il y a très souvent des militants ouvriers honnêtes, ils sont légion, qui sont des délégués, avec leur mandat légal de délégué, les heures où ils peuvent faire légalement leur travail syndical.

En apparence c’est une aubaine, et il faudrait tout faire pour avoir cette aubaine, entrer au syndicat, se faire élire délégué.

En réalité c’est tout différent. La liberté accordée par le patron c’est une liberté surveillée.

Dès qu’on ne fait plus du syndicalisme, qu’on ne fait plus « légalement de la pression « , on vous enlève cette liberté et même votre droit au travail, bref on licencie le délégué qui fait un travail qui ne respecte pas la loi du patron, un délégué qui organise la résistance ouvrière.

Le seul résultat qu’aura obtenu le bon délégué, c’est d’avoir semé des illusions dans la masse sur les possibilités légales de combat, d’avoir renforcé la peur du gendarme, d’avoir ajourné le moment de la résistance organisée.

Plus vite et plus profondément on extirpera cette peur de la loi du patron, cette peur du gendarme, mieux cela ira pour organiser la résistance victorieuse à l’oppression.

Il faut se pénétrer de cette évidence : pour les ouvriers il n’y a pas de  » protection légale « .

Pour les militants ouvriers, les plus conscients et les plus résolus parmi les ouvriers, encore moins : leur seule protection c’est celle que leur offrent les masses qui les soutiennent.

Le partisan qui frappera les assassins des mineurs sait que dans les corons la masse des mineurs le protégera.

Nous ne prenons pas la carte syndicale et nous ne briguons plus les mandats syndicaux parce que pour nous la tâche de l’heure c’est d’aider les masses à rejeter la loi des patrons, à opposer leur volonté collective de résistance au terrorisme patronal.

IV. UNIR OU DIVISER ?

Pour que la résistance soit capable de vaincre l’oppression, il faut l’union.

Il faut unir tous ceux qui peuvent être unis : l’ouvrier et ‘l’ouvrier ; l’ouvrier et sa femme, l’ouvrier et son enfant, l’ouvrier et l’étudiant, l’ouvrier et le petit paysan, le petit commerçant.

Unir l’ouvrier et l’ouvrier, c’est unir l’ouvrier d’origine française et l’ouvrier immigré.

Que font les syndicalistes ? ils divisent l’ouvrier français et l’ouvrier immigré : il n’y a pas beaucoup d’ouvriers immigrés dans les syndicats, c’est qu’ils sont en marge de la loi des patrons ; la preuve c’est qu’ils ne participent pas aux élections.

Les syndicalistes et leurs frères de classes les petits seigneurs de banlieue, ils font ce qu’ils ont fait à Argenteuil ou à Ivry ou à Aubervilliers, ils se rendent complices des patrons et du gouvernement : on rase les bidonvilles mais en ne reloge pas ; les logements c’est en priorité pour les permanents dans les HLM.

Unir l’ouvrier et l’ouvrier, c’est rejeter la hiérarchie patronale, les salaires et les catégories différentes pour un même travail.

Que font les syndicalistes ? ils soutiennent cette hiérarchie (même en mettant les formes) ; ils divisent.

Ils unissent ce qui doit être en lutte : l’ouvrier et l’ingénieur-flic mais ils divisent ce qui doit être uni : l’ouvrier et l’ouvrier : l’OS et l’OS, l’OS et l’OP…

L’ingénieur-flic parce qu’il reçoit lui aussi  » un salaire  » serait logé à la même enseigne que l’ouvrier et il devrait être uni à lui ; mais deux ouvriers qui font le même travail (et un travail productif, pas un travail de flic dans l’usine) ne devraient pas avoir le même salaire.

Cette logique de bandit c’est la logique même des patrons : la logique  » diviser pour régner  » faire semblant d’unir pour enchaîner « .

Unir l’ouvrier et sa femme, c’est unir par exemple la lutte d’usine et la lutte contre les loyers, la vie chère. Que font les syndicalistes ? ils divisent : le syndicat d’usine fait pression dans l’usine et l’union des femmes françaises fait pression dans la cité.

Unir l’ouvrier et l’étudiant, c’est détruire les murs des facultés pour que par exemple l’étudiant et l’ouvrier mènent un combat commun contre un patron despote.

Que font les syndicalistes ?

Ils divisent : l’étudiant doit étudier et dans son syndicat faire pression pour avoir de meilleures études ; et l’ouvrier doit travailler et dans son syndicat faire pression pour mieux travailler.

C’est accepter la division entre ceux qui triment et ceux qui « pensent « , c’est la logique des bandits, des patrons.

C’est clair : le syndicalisme divise le peuple, la résistance unifie le peuple pour vaincre l’oppression, comme nous le verrons dans le prochain article.

V. COUP POUR COUP

Pourquoi nous nous opposons au syndicalisme ?

Parce qu’il fait la paix quand il faudrait faire la guerre.

Parce qu’il capitule quand il faudrait résister ; qu’il fait pression quand il faudrait frapper.

Parce qu’il accepte la loi des patrons quand il ne faudrait reconnaître que la légalité des masses combattant pour une cause juste : celle de l’émancipation.

Parce qu’il divise quand il faudrait unir.

Le syndicalisme, à notre époque, accepte la division du travail imposée par le patron ; et dans ce cadre il prétend défendre les intérêts professionnels des couches sociales divisées par le capitalisme.

A la place des héroïque syndicalistes du passé, des prolétariens de la CGTU, des premiers partisans de la lutte contre l’envahisseur, aujourd’hui on trouve des bureaucrates embourgeoisés.

Le syndicalisme, aujourd’hui, c’est les lendemains qui ne chanteront jamais.

La résistance, elle, prend pour devise : COUP POUR COUP ; UNIS NOUS VAINCRONS.

C’EST L’HEURE DES PARTISANS

I. CONTRE LES TERRORISTES

Ce que nous voulons d’abord, c’est le pouvoir. Avec le pouvoir, on peut tout ; sans pouvoir, on ne peut rien.

Pour transformer le monde, il faut prendre le pouvoir.

1906, 1920, 1936, 1947, 1968 : à chaque fois dans une explosion de colère et de ressentiment, le prolétariat se lève, entame la grève générale mais comme il ne prend pas le pouvoir, rien ne change vraiment ; les forces de répression reprennent peu à peu le dessus.

Il faut recommencer.

De la même manière ?

Ce serait ne jamais arriver au but.

Non, nous ne voulons pas répéter mai 68.

Mai 68 a changé quelque chose en France : on ne croit plus à la paix entre exploiteurs et exploités. Voilà la grande conquête de mai, que nous sommes les plus acharnés à consolider.

Mais ce que nous voulons c’est continuer mai : mai a brisé la paix sociale ; après mai organisons la guerre sociale !

Au peuple qui veut cette guerre libératrice, il faut donner confiance.

Le capital infecte toute la société depuis longtemps ; des assauts prolétariens répétés ne sont pas venus à bout de sa puissance.

Tout cela donne une impression de force : on a tellement prédit la chute du régime bourgeois qu’on n’y croit plus.

Et même certains s’habituent un peu.

Ils finissent par se convaincre que ce n’est pas si mal après tout : il y a du pain pour tout le monde ou à peu près ; il y a la télé, la démocratie.

Il faut liquider la force de ces mensonges qui trompent aussi des gens du peuple. Notre objectif immédiat c’est que la vérité s’impose dans les esprits, libère les esprits.

Dans la tête de chaque exploité il y a deux idées fondamentales : d’un côté la volonté de se battre, de l’autre la peur de l’avenir.

D’où vient cette peur ? du climat de terreur entretenu par les bourgeois.

Ceux-ci occupent toutes les positions dans la société et les défendent à n’importe quel prix.

Ils dirigent les écoles et ils y sèment la peur : peur de se révolter, peur du chef, peur de perdre son emploi, peur du CRS qu’on peut appeler d’un moment à l’autre.

Ils dirigent les écoles et y sèment la crainte et la soumission.

Ils dirigent tout : la cité, l’usine, l’école, la rue.

Ils décident tout : notre vie, notre niveau de vie, notre mort.

Car ils n’hésitent pas à tuer, sur un chantier, une chaîne ou au fond de la mine.

Ces monstres avancent masqués : quand ils assassinent, c’est un accident du travail ; quand ils affament c’est une loi économique, quand ils matraquent et torturent dans leurs commissariats, c’est que nous sommes des voyous.

Démasquer les monstres, combattre cette poignée de profiteurs qui sèment la terreur, saper l’autorité de leur classe, voilà l’objectif immédiat.

C’est cela donner aujourd’hui confiance au peuple.

On a raison de se révolter contre les terroristes au pouvoir, voilà la vérité qui vaincra.

II. – DANS L’USINE DEBOUT PARTISANS !

Ce qui est décisif pour lutter contre ces terroristes c’est de se battre là où ils ont la base de leur pouvoir : l’usine.

Dans l’usine comment va-t-on démasquer les monstres ? Suffit-il de distribuer un tract lorsqu’un patron déguise un assassinat d’ouvrier en  » accident du travail  » ?

Non, il faut riposter à l’assassinat violemment, par exemple comme aux chantiers de Dunkerque, saboter une grue pour démasquer le capital.

Dans une petite usine des ouvriers ont peint au mer-curochrome un patron et lui ont foutu dessus une pancarte :  » je paie mes ouvriers 600 F  » ; c’est de cette manière qu’on démasque les affa-meurs et non pas en faisant des tracts recto verso avec plein de chiffres et de pourcentages qui passent au-dessus de la tête.

C’est donc en frappant le monstre que quelque chose change : on apprend à voir clair, on commence à avoir confiance, on relève la tête.

Quand les nazis et les collabos faisaient la loi en France, que fallait-il faire pour armer le peuple contre les terroristes ?

Frapper, comme les premiers résistants, les partisans, l’officier nazi.

Voilà pourquoi nous disons :  » si tu ne frappes pas le patron, rien ne change « .

Donc, pour donner confiance à la masse, il faut frapper l’ennemi.

Ce principe guide notre travail dans l’usine.

Frapper le patron, c’est cristalliser la révolte ouvrière ; c’est prendre appui sur l’instinct de résistance de l’ouvrier pour passer à l’offensive.

La cible que l’on vise, c’est celle qui concentre la haine de classe de la masse des ouvriers.

On ne frappe pas n’importe quand n’importe où.

Au moment où la révolte collective des ouvriers dans un atelier prend corps, on frappe.

A l’endroit visé par cette révolte on frappe. C’est cela que nous appelons  » riposter du tac au tac  » à chaque exaction patronale.

Frapper le chef-flic qui emm… tous les ouvriers un par un, c’est permettre de transformer la révolte individuelle de chaque ouvrier en révolte collective, en pratique révolutionnaire.

Notre pratique, ce n’est pas de temps en temps, quand l’occasion se présente, de frapper un coup ici un coup là et le reste du temps on ne fait rien.

Notre pratique, c’est de rendre la révolte individuelle de chaque ouvrier non seulement collective mais aussi continue.

D’installer la guerre de manière permanente dans les ateliers.

Contre les cadences, contre le système de rémunération (les salaires meurt-de-faim, les différences de salaires arbitraires, les primes antigrèves), contre toutes les conditions qui font du travail un esclavage, contre les accidents-assassinats. L’exploitation est continue, la révolte aussi.

Il faut saboter sans trêve le despotisme patronal. Il faut dans chaque atelier que les coups partent, que l’agitation reste, qu’une force ouvrière organisée naisse.

Coup pour coup : les cadences on les brise, les chefs on les mate, et si c’est le patron, on peut le séquestrer ; on travaille trop pour un salaire insuffisant, travaillons moins jusqu’à ce qu’on nous paie plus. Voilà des exemples simples de coups qui partent pour riposter à une saloperie patronale.

Ces exemples sont tirés de la vie :  » La Cause du Peuple  » les expose régulièrement.

Le principe est simple : tant que l’usine n’est pas à nous elle est au patron, on a le droit de saboter l’organisation patronale du travail.

L’agitation reste.

Est-ce compliqué ?

Non ; il suffit de faire des tracts simples qui visent chaque fois au bon endroit, des affichettes qu’on peut coller n’importe où ; et pour coller ou diffuser il faut ruser, c’est bien, ça fait partie de la guerre : on manifeste d’un atelier à l’autre ou bien dès que le chef tourne le dos on en profite et s’il ne tourne jamais le dos alors il faudra le mettre le dos au mur pour qu’il comprenne et pour qu’on puisse coller, diffuser.

Ce n’est pas compliqué il faut être audacieux et toujours liés aux gars tout autour.

Enfin, il faut qu’une force organisée naisse.

Ce n’est pas non plus très compliqué.

Il y a les gars qui sont d’accord avec les tracts avec les affichettes, qui sont prêts à faire de même ; il faut leur faire faire.

Quand il faut frapper fort et sec par exemple : barbouiller la voiture d’un chef crapule, ou lui casser la gu… pour qu’il comprenne, ou bien organiser une baisse de la production pour casser les cadences, on discute et on agit ensemble.

Pour discuter il faut se saisir de toutes les occasions (un moment de grève, le vestiaire, le bistrot, la cité).

Ça sert à quoi de discuter ? à s’entendre sur l’objectif d’action immédiat dans l’atelier mais aussi sur l’avenir : on discute à partir des autres expériences de lutte de ce qu’il faut faire, on s’unifie sur les voies pour abattre le régime des patrons. C’est de cette manière qu’on commence à s’organiser.

Et ce n’est pas compliqué.

Résumons-nous : que faut-il faire dans l’atelier ? Une sorte de guérilla incessante.

En on mène le travail de propagande politique en poursuivant cette lutte de guérilla.

C’est par cette méthode uniquement que les masses les plus larges apprennent à ne plus respecter la loi du patron.

Au début, ce sont des petits groupes de partisans qui, s’appuyant sur la résistance des masses, frappent ; au fil de la lutte des masses les plus nombreuses entrent dans la guerre : d’un atelier à l’autre, contre tous les aspects du terrorisme patronal.

III. – PARTISANS AU SERVICE DU PEUPLE

La révolte ne s’arrête pas aux portes de l’usine.

Les transports bétaillères (et en plus ça augmente), les logements infects, les impôts, tous ces aspects, ça concerne les travailleurs et les partisans comme les cadences dans les usines.

Notre résistance, c’est une résistance à toute l’organisation sociale actuelle.

En s’appuyant sur les masses dans les usines, les partisans ouvriers n’hésitent pas à mener des campagnes à l’extérieur des murs de l’usine.

Prenons l’exemple de Renault-Billancourt : les partisans dans les ateliers ont préparé les esprits à ne pas tolérer une nouvelle augmentation des transports.

Après qu’est-ce qu’ils font ? une pétition comme la C.G.T. ?

C’est tromper les ouvriers, anéantir leur résistance. Ils s’organisent pour imposer le passage gratuit dans le métro. Que faut-il pour atteindre cet objectif ?

De l’audace et être liés aux gars : tout le monde est contre, premier point ; tout le monde est averti que ça ne passera pas cette augmentation, deuxième point.

Voilà comment on est liés aux gars pour préparer l’action; puis on sort de l’usine en manifestation avec des mots d’ordre qui reflètent les aspirations ouvrières :  » Vie chère, vie d’esclave, assez « .

Et on passe sans payer avec des chants prolétariens pour remuer le sous-sol.

Qui peut nous en empêcher ?

La maffia du métro ? Les flics en civil ? Les flics en uniforme ?
Il y a dans les ateliers tout ce qu’il faut comme instruments pour leur en ôter l’envie.

S’ils nous barrent le chemin, tant pis pour eux.

Et tous les jours depuis un mois les ouvriers de plus en plus nombreux d’une équipe passent sans payer.

En même temps un groupe de partisans s’emparent de stocks de tickets à la station Passy : c’est distribué en masse et dans la joie populaire à tous les ouvriers.
Voilà comment on résiste à la hausse.

Et tous les ouvriers comprennent le message : il signifie : on peut résister, on peut gagner.

Et la résistance partout est encouragée.

Si les prix de la cantine augmentent on résistera aux nouveaux bourgeois du Comité d’Entreprise comme aux vieilles raclures patronales.

Ces campagnes contre les transports ou les impôts menés à l’extérieur de l’usine renforcent la résistance et les groupes de partisans à l’intérieur de l’usine ; ces campagnes font partie intégrante de notre pratique de partisans dans les usines.

De plus elles permettent de briser les murs de l’usine.

Les transports ou les impôts ça ne concerne pas que l’ouvrier, ça lie l’ouvrier aux petites gens.

Et quand on résiste à la hausse des loyers comme dans les grosses cités (La Duchère à Lyon par exemple), quand on résiste dans les HLM Renault, ça unit l’ouvrier et sa femme et même les enfants.

Si les partisans de l’usine, de la Régie par exemple, aident les habitants des HLM Renault à résister ; si au cours de leur résistance les habitants frappent le même patron et par exemple manifestent à l’intérieur de l’usine contre le patron ; il n’y aura pas d’un côté l’ouvrier et de l’autre le reste de la population laborieuse, d’un côté l’usine de l’autre côté la ville-usine.

L’ouvrier et l’ouvrier, l’ouvrier et sa femme seront unis, dans la résistance.

Quand les partisans frappent, en sortant de l’usine, les gérants criminels dans les foyers ou croupissent leurs frères étrangers, alors l’unité entre l’ouvrier français et l’ouvrier immigré se forge.

Le petit paysan qui veut vivre, résiste à la ruine, à la mort.

Que fait-on ?

Des réunions entre pontes syndicaux des différentes  » professions  » ?

Non, on fait comme à Nantes ; les partisans ouvriers qui, régulièrement, vont dans les fermes pour discuter avec les petits paysans sont avec eux quand il faut séquestrer Guichard.

Toutes les couches populaires frappent à l’heure actuelle en ordre dispersé l’Etat monopoliste répressif.

Aux partisans ouvriers de prendre l’affaire du peuple en mains.

On fait comme dans un atelier. On y va, on discute, on participe à l’action de partisans en donnant son avis parce que parfois on peut ne pas être d’accord avec telles formes d’action non prolétariennes du petit commerçant.

Voilà comment on forge les combattants, on forge la masse populaire.

Voilà comment les partisans se mettent au service du peuple.

Quand les partisans vengent un ouvrier assassiné, ils préparent leur dictature sur les oppresseurs ; quand ils distribuent gratuitement des tickets pris à l’ennemi ils préparent la démocratie : dans une démocratie authentiquement populaire, les transports seront gratuits.

Les partisans fraient la voie de la liberté.

IV. – ACTION DE PARTISANS, ACTION DE MASSE

Nos ennemis au sein du peuple, les collabos, ont sorti de la poubelle une très vieille insulte : nous serions des fanatiques du commando, et on s’en foutrait de l’action de masse.

Les collabos n’ont rien inventé, ils en sont d’ailleurs incapables: ils ont la pensée de leurs maîtres les patrons et cette pensée est aujourd’hui très pauvre.

Déjà en 1940-1941, des liquidateurs au sein du Parti Communiste attaquaient les premiers francs-tireurs et partisans avec cet argument :

 » nous communistes – disaient ces trouillards – nous sommes contre l’action individuelle et pour l’action de masse « .

En fait, ce qu’ils voulaient dire, c’est :  » nous liquidateurs, nous sommes pour la capitulation et contre la résistance « .

Si on avait écouté les liquidateurs il n’y aurait jamais eu la levée en niasse du peuple contre l’occupant. Comme hier, aujourd’hui nous nous éloignerons des traîtres et des liquidateurs.

Toutes nos actions de partisans partent des masses, toutes les actions de partisans visent la mobilisation des masses.

Quand un groupe de partisans dans un atelier sabotent les cadences, dans un autre atelier se lève spontanément un autre groupe pour saboter. N’est-ce pas une action qui mobilise les masses ?

Quand de jour en jour les ouvriers sont plus nombreux à passer dans le métro sans payer, n’est-ce pas une mobilisation des masses ?

Quand au début c’est un petit groupe qui a séquestré pendant un quart d’heure le chef et que dans une deuxième étape c’est comme à Usi-nor des centaines d’ouvriers venus de tous les ateliers qui séquestrent les grands chefs, n’est-ce pa une mobilisation des masses ?

Progressivement les actions de partisans ont un caractère de masse de plus en plus accentué ; dès la première action les partisans ont partis des masses pour frapper au fur et à mesure de la mobilisation de type partisan.

Et, un jour, des usines entières soulevées seront protégées par les partisans contre l’armée des oppresseurs.

Ce que cache  » l’argument  » des liquidateurs c’est l’esprit de capitulation : quand ils parlent d’action de masse c’est de l’inaction de masses syndicales qu’ils parlent : les débrayages bidons les occupations bureaucratiques ou en masse les ouvriers sont chez eux dispersés pendant qu’un petit groupe reste dans l’usine pour la belote.

Nous sommes, c’est vrai contre l’inaction de masse, pour les actions de partisans.

Parce que les actions de partisans partent de l’instinct de résistance prolétarienne et permettent la mobilisation progressive des masses les plus larges.

V. – POUR QUE LES MASSES S’ARMENT

Pour donner confiance au peuple, il faut démasquer les terroristes.

Pour ôter le masque aux monstres, il faut les frapper.

Pour frapper, il faut s’organiser en partisans, il faut que les partisans unissent l’ouvrier à l’ouvrier, l’ouvrier au peuple.

Pour former la grande puissance populaire, pour former une muraille indestructible, il faut qu’à travers les combats de partisans, des masses plus en plus larges participent à -la résistance.

Alors la majorité du peuple comprendra par sa propre expérience qu’il faut en finir avec cet ordre social, que c’est possible, qu’il faut seulement opposer à l’armée blanche des terroristes, l’armée des CRS et des tortionnaires, l’armée rouge du peuple.

Alors, la vérité selon laquelle  » le pouvoir est au bout du fusil », cette vérité vaincra.

CONSTRUIRE LE PARTI DE LA NOUVELLE RÉSISTANCE

COUP POUR COUP !

Pourquoi nous nous opposons au syndicalisme ?

Parce qu’il fait la paix quand il faudrait faire la guerre.

Parce qu’il capitule quand il faudrait résister ; qu’il fait pression quand il faudrait frapper.

Parce qu’il accepte la loi des patrons quand il ne faudrait reconnaître que la légalité des masses combattant pour une cause juste : celle de l’émancipation.

Parce qu’il divise quand il faudrait unir.

Le syndicalisme, à notre époque, accepte la division du travail imposée par le patron ; et dans ce cadre il prétend défendre les intérêts professionnels des couches sociales divisées par le capitalisme.

Le syndicalisme, aujourd’hui, c’est les lendemains qui ne chanteront jamais.

La résistance, elle, prend pour devise : COUP POUR COUP; UNIS NOUS VAINCRONS.

I. – LA NOUVELLE RESISTANCE 

Le pouvoir sera contraint de tenir pour  » hors-la-loi  » des centaines de milliers d’ouvriers, étudiants, agriculteurs et commerçants.

De plus en plus nombreux, sont ceux qui refusent la loi des patrons.

Contre l’Etat monopoliste répressif, se lèvent, vague après vague, les différentes couches populaires.

Les étudiants bloquent l’Université, parce qu’ils veulent un autre avenir dans lequel seront construits des rapports entièrement nouveaux entre le travail et la culture, entre les travailleurs et les intellectuels.

Les paysans et les commerçants bloquent les routes, la circulation des hauts fonctionnaires et des ministres, la collecte de l’impôt, parce qu’ils refusent de mourir au profit d’une minorité.

Et les ouvriers, en première ligne, bloquent l’organisation du travail et de la production patronale : ils n’hésitent pas à bloquer l’effort de productivité du patron en sabotant les cadences, à paralyser l’appareil répressif dans l’usine en résistant aux gardes-chiourmes de la direction.

Pourquoi cette audace ? parce qu’ils jugent possible de se libérer, qu’ils ne considèrent pas comme un droit mais un vol le profit patronal, et qu’ils estiment le moment venu de se battre pour que le pouvoir de diriger revienne aux travailleurs, et que cesse l’exploitation et l’oppression.

Cette tendance du développement social est claire, confirmée par les faits tous les jours : dans chaque fraction du peuple, les éléments les plus résolus, rejetant la loi de l’oppression, entrent en action et parlent au nom de tous.

Pendant la dernière guerre, ceux qui résistaient étaient une « minorité  » d’abord, mais ils parlaient au nom de tous ceux qui refusaient la capitulation, c’est-à-dire de l’écrasante majorité.

Il faut avoir l’intelligence d’un policier pour nier que les récentes actions des petits commerçants reflètent l’aspiration de la masse ou bien pour nier que les séquestrations de patron à Usinor et ailleurs soient profondément populaires et approuvées par la majorité réelle des ouvriers.

Et il faut avoir la même intelligence pour ne pas voir à travers toutes ces actions dispersées dans le peuple leur trait commun ; la résistance à l’oppression.

La  » nouvelle résistance  » commencée en mai 68 ; ce n’est donc pas un mot d’ordre qui tombe du ciel ; il est né sur la terre, du sein des masses.

Et, c’est vrai, cette nouvelle résistance renoue avec la résistance populaire armée contre l’envahisseur et ses collaborateurs de 1940 à 1945.

 » II y a dans ce pays un bruit de bottes et c’est insupportable « .

Cette phrase a été prononcée au procès de Nicoud et elle est juste.

Le pouvoir bourgeois menacé se conduit comme un occupant: pour que rien ne soit laissé à l’initiative de masses, tout doit être occupé, télé est la logique actuelle du pouvoir bourgeois.

La volonté de résister à l’oppression, à cette occupation de notre vie, d’unir le peuple dans la résistance, d’armer
le peuple pour la Résistance, le combat de parti sans pour que s’édifie cette armée de la Résistance, voilà ce qui est fondamentalement commun aux deux époques.

S’appuyer sur l’expérience des francs-tireurs, unir les anciens résistants prolétariens et tous les jeunes issus de la nouvelle résistance de mai, ce sont là des objectifs concrets et corrects.

Mais des imbéciles voudraient nous faire dire ce que ne disons pas : nous ne disons pas que nous voulons répéter
l’ancienne Résistance, tout simplement parce que la situation n’est pas la même, que les forces sociales en présence sont différentes ; nous ne disons pas non plus que nous nous appuyons sans réserve sur ce qu’a été la Résistance de 40 en
45 : la capitulation des dirigeants du P. »C. »F. face aux gaullistes des bureaux de Londres, l’opportunisme qui les a conduits à voler au peuple ses armes à la Libération, toute cette tradition est pour nous comme le sang vicié que nous rejetons.

Cette tradition a conduit à l’alliance entre gaullistes et révisionnistes qui débouche sur Grenelle.

Nous nous réclamons des francs-tireurs qui, dans les masses, faisaient de la propagande tout en poursuivant la guérilla.

Nous voulons continuer le combat du colonel Fabien et non celui de Maurice Thorez.

Et nous le continuons dans des conditions entièrement nouvelles.

Dans le monde entier, la contestation de l’ordre social se répand et elle n’épargne plus le repaire des exploiteurs : l’Occident.

A travers la révolte, une pensée nouvelle s’impose contre l’ancien, les vieux mythes, les vieilles idées, par exemple en France les vieilles idées syndicalistes.

Systématiser cette pensée, unifier la révolte, organiser la résistance, voilà ce qu’il nous faut faire. Construire le Parti de la nouvelle résistance voilà ce qu’il faut faire.

II. – QUEL PARTI ?

Il faut organiser la nouvelle résistance pour qu’à la dispersion des coups portés à l’ennemi de classe succède la concentration des coups, pour que l’union triomphe de la division.

Et pour s’organiser largement, il faut un solide noyau : un Parti.

Quel Parti ?

Il y a des gens qui depuis mai 68 vont partout disant : on ne peut rien faire sans un parti ; la conclusion qu’ils tirent c’est : ne faisons rien, construisons un parti et après on verra.

En juin 68, les ouvriers révolutionnaires voulaient résister à la contre-offensive des gaullistes soutenus par la direction du P. »C. »F et de la C.G.T. : ceux-ci, on s’en souvient, s’entendaient pour briser le mouvement des masses au moyen de Grenelle et des élections.

Fallait-il capituler ? ou bien organiser la résistance ?

C’était là une question fondamentale qui engageait l’avenir.

Certains voulaient capituler : ils disaient :  » maintenant on ne peut plus rien faire ; si on continue à se battre.on va se faire massacrer.

Arrêtons-nous pour faire un parti et quand on sera organisés, on reprendra la lutte. « 

Si on avait suivi ces gens-là, les étudiants et les ouvriers n’auraient pas résisté en commun à Flins contre la police.

La résistance prolétarienne ne serait pas née.

Et l’avenir aurait été compromis. Car à Flins et à Sochaux, c’est l’avenir qui se préparait.

A Flins et à Sochaux quelque chose de nouveau apparaît : l’indépendance des ouvriers révolutionnaires, unis aux étudiants, par rapport aux syndicats qui pactisaient avec les gaullistes.

Si aujourd’hui, on peut construire un Parti nouveau qui organise la résistance populaire, c’est parce qu’il y a eu Flins et Sochaux.

Ces gens qui poussaient à la capitulation voulaient construire un parti mais refusaient la lutte.

Ils ne veulent pas construire un Parti de lutte de classes, un parti de la résistance, ils veulent un club de discussion et de propagande.

Ces gens-là sont des poux : on les voit encore à la porte des usines ; ils essaient d’y importer leurs vices : la discussion creuse et la propagande coupée de la vie.

Nous ne voulons ni de ces gens, ni de leur parti.

Le parti que nous voulons naît dans la lutte d » classes, dans la résistance. Il se construit à partir des éléments les plus actifs dans le mouve ment de résistance des masses. Un édément avancé : c’est celui qui est le plus résolu, le plus conscient dans la lutte des masses. Le parti doit être composé de tels éléments.

Prenons un exemple : dans un atelier, un ouvrier est particulièrement actif pour aider les gars autour de lui à briser les cadences, à tenir tête au patron.

Il a la confiance de la masse ; il faut qu’il élève sa conscience de classe, en particulier, il faut qu’il voie plus loin que son usine, qu’il comprenne le combat des étudiants et qu’il les aide à se battre ou bien qu’il aille dans les fermes pour aider les petits paysans à résister à la ruine. Il faut qu’à partir de son expérience de l’usine et de son expérience hors de l’usine, il ait les idées bien claires sur les amis et les ennemis de la classe ouvrière, sur la tactique à adopter, les perspectives à donner aux masses. Une fois qu’Û a atteint ce stade, on peut dire que c’est un élément avancé du prolétariat. C’est à partir de tels éléments qu’on construit un athentique Parti.

III. UN PARTI PROLETARIEN

Les gens dont nous parlions tout à l’heure se réunissent entre eux parce qu’ils pensent avoir des idées avancées (c’est dans leur écrasante majorité des intellectuels bourgeois) et disent aux masses :  » suivez-nous « .

Au contraire, il faut aller aux masses, leur dire : « organisez-vous  » en les aidant à participer à la résistance.

On ne peut donc pas décréter la fondation d’un parti ; c’est à un moment déterminé dans la lutte, dans la résistance qu’il devient possible et nécessaire de fonder un authentique noyau dirigeant de la cause du peuple.

A quel moment-faut-il construire le parti prolétarien dont les masses ressentent la nécessité depuis qu’en juin 68 elles subirent, désarmées et inorganisées, la répression des gaullistes et des révisionnistes ?

C’est ce qu’il faut maintenant analyser.

Les idées nouvelles se sont d’abord emparées des jeunes parce que les jeunes sont les plus rebelles aux idées conservatrices ; c’est le mouvement de la jeunesse – et particulièrement les étudiants – qui a ouvert la voie et pris les premières initiatives d’avant-garde.

Voilà pourquoi les premiers regroupements des éléments avancés qui voulaient faire la révolution et qui rejetaient le révisionniste se firent essentiellement sur la base des étudiants.

Mai 68 fut l’heure de la vérité pour ces regroupements : à partir de mai 68, il fallait systématiser la pratique nouvelle des masses, les aspirations de la classe ouvrière telles qu’elles se révélaient dans le mouvement parti de la révolte étudiante, et qui était devenu un immense mouvement populaire.

A partir de mai 8, la contestation devient une idée des masses populaires : la résistance ouverte par Flins et Sochaux s’approfondit et s’élargit.

A partir de mai 68, la contestation devient une idée résistance populaire ; les initiatives d’avant-garde, celles qui font avancer l’histoire, viennent de plus en plus nettement du prolétariat dans les usines ; à partir de la rentrée de 69, cela devient parfaitement clair : c’est le mouvement étudiant qui attend du prolétariat révolutionnaire les initiatives qui vont lui permettre de se développer ; ce n’est plus le prolétariat révolutionnaire qui attend, comime en mai et tout juste après mai, les initiatives du mouvement étudiant.

Depuis mai donc s’ouvre pour la construction du Parti une deuxième grande étape.

Jusqu’en mai, il y avait de nombreux ouvriers révolutionnaires qui s’opposaient à l’orientation capitularde de la direction PCF/CGT mais le mouvement de masse le plus avancé, c’était le mouvement de la jeunesse et les éléments et organisations les plus avancées se trouvaient dans ce mouvement.

Depuis mai, la grande question est celle de l’union de ces éléments avec les éléments prolétariens avancés issus de la résistance prolétarienne.

Il fallait unir entre eux les intellectuels et les ouvriers révolutionnaires ; mais ce n’est pas tout ; il faut faire fermeté, l’expérience et l’intelligence du prolétarien : il faut que le prolétariat prenne la direction dans le cours de cette union.

Le Parti de la nouvelle résistance doit s’appuyer sur l’intelligence et la fermeté des ouvriers d’avant-garde ; il ne peut pas s’appuyer principalement sur les intellectuels.

Ceux-ci sont capables d’audace, de clairvoyance, comme ils l’ont montré en mai mais ils n’ont pas l’esprit de suite, la fermeté l’expérience et l’intelligence du prolétariat.

Celui-ci, par sa pratique de producteur, d’exploité, de lutteur, possède la vérité de la lutte de classe et de la résistance.

Il faut travailler à la participation des intellectuels à la construction du Parti mais la classe ouvrière destinée à exercer sa direction en tout dans la société doit d’abord exercer sa direction dans son Parti.

Nous ne voulons donc pas un Parti où il y aurait dans chaque organisme de base un intellectuel faisant la paire avec un ouvrier : l’intellectuel apposant la théorie et l’ouvrier la pratique, l’intellectuel dominant l’ouvrier, comme un professeur domine ses élèves.

Il faut qu’il y ait un afflux de sang neuf prolétarien dans la gauche prolétarienne, issue de l’union des étudiants, lycéens et ouvriers, telle qu’elle s’était faite lors de la résistance prolétarienne à Flins en 68.

Quand et comment s’opérera cet afflux qui renversera le rapport de forces entre prolétariat et intellectuels, au bénéfice du prolétariat ? quand dans les principales régions-usines, ces régions de France où tout le peuple travailleur souffre et lutte autour de l’usine, base du pouvoir capitaliste, les ouvriers révolutionnaires remporteront au cours de la lutte violente leurs premiers succès exemplaires.

Ces succès montreront à la masse des travailleurs qu’une nouvelle voie est vraiment ouverte : celle de la résistance, et qu’il est possible de quitter les organisations prétendument prolétariennes qui n’organisent que la capitulation face à la classe des patrons.

Quand les partisans ouvriers auront remporté ces succès à l’intérieur de l’usine et auront aidé autour de l’usine à organiser la résistance populaire contre tous les aspects de l’oppression (dans la cité, auprès des jeunes, des pents paysans ); alors il y aura un afflux de sang neuf prolétarien ; pour la masse des travailleurs la nouvelle résistance aura pris forme; et en masse les éléments avancés du combat prolétarien s’uniront dans le Parti prolétarien, qui pourra ainsi être construit.

Ce que nous faisons maintenant, c’est précisément : nous concentrer dans ces régions-usines, là où les combats populaires ont pour solide arrière l’usine.

Là d’où naîtra un authentique parti prolétarien.

Un parti qui unira solidement les meilleurs parmi les nouveaux partisans, un parti dont l’ossature sera constituée par les plus conséquents des partisans, ceux qui viennent de l’usine en sortent pour aider le peuple à s’unir dans la résistance.

C’est cette orientation qui nous permettra de construire le parti composé des éléments prolétariens d’avant-garde, le parti à caractère de masse, que nous voulons pour diriger la révolution populaire.

Pour la résistance,-contre la capitulation, pour l’union contre la division, pour le progrès contre la réaction, pour vaincre, il nous faut construire ce parti.

CE QUE NOUS VOULONS

Nous voulons en finir avec les mouchards et les gendarmes, avec cette terreur sournoise qui s’installent partout, dans l’usine, la rue, les têtes.

Et pourquoi ces indicateurs, pourquoi ces terroristes qui parlent au nom d’une majorité truquée et silencieuse ?

Pour que les forces du capital survivent à leur décadence, que les De Wendel, Bercot et Schneider connaissent un deuxième âge industriel ; pour que les grandes familles d’exploiteurs soient plus fortes et plus dures.

Pour qu’un petit nombre, s’appuyant sur tous les appareils de domination existants, exploitent l’écrasante majorité.

Nous voulons en finir avec les gaullistes.

Pour finir avec tout ce qu’il y a derrière.

Puisque nous voulons en finir avec ces occupants d’un nouveau genre, il faut en finir avec leurs collaborateurs.

Qui permet aux gaullistes et à la vermine patronale derrière de pavoiser, de limiter au maximum le mouvement des masses, d’imposer sur tout le territoire la loi de terreur ?

La police syndicale.

Ceux qui ont le masque de l’ouvrier et le ventre du bourgeois, ceux qui aujourd’hui, comme à Dunkerque ou Berliet, contrôlent l’embauche pour éviter  » l’infiltration d’éléments révolutionnaires  » ; ceux que le patron appelle, comme à Vallourec, pour que cesse la séquestration de ces  » salariés  » que sont les directeurs d’usine.

La police syndicale s’est fixé comme objectif : empêcher à tout prix que Nanterre soit à Billancourt et que Billancourt soit à Nanterre.

Nous devons donc en finir avec la police syndicale.

Et c’est commencé.

A Dunkerque, sur les chantiers, les nouveaux partisans ont victorieusement infligé des représailles au patronat responsable de l’assassinat d’ouvriers ; ils ont repoussé toutes les provocations et entraîné la masse des travailleurs dans la résistance.

A Billancourt et Citroën, des milliers d’ouvriers ont pendant des semaines imposé leur loi dans le métro, en résistant à la hausse.

A Aulnoye, les ouvriers ont séquestré la direction, résisté aux C.R.S. et dans toute la ville c’était un soulèvement populaire.

On verra dans le Nord, le Sud, le Centre de la France des centaines de milliers d’exploités se dresser, impétueux, invincibles, tel l’ouragan et aucune force ne pourra les retenir.

Ils briseront toutes les chaînes et s’élanceront sur la voie de la libération.

Camarade, ouvrier, pour te libérer il faut te battre ; l’espoir, c’est la lutte.

Pas demain ou plus tard, la lutte dès maintenant.

Dans l’atelier, le patron, pour tirer de toi tout ce qu’il veut et pour briser ta volonté, augmente les cadences.

BRISE LES CADENCES !

Chaque fois que tu essaies avec tous les gars autour de toi de frapper le patron, il y aura un chef pour t’en empêcher.

MATE LES PETITS CHEFS !

Quand tu veux un salaire qui fasse vivre la famille, bats-toi pour ce salaire.

Pour un salaire qui te convienne, même si cela gêne les prévisions patronales.

Pour un salaire qui te convienne et pas pour un salaire qui donne au haut de l’échelle dix fois plus qu’au bas.

Cette échelle, on la renverse.

On ne vend pas l’unité ouvrière pour quelques miettes.

Alors méfie-toi des pourcentages compliqués sur les tracts des syndicats.

BATS-TOI POUR LE SALAIRE, CONTRE LA HIERARCHIE !

Chaque fois que le patron, parce qu’il s’en fout de la santé, de la sécurité et de la vie des ouvrier, assassine un camarade, il faut riposter.

VENGE CHAQUE VICTIME DU CAPITAL !

Puisque pour gagner plus de profit il sabote ta vie, SABOTE LE PROFIT!

A chacune des conditions de ton travail, le capital essaie d’imposer sa loi.

Pour t’abrutir et t’humilier aussi bien que pour économiser ; ils développent l’économie à tes dépens ; ils s’enrichissent par ton exploitation.

Ça peut changer ; on peut transformer l’atmosphère d’esclavage d’un atelier : il suffit de ne rien laisser passer sans révolte.

A la loi de la terreur, oppose la loi de la révolte.

IMPOSE TA LOI !

Tous ces objectifs sont parfaitement réalisables tout de suite. Il faut simplement s’unir avec tous les gars autour de toi, Français et immigrés ils sont de la même classe ; et exclure tous ceux qui ont déserté cette classe : la police syndicale

CHASSE LA POLICE SYNDICALE DE L’USINE !

Il faut bien l’avoir dans la tête : rien n’est à toi, tout est à l’exploiteur.

Alors quand tu désorganises la production ou que l’outil de travail est endommagé, tu as frappé le patron au portefeuille.

Tant que l’usine est au patron, tout lui appartient et la production c’est sa production.

Ce sera différent quand nous prendrons les usines.

Pour le bifteck et pour la liberté, il faut se battre aussi en dehors de l’usine : car en dehors aussi on est volés et écrasés.

Quand le métro devient plus cher, RÉSISTE A LA HAUSSE.

A Billancourt et Citroën ils l’ont fait : passer en masse sans payer.

Et ce qui vaut pour le métro vaut aussi pour le loyer, l’impôt.

Puisqu’ils montent, il faut aussi que la résistance monte.

Et quand dans la ville, les plus opprimés de tes camarades, les travailleurs immigrés se dressent contre les gérants et les mairies qui les affament et les parquent, DEFENDS-LES JUSQU’AU BOUT.

Combats le racisme et protège l’unité des ouvriers comme ce qu’il y a de plus précieux.

Soutiens tout ce qui combat l’ennemi : il faut s’unir avec tous ceux qui donnent des coups à l’ennemi.

UNITE avec l’étudiant qui se bat pour sortir d’une Université qui lui réserve l’avenir d’un cadre-flic et qui sort de cette Université pour se battre aux côtés des ouvriers et du peuple.

UNITE avec le petit agriculteur, commerçant ou artisan, qui se battent contre les gros, contre la ruine.

Tous aujourd’hui se battent.

Et même tous se battent d’une certaine manière qui leur est commune : ils se battent sans tenir pour sacrée la légalité patronale : ils séquestrent, ils bloquent, ils saccagent des locaux ennemis, ils récupèrent des biens à l’ennemi (par exemple des tickets de métro).

Ces méthodes de partisans coûtent très cher et font très mal aux patrons et à leur Etat.

Alors ceux-ci arrêtent les résistants ; ils interdisent la diffusion de la vérité sur ces luttes-là : ils saisissent régulièrement  » La Cause du Peuple « .

Enfin, ils mettent sur pied une loi terroriste pour liquider la résistance populaire.

LIBÉRONS LES RÉSISTANTS. BRISONS LA LOI TERRORISTE.

Pour réaliser tous ces objectifs et c’est possible il faudra que tu dises inlassablement et partout dans le peuple :
ORGANISEZ-VOUS.

Si nous voulons réaliser ces objectifs, c’est qu’il faut vivre. Résister, agir pour vivre : se nourrir avec sa famille, se loger.
Mais au fond nous voulons tout.

Car de toute façon ce n’est pas une vie.

Alors il faut tout le pouvoir : pour assurer réellement le bifteck et pour garantir effectivement la liberté.

Il faut donc le dire dans toutes les manifestations à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine : LE POUVOIR AUX TRAVAILLEURS.

Quand nous aurons pris le pouvoir, détruit la racaille : C.R.S., C.D.R., tous les. bandits armés qui sont les gardes du corps pour les patrons, tout changera.

Dans l’usine : il n’y aura plus de patron, il n’y aura plus cette hiérarchie de despotes et de parasites.

Les ouvriers, les techniciens et les cadres politiques désignés par les masses coopéreront pour diriger la production et la gestion.

Ils n’auront plus comme objectif : le profit.

Ils produiront pour le peuple, ils respecteront les grandes lignes de développement fixées par le pouvoir populaire.

Si le peuple a besoin de plus de vêtements et de moins de voitures, nous produirons plus de vêtements et moins de voitures.

Les idées, les créations des travailleurs serviront de base pour l’innovation et le progrès technique.

Dans l’usine les ouvriers dans tous les domaines seront les maîtres. L’Université actuelle se/a totalement détruite : actuellement il y a ceux qui pensent et ceux qui triment et l’Université sert à renforcer cette division.

Le pouvoir populaire, en s’appuyant sur les travailleurs et la masse des étudiants et des enseignants révolutionnaires, définira un nouveau système d’éducation, qui combine le travail manuel et le travail intellectuel, qui permette massivement aux travailleurs d’y participer, qui réponde aux besoins d’une production et d’une culture populaire.

Tout ne se fera pas du jour au lendemain : mais ce que nous voulons au terme de combats incessants, c’est qu’il n’y ait plus d’un côté des  » travailleurs  » et de l’autre  » des intellectuels « , mais qu’il n’y ait plus que des travailleurs cultivés.

Dans l’agriculture et le commerce : les gros, les accapareurs, les capitalistes de la terre, les directions des hypermarchés et autres seront renversés et en s’appuyant sur la masse des travailleurs, la coopération sera la règle.

Aujourd’hui la coopération cela signifie : la formation d’une couche privilégiée, ceux qui s’en sortent : l’existence des gros, des grosses banques, la subordination aux industriels capitalistes, tout cela fait que les formules actuelles de coopération sont un mirage pour la majorité et une aubaine seulement pour une minorité.

Sous la direction du pouvoir populaire et des travailleurs de l’agriculture et du commerce, cela change radicalement.

Avec le pouvoir populaire nous changerons complètement la vie de tous les jours : la circulation dans les villes et les villes elles-mêmes ; la ville se rapprochera de la campagne.

Il faut que les travailleurs décident du sort des routes et du sort des arbres. Il faut qu’ils décident de tout : puisqu’avec le pouvoir ils peuvent décider de leur vie.
Sans le pouvoir on n’a rien ; avec le pouvoir on a tout.

LE POUVOIR EST AU BOUT DU FUSIL!

Puisque nous voulons tout, le pain et les roses, puisqu’il faut vaincre et vivre, notre mot d’ordre aujourd’hui c’est :

VIVE LA NOUVELLE RÉSISTANCE POPULAIRE !

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Enquête sur les maos en France: Victor (1971)

[Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.

Ici, Victor est en fait Benny Lévi, le dirigeant historique de la GP.]

VICTOR. – Je n’ai pas découvert la politique juste avant Mai 1968.

Déjà en 65-66, nous étions plusieurs à décider d’entrer dans les grandes écoles d’État pour avoir un salaire qui nous permette de militer.

Je n’appartenais pas à une famille où l’on parlait politique ou si l’on en parlait, c’était du mauvais côté.

Ce qui a été déterminant pour moi, cela a été, je crois, la découverte de la réalité des pays dominés par l’impérialisme. Le nombre de camarades qui se sont très vite lancés dans la bagarre parce qu’ils étaient passés par les pays africains ou arabes est assez important.

– La découverte du tiers monde?

VICTOR. – Oui, mais directement, pour y être passés. On a commencé le travail vraiment organisé, après la guerre d’Algérie, à l’intérieur de l’UEC (Union des Etudiants Communistes).

D’abord, c’était dans le secteur de lettres, et puis on a démarré sur Ulm (l’Ecole Normale Supérieure), à l’époque d’Althusser.

La tactique qu’on a eue alors était d’organiser le maximum d’étudiants sur la base de la défense presque théorique du marxisme, donc très rapidement la contradiction entre cette fraction et la direction officielle de l’U.E.C. s’est aiguisée.

Ça a débouché sur la scission et donc sur la création de l’U.J.C.M.L. à laquelle j’ai participé. Quelques semaines après la création de l’U.J.C.M.L. on a commencé à créer les premiers comités Vietnam de base.

– Avant Mai 68, pensiez-vous qu’il allait se passer quelque chose assez rapidement, ou étiez-vous partis pour une aventure de longue haleine?

VICTOR. – On partait pour une aventure de très longue haleine.

Il y a eu chez certains d’entre nous, quelques semaines avant Mai 68, après Caen et Redon surtout, le sentiment qu’il y aurait de très fortes explosions ouvrières. On partait pour une alliance avec les syndicats. C’était incontestablement l’idée dominante.

– L’idée de rétablissement existait déjà?

VICTOR. – Avant Mai 68, il y avait déjà une dizaine de groupes d’établissement.

On favorisait l’établissement par petits groupes, pour que lek gars ne se retrouvent pas seuls dans une situation entièrementv nouvelle.

A l’époque on les appelait des  » syndicalistes prolétariens « . Ils devaient militer à l’intérieur de la C.G.T., être très durs sur les positions de la lutte des classes, durcir les mouvements, radicaliser toujours et défendre la C.G.T. au nom de sa tradition.

– Ils ne se faisaient pas exclure?

VICTOR. – L’expérience de toute façon a été brève puisque le premier groupe de syndicalistes prolétariens que nous avons formé a commencé dans le Sud-Est en janvier 68.

Du mois de janvier à mai 68, il n’y a pas eu beaucoup de temps et pas un seul exemple de conflit ouvert entre ces groupes et une partie des masses, ou la direction de la C.G.T.

Il y a eu des exemples où on est intervenu lors de mouvements de masse qui étaient bradés par une union locale ou une union départementale.

Lors de ces trahisons on aidait à constituer des groupes de syndicalistes prolétariens, mais on n’était pas assez.

Le premier groupe syndicaliste prolétarien qui a été créé existe encore, plus en tant que syndicaliste prolétarien, mais les gars sont encore les dirigeants du syndicat C.G.T. dans leur boîte.

Ils ne se sont pas fait exclure, ils ont mené encore plusieurs grèves importantes.

– Quel était ton rôle?

VICTOR. – Mon rôle, c’était d’être un peu le professionnel de la barque. On avait une commission qui faisait circuler l’information venue des établissements, et qui aidait à la formation des premiers groupes syndicalistes prolétariens.

On essayait d’aider les camarades à l’intérieur des usines, à systématiser leur expérience et à dégager certaines règles pour un art de combat.

Nous étions quatre ou cinq à faire ça.

– Sur quoi vous appuyiez-vous, à l’époque, pour prendre vos décisions? Sur la pensée de Marx? celle de Mao?

VICTOR. – Non, pas exactement.

Il y a eu une première étape de l’U.J.C.M.L. fortement marquée par l’emprise théorique d’Althusser.

A ce moment-là, oui, on partait des livres, en règle générale; parce que c’est quand même à cette époque-là, qu’on a créé les comités Vietnam de base qui étaient une réelle organisation à caractère de masse.

Ce qu’il faut voir avec Althusser, c’est à quel moment il apparaît : fin de la guerre d’Algérie, le désarroi est très important dans le milieu étudiant.

Il y a bien sûr, dès cette époque, des courants théoriques gauchistes au sens strict, c’est-à-dire renouant avec la tradition théorique du gauchisme : on lit Lukacs, les premiers textes de Marcuse, les premiers de Lapassade, mais c’était un courant qui n’arrivait pas à donner aux étudiants oppositionnels une vue d’ensemble de la crise du mouvement communiste international.

Dans cet état de désarroi les premiers articles d’Althusser apparaissent un peu comme un mirage.

Pour pas mal d’entre nous, ça a été un formidable appel d’air : le retour à la lettre, aux origines, aux principes du marxisme, qui allait nous permettre de surmonter les difficultés pratiques.

Grosso modo, Althusser disait : il y a un révisionnisme et la nature du révisionnisme, c’est de réviser un certain nombre de principes du marxisme, donc si on les restaure, ces principes, on fait œuvre révolutionnaire.

Il faut comprendre 1° l’état de désarroi où nous étions, 2° le fait que de toute façon, on était dans un milieu coupé de la pratique de production et qui depuis la fin de la guerre d’Algérie était coupé de la pratique de la lutte de classes.

Althusser nous donnait du boulot et puis une certaine conscience de ce qui se passait. Une possibilité d’analyses. Tout le monde s’est précipité dessus.

Très rapidement, il y a eu deux tendances : celle qui partait d’Althusser pour vraiment faire de la théorie, la tendance qui a donné Les Cahiers pour l’analyse, et la tendance qui a pris comme point de départ Althusser, mais pour aller vers Mao. Les deux tendances se sont d’ailleurs retrouvées en Mai 68.

– Est-ce qu’Althusser parlait de Mao?

VICTOR. – Oui, dès ses premiers textes il parlait de Mao.

C’est ce qu’il avait de subtil. Le petit livre rouge n’était pas traduit en français. On avait les Œuvres choisies des Éditions sociales.

Nous avons commencé par les textes philosophiques de Mao, puisque c’était eux qui étaient étudiés par Althusser et puis, très rapidement, il a quand même fallu un an, on s’est emparés de toutes les œuvres choisies de Mao.

Althusser en parlait très élogieusement, mais dans un secteur déterminé : ses premiers articles portaient sur la contradiction, d’où il citait l’ouvrage du président, De la contradiction, mais il ne disait pas, alors qu’on était en pleine polémique sino-soviétique, Mao Tsé-toung c’est la vérité, et les Russes c’est le révisionnisme.

Il ne disait pas ça. Mais il faut rendre à César ce qui est à César, Althusser a été quand même un moyen d’accès à Mao Tsé-toung.

– La première fois que tu as lu ces textes de Mao, comment t’ont-ils semblé?

VICTOR. – Vu notre trajectoire, quand on arrive à Mao, on a déjà lu Le Capital, Lénine et tout ça, ce qui fait que la lecture de Mao, à ce moment-là, c’est un peu le délice théorique!

Quelque chose de grandiose qui parachève ce qu’on a pu lire dans Marx et dans Lénine. Ensuite, il a fallu tout relire.

Après la Révolution culturelle, tout change. Il a fallu complètement nous laver le cerveau.

Donc la première lecture de Mao est une lecture théorique très belle, qui comble d’aise, mais pour notre pratique il a fallu passer par une crise très importante, qui justement nous a amenés à l’établissement.

– Quand avez-vous pensé que la pratique de Mao pouvait vous être directement utile en France?

VICTOR. – On a commencé vraiment dans l’été 67.

Avant, évidemment il y avait eu les comités Vietnam de base. Leur différence avec le Comité Vietnam national était très simple.

D’une part, du point de vue de l’orientation, les comités Vietnam de base respectaient rigoureusement la ligne vietnamienne, c’est-à-dire que le soutien politique était total.

On reprenait intégralement les analyses et la ligne des Vietnamiens.

Première différence avec le Comité Vietnam national, puisque le C. V. N., où les trotskystes étaient la force la plus dynamique, n’hésitait pas à introduire sa propre marchandise sur le Vietnam.

Leur fameux coup :  » II n’y a pas deux étapes de la révolution dans les pays dominés et la révolution au Vietnam est socialiste. « 

Cela peut paraître archéologique, mais cela a été des débats qui nous ont divisés.

On ne se cognait pas à l’époque mais c’était très intense. Quand quelqu’un disait dans un meeting :  » la révolution socialiste vietnamienne « , on poussait des hurlements!

Pour nous c’était une révolution qui avait un caractère démocratique, national, et ce n’était pas du tout la révolution socialiste. Ça peut paraître un débat oiseux, cela ne l’est pas, ça a une certaine importance.

Même si pour le moment, c’est relégué à l’arrière-plan.

La différence la plus importante était dans le style de travail. Nous voulions faire un travail de masse – premières formes d’implantation dans les quartiers, avec les panneaux, les tracts, la régularité, l’assiduité.

Chaque fois qu’il y avait des nouvelles qui venaient du Vietnam, toutes les semaines avec Le Courrier du Vietnam, on faisait des panneaux, pour décrire l’état de l’offensive du front, les nouvelles sur les atrocités américaines, tout ça.

Ce qui fait que les gens, dans certains quartiers de Paris (à l’époque nous militions surtout dans les quartiers de Paris) s’étaient habitués à nous. Une nouvelle image du militant, puisque déjà on ne voyait plus très souvent les gars de l’Humanité-Dimanche, et que les communistes n’allaient plus sur les marchés.

Chez les gauchistes, on était les premiers à faire cette apparition-là. On appelait ça : le style de travail de masse.

Et ce qu’on reprochait au Comité Vietnam national, c’était le style spectacle, grands gadgets : six heures pour le Vietnam mais pas de travail vraiment prolongé.

A l’époque il y avait des tensions redoutables, entre le comité Vietnam de base et le Comité national.

Les comités Vietnam de base avaient un journal, Victoire pour le Vietnam, qui faisait le point des expériences des comités et de ce qui se passait au Vietnam.

– D’où venait l’argent ?

VICTOR. – Des militants. Un journal comme ça se fait facilement. On tirait à six ou dix mille exemplaires. Les C.V.B. étaient une organisation réelle. Il y avait beaucoup de militants stables.

– Il y en avait dans toute la France ?

VICTOR. – Non.

La région parisienne, quelques régions de province, mais ce n’était pas vraiment toute la France. Comme le C.V.N. d’ailleurs.

Cela dit, quelques semaines avant Mai 68, cela s’était considérablement développé. Je me souviens au congrès national des C.V.B., on sentait une multiplication.

– Comment Mai 68 vous est-il arrivé?

VICTOR. – Un coup de tonnerre. A partir du moment où à Nanterre on a chassé Juquin [député communiste chargé de la question de l’éducation et de la jeunesse au « PCF »], on a senti qu’il y avait quelque chose qui se développait, ce qui fait que le 3 mai n’était pas un coup de tonnerre, mais du 3 au 10 mai alors là, on a complètement dérapé.

Même le 22 mars et la contestation, on est passé à côté. On ne voyait pas.

Le point de vue qu’on avait, c’était : les étudiants forment une composante importante, mais qui doit se lier aux masses, si elle ne se lie pas aux masses, elle n’a pas d’avenir.

Lié aux masses, au sens le plus physique du terme.

– Et quand avez-vous commencé à vous lier aux masses?

VICTOR. – A l’automne 67.

Tous les camarades issus des facs, tous les camarades étudiants, ont créé ce qu’on a appelé, à l’époque, un mouvement de soutien aux luttes du peuple.

Dès qu’il y avait un mouvement de grève quelque part, ils fonçaient, ils allaient aux portes des boîtes, etc. De ce point de vue-là, on savait aller à une porte de boîte.

Pour nous, Mai 68 n’était pas la découverte de la porte d’usine. Ce qui nous a permis, à nous, de comprendre un certain nombre de choses, mais un certain nombre de choses dans les boîtes.

Vis-à-vis du mouvement étudiant on était très profondément méprisant. Franchement méprisant. On avait un point de vue prolétarien très, très étroit.

On disait : les étudiants s’ils ne vont pas à la porte des boîtes, ils n’ont pas d’avenir, ou leur avenir c’est la bourgeoisie. Ce qui fait que la première semaine de mai a été l’épreuve de vérité.

– Comment l’avez-vous vécue?

VICTOR. – Oh là! Sur le moment comme pour tout le monde, c’était quelque chose qui nous débordait complètement.

Pour nous, plus particulièrement, puisque précisément, on était peu liés aux aspirations du mouvement étudiant. A posteriori c’est d’une manière critique qu’on repense à ces journées-là.

– Que faisiez-vous ? Alliez-vous dans les facs ?

VICTOR. – Pas vraiment.

On était dans les manifs, même la nuit des barricades où pourtant un certain nombre de dirigeants de l’U.J.C.M.L. avaient formellement condamné le développement des manifs au quartier Latin.

La thèse était : il faut partir du quartier Latin pour aller manifester dans les quartiers populaires.

Pourtant malgré ces condamnations très sévères, franchement réactionnaires, on allait aux manifestations.

On s’est même aperçus, quand on a fait l’union avec les camarades issus du 22 mars, quand on a pu faire avec eux le bilan de ces journées de mai, que pour la gauche étudiante de l’époque, l’U.J.C.M.L. apparaissait comme l’organisation qui avait le plus d’expérience militaire.

En fait, les premières manifestations étudiantes violentes avaient été menées sur le Vietnam et nous en avions été les organisateurs. On attendait beaucoup de nous du point de vue militaire, dans les manifs de la première semaine de mai.

Et on n’a évidemment rien apporté cette semaine-là, puisqu’on était en décalage…

Au cours de cette semaine il y a eu toutes sortes d’analyses théoriques pour justifier la position prise à l’égard du mouvement étudiant. Du 5 au 7 mai, par exemple, l’analyse c’était : attention il y a un véritable complot des forces social-démocrates pour s’emparer du mouvement étudiant, à leurs propres fins, aux fins de Mendès, Mitterrand, etc.

C’était encore l’analyse la moins farfelue, elle était fausse, mais elle avait une certaine vraisemblance.

– A quoi attribues-tu cette erreur d’analyse?

VICTOR. – Une méfiance à l’égard du mouvement étudiant du point de vue des classes.

La contestation proprement étudiante, l’existence des aspirations propres des étudiants, et de la jeunesse intellectuelle on n’y croyait pas.

Pour nous, il fallait sortir de l’Université. Seul le mouvement de sortie de l’Université pouvait constituer un objectif pour le mouvement étudiant qui devait être nécessairement un mouvement de soutien aux luttes du peuple.

– Et vous avez changé d’avis ? Pourquoi avez-vous rallié le 22 mars ?

VICTOR. – Après la nuit des barricades, on s’est aperçus qu’on s’était trompés.

Il n’y a pas eu le temps de faire un bilan, qui aurait entraîné un puissant mouvement de critique et de rectification dans nos rangs, pour la bonne raison qu’après le 10 mai, il y a eu le 13 mai et après le 13 mai, il y a eu la grève générale.

Donc, pas le temps de faire ça et tout de suite, on s’est trouvés pris dans les problèmes nés de l’apparition de la grève dans les boîtes.

Donc on a marqué le coup, après le 10 mai, se rendant compte qu’il y avait eu erreur, et tout de suite, on a foncé en/avant avec ceux dont on disposait à l’époque, c’est-à-dire les syndicalistes prolétariens, on a foncé dans les boîtes.

A ce moment-là, puisque c’était devenu un mouvement de révolte populaire, on s’est retrouvés avec les camarades avec lesquels on avait eu des divergences pendant la première semaine de mai, particulièrement les camarades du 22 mars, on s’est retrouvés avec eux le 24 mai et puis surtout on s’est retrouvés avec eux au moment où on a lancé les mots d’ordre de résistance prolétarienne à la reprise du travail, à la collusion gaulliste-C.G.T.

On s’est retrouvés avec eux, à Flins et c’est là, dans la pratique, que se sont tissés les premiers liens entre une partie du 22 mars et une partie de l’U.J.C.M.L., huit mois après Mai 68.

C’est seulement huit mois après, qu’on s’est unifiés dans la Gauche Prolétarienne, mais le baptême, le lieu de naissance ça a été, incontestablement, qu’on se soit rencontrés à Flins.

– Que s’est-il passé pendant ces huit mois ?

VICTOR. – Tout simplement, comme pour tout le monde, il fallait faire les comptes, le bilan.

Comme d’une part on avait commis des erreurs, dont certaines très graves – le mépris du mouvement étudiant – comme d’autre part, on était une organisation qui avait déjà des aspects maoïstes, c’est-à-dire un certain rapport à la réalité, qui fait que quand on est coupés de la réalité il y a apparition de grandes critiques, on a commencé au sein de l’U.J.C.M.L., après la dissolution officielle, un mouvement critique.

Et ce mouvement de critique a très vite, pendant l’été 68, abouti à une cassure en deux camps.

Il y avait un camp qui était très très minoritaire, et un camp qui était très très très majoritaire. Nous étions dans le camp très minoritaire!

C’est vraiment un tout tout petit groupe issu de l’U.J.C.M.L. qui a constitué la Gauche Prolétarienne au départ.

Si on se place en septembre 68, c’est-à-dire à la rentrée, au moment où tout le monde pensait ce octobre rouge, il y avait, sorti de l’U.J.C.M.L. et du mouvement de soutien aux luttes du peuple, quelque chose comme quatre à cinq mille militants.

L’écrasante majorité de ces militants se trouvait sur des positions opposées à celles qu’a adoptées le petit groupe qui allait devenir la Gauche Prolétarienne.

Le camp majoritaire avait des idées, que nous jugions liquidatrices. Ils expliquaient l’issue de Mai 68 de la manière suivante : il y a eu un mouvement de masse, il était révolutionnaire, et comme il n’y avait pas de parti révolutionnaire, ce mouvement de masse ne pouvait pas prendre le pouvoir.

C’était la thèse la plus dogmatique, la plus plate et la plus vulgaire, d’expliquer la grande carence de Mai 68 par le fait qu’il n’y avait pas de parti révolutionnaire. Nous considérions, à juste titre, comme la suite l’a montré, que faire cette analyse-là c’était liquider les principaux acquis idéologiques de Mai.

Dans le sillage, c’était aussi liquider une organisation assez importante, pas simplement l’organisation ancienne de l’U.J.C.M.L., mais ce que l’U.J.C.M.L. avait créé dans les usines – c’est-à-dire un nombre assez impressionnant de groupes syndicalistes prolétariens.

Résumé des thèses liquidatrices :  » Maintenant qu’on a compris qu’en Mai, ce qui nous avait manqué c’était un parti, il faut tout de suite construire un parti.  » Comment on construit un parti? en regroupant les éléments d’avant-garde. Comment on regroupe les éléments d’avant-garde? En les formant. Comment on les forme? A partir des livres.

Tout ceci devait nécessairement amener la rupture des contacts avec la pratique et avec les groupes d’usines qui existaient. Et de fait, ça a été un énorme massacre.

– Les établis sont revenus ?

VICTOR. – C’est ça, les établis ont quitté leurs usines.

– Le besoin de retourner dans les livres ?

VICTOR. – Enorme, c’était incroyable. Ça a dû être la période en France où on a le plus lu Que faire? de Lénine! Un phénomène universel. En Italie ça s’est passé comme ça. En Belgique aussi il y a deux camps : ceux qui disent :  » Faut partir de la pratique des masses  » et les autres qui disent :  » Non, il faut partir de Que faire?...  » Et ça se bagarre! En Allemagne, ça a été pareil.

– Et Mao?

VICTOR. – II n’intervenait plus vraiment. Ils se disaient encore pour Mao, mais vraiment ils le lisaient à travers les lunettes Que faire? Je dis tout de suite que nous estimons que Que faire? est un grand ouvrage, mais qu’il est daté d’une autre époque. On ne peut plus s’appuyer sur toutes les thèses qui y sont.

En particulier les thèses sur la connaissance (importées par les intellectuels dans /le mouvement ouvrier). C’est pour ça qu’on dit que Mao Tsé-toujng c’est une époque nouvelle.

– Vous vous disiez maoïstes, à ce moment-là ?

VICTOR. – C’est à ce moment-là qu’on s’est dits carrément maoïstes. Quand on parlait de nous en disant ce marxistes-léninistes « , on prenait ça pour une insulte.

On revendiquait le terme  » maoïste « , le portrait de Mao. Cela dit, on était bien évidemment pour le marxisme, le léninisme, mais on voulait marquer la nouveauté du maoïsme.

– C’était la première apparition d’un groupe maoïste en France ? Ou y avait-il déjà eu quelque chose ?

VICTOR. – II y avait eu le P.C.M.L.F. *. Mais qui était de plus stricte obédience léniniste.

– Un jour vous vous êtes dit, nous, la Gauche Prolétarienne, on est des maoïstes.

VICTOR. – On ne se l’est pas dit  » un jour « . La lutte contre l’autre courant qu’on caractérise comme ce liquidateur  » a duré de juin 68 à février 69. Ça fait pas mal de temps.

Donc, on a vraiment eu le temps, à travers cette lutte, d’affermir et de clarifier nos positions.

Surtout qu’au départ, ce qu’on disait était extrêmement simple :  » Bien sûr on a fait des erreurs, cela dit c’est tout à fait normal parce qu’on était inexpérimentés. La meilleure manière de rectifier ces erreurs, c’est de renouer avec la pratique et de trouver des idées dans la pratique. Donc, en avant de nouveau dans les boîtes, tirons les leçons de Mai 68 dans les usines et dans la rue. « 

Évidemment, on se faisait traiter de tous les noms. C’est là, en particulier, que la notion de ce mao-spontex « , que le mot ce spontex  » est apparu.

Ça voulait dire qu’on ne respectait pas Que faire? Qu’on était des spontanéistes. Le terme spontanéiste est populaire dans la tradition marxiste parce que dans Que faire ? Lénine critique un courant russe qu’il appelle « spontanéiste ».

Comme nous, on disait que le parti ça ne se crée pas comme ça, et que de toute façon la création d’un parti dépend de l’état du mouvement des masses, hop, on nous a traités de spontanéistes, – et puis comme mao-spontex, ça sonnait bien, ça a été assez populaire.

De toute façon comme une dizaine de milliers de gauchistes étaient sous l’emprise de ces idées ossifiées sur le parti, c’est un quolibet qui a eu du retentissement. Ça a duré très longtemps, jusqu’à la dissolution de la Gauche Prolétarienne, on nous traitait encore de spontanéistes.

– D’où venait votre conviction d’avoir raison? Quand on s’est aperçu qu’on pouvait se tromper au point de ne pas comprendre le mouvement étudiant, n’est-on pas un peu inquiet sur les nouveaux risques d’erreur?

VICTOR. – Absolument. Il y a eu des angoisses, à une époque!

– Comment en sort-on, si on en sort?

VICTOR. – Quand on s’accroche, on retrouve un ancrage dans la réalité. Pour nous, ce qui a été décisif, ça a été Sochaux.

Pendant l’été 68, nous sommes allés là-bas, nous avons discuté avec des ouvriers de Sochaux, et nous avons appris ce qui s’était passé, c’est-à-dire les affrontements de juin 68.

– Tu parles toujours de « s’ancrer dans la réalité », d’aller vers la réalité, de retrouver la réalité… Mais tout le monde pense être dans la réalité! Il y a très peu de gens à dire : on n’y est pas!

VICTOR. – Là tu te trompes! A l’époque il y avait une petite série de gens qui voulaient vraiment partir des livres…

– Parce que tu fais une opposition entre livres et réalité?

VICTOR. – Non, pas entre livres et réalité, mais entre la démarche qui consiste à partir d’un livre où on te dit de faire ceci, cela, et la démarche de ceux qui partent de la pratique, qui essayent de comprendre dans la pratique, et puis qui lisent des livres pour les aider à mieux comprendre.

Après Mai 68, il y avait philosophiquement, deux camps. Ce n’est pas moi qui interprète : je donne les points de vue tels qu’ils étaient exprimés par chacun des camps.

Le camp caractérisé comme  » liquidateurs « , disait :  » Partir de la réalité c’est empiriste, c’est spontanéiste « , etc. Pour eux, il fallait partir d’un certain nombre de thèses. Il fallait élaborer une ligne!

Alors comment élabore-t-on une ligne ? Cela revient à faire une analyse de classes de la société, alors on fait une analyse de classes de la société, on prend des bouquins de Raymond Aron qu’on critique, des statistiques du ministère du Travail, etc.

Nous, on disait : il faut partir de la réalité. Ça veut dire quoi? L’expérience qui nous a marqués le plus c’est Flins 68. Une expérience à laquelle nous participions directement.

La deuxième expérience, que certains d’entre nous découvrent pendant l’été, c’est Sochaux où les affrontements étaient bien plus violents et de portée stratégique peut-être encore plus importante que Flins 68.

Alors qu’est-ce qu’on a tiré de là? La conviction profonde qui a été une puissante arme pour rabattre l’angoisse, puisque ce angoisse « , il y avait! la conviction que la thèse du  » pouvoir est au bout du fusil « , était valable et d’une certaine manière actuelle, dans un pays comme la France, comme pour tout autre pays.

On en était convaincus, en septembre 68, vraiment convaincus. C’est ça qui nous a permis, alors qu’on ne voyait pas clair sur des tas de questions, qu’on était très peu nombreux, et que ceux qui nous étaient hostiles étaient vraiment l’écrasante majorité, c’est ça^qui nous a permis de nous battre et de nous battre sans problèmes.

Non pas qu’on croyait qu’on avait la vérité infuse, ce n’est pas ça.

On n’était pas du tout sectaires, on était très ouverts, la meilleure preuve c’est que huit mois après, on a fait une expérience inédite et qui ne s’est pas renouvelée depuis : l’union avec un courant parti de tout autres prémisses que nous.

Parce que Alain Geismar et les éléments venus du 22 mars avaient eu, au départ, une tout autre démarche que nous. Lorsqu’on s’est unifiés organiquement, ça marquait de leur point de vue, aussi bien que du nôtre, une large ouverture d’esprit et une profonde volonté d’unir tous ceux qui voulaient continuer Mai 68.

La Gauche Prolétarienne est donc née formellement en septembre 68, mais elle n’a commencé à avoir une vraie physionomie qu’après l’union avec des camarades venus du 22 mars, c’est-à-dire en février-mars 69.

– Quelles étaient vos dissensions de base avec les éléments du 22 mars?

VICTOR. – Eux n’étaient pas maoïstes.

Dans nos premières discussions, ils disaient :  » Bien sûr, c’est très important la Révolution culturelle, Mao Tsé-toung et tout ça, mais enfin on ne se sent pas lié par le maoïsme. On ne sait pas trop ce que c’est mais on ne voit pas pourquoi, a priori, c’est le maoïsme qui doit être la doctrine de base pour les révolutionnaires de Mai 68. « 

C’était quand même un point de départ différent.

– Qu’avaient-ils eux comme doctrine?

VICTOR. – Ils n’en avaient pas du tout. C’était vraiment l’effort avec les moyens du bord pour comprendre Mai 68. Il n’y a qu’à voir leur bouquin sur la guerre civile.

– C’était quand même  » le pouvoir au bout du fusil  » ?

VICTOR. – C’est bien pour ça qu’on s’est unis! S’il n’y avait pas eu accord sur les thèses fondamentales, on n’aurait pas pu s’unir.

– Pourquoi dis-tu que Sochaux a été si important?

VICTOR. – II y a quand même eu de huit à onze C.R.S. tués, de l’aveu des ouvriers.

Pas de l’aveu du ministère de l’Intérieur, mais absolument tous les camarades dans leurs discussions avec les gars de Sochaux qui ont participé à juin 68 confirment ce chiffre.

C’était important, parce que c’était une violence proprement ouvrière. Flins, il faut bien voir que c’est la violence étudiants-ouvriers avec les étudiants d’une certaine manière aux premières lignes, entreprenant le déclenchement.

Là, c’était vraiment de l’usine que surgissait cette violence, et le bilan qu’en ont tiré les ouvriers de Sochaux était plus développé que celui qu’en ont tiré les ouvriers de Flins.

Pour les gars de Sochaux, la leçon qu’ils en ont tirée se voit encore maintenant en 71, ils disent :  » La prochaine fois, c’est avec les flingues, qu’on accueille les C.R.S. « 

Les premières discussions qu’on avait eues avec les ouvriers révolutionnaires, là-bas, c’était :  » Ce qu’il nous faut, c’est des groupes armés. « 

Alors que dans la majorité des usines, les premières questions qui étaient discutées, c’était :  » Est-ce qu’on reste encore au syndicat, est-ce qu’on fait autre chose, un comité d’action, le parti? « , etc.

– Qui sont les ouvriers révolutionnaires dans ces discussions, surtout des jeunes?

VICTOR. – A Sochaux, c’est inédit par rapport à ce qu’on voit ailleurs. Nantes-Batignolles est un peu dans ce cas.

On rencontre énormément d’anciens qui sont activement et ouvertement révolutionnaires.

Il y a d’énormes potentialités révolutionnaires chez les vieux ouvriers partout, mais généralement ce sont surtout les jeunes ouvriers qui constituent la force ouvrière la plus rapidement mobilisable.

Sochaux est un de ces cas particuliers où les sympathies actives que nous avons obtenues venaient très souvent d’ouvriers âgés.

– Pourquoi est-ce spécialement ainsi à Sochaux?

VICTOR. – L’expérience de Sochaux, comme expérience proprement ouvrière, a été la plus avancée. A Renault-Billancourt, par exemple, l’occupation a été très inerte, très bureaucratique, et les jeunes, pour briser avec cette occupation, sortaient de la boîte pour aller dans les manifs étudiantes.

Résultat, ce sont les jeunes qui ont tiré le plus de ce qu’il y avait de nouveau dans Mai 68. A Sochaux, jeunes et vieux ensemble ont affronté la répression, d’où ils ont pu tirer ensemble des leçons et réactiver leurs vieilles traditions.

– Quels contacts avez-vous en ce moment avec ces grandes usines ?

VICTOR. – II n’y a plus trop d’établis.

– Ce n’est plus la peine?

VICTOR. – Je ne dis pas ça. Mais nos premiers établissements étaient des établissements pour connaître la réalité, pour pénétrer idéologiquement dans le milieu ouvrier, alors que maintenant nos établissements sont plus politiques.

On s’établit en fonction d’objectifs politiques précis. De préférence, on établit des militants ayant une expérience politique.

Dans certains cas, uniquement des camarades ayant une expérience de cadres politiques. L’établissement est conçu maintenant comme l’entrée d’un camarade qui va aider à l’organisation du groupe ouvrier, parce que manque à l’intérieur quelqu’un qui permette de lier les gars entre eux.

– Toi, comment restes-tu en relation avec ce qui se passe, avec la  » réalité « ?

VICTOR. – La méthode est toujours la même, les enquêtes continuelles, les liaisons.

– Tu n’y vas pas?

VICTOR. – Je ne suis pas à l’intérieur d’une boîte.

– Comment se constitue l’organisation?

VICTOR. – II y a eu plusieurs moments dans la naissance effective de la Gauche.

Il y a eu d’abord le baptême du feu, juin 68. Ensuite, il y a une constitution formelle en septembre 68, et on sort La Cause du peuple reprenant le titre du Mouvement de soutien aux luttes du peuple.

Septembre 68, donc, qu’est-ce que cela signifie? A Paris un groupe de camarades, pas plus d’une quarantaine, unifiés sur la base de la lutte contre les positions liquidatrices, caractérisées tout à l’heure, et qui décident de sortir La Cause du peuple avec pour thèses :  » De nouveau dans la pratique, prolétarisation au maximum « , et application de la thèse ce le pouvoir est au bout du fusil  » dans les conditions concrètes de la France.

C’était grosso modo notre programme. Il n’y avait pas beaucoup d’autres idées, c’était une direction. On s’engage et puis on voit. C’est une phrase qu’on appréciait beaucoup à l’époque!

Donc, on était un groupe de trente, quarante camarades sur Paris, dont une partie constitue de fait un groupe dirigeant – ni élu, ni nommé, ni rien du tout – simplement le groupe de ceux qui ont combattu avec le plus de conséquence les thèses majoritaires et autour desquels se retrouvent ceux qui ne veulent pas rompre avec la pratique.

– Les cadres se définissent alors comme les plus clairvoyants ?

VICTOR. – Oui, les plus clairvoyants. Ceux qui avaient réussi à clarifier les positions du groupe qui allait naître, et à critiquer ce qu’on appelait le léninisme ossifié. Les plus actifs, aussi.

Ceux qui proposaient les premières initiatives pratiques et qui commençaient à coordonner les groupes qui en province apparaissaient et résistaient au courant liquidateur.

Il y a eu un certain nombre de groupes, pas très nombreux, qui, comme à Paris, ont résisté ajr courant liquidateur de la majorité. Il y en a eu à Sochaux, en Lorraine, à Marseille, dans le Nord.

A ce moment-là, on avait une organisation avec un groupe dirigeant et des militants qui étaient sur certaines facs, ou dans certains quartiers de Paris et des militants qui étaient dans le Nord, à Marseille, à Besançon, où on pouvait.

– Concrètement, il y avait des réunions?

VICTOR. – Il y avait des assemblées générales.

A cette époque-là, étant donné le petit nombre, on pouvait s’en sortir avec des assemblées générales!

On faisait des assemblées générales dans des écoles supérieures, des facs.

– Vous n’étiez pas particulièrement poursuivis?

VICTOR. – Dans la confusion qu’il y avait à l’époque, il était difficile à Marcellin d’y reconnaître les siens! Il a progressé depuis… De toute façon, au départ on n’était pas les plus dangereux, puisqu’on était vraiment le groupe le plus restreint.

– De quoi discutait-on dans ces assemblées générales?

VICTOR. – Pendant les premiers mois uniquement de la lutte idéologique, clarification, textes critiques, etc., et puis les premières initiatives : à l’automne, il y eut des événements au Mexique. Nous, on a foncé, mais la Ligue communiste et tous les courants liquidateurs ont bloqué. Alors, on a fait le bilan de ces réactions.

Il y a eu d’autres initiatives, on voulait faire un meeting à Citroën où il y avait eu des centaines de licenciements.

– Comment ressentiez-vous le fait d’être si peu nombreux?

VICTOR. – On s’en foutait un peu, à vrai dire. En plus, on n’appréciait pas clairement le rapport numérique.

Il faut voir que le bloc majoritaire n’était pas un bloc, cela partait dans tous les sens. Chacun avait ses propres idées sur la manière d’appliquer des lignes, enfin d’appliquer, d’élaborer! Ils nous encerclaient quand même.

On s’en foutait un petit peu mais eux, ils ne se foutaient pas de nous. Ils étaient toujours là, à attaquer, à essayer de récupérer les types. C’était très violent, activé par des agents provocateurs. Les calomnies circulaient qui ont d’ailleurs aidé Marcellin à l’époque. Il a constitué pas mal de dossiers à partir de ce bordel-là. On en a eu des preuves par la suite.

– Vous ont-ils rejoints depuis?

VICTOR. – En 70, avec les premiers succès de la pratique de la Gauche, tous ces groupes sont entrés en crise et se sont décomposés. Beaucoup de militants intellectuels issus de ces groupes ont voulu nous rejoindre mais, dans l’ensemble, un tel afflux n’est pas bon du point de vue du rapport de force social à l’intérieur des maos. Souvent ces militants ont pris de très mauvaises habitudes de travail, de réflexion, de pratique.

On s’en aperçoit, ils ont besoin d’une importante rééducation.

– Tu veux dire qu’ils sont dans les livres ?

VICTOR. – Ils n’ont pas un esprit très ouvert, très net, très acéré. Ils admettent un certain nombre de choses qui ont été éprouvées par la pratique, mais, par rapport aux choses nouvelles, ils gardent encore un esprit dogmatique.

– Comment cela se passe lorsqu’ils veulent entrer dans votre organisation ?

VICTOR. – En règle générale, tous ceux qui ont été des cadres, des chefs, de ce qu’on a appelé le mouvement de la liquidation, ne sont pas entrés.

– Ils en ont manifesté le désir?

VICTOR. – II leur était difficile d’en manifester le désir parce qu’ils ne s’attendaient pas à ce qu’on les accepte. Donc, eux, ne sont pas entrés.

Pour les militants, il n’y avait pas de critères d’exclusion. Il y a eu un principe politique de grande prudence sur le recrutement de militants venus de groupes liquidateurs, mais c’était un principe général qui n’excluait personne en fonction de telle ou telle particularité.

En dehors de ce principe, sur quoi ça se jugeait? Sur la pratique. Prolétarisation et militarisation.

– Revenons à la quarantaine de la rentrée 68.

VICTOR. – A partir de sa position de départ, – prolétarisation et militarisation – » la force ce gauchiste  » naissante s’est attachée à réunir les ouvriers qui pouvaient être réunis, donc, tout de suite, les militants ont eu comme tâche centrale de renouer avec les boîtes où ils avaient travaillé, celles avec lesquelles on pouvait renouer.

Il était inutile de renouer avec les boîtes où avaient disparu les militants. On a renoué avec Citroën, avec Renault.

Tout ça nous a amenés en janvier 69, à une assemblée ouvrière nationale où on a réuni les militants ouvriers des différentes boîtes avec lesquelles on avait repris contact, pour faire le bilan de l’expérience et voir un peu où on en était au point de vue de la tactique.

Ça a été une très importante réunion parce que ça nous a permis de nous dégager totalement de la ligne  » syndicaliste prolétarienne « .

Au sortir de cette séance de travail, on savait qu’on ne militerait plus à la C. G. T. C’était un pas décisif vers des conceptions sur la constitution d’une force ouvrière totalement autonome. Il y avait encore des équivoques.

On avait un peu dans la tête qu’on allait vers la création d’un syndicat nouveau, un syndicalisme vraiment rouge, quoi. Mais le courant principal, c’était : autonomie par rapport au syndicalisme officiel.

Il y avait dans nos têtes l’idée – pas dans toutes les têtes, mais chez les vieux militants ouvriers – de recréer un peu la C.G.T.U. Mais le courant principal de la réunion était de se dégager complètement de la C.G.T.

Pour faire quoi? On ne savait pas encore très bien. Pour résumer : première étape de la Gauche : unir dans la lutte contre le courant liquidateur tous les militants qui pouvaient être unis, et donner comme objectif à ces militants-là : unir tout ce qui pouvait être uni comme ouvriers révolutionnaires.

Et à partir de là dégager les premiers éléments d’une orientation de travail et de combat dans les boîtes. Cette étape, on peut dire qu’elle s’achève avec cette réunion ouvrière qui définit les premières thèses sur la constitution d’une force autonome dans les usines.

Deuxième étape du développement de la Gauche, marquée par l’union avec le 22 mars dont on a parlé tout à l’heure : on s’aperçoit que pour régler la constitution d’une force autonome dans les boîtes, il faut s’appuyer sur le mouvement de masse, de la jeunesse.

Il était difficile d’édifier des groupes ouvriers autonomes, et de les unir sans qu’il y ait intervention de ce puissant allié qu’avait été pour eux le mouvement de la jeunesse.

D’où on se préoccupe, dans cette deuxième étape, de clarifier les idées sur la jeunesse et d’y commencer une pratique autonome.

C’est l’étape où on achève avec les camarades issus du 22 mars le bilan de Mai et où on définit les thèses qui sont dans le n° 1 des Cahiers de la Gauche Prolétarienne qui date d’avril 69.

Ces thèses sont contenues dans le titre :  » De la révolte anti-autoritaire à la révolution prolétarienne. « 

D’où l’on comprenait qu’il fallait unir les aspirations anti-autoritaires telles qu’elles s’étaient exprimées et continuaient à s’exprimer dans la jeunesse, et les nouvelles formes de luttes dans la classe ouvrière, des formes de luttes antidespotiques.

Dans cette étape, on fonce dans la pratique de masse au sein de la jeunesse et spécialement dans les lycées.

C’est le moment où on développe une série de luttes dans les lycées Louis-le-Grand, Henri-IV…

L’époque où Lagarde [proviseur du lycée] se faisait descendre dans Louis-le-Grand.

Ça n’avait pas la même profondeur que le mouvement lycéen de cette année.

Il s’agissait de noyaux de gauche, cent, deux cents lycéens, mais un peu partout.

Cette deuxième étape s’achève en juin 69.

A ce moment-là, on s’aperçoit qu’on a quelques débuts d’éléments nouveaux de pratique dans les usines, et qu’on a créé à travers les luttes lycéennes, une force de jeunes qu’il faut absolument lancer à l’assaut des boîtes d’une manière nouvelle pour renforcer les premiers éléments naissants dans les boîtes.

En juin, à l’occasion de l’anniversaire de Mai, de l’anniversaire de l’assassinat de Gilles Tautin de Flins et aussi à l’occasion des élections – ce qu’on appelait  » la bataille du boycott actif des élections  » – on mène notre première opération qui allait introduire une étape nouvelle du développement de la Gauche : l’opération à Flins de juin 69.

Tout ce qui avait été mobilisé dans les lycées après un intense travail de propagande sur la région parisienne, se concentre pour une opération antimaîtrise aux portes des usines, en accord avec le groupe d’ouvriers qui s’appelait à l’époque ce Comité d’action révolutionnaire « .

Cette opération est vraiment la première opération de grande envergure.

Après un travail de propagande, qui dépasse la diffusion de tracts, des accrochages avec les flics dans certains marchés, des interventions sur les lycées, en particulier au lycée Mallarmé, des accrochages aussi à certaines portes de boîtes avec les révises, toutes les forces militantes de la région parisienne se concentrent à Flins et se retrouvent aux portes de l’usine.

– Comment cela est-il vu par la presse? Comme une action maoïste ?

VICTOR. – Comme une action de fascisme rouge! On dit :  » Descente des lycéens dans les usines pour casser la gueule aux ouvriers.  » L’Huma disait ce les fascistes « ; la Régie évidemment :  » les fascistes « ; la grande presse, je ne sais plus.

– Et les réactions chez les gauchistes ?

VICTOR. – Tout le monde nous attaque!

Il faut voir qu’un tabou était littéralement violé. C’était une opération de groupe, une opération antimaîtrise, contre toute la maîtrise de Flins; en plus c’était une opération militairement préparée, pas un truc spontané.

Il avait fallu regrouper cent cinquante gars et les replier après l’opération.

C’était vraiment l’introduction de l’opération de partisans qui troublait les schémas.

On pensait à l’époque que les actions de petits groupes, ça allait bien pour les Vietnamiens, pour les Chinois, éventuellement pour les Irlandais, mais pas en France.

Pourtant ça a fait tilt. Dans les groupes organisés, cela a renforcé les attaques contre nous, mais cela a provoqué un début de sympathie dans la force gauchiste sauvage.

C’est le début de la troisième étape.

A partir de Flins 69, les choses vont s’accélérer pour les définitions de notre orientation générale. On fait une seconde conférence de travail importante, de représentants de tous les groupes d’usines, où est analysée la signification de cette opération sur Flins.

A ce moment-là les premières idées concernant la lutte antidespotique dans les boîtes, la lutte anticadences se précise, cela nous permet pendant l’été 69 une généralisation à d’autres usines : les militants dans toutes les boîtes commencent à utiliser les armes de la lutte antichefs.

Pendant cet été-là, en 69, les premières expériences types commencent à apparaître. L’expérience la plus importante a été à La Redoute de Roubaix-Tourcoing, dans le Nord : une expérience de sabotage de masse des cadences, une lutte massive antichefs.

C’était un mouvement qu’on appelait un mouvement « raslbol ». Ce terme s’est répandu depuis. C’était la première fois qu’on en parlait, on avait pris le terme aux lycéens. Les lycéens 69, à Louis-le-Grand, avaient fait une énorme affiche  » RASLBOL « .

A la fin de l’été, on définit (septembre-octobre 69) ce que veut dire l’orientation dite de la résistance.

Un texte est paru dans le n° 2 de La Gauche Prolétarienne, un texte dit ce Texte d’octobre « , qui fait le point sur ces différentes expériences et qui introduit systématiquement l’idée d’un type de luttes de partisans non armés, mais violents, à caractère symbolique, adaptés à la situation française d’après Mai 68.

Pour que cette orientation devienne une force matérielle importante, on définit les objectifs d’un mouvement de réforme dans les rangs des militants.

Mot d’ordre :  » Se jeter dans le monde.  » Ce qui voulait dire : lancer les militants issus des lycées et des facs, soit directement dans les boîtes – il y a beaucoup d’établissements de lycéens dans les boîtes – soit dans les bidonvilles ou sur les banlieues ouvrières, pour mener la résistance, mener la lutte violente.

C’est là que se situe l’expérience d’Argenteuil. C’est là que paraît La Cause du peuple historique. L’expérience d’Argenteuil était une expérience de résistance à la destruction des bidonvilles.

Particularité : cela a été la première bataille prolétarienne antirévisionniste. Sur le grand marché d’Argenteuil, il y a eu un affrontement violent avec les révisionnistes. Là on ne s’attaquait pas, comme à Flins en 69, aux chefs, à la maîtrise, mais carrément à des nervis du P.C.F.

Inutile de dire que les accusations de  » fascistes  » ont été multipliées par dix! Si on était déjà des fascistes parce qu’on s’attaquait aux/chefs, a fortiori, si on s’attaquait aux nervis de la mairie d’Argenteuil!

Ça a été très très important parce que c’était un nouveau tabou qui tombait, le tabou des mairies ouvrières.

Très important, il faut voir un peu pour les gauchistes ce que représentait ce qu’on appelait le bastion du P.C.F., les mairies du Nord, la banlieue Nord, Billancourt, tout ça c’était le bastion du P.C.F.

S’attaquer à ces bastions c’était s’attaquer à des ce maillons forts  » et comme chacun sait depuis Lénine, il faut s’attaquer aux maillons faibles.

C’était donc vraiment un nouveau tabou qui était violé avec Argenteuil.

A partir de cette expérience d’Argenteuil et du mot d’ordre :  » Se jeter dans le monde « , il commence à y avoir une multiplication d’expériences.

A ce moment-là, les militants de la Gauche Prolétarienne voient clair, sont très adaptés à la pratique et commencent à être habiles, c’est-à-dire à multiplier les expériences.

Jusqu’alors, il y avait surtout concentration d’énergie pour réaliser une expérience type, pour voir clair, pour avoir de nouvelles idées, et définir de nouvelles idées politiques.

A partir d’octobre 69, il y a une orientation, certains militants savent comment se battre, ont certains objectifs, et cela permet de multiplier les expériences.

Chacun prend de l’initiative.

On en arrive ainsi à différentes batailles importantes.

Celles qui ont beaucoup compté pour le développement de la Gauche et le perfectionnement des armes de la lutte violente ont été les campagnes de la rentrée 70 : la campagne sur les assassinats d’ouvriers et la campagne sur le métro.

Il ne s’agissait plus là d’une bataille, mais d’une série de batailles liées entre elles, selon les principes d’une campagne.

Dans le cas de la campagne sur les assassinats d’ouvriers, il s’agissait de quelque chose qui n’était pas strictement localisé en un point déterminé.

L’assassinat des cinq travailleurs africains d’Aubervilliers a été l’occasion d’une campagne importante parce qu’il y avait une sensibilisation de l’opinion sur la question, mais, chaque fois qu’il y avait des cas de soi-disant accidents du travail, les militants s’en emparaient.

C’était plus ou moins important; il y a eu des boîtes où cela a simplement été une propagande virulente et peut-être un cassage de gueules d’un chef ici ou là, mais l’important c’est que les principes d’une lutte généralisée sur les cas d' »accidents du travail » sur les assassinats d’ouvriers était largement pris en main par les militants.

Cela multiplie les initiatives, et aussi le nombre de militants!

Là, il y a eu un fort afflux, et surtout une nette prolétarisation : on commence à avoir des militants jeunes ouvriers, soit issus des banlieues, soit directement issus des premières boîtes, par exemple Billancourt.

L’exemple le plus marquant de cette campagne s’est trouvé aux Chantiers navals de Dunkerque.

A Aubervilliers, la campagne sur les assassinats d’ouvriers prenait appui sur les événements qui concernaient les travailleurs mais qui étaient extérieurs aux travailleurs organisés dans une grande usine, puisque le foyer d’Aubervilliers n’est pas une boîte.

Avec les Chantiers navals, on entrait dans le cœur du grand prolétariat. Le caractère important de l’expérience des Chantiers c’est que c’était une grande base d’usines.

Le grand prolétariat, la capacité, la force d’un prolétariat concentré, c’est quelque chose d’irremplaçable.

Le rôle de Billancourt comme base d’appui, apport non seulement en militants ou en cadres, mais apport en idéologie, en idées, en initiatives, est incomparable.

Il y a une intense vie politique autonome dans les grosses boîtes et plus encore dans les grosses boîtes à forte tradition.

Première particularité, donc, de l’expérience des Chantiers navals : c’est sur une grande base d’usines.

Deuxième particularité : le travail qui a été fait a été admirable.

Il n’y a pas eu simplement des opérations de groupes de partisans à l’occasion des différents accidents sur les chantiers, il y a eu surtout un rapport totalement inédit entre ces groupes de partisans et les larges masses ouvrières.

Soutien de masses dans les actions contre le directeur des Chantiers, dans le sabotage de grues à l’intérieur des Chantiers, soutien de masses du camarade qui avait été établi longtemps sur les Chantiers et qui, là, était à l’extérieur.

Il a été littéralement protégé, pendant toute cette période, par les gars des Chantiers.

Il y avait régulièrement des meetings où le principe des sabotages était collectivement admis etmême élaboré par trois cents ou quatre cents ouvriers.

C’était répercuté à l’intérieur et la première opération de sabotage des grues a été après reproduite spontanément par des petits groupes d’ouvriers ignorés même des camarades en tant que tels, c’est-à-dire en tant que groupes.

Troisième particularité de cette expérience : elle a provoqué l’apparition de la tactique répressive de Marcellin contre nous.

D’une part on a commencé à beaucoup parler de nous; il y avait des articles partout, dans L’Express, dans L’Observateur, Le Monde, L’Huma, etc.

D’autre part, il y a eu les premières provocations, c’est-à-dire les faux sabotages qui pouvaient attenter à la vie des ouvriers, des provocations criminelles où des accidents furent évités de justesse.

La deuxième campagne importante de ce mouvement de réforme dont je parlais tout à l’heure est celle, assez connue, lancée sur le métro.

Là aussi, on s’appuie sur une grande usine, Billancourt, et aussi Citroën, et les succès sont à l’origine d’une poussée dans la jeunesse.

Ces deux grandes batailles d’usines, notre position sur le mouvement des petits commerçants, le fait qu’on se retrouve avec eux, qu’on se bagarre à leurs côtés à Grenoble, tout ça provoque un essor dans le mouvement de la jeunesse.

Cette attitude vis-à-vis des petits commerçants, on en parlera après. Même Sartre n’a pas compris notre position.

C’est là que commence la chasse au militant maoïste.

Les premières arrestations datent de cette époque. Les saisies de La Cause du peuple et l’arrestation de Jean-Pierre Le Dantec. La première saisie de La Cause du peuple doit dater de mars 70.

– Comment se fait-il que tu aies tout cela si clairement à l’esprit? Par mémoire, ou par principe? Est-ce nécessaire de s’appuyer ainsi sur les étapes historiques?

VICTOR. – C’est absolument vital. Il faut toujours, toujours partir de l’expérience historique, ne rien perdre de l’expérience.

On est en 71, mais quand on a à discuter à fond d’un problème, on revient toujours à 68, à 67, à nos erreurs.

Il y a des leçons sur lesquelles il faut toujours revenir.

– Reprendre le passé avec l’éclairage du présent?

VICTOR. – Tout le temps. Reprendre le passé avec l’éclairage du présent, c’est à peu près une citation du Président.

La jonction des premières batailles ouvrières, des petits commerçants, Nanterre et le renouveau étudiant allaient provoquer le 27 mai et la dissolution de la G.P.

Le 27 mai, c’est le procès de Le Dantec et Le Bris. Il y a deux jours de bagarres dans les rues de Paris, il y a les premières arrestations dans le Nord : celles des camarades d’Hénin-Liétard, qui allaient être brillamment acquittés à la Cour de Sûreté de l’État.

Il y avait des arrestations depuis 69, mais des arrestations, d’une semaine, d’un mois, deux mois. Pas grand-chose encore.

– A ce moment Geismar devient le porte-parole du mouvement. Pourquoi?

VICTOR. – Parce qu’il le mérite!

– Mais comment cela se passe-t-il puisqu’il n’y a pas de hiérarchie?

VICTOR. – Le choix de Geismar est dicté par deux considérations.

L’une du point de vue des masses, et l’autre du point de vue de l’ennemi.

La considération du point de vue des masses : Geismar, c’est celui qui exprime le mieux la continuité profonde entre l’étape de Mai et l’étape d’après Mai; il avait concentré une importante expérience en Mai 68.

Le point de vue de l’ennemi : on ne voyait pas pourquoi on donnerait à l’ennemi quelqu’un qui n’était pas déjà brûlé.

Puisqu’on avait besoin d’un porte-parole et qu’Alain était déjà brûlé, on ne voyait pas pourquoi on en choisirait un autre.

Cette question du porte-parole ne s’est d’ailleurs posée pour nous qu’au printemps 70, quand il a fallu expliquer nos positions, donner des interviews, faire des meetings.

Avant, on l’ignorait superbement. On se l’est posée au moment des petits commerçants, et cela a eu un sens très précis que Geismar qui représentait le mouvement de Mai 68, soit là au combat avec eux, à Grenoble.

C’était très important. Avant ce printemps 70, personne ne parlait de nous. On ne tenait pas d’ailleurs à faire parler de nous. Avant le printemps 70, on ne faisait pas de meeting.

Avant le meeting des  » Amis de la Cause du peuple  » (janvier 71), on n’avait jamais fait de meeting. On avait essayé d’en faire un, mais il a été interdit. Il n’y a pas eu de meeting de la Gauche Prolétarienne.

– Et maintenant que Geismar est arrêté, pas d’autre porte-parole?

VICTOR. – On n’en veut pas pour le moment.

– On en est à la dissolution de la G.P. après deux jours de bagarres dans les rues.

VICTOR. – II faut bien voir qu’à l’origine, on avait préparé le 27 mai, non dans la stricte perspective de la défense de la liberté d’expression, mais dans celle de l’union de toutes les couches contestatrices descendant dans la rue et manifestant violemment leur opposition à l’ordre social.

Un gros effort avait été fait pour l’union entre le mouvement de la jeunesse, la gauche ouvrière et la dernière en date des classes contestatrices : le mouvement des petits commerçants et des petits artisans, élément important dans la préparation du 27 mai.

Les manifs de Grenoble ont été répercutées à Paris dans différentes facs où l’on a tenu pas mal de meetings, avec des petits commerçants et Alain qui expliquait un peu cette question de l’unité populaire.

– Qui a été assez mal comprise?

VICTOR. – Oui, on y reviendra.

Il y avait un effort pendant toute cette période pour implanter l’idée de ce qu’on allait appeler les  » campagnes pour l’unité populaire « .

Les couches sociales contestatrices trouvaient des formes de jonction, en particulier dans la rue.

Ça a été un premier élément de préparation du 27 mai.

Dans ce contexte-là aussi, l’opération Fauchon, qui a eu une importance qu’au départ on n’avait pas perçue.

L’opération Fauchon avait été conçue pour unifier profondément les idées de gauche des petits commerçants et des petits artisans et les idées de gauche de la G.P. puisque c’était une opération contre un grand magasin, non pas grand au sens de la surface, mais au sens du  » magasin de luxe « , un symbole.

Donc au départ, opération visant à unifier les petits commerçants qui luttent contre la ruine, avec la gauche ouvrière et la jeunesse contestatrice.

En fait, Fauchon a touché beaucoup plus profondément puisque c’était le symbole richesse/pauvreté qui était atteint.

Récupérer certains produits de Fauchon pour les distribuer aux bidonvilles a touché très largement.

Incontestablement, le procès de Frédérique Delange a été le plus populaire, il a eu plus d’échos que le procès de La Cause du peuple.

Je ne crois pas me tromper en disant cela.

Les gars dans la rue, le 27 mai, associaient le cas de Frédérique avec Le Dantec et Le Bris.

Ça a eu une énorme résonance.

Tout ça a été préparé le 27 mai, cela peut paraître curieux, mais c’est comme ça. Il y a des choses qui ne sont pas strictement conçues en vue d’un objectif et qui peuvent puissamment préparer la réalisation de cet objectif.

Les différentes actions d’unité populaire à la veille du 27 mai avaient bien préparé l’opinion.

Évidemment, quand le 27 mai s’est produit on a commencé à comprendre des choses nouvelles, tout particulièrement sur la question de la démocratie.

On a vu ce qu’avait représenté comme alliance, le mouvement en faveur des directeurs de la C.D.P.

On a compris que sur le thème de la liberté d’expression, il y avait énormément de choses à faire. Toutes les idées qu’on a défendues par la suite, sur la démocratie, partent du 27 mai.

Avant de voir les conséquences du 27 mai, il faut un peu dire ce que ça a été.

On est loin d’avoir organisé les combats du 27 et du 28. Ils étaient largement à l’initiative de ceux qui sont descendus dans la rue.

C’était la réoccupation de la rue.

Depuis 68, on n’avait pas encore retrouvé des formes de combat dans la rue, qui permettent de tenir plus d’un quart
d’heure et surtout de tenir sans qu’il y ait sept cents mecs virés tout de suite à Beaujon.

Là, on a vu la formation, de petits groupes qui se centrent autour d’un, objectif partiel, puis se dispersent, puis se reconcentrent et ainsi de suite, la forme que les journaux ont appelée guérilla urbaine, forme devenue maintenant classique pour les affrontements avec les flics.

Au Palais des Sports [meeting d’Ordre Nouveau], après la première charge offensive des manifestants, au moment de la contre-charge des C.R.S., c’est ainsi que ça s’est paisse : des groupes se sont dispersés, reformés, qui ont harcelé avec les moyens du bord les forces de police.

C’était profondément nouveau au point de vue politico-militaire le 27 et le 28 mai.

Enfin, la conséquence politique la plus importante, c’était la possibilité d’un front démocratique en France.

Un front démocratique qui élargirait considérablement les luttes contestatrices qui avaient marqué les années tout de suite après 68.

On l’appelait comme ça, après le 27 et le 28 on parlait d’un front démocratique regroupant tous les éléments issus des milieux intellectuels qui prenaient des positions – avec des formes diverses – contre le durcissement de la répression.

Celui qui a le mieux compris la signification de ce front et en quoi il pouvait être subversif, à l’égard du pouvoir, c’est Sartre. Il a bien vu comment on pouvait exploiter à fond la contradiction entre le légalisme du pouvoir et les violations de sa propre légalité.

Sartre prenant la direction de la C.D.P., ne se faisant pas arrêter, puis diffusant la C.D.P. sur les boulevards, alors que les diffuseurs se faisaient arrêter et récoltaient des mois de prison, tout ça n’est pas  » utiliser Sartre comme vedette ou comme gadget « , c’est Sartre exploitant au maximum une contradiction propre au pouvoir qui prétendait respecter la loi quand il réprimait les gauchistes.

Par ses interventions, Sartre montrait clairement que le respect de la loi par le pouvoir était relatif, limité.

Dans la mesure où le pouvoir ne s’attaquait pas à Sartre, le pouvoir marquait, par là, que la répression n’était pas égale pour tous et permettait de comprendre que la répression qui s’abattait sur les maos pouvait être, elle aussi, illégale.

Cette conséquence politique du 27 mai, la naissance du front
démocratique, va être décisive pour la compréhension du développement des luttes en 71.

Il y a eu, à ce moment-là, la dissolution de la Gauche.

On s’y attendait, non pas le 27 au matin, mais on s’y attendait.

On y était idéologiquement préparés.

Depuis le début de notre pratique de la lutte violente, nous savions bien qu’on allait essayer de nous anéantir.

Alors, dissolution, arrestation, tout le bazar, on le savait, mais dans le domaine de l’organisation, on n’était pas fin prêts.

On savait aussi qu’on ne serait pas fin prêts au moment où ils nous attaqueraient.

On ne pouvait pas à l’époque prendre toute une série de dispositions qui par exemple nous auraient permis tout de suite après le 27 mai de nous reconvertir, de nous adapter à la situation nouvelle.

Je crois que certains ont été frappés par le fait que Geismar s’est fait arrêter particulièrement vite.

Ça se passerait cette année, il ne se ferait pas arrêter aussi vite.

Nous pensions profondément qu’il fallait faire le plus rapidement possible le maximum de travail ouvert qui permette de dégager, en France, l’idée de la lutte violente.

Au moment de la répression, il y aurait pas mal de pertes, et on ne pourrait pas éviter ce moment.

A ce moment-là, on aurait à se réadapter. Le faire avant aurait limité l’essor de la lutte.

C’est un point qui me paraît important, parce que certains peuvent se dire : quand on commence la lutte violente, il faut avoir des organisations clandestines, etc.

Ce n’est pas tout à fait exact.

Dans la situation française, il était très important que la lutte violente se développe, que face à la lutte violente apparaissent les formes de répression du pouvoir, afin que la situation se transforme et que de nouvelles organisations s’adaptent à la situation ainsi créée.

Il n’y avait pas, avant que la lutte violente telle qu’on l’a stimulée ne se soit développée, à limiter le mouvement, à ralentir notre rythme en fonction de principes qui sont ceux d’organisations strictement clandestines.

On peut comparer la situation française à la situation d’autres pays, comme par exemple l’Uruguay.

Comment les Tupamaros se sont-ils développés?

Il est clair que lorsqu’ils ont commencé leurs opérations de partisans, ils avaient déjà des organisations clandestines.

Dans leurs premières années d’activités, on remarque un rythme d’opérations très lent.

Nous, ce dont nous avions besoin en France, c’est qu’apparaisse le plus ouvertement, le plus massivement possible, l’idée que la lutte violente était nécessaire pour le développement de la contestation.

Il fallait qu’il y ait ça d’abord pour passer à l’effort supérieur de la lutte violente qui exige que certaines opérations soient faites par des organisations régies par les principes stricts de la clandestinité.

Nos premières opérations, même si elles ont été faites dans un esprit de stricte protection, – évidemment, il y a eu de très nombreuses opérations sans aucune perte où les flics se sont cassé le nez – étaient faites à partir d’une organisation, dans l’ensemble ouverte.

Donc, des risques étaient pris.

Les dernières opérations devenaient de plus en plus coûteuses parce que le dispositif se resserrait.

– Après le 27 mai, il y a eu l’été, puis la rentrée. Quelle a été l’étape de la rentrée 70-71?

VICTOR. – II y a eu pour nous un tournant. Non parce qu’on a été dissous, par décret. Pour nous, la dissolution marquait dès le 27, 28, un tournant réel, nous devions transformer notre activité. On disait, un peu plus tard :  » Marcellin nous donne un sacré coup de main. « 

De fait, la G.P. avait fait son temps; il fallait la dissoudre et faire quelque chose de plus adapté à la situation. On a senti le tournant, à partir du 27, 28; une chose est de le sentir, une autre, de le passer! On n’en est pas encore sortis! Ça fait à peu près un an.

On dit : II faut réajuster notre travail. En gros, cela veut dire : il faut que maintenant les militants qui étaient groupés dans la G.P., qui, à partir d’elle, avaient promu un certain style d’action et de travail, se dispersent dans les différentes couches contestatrices et aident chacune de ces couches à se doter d’organisations représentatives autonomes.

Le principe de ce réajustement est de créer des organisations de masse, dans la jeunesse, dans les usines, chez les petits commerçants, chez les petits paysans; des organisations de masses, autonomes, qui systématisent leur expérience propre.

– Comment s’est passée, par exemple, votre approche des lycées ?

VICTOR. – En 69, ça n’était pas bien compliqué, il y avait au départ quelques militants lycéens, de l’équipe initiale qui avait créé la Gauche. Des élèves des terminales, par exemple.

Ces militants de 69, par le boulot qu’ils ont fait, ont laissé de nouveaux militants. Il y a la chaîne. Eux sortaient du lycée, allaient en facs ou dans les usines.

De nouveaux militants apparaissaient, et ce sont eux qui sont dans les lycées pendant les journées Guiot, eux ou encore une nouvelle génération.

Les groupes de base dans la jeunesse se renouvellent très vite. De toute manière, un gars qui milite deux ans dans le mouvement de la jeunesse, il faut qu’il s’en tire.

On s’est fixés comme règle, une constante rotation dans l’encadrement, sur les facs ou les lycées. Cela se résout presque spontanément dans le cas des lycées.

– Ce mouvement des lycées, vous le reconnaissez comme un mouvement lié à vous? Autonome? Spontané?

VICTOR. – Tout mouvement de masse authentique, on peut l’appeler spontané.

Un mouvement vraiment massif n’est pas  » dirigé  » comme peut l’entendre un esprit, soit étroit, soit policier, comme celui de Marcellin.

Prenons le cas des journées Guiot : il y avait, dans une quarantaine de lycées de Paris, des militants qui depuis pas mal de temps faisaient de l’agitation latente, importante parce qu’elle fait mûrir les esprits.

Arrive la fin de la grève de la faim, la manif du 9 février à Clichy. Un lycéen, Guiot, est arrêté. Il ne faut pas être un gigantesque stratège politique pour se rendre compte que Guiot, étant lycéen, la riposte à la répression de la manif de Clichy doit être centrée, essentiellement sur les lycées.

Pas sur les facs. D’où les camarades militants dans les lycées agitent systématiquement à l’occasion de Guiot. Et, dans certains cas, déclenchent une série de grèves.

Ils stimulent mais le mouvement a ses propres lois de développement. Il y avait une série de lycées  » agités  » où il n’y avait pas de militants. Je ne parle même pas de militants de l’ex-G.P., mais de militants tout simplement.

– Nous en sommes restés à la veille des vacances 70.

VICTOR. – C’est la campagne de l' » été chaud « , après l’arrestation de Geismar.

On a compris pas mal de choses sur la question des mots d’ordre et des méthodes dans les campagnes populaires.

Cette campagne correspondait à une idée très largement répandue dans la population : l’injustice, pendant les mois d’été, entre les classes.

Sur la base de cette idée populaire, dans les différentes régions, on a lancé un certain nombre d’actions. Par exemple, en Lorraine.

– Dans l’ensemble, ça n’a pas été très spectaculaire, on a l’impression que c’est tombé un peu aplat.

VICTOR. – C’est l’autre leçon qu’on a tirée de la campagne, à savoir le danger qu’il y avait à lancer des mots d’ordre qui pouvaient être faussés par le gouvernement.

A partir de ces mots d’ordre le gouvernement pouvait manipuler l’opinion et on n’était pas capables de réagir.

Par exemple, quand on disait :  » Pas de vacances pour les riches « , le gouvernement manipulait sur le thème :  » Les gauchistes s’attaquent aux vacanciers « ; il accréditait l’idée qu’il y aurait partout des actions sabotant les vacances et qu’il s’y préparait.

Il va de soi qu’on n’était pas capables,- ce n’était pas notre objectif d’empêcher que tous les riches prennent leurs vacances.

Cette campagne signifiait pour nous qu’il y aurait un certain nombre d’actions… de 50 à 100, qui dégageraient une opinion publique progressiste : l’idée de l’opposition de classes pendant les vacances.

Le jeu du gouvernement a été, à la fin de ces vacances, de dire :  » Au fond, il y a peu de chose, donc ils ont lancé un mot d’ordre qu’ils n’ont pas réussi à matérialiser. « 

On voit la complexité : du point de vue de notre objectif, on ne peut pas dire que c’est un échec puisqu’on ne prévoyait pag plus, mais on n’a pas réussi à contrer la manipulation du gouvernement et ça, c’est l’aspect d’échec.

Là, on a eu un autre exemple après la rentrée, avec le mot d’ordre :  » Tous dans la rue pour le procès Geismar. « 

On voit que lorsqu’on appelle à une manifestation pour mobiliser, on est obligé de s’adresser à tous, donc on a spontanément tendance à dire :  » Tous dans la rue « ; mais il faut justement, à la lumière de l’expérience, résister à la tendance spontanée que l’on a parce que l’on sait que le gouvernement pourra l’utiliser pour hausser les enchères et dire s’il n’y a que deux-trois mille manifestants :  » Ah, voici deux-trois mille manifestants, il y a quarante millions de Français. « 

On en tire la leçon positive qu’en aucun cas les mots d’ordre des campagnes ne doivent prêter à des possibilités de manipulation de gouvernement, que le caractère réaliste du mot d’ordre doit être inhérent dans la définition.

Il faut expliquer maintenant ce qui en gros va couvrir l’explication de l’année écoulée (70-71).

La Gauche Prolétarienne, avant sa dissolution, traduisait la volonté d’action des noyaux de gauche dans la jeunesse intellectuelle et dans les grandes usines, et aussi sous une forme plus lâche, chez les paysans, chez les petits commerçants.

Dans l’orientation et la pratique de la Gauche Prolétarienne, il y avait une correspondance avec ce que voulaient immédiatement ces petits noyaux de gauche, ce qui a permis sa progression très rapide.

Quand ces noyaux de gauche et par là même, la Gauche Prolétarienne, ont commencé avec ces idées, à transformer la réalité, quand le gouvernement a réagi et donc mis en place de nouvelles formes de répression, il s’est posé pour les noyaux de gauche et pour la G.P. la question :  » Comment faire pour briser la répression?  » ce qui veut dire :  » Quels sont nos points faibles visés par la répression et donc quels sont les points qu’il nous faut corriger pour résister à cette répression? « 

On a vu tout de suite que la réponse fondamentale c’était : élargir les pratiques qui faisaient participer cette petite minorité de gauche, de telle manière que des couches plus larges dans les usines puissent y reconnaître leurs préoccupations et donc participer.

Très vite, on a vu qu’il fallait élargir la pratique dite de ce résistance « , la faire passer du stade des actions impulsées par les petits noyaux de gauche à des actions entraînant une autre fraction des masses : celles qui auparavant sympathisaient ou se posaient des questions sur les actions des petites minorités de gauche sans intervenir directement.

Ça a été le thème de cette fin d’année 70-71 : élargir la résistance.

Comment élargir la résistance? On avait construit un instrument, la G.P., adapté à une mobilisation des noyaux de gauche.

Pour ce élargir la résistance « , on ne pouvait pas le faire en élargissant la Gauche Prolétarienne. Il fallait donc détruire un instrument qui avait été adapté avant, pour construire un nouvel instrument.

C’est un processus très complexe.

Il ne s’agissait pas de se disperser à tous les vents, en se disant :  » Maintenant, on doit penser plus large. « 

On n’aurait jamais eu la capacité de coordonner les initiatives et les expériences nouvelles qu’on commençait à accumuler en une orientation de travail commune pour tous les noyaux de gauche, dans toutes les régions, si on avait, au sens strict, tout détruit.

Il fallait donc qu’on garde un minimum de l’ancien instrument idéologique, politique et organisationnel et qu’à partir de ce minimum, on expérimente et systématise des choses nouvelles, puis qu’à partir de là on construise, pas après pas, le nouvel instrument.

Cela ne se fait pas sans lutte de classes intense.

Je précise tout de suite qu’il n’est pas fréquent de parler de lutte de classes à l’intérieur d’une organisation communiste.

Pour pas mal de gens, le modèle est le P.C.F. et quand on parle de lutte à l’intérieur du P.C.F., il s’agit nécessairement de luttes entre cliques ou entre fractions.

Pour nous, la lutte de classes est la réaction la plus saine qui soit, le moteur du développement d’une organisation communiste. La forme que la lutte des classes revêtait, chez nous, n’était pas une constitution de tendances, ou de fractions, c’était la lutte entre les idées anciennes et les idées nouvelles.

Chaque unité militante avait affaire à un problème nouveau, se trouvait face à un début d’expérience, avait des réactions différentes.

Il fallait que ces réactions s’affrontent et que le nouveau triomphe de l’ancien.

Ça ne va pas tout seul. Il faut constamment mener une lutte idéologique dans chaque unité militante pour que soit discerné ce qui est nouveau et utile et ce qui est la conservation de l’ancien : la routine.

L’objectif d’ensemble du nouvel instrument a été donné : les militants de la G.P., qui avaient été comme un poing refermé, devaient s’ouvrir et se disperser dans les différentes couches contestatrices pour essayer de traduire idéologiquement et dans des formes d’organisations à caractère de masse, les aspirations de chacune des couches contestatrices.

Avant, il y avait la Gauche Prolétarienne qui intervenait dans les différentes couches, maintenant, il fallait qu’il y ait dans chaque couche, une organisation à caractère de masse qui s’édifie.

Il y a eu des formes d’organisations dans les banlieues de la région parisienne, – puisque nous nous sommes toujours portés sur les banlieues – qu’on appelait le ce détachement de banlieue  » qui pouvait travailler sur une usine, soit passer d’une usine à une cité.

C’était le groupe de base.

Maintenant il fallait qu’une partie de ce groupe de militants travaillent directement à l’intérieur de l’usine pour aider à l’organisation de groupes à l’intérieur de l’usine.

Une autre partie des militants du détachement travaillant dans le mouvement de la jeunesse de la zone en question avaient pour tâche de développer le mouvement de masse de la jeunesse.

Une autre partie devait travailler sur toutes les organisations démocratiques populaires qui peuvent être créées dans la zone, comme le Secours Rouge et à partir du Secours Rouge, toutes sortes d’organisations populaires fondées sur les expulsions, le prix de l’eau, etc.

Dans le Nord, par exemple, l’organisation des femmes de mineurs ou l’association des silicoses, etc.

Les militants qui, avant, étaient regroupés et qui ensemble allaient dans les différentes directions, éclatent maintenant entre les différentes composantes du mouvement populaire sur une zone, et ont pour tâche, dans chacune de ces fractions du mouvement populaire, de stimuler les organisations de masse autonomes.

Quand ce travail a porté ses fruits, quand un réel travail de masse est engagé dans l’usine principale de la zone, dans les cités de la zone, dans le mouvement de jeunesse de cette zone, on unifie les leaders les plus actifs de ces trois mouvements de masse dans des formes d’organisations à caractère de parti qui sont les Comités de base de l’organisation qui va naître de la destruction de la G.P.

II y a eu pas mal d’organisations de Front démocratique à caractère de masses que nous avons aidé à créer.

La plus importante par rapport à ses objectifs est le Secours Rouge. L’idée est née avant l’été 70 : l’idée, le plan d’édification et la naissance du comité d’initiative. Mais le Secours Rouge de base a commencé à se créer pendant l’été.

En fait la percée du Secours Rouge date de Burgos et du tribunal de Lens. Dans le cadre nouveau, il y a eu aussi, à la rentrée, le projet de  » J’accuse « , comme journal d’alliance entre les militants issus de la Gauche Prolétarienne et ceux qui s’étaient regroupés pour la défense de La Cause du peuple, essentiellement ce les Amis de la Cause du peuple « .

D’ailleurs,  » les Amis de la Cause du peuple  » a été aussi une organisation de masse : pas nombreuse mais extrêmement efficace, puisqu’elle a rempli les objectifs qu’elle s’était fixés.

C’était vraiment un modèle d’organisation de masse avec une orientation, des dirigeants reconnus et représentatifs et des objectifs qu’elle a atteints.

A cette mentalité nouvelle, à ces pratiques nouvelles, il y a eu résistance de l’ancien, des pratiques et des mentalités anciennes.

A l’heure actuelle, fin 71, ce n’est même pas encore extrêmement résolu dans tous les esprits. J

e précise que l’on peut, chez nous, critiquer avec violence un camarade pour telle ou telle, idée, ou telle ou telle pratique mais il n’est pas pour autant ni exclu ni déchu de ses fonctions s’il a des fonctions de responsabilité, c’est vraiment la lutte idéologique.

Cette lutte idéologique extrêmement intense ne reflétait strictement aucun désaccord politique de fond, a fortiori aucune constitution de fractions.

Si j’insiste tellement, c’est qu’à la rentrée 71, semble-t-il, les journaux bourgeois ont eu vent qu’on avait engagé un mouvement de rectification et ils l’ont traduit à leur manière par une crise au sein des maoïstes, des dissensions, des tendances, etc.

Au contraire, on n’est jamais mieux unis que quand on lutte.

A part l’exclusion de l’élément provocateur Fofana, il n’y a eu aucune exclusion.

Il y a eu bien sûr des repliements partout, des camarades qui changent d’affectation, des responsables qui reviennent à la base; il y a évidemment toute une série de changements mais ça se fait précisément à mesure que progresse l’unité.

– Les militants avaient tendance à considérer le travail auprès des démocrates comme droitier…

VICTOR. – Oui, les idées erronées dans la phase nouvelle se sont manifestées dans la séparation entre le travail révolutionnaire, et le travail ce démocratique « , essentiellement conçu comme un rassemblement d’intellectuels, avocats, médecins, journalistes, etc., autour des maos.

On a mené une série de luttes idéologiques parties d’expériences de campagnes.

Les camarades ont eu des rapports avec ceux qui étaient appelés des ce démocrates  » et à partir de ces luttes on a réussi à s’éclair-cir les idées.

Nous pensons qu’il y a des démocrates bourgeois. Ce sont les démocrates attachés aux principes de la démocratie bourgeoise, c’est-à-dire aussi bien à la défense des libertés fondamentales qu’au respect des institutions, à tout le moins au respect de la légalité. Avec eux, on peut faire des alliances dans certaines conditions déterminées.

Par exemple, au moment de la lutte contre les saisies de La Cause du peuple, on pouvait parfaitement trouver progressiste que le directeur du Monde fasse un éditorial dans Le Monde pour s’élever contre cette atteinte à la liberté d’expression. Même en termes extrêmement voilés, c’était positif.

Mais le directeur du Monde n’a jamais caché qu’il soutenait la légalité dite républicaine et même le gouvernement, puisque plusieurs fois il l’a soutenu. Ces démocrates bourgeois sont des alliés indirects, des alliés secondaires comme disent les Chinois.

Dans certaines conjonctures, on peut, sur un objectif déterminé, faire une alliance avec eux. Sur tous les autres points, il y a évidemment un fossé.

Pour les autres, ceux que plus généralement on appelle les démocrates, ou les amis, ou les progressistes, leurs caractéristiques objectives font qu’ils luttent pour la démocratie mais pour une démocratie nouvelle par rapport au système démocratique ancien, au système démocratique bourgeois.

En particulier qu’ils s’opposent à la légalité. Dans le développement du Front Démocratique, même les actes initiateurs sont des actes profondément illégaux, des actes éminemment subversifs.

La diffusion de La Cause du peuple par Sartre et tout le mouvement démocratique qui s’en est suivi présente toujours la même caractéristique : il rompt avec le système légal en un point de ce système; pas forcément sur tous les points, pas nécessairement avec des formes violentes ouvertes.

Ces démocrates illégalistes démontrent d’eux-mêmes qu’ils sont des démocrates d’un type nouveau puisque le démocrate bourgeois, le démocrate de type ancien, est un démocrate qui respecte la légalité.

Ceci est fondamentalement nouveau, et fondamentalement subversif dans la situation française actuelle.

– Même les policiers parlent de sortir de la légalité.

VICTOR. – Exactement. La grande démocratie est un processus historique qui a connu son avènement avec la Révolution française; c’est essentiellement la conquête des libertés fondamentales.

Cela dit, la démocratie a un caractère de classe : selon les époques elle change de contenu.

En France, en 1789, la classe qui devait diriger, parce que c’était la seule qui avait les moyens historiques, était la classe bourgeoise.

Par ses intérêts de classe, elle a donc marqué de son empreinte la démocratie.

Elle a simplement associé à l’idée des libertés conquises par les émeutes populaires, son propre système de représentation politique. La démocratie bourgeoise née avec la Révolution française a donné naissance à une pensée démocratique qui est éminemment contradictoire.

C’est-à-dire qu’il y a un élément de cette pensée qui est la théorie des libertés.

Mais il faut bien voir que cet élément-là n’est pas bourgeois, il a été conquis par un mouvement populaire.

Et l’autre élément de la pensée démocratique c’est son système de représentation, ses lois, son mode électoral, çac’est à elle.

Et la meilleure preuve qui montre que la pensée démocratique c’est l’unité de ces deux éléments, et une unité contradictoire, c’est que chaque fois qu’il y a eu un mouvement populaire qui remettait en question les intérêts de classe de la bourgeoisie, donc en partie son système de représentation (toutes les révolutions du XIXème siècle), la première chose que la bourgeoisie faisait, c’était de violer les libertés, ce qui montre bien que pour elle ce qui est fondamental dans la pensée démocratique, ce qui est primordial, ce n’est pas du tout les libertés, c’est son système de représentation, c’est-à-dire ses intérêts de classe.

Alors ce qui est pour nous, nouveau dans la situation française actuelle, et c’est ça qu’on doit développer et renforcer, c’est l’idée que les libertés n’appartiennent pas du tout à la bourgeoisie, que ce qui lui appartient c’est son système représentatif, ça on les lui donne, les institutions de la Ve, institutions de la IVe aussi on les lui laisse si elle les veut encore, et leur fond, c’est-à-dire le système représentatif, électoral, parlementaire ou alors parlementaire dégénéré, c’est-à-dire parlementaire technocratique de la Ve république, tout ça, on les lui abandonne à la bourgeoisie.

Mais ce qu’on leur reprend, parce que ça ça nous appartient, c’est les libertés.

Alors ça devient quoi notre démocratie à nous?

Ça devient les libertés, avec un nouveau système de représentation politique, celui qu’on appelle, depuis Mai 68, la  » démocratie directe  » qui convient aux masses populaires, qui permet d’avoir une représentation directe, contrôlable, révocable à tout moment, le bon vieux principe de la révolution, alors elle, populaire, prolétarienne.

Les démocrates qui luttent pour les libertés mais qui luttent aussi pour ce nouveau système de représentation politique pour les masses, sont donc des démocrates de type nouveau.

Il est donc exclu qu’on dise d’un côté, les révolutionnaires et de l’autre, les démocrates.

Il y a d’un côté les révolutionnaires prolétariens qui ont un système idéologique de travail politique complet avec une certaine cohérence, qui sont animés d’une certaine discipline y compris dans le domaine de l’organisation et il y a des démocrates révolutionnaires, qui peuvent faire un travail parfois supérieur à celui de certains révolutionnaires prolétariens.

Cet embarras terminologique (sur le terme  » démocrate « ) a engendré beaucoup de monstres : le démocrate venu à la pratique de masses illégalistes, à partir de la défense des libertés, pouvait être cent fois plus actif, cent fois plus ingénieux, avoir des idées cent fois plus justes, le mao s’estimait quand même cent fois supérieur à lui puisque lui était un  » révolutionnaire « , et l’autre un  » démocrate « , sous-entendu la classe en dessous d’un révolutionnaire.

Le terme ce démocrate « , outre qu’il a été chargé de pas mal d’équivoques, dans la situation française, n’est pas suffisamment explicite, puisque le P.C.F. se prétend démocrate et prétend lutter pour la démocratie.

Il y a une difficulté dans la terminologie politique qu’on n’a pas encore résolue.

– Pendant cette période, que se passe-t-il, dans les usines ? Les comités de lutte.

VICTOR. – La grande vague de séquestration déferle indépendamment de l’intervention immédiate tactique des maos, c’est incontestable et nous paraît positif : cela montre la correspondance entre les idées nées de la pratique des niasses et ce qu’on essaye de systématiser, mais il ne faut pas passer sous silence une expérience aussi cruciale que la « Grande Lessive  » à Nantes-Batignolles, où notre intervention a été autre qu’idéologique et qui nous a énormément marqués, puisque là le déclenchement idéologique et pratique est le fruit du travail de mobilisation (pas uniquement, il y a les lois propres de mobilisation des masses), mais notre travail amène quand même à une forme de lutte extraordinaire qui a marqué la situation française.

Comment la suite a échappé à l’intervention active des noyaux maos est aussi une expérience intéressante qui nous a permis de tirer pas mal de règles utiles par la suite.

En particulier, au moment de l’offensive de printemps chez les métallos.

– Est-ce possible de définir les règles d’une manière concise ?

VICTOR. – On vient de donner à imprimer une brochure : Vingt-cinq règles de travail en usine, qui représente une cinquantaine de pages!

Il vaut mieux essayer de voir les choses dans l’ensemble.

Le jugement d’ensemble qu’on porte sur cette période, jusqu’au printemps 71, c’est qu’il y a eu/très nettement deux voies :

1. L’une qui pousse vers l’avant, vers la réalisation de l’objecif : réunifier les noyaux maos capables d’impulser de nouvelles organisations de masse et créer ces organisations.

2. L’autre qui tire vers l’arrière.

C’est ce qui dégage l’incertitude de la pratique de l’ex-Gauche Prolétarienne, vue même de l’extérieur.

On ne l’a compris qu’au sortir du printemps 71, quand on a pu faire le bilan de nos capacités d’intervention devant l’initiative prise, essentiellement, par les métallos [Grève des OS du Mans puis de toute la Régie Renault pendant 5 semaines].

Le courant qui allait en avant était celui qui, dans les usines, faisait progresser la création des  » comités de lutte  » et des formes nouvelles de pratique violente à caractère de masse dans les ateliers, ce qu’on a appelé à partir de Boulogne-Billancourt les  » G.O.A.F.  » (Groupes Ouvriers Anti-Flics) qui sont la force protectrice face à la répression des masses ouvrières.

C’est l’aspect le plus important du courant nouveau, mais il y a eu des freins un peu partout, des tendances de courant ancien, à dire :  » Bon, la situation devient compliquée, on ne peut plus faire comme avant « , et au lieu de conquérir des terrains nouveaux et d’affronter une situation compliquée et nouvelle, on a fait du surplace : le travail de masse s’est sclérosé et les initiatives de lutte avec un certain degré de violence se sont rétrécies considérablement.

Ces deux caractéristiques :

– sclérose du travail de masse,

– perte progressive de l’initiative dans les luttes sont des
caractéristiques de droite, ce qu’on appelle les ce tendances opportunistes de droite « .

Sur plusieurs grandes bases d’usine, les camarades auraient pu aider l’offensive ouvrière, et ils ne l’ont pas fait.

C’est la définition même de l’opportunisme de droite : être en arrière par rapport au mouvement de masse.

Quand on en a pris conscience, on a décidé un mouvement de rectification, qui a démarré au mois de juin, qui est loin d’être encore terminé (octobre 71).

Il s’appelle ce Mouvement d’assainissement idéologique, de critique politique de la droite et de préparatif de la rentrée populaire « .

Pour que le sens de ce mouvement de rectification soit clair, je prends un exemple, le plus avancé, le plus significatif : celui de Lyon.

Lyon est une grande région où les tendances de droite s’étaient développées l’an dernier (70-71).

Comme toujours les tendances de droite se localisent d’abord et avant tout dans les usines, et particulièrement dans les usines où la répression est la plus dure : les usines de type fasciste, de type Citroën, ce qui est le cas de l’usine Brandt.

Les camarades se concentrent donc sur cette usine pour « rectifier « .

Grande mobilisation idéologique des camarades sur le thème:  » Faut liquider tout ce qui a été droitier, faut retrouver la grande inspiration et on fonce. « 

Très vite, de fait, il y a des résultats dans le travail de masse.

Différentes initiatives sont prises par rapport au licenciement d’un groupe d’ouvriers à la veille des vacances, sous forme de lutte de masse dans deux ateliers et d’une série de sabotages. Là, se produit l’emballement.

Les camarades veulent précipiter les événements.

La tête leur tourne.

Ils oublient toutes les choses nouvelles apprises depuis la dissolution de la G.P., à savoir le lien indispensable avec les larges masses, la nécessité d’assurer toujours ses arrières : ils organisent un sabotage qui n’est pas à la portée des masses, pas du tout comme les petits sabotages qui encouragent l’initiative.

Un sabotage qui devait être organisé par un petit groupe, et arrêter plusieurs chaînes.

Ce sabotage devait être réalisé selon des règles extrêmement strictes puisqu’il se situait à l’intérieur de l’usine mais pas sous le contrôle direct des masses; il fallait le préparer, même militairement.

Or, dans l’atmosphère idéologique d’emballement, tous ces préparatifs ne sont pas minutieusement pris en main.

Quand le sabotage se fait, il est au-dessus du niveau de conscience des masses et préparé dans ces conditions de précipitation, on ne peut pas éviter qu’il y ait une répression très rapide, et que des ouvriers soient piqués.

On voit, à ce moment, que la seule critique du travail groupusculaire ne suffit pas.

Critiquer la droite ne veut pas dire retourner à la vieille Gauche Prolétarienne.

Critiquer la droite, c’est aussi critiquer l’ancien, quelque chose qui est purement gauchiste.

Critiquer la droite ne signifie pas simplement faire des actions violentes, ce qui nous ramènerait à l’ancien; et comme l’ancien n’est pas conforme à la situation actuelle, ce serait aussi mauvais.

Grâce à l’expérience chinoise et aux camarades qui sont rentrés de Chine, on comprend que les positions de droite et les positions gauchistes, c’est du pareil au même, c’est aussi dangereux.

Ce n’est pas mieux d’être gauchiste que d’être droitier, il faut lutter sur les deux fronts.

D’où, après mobilisation sur le thème :  » Faut liquider le courant droitier « , autre phase sur le thème :  » Attention, on liquide le courant droitier mais on ne tolère pas qu’il y ait des courants gauchistes qui reviennent. « 

D’où les camarades comprennent qu’il faut se mettre à la hauteur de la situation, qu’on ne peut pas faire l’économie de la réflexion ni de l’analyse du point de vue des larges masses qui n’est pas le même à Lyon ou à Renault-Billancourt.

Après cette erreur, les camarades s’accrochent et commencent la rectification de manière extrêmement énergique.

Au lieu de sanctionner l’erreur, par exemple, en quittant la boîte – la répression était telle qu’ils auraient pu se barrer, quitter Lyon aussi pourquoi pas?

Il y a d’autres villes industrielles -, ce qui aurait été une liquidation catastrophique, ils décident de remonter le courant.

Pas passivement, mais en contre-attaquant.

Ils préparent le procès de Brandt, le transforment évidemment en procès populaire contre le directeur de l’usine et mettent au point des méthodes de travail de masse remarquables, tant du point de vue des ouvriers à qui il fallait redonner confiance par de petites initiatives prudentes et progressives qu’à l’extérieur, dans le quartier, qu’avec les amis démocrates.

Forcément, quand on est gauchiste dans une usine, on est aussi gauchiste avec les amis démocrates, gauchiste dans le Secours Rouge.

Il fallait donc rectifier là aussi, convaincre tout le monde dans l’usine, dans le quartier autour de l’usine, tous les amis lyonnais regroupés dans le Secours Rouge, faire un travail politique sans précédent.

Et ils l’ont fait, en écoutant toutes les questions, en répondant à toutes les demandes d’explications, pendant plus d’un mois, et les résultats sont très bons.

C’est la première fois que le jour du procès dont la date est annoncée par la bourgeoisie, seulement cinq jours à l’avance, il y a un débrayage, de 100 à 150 ouvriers à l’intérieur de l’usine, pendant le temps de l’audience.

(Le premier procès parce qu’après, il y a eu ajournement.)

Et le verdict du procès est une victoire : deux mois avec sursis.

Pour nous, c’est la preuve que le mouvement de rectification va dans le bon sens.

Le mouvement de rectification n’est pas terminé.

On a fait un gros effort dans notre travail politique, pour étendre les leçons tirées de Billancourt; les camarades de Billancourt sont allés faire des causeries, des échanges d’expériences avec les ouvriers d’autres boîtes pour faire passer les idées les plus avancées qu’ils avaient acquises.

On a réuni les représentants des grandes bases d’usine pour que la lutte contre la tendance de droite conduise au resserrement des liens entre les bases d’usine et à la progression de l’initiative à l’intérieur des bases d’usine, tout en ne négligeant pas les autres organisations de masse, mais incontestablement en mettant l’accent principal sur les bases d’usine.

Cela aurait été facile pour nous, à la rentrée, de faire quelques coups.

II y en avait même de très simples à faire sur les poli-ciers, sur les représailles à l’attentat contre Christian Riss, etc.

Organiser des coups, des actions qui fassent parler, n’est pas un problème : si nous ne le faisons pas, c’est un choix qui renvoie à une certaine conception de la progression de notre travail politique.

On s’est refusé à faire différentes campagnes, par exemple Rives-Henrys.

Il n’y a aucune objection de fond, c’est populaire de faire des actions sur le logement, sur les crapules de l’immobilier, mais comme ça ne correspond pas à un développement bien enraciné de notre travail politique, on le refuse pour le moment.

– Ce qui fait dire :  » Les maoïstes sont dans le creux de la vague… « 

VICTOR. – S’il y a eu  » creux de la vague « , c’était en fait à des moments où on faisait parler de nous.

Par exemple janvier-février avec la campagne sur les emprisonnés, Guiot, etc.

Il y a même eu pas mal d’actions assez spectaculaires dans le cadre de la campagne sur la grève de la faim mais c’était précisément là qu’on était dans le creux de la vague, mais le moment de la lutte la plus aiguë entre l’ancien et le nouveau, ne se voit pas de l’extérieur.

Maintenant il n’y a plus de page  » Agitation  » dans Le Monde et c’est pourtant en ce moment que les actions’les plus importantes sont en train de se faire.

–  » Que la contestation latente se transforme en forme matérielle organisée, pour ne pas être récupérée par la bourgeoisie… « 

VICTOR. – Entendons-nous sur :  » récupérée « .  » Récupérée  » par les partis de gauche, comme dit Jean Daniel [DIrecteur du « Nouvel Observateur »], pas un seul instant.

Récupérée par la bourgeoisie parce qu’il y a un certain découragement dans les masses, une paralysie parce qu’on n’a pas envie de revenir aux formes traditionnelles et qu’on ne voit pas les formes nouvelles, ça oui.

Mais le danger de récupération par les partis de gauche en France, est nul. Si on prend l’exemple des transports, les partis de gauche gagnent un point. Ils font, en plein mois d’août, une manifestation d’usagers. Bon. Mais ils reperdent tout avec la grève [d’une semaine] du métro, en octobre.

Qu’ont-ils récupéré sur le métro? Zéro, parce que s’ils parlent dans les prochaines manifestations, de l’unité des agents de la R.A.T.P. et des usagers, ils vont faire rire.

En Italie, la récupération par les syndicats a un certain sens. Chez nous, c’est une récupération passive : les syndicats exploitent nos erreurs uniquement parce que la force qu’ils auraient à combattre en face d’eux ne s’organise pas.

Le problème est de savoir à quelle étape on en est de la construction de cette force matérielle. De la construction du parti.

– Qu’est-ce qui différenciera ce parti?

VICTOR. – II sera lié aux masses.

– Mois tous les partis s’imaginent qu’ils sont liés aux masses!

VICTOR. – Oui, mais justement, nous, on veut des critères objectifs de liaison avec les masses. De fait, on aurait pu s’appeler : ce parti  » quand on était la G.P. mais on savait qu’on avait un rapport seulement avec une fraction limitée et déterminée des masses.

C’était un rapport avec des noyaux de la Gauche ouvrière dans certaines grandes usines, ou de la Gauche étudiante ou lycéenne.

Et on ne pense pas que ça suffise pour faire apparaître un parti qui ne soit pas un sigle, un parti qui soit réellement un instrument dans lequel les masses ouvrières, principalement, se reconnaissent, aient confiance.

Surtout qu’elles sortent d’une longue période où elles ont été écrasées par le parti en qui elles ont eu confiance.

Elles ne vont pas redonner cette confiance n’importe comment.

– Comment comptez-vous la gagner?

VICTOR. – En d’autres termes : quand est-ce qu’on pense qu’on peut construire le parti?

Très précisément quand on aura fait la preuve dans certaines grandes usines stratégiques qu’on est capables d’être un noyau dirigeant effectif de mouvement de masse, autonome par rapport à la C.G.T., alors les conditions principales de la construction du parti seront réunies.

Il y en a d’autres : une ossature de cadres liés aux masses.

Ces deux conditions doivent être liées : pour que l’on ait cette ossature de cadres liés aux masses, il faut précisément que l’on ait réussi à créer cet embryon d’organisation de niasse dans certaines usines considérées comme stratégiques.

– Où en êtes-vous par rapport à cet objectif?

VICTOR. – On a créé les germes effectifs d’une organisation de masse autonome, mais c’est la pratique qui doit trancher.

Il n’y a pas encore d’exemple de mouvement de masse conduit pendant tout son développement, selon les méthodes entièrement nouvelles et autonomes par rapport à la C.G.T.

Il y a des exemples d’autonomie partielle réalisés dans des boîtes importantes.

L’exemple le plus important étant le mouvement du 22 janvier chez Renault [le mouvement des cinq semaines de grève], mais ça ne suffit pas.

L’autonomie n’est encore que partielle, elle n’a pas couvert l’usine, elle n’est pas l’occasion d’un mouvement d’ensemble. De plus, c’est un mouvement bref au cours duquel les embryons de cadres de niasses ne se sont pas éprouvés assez longtemps.

Ils n’ont pas eu à répondre à toutes les questions que pose un mouvement de masses sur un temps suffisamment long. Il faut cette expérience-là pour éprouver les cadres et les organisations.

Et par là même pour gagner une confiance solide, pas simplement idéologique.

– Ces mouvements de masses se reconnaissent-ils comme maoïstes ?

VICTOR. – II faut analyser cas par cas.

Dans le cas de Batignolles, l’initiative de départ est très fortement préparée et travaillée par l’activité du noyau mao.

Mais le développement du mouvement, les suites de la grande lessive, après la contre-offensive du gouvernement, du patronat et du syndicat, a complètement échappé aux initiatives de ce noyau mao et de la fraction des masses qui aurait été prête à se dégager de la tutelle syndicale. Ce qui est la preuve, dans le cas des Batignolles, que la force autonome n’est pas encore suffisamment mûre.

Dans le cas de Férodo, c’est un mouvement totalement autonome; il n’y avait pas de travail antérieur d’un groupe prolétarien qui aurait préparé par exemple la séquestration.

Si on considère le nombre de mouvements de masses, du type spontané d’une part et d’autre part, les mouvements
dans lesquels des noyaux de gauche prolétariens ont travaillé, on tire la conclusion que nous n’en sommes pas encore au stade où on peut prétendre avoir créé l’embryon d’une ossature d’organisation de masses autonome dans les usines les plus importantes.

Pourquoi? Parce qu’il y a énormément de mouvements autonomes où les camarades n’ont pas été présents, ou bien n’ont pas fait un travail conséquent.

Dans le cas où les camarades ont fait ce travail, il n’a pas encore la maturité suffisante.

Le bilan, c’est que si nous pensons disposer d’un certain nombre d’armes pour aider à la création de cette force autonome, nous pensons que nous n’en sommes pas encore au stade où on peut dire qu’elle a été créée.

Or, c’est la condition décisive pour la construction d’un parti nouveau.

– Sur quel modèle sera ce parti ?

VICTOR. – Le parti sera-t-il régi par le centralisme démocratique? Il faut savoir ce qu’on entend par là.

Si on prend l’interprétation de Marchais, on a un parti qui fonctionne à partir d’une ligne politique fixée par le bureau politique de ce parti (dans le cas de Marchais, c’est une politique qui n’est même pas fixée par le bureau politique du P.C.F. mais par Moscou), et la manière de faire adopter cette politique est de la proposer à toutes les organisations du parti qui en discutent et se trouvent d’accord, plus ou moins, à l’unanimité.

C’est l’image du centralisme démocratique en France. Image très repoussante puisque si on voit bien ce qu’il y a de centralisé, on ne voit pas ce qui vient de la base, non seulement de la base militante mais des masses elles-mêmes. La ligne est fixée d’en haut et on l’applique.

Ça donne le monolithisme qui permet de toujours trouver un moyen pour exclure démocratiquement, c’est-à-dire en respectant les règles, quelqu’un qui n’est pas d’accord.

Tous ceux qui ont tenté de s’opposer à la ligne officielle du parti, se sont trouvés éliminés du parti.

Ça, c’est une conception caricaturale du centralisme démocratique, qui s’appuie à la lettre sur les thèses de Lénine, mais ce n’est pas difficile de démontrer que ça en dénature l’esprit.

Pour dire les choses le plus clairement du monde, nous pensons que, de toute façon, l’interprétation vivante, pas caricaturale des thèses de Lénine, est insuffisante à notre époque.

On est à une époque différente, on a eu toute l’expérience de la dégénérescence de la IIIe Internationale, et on ne peut pas faire comme si toute cette époque historique n’avait pas existé.

Heureusement pour nous, il y a eu un parti communiste dans le monde qui a fait le bilan de cette expérience dans ses grands traits, c’est le parti communiste chinois.

Il ne s’est pas contenté d’écrire des textes contre l’Union soviétique ou contre l’interprétation qu’en faisait le parti communiste, pour démontrer que l’Union soviétique révisait ou dénaturait les principes de Lénine.

Il a fait autre chose : il a résolu dans la pratique les problèmes que la IIIe Internationale avait laissés en suspens, il a fait la Révolution culturelle et de la Révolution culturelle présente une interprétation toute nouvelle des partis politiques.

Lorsque nous disons : on veut créer un parti politique nouveau, cela veut dire : on veut créer un parti politique de l’époque de la Révolution culturelle.

Est-ce que cela signifie que l’on abandonne le principe du centralisme démocratique? A dire vrai : pas du tout – mais le contenu du centralisme démocratique est tout à fait différent de ce que croit Marchais et d’autre part développe ce qu’écrivait Lénine.

En quoi? Grosso modo, la base de cette conception nouvelle, c’est l’idée selon laquelle les idées justes viennent de la pratique des masses.

A l’époque de Lénine, cette conception n’était pas évidente. Les partis qui ont été formés à l’époque de Lénine avaient une conception philosophique différente.

Le rôle des intellectuels porteurs des connaissances sur la société était différent du rôle qu’on assigne aux intellectuels à notre époque.

Lénine, dans son texte qui présente les principes du centralisme démocratique, disait – je schématise – que les intellectuels apportaient la science, et que la classe ouvrière apportait la pratique et qu’il fallait qu’il y ait fusion de cette science produite à l’extérieur de la masse ouvrière, du mouvement ouvrier, avec l’expérience pratique de la classe ouvrière. Cette conception est démentie par la vie.

Quand Mao Tsé-toung dit :  » les idées justes viennent de la pratique sociale « , c’est différent de ce que Lénine avait pensé à l’époque précédente.

Cela a des répercussions directes, décisives, sur la construction du parti et il faut entendre d’une autre manière la centralisation.

La centralisation devient la centralisation des idées justes qui viennent de la pratique des masses.

D’où le rapport d’organisation entre le centralisme et la démocratie est modifié.

Il y a nécessairement si on veut avoir une orientation correcte, c’est-à-dire centraliser les idées justes, à se mettre avant tout à l’école de la pratique des masses.

Pour présenter les choses de la manière la plus claire qui soit, l’exigence d’écoute directe des masses est beaucoup plus forte que dans la conception léniniste.

Un maoïste conséquent sait qu’il ne pourra pas avoir d’orientation juste, d’idées justes sur les rapports entre les forces de classe si ces idées ne viennent pas du bilan de l’expérience des niasses.

A l’époque de Lénine, on pensait avoir des idées justes sur la paysannerie russe, en faisant un énorme travail théorique de la situation du développement du capitalisme dans l’agriculture.

Le parti bolchevik est certainement le parti qui a le plus écrit sur l’agriculture, il y a un nombre impressionnant de travaux de Lénine sur l’agriculture, et pourtant avant 1917 le parti bolchevik était très peu implanté dans la paysannerie.

Il y avait beaucoup de textes et très peu de pratique.

Ce qui explique en particulier qu’en 17, quand le mouvement paysan a pris son essor, Lénine, qui était un prodigieux homme politique prolétarien, a oublié certains des textes écrits et s’est emparé tout de suite des revendications nouvelles, quitte à paraître aux yeux des intellectuels qui ne voyaient que les livres comme quelqu’un qui avait renié ses ouvrages antérieurs.

– L’  » écoute « , depuis quand cette notion existe-t-elle en politique ?

VICTOR. – Systématiquement, c’est la philosophie de notre travail – cela vient de Mao Tsé-toung.

Il ne faut pas qu’il y ait un malentendu, je ne dis pas que Lénine n’écoutait pas les masses russes.

Il était intégré dans la classe ouvrière russe et il l’a montré, mais les thèses philosophiques de départ, la base de la construction du parti bolchevik, donnaient à la connaissance venue de l’extérieur du mouvement des masses, une importance qu’elle n’a pas à l’époque actuelle.

Cela a eu énormément de conséquence sur le développement du parti bolchevik, surtout au moment où il a pris le pouvoir.

Pour la formation de la nouvelle classe bourgeoise, certaines des idées du parti bolchevik sur le rôle des intellectuels ont été négatives.

Évidemment, le centralisme démocratique n’est que le point de départ mais s’il n’y a pas ce point de départ, il n’y a pas d’authentique parti prolétarien, il faut le dissoudre, le détruire, scissionner, pas que ça dure, c’est mauvais.

A partir de là, si l’orientation du parti est fixée selon ce principe – partir du mouvement de masses – systématiser l’expérience des masses – il y a des règles de fonctionnement du parti : soumission des groupes de bases aux instances supérieures, respect de la discipline.

Mais c’est une discipline consciente : tout militant qui, à partir de sa pratique de masse, se trouve en désaccord avec l’orientation peut et doit marquer son désaccord à l’intérieur de son unité de base, faire appel aux instances supérieures.

Dans les statuts du P.C. chinois depuis la Révolution culturelle, un des articles précise que tout militant du P.C. communiste peut faire appel au président du Comité central.

– Et on l’écoutera?

VICTOR. – C’est dans les statuts… C’est publié dans les statuts.

– Cela appelle des réajustements continuels ?

VICTOR. – Continuels.

Il faut continuellement provoquer des crises à l’intérieur du parti.

Je m’explique : dès qu’un parti ne connaît plus la lutte, c’est un parti dégénéré.

S’il n’y a plus de lutte dans le parti ça veut dire qu’il est mort, qu’il est du côté de la bourgeoisie.

– Qu’appelles-tu une idée juste ? Par définition, les masses ne se tromperaient jamais ?

VICTOR. – Le courant principal du mouvement de masses est toujours raisonnable. C’est notre base philosophique.

– Il ne lui arrive jamais de se tromper, par exemple d’être défaitiste? De renoncer à la lutte?

VICTOR. – Ce n’est pas le courant principal d’un mouvement de masse.

On ne dit pas que toutes les idées des masses sont justes.

On dit que le courant principal d’un mouvement de masse est juste.

Il y a une grande émeute à Bruxelles, on peut tout dire sur cette émeute : que c’étaient les gros agra-riens qui avaient organisé la manifestation, qu’il y a eu des revendications qui servaient les gros et pas les petits, qu’il y a eu des tractations, etc., on peut tout dire.

Mais si on dit que la grande jacquerie de Bruxelles, le mouvement de masses qui a conduit vingt à trente mille agriculteurs à l’assaut de la ville bourgeoise, si on dit que ça, c’était mauvais – on est dans le camp de la bourgeoisie.

– Alors tout ce qui se réunit est un mouvement de masse et a un courant principal juste ?

VICTOR. – Si on prend l’exemple de la journée de la police, il y a eu un mouvement de masses qui a mis des flics dans la rue et incontestablement le courant de ce mouvement de masse essayait de manifester que l’ensemble des policiers ne voulait pas se solidariser avec les éléments totalement fascistes de l’appareil policier.

Ce courant-là était positif et nous devions le soutenir, ce que l’on a fait.

Il y a eu d’ailleurs des équivoques : certains sont descendus dialoguer avec la police mais pour la ridiculiser!

Ce n’était pas notre position : on a diffusé un tract signé  » les maos  » où nous prenions très au sérieux le courant dans la police qui résistait à la fascisation et nous disions qu’à l’égard des policiers qui résistaient nous aurions une attitude correcte, qu’on n’attaquerait pas ces policiers-là comme on attaque les brigades d’intervention ou Ceccaldi-Reynaud à Puteaux.

Cela dit, la journée n’était pas au sens strict un mouvement de masses.

Il faut s’entendre sur la notion de mouvement de masses de manière très précise : des manifestations de cadres supérieurs ne sont pas des manifestations de masses.

Les cadres supérieurs ne font pas partie du peuple.

– Pour beaucoup de gens, la masse des travailleurs des usines qui, lors d’une grève, veut reprendre le travail, c’est aussi un mouvement de masses. On dit aussi que les ouvriers ne sont pas la majorité, et que la masse, après tout, c’est peut-être aussi bien la bourgeoisie? Quel pourcentage de la population représente le prolétariat?

VICTOR. – De 35 à 40 %.

– Les 60 % de l’autre côté, ça n’est pas une masse?

VICTOR. – Le prolétariat, les couches de paysans, de petits commerçants, artisans, ruinés par le développement capitaliste, la jeunesse intellectuelle et d’importantes fractions des salariés intellectuels qui subissent la crise idéologique, ça fait la majorité non seulement réelle de la population mais l’écrasante majorité numérique.

– N’est-ce pas un concept un peu dépassé de dire que la classe ouvrière et le prolétariat, c’est la même chose?

VICTOR. – Oui.

Ça rejoint un débat théorique dont les termes doivent être quand mêmes précisés.

Dans la terminologie marxiste proprement dite, il n’y a pas de différence entre classe ouvrière et prolétariat.

Dans les premiers textes de Marx, il y avait un certain nombre d’attributions données au prolétariat au sujet de l’histoire, différentes des caractéristiques économico-politiques que donna Marx après, de la classe ouvrière.

Cette distinction s’est faite surtout en s’appuyant sur les premiers textes de Marx.

On voit, en gros, ce que ça recouvre : on essaye de distinguer la classe ouvrière définie économico-politiquement et la force révolutionnaire, mais ce qui est certain par expérience directe, c’est que la force la plus révolutionnaire est incontestablement composée de ceux qui dans leurs conditions économico-politiques sont le plus ce ouvriers  » au sens de classe ouvrière.

Il est incontestable que les ouvriers spécialisés, les producteurs par excellence de la plus-value, recèlent les plus grandes potentialités de révolte.

Ce qui ne veut pas dire que d’autres catégories, elles-mêmes ouvrières, comme les ouvriers professionnels, n’ont pas d’énormes qualités révolutionnaires ou qu’on ne les retrouve pas très souvent à la tête des luttes.

Exemple : Nantes-Batignolles.

En fait la question se pose chez beaucoup de gens, au niveau des forces révolutionnaires autres que les forces ouvrières telles qu’elles sont définies économico-politiquement.

On ne nie pas qu’il y ait d’autres forces révolutionnaires et pour cause! que les ouvriers proprement dits.

La jeunesse intellectuelle recèle une grande force révolutionnaire.

Chez les paysans, que ce soit les paysans pauvres totalement ruinés, ou ceux qui sont entrés dans le mécanisme du développement du capitalisme dans l’agriculture et qui ne tiennent pas le coup, il y a une force révolutionnaire potentielle fantastique.

(Quand je dis  » fantastique « , elle s’exerce en actes dans l’Ouest, dans la Drôme ou dans les Vosges actuellement.)

Il y a des forces révolutionnaires, même chez les petits commerçants.

Je dis  » même  » puisqu’ils ne sont pas, dans l’ensemble, très aimés, vu leur tradition politique antérieure, dans la mythologie de l’intellectuel de gauche.

Je n’ai pas besoin d’appeler toutes ces forces révolutionnaires : le prolétariat.

Ce sont d’autres forces révolutionnaires définies de manière différente du point de vue de leurs conditions socio-économiques.

Elles sont révolutionnaires parce qu’elles ont intérêt au renversement de l’ordre social actuel : ce sont donc des alliés de la classe ouvrière, mais incontestablement c’est encore la classe ouvrière, la bonne vieille classe ouvrière, les producteurs de plus-value, qui sont directement exploités à travers le système le plus répressif, c’est-à-dire à l’intérieur de l’entreprise, ce sont les ouvriers proprement dits qui sont la force révolutionnaire la plus conséquente.

On ne voit pas ça par les livres, on aurait rien contre le fait que ce soit les jeunes les plus révolutionnaires.

De fait, ce ne sont pas eux qui ont le plus de conséquences dans leur effort révolutionnaire.

– Les nombreux journalistes, qui sont allés en Chine cette année, ont tous écrit des reportages enthousiastes. Ils ont conclu : ce qui se passe en Chine est étonnant mais absolument inapplicable en France. Comment peut-on par exemple imaginer un système de production par petites unités dans un pays industriellement avancé, etc.?

VICTOR. – Conséquence de l’offensive diplomatique chinoise, de la politique, comme on dit – en direction des différents pays et même des super-puissances, les images issues de l’encerclement de la Chine sont en train de se décomposer -.

C’est un gigantesque progrès que l’on dise :  » La Chine, c’est bien mais le modèle chinois n’est pas applicable en France. « 

Avant, on disait :  » La Chine, c’est de la merde. « 

Maintenant,du point de vue de la lutte idéologique, en France, il faut démolir cette idée que ce qui se passe en Chine n’a pas de portée universelle.

Je ne veux pas démontrer que ce qui se passe en Chine va se produire tel quel, en France, mais démontrer que ce qui se passe en Chine dépasse les frontières de la Chine.

Pourquoi? Parce que la Chine a résolu fondamentalement la question d’un pouvoir populaire à caractère de masse, question qui domine le débat du mouvement ouvrier socialiste et révolutionnaire dans les pays occidentaux.

Ça veut dire qu’il existe un certain nombre de contradictions sociales non résolues dans les pays « socialistes » traditionnels, qui constituent la difficulté principale pour les élaborations théoriques et stratégiques des socialistes et des révolutionnaires occidentaux.

Ces contradictions sociales sont les contradictions de classe au sein de l’entreprise malgré l’appropriation juridique collective des entreprises, malgré la nationalisation.

Deuxième type de contradictions sociales : les contradictions entre les producteurs immédiats et les porteurs des fonctions de coordination, de connaissance, de gestion, etc., qui se traduisent en Union soviétique par un éventail de salaires très ouvert et des relations oppressives.

Contradictions sociales aussi, plus complexes, entre la ville et la campagne, entre le travail manuel et le travail intellectuel, qui sont au centre du débat du mouvement occidental et trouvent leur solution positive en Chine, grâce à la Révolution culturelle.

A l’heure actuelle, en France, dans les milieux de gauche honnêtes, on arrive à reconnaître, ce qui peut être déjà une base d’accord scientifique, que les principales questions sont les mêmes là-bas et ici, malgré la différence de développement économique.

Il s’agit ensuite de savoir si les réponses concrètes qu’apporté la Chine à ces questions que nous nous posons ont une portée générale.

Pour nous, c’est oui.

D’abord, sur la planification de l’ensemble des relations économiques dans un pays comme la France, que nous apporte l’exemple chinois?

La Chine apporte la combinaison de l’initiative centrale et de l’initiative locale; combinaison harmonieuse qui ne signifie pas la fin de toute lutte entre initiative locale et initiative centrale, mais une méthode pour diriger correctement cette lutte, et qui est tout à fait applicable en France.

Même le technocrate bourgeois se pose actuellement la question de combiner les indications centrales et les sollicitations locales.

Les planificateurs technocratiques soi-disant socialistes de l’Union Soviétique cherchent à résoudre le rapport entre l’initiative locale, qu’ils appellent l’autonomie des entreprises, et le plan central.

Mais c’est dans les limites de la pensée bourgeoise qu’ils réfléchissent le problème.

En Chine, les orientations d’ensemble du plan sont proposées aux différentes unités de production qui les discutent à partir de leur expérience pratique ou qui donnent leurs propres propositions qui sont centralisées.

Par ce mouvement de haut en bas, de bas en haut, les plans généraux d’ensemble de l’économie sont élaborés.

En quoi est-ce inapplicable à l’économie française quand on aura un vrai plan?

Pas l’actuel plan bidon qui est simplement la coordination du grand capital en France.

Tout ce qui est posé dans les termes bourgeois ou réformistes : ce décentralisation « , ce régionalisation « , problème épineux en France actuellement, est résolu pour l’essentiel, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes, en Chine.

Deuxième question que tous les socialistes révolutionnaires (ou pas révolutionnaires) se posent à propos de la construction du socialisme en France, c’est la différence entre les rapports de propriété et les rapports de gestion.

Même le nouveau parti socialiste de Mitterrand (c’est dire!) se pose cette question.

Même le P.C.F., dans son dernier programme de gouvernement, gauchit un peu son langage là-dessus.

Or le seul pays où ce problème a été résolu de manière révolutionnaire et conforme à l’intérêt populaire, c’est la Chine qui a dit de manière systématique :  » Le tout n’est pas de changer les rapports de propriété.

Les formes idéologiques, politiques et d’organisation des anciens rapports de production, il faut les détruire par mouvements de masse successifs. « 

Faut détruire les appareils bureaucratiques légués par les vieux rapports de production, par le moyen des mouvements de masse.

Faut régler le gaspillage capitaliste, par des mouvements de masse.

Faut régler la pléthore de parasites dans les entreprises ou dans les unités de production, par des mouvements de masse. Faut régler la question des rapports entre la production et la gestion ou entre la production et les bureaux, par des mouvements de masse.

Cet événement historique mondial, à savoir la transformation radicale des rapports de production en Chine s’applique directement chez nous.

S’il y a bien un mot d’ordre dont les masses se foutent complètement, c’est celui de la nationalisation.

Les masses voient bien qu’il n’y a pas de différence, dans les Mines ou à Renault-Billancourt, entre un patron privé ou un directeur ce nationalisé « .

Quand les anciens apprennent – ce qui s’est passé pendant la Révolution culturelle – comment les masses ont été mobilisées pour arracher le pouvoir réel dont elles avaient l’exercice formel – quand ils apprennent que le mot d’ordre, à tous les ouvriers était : ce Arrachez le pouvoir dans votre entreprise », ils recomprennent tout de la libération.

Comment ils ont été trompés, comment il faut s’organiser pour ne plus être trompés.

Une série d’autres questions concernant le socialisme en France trouvent leur réponse en Chine, avec une portée générale.

Il y a en Chine une politique consciente de limitation du développement anarchique et monstrueux des agglomérations urbaines, de rapprochement entre la campagne et la ville, aussi bien dans l’espace que sur le plan des relations des paysans et des ouvriers.

Il y a un effort systématique pour que la verdure reste un élément dominant du paysage urbain, y compris du paysage des usines.

Il y a une politique systématique pour combiner l’élément créateur qu’apporté la vie de campagne avec l’élément créateur qu’apporté l’industrie moderne.

Ça vaut aussi pour nous. On fera avec le pouvoir populaire un reboisement systématique, on transformera complètement l’urbanisme.

Du point de vue de la circulation automobile, il y aura forcément une limitation de la production automobile, ne serait-ce qu’en supprimant la concurrence entre les marques.

On montrera, par une lutte idéologique, comment l’automobile, telle qu’elle est utilisée, développe monstrueusement l’égoïsme et qu’un certain type de transports en commun ou l’usage en commun de la voiture dite individuelle, transforme complètement les relations sociales au sein de la ville.

– Est-il possible que les gens renoncent à leur égoïsme, sans passer par vingt-cinq ans de guerre civile et sans partir d’un état de total sous-développement?

VICTOR. – En Mai 68, il y avait une immense volonté d’en finir avec une vie marquée, précisément, par cet égoïsme monstrueux.

Les faits, en France, montrent qu’il y a une très grande révolte.

– Est-ce une révolte suffisante pour mener une guerre prolongée? Les gens seront-ils prêts à se battre vraiment?

VICTOR. – On n’a aucun goût particulier pour des révolutions sanglantes.

Il est expérimenté dans les faits qu’il y a déjà une série de luttes violentes indispensables même pour le bifteck, alors a fortiori pour conquérir une société nouvelle et que ces luttes finiront par devenir beaucoup plus dures, par devenir des luttes violentes armées.

On n’a jamais vu de changement de société sans accouchement par la violence progressiste.

Mais en s’appuyant sur la volonté d’une autre vie – de changer la vie comme on a dit depuis Mai 68 -, qui est une volonté collectiviste de dissoudre les différents égoïsmes au niveau de l’entreprise, de l’H.L.M. ou de la rue, et en progressant dans la lutte contre les différentes cibles qui marquent ce système oppressif, donc en progressant aussi dans la lutte violente, l’égoïsme, dans les différentes couches sociales, sera, pas à pas, affaibli, sapé.

Cela n’implique pas nécessairement une guerre civile sanglante du type espagnole ou a fortiori du type des guerres civiles qui peuvent se déclencher dans les pays dominés par l’impérialisme.

Cela n’implique pas nécessairement la famine, la débâcle complète de l’appareil productif.

Cela implique certainement effusion de sang, cela implique certainement désorganisation de l’appareil productif mais toute grève désorganise l’appareil productif, et forcément plus qu’une grève : une révolution politique.

– Comment vois-tu la Révolution culturelle?

VICTOR. – Les communistes chinois ont vu, à partir de la lutte armée qu’ils ont menée contre les Japonais et les Komintern que si on ne créait pas dans le cours de la révolution un homme nouveau – s’il n’y avait pas une transformation profonde des mentalités, les relations sociales qui sont la conséquence des rapports de lutte de classes constituaient une sollicitation continuelle à la restauration des vieux rapports de classes.

Pour le dire plus scientifiquement, une fois qu’où a changé les relations de propriété, dans les grands secteurs économiques, les vrais problèmes commencent.

Nationaliser la grande industrie, ce n’est rien, il faut deux heures. Une fois la prise du pouvoir en 17, Lénine a dû se mettre dans un coin du Palais d’Hiver pour signer un décret disant que la grande industrie était devenue propriété du peuple soviétique.

Là, où les vrais problèmes commencent c’est quand il y a à changer les rapports de production effectifs dans les secteurs économiques proprement dits, les usines, les campagnes, et à transformer complètement les relations sociales entre les différentes catégories sociales.

Les vrais problèmes sont là et n’ont pas été résolus en U.R.S.S. Les Chinois se sont attaqués à ce problème et ils l’ont résolu.

Ils ont dit : la révolution socialiste est la destruction de fond en comble des rapports de classes.

Donc, il faut détruire tout ce qui est l’environnement dans l’usine, la campagne, les cités, l’ensemble de la vie sociale – dans le cas de la Chine, les rapports anciens, à la fois capitalistes et féodaux.

Il fallait détruire dans les usines les rapports entre les producteurs et les différents porteurs de fonctions de gestion, de coordination, de production etc.

En clair, il fallait transformer les rapports entre l’ouvrier, le technicien, l’ingénieur, le cadre, le directeur. Dans le cas des campagnes, il fallait transformer les rapports entre le paysan et la direction de la coopérative.

Dans le cas de l’université, il fallait transformer les rapports non seulement entre l’élève et le professeur, mais le rapport entre l’élève, le professeur et ce qui est en dehors de l’université, à savoir le producteur.

Parce que le rapport qui met au premier plan le stimulant matériel et au bas de l’échelle le gars qui est à la machine, est un rapport d’exploitation bourgeois. Même si l’usine est nationalisée, si l’usine est en titre une usine d’État, si ce rapport existe encore, l’ouvrier, le producteur, celui qui est en bas de l’échelle souffre encore de l’exploitation et de la répression.

C’est tout cet ensemble de relations qu’il fallait détruire.

– Et qui se réinstitue naturellement ?

VICTOR. – Oui, tant que ça n’est pas attaqué.

La grandeur du P.C. chinois est d’avoir trouvé la méthode pour détruire cela. Les derniers textes de Lénine sont poignants parce qu’il sent que ce n’est pas tout d’avoir nationalisé l’industrie, il sent comme le passé tsariste, capitaliste, pèse encore sur la Russie.

L’État est encore très profondément bureaucratique, les rapports sont encore aux trois quarts ceux du tsarisme. Dans les usines, les rapports des ouvriers avec des ingénieurs nommés et des directeurs, n’ont pas fondamentalement changé.

Lénine sent tout ça mais n’arrive pas à trouver les méthodes pour transformer. La méthode du P.C. chinois a été de s’appuyer sur tous les sentiments de révolte de ceux qui sont au bas de l’échelle, pour que même après la prise du pouvoir par l’armée rouge, tout cet ensemble de relations qui sont la marque du passé continuent à être attaqués.

Le principe des mouvements de masses ininterrompus, c’est la solution. Par quelle orientation sont guidés ces mouvements de masses? Elle a été définie par la fameuse motion : lutte contre l’égoïsme, critique du révisionnisme.

Il n’y a pas de critique radicale du révisionnisme si la lutte contre l’égoïsme n’est pas menée. Une lutte ininterrompue dans les esprits de chacun, ouvrier, paysan, intellectuel, cadre, sur la base de la question : qui servir?

Dans chaque acte de ta vie quotidienne ou de ta pratique sociale, tu te poses la question : qui servir? Est-ce que tu vis, tu te bats, tu travailles pour tes propres intérêts, ou pour les intérêts d’une petite poignée? Ou bien est-ce que tu vis, tu te bats, tu travailles pour les intérêts de la grande masse?

Est-ce que tu sers le peuple, ou bien le contraire du peuple, les ennemis du peuple, à savoir la bourgeoisie? Est-ce que tu sers – dans le cas particulier de la Chine – à reconstruire le vieil ordre des choses?

– Est-ce que forcément, il faut servir quelque chose ?

VICTOR. – Ah oui!

– On peut penser et choisir de ne servir à rien ?

VICTOR. – Ça, ça ne marche pas. Il n’y a rien au-dessus des masses, et de la lutte des classes. Il n’y a rien au-dessus.

– Et rien en dehors ?

VICTOR. – Rien. Rien.

– Mais la jeunesse a une envie de liberté, un désir de prendre tout et tout de suite qui apparaît dans ses slogans, exemple :  » Jouir tout de suite et sans entraves  » et qui semble contraire à l’esprit de sacrifice demandé par les maoïstes ?

VICTOR. – II faut distinguer le rapport qu’a la jeunesse avec la notion de parti et le rapport politique qu’entretient la jeunesse avec les autres couches de la population.

C’est vrai que la jeunesse reste marquée par la pratique révolutionnaire de départ, en Mai 68, sa pratique anti-autoritaire.

Elle est donc assez rebelle à la notion de parti.

Ce n’est pas le plus grave dans la mesure où elle peut parfaitement s’organiser indépendamment et sans que ce soit selon les normes de parti, comme mouvement de masse ayant ses propres formes de vie démocratique, ses propres formes d’organisation.

Seulement ce à quoi renvoie cette rébellion contre le parti dans le domaine de la mentalité, de la conception politique, est beaucoup plus grave.

C’est là, la difficulté principale qui renvoie à une méconnaissance, assez grande encore, dans la jeunesse des contraintes du combat révolutionnaire d’ensemble.

Une méconnaissance de la politique à avoir vis-à-vis des autres catégories de la population et vis-à-vis de la politique du gouvernement qui tend à diviser les catégories de la population les unes par rapport aux autres.

Il y a effectivement une série de contradictions au sein du peuple provoquées par les initiatives de la jeunesse – il y a des contradictions au sein du peuple, de toutes manières, provoquées aussi bien par les initiatives ouvrières, par les initiatives des paysans ou des petits commerçants – le fond de la politique révolutionnaire, c’est de résoudre ces contradictions au sein du peuple de même que le fond de la politique contre-révolutionnaire, de la politique gouvernementale c’est d’exploiter ces contradictions au sein du peuple pour avoir en face de lui un front dispersé, divisé.

La jeunesse doit comprendre qu’un certain nombre de ses initiatives qui choquent, ne sont pas forcément des initiatives à 100 % justes, et que ce n’est pas parce que ce sont des initiatives qui correspondent à quelque chose d’assez profond dans la jeunesse que prises telles quelles, elles ne présentent pas des aspects négatifs dans la mesure où elles ne sont pas comprises, pas intégrées dans les aspirations des autres couches populaires.

Il est capital d’aider la jeunesse à comprendre ce point politique déterminant : savoir résoudre les contradictions au sein du peuple.

C’est essentiellement par la progression dans ce domaine qu’il y aura par voie de conséquence une progression sur la question des formes d’organisation propres à la jeunesse.

Alors comment faire pour qu’il y ait dans la jeunesse, une conscience politique concernant les contradictions au sein du peuple?

Il y a plusieurs moyens.

Il faut, de toute façon, de la patience parce qu’il faut mettre en œuvre des moyens différents.

Le premier moyen, pour les militants qui sont convaincus de la nécessité de cette unité populaire, est de ne pas se couper de la masse des jeunes.

C’est une manière erronée de résoudre les contradictions au sein du peuple que d’éliminer un de ses aspects.

C’est éliminer un de ses aspects que de se couper de la masse de la jeunesse.

Il faut donc unir la masse de la jeunesse, à la niasse des autres couches populaires.

Il faut que les militants qui travaillent dans la jeunesse soient des jeunes, dans les lycées, dans les C.E.T., parmi les jeunes de banlieue, qu’ils aient un style de vie qui ne les coupe pas de la jeunesse.

Le principal danger dans ce domaine-là, c’est le professionnalisme.

Pas tellement en jouant aux adultes face aux jeunes – ils ne le peuvent pas puisqu’ils sont eux aussi des jeunes, et partagent d’une certaine manière leurs aspirations – mais en devenant des professionnels de la politique, en ne sachant plus aller au bal avec les jeunes pour prendre des exemples très caricaturaux.

Donc premier remède, la liaison avec les niasses de jeunes.

Deuxième moyen de remédier à une situation qui n’est pas totalement saine : aider les jeunes à toucher du doigt les contradictions au sein du peuple et les mécanismes par lesquels le gouvernement, les contre-révolutionnaires se servent de ces contradictions au sein du peuple pour enrayer les progrès de la révolution idéologique en France.

Exemple : les aider à lutter contre les provocations dans les manifestations.

Débattre de la question du pillage d’un café sous prétexte que le café est tenu par un réactionnaire.

On leur apprend que ce patron de café est peut-être réactionnaire mais qu’il y aura des dizaines d’autres milliers de patrons de cafés et de petits commerçants qui ne sont pas sensés savoir que c’est un réactionnaire et que France-Soir ne va pas leur dire que c’est un patron de café réactionnaire…

Il faut éduquer les jeunes un peu dans cet esprit-là, qu’ils comprennent que le tout n’est pas seulement de suivre ses impulsions, point à la ligne.

Un exemple plus significatif encore : les samedis du quartier Latin en mai-juin 71.

Tous les jeunes ont été extrêmement concernés par cette provocation au quartier Latin.

Ils ont touché du doigt le mécanisme par lequel les flics ont singé les jeunes sous leurs aspects négatifs et en quoi ça pouvait servir les intérêts réactionnaires, mais la provocation était plus ou moins éventée.

Le plus important encore, pour leur faire toucher du doigt les contradictions au sein du peuple, est de les mettre en contact direct avec les autres catégories de la population.

C’est le cas dans les  » longues marches « , quand les jeunes vont chez les paysans et sont obligés de mettre à l’épreuve leurs notions immédiates, leurs aspirations immédiates, aussi bien sur la famille, les relations sexuelles, le bonheur, l’absence de contraintes, etc.

Quand ils sont avec des paysans et qu’ils les respectent – parce que s’ils les méprisent, ça ne marche pas – ils sont obligés de dialectiser un peu leurs notions immédiates, de voir que s’il y a des éléments vrais dans leur lutte contre la famille, il faut aussi qu’ils tiennent compte des rapports des autres couches avec la famille.

Leurs idées et les idées des paysans entreront alors en conflit mais en conflit progressiste.

Il y a un moment où la jeunesse a besoin de se regrouper en des mouvements propres, pour développer son essor propre, en tant que force sociale en France, dont le rôle est important pour la transformation des relations sociales et pour le processus révolutionnaire mais il faut que la jeunesse se ramifie, tisse des liens avec les autres catégories de la population pour que précisément son essor ne soit pas immédiatement encerclé par le pouvoir utilisant les ignorances, les préjugés, etc. ou même les idées justes d’autres catégories de la population, pour coincer la jeunesse.

Donc, on n’est pas contre l’idée des Palavas, on est contre une organisation de la jeunesse qui ferait des Palavas tout le temps.

On n’est pas contre les communautés, contre les expériences de collectivisme au sein de la jeunesse, même maintenant.

Il ne faut pas attendre la prise du pouvoir central pour tenter des transformations des relations sociales, mais nous sommes contre les communautés hors du temps et de l’espace qui sont une fuite devant les exigences du combat révolutionnaire.

Chou En-laï a dit justement cette année une phrase fantastique :  » Les jeunes ont raison de vouloir le bonheur, mais ils comprendront par expérience qu’il ne peut pas y avoir de bonheur si ce n’est pas voulu par la majorité de la population. « 

Voilà les deux éléments fondamentaux : c’est juste de vouloir le bonheur mais encore faut-il l’atteindre.

D’ailleurs les communautés, aux États-Unis ou en France, s’aperçoivent vite, qu’on ne peut pas saisir le bonheur, en petits groupes fermés, face aux sollicitations des mouvements de l’ensemble de la population.

Troisième remède : il faut absolument que les militants adhèrent à cette politique d’unité populaire, n’hésitent pas, au sein de la masse des jeunes, à développer la lutte contre les idées erronées : celles qui exaltent l’égoïsme de chaque couche et qui s’opposent à la lutte pour la résolution des contradictions au sein du peuple.

Cette lutte idéologique exige qu’on rejette un certain suivisme par rapport à des courants de masse dans la jeunesse.

Il faut avoir le courage de parler des aspects négatifs de la drogue.

Il faut avoir le courage de dire aux jeunes que ceux qui pensent s’émanciper alors que la masse des Français sont des cons, ont des positions erronées.

Il faut mener la lutte énergiquement contre ces idées-là.

Les moyens fondamentaux pour que la jeunesse progresse, c’est qu’elle rejette sa réticence actuelle à la notion de parti et à la notion d’unité populaire mais on n’importera pas la politique de l’unité populaire, de l’extérieur dans la jeunesse.

On ne peut qu’aider la jeunesse, par sa propre expérience, à élargir son point de vue, à rejeter donc ce qui est étroit, voire franchement égoïste, voire franchement réactionnaire pour suivre un courant de progrès, le courant vers l’unité populaire.

– N’est-ce pas imposer une ligne plutôt que de la définir avec les masses?

VICTOR. – C’est un reproche qui n’est pas fondé sur la réalité. On est aussi capable que n’importe quel groupe politique – force politique traditionnelle ou groupuscule – de définir une ligne politique, de faire comme on dit, un programme de gouvernement ou de transition.

Mobiliser des architectes, des ingénieurs, pour dessiner les plans de la société future et les moyens d’y parvenir, c’est vraiment à la portée de tout le monde.

C’est précisément cette conception-là, de la ligne politique que nous rejetons catégoriquement.

Nous ne pensons pas que les masses ont besoin pour s’émanciper d’adhérer à un programme que les représentants politiques fabriqueraient en dehors d’elles.

Nous pensons que progressivement à partir de leurs expériences propres, nous devons aider les masses à dégager ce qui est essentiel, ce qui a valeur générale, universelle.

En clair l’élaboration du programme, qui est une préoccupation centrale pour nous communistes, du programme du pouvoir c’est-à-dire du programme qui marquera que nous sommes une force candidate au pouvoir, comme toute force politique digne de ce nom, donc, la manière dont on élaborera ce programme, en multipliant les programmes particuliers de lutte, en commençant par les programmes particuliers d’ateliers, un programme fait avec les ouvriers dans les mines ou les chantiers de bâtiments pour imposer la sécurité du travail, me paraît bien plus important que cent cinquante pages rédigées par les ingénieurs à la sécurité, fussent-ils du parti socialiste.

Multipliant ces programmes particuliers sur les différents aspects de la condition ouvrière, de la condition populaire, il y aura une base matérielle expérimentale issue vraiment de la volonté immédiate des masses.

Il faudra alors faire un travail de systématisation, traduit d’abord sous forme de thèses qui seront renvoyées aux masses, discutées par les masses, puis élaborées de manière définitive sous la forme d’une petite brochure de plusieurs pages avec les différents objectifs, les moyens d’y parvenir, etc., le programme enfin : le programme général des communistes en France.

C’est d’ailleurs pourquoi ce n’est pas à nous de décider de faire le programme.

Nous pouvons juste décider d’aider les masses à multiplier les embryons de programme particulier.

On voit bien là qu’il y a un rapport entre nos efforts et les idées produites par les masses elles-mêmes mais ce n’est pas parce qu’on aura décidé de faire le programme qu’il sera fait, du moins le programme tel qu’on l’entend et nous pensons qu’on l’entend de la seule manière qui vaille, dans la mesure où, pour nous, le tout n’est pas de prendre le pouvoir et surtout pas n’importe quel pouvoir.

A partir de l’expérience des pays socialistes qui ont dégénéré, la question essentielle reste le caractère de masse, le caractère populaire du pouvoir pris.

Essentiel donc, que le programme concret de construction du pouvoir populaire, de la société qui sera édifiée à partir de la construction de ce pouvoir populaire, soit vraiment lié à la mobilisation politique des travailleurs eux-mêmes.

On ne pense pas que si grâce à une conjoncture un peu exceptionnelle, crise, etc., une minorité ayant sa propre théorie prenait le pouvoir et adoptait un certain nombre de décrets qui transforment les rapports de propriété en France, ce serait le socialisme.

Pour les masses qui ont été marquées par l’expérience des pays de l’Est et en particulier pour l’Union soviétique, c’est zéro.

A juste titre, parce qu’on ne crève pas pour avoir un régime à la polonaise ou à la russe.

Donc en apparence, nous sommes ce en retard  » par rapport au programme de gouvernement du P.C.F., en apparence seulement.

Le programme du P.C.F. est juste fait pour préparer les élections législatives. Ce qui est parfaitement vrai c’est qu’il faut faire ce programme.

On n’est pas du tout contre l’idée d’élaborer une ligne politique, on dit simplement qu’elle doit avoir un caractère de masse.

Les masses doivent lire le projet de socialisme qu’elles pratiquent de manière embryonnaire, même de manière utopique, à partir de leur lutte.

Ça, on y tient comme à la prunelle de nos yeux.

Cela dit, tout ça s’inscrit dans une série d’organisations.

Pour faire un programme particulier d’atelier, on a besoin d’une organisation de masse dans l’atelier.

On ne peut évidemment pas faire un programme sur la sécurité, en voyant ce qui ne va pas dans l’atelier et en le rédigeant.

On est obligé d’enquêter, donc d’écouter les masses, de voir quelles sont leurs principales préoccupations.

Et à ce moment-là, on peut, avec deux trois gars, rédiger un petit quelque chose, un petit projet que l’on soumet autour de soi.

Alors on a les premières réactions et on fait un projet plus définitif, qui donne par exemple le programme particulier sur la sécurité du travail dans le chantier Maine-Montparnasse.

On multiplie ça par dix, quinze, vingt et on a déjà une base expérimentale sur la sécurité du travail.

Pareil pour les cadences, pareil pour le système répressif à l’intérieur des boîtes.

Pareil pour les salaires, le système de rémunération, la hiérarchie…

– Les masses n’ont-elles pas besoin d’un projet plus global?

VICTOR. – Oui, bien sûr, là c’est une description analytique. Il n’y a pas seulement ce qui se passe à l’intérieur de l’usine.

C’est aussi bien la circulation automobile, le métro, la pollution, la culture sous des aspects dits de  » loisir « .

C’est vrai que la lutte contre la hiérarchie, les salaires ou contre les cadences est beaucoup plus riche que l’expérience de la lutte contre la pollution ou même contre la circulation automobile, mais il y a des éléments de projets socialistes délivrés par des luttes, depuis Mai 68, sur à peu près tous les fronts de la vie sociale.

Partir d’en bas, monter en haut, revenir en bas, pour élaborer le programme, ne serait-ce que pour^pouvoir le diffuser.

Un programme qui a été élaboré comme un tract par des ouvriers est mieux diffusé, mieux expliqué, donc devient une force matérielle beaucoup plus grande.

Les masses populaires n’ont pas l’habitude de faire leur propre programme : elles ont l’habitude des délégués, d’une institution à laquelle on délègue son pouvoir d’expression même si ce pouvoir d’expression est finalement mis au service d’une autre classe et pas de la classe ouvrière qui a délégué son pouvoir.

L’habitude n’est pas prise dans les ateliers de faire des tracts, c’est une habitude qui est simple à acquérir.

Les ouvriers, en large majorité, écrivent facilement des tracts, mais pour qu’il y ait cette initiative, il y a un travail à faire.

De même il est difficile que les masses ouvrières se réapproprient la notion d’organisation. Elles en ont plein le dos de l’organisation parce qu’elles ont été flouées. Ce sont les ouvriers les plus courageux, les plus révolutionnaires, qui ont donné vingt ans ou trente ans de leur vie à travailler dans le P.C.F.

Ça marque, et pas simplement au niveau des individus.

Au niveau de la conscience collective de classe, il y a une sorte de méfiance à l’égard de la possibilité d’une nouvelle organisation qui serait cette fois-ci vraiment l’organisation ouvrière dont on a besoin.

Pas mal de gens s’impatientent parce qu’ils ne voient pas rapidement depuis Mai 68, une force nouvelle à la gauche du P.C.F.

Cela renvoie à cette donnée objective que les masses ne sont pas des moutons, pas des veaux.

Les masses auront besoin de voir sur pièce comment s’édifie une organisation nouvelle, en quoi son programme est radicalement nouveau, en quoi les garanties démocratiques, prolétariennes que donne cette organisation sont vraiment réelles avant d’accorder pleinement leur adhésion et alors là de se mobiliser par centaines de milliers d’hommes.

– Quelle est la perspective immédiate de la lutte des maoïstes en France?

VICTOR. – Notre plan d’action depuis la rentrée 71 part de la donnée objective fondamentale de la situation française : à savoir que l’état de crise atteint par la société française est tel, que celle-ci est à la merci d’une explosion qui peut venir de n’importe quel aspect de la société française, d’une lutte ouvrière – on était à deux doigts d’un affrontement radical avec la grève du métro, d’un scandale, type Rives-Henry, des retombées de la crise de l’impérialisme à l’échelle internationale sur la société française.

Hier, Giscard d’Estaing disait lui-même, en présentant le budget, qu’il ne savait pas de quoi demain sera fait.

Pour une majorité qui prétend s’appuyer sur l’instinct de sécurité des Français, il est assez désastreux de reconnaître que toute la politique actuelle est grevée d’une incertitude et d’une insécurité fondamentales.

Partant de cette donnée objective, nous pensons que le plus important est d’être prêts pour une crise sociale ouverte quelque forme qu’elle prenne, étant entendu que toute crise sociale ouverte pose objectivement la question du pouvoir.

Nous devons être prêts à proposer des solutions à la crise sociale qui peut survenir du jour au lendemain, même si ce n’est pas demain que les forces populaires autonomes prendront le’ pouvoir.

En d’autres termes, nous pensons que les exigences de programme, dont on parlait tout à l’heure, sont des exigences vitales.

Bien que l’explosion ne présentera pas la même forme que Mai 68, n’aura pas ni ce degré de surprise, ni de précipitation, ni de généralité, on ne veut pas se retrouver dans une situation comme en Mai 68 où on est tout désarmés quand la question du pouvoir est objectivement posée comme elle l’a été, à partir du 24 mai 68.

On était incapables d’articuler le moindre mot, sinon  » Ce serait bien de prendre le pouvoir  » ou  » Le pouvoir est à prendre  » qui ne sont pas des mots d’ordre pouvant rallier des millions de Français.

Ce programme général des communistes, à partir des méthodes que j’ai explicitées, doit être pris en charge par une nouvelle organisation qui mettra fin à la phase de dissolution de la Gauche Prolétarienne et sera capable de prendre des initiatives tactiques qui ne soient pas simplement une agitation.

L’année qui s’ouvre verra une série de nouvelles initiatives tactiques sur tous les fronts de la vie sociale, certains qui ont déjà été ouverts l’an dernier, comme la défense des libertés qui reste une partie fondamentale de notre programme d’action immédiate.

Comme la vie chère ou le chômage, parce que c’est une des préoccupations les plus graves pour la population à l’heure actuelle.

A travers ces initiatives tactiques sera tracée systématiquement et progressivement la perspective stratégique, c’est-à-dire le programme général des communistes qui coordonnera la signification politique de toutes ces initiatives et expliquera aux masses comment à partir des différentes expériences, il y a des objectifs d’ensemble qui se dégagent clairement et des moyens pour atteindre ces objectifs.

Le programme général des communistes a pour fonction de mettre noir sur blanc ce qui n’est jamais qu’en germe ou en puissance dans les différentes luttes immédiates.

– Dans ce projet de prise du pouvoir, le terme de  » mao  » dont vous vous servez n’est-il pas mauvais?

VICTOR. – Si, sûrement. La question de notre dénomination se pose à différents titres.

D’abord, est-ce que l’organisation qui va naître sera appelée parti?

Nous n’allons pas attendre d’être un puissant parti reconnu par les larges masses de tout le pays pour choisir le terme « parti ».

Si on pense que l’instrument qu’on va construire est relativement adapté à la situation nouvelle, que tout un ensemble d’indices objectifs l’attestent et qu’il correspond au point de vue, non seulement des militants mais des masses directement mobilisées, alors incontestablement on choisira le terme  » parti « .

C’est une des questions qui sera en discussion dans nos rangs.

Et enfin, la question du nom de ce parti.

Reprendra-t-on le terme  » communiste  » dans la mesure où il est assez dévalué pour une partie des masses, vu ce qu’en a fait le parti de Marchais, mais vraisemblablement, on le gardera parce que ce n’est pas un mot qu’on abandonnera aux salopards.

 » Mao « , ce maoïste « ,  » marxiste « ,  » léniniste « , toutes ces questions doivent être revues.

On n’a aucune position pour le moment, sauf qu’on constate que, de fait, ce « mao  » c’est chinois, et que de plus les Chinois n’apprécient pas tellement le terme de « mao « .

Enfin, ils ne comprennent pas comment, ça peut être utilisé en France.

Donc, aussi bien du point de vue des larges masses en France que même du. point de vue des Chinois qui ont quand même leur mot à dire sinon en France, du moins leur mot à dire sur la révolution mondiale et l’usage même du terme de mao ou de « maoïsme « , il y a quelque chose à changer incontestablement dans notre dénomination actuelle.

– La fin de cette appellation marquera donc une nouvelle étape?

VICTOR. – C’est parce qu’une étape sera dépassée qu’il faudra de nouveaux mots.

Février, avril, novembre 1971.

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PCE(ml), FRAP, PCE(r), GRAPO

L’Espagne a la particularité d’avoir connu deux mouvements révolutionnaires se situant dans le prolongement de la guerre d’Espagne. Ces deux mouvements appuyaient, tout comme le Parti Communiste d’Espagne durant la guerre civile des années 1930, la perspective de la révolution au moyen de la lutte populaire antifasciste.

Ils considéraient que la lutte devait continuer et ils ont établi une démarche afin de reformer un front de masse sur cette ligne, avec le Parti se présentant comme en étant le meilleur outil. Le Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste) et le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué) opéraient pour cela tous deux depuis l’illégalité.

Le PCE (ml) avait généré un Front de masse – le FRAP – Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote. Le PCE(r), quant à lui, envisageait les choses selon l’angle d’un Mouvement populaire de Résistance dont il fallait interpréter les contours, appuyant plus concrètement les GRAPO – Groupes Antifascistes du Premier Octobre.

Ces deux organisations n’existent plus aujourd’hui en tant que tel. Le PCE (ml) a abandonné la perspective de renversement au moment de la transition « démocratique », tandis que le PCE(r) prenait en quelque sorte le relais de sa démarche. L’organisation a cependant été finalement anéantie au début des années 2000, après un combat d’un quart de siècle.

Il faut bien noter ici le fait que, dans les deux cas, le PCE (ml) et le PCE(r) sont allés dans la direction du maoïsme, mais se sont littéralement arrêtés juste avant de l’assumer. C’est à ce moment-là que la décadence a opéré.

Les origines du PCE (ml) et du PCE(r)

Historiquement, les deux organisations puisent leur identité dans la bataille anti-révisionniste des années 1960. Le Parti Communiste d’Espagne avait soutenu la démarche révisionniste de l’URSS ; il avait par conséquent, en 1956, cessé les activités armées contre le régime de Franco.

Des révolutionnaires finirent par quitter ses rangs pour fonder en 1964 le Partido Comunista de España (marxista-leninista), c’est-à-dire le Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste). Sa structure est illégale et l’organisation est structurée à partir de l’exil.

A la base, quatre groupes opposés au révisionnisme du PCE se retrouvent en octobre 1964 en Suisse. Ils sont organisés autour de revues : El Proletario qui regroupe des étudiants à Madrid, Bilbao et Paris, Mundo Obrero Revolucionario basé à Paris par des éléments « pro-chinois » du PCE local, La Chispa édité par une « Opposition révolutionnaire du PCE » basée à Genève, et enfin España Democrática, publié par un groupe issu de la section du PCE en Colombie publiant España Democrática.

Ils fondent en novembre le PCE (ml) au théâtre de l’Alhambra à Paris et une trentaine de délégués élit un Comité Central, dont la première réunion se tient un mois plus tard dans un garage à Bruxelles. Son organe est Vanguardia Obrera.

C’est pareillement à Bruxelles que naquit, en septembre 1968, une autre organisation, l’OMLE – Organización de Marxistas-Leninistas de España, l’Organisation des Marxistes-Léninistes d’Espagne.

A l’opposé du PCE (ml) basé à l’étranger mais ayant des relais en Espagne, l’OMLE est né uniquement hors d’Espagne, à partir d’activistes en Belgique, en France et en Suisse.

Sa base est issue d’activistes du Mundo Obrero Revolucionario publié à Paris et n’ayant pas rejoint le PCE (ml) à sa fondation, de l’Organización Comunista Marxista Leninista dirigé par Francisco Javier Martín Eizaguirre et issue du PCE, ainsi que des Comités de Apoyo al Pueblo de Vietnam et des Círculos Guevaristas.

Les différences entre le PCE (ml) et l’OMLE

Lorsque le PCE (ml) se fonde, sa position est celle qui correspond à celle du PCMLF en France ou bien du Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste). Le Parti ayant failli, il faut immédiatement le remplacer. Dans le cas français, la base pour cela était absente et la position était idéaliste, dans le cas indien c’était correct. Le PCE (ml) se situe sans doute à mi-chemin.

L’OMLE n’est pas d’accord avec cette démarche et sa position est celle de l’UJC (ml) en France ou bien du Centre Communiste Maoïste d’Inde. D’un côté, elle appelait à davantage de complexité, d’agglutinement de forces communistes, de l’autre il y avait une certaine dynamique mouvementiste, pratiquement guévariste.

L’autre différence majeure est que le PCE (ml) considère que l’Espagne est devenue un satellite de l’impérialisme américain. Sa ligne combine donc l’appel à la révolution démocratique avec une dimension anti-impérialiste. Ce positionnement double était en quelque sorte déjà celui du PCE durant la guerre civile, en raison de l’intervention étrangère germano-italienne.

L’OMLE a été d’accord avec ce point de vue au début de son existence. Cependant, au fur et à mesure a triomphé une ligne comme quoi ce n’est pas vrai et affirmant que l’Espagne est un pays capitaliste faible.

La troisième grande différence réside dans la question de la féodalité. Le PCE (ml) insiste sur l’existence de grands propriétaires terriens, formant l’une des bases du régime d’une nature ainsi féodale – monopoliste – coloniale. L’orientation reste comme celle du PCE de la guerre civile, avec une révolution démocratique et populaire comme objectif.

Ce n’est pas le cas de l’OMLE, qui appelle à une lutte anti-monopoliste et antifasciste, mais avec comme objectif la dictature du prolétariat.

La construction en Espagne du PCE (ml) et de l’OMLE

Le PCE (ml) et l’OMLE sont tous deux nés hors d’Espagne, mais le premier disposait de relais dans le pays, ce que n’avait pas le second. Le PCE (ml) mena immédiatement un travail de structuration en Espagne pour y établir l’organisation. Mais dès décembre 1964, le réseau catalan est démantelé, en en avril 1965 il y a de nombreuses arrestations et en 1966 le principal organisateur dans le pays, Paulino García Moya (Valera), est arrêté.

Durant ce processus, en mars 1965, Ricardo Gualino a été grièvement blessé à la bouche par un tir lors d’une arrestation alors qu’il menait une action de propagande, et en avril de la même année José Delgado Guerrero “Acero”, 25 ans, meurt suite à la torture.

En novembre 1967, cinq membres du PCE (ml) sont également condamnés à 26 années de prison.

En fait, malgré le travail mené, en 1968, le PCE (ml) est pratiquement démantelé en Espagne. Ce qui le sauve, c’est que la direction reste basée à l’étranger et forme une base idéologique solide, mettant son énergie à réussir à l’implantation.

Cela réussit enfin à partir de 1969, au point d’intégrer l’organisation madrilène dénommée Unión de Marxistas-Leninistas.

L’OMLE ne profite pas de relais quelconques par contre, ce qui rend la tâche bien plus rude ; ses noyaux durs sont basés à Paris, Strasbourg et au Luxembourg. C’est par le retour de l’émigration que l’organisation peut se structurer, et ce tardivement.

Ce n’est qu’en 1970 qu’il y a une base à Madrid et une à Cadix. Et en 1972, l’Organización Obreira bien implanté à Vigo rejoint l’OMLE comme section de Galice, apportant une solide base issue de la quasi totalité des jeunesses communistes et d’une partie du PCE de la ville de Vigo.

Son dirigeant, Abelardo Collazo, vivait dans un four abandonné dans son enfance et a commencé à travailler dans la construction à l’âge de douze ans. Il travaillera ensuite notamment un an aux Usines Citroën à Paris. Cadre de l’OMLE et de son prolongement le PCE (r), il sera exécuté par la police dans une embuscade, de six balles dans le dos, en 1980.

Rapidement, l’OMLE s’étend ensuite dans la région de Valence, le pays basque, l’Andalousie et la Catalogne.

La structuration du début des années 1970

L’implantation en Espagne étant finalement réussie, tant le PCE (ml) que le PCE(r) connaissent des modifications profondes. Cela a également pour raison qu’en 1969 l’état d’urgence avait été proclamé. Les luttes de classes étaient intenses et le régime voyait sa base profondément troublé.

C’est surtout pour l’OMLE que la situation va changer la donne, avec l’intégration en 1971 de membres du Partido Comunista de España (internacional), une organisation s’étant formée parallèlement à Saragosse, Madrid, Séville, les Asturies.

Parmi eux, il y a en effet Manuel Pérez Martínez qui, avec les ouvriers du bâtiment qui l’accompagnent, va provoquer un chamboulement dans l’OMLE. La critique concerne deux aspects : l’absence d’impulsion organisationnelle suffisante, le libéralisme dans la gestion des fédérations.

Lors de la Ve réunion générale de l’OMLE à Paris, cela va fournir de base à la nouvelle direction centralisant les activités et faisant de Bandera Roja, le Drapeau rouge, l’organe publié à Madrid, le pivot du renforcement en tant que parti en tant que tel. La base de l’OMLE est alors à Cadix, Séville et Cordoue, puis en Galice.

La thèse de la dimension coloniale de l’Espagne est alors abandonnée et l’organisation se replie sur elle-même, refusant toute étape démocratique. La ligne adoptée à sa première conférence nationale en juin 1973 prône de ce fait l’établissement d’un gouvernement révolutionnaire.

L’organisation tangue avec le démantèlement par la police des structures de Cadix et Séville en 1974 et une fascination pour la révolution des œillets au Portugal menée par l’armée. Elle est également isolée par son refus catégorique de participer aux élections syndicales qui sont mises en place en février 1975.

Du côté du PCE (ml), les modifications ne viennent pas de l’extérieur, mais de l’élan donné. Lors de la visite du président américain Richard Nixon, en 1970, le PCE (ml) put organiser des rassemblements à Madrid (avec 24 équipes de propagande), Valence, Murcie, Bilbao et Saint-Sébastien ; entre 20 000 et 100 000 personnes se mettent en grève à son initiative, la même année, pour la libération des prisonniers politiques.

Il avait généré toute une série de structures : l’Oposición Sindical Obrera (Opposition Syndicale Ouvrière, fondée clandestinement dans les années 1950 par le PCE), la Federación Universitaria Democrática Española (Fédération Universitaire Démocratique Espagnole), la Unión Popular de Mujeres (Union Populaire des Femmes), les Comisiones de Barrio (Commissions de Quartier), la Federación de Estudiantes Demócratas de Enseñanza Media (Fédération des Etudiants Démocrates de l’Enseignement intermédiaire), la Unión Popular de Profesores Demócratas (Union Populaire des Professeurs Démocrates), les Agrupaciones de Jóvenes Comunistas (marxistas-leninistas) (Regroupement des jeunes communistes marxistes-léninistes), ainsi que l’Unión Popular de Artistas (Union Populaire des Artistes) dont l’organe était Viento del pueblo.

La mise en place du FRAP par le PCE (ml)

La ligne du PCE (ml), exprimée dans son organe Vanguardia Obrera (Avant-garde Ouvrière), était la suivante : le régime espagnol est de type fasciste et sous domination de l’impérialisme américain ; l’objectif est la Démocratie Populaire sous la forme de la République populaire et fédérale.

Les masses devant être unies et armées dans une Armée populaire, le processus révolutionnaire intégrant la petite-bourgeoisie et des secteurs de la bourgeoisie et devant être prêt à faire face à une intervention américaine.

En octobre 1970, une réunion du Comité Central dans le massif montagneux de la sierra de Guadarrama décide de passer à une nouvelle étape, avec l’établissement désormais de structures de masse, la mise en place prochaine d’un premier congrès, ainsi que la formation d’un Front pour le renversement du régime, avec également une aile militaire.

Le premier pas en direction du front fut l’alliance avec le Frente Español de Liberación Nacional (FELN), une organisation républicaine fondée en 1963 par le socialiste Julio Álvarez del Vayo, ministre des Affaires étrangères du gouvernement républicain du 4 septembre 1936 au 28 mars 1939.

Julio Álvarez del Vayo

Lorsque la Catalogne tomba lors de la guerre civile, Julio Álvarez del Vayo revint dans la zone républicaine depuis la France, participant jusqu’à la dernière minute à la guerre civile.

Le FELN visait la réactivation des maquis pour redémarrer la lutte armée anti-franquiste ; il mena initialement lui-même de multiples actions armées, qui se terminèrent néanmoins avec l’arrestation en juin 1964 d’Andrés Ruiz Márquez.

Puis le PCE (ml), le FELN et le groupe Vanguardia socialista, rejoint ensuite par Fracción marxista-leninista del Movimiento Comunista de España ainsi que l’Unión Socialista Española, fondèrent, dans l’appartement parisien de l’écrivain Arthur Miller, le 23 janvier 1971, l’embryon du Frente Revolucionario Antifascista y Patriota (F.R.A.P.), qui sera fondé officiellement en novembre 1973.

Les objectifs de ce Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote, formellement un comité de coordination pour sa fondation pour la période 1971-1973 – étaient synthétisés en six points.

Le pays était considéré comme dominé par une oligarchie, dont les biens devaient être nationalisés, tout comme les possessions des monopoles étrangers, alors qu’une réforme agraire devait être mise en place, brisant les grands propriétaires terriens.

Le programme en six points du FRAP

Le programme du FRAP est établi dès le départ, dès la constitution en 1971 d’un « Comité coordinateur pour le FRAP ».

1. Renverser la dictature fasciste et expulser l’impérialisme yankee à travers la lutte révolutionnaire.

2. Établissement d’une République populaire fédérative, qui garantisse les libertés démocratiques du peuple et les droits des minorités nationales.

3. Nationalisation des biens monopolistes étrangers et confiscation des biens de l’oligarchie.

4. Réforme agraire profonde, sur la base de la confiscation de grands domaines.

5.Liquidation des vestiges du colonialisme espagnol.

6. Formation d’une armée au service du peuple.

L’élan du FRAP et son prestige

Dès sa fondation, en 1973, le FRAP a été un vrai succès. En plus des multiples rassemblements annuels et illégaux du 1er mai, il organisa également un rassemblement de 10 000 personnes le 2 mai 1973, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement national anti-napoléonien.

Il y eut un mort dès le premier jour, le FRAP exécutant un membre des services secrets franquistes de la Brigada Político-Social afin de protéger le cortège, les activistes du FRAP étant munis d’objets contondants et d’armes blanches.

Le degré d’affrontement était immédiatement de haut niveau, comme en témoigne la mort atroce de Cipriano Martos Jiménez, assassiné par la police en septembre 1973 au moyen d’un « cocktail de vérité » composé d’essence et d’acide sulfurique, détruisant l’appareil digestif.

Cipriano Martos Jiménez

Dès janvier 1974, un comité pro-F.R.A.P. existe à Madrid, en février en Catalogne et dans la région de Valence, alors que suivent l’Andalousie, les Asturies, puis pratiquement toute l’Espagne, mais aussi la France, l’Allemagne (avec l’appui massif du KPD/ML et en profitant de l’émigration espagnole une présence organisée dans 56 villes), de la Suède, de la Suisse, de la Belgique, de la Hollande, de l’Italie et du Canada.

Le FRAP devient incontournable. Lorsqu’en juillet 1975 les Juventudes Socialistas du PSOE tiennent leur congrès illégal à Lisbonne, le représentant de la J.C.E.(m-l) prenant la parole au nom du F.R.A.P. est accueilli très chaleureusement.

Comme indicateur du succès chez les étudiants, on a le fait que 15 % des étudiants de l’université de Valence étaient considérés comme soutenant le FRAP.

La ligne était, dans le prolongement de la guerre d’Espagne, celle de l’alliance des progressistes, l’avancée dans l’esprit de fusion entre les communistes et l’aile gauche des socialistes. Le dirigeant du FRAP Julio Álvarez del Vayo en était le symbole.

Le F.R.A.P. est alors en première ligne du combat anti-franquiste ; avec 49 personnes condamnées en 1975-1976, c’est lui qui subit le plus les condamnations, juste derrière ETA et alors que le régime a instauré le 22 août 1975 une « decreto-ley antiterrorista » particulièrement répressive.

Le FRAP et la guerre populaire

La ligne exposée à la troisième conférence élargie du Comité Central du PCE(ml), en 1975, était la mobilisation pour généraliser la lutte armée, pour que les masses se saisissent de la démarche de résistance et que soit ici ouverte la phase de la guerre populaire.

A côté de « F.R.A.P., F.R.A.P., F.R.A.P., Republica Popular », le slogan du F.R.A.P. est d’ailleurs « F.R.A.P., F.R.A.P., F.R.A.P., Guerra Popular » et le PCE (ml) avait formulé dès 1967, lors de la seconde conférence de son Comité Central, la considération que la « guerre populaire » faisait partie de sa ligne politique.

On y lit notamment :

« En Espagne, la dictature de l’oligarchie pro-impérialiste s’exerce de la manière la plus violente, à travers l’État yankee-franquiste, qui s’appuie sur un monstrueux appareil terroriste (armée, garde civile, police armée, Brigada Político Social [la police secrète], groupes de la réaction, etc.).

Au moyen de cet Etat, l’impérialisme et l’oligarchie exercent la plus impitoyable répression sur le peuple, persécutant de manière sanguinaire toute action de lutte de la part des masses.

La lutte armée révolutionnaire surgit au sein du peuple travailleur uniquement comme résultat d’une agitation et d’une propagande politique tenaces.

Ce n’est qu’au moyen d’un travail de propagande des organisations d’avant-garde, fondamentalement du Parti Communiste d’Espagne (m-l), que les masses peuvent être idéologiquement en mesure de comprendre la nécessité de se soulever en armes contre la dictature yankee-franquiste.

La lutte armée ne peut pas surgir ni se développer isolée de la lutte des masses, mais seulement en étroite liaison avec le mouvement de masse ouvrier et paysan.

Des formes initiales (grèves, manifestations), il faut passer graduellement (et l’évolution spontanée de la lutte confirme cette trajectoire) à des formes supérieures de combat : affrontements violents avec les forces de la dictature, attaques, émeutes, etc. »

Voici ce qu’on lit également dans l’organe du PCE(ml) Revolución Española en 1973, dans l’article Forgeons le Front révolutionnaire antifasciste et patriote pour renverser le Yankee-Franquisme :

« S’il est vrai que même la principale forme de lutte du FRAP est la lutte politique de masse, il existe toutefois déjà des manifestations du changement qualitatif en cours, telles que des affrontements violents avec les forces répressives, pour couvrir les manifestations avec groupes de protection armés, les commandoss contre les institutions fascistes et yankees, etc., qui sont en réalité des formes embryonnaires de lutte armée, que nous devons non seulement populariser et généraliser, mais aussi développer vers des formes plus élevées de lutte armée, pour aller de l’avant sur le chemin de la guerre populaire, où le FRAP atteindra son plein développement en regroupant et en dirigeant la grande majorité du peuple espagnol vers sa libération sociale et nationale ».

Le FRAP en première ligne contre le franquisme

Voici comment la situation est présentée par le Comité espagnol du Sud-Ouest de la France pour le Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote :

« Les forces réactionnaires impérialistes courent inexorablement à leur perte, mais pour précipiter leur défaite, il faut que le front anti-impérialiste mondial resserre ses liens et que l’internationalisme prolétarien joue son rôle de solidarité sans limites ni frontières.

En France, les antifascistes espagnols sont poursuivis et expulsés en violation de la Convention de Genève sur le droit d’asile politique et en vertu des accords bilatéraux avec le gouvernement franquiste (accords Debré – Lopez Bravo).

L’armée espagnole « made in USA » participe en compagnie des paras français à des manœuvres anti-guérilla dans les Pyrénées – tout récemment encore dans la région de Bagnères-de-Bigorre – Arreau (Hautes-Pyrénées), sous le patronage de hautes personnalités civiles et militaires des deux pays, dont le gouverneur franquiste de la province de Hyesca – en prévision d’une inévitable insurrection populaire en Espagne et pour briser l’aide que le peuple français pourra apporter aux antifascistes espagnols dans leur lutte pour la République et pour l’indépendance nationale.

La visite que Maurice Schumann vient de rendre à son collège Lopes Bravo, membre comme lui de l’Opus Dei, n’est pas fortuite. Depuis la rencontre Castielle – Couve de Murville en 1959, l’impérialisme français apporte un soutien concret à l’oligarchie fasciste espagnole.

Des accords militaires ont été signés, concernant la livraison de 30 Mirage III et la construction sous licence des hélicoptères Alouette (anti-guérilla).

Mais là où la collaboration est la plus étroite, c’est pour réprimer les masses d’émigrants et réfugiés politiques en France. Déjà les deux polices collaborent pour se transmettre les dossiers des antifascistes réfugiés en France.

L’antifasciste Angel Campillo Fernandes a été arrêté et conduit menotté à la main à la Brigade Politico-Sociale franquiste, et condamné à 6 ans de prison, sur la base du dossier fourni par la DST le 23 février à Bordeaux.

Le statut de réfugié politique en France n’est plus d’aucune garantie (on pourrait citer des dizaines de ces cas d’interrogatoires et pressions exercées sur des réfugiés espagnols, mais par mesure de sécurité, nous préférons garder le silence) (…).

Dans les prisons espagnoles, 3 000 détenus politiques subissent les traitements les plus inhumains (…).

Les comités pour le F.R.A.P. à l’extérieur de l’Espagne ne mènent pas une lutte à part et sans relation avec l’intérieur. Ils sont l’arrière-garde organisée des Comités pour le F.R.A.P. en Espagne (…).

Sans unité effective à l’intérieur d’un Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote, qui organise et dirige toutes les actions multiformes contre l’oligarchie des monopoles industriels, des grands propriétaires fonciers et des banques, qui a vendu la patrie à l’impérialisme américain, la victoire est impossible (…).

L’oligarchie s’est convertie en une vaste institution de gangstérisme qui ruine toutes les classes productives non-monopolistes.

La crise atteint toutes les entreprises qui ne se soumettent pas aux monopoles yankees et qui sont saisies par l’INI (Institut National pour l’Industrie, monopole financier et bancaire d’État).

Les importations sont de 70 % supérieures aux exportations et le déficit est couvert par les devises apportées par les émigrants (qui sont venus du capitalisme européen comme des bêtes de somme), et grâce aux devises du tourisme (…).

Cette « paix » et cet « ordre » sont maintenus grâce à 500 000 agents de répression qui touchent 50 000 pesetas par mois chacun (sans compter la possibilité de cumuler deux ou trois traitements).

Pour les seconder, il y a environ 250 000 bureaucrates dans l’administration et 150 000 autres dans le clergé (l’État accorde à ce dernier trois milliards de pesetas par an).

Comme force d’appoint, l’armée yankee avec 35 000 soldats et 30 bases militaires (« les défenseurs de la liberté et de la culture occidentale »), avec, en plus, environ 1 000 agents de la CIA, d’anciens nazis, OAS, etc. (…).

Les impérialistes américains participent à 70 % des investissements de capitaux étrangers en Espagne (dans certains secteurs 100 % des capitaux investis) et les substantiels bénéfices qu’ils en retirent sont complètement exonérés d’impôts (…).

Rien qu’en 1970, il y a eu plus de 1 000 grèves. Et la lutte revêt de plus en plus un caractère insurrectionnel. »

Le FRAP et la concurrence réformiste et révisionniste

Si le FRAP avait une démarche visant un changement de régime, tel n’était pas la ligne du Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste. Celui-ci mit en place une Junta Democrática de España en juillet 1974, tentant de capter l’opposition légaliste au fascisme espagnol. Les socialistes du PSOE œuvraient également de leur côté à ce qu’ils considéraient être une convergence devant faire évoluer le régime.

Des activistes du FRAP

Le PCE (ml) lança de son côté la formation de Comités de Unidad Popular (Comités d’Unité Populaire), alors que le F.R.A.P. se lança dans la lutte armée au moyen de « groupes de combat » s’appropriant des armes, cambriolant des banques, attaquant des entreprises en soutien aux grèves, ainsi que des locaux institutionnels.

Trois policiers furent tués au total lors de ces multiples opérations, alors que le régime exécuta le 27 septembre 1975 les condamnés à mort José Humberto Baena Alonso, José Luis Sánchez Bravo et Ramón García Sanz, trois membres du FRAP. A leurs côtés, il y avait des activistes d’ETA politico-militaire Juan Paredes Manot (Txiki) et Ángel Otaegui.

Ce furent les dernières condamnations à mort du régime, Francisco Franco mourant peu après, et elles provoquèrent une onde de choc en Espagne et en Europe de l’Ouest, avec une vaste solidarité. En France, 50 000 personnes défilèrent, l’idéologie du FRAP étant très présente dans la dynamique.

L’OMLE devient le PCE(r) et fondation des GRAPO

L’une des réponses immédiates aux condamnations à mort fut l’exécution de quatre policiers par cinq commandos différents le premier octobre 1975. C’était l’apparition des GRAPO, les Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre.

Leur manifeste, intitulé « Le peuple sera libre s’il prend les armes », est diffusé dans toute l’Espagne le 18 juillet 1976, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement franquiste et de la mobilisation antifasciste.

Le symbole des GRAPO

Les GRAPO apparaissent ici comme guérilla proposant le conflit ouvert avec le régime à la suite de « l’été de la terreur » ayant culminé dans les condamnations à mort. C’est l’OMLE qui les a générés à partir de son appareil technique et militaire.

Concrètement, la progression de l’OMLE n’était en rien comparable à celle du PCE (ml). En juin 1975, elle tient son congrès dans la ville de Torrelavega, et fonde le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué). Une structure étudiante, l’Organización Democràtica de Estudiantes Antifascistas (ODEA), est mise en place, ainsi que le groupe intellectuel-artistique Pueblo y Cultura, un « Secours rouge », une Unión de Juventudes Antifascistas (UJA), une Asociación de Familiares y Amigos de Presos Políticos (AFAPP), un Socorro Rojo.

Ces structures seront rapidement interdites : le Socorro Rojo en 1977, l’ODEA en 1978 et l’UJA en 1979, les Mujeres Antifascistas en 1980 et Pueblo y Cultura en 1981. L’AFAPP sera interdite en 2005.

L’organisation est basée à Madrid, en Andalousie (Cordoue, Séville, Cadix et sa périphérie), la Galice (Vigo, Ferrol), ainsi que de manière moins prononcée au pays basque (Bilbao surtout), en Catalogne, aux Asturies et la région de León. La moitié est composée de travailleurs manuels, 20 % d’étudiants et d’employés, les diplômés ne formant que 10 % des membres.

Le symbole du PCE(r)

Par ce développement, l’organisation se place directement en concurrence avec le PCE (ml). Et elle ne s’en tient pas là et cherche à concurrencer le FRAP, sur une base évidemment bien différente. Pour cette raison, la « section technique » qui menait des expropriations dans les banques pour financer l’organisation devenait autonome, sous la forme des Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre (GRAPO).

Les GRAPO sont pourtant considérés par le PCE(r) comme un front : tous les membres du PCE(r) ne sont pas dans les GRAPO, et il y a dans les GRAPO des antifascistes, des démocrates, etc. qui ne sont pas du PCE(r).

L’explication était qu’il y avait le besoin d’une organisation

« encadrant le plus grand nombre possible de combattants anti-fascistes, formant ses propres cadres (ne devant pas être nécessairement de membres du Parti ni professer l’idéologie communiste) ».

Cette structure devait être autonome du PCE(r) et ce dernier insistera toujours sur ce dernier aspect, bien que concrètement c’est lui qui a toujours fourni la principale base des GRAPO.

La position du PCE(ml) en 1975

Le PCE(ml) fut fou de rage de l’arrivée des GRAPO. Il considère alors que c’est un interventionnisme gauchiste formant un obstacle à la stratégie de démocratie populaire. Voici comment Elena Ódena exprime le point de vue du PCE(ml) sur la stratégie, dans un entretien avec le journaliste José Dalmau, 17 février 1977. Elle est alors la dirigeante du Parti depuis l’arrestation de García Moya en 1966 et le resta jusqu’à son décès en 1985.

« Après ce processus, le PCE (m-l) continue d’évoluer jusqu’en 1975, année de l’émergence du FRAP avec la lutte armée, quand a-t-il été décidé de suivre cette voie?

–Elena Ódena : La lutte armée, en ce qui concerne le parti, est décidée dès le premier jour. Dans la ligne politique du parti, il est écrit que la violence révolutionnaire, la lutte armée et la guerre populaire étaient le seul moyen de renverser le capitalisme et la dictature franquiste à cette époque et d’implanter un régime de démocratie populaire et de socialisme. Donc ce n’est pas nouveau »

Elena Ódena,
dirigeante du PCE(ml)

Cependant, le PCE (ml) ne savait pas dans quelle direction aller alors qu’à la mort de Franco en décembre 1975 s’ouvrait ce qui sera ensuite appelé la transition. Le PCE (ml) refusait le processus de reconnaissance du nouveau régime, dont la base était pour lui exactement la même qu’avant, toutefois il oscillait entre tout refuser en bloc et participer comme aile gauche au changement en cours.

Voici ce que dit la dirigeante du PCE(ml), dans l’article La dictature monarcho-oligarchique, dépendant de l’impérialisme yankee, peut-elle se transformer en une démocratie bourgeoise?, en janvier 1977.

«L’oligarchie au pouvoir – ses différents secteurs dans leur ensemble – adoptera les formes et les modalités du gouvernement et recourra aux déséquilibres et assouplissements qui les intéressent le plus pour rester plus confortablement au pouvoir, essentiellement sur la base de leurs intérêts de classe.

Les cadeaux et les concessions qui, à un moment ou à un autre, sont obligés de concéder un pouvoir réactionnaire sous la pression des masses, ne changeront en rien leur nature antipopulaire.

Nous, à la tête des masses combattantes, devons utiliser, bien sûr, tous les éléments de la démocratie, toute concession ou liberté pour le peuple, que la dictature se voit obligée de céder, en gardant toujours à l’esprit que les intérêts de classe du prolétariat et des masses laborieuses n’ont rien à voir avec des pseudo-libertés bourgeoises rachitiques et étroites que tout gouvernement réactionnaire en service pourrait être obligé d’accorder dans le contexte actuel de tournant et de lutte révolutionnaire. »

C’était là refuser de se tourner dans un sens ou dans un autre et c’est nécessairement fatal. Car la question de la lutte armée – ou plus exactement de la guerre populaire qu’espérait devenir le FRAP de par son orientation maoïste – devient alors épineuse.

Cela est d’autant plus vrai que la polémique lancée par Enver Hoxha suite à la mort en 1976 de Mao Zedong – contre ce dernier – amène le PCE(ml) à se placer dans l’orbite du hoxhaisme et par conséquent à rompre avec la théorie maoïste de la guerre populaire.

Le PCE(r), lui, de par son orientation initiale de non-participation à quoi que ce soit lié aux institutions y compris sur le plan syndical, se retrouvait de fait tout seul sur le terrain de l’opposition totale.

L’effondrement du PCE(ml) et du FRAP

Ce qui restait du FRAP au moment de la transition se dilue dans des actions illégales consistant en des attaques au cocktail Molotov, accompagnées de répression importante (56 personnes arrêtées rien qu’entre juin 1977 et juin 1979), avec parallèlement de très nombreux hold-ups, sans doute au moins quarante.

Il finit par disparaître, le PCE (ml) le remplaçant par une Convención Republicana de los Pueblos de España, une Convention Républicaine des Peuples d’Espagne appelant à refuser le retour de la monarchie et à la formation de tribunaux populaires pour le jugement des crimes franquistes, avec en arrière-plan la tentative de former au sein des masses un Gouvernement Républicain provisoire.

Cette Convention Républicaine visait à se poser comme alternative plus radicale à ce que proposait le Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste, mais en pratique cela ne faisait que le placer dans son orbite. C’était là la conséquence de l’abandon de la stratégie de la guerre populaire au profit de la ligne hoxhaiste de « pression » depuis l’intérieur du régime.

Le nouveau régime profitait d’ailleurs de l’espoir en le changement ; l’abstention appelée par le PCE (ml) au référendum sur le projet loi de réforme politique de 1976 reste donc sans effet (77,8% de participation, 97,36% de oui), tout comme lors du référendum constitutionnel de 1978 (participation de 67,11%, avec 88,54% de oui).

Ne trouvant plus aucune voie révolutionnaire et ayant fermé la voie de la guerre populaire, le PCE (ml) abandonna le fusil dans son symbole partidaire et se tourna vers l’électoralisme et le réformisme, avec une approche para-syndicale entièrement fondée sur l’Asociación Obrera Asambleísta qui rassembla 2500 délégués à son congrès de 1978.

Toujours illégal, le PCE (ml) se présenta sous la bannière Izquierda Republicana (Gauche Républicaine) aux élections de 1979, obtenant 55 384 votes (soit 0,31% des voix), avant de parvenir à être légalisé en 1981, obtenant aux élections de 1982, en tant que PCE (ml), 23 186 voix, soit seulement 0,11% des suffrages.

Le PCE(r) et les GRAPO sur le devant de la scène

Le PCE(r) arrivait tardivement sur le devant de la scène, cependant sa ligne était celle du refus du syndicalisme et des institutions en général. Il formait par conséquent un pôle de radicalité entièrement autonome lors du tournant de 1975.

Si le PCE (ml) connaît donc alors des hémorragies militantes et des scissions, le PCE(r) se met à organiser la lutte armée de manière approfondie, avec des centaines d’attaques à venir, reprenant le flambeau du PCE (ml) sans pourtant jamais y faire référence puisqu’il était né de manière entièrement extérieur à lui.

Dans le document « Expériences de trois années de lutte », les GRAPO exposent leur point de vue de la manière suivante :

« La classe ouvrière avec son parti d’avant-garde est la force guidant et dirigeant notre révolution, c’est le secteur le plus clair et au premier rang, et en tant que tel celui appelé pour guider et diriger la révolution ; l’unité de la résistance comprend la guérilla (…).

En raison de l’existence du fascisme avec comme conséquence le manque de libertés réelles et la super-exploitation que nous avons vu et que nous voyons toujours soumettre le prolétariat et les larges masses populaires, la contradiction principale qui joue est celle entre l’État espagnol se confrontant au peuple, contre le fascisme et les monopoles. »

C’est une ligne très offensive, au moment où le PCE(ml) cherche à se placer adéquatement, tout en modifiant totalement sa base idéologique. Cela lui est fatal : le PCE(ml) se maintient alors dans les années 1980 comme parti reconnu par l’Albanie, avant de disparaître au début des années 1990.

Le PCE(r) est alors quant à lui en pleine offensive. Comme le dit le Manifeste-Programme du PCE(r) :

« Dans un moment d’aggravation maximale de la crise politique du régime, ainsi que de toutes les contradictions et tensions sociales, le Congrès constitua une plate-forme qui permettra au PCE(r), à peine né, de jouer un rôle important dans la vie politique, tout particulièrement dans la dénonciation de la Réforme (…).

En 1975, quand Franco disparaît de la scène politique et qu’on intronise la monarchie des Bourbon, en suivant les consignes de succession établies par le dictateur, les anciennes formes de domination fasciste venaient d’êtres démolies par la lutte des masses des dernières années. Il était clair que le régime ne pouvait plus tenir debout en conservant son caractère ouvertement fasciste.

D’un autre côté, la stabilité de ces formes engourdissait chaque fois d’avantage la réalisation des plans de la classe dominante espagnole, poussée à son intégration totale, économiquement et militairement, dans le bloc impérialiste.

C’est ainsi qu’on ouvre le pas, au milieu de la division des chapelles politiques et des groupes financiers, à la réforme politique. »

La ligne du PCE(r)

Le PCE(r) a une ligne fondamentalement différente de celle du PCE(ml), puisqu’il considère l’Espagne comme capitaliste et a abandonné la thèse comme quoi c’est un satellite américain. Voici son programme :

« Le programme du Parti pour une étape de transition se résume en seize points :

1) Formation d’un Gouvernement Provisoire Démocratique Révolutionnaire.
2) Création de Conseils ouvriers et populaires comme base du nouveau pouvoir.

3) Dissolution de tous les corps répressifs de la réaction et armement général du peuple.
4) Libération des prisonniers politique antifascistes et mise en procès de leur tortionnaires et assassins contre-révolutionnaires. Large grâce pour les prisonniers sociaux.

5) Expropriation et nationalisation des banques des grandes propriétés agricoles, des monopoles industriels et commerciaux et des principaux moyens de communication
6) Reconnaissance au droit à l’autodétermination des peuples basque, catalan et galicien. Indépendance pour la colonie africaine des Canaries. Retour de Ceuta y Melilla au Maroc.

7) Suppression de tous les privilèges économiques et politiques de l’Eglise ; séparation radicale de l’Église et de l’école. Liberté de conscience.
8) Liberté d’expression, d’organisation et de manifestation pour le peuple. Le droit de grève sera une conquête irréversible des travailleurs.

9) Incorporation de la femme, sur un pied absolue d’égalité avec l’homme, dans la vie économique, politique et sociale.
10) Reconnaissance de tous les droits électoraux politique, sociaux, etc. des travailleurs immigrés. Suppression de toute forme d’oppression et de discrimination raciale, sexuelle et culturelle.

11) Réduction de la journée de travail. Travail pour tous. Amélioration des conditions de vie et de travail.
12) Logements dignes et économiques ; sécurité sociale, santé et enseignement a la charge de l’État.

13) Droit de la jeunesse à recevoir une formation intégrale et gratuite, droit à un travail sain et bien rétribué, de disposer de locaux et d’autres moyens pour le libre déroulement de ses activités
14) Sortie immédiate de l’OTAN et de l’UE, ainsi que des autres organisations créées pour l’agression et le pillage impérialiste.

15) Démantèlement des bases militaires étrangères sur notre territoire et réintégration de Gibraltar.
16) Application des principes de coexistence pacifiques dans les relations avec tous les pays. Appui de la lutte de libération des peuples opprimés. »

La première grande offensive des GRAPO

Le 18 juillet 1976, les GRAPO mènent 60 attaques à l’explosif à l’occasion du soixantième anniversaire du début de la guerre civile. Sont visés des symboles de la victoire franquiste durant la guerre civile.

Les GRAPO tentent également d’exécuter Agustia Munoz Vazques, un chef militaire ayant négocié l’intégration de l’Espagne dans l’OTAN. Le 7 mai, ils blessent grièvement Emilio Rodriguez Roman, le directeur général de la Direction Générale de la Sécurité après qu’une manifestation ouvrière fut mitraillée par la police.

En décembre 1976 un commando enlève le président du conseil d’Etat Antonio María de Oriol y Urquijo alors que des attaques à l’explosif sont menées contre les installations de la télévision espagnole.

En janvier 1977 le président de la Cour Suprême de la justice militaire, le lieutenant-général Emilio Villaescusa Quilis est enlevé, alors que quelques jours avant des manifestants avaient été abattus dans les rues par la police et qu’un commando d’extrême-droite avait mené une opération contre un local de gauche madrilène et tué cinq activistes.

Les deux enlèvements échouent finalement par une opération de police en février 1977.

Deux policiers et un garde civil sont tués, trois autres blessés, lors de deux attaques contre les forces fascistes suite à l’exécution de cinq avocats de gauche par une unité paramilitaire supervisée par la Garde Civile. Le 4 juin 1977 deux gardes civils sont également exécutés à Barcelone alors qu’ont lieu les premières élections générales depuis 1936.

Le 27 septembre 1977, le capitaine de la police Florentino Herquedas est exécuté par les GRAPO à Madrid ; il était un des chefs des équipes fusillant les antifascistes du FRAP et d’ETA le 27 septembre 1975. Les GRAPO s’approprièrent en passant plus de 500 kilos d’explosifs.

Le 22 mars 1978 le directeur général des prisons Jesús Haddad est exécuté à Madrid; il était notamment responsable de l’assassinat sous la torture d’un prisonnier anarchiste à la prison de Carabanchel, la police essayant de lui arracher des informations sur un plan d’évasion de prisonniers du PCE(r) et des GRAPO.

Arenas, secrétaire du PCE(r) fut rapidement emprisonné, dès 1976 et jusqu’en 1984, où il retourna dans l’illégalité jusqu’à son arrestation en 2000.

Le programme en cinq points du PCE(r)

L’année 1978 est marqué par une grande révolte populaire, avec une vague de grèves inébranlable, notamment au Pays basque, en Andalousie et en Galice. Cela aboutit à la mise en place d’une constitution nouvelle en novembre.

Dans ce contexte, le PCE(r) fit un programme en cinq points formant la base d’une éventuelle négociation avec le gouvernement. Il était exigé :

– l’amnistie totale et la suppression des lois répressives ;

– l’épuration des éléments fascistes des corps répressifs, des tribunaux et des autres institutions étatiques ;

– l’affirmation sans restrictions des libertés politiques syndicales ;

– la sortie de l’OTAN et le démantèlement des bases américaines ;

– la dissolution du parlement et la convocation d’élections libres formant une assemblée constituante.

Cette démarche est accompagnée d’une multitude d’actions de basse intensité (attaques aux cocktails molotov, formation de barricades, incendies divers, saccage de commerces, etc.). Le 10 janvier 1979, le magistrat du tribunal suprême Cruz Cuenca est même exécuté.

La seconde offensive des GRAPO

Le tournant se produit le 20 avril 1979, lorsque le dirigeant du PCE(r) Juan Carlos Delgado de Codes est assassiné lors d’un traquenard de la police, fait même reconnu par la presse espagnole. Le PCE(r) considère alors qu’aucune négociation n’est plus possible.

Carlos Delgado de Codes

Le 5 mars 1979, le général Muñoz Vázquez est exécuté en plein Madrid ; le 6 avril c’est le chef de la brigade antiterroriste de la police qui est tué par les GRAPO.

Le 11 avril 1979, le directeur général des institutions pénitentiaires García Valdés échappe à une action contre lui. Le 25 mai 1979, l’inspecteur de police Damián Seco Fernández est tué lors d’une fusillade. Le 2 septembre 1980, le général de brigade Enrique Briz Armengol est exécuté.

L’année 1979 est celle où les GRAPO menèrent le plus d’actions.

Le coup d’arrêt par la répression

Il faut ici comprendre le contexte meurtrier. Le nombre d’actions meurtrières des GRAPO pour la période 1975-1977 est grosso modo équivalent à celui d’actions du même type menées par l’extrême-droite. Il y a une situation de polarisation violente.

ETA, l’organisation indépendantiste basque, mène sur ce plan deux fois plus d’actions meurtrières que les GRAPO. Mais la police, durant la même période, tue bien plus d’activistes qu’ETA. A la polarisation s’associe un interventionnisme étatique meurtrier.

Il va de soi ici qu’ETA dispose d’une base bien plus large que celle des GRAPO. Cela implique que pour mener autant d’initiatives, il faut un très haut degré d’activisme et cela ne va pas sans prix à payer.

Deux membres des GRAPO périssent en tentant de faire sauter le palais de justice de Séville. En janvier 1977, 40 membres du PCE(r) et des GRAPO sont arrêtés. En octobre 1977, c’est le comité central du PCE(r) qui est arrêté, à Benidorm.

En juin 1979, un commando para-étatique assassine en France Francisco Javier Martín Eizaguirre, le premier dirigeant du PCE(r), et Aurelio Fernández Cario.

Javier Martín Eizaguirre

En 1979, ce sont pas moins de 306 personnes qui sont en prison en raison de leur appartenance au PCE(r) ou aux GRAPO. L’État accuse en particulier 65 prisonniers des GRAPO de 14 assassinats, 30 attentats à l’explosif, 50 attaques à main armée.

On notera le tour de force des cinq prisonniers des GRAPO (dont des mineurs), qui parviennent à creuser un tunnel pour s’enfuir de la prison de Zamora en décembre 1979.

La prison de Zamora

En 1980, il y a 143 arrestations ; en 1981, leur chiffre est de 207.

Entre 1979 et 1982, pas moins de 12 membres des GRAPO sont tués lors d’affrontements avec la police.

« Violences terroristes » et « violences de basse intensité »
« Violences terroristes » et « violences de basse intensité »

A cela s’ajoute les grèves de la faim, longues et dures. Juan José « Kepa » Crespo Galende meurt le 19 juin 1981 après 94 jours de grève de la faim.

L’enterrement de Kepa

Une victoire incroyable fut cependant obtenue ici, puisque dans la prison de Soria, de 1980 à 1989, 80 prisonniers du PCE(r) et des GRAPO furent regroupés.

La question de la négociation ou de l’affrontement

Alors que les élections vont se tenir, les GRAPO mènent en octobre 1982 30 attaques à l’explosif dans quinze endroits à travers tout le pays. Ce sont les socialistes du PSOE qui l’emportent, mais le 5 décembre 1982, le dirigeant des GRAPO Juan Martin Luna, sans armes, tombe dans un traquenard de la police à Barcelone et est assassiné.

Cela pose un grave dilemme au PCE(r), qui a entamé des négociations à la prison de Soria, par l’intermédiaire de ses prisonniers, avec des responsables du ministère de l’intérieur, mais sans résultats.

Une partie des prisonniers affirme toutefois alors que « la crise révolutionnaire est terminée » et « revendique la raison », abandonnant le mouvement.

A cette capitulation s’ajoute le triomphe dans les GRAPO de la ligne « Tout pour la guérilla », qui va durer jusqu’en 1985, année marquée par une défaite pratique de cette ligne face à la répression.

Cette situation ne sera jamais digéré et à partir de là, le PCE(r) ne saura jamais s’il doit aller dans le sens d’une pression pour des négociations, ou au contraire s’il doit aller à l’affrontement. Ce dilemme va être au cœur de toute son existence par la suite, jusqu’à l’effondrement.

Des prisonniers du PCE(r) et des GRAPO

Les années 1983-1984

Dans ce contexte marqué par la tendance à la capitulation, à la négociation ou à la fuite en avant, les GRAPO décident de se renforcer au moyen d’une approche nouvelle. Reprenant la méthode d’ETA appliqué dans un contexte de libération nationale, les GRAPO exigent un impôt révolutionnaire à certains patrons.

Plus de cent d’entre eux payent cet impôt en 1984. Les GRAPO mènent dans ce cadre quatre attaques afin d’exécuter l’industriel Félix de la Piedad, le directeur de l’agence immobilière Urbis Manuel Ángel de la Quintana, le président du patronat de Séville Rafael Padura.

70 attaques à l’explosif sont également menés durant la période 1983-1984.

Hommage à Juan García Rueda

Considérant le régime comme fasciste, les GRAPO visent également directement le personnel lié à l’armée. En avril 1983, un lieutenant de la police nationale est tué à Valence et un garde civil (l’équivalent d’un gendarme) à La Corogne. Deux policiers sont tués en janvier 1984, et à La Corogne, un haut responsable de la radio national est exécuté.

Cette ligne focalisée sur l’organisation elle-même – avec 46 actions menées au total pour 1984 – aboutit à un échec total. Le 19 janvier 1985, l’État espagnol démantèle les GRAPO avec 19 arrestations dans neuf provinces, la découverte de 17 appartements, de tout un arsenal ainsi que d’importantes sommes d’argent.

Des erreurs dans la sécurité avaient permis la mise en place de cette opération de police en simplement 48 heures.

Des prisonnières du PCE(r) et des GRAPO

La réorganisation et la fuite en avant

En septembre 1984, le dirigeant du PCE(r) Arenas propose un document intitulé « Quel chemin allons-nous prendre », posant une rectification de la ligne stratégique. Il venait de sortir de prison où il était depuis 1976. C’est alors le triomphe d’une ligne pragmatique-technique.

En 1985, les GRAPO ont pratiquement cessé d’exister. sept de leurs membres sont arrêtés lors des « expropriations » dans les banques. Il faudra attendre 1987 pour une reprise avec six actions armées, notamment l’attaque d’un commissariat de Malaga pour se procurer des armes (les trois policiers présents furent simplement ligotés).

En 1988, « l’impôt révolutionnaire » est de nouveau collecté, un entrepreneur galicien étant tué en mai, un autre à la Corogne en juillet 1988. En octobre une opération récupère 800 cartes d’identité vierges, un policier étant tué. En mars 1989, alors que se réunit à Madrid l’instance internationale TREVI (l’ancêtre d’Europol), les GRAPO tuent deux gardes civils.

En juillet 1989, 148 millions de pesetas sont récupérées lors d’une attaque de banque dans la province de Castellón. En novembre, un haut gradé militaire est grièvement blessé, le 18 un membre de la police secrète est tué, le 28 deux gardes civils gardant un bâtiment sont tués.

C’est là une fuite en avant d’autant plus marquante que ces actions d’une grande brutalité, alors que les GRAPO agissent littéralement comme une fin en soi, sont censés épauler une grève de la faim totale des prisonniers commençant en novembre, pour leur regroupement qui avait été aboli par le régime.

Les grévistes sont alors nourris de force et Jose Manuel Sevillano Martin meurent dans des conditions atroces le 25 mai 1990, après 177 jours de grève de la faim. Entre-temps, l’un des médecins ayant servi la mesure répressive, José Ramón Muñoz Fernández, fut tué à Saragosse en mars. Un autre, José Luis Casado, échappa à trois tentatives des GRAPO.

Enfin, un colonel de l’armée est tué à Valladolid en juin et en septembre, les GRAPO mènent plusieurs attaques à l’explosif à Madrid (la bourse, la cour suprême, le ministère de l’économie).

A Tarragon, il y a des dégâts pour une somme se chiffrant par millions dans l’attaque d’installations pétrolières le 8 septembre, alors que deux jours plus tard d’importants dégâts sont causés dans l’attaque des locaux centraux du PSOE à Barcelone.

Le même mois un millier de permis de conduire vierges sont récupérés à Gijón et les locaux dévastés à l’explosif, puis en novembre deux attaques à l’explosif visent des bâtiments officiels à Barcelone.

1990 et les signes de la déroute

Le tournant de 1985 a concrètement totalement modifié la ligne du PCE(r) et des GRAPO, même s’il y avait déjà cela en germe. Avant 1985, le PCE(r) se veut le protagoniste d’un affrontement puisant dans la bataille contre le fascisme et son prolongement. Après 1985, on passe à une ligne marxiste-léniniste pragmatique-technique s’orientant par rapport à une théorie se voulant universelle de l’État moderne comme étant fasciste.

Pour donner un exemple de ce positionnement ultra, lorsque Francisco Brotons Beneyto « Miguel » sort de prison en 2002 après 25 ans, les médias l’attendent à la sortie, mais sa seule déclaration est alors :

« Je ne fais pas de déclarations aux médias fascistes. »

C’est une sorte de ligne semi-anarchiste qui l’emporte, amenant d’ailleurs le PCE(r) à sortir d’une analyse de l’Espagne pour s’aligner sur le courant pragmatique-technique dit « communiste combattant » issu de la ligne de la « seconde position » des Brigades Rouges et qui récusent la « subjectivité ».

Dans ce cadre, le PCE(r) produit un document de critique de la RAF et des Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant, dénommé « Deux lignes ». Ce document est une référence absolue pour le courant pragmatique-technique se définissant comme « communiste combattant ».

Une théorisation du rapport entre Parti et guérilla est également réalisée, dans un document écrit par les prisonniers et qu’on peut considérer comme une sorte de grande synthèse de l’activité menée jusque-là : « Parti et guérilla ».

Il est marquant ici que, comme les révisionnistes et nombre de marxistes-léninistes n’ayant pas saisi ce concept, le PCE(r) voit en les pays capitalistes un capitalisme monopoliste d’Etat. Or, c’est la thèse révisionniste d’Eugen Varga validée par le social-impérialisme soviétique et affirmant qu’on est passé à un prétendu nouveau stade impérialiste.

Le PCE(r) n’a cependant rien saisi de ses problèmes, car depuis 1985 il ne cesse de souligner la croissance d’un « mouvement populaire de résistance » en Espagne, d’une montée d’une vague révolutionnaire, etc.

Cet optimisme idéaliste s’associe à une lecture pratiquement délirante de l’URSS et de la Chine. Voici ce qu’on lit dans la presse du PCE(r) en 1991, alors que l’URSS s’effondre (après avoir été social-impérialiste) et que la Chine révisionniste bascule dans le capitalisme à outrance :

« Pour toutes ces raisons, et comme le confirment l’analyse historique et les événements les plus récents, nous nions que puisse se produire un recul ou un retour au capitalisme dans l’ensemble des pays socialistes.

Et même dans l’hypothèse où se déroulerait un phénomène de ce type, nous devrions considérer que le socialisme parviendrait à réapparaître avec des forces décuplées. Il faut avoir en tête que le système socialiste est fondamentalement composé de l’URSS et de la RPC [République Populaire de Chine], deux grands pays extrêmement peuplés, de grande superficie, aux énormes capacités économiques, scientifiques, technologiques et militaires.

Ils sont de plus dotés d’une considérable expérience en matière d’organisation et de direction des affaires publiques. Il est vrai que les révisionnistes et la bourgeoisie ont fait beaucoup de mal aux masses populaires de ces pays, les menant au bourbier dont il est assez difficile de sortir maintenant, mais ils n’ont pas atteint, ni n’atteindront l’objectif d’y rétablir le capitalisme . »

On est là en plein révisionnisme, pratiquement fou furieux.

Les années 1990

Les années 1991 et 1992 sont marquées par plusieurs attaques, comme en février 1991 l’attaque à l’explosif contre un pipeline de l’OTAN de Rota-Zaragoza dans la région de Cordoue, le paralysant pendant six heures, ou en avril 1992 contre l’institut national industriel et le ministère de l’emploi. Il y eut également des expropriations bancaires.

En juin 1991, l’ancien directeur des prisons Enrique Galavís Reyes échappe à la mort dans la destruction à l’explosif de sa maison ; en octobre, l’inauguration du TAV (l’équivalent du TGV) par le ministre des Travaux publics et des Transports est fortement perturbé par des sabotages effectués par les GRAPO.

En 1993, l’attaque d’un fourgon blindé de transports de fonds à Saragosse échoue et trois membres des GRAPO sont tués. Sept attaques à l’explosif sont menées à Madrid (locaux du PSOE, association des employeurs, syndicat patronal, Institut national de l’industrie, etc.).

La question des fonds est encore au centre de plusieurs actions de 1994, avec plusieurs actions en cette direction, alors qu’en janvier deux attaques ont lieu contre un centre des impôts et un bureau pour la recherche d’emploi, dans un contexte de grève générale. En juillet et en décembre deux fourgons blindés de transports de fonds sont dévalisés.

En 1995, les GRAPO enlevèrent Publio Cordon, un riche entrepreneur à la tête d’assurances ; selon les GRAPO il fut libéré contre une rançon de 400 millions de pesetas, mais il semble qu’en réalité il s’est tué en essayant de s’enfuir.

Ce positionnement n’a naturellement aucune perspective et en 1997, il est rendu public qu’il existe des discussions depuis un an entre le ministère de l’intérieur espagnol et les prisonniers du PCE(r) et des GRAPO, afin de parvenir à un accord.

L’échec de celles-ci provoquent un vide stratégique et l’émergence d’une « fraction Octobre » lançant une attaque contre la direction, accusée de basculer dans un déviationnisme de droite et de chercher une porte de sortie n’étant en fait qu’une reddition.

En 1998, les GRAPO mènent des actions en mars contre trois agences des impôts à Madrid, ainsi qu’une compagnie d’assurances et la radio, ainsi qu’une action à Barcelone en décembre contre l’office de promotion du travail et de l’employeur.

En avril 1999, les GRAPO font détonner une bombe sur la tombe de Franco dans la basilique de la Vallée des morts.

Arenas et l’offensive anti-maoïste

Le problème du PCE(r) était simple. Il avait assumé la guerre populaire prolongée, ajoutant somme toute la dimension « prolongée » au concept développé par le PCE(ml). Mais il n’avait jamais eu l’envergure du PCE(ml) et sa démarche est initialement purement technique, les GRAPO sortant de l’appareil de sécurité du PCE(r).

Le niveau idéologique PCE(r) était bloqué au niveau de l’OMLE et pour donner un exemple, lorsque Gonzalo se fait arrêter au Pérou en 1992, le PCE(r) publie un article « Le maoïsme et la caricature du marxisme ».

Cette matrice bloquait tout et Arenas, le dirigeant du PCE(r), est très clair encore à la fin des années 1990 : on ne change rien. Il écrit pour ce faire plusieurs articles, qui allaient en réalité non pas faire de lui un grand théoricien, mais coincer définitivement le PCE(r) entre marxisme-léninisme et marxisme-léninisme-maoïsme, et ainsi le condamner à se faire broyer.

Ces longs articles, tous parus dans la revue théorique du PCE(r), Antorcha, sont :

Ligne de masses et théorie marxiste de la connaissance (janvier 1998) ;

L’universel et le particulier (janvier 1999) ;

Le problème de l’identité (juin 1999).

Le premier article conclut ainsi par la question :

« Le maoïsme est-il le marxisme-léninisme de notre époque ? »

Arenas s’y évertue à jongler entre le hoxhaisme (le « maoïsme » est un practicisme, un économisme, un basisme, etc.) et une certaine reconnaissance de Mao Zedong.

Le second texte est bien plus ambitieux puisqu’il vise à critiquer la conception « philosophique » de Mao Zedong – Arenas reprend en fait entièrement la thèse hoxhaiste comme quoi Mao Zedong se trompe en disant qu’il y a une contradiction principale et des contradictions secondaires, mais sans jamais le dire. Il réduit Mao Zedong à un empiriste tendanciellement tourné vers la bourgeoisie,exactement comme Hoxha l’a fait.

Une note ajoutée à la fin de l’article le résume à un empiriste :

« Toute la conception de Mao tourne autour de cette vision unilatérale de la contradiction qui découle toujours de la réalité immédiate et a perdu de vue d’autres facteurs de développement importants. C’est pourquoi il convient de noter que, si la loi de la contradiction est la plus importante de la dialectique, elle ne peut toutefois pas être réduite à cette loi. »

Le dernier moment est une dénonciation de Mao Zedong pour avoir souligné qu’il y avait unité des contraires, Arenas reprenant les arguments hoxhaistes comme quoi il n’y aurait que lutte, que parler d’unité c’était accepter la collusion avec la bourgeoisie, etc.

La déroute de 2000

En mai 2000, les GRAPO échouent dans l’attaque d’un fourgon blindé à Vigo ; les convoyeurs ouvrent le feu et deux d’entre eux sont tués. En septembre, la police désamorce une bombe des GRAPO à un siège d’intérim ; le lendemain un colis piégé est déposé au quotidien El Mundo à Barcelone par trois personnes cagoulées, faisant plusieurs blessés dans les rangs de la police.

Resistencia,
le magazine du PCE(r)

Puis vient la déroute complète, scellant le sort des GRAPO. En novembre 2000, la police française interpelle à Paris et en banlieue parisienne, à Boulogne-Billancourt, Montrouge (Hauts-de-Seine) et Cachan (Val-de-Marne), le noyau dur du PCE(r) : Manuel Pérez Martínez dit Arenas, Isabel Llaquet Baldellou, José Luis Elipe López, José Antonio Peña Quesada, Maria Rosario Llobregat Moreno. Deux membres des GRAPO sont arrêtés : Fernando Silva Sande et Maria Victoria Gómez Méndez.

Les GRAPO répondent huit jours plus tard en tuant un policier. En novembre 2001, un fourgon blindé de transports de fonds est dévalisé à Santander. Mais en juillet 2002, huit membres des GRAPO sont arrêtés à Paris et six à Madrid.

Quelques actions sont menées, mais de manière espacée. En avril 2003 une banque est attaquée à Leganés ; en février 2006 la tentative d’enlèvement d’une entrepreneuse dans le travail temporaire échoue, celle-ci étant tuée. L’attaque d’une banque un mois plus tard à Castellón échoue également.

Trois membres des GRAPO sont alors arrêtés en juin. Le mois d’après, les GRAPO attaquent une banque à Saint-Jacques de Compostelle. C’est alors la fin de l’organisation et le PCE(r) semble anéanti également comme structure organisée.

En 2008, six personnes agissant dans la légalité sont arrêtées et accusées de servir de structure au service des GRAPO.

Au total, 6 membres du PCE(r) sont morts tués par la police, sous la torture ou lors de grèves de la faim. 16 membres des GRAPO sont morts tués par la police, sauf un à la suite d’une grève de la faim, un sous la torture, un officiellement par suicide au bout de trois ans d’isolement carcéral total, un par absence de soins en prison. Cinq membres des GRAPO sont morts lors d’actions.

Environ 3500 personnes ont été arrêtées en liaison avec le PCE(r) et les GRAPO, plus de 1400 ont été emprisonnées. Autant ont été maltraitées voire torturées.

=>Retour au dossier PCE (ml) et FRAP, PCE (r) et GRAPO

Gauche Prolétarienne De la lutte violente de partisans

[Mars 1970.]

INTRODUCTION

Les très violentes attaques de l’ennemi contre nous, qui se développent rapidement, et systématiquement, témoignent clairement d’un tournant dans l’histoire de la Gauche Prolétarienne.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Au fond, la lutte très sévère que nous avons menée contre les liquidateurs du mouvement de masse, de l’espoir né en mai 68 (an I de la nouvelle résistance populaire), cette lutte-là, qui nous a formés et forgés, commence depuis la rentrée prolétarienne de 69 à donner ses fruits.

Un « nouveau sentiment » se répand dans le peuple : celui de la lutte directe contre les oppresseurs ; une pratique nouvelle des masses s’impose : la lutte populaire, violente, de partisans.

Que l’on se souvienne des premiers temps : nous étions encerclés, déjà, calomniés, déjà, nous étions une petite poignée. Nous avons grandi, parce que nous nous sommes battus, parce que nous avons eu confiance dans l’intelligence du prolétariat, parce que nous avons fermement adhéré à la grande vérité de notre temps : le pouvoir est au bout du fusil.

Et aujourd’hui, nous sommes plus forts et nous voyons plus clair.

Nous n’hésitons plus à nous jeter dans le monde où l’on souffre et où se battre est une nécessité, où l’on se bat pour que naisse une paix juste, la paix dans la liberté pour l’immense majorité, pour le peuple ; c’est là le premier fruit de la politique dégagée en octobre.

Et nous sommes mieux organisés : notre journal, le journal des ouvriers en colère est plus acéré, son caractère prolétarien s’est affirmé et sa diffusion dans les masses est engagée. Un recul net des positions non prolétariennes dans le domaine du style de pensée, de langage, de travail et de vie est incontestable.

Ce sont là d’autres succès d’octobre. Il y a donc eu des victoires au cours du mouvement de réforme commencé en octobre.

Notre présence dans les masses en est renforcée, le soutien populaire est plus grand et dans certaines grandes usines le sol commence à trembler sous les pieds des patrons et de la police syndicale. En un mot les premiers francs-tireurs prolétariens de la guerre de classe commencent à frapper.

Voilà pourquoi l’ennemi a commencé à nous attaquer avec une extrême violence.

Comme l’enseigne notre grand guide : 

« Si l’ennemi nous attaque avec violence, nous peignant sous les couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons, c’est encore mieux, car cela prouve non seulement que nous avons établi une ligne de démarcation nette entre l’ennemi et nous mais encore que nous avons remporté des succès remarquables dans notre travail. »

Les complots et les attaques de nos ennemis visant à semer la dissension entre les masses et nous sont nombreux, variés et se développent rapidement : le silence sur les grandes actions de partisans dans les mines ou au métro ; la provocation comme cela se dessine à Dunkerque, à Bezons ou bien à Strasbourg ; les arrestations qui visent non seulement à nous intimider et à renforcer dans nos rangs les idéologies liquidatrices mais qui maintenant visent à nous mettre « hors d’état de nuire » aux intérêts des exploiteurs ; l’asphyxie financière par les attaques contre notre journal et les amendes.

Voilà des exemples-types de la campagne de l’ennemi visant à l’encerclement et l’anéantissement de la gauche et plus encore de ce qu’elle représente : l’avenir de la nouvelle résistance.

Mais surtout ce qu’il faut retenir, c’est le mensonge abject, les ignominies des social-fascistes en particulier.

Le mensonge c’est ce par quoi ils essaient de nous isoler ; le plus important pour nos ennemis c’est de nous dépeindre sous les couleurs les plus sombres.

Le plus important pour eux c’est de salir l’image de la nouvelle résistance naissante, d’inverser le blanc et le noir, de faire des constructeurs de la lumière des voyous, une pègre destructrice, des « asociaux ».

Le Président nous enseigne « la vérité a la couleur d’un drapeau net ». Nous voulons aux yeux des masses garantir la couleur de notre drapeau ; voilà pourquoi nous disons « la vérité vaincra ».

Et cela doit signifier dans la vie un travail politique dans les masses sans précédent pour nous.

Allons plus loin, voyons clairement comment nous allons briser net la première campagne d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi.

Regardons les choses en face sans maquiller la réalité : si l’ennemi peut encore nous dépeindre comme des « marginaux » c’est que nous n’avons pas encore construit correctement à l’échelle nationale des régions de partisans dont l’arrière soit de solides bases d’appui d’usine.

Quand se généraliseront les combats des francs-tireurs prolétariens de la guerre de classe, alors on nous traitera certainement de terroristes, de bandits comme les réactionnaires traitaient les partisans chinois, mais on ne pourra plus nier que nous créons un climat d’insécurité généralisée pour l’ordre patronal dans les usines et les régions-usines.

On ne dira pas de nous « ce sont des marginaux », « des asociaux ». Il ne faut pas tactiquement sous-estimer l’ennemi.

Tant que la lutte violente de partisans n’aura pas pour base d’appui le prolétariat d’usine, le mensonge « ce sont des asociaux » risque de tromper certains éléments du peuple.

Voilà pourquoi nous disons : pour briser l’actuelle campagne d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi il faut répondre par l’application énergique de notre mot d’ordre central :

« DANS LES RÉGIONS-USINES OU LES MASSES SONT POUR NOUS COMME LA FORET ET LA JUNGLE QUI NOUS CACHENT IL FAUT MENER LE TRAVAIL DE PROPAGANDE POLITIQUE TOUT EN POURSUIVANT LA GUÉRILLA. »

Adhérer fermement à ce mot d’ordre, c’est bien sûr non seulement briser l’attaque de l’ennemi, mais faire un bond en avant dans notre liaison avec les masses fondamentales.
Briser l’attaque de l’ennemi et renforcer notre liaison avec les masses c’est une seule et même chose.

Et de fait le plan stratégique de réajustement exposé dans le rapport suivant ouvre une nouvelle période de la réforme.

La première, on l’a vu, a été marquée par un certain nombre de succès mais nous n’avons pas encore remporté de victoire décisive de la réforme, dans la construction du Parti prolétarien.

Il n’y aura d’afflux de sang neuf prolétarien, d’afflux de masse qu’en traduisant dans la vie nettement la stratégie d’édification des bases d’appui d’usine.

En d’autres termes : la décision stratégique de se concentrer dans les régions-usines afin d’y mener la lutte populaire, violente, de partisans, cette décision est capitale pour la fondation du Parti.

Pour appliquer cette décision il faut une idéologie au moins aussi ferme que celle que nous avions quand nous avons créé la Gauche dans les pires conditions.

Et nous comptons pratiquement sur les pionniers de la lutte, ceux qui n’ont jamais accepté dans les faits la liquidation, jamais c’est-à-dire à aucune des étapes que nous avons traversées, nous comptons sur ces militants et ces cadres pour diriger cette longue marche dans les régions-usines.

Nous comptons principalement sur les militants ouvriers qui ont permis que la Gauche arrive à ce tournant de notre histoire.

A eux incombe la tâche de poser dès demain les pierres de la fondation du Parti qui, enraciné dans les régions-usines, unifiera le peuple dans la lutte de partisans. Lénine disait : la révolution n’est pas droite comme la perspective Nevski, une sorte de Champs-Elysées russe.

Il y a de très nombreux détours, de nombreuses vicissitudes dans le cours de la lutte ; pour vaincre, il faut éliminer la mentalité défaitiste qui s’affole dès que tout ne marche pas comme on aimerait.

« ELIMINONS LA MENTALITE DEFAITISTE »

Si nous appliquons avec justesse notre politique, l’attaque de l’ennemi sera brisé et l’espoir dans le peuple portera un nom :

NOUVELLE RÉSISTANCE

Rapport d’orientation

I. – POUR PRENDRE LE POUVOIR, NOTRE PEUPLE DEVRA MENER UNE LUTTE ARMÉE PROLONGÉE

Toutes les classes luttent pour le pouvoir, parce que sans le pouvoir on a rien, avec le pouvoir on a tout. Il faut que les patrons aient le pouvoir pour continuer à faire du profit ; il faut que le peuple ait le pouvoir pour avoir la liberté et le bonheur.

Or le Président Mao nous enseigne que « le pouvoir est au bout du fusil ».

Ce qui veut dire que c’est par les armes, par la guerre qu’une classe conserve ou prend le pouvoir. C’est parce qu’aujourd’hui ils ont les armes que les patrons ont le pouvoir.

Et c’est en faisant la guerre ouverte au peuple qu’ils chercheront désespérément à le conserver lorsque leur pouvoir sera menacé de mort.

De même c’est parce que aujourd’hui le peuple est désarmé qu’il est maintenu dans l’oppression, et c’est en prenant les armes et en faisant la guerre aux patrons qu’il prendra le pouvoir.

Donc toutes les forces de classe, qu’elles l’avouent ou non, répondent à leur manière à cette question « qui aura le pouvoir demain ? Qui aura les armes demain ?»

La bourgeoisie y répond sans se dissimuler aujourd’hui comme demain, elle veut conserver le pouvoir. Elle le conservera en menant s’il le faut la guerre contre le peuple, c’est pour cela qu’elle fait occuper les villes par ses flics ; c’est pour cela qu’elle prépare son armée à la guerre civile.

Les révisionnistes et la police syndicale répondent aussi à cette question. Ils y répondent à leur manière ; celle d’un flic en civil, avec l’apparence d’être du côté du peuple ; ils sont en réalité du côté de ses ennemis. En apparence, en paroles, ils veulent que le peuple demain ait le pouvoir. Mais en réalité, ils veulent que lès patrons le conservent.

Et pour cela ils ne préparent pas le peuple à la guerre, ils voudraient l’obliger à rester dans la paix, c’est-à-dire en fait dans l’obéissance à la loi et aux armes des patrons.
Et quand le peuple, de lui-même, choisit de préparer la guerre, frappe directement ses ennemis, brise la loi du patron, ils sont les premiers à intervenir pour essayer de rétablir l’ordre.

Nous autres maoïstes, nous sommes la troisième force politique organisée qui réponde à cette question : « qui demain aura le pouvoir ? Qui demain aura les armes ? »

Nous disons la troisième force politique, parce que nous ne comptons pas tous les bourgeois qui disent la même chose sous des formes différentes ; tous les groupuscules parasites qui disent, au fond, la même chose que les flics en civil du P.C.F. et des syndicats.

Nous voulons que demain, le peuple ait le pouvoir, et nous savons qu’il ne l’arrachera que par la lutte armée prolongée ; le concept stratégique qui guide notre travail c’est donc « se préparer, préparer le peuple en prévision d’une guerre » ; la lutte politique que nous menons aujourd’hui doit préparer la lutte politique armée que nous mènerons demain.

Particulièrement dans les usines qui doivent être le lieu principal de notre travail politique, elle doit briser l’idéologie pacifiste légaliste, idéologie de soumission entretenue par les syndicats.

II – LA LUTTE VIOLENTE DE PARTISANS, PRÉPARATION A LA GUERRE PROLONGÉE

La lutte politique qui nous prépare à la lutte armée, c’est la lutte violente de partisans. Pourquoi ?

A) La lutte violente de partisans crée les conditions politiques de la lutte armée.

La définition la plus générale de la lutte violente de partisans, c’est la suivante : elle fait respecter sur le terrain la loi des pauvres contre la loi des exploiteurs.

La loi et le droit des pauvres, tous les pseudo-révolutionnaires s’en réclament ; mais les partisans l’imposent sur le terrain, c’est-à-dire, nécessairement contre la loi des exploiteurs, et contre ses gardiens.

C’est pourquoi la lutte des partisans n’est pas seulement un vague appel à la lutte armée prolongée, mais une préfiguration, un premier pas dans la lutte du pouvoir rouge contre le pouvoir blanc.

Quand on incendie la moto du patron ou les grands bureaux des mines, quand on sabote une grue en représaille contre l’assassinat des ouvriers, c’est peu de chose en comparaison de la guerre véritable, celle que nous mènerons quand tout le peuple sera soulevé et armé, mais c’est quand même la guerre de classe qui commence : avec la lutte violente de partisans, c’est l’état de guerre qui est instauré entre le peuple et ses oppresseurs, c’est la paix sociale qui est brisée, puisque patrons et flics savent qu’ils n’ont pas à craindre des pétitions ou des protestations, mais qu’ils ont à craindre pour eux-mêmes, pour leurs biens, pour leur matériel.

Or qu’est-ce qu’apporte l’état de guerre ?

Il est la condition pour édifier les trois armes de notre révolution : le parti révolutionnaire prolétarien, l’armée populaire, l’unité de toutes les couches du peuple autour du prolétariat.

a) L’expérience historique, surtout depuis mai, nous a appris que l’état de paix, c’est-à-dire la pression pacifique sur le patron, c’est le terrain des syndicats et des révisionnistes ; par contre, l’état de guerre, c’est-à-dire la lutte directe illégale, contre les patrons et leurs valets, c’est le terrain sur lequel se développe la force prolétarienne autonome par rapport aux syndicats et aux révisionnistes, la force prolétarienne révolutionnaire.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi : la loi est faite pour maintenir l’exploitation et l’oppression ; donc les ouvriers qui se révoltent contre l’exploitation et l’oppression agissent nécessairement contre la loi des patrons, tandis que les révisionnistes qui veulent maintenir l’esclavage tentent par tous les moyens de contenir la colère des masses dans les cadres légaux.

La loi est celle du patron, donc connue par lui; c’est comme si on voulait attaquer une position ennemie : il y a quelques voies d’accès connues de l’ennemi et contrôlées par lui; les traîtres essayent d’entraîner les combattants à attaquer par là ; si on les écoute, c’est la défaite.

Mais les partisans, eux, attaquent ailleurs, là où on ne les attend pas, par surprise.

Pour nous, c’est pareil : si on attaque le patron là où il s’y attend, dans les cadres prévus par la loi, c’est nous qui sommes surpris et anéantis, nous devons donc attaquer là où il ne s’y attend pas, en dehors de la loi, par surprise.

Les bris des cadences, les représailles directes contre les despotes, petits et grands, la séquestration, l’expropriation et la distribution au peuple des biens que le patron lui vole, le sabotage, les manifestations violentes, toutes ces formes de la révolte ouvrière et populaire sont des formes illégales, des formes de guerre, des actions de partisans.

Ce sont elles qui permettent aux ouvriers révolutionnaires de se regrouper, de développer leur initiative, d’agir.

Ce sont elles qui permettent de construire le parti des ouvriers révolutionnaires, le parti communiste révolutionnaire prolétarien.

Ainsi la lutte violente de partisans et le processus de construction du parti, sont deux processus étroitement liés.

b) La première arme politique pour mener la lutte armée prolongée, c’est le parti.

La deuxième c’est l’armée populaire.

Comment la lutte violente de partisans prépare-t-elle la construction de l’armée populaire?

La revue indienne « Liberation » dans le rapport sur la lutte armée paysanne dit la chose suivante : (les paysans)

« ont lancé le mot d’ordre coup pour coup dans une lutte directe contre les propriétaires fonciers et les usuriers.

Leur lutte leur ont permis de comprendre qu’ils doivent opposer la lutte armée à la contre-révolution armée ».

Le rapport ajoute les précisions suivantes : l’éducation de masse sur la question de la lutte armée, qui est la condition pour la création de l’armée populaire, s’est faite progressivement par étapes : il y a d’abord eu « la lutte héroïque de la paysannerie de Naxalbari » qui a développé dans les masses un nouveau sentiment celui de lutter pour la prise du pouvoir ».

Puis sous la direction du parti, les paysans de Gangapur ont en avril 1968 pris les armes et ont moissonné en plein jour les champs des propriétaires fonciers et chassé ceux-ci ainsi que tous leurs hommes de main.

Cet acte a suscité parmi la paysannerie de toute la région de Mushahari un immense enthousiasme.

Les paysans sous la direction du parti ont encore mené d’autres actions de partisans, par exemple l’attaque des bandes armées du propriétaire foncier le plus haï de toute la région et l’enlèvement, en armes, de la récolte de plusieurs propriétaires locaux.

C’est au cours de ces actions de partisans que la masse des paysans s’est convaincue de la nécessité de prendre les armes : l’alternative était ou la guérilla armée ou la capitulation (Pékin Informations, n° 5, 1970).

Eh bien pour nous aussi, c’est dans la lutte coup pour coup, dans la lutte directe que notre peuple s’instruira de la nécessité de la lutte armée contre la contre-révolution armée.

C’est au cours de cette lutte directe contre les patrons et leurs bandes armées, que nous appelons lutte violente de partisans, que le peuple assimilera profondément qu’il n’y a que deux voies, la capitulation ou la lutte armée prolongée.

Ainsi la lutte violente de partisans crée les conditions politiques de l’armement du peuple, c’est-à-dire de l’armée populaire.

c) Reste la troisième arme, l’union de toutes les couches du peuple autour du prolétariat.

Qu’est-ce que l’ensemble du peuple attend du prolétariat ? Qu’il lui montre la voie de la libération.

Or le peuple n’attend plus rien de la paix, de la collaboration avec ses oppresseurs.

Les grèves façon C.G.T., cela n’unit pas le peuple autour des ouvriers, au contraire. Contre les patrons, le peuple veut la guerre ; c’est quand les ouvriers sont capables par une lutte directe, de faire reculer les patrons et les flics, que le peuple s’unit autour d’eux : c’est quand ils représentent l’espoir.

En Belgique, toutes les couches populaires se sont unies autour des mineurs du Limbourg parce qu’ils ont fait trembler les patrons, parce qu’ils ont repoussé par la violence les flics, parce qu’ils ont incendié leurs cars.

En France, toutes les actions de partisans que nous avons menées ont rencontré l’approbation, le soutien actif des masses populaires, comme à Saint-Lazare, parce qu’elles montrent la voie de la libération, non celle de la survie dans l’esclavage.

C’est la lutte violente de partisans qui unira le peuple autour du prolétariat, parce que c’est elle qui donne l’espoir et la certitude de triompher un jour.

Nous avons vu que la lutte violente de partisans permettait de forger les trois armes politiques pour la guerre populaire prolongée.

Comment permet-elle de réunir les conditions idéologiques de la préparation à la guerre prolongée ?

B) La lutte violente de partisans crée les conditions idéologiques pour la lutte armée prolongée.

Le président Mao nous enseigne que «une guerre révolutionnaire agit comme une sorte de contrepoison, non seulement contre l’ennemi, dont elle brisera la ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs qu’elle débarrassera de tout ce qu’ils ont de malsain ».

Cela est vrai aussi pour la lutte violente de partisans.

C’est dans l’élément de la guerre que peut être menée de façon conséquente et victorieuse la lutte idéologique contre le défaitisme, le pacifisme, la liquidation ; c’est dans l’élément de la guerre que se trempe et s’éprouve l’esprit de servir le peuple.

Seuls en sont vraiment animés ceux qui sont prêts à tout lui sacrifier, à ne craindre ni les épreuves, ni un jour « les tortures et la mort » ; aujourd’hui seuls font réellement la preuve de leur attachement aux intérêts du peuple ceux qui sont déterminés à se battre pour lui contre les flics ou les milices fascistes du P.C.F., comme à Argenteuil ou à Aubervilliers, ceux qui risquent à tout le moins leur liberté dans des actions de partisans, et non ceux qui limitent le travail politique à la rédaction d’articles, de tracts et de proclamations creuses.

C) La lutte violente de partisans crée les conditions militaires pour le passage à la lutte armée prolongée.

Pour apprendre à faire la guerre, il faut faire la guerre ; pour apprendre les lois de la guerre de partisans, il faut mener la lutte violente de partisans ; ce n’est pas la guerre proprement dite, la lutte armée mais c’est tout de même la lutte violente, illégale, contre un ennemi militairement plus fort que nous.

Elle nous oblige donc à poser les problèmes de la lutte dans des termes militaires, ceux de la stratégie mais aussi ceux de la tactique de la guerre de partisans.

Poser les problèmes en termes de stratégie, c’est par exemple envisager la construction de nos organisations en distinguant des bases d’appui et des régions de partisans : on a besoin de bases d’appui, c’est-à-dire d’arrières pour les partisans, parce qu’on mène la lutte violente de partisans.

Si par exemple on voulait construire un syndicat, on n’aurait aucun besoin de bases d’appui.

Poser les problèmes en termes de tactique, c’est par exemple envisager une action de partisans du point de vue des forces militaires en présence : transformer la supériorité militaire de l’ennemi en infériorité en attaquant son point faible, en utilisant la surprise, en concentrant des forces supérieures, en pratiquant des manœuvres de diversion, etc.

Tous ces problèmes doivent être envisagés pour mener la lutte violente de partisans ; ils sont l’apprentissage dans la vie de la guerre de partisans.

Cet apprentissage est loin d’être inutile quand on voit par exemple l’incroyable dénuement dans lequel se trouvèrent les premiers résistants au début de la lutte armée, anciens de la guerre d’Espagne mis à part.

Pour eux les problèmes de la guerre étaient vraiment quelque chose de radicalement nouveau.

Ainsi un groupe qui doit descendre un officier nazi à la Gare de Lyon n’a pas prévu de repli ; un groupe qui va attaquer un dépôt de matériel n’a pas prévu de bloquer l’issue et manque de se retrouver enfermé dans l’usine.

La lutte violente de partisans, c’est l’apprentissage de la stratégie et de la tactique de la guerre de partisans.

III. – AVEC QUI ET OU MENER LA GUERRE DE PARTISANS ?

« Les grandes forces de la guerre, indique le Président Mao, ont leurs sources profondes dans les masses populaires ».

La lutte violente de partisans pour préparer la guerre prolongée, doit rassembler les grandes forces de la guerre, c’est-à-dire mobiliser et organiser les masses populaires autour du prolétariat ; c’est un point que nous avons évoqué mais qu’il faut maintenant voir plus en détail.

Pour mener la guerre prolongée, le prolétariat doit unifier autour de lui toutes les couches du peuple ; si cette condition n’est pas remplie, les soulèvements qui doivent être les premières salves de la lutte armée seront encerclés et anéantis par l’ennemi ; ils seront si l’on veut de nouvelles communes : c’est-à-dire des soulèvements armés du prolétariat, isolés du reste du peuple donc, nécessairement sans issue, écrasés.

Cette question est donc une question stratégique de la première importance : c’est celle de savoir qui sera encerclé et en fin de compte anéanti ; si tout le peuple est mobilisé et organisé autour du prolétariat, l’ennemi sera comme «le buffle sauvage devant le mur de feu» et sa supériorité militaire ne lui servira qu’à faire durer la guerre : il sera en fin de compte anéanti, au terme d’une guerre prolongée.

Si au contraire le prolétariat est seul c’est lui qui sera encerclé, et alors la supériorité militaire de l’ennemi fera qu’il sera anéanti au terme d’une campagne de courte durée.

Pour aller à l’essentiel il y a deux erreurs stratégiques à éviter à tout prix : la première consisterait à ne mener que des combats sans arrières, c’est-à-dire des combats populaires sans bases d’appui prolétariennes qui forment l’arrière des partisans et le centre de l’unité du peuple ; alors l’ennemi ne serait pas encerclé puisque pour l’encercler il faut les masses mobilisées et organisées par le prolétariat.

La deuxième serait la conception ossifiée, d’abord on organise le prolétariat, ensuite le peuple : d’abord on construit et on consolide les bases d’usines, ensuite on verra à unir autour de ces bases les paysans, les commerçants, les étudiants, etc. La caractéristique commune de ces erreurs c’est qu’elles n’envisagent pas l’avenir d’un point de vue militaire, celui des soulèvements débutant la guerre prolongée.

La réponse c’est une stratégie correcte d’édification et de développement des bases d’appui et des régions de partisans.

Qu’est-ce qu’une base d’appui dans la guerre de partisans ?

Reportons-nous à « problèmes stratégiques de la guerre de partisans ».

« En quoi consistent les bases d’appui de la guerre de partisans ?

Ce sont des bases stratégiques sur lesquelles les détachements de partisans s’appuient pour accomplir leurs tâches stratégiques et atteindre leur but : conserver et accroître leurs forces, détruire et chasser celles de l’ennemi.

Sans ces bases, nous ne pourrions nous appuyer sur rien pour accomplir toutes les tâches stratégiques et atteindre les buts de la guerre…

Ces bases d’appui sont justement les arrières de partisans » (Problèmes stratégiques de la guerre de partisans).

Voilà la définition scientifique des bases d’appui dans la guerre de partisans.

Maintenant quelle est la différence avec les régions de partisans ?

Dans la guerre de partisans faite à l’arrière de l’ennemi, les régions de partisans se distinguent des bases d’appui.

Les territoires qui sont encerclés par l’ennemi mais qui ne sont pas occupés par lui ou qui ont déjà été libérés… constituent déjà des bases d’appui toutes prêtes…

Cependant en d’autres endroits proches de ces bases, la situation est différente… Ces régions appartiennent aux détachements de partisans, dès qu’ils arrivent, et se retrouvent au pouvoir du gouvernement fantoche quand ils s’en vont ; elles ne sont pas encore des bases de partisans, mais seulement ce qu’on appelle des régions de partisans (Problème stratégiques de la Guerre de partisans).

Maintenant qu’est-ce qu’une base d’appui dans la lutte violente de partisans.

Quelle est pour nous la signification de ces concepts : base d’appui, région de partisans ?

Il est évident qu’ils n’ont pas exactement le même sens que dans l’étape de la guerre de partisans, pour la bonne raison qu’il y a entre cette étape et celle où nous sommes la différence des armes : dans la lutte non armée on ne libère pas une région.

Nos bases d’appui dans la lutte violente de partisans ne seront pas des régions libérées.

On retiendra donc seulement de base d’appui le sens suivant : « ce sont les bases stratégiques sur lesquelles les détachements de partisans s’appuient pour accomplir leurs tâches stratégiques et atteindre leurs buts, ces bases d’appui sont les arrières des partisans ».

Or quelles sont nos tâches stratégiques ?

Unifier le peuple autour du prolétariat dans la lutte violente de partisans, construire le Parti qui dirigera la guerre prolongée ; c’est par rapport à ces tâches stratégiques que nos bases d’appui doivent constituer des arrières.

Il faut donc donner à « base d’appui » la signification suivante : « c’est un arrière pour la lutte de partisans, c’est-à-dire que c’est une base d’où partent les partisans et où ils sont protégés ; c’est un arrière pour l’unité du peuple, c’est-à-dire qu’elle constitue le cœur dur, prolétarien de l’unité populaire : c’est autour des groupes de partisans ouvriers d’une base d’appui d’usine que se forment des groupes populaires, ouvriers, paysans, commerçants, étudiants.

Voilà donc la définition d’une base d’appui dans la lutte violente de partisans : c’est une base sur laquelle on peut s’appuyer pour unir le peuple autour du prolétariat dans la lutte de partisans ; c’est-à-dire que c’est une base où on construit des organisations stables pour mener la guérilla et unifier le peuple.

Ainsi on voit tout de suite qu’une gare comme St-Lazare ou un super-marché ou un marché populaire, même si les partisans y interviennent régulièrement et sont dans les masses comme des poissons dans l’eau, ne sont en aucune manière des bases d’appui.

Une fac, un lycée, ne peuvent constituer que des bases d’appui provisoires dans la mesure où ils peuvent être bien pour un temps un arrière pour la guérilla, mais non un arrière pour l’unité populaire pour la bonne raison qu’on unifie pas le peuple autour des étudiants.

C’est pourquoi notre politique vis-à-vis des facs est et sera de constituer des bases d’appui provisoires, en amenant les étudiants révolutionnaires par des interventions répétées sur les luttes populaires, à mener de pair la guérilla contre les ennemis du peuple, flics et révisos, et la propagande politique dans les masses.

Mais de telles bases d’appui provisoires devront servir à la construction de véritables bases d’appui et cela en envoyant la majorité des forces s’établir massivement sur des concentrations ouvrières et populaires.

Les bases d’appui pour la lutte violente de partisans, ce sont essentiellement les usines, les bases d’appui d’usines.

Ce sont les usines qui peuvent constituer les arrières politiques et militaires pour la lutte violente de partisans ; arrières militaires, cela veut dire que les organisations prolétariennes autonomes qui se développent dans les usines sont nécessairement des organisations de partisans, pour les raisons que nous avons vues et que ces organisations doivent constituer à la fois la base de départ et la protection de masses pour les combats de partisans : arrières politiques, cela veut dire que les groupes d’usines forment le noyau fondamental autour duquel s’unifie le peuple, qu’ils ont pour tâche stratégique de regrouper autour d’eux les groupes populaires de partisans.

Maintenant si l’usine constitue l’arrière, la base d’appui pour les tâches politico-militaires des partisans, il faut examiner ce qu’on entend par régions de partisans ; c’est-à-dire quelles sont les régions pour lesquelles l’usine est l’arrière ?

Les régions de partisans ce sont les régions qui sont en quelque sorte organisées autour de l’usine : les villes usines comme Sochaux autour de Peugeot ou région usine comme le périmètre Mantes – Ecquevilly-Les Mureaux autour de Renault-Flins.

Dans ces régions, les partisans à partir de l’arrière que constitue l’usine, mènent la lutte violente de partisans pour unifier le peuple, pour constituer autour d’eux des groupes populaires de partisans ; ces groupes s’édifient en se battant sur des fronts variés : logement, loisirs, transports, luttes contre la vie chère…

Il est important de persuader que ces fronts ne peuvent être occupés durablement qu’en s’appuyant sur un arrière d’usine : la base d’appui est au sens strict un arrière politico-militaire pour la lutte violente de partisans.

Deuxième remarque pour éviter-le mécanisme dans la théorie de l’édification de bases d’appui, il faut tenir compte de l’inégalité du développement de la révolution idéologique dans les masses.

Notre tâche centrale à l’échelle nationale c’est d’organiser la résistance du peuple dans les bases d’appui et dans les régions de partisans qui les entourent, c’est donc d’édifier, de construire des bases d’appui et d’unifier autour les régions de partisans.

Cette tâche s’impose à nous parce que la révolution idéologique, c’est-à-dire l’esprit de résistance s’est considérablement développé dans les masses après mai d’abord, après les actions de partisans menées par les masses seules ou avec les maoïstes.

Mais cette fonction de foyer pour la révolution idéologique qu’ont eues certaines batailles de partisans n’est plus du jour au lendemain inutile puisque la révolution idéologique n’a pas encore gagné les 90 % du peuple, d’autant qu’elle est inégalement développée : dans certaines régions par exemple celles où mai n’est pour ainsi dire pas passé et où ensuite il n’y a pas eu de combats de partisans, il est très important d’allumer de tels brasiers.

Un exemple : la bataille sur le bidonville et le marché d’Argenteuil qui n’était pas l’édification d’une base d’appui, puisqu’elle n’a débouché sur aucun travail d’organisation stable, a eu la fonction capitale de propager l’incendie de la révolution idéologique non seulement sur tous les travailleurs immigrés de la région parisienne et d’au delà mais aussi sur les usines de la région par exemple sur certains ateliers de Renault.

Donc aujourd’hui la tâche centrale sur le Nord-Ouest de Paris c’est d’organiser la résistance, c’est-à-dire édifier les bases d’appui de Renault mais surtout aussi sur UNIC et les usines de Bezons et de rayonner sur toute la région de partisans qui entourent ces usines.

Mais dans beaucoup d’autres régions, il faut mener des combats comme ceux d’Argenteuil ou d’Ivry qui jouent le rôle de Naxalbari : « après la lutte héroïque de la paysannerie de Naxalbari, un nouveau sentiment s’est fait jour celui de lutter pour la prise du pouvoir ».

C’est dans cette perspective que nous devons envisager de mener des batailles sur les foyers de travailleurs immigrés ou sur des cités populaires qui servent de brasiers pour la révolution idéologique.

Il y a donc des détours qui sont un progrès dans la révolution, qui mènent aux bases d’appui ; et il y a des détours qui constituent un piétinement, voire un recul de la révolution, ceux qui écartent des bases d’appui.

On peut donc maintenant formuler de manière précise notre stratégie dans la lutte violente de partisans : ÉDIFIER DANS LES USINES DES GROUPES DE PARTISANS QUI MÈNENT LA LUTTE DIRECTE CONTRE LE PATRON. EN S’APPUYANT SUR CET ARRIÈRE, ET SIMULTANÉMENT, UNIR LE PEUPLE DANS LES RÉGIONS DE PARTISANS ENTOURANT L’USINE.

IV. – FAIRE PASSER NOTRE STRATÉGIE DANS LA VIE : PRENDRE LA DÉCISION STRATÉGIQUE DE DÉPLACER NOS TROUPES

Ce n’est pas tout de définir une stratégie de préparation à la guerre, c’est-à-dire une stratégie de la construction des bases d’appui : il faut faire passer cette stratégie dans la vie.

Pratiquement, cela signifie : cesser de « tourner autour du pot » ; on comprend tout de suite ce que cela veut dire quand on sait que des villes universitaires où des banlieues petites-bourgeoises retiennent encore des dizaines de militants, alors que des grandes concentrations prolétariennes sont encore pratiquement pour nous des «terres inconnues».

Il faut bien voir que la décision de déplacer nos troupes vers les bases d’appui et régions de partisans potentielles, c’est-à-dire vers les villes et régions-usines est une décision stratégique de la même importance, toutes proportions gardées, que la décision pour le Parti Communiste Chinois, en 1928, de construire des bases dans les campagnes, d’encercler les villes par les campagnes.

Encore une fois, la question qui se pose est de savoir qui, de d’ennemi ou de nous, sera encerclé et en fin de compte anéanti.

En 1928, pour le P.C.C., rester dans les villes comme le réclamait l’ultra-gauche ou comme le fit Liou Chao Chi, c’était soit se faire encercler et rapidement anéantir si on menait la guerre, soit végéter dans le travail pacifique ; au contraire s’établir dans les campagnes comme l’indiquait et le réalisa le Président Mao, c’était encercler l’ennemi et en fin de compte l’anéantir au terme d’une guerre prolongée.

Pour nous, l’équivalent des villes de 1928, ce sont les zones sans arrières ; elles sont la base objective pour la domination de la politique bourgeoise, c’est-à-dire aussi l’oscillation entre la « gauche » et la droite.

La droite, c’est-à-dire le travail groupusculaire pacifique, la guerre en paroles, la capitulation en réalité. Dans ces conditions, toutes les frontières s’effacent entre la Gauche et la liquidation, entre la lutte de partisans et le syndicalisme.

La « gauche », c’est la lutte de partisans « tous azimuts », la conception « roquet » de la lutte de partisans, sur tous les fronts mais sans appui solide sur les usines, donc sans possibilité profonde et durable de se protéger de l’ennemi et de dresser devant lui le «mur de feu» du peuple : ce qui se produit alors c’est une banalisation de la lutte de partisans ; on ne mène pas la lutte de partisans selon un plan, avec des objectifs politiques précis ; on la mène n’importe où et n’importe quand, on s’en sert comme d’un talisman, pour « débloquer la situation », comme on dit ; on riposte pour riposter, parce que soi-disant il faudrait riposter à chaque fois qu’on est attaqué, comme un roquet qui mort à chaque fois qu’il prend un coup de pied.

L’ultra-gauche nous laisse sans défense sérieuse face aux campagnes d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi, dont une expérience récente permet de dégager les lois : l’encerclement par le silence, c’est-à-dire taire systématiquement toutes les actions de partisans qui montrent la voie, c’est-à-dire nous unissent plus profondément au peuple et au prolétariat ; les premiers signes, c’est le silence observé sur les mines, sur Dunkerque, sur la campagne des transports.

L’encerclement par la calomnie et la provocation : par contre on nous fait endosser toutes les actions violentes menées sans plan stratégique par les parasites à courte vue, ou, plus généralement, une partie des délits de droit commun : le vol d’armes de Strasbourg, c’était la G.P. qui l’avait fait, jusqu’à ce qu’on découvre ses auteurs dans le milieu parisien.

Plus encore, c’est la provocation qui, avec l’aide active des sociaux fascistes et la complicité complaisante des groupuscules liquidateurs regroupés autour de « Rouge », va devenir la tactique n°1 de l’encerclement.

La tactique de l’encerclement est naturellement impliquée par la tactique du silence : dans la mesure où on n’accorde pas d’existence officielle aux actions avancées menées par les partisans, il ne reste plus que des moyens de répression extra-légaux : aujourd’hui la provocation, demain le terrorisme.

Les exemples se succèdent avec une rapidité et une constance suffisantes pour qu’on y voit une loi de l’encerclement : ACDB, mines, il y a quelque temps trois bombes déposées dans une usine et qui risquaient de faire sauter tout le quartier.

Après l’encerclement viendrait l’anéantissement, c’est-à-dire la répression massive contre la G.P. une fois que celle-ci aurait été encerclée, discréditée aux yeux de masses.

Or à de telles manœuvres de l’ennemi, on ne peut résister que si on s’adosse à des bases d’appui prolétariennes solides, édifiées dans le travail de guérilla et de propagande politique.

On ne peut y résister si on n’a pas d’arrière, c’est-à-dire si on est attaqué par exemple sur une banlieue essentiellement petite bourgeoise.

Contre une stratégie bien réelle de l’ennemi, il faut donc appliquer résolument, fermement, notre stratégie, c’est-à-dire opérer des déplacements de troupes massifs pour édifier des arrières ouvriers et populaires solides contre lesquels viendront se briser les campagnes d’encerclement de l’ennemi.

A cet égard, l’exemple des mines est bon : encore que ce ne soit encore en aucune manière une base d’appui édifiées, le simple fait que la Cause du Mineur soit connue de beaucoup de mineurs, a finalement fait échouer la provocation qui aurait pu nous anéantir.

On n’aurait pas pu faire échouer une telle provocation sur une banlieue essentiellement petite-bourgeoise.

Il faut donc que ce déplacement de troupes soit notre perspective immédiate.

Il faudra le préparer avec une éducation politique en profondeur qui fasse apparaître qu’il s’agit d’une décision stratégique dont dépend l’avenir, que cette décision est prise, parce que l’avenir c’est la guerre, l’encerclement et l’anéantissement de l’ennemi ou de nous : nous allons vers les bases d’appui pour ruiner les plans de l’ennemi, pour l’encercler et finalement l’anéantir.

Il faudra faire comprendre aux camarades, comme les cadres politiques le faisait comprendre aux soldats de l’armée rouge, que si nous évacuons partiellement ou totalement certaines régions, c’est parce qu’aujourd’hui nous y risquons l’anéantissement:, c’est pour aller constituer des arrières solides d’où un jour nous reprendrons les régions évacuées.

V. – QUELQUES PRINCIPES POUR MENER LA LUTTE VIOLENTE DE PARTISANS DANS LES BASES D’APPUI ET RÉGIONS DE PARTISANS

Comment se développera la lutte de partisans dans les bases d’appui et les régions de partisans ? Dans ce domaine, il est clair que les idées naîtront de notre pratique, autant dire que nous avons beaucoup, presque tout à apprendre.

On peut simplement tirer les premières règles que nous enseignent notre courte expérience et celle des peuples qui ont déjà franchi les étapes que nous abordons.

A) Pour développer la lutte de partisans, pour embraser la plaine, il faut libérer l’initiative des masses.

Pour que les actions des premiers partisans libèrent l’initiative des masses, fassent lever d’autres partisans, il faut au moins deux conditions ; la première, c’est que la cible politique de l’action soit claire, directement liée aux aspirations des masses à la justice, à la liberté, au bonheur.

A cet égard, on voit bien qu’il y a une différence profonde entre une action, mettons contre une ambassade fantoche, ou contre une banque dont la domination n’est pas directement éprouvée, et une action comme le passage gratuit des travailleurs à Renault-Billancourt ou encore, la vengeance de camarades assassinés : dans un cas, il y a un rapport indirect, assez lâche, avec les aspirations des masses, dans l’autre il y a des liens directs et même parfois des liens de sang.

La deuxième condition, c’est que la forme militaire même de l’action soit immédiatement assimilable par les masses.

Écoutons ce que disent les camarades indiens :

« La deuxième idée erronée, c’est la confiance illimitée dans les armes à feu modernes. L’attitude dédaigneuse envers les armes traditionnelles paralyse l’initiative du peuple.

Sans employer au maximum les armes traditionnelles, la force totale du peuple ne peut être déployée pour attaquer l’ennemi le moment venu. » (Pékin-Informations, n° 5, 1970)

Ce qui veut dire qu’entre la forme militaire de l’action de la N.R.P. à Mantes-la-jolie, par exemple, et celles de Dunkerque ou de Renault-Billancourt, il y a une différence qualitative, qui n’est pas dans le sens qu’on imagine d’abord : la première ne permet pas au peuple de « déployer sa force », parce qu’elle ne peut pas être reproduite par les masses, au moins pas aujourd’hui ; au contraire, immobiliser une machine, tous les ouvriers savent comment il faut le faire ; forcer le passage même contre quelques dizaines de flics, tous les ouvriers aussi, et tout le peuple sait comment il faut agir : c’est une des raisons pour lesquelles il y a vite eu des centaines d’ouvriers à participer aux actions de partisans de masse de la campagne des transports.

C’est ainsi d’abord que s’étendra la résistance populaire ; c’est ainsi qu’a commencé la Résistance et il a fallu attendre des années pour en venir massivement à des attaques d’anéantissement contre des postes ou des troupes ennemies ; nous continuerons à mener des actions de ce genre, lorsque les circonstances l’exigeront, en raison de leur effet politique et idéologique indéniablement très puissant.

Mais il faudra en attendre peu du point de vue-de la libération de l’initiative des masses donc aussi de l’organisation.

Pour illustrer toutes ces catégories, on va prendre un exemple, la campagne sur les transports, et l’examiner de différents points de vue ; quel était le terrain de la lutte, base d’appui ou région de partisans ?

Quelles étaient la cible politique et la forme militaire des actions de partisans ?

Les interventions principales étaient : Billancourt, Citroën, Saint-Lazare, Austerlitz. La cible politique est rigoureusement identique dans les quatre cas : imposons les transports gratuits, refusons par la violence le vol légal.

De ce point de vue donc, pas de différence ?

Du point de vue du terrain sur lequel on se bat, il y a d’une part Renault-Citroën, d’autre part Saint-Lazare et Austerlitz qui étaient comprises dans des régions de partisans entourant les usines ;
c’est en fonction de cette distinction qu’on a choisi dans chaque cas la forme militaire de l’action de partisans : sur les bases d’appui à édifier ou en voie de l’être, c’est-à-dire sur les usines, le problème essentiel était de libérer immédiatement l’initiative des masses pour pouvoir les organiser en groupes de partisans ;

donc, à Renault, comme à Citroën, on a tenté et réussi les passages de masse, imposés contre les flics ;

seulement tout de même, petite différence entre les deux : à Renault, on avait déplacé quelques troupes, ce qui permettait d’avoir un groupe relativement cohérent à l’intérieur et un détachement à l’extérieur : ce qui a permis de consolider réellement, c’est-à-dire de passer à l’organisation; à Citroën, par contre, on avait « tourné autour du pot », ce qui a momentanément empêché de consolider, c’est-à-dire, d’organiser durablement les travailleurs mobilisés pour passer sans payer et assister au meeting sur les quais du métro.

Sur les gares au contraire, où il était de toute façon hors de question de construire des organisations, on a choisi une forme qui ne libère pas directement l’initiative des masses, c’est-à-dire qui ne peut pas être reproduite, parce qu’elle est militairement difficile, mais qui suscite tout de même l’enthousiasme du peuple pour la lutte de partisans : récupération de tickets et distributions très protégées.

En conclusion, ce qui fait de cette campagne un grand succès, c’est la combinaison des actions visant à développer directement l’initiative des masses pour les organiser sur des bases d’appui, et des actions visant à développer l’enthousiasme et le soutien populaire autour de ces bases.

B) La lutte de partisans, ce n’est pas seulement les actions violentes, c’est aussi, et indissolublement, la propagande politique en largeur et en profondeur.

Écoutons encore les camarades indiens : « dans les plaines, où les masses sont pour nous les forêts et les montagnes qui nous cachent, nous devons faire de la propagande politique tout en poursuivant la guérilla…

Nous ne pouvons déjouer le complot des classes régnantes qui cherchent à créer des dissenssions entre nous et les masses qu’en faisant régulièrement et d’une manière plus concrète notre travail de propagande.

Nous le savons aussi par notre expérience pour construire des bases d’appui, pour unifier le peuple et étendre la lutte de partisans dans les régions qui les entourent, il ne faut pas se détourner un seul instant des taches de propagande.

Si nous ne faisons pas connaître régulièrement, profondément, aux masses, notre orientation politique, les buts de la guerre que nous menons, l’ennemi pourra semer la division dans le camp du peuple, nous isoler, et nous frapper.

Donc, la formulation complète de notre décision stratégique, c’est : déplacer nos troupes pour construire des bases d’appui, c’est-à-dire, mener de pair la guérilla et la propagande politique dans les masses.

La diffusion de la Cause du Peuple, l’édification des réseaux d’usine, la rédaction des journaux locaux, les feuilles d’usine, les bulletins d’information comme « la vérité vaincra », ce sont des taches fondamentales des partisans.

En outre, il faut mener des actions du type de celles de Renault-Billancourt et de Saint-Lazare, qui intègrent de façon vivante la propagande politique dans la lutte de partisans, font voir dans la guerre même les buts de la guerre : exproprier les voleurs, distribuer au peuple les biens qu’on lui vole et montrer que nous ne nous battrons pas pour nous battre, que nous nous battons parce que nous voulons « la paix et pour tous du pain et des roses » ; c’est comme lorsque les paysans indiens moissonnent en plein jour les champs du propriétaire.

Faisons nôtre le mot d’ordre des camarades indiens :

DANS LES RÉGIONS-USINES OU LES MASSES SONT POUR NOUS LES FORETS ET LES MONTAGNES QUI NOUS CACHENT, NOUS DEVONS FAIRE LA PROPAGANDE POLITIQUE TOUT EN POURSUIVANT LA GUÉRILLA.

Camarades, nous sommes engagés dans une lutte de longue durée.

Nous voulons que l’avenir soit radieux, mais nous savons que pour y arriver il faudra anéantir l’ennemi dans une guerre de longue durée.

Nous voulons la paix, préparons-nous à la guerre. Nous voulons construire demain la France populaire, nous voulons que le peuple soit libre, créons les bases de sa résistance !

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Histoire de la Gauche Prolétarienne

L’effondrement de la direction de l’UJC(ml) a montré les limites « althussériennes » de l’idéologie développée. Et en raison de l’élan de mai 1968, la pression est très grande, et surtout, il n’y a pas de réelle compréhension des soucis posés par la question de la direction.

La réponse n’est ainsi pas idéologique, mais pratique : la militarisation et la prolétarisation doivent former la réponse adéquate, et le nom choisi fait référence à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne : « Gauche Prolétarienne » (GP).

La réorganisation de l’ex-UJC(ml)

Un mouvement en deux temps se lance : il y a tout d’abord la republication, à partir du premier novembre 1968, de la Cause du peuple, comme « journal communiste prolétarien. »

Puis, il y a le rapprochement du mouvement du 22 mars, né à Nanterre et qui a été au cœur de l’activisme de mai 1968. On retrouve leur état d’esprit dans une œuvre publiée en mars 1969 et intitulé Vers la guerre civile. Les auteurs sont Serge July et Alain Geismar, Herta Alvarez et Évelyne July, qui rejoindront la Gauche Prolétarienne.

Dans la foulée sort en avril 1969 le premier numéro des Cahiers de la Gauche Prolétarienne, qui prennent le relais des Cahiers marxistes-léninistes ; le thème rejoint la thématique du mouvement du 22 mars : « De la révolte anti-autoritaire à la révolution prolétarienne ».

La violence

La Gauche Prolétarienne se fait la voie du choix de la violence ; ses activistes sont aux premières loges. Très présents dans les lycées parisiens, c’est dans le plus prestigieux de tous, Louis-le-Grand, qu’ a justement lieu une attaque fasciste le 2 mai 1969, qui se voit faire face à une réaction massive, les fascistes finissant par lancer une grenade artisanale, qui arrache la main d’un lycéen.

Le 15 juin, la GP tend une embuscade à la police sur le marché de Montrouge, en proche banlieue parisienne. Le 17 juin, 200 jeunes « outillés » prennent d’assaut l’usine de Flins, ce qui termine en corps à corps avec la maîtrise de l’usine et avec la CGT.

La GP multiplie ces attaques, comme lorsque le siège du patronat à Paris est pris d’assaut par une quarantaine d’activistes qui jettent pierres, boulons et fumigènes, ou bien avec l’affrontement à l’usine Coder de Marseille avec les vigiles et les contremaîtres.

Les résultats ne se font pas attendre : la GP dispose de comités de base dans les usines à Renault – Le Mans et Renault – Billancourt, Citroën – Choisy, Peugeot – Sochaux, Renault – Flins, Vitho – Saint-Ouen, Girosteel – Le Bourget, etc.

L’anti-capitalisme romantique

La GP appartient à un courant qui n’est pas seulement français ; on retrouve la même dynamique en Allemagne de l’Ouest et dans d’autres pays. On y retrouve aussi la même porosité à l’antisémitisme, et cela par ailleurs malgré la présence de nombreuses personnes juives à la direction de la GP.

La raison en est bien entendu l’anticapitalisme romantique, comme lorsque le 25 septembre 1969 est attaqué l’hôtel particulier du milliardaire Rotschild et que sont inscrits sur les murs « Rotschild le peuple français et le peuple palestinien te balaieront ».

Le « peuple » remplace le prolétariat et l’anti-capitalisme romantique le socialisme ; le 26 septembre c’est la banque Rothschild qui est attaquée par une centaine de militants, dont une partie d’origine arabe, puis ensuite les locaux du quotidien (de droite) L’Aurore en raison de son soutien au sionisme.

Si la lutte contre le sionisme est une composante de l’internationalisme, ce n’est pas cela à quoi on a affaire ici. La GP a joué en effet du populisme à tous les niveaux : avec les arabes en utilisant la question palestinienne, avec la jeunesse en appelant à une révolte romantique contre l’autorité, etc.

La GP ira même jusqu’à soutenir sur les barricades les syndicats des petits commerçants en lutte contre la fiscalité. Le point culminant de cette tendance populiste est alors l’affirmation de la « Nouvelle Résistance ».

La « Nouvelle Résistance » face au « nouveau fascisme »

La Gauche Prolétarienne avait besoin de justifier sa ligne populiste, aussi forgea-t-elle la théorie comme quoi la situation en France était équivalente à celle de l’Occupation. Une position totalement idéaliste et même négationniste dans sa démarche, et surtout reflétant la vision du monde petite-bourgeoise face au gaullisme.

Le théoricien fut d’ailleurs André Glucksmann, qui dans les années 1980 deviendra un chantre du libéralisme et des États-Unis, après avoir été à partir du milieu des années 1970 un théoricien anti-communiste forcené.

André Glucksmann expliquera par la suite dans Nouveau fascisme, nouvelle démocratie, article publié en mai 1972, la conception de ce qui est censé être un nouveau fascisme.

« Le fascisme est dans l’Etat, c’est même là qu’il se trouve le mieux et [le ministre de l’intérieur] M. Marcellin ne prendra pas d’assaut son propre bureau. Le fascisme d’aujourd’hui ne signifie plus la prise du Ministère de l’Intérieur par des groupes d’extrême droite mais la prise de la France par le Ministère de l’Intérieur. »

Il reprend en fait la théorie trotskyste, pour la renverser : au lieu que ce soit les « lumpen » qui se révoltent au service de l’appareil d’État, c’est ce dernier qui prend les choses en main.

« Le nouveau fascisme s’appuie, comme jamais auparavant, sur la mobilisation guerrière de l’appareil d’État, il recrute moins les exclus du système impérialiste que les couches autoritaires et parasites produites par le système (…). La particularité du nouveau fascisme c’est qu’il ne peut plus organiser directement une fraction des masses (…). Désormais, c’est la fascisation elle-même qui est l’oeuvre de l’appareil d’État. Police, justice, monopole de l’information, bureaucraties autoritaires qui assuraient jadis les assises de la « révolution fasciste » doivent se battre maintenant aux avant-postes. »

La violence généralisée, mais le refus de la lutte armée

Cela n’empêche pas la Gauche Prolétarienne de réfuter la lutte armée, pourtant logique dans le raisonnement d’une « occupation ». Lors de discussions ayant eu lieu à Paris avec Andreas Baader qui construisait avec Ulrike Meinhof la Fraction Armée Rouge, les dirigeants de la Gauche Prolétarienne ont refusé ce saut.

Ils ont pareillement dit non aux organisations palestiniennes sur ce point, lors notamment d’une visite de responsables de la Gauche Prolétarienne dans un camp palestinien en Jordanie, tout comme un représentant de la Gauche Prolétarienne a dit non à Zhou Enlai, lors d’un voyage officiel en Chine populaire pour les 20 ans de la révolution.

La « nouvelle résistance » de la Gauche Prolétarienne est ainsi violente mais non armée, elle est une sorte de guerre « symbolique » des partisans munis de cocktails Molotov et de barres de fer, multipliant dès septembre 1969 les actions, depuis l’attaque des commissariats jusqu’à la prise d’assaut de la station de métro de Passy en plein 16e arrondissement de Paris pour prendre les tickets et les redistribuer, ou encore l’organisation d’un passage gratuit en force dans le métro à Boulogne.

Le style idéologique se veut sommaire, avec la Cause du peuple, tirant à 40 000 exemplaires, assénant des formules chocs : « Contre les ennemis qui font de l’or avec notre sang, il n’y a qu’une seule attitude possible : la riposte », « Vie chère, vie d’esclaves, assez ! », « On a raison de séquestrer les patrons », « Tremblez petits chefs, nous sommes les plus forts ! »

La ligne théorique est pareillement très réduite : « Il faut le pouvoir : pour assurer réellement le bifteck, et pour garantir effectivement la liberté. »

La Gauche Prolétarienne n’est d’ailleurs pas une organisation communiste au sens strict : il y a une direction qui décide de tout hors de la base, celle-ci n’étant pas formellement membre de l’organisation par ailleurs. La démarche est purement mouvementiste.

La Gauche Prolétarienne finit d’ailleurs par s’opposer régulièrement au PCF, à Argenteuil en banlieue parisienne où les combats sur le marché du dimanche étaient régulier, et se transformant en bataille rangée le 14 septembre 1969.

Les actions sont multiples et diffuses ; en février 1970 ont lieu ainsi l’attaque aux cocktails Molotov du siège de la direction des Houillères à Hénin-Liétard, le sabotage de 2 grues à Dunkerque, l’attaque de deux bureaux du Service d’aide technique aux travailleurs étrangers, l’attaque du siège des entrepreneurs de l’Isère à Grenoble, l’incendie des Grands Moulins à Corbeil-Essonnes, etc.

La ligne de la Gauche Prolétarienne est alors résumée dans la fameuse chanson « Les nouveaux partisans », chantée anonymement par une chanteuse ayant abandonné la carrière pop pour devenir une garde rouge (par la suite elle deviendra anarchiste et niera catégoriquement tout rapport au maoïsme, tout en reprenant dans les années 2000 les chansons d’alors).

Les nouveaux partisans face à la répression

L’État décida alors de réagir vivement contre ce mouvement semi-légal qui l’attaquait ouvertement. Le ministère de l’intérieur ouvrit les hostilités avec une plainte pour « injures et diffamation envers la police, provocation au meurtre, au pillage, à l’incendie et aux crimes contre la sûreté de l’État. »

Un meeting prévu à la salle parisienne de la Mutualité le 14 mars 1970 est interdit, et le journal la Cause du peuple est massivement saisi, alors que son directeur de publication est arrêté. Enfin, la loi anti-casseurs est instaurée le 30 avril 1970 : les organisateurs d’une manifestation deviennent responsables juridiquement de toute violence.

Mais ce n’est pas la répression le véritable problème. Lorsqu’il est décidé de demander à Jean-Paul Sartre de devenir directeur de publication de la Cause du peuple, la rencontre se fait dans la très chic brasserie parisienne de la Coupole.

Dans le même esprit, la direction de la Gauche Prolétarienne se réunit encore et toujours à l’Ecole Normale Supérieure, et si un front démocratique d’avocats est monté, la personne chargée des relations avec la presse est Serge July, qui gère alors les rapports avec une flopée d’intellectuels de gauche « solidaires » face à l’interdiction de la Cause du peuple.

Solidarité des intellectuels « de gauche » et interdiction

Le tout-Paris intellectuel se rapproche des maoïstes, eux-mêmes des bourgeois qui choisissent le camp du peuple, comme le montre l’action ultra-populiste de pillage du traiteur de luxe Fauchon, amenant une distribution improvisée ensuite, et marquée par l’arrestation d’une militante dont le père était un bon client de Fauchon.

Le soutien libéral à la Cause du peuple fait que si celle-ci est interdite, elle est vendue à la sauvette sans soucis au Quartier latin à Paris, parfois même par une personnalité comme Jean-Paul Sartre.

C’est d’ailleurs ce dernier qui ouvre le grand meeting de solidarité à la salle parisienne de la Mutualité, le 25 mai 1970, où prennent la parole également des représentants de la LCR et du PSU.

Le 27 mai, jour du procès de deux directeurs de publication de la Cause du peuple, des centaines d’activistes organisent des escarmouches avec la police, en raison de l’interdiction de toute manifestation. C’est alors la Gauche Prolétarienne qui est interdite.

De manière fort juste, dans une autobiographie de 1978, le ministre de l’intérieur d’alors, Raymond Marcellin, racontera ainsi :

« La Gauche Prolétarienne, en 1970, tenta une escapade révolutionnaire, mais fut rapidement bloquée, parce que nous étions prêts. »

L’ex-Gauche Prolétarienne

Mais le soutien « intellectuel » et « démocrate » est là, avec Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Michel Leiris, Cavanna, François Truffaut, etc.

La Gauche Prolétarienne sort dans cette optique un nouveau journal, J’accuse, dont le premier numéro paraît le 15 janvier 1971 et qui finira par fusionner avec la Cause du peuple; le Comité Djellali, du nom d’une jeune Algérien tué par l’ami d’une gardienne lors d’une altercation, rassemble également une foule d’intellectuels.

Elle peut générer en juin 1970 un « Secours Rouge », où Sartre joue une rôle central comme figure rassembleuse.

La Gauche Prolétarienne est alors alors l’actualité en France. Les numéros 15 à 19 de la Cause du Peuple sont saisis et une tentative de réimprimer les Cahiers de la gauche prolétarienne est également empêchée, avec une arrestation au bout.

Pourtant, dans de nombreuses villes, des militants d’extrême-gauche vendent la presse de la Gauche Prolétarienne par solidarité, et du 1er au 25 septembre 1970 a lieu une première grève de la faim d’une trentaine de détenus maoïstes pour l’obtention du « régime spécial ». Une seconde aura lieu en janvier 1971.

Il y a également la mise en avant d’Alain Geismar, figure de mai 1968 en tant que secrétaire-général adjoint du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup), et devenu la figure publique de la Gauche Prolétarienne, Benny Lévy en étant le chef.

Et lorsque le 20 octobre 1970, Alain Geismar est condamné devant la 17e chambre correctionnelle à 18 mois de prison ferme pour « reconstitution de ligue dissoute », il est reconnu comme prisonnier politique, par la prison, comme par la presse (les directeurs de publication de la Cause du peuple Jean-Pierre Le Dantec et Michel Le Bris, arrêté fin mars et début avril, prirent de leur côté huit mois chacun).

Il y a même Sartre qui, le 20 octobre 1970 à la sortie des usines Renault de Billancourt, fait un discours sur un tonneau, appelant intellectuels et travailleurs à ne faire qu’un, et en soutien à Alain Geismar, devant la presse nationale et internationale. En même temps à Paris, la Gauche Prolétarienne harcèle la police, ce qui aboutit à 375 arrestations.

Les cinéastes sont un milieu proche de la contestation, et deux soutiens pratiques sont de la partie avec des films militants : Marin Karmitz sort « coup pour coup » et Jean-Luc Godard « Tout va bien ».

Le révisionnisme « armé »

Dans ce contexte, la Gauche Prolétarienne décide d’utiliser sa structure appelée « Nouvelle Résistance Populaire » (NRP) et fondée clandestinement en mai 1970.

Cependant, tant la répression que la NRP ne frappent pas fort : en décembre 1970, les militants de la Gauche Prolétarienne ayant tenté de faire sauter à l’explosif des garages Peugeot ne prennent que 6 mois fermes, pour être libérés dès janvier 1971.

Lorsque au second procès devant la Cour de sûreté de l’État le 24 novembre 1970, Alain Geismar est condamné à 2 ans de prison ferme, la NRP enlève seulement pour un bref temps le député gaulliste Alain de Grailly, impliqué dans le scandale immobilier des abattoirs de la Villette, le 26 novembre.

Lorsque, à la mi-décembre 1970, la Cour de sûreté de l’Etat juge les inculpés de l’affaire d’Hénin-Liétard, ils sont acquittés, sauf la personne en fuite condamnée à cinq ans de prison.

Dans cet esprit de lutte sociale « feutrée » où la Gauche Prolétarienne apparaît comme réformiste armée avec un soutien « démocratique », est organisée un tribunal populaire à Lens afin de juger symboliquement les responsables des Houillères, suite à un accident minier (16 mineurs tués le 14 février 1970). Sartre agit comme procureur, épaulée par Eugénie Camphin, membre du Parti Communiste depuis 1920 et résistante historique.

Et finalement, le n°1 des Cahiers Prolétariens établit la ligne symbolique, non armée, de la « résistance ».

C’est un révisionnisme « armé » qui naît, comme appui d’une lutte ouverte démocratique. Le 26 janvier 1971 a lieu un meeting de soutien aux prisonniers maoïstes, que les intellectuels bourgeois Simone de Beauvoir et Michel Leiris président sous un portrait de Mao Zedong.

A la mi-février, c’est l’église du Sacré-Cœur qui est occupée, en « réponse » à la répression de la manifestation interdite du Secours Rouge, où un militant a perdu un œil.

D’un côté, à la mi-mai, les locaux de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute sont plastiqués, mais le 18 juin est fondé l’Agence de presse Libération.

Le même jour, 18 juin est organisé un dépôt de gerbe au Mont-Valérien pour rendre hommage « Aux victimes du fascisme, ancien et nouveau ».

Les Rolling Stones

Le 24 juin 1970, au Palais des Sports à Paris, Serge July a pu faire en sorte de prendre la parole en plein milieu du concert, grâce à Mick Jagger. Il tient alors le discours suivant, exprimant les limites ultra-démocratiques de la Gauche Prolétarienne.

« Les Stones m’ont demandé de prendre la parole ce soir. Pendant que je vous parle, pendant que les Stones vont chanter, une centaine de prisonniers politiques sont en taule (…).

Si aujourd’hui ils sont en taule, c’est parce qu’ils se sont battus contre les flics, qui croient pouvoir continuer longtemps, impunément, les tabassages dans les commissariats, contre leurs sales gueules qui nous font chier à chaque coin de rue, à la sortie du lycée, de l’usine, de la fac, du bal.

S’ils sont en taule, c’est parce qu’ils n’ont pas peur de dire que lorsqu’on reçoit un coup de matraque sur la gueule, il faut bousiller le mec qui vous l’a envoyé, que lorsqu’on en a marre d’être emmerdé par un chef à l’usine, on a raison de lui casser la gueule, que lorsqu’on en a marre, on a raison de se battre, de se révolter. »

L’ex-Gauche Prolétarienne prend son mythe au sérieux : la NRP dispose de planques, d’une fabrique de faux-papiers, d’armes et d’explosifs, de matériel pour capter les fréquences de la police.

Elle se veut au service des luttes populaires, et les ex-GP multiplient les initiatives : Groupes Ouvriers Anti-flics, Groupes Ouvriers de Riposte, Milices Ouvrières Multinationales, Mouvement de la jeunesse, Comités de lutte d’ateliers, ou encore une « douane ouvrière » en mai 1971 pour contrôler les mallettes des cadres et dirigeants à la sortie de l’usine.

Même les petits commerçants opposés au fisc sont appelés les « Jacquou du petit commerce ». Un tract du Secours Rouge de décembre 1971 témoigne encore de ce populisme : « Qui vole un pain va en prison. Qui vole des millions va au Palais-Bourbon ! »

Pierre Overney et la mort du gauchisme

Les risques sont cependant grands ; à une manifestation pro-palestinienne, un militant de la GP est ainsi blessé par balles par la police. Et en février 1972 se produit le grand choc, à l’usine Renault-Billancourt.

Le 14, l’ex-GP accompagnée de Sartre réussit très brièvement à y distribuer des tracts.

Le 25, une opération similaire est organisée, avec la volonté de passer en force. Le militant Pierre Overney, qui diffuse des tracts appelant à une manifestation pour pour le 10e anniversaire du massacre de Charonne le même jour, brave l’arme pointé par lui par un vigile, qui tire et le tue.

Le 29 février a lieu un premier rassemblement unitaire, avec 30 000 personnes dont des figures du PSU et du trotskysme. Et le 4 mars 1972, 200 000 personnes participent aux obsèques, qui marquent un tournant politique.

Car la direction de l’ex-GP récuse tout dépassement de la violence symbolique, et s’oppose formellement à sa base.

Cette ligne se concrétise vite afin de maintenir le révisionnisme « armé », lorsque le 8 mars la NRP enlève un responsable du personnel de Renault-Billancourt, Robert Nogrette, libéré deux jours après.

Puis, alors qu’est trouvée morte une jeune ouvrière à Bruay-en-Artois, l’ex-GP lance une campagne lorsqu’un notaire est arrêté, sur une ligne ultra-populiste, résumée par cette formule de la Cause du peuple : « Et maintenant, ils massacrent nos enfants ».

La revue intellectuelle Les Temps modernes parachève la formation de cette ligne avec le numéro spécial « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie ».

Puis, rapidement, le quotidien Libération est mis en place, paraissant le 18 avril 1973, après un premier échec le 5 février. La Cause du peuple s’arrête alors le 13 septembre, appelant à soutenir la grève autogestionnaire chez LIP.

Et au début novembre, la direction se réunit et liquide l’organisation.

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Les messages du Comité Exécutif après le second congrès de l’Internationale Communiste

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fit plusieurs appels après le deuxième congrès.

Il fit ainsi vers le milieu du mois d’août un appel aux ouvriers de France et de Grande-Bretagne, appelant à leur mobilisation contre les chargements de munitions pour la Pologne, qui menait alors des offensives anti-soviétiques.

Il y avait déjà eu des grèves à ce sujet en Grande-Bretagne et le conseil central d’action à Londres avait menacé le premier ministre d’un mouvement plus dur en cas de soutien à la Pologne ou à l’armée blanche de Wrangel.

L’appel de l’Internationale Communiste souligne l’importance de la question :

« La guerre entre la Pologne blanche et la Russie soviétique est une guerre entre la bourgeoisie et le prolétariat du monde entier. Cela est devenu évident pour tout travailleur conscient. L’issue de cette guerre dépend avant tout des actions des travailleurs de Grande-Bretagne et de France. »

Un peu plus tard encore dans le mois, un appel fut fait aux syndicats pour la mise en place d’une Internationale Syndicale Rouge. L’appel dit notamment :

« Travailleurs, membres des syndicats de tous les pays!
Le travailleur le plus arriéré, l’organisation de travailleurs la plus arriérée, doit maintenant
reconnaître que le monde bourgeois tombe en ruines. »

À la toute fin du mois, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste écrivit aux socialistes italiens, reprochant une démarche trop indécise, irrésolue dans la résolution des problèmes posés par la droite dans le Parti. Ce message fut suivi d’une lettre ouverte au prolétariat italien, le 22 septembre 1920.

Il y eut également le même mois un document pour expliquer les accords de paix faits avec la Pologne, un appel aux ouvriers de France à l’occasion du 15e congrès de la CGT qui se tint du 27 septembre au 2 octobre 1920, une lettre ouverte aux membres de l’USPD allemande à l’occasion de son congrès qui se tint du 12 au 17 octobre.

Zinoviev participa d’ailleurs à ce congrès, faisant un discours de quatre heures. Le congrès accepta par 236 voix contre 156 l’adhésion à l’Internationale et 300 000 membres de l’USPD rejoignirent de ce fait le KPD (qui avait lui 50 000 membres alors). La majorité des 55 quotidiens et des 81 députés au Reichstag restèrent cependant dans une USPD maintenue qui rejoignit les socialistes en septembre 1922.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fit ensuite une lettre en octobre 1920 à l’occasion du congrès du KPD.

En novembre 1920, il fit un appel aux membres du Parti Socialiste italien et des syndicats en Italie ; on y lit notamment :

« La révolution prolétarienne frappe à votre porte. Vous êtes plus proches de la victoire que les travailleurs de tout autre pays. Il y a en Italie pratiquement à portée de main les prérequis pour une révolution prolétarienne victorieuse.

Les prérequis sont pratiquement tous là, excepté un en particulier : c’est le niveau d’organisation dans vos rangs. Nous ne disons pas que vous n’êtes pas organisés. La classe ouvrière italienne est organisée.

Mais vos organisations ne sont pas homogènes. Des réformistes y ont trouvé place. »

Une lettre fut envoyée encore en novembre 1920 en Allemagne à l’occasion du congrès du KPD, puis le même mois une autre, signée également par l’Internationale Syndicale Rouge, à la Fédération syndicale internationale (fondée en 1919 et regroupant les syndicats rejetant la révolution russe).

Cette lettre consiste en fait en une lettre ouverte, contenant des dénonciations de la Fédération syndicale internationale comme regroupant des syndicats jaunes.

À la toute fin du mois, il y eut une résolution acceptant le KAPD allemand comme parti sympathisant de l’Internationale Communiste. Ce choix fut fait après deux sessions du Comité Exécutif abordant cette question, avec une opposition très forte des directions du KPD et de l’USPD avant que ces organisation ne soient réunies. Le KPD unifié envoya par la suite en janvier 1921 une lettre de protestation, le Comité Exécutif refaisant un vote pour valider cette résolution.

En décembre 1920, le Comité Exécutif envoya une lettre à la SFIO à l’occasion du congrès de Tours, Clara Zetkine y étant la représentante de l’Internationale Communiste. Il y avait 285 délégués avec 4574 mandats ; 3028 voix se portèrent sur l’adhésion à l’Internationale Communiste, contre 1022.

En janvier 1921, le Comité Exécutif envoya une lettre aux Parti Socialiste italien, qui tenait son congrès à Livourne, Khristo Kabakchiev et Karl Radek y étant les représentants de l’Internationale Communiste.

La résolution d’Amadeo Bordiga en faveur des 21 conditions reçut 59 000 voix, celle d’une acceptation sous conditions formulée par Giacinto Menotti Serrati en reçut 98 000, celle de Filippo Turati appelant au rejet en reçut 15 000. L’aile gauche sortit fonder le Parti Communiste et le Parti Socialiste italien fut exclu de l’Internationale Communiste.

Le même mois, le Comité Exécutif fit une résolution au sujet de la conférence de Vienne des partis socialistes, qui se tint du 22 au 27 février avec 80 délégués de 13 pays. Cela donna naissance à l’Internationale dite de Vienne, qualifiée d’Internationale « deux et demi » par l’Internationale Communiste. En décembre 1922, la seconde Internationale l’Internationale dite de Vienne la rejoignit et cela donna naissance à l’Internationale ouvrière socialiste.

En février 1921, le Comité Exécutif fit une résolution sur la démission de cinq membres du Comité Central du KPD, ces membres de la direction de la section allemande reprochant l’Internationale Communiste de trop pousser vers l’avant, notamment en Italie.

Une résolution eut lieu en mars 1921 au sujet de la révolte anti-soviétique de Kronstadt, puis une autre au sujet du soulèvement de mars en Allemagne. La résolution salue le soulèvement et affirme qu’il s’agit d’une expérience sur le chemin de la victoire.

Cet épisode provoqua beaucoup de remous dans le KPD, qui perdit la moitié de ses membres, et en avril 1921 le Comité Exécutif fit une résolution sur l’expulsion des rangs du KPD de son ancien dirigeant Paul Levi.

En mai 1921, le Comité Exécutif fit une résolution au sujet des réparations que devait alors payer l’Allemagne à la suite de la guerre mondiale, expliquant qu’accepter ces exigences aboutirait au suicide économique de 60 millions de personnes.

Puis vint l’appel pour le troisième congrès de l’Internationale Communiste.

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Les 21 conditions au second congrès de l’Internationale Communiste

Le congrès se termine, le 7 août, par une session spéciale commune à l’Internationale Communiste, au Comité Central exécutif russe, au Soviet de Moscou, des syndicats et des conseils d’entreprises. Mais au-delà des documents votés concernant les lignes dans différents domaines, il fut procédé à la mise en place de « conditions » d’appartenance à l’Internationale Communiste.

Ce sont les communistes russes qui en sont à l’origine et le fait de les faire voter est une exigence de reconnaissance de leur statut d’avant-garde sur le plan international.

Les 21 conditions exigent en effet un remodelage complet des organisations existantes, qu’elles aient adhéré ou pas à l’Internationale Communiste, avec une discipline et une centralisation qui, dans les faits, sont étrangers à la tradition social-démocrate d’Europe et ce malgré ses prétentions sur ce plan.

Il va de soi que c’est encore pire pour ce qui ne relève pas de cette tradition, comme les socialistes français avec leur tradition de fédéralisme, leur refus catégorique de la discipline, etc.

Les communistes russes mettent ainsi la pression. Si le premier congrès n’avait pas atteint cette dimension en termes de structuration, l’idée est que, maintenant que l’Internationale Communiste se concrétise, ceux qui veulent en faire partie doivent assumer.

Une manifestation du second congrès peint par Boris Kustodiev

Zinoviev, dans sa présentation des 21 conditions, explique d’ailleurs qu’il ne suffira pas de les accepter pour être « baptisé » communiste. Les choses seront vérifiées.

En ce sens, les 21 conditions sont une offensive très claire contre le « centre », qui affirme rejeter les réformistes, mais sans concrétiser sa démarche au point de réellement rejoindre les communistes.

Dans ses documents du deuxième congrès, l’Internationale Communiste valorise ainsi les 21 conditions en soulignant que c’est un garde-fou :

« L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la III° Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la II° Internationale.

En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la II° Internationale.

Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

C’est pourquoi le 2° Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent. »

Ces 21 conditions devinrent la grande actualité du mouvement ouvrier.

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La question syndicale et celle des pays opprimés au second congrès de l’Internationale Communiste

Il fallut bien trancher au-delà des incompréhensions et des désaccords, et c’est autour de la question syndicale que tout se joua, en rapport avec celle des pays opprimés.

Les deux questions sont liées en raison de la vision du monde de Lénine. Pour celui-ci, il y a une vague révolutionnaire mondiale. Au-delà de la conscience des avant-gardes, il y a donc les masses qui se mettent en branle.

Or, celles-ci peuvent avoir un caractère arriéré sur le plan de la conscience, de l’organisation, etc. Il faut donc savoir les accueillir, même si les formes qu’elles ont adopté sont inadéquates.

C’est pour cela que Lénine entra lui-même dans la bataille pour la question syndicale et la question des pays opprimés, ainsi que pour la question parlementaire qui est à comprendre selon le même angle d’approche.

Lénine

La question des pays opprimés fut exposée par Lénine dans un rapport. La ligne était la suivante : il fallait soutenir les mouvements bourgeois-démocratiques nationaux, mais bien faire attention à ce que ceux-ci ne s’arrogent pas le contrôle sur les révoltes paysannes.

C’était là une partie de la révolution mondiale. Lénine précisa bien que les pays opprimés n’étaient d’ailleurs pas obligés de passer par l’étape capitaliste ; on a ici le principe de la révolution par étapes, l’étape démocratique d’abord, socialiste ensuite.

L’Italien Giacinto Menotti Serrati s’opposa à une telle perspective ; il considérait que si l’on en arrivait à soutenir tous les mouvements des pays opprimés, indistinctement, on se mettrait potentiellement à la remorque de leur bourgeoisie nationale. Il voyait davantage le soulèvement national comme un outil pratique pour un prolétariat extrêmement faible.

Sur ce plan, Giacinto Menotti Serrati avait une vision arriérée, social-démocratie à l’ancienne, n’ayant pas assimilé la démarche de Lénine. Ce dernier raisonnait en termes de masse et d’enclenchement de séquences révolutionnaires par les masses en mouvement.

Lénine

Pour la même raison, Lénine souligna le besoin de participer à la bataille dans les syndicats. Il faut saisir ici que dans les pays capitalistes, les syndicats avaient vu le nombre de leurs membres puissamment reculer pendant la première guerre mondiale, pour à la fin de celle-ci, connaître une vaste croissance.

En Angleterre, il y avait 4,5 millions de syndiqués en 1914, pour 6,5 millions désormais. Les chiffres sont passés pareillement de 400 000 à deux millions pour la France, de 450 000 à deux millions en Italie, aux États-Unis de deux millions à 4 millions.

En Allemagne, les syndicats n’avaient en décembre 1918 plus que deux millions de membres ; au moment du second congrès, ils en avaient huit millions, soit à peu près la moitié des masses laborieuses.

Pour les communistes russes, il fallait donc obligatoirement se tourner vers eux alors qu’une nouvelle période s’ouvrait. Les tendances syndicalistes révolutionnaires – les Shop stewards britanniques et les IWW américaines – ne voulaient pas en entendre parler, ayant une démarche syndicaliste révolutionnaire et voulant que leur propre initiative soit la seule interface révolutionnaire.

La CNT a la même vision des choses, tout comme le KAPD qui lui voit en les conseils la seule forme d’organisation possible.

Les débats furent donc âpres et devant les protestations anglaises et américaines face à la fin des débats quant à cette question, Zinoviev expliqua simplement qu’on allait pas discuter jusqu’à s’évanouir.

Il est à souligner ici que sur les sept personnes intervenues à ce sujet, seulement trois prônaient la position russe. Aux trois Américains et britanniques s’ajoutaient l’Italien, Bombacci, sur une ligne très similaire. Il y avait clairement deux lignes.

Le congrès décida donc de clore les débats, par 50 voix contre 25. Les délégations américaine et anglaise refusèrent alors de participer au vote final quant aux principes généraux de l’orientation de l’Internationale Communiste sur les syndicats, devant ensuite être finalisés en commission. Le Français Ángel Pestaña, lui-même du syndicat CNT, protesta contre l’absence de traduction en français et refusa également de participer au vote.

Lors du vote, il y eut 64 voix en faveur de l’envoi en commission et 13 abstentions.

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La question française au second congrès de l’Internationale Communiste

La question française fut très importante pour l’Internationale Communiste, tout autant que la question allemande, et même la question italienne. L’objectif assumé était de récupérer les socialistes français dans leur majorité, tout comme d’intégrer l’USPD allemande et les socialistes italiens. C’était là assurer une base de masse.

Le congrès de Strasbourg de la SFIO avait choisi en janvier 1920, par 4300 voix contre 300, de quitter la seconde Internationale. Un autre vote du congrès rejetait par contre, avec 2/3 des voix, l’adhésion à l’Internationale Communiste.

Il s’ensuivit un double mouvement : d’une part des discussions avec l’Internationale Communiste, de l’autre des tractations avec l’USPD allemande, ainsi que les socialistes italiens et suisses, pour une conférence internationale au sujet de la question de l’Internationale en général.

Ludovic-Oscar Frossard et Marcel Cachin allèrent donc à Moscou pour des discussions avec l’Internationale Communiste, assistant à deux sessions de son Comité Exécutif. Finalement, la SFIO décidèrent par 2735 voix et 1632 abstentions de les envoyer assister au second congrès de l’Internationale Communiste.

Marcel Cachin en 1918

Ce double positionnement était inacceptable pour l’Internationale Communiste, qui exigeait une purge idéologique et organisationnelle de la part des socialistes français. Les deux délégués reçurent donc, comme les délégués de l’USPD, de nombreuses remontrances.

Zinoviev constate ainsi au congrès que Marcel Cachin est sincère, un vrai combattant malgré qu’il ait commis des erreurs. Or, Zinoviev constate qu’en 1920, parlant du président américain Wilson, celui-ci le désigne comme le « dernier grand bourgeois », et parle de la « démocratie américaine » comme s’étant opposé aux événements des dernières années.

C’est là du social-pacifisme à la Jean Jaurès, pour Zinoviev, et c’est insuffisant. Pareillement, Zinoviev constate que Ludovic-Oscar Frossard, dans un écrit de février 1920, explique que l’adhésion à l’Internationale Communiste ne changera pas la question des élections et de l’alliance avec d’autres partis. Et Zinoviev de constater, de manière abrupte :

« Ainsi comme vous voyez, on a ainsi la conception que l’Internationale Communiste est une bonne brasserie, où les représentants des différents pays chantent « l’Internationale » et se font réciproquement des compliments.

Après, on se sépare et on continue ses vieilles pratiques.

Nous ne permettrons jamais cette satanée démarche de la IIde Internationale. »

Par la suite, Ludovic-Oscar Frossard, franc-maçon, refusera la bolchevisation et quittera le mouvement dès la fin du second congrès de l’Internationale Communiste, pour rejoindre les socialistes et devenir relativement un collaborateur du régime de Pétain après 1940. Marcel Cachin quittera lui la franc-maçonnerie comme demandé ; directeur de l’Humanité depuis 1918, il le resta jusqu’à sa mort en 1958.

Zinoviev est également outré que dans L’Humanité, telle tendance ait droit à tant d’articles, telle autre à tant d’articles, etc. Ainsi le centre a huit articles, la droite en a trois et la gauche quatre. Zinoviev compare cela à huit gouttes d’eau distillée, trois gouttes de poison et quatre gouttes de lait comme contre-poison.

Il mentionne une autre habitude néfaste :

« Frossard a expliqué avant son départ de Paris : j’aimerais aller à Moscou sans Renaudel. Nous allons avoir une discussion difficile avec les camarades russes ; c’est mieux qu’il reste à la maison.

Mais dans la lettre à ce sujet, monsieur Renaudel est désigné par Frossard comme « notre ami ». Ces manières françaises, nous devons les abolir.

Elles ne sont également pas totalement françaises. Modigliani écrit également à Serrati et Serrati à Prampolini : mon ami.

Cette méthode française et italienne ne peut pas être la nôtre. »

La critique la plus brutale vint d’Aron Goldenberg, qui dénonça que tel représentant des socialistes français ait voté les crédits de guerre, tel autre le budget ayant servi notamment à l’intervention militaire française contre la Russie rouge.

Les socialistes français ne feraient que reprendre la phraséologie révolutionnaire, alors qu’ils ont soutenu la guerre impérialiste jusqu’au bout ; structurellement, c’est un parti de l’aristocratie ouvrière, avec des réformistes petit-bourgeois s’étant enlisés dans leur propre démarche. Cachin et Frossard reflètent la position des socialistes français, qui est de prétendre qu’ils seraient d’accord sur tout avec l’Internationale Communiste, mais ce serait une duperie.

C’était là une ligne gauchiste, Aron Goldenberg passant d’ailleurs dans le camp de l’ultra-gauche à la toute fin des années 1920, alors que l’ouverture très critique des communistes russes aux socialistes français allait porter ses fruits.

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Incompréhensions et désaccords au second congrès de l’Internationale Communiste

Ce qui se joue en fait lors du second congrès de l’Internationale Communiste, c’est toute une lecture du communisme. Le second congrès témoigne ici d’un profond malentendu chez certains, d’une parfaite compréhension de ce qui se passe pour d’autres.

Les délégués hongrois avaient ainsi parfaitement compris le bolchevisme et la Russie soviétique, s’appuyant sur leur propre expérience. Il en va de même pour les Bulgares. En fait, leur propre parcours les amenait à cela.

Lénine

Cependant, d’autres arrivaient avec des conceptions totalement étrangères au bolchevisme, et ayant plaqué leur propre lecture des choses sur l’Internationale Communiste, ils formulaient des points de vue au mieux étonnants, au pire ahurissant.

Ainsi, le KAPD – Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne – demandait son adhésion à l’Internationale Communiste, alors qu’en même temps il considérait que le Parti Communiste devait se dissoudre dans les soviets, les conseils.

L’Espagnol Ángel Pestaña, du syndicat communiste libertaire CNT, défendit le syndicalisme contre la primauté du Parti, affirmant même que ce n’est pas le Parti qui a organisé l’armée rouge, car la révolution française montrerait qu’on a toujours comme allant de soi un parti et une armée dans une situation de crise. Ángel Pestaña resta donc communiste libertaire mais fondit ensuite un « Parti syndicaliste » possibiliste communiste libertaire qui participa au Front populaire.

L’Allemand Augustin Souchy mit pareillement en avant le syndicalisme révolutionnaire, et le Britannique Jack Tanner, du mouvement syndicaliste anti-parlementaire des Shop Stewards, rejeta que la Russie soviétique puisse servir de modèle à tous les pays :

« Ce qui se passe en Russie en ce moment ne peut pas être le modèle type pour tous les pays. En Angleterre par exemple, la situation est en général tout à fait différente de la situation comme celle en Russie avant la révolution.

Les Shop Stewards comprennent la dictature du prolétariat différemment d’en Russie. Ils la comprennent comme la dictature d’une minorité, comme celle représentée par les Shop Stewards. »

Augustin Souchy revint à un anarchisme primaire, Jack Tanner rejoint les communistes mais simplement quelques mois, afin de repasser au syndicalisme pur et dur.

Cette mentalité était typique d’une ultra-gauche marginalisée, coupée de la social-démocratie historique, proche de l’anarchisme mais plus d’esprit syndicaliste révolutionnaire, qui avait une lecture idéaliste du bolchevisme. En France s’était fondé en mai 1919 un « Parti Communiste » sur cette base, qui devint dès décembre une « Fédération communiste des soviets » ne durant que quelque temps.

La Maladie infantile du communisme
(le « gauchisme »), écrit par Lénine en mai 1920

Toutefois, les communistes russes firent de réels efforts pour amener tous ces gens à faire un saut qualitatif en direction du bolchevisme, considérant que leur volontarisme représentait une certaine valeur, l’expression d’une combativité dans le contexte de la vague de la révolution mondiale.

Lénine tenta de temporiser avec les Britanniques, en disant qu’il s’agissait là d’un simple préjugé à l’égard du terme de Parti, les Shop Stewards ayant par ailleurs un comité national pour diriger le mouvement.

La discussion était cependant d’autant plus difficile que, par exemple, Jack Tanner défendait également le principe comme quoi il ne faudrait pas de directives internationales, chaque regroupement membre de l’Internationale Communiste – y compris sous une forme non politique -, devant avoir toute latitude pour sa propre stratégie, ses propres tactiques. Cela faisait beaucoup.

Pour ajouter à la complication, allant totalement à l’encontre des Shop Stewards, le British Socialist Party demanda à pouvoir continuer comme fraction au sein du Labour Party, ce que Lénine considérait comme tactiquement juste, puisqu’il s’agissait d’une sorte de grand parti syndicaliste, avec 6-7 millions de travailleurs.

Lénine

Lénine fut entendu : l’Internationale Communiste décida que les communistes britanniques devraient rejoindre le Labour Party si ce n’était pas déjà fait (58 voix pour, 24 contre, 2 abstentions).

Les communistes russes avaient le même positionnement par rapport à l’USPD allemande, qui se rapprochait ouvertement de l’Internationale Communiste et disposait de 800 000 adhérents (11 000 étant même en prison), même s’il existait une aile droite très puissante encore.

Cela était considéré comme intolérable par les gauchistes, David Wijnkoop des Pays-Bas étant furieux de la présence de l’USPD allemande et agressa ouvertement son délégué Ernst Däumig, ce qui aboutit à des insultes avec Radek. Il rejetait tout autant les socialistes français, qui formaient une question toute particulière.

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