La vision du monde de l’austro-marxisme : la jeunesse

La perception de la social-démocratie autrichienne était que les choses allaient de l’avant, que la victoire allait être prochaine, et que donc la critique de l’URSS ne pouvait qu’être secondaire par rapport à son existence comme pays socialiste. Il y a une ferveur, un optimisme prolétarien, qui se révèle avec son affirmation de la jeunesse.

Essaie donc, réactionnaire !
La jeunesse est prête !
La jeunesse en avant !
Réunion de la jeunesse
Liberté !
Sang jeune

Jeunesse sérieuse
A nous ! Que chacun en recrute un second !
Jeunesse, nous en appelons à toi !
Avec nous souffle la nouvelle époque…
Journée de la jeunesse à Eisenstadt
La beauté et la jeunesse se sont présentées
Jeunesse d’aujourd’hui
Le printemps

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La vision du monde de l’austro-marxisme : l’URSS

Si la social-démocratie autrichienne se plaçait dans une perspective humaniste, l’élan amena sa gauche à se développer toujours plus et, de fait, plus les années passent plus l’URSS est ouvertement soutenue. Elle est considérée comme socialiste, et même si le bolchevisme n’est pas considéré comme un modèle correct, ses réalisations étaient saluées.

En Russie soviétique les femmes sont conductrices de locomotives et chauffeuses
Un morceau de culture socialiste (le centre moscovite pour la culture et l’éducation)
La révolution de novembre 1917
La Russie soviétique émerge
La révolution de novembre 1917
Les femmes russes
Lénine
Espoirs russes
L’étonnante Russie
De la vie russe
La révolution russe de 1905
La crise en Russie (il est parlé d’une gigantesque expérience russe, en fait la collectivisation de l’agriculture, dont il est espéré qu’elle se termine vite, mais avec succès)
Récolte de coton au Turkestan
Le plan quinquennal russe
L’armée rouge

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L’austro-marxisme comme mouvement culturel

Les grandes réalisations à Vienne s’accompagnaient de la diffusion de valeurs fortes et la génération d’un nombre très important d’organismes.

La moitié des députés s’assumaient abstinents concernant l’alcool, alors que des organisations du Parti rassemblaient les joueurs d’échecs, ceux de mandoline, les clubs de danses folkloriques, ceux de chant, les regroupements des collectionneurs de timbres, les amis des animaux (divisés en multiples sections : les amis des oiseaux exotiques, ceux qui aiment les chiens, les éleveurs de poulets, etc.), etc. etc.

Résultats aux élections parlementaires de 1930, en haut à gauche pour les quartiers de Vienne

La social-démocratie organisait une contre-société, avec une infinité d’activités. C’était là l’aspect décisif et le journal du Parti, le quotidien du Parti, la Arbeiter Zeitung, pouvait affirmer en 1925 :

« La communauté socialiste n’a pas le droit d’avoir de brèches, car c’est uniquement en étant sans failles, en saisissant toutes les relations, tous les besoins, tous les inclinations du prolétariat, qu’elle est la communauté accomplie, ainsi en même temps un pressentiment de ce monde que nous voulons construire.

Nous ressentons le besoin impérieux d’une autre éducation, nous exigeons un autre art, nous chantons d’autres chansons et faisons d’autres sports : ce qui semble couvrir un unilatéralisme de philistins, est en réalité la différence entre la vision capitaliste du monde et la vision socialiste du monde, qui pénètre la vie humaine dans tous les gestes et s’exprime dans tous les rapports et toutes les organisations. »

La social-démocratie autrichienne réfutait ainsi le principe de l’insurrection, mais considérait pour autant qu’il était dans la nature même de son projet de séparer de manière entière les ouvriers de la bourgeoisie sur les plans spirituel, culturel, social, et donc non pas seulement politiquement.

Le journal du Parti, la Arbeiter Zeitung, expliquait en 1926 que :

« Plus le prolétariat semble obligé en apparence de négocier avec le monde bourgeois, plus de manière fière il doit se séparer de lui en son for intérieur. »

Contre la crise et le besoin
Pour le travail et le pain
Votez social-démocrate !

Dans cet objectif d’arracher les masses à l’hégémonie culturelle bourgeoise, l’Eglise et ses importantes processions baroques était un ennemi d’autant plus important que les fêtes religieuses marquait le calendrier de manière significative. Aussi, la social-démocratie répondit point par point : Noël était célébré comme solstice d’hiver, la fête-Dieu comme fête du printemps, l’intégration dans l’organisation de jeunesse remplaçait la communion. 

La social-démocratie organisa même la possibilité de procéder à la crémation des morts, afin de s’opposer au rite catholique de l’enterrement, avec le mouvement dénommé la flamme et regroupant pratiquement 170 000 personnes.

La jeunesse, en avant… avec nous arrive la nouvelle époque! Votez social-démocrate!

On retrouve évidemment un mouvement de la libre-pensée, avec 40 000 membres, l’organisation des amis des enfants et des écoliers avait 100 000 membres, l’union de la jeunesse ouvrière socialiste 30 000 membres, alors qu’existaient également des mouvements étudiants, de lycéens.

La centrale d’activités ASKÖ, fondée en 1925, regroupant 200 000 membres, avec comme structures principales les gymnastes, les nageurs, les « amis de la Nature », les footballeurs ; une olympiade ouvrière internationale eut lieu à Vienne en juillet 1931.

Tout pour l’enfant
Votez social-démocrate
C’est ce que vous demande l’association Ecole libre – les amis des enfants

Le Parti fut en mesure de mettre en place ses cinémas, ses cantines, ses centrales d’achats, un fabrique de pains, etc.; les cyclistes et les motards avaient leurs propres structures ; en 1925 Anton Tesarek fonda les Faucons rouges pour regrouper la jeunesse.

Le Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche fêtait aussi ses propres dates : l’instauration de la république le 12 novembre, le premier mai (le « Noël socialiste »), la révolution démocratique de mars 1848, les martyrs du 15 juillet 1927. Des figures de la science et des artistes, des hérétiques furent honorés lors de leur anniversaire, tout comme les 80 ans du Manifeste du Parti Communiste, les 10 ans de l’Union Soviétique, Karl Marx, Ferdinand Lassalle, l’écrivain Alfons Petzold, etc.

Parents, votez pour nous
social-démocrate

Le socialisme était l’avènement d’une forme de civilisation supérieure, le fruit d’une évolution naturelle. D’où l’absence d’esprit de rupture violent, mais d’où l’esprit de rupture culturelle. C’est là, bien entendu, ni plus ni moins que le fruit direct de l’analyse de Karl Kautsky, qui s’opposait pareillement tant aux réformistes qu’à Lénine au nom d’un marxisme à prétention évolutionniste.

Voici comment Otto Bauer, l’idéologue de la social-démocratie autrichienne, formulait la manière dont la classe ouvrière accomplit une évolution historique naturelle :

« Aussi bien de type nouveau que sera cette culture, elle sera pourtant l’héritière de toutes les cultures passées. Tout ce que les êtres humains ont pensé et imaginé, déclamé comme poèmes et chanté, sera désormais héritage des masses.

Leur propriété sera ce qu’il y a des siècles un troubadour a chanté à une fière princesse, ce que l’artiste de la Renaissance a peint pour le riche marchand, ce que le penseur de l’époque pré-capitaliste a pensé pour une couche étroite de gens cultivés.

Ainsi, les gens de l’avenir forment leur propre culture à partir de l’héritage des anciennes œuvres et des nouvelles œuvres contemporaines. Et cette culture sera la possession de tous, comme base définissante du caractère de chacun et unifie ainsi la nation comme caractère commun. »

La base de cette approche est indéniablement marxiste, avec la grande thèse de l’héritage qui sera justement particulièrement soulignée par Staline. Cependant, ce dernier et le matérialisme dialectique dans son prolongement accordent une grande importance à la délimitation de ce qui relève de la culture, dans le sens démocratique, et ce qui relève de l’idéologie décadente de la bourgeoisie.

Ho hisse à gauche
Ho hisse à gauche
Votez social-démocrate !

Tant que la social-démocratie autrichienne était portée par la classe ouvrière, les problèmes pouvaient ne pas être trop visibles, mais au moindre accroc l’absence de délimitations culturelles devait être fatale, non pas tant face aux austro-fascistes du type catholique-clérical que face aux nationaux-socialistes.

La social-démocratie autrichienne considérait que la culture était quelque chose de survolant la réalité, qu’elle était en quelque sorte la civilisation elle-même, que donc la classe ouvrière prenait passivement mais consciemment la place de la bourgeoisie sur ce plan. Max Adler formule la chose de la manière suivante :

« Le socialisme n’est, au fond, en rien un mouvement ouvrier en tant que tel, mais un mouvement culturel, et le mouvement de cette culture consiste en cela que le socialisme réalise la culture par les ouvriers mis en mouvement, qu’il fait se mouvoir la culture vers les ouvriers et entend par eux continuer son mouvement. »

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La vision du monde de l’austro-marxisme : l’enfance

La mise en place des nouvelles installations amena également une attention fondamentale à la question de l’enfance, de sa protection, de son développement. Ce fut un aspect essentiel du moteur culturel de Vienne la rouge.

Rêves de Noël irréalisables
La nouvelle enfance
Aidez des enfants victimes de la faim à préparer des vacances joyeuses!
Noël 1930
Les enfants le soleil l’eau
Hop dans l’eau !
Qu’ont fait les noirs [=la droite] pour les enfants? Que font les rouges?
A qui appartiennent ces beaux cadeaux de Noël ?
Enfants viennois
Noël des uns et des autres
Bientôt les vacances !
Les piscines des plus petits
Le premier jour d’école

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La vision du monde de l’austro-marxisme : le soleil et la natation

La mise en place de Vienne la rouge s’accompagne d’une valorisation systématique du soleil et de la natation, avec un certain esprit naturiste. Les prolétaires doivent se sentir bien dans leur peau et l’épanouissement passe par des activités physiques dans un cadre agréable, à la fois personnel et collectif.

Des fées aquatiques
On saute et hop dedans
Visitez la plage ouvrière de l’association de natation à Vienne
L’heure du bain
Le sable, le soleil, les vagues, la danse
L’eau, l’air et la joie
Le dimanche des Viennois
La joie par 30 degrés et plus
Premier jour de bain
Dans le bateau pliant
La plage viennoise
De l’école de natation au bain familial
La Lobau, une zone au nord de Vienne
Dans la Lobau

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La vision du monde de l’austro-marxisme : Vienne la rouge

La ville de Vienne, bastion ouvrier formant une forteresse social-démocrate, eut tendance à écraser l’identité du Parti, de par son ampleur. Les réalisations se voulaient un programme d’envergure nationale, mais la situation était bien différente dans le reste du pays, largement paysan. Le Parti ayant rejeté le bolchevisme, il ne fut pas en mesure d’intégrer suffisamment la question paysanne, emporté par son élan viennois.

Le travail, le pain et la paix ! Le programme social-démocrate (à l’arrière plan le HLM Karl Marx)
Vienne La ville rouge aux millions d’habitants et l’espoir et l’affirmation des peuples travailleurs de tous les pays capitalistes du monde C’est pourquoi Vienne restera toujours rouge !
Bienvenue à Vienne la rouge (pour les olympiades ouvrières)
Vienne la rouge (la mairie, le HLM Karl Marx, un autre HLM)
60 000 [logements] jusque-là, cela doit devenir 80 000 !
C’est à ses fruits que vous reconnaîtrez le budget de Vienne la rouge

Dix années de la nouvelle Vienne
[Une présentation de Vienne avant 1914]

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L’austro-marxisme et Vienne comme modèle socialiste

Ce qui caractérise la social-démocratie autrichienne, c’est qu’elle a conservé sa base de masse qui était la caractéristique du mouvement social-démocrate d’avant 1914, mais qu’en plus elle s’affirmait comme voulant faire de l’Autriche un pays socialiste à court terme. 

Aux élections parlementaires, la social-démocratie était une formation puissante, obtenant 40,76 % des voix en 1919, 35,99 % en 1920, 39,60 % en 1923, 42,32 % des voix en 1927, 41,14 % des voix en 1930. 

En 1921, le syndicat lié à la social-démocratie obtenait 83,9 % des voix, 78,8 % en 1926, contre 11,8% puis 10,4 % aux catholiques, 1,4 % puis 7,8 % aux nationaux, 2,7 puis 2,8 % aux communistes, les « neutres » obtenant à chaque fois 0,2 %

En 1919, le Parti Ouvrier Social-Démocrate a 332 391 membres, dont 76 165 à Vienne. En 1921, il en a 461 150 dont 188 379 à Vienne. En 1924, il en a 566 124 dont 266 415 à Vienne. En 1929, il en a 718 056 dont 418 055 à Vienne. En 1932, il en a 648 497 dont 400 484 à Vienne.

Un HLM mis en place dans Vienne la rouge : Vive Vienne la rouge !

Cela signifie que dans la capitale autrichienne, pratiquement la moitié des hommes adultes et presque le cinquième des femmes adultes étaient membres du Parti. En avril 1927, 79% des hommes et 35% des femmes ayant voté social-démocrate en étaient des membres organisés. La part des femmes augmentait également : elles formaient 21 % des membres en 1919, 34 % en 1932.

Cela signifie que la ville disposa immédiatement d’une majorité social-démocrate, avec une énorme base. Lors des premières élections communales générales à Vienne, le 4 mai 1919, la social-démocratie obtint 100 des 165 mandats, les catholiques en obtenant 50, le parti tchéquoslovaque 8, les pangermanistes 4, les nationaux juifs 3.

Ce fut le point de départ de Vienne la rouge. Initialement une région, la ville devint pratiquement indépendante de la région dès 1918, ce qui fut rapidement formalisé.

Une piscine publique de Vienne la rouge

La municipalité social-démocrate allait prendre toute une série de mesures pour la santé des masses, alors que la situation était catastrophique.

La ville, en tant que capitale impériale, avait grandi de manière disproportionnée, pour voir sa population reculer à la fin de l’empire : Vienne avait 840 000 habitants en 1869, 2,2 millions en 1915, 1,8 million en 1918.

Les conditions de vie y étaient effroyables. En avril 1917, la ville de Vienne disposait de 554 544 appartements. 405 991 d’entre eux consistaient en une chambre et une petite pièce appelée cabinet au grand maximum, avec éventuellement une cuisine, contenant une baignoire parfois. Dans le monde germanophone, la tuberculose était surnommée « la maladie viennoise ».

Pour cette raison, les réalisations de Vienne la rouge concernent cinq aspects majeurs.

L’opposition entre la construction de logements sociaux à Vienne et une villa recevant des aides étatiques

Il y a tout d’abord des mesures sociales concernant directement la vie quotidienne, permettant de faciliter l’accès au gaz, à l’eau, à l’électricité, à une médecine préventive, en particulier pour les enfants et les jeunes (avec un paquet de linge gratuit pour chaque nouveau-né).

Furent également construits, dans une perspective de santé sur cette base sociale, des piscines, des terrains de sport. C’est le conseiller municipal Julius Tandler qui s’occupait de ces deux aspects, ces domaines du social et de la santé.

C’est le marxisme : voilà à quoi ressemble une salle de classe d’une nouvelle école

Une grande attention fut accordée à l’éducation, avec une école générale pour tous les jeunes de dix à quatorze ans, une amélioration des formations, des fournitures gratuites pour les écoliers, des cours du soir pour les travailleurs. C’est le conseiller municipal Otto Glöckel qui s’occupait de cet aspect.

Une nouvelle école, en périphérie de Vienne, dans la ville d’origine de Otto Glöckel, le théoricien de la réforme scolaire démocratique de Vienne la rouge

Les productions architecturales forment l’un des aspects les plus connus, ayant une résonnance mondiale. En 1924, 2 478 logements avaient été construits, en 1925 6 837, en 1926 9 034. A la fin de l’années 1933, 55 667 logements avaient été construits au total depuis le lancement du projet en 1924, 66 270 si l’on part de 1919.

Cela voulait dire qu’entre 1/10 et 1/8 des habitants de Vienne habitaient dans des logements sociaux construits par la mairie social-démocrate, mieux encore : dans un environnement socialisé par la social-démocratie.

Ces constructions associaient en effet parcs, jardins d’enfants, douches, laveries, bibliothèques, voire des piscines ; Vienne la rouge obtenait une organisation urbaine de plus en plus socialisée, dont les grands symboles étaient les blocs de HLM (« Hof »), le plus fameux étant bien entendu le Karl Marx Hof.

Le Karl-Marx-Hof

Enfin, la politique d’impôts, gérée par Hugo Breitner, frappait les salaires de manière progressive, à quoi s’ajoutait une taxe sur le luxe. D’origine juive, Hugo Breitner était victime d’une intense propagande chrétienne antisémite ; le ministre de l’intérieur et chef des milices catholiques l’aristocrate Ernst Rüdiger Sterhemberg n’hésita pas lors des élections de 1930 à expliquer que « notre victoire n’aura lieu que lorsque la tête de cet asiatique roulera dans le sable ».

Le HLM Goethe

ll est à remarquer la ville de Vienne, qui devint rapidement une région ce ui renforça la main-mise social-démocrate locale, fut confrontée à une vague de « colonisation », c’est-à-dire de constructions illégales de petites maisons avec jardin. L’initiative partait du mouvement en faveur des jardins, mais se renforça par le besoin des habitants de la ville de trouver un endroit digne pour vivre.

A cela s’ajoutait bien entendu la question alimentaire, puisque un jardin permettait une petite autosuffisance. La question de la santé était également un argument utilis par ce qui devint un véritable petit mouvement. Les petites colonies avaient des noms témoignant de la dimension utopique du projet : Nouvelle Hawai, Eden, Nouvelle Floride, Nouveau pays, En avant, L’avenir, etc.

La mairie socialiste fit en sorte de légaliser la « colonisation » et de fournir du matériel de construction peu onéreux. Les logements construits par 31 grands architectes, la Werkbundsiedlung, eut également un retentissement international. Mais sur le fond il se posait le problème de voir une partie des prolétaires se précipiter dans une sorte d’utopie agraire reposant sur la petite propriété, affaiblissant la cause socialiste.

L’inauguration du HLM Friedrich Engels

Les catholiques appuyèrent d’ailleurs idéologiquement le mouvement en demandant évidemment l’absence d’interférence étatique et partidaire, suivant le principe que seule la propriété rendait libre et suffisait en cela. Il se forma alors un double mouvement d’organisation des colons, certains étant reliés à des organismes « rouges », tandis que d’autres étaient liées aux catholiques célébrant la propriété.

En pratique, la social-démocratie maintint l’hégémonie, mais l’idéologie du « nain de jardin » rendit très passif les colons, qui s’imaginaient vivre en quelque sorte parallèlement à la ville. Il existait cependant des courants directement ancrés dans le mouvement prolétarien, exigeant que la grande ville cède la place à de nombreux espaces pour des jardins. L’un des théoriciens fut l’Allemand Hans Kampffmeyer, qui vint à Vienne alors que dans son pays, le mouvement était idéologiquement très morcelé.

Aidé par le psychologue Otto Neurath, Hans Kampffmeyer se retrouva au centre d’un dispositif général, où la mairie générait une centrale d’achats des « colons » aboutissant à des petites productions (bois, ciment, etc.) elles-mêmes centralisées, épaulées par des crédits fournies par la ville elle-même.

Au final, cela produisit une vague de coopératives existant jusqu’à aujourd’hui à Vienne. Les oopératives construisent des logements qu’on peut habiter en échange d’une appartenance à la coopérative et d’un loyer pour l’entretien. On peut par la suite mettre son logement sur une sorte de bourse d’échange pour littéralement le « troquer » avec quelqu’un d’autre de la même coopérative.

Dans le quotidien du Parti la Arbeiter Zeitung, on pouvait lire en juillet 1931:

« Vienne est une ville social-démocrate, traversé dans tous ses pores par l’esprit socialiste, la volonté prolétarienne, une ville rouge de part en part, pas seulement dans sa direction et son administration, mais dans sa vie, dans son sang, dans ses nerfs. »

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La vision du monde de l’austro-marxisme : les masses

La République, cela représentait pour la social-démocratie autrichienne les masses formant une unité collective. L’insistance est complète sur les droits des masses, l’épanouissement des masses, le poids de vue de masse.

Masse de gens (dans le stade de Vienne)
Un parmi des millions (avec une famille de petits paysans autrichiens)
Le peuple avec nous !
200 000 personnes manifestent sur la [la principale avenue viennoise enserrant le premier arrondissement qu’est la] Ringstrasse pour le droit au travail et la liberté !
Un parmi des millions (avec une chômeuse à Riga en Lettonie)
Sentiment de masse et sentiment des masses

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La vision du monde de l’austro-marxisme : la République

La social-démocratie autrichienne rejetait le principe de pouvoir soviétique élaboré par le bolchevisme. Elle tenait à une république parlementaire, tout comme la social-démocratie allemande à la suite de Rosa Luxembourg par ailleurs. Cependant, la social-démocratie autrichienne allait bien plus loin que la social-démocratie allemande dans le rejet des institutions.

Pour elle, la République c’était la forme devenant forcément socialiste et seul le drapeau rouge allait de toutes façons avec. C’est un positionnement réellement centriste entre réformisme et bolchevisme.

La République se tient solide et inébranlable !
(à l’arrière-plan la mairie de Vienne la rouge)
La République entre nos mains
Jour de la République – notre jour !
Le 12 novembre à Vienne
Le 12 novembre à Vienne
L’Autriche est une République démocratique. Son droit vient du peuple (article 1 de la constitution)
Fête de la République à Vienne
Le parlement est menacé ! Le peuple la défendra !
Le parlement est menacé ! Une promenade dans le chef d’oeuvre de [l’architecte] Hansen
Une valorisation de l’art néo-classique strictement parallèle à celle en URSS
L’Autriche est une République démocratique… Et le restera, malgré tout ! (cette dernière expression est une allusion à Rosa Luxembourg qui l’employa)

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L’austro-marxiste Otto Bauer et l’équilibre des forces

Du point de vue bourgeois, l’austro-marxisme consiste en l’école marxiste telle qu’elle émerge dans la social-démocratie autrichienne avant 1914, dans le cadre de l’Autriche-Hongrie. En réalité, l’austro-marxisme consiste en un style politique et une idéologie développée par le Parti Ouvrier Social-Démocrate en Autriche entre 1918 et 1934. 

Cette ligne a été développée par Otto Bauer, qui se situe dans la pratique dans la continuité directe de Karl Kautsky. Karl Kautsky se voulait à gauche de la social-démocratie, il refusait la première guerre mondiale, mais en même temps il ne reconnaissait pas la valeur du bolchevisme, qu’il voyait comme une déviation aventuriste en décalage avec la réalité historique.

Otto Bauer est sur la même ligne et au tout début des années 1920, il dit ainsi de la Russie soviétique la chose suivante :

« Toute révolution bourgeoise commence par la révolte de la bourgeoisie contre l’absolutisme et contre la féodalité. Mais ce soulèvement déchaîne les forces des masses laborieuses : éléments plébéiens dans les villes, paysans dans les campagnes (…).

L’idéologie communiste de la Révolution russe était une de ces idéologies enthousiastes, illusoires, utopiques, auxquelles la révolution bourgeoise est toujours sujette durant sa phase de dictature plébéienne.

Elle a, dans le développement de la Révolution russe, la même importance qu’ont eue l’idéologie du « royaume d’Israël » dans la Révolution anglaise, l’idéologie égalitaire jacobine dans la Révolution française.

Le communisme russe n’est pas le socialisme d’un prolétariat évolué, éduqué, mûri sur la base du grand capitalisme, capable de mener la lutte réelle pour la socialisation de tous les moyens de production et d’échange déjà préformée, déjà rendue matériellement possible par l’évolution du capitalisme lui-même.

Il a été plutôt l’illusion des masses plébéiennes d’un pays qui vient seulement de s’affranchir ds chaînes de la féodalité, masses qui, hissées temporairement au pouvoir par la révolution bourgeoise, cherchent en vain à réaliser leur idéal pour échouer contre le degré de développement trop bas des forces productives et par apprendre de l’expérience que leur domination ne peut réaliser leur idéal communiste, mais n’a été que le moyen employé par l’histoire pour détruire touts les vestiges de la féodalité et créer par là les conditions de développement du capitalisme sur une nouvelle base élargie (…).

La pratique réelle du « cours nouveau » [il s’agit de la période de la NEP] est la reconstruction de l’économie capitaliste.

Mais on avait cru pouvoir accomplir cette reconstruction du capitalisme sous la « dictature du prolétariat ». C’est encore et toujours une utopie, toujours une illusion. »

Par la suite, Otto Bauer évoluera fondamentalement dans cette approche, devenant pro-soviétique tout en conservant une approche critique. Il se situe ainsi dans le prolongement de Karl Kautsky, mais avec une évolution que celui-ci n’aura pas.

Otto Bauer

Né en septembre 1881, Otto Bauer avait des parents bourgeois juifs tchèques ; son père possédait une usine de textile à Warndorf ainsi qu’un comptoir à Nachod. Sa sœur Ida est historiquement connue comme étant l’une des « patientes » que Sigmund Freud prétend avoir guéri ; il parle d’elle sous le pseudonyme de Dora.

L’éducation d’Otto Bauer fut de haut niveau ; il maîtrisait, outre l’allemand et le tchèque, le français et l’anglais, ainsi que le grec, puis le serbo-croate et le russe qu’il appris durant sa captivité lors de la première guerre mondiale.

Il fit des études de droit et envoya à 23 ans un texte intitulé La théorie marxiste des crises économiques à Karl Kautsky, ce qui marquale début d’une correspondance. De fait, Otto Bauer s’imposa immédiatement comme une grande figure intellectuelle du marxisme, capable malgré son jeune âge de faire une conférence d’une heure et demie sans aucune note.

Otto Bauer fut alors le cadet de la première génération de l’austo-marxisme, dont lui-même sera le dirigeant de la seconde génération, lorsque l’austro-marxisme sera synthétisé.

Otto Bauer

Fréquentant de manière régulière Rudolf Hilferding (l’auteur de l’ouvrage Le capital financier en 1910 que Lénine employa pour sa propre thèse sur l’impérialisme), Max Adler, Karl Renner, Gustav Eckstein, Otto Bauer se vit donner comme tache d’analyser la questions des nationalités en Autriche-Hongrie. Il y a affirma la possibilité de nations sans territoires, ce qui lui valut une critique significative de la part de Lénine.

Après le succès électoral de 1907, il devint le secrétaire des parlementaires qui étaient passés de 10 à 87, participant la même année à la fondation de la revue théorique du Parti, Der Kampf. Il devait en 1914 être le rapporteur du congrès de la seconde Internationale, qui ne put se tenir. En 1918, avec l’instauration de la république autrichienne, il devint ministre des affaires étrangères.

Dès ce moment, sans en être formellement le dirigeant, il devint l’idéologue et la principale figure du Parti Ouvrier Social-Démocrate. La principale substance idéologique apportée par Otto Bauer est que la bourgeoisie est déjà caduque historiquement, mais que la classe ouvrière est trop faible. Il y a donc une période de latence, qui d’ailleurs présenterait une caractéristique historique générale.

Dans une analyse au titre évocateur, L’équilibre des forces de classe, Otto Bauer explique que :

« Dans mon histoire de la révolution autrichienne, j’ai montré que le résultat de la révolution étaiit un état où ni la bourgeoisie ni le prolétariat ne pouvait contrôler l’État, que les deux devaient concrètement se le partager.

L’État n’a été dans cette phase de développement ni une organisation de domination de la bourgeoisie, ni un organisation de domination du prolétariat. »

Otto Bauer se justifie en mentionnant les remarques de Karl Marx et Friedrich Engels au sujet de la monarchie absolue en France et de la glorious revolution britannique, où il y a eu un compromis entre certaines fractions de la bourgeoisie et de l’aristocratie, sur l’appui des paysans à l’appareil d’État de Napoléon III ou bien l’alliance entre l’aristocratie financière et les junkers en Prusse.

Cela signifie qu’il y a des phases d’interpénétration des classes ennemies dans l’État. Il considère ainsi que :

« Selon la conception de Marx, le développement de l’État se présente par conséquent de la manière suivante dans la période historique de la montée de la bourgeoisie : au début de la période, l’État était la simple organisation de domination de la classe des propriétaires terriens, à la fin la simple organisation de domination de la bourgeoisie.

Entre l’État féodal et l’État bourgeois il y a eu une période d’équilibre des forces de classe, où les deux classes ou bien tombaient sous la domination d’une violence d’État s’autonomisant, ou bien devaient se partager la domination. »

Ce point de vue diverge du point de vue communiste, dans la mesure où pour le matérialisme dialectique la forme de l’État correspond à son fond. C’est la raison pour laquelle la révolution d’Octobre 1917 en Russie s’est présentée comme « le pouvoir des soviets », que les concepts de « démocratie populaire », de « nouvelle démocratie » ont pu être développés. Il y a un certain équilibre, mais la forme tend dans une certaine direction.

On ne trouve pas cela chez Otto Bauer qui, tout comme Karl Kautsky, rejetait précisément le « pouvoir des soviets » au nom d’un concept de démocratie aux contours flou, ou plus précisément essentiellement bourgeois, ne se détachant pas du modèle de la bourgeoisie lors de son époque progressiste, anti-féodale.

C’est qu’Otto Bauer rejette justement le matérialisme dialectique, la vision de l’histoire sous forme de saut, conformément à la nature. L’austro-marxisme s’appuie sur Kant ou Mach ; ici Otto Bauer s’appuie sur ce dernier, le citant pour justifier sa vision de l’État comme lieu temporaire d’interpénétration des classes.

« Le processus en entier », dit Mach qui constate un processus analogue dans la science naturelle, « le processus en entier a seulement un sens économique. Nous commençons avec une reproduction des faits avec les complexes stables, habituels, qui nous sont communs, et ajoutons par la suite l’inhabituel corrigeant. »

Cette conception a trois conséquences. La première est de voir le fascisme comme un coup d’État de bandits s’arrogeant le pouvoir, avec l’acceptation de la bourgeoisie du moment qu’elle se sent protégée du prolétariat. Otto Bauer a ici la même conception que le trotskysme.

La seconde est de voir le bolchevisme comme l’expression d’une couche parasitaire se plaçant au-dessus des paysans, des ouvriers et de la nouvelle bourgeoisie formée au moment de la NEP. C’est là aussi un point de vue proche du trotskysme. Cependant, dans les deux cas, Otto Bauer changera de point de vue après la défaite de l’austro-marxisme en 1934, se rapprochant largement du point de vue communiste.

La troisième est que l’État autrichien né en 1918 est un équilibre des classes. Et effectivement, la social-démocratie autrichienne a vraiment considéré que c’était le cas, au point que le symbole de l’État lui-même correspond à cette conception.

Le symbole national de l’Autriche de 1918 à 1934 et à partir de 1945

Le nouvel État avait comme blason l’aigle autrichien, avec sur sa tête une couronne consistant en une tour crénelée, symbole de la ville, c’est-à-dire de la bourgeoisie, alors que les pattes tiennent un marteau et une faucille, symbole de la classe ouvrière et de la paysannerie. Les réalisations de Vienne la rouge semblaient confirmer cette analyse.

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La vision du monde de l’austro-marxisme : l’internationalisme

La social-démocratie autrichienne se considère comme dans le prolongement direct de la seconde Internationale. Le nom du Parti – Parti Ouvrier Social-Démocrate – est d’ailleurs très clair quant à l’orientation centriste, refusant l’avancée vers le bolchevisme mais également tout recul vers le réformisme.

L’internationalisme prolétarien est ainsi une composante essentielle de la matrice du Parti.

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Peuples entendez le signal [début de l’Internationale en allemand]
Notre est le monde !
Vive la République espagnole !
Matteotti Cinq ans après le meurtre
Les travailleurs n’ont rien à perdre à part [leurs chaînes, mais un monde à gagner]
[La classe ouvrière lutte : contre le militarisme] le capitalisme – pour la fraternisation de l’humanité !
(dans la main, le Manifeste communiste)
Le travail va recevoir le monde
[Une fraternité organisée unit les] travailleurs de toutes les races et de toutes les langues
Bataille de rue à Budapest
Les travailleurs de couleurs se réveillent aussi !
Une image du congrès noir venant de se tenir en Afrique du Sud
Prolétaires de couleur

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La vision du monde de l’austro-marxisme : la paysannerie

Représentant le bastion ouvrier viennois, la social-démocratie autrichienne s’évertua à se tourner vers la paysannerie. C’est un effort notable, rendu inévitable par ailleurs dans un pays très profondément marqué par la contradiction villes-campagnes.

[Région du] Burgenland : paysans sans terre
La terre aux paysans, pas aux châtelains !
Le temps des récoltes
Les travailleuses des campagnes
Le temps des récoltes !
La récolte
Les paysans de Vienne
Une paysanne du Burgenland

En même temps, l’identité ouvrière des rouges s’opposait clairement aux forces des campagnes exprimant la réaction catholique des grands propriétaires terriens.

Ils veulent voler le soutien à 70 000 chômeurs !
Votez social-démocrate !
Assez de la spéculation sur les logements ! Artisans et commerçants profitez de la protection des locataires et votez social-démocrate !
Des appartements populaires pas des villas de luxe ! Ne laissez pas la protection des locataires se faire démolir ! Votez social-démocrate !

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La vision du monde de l’austro-marxisme : le prolétariat

L’austro-marxisme pose l’affirmation du prolétariat littéralement en termes d’autonomie à tous les niveaux. La vie ouvrière est séparée de celle de la bourgeoisie à tous les niveaux : pour la morale, la vie quotidienne, la conception des choses, etc.

Le travail est valorisé, dans son rapport au corps, comme une base saine pour un monde nouveau.

Travail dans la chaleur
La symbolique du travail
Les femmes qui portent des pierres [précieuses ou non]
Portraits de prolétaires
L’ouvrier au dur labeur à Vienne
Des monteurs
Un instant pour souffler
Une dénonciation du chômage
Les tramways

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L’austro-marxisme et la révolution de la vie quotidienne

La première guerre mondiale et la révolution de 1917 avaient profondément ébranlé le mouvement ouvrier en Europe. Le soutien de la social-démocratie à la guerre – à part la social-démocratie russe, avec Lénine – avait fini par disqualifier tout une génération de dirigeants du mouvement ouvrier une fois le conflit terminé.

En même temps, l’onde de choc de la révolution russe avait produit dans de nombreux pays une vague de formation de « conseils » sur le modèle « soviétique » russe, notamment en Allemagne, en Hongrie et en Autriche.

Cependant, dans ce dernier pays, la puissante social-démocratie fut assez puissante pour gérer les conseils, les amenant à se résumer à l’affirmation de la république. Le Parti Communiste se formant alors – en novembre 1918, l’un des tous premiers – paiera durement le prix de cet échec des conseils, en étant condamné à une totale marginalité.

La social-démocratie justifiait sa position en raison de l’isolement total du pays, de la famine, du risque de menace armée extérieure, notamment italienne. Mais sa conception de l’Etat faisait également qu’elle n’avait pas confiance dans les conseils.

Dans ce contexte, elle devint la force majeure dans la naissance de la république et bénéficiera pendant vingt ans d’une aura inébranlable.

Affiche électorale d’après 1918 de la social-démocratie autrichienne vantant les acquis dans le secteur du logement de Vienne la rouge face aux réactionnaires de type catholiques-bourgeoisie agraire

Elle se considérait comme exempte des défauts ayant abouti à ce qu’elle voyait comme une double catastrophe de valeur égale : d’un côté la répression social-démocrate, avec Gustav Noske, Philipp Scheidemann, Friedrich Ebert, de la révolution allemande, de l’autre ce qui était considéré comme l’aventurisme tournant à la catastrophe des pro-soviétiques en Hongrie et en Bavière.

L’une des figures exemplaires de cette vision du monde est Friedrich Adler, fils d’un des principaux fondateurs de la social-démocratie autrichienne, Victor Adler. Alors que la social-démocratie soutenait la guerre de 1914-1918, Friedrich Adler exécuta en 1916 l’aristocrate et grand propriétaire terrien Karl Stürgkh, ministre qui était le grand représentant du « parti de la guerre » et avait mis de côté le parlement pour lancer celle-ci en 1914.

Affiche électorale d’après 1918 vantant les impôts visant les riches

On notera d’ailleurs que cette mise de côté du parlement fit que la social-démocratie autrichienne n’eut pas à voter les crédits de guerre, bénéficiant par conséquent d’une certaine aura par la négative comparée à ceux se lançant ouvertement dans l’Union Sacrée dans les autres pays.

Condamné à mort, peine commuée en 18 années de bagne, Friedrich Adler sera libéré par la révolution de 1918, mais jouera alors paradoxalement un rôle central pour étouffer les tentatives insurrectionnelles, devenant une des grandes figures de la social-démocratie autrichienne qui tentait de former ce qu’elle voyait comme une voie intermédiaire entre réformisme et révolution, par la combinaison de ces deux approches.

Profitant d’une solide base ouvrière et d’une affirmation radicale déterminée comme en témoigne le programme historique de Hainfeld de 1889, la social-démocratie autrichienne se donnait comme tache ce que Max Adler résumait de la manière suivante : « bas les pattes devant l’Etat bourgeois », c’est-à-dire que le mouvement ouvrier devait échapper à toute intégration intellectuelle et culturelle.

Affiche d’après 1918 : Sportifs, votez social-démocrate !

La social-démocratie visait à ce que Richard Wagner appelait « l’autosocialisation par en bas », par opposition à une « socialisation forcée unilatérale par en haut ». L’approche communiste de Lénine était refusée, mais la social-démocratie autrichienne refusait une opposition frontale comme le faisait la social-démocratie allemande. D’ailleurs, elle passa rapidement à un soutien marqué au socialisme soviétique, tout en considérant qu’il devrait inévitablement se réformer.

La social-démocratie d’Autriche justifiait sa critique par le fait que la Russie était trop arriérée, alors que la classe ouvrière avait en Autriche réussi à imposer un style social-démocrate.

Le socialisme dans les faits, cela voulait dire défendre un style prolétarien, comme par exemple pour les femmes des cheveux courts et un type plus large de pantalon, par opposition aux coupes de cheveux « raffinées » et les jupes, relevant d’un style soumis aux critères bourgeois d’une femme réduite au statut d’objet, d’une pseudo-féminisation aliénée.

Elle, elle va bien !

Lors de la victoire social-démocrate aux élections autrichiennes de 1927, des quotidiens britanniques n’hésitèrent ainsi pas à parler d’élections « coupes à la garçonne », pour insister sur à quel point la question de fond était culturelle.

De fait, la social-démocratie autrichienne parvint à conquérir la mairie de Vienne, alors une des principales villes du monde, et de la transformer en bastion social-démocrate avec une partie très significative de sa population d’organisée dans ses rangs.

Mise en valeur de la seconde olympiade ouvrière à Vienne en 1931, avec le HLM Karl Marx en toile de fond

D’innombrables organismes générés par le Parti Ouvrier Social-Démocrate devait permettre le triomphe de l’ensemble des valeurs synthétisées : une vie « simple » et « naturelle », à travers la connaissance des sciences et des techniques, avec une grande insistance sur le sport, en particulier la natation, et le refus général de l’alcool et du tabac, un refus d’une sexualité tant bornée que « libre » au profit d’un esprit de camaraderie dans le couple, ainsi qu’entre parents et enfants.

Otto Bauer résumait cette démarche authentiquement social-démocrate – on aurait souvent du mal à voir la différence avec les valeurs prônées alors en Union Soviétique avec Staline – comme relevant de « l’idéalisme et la sobriété », la presse social-démocrate n’hésitant pas à parler de « révolution de la vie quotidienne ».

Eloge de la prohibition américaine à l’occasion de ses dix ans
« La lutte contre l’ennemi à mort qu’est l’alcool doit encore être menée avec plus de force sur l’ancien continent »

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