Face à la crise, le Parti et la question de la massification des syndicats et de leur nécessaire unification

La seconde crise générale du capitalisme pose un défi extrêmement grand au prolétariat de par la rationalisation qui en découle. La bourgeoisie ne peut en effet que se précipiter dans un vaste mouvement de restructuration sur le dos des masses, afin de chercher à sauvegarder le taux de profit.

Face à cette opération d’envergure, la réponse ne peut qu’être politique avant tout, ce qui implique également une initiative de défense des intérêts matériels des masses sur le terrain immédiat des revendications élémentaires.

Historiquement, ce sont les syndicats qui jouent ici le rôle de levier essentiel pour une telle activité. Or, ceux-ci possèdent en France un style corrompu et prétentieux. Ils sont à la fois divisés et sans réelle base de masse, à part chez les fonctionnaires. Ils sont donc en décalage complet avec le défi historique auquel fait face le prolétariat. La question syndicale se pose ainsi avec une grande acuité et soit les syndicats seront une partie du problème, soit une partie de la solution.

Le premier moment de la question syndicale

Du point de vue communiste, la question syndicale a connu deux moments.

Le premier consiste en les inlassables appels de l’Internationale Communiste à rejoindre les syndicats. Il n’y avait pas d’illusions sur la nature des dirigeants syndicaux, toujours favorables à des accords avec la bourgeoisie et l’État ; il était cependant considéré que la présence d’une partie des masses dans les syndicats rendait cela nécessaire. Le programme de l’Internationale Communiste, en 1928, souligne que les défaites lors de la première vague révolutionnaire sont dues « à la tactique de trahison des chefs sociaux-démocrates et des dirigeants réformistes du mouvement syndical ».

Les communistes des pays capitalistes étaient extrêmement rétifs à ce travail, à la fois ingrat et très difficile de par les multiples exclusions imposées par les directions syndicales à leur encontre, notamment par l’intermédiaire de la social-démocratie. La défaite totale du Parti Communiste d’Allemagne en 1933 a cependant montré que cette question était importante, de par l’articulation nécessaire du mouvement syndical à la lutte contre le fascisme et la guerre.

La preuve en est que, à la suite du tentative du coup de force fasciste en février 1934 en France, le Front populaire a porté en lui l’unification syndicale. Les masses considéraient que l’unité était nécessaire et on a vu alors qu’elles considéraient les syndicats comme relevant de leur mouvement historique et comme devant relever de l’unité organique.

Le fait est que, si les masses ne rejoignent pas nécessairement les syndicats, elles ont un rapport ambigu avec eux, particulièrement en France où les syndicalistes se présentent souvent comme une sorte d’avant-garde combattant à la place des masses. C’est évidemment du substitutisme de type syndicaliste-révolutionnaire.

Le second moment

Le second moment concernant la question syndicale date des années 1960, alors que le mode de production capitaliste se relance après la seconde guerre mondiale. Cela change beaucoup de choses, puisque les syndicats s’inscrivent dans l’accompagnement du développement capitaliste.

Ici encore l’exemple français est très parlant. Le mouvement des étudiants opposés au révisionnisme et levant la bannière de Mao Zedong, l’UJCML, avait initialement décidé d’appliquer le principe de l’Internationale Communiste et de promouvoir l’adhésion à la CGT, pour la pousser dans la direction d’une CGT de lutte de classes.

Ce fut une défaite et l’UJCML devint la Gauche Prolétarienne, farouchement anti-syndicaliste, tout comme d’ailleurs tous les communistes des pays capitalistes, en raison de la compréhension du fait que les syndicats, notamment en raison de la transformation de l’URSS en social-impérialisme, étaient ouvertement alliés à la bourgeoisie. En France, la CGT a été l’un des piliers de la sauvegarde du régime en mai 1968, combattant ardemment les « gauchistes ».

Les communistes des pays capitalistes assumèrent alors la ligne de l’autonomie prolétaire, contre les syndicats cherchant à intégrer les mouvements de contestation afin de les conduire dans des opérations de réimpulsion du mode de production capitaliste. Il n’est pas possible d’être communiste et de valoriser les syndicats pour la période 1953-2020. C’est une ligne de démarcation infranchissable entre les communistes et les révisionnistes.

Y a-t-il un troisième moment ?

La question qui se pose désormais, avec l’irruption de la seconde crise générale du capitalisme, est de savoir dans quelle mesure les syndicats peuvent, ou non, jouer un rôle s’inscrivant dans le processus de défense des intérêts du prolétariat. Ils sont en effet faciles d’accès et représentent un sas possible pour le combat.

Comme le formule le programme de l’Internationale Communiste en 1928, « les syndicats, organisations ouvrières de masses dans lesquelles s’organisent et s’éduquent pour la première fois les couches les plus étendues du prolétariat, sont, en régime capitaliste, le principal instrument de la lutte par la grève, puis de l’action de masses contre le capital trusté et son État ».

Le second moment a neutralisé cette possibilité ; peut-on alors parler d’un troisième moment provoqué par la seconde crise générale du capitalisme ?

Si l’on regarde sur le plan subjectif, on ne peut que répondre négativement. Les syndicalistes n’ont pas changé ; ils représentent une approche anti-politique, anti-communiste même, avec systématiquement l’espoir de présenter de « meilleurs » plans aux directions des entreprises. On peut partir du principe que le syndicat désire « être calife à la place du calife » et que rien d’autre ne l’intéresse.

Si l’on regarde sur le plan objectif, on ne peut pas répondre positivement non plus. Les syndicats ont, depuis 2000, inlassablement cherché à gagner des batailles au moyen du forcing et du substitutisme. Ils n’ont jamais cherché à gagner les masses, à se massifier donc. Ils savent très bien qu’une massification les remettrait entièrement en cause et ils préfèrent vivre de leurs rentes, exprimant les intérêts des syndicalistes qui relèvent de l’aristocratie ouvrière, couche corrompue par le capitalisme et l’État bourgeois.

Toutefois, cette question de la massification est justement l’aspect pouvant amener un changement complet. Si les syndicats et les syndicalistes sont inutiles aujourd’hui et même, concrètement, nuisibles à la cause révolutionnaire, une éventuelle massification renverserait la donne. Elle bousculerait tout l’appareil, elle pousserait à une unification des travailleurs à la base.

Il suffirait que dans une entreprise il y ait un mouvement général d’adhésion au syndicat, une modification du style et de la direction de celui-ci, une lutte qui triomphe et on aurait alors un modèle pouvant servir de base aux initiatives populaires à l’échelle du pays. Le souci est bien sûr que cela signifie un haut niveau de conscience politique pour engager un tel processus, un haut niveau d’implication et d’activités.

Cependant, si la seconde crise générale du capitalisme frappe une entreprise en particulier et qu’une résistance réelle se développe, c’est une démarche praticable.

Si cela ne se produit pas, de toute façon, on va avoir une résistance des masses qui échappera alors entièrement aux syndicats. Une lutte réelle, de toute façon, ne peut pas se fonder sur une « intersyndicale ». Soit les masses sont unies autour d’un (seul) syndicat, soit elles sont organisées elles-mêmes à la base, remplaçant le syndicat manquant pour former un comité de grève, voire même un comité populaire, le fameux « soviet ».

Syndicat ou soviet ?

Cette question du syndicat ou du soviet est, d’ailleurs, le sens même de la question syndicale dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme. Soit les masses résistent et passent à l’établissement de comités populaires, de soviets, rompant totalement avec les institutions, et donc les syndicats. Soit les masses résistent, mais choisissent le terrain le plus immédiat et investissent les syndicats pour les transformer.

Ces deux hypothèses d’initiative populaire de résistance à la seconde crise générale du capitalisme impliquent, naturellement, deux scénarios totalement différents.

Il est même possible que la résistance des masses décide de sortir du terrain des revendications économiques pour s’exprimer sur un autre terrain. Il est également possible que, selon les secteurs, il y ait tel ou tel choix et qu’on se retrouve ici avec des syndicats passés sous contrôle populaire, là-bas un comité de lutte à dimension populaire dans une entreprise ou en-dehors du terrain de l’entreprise, par exemple au sujet d’une question écologiste, d’une question de logement, d’une question du coût de la vie, etc.

Dans tous les cas, il n’y aura toutefois aucune spontanéité. La résistance à la rationalisation capitaliste ne peut provenir que d’éléments conscientisés par la politique communiste, éléments dont l’activité naît directement de la confrontation avec la seconde crise générale du capitalisme.

Le Parti et la question de la massification des syndicats et de leur nécessaire unification

Le Parti ne peut pas poser de préalable en ce qui concerne la forme que prendra le mouvement de résistance des masses. Parler de massification des syndicats est juste, dans tous les cas ; si cette massification n’a pas lieu avant la révolution socialiste, elle aura lieu après elle, dans le cadre de l’établissement du socialisme. Cela est indéniable. Tout va dépendre du retour de la lutte des classes et des modalités de la massification de celle-ci.

Ce qui est toutefois évident, politiquement, est qu’il faut exiger l’unification des syndicats, car c’est en phase avec l’exigence historique des masses dans leur résistance.

« Un seul syndicat, pour la défense des droits des travailleurs ! » est une revendication qui, par définition, pose l’unité des masses laborieuses dans un contexte de résistance à la rationalisation capitaliste. C’est, de toutes façons, en conflit avec la nature corrompue et bureaucratique des syndicats eux-mêmes, qui doivent être révolutionnés pour pouvoir jouer un rôle favorable aux masses et par rapport à la révolution socialiste.

Les bureaucrates syndicaux, corrompus et étant un obstacle à la lutte des classes par définition même, s’opposeront toujours à l’unification syndicale. La lutte des classes exigeant l’unité populaire, leur position se démasquera comme étrangère et même opposée aux besoins historiques des masses.

Les communistes ne considèrent ainsi pas qu’il faille soutenir la CGT ou bien qu’il faille « monter un nouveau syndicat » comme le prétendent les différents courants syndicalistes révolutionnaires, qui ont par ailleurs essayé cela avec la CNT dans les années 1990-2000. Ce qu’il faut exiger, c’est l’unification de toutes les forces syndicales afin de refléter et de contribuer à l’unité populaire, d’avoir confiance dans les masses, une massification des syndicats confiant à ceux-ci une nature nouvelle.

Cette direction vers l’unification des masses est l’aspect principal et la question syndicale est secondaire ici, puisque les masses peuvent choisir la voie des soviets. Ce sont elles qui décident, selon les exigences de la lutte des classes et du développement de leur conflictualité, sous l’inévitable direction politique du Parti. Les masses font l’Histoire, le Parti les dirige.

Le congrès extra-ordinaire de Bâle de la seconde Internationale en 1912

Les événements obligèrent à ce que se tienne un congrès extra-ordinaire de la seconde Internationale, à Bâle, les 24 et 25 novembre 1912. Les partis lui appartenant rassemblaient 3,3 millions de membres, avec 10 millions de travailleurs dans les syndicats lui étant liés.

Ils menaient une intense propagande contre la guerre, avec des initiatives communes, comme à Bussang, une petite commune de France à la frontière avec l’Allemagne, où se rassemblèrent 15 000 personnes.

Cependant, seuls Lénine et Rosa Luxembourg agissaient de manière conséquente ; Lénine quitta même la conférence du Bureau Socialiste International de la fin septembre 1911 par solidarité avec celle-ci, victime d’une énorme pression de la part de la direction de la social-démocratie allemande.

Pour les sociaux-démocrates authentiques, comme Lénine et Rosa Luxembourg, on rentrait dans une époque nouvelle : ils avaient en fait une vision de la guerre comme liée à la nature même du mode de production capitaliste, alors que pour la seconde Internationale, il fallait en fait faire face, de manière décidée, au « militarisme ».

La seconde Internationale se réunit ainsi à Bâle de manière extra-ordinaire pour débattre de comment s’opposer à la guerre, mais la mise en perspective était à la base même erronée. On le voit bien à la tenue, deux ans avant une guerre qui fut acceptée pratiquement partout, d’un congrès extra-ordinaire anti-guerre avec 555 délégués de la seconde Internationale venant de 33 pays. L’impact fut simplement historiquement nul.

On doit bien voir ici, au-delà de la terrible défaite que cela représente pour la social-démocratie allemande qui s’est totalement enlisée, que cela concerne également le mouvement ouvrier français en particulier.

Au congrès de Bâle, c’est la SFIO qui a le plus de délégués : 127, soit pratiquement le quart des délégués. Ses porte-paroles tinrent des paroles ardentes, mais concrètement ils n’apportèrent rien et furent en faillite complète en 1914.

L’aspect principal fut cependant l’opportunisme des Allemands (75 délégués) et des Autrichiens (59), qui eux disposaient réellement du marxisme et qui s’étaient littéralement écrasés devant la pression de leurs États, convergeant complètement avec ses choix.

Pour cette raison, le texte du manifeste du congrès de Bâle n’était pas faux en soi. Il cherchait à évaluer la situation, posait les bases d’une opposition à la guerre. Ce qui manquait, c’était l’arrière-plan : seul Lénine l’avait.

Voici le manifeste :

« L’Internationale a formulé dans ses Congrès de Stuttgart et de Copenhague les règles d’action du prolétariat de tous les pays pour la lutte contre la guerre :

« Si une guerre menace d’éclater, c’est un devoir de la classe ouvrière dans les pays concernés, c’est un devoir pour leurs représentants dans les Parlements, avec l’aide du Bureau socialiste international, force d’action et de coordination, de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraîtront le mieux appropriés, et qui varient naturellement, selon l’acuité de la lutte des classes et la situation politique générale.

Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, c’est leur devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

Plus que jamais, les événements font une loi au prolétariat international de donner à son action concertée toute la vigueur et toute l’énergie possibles ; d’une part, la folie universelle des armements, en aggravant la cherté de la vie, a exaspéré les antagonismes de classe et créé dans la classe ouvrière un intolérable malaise.

Elle veut mettre un terme à ce régime de panique et de gaspillage ; d’autre part, les menaces de guerre qui reviennent périodiquement sont de plus en plus révoltantes, les grands peuples européens sont constamment sur le point d’être jetés les uns contre les autres, sans qu’on puisse couvrir ces attentats contre l’humanité et contre la raison du moindre prétexte d’intérêt national.

La crise des Balkans qui a déjà causé tant de désastres, deviendrait, en se généralisant, le plus effroyable danger pour la civilisation et pour le prolétariat.

Elle serait, en même temps, un des plus grands scandales de l’histoire, par la disproportion entre l’immensité de la catastrophe et la futilité des intérêts qu’on invoque.

C’est donc avec joie que le Congrès constate la pleine unanimité des partis socialistes et des syndicats de tous les pays dans la guerre contre la guerre.

Partout les prolétaires se sont élevés en même temps contre l’impérialisme.

Chaque section de l’Internationale a opposé au gouvernement de son pays la résistance du prolétariat, et mis en mouvement l’opinion publique de sa nation contre les fantaisies guerrières.

Ainsi s’est affirmée une grandiose coopération des ouvriers de tous les pays, qui a déjà contribué beaucoup à sauver la paix du monde menacée.

La peur des classes dirigeantes devant une révolution prolétarienne qui serait la suite d’une guerre universelle a été une garantie essentielle de la paix.

Le Congrès demande aux partis socialistes de continuer vigoureusement leur action par tous les moyens qui leur paraîtront appropriés. Pour cette action commune, il assigne à chaque parti socialiste sa tâche particulière. Les socialistes des Balkans devront s’opposer au renouvellement des anciennes inimitiés.

Les Partis socialistes de la péninsule des Balkans ont une lourde tâche.

Les grandes puissances de l’Europe ont contribué, par l’ajournement systématique de toutes les réformes, à créer, en Turquie, un désordre économique et politique et une surexcitation de passions nationales qui devaient conduire nécessairement à la révolte et à la guerre contre l’exploitation de cet état de choses par les dynasties et par les classes bourgeoises, les socialistes des Balkans ont dressé avec un héroïque courage les revendications d’une Fédération démocratique.

Le Congrès leur demande de persévérer dans leur admirable attitude, il compte que la démocratie socialiste des Balkans mettra tout en œuvre, après la guerre, pour empêcher que les résultats conquis au prix de si terribles sacrifices soient confisqués et détournés par les dynasties, par le militarisme, par une bourgeoisie balkaniques avide d’expansion.

Le Congrès demande particulièrement aux socialistes des Balkans de s’opposer avec force, non seulement au renouvellement des anciennes inimitiés entre Serbes, Bulgares, Roumains et Grecs, mais à toute oppression des peuples balkaniques qui se trouvent à cette heure dans un autre camp : les Turcs et les Albanais.

Les socialistes des Balkans ont le devoir de combattre toutes violences faites aux droits de ces peuples, et d’affirmer contre le chauvinisme et les passions nationales déchaînées, la fraternité de tous les peuples des Balkans y compris les Albanais, les Turcs et les Roumains.

Les socialistes d’Autriche, de Hongrie, de Croatie, de Slavonie, de Bosnie et d’Herzégovine ont le devoir de continuer de toutes leurs forces leur opposition énergique à toute attaque de la monarchie du Danube contre la Serbie.

C’est leur devoir de résister comme ils l’ont fait jusqu’ici à la politique qui tend à dépouiller la Serbie, par la force des armes, des résultats de son effort pour la transformer en une colonie autrichienne, et, pour des intérêts dynastiques, à impliquer les peuples de l’Autriche-Hongrie, et avec eux toutes les nations de l’Europe, dans les plus graves périls.

Les socialistes d’Autriche-Hongrie doivent lutter aussi dans l’avenir pour que les fractions des peuples sud-slaves, dominés maintenant par la maison des Habsbourg, obtiennent à l’intérieur même de la monarchie austro-hongroise le droit de se gouverner eux-mêmes démocratiquement.

Les socialistes d’Autriche-Hongrie, comme les socialistes d’Italie, donneront une attention particulière à la question albanaise. Le Congrès reconnaît le droit du peuple albanais à l’autonomie, mais il n’entend pas que, sous prétexte d’autonomie, l’Albanie soit sacrifiée aux ambitions austro-hongroises et italiennes.

Le Congrès voit là, non seulement un péril pour l’Albanie elle-même, mais encore dans un temps peu éloigné une menace pour la paix entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie. C’est seulement comme membre autonome d’une Fédération démocratique des Balkans que l’Albanie peut mener vraiment une vie indépendante.

Le Congrès demande donc aux socialistes d’Autriche Hongrie et d’Italie de combattre toute tentative de leur gouvernement d’envelopper l’Albanie dans leur sphère d’influence, il leur demande de continuer leurs efforts pour assurer des résultats pacifiques entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie.

C’est avec une grande joie que le Congrès salue les grèves de protestation des ouvriers russes : il y voit une preuve que le prolétariat de Russie et de Pologne commence à se remettre des coups que la contre-révolution tsariste lui a portés.

Le Congrès voit dans cette action ouvrière la plus forte garantie contre les criminelles intrigues du tsarisme qui, après avoir écrasé dans le sang les peuples de son empire, après avoir infligé des trahisons nombreuses aux peuples des Balkans livrés par lui à leurs ennemis, vacille maintenant entre la peur des suites qu’une guerre aurait pour lui et la peur d’un mouvement nationaliste que lui-même a créé.

Quand donc, maintenant le tsarisme s’essaie à paraître comme un libérateur des nations balkaniques, ce n’est que pour reconnaître sous un hypocrite prétexte et par une injure sanglante, sa prépondérance dans les Balkans.

Le Congrès compte que la classe ouvrière des villes et des campagnes de Russie, de Finlande et de Pologne, usant de sa force accrue, déchirera ce voile de mensonges, s’opposera à toute aventure guerrière du tsarisme, à toutes entreprises, soit sur l’Albanie, soit sur Constantinople, et concentrera toutes ses forces dans un nouveau combat de libération contre le despotisme tsariste.

Le tsarisme est l’espérance de toutes les puissances de réaction de l’Europe, le plus terrible ennemi de la démocratie européenne, comme il est le plus terrible ennemi du peuple russe.

L’Internationale considère qu’amener sa chute est une de ses tâches principales. Mais la tâche la plus importante dans l’action Internationale incombe aux travailleurs d’Allemagne, de France et d’Angleterre.

En ce moment, les travailleurs de ces pays doivent demander à leurs Gouvernements de refuser tout secours à l’Autriche-Hongrie et à la Russie, de s’abstenir de toute immixtion dans les troubles balkaniques et de garder une neutralité absolue.

Si, entre les trois grands pays qui guident la civilisation humaine, une guerre éclatait pour la querelle serbo-autrichienne au sujet d’un port, ce serait une criminelle folie. Les travailleurs d’Allemagne et de France n’acceptent pas que des traités secrets puissent jamais leur faire une obligation d’entrer dans le conflit des Balkans.

Si, dans la suite, l’effondrement militaire de la Turquie ébranlait la puissance ottomane en Asie-Mineure c’est le devoir des socialistes d’Angleterre de France et d’Allemagne de s’opposer de toutes leurs forces à une politique de conquête en Asie-Mineure, qui mènerait droit à la guerre universelle.

Le Congrès considère comme le plus grand danger pour la paix de l’Europe, l’hostilité artificiellement entretenue entre la Grande-Bretagne et l’empire allemand.

Il fallut les efforts de la classe ouvrière des deux pays pour apaiser cet antagonisme.

Il estime que le meilleur moyen à cet effet sera la conclusion d’un accord sur la limitation des armements navals et sur l’abolition du droit de prise maritime.

Le Congrès demande aux socialistes d’Angleterre et d’Allemagne leur propagande en vue de cet accord L’apaisement des antagonismes entre l’Allemagne d’un côté, la France et l’Angleterre de l’autre, écarterait le plus grand péril pour la paix du monde.

Il ébranlerait la puissance du tsarisme qui exploite cet antagonisme, il rendrait impossible toute attaque de l’Autriche contre la Serbie, et il assurerait la paix universelle ; tous les efforts de l’Internationale devant tendre vers ce but.

Le Congrès constate que toute l’Internationale socialiste est unie sur ces idées essentielles de la politique extérieure.

Il demande aux travailleurs de tous les pays d’opposer à l’impérialisme capitaliste la force de la solidarité Internationale du prolétariat ; il avertit les classes dirigeantes de tous les pays de ne pas accroître encore, par des actions de guerre, la misère infligée aux masses par le mode de production capitaliste. Il demande, il exige la paix.

Que les Gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans la disposition d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déchaîner la guerre.

Qu’ils se souviennent que la guerre franco-allemande a provoqué l’explosion révolutionnaire de la Commune, que la guerre russo-japonaise a mis en mouvement les forces de révolution des peuples de la Russie ; qu’ils se souviennent que le malaise provoqué par la surenchère des dépenses militaires et navales a donné aux conflits sociaux en Angleterre et sur le continent une acuité inaccoutumée et déchaîné des grèves formidables.

Ils seraient fous s’ils ne sentaient pas que la seule idée d’une guerre monstrueuse soulève l’indignation et la colère du prolétariat de tous les pays.

Les travailleurs considèrent comme un crime de tirer les uns sur les autres pour le profit des capitalistes ou l’orgueil des dynasties ou les combinaisons des traités secrets.

Si les Gouvernements, supprimant toute possibilité d’évolution régulière, acculent le prolétariat de toute l’Europe à des résolutions désespérées, c’est eux qui porteront toute la responsabilité de la crise provoquée par eux.

L’Internationale redoublera d’efforts pour prévenir la guerre par sa propagande toujours plus intense, par sa protestation toujours plus ferme.

Le Congrès charge, à cet effet, le Bureau Socialiste International de suivre les événements avec un redoublement d’attention et de maintenir, quoi qu’il advienne, les communications et les liens entre les partis prolétariens de tous les pays.

Le prolétariat a conscience que c’est sur lui que repose, à cette heure, tout l’avenir de l’humanité et il emploiera toute son énergie pour empêcher l’anéantissement de la fleur de tous les peuples menacés de toutes les horreurs des massacres énormes, de la famine et de la peste.

Le Congrès fait appel à vous tous, prolétaires socialistes de tous les pays, pour que, dans cette heure décisive, vous fassiez entendre votre voix et affirmiez votre volonté sous toutes les formes et partout.

Élevez de toute votre force votre protestation unanime dans les Parlements ; unissez-vous dans des manifestations et actions de masses, utilisez tous les moyens que l’organisation et la force du prolétariat met entre vos mains, de telle sorte que les Gouvernements sentent constamment devant eux la volonté attentive et agissante d’une classe ouvrière résolue à la paix.

Opposez ainsi au monde capitaliste de l’exploitation et du meurtre les masses du monde prolétarien de la paix et de l’Union des peuples. »

La seconde Internationale ne tiendra pourtant pas le choc lors du déclenchement de la guerre mondiale.

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Le huitième congrès de la seconde Internationale et la guerre

La démarche syncrétique de la seconde Internationale, en particulier lors de son huitième congrès, ne pouvait que donner une approche bancale en général et en particulier dans la Résolution sur la guerre.

D’un côté la guerre est définie de manière juste. De l’autre, la réponse à la guerre relève d’une tentative de trouver des solutions depuis la situation telle qu’elle est.

On est dans une approche totalement différente de celle de Lénine, qui lui exigeait qu’on prenne la situation dans sa substance et qu’alors on s’oppose à la guerre par une initiative politique de rupture. S’opposant à l’antimilitarisme anarchiste totalement vain, la seconde Internationale bascule dans un esprit constructif finalement impuissant.

Voici ce que dit la résolution :

« Le Congrès constate que dans ces dernières années, malgré le Congrès de la paix et les déclarations pacifistes des gouvernements, les armements ont été augmentés d’une façon considérable.

En particulier, la concurrence des armements maritimes, dont la dernière phase est la construction des [cuirassés de type] Dreadnoughts, entraîne non seulement un gaspillage insensé des deniers publics pour des buts stériles et est cause, par conséquent, du manque de ressources et de l’absence de dépenses pour les réformes sociales et pour la législation protectrice du travail ; elle menace aussi d’épuiser matériellement toutes les nations, par les charges intolérables des impôts indirects, et tous les Etats, par la ruine des finances publiques.

En même temps, ce sont ces armements précisément qui ont menacé dernièrement encore la paix du monde, comme ils en seront forcément la menace perpétuelle.

En face de cette évolution, qui est un danger à la fois pour la civilisation humaine, pour la prospérité des peuples et pour l’existence des masses, le Congrès confirme les résolutions des Congrès antérieurs et en particulier celle du Congrès de Stuttgart et rappelle :

Que les travailleurs de tous les pays n’ont entre eux ni démêlé ni désaccord, de nature à provoquer une guerre ; que les guerres ne sont actuellement causée que par le capitalisme et particulièrement par la concurrence économique internationale des États capitalistes sur le marché du monde, et par le militarisme, qui est un des instruments les plus puissants de la domination bourgeoise à l’intérieur pour l’asservissement économique et politique du prolétariat.

Les guerres ne cesseront complètement qu’avec la disparition de la société capitaliste. La classe ouvrière, qui supporte les charges les plus lourdes de la guerre et a le plus à en souffrir, est donc le plus intéressé à leur disparition.

Le prolétariat socialiste organisé de tous les pays est donc le seul garant sûr de la paix du monde. C’est pourquoi le Congrès engage à nouveau les partis ouvriers à répandre la lumière sur les causes des guerres dans tout le prolétariat et en particulier dans la jeunesse, et à éduquer cette dernière dans l’esprit de la fraternité des peuples.

Le Congrès, en maintenant, pour les représentants socialistes dans les parlements, l’obligation, plusieurs fois répétée déjà, de combattre de toutes leurs forces les armements et de refuser pour cette destination toute dépense financière, attend de ces députations :

a) Qu’elles réclament sans cesse la solution obligatoire de tous les conflits entre États par des cours d’arbitrage internationales ;

b) Qu’elles renouvellent constamment les propositions tendant au désarmement général et d’abord et avant tout, les propositions de conclure des conventions limitant les armements maritimes et d’abolir le droit de prise maritime ;

c) Qu’elles réclament l’abolition de la diplomatie secrète et la publication de tous les traités existants et futurs entre gouvernements ;

d) Qu’elles réclament avec insistance l’autonomie de tous les peuples et les défendent contre toute attaque belliqueuse et contre toute oppression.

Le Bureau Socialiste International aidera tous les groupes parlementaires socialistes dans la lutte contre le militarisme, par l’envoi de documents, et tendra à amener une action commune de ces groupes.

Pour les cas de complications guerrières, le Congrès confirme la motion antimilitariste du Congrès de Stuttgart, qui dit :

« Si une guerre menace d’éclater, c’est un devoir de la classe ouvrière dans les pays concernés, c’est un devoir pour leurs représentants dans les parlements avec l’aide du Bureau International, force d’action et de coordination, de faire tous leurs efforts pour empêcher la guerre par tous les moyens qui leur paraissent les mieux appropriés et qui varient naturellement selon l’acuité de la lutte des classes et la situation politique générale.

Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de s’ entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

Afin d’assurer l’exécution de ces mesures, le Congrès invite le Bureau Socialiste International à faire, pour les cas de conflits internationaux, entre les partis ouvriers des pays intéressés, l’entente pour une action commune, afin d’empêcher la guerre.

En tous cas où il y aurait menace de conflit entre deux ou plusieurs pays, s’il y a hésitation ou retard de décision de leurs partis nationaux consultés, le secrétaire du Bureau Socialiste International, sur la demande d’au moins un des prolétariats intéressés, convoquera d’urgence le Bureau Socialiste International et la Commission Interparlementaire qui devront aussitôt se réunir, soit à Bruxelles, soit en tout lieu qui, suivant les circonstances, paraîtrait mieux convenir. »

Formellement, on a quelque chose de juste. Cependant, l’esprit est clairement posé, conciliateur, pratiquement pragmatique-machiavélique. C’est là la source de la faillite en 1914.

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Le huitième congrès de la seconde Internationale et le syncrétisme

Les slogans inscrits en danois, en français, en anglais et en allemand lors du huitième congrès de la seconde Internationale résume tout à fait les limites de l’unité existant au sein de la seconde Internationale.

On lisait ainsi : « Le travail est la source de toute richesse », « La solidarité est notre base », « Connaissance est puissance », « La religion est affaire privée », « Abolition de la division des classes », « Suppression des monopoles privés », « La volonté du peuple est la loi suprême », « Suffrage universel pour tous », « Journée maximum de huit heures », « Le désarmement, c’est la Paix », « Donnez à la femme les mêmes droits qu’à l’homme », « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Les délégués au huitième congrès

On a ainsi un double mouvement : d’un côté il y a l’affirmation systématique de la nécessité du socialisme, de l’autre une acceptation d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, sans réflexion sur le rapport dialectique entre les deux.

Ainsi, la résolution du congrès sur le chômage dit que :

« Aussi longtemps que la production capitaliste sera à la base de la société, tout ce qu’on fera dans ce domaine ne sera qu’un palliatif.

Le Congrès réclame donc des pouvoirs publics l’assurance générale obligatoire dont l’administration sera confiée aux organisations ouvrières et dont les frais seront supportés par les détenteurs des moyens de production. »

Il est évident que les deux paragraphes se contredisent dans leurs définitions même.

Si la bourgeoisie peut céder des droits qui relèvent littéralement du socialisme, alors on n’est plus dans un palliatif comme il est dit dans le premier paragraphe, mais dans un nouveau système de répartition. Il y a ici un espace béant dans lequel va se précipiter l’aile réformiste, en profitant de la modernisation du mode de production capitaliste pour expliquer que, finalement, tout a changé.

On trouve le même problème de fond dans la résolution sur la législation ouvrière. La première phrase pose déjà en elle-même une question d’économie politique :

« L’exploitation des travailleurs qui augmente avec le développement de la production capitaliste, a mené une situation qui rend absolument nécessaire une législation protectrice de la vie et de la santé des travailleurs. »

On a ici à l’arrière-plan la question de la paupérisation relative et absolue, qu’on a déjà vu dans l’affrontement entre Eduard Bernstein et Karl Kautsky, et qui en germe un aspect de l’opposition entre socialistes et communistes après 1917. En effet, si l’exploitation augmente, comment peut-il y avoir en même temps une amélioration ?

Il ne s’agit ici pas tant de considérer le propos comme faux que de voir qu’il aurait exigé un véritable travail de fond concernant cette question, la moindre ambiguïté provoquant une distorsion immense dans la démarche révolutionnaire.

Il s’agit là cependant d’une approche visant à nuancer, assécher, nier les contradictions au nom d’un syncrétisme ouvrier qui se suffirait en soi.

La résolution sur l’unité est ainsi également typique de cette démarche gommant les questions idéologiques concrètes. Voici ce qu’elle dit :

« Le Congrès rappelant de nouveau la décision d’Amsterdam au sujet de l’unité du parti ;

Considérant que le prolétariat étant un et indivisible, chaque section de l’Internationale doit former un groupement unique et fortement constitué et qu’il est obligé d’abolir ses divisions intérieures dans l’intérêt de la classe ouvrière de son pays et du monde entier ;

Considérant le grand accroissement de puissance et de prestige que le socialisme français a retiré de son unification,

Invite toutes les sections nationales qui demeurent encore divisées, à réaliser au plus tôt l’unité et donne mandat au Bureau International de prêter ses bons offices pour l’accomplissement de cette œuvre nécessaire. »

Le principe de l’unité est fondamentale et le huitième congrès souligne la nécessité de l’unité syndicale dans les empires ayant en leur sein plusieurs nationalités. Il en va de même ici pour le parti.

Cependant, on n’a pas une unité comprise comme une synthèse. La seconde Internationale n’avait d’ailleurs strictement aucune volonté de saisir les questions nationales d’Autriche-Hongrie et de Russie (sans parler de l’Espagne, la Turquie, etc.). Le Bureau International doit ainsi simplement procéder à une unité formée mécaniquement et cette unité va elle-même mécaniquement contribuer au mouvement.

On a littéralement un double jeu de la seconde Internationale, qui cherche à intégrer à la fois la droite et la gauche autour d’un centre, un centre qui ne voit pas qu’il y a la contradiction entre les « sociaux-démocrates » et les « socialistes » qui change tout.

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Le huitième congrès de la seconde Internationale et sa nature

Le thème de la guerre, considérée comme si important au septième congrès de la seconde Internationale, devint littéralement brûlant lors du huitième congrès, à Copenhague, du 28 août au 3 septembre 1910.

Cependant, le Bureau Socialiste International, qui avait été mis en place pour des réunions entre les congrès et rassemblait 25 pays, ne tenait des conférences qu’annuellement. Il faut attendre 1909 pour qu’il y ait un bulletin d’information, en allemand, en anglais et en français. Ainsi, il n’y avait pas le travail nécessaire à l’arrière-plan pour parvenir à une réelle unité organique.

Le journaliste français Jean Bourdeau y fut présent et il raconte notamment dans la Revue des Deux Mondes, avec son ton à la fois dédaigneux, humoristique et fasciné :

« L’Internationale compte actuellement 33 sections dans tous les pays du globe à développement industriel. Ces sections correspondent moins à des États qu’à des nations. Celles qui luttent pour leur indépendance forment des sections spéciales. La Pologne, la Finlande, etc., possèdent ainsi des partis distincts de ceux d’Allemagne et de Russie (…).

Une animation extraordinaire, des duels oratoires passionnés sur les questions brillantes du Millerandisme, des rapports entre les partis socialistes et la démocratie bourgeoise, entre ces partis et les syndicats ouvriers, de l’attitude des socialistes en cas de guerre, qui mettaient aux prises Bebel et Jaurès, Hervé et Vollmar, avaient signalé les précédents congrès de Paris, d’Amsterdam, de Stuttgart.

L’ordre du jour du Congrès de Copenhague n’offrait rien de bien excitant : relation des coopératives et des partis politiques, chômage, arbitrage et désarmement, résultats internationaux de la législation ouvrière, manifestation à organiser contre la peine de mort, procédés à suivre pour l’exécution rapide des décisions prises par les congrès internationaux, organisation de la solidarité internationale. Le programme du spectacle semblait médiocre.

Ces représentations théâtrales sont d’ailleurs réglées d’une manière monotone comme une tragédie classique ou un vaudeville à tiroirs, avec leurs motions, résolutions, amendements et compromis final (…).

Le total [des délégués] s’élevait à 887 membres, dont 189 allemands, 72 autrichiens [en fait 65], 84 anglais, 49 français, [146 Danois, 86 Suédois, 44 Tchèques, 39 Russes, 31 Norvégiens, 26 Belges, 24 Polonais, 24 Américains, 19 Finlandais, 14 Hollandais, 14 Hongrois, 13 Suisses, 9 Italiens, 7 Bulgares, 5 Espagnols, 3 Serbes, 2 Arméniens de Turquie, 2 Roumains, 1 Argentin] etc. (…).

De tous les États européens, l’Empire allemand est celui qui semble le plus solide. Son organisation militaire, policière et bureaucratique ne laisse apercevoir aucune lézarde. Aussi longtemps qu’il restera debout, la Révolution internationale n’a aucune chance de succès.

Mais, si le socialisme est ailleurs plus bruyant et emphatique, nulle part il n’a de racines plus profondes qu’en Allemagne. Ses partisans sont enflammés du fanatisme de secte, Pas à pas, suivant un plan de campagne, la démocratie sociale s’avance, et nous ne voyons pas ce qui peut la faire reculer (…).

Les séances se tinrent dans la vaste salle des concerts. Le matin de l’ouverture, une cantate composée pour la circonstance et merveilleusement exécutée par 400 choristes souhaitait la bienvenue aux camarades accourus de tous les coins du globe. Puis retentis le chant de guerre de l’Internationale écouté debout, tête nue.

Une procession de 25 000 personnes avait été organisée pour l’après-midi. Elle devait traverser la ville et se rendre au parc de Sondermarken. En avant-garde marchaient les agents de police.

Quinze corps de musique précédaient le premier bourgmestre Jensen, accompagné de sa femme. Suivaient les employés des postes sanglés dans leur redingote rouge, une escouade de femmes coiffées du bonnet phrygien, des sociétés de gymnastique et de chant, en casquettes blanches, les midinettes de la machine à coudre, les employés des chemins de fer, ceux du gaz, etc. : vingt-deux bannières bariolées distinguaient les groupements.

On défilait sous des arcs de triomphe : pressés aux fenêtres, les spectateurs : échelonnaient jusque sur les toits. De jolies blondes jetaient des fleurs. Des soldats en uniforme admiraient le cortège sans y prendre part. Les membres les plus connus de l’Internationale étaient acclamés au passage : pas un cri séditieux ne fut poussé (…).

Il [=le congrès] ne marquera pas une date importante dans l’histoire du socialisme. Le Vorwaerts [allemand] qui, au lendemain de ces congrès, entonne des hymnes d’allégresse, a, cette fois, baissé le ton.

Les délibérations n’étaient pas de nature à exciter un grand enthousiasme, et les Allemands n’y ont pas joué le premier rôle. La solidarité internationale ne parait pas si étroite qu’on le proclame. A mesure que le mouvement s’accroit, il se différencie, selon la loi de tout organisme.

Les querelles entre Tchèques, Italiens et Allemands au sein de la démocratie autrichienne, les divergences d’opinion entre Allemands, entre Français et Anglais sur les mesures à prendre en cas de guerre prouvent que les nations suivent chacune leur chemin, selon le train habituel de la nature humaine. Ce fut en somme un congrès de compromis qui s’acheva par des danses. Une petite fête avait ouvert le Congrès, une grande fête l’a terminé. »

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Lénine au septième congrès de la seconde Internationale

Lénine était venu en personne, depuis la clandestinité au septième congrès de la seconde Internationale, à Stuttgart. Voici les principales remarques qu’il fit dans un article de synthèse.

On voit qu’il fait tout à fait confiance encore à la seconde Internationale ; il est évident qu’il se pose comme une figure d’une fraction rouge en son sein, considérant que tendanciellement la seconde Internationale va dans le bon sens et qu’il faut savoir l’aiguiller, réfuter l’opportunisme.

« Le récent congrès de Stuttgart a constitué la douzième assemblée de l’Internationale prolétarienne (…).

À Stuttgart s’étaient réunis 884 délégués venus de 25 pays d’Europe, d’Asie (Japon et une partie de l’Inde), d’Amérique, d’Australie et d’Afrique (un délégué d’Afrique du Sud).

L’importance considérable du congrès socialiste international de Stuttgart réside précisément dans le fait qu’il a achevé de consolider la deuxième Internationale et qu’avec lui les congrès internationaux se sont transformés en assemblées de travail exerçant une influence profonde sur le caractère et l’orientation des activités du mouvement socialiste dans le monde entier.

En principe, les différents partis nationaux ne sont pas obligés d’appliquer les décisions des congrès internationaux, mais la portée morale de ces décisions est telle que leur non-application est une exception presque aussi rare que la non-application par les partis des décisions de leurs propres congrès.

Le congrès d’Amsterdam était parvenu à unir les socialistes français et sa résolution contre le « ministérialisme » traduisait véritablement la volonté du prolétariat conscient du monde entier et définissait la politique des partis ouvriers.

Le congrès de Stuttgart a constitué lui aussi un grand pas dans cette direction, s’avérant sur toute une série de questions importantes d’instance suprême qui allait déterminer la ligne politique du socialisme (…).

Cependant, phénomène à la fois remarquable et attristant, la social-démocratie allemande, qui s’en était jusqu’ici toujours tenue aux conceptions révolutionnaires marxistes, a fait preuve d’instabilité ou adopté des positions opportunistes (…).

Les divergences surgies sur la question coloniale ne purent être surmontées en commission, et c’est le congrès lui-même qui mit fin à la discussion entre opportunistes et révolutionnaires en donnant à ces derniers une majorité de 127 voix contre 108, et 10 abstentions (…).

Sur la question coloniale, la commission a vu se dégager une majorité opportuniste, et le projet de résolution comportait cette phrase monstrueuse : « Le congrès ne condamne pas, en principe et pour tous les temps, toute politique coloniale, qui, en régime socialiste, pourra être une œuvre civilisatrice. »

Cette disposition équivaut en fait à un recul direct vers la politique et la conception du monde bourgeoises justifiant guerres et violences coloniales (…).

La dernière journée du congrès a été consacrée à une question que tous attendaient avec un grand intérêt, celle du militarisme. Incapable de faire la relation entre la guerre et le régime capitaliste en général et d’établir un lien entre la propagande antimilitariste et l’ensemble du travail des socialistes, le fameux Hervé s’est fait le défenseur de conceptions indéfendables.

Le projet d’Hervé de « répondre » à toute guerre par la grève et l’insurrection a montré combien son auteur était inapte à comprendre que l’emploi de tel ou tel moyen de lutte ne dépendait pas d’une décision prise au préalable par les révolutionnaires, mais des conditions objectives de la crise, tant politique qu’économique, provoquée par la guerre.

Mais si Hervé, se laissant entraîner a des phrases ronflantes, a fait preuve d’une légèreté et d’un manque de réflexion évidents, c’eut été avoir la vue bien courte que de lui opposer le seul énoncé dogmatique des vérités générales du socialisme. C’est pourtant ce qu’a fait notamment Vollmar (Bebel et Guesde n’ont pas été absolument purs de ce péché) (…).

Cet aspect de la question, l’appel à ne pas se contenter des seuls moyens parlementaires de lutte, l’appel à l’action en tenant compte des conditions de la guerre future et des crises futures, furent mis en relief par les social-démocrates révolutionnaires et, en particulier, par Rosa Luxemburg dans son discours.

De concert avec les délègués de la social-démocratie russe (Lénine et Martov intervinrent dans le même sens sur cette question) Rosa Luxemburg proposa des amendements à la résolution de Bebel, amendements qui mettaient l’accent sur la nécessité de mener la propagande parmi les jeunes, la nécessité de mettre à profit la crise engendrée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie, la nécessité inévitable de prévoir un changement des méthodes et des moyens de lutte à mesure que s’aggraverait la lutte de classe et qu’évoluerait la situation politique (…).

Ce n’est pas une vaine menace à la Hervé, mais une claire conscience de l’inévitabilité de la révolution sociale, une ferme volonté de mener la lutte jusqu’au bout et d’utiliser les moyens de lutte les plus révolutionnaires qu’on peut lire dans la résolution du congrès socialiste international de Stuttgart sur la question du militarisme.

L’armée du prolétariat grandit dans tous les pays. Sa conscience, sa volonté et son unité se font d’heure en heure plus fortes. Et le capitalisme se charge, lui, de multiplier les crises dont cette armée ne manquera pas de tirer profit pour l’abattre. »

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Les faiblesses révélées au septième congrès de la seconde Internationale

La révolution russe vint ébranler la seconde Internationale dans ses contradictions. Désormais, toute l’attention était portée sur l’effondrement de la Russie tsariste, qui était considérée comme imminente. Cependant, cette attention était directement politique et, à ce titre, elle n’émergeait nullement au sein de la seconde Internationale.

En effet, le bolchevisme posait la question de l’organisation et du rôle du Parti dans la révolution, ainsi que de la fonction de l’économie politique, en l’occurrence avec la question paysanne.

Or, la seconde Internationale se posait comme centre unificateur et n’abordait pas, pour ne pas dire évitait même toutes les questions de fond.

Le lieu du septième congrès

Ainsi, le septième congrès, qui se tint en Allemagne, à Stuttgart, du 18 au 24 août 1907, correspond à un syncrétisme marqué par des oppositions de fond qui s’expriment mais qui ne finissent jamais par s’incarner politiquement.

Rosa Luxembourg prenant la parole en 1907 à Sttutgart

Le journaliste français Jean Bourdeau fit de nouveau un article pour la Revue des Deux Mondes. Tout le début de son article est encore marqué par l’opposition entre les traditions social-démocrate et socialiste :

« Au Congrès international d’Amsterdam, en 1904, les social-démocrates allemands, gênés par la politique ministérielle des socialistes français, dont M. de Bülow se servait, à la tribune du Reichstag, pour dénoncer l’esprit sectaire de la social-démocratie allemande, firent condamner cette politique.

Conformément aux décisions de ce Congrès, les Français s’unifièrent, et, après avoir dénoncé l’alliance des radicaux, déserté le Bloc, passèrent à l’autre extrême : ils cherchèrent à se rapprocher des syndicalistes révolutionnaires de la Confédération générale du Travail.

Singulièrement embarrassés, à leur tour, dans leur campagne antimilitariste et anti-patriotique par la prudence, la réserve, lors des affaires du Maroc, les discours empreints de nationalisme, des chefs socialistes d’Allemagne, les Français en ont appelé aux délégués socialistes de toutes les nations, réunis à Stuttgart, pour secouer le joug de l’hégémonie allemande, faire sortir les camarades d’Allemagne, ou plutôt ceux qui les dirigent de façon si autoritaire, de leur rôle commode d’insupportables régents, d’éternels critiques, et les obliger à prendre, dans l’éventualité de conflits internationaux, l’engagement solennel de seconder, par les mêmes moyens d’action, les efforts des socialistes français, afin d’imposer la paix au monde.

C’est dans cette sorte de duel franco-allemand, dans cette lutte pour la prééminence au sein de l’Internationale, dans cette opposition de traditions, de méthodes, de tempérament et de races, que réside tout l’intérêt du Congrès de Stuttgart. »

Cependant, en formulant les choses ainsi, Jean Bourdeau constate en même temps que cela ne change pas grand-chose, pour la simple raison que personne n’a de perspective concrète.

Il raconte avec un humour caustique un épisode du congrès :

« Le député hollandais Troelstra a posé une question indiscrète ; le moment n’était-il pas venu d’étudier un système politique particulier, de rechercher comment l’État pourrait être constitué en un système socialiste, distinct de la politique bourgeoise et du socialisme d’État bourgeois ?

M. Vaillant a jugé la recherche presque impossible. M. Jaurès, rappelant sa proposition d’exposer par le détail l’appareil juridique de l’État futur, a ajouté, avec belle humeur, qu’heureusement il n’avait pu mener l’entreprise à bonne fin, parce qu’il s’était trouvé souffrant.

Toujours sarcastique, le docteur Adler déclara qu’il avait la vue un peu basse, sur ces questions d’avenir, mais que la vue à distance n’était pas une vertu : si l’on nommait une commission pour ordonner toutes les propositions qui surgiraient à ce sujet, et si l’on cherchait à les concilier, on mettrait en danger non le mouvement socialiste, mais la santé de ses membres. Bref, les socialistes travaillent de leur mieux à détruire la société actuelle, sans savoir le moins du monde par quoi ils la remplaceront. »

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L’irruption du bolchevisme au sein de la seconde Internationale

La domination du centrisme dans la seconde Internationale fut puissamment ébranlée par un nouveau phénomène : l’émergence et le renforcement immédiat de la social-démocratie russe.

En décembre 1900 sortit en Russie un nouveau journal, l’Iskra (l’Étincelle). Étaient à l’origine de sa fondation les principales figures social-démocrates russes alors : Georgi Plékhanov, Pavel Axelrod, Julius Martov, Véra Zassoulitch, Alexandre Potressov et Lénine, ce dernier étant la plaque tournante de cette initiative.

Le premier numéro de l’Iskra

L’Iskra était imprimée les premières années à Munich (du numéro 2 au numéro 21), puis finalement à Londres (de 22 à 38) et Genève, pour être acheminées clandestinement en Russie, par différents points : la Prusse, la Scandinavie, la Galicie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Iran, par mer vers Arkangelsk ou par l’intermédiaire d’Alexandrie vers Cherson ou encore de Marseille à Batum.

Le journal fut un très puissant vecteur de la social-démocratie et tira à boulets rouges sur l’opportunisme, qu’il soit allemand, français, italien ou belge.

Les contacts internationaux furent d’ailleurs puissants, un Écho de la Russie étant publié en France grâce au courant guesdiste, alors que le tsar Nicolas II abandonna l’idée de venir à Paris et à Vienne en raison des vastes campagnes contre lui menées en France et en Autriche-Hongrie. Dans ce dernier pays, la police dut également abandonner les poursuites contre les passeurs de l’Iskra.

Georgi Plékhanov, figure de la social-démocratie russe

On a ici un moment clef dans l’affirmation de la social-démocratie russe. Dès 1903 il y a des imprimeries clandestines de l’Iskra à Kichinev (l’actuelle Chișinău moldave), Bakou et Nijni Novgorod.

Cela impliquait une organisation très approfondie en Russie même, avec notamment Ivan Babouchkine (tué par un escadron de la mort en 1906), Yakov Sverdlov (une des principales figures de la révolution russe, mort en 1919), Nikolaï Bauman (tué par un monarchiste en 1905 et pour qui 100 000 personnes participèrent de manière disciplinée à l’enterrement).

Yakov Sverdlov en 1919

Seulement, la même année, au mois d’août, eut lieu une scission dans la social-démocratie russe. Les « bolcheviks » (« majoritaires ») exigeaient que le Parti repose sur des cadres éprouvés, suivant les thèses formulées par Lénine dans son ouvrage Que faire ? en 1902.

Les « menchéviks » (« minoritaires ») étaient pour ouvrir la base du Parti de manière large et ils s’approprièrent l’Iskra durant la scission.

Lénine, Que faire ?, 1902

Cette scission fut cependant historique de par la naissance du bolchevisme comme courant au sein de la social-démocratie internationale. La gauche n’était pas représentée que par des courants seulement ; on avait ici une cassure nette sur le plan organisationnel également.

Les bolcheviks levaient le drapeau de la primauté du Comité Central dans l’organisation, organisation devant s’appuyer sur des membres jouant le rôle de cadres ou du moins d’éléments parfaitement intégrés dans l’appareil, celui-ci étant centralisé.

Karl Kautsky réagit en centriste à cette scission et fit tout pour valoriser les menchéviks au nom de la « démocratie » dans le Parti, et cela alors que ceux-ci agissaient en sous-main pour réaliser un putsch intérieur. Rosa Luxembourg reprocha également aux bolcheviks des méthodes jacobinistes et une perspective blanquiste.

Lénine

La gauche du parti bulgare soutint résolument les bolcheviks, y compris matériellement notamment avec des passeports bulgares, alors que la droite soutenait ouvertement les menchéviks. Un affrontement similaire eut lieu dans la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie (deux pays annexés par la Russie), la grande figure de la gauche étant Félix Dzerjinski (le futur fondateur de la Tchéka).

Cependant, même pour ces rares cas, la contradiction entre menchéviks et bolcheviks ne fut pas bien comprise et la social-démocratie allemande pesa de tout son poids pour l’unification sous hégémonie menchevique. La révolution russe de 1905 lança alors un processus nouveau, ébranlant le pays et le mouvement en Russie s’unifia de lui-même, en avril 1906 à Stockholm.

Initialement, les mencheviks étaient majoritaires (62 contre 46 délégués aux bolcheviks), profitant de la désorganisation provoquée par la répression. Mais au congrès de mai 1907 à Londres, les bolcheviks reprirent la direction, alors que l’ensemble de la seconde Internationale considérait que la Russie tsariste allait bientôt tomber et que cela provoquerait une onde de choc.

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August Bebel contre Jean Jaurès au sixième congrès de la seconde Internationale

August Bebel critiqua de manière brutale Jean Jaurès, défendant la social-démocratie contre Jean Jaurès.

Le contenu est très clair et pourtant, ni August Bebel ni les autres sociaux-démocrates ne comprirent qu’au-delà de Jean Jaurès, il y avait un problème français et que ce problème reflétait celui de toute la tradition « socialiste » résolument étrangère, dans ses fondements, à la social-démocratie.

August Bebel

Voici un extrait des propos d’August Bebel.

« Si fort que nous vous envions, à vous Français, votre République et que nous la désirions pour nous, nous ne nous ferons pas cependant casser la tête pour elle : elle n’en vaut pas la peine. (Tonnerre de bravos)

Monarchie bourgeoise, République bourgeoise, l’une et l’autre sont des États de classe; l’une et l’autre sont nécessairement, par leur nature, faites pour le maintien de l’ordre social capitaliste.

L’une et l’autre doivent travailler de toutes leurs forces à ce que la bourgeoisie conserve toute la puissance dans la législation.

Car, du moment qu’elle perdrait le pouvoir politique, elle perdrait aussi sa situation économique et sociale. La monarchie n’est pas aussi mauvaise, et la République bourgeoise n’est pas rien plus si bonne que vous les faites. (Vifs applaudissements )

Même dans notre Allemagne de militarisme, de hobereaux, de bourgeoisie, nous avons des institutions qui pour votre République bourgeoise sont encore un idéal. Regardez la législation de l’impôt en Prusse et dans d’autres Etats fédérés et regardez-la en France.

Je ne connais pas de pays en Europe qui ait un système d’impôts aussi misérable, aussi réactionnaire, aussi exploiteur que la France. En face de ce système de succion, avec un budget de trois milliards et demi de francs, nous avons au moins l’impôt progressif sur le revenu et la fortune.

Et quand il s’agit de réaliser les revendications de la classe ouvrière, la République bourgeoise elle-même déploie toutes ses forces contre les travailleurs. Où les travailleurs pourraient-ils être traités de façon plus brutale, plus cynique et plus vile que dans la grande République bourgeoise d’au-delà l’océan, qui est l’idéal de tant de gens ?

Même en Suisse, une République de beaucoup plus démocratique que n’est votre France, rien que dans ce court été, les milices ont été six fois convoquées contre les ouvriers, qui faisaient usage de leur droit de coalition et d’association, même dans de toutes petites grèves.

Je vous envie votre République particulièrement pour le suffrage universel appliqué à tous les corps élus. Mais je vous le dis sans mystère : Si nous avions le droit de suffrage dans la même extension et avec la même liberté que vous, nous vous aurions fait voir tout autre chose (Vifs applaudissements) que vous ne nous avez fait voir jusqu’ici (Nouveaux applaudissements).

Mais lorsque chez vous, ouvriers et patrons viennent en conflit, c’est d’une façon odieuse qu’on procède contre les prolétaires français. Qu’est-ce aujourd’hui que l’armée sinon le meilleur des instruments de la domination de classe ?

Il n’y a pas eu de lutte un peu importante dans ces quatre dernières années, ni à Lille, ni à Roubaix, ni à Marseille, ni à Brest, ni à la Martinique, ni tout récemment encore en Normandie contre des grévistes verriers (Vifs applaudissements), où le ministère Waldeck-Rousseau-Millerand, où le ministère Combes, n’ait fait donner l’armée contre les travailleurs.

En novembre dernier, la police a envahi de la manière la plus honteuse et la plus violente la Bourse du Travail de Paris ; elle a blessé, elle a frappé soixante‑dix ouvriers. Et à cette occasion, il y a une partie de nos amis socialistes à la Chambre qui n’ont pas voté pour que le préfet de police fût puni (Nombreuses réprobations).

Jaurès nous a donné une leçon sur ce que nous devrions faire.

Pour maintenant, je ne réponds qu’une chose : si en Allemagne quelqu’un s’avisait de voter un ordre du jour en faveur du gouvernement, qui abandonnât les intérêts les plus considérables du prolétariat, le lendemain il perdrait son mandat (Vif assentiment), il ne pourrait pas rester une heure représentant du peuple ; nous sommes trop disciplinés pour cela (…).

Si, dans ces dernières années, en France, la République a été mise en danger ‑ j’admets cela comme un fait ‑ vous avez eu parfaitement raison si vous l’avez sauvée de concert avec ses défenseurs bourgeois. Nous aurions fait de même.

Nous ne vous faisons pas non plus un reproche de la lutte contre le cléricalisme. Alliez-vous, si vous êtes trop faibles contre lui tout seul, avec les libéraux; nous la faisons aussi, mais après le combat, nous sommes des étrangers.

Et où donc, dans ces dernières années, en Europe, était menacée la Paix universelle, que Jaurès a aussi sauvée ? (Grande hilarité). Parler pour la paix universelle nous l’avons fait aussi.

Mais, contrairement à nous, vous votez le budget de l’armée et de la marine (Les jaurésistes : Non !), le budget colonial (Les jaurésistes : Non !), les impôts indirects (Et vous ?), les fonds secrets (Bruit chez les jaurésistes) et, par là, vous donnez votre appui à tout ce qui peut menacer la paix (Vifs applaudissements).

Le vote de confiance qui est dans l’approbation du budget, nous ne pouvons pas, nous, le donner à un gouvernement bourgeois (Vifs applaudissements).

Jaurès espère encore, de cette collaboration avec les partis bourgeois, l’étatisation des chemins de fer et des mines. Un des points les plus importants de son programme a donc été réalisé par l’Allemagne, gouvernée monarchiquement (Rires).

Si nous voulons, en Allemagne, obtenir un progrès de ce genre, nous sommes naturellement amenés aussi à soutenir les partis bourgeois, mais une alliance permanente avec ses éléments, nous la rejetons résolument (…).

Jaurès a encore parlé de l’impuissance politique de la démocratie socialiste allemande. Qu ‘a t-il donc attendu de nous après la victoire des trois millions de suffrages ? Devions nous mobiliser les trois millions d’hommes et les amener devant le château royal ? (Rires).

J’ai dit immédiatement après cette victoire, qui ne m’a pas surpris du tout, que provisoirement elle ne changerait pas grand’chose. Chez nous, ces trois millions ne suffisent pas. Mais laissez-nous avoir quatre et huit millions, et alors nous verrons (vifs applaudissements). »

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Le conflit franco-allemand au sixième congrès de la seconde Internationale

Le congrès d’Amsterdam, du 14 au 20 août 1904, reflète bien les contradictions à l’œuvre au sein de la seconde Internationale. Jean Bourdeau, un journaliste français, le regarda de manière à la fois amusée et savante, décrivant avec sagacité le profond conflit se jouant à l’arrière-plan.

Au-delà de la question de la droite et de la gauche dans la seconde Internationale, il y a la question de la mise en perspective, social-démocrate comme Karl Marx et Friedrich Engels ou bien « socialiste ».

Les principaux dirigeants de la seconde Internationale en 1904

Voici comment Jean Bourdeau présente la chose dans la Revue des Deux Mondes :

« Les premières assises en ont été jetées au Congrès de Paris en 1889. L’Internationale s’est reconstituée au second Congrès de Paris en 1900, avec un bureau permanent : en 1904, elle réunissait à Amsterdam 5 délégués de l’Italie, 7 du Danemark, 66 de l’Allemagne, 3 de la Hongrie, 1 de l’Australie, 11 des Etats-Unis, 1 du Canada, 1 de l’Arménie, 101 de l’Angleterre, 2 de la République Argentine, 11 de l’Autriche, 38 de la Belgique, 3 de la Bohême, 2 de la Bulgarie, 5 de l’Espagne, 89 de la France, 33 de la Hollande, 1 du Japon, 2 de la Norvège, 29 de la Pologne autrichienne, russe et allemande, 45 de la Russie, 6 de la Suède, 7 de la Suisse, 1 de la Serbie : au total 470 délégués, qui représentent les organisations socialistes de ces divers pays.

Jamais les Russes n’avaient figuré aussi complètement à un Congrès (…).

En France, au contraire, où les députés socialistes, bourgeois en majorité, jouent le premier rôle à la Chambre, les organisations socialistes paraîtront extrêmement faibles.

Ç’a été une stupéfaction pour les Anglais d’apprendre que les bataillons sacrés de M. Guesde et de M. Vaillant ne comptent dans toute la France que 16 000 membres cotisans : ils ont fait élire 13 députés à la Chambre, et leurs candidatures multiples ont réuni 487 000 suffrages.

Quant aux jauressistes, ils ne dépassent pas 8 500 membres organisés, auxquels on a peine à arracher 30 centimes de cotisation par an !

Malgré un nombre si minime d’adhérents, qui diminue d’une année à l’autre, les jauressistes ont obtenu 406 377 voix aux dernières élections, un peu plus d’une trentaine de sièges à la Chambre, et, alliés aux radicaux et à 25 000 francs-maçons, ils gouvernent la Chambre, le Ministère et 38 millions de Français (…).

Les Allemands tiennent de beaucoup la tête, avec leurs trois millions de voix, qui les ont mis au premier rang des partis allemands dans le corps électoral, et au second rang au Reichstag avec leurs 81 députés.

De 1898 à 1903, ils ont gagné 900 000 voix. Ils n’ont devant eux que le centre catholique pour leur barrer la route ; mais ils subissent des échecs aux élections partielles, grâce au zèle de presque tous les partis à se grouper contre eux.

Les Belges, au nombre de 28 députés, ont perdu sept mandats au dernier renouvellement de la Chambre, mais au profit des libéraux, lesquels, s’ils arrivent au pouvoir, ne pourront se passer du concours des socialistes.

En 1900, les socialistes autrichiens ont perdu cinq sièges, et leur douzaine de députés ne joue au Reichsrath qu’un rôle modeste. En Italie, les socialistes comptent 42 000 membres régulièrement cotisants ; ils sont 27 au Parlement ; ils ont vu M. Giolitti, au début de son ministère, rechercher leur concours et leur offrir un portefeuille (…).

A partir de 1889, ce furent les socialistes allemands, les plus savants et les mieux organisés, les plus préoccupés de doctrines et de discipline, qui eurent la haute main sur ces Congrès.

Dans tous les pays où le socialisme s’est répandu, les partis socialistes se sont formés sur le modèle de la démocratie allemande. C’est le cas, par exemple, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Espagne, etc.

Dans les pays où le socialisme allemand a trouvé plus de peine à se répandre, à cause de son caractère exotique, des sortes de succursales, de filiales de la Social-démocratie allemande, se sont maintenues à côté des organisations plus conformes au caractère national.

Ainsi, en Angleterre, la Social-democratic Federation ; en France, l’ancienne organisation guesdiste ; en Pologne, le parti social démocratique ; en Russie, le parti ouvrier social démocrate que dirige M. Plekhanoff, restent sous l’inspiration directe des socialistes allemands (…).

Enfin c’est en France, avec M. Jaurès, que le révisionnisme a trouvé sa plus éclatante expression.

M. Jaurès, qui fut le conseil, l’appui de M. Millerand, tant que dura le ministère Waldeck-Rousseau, et son plus ardent défenseur, M. Jaurès a repris en l’aggravant la politique ministérielle, il a fait de son parti à la Chambre le ciment du bloc radical, il a couvert de son approbation et de ses votes tous les actes du ministère Combes.

La motion Kautsky, édictée par le Congrès international de 1900, trop élastique, trop « Kaoutchousky, » selon le mot d’un plaisant, était donc restée lettre morte ; il s’agissait de la reprendre et de la renforcer.

Il suffisait pour cela d’internationaliser la motion de Dresde, en la faisant ratifier par le Congrès d’Amsterdam. Telle est la proposition que présentait au Congrès le parti de M. Vaillant et de M. Guesde, lequel joue en France le rôle d’une sorte de nonce apostolique de M. Bebel et de M. Kautsky.

La question fut d’abord discutée au sein d’une commission nommée à cet effet, car les socialistes sont dressés, depuis nombre d’années, aux jeux parlementaires, et deviennent en vérité des virtuoses.

Ce fut comme une répétition à huis clos de la grande scène attendue par le Congrès avec une impatience fébrile, répétition plus intéressante et plus passionnée que la pièce même. Dans une salle assez étroite où se pressaient les délégués qui avaient vidé le Congrès, M. Jaurès, le représentant le plus autorisé de la nouvelle méthode, était assis, assisté de quelques fidèles.

Il avait en face de lui Minos et Rhadamanthe : M. Kautsky ; Mlle Rosa Luxembourg, révolutionnaire exaltée, qui brandit parfois, dans les Congrès allemands, la torche de la Commune ; Bebel, le « Kaiser » de la social-démocratie allemande ; puis M. Guesde et M. Vaillant, le continuateur de la tradition blanquiste. Contrairement aux précédents Congrès, il n’y eut aucun tumulte.

M. Kautsky fit d’abord remarquer à M. Jaurès que son cas était bien plus grave que celui de M. Millerand, qui ne gouvernait pas en qualité de mandataire de son parti. La scène la plus vive se passa entre M. Guesde et M. Jaurès, à propos des résultats réciproques de leurs deux méthodes.

M. Jaurès reprochait à M. Guesde d’avoir fait perdre au socialisme, par son intransigeance, la place forte de Lille, et M. Guesde rendit au contraire le bloc responsable de cet échec.

Il constata que toutes les candidatures des socialistes ministériels furent des candidatures officielles, à peu d’exceptions près.

Devant la prétention de M. Jaurès d’avoir empêché la République de sombrer dans la tourmente nationaliste, M. Guesde douta que la République ait été en péril. Il opposa à la conception de M. Jaurès « que le socialisme sortira de la République, » la conception marxiste qui fait surgir le socialisme de l’évolution capitaliste.

Nous entendîmes Mlle Rosa Luxembourg s’étonner que M. Jaurès pût allier à une mine si florissante une si mauvaise conscience. Elle se plut à constater à quel point M. Jaurès était isolé, rencontrant une opposition dans son propre parti.

M. Jaurès n’eut pour alliés que des Belges, M. Furnémont, surtout M. Anseele. Ce n’est pas un ministère que M. Anseele, l’habile directeur du Vooruit de Gand, réclame du roi des Belges, c’est deux ministères, trois ministères, tous les ministères : que les socialistes s’emparent de toutes les places de la bourgeoisie, il n’y a pas de meilleure tactique.. — L’attaque de M. Bebel et la contre-attaque de M. Jaurès remplirent deux longues séances de la commission et deux séances du Congrès.

M. Jaurès se déclara, avec force, partisan de la lutte de classes, de la destruction de la propriété privée. Le fait pour le prolétariat de poursuivre son but par de violents combats, n’exclut pas l’alliance des radicaux bourgeois.

Cette alliance a porté ses fruits. La République, l’instrument indispensable à l’émancipation prolétarienne, a été sauvée. Les lois ouvrières ont abrégé le temps de travail ; les lois d’assurances, d’impôt sur le revenu, sont en préparation. Des ministres, tel M. Pelletan, fraternisent avec les syndicats (…).

Les deux conceptions contraires de la théorie et de la tactique socialistes s’exprimèrent par ces deux discours.

La doctrine marxiste, défendue par Bebel, considère les formes politiques comme subordonnées, et n’accorde d’importance qu’aux transformations économiques ; M. Jaurès attribue à la République bourgeoise la vertu mystérieuse de réaliser peu à peu le socialisme.

M. Jaurès, par ses attaques, a blessé les Allemands, très influents dans le socialisme international ; il aura donc à se débrouiller avec ses coreligionnaires d’outre-Vosges.

Comment d’ailleurs les socialistes pourraient-ils s’entendre ? Ils ne parlent pas la même langue.

Les délégués ouvriers anglais ne comprenaient rien au Congrès. Ils rejettent le shibboleth socialiste de la « lutte de classes, » qui n’exprime pas exactement, à leur sens, le conflit des intérêts économiques entre employeurs et employés. Pour eux, le socialisme consiste à gagner dix schellings par jour et à ne travailler que huit heures.

Les Français ne goûtent le socialisme qu’enguirlandé de phrases sonores : la Fraternité de l’avenir ! la République ! l’Émancipation du genre humain !

Les Allemands méprisent la rhétorique, construisent le socialisme sur la dialectique hégélienne, la conception matérialiste de l’histoire, l’infrastructure économique de la société, et autres formules alambiquées qu’ils démolissent ensuite, mais avec autant de logique.

En France, les polémiques entre socialistes vont se raviver.

— Vous n’êtes pas socialistes, disent les guesdistes aux jauressistes ministériels. — Vous n’êtes pas républicains, ripostent ces derniers ; — et cela ne sera pas pour fortifier les guesdistes devant le corps électoral.

Le bureau international a offert ses bons offices, en vue de faire cesser ces divisions fratricides ; il s’est chargé de la mission délicate de réconcilier M. Guesde et M. Jaurès, mais aucun des deux partis ne semble préparé à une entente. Ce qui peut nous toucher de plus près, c’est que M. Jaurès, afin de se laver du soupçon de réformisme et de modérantisme, tentera peut-être d’accentuer, dans le sens socialiste, la politique du bloc. »

C’est le grand paradoxe : la social-démocratie allemande tire à boulets rouges sur Jean Jaurès, mais en même temps appelle à l’unité de tous les socialistes, lui y compris. L’unité sera effective en 1905, comme Section Française de l’Internationale Ouvrière.

Il y avait, du côté de la social-démocratie allemande, avec Karl Kautsky à sa tête, une absence d’esprit de conséquence et de résolution.

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Les problèmes fondamentaux au sein de la seconde Internationale

Tous les commentateurs sont d’accord pour évaluer la social-démocratie au début du 20e siècle selon le schéma suivant : il y aurait une gauche, un centre et une droite.

La droite préfigurerait la gauche réformiste, acceptant l’État tel qu’il est et ne faisant pas du socialisme un objectif en tant que soi. La gauche préfigurerait le bolchevisme. Le centre consisterait en des tendances aux mêmes objectifs que la gauche, mais céderait aux sirènes de la droite.

Cette lecture est tout à fait formelle. Elle semble d’autant plus vraie qu’après 1917, tant l’Internationale Communiste que l’Internationale formée par la « droite » agiront avec cette grille de lecture, du moins en apparence.

Lénine, dirigeant de la révolution russe et orchestrateur de la mise en place de la troisième Internationale

En réalité, l’échec de l’Internationale Communiste dans les années 1920 et, inversement, les grands succès communistes à former des démocraties populaires après 1945, soulignent que c’est un autre aspect qui a joué.

La clef n’est en effet pas tant qu’une gauche s’oppose à une droite, que le fait qu’il existe une contradiction entre la perspective social-démocrate et la démarche socialiste. Cette contradiction était l’aspect principal et elle complique particulièrement l’opposition entre la gauche et la droite.

La perspective social-démocrate était en effet de type rationnelle et idéologique ; le Parti choisit sur la base de discussions internes, agit selon un programme. Les syndicats, souvent formés par le Parti lui-même, sont considérés comme une courroie de transmission.

La démarche socialiste était volontariste, avec un Parti considéré comme une organisation rassemblant des tendances s’exprimant publiquement de manière contradictoire. Les syndicats étaient considérés comme indépendants, voire même intouchables et le but était de toutes façons était de courir derrière les luttes pour proposer une sortie politique socialiste aux questions qui se posent.

En ne comprenant pas cet aspect, le Parti Communiste d’Allemagne ne sut pas arracher la base du Parti Social-démocrate d’Allemagne. Il ne comprit pas la fidélité de cette base, son insistance concernant la formalisation des propositions.

Couverture de la revue communiste d’Allemagne Notre travail, juste après 1945 : SPD, KPD, L’unité de tous les travailleurs assurent le succès

De la même manière, le Parti Communiste d’Autriche resta littéralement une secte marginale politiquement, sans jamais comprendre l’envergure des sociaux-démocrates autrichiens qui organisaient l’écrasante majorité des ouvriers de Vienne tout en soutenant ouvertement l’URSS considérée comme socialiste.

Lorsque la majorité des socialistes français forment la Section Française de l’Internationale Communiste, cela sembla une victoire. Les communistes d’URSS s’aperçurent cependant que leurs traditions étaient socialistes, à rebours des traditions social-démocrates, et ne cessèrent de batailler contre cela, y compris au moyen de purges régulières.

Il ne faut donc pas considérer de manière abstraite comme quoi il y aurait ainsi une gauche, dont les principaux représentants sont Lénine et Rosa Luxembourg, faisant face à une droite de type révisionniste, alors que Karl Kautsky en diffusant le centrisme forme un obstacle à toute avancée réelle.

Cela est juste, mais l’aspect principal est le conflit, jamais apparent de manière ouverte, entre les socialistes et les sociaux-démocrates. La seconde Internationale est d’ailleurs une sorte de compromis, de 1900 à 1914, entre les deux tendances, un compromis se transformant même en une sorte de syncrétisme, qui ajoutera d’autant plus au chaos provoqué par le déclenchement de la guerre mondiale.

La social-démocratie allemande ne cessa jamais de pousser à la direction de l’Internationale le socialiste belge Émile Vandervelde, véritable incarnation de l’esprit de conciliation politique tout en étant inversement solidement ancré dans une tradition culturelle social-démocrate, notamment contre l’alcool.

Émile Vandervelde

Et si la social-démocratie allemande considérait Jean Jaurès comme relevant du réformisme, elle ne cessa jamais de pousser à une unité de tous les socialistes français, y compris avec Jean Jaurès. Ce fut même le moteur de la fondation de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, en 1905.

Pareillement, en 1908, le Parti du Labour fut intégré à la seconde Internationale, alors que ce parti britannique, une sorte de fédération servant de voix politique aux syndicats, ne reconnaissait même pas la lutte des classes.

Lénine fut extrêmement critique par rapport à cette intégration complète et sans critique du Labour. Car il y avait toutefois une contre-tendance, massive, jouant un rôle historique toujours plus grand : en Russie, dans la social-démocratie, Lénine avait emporté la majorité avec lui et lui faisait se réaliser une ligne authentiquement révolutionnaire.

La direction de la seconde Internationale fit tout pour neutraliser cette affirmation du « bolchevisme », mais Lénine sut tenir tête à ces appels à rejoindre le camp du centrisme, dénonçant toujours davantage Karl Kautsky et récupérant lui-même tous les fondamentaux du marxisme, pour les développer.

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Discours de clôture du débat sur la situation internationale et les tâches de l’I.C. au sixième congrès de l’Internationale Communiste

[Boukharine]

I. Les aspects positifs et les aspects négatifs de la discussion

Camarades,

Les discussions qui se sont déroulées ici sont remarquables sous beaucoup de rapports. Ce qui frappe avant tout, c’est le grand nombre de camarades qui ont pris la parole sur le rapport du CE de l’IC : près de 90 orateurs ont exprimé leur pensée.

C’est un fait qui n’a été constaté à aucun de nos précédents congrès. Il faut particulièrement faire remarquer et souligner les discours de nos camarades noirs, des délégués des pays asiatiques orientaux, des pays coloniaux en général et, spécialement, de nos camarades chinois.

Il est essentiel aussi de signaler la participation active aux débats des communistes de toute une série de pays de l’Amérique du Sud : depuis la fondation de l’Internationale communiste, c’est la première fois qu’on peut constater ce fait dans de telles proportions.

Il faut aussi indiquer ici les nombreuses manifestations des représentants de beaucoup de petits partis auxquels on n’accorde pas toujours une attention suffisante. En résumant les discussions, je dois dire qu’elles ont eu une importance positive énorme. Je voudrais, en commençant, faire ressortir les côtés caractéristiques positifs de la discussion.

Et avant tout parlons de la critique et de l’auto-critique. La critique a porté sur nos thèses, sur mon rapport, sur la pratique de l’Internationale communiste et de divers partis.

Il faut saluer chaleureusement le courant d’auto-critique active qui s’est manifesté au cours de notre travail. C’est un côté positif ainsi que la participation aux discussions de représentants de presque tous les partis. Et je le répète, ce qui est particulièrement réjouissant, c’est la participation des partis « nouveaux » : coloniaux, sud-américains, etc.

Un grand nombre des observations qui ont été faites sont absolument justes. Il est nécessaire d’en tenir compte, tant dans les décisions du congrès que dans le travail ultérieur du Comintern. Il est vrai que c’étaient surtout des observations qui n’avaient pas un caractère de principe, des observations portant sur des questions secondaires, mais le fait est que des observations critiques assez nombreuses et tout à fait essentielles ont été présentées sur toute une série de problèmes des plus importants.

Je range dans cette catégorie les observations critiques sur la question paysanne, les allusions à la nécessité d’accorder plus d’attention au problème du chômage en rapport avec l’analyse de la période actuelle du développement capitaliste, une série de questions du travail colonial, la question noire, un certain nombre d’observation concernant la tactique quotidienne de divers partis et du C.E. de l’I.C. et, particulièrement, les observations se rapportant aux défauts d’organisation de tout notre appareil.

Mais il y a aussi des côtés négatifs dans ces débats. Un de ces côtés est avant tout, une certaine limitation, une certaine étroitesse du contenu de la discussion. La plupart des camarades qui ont pris la parole ici n’ont parlé ou presque que de « leur » pays et non des problèmes fondamentaux du mouvement découlant de la situation actuelle.

Il va sans dire que je n’objecte point contre l’analyse et le développement par telle ou telle délégation de questions la concernant directement; au contraire, c’est une chose tout à fait désirable puisqu’elle contribue à l’échange d’expériences, à la collectivisation de notre expérience. Sans cet échange, le travail de l’I.C. et de ses congrès est inconcevable, absurde. Mais, d’autre part je considère tout de même que c’est un côté négatif de la discussion que le fait que les orateurs n’ont point touché dans leurs exposés les problèmes fondamentaux.

Je ne m’arrêterai pas sur les quelques algarades qui ont eu lieu ici et qui me rappellent certains vers d’Henri Heine :« Ce ne sont point des chevaliers qui combattent ici pour la gloire de leur dame ; ce sont des capucins, et leurs adversaires des rabbins. »

(Rires.)

Je ne crois pas nécessaire de m’arrêter sur ce combat singulier de « capucins et de rabbins »

II. La stabilisation du capitalisme et les discussions sur la « troisième période »

Le Ve Congrès de l’I.C. et la question de la stabilisation

Camarades, je toucherai ici en premier lieu le problème fondamental ; celui de la stabilisation du capitalisme et la question la plus importante de toutes nos discussions : la question dite de la troisième période.

Au dernier, au Ve Congrès, comme vous le savez, le terme de « stabilisation » n’a même pas figuré. Que s’est-passé au Ve Congrès et quel fut son appréciation de la situation économique et politique générale ?

Dans les thèses sur l’économie mondiale, le Ve Congrès constata tout d’abord l’écroulement de cette économie ; dans les thèses, il est parlé textuellement de l’écroulement de l’économie mondiale, du chaos des devises, de la crise de l’économie européenne. Dans nos thèses économiques, nous faisions alors remarquer que l’économie européenne se trouvait enfermée dans un cercle vicieux et qu’elle ne pouvait sortir de l’état de crise. Nous faisions également remarquer l’existence d’une crise agraire mondiale. L’I.C. soulignait dans ses thèses l’incapacité de la bourgeoisie à surmonter le chaos des devises, etc.

Le Ve Congrès adopta aussi une résolution de tactique sur le rapport du camarade Zinoviev. En quoi consistaient l’essentiel de l’analyse politique générale dans cette résolution ? On constatait comme point fondamental l’existence d’une ère dite « ère pacifiste-démocratique ».

Ainsi donc, comme résultat de l’appréciation de la situation d’alors, nous avons constaté une désagrégation de l’économie mondiale, une crise permanente de l’économie européenne et l’existence comme superstructure politique, d’une « ère de pacifisme-démocratique ». L’expression de l’ère pacifiste-démocratique, comme les camarades le savent, ce fut « le gouvernement ouvrier » en Angleterre, la victoire « du bloc des gauches » en France, le « gouvernement ouvrier » au Danemark et toutes sortes de tendances coalitionnistes dans d’autres pays.

Telle était la situation générale et telle fut son appréciation par le Ve Congrès mondial. Pas une parole sur la stabilisation n’y fut prononcée. Le terme même de « stabilisation » retentit pour la première fois dans notre milieu, seulement en 1925.

Au Ve Congrès mondial — je le souligne trois fois, afin de signaler un certain renversement de toute la situation — il ne fut pas encore question de stabilisation. Quelle importance y a-t-il à souligner ce fait ? Il est indispensable de le faire ressortir afin de montrer plus clairement le sens des modifications qui se sont produites dans la situation objective depuis le Ve Congrès.

C’est pour cela précisément que, dans la première partie de notre thèse, nous avons émis l’hypothèse de la troisième période. Nous avons discuté cette affirmation des trois périodes aussi dans la délégation du P.C. de l’U.R.S.S. et nous l’avons quelque peu précisée. Il va sans dire que l’adoption de cette subdivision en trois périodes par la délégation du P.C. de l’U.R.S.S. ne saurait servir à elle seule de preuve logique de son indiscutabilité. Il faut la fonder pratiquement.

Pourquoi n’est-il pas juste de nier l’existence des trois périodes ?

Le passage respectif des thèses dit :« I. Après la première guerre mondiale impérialiste, le mouvement international ouvrier subit toute une série de phases historiques de développement exprimant les diverses phases de la crise générale du système capitaliste.La Première période, période de manifestations révolutionnaires directes du prolétariat, période dont le point culminant se trouve en 1921, s’acheva d’une part, par la victoire de l’U.R.S.S. sur les forces de l’intervention et de la contre-révolution intérieure, la consolidation de la dictature du prolétariat et l’organisation de l’I.C, et de l’autre, par toute une série de lourdes défaites du prolétariat de l’Europe occidentale. Le chaînon final de cette période, ce fut la défaite du prolétariat allemand en 1923. Cette défaite sert de point de départ à là deuxième période, à la période de la stabilisation partielle et graduelle du/système capitaliste, du processus de « restauration » de l’économie capitaliste, de l’offensive universelle du capital, des luttes défensives de l’armée prolétarienne affaiblie par de lourdes défaites ; d’autre part, cette période est une période de restauration rapide de l’U.R.S:S. et de succès très sérieux dans l’œuvre de construction socialiste. Enfin, la troisième période est, dans son essence, la période du relèvement de l’économie capitaliste au dessus du niveau d’avant-guerre et presque simultanément du relèvement de l’économie de l’U.R.S.S. au dessus de ce niveau (commencement de la période dite « constructive » ; de l’accroissement des formes socialistes de l’économie sur la base d’une nouvelle technique).

Pour le monde capitaliste, cette période est une période de progrès extrêmement rapides de la technique, de l’accroissement renforcé des cartels, des trusts, des tendances au capitalisme d’Etat et, en même temps, de puissant développement des contradictions de l’économie mondiale se mouvant dans des formes déterminées par tout le cours précédent de la crise générale du capitalisme (marchés rétrécis, U.R.S.S., mouvements coloniaux, accroissement des contradictions internes de l’impérialisme). Cette troisième période qui a particulièrement aggravé les contradictions entre l’accroissement des forces productives et le rétrécissement des marchés, rend inévitable une nouvelle vague de guerres impérialistes entre les Etats impérialistes, une guerre contre l’U:R.S.S., des guerres nationales d’affranchissement contre l’impérialisme et l’intervention des impérialismes ; des luttes de classe gigantesques.

En aggravant tous les conflits internationaux (conflits entre les Etats capitalistes et l’U.R.S.S., occupation militaire de la Chine du Nord, comme début du partage de la Chine et de la lutte entre impérialistes, etc.), en aggravant les conflits intérieurs dans les pays capitalistes (processus de radicalisation des masses de la classe ouvrière, aggravation de la lutte des classes), en déchaînant les mouvements coloniaux (Chine, Inde, Egypte), cette période évolue inévitablement à travers de nouveaux développements des contradictions de la stabilisation capitaliste vers un nouvel ébranlement de la stabilisation capitaliste et vers une aggravation violente de la crise générale du capitalisme. »

Les adversaires de la division en trois périodes affirment que la seconde ne se distingue nullement de la troisième et que, par conséquent, la subdivision en deuxième et troisième périodes ne se justifie nullement, qu’elle est superflue.

Admettons qu’il n’y ait pas de distinction. Mais alors, que dire du fait que l’économie mondiale a dépassé le niveau d’avant-guerre ? A mon avis, c’est là un fait extrêmement important. Pourquoi ? Permettez-moi de l’interpréter vulgairement.

L’importance du fait cité consiste en ce qu’il fait ressortir la dynamique du développement. Tant que le niveau d’avant-guerre n’avait pas encore été dépassé, on pouvait penser que l’augmentation des forces de production dans tel ou tel pays portait un caractère accidentel, cette augmentation n’était point quelque chose de typique, n’était point une particularité organique de la période donnée.

Mais lorsque l’économie mondiale ou le secteur capitaliste de cette économie mondiale commença à dépasser le niveau d’avant-guerre et à se développer sur une nouvelle base, il fallut recourir à une appréciation plus prudente, il fallut apporter des corrections assez appréciables dans notre précédente estimation. Nous ne sommes pas myopes au point de ne pas voir des faits aussi essentiels.

Ainsi donc, il y a là une distinction objective. Elle est déterminée aussi bien techniquement qu’économiquement. On ne saurait la passer sons silence.

On dit qu’il n’y a pas de différence entre la deuxième et la troisième période. Mais alors, on se demande pourquoi notre appréciation de la situation générale s’est modifiée ? Ce n’est pourtant pas que nous soyons devenus plus intelligents : le fait est que c’est la situation qui s’est modifiée. Au début du processus, il y avait des germes de stabilisation et nos étions sérieusement fondés de considérer ces phénomènes comme plus ou moins accidentels.

A présent, nous n’avons plus la moindre raison de les considérer ainsi. Le tableau est devenu beaucoup plus net : à présent, les faits parlent avec plus d’éloquence et déterminent une autre appréciation de la situation.

Un certain nombre de camarades ont nié la distinction entre la seconde et la troisième période, tout en parlant d’une aggravation considérable des contradictions.

Mais alors, d’où vient cette « aggravation des contradictions » ? Elle n’est pourtant pas tombée du ciel. Ces deux points de vue sont inconciliables. On ne saurait dire : « Il n’y a pas de différence de situation et reconnaître en même temps une aggravation des contradictions, car alors, sur quoi cette aggravation serait-elle basée ? On dit : pas de différence de situation et pourtant, la guerre se poursuit en Chine. En voilà une « bagatelle », n’est-ce pas ? C’est là une sous-estimation absolue du danger de guerre et de la guerre existant déjà.

« Il n’y a point de différence dans les situations », mais les préparatifs de guerre entre l’U.R.S.S. battent leur plein. C’est donc encore une « bagatelle » ? Or, dans notre naïveté, nous pensions que c’était là le trait essentiel de la situation politique mondiale. Si nous sommes tellement aveugles que nous ne voyons pas ces « bagatelles » nous ne valons rien et nous ne saurions prétendre à la direction.

Quels chefs que ceux-là qui ne voient aucune différence dans la situation, pour qui c’est la même chose que l’économie européenne soit à toute extrémité ou qu’elle progresse rapidement ; que la guerre se poursuive en Chine ou non ; que l’impérialisme se prépare en vue d’une attaque contre l’U.R.S.S. ou non, etc. etc. Si nous ne sommes pas en mesure de voir tous ces faits nouveaux, nous sommes des gens finis. Alors on ne comprend plus notre nouvelle tactique (en Angleterre, en France, etc.) ; elle est superflue, puisque nous piétinons sur place.

J’ai donné ici les arguments les plus vifs qu’on a avancés contre la troisième période. Mais il y en a encore d’autres moins catégoriques, par exemple : la troisième période, ma foi, n’existe pas, mais il faut quand même en parler. Je voudrais bien soumettre cet « argument » aussi à une analyse consciencieuse et précise.

Je répondrai avant tout à la Camarade Kostrzewa de la délégation polonaise.

Elle nous dit :« En ce qui concerne les trois périodes dans lesquelles on divise l’époque d’après-guerre, nous considérons que la limite qui sépare la deuxième de la troisième période n’a pas pour caractéristique le progrès technique, car ce progrès, était la condition préalable de toute la période de restauration universelle du développement capitaliste d’après-guerre. Et quelle est donc la caractéristique de la troisième période ?

C’est le fait que les contradictions qui s’étaient accumulées sur la base du processus stabilisation en rapport avec le puissant développement des forces de production, que ces contradictions apparaissent maintenant avec évidence et ébranlent tout le système de la société capitaliste. »

Franchement, je ne comprends pas la logique de ce raisonnement. Non pas développement technique, mais contradictions ! Mais d’où viennent donc ces contradictions elles-mêmes ? La camarade Kostrzewa parle de contradictions en rapport « avec le puissant développement des forces productives ». Je vous le demande, camarade Kostrzewa, « le puissant développement des forces productives » est-il possible sans progrès technique ?

Jusqu’à présent, de même que beaucoup d’autres camarades, je croyais, comme Marx, que les forces productives, c’est un ensemble d’instruments de travail et de forces ouvrières. On ne saurait donc séparer « l’accroissement des forces productives » du « progrès technique ». Cela est faux et nullement fondé théoriquement.

Émettre l’affirmation du puissant développement des forces productives, précisément pendant la période donnée, et nier l’accroissement puissant de la technique pour ta même période ; insister sur l’aggravation violente des contradictions en rapport avec les modifications dans le domaine des forces productives et en même temps rejeter ce critérium, c est quelque chose de tout à fait peu ordinaire, même du point de vue de la plus élémentaire logique.

Le second orateur qui s’est arrêté sur cette question, ce fut le camarade Strakhov (Chine) [Qu Qiu Po]. Il a dit :« Nous ne comprenons pas cette question et c’est pourquoi nous croyons qu’il n’y a pas de troisième période. Mais nous voulons qu’elle soit inscrite dans les thèses. »

La modestie est une vertu en général ; elle s’impose aussi à certains communistes. Je suis parfaitement d’accord là-dessus. Mais, camarades, je ne puis reconnaître que tout soit bien fondé ici. Lorsque le camarade Strakhov nous dit qu’il n’y a point de différence entre la deuxième et la troisième période, quelqu’un lui a crié de sa place « juste ».

Je ne sais quel est le camarade qui lança cette approbation, mais elle ne prouve pas des capacités logiques spéciales. Si entre le développement de la technique, il y a une dépendance intime incontestable, ces dépendances n’existent évidemment pas toujours entre la logique et les capacités vocales.

A la fin de son discours, le camarade Strakhov a dit que la troisième période doit, malgré tout, figurer dans les thèses. Cependant, si entre la deuxième et la troisième période, il n’y a aucune différence, cher camarade Strakhov, alors pourquoi se donner tant de mal ? C’est-il donc que nous n’avons que faire de notre papier ?

Ce n’est pas là non plus un comble de logique que de dire : la troisième période n’existe pas en réalité, mais elle doit rester dans les thèses. Il arrive parfois qu’on met dans les thèses des choses qui ne sont pas dans la réalité. D’accord. Mais, que de telles thèses soient l’expression de la sagesse tactique, cela, personne de nous ne le croira.

Ainsi donc, si la troisième période n’existe pas, il vaut mieux la rejeter de notre thèse. Mais, si vous proposez de la laisser dans les thèses, c’est que vous n’avez pas la conscience tranquille et que vous sentez que cette malheureuse troisième période peut bien « servir » à quelque chose. Elle servira certainement, elle servira à tracer la vraie tactique.

Dans quel but faut-il poser la question de la troisième période ? Quel est le « sens de cette, philosophie » ? C’est que nous voulons par là faire ressortir le fait que la stabilisation du capitalisme ne peut disparaître du jour au lendemain. Et il indispensable de souligner cela. C’est de là qu’est partie notre délégation, quand il fut question de la troisième période.

III. La question de la guerre est une question centrale

L’axe de la situation est le danger de guerre

Je passe maintenant à la seconde question fondamentale qui a provoqué ici une discussion plus animée en comparaison de la première. D’abord, je voudrais poser la question préliminaire suivante : Qu’exige-t-on du rapporteur de l’Exécutif ?

Faut-il qu’il parcoure toute la planète et qu’il expose ensuite : au Mexique les choses vont ainsi, en Argentine, autrement, au Nicaragua elles sont encore tout autres et dans le mouvement coopératif il se produit ceci et cela ? Est-il nécessaire que je parcoure tout le globe terrestre et que je parle décidément de tout : du mouvement coopératif et du gouvernement mexicain ?

Oh, alors, naturellement, tous les camarades sans exception se considéreraient satisfaits. Le camarade Murphy, par exemple, serait complètement satisfait, parce que j’aurais parlé du mouvement coopératif. (Rires.) Les camarades mexicains seraient contents si j’avais dit quelques mots sur le Mexique. Peut-être serait-ce là une bonne méthode, car tous les camarades seraient satisfaits de ce que j’aurais mentionné « leur » mouvement.

Mais pour le marxisme, le fond de la chose consiste à tirer d’un ensemble de faits variés les tendances fondamentales et à déterminer sur cette base la principale ligne de tactique.

C’est en cela, j’estime, que consistait ma tâche. Nous avons noté de grands changements à la situation mondiale et dans de nombreuses directions. Mais où donc se trouve l’axe de toute la situation mondiale, où est !a clef de notre tactique ?

Dans mon rapport, j’ai répondu à cette question d’une façon claire et précise : l’axe de route la situation est le problème de la guerre. La menace de guerre, tel est le point central de la situation. A mon avis, la menace de guerre est l’indice le plus caractéristique de la période en cours dans son ensemble.

Les échos impérialistes et social-démocrates

Camarades, je me permettrai ici d’entamer une « discussion » avec les ennemis du prolétariat, les impérialistes et les social-démocrates. Des échos à mon rapport retentissent déjà dans leur presse. Je m’arrêterai avant tout sur la presse impérialiste polonaise.

Le journal officieux Epoka commente mon rapport dans un éditorial intitulé : « La loyauté soviétique ». Il y est dit entre autres :« Le discours de Boukharine a prouvé que l’I.C. et le gouvernement soviétique ne font qu’un. Jusqu’à présent le gouvernement soviétique établissait une ligne de démarcation entre lui et l’I.C. et cette formule était prise en note par les Etats qui désiraient à tout prix conserver des rapports normaux avec l’U.R.S.S. La Pologne était de ce nombre.

A présent, cette formule est devenue inconsistante. Le gouvernement soviétique ne peut désavouer Boukharine qui est membre du Bureau politique, c’est-à-dire de l’organe suprême du pouvoir en U.R.S.S. Le fait que Rykov siège au présidium du Congrès de l’I.C. (apparemment on a confondu ici Rykov avec un Américain ou un Hindou. — N.B.) et que le rapport de Boukharine est publié dans tous les journaux soviétiques, témoigne de ce que le gouvernement soviétique n’établit plus une ligne de démarcation entre lui et l’I.C. et qu’il enlève son masque.

A présent, nous savons que le gouvernement soviétique et l’I.C. ne font qu’un, que le gouvernement soviétique se prépare à la guerre contre la Pologne, et que dans, cette guerre, les communistes polonais doivent jouer le rôle d’espions et organiser des diversions »

Un autre journal polonais, organe du ministère de la Guerre, le Polska Zbrojna, écrit :« Les déclarations de Boukharine sur le rôle des communistes polonais en cas de guerre polono-soviétique ne sont pas inattendues.

Cependant le ton audacieux, impudent, pourrait-on dire, avec lequel cet homme politique qui occupe différents postes supérieurs dans la mafia qui gouverne actuellement la Russie, parle de la possibilité de guerre avec la Pologne, sans juger bon de masquer ses plans et ses perspectives, attire l’attention. Ici nous remarquons seulement la démoralisation inouïe et néfaste qu’apporte dans les rapports intérieurs et extérieurs de chaque Etat le seul fait de l’existence du soi-disant régime communiste et de l’attitude tolérante des Etats-Unis vis-à-vis de lui.

La déclaration de Boukharine fera taire tous ceux qui exigeaient jusqu’à présent la légalisation des communistes polonais. Car le communisme, voilà l’ennemi. L’ennemi le plus dangereux pour le régime communiste est Pilsudski, autour duquel doivent se grouper pour cette raison tous les adversaires du communisme. »

Vous comprenez parfaitement, camarades, le sens de ces raisonnements. Ce n’est pas le fait du hazard que de mon rapport on ait tiré précisément le passage concernant la menace de guerre.

La presse social-démocrate a également fait écho à mon rapport.

L’organe central de la social-démocratie internationale, le Vorwaerts, écrit dans son numéro du 27 juillet : « Cette foi politique dans les miracles a dicté les thèses bien formulées du congrès de l’I.C. à Moscou ; Boukharine en est le prophète. La foi politique dans les miracles a déjà pris des formes diverses dans l’I.C.

Le miracle devait tantôt venir d’Allemagne, tantôt des Balkans, tantôt des îles du Pacifique. A présent, Boukharine jure par la Chine, par les contradictions entre l’Amérique et l’Europe, mais avant tout par la guerre. »

Ensuite viennent les « commentaires » :« On a de nouveau réchauffé la vulgaire théorie marxiste : l’accroissement des forces productives sous le capitalisme mène à la lutte pour les marchés, la lutte pour les marchés mène à la guerre, d’une façon absolue et sans aucune possibilité d’éviter cette perspective.

Aussi vrai que demain se lèvera le soleil, aussi vrai éclatera bientôt la guerre, très prochainement même, car Boukharine dit : « La guerre est la question du jour. Mais si la guerre arrive, on ne peut éviter ce qui doit la suivre : la guerre impérialiste donne, naissance « à la guerre civile, à la révolution mondiale, à la victoire du système soviétique dans le monde entier ! Vive la révolution mondiale, ou plutôt, comme ce n’est que le second acte, vive la guerre ! »

Il s’ensuit donc que notre mot d’ordre serait : Vive la guerre !

« Et ils croient au miracle que la permanence du développement et la continuité du progrès de la social-démocratie dans le domaine de la politique pratique au nom du socialisme, seront interrompus.

L’histoire commencera de nouveau par 1914. La nouvelle année 1914, c’est une illusion qui est donnée aux partis communistes du monde, pour qu’ils puissent fermer les yeux sur les perspectives peu radieuses qu’ils ont en face d’eux et la situation sans issue où ils se trouvent. Et ils sont revenus avec bonheur à la thèse : la guerre est le commencement de tout. »

Permettez-moi, camarades, à mon tour de commenter ces commentaires. Avant tout, voyons la question de la théorie marxiste. 

Il suffirait de lire les dernières résolutions des congrès du parti de la social-démocratie allemande qui se sont tenus immédiatement avant la guerre, pour voir comment les social-démocrates agissent avec cette théorie marxiste qui déterminait autrefois leurs positions dans la question de la guerre. Personnellement, je me trouvai au congrès de Chemnitz de la social-démocratie.

Je me souviens, c’était en 1912 ou 1913. Haase fit un rapport et toutes ces « vulgaires théories marxistes » déterminaient aussi alors la ligne de conduite de la social-démocratie allemande dans la question de la guerre. Prenons les résolutions des congrès internationaux. Elles sont toutes basées sur cette « vulgaire théorie marxiste »

Marx, Engels et Lénine sur la guerre et la révolution

Voyons comment Marx, Engels et Lénine envisageaient ces questions. Par exemple, « un marxiste aussi vulgaire » que Marx écrivait le 2 février 1864 dans son article : « La guerre européenne », publié dans le New York Tribune : « Mais nous ne devons pas oublier qu’il existe encore en Europe une sixième puissance qui, à des moments déterminés, affirme sa domination sur toutes les cinq « Grandes Puissances » et les fait trembler. Cette puissance, c’est la révolution. Après une longue période de calme et de tranquillité, elle est de nouveau appelée sur les champs de bataille par les crises et le spectre de la mort…« Il suffit d’un simple signal et la sixième puissance européenne, la plus grande, entrera en lice brillamment armée, l’épée à la main…« Ce signal sera donné par la guerre européenne imminente… »

Ainsi fut appréciée la situation par ce « vulgaire » marxiste que fut Karl Marx. Et que disait le « vulgaire marxiste » Engels ?

Engels écrivit en 1887 dans sa préface à la brochure de Sigismund Borkheim : « …Pour la Prusse et l’Allemagne, une autre guerre, une guerre mondiale est impossible maintenant. La prochaine guerre sera une guerre mondiale d’une force inconnue jusqu’à présent. De 8 à 9 millions de soldats s’entr’égorgeront et dévasteront l’Europe comme jamais les nuées de sauterelles ne l’ont fait.

Les dévastations causées par la guerre de Trente Ans se reproduiront en trois à quatre années et s’étendront sur tout le continent. La famine, les épidémies, la sauvagerie générale des armées et des masses populaires, provoquées par la grande disette, par le chaos sans issue dans notre mécanisme artificiel, commercial, industriel et de crédit, tout cela se terminera par la faillite générale, la banqueroute des vieux Etats et de la routine de la sagesse des nations, par un krach tel que les couronnes par dizaines rouleront sur le pavé et qu’il ne se trouvera personne pour les ramasser.

Dans l’impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira victorieux de la lutte, un seul résultat est absolument incontestables c’est l’épuisement général et la création de conditions pour la victoire définitive de la classe ouvrière.

« Telle est la perspective, si le système de la concurrence réciproque dans les armements militaires est poussé à bout. Tels seront finalement ses fruits. Voici, messieurs les rois et hommes d’Etat, où votre sagesse a acculé la vieille Europe. S’il ne vous reste rien d’autre qu’à ouvrir la dernière danse guerrière, nous ne pleurerons pas. Peu importe que la guerre nous rejette même pour un temps au second plan, peu importe qu’elle nous enlève même certaines positions conquises précédemment. Mais si vous déchaînez les forces que vous ne pourrez plus contenir ensuite, à la fin de la tragédie, vous serez une ruine, la victoire du prolétariat sera déjà remportée, ou bien elle sera imminente. »

Je cite ce long passage pour montrer ce que des marxistes, aussi « vulgaires » que Marx et Engels, pensaient de la liaison entre les guerres et les révolutions. Mais on peut objecter : Oui, c’étaient des prévisions qui se sont déjà réalisées en partie. Toute la question se pose précisément ainsi : ce que vous avez cité c’est un bon argument dans une discussion avec les social-démocrates.

Mais est-ce que tout cela peut servir pour expliquer la situation actuelle  Pour cela, je voudrais m’en référer au point de vue d’un autre marxiste « vulgaire », le camarade Lénine.

Il estimait possible que le capitalisme se ranime après la première guerre mondiale. Il écrivait et pensait au sujet des perspectives du développement de la révolution. Que dit Lénine à ce sujet? Il écrit :« Nous ne voulons pas ignorer la triste possibilité que l’humanité traversera — au pis-aller — une seconde guerre impérialiste, si la révolution ne surgit pas de la guerre présente, malgré les nombreuses explosions de l’effervescence et du mécontentement des masses et malgré nos efforts. » (T. XIII, p. 455 du texte russe.)1

A la suite de la guerre, la révolution a triomphé dans certains pays. En U.R.S.S. existe déjà la dictature du prolétariat. Mais après la victoire du prolétariat en U.R.S.S., Lénine voyait encore la perspective d’une nouvelle guerre impérialiste.

Dans son dernier ouvrage, écrit peu avant sa mort, il souligna encore une fois cette perspective. Il parla et écrivit du second tour de guerres impérialistes, d’une seconde série de grandes révolutions. Je pense qu’il continue ici les traditions de Marx et d’Engels et de tous les hommes qui furent effectivement en état de comprendre la situation mondiale.

Pourquoi les impérialistes et les social-démocrates sont-ils nerveux ?

Maintenant, camarades, pourquoi les impérialistes sont si nerveux lorsqu’ils parlent de la guerre ? D’où provient cette nervosité dans le camp social-démocrate, justement sur cette question ? Pourquoi réagissent-ils si violemment, si directement, d’une façon si inattendue, précisément sur cette question de mon rapport.

Réfléchissez à cela. Pourquoi critiquent-ils en premier lieu la thèse de la prochaine guerre mondiale ? Pourquoi entreprennent-ils autre chose encore pour protester contre ma « façon d’agir impudente » et contre mon « discours audacieux » ?

Ceci, parce que, objectivement, la question de la menace de guerre est l’axe central de toute la situation mondiale, voilà pourquoi nos adversaires, réagissent avec tant de nervosité à notre analyse.

Et ceci est parfaitement compréhensible, parce que nous dévoilons leurs menées criminelles, parce que nous en arrachons tous les masques, détruisons tous les paravents, disons hautement la vérité sur la façon dont les impérialistes préparent la guerre et sur la façon dont ils la conduisent. De nombreux camarades oublient totalement que la guerre se déroule en fait dans l’Asie orientale. Peut-on supprimer ce fait ?

Peut-être devons-nous dire que, du fait qu’elle est menée contre un peuple « non civilisé », contre les Chinois, elle n’existe pas pour nous autres Européens « hautement civilisés » ? Seuls les aveugles ne voient pas que la guerre existe en Chine.

Seuls les aveugles ne voient pas comment le conflit japonais-américain est devenu plus aigu. D’ailleurs, il est parfaitement compréhensible que c’est l’intérêt des impérialistes, des social-démocrates, de tous les gens qui désirent soutenir le régime capitaliste mondial d’estomper cette thèse en ayant recours à toutes sortes de subtilités.

L’impérialisme agit, manœuvre. Il propose certains pactes « pacifistes », tel celui de Kellogg, il procède à des manœuvres habiles, telle la dernière note du gouvernement américain au gouvernement de Nankin ; il a recours à d’autres procédés ; il organise la conférence de la S.d.N., il proclame à cor et à cri son désir de paix, en un mot, il cherche de toutes ses forces à masquer l’essentiel de son travail criminel.

Et la social-démocratie, en quoi consiste maintenant son rôle principal ? Son principal rôle consiste aussi à voiler ce fait essentiel du développement actuel, à l’estomper idéologiquement, à le faire disparaitre. Voilà pourquoi les social-démocrates crient que les puissances capitalistes ont soif de paix, que le trouble-paix est le « maudit » pays du prolétariat. Voilà pourquoi ils chantent les louanges de la S.d.N. et de toute autre invention pacifiste.

N’est-ce pas compréhensible? Il existe un seul Etat qui mène réellement une politique de paix, c’est l’U.R.S.S. Il existe un seul Etat qui proposa sérieusement le désarmement général, c’est l’U.R.S.S. Il existe un seul Etat qui n’est intéressé à aucun partage du monde, à aucune colonie, à aucun mandat, c’est l’U.R.S.S. C’est précisément pour cette raison que les impérialistes et leurs valets montrent l’inverse de la véritable situation.

IV. Les contradictions extérieures et intérieures du système capitaliste

La sous-estimation de la menace de guerre est le plus grand danger pour l’I.C.

Ainsi les impérialistes déclarent : nous n’avons nul besoin de la guerre, c’est l’U.R.S.S. qui la veut. Pilsudski aussi proclame : je ne veux pas de guerre, c’est l’U.R.S.S. qui la veut. Et tous en même temps, avec une énergie fiévreuse, folle, se préparent à la guerre offensive contre l’U.R.S.S. et à la guerre entre eux.

Je ne veux nullement dire par là que cette guerre doit éclater absolument dans quelques mois. Ce n’est pas ce que je veux dire; d’ailleurs, il n’existe pas un seul homme capable de déterminer exactement le mois, voire même l’année de la guerre. La question n’est pas de savoir si la guerre éclate quelques années plus tôt on plus tard ; non, la menace de guerre s’accroît de mois en mois. Je pense que c’est absolument évident. L’impérialisme est intéressé à estomper cette thèse.

Les social-démocrates y sont intéressés de même, mais nous n’avons aucune raison de cacher évidencec’est pourquoi il m’est impossible d’atténuer l’importance de ce fait, même, sous la forme une insistance insuffisante sur la liaison entre les contradictions intérieures et extérieures.

Certains camarades, – dans notre délégation il y eut quelques voix qui restèrent isolées – tiennent dans l’une de leurs poches les contradictions internes, et dans l’autre les contradictions extérieures. Est-ce juste? Non, c’est faux. C’est l’expression de la sous-estimation de la menace de guerre. Au point de vue objectif, c’est l’expression des dangers de droite au sein de l’I.C., le danger essentiel qui nous menace c’est de sous-estimer la menace de guerre. 

Or, comme cette question n’est pas du tout simple, mais qu’elle est, au contraire, très compliquée, je juge de mon devoir de l’expliquer sous la forme la plus populaire afin d’éviter tout malentendu de donner un tableau aussi clair que possible.

Tout d’abord, existe-t-il chez nous, au sein de l’Internationale communiste, une sous-estimation de la menace de guerre ? Elle existe sans contredit : nombreux sont les camarades qui en ont parlé ouvertement, les camarades Thorez, Semard, Ercoli et autres.

Nous avons tous dit et souligné que, par exemple, la révolution chinoise, la guerre du Japon contre la Chine, n’ont pas trouvé un écho suffisant dans la pratique des partis adhérant à l’I.C. Or, si la situation objective révèle une croissance constante de la menace de guerre, si la situation des impérialistes et des social-démocrates est absolument claire, nous devons tenir compte sérieusement de la sous-estimation de la menace de guerre.

Elle découle précisément de ce que la question de la guerre est considérée comme un problème ordinaire à côté des nombreux autres problèmes. Nous n’établissons pas une corrélation telle entre la menace de guerre et les autres questions que nous subordonnions toutes les autres tâches à la lutte contre la guerre imminente.

Précisément, cette façon de poser la question est entièrement conforme à la situation objective et à nos tâches. C’est pourquoi je voudrais développer cette thèse un peu plus en détail.

Dans son article au sujet de la Conférence de La Haye, Lénine écrivit que pendant la guerre, ou immédiatement à la veille, une partie de la presse communiste ferait certainement des sottises. Naturellement, on pourrait dire aussi à l’adresse de Lénine qu’il était un « pessimiste » avéré, mais telles sont les paroles que Lénine a écrite.

C’est ainsi que Lénine, en exposant la situation, s’exprima « imprudemment » : Je ne sais si ces prévisions se réaliseront, mais je sais une chose, c’est que le danger de sous-estimation de la guerre existe réellement. Et je demande quel danger peut-on comparer à celui-ci ? Presque aucun, car c’est là la question fondamentale de la situation.

Comment faut-il poser la question des contradictions intérieures et extérieures ?

Je vous prie de vérifier si c’est là, en réalité, une question fondamentale. Si vous la considérez comme telle, il sera facile d’en tirer des déductions nécessaires. Mais en essayant de transférer le centre de gravité de cette question de la menace de guerre sur les contradictions intérieures ou quelqu’autre question, on ferait preuve d’une incompréhension totale de tout le sérieux de la situation.

Cette façon de poser la question est liée, en particulier, à une certaine sous estimation de l’intervention qui a déjà commencé en Chine. Avec ceci, je pense, est lié également le défaut dont nous avons parlé et qui nous indique l’insuffisance du caractère international de nos partis communistes.

Néanmoins, la question des contradictions intérieures, la question de savoir quelle liaison existe entre ces contradictions intérieures et les contradictions extérieures est une question assez compliquée.

J’ai déjà indiqué la manière d’agir de certains camarades : Dans une poche, ils tiennent les contradictions intérieures, dans l’autre, les contradictions extérieures. Un pareil point de vue ne correspond pas à l’état objectif des choses et aboutit fatalement à des déductions de tactique erronées. Essayons de nous orienter dans cette question. Je demande : une situation révolutionnaire est-elle possible sans guerre ? C’est une .question parfaitement légitime.

En voici la réponse : évidemment c’est possible. Il serait absurde d’affirmer que la situation directement révolutionnaire peut seulement naître à la suite d’une guerre. Il est vrai que l’histoire nous montre que dans la plupart des cas les grandes révolutions éclatent en liaison avec la guerre.

La Commune de Paris qui surgit pendant la guerre franco-prussienne, la première révolution en Russie (1905), qui éclata immédiatement après la guerre russo-japonaise, les révolutions de février et d’octobre 1917 en Russie et différentes autres révolutions européennes et asiatiques qui éclatèrent en corrélation avec la guerre mondiale, peuvent nous servir d’exemples, car ces révolutions furent étroitement liées à des guerres. Mais peut-on affirmer que, de notre temps, une situation directement révolutionnaire ne peut surgir, même dans des pays tels que l’Allemagne ou la Tchécoslovaquie, qu’en liaison avec la guerre ?

Une pareille assertion serait dans le fond une absurdité et, pratiquement, signifierait que nous devons « attendre » la guerre et tenir compte dans notre travail de cette seule perspective. Nous pouvons nous demander également, […] devons nous préparer à tout prix à une situation révolutionnaire. Évidemment, sans aucun doute, nous le devons ! Je répète : il serait absurde de proposer une autre tactique. Mais le degré de probabilité de la révolution, du moment que nous en parlons, n’est pas le même dans un cas comme dans l’autre.

Je pourrais formuler ceci comme suit : Des situations directement révolutionnaires sont possibles, voire probables, sans guerre, également en Europe. Mais lors d’une guerre, elles sont absolument inévitables...

Elles nous sont historiquement données en liaison avec la guerre. Les guerres seront fatalement accompagnées de révolutions. Ainsi, il serait complètement faux de nier la possibilité d’une situation directement révolutionnaire comme résultat du développement des seules contradictions intérieures.

Tout en repoussant le point de vue éclectique des camarades qui considèrent séparément les contradictions intérieures et extérieures, je dois maintenant éclairer la question de l’action réciproque de ces contradictions.

Quels sont les rapports réciproques entre ces deux catégories de faits, où se trouve le point de contact d’où il faut partir et quelles déductions se dégagent de l’analyse ? Sur quoi faut-il baser toute notre orientation tactique ? A mon avis, les contradictions économiques mondiales, les grands conflits mondiaux ont une importance primordiale. Prenons l’Angleterre. Les contradictions intérieures y prennent-elles plus d’acuité ? Évidemment.

Or, l’accroissement de ces contradictions en Angleterre, lié au processus de déclin de l’Empire britannique mondial n’est-il pas dû, dans la plupart des cas, à la situation internationale ?

N’est-il pas déterminé par la concurrence des États-Unis, par l’existence de forces centrifuges dans les dominions anglais et, en partie, dans les colonies, ainsi que par toute une série d’autres facteurs internationaux ? Figurez-vous un autre milieu international pour le capitalisme anglais et les résultats seront tout autres.

Prenons maintenant les contradictions intérieures en Allemagne. Qui ignore que la stabilisation en Allemagne a été réalisée grâce au concours du capitalisme américain ? Peut-on complètement isoler dans ce pays les rapports intérieurs des facteurs internationaux ? Supposez un instant que l’Amérique ait refusé d’ouvrir des crédits à l’Allemagne (perspective qui fut exposée par Paish) et la faillite intérieure est inévitable.

Abordons une autre catégorie de faits : pourquoi nous borner au domaine de l’économie ? Voyons la politique et, en partie, la politique économique. Nous parlons de la « paix industrielle » du « mondisme », de la trahison de la social-démocratie, de la fusion avec l’appareil d’Etat, etc. — Tout ceci est absolument exact.

Essayez maintenant d’expliquer ces processus seulement au point de vue de l’accroissement des contradictions intérieures.

Vous ne serez pas en état de le faire.

Qu’est-ce que la « paix dans l’industrie » ? C’est la forme la plus vive de la paix civile, le meilleur moyen de préparation de la guerre ; celui qui ne comprend pas cela ignore le fond même de la question. Qu’est-ce qui a motivé le bill antisyndical en Angleterre ?

Peut-on comprendre ce bill « intérieur », en ignorant les problèmes extérieurs et en négligeant totalement la préparation de la guerre ? Avec une telle incompréhension nous ne saurions même pas procéder à une agitation tant soit peu efficace contre ce bill.

Et la nouvelle orientation de la social-démocratie en corrélation avec le problème de la paix civile, ne renforce-t-elle pas le rôle de trahison de la social- démocratie dans la politique extérieure ? N’est-ce pas compréhensible à un enfant ?

Toute l’orientation de la social-démocratie s’accentue dans ce sens. Peut-on trouver un homme qui puisse nier la liaison entre la loi militaire de Boncour, la situation intérieure en France et sa situation extérieure ? 

Je pourrais citer de nombreux exemples analogues, mais ceux que j’ai relatés montrent d’une façon assez convaincante que le problème central de la menace de guerre, le problème de la guerre, prime tous les autres; ceci se rapporte également aux problèmes politiques et aux contradictions intérieures.

Une autre façon d’accorder les questions de la politique intérieure et les problèmes de tactique qui sont liés à elles, serait insoutenable et nullement révolutionnaire

La lutte contre la menace de guerre doit imprégner tout notre travail quotidien

Nous nous basons tous sur la nécessité d’intensifier le travail de masse quotidien. Dans ce domaine la pratique de certains partis laisse fortement â désirer. Mais en théorie, tout le monde est d’accord sur ce point. En quoi consiste la différence entre notre travail quotidien et celui des social-démocrates ? Je présume qu’il doit y avoir une différence.

En quoi consiste-t-elle ? En ce que les communistes doivent établir une liaison entre les questions d’actualité, — c’est, d’ailleurs, obligatoire pour chaque communiste, — et les problèmes de la « grande politique » : Figurez-vous un communiste anglais. Comment peut-il mener l’agitation dans les masses lorsqu’il doit prendre part à une grève, si petite soit-elle ? La lutte contre la limitation de la liberté des; syndicats doit être liée absolument avec les revendications d’actualité, avec la lutte pour l’annulation de la loi syndicale.

Cette loi syndicale doit être liée à son tour avec le « mondisme » et la préparation de la guerre, la lutte contre la guerre doit être liée avec la lutte pour la dictature du prolétariat. Ainsi doit-il agir, sinon, il n’est pas un communiste.

Les larges couches du prolétariat qui ont participé à la dernière guerre mondiale connaissent le « prix » et l’infamie immense de ce fléau imposé par la bourgeoisie impérialiste à l’humanité. Dans notre travail de tous les jours nous devons établir une corrélation entre la menace de guerre et chaque question d’actualité, si petite soit-elle. Laisser tomber de ses mains cet atout est techniquement possible, mais est politiquement absurde au plus haut point. Je voudrais poser nettement ce problème aux camarades, pour qu’ils y réfléchissent.

A mon avis, deux appréciations de la situation sont possibles ; de chaque analyse différente découle aussi une orientation de tactique différente. L’une d’elles est sans coordination des problèmes généraux avec les problèmes quotidiens ; l’autre établit une corrélation absolue entre chaque revendication quotidienne et le problème de la guerre, comme problème central de nos jours.

Dans leur tactique, les communistes doivent absolument lier tout problème partiel d’actualité aux grands problèmes généraux. Il va de soi que cette coordination exige une grande habileté : les grandes phrases, les hauts cris sont insuffisants, il faut employer des méthodes subtiles de propagande et d’agitation, ne pas isoler les problèmes, mais les coordonner, en les subordonnants au problème courant fondamental, au problème de la guerre.

En critiquant les social-démocrates (ceux de droite et surtout ceux de « gauche » qui sont les trompeurs les plus rusés et les plus nuisibles de la classe ouvrière), nous devons souligner que « la démocratie économique » et l’arbitrage ont non seulement une signification économique, mais qu’ils sont aussi une préparation à la guerre.

Il faut ouvrir les yeux des prolétaires, des paysans pauvres sur cette liaison; c’est ainsi qu’il faut construire toute notre propagande, c’est dans ce sens qu’il faut orienter toute notre tactique. Il ne faut pas un amoncellement chaotique de faits, mais de tous les faits, de toutes les tendances qui se développent, il faut tirer le point central, le problème central de la menace de guerre.

En coordonnant nos revendications partielles avec le problème de la guerre, avec la lutte contre elle, nous devons le lier avec la propagande de la dictature du prolétariat. Evidemment, il se peut que la lutte directe pour la dictature du prolétariat surgisse à l’ordre du jour sans guerre. Mais également ici, il faut marquer que la guerre qui vient montre déjà son ombre funeste.

Ainsi, j’ai donné l’analyse des rapports entre les problèmes intérieurs et les problèmes extérieurs. J’ai souligné qu’il était inadmissible d’aborder cette question d’une façon éclectique. 

Cette analyse a montré la nécessité d’observer une ligne ferme et énergique, de réserver toute l’attention au problème de la guerre, de lier à celui-ci tous les autres problèmes, de procéder à une propagande et à une agitation spéciales pour préparer le prolétariat à une lutte contre la bourgeoisie, contre la social-démocratie. Telle est notre position de tactique fondamentale. C’est l’unique ligne possible pour l’Internationale communiste.

V. Problèmes partiels du travail des partis communistes

Il faut lutter pour une ligne politique juste dans la question syndicale

Je passe maintenant aux problèmes partiels dont chacun joue un rôle extrêmement important. Permettez-moi pour commencer, de faire quelques observations au sujet de notre tactique syndicale, de notre travail dans les syndicats en rapport avec les discussions qui ont eu lieu ici sur cette question.

Les organes exécutifs de l’I.C. soulignent infatigablement dans leurs résolutions, circulaires; lettres et autres documents la nécessité d’un travail acharné dans les syndicats en rapport avec la tactique du front unique.

Tout le monde sait cela. La situation mondiale que j’ai caractérisée et analysée ici rend plus aigüe l’importance de ce problème en faisant ressortir de plus en plus la tâche de la conquête des masses. Dans la situation actuelle, notre lutte contre les dangers de guerre, contre la guerre comme telle, pour qu’elle soit couronnée de succès, exige avant tout la conquête des masses. 

Or, on ne saurait conquérir les masses sans travailler dans les syndicats. Sous l’angle de nos rapports internationaux, nous devons répéter ce que nous avons dit auparavant, à savoir que le travail énergique dans les syndicats est profondément nécessaire.

Nous ne devons à aucun prix, perdre l’initiative dans la lutte pour l’unité syndicale. Dans la situation crée actuellement, nous avons particulièrement besoin de points d’appui dans les masses.

C’est pourquoi l’une des tâches fondamentales du travail des partis communistes, c’est, de plus en plus, le renforcement du travail syndical en général et, plus particulièrement, le renforcement du travail de l’I.S.R.

Au cours des discussions, à ce congrès, sur la question syndicale, diverses tendances sont apparues.

Certains camarades ont indiqué la nécessité d’organiser les inorganisés, de créer des- organisations autonomes pour faire contrepoids aux syndicats réactionnaires et, dans des conditions parfaitement déterminées, de rattacher aux, syndicats de l’I.S.R. les organisations professionnelles et syndicales conquises sur les réformistes.

C’est là la ligne .politique que nous avons défendue et qui fut généralement adoptée au IVe Congrès de l’I.S.R.

Cependant, on nous a parlé ici de diverses tendances de résistance à ces décisions, du manque d’un travail proprement communiste dans les syndicats, de capitulation complète devant le réformisme par crainte d’être exclu des syndicats. On constate encore une autre tendance qui cherche même à se justifier théoriquement, c’est la tendance qui cherche à nier le travail dans les syndicats réactionnaires.

Cette tendance provient jusqu’à présent de la base, ce qui s’explique par la difficulté du travail dans les syndicats réactionnaires : il est vrai qu’on nous exclut des syndicats réactionnaires et il faut une grande fermeté et une foi solide dans notre ligne politique pour travailler dans circonstances aussi pénibles.

La tendance qui veut la sortie des syndicats réactionnaires est entretenue aussi par l’existence parmi les ouvriers de beaucoup de pays d’un nombre considérable de travailleurs inorganisés syndicalement. C’est le cas aux Etats-Unis et même dans un pays tel que la France.

Le camarade Thorez a fait observer dans son discours qu’une partie infime seulement des ouvriers est organisée en France. Il est bien compréhensible que la tâche de l’organisation des inorganisés est un des problèmes fondamentaux de la situation actuelle.

Cependant, nous ne pensons nullement qu’il faille renoncer à notre mot d’ordre de travail dans les syndicats réactionnaires, même dans des pays possédant un mouvement syndical divisé. Certains camarades cherchent à prouver théoriquement que l’appareil des organisations ouvrières réformistes, les syndicats, etc., ne sauraient en général être conquis.

Ils établissent une sorte d’analogie entre l’appareil syndical et l’appareil d’Etat. Or, on ne saurait concevoir au sens littéral, la conquête de l’appareil d’Etat bourgeois. En effet, Marx et Engels, et, ultérieurement Lénine, dans sa brochure L’Etat et la Révolution ont montré que la conquête de l’Etat, c’est la destruction de la machine étatique et son remplacement par un nouvel appareil ; c’est en cela que consiste le processus de la conquête de l’Etat.

Par analogie avec ce qui précède, les camarades émettent un jugement identique sur la situation dans les syndicats. Là aussi, disent-ils, il y a un appareil de fonctionnaires organisé solidement ; cette machine est analogue à celle de l’Etat bourgeois. Impossible de conquérir cette machine, disent certains, il faut la briser.

Or, briser cette puissante machine, ce n’est possible qu’en brisant l’appareil bourgeois d’Etat. La conclusion, c’est qu’avant la conquête du pouvoir, on ne saurait s’emparer des syndicats réactionnaires.

De ces prémisses, il est facile de déduire la négation du travail dans les syndicats ayant une direction réformiste. On ne saurait cependant démontrer l’impossibilité de la conquête des syndicats réactionnaires.

Il est vrai, c’est là une tâche très difficile ; il est bien probable que, dans toute une série de pays, on ne saurait obtenir la victoire définitive sur tout le front dans ce domaine qu’au cours du processus de la révolution Socialiste, après la conquête du pouvoir.

Il y avait des cas analogues chez nous aussi ; mais, nous n’avons jamais renoncé au travail dans les syndicats menchéviks. C’est une appréciation trop pessimiste de la situation que de parler de l’impossibilité de la conquête.

L’appareil d’Etat bourgeois n’est pas constitué par des ouvriers. L’appareil syndical, au contraire, est tel que si, à son sommet, il se forme un groupe de bonzes, les couches de base sont constituées par la masse des ouvriers organisés syndicalement.

On n’arrivera pas à « conquérir » toute la machine ; on conquerra la base, les comités d’usine, les divers chaînons de l’appareil ; ayant brisé le front en un endroit, on pourra ensuite poursuivre la victoire. Avec l’aide des masses, on pourra élargir cette brèche sur certains secteurs de ce front syndical.

Peut-on considérer cela comme une destruction de l’appareil ? Oui, dans un certain sens. En balayant les chefs réformistes et en les remplaçant par les nôtres, nous réorganisons l’appareil. Toute conquête de tel ou tel appareil signifie dans une certaine mesure son « épuration », sa réorganisation, Cela est clair. Mais, l’analogie théorique entre les syndicats et l’Etat n’est pas fondée.

Dans la célèbre brochure La maladie infantile de gauche du communisme, Lénine a posé assez nettement la question de la nécessité du travail dans les syndicats réactionnaires.

Les arguments de Lénine sont bien connus. Il faut éviter de tomber d’un extrême dans l’autre. Il faut, d’une part, combattre l’opposition au moyen des décisions du IVe Congrès de l’I.S.R. On a raconté ici des cas révoltants qui se sont produits au sein du parti communiste allemand. Nous devons aussi combattre les mots d’ordre tel le contrôle ouvrier de la production, lorsqu’ils sont lancés en dehors d’une situation révolutionnaire (c’est là un danger très sérieux).

Contre des tendances aussi prononcées de droite, il faut lutter en premier lieu. Il ne faut cependant pas tomber dans l’extrémité opposée et nier toute possibilité d’un travail fertile dans les syndicats réactionnaires.

Le travail dans les organisations de masses

La proposition que nous avons émise lors de la discussion de la question de la jeunesse garde toute sa force dans son application au travail syndical. Nous avons exigé de la jeunesse qu’elle aille avec sa propagande dans les organisations de masse ou il y a des travailleurs, sans se laisser arrêter par la considération que ces organisations ne sont pas communistes, ni même simplement révolutionnaires.

A notre époque de lutte renforcée contre la social-démocratie (sans cette lutte acharnée, nous ne saurions faire avancer notre cause), devant les perspectives de guerre, la pénétration dans les masses du prolétariat est une condition indispensable de notre succès. Sans la réalisation de cette condition, nous ne concevons même pas notre existence en tant que parti communiste. Les seuls espoirs optimistes, quant à l’augmentation de notre influence, ne suffisent pas.

Nous saluons chaleureusement cette augmentation d’influence, mais nous connaissons tous la disproportion qui existe entre l’influence de notre parti et la consolidation organique de cette influence. La suppression de cette disproportion exige de nous un travail énergique dans les syndicats et dans les autres organisations de masse. Le camarade Willi Münzenberg a dit avec beaucoup de justesse que nous devons accorder la plus grande attention aux organisations de masse.

Les formes de ces organisations sont très variées et cependant, partout, nous devons y occuper nos positions. Soit dit en passant, le camarade Münzenberg m’a très injustement reproché de sous-estimer l’importance de la Ligue anti-impérialiste.

J’ai, dans mon rapport, polémisé précisément contre les tendances de liquidation de certains camarades A l’égard de cette Ligue, ces tendances de liquidation cherchent à se baser théoriquement. Les partisans de ces tendances disent que ce sont là des organisations non purement communistes, que ce ne sont même pas des organisations de prolétaires, qu’il y a là beaucoup d’intellectuels, de représentants des mouvements nationaux-révolutionnaires qui nous trahiront demain, etc.

Les adversaires du travail dans ces organisations craignaient que ces institutions amorphes, non communistes, ne viennent à « remplacer » les partis communistes. La « Ligue anti-impérialistes », les « groupes d’unité », sont au nombre de ces organisations.

Peuvent aussi être rangés dans ce nombre les délégations d’ouvriers ou autres en U.R.S.S. avec ou sans participation d’intellectuels. Certains camarades redoutent que ces organisations n’éliminent le parti communiste. Il va sans dire que si l’on concevait ces organisations comme des institutions devant remplacer le parti communiste, ce serait trahir le communisme.

C’est une chose qui va de soi. Mais, qui est-ce donc qui considère les choses de la sorte? Nous n’estimons pas ces organisations comme un succédané des partis communistes, mais comme des points d’appui pour notre action sur les grandes masses. Le camarade Münzenberg m’a reproché de n’avoir pas vu, par manque d’informations, disait-il gentiment, la manifestation grandiose de la Ligue au Mexique. En effet, camarades, je n’ai pas touché à cette question.

Mais, est-ce que le Mexique rachète tous les péchés ? Ainsi, par exemple, je ne vois pas que la Ligue ait effectué le travail positif indispensable dans la question chinoise.

Dans ce domaine, elle a fait bien peu de choses. Le camarade Münzenberg sait mieux que bien d’autres les faiblesses d’organisation de la Ligue. Je rappelle les lacunes de la Ligue, non pas que je propose de lui enlever notre appui, mais au contraire, pour l’aider dans son travail. Ce n’est pas Willi Münzenberg qui est coupable ici. Nous le sommes tous.

Nous avons très peu soutenu la Ligue, nous ne lui avons pas accordé un appui suffisant. Nos partis ne l’ont pas suffisamment aidée. Ce sont là des faits évidents et nous devons en tirer les conclusions qui s’imposent.

Le problème des organisations de masse est un: des plus essentiels et le prochain Plénum devra élaborer une série de mesures pratiques pour résoudre correctement cette question. La ligne politique: est claire, mais nous manquons d’expérience pratique.

Plus d’une fois, nous avons adopté des résolutions sur cette question, que nous avons étudiées d’innombrables fois. Ces résolutions existent, mais la pratique ne correspond pas à ces décisions, c’est un fait.

Le chômage

On s’est arrêté avec raison sur le problème du chômage. Un certain nombre de camarades, notamment le camarade Hannington, en ont parlé. Il est indispensable de développer le point correspondant dans les thèses et d’accorder à cette question la plus vive attention.

Hier a eu; lieu ici une discussion sur la question du chômage en rapport avec les problèmes spéciaux concernant l’Amérique.

Le camarade Lominadzé a lancé un certain nombre de reproches à l’adresse du camarade Varga. Il a dit, d’une part, que le camarade Varga révise les principes fondamentaux de Marx lorsqu’il parle de la diminution du nombre des ouvriers occupés par un travail productif. En réalité, il n’y a, il ne peut, y avoir rien de pareil.

D’autre part, le camarade Lominadzé a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec moi, quand je disais que pour la première fois dans l’histoire, quelque chose d’analogue se produisait, car un nombre considérable de faits de ce genre sont indiqués chez Marx.

Je crois qu’il faut faire un choix parmi ces deux thèses : ou bien, quelque chose d’analogue existait et existe encore, ou la chose est impossible. (Lominadzé : « Il n’y a pas de loi de développement »).

Oui, il n’y a point de loi de développement (Interruption du camarade Lominadzé : « C’est contre Varga que j’ai dit cela »). Oui, mais vous avez polémisé aussi contre moi.

En ce qui concerne la seconde thèse, elle exclut la première. Ici, le camarade Lominadzé voudrait être de plusieurs noces à la fois.

Mais, voyons ce qu’il en est au fond. Une diminution du nombre des ouvriers est-elle possible en général ? Elle est possible de même que les cas isolés cités par Marx dans le tome I du « Capital ».

Ce n’est pas n’importe qui, mais bien l’économiste français assez connu, Ganilh, dont a parlé le camarade Lominadzé, qui a développé là-dessus toute une théorie, dont la substance est que plus le capitalisme se développe, plus le nombre des ouvriers se réduit tandis que le nombre des capitalistes augmente au contraire. Ce serait donc que les ouvriers se transforment en capitalistes. 

Marx a déclaré que c’était là une blague, une construction ridicule et pourrie. Mais, s’agit-il de quelque chose d’analogue dans le cas « américain » ? Est-ce que Varga se solidarise avec Carver (et Ganilh) ? Est-ce que Varga a affirmé que les ouvriers deviennent des capitalistes ? Dieu l’en garde !

Varga a dit qu’ils devenaient des chômeurs. Il n’y a donc pas trace de Ganilh ici. Qu’on laisse donc Ganilh tranquille ! Ensuite, on trouve chez Marx l’indication de cas isolés d’usines isolées où le nombre des ouvriers diminue. Est-il possible que la même chose se produise à présent (pour la première fois ! !) pour tout un pays, ne serait-ce que pendant une période déterminée ?

Je crois que cela est possible. Il est possible qu’un pays quelconque occupe une position exceptionnelle dans l’économie mondiale, qu’il se distingue par quelque particularité spécifique du développement, de la même façon que se distinguèrent certaines usines ou certaines régions de l’industrie anglaise du temps de Marx. Il serait imprudent et faux de notre part de tirer à présent du développement capitaliste une « nouvelle loi naturelle ».

Premièrement, nous disposons de trop peu de matériel empirique pour nous permettre une telle généralisation, mais on peut toujours parler des faits existants. Un pays occupe une position exceptionnelle, dans toute l’économie mondiale.

Ce sont les Etats-Unis. Il est bien compréhensible qu’un pays possédant des forces économiques aussi énormes, un pays où le progrès technique se réalise suivant un rythme si rapide, ne suive pas la ligne moyenne générale et que nous y ayons, de temps en temps, des soubresauts assez violents. C’est-ce qui se produit précisément en Amérique.

Mais, qu’est-ce à dire ? Le résultat de toute l’analyse est que nous observons divers processus déterminant le chômage : renforcement du chômage par suite de dépressions, de crises, renforcement du chômage comme conséquence de la rationalisation ; enfin, une réduction spasmodique du nombre absolu des ouvriers sur la base d’un développement technique à grands sauts, tel qu’il a lieu aux Etats-Unis.

Je ne suis pas du tout d’accord avec la proposition émise ici par beaucoup de camarades affirmant que les possibilités intérieures de l’impérialisme américain « sont épuisées ». Elles ne sont pas encore épuisées et je suis contre ce point de vue : théoriquement et en principe, cela n’est pas exact, c’est la théorie de Luxemburg. (Interruption : « C’est Varga qui l’a dit ».)

Oui, Varga l’a dit, mais sur cette question, je ne suis pas d’accord avec Varga. Cette théorie est la répétition de celle de Rosa Luxemburg ; elle est fausse. Ce qui est vrai, c’est que dans les conditions actuelles du marché, dans un pays comme les Etats-Unis, tout placement de capital supplémentaire n’est pas aussi lucratif, rentable que dans l’Amérique du Sud par exemple ?

Et ce problème n’est pas aussi simple que le pensent certains camarades. Il est au contraire très compliqué. Voici donc quelles sont nos conclusions générales : il y a actuellement des causes diverses au chômage, et ces causes doivent être analysées.

Chômage se développant en période de dépression, chômage déterminé par le processus de rationalisation, même en période de courbe ascendante de développement, courbe rapidement ascendante dans les conditions de progrès technique extrême. Prenons par exemple le chômage anglais et américain.

Ce sont là deux types très différents de chômage. Naturellement, comme communistes, nous considérons tous ces aspects du chômage comme des produits du développement des contradictions du capitalisme. L’augmentation de ces contradictions, nous les utilisons dans un but d’aggravation de la lutte des classes.

La question paysanne

Et maintenant, quelques mots sur la question paysanne. Les observations critiques faites sur cette question par le camarade Kolarov, par les camarades italiens, balkaniques, sud-américains, persans et quelques autres sont, à mon avis, parfaitement fondées. Mais, de mon côté, je puis reprocher à tous ces camarades de n’avoir pas dit un mot sur la question du prolétariat agricole.

Or, ce problème est particulièrement sérieux dans les Etats européens capitalistes développés, Comment la question paysanne se pose-t-elle à présent dans son ensemble ?

Je pense que la façon dont nous avons posé cette question en 1925 dans les résolutions respectives, reste juste pour la période actuelle. Avec le début de la stabilisation partielle du capitalisme, je pense que dans les pays de l’Europe occidentale hautement développés, le travail parmi les paysans est devenu pour nous objectivement beaucoup plus difficile.

Les grandes masses de la paysannerie, — non de la paysannerie paupérisée de Chine, de Russie ou de Roumanie, mais la paysannerie du type « moyen » et « sous-moyen » de l’Europe occidentale (Allemagne, France, Tchécoslovaquie, etc.) — se trouvent à l’état de grande fermentation au moment d’un ébranlement considérable de tout l’organisme capitaliste.

On ne saurait établir une analogie entre les paysans chinois et les paysans allemands, entre notre paysan moyen et le paysan moyen allemand. Ce sont là des catégories sociales absolument hétérogènes ; ce sont d’autres paysans.

Lénine en a déjà parlé au second congrès en soulignant énergiquement cette différence. Sous l’influence de la guerre, des grandes secousses en Europe occidentale, ces couches ont aussi été ébranlées. Mais, dans les conditions actuelles, de stabilisation, le travail parmi cette paysannerie dans les grands pays capitalistes sera, il me semble, très difficile.

C’est pourquoi nous devons souligner plus énergiquement l’importance du travail parmi les travailleurs ruraux. Dans divers pays, une offensive est actuellement en cours sur toute la ligne contre le prolétariat agricole.

En même temps, dans un certain nombre de pays d’un autre type, la question agraire s’est vivement aggravée : les événements dans les Etats balkaniques, et particulièrement en Roumanie, nous ont montré que cette question acquiert une importance spécifique et que pour cette raison, nous devons la poser pour ces pays comme la question principale de notre politique.

Nous devons faire de même par rapport aux pays coloniaux où nous pouvons compter sur une situation directement révolutionnaire dans un avenir plus ou moins rapproché ; ainsi, par exemple, la question paysanne est actuellement le problème central de la révolution en Chine. Nous devons consacrer une attention spéciale à la question paysanne aussi dans les pays sud-américains. 

Presque dans tous les pays de l’Amérique du Sud, il y a une structure spécifique du pouvoir d’Etat (ce sont les gros propriétaires fonciers, les possesseurs des latifundia qui sont au pouvoir dans ces pays). Dans une partie de ces pays, il y a des latifundia qui se trouvent sous un régime mixte d’exploitation capitaliste et de méthodes féodales-esclavagistes.

Des conditions analogues se rencontrent aussi dans certaines colonies exotiques avec leur système de plantations régies par des lois exceptionnelles spéciales, par exemple les lois contre les nègres, etc. La question paysanne joue un rôle énorme, parfois même décisif, en Indonésie aux Indes, en Afrique du Sud (expropriation des noirs). Pour certains de nos partis dans ces pays, la question paysanne est fondamentale, essentielle. En Pologne, pour prendre un pays européen, ce problème a également la plus haute importance.

Cependant, les camarades qui ont parlé sur cette question n’ont presque pas apporté de propositions concrètes. Je rappelle parmi ces propositions, une seule dont le sens se résume en ce que nous devons réviser le point de vue adopté par nous en 1925 à l’égard des partis paysans. L’auteur de cette proposition préconise que, dans les conditions objectives indiquées (conditions de l’importance extraordinaire de la question paysanne dans divers pays), nous devons organiser des partis paysans.

Je ne suis pas d’accord avec cette proposition et je pense qu’il n’y a pas la moindre raison de l’adopter. Les arguments apportés en faveur de cette proposition ne sont pas très convaincants.

On nous dit que puisque nous devons accorder une plus grande attention à la question paysanne, surtout dans les divers pays coloniaux et semi-coloniaux, dans les pays de l’Amérique du Sud, il s’ensuit la nécessité d’organiser des partis paysans. Mais, pourquoi donc ?

Nous avons déjà étudié cette question et nous l’avons résolue dans ce sens qu’il fallait organiser des syndicats paysans, conquérir l’influence dans ces syndicats et les contrôler par l’intermédiaire de nos fractions. Il me semble que cette orientation était absolument juste et qu’elle le reste à présent. Pourquoi avons-nous besoin de partis paysans spéciaux ?

Que signifie la création de partis nouveaux si l’on envisage cette question dans la perspective du développement de révolutions bourgeoises nationales dans les colonies et leur transformation en révolutions socialistes ? Cela signifierait une concurrence pour le parti communiste. Pour le parti du prolétariat.

Vous ne pouvez pourtant pas poser la question ainsi : pour le moment, nous « autorisons » ce parti et ensuite, nous « l’écartons », nous le liquidons sans discussion. Non, camarades, un tel parti se développerait et se transformerait en fin de compte, en parti faisant concurrence au parti communiste.

Naturellement, dans les cas où le parti paysan existe déjà, nous devons chercher à le conquérir, à le soumettre à notre influence. Mais, là où la question de l’organisation de la paysannerie se pose pour la première fois, il me semble qu’il vaudrait bien mieux que nous organisions des syndicats paysans puisque, par cette voie, nous pourrions organiser des masses bien plus vastes de paysans et nous serions en mesure d’entraîner derrière nous, par une voie bien plus sûre, les couches laborieuses de la paysannerie.

Une telle forme d’organisation paysanne peut amener plus de membres et les soumettre bien plus facilement à l’influence du parti communiste prolétarien. Voilà les raisons politiques qui s’opposent à l’adoption de la proposition considérée.

C’est ainsi que déjà, autrefois, nous avons résolu cette question et c’est ainsi que nous avons motivé notre ligne politique. Il n’y a pas la moindre raison actuellement de nous en écarter.

Importance du travail dans l’Amérique du Sud

Permettez-moi de m’arrêter encore sur quelques questions.

Avant tout, je tiens à faire ressortir le problème des pays de l’Amérique du Sud. Nous avons dit que pour la première fois au congrès actuel, les partis de l’Amérique du Sud, étaient aussi largement représentés.

Cela prouve naturellement l’extension de notre mouvement dans les pays de l’Amérique du Sud. Ces pays sont actuellement d’une particulière importance pour nous puisqu’ils jouent un rôle très grand, quoique extrêmement spécifique, dans la politique mondiale.

Nous avons déjà indiqué l’agressivité croissante du capitalisme de l’Amérique du Nord en Amérique du Sud, nous avons également fait allusion à la guerre d’affranchissement du Nicaragua contre l’invasion impérialiste des Etats-Unis de l’Amérique du Nord. Nous savons tous parfaitement l’importance énorme de la résistance du Mexique, nous savons aussi que cette résistance; et ce puissant mouvement populaire contre l’impérialisme de l’Amérique du Nord augmentent à présent dans toute une série de pays de l’Amérique du Sud.

Nous savons parfaitement que ce problème se complique de certains problèmes intérieurs dans les pays en question, surtout du problème agraire et de la lutte contre le féodalisme.

Il y a diverses tendances dans nos milieux sur la question de la ligne tactique dans les pays américains. Je ne saurais donner, en ce moment une réponse à ces questions discutées.

Je voudrais seulement faire ressortir que, du point de vue de la lutte contre la guerre et contre l’impérialisme, plus généralement du point de vue du développement de puissantes révolutions populaires et agraires, dans lesquelles, sans doute, se manifestent aussi des tendances de transformation de ces révolutions en révolutions socialistes, tout le : complexe des problèmes sud-américains acquiert chaque jour une importance toujours plus grande.

La question noire

Il faut encore faire ressortir l’importance du problème noir. Sur cette question, l’I.C. a adopté toute une série de résolutions. Il n’en reste pas moins que les partis respectifs n’ont pas accordé, jusqu’à présent une attention suffisante à cette question.

Presque tous nos camarades noirs déclarent en outre que les préjugés du chauvinisme de races ne sont pas encore tout à fait déracinés à leur égard. Je ne conteste pas ce fait.

Si, sur des questions nationales de moindre importance, par exemple en Europe occidentale, nous avons au sein des partis communistes aujourd’hui encore des tendances diverses, comment pouvons-nous croire que des distinctions de race et de culture aussi puissantes puissent ne laisser aucune trace an sein des partis communistes ?

On peut observer le ton incorrect pris au cours des discussions de telle ou telle question concernant les problèmes noirs, même dans les commissions de l’I.C. ; j’ai été témoin de ce fait lors de la discussion de la question de l’Afrique du Sud.

Il faut absolument et tout de suite modifier énergiquement cette situation. Au nom du congrès, nous devons dans nos thèses, imposer à tous nos camarades l’obligation de mener sur ce terrain la ligne politique juste, de combattre implacablement la moindre manifestation « de chauvinisme de race ».

La question noire doit être étudiée non seulement sous l’angle de la situation dans l’Amérique du Nord, mais aussi, par exemple, du point de vue de la situation dans l’Afrique du Sud, etc.

La question de la situation aux Indes

Quelques mots au sujet des Indes. Certains camarades hindous ont polémiqué avec moi, je dois donc leur répondre. Ainsi, par exemple, le camarade Raza a objecté contre la caractéristique que j’ai donnée de la situation économique actuelle aux Indes. Il a déclaré que j’ai eu tort de ne pas dire un mot de l’industrialisation des Indes.

Je dois cependant faire remarquer au camarade que, dans la création de la théorie « de la décolonisation des Indes », les camarades hindous ont cherché à s’appuyer sur un seul de mes discours où je ne disais rien, il est vrai, de la décolonisation des Indes, tout en faisant cependant remarquer que, dans ces pays, nous constations de puissants investissements de capitaux étrangers.

Et maintenant, parlons de mon rapport. Est-ce que je n’y ai vraiment rien dit de l’industrialisation des Indes ? Je n’ai pas employé le mot « d’industrialisation », mais, puisque j’ai parlé de grands investissements de capitaux pendant la période de guerre et d’après-guerre, c’est donc que j’ai parlé de la question même de l’industrialisation. D’ailleurs, ce n’est pas là le moment décisif dans l’étude de la situation actuelle aux Indes.

Le moment décisif, c’est la question suivante : y a-t-il à présent volte-face dans la politique de impérialisme anglais ou non ? Y a-t-il une certaine transformation dans la politique économique de l’impérialisme britannique ? Je crois que, précisément, au cours de ces temps derniers, l’afflux du capital anglais a considérablement diminué.

Nous ne constatons plus, en ce moment, le rythme fiévreux d’autrefois dans l’investissement du capital, la courbe ascendante des grands investissements. C’est pourquoi il n’y a plus, aux Indes ce processus de développement économique forcé, constaté autrefois. Un changement certain s’est produit ces temps derniers sous ce rapport.

C’est pour cela précisément que se poursuit le processus d’appauvrissement, de paupérisation qui fait que les paysans se transforment en ouvriers de la ville et en mendiants dans les campagnes, mendiants dépouillés et enchaînés de tous côtés ; c’est pourquoi dans ces conditions, le marché intérieur n’augmente pas et que le développement industriel est également freiné, écrasé qu’il est en outre par la concurrence anglaise dans laquelle les privilèges de la métropole britannique se manifestent par toute une série « de droits et d’avantages ».

Tels sont les traits spécifiques de la situation aux Indes. Le camarade Raza a dit que l’Angleterre cherche à corrompre les couches supérieures de la paysannerie. Cela est vrai. Mais il me semble que le camarade Raza exagère ce processus.

En réalité, un processus de paupérisation continue se produit et c’est là le fondement des explosions révolutionnaires à venir. C’est également là la raison des « frondes » bourgeoises contre l’impérialisme britannique. J’ai parlé précédemment de la tactique aux Indes.

Le soulèvement de Vienne et la social-démocratie « de gauche »

En ce qui concerne les plus petits partis, je crois de mon devoir de dire quelques mots particulièrement sur la question autrichienne. Certains camarades m’ont demandé si le silence que j’ai gardé au sujet du soulèvement viennois du mois de juillet ne signifiait pas que nous avons modifié notre point de vue sur cette question.

Ainsi que tous les camarades le savent, nous avons étudié en son temps la question autrichienne et nous avons pris énergiquement position contre le parti communiste frère autrichien.

Dans la résolution que nous avions adoptée, nous indiquions que le soulèvement de Vienne était effectivement un mouvement révolutionnaire de masse très puissant et que notre parti aurait dû obligatoirement lancer le mot d’ordre des soviets, diriger le soulèvement avec ce mot d’ordre, etc. Tous les camarades connaissent sans doute cette résolution.

Il me semble que nous n’avons aucune raison de réviser notre point de vue d’alors. C’est une autre question que de savoir si ce mouvement n’était pas quelque peu isolé dans la phase qu’il avait atteinte. Les masses du prolétariat allemand ou tchécoslovaque ne pouvaient être invitées à faire la grève générale et on ne pouvait déclencher parmi elles une manifestation décisive de masse.

De ce point de vue, le soulèvement de Vienne fut, dans une certaine mesure, isolé. Cependant, avec le développement ultérieur des événements, nous aurions pu avoir aussi une autre situation. C’était là une chose parfaitement possible. Qui peut assurer que si les événements s’étaient développés, nous n’aurions pas eu de grandes fermentations en Allemagne, en Tchécoslovaquie ?

Une telle éventualité ne pouvait être exclue à priori. La thèse de l’isolement, quoique relatif, ne pouvait nullement être donnée comme un argument contre notre tactique révolutionnaire en Autriche. Avions-nous à ce moment-là, du point de vue de notre parti autrichien, la possibilité de développer davantage ce mouvement ? Je le crois.

Le parti a commis une erreur en ne favorisant pas la création d’organisations de masse sous forme de soviets. Il avait la possibilité de le faire et il a commis la grosse erreur de laisser passer le moment opportun. La résolution du Plénum du C.E. de l’I.C. est à mon avis absolument juste.

C’est une autre, question que de savoir-dans quelle mesure des événements analogues sont probables dans la situation actuelle. Je considère qu’une telle perspective n’est pas particulièrement vraisemblable. Mais, c’est là une toute autre question.

Les événements d’Autriche ont souligné avec une force particulière la justesse de la thèse sur le rôle des social-démocrates « de gauche », qui constituent les ennemis les plus dangereux du prolétariat révolutionnaire.

VI. Certains problèmes de tactique et de la vie intérieure des partis

Le changement de tactique et le danger de droite

A présent, quelques mots sur les affaires intérieures des partis. Camarades, il est absolument évident maintenant, après la défaite de l’opposition trotskiste qui représentait le bloc de la droite et de l’extrême-gauche, que le principal danger nous vient actuellement de la droite. Ce danger est assez grand, tant au point de vue des tâches actuelles qu’au point de vue des tâches futures.

On a déjà parlé maintes fois ici de ce danger, au point de vue de la période en cours, on en a parlé en ce qui concerne le Parti allemand à propos du travail syndical, on en a parlé en ce qui concerne le Parti tchèque à propos de la « Journée Rouge », on en a parlé à propos de l’opposition à laquelle se heurte notre « nouvelle tactique » en France, etc. Le danger de droite est un fait dangereux, non seulement au point de vue des intérêts du moment actuel, mais au point de vue de demain. Nous ne devons pas perdre ceci de vue.

Prenons la question tchèque. Le Parti s’efforça de mobiliser les masses, mais il ne fut pas en état de le faire. Ce fut en quelque sorte une mauvaise répétition des événements à venir. Le diagnostic de la maladie intérieure a été posé ; cette maladie fut assez sérieuse.

A présent nous devons établir nos calculs de sang froid. Je ne suis pas partisan de pousser des cris au sujet du danger de droite et des déviations de gauche. J’estime que durant l’année qui vient de s’écouler, l’Internationale communiste a procédé à un grand changement, — un grand, et non pas un petit. — en premier lieu en ce qui concerne les partis anglais et français.

Le camarade Lominadzé a tort de dire: que seul fut effectué un petit changement vers la gauche. Il me semble que c’est un grand changement à gauche qui a été effectué, en particulier dans le Parti anglais.

Ceux qui connaissent la vie intérieure du Parti britannique comprennent que nous avons rompu avec toutes les vielles traditions qui existaient dans le mouvement ouvrier anglais et avaient aussi une grande influence sur le Parti. (Une voix : « En France aussi ! »)

Oui, en France aussi. Mais je ne puis en même temps parler de deux pays à la fois. Je continue. La plus forte tradition qui existait dans la classe ouvrière anglaise était celle du « travail unique organisé ». Cette « unité » fut un grand atout entre les mains des réformistes. Mais utilisant ce mot d’ordre d’une façon trompeuse, ils purent lutter contre les idées révolutionnaires, contre le Parti révolutionnaire, etc.

Cette « unité » (des ouvriers révolutionnaires avec les loups réformistes) fut le plus grand obstacle à l’affranchissement du prolétariat de l’influence des réformistes, qui menèrent ouvertement une politique éhontée d’exclusion et de scission, se couvrant, d’une part, de la police, d’autre part, de grandes phrases sur l’unité. Cette tradition était si profondément enracinée au sein du prolétariat anglais, que certains de nos meilleurs camarades considéraient comme absolument impossible la pensée même d’une lutte simultanée contre le gouvernement Baldwin et contre le Labour Party. 

Le plus grand danger, disaient-ils, est le gouvernement Baldwin, et l’on ne peut lutter contre lui qu’en établissant le front unique de toute la classe ouvrière: mais cette dernière est sous l’influence du Labour Party, par conséquent ce n’est qu’avec l’aide de ce dernier que nous pouvons renverser le gouvernement Baldwin.

Telle était l’orientation première. De là découle le mot d’ordre adopté par le Congrès du Parti, mot d’ordre du « gouvernement ouvrier contrôlé par le Comité Exécutif du Labour Party ».

Ensuite, les camarades anglais procédèrent à un brusque changement, non pas sans l’influence du C.E. de l’I.C. Ainsi, lorsqu’on est parvenu à obtenir ce changement, comment ne peut-on pas voir ce que cela signifie pour toute la vie du Parti ? Nous avons réalisé ce changement sans cris inutiles, sans stigmatiser des camarades, nous l’avons réalisé par la persuasion et une longue discussion fraternelle et honnête avec les camarades.

Il en sera d’autant plus solide, malgré les frottements inévitables. Ce changement de tactique est un gros événement dans l’histoire du mouvement ouvrier anglais.

Nous savons tous parfaitement qu’il existait aussi dans le parti français des traditions parlementaires, profondément ancrées. N’est-il pas vrai qu’il y a quelques mois à peine, les traditions parlementaires se sont manifestées, par exemple, dans la question de la loyauté envers l’Etat (sur la question des arrestations) ?

Etait-ce l’effet du hasard ? Était-ce un fait superficiel ? Non, ces tendances ont de profondes racines dans les cadres du Parti. Et lorsque deux mois plus tard, nous procédions à un changement radical et lancions le mot d’ordre « classe contre classe », le mot d’ordre « ne pas voter pour le Parti socialiste », c’est là, camarades, non pas un petit, mais un grand changement dans la tactique du Parti français. Ici aussi, ce changement fut effectué sans paroles vaines, mais avec l’appui de la base du Parti, par la persuasion des camarades hésitants et par la lutte contre ceux qui persistaient dans leur erreur.

Cette tactique ne fut pas réalisée sans frottements, sans conflits intérieurs, sans difficultés. Mais le tournant accompli par le Parti communiste français est un tournant de principe. Il est le plus grand tournant de principe dans l’histoire du Parti français depuis sa fondation. Je ne veux pas dire, naturellement, que le P.C.F., que le Parti communiste britannique et l’I. C. ont accompli un « haut fait » quelconque.

Mais si l’on examine cette question d’une façon absolument objective, n’est-ce pas un grand tournant qui a été effectué dans la tactique des deux grands Partis ? Je pense que oui. Et ce tournant n’est-il pas un coup décisif contre le danger de droite ? Naturellement, il en est ainsi. Ce changement de tactique n’est-il pas un morceau de papier de tournesol grâce auquel on peut tirer au jour le danger de droite dissimulé ?

Naturellement, il en est ainsi. Ceci explique l’opposition de droite, les différents doutes sur la justesse de cette tactique. Ceci explique la lutte contre cette tactique. Le meilleur moyen de lutte contre les courants de droite dans les Partis français et anglais est l’emploi rationnel de ce que l’on appelle la « nouvelle tactique »

Comme je l’ai déjà dit, le danger de droite peut encore s’accentuer à l’avenir. Pourquoi ? Il n’est pas impossible que se produise le fait dont Lénine a parlé dans l’article que j’ai cité, à savoir qu’une partie de notre presse ne sera pas à la hauteur de la situation. Cette chose n’est nullement impossible. Jusqu’à quel point ira cette position erronée, c’est là une autre question.

Mais il ne s’agit pas seulement de la presse : on peut dire la même chose au sujet de certaines organisations du Parti également. Où est la garantie que dans la période d’un danger direct de guerre, lorsque nous aurons à résoudre différents changement de tactique d’un tout autre genre, certaines « déviations » ne se manifesteront pas ?

Il faudra alors procéder à une série de changements dans notre tactique, dans les questions d’organisation, dans notre attitude envers la question du travail légal et illégal et autres.

Où est la garantie que dans certains partis il ne se produira, pas de scission, des faits et événements rappelant une crise ? Il est probable que de pareilles déviations auront lieu. En premier lieu, elles proviendront, naturellement, des milieux d’extrême-droite dans les différents partis.

C’est pourquoi, si nous analysons la situation existant actuellement et nos perspectives, nous aboutirons dans la question de l’orientation à l’intérieur du Parti, à la déduction qu’il faut battre la droite sur tout le front, sur toute la ligne.

Les questions intérieures des Partis

Les différents cas d’infraction à la discipline, derrière lesquels se dissimule le danger de droite, sont inadmissibles. Nous devons mener contre eux une lutte énergique.

Mais en même temps, je dois déclarer : le problème de la lutte la plus énergique contre la guerre, de la lutte la plus acharnée à l’intérieur du Parti contre le danger de droite, ne supprime nullement le problème de l’unité du Parti, le problème de la réalisation sensée de cette lutte, d’un genre de tact à l’intérieur du Parti.

En Allemagne, nous avons aussi un danger de droite. Dans nos thèses, nous proposons de lutter énergiquement contre lui. Dans nos thèses, nous proposons de liquider systématiquement l’attitude conciliante envers les dangers de droite. Mais, en même temps, nous devons par tous les moyens grouper les camarades qui se trouvent sur la plate-forme du Congrès d’Essen, des décisions de l’I.C. et des promesses de mener une lutte implacable contre le danger de droite. (Une voix : « Mais cela se fait ».)

La délégation du P.C. de l’U.R.S.S. m’a chargé de déclarer, — en ce qui concerne le Parti allemand, — que nous nous prononcions contre les tentatives d’évincer le camarade Ewert de la Direction du Parti. Je dois dire cependant que les camarades allemands de la Direction n’ont pas cette intention.

Nous voulons créer ici, au Congrès, des conditions excluant toute possibilité de fissure au sein des organes de Direction actuels. Tous les camarades doivent agir sur la base d’une discipline stricte, de la subordination stricte de la minorité à la majorité.

Sans cette condition, il est impossible de mener une lutte politique. De nouvelles divergences et fissures dans la Direction, des scissions à l’intérieur de nos Partis, auraient des suites fatales. C’est pourquoi je présume que la condition fondamentale et nécessaire pour le succès de notre travail, doit être la discipline.

Nous avons vu en toute évidence comment cette question est particulièrement aiguë en Pologne. La consolidation, l’unité, la discipline, sont absolument indispensables au développement victorieux des événements révolutionnaires. Ces derniers temps, nous avons eu au sein de l’I.C. différentes périodes de crise.

Ces périodes que certains partis ont traversées, ont une très mauvaise influence sur les masses ouvrières. Ces crises ne peuvent être liquidées que grâce à une ligne politique déterminée et fermement réalisée.

C’est là la condition préliminaire et indispensable à tout le développement ultérieur. Il existe, par exemple, au sein de la minorité du Parti allemand certaines tendances à vouloir modifier la Direction. J’estime que ces tendances sont fausses.

Nous ne pouvons pas faire cela : ceci aboutirait à une lutte intestine dans le Parti allemand. Le C.E. de l’I.C. appuie entièrement et complètement le noyau du Bureau politique du C.C. qui s’est constitué historiquement avec Thaelmann en tête. Je présume que des questions comme celle de la démocratie à l’intérieur du Parti, celle des nouveaux cadres du Parti, celle du relèvement du niveau théorique du Parti, celle de l’animation des cellules de base, celle de leur travail de masse, etc. doivent être posées comme de grandes questions du Parti.

Les partis doivent apprendre beaucoup plus à vivre d’une véritable vie politique et à éloigner tous les politicaillons sans principe.

Prenons par exemple un parti comme le Parti polonais. Il s’y produit une lutte fractionnelle féroce dans l’absence de grandes divergences politiques. Prenons le Parti américain actuel. Ces derniers temps, tout au moins, il nous semblait que le Parti américain commençait à liquider ses frottements intérieurs.

Mais nous constatons que la lutte reprend de nouveau. Cette lutte a pris une telle « animation » que l’on veut utiliser la conjoncture actuelle pour continuer la lutte sous une forme plus intense. Existe-t-il de grandes divergences politiques ? Il me semble que dans le Parti américain ces divergences sont peu importantes. Leur ampleur justifie-t-elle la constitution de fractions ?

Je pense que non. Prenons un exemple, la fameuse question sur l’attitude envers l’impérialisme américain. Certains disent que l’impérialisme américain s’est fortement consolidé ; d’autres affirment que leurs adversaires, c’est-à-dire les camarades qui sont du premier avis, font de la « réclame à l’impérialisme américain ».

Pourquoi ces accusations ? Elles ne mènent à rien et n’expliquent pas la question. Pour son malheur, je ne pense pas qu’on puisse compter aux Etats-Unis sur une prochaine situation révolutionnaire. Je déclare cela ouvertement. Dans aucun pays du monde, le capitalisme n’est aussi puissant qu’aux Etats-Unis d’Amérique où il atteint son apogée. Lorsqu’un camarade quelconque déclare qu’une situation directement révolutionnaire est peu probable, qu’y a-t-il de terrible là-dedans ?

Mais lorsque l’on dit qu’il n’existe décidément aucune base pour le travail au sein des masses ouvrières américaines, c’est mal, naturellement. Mais autant que je le sache, personne n’affirme pareille chose.

Le chômage est un fait avéré ; les changements qui sont survenus dans l’industrie américaine, c’est aussi un fait ; l’effervescence parmi les ouvriers non-qualifiés, est également un fait. Existe- t-il une base pour le développement du Parti communiste? Oui, elle existe.

Mais peut-on justifier la lutte aiguë des fractions ? Non. Il faut prendre toutes les mesures indispensables pour prévenir cette lutte.

La question la plus difficile parait-être celle du Parti tchécoslovaque. Il est possible que nous ne possédions pas toutes les données pour procéder à une analyse exacte de la situation et élaborer les mesures adéquates ; cependant, le cas de la « Journée Rouge » est très symptomatique.

Dans le Parti tchécoslovaque les choses ne vont pas bien non seulement au sein de la Direction, mais aussi dans la base du Parti, dans tout le Parti ; l’état de choses est défavorable au point de vue de la ligne politique, de l’orientation fondamentale du Parti, et des sérieux vestiges social-démocrates.

C’est pourquoi il est absolument nécessaire qu’après ou pendant le Congrès, l’Exécutif s’occupe spécialement de la question tchèque pour prendre des mesures nécessaires non seulement à l’égard des organes de Direction, mais aussi à l’égard de l’orientation du Parti. Ces derniers temps, nous avons observé certaines erreurs dans le Parti tchèque.

Ces erreurs se sont manifestées, par exemple, dans le projet de loi sur les comités d’usines; dans le projet de vote en faveur de Masarik aux élections présidentielles ; dans d’autres questions où nous avons constaté une passivité de la part du Parti.

Mais à présent, on observe quelque chose de plus grave qu’une simple passivité. Ceci nous impose la tâche de procéder à une analyse très minutieuse et de prendre des mesures sérieuses pour l’assainissement du Parti.

Actuellement, où il nous faut consolider nos rangs par tous les moyens, il me semble que nous avons à résoudre une tâche importante, celle de l’éducation idéologique du Parti. 

Nous procédons avec insuffisamment d’énergie au travail d’éducation idéologique de nos Partis. A mon avis, une de leurs tâches est d’intensifier le travail intellectuel, la lutte idéologique, les discussions idéologiques, etc… Ceci est conforme à la ligne générale de notre développement.

Si, par exemple, nous devons nous préparer à la guerre, cela veut dire que nous devons procéder à une grande action de propagande tant parmi les ouvriers social-démocrates, que parmi les nôtres. Cependant, nous possédons très peu de littérature d’agitation et de propagande. Il est impossible par de grandes phrases seulement d’étendre notre influence aux ouvriers social-démocrates.

C’est pourquoi, dans la période où la guerre devient plus menaçante, il est absolument nécessaire d’animer la vie intérieure de nos Partis, d’intensifier l’activité des membres du rang du Parti, de créer les conditions qui leur permettent de se développer, qui permettent de produire de nouveaux cadres de militants actifs.

La discipline est notre loi. Cependant, camarades, je voudrais encore parler d’une lettre de Lénine non encore publiée, et adressée à moi et à Zinoviev. Dans cette lettre, Lénine nous écrivait : Si vous chassez tous ceux qui ne sont pas très obéissants, mais qui sont intelligents et que vous ne conserviez que les sots obéissants, vous mènerez certainement le Parti à sa perte.

Je pense que cette opinion de Lénine est très juste. Il nous faut une main ferme dans les organes de Direction de nos Partis, une main qui ne s’arrête pas devant l’exclusion de tout dissident. Mais en même temps, il nous faut dans les organes de Direction des Partis des hommes qui, nous l’espérons, y existent et sauront lutter, avec tact, contre tout membre intelligent du Parti pour le faire revenir dans la droite ligne du Parti.

VII. Conclusions

Camarades, je vais terminer. Il ne subsiste aucun doute sur ce que la situation internationale va s’aggravant. Nous allons vers une seconde guerre impérialiste mondiale. Cela ne veut pas dire que demain, par exemple, commencera la guerre contre l’U.R.S.S. Mais s’il faut parler du temps qui nous reste pour nous préparer, je dois déclarer qu’il nous en reste très peu.

C’est un fait immuable. Le temps qui nous reste, le répit qui nous est donné, doit être mis à profit avec toute l’énergie, avec toute la tension voulue des forces révolutionnaires pour renforcer notre Parti, pour gagner à notre cause les larges masses du prolétariat, pour attirer les larges couches de la paysannerie.

Ce sont là des tâches considérables et de toute importance. Nous ne pourrons pas les résoudre sans un travail tenace, sans une action de tous les jours, de toutes les minutes, de tous les instants.

Tous les camarades savent que dans ses instructions aux camarades qui se rendaient à la Conférence de La Haye, Lénine écrivit : « Ce qui importe, ce n’est pas de grandes phrases sur la grève générale, etc., c’est de se préparer systématiquement à l’éventualité de la guerre, de lutter systématiquement contre la menace de guerre, de lutter systématiquement contre la social-démocratie, de démasquer systématiquement ses sophismes, de préparer systématiquement l’organisation, etc. »

Nous ne pouvons y procéder sans une tension extrême des forces de nos Partis. Nous devons exiger de nos Partis et du C.E. de l’I.C. un renforcement du travail idéologique, une plus grande énergie dans le recrutement des membres, une amélioration de l’appareil de nos Partis, une amélioration du travail dans le domaine des questions quotidiennes, une nouvelle consolidation des Partis, un redoublement d’énergie de la part de nos organisations de jeunes dans le recrutement de nouveaux membres, une action plus énergique dans les colonies, dans l’armée, une préparation pour passer à une situation illégale.

Penser que nous continuerons à vivre d’une façon relativement « tranquille » comme maintenant, c’est se plonger dans des illusions. En outre, nous devrons prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’il n’arrive pas à nos Partis le même malheur qui est arrivé au Parti tchécoslovaque lors de la « Journée Rouge ».

Camarade, l’Internationale Communiste est née de la guerre.

L’Internationale Communiste a remporté plus d’une grande victoire. Le plus grand succès du prolétariat mondial est la formation de l’Union Soviétique. Si la bourgeoisie déchaîne la guerre, le prolétariat conquerra finalement le monde.

Ce n’est nullement un point de vite pessimiste. Au contraire, avec Frédéric Engels, nous autre, communistes, déclarons à toute la classe dirigeante : Essayez, messieurs, de déchaîner les forces et les horreurs de votre guerre !

En réponse, l’Internationale Communiste serrera ses rangs pour la révolution, pour la guerre civile, pour le triomphe de la dictature du prolétariat ! (Vifs applaudissements. Tous les délégués se lèvent et font une ovation à l’orateur.)

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de l’Internationale Communiste

Rapport sur l’activité du C.E. de l’I.C. au sixième congrès de l’Internationale Communiste

[Boukharine]

Deuxième séance

(18 Juillet 1928 — après-midi)

I. Analyse générale du capitalisme contemporain et formes particulières de la crise capitaliste

Les trois périodes du développement d’après-guerre

Chers camarades,

Depuis le dernier Congrès de l’I.C., nous avons vécu bien des choses. Pour mieux comprendre ce qui s’est passé, pour mieux tracer les perspectives, il est nécessaire de considérer l’étape que nous avons passée, non pas séparément, non pas isolément, mais en liaison avec les étapes précédentes. Pour l’évaluation générale de tout le développement d’après-guerre, il est bon de diviser cette époque en trois périodes.

La première, c’est la période de la crise révolutionnaire aiguë, surtout dans les pays d’Europe. C’est dans cette période que le développement révolutionnaire atteignit son point culminant. Une vague révolutionnaire puissante déferla alors sur toute l’Europe. Les points culminants de cette période furent les années 1920-1921.

A cette première période se rapportent la révolution de février et la révolution d’octobre en Russie, la révolution ouvrière en Finlande de mars 1918, les soulèvements d’août 1918 au Japon, provoqués par les prix élevés du riz, la révolution prolétarienne en Hongrie, l’insurrection de mars 1919 en Corée, l’établissement en avril 1919 du pouvoir des Soviets en Bavière, la révolution nationale bourgeoise de janvier 1920 en Turquie, la prise des usines par les ouvriers d’Italie en 1920 ; font également partie de cette période la marche de l’armée rouge sur Varsovie et, enfin, les événements d’Allemagne en 1921.

Nous voyons que cette première période fut saturée d’événements révolutionnaires d’une ampleur et d’une portée historique des plus considérables. Ces événements ont montré avec une grande acuité le processus de décomposition du régime capitaliste et, en premier lieu, du capitalisme européen. Dans l’ordre chronologique, c’est la fin de l’année 1923 qui clôtura cette première période. En septembre 1923, le soulèvement en Bulgarie se termina par une grave défaite et, en automne 1923, le prolétariat allemand essuya une nouvelle défaite.

Les défaites du prolétariat d’Europe Occidentale constituèrent pour la bourgeoisie une prémisse politique pour son développement ultérieur. Ces défaites et, en particulier, la défaite du prolétariat allemand, furent pour l’Europe Centrale, et même pour l’Europe tout entière, le point de départ de la seconde période de développement, période d’offensive du capital, période de lutte défensive du prolétariat en général et des grèves ouvrières défensives en particulier, période d’élaboration de la stabilisation partielle du capitalisme.

Il faut dire que certains de ces combats défensifs du prolétariat ont atteint une ampleur et une importance formidables, telles par exemple, la grève générale et la grève des mineurs en Angleterre. La deuxième période apporta plus de « paix et d’ordre » au capitalisme européen et au capitalisme mondial en général. Les événements directement révolutionnaires se sont transportés du continent européen aux pays coloniaux et semi-coloniaux. En avril 1925 éclata le soulèvement au Maroc, en août 1925 celui de Syrie ; au cours de la même année s’aggrava la grande lutte en Chine.

Si, dans la première période, la situation immédiatement révolutionnaire avait un caractère nettement européen, nous voyons que, dans la seconde période, la situation immédiatement révolutionnaire s’était transportée dans la périphérie coloniale de l’impérialisme mondial.

Du point de vue économique, du point de vue de l’analyse de l’économie capitaliste, la seconde période peut être considérée comme période de reconstitution des forces productives du capitalisme. Dans cette période, le capitalisme, s’appuyant sur ses victoires politiques, sur la stabilisation politique relative, essaya d’obtenir et obtint une certaine stabilité économique.

Cette période céda la place à la troisième étape, à la période édification capitaliste qui s’exprime par un progrès quantitatif et qualitatif dépassant l’état d’avant-guerre. L’accroissement des forces productives du capitalisme découle d’une part d’un progrès technique assez considérable et, d’autre part, d’une large réorganisation des liaisons économiques capitalistes.

La reconstruction technique, la réorganisation économique et le processus intense de trustisation capitaliste sont toutefois accompagnés de l’accroissement des forces contraires au capitalisme et du développement extrêmement intense des contradictions du capitalisme. Ici il faut mentionner aussi et avant tout l’accroissement de l’U.RS.S.

Avec la période de reconstruction du capitalisme « coïncide » la période de reconstruction en U.R.S.S., période de création d’une nouvelle base technique, d’une certaine réorganisation économique dans le sens social-économique de ce terme (agrandissement du secteur collectivisé de notre économie), et de consolidation croissante de notre appareil de production.

Le développement économique et politique de l’U.RSS, le développement de la révolution chinoise, l’effervescence dans un pays comme l’Inde, enfin, l’accroissement rapide des contradictions intérieures dans le secteur capitaliste de l’économie mondiale contemporaine et le danger de guerre de plus en plus grand qui résulte de tout cela : tel est l’autre aspect du développement mondial.

Il est nécessaire d’analyser soigneusement la nouvelle situation mondiale qui s’est créée dans la troisième période. Sans connaître, sans comprendre les principales modifications économiques et politiques mondiales, il nous sera impossible de tracer une ligne politique juste et d’aborder dune façon juste les problèmes tactiques du moment actuel.

Il faut établir dès le début et avec la plus grande netteté que la thèse de la stabilisation du capitalisme a actuellement un caractère quelque peu différent de celui qu’elle avait il y a quelques années et qu’en analysant la situation internationale, nous devons tenir compte de cette modification.

Je vais passer maintenant à cette analyse.

Les éléments du progrès technique

Je vais examiner avant tout la question de la technique du monde capitaliste actuel. Nous devons constater un accroissement assez considérable de l’électrification de l’économie des plus importants pays capitalistes. Des inventions très importantes ont été faites dans le domaine de la chimie appliquée. Les nouvelles méthodes de production de combustibles synthétiques, de différentes matières premières, la méthode de Bergius de production de la benzine, la fabrication artificielle de la soie, etc…, tels sont les traits caractéristiques de l’industrie capitaliste actuelle.

Parallèlement à cela, il faut noter l’emploi de plus en plus grand des métaux légers et, en particulier, de l’aluminium, l’emploi de nouvelles machines et appareils dans industrie aussi bien que dans l’agriculture, par exemple de machines agricoles combinées et très compliquées employées aux Etats-Unis d’Amérique, le développement des transports par autos, l’emploi de plus en plus considérable du système de travail à la chaîne et la nouvelle organisation du travail dans les fabriques et usines, la standardisation, typisation, normalisation, production en séries, etc… Tels sont les traits les plus caractéristiques de la technique capitaliste actuelle.

Je vais citer quelques chiffres sur la production de l’énergie électrique aux Etats-Unis d’Amérique.

Production en millions de kW heures
1912192219261927
17 57247 65973 79179 724

On peut citer d’innombrables exemples prouvant que la courbe de développement de l’économie capitaliste marque un progrès déterminé aussi bien quantitatif que qualitatif.

Voici quelques chiffres montrant la dynamique de l’accroissement de la production et du changement du rôle des divers métaux dans la production mondiale. En supposant la production totale de métaux en 1913 égale à 100 nous aurons pour l’année 1926 les chiffres suivants pour les divers métaux :

Acier122
Cuivre150
Plomb107
Aluminium310

Aux Etats-Unis et en Allemagne, l’aluminium soutient une concurrence victorieuse avec les autres métaux dans l’industrie électrotechnique, dans les constructions de chemins de fer, de tramways, etc.

Les chiffres illustrant la production de la soie artificielle sont encore plus significatifs. La production mondiale de soie artificielle s’exprime par les chiffres suivants (en milliers de kilogrammes) :

Production d’avant-guerre11 000
192130 000
192584 000
1927125 000

En mettant le chiffre d’avant-guerre égal à 100, nous obtenons les chiffres suivants :

1921173 %
1925668 %
19271 036 %

En ce qui concerne les nouvelles inventions et leur influence sur la production, citons par exemple, la méthode de Bergius : la benzine synthétique obtenue par sa méthode constitue déjà en Allemagne 12 % de la benzine consommée.

Dans plusieurs pays, ainsi en Allemagne et en Angleterre, on projette de nouvelles innovations techniques très importantes par leur conséquence économique : conduites de gaz à grande distance en Allemagne, électrification en Angleterre, etc…

Il est facile de se rendre compte que ces succès techniques, même si nous les mettons entre guillemets, signifient indiscutablement un accroissement de là productivité du travail social. C’est ainsi que Guenther Stein écrit dans le Berliner Tageblatt qu’aux Etats-Unis, la production de l’industrie de transformation a augmenté de 25 % en comparaison de l’année 1923-24, tandis que le nombre d’ouvriers a diminué de plus de 5 %. Cela veut dire que le rendement l’un ouvrier a augmente d’environ 30 à 40 %.

Le développement de l’industrie chimique acquiert une importance non seulement du point de vue économique général, mais aussi de deux points de vue que voici :

1) du point de vue de la préparation de la guerre, l’industrie chimique étant une industrie de guerre de premier ordre

et 2) du point de vue des modifications considérables possibles dans le domaine de la technique de l’agriculture. La production mondiale de produits chimiques s’élevait avant la guerre à 10 milliards de marks allemands ; en 1923-24, elle était de 18 milliards, l’indice des prix étant de 120. Vous voyez que la production de produits chimiques s’est considérablement accrue. Voici la progression de la consommation de produits azotés dans les pays capitalistes les plus importants :

(en milliers de tonnes d’azote pur)

Avant la guerreEn 1926
Allemagne260430
Anglet5461
France79152
Italie2254
Etats-Unis167341

Le développement des monopoles capitalistes, les tendances de capitalisme d’Etat et leur importance politique

Je pense que ces chiffres n’ont pas besoin de commentaires, ils parlent d’eux-mêmes. Ces modifications techniques qui, dans certains pays et, en premier lieu aux Etats-Unis et en Allemagne, se rapprochent d’une véritable révolution technique, sont liés d’une façon déterminée à la trustisation de l’économie nationale, à la formation de consortiums bancaires énormes et, depuis la fin de la guerre à l’accroissement des tendances de capitalisme d’Etat sous les formes les plus diverses. J’indiquerai ici quelques exemples.

Tout le monde connaît l’existence des trusts gigantesques, telle la société par actions de l’industrie des colorants en Allemagne et en d’autres pays. Je crois que tout le monde est au courant de la création du trust formidable de l’industrie chimique en Angleterre (le konzern Mond, d’où le fameux « mondisme » tire son origine) tous les camarades savent ce que c’est que la « Standard Oil » aux Etats- Unis.

Nous vivons actuellement non seulement dans une époque de formation et de développement rapide d’organisations gigantesques du patronat au sein des pays capitalistes, mais aussi dans une période de création de trusts géants d’un caractère international. J’ai ici, devant moi toute une liste de ces trusts qu’il serait trop long d’énumérer tous.

Il y a quelque temps, au congrès du P.C. de l’U.S., j’ai émis la thèse qu’actuellement s’opère un certain accroissement des tendances de capitalisme d’Etat, et cela non pas sous la forme du « capitalisme de guerre » (que les imposteurs réformistes de divers poils osaient appeler « socialisme de guerre » !) avec le système des cartes et les traits spécifiques déterminés par la guerre. C’est sous une forme nouvelle ou plutôt sous des formes nouvelles que se développe actuellement le processus de fusion, l’interpénétration de plus en plus marquée des trusts, des cartels, des consortiums bancaires avec les organes étatiques de la bourgeoisie capitaliste.

Peu importe d’ailleurs la forme, l’enveloppe sous laquelle se développe ce processus : que ce soit l’Etat qui possède des entreprises industrielles et augmente son intervention dans la vie économique ou que ce soient les organisations économiques capitalistes qui entreprennent « par en bas », selon l’expression des libéraux. « la conquête de l’Etat ».

Il est de toute-évidence que nous devons repousser énergiquement cette dernière thèse : la bourgeoisie impérialiste n’a pas à conquérir l’Etat puisque l’appareil gouvernemental est déjà entre ses mains. Il s’agit des formes d’organisation de la fusion des organes économiques de la bourgeoisie impérialiste avec ses organes gouvernementaux. Ainsi, la question de la forme de ce processus n’a qu’un caractère secondaire. Ici, je tiens seulement à constater et à souligner que ce processus est un fait certain. Nous l’observons en Italie, au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne, et sous des formes les plus variées.

Mais le fait que ce processus existé est incontestable. Certains camarades avaient auparavant exprimé des doutes à ce sujet ; Mais depuis ont paru des études spéciales de camarades s’occupant de ce problème. J’ai particulièrement en vue les travaux des camarades Vurms et Lapinsky qui ont étudié cette question du point de vue tant de la structure du budget d’Etat que du développement de l’industrie étatisée et municipalisée ainsi que des rapports .entre les organisations patronales et gouvernementales de la bourgeoisie impérialiste.

Toutes les données sur cette question dont nous disposons actuellement confirment l’existence d’une tendance de capitalisme d’Etat dans le développement actuel de l’économie impérialiste.

Quels sont les résultats politiques de ce processus ? Nous pouvons le voir à l’exemple américain suivant : voici en effet ce qu’un nommé Théodore Knappen écrit dans un article publié dans le Magazin of Wall Street du 19 mai 1928 et intitulé : « Les qualités de businessmen des principaux candidats à la présidence » : Il n’est pas exagéré de dire qu’il (Hoover) se considère et qu’il est réellement le dirigeant du monde d’affaires américain. Il n’y eut encore jamais et nulle part une institution aussi étroitement liée au monde d’affaires que précisément le département de Hoover… Il respecte le grand capital (big business) et admire les big businessmen (capitalistes). Il est d’avis qu’une seule personne faisant une grande chose est meilleure qu’une dizaine de rêveurs savants qui parlent de ce qu’ils n’ont jamais tente de faire et qu’ils ne sauront jamais faire. Il est incontestable que Hoover, président, ne ressemblera à aucun de ses prédécesseurs. Il sera un businessman-président dynamique, tandis que Coolidge était un business-président statique. Il sera le premier business-président, en opposition aux présidents politiques que nous avons eus jusqu’à présent.

Hoover, ainsi caractérise comme directeur général des trusts, constitue une expression politique du processus de fusion entre les organisations trustisées du capital et les organisations gouvernementales politiques de ce dernier.

Les modifications de structure

Dans cette circonstance, la question suivante s’impose : si tous ces faits correspondent à la réalité, que devient l’analyse de ce qu’on a coutume d’appeler « stabilisation du capitalisme » : Que deviennent nos thèses sur la stabilisation partielle, temporaire, sur la stabilisation avec toutes ses définitions et épithètes ?

Que devient la question de la crise générale du système capitaliste mondial, puisque nous constatons nous-mêmes les succès dans le domaine de la technique, le développement des trusts et autres organisations du capital, puisque, en ce sens, nous constatons un renforcement considérable du capitalisme ? Que devient cette caractéristique spécifique de la stabilisation ? Je pense qu’il faut poser clairement cette question et y répondre avec non moins de netteté, autrement nous risquons de nous égarer dans un chaos idéologique.

Je tiens à rappeler ici quelques souvenirs politiques, quelques renseignements se rapportant à cette question. Quelles furent, il y a quelques années, nos idées sur le processus du développement ultérieur ou de la décomposition ultérieure du système capitaliste ?

J’envisage notamment la période de l’élaboration de notre premier projet de programme. Voici comment, à cette époque, nous formulions la thèse sur l’état du capitalisme : le système capitaliste est en voie de décomposition. Nous ne faisions aucune réserve à cette thèse. Notre idée sur l’avenir du capitalisme pouvait être représentée sous forme d’une courbe descendante continue.

Mais déjà lors du second examen du projet, nous comprimes la nécessité d’y apporter quelques corrections. Déjà au Ve Congrès mondial, nos thèses sur l’Etat et l’avenir de l’économie capitaliste ont été formulées d’une façon quelque peu différente. Ensuite, nous avons commencé à employer le terme « stabilisation » avec diverses réserves : partielle, provisoire, etc.

Maintenant, je pose la question suivante : quel sens ont actuellement ces définitions et ces réserves ? Ont-elles en général un sens quelconque ? Si elles en ont un, est-ce le même sens qu’auparavant ou est-il quelque peu différent ? A mon avis, ces définitions ont actuellement un sens quelque peu différent qu’auparavant.

Je pense, en somme, qu’on peut définir notre position précédente de la façon suivante :

On supposait qu’un certain accroissement de la production ne s’observait que dans tel ou tel pays, et encore à titre d’exception. Cet accroissement ne paraissait pas particulièrement caractéristique, on le considérait comme un phénomène secondaire « conditionnel », croyant que le lendemain déjà ou un avenir très proche apporterait un développement tout autre. En observant dans un pays quelconque une amélioration de la technique, un accroissement des forces productives, une bonne conjoncture, nous pensions que c’était là « un phénomène d’un jour », qu’on ne pouvait prendre au sérieux.

On peut et il faut dire qu’à cette époque il y avait des raisons déterminées pour évaluer ainsi la situation. Mais cette évaluation de la stabilisation, de la stabilisation relative, ne correspond plus en de nombreux points à la situation présente.

Voyons les différents pays.

Les Etats-Unis d’Amérique progressent Que les prophéties au sujet d’une crise en Amérique soient justes, — cela n’est pas exclu, bien plus, cela est même très probable, — n’empêche que la ligne .générale du développement est l’accroissement de la production.

C’est dans ce pays que, pour la première fois dans l’histoire mondiale, dans l’histoire du mouvement ouvrier, le « V » (le capital variable, la valeur de la force de travail), pour employer la terminologie de Marx, diminue non seulement en comparaison de « C » (le capital constant, valeur des moyens de production).- mais aussi en chiffres absolus. Le nombre d’ouvriers employés dans l’industrie diminue. Cela se produit pour la première fois sur une grande échelle dans l’histoire mondiale, dans l’histoire du mouvement ouvrier.

Certains camarades diront peut-être que c’est là une appréciation pessimiste. Mais nous devons faire la distinction entre l’optimisme et la stupidité. Ce sont deux choses différentes. Si nous ne voulons pas être stupides, nous devons tenir compte des faits. C’est la première condition obligatoire pour toute tactique non stupide.

Prenons un autre pays, l’Allemagne. Il y a quelque temps j’écrivis sur l’amélioration de la technique et sur l’accroissement des forces productives en Allemagne. L’anticommuniste « extrême-gauche » Maslow y trouva un prétexte pour m’injurier. Maintenant, il faut être aveugle pour ne pas voir que le capitalisme allemand se développe assez rapidement et que toutes ces conversations sur le néo-impérialisme, sur l’aspiration aux « mandats », la nostalgie des colonies, la construction de nouveaux cuirassés, etc., ne sont pas fortuites.

Voyons la France. Chacun peut se rendre compte qu’il y a une grande différence entre la France d’avant-guerre et la France d’après-guerre, que la vieille France usurière a acquis des qualités nouvelles, qu’elle se transforme maintenant en un pays industriel très puissant.

Et l’Angleterre ? L’Angleterre traverse une période de déclin ; ses forces sont affaiblies, la puissance de l’Empire suit une courbe descendante. Mais l’Angleterre aussi tend toutes ses forces. Sur certains secteurs, la bourgeoisie anglaise réussit à augmenter les forces productives, par exemple dans les brandies nouvelles de l’industrie.

Si ces faits sont exacts, pouvons-nous dire qu’ils signifient la reconnaissance de la liquidation de la crise du capitalisme ? Ou bien signifient-ils autre chose ? Je voudrais poser la même question sous une forme politique encore plus nette : cette analyse concorde-t-elle avec l’analyse de la social-démocratie ?

Je pense qu’il est très facile de comprendre la véritable situation. Voici la réponse juste : la crise générale du capitalisme continue, bien plus, elle se développe, bien que la forme de la crise soit actuellement différente. Auparavant, nous déterminions les symptômes les plus importants de la crise de la façon suivante : nous considérions les pays les uns après les autres et nous disions : dans tel pays, le capitalisme décline, dans le second et dans le troisième, on observe le même processus, dans un tel autre encore, le même processus se manifestera, bien qu’il ne se développe pas aussi vite.

Comme tout dans le monde, notre idée de la crise avait sa racine dans les conditions économiques de cette époque. En Allemagne, c’était le comble de la désagrégation économique. Dans plusieurs autres pays, surtout en Europe Centrale, la situation était analogue. Les anciennes formules étaient basées sur des faits réels bien que quelque peu exagérés. Maintenant, l’ancienne forme de la crise a cédé la place à une autre forme ; c est là toute la question.

Il ne faut pas se figurer que la crise générale du capitalisme et du système capitaliste c’est la ruine du capitalisme dans presque tous les pays, ou dans la majeure partie des pays. La situation est différente.

La crise du capitalisme consiste dans le fait que nous avons actuellement, à la suite de la phase précédente de guerre et d’après-guerre, des modifications radicales de structure dans toute l’économie mondiale, des modifications qui aggravent énormément et inévitablement toute contradiction dans le système, capitaliste et qui, finalement, le conduisent à sa perte.

Prenons par exemple un fait comme l’existence de l’U.R.S.S. Que signifie-t-il ? Ce fait est, premièrement, le résultat de la crise d’après-guerre du capitalisme, et, deuxièmement, il est l’expression de cet autre fait, à savoir que la crise continue. En effet, il existe et se développe un fort corps étranger, antagoniste en principe, au sein du système économique mondial du capitalisme. Oui, un corps étranger. N’est-ce pas là une modification radicale de structure dans l’économie mondiale ?

Les modifications dans la disposition des forces

J’ai déjà noté le fait du déplacement de la situation révolutionnaire immédiate vers l’Orient, vers la .périphérie coloniale, en général. Cela aussi est un résultat de la crise d’après-guerre. Car les chocs révolutionnaires puissants sur cette périphérie du capitalisme ne sont-ils pas une expression d’une crise profonde ?

Ensuite, que signifie ce que nous appelons la disproportion entre les Etats-Unis et l’Europe qui s’efforce de se soustraire à l’hégémonie de l’Amérique ? Elle traduit aussi une modification de structure dans tout le système économique mondial.

Enfin, le rétrécissement des marchés dans les pays capitalistes, la ruine et la paupérisation des colonies posent la question des rapports entre la production et la consommation d’une façon différente qui est loin d’être la même que dans les conditions du capitalisme « normal ». La situation découle du fait que tout le développement ultérieur du système capitaliste ne peut s’opérer, que dans les formes créées par les périodes critiques passées,

Le capitalisme ne peut pas se développer de la même façon que si l’U.R.S.S. n’existait pas. Il ne peut pas se développer comme il l’aurait fait si la révolution chinoise n’avait pas eu lieu, si la disproportion entre les Etats-Unis et l’Europe était inexistante, s’il n’y avait pas de rétrécissement des marchés, etc.

Ces modifications de structure ont une importance énorme pour tout le développement du système capitaliste et pour l’évaluation des perspectives. Prenons par exemple le développement de toutes les contradictions inhérentes au capitalisme : la lutte pour les marchés, l’accroissement de l’appareil de production dépassant l’augmentation de la capacité d’achat ainsi que toutes les autres contradictions bien connues. En présence des modifications de structure que nous avons notées, je vous demande la conclusion que nous pouvons en tirer.

A mon avis, la réponse suivante s’impose : si les colonies sont dans l’effervescence, si la lutte de classe s’y développe d’une façon très intense, cela veut dire que les contradictions internes du système capitalise s’aggravent en général.

Si l’on considérait la révolution chinoise comme un détail insignifiant, ainsi que le font les social-démocrates, il n’y aurait naturellement aucune crise grave du capitalisme.

Si l’U.R.S.S. n’existait pas, il n’y aurait pas, encore une fois, de crise du capitalisme. Si les social-démocrates vont jusqu’à prétendre que la phase actuelle du capitalisme n’engendre nullement la guerre, que Marx est devenu suranné pour avoir proclamé la thèse que les guerres sont inhérentes au développement du capitalisme, — en ce cas, il est naturel que les social-démocrates voient toute la situation en rose et considèrent qu’il n’y a pas de crise ! Mais, si tout cela existe, — et cela existe ! — la question se pose d’une façon différente et, naturellement, la réponse sera aussi toute autre.

Si nous disons : la stabilisation se décompose, je demande : comment peut-on tirer une telle conclusion ? Ce n’est pas parce que dans tel ou tel pays ou même dans un troisième le capitalisme se trouve à l’état de krach immédiat, mais parce que, dans la situation actuelle, le développement se fait dans le cadre créé par la phase précédente qui, à son tour, aggrave extrêmement toutes les contradictions.

Et c’est précisément cet approfondissement des contradictions qui conduit au grand krach, à la grande catastrophe. Voilà pourquoi le capitalisme est instable, voilà, pourquoi sa stabilisation ne peut être que relative .Voilà pourquoi la crise du capitalisme n’a pas disparu, est dans un état latent.

Mais elle se développe d’une façon de plus en plus menaçante. Il faut la considérer non pas sous l’angle d’un pays isolé quelconque, mais sous l’angle de l’ensemble de tous les pays liés les uns aux autres, dans les cadres de l’économie mondiale. Dans cette circonstance, il est nécessaire de tenir compte des rapports entre les impérialistes, entre le capitalisme et les colonies, entre les « capitalistes » divers et l’U.R.S.S., etc.

Les contradictions du capitalisme se développent sous la forme la plus aiguë

Ce n’est qu’ainsi que l’on peut poser clairement la question de la stabilisation. Plusieurs pays capitalistes se développent. Mais ce développement s’opère dans les formes créées par la crise de guerre, dans des conditions de l’existence de l’U.R.S.S., des révolutions en Orient, etc… Les contradictions internes s’aggravent de plus en plus. La stabilisation se décompose réellement.

Ce n’est pas que le capitalisme soit de plus en plus en déclin dans tous les pays, mais c’est que les modifications de structure de l’économie mondiale créent une nouvelle situation et conduisent fatalement à l’écroulement de tout le système.

Naturellement, ces contradictions sont liées aux contradictions internes qui existent dans divers pays, au développement et à l’aggravation de la lutte de classes, à l’accroissement des éléments dune situation révolutionnaire. Mais ce processus n’est pas actuellement en fonction du processus de désagrégation économique directe dans ces pays, mais du processus de développement des contradictions de la stabilisation aggravées considérablement par le cadre général de la crise capitaliste.

Je n’ai parlé que d’une façon superficielle de quelques-unes des modifications de structure de l’économie mondiale. Permettez- moi de faire quelques remarques sur la façon dont sont traités les phénomènes de crises dans le camp de nos adversaires.

A cette occasion, je toucherai aussi ce qu’on appelle le « problème allemand » qui, sous un certain angle, n’est autre chose que le problème des rapports entre les Etats-Unis et l’Europe. Je prends l’article d’un économiste anglais bien connu, Paish, publié dans le numéro 4 du Zeitschrift für Geo-Politik. Paish pose la question de la façon suivante : Actuellement, les pays débiteurs du monde entier ne sont pas en état d’écouler leurs marchandises dans la mesure qui serait nécessaire pour qu’ils puissent faire face à leurs engagements et pour qu’ils puissent eu même temps acheter avec l’argent réalisé par la vente des marchandises, tout ce qui leur est nécessaire pour satisfaire à leurs besoins vitaux. C’est pourquoi ils continuent à contracter, tout comme auparavant, des emprunts considérables à l’étranger. Mais les pays créditeurs ne peuvent pas accorder de nouveaux crédits dans une mesure aussi considérable qu’au cours des dernières années. S’il n’y a pas d’amélioration dans un avenir prochain, ce sera bientôt la débâcle du système tout entier…

Et plus loin : Ainsi, la débâcle du système de crédit mondial devient un danger imminent. (Souligné par l’auteur.) Cette débâcle est même inévitable si l’on ne prend pas immédiatement des mesures permettant aux pays débiteurs de faire face à leurs engagements par l’écoulement de leurs marchandises et non pas à laide de nouveaux crédits. Les symptômes de crises sont nombreux : les marchés ou les marchandises sont eu surabondance, l’augmentation du chômage aux Etats-Unis et l’importance énorme des opérations de crédits dans les pays industriels les plus importants et, avant tout, en Allemagne.

Je doute quelque peu que l’auteur ait raison en prophétisant la catastrophe sur tout le front. Il y a, dans cet article, d’autres intérêts en jeu, et il n’est pas difficile de saisir quels sont ces intérêts. Néanmoins, il y a des raisons autorisant des affirmations de ce genre.

Mais il ne faut pas oublier que ce « problème allemand » n’est qu’un problème partiel se greffant sur la base des formes de crises de l’économie mondiale. Nous observons actuellement de nombreux antagonismes des plus aigus. Ces derniers se développent dans divers sens : Amérique-Grande-Bretagne, Allemagne-France, Italie-France, etc… Toutes ces anomalies du point de vue de la tranquillité et de l’ordre au sein du système capitaliste se manifestent parce qu’après la guerre s’était créé un état de choses tel que la puissance économique de certains Etats ne correspond plus à l’étendue de leurs possessions coloniales.

Prenons comme exemple les Etats-Unis d’une part, et l’Angleterre d’autre part. Nous observons un fort développement du colonialisme anglais, tandis que les Etats-Unis n’ont pas été jusqu’à présent une grande puissance coloniale. Mais malgré son monopole colonial formidable, l’Angleterre traverse une période de déclin. La même disproportion reste vraie pour d’autres pays.

Prenons l’Allemagne actuelle. Du point de vue économique et technique, c’est un pays de premier ordre, cependant elle n’a ni colonies, ni mandats, ni protectorats. On peut également comparer l’Italie à l’Espagne, etc.

Ces contradictions étant liées à l’accroissement des forces productives et, étant donné que la lutte pour les sphères d’investissement de capitaux s’aggrave de plus en plus, il ne peut en découler autre chose que la « résurrection » terrible du problème impérialiste, du problème d’un nouveau partage du monde, des colonies ou d’autres régions.

Et cela, c’est la guerre ! De toute l’analyse de l’économie mondiale actuelle, des rapports spécifiques inter-impérialistes et de la crise capitaliste générale, se dégage le fait que la guerre est le problème central d’aujourd’hui.

Voilà pourquoi il nous faut absolument poser cette, question tant du point de vue tactique que politique. Que messieurs les social-démocrates disent que la guerre est notre programme ! Quelle bêtise impudente ! Ce n’est même pas un mensonge, mais, de la bêtise pure et simple ! Ce problème est objectivement le problème central.

Et notre tâche collective est de résoudre ce problème non pas d’une façon impérialiste, mais d’une façon prolétarienne, non pas en soutenant la guerre impérialiste, mais en la transformant en une guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie !

Les antagonismes entre les Etats

Il est tout à fait compréhensible que la manière du développement économique détermine et cristallise les rapports respectifs entre les Etats.

En analysant le complexe général des rapports politiques entre les puissances capitalistes, on remarque immédiatement les antagonismes les plus importants entre les divers groupements d’Etats : l’antagonisme entre les pays capitalistes et les colonies et surtout la Chine : l’antagonisme entre les pays capitalistes et l’U.R.S.S. et l’antagonisme entre l’Europe (surtout entre la Grande-Bretagne) et les Etats-Unis d’Amérique.

En ce qui concerne les rapports spécifiquement européens, ils dépendent dans une mesure considérable du changement de la situation de l’Allemagne et de la renaissance de l’impérialisme germanique.

J’ai déjà indiqué la disproportion considérable entre la puissance économique et politique grandissante des Etats-Unis et l’étendue relativement insignifiante de leurs possessions coloniales. Cette contradiction trouve son expression dans le caractère de plus en plus agressif des Etats-Unis d’Amérique.

Le mot d’ordre de la pénétration pacifique cède de plus en plus la place à celui de l’occupation politique et militaire. Les événements de Nicaragua traduisent nettement ce déplacement dans la politique des Etats-Unis d’Amérique. Contrairement à toutes les manifestations libérales la position des Etats-Unis en Chine n’est pas loin, en fait, de l’occupation militaire.

La politique agressive des Etats-Unis se heurte à la résistance de la Grande-Bretagne, son rival. L’antagonisme anglo-américain est actuellement l’axe de tous les antagonismes qui existent entre les Etats capitalistes.

C’est dans les sphères les plus diverses que les Etats-Unis sont aux prises, avec la Grande-Bretagne. Dans le conflit du caoutchouc, l’Angleterre a essuyé une défaite et a été obligée de conclure un traité favorable à l’Amérique. L’Angleterre fut également battue dans la lutte pour le pétrole. Actuellement, nous nous trouvons à la veille d’un conflit entre ces deux pays pour le coton.

Je pense ici aux projets du capital nord- américain visant l’Afrique, l’Abyssinie, et l’Egypte. Les Etats- Unis d’Amérique étendent même leurs tentacules jusqu’à l’Inde.

Sur le continent sud-américain, les Etats-Unis se sont déjà emparés économiquement du nord de l’Amérique latine. Actuellement, ils commencent aussi, avec assez de succès, à concurrencer l’Angleterre dans les parties méridionales de l’Amérique latine.

Je répète et je souligne que le conflit, entre les Etats-Unis et l’Angleterre est l’axe de tous les antagonismes existant dans le secteur capitaliste de l’économie mondiale.

La renaissance de l’impérialisme germanique et la crise du traité de Versailles

En Allemagne, et c’est très important du point de vue des rapports européens spécifiques, se produit une « renaissance » d’un genre particulier, la renaissance de l’impérialisme allemand. .Qu’est-ce que cela signifie ? L’Allemagne n’a pas encore d’armée, de marine de guerre, mais sa situation a considérablement changé. L’Allemagne a été battue. Le capital monopoliste allemand a été rudement malmené au cours du « jeu de guerre ».

Au point de vue politique aussi bien qu’au point de vue national, l’Allemagne était humiliée ; mais, grâce aux crédits et, en premier lieu, aux crédits américains, le capitalisme allemand a amélioré ses affaires. La technique du capital allemand, ou plutôt la dynamique du progrès technique en Allemagne, constitue un record pour l’Europe et, sur certains secteurs économiques, il bat le record à l’échelle mondiale.

Quant à la réorganisation économique, le processus de trustisation a pris en Allemagne des formes classiques. Les trusts géants, la fusion de ces trusts à l’échelle internationale, les fortes positions du capital allemand sur le marché mondial, les prix relativement bon marché des marchandises et l’accroissement de la capacité de concurrence du capitalisme et de l’industrie allemande: tous ces facteurs ne font l’objet d’aucun doute.

Il est tout à fait compréhensible que la base économique de plus en plus forte trouve aussi son expression politique : effectivement, le traité de paix de Versailles est déjà annulé en partie. La position politique du capitalisme allemand est considérablement plus forte comparativement à ce qu’elle était il y a quelques années ; dans le concert des puissances européennes, l’Allemagne joue actuellement un rôle assez considérable et dans certaines questions même un rôle prépondérant.

Il n’est pas difficile de comprendre que ce développement, ou plutôt l’orientation de tout le développement de l’Allemagne, est équivalent à l’accroissement des prétentions du capital monopoliste allemand dans le domaine de la politique extérieure. La course aux « mandats », aux protectorats et aux colonies est devenue une mode politique en Allemagne ; cependant, ce n’est pas seulement une « mode », mais quelque chose de plus sérieux.

Cette « mode » n’est pas sans perspectives réelles, car dans le jeu des divers antagonismes et des diverses forces, dans l’ensemble des rapports entre la France et l’Italie, la France et l’Angleterre, la France et l’Allemagne, l’Allemagne et la Pologne, etc., dans cet ensemble de rapports entre les Etats européens, l’Allemagne est d’un côté le sujet et d’autre part, l’objet et, dans certaines circonstances, plusieurs Etats peuvent soutenir l’Allemagne et la soutiendront.

C’est à cette orientation du développement du capitalisme allemand qu’est lié le phénomène qu’on appelle l’« orientation occidentale » du capitalisme allemand. Il y a quelques années, Allemagne se trouvait sous la menace du capital de l’Entente. Les armes françaises étaient braquées sur elle. Privé de ses positions fortifiées, le capital allemand ne voyait, pendant un certain temps, qu’une seule issue, celle d’un bloc avec l’UR.S.S. Cela s’est exprimé par le traité de Rapallo et par la politique extérieure allemande de cette période.

Actuellement, la situation a changé. A mesure que s’accroît le capital monopoliste, s’accroissent également les prétentions coloniales de l’Allemagne et se cristallise de plus en plus l’orientation occidentale du capital allemand.

Dans notre analyse, il ne faut évidemment pas trop simplifier la situation existante : cette tendance fondamentale du développement du capital allemand n’exclut nullement diverses manœuvres de l’Allemagne sur l’échiquier politique en vue de profiter le plus possible de sa situation intermédiaire entre les puissances occidentales et l’U.R.S.S. Tout cela est indiscutable. Mais ces manœuvres ne détruisent pas la tendance fondamentale du développement du capitalisme allemand qui se laissera volontiers « violer » et qui se dressera, de concert avec ses collègues, contre l’U.R.S.S.

Le changement successif des rapports entre les puissances et la lutte contre l’U.R.S.S.

La crise du capitalisme se manifeste aussi dans le changement successif et bigarré des rapports entre les Etats. Aucun bloc n’est solide et de longue durée ; bien au contraire, aux yeux de tous se produit un regroupement continu des forces.

Mais à travers tous ces regroupements, à travers tous ces changements et toutes ces constellations des puissances capitalistes européennes, perce, tel un fil rouge, la tendance fondamentale — la concentration des forces contre l’U.R.S.S. C’est à plusieurs reprises que nous avons déjà touché ce sujet. Je ne m’arrêterai donc pas aux détails de la question des divers blocs de la Petite Entente, des accords entre les divers Etats limitrophes de l’U.R.S.S. et les grandes puissances, etc… Même les bébés connaissent actuellement tous ces faits.

Si l’analyse de la base économique que j’ai donné dans la première partie de mon rapport est exacte, il est tout à fait compréhensible que ces rapports entre les Etats constituent une expression politique de la préparation de la guerre contre l’U.R.S.S. Il va de soi que nous devons fixer notre tactique en tenant compte de cet état de choses.

Sous le signe des préparatifs de guerre

Les processus intérieurs se déroulent dans les pays capitalistes les plus importants sous le même signe de la préparation à la guerre. Ces processus sont en contradiction flagrante avec les bavardages de la social-démocratie sur le pacifisme, sur l’ère « super-impérialiste » etc. Personne n’ignore les faits relatifs à l’accroissement des armements, à la promulgation de nouvelles lois dans le genre de la loi Paul-Boncour en France, aux préparatifs fiévreux de la bourgeoisie en vue de maintenir « la tranquillité et l’ordre » dans la pays en cas de guerre.

C’est à cette dernière catégorie de phénomènes qu’appartiennent le fameux bill dirigé contre les syndicats en Angleterre, la « Charte du Travail » promulguée par Mussolini, la terreur incroyable sévissant dans plusieurs pays, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie, dans les Balkans, en Italie, etc., les vastes projets de corruption de certaines couches de la paysannerie, la « paix industrielle », le « mondisme », les méthodes américaines de corruption du prolétariat, mesures réalisées d’une part à l’aide du fascisme et, d’autre part, à l’aide des Partis social-démocrates.

En connexion avec tout cela s’opère aussi une certaine modification dans l’organisation dit pouvoir d’Etat. J’ai déjà parlé de la tendance du capitalisme d’Etat, de la tendance de fusion immédiate des organisations patronales avec les organes du pouvoir d’Etat de la bourgeoisie.

Cette tendance a non seulement une importance économique mais aussi une importance politique générale : elle a une importance énorme aussi du point de vue de la préparation à la guerre. Ce serait erroné que d’affirmer que la bourgeoisie tend sciemment à la fusion des organisations du patronat avec les organes de l’Etat capitaliste parce qu’elle y voit un moyen pour préparer la guerre.

Ce processus a un caractère plus spontané, mais, objectivement, Il est certain que cette évolution du pouvoir d’Etat et l’accroissement des tendances du capitalisme d’Etat servent à la préparation de la guerre. Au cours de la première guerre mondiale, nous avons déjà vécu la phase du capitalisme d’Etat, teint de tons particuliers. Dans le langage des savants allemands, cela s’appelait « l’économie forcée ». La raison essentielle de cette réglementation était la baisse considérable des forces productives et la tendance de régler d’une façon rationnelle la consommation dans les conditions de la « forteresse assiégée ».

Plus tard, tout cela fut aboli. Actuellement, les tendances du capitalisme d’Etat se développent sur une base nouvelle, sur la base de l’accroissement des forces productives du capitalisme, sur la base de la centralisation du capital et sans les normes spécifiques de contrainte. Il n’y a aucun doute qu’en cas de nouvelle guerre, les tendances du capitalisme d’Etat seront de nouveau utilisées tout le long de la guerre en vue de mobiliser l’ensemble de l’économie nationale pour les besoins de la guerre.

Cette évolution de la forme d’organisation du pouvoir d’Etat, cette forte centralisation des organisations politiques et économiques de la bourgeoisie a une très grande importance pour tout le développement ultérieur. Ces phénomènes sont aussi d’une très grande portée du point de vue de la lutte de classes actuelle du prolétariat.

Mais tous n’ont pas encore suffisamment compris que le prolétariat a actuellement affaire non seulement à différents patrons ou même à différents trusts, mais à toute l’organisation de la bourgeoisie impérialiste, en tant que classe, et que c’est pour cette raison que la situation du prolétariat est aussi difficile et aussi compliquée dans chaque combat économique.

Etant donné que le prolétariat a affaire directement aux grands trusts et cartels fusionnés avec- l’appareil d’Etat de la bourgeoisie, chaque grève tend à se transformer en grève politique, chaque conflit partiel a tendance à se transformer en une lutte d’envergure de la classe ouvrière. Je reviendrai encore d’ailleurs à cette question.

Je passe maintenant au problème de la situation des classes dans les plus importants pays européen et, en premier lieu, dans les Etats-Unis d’Amérique.

II. Les processus politiques intérieurs dans les pays bourgeois

Aggravation des contradictions intérieures

Lors de l’analyse de la situation, j’ai indiqué que sa relativité se manifeste dans les conflits entre Etats par des menaces de guerre, par l’antagonisme entre les pays impérialistes et les pays coloniaux, par l’antagonisme entre le monde impérialiste et l’U.R.S.S.

Cependant, cet état de choses ne signifie nullement que les contradictions intérieures ne s’aggravent pas dans chaque pays. Les contradictions intérieures dans les pays capitalistes s’aggravent, doivent fatalement s’aggraver. Cependant, le caractère de ces contradictions s’est modifié. Ces contradictions; propres à chaque société capitaliste se sont aggravées maintenant, en vertu de causes spécifiques qui enveniment considérablement la lutte de classes. La perspective de la stabilisation partielle et temporaire implique la guerre.

Le processus de la stabilisation se répercute sur la situation des grands pays capitalistes d’une façon variée. La stabilisation partielle est un double processus. D’une part, il se produit une certaine, consolidation technique et économique du capitalisme et, d’autre part, — ce qui ne doit pas être oublié un seul instant, — les contradictions s’accroissent, la lutte de classes s’accentue, le chômage augmente.

Les Etats-Unis d’Amérique peuvent servir ici d’exemple classique. Le développement du capitalisme s’y effectue à un rythme des plus rapides et les forces productives s’y accroissent tandis que le chômage est organiquement lié à l’accroissement des forces productives. Il est donc absolument évident que ceci produit une aggravation de la lutte de classe aux Etats-Unis.

Quatre millions de chômeurs, ce n’est pas un chiffre insignifiant. Le chômage se répercute aussi dans les autres couches du prolétariat. C’est le fardeau du capitalisme. Mais en même temps la stabilisation permet d’améliorer la situation de certaines couches du prolétariat. En conséquence, nous devons analyser les rapports sociaux existant au sein du prolétariat. Je pose ici sous une forme générale le problème de la social-démocratie.

Nous disions et disons encore que la social-démocratie, l’opportunisme, ont fait faillite. Ceci est très juste. Cependant, la maudite social-démocratie existe encore. Dans certains pays elle augmente numériquement et prend de l’importance. L’I.C. a obtenu en Allemagne de grands succès, en particulier après les défaites passées.

Cependant, la social-démocratie a obtenu 9 millions de voix aux élections. C’est un chiffre important. Dans la période actuelle de notre développement et de notre lutte, nous devons soulever la question : quelles sont les racines de ce fait ?

Les causes de la vitalité de la social-démocratie

D’habitude, nous posons le problème des racines de l’opportunisme en connexion avec la question des colonies, des surprofits tirés des colonies par les capitalistes, profits qui permettent à la bourgeoisie de corrompre les couches supérieures de la classe ouvrière.

L’Allemagne ne possède pas de colonies. Quelle est donc la raison de ce renforcement de la social-démocratie allemande ou, du moins, de la solidité de ses positions ? Pourquoi cette social-démocratie perfide ne disparaît-elle pas de la scène, pourquoi possède-t-elle une telle capacité de manœuvre ? On ne peut expliquer ceci par la perfidie, le savoir. Ce n’est pas cela qui a ici une importance décisive, ce n’est pas cela qui détermine tout le reste. La vitalité de la social-démocratie se trouve en étroite liaison avec le processus de la stabilisation.

Le côté économique en est très complexe. Jusqu’à présent, nous parlions des surprofits tirés directement des colonies par tel ou tel Etat. Or, les Etats-Unis ne possèdent pas beaucoup de colonies. Réalisent-ils quand même des surprofits ? Oui.

Je ne puis m’arrêter en détail sur ce point. Je rappellerai que Marx a déjà fait l’analyse de différents cas où un pays à grande industrie, ayant une importance primordiale dans l’économie mondiale, réalise un profit différenciel grâce à la supériorité de sa technique. Or, ces derniers temps, ces surprofits du capitalisme jouent un rôle considérable.

Par conséquent, la base économique du réformisme n’est pas seulement les surprofits tirés directement des colonies, mais aussi les surprofits provenant du commerce mondial en général, de l’exportation de capitaux, non seulement dans les « propres » colonies du pays exportateur, mais dans les colonies en général, etc.

Prenons les Etats-Unis. Ceux-ci réalisent d’énormes surprofits grâce à la situation monopoliste du capitalisme américain, quoiqu’ils ne possèdent pas de grandes colonies.

L’Angleterre présente une courbe descendante de développement, mais son monopole colonial n’est pas encore disparu. La base de l’impérialisme britannique se rétrécit, mais subsiste. Dans la métropole, il se produit un processus de radicalisation du prolétariat L’influence du Parti communiste s’accroît, etc. Mais la fin de la domination monopoliste de l’impérialisme britannique n’arrive pas aussi rapidement que nous l’escomptions auparavant. Le monopole colonial du royaume britannique; offre encore une base assez vaste au réformisme anglais.

J’ai déjà parlé de l’Allemagne.

Pour se rendre compte de ce qui fait la force .de la social-démocratie, il est nécessaire d’étudier encore d’autres facteurs très importants. Parmi ceux-ci, il faut considérer les changements de politique intérieure dans différents pays. Les cadres assez nombreux des anciens fonctionnaires social-démocrates ou syndicaux deviennent dorénavant des fonctionnaires d’Etat, des municipalités, des employés des organisations patronales.

Des changements importants ont lieu dans ce domaine.. Ceux-ci s’observent dans de nombreux pays, et, en premier lieu, en Allemagne. Les tendances de fusion des organisations ouvrières réformistes avec les organisations patronales et les organes étatiques de la bourgeoisie impérialiste, reviennent en pratique à la transformation partielle de la bureaucratie syndicale et de celle du Parti en cadres de fonctionnaires d’Etat et d’employés des organisations patronales. C’est là une des méthodes originales de corruption de la part de la bourgeoisie.

Le fascisme et la social-démocratie

Dans les Etats fascistes se déroule à peu près le même processus. Prenons par exemple un Etat comme la Pologne avec l’organisation militaire des « Streletz » de Pilsudski. C’est une organisation « volontaire ». Officiellement, cela va de soi, l’organisation est composée de volontaires et, néanmoins, c’est une organisation semi-étatique. Compte-t-elle des ouvriers du P.S.P ? Oui. Voire même en grand nombre. Ils constituent une couche spéciale dans la structure de l’Etat.

Ainsi, en général, les causes essentielles de la solidité des Partis social-démocrates consistent dans les facteurs économiques, et politiques que j’ai ébauchés. Il va de soi que, dans cette question, la capacité de manœuvre des Partis social-démocrates joue aussi un rôle, de même qu’une certaine expérience et habileté dans les intrigues politiques, etc.

Tout ceci joue un rôle très important. Mais ou peut expliquer la situation exclusivement par ceci. On peut dire que le processus de stabilisation crée, d’une part, un soutien économique pour la social-démocratie. D’autre part, les contradictions de la stabilisation engendrent un terrain favorable au développement des Partis communistes. Grâce à ce fait, on observe fréquemment un accroissement parallèle de l’influence des communistes et de la social-démocratie. Bien entendu, ici jouent encore d’autres causes qu’on ne peut ignorer.

Prenons par exemple, les regroupements sociaux dans les couches influencées par la social-démocratie. La social-démocratie s’accroît parfois en gagnant de larges couches de la petite-bourgeoisie. Aux élections, la social-démocratie se développe au détriment des Partis bourgeois en gagnant les suffrages de la petite-bourgeoisie.

Mais il ne faut pas oublier que dans différents pays, y compris l’Allemagne et la France, nous n’avons gagné jusqu’à présent que des cadres encore très insuffisants, même dans les grandes entreprises, parmi les ouvriers des trusts importants où la social-démocratie est encore forte.

Accentuation de la lutte de classes

Les contradictions intérieures de la stabilisation dans chaque pays capitaliste enveniment la lutte de classes. Or, étant donné les changements survenus dans la structure organique de l’Etat et du capitalisme contemporains, ces contradictions internes transforment toute grève plus ou moins importante, en un événement politique de première importance.

Ainsi en fut-il avec la grève anglaise, avec celle des métallurgistes en Allemagne, ainsi en sera-t-il à l’avenir. La transformation d’une grève économique en grève politique est déterminée par ces particularités : par la trustisation du capital, par la fusion des organisations patronales avec l’Etat.

Ainsi se développent les contradictions internes dans chaque pays capitaliste. Elles ont pour résultat d’intensifier la lutte des classes, d’étendre l’influence communiste.

On peut illustrer et prouver ceci par de nombreux faits. Je veux parler de la vague de grèves dans différents pays, en France, en Tchécoslovaquie, en Allemagne; de la radicalisation du prolétariat, de sympathie grandissante envers l’U.R.S.S., de la décomposition des partis bourgeois que le prolétariat suivait auparavant (le Parti du centre, en Allemagne, les organisations catholiques en Italie, etc.

Les résultats des élections en France, en Allemagne, sont également une expression de l’accentuation de la lutte de classes. Le processus de stabilisation est plein de contradictions, c’est pourquoi nous nous développons également. Si ce n’est pas toujours numériquement, nous étendons du moins notre influence politique.

L’année dernière, encore, dans son rapport au Congrès de la social-démocratie allemande, Hilferding prophétisait :« Camarades, c’est la fin des communistes. Je comprends parfaitement que des gens qui, pendant plusieurs années, ont étés victimes de ce maudit chômage, je comprends que des gens poussés au désespoir, par la perte de leurs biens, dans la période d’inflation, que des gens désillusionnés en tout et qui n’ont gardé foi qu’en la violence, peuvent, en vertu d’un état d’esprit versatile, donner leur bulletin électoral aux communistes. Mais ceci n’a aucune importance pour le mouvement politique du Parti communiste. Sa fin est proche. » (Rires.)

En réalité, il n’en est pas ainsi. Les partis communistes se développent sans arrêt. Les élections en Allemagne en sont un témoignage vivant. Là, le Parti a remporté 3 ¼ millions de voix. Il est regrettable que M. Hilferding se soit trompé à ce point là !

Les élections en France sont également un témoignage de ce fait, si on les considère non pas au point de vue hybride des social-démocrates qui mesurent leur influence par le nombre des mandats obtenus au Parlement. Notre influence politique s’accroît parallèlement à la croissance des contradictions de la stabilisation capitaliste. Mais parallèlement se développe parfois l’influence de la social-démocratie et aussi la social-démocratie elle-même.

Dans le courant de ces dernières années, la social-démocratie a accompli une profonde évolution. Ce serait une erreur de la considérer comme étant encore ce qu’elle était en 1914. La social-démocratie du 4 août 1914 n’était que l’embryon de la social-démocratie contemporaine.

L’idéologie actuelle de la social-démocratie a perdu les restes de ses phrases quasi-marxistes. La social-démocratie se nourrit maintenant de la bimbeloterie de Macdonald. Ce faisant, les leaders social-démocrates s’efforcent de préparer ce plat d’une façon aussi appétissante que possible.

Le visage césarien de la social-démocratie

Ces jours-ci, le camarade Riazanov a publié dans l’organe central de notre Parti, la Pravda, la correspondance de Lassalle avec Bismarck. A présent, on sait parfaitement ce que fut la ligne politique de Lassalle. Dans sa lettre à Bismarck, Ferdinand Lassalle dit qu’il serait bien de fonder une monarchie sociale avec la « couronne » en tête.

Ceci rapprocha Lassalle de Bismarck et l’incita à entreprendre une intrigue politique. Néanmoins, la social-démocratie lance le mot d’ordre : « Retour à Lassalle ». Le sens de ce désir instinctif de revenir à Lassalle nous est parfaitement évident à présent. Ceci représente en quelque sorte, la base idéologique pour un rapprochement entre les idéologues à la Noske et ceux des fascistes italiens.

Le « césarisme social » avec la dynastie en tête, est une idéologie convenant beaucoup à la social-démocratie actuelle. En août 1914, la social-démocratie a trahi le marxisme, en prenant la défense de la patrie capitaliste. De notre temps, la social-démocratie est une force active qui construit consciemment la société capitaliste. Cette politique intérieure de la social-démocratie est entièrement conforme à sa politique extérieure.

A présent, elle ne défend pas seulement la patrie capitaliste, mais elle est aussi, au point de vue capitaliste, l’expression la plus vive des aspirations agressives de sa patrie. Je vous demande est-ce qu’il n’y a pas actuellement des social-démocrates qui exigent des colonies pour leur pays ? Ils sont nombreux, et ils soulèvent cette revendication tout à fait ouvertement.

L’histoire de la social-démocratie allemande nous rappelle l’affaire Hildebrand : le Congrès de Chemnitz l’exclut du Parti pour avoir exprimé de pareilles idées dans son livre. Mais aujourd’hui, les membres les plus en vue de la social-démocratie prêchent ouvertement l’idée coloniale. Ce n’est ni l’effet du hasard, ni une exception.

Prenons par exemple la dernière résolution de la IIe Internationale sur la question coloniale. Il est possible que ce soit Bauer qui l’ait rédigée, lui donnant une nuance de quasi-marxisme. Nous trouvons dans cette résolution les subdivisions suivantes : certaines colonies doivent recevoir l’autonomie, d’autres doivent être laissées sous le protectorat, d’autres encore sont à un tel degré de leur développement qu’il est nécessaire d’y maintenir le statu quo.

C’est donc, autant que je le sache, la même chose qui est dite dans les documents de la S.D.N. Il s’ensuit qu’il n’existe aucune différence entre ces quasi-socialistes et les aventuriers du camp de la bourgeoisie impérialiste.

Ou bien, prenons par exemple la question de la guerre, de l’attitude envers la S.D.N., de l’attitude envers l’U.R.S.S. Comparez M. Kautsky de 1914 avec le Kautsky actuel : à présent c’est un tout autre homme qui manifeste des aspirations nettement contre-révolutionnaires.

L’activité anti-soviétique de la social-démocratie

Tous les communistes doivent comprendre que dans les prochaines guerres, le rôle de la social-démocratie dépassera toutes nos prévisions par son ignominie. Bien entendu, il faut distinguer entre le sommet de la social-démocratie et le prolétariat social-démocrate, dans les rangs duquel on observe de sérieuses crises, des scissions, des effervescences, des regroupements, etc.

Mais la clique qui est à la tête agira de concert avec les grands criminels du camp impérialiste. Il ne subsiste aucun doute à ce sujet. D’ores et déjà, M. Hilferding se permet de développer les arguments suivants : le chômage existe en Europe ; ce chômage provient de ce que les affaires du capitalisme ne vont pas trop bien ; il vaudrait mieux que l’U.R.S.S. soit intégrée dans le système général des pays capitalistes ; l’empêchement à ceci est le monopole du commerce extérieur.

La déduction qui en découle, est que le prolétariat est soi-disant intéressé à briser le monopole du commerce extérieur de l’U.R.S.S. Je vous demande : qu’est cela ?

Ce n’est rien d’autre qu’une préparation idéologique à une guerre offensive directe contre l’U.R.S.S. Pour le moment, la thèse de Hilferding contient encore beaucoup d’académisme, de théorie, etc. Mais en se développant, cette thèse économique prendra une forme très actuelle et concrète de thèse politique.

Ce qui est primitivement formulé en théorie, se transforme ensuite en action. L’expression pratique de cette formule de M. Hilferding ne signifie rien d’autre que la guerre contre l’U.R.S.S.

Il va de soi qu’une pareille évolution de la social-démocratie doit provoquer une réaction correspondante de notre part. Tous les camarades savent que la dernière séance plénière du C.E. de l’I.C. a effectué un revirement de tactique dans la politique des Partis communistes français et britannique et, jusqu’à un certain point, à l’échelle générale.

Ceci a eu lieu sur l’initiative du C.E. Certains camarades établissent une corrélation entre ce revirement et certains facteurs secondaires. C’est faux, car le changement de tactique est déterminé par les facteurs dont j’ai parlé plus haut, il est déterminé par toute l’évolution de la social-démocratie. Il serait enfantin de penser que nous nous efforçons de nous « radicaliser » après le reproche que nous a fait l’opposition. Ces arguments ne méritent même qu’on y réponde.

La seule cause importante qui détermine notre tactique est le changement de la situation objective, est la modification dans le rapport des forces entre les différentes classes, les différents partis, etc… Il faut aborder cette question comme suit : les rapports entre nous et la social-démocratie ont-ils changé ou non ?

La réponse est : oui, ils ont changé. En découle-t-il des déductions pratiques quelconques ? Oui, il en découle. Pourquoi dans les syndicats et les autres organisations les social-démocrates nous attaquent-ils plus violemment qu’avant ?

Non seulement dans les grandes questions politiques extérieures, mais dans n’importe quelle question, notre ligne politique est directement opposée à la leur. Prenons par exemple la situation dans les fabriques. Quelle est la politique de la social-démocratie dans les fabriques ?

La paix sociale, le désir de ne pas faire de grève, la fusion du comité d’entreprise avec les organisations capitalistes, du « mondisme » sur toute la ligne, — telle est la position de la social-démocratie dans les fabriques, mais non pas seulement dans les fabriques.

Telle est aussi son attitude envers les trusts, envers l’Etat, envers la S.D.N. Cette ligne n’a pas pris naissance d’emblée. Elle s’est cristallisée progressivement. Mais du fait qu’elle est ainsi, devons-nous en déduire certaines conclusions déterminées ou non ? Evidemment, nous devons faire des déductions pratiques. Autrement, l’ennemi nous battra,

III. Notre orientation tactique

Un changement brusque est la réponse juste aux modifications objectives

Les modifications de la situation objective nous ont obligés à accomplir ce revirement tactique. Ce fut une réaction juste à un changement de situation. Le meilleur exemple en est l’Angleterre. Le Parti travailliste qui fut jadis une organisation diffuse, sans discipline de Parti, se transforme maintenant en véritable Parti social-démocrate de type continental.

Il possède un programme, une discipline de Parti, il aspire et s’évertue à nous lier par des décisions de Parti, à nous paralyser politiquement par son influence dans les syndicats. Il nous exclut, il nous attaque.

Si, dans ces conditions, nous maintenons notre mot d’ordre précédent et conservons nos rapports antérieurs, pour ne pas faire échouer le front commun du prolétariat organisé, nous sommes perdus : nous perdrons notre physionomie politique et, de ce fait, nos droits à une existence indépendante. L’ennemi nous battrait. Il serait donc absurde de ne pas tirer les déductions de cette situation.

Nous devons dire : Le tournant dans le Parti britannique est déterminé par le changement de la situation objective, par les nouvelles méthodes d’organisation du Labour Party, les nouveaux rapports existant entre celui-ci et notre Parti. Ce sont là des facteurs politiques d’importance primordiale.

La même chose est vraie pour la France. Les représentants actuels de la social-démocratie, Paul-Boncour avec sa loi militaire, Albert Thomas qui porte aux nues Mussolini, — tout cela n’est pas le fait du hasard. On n’exclut pas les Thomas et les Boncour, au contraire, on cherche à les justifier : le « gauchiste » Fritz Adler écrit un article dans lequel il défend en fait ce même Thomas qui chantait les louanges du fascisme.

Ainsi agissent les éléments les plus « gauches » de la IIe Internationale, ainsi écrit un homme qui, pendant la guerre, a brûlé la cervelle à un ministre en signe de protestation contre la tuerie !

En ce qui concerne le Parti communiste de France, il y eut encore d’autres facteurs qui nous incitèrent à changer de tactique. Chacun sait que l’on observe encore dans le Parti français certains vestiges des illusions parlementaires.

Les élections récentes furent un tournant pour le Parti, lequel doit être considéré non pas sous l’angle des élections, mais sous celui de la politique ultérieure du Parti communiste de France. Du fait que nous aurons à faire face à de grands combats de classe, pendant lesquels le parlementarisme, au pire sens de ce mot, pourra jouer un rôle très pernicieux, nous devions faire tout ce qui dépendait de nous pour rompre avec cette tradition.

Ainsi, notre changement de tactique est en liaison avec le changement objectif de la situation. Ce fut ce changement qui a donné le signal du revirement dans nos Partis communistes les plus importants. L’axe politique de ce tournant est le changement d’attitude envers les Partis social-démocrates.

La question de l’attitude envers les Partis social-démocrates est une question politique essentielle. L’intensification de la lutte contre la social-démocratie telle est l’orientation politique de l’Internationale communiste, et j’estime, que ce mot d’ordre, cette orientation politique, doivent être adoptés aussi par le VIe Congrès. En même temps je dois souligner que l’acuité des méthodes de lutte contre les Partis social-démocrates ne signifie nullement un renoncement à la tactique du front unique connue le pensent certains camarades.

Au contraire, plus nous nous dresserons violemment contre la social-démocratie, contre sa ligne politique, plus nous devons soulever avec force le problème de la conquête des masses, y compris les masses social-démocrates et les masses ouvrières qui les suivent, plus nous devons lutter énergiquement pour gagner ces masses.

A cet effet, nous devons employer des méthodes adéquates pour nous rapprocher d’elles. Il n’y a que les sots qui peuvent penser que parce que nous menons une lutte acharnée contre la social-démocratie, il est inutile de causer avec les ouvriers social-démocrates. Tout le monde ne s’est pas encore assimilé cette double tâche.

Tous n’y ont pas encore réfléchi sérieusement. Mais c’est là une de nos tâches essentielles et fondamentales dans la période actuelle.

IV. Les questions de la révolution dans les colonies et les semi-colonies

La justesse de la ligne fondamentale et les erreurs de sa réalisation en Chine

Avant d’aborder l’analyse de nos tâches fondamentales en général, je voudrais encore traiter des problèmes des mouvements coloniaux. J’aborderai la Chine et l’Inde, tout en me bornant à quelques remarques, car ces problèmes seront examinés lors de la discussion du programme et, en particulier, de la question coloniale.

Nous avons eu une large discussion de principe avec notre opposition sur la question de la révolution chinoise. Nous pouvons de nouveau éclairer d’une façon rétrospective certains problèmes fondamentaux de la révolution chinoise.

Comme on le sait, le Parti communiste chinois a essuyé une grave défaite. C’est un fait indéniable. On est en droit de se demander si cette défaite ne découle pas de la tactique erronée de l’I.C. dans la révolution chinoise. Peut-être bien qu’il n’était vraiment pas rationnel de constituer un bloc avec la bourgeoisie, peut-être bien que c’est là la faute essentielle qui détermina toutes les autres et qui, progressivement, aboutit à la défaite de la révolution chinoise ?

Probablement nous analyserons minutieusement cette question à notre Congrès lorsque nous examinerons spécialement la question coloniale, car cette question est fondamentale et il est nécessaire de l’éclaircir d’une façon consciencieuse et critique. Mais je pense, que l’erreur ne consiste pas en ceci et l’analyse nous le montrera.

En général, l’erreur consiste non pas dans la ligne fondamentale de l’orientation tactique, mais dans les actes politiques et dans la ligne pratique effectivement réalisés en Chine,

1) Dans la période de début de la révolution chinoise, dans la période de collaboration avec le Kuomintang, l’erreur consista dans un manque d’indépendance de notre Parti, dans une critique insuffisante du Kuomintang par notre Parti ; parfois notre Parti se transformait d’allié en appendice du Kuomintang.

2) L’erreur fut que notre Parti chinois ne comprit pas le changement de la situation objective, la transition d’une étape à une autre. Ainsi, par exemple, pendant un certain temps, on pouvait marcher de concert avec la bourgeoisie, mais à une certaine étape, il fallait prévoir les prochains changements qui surviendraient.

Il fallait s’y préparer. En concluant n’importe quel bloc, on doit prévoir la possibilité de pareils changements et, par conséquent, se préparer à la lutte. Dans l’analyse critique de toutes les étapes de la révolution chinoise, nous constatons que le C.C. chinois et, en partie, notre délégué en Chine, ont commis de graves erreurs, ils n’ont pas tenu compte de ce changement de situation, ils n’ont pas remarqué la métamorphose de leur ancien allié en leur ennemi acharné. Aussi n’ont-ils pas changé à temps leur tactique.

3) Par suite de cette erreur, notre Parti a parfois joué le rôle d’entrave au mouvement de masse, d’entrave à la révolution agraire et d’entrave au mouvement ouvrier. Ces erreurs furent fatales et, bien entendu, contribuèrent à la défaite du Parti communiste et du prolétariat chinois. Après une suite de défaites, le Parti corrigea ses erreurs opportunistes, avec assez d’énergie d’ailleurs.

Mais cette fois-ci, — cela arrive assez fréquemment — certains camarades donnèrent dans l’extrémité contraire : ils ne préparèrent pas l’insurrection d’une façon assez sérieuse, firent preuve de tendances putschistes, d’aventurisme de la pire espèce.

La IXe séance plénière de l’I.C. marqua un changement dans la tactique du P.C. chinois, mais dans une autre direction que les Partis d’Europe occidentale.

En opérant avec les termes de « gauche », « droite », etc., nous pouvons dire qu’en France et en Angleterre, il s’opéra un changement vers la « gauche » et en Chine vers la « droite ». Je dois cependant faire une réserve : je ne suis pas très épris de cette terminologie.

Elle convient peu et n’explique rien. L’analyse devra mettre en lumière non pas le caractère de « droite » ou de «  gauche » de la tactique, mais de sa justesse ou de sa fausseté, de sa concordance à la situation objective ou non.

Le flux de la vague révolutionnaire est inévitable en Chine

La période en cours de la révolution chinoise est considérée par nous comme l’achèvement d’une grande période pendant laquelle les vagues de la révolution s’élevèrent très haut, et le commencement d’une période qui a pour tâche principale le groupement des masses, l’accumulation des forces et la préparation à une nouvelle et forte poussée révolutionnaire.

Tous les indices objectifs attestent que la poussée révolutionnaire est inévitable. L’expérience de la lutte passée montre que, sans mouvements gigantesques de masse, on ne peut résoudre les problèmes de la révolution chinoise et que nous sommes en présence de prémisses objectives pour son achèvement triomphal.

Mais ceci nous impose la tâche essentielle, de grouper les masses afin de priver progressivement l’ennemi de la possibilité de détruire physiquement notre armée prolétarienne, détachement par détachement. La nécessité impérieuse exigea du Parti d’abandonner la position de la réalisation immédiate de l’insurrection pour adopter celle d’une préparation de masse de l’insurrection avec le maximum de chances de succès.

J’estime que la résolution adoptée par la IXe séance plénière sur la question chinoise a considérablement contribué au développement ultérieur du P.C chinois. J’espère que les décisions du Congrès seront conformes à l’esprit de cette résolution.

Les nouveaux processus dans l’Inde

La situation dans l’Inde est tout autre : l’état de choses et les rapports des forces sont autres qu’en Chine où, dans le courant de toute une période, dans le courant de nombreuses années, la bourgeoisie lutta contre les impérialistes, les armes à la main. C’est un fait avéré. Il en est autrement dans l’Inde.

La possibilité d’une longue période pendant laquelle la bourgeoisie hindoue jouerait un pareil rôle révolutionnaire, est totalement exclue. Il va de soi, que ceci ne concerne pas les différents Partis petit-bourgeois ou les organisations terroristes qui existent aux Indes. Je veux parler des principaux cadres de la bourgeoisie, du Parti svaradjiste.

Je ne suis pas en état de donner une analyse économique de la situation aux Indes, mais je dois signaler que je ne partage pas le point de vue qui prétend que l’Inde a cessé d’être un pays colonial, qu’on y observe un processus de décolonisation.

Ce serait là une assertion unilatérale. Au contraire, ces derniers temps, après la période de concessions faites par les impérialiste, l’impérialisme britannique a intensifié son joug colonial sur l’Inde en général, et sur la bourgeoisie hindoue en particulier.

Ceci oblige le Parti svaradjiste à fronder de nouveau contre l’impérialisme britannique. Elle fronde donc. Mais de là à la lutte à main armée, il y a du chemin.

Dès la première intervention des masses, le Parti svaradjiste se tournera vers l’impérialisme britannique et conclura un accord avec lui. Par intervention des masses j’entends une intervention où celles-ci lancent leurs mots d’ordre radicaux indépendants, tel celui de la confiscation des terres, ou des mots d’ordre radicaux pour la défense des intérêts des ouvriers.

Je pense que lors d’une intervention indépendante des masses avec des mots d’ordre plus ou moins révolutionnaires, la bourgeoisie svaradjiste s’entendra vite et conclura un compromis avec l’impérialisme britannique. En ce moment, elle fronde.

A certains moments, elle peut même jouer un rôle révolutionnaire objectif, mais on ne peut s’attendre à ce qu’elle joue un rôle révolutionnaire pendant toute une période. Il est incontestable — ce qui doit être souligné d’ailleurs — que la bourgeoisie passera au camp de la contre-révolution lors de la première manifestation de masse.

Le Parti communiste doit dès le début mettre en lumière les tergiversations de la bourgeoisie, lancer des mots d’ordre radicaux, intervenir dès le début contre la bourgeoisie en ouvrant les yeux des ouvriers sur la conduire ultérieure de la bourgeoisie svaradjiste hindoue. Il serait des plus dangereux d’appliquer automatiquement à l’Inde la tactique employée en Chine. Il faut procéder ici à une analyse spéciale, il faut employer une tactique, particulière établie conformément à la situation particulière dans l’Inde.

Vu l’heure avancée on propose au camarade Boukharine d’interrompre son rapport et de le terminer dans la prochaine séance.

Troisième séance

(19 Juillet 1928)

Le président Foster ouvre la séance et donne la parole au camarade Boukharine.

V. Nos tâches essentielles et nos défauts

Plus d’internationalisme !

Camarades,

Je passe à la question de nos tâches essentielles et de nos défauts. De l’analyse de la situation mondiale que j’ai déjà faite résultent des déductions déterminées concernant notre orientation fondamentale dans le domaine des problèmes de tactique. Je m’arrêterai avant tout à la question de l’internationalisme de notre mouvement.

Il va de soi que dans la période actuelle, lorsque ce sont les questions de la grande politique qui se trouvent au centre de l’attention des partis communistes, lorsque le problème de la guerre est un problème central, la question de l’éducation internationale et des tâches des partis communistes qui s’en dégagent doit être au centre de l’activité de l’Internationale communiste.

En considérant la vie de nos partis de ce point de vue, il faut noter que malgré les effectifs peu considérables des partis communistes, nous avons indubitablement obtenu des succès assez importants dans le domaine de la bolchévisation des partis communistes.

Nous avons fait des conquêtes assez appréciables et pouvons constater un accroissement de notre influence ; idéologiquement, nous avons conquis de nouveaux territoires au communisme, etc. Néanmoins, le degré de l’internationalisme des partis communistes est encore insuffisant comparativement aux tâches qui se dressent devant l’Internationale communiste et ses sections.

L’expérience de ces dernières années a montré ces lacunes. Je pense qu’il est de notre devoir de nous prononcer tout à fait ouvertement sur cette question, puisque la reconnaissance franche de ce fait est la condition nécessaire pour remédier à ce défaut.

Pendant la grève anglaise, nous avons constaté, et cela est fixe dans les résolutions des C.E. élargis de l’Internationale communiste, que plusieurs partis n’ont pas soutenu comme il le fallait, la classe ouvrière anglaise. A l’exception de quelques partis peu nombreux et, en premier lieu, du P.C. de l’U.S., tous les autres partis ont donné une aide par trop molle au prolétariat anglais.

Pendant les événements de Chine, nous avons assisté au même phénomène. L’ampleur de la campagne internationale pour la défense de la révolution chinoise n’a pas correspondu aux besoins objectifs de cette période et aux devoirs révolutionnaires des partis communistes.

L’intérêt pour la révolution chinoise n’a pas trouve une expression conforme. En ce qui concerne la presse, elle n’a pas donné une information suffisante sur la bolchévisation du parti communiste chinois, sur la bolchévisation du mouvement ouvrier et paysan en Chine.

On n’a pas remarqué un travail plus ou moins approfondi et systématique dans ce domaine ; on n’a pas fait de large campagne politique à la hauteur des circonstances. Des tentatives ont été faites pour supprimer ces lacunes, mais il n’y avait pas de travail systématique obstiné. En conséquence, les partis n’ont pas toujours été à la hauteur des grandes campagnes.

Voyons la question du fascisme, non pas du fascisme italien, mais de la question fasciste eu général. Ici il faut souligner que la lutte des partis communistes contre le fascisme, et l’attention accordée à cette question, furent absolument insuffisantes.

Des événements comme l’intervention des Etats-Unis au Nicaragua n’ont pas provoqué de réaction appréciable, même pas de la part du parti communiste des Etats-Unis. Si le parti frère des Etats-Unis, pour lequel cette question devait être la question centrale, n’était pas à même de développer la campagne d’envergure qui s’imposait, il en fut de même des autres partis.

Le Nicaragua est loin de l’Europe, mais les conditions géographiques ne doivent pas jouer un rôle décisif dans l’activité des partis communistes. Il y a encore dans certains partis, surtout en Europe, dans les grands partis aussi bien que dans les petits, des vestiges de provincialisme, des lacunes dans la compréhension de l’importance de la grande politique internationale.

Si nous voulons réellement nous préparer aux événements d’une importance historique mondiale comme la guerre future, nous devons dès maintenant concentrer notre attention sur les questions de la grande politique internationale.

Autrement, nous ne pourrons pas nous préparer sérieusement à la guerre, Naturellement, pour bien mener cette campagne, pour la développer avec l’énergie nécessaire, nous devons lier les questions de la grande politique internationale aux questions de la vie journalière et au travail révolutionnaires dans les pays respectifs. Là encore apparaît la question de la guerre. Presque toutes les questions politiques intérieures, y compris les questions du mouvement ouvrier dans chaque pays, touchent à ce problème.

L’offensive du capital est liée aux préparatifs de guerre de la bourgeoisie ; elle est provoquée par la nécessité pour la bourgeoisie de renforcer ses positions, d’établir la paix civile, de se créer des garanties contre les ouvriers, etc.

En général, c’est un problème très compliqué. Il est indispensable de partir des questions journalières pour en faire la base du développement ultérieur de nos tâches et de nos mots d’ordre plus généraux. Cela exige un certain art politique et tactique.

Mais c’est là précisément un argument pour que soient posées les grandes questions politiques. L’art de la tactique bolchéviste consiste précisément à soulever de grandes questions en partant de choses de peu d’importance.

Si nous n’apprenons pas cet art, si nous ne réagissons pas suffisamment aux grandes questions internationales, nous ne ferons pas de travail systématique pour la préparation à la lutte contre la guerre. Nous devons comprendre cela et le fixer dans notre résolution.

La question de la guerre, la question de la défense de la révolution en U.R.S.S. et en Chine sont d’une importance centrale, décisive. Le travail systématique en ce sens est une tâche primordiale que tous les partis, toutes les sections de l’Internationale communiste ont à accomplir dans leurs pays.

La question de la ligne générale des partis communistes est celle de l’attitude envers la forme actuelle du capitalisme et envers l’Etat capitaliste. Aussi, dans ce domaine, les questions de peu d’importance se transforment imperceptiblement en grands problèmes politiques.

En considérant, par exemple, l’orientation de la tactique des partis social-démocrates. — j’en ai déjà, parlé brièvement— nous voyons une ligne tout à fait conséquente. Elle tend à la fusion avec les organisations patronales. Cette ligne s’étend de chaque fabrique jusqu’à la S.D.N. Les social-démocrates font de la propagande pour la « paix industrielle », pour la méthode « américaine » de collaboration entre le travail et le capital.

Telle est la ligne fondamentale de la social-démocratie contemporaine. Cette orientation fondamentale se répercute tant dans le domaine politique extérieur que dans les questions politiques intérieures, dans la question des rapports avec l’Etat, dans la question de coalition, de l’attitude vis-à-vis des organisations du patronat, c’est-à-dire vis-à-vis des magnats du capital trustisé. Le mot d’ordre social-démocrate préconise l’union avec le capital trustisé. La question de la lutte de classes n’existe plus pour eux.

Dans le domaine économique, ils sont contre les grèves qu’ils veulent remplacer par paix industrielle ; au lieu de l’accentuation des grèves, ils sont pour l’arbitrage obligatoire. La question de l’indépendance ou de la subordination des organisations ouvrières est résolue par eux sous forme de collaboration des organisations ouvrières avec les associations patronales. C’est tout un système de tactique. Les organisations ouvrières, du point de vue du réformisme, doivent perdre leur indépendance de classe.

Pour ces messieurs, la lutte de classes est « périmée ». La ligne de la social-démocratie tend à la fusion des organisations ouvrières réformistes avec les organisations du capital monopoliste et les organes de l’Etat- capitalisme monopoliste. Nous voyons cette ligne conséquente de la tactique social-démocrate sur tout le front.

Tactique du front unique seulement par en bas

Quelle est donc notre orientation de tactique ? Dans toutes ces questions, de la cellule d’entreprise jusqu’à la S.D.N., l’orientation de notre tactique est complètement opposée a celle de la social-démocratie.

C’est une orientation absolument antagoniste par rapport à celle de la social-démocratie. Non pas paix industrielle, mais lutte de classe ; non pas arbitrage, mais lutte contre l’arbitrage obligatoire, contre toutes les entraves que les organisations capitalistes ou l’Etat capitaliste dressent devant la classe ouvrière ; lutte contre toutes les chaînes qui paralysent le mouvement gréviste !

Telle est notre orientation tactique. Nous avons déjà discuté ces questions à plusieurs reprises, aussi la réponse à ces questions est-elle tout à fait claire. La dernière déduction de cette ligne tactique est l’orientation vers la destruction de l’Etat bourgeois, vers la révolution.

Cette ligne ne signifie nullement l’abolition de la tactique du front unique. Mais vu l’intensification de notre lutte contre la social-démocratie, nous devons y apporter la modification suivante : actuellement, dans la majeure partie des cas, il nous faut employer exclusivement la tactique du front unique par en bas.

Nous ne devons faire aucun appel aux centres des partis social-démocrates. Les exceptions ne sont admissibles que dans des cas extrêmement rares et seulement applicables aux organisations locales des partis social-démocrates. Mais la base de notre tactique doit être l’appel aux masses social- démocrates, aux simples ouvriers social-démocrates.

La tactique du front unique est étroitement liée aux questions du travail systématique que nous avons à faire.

Le travail dans les syndicats est un problème de la plus haute importance

Il ne s’agit pas seulement de telle ou telle campagne à l’occasion de tel ou tel événement. Toutes ces questions de tactique sont précisément et en premier lieu des questions du travail systématique. Tout le monde connaît la thèse exposée dans plusieurs résolutions de l’I.C. que le principal problème est celui du travail dans les syndicats. Nous avons toujours noté de nombreuses lacunes dans ce domaine.

A ce congrès aussi nous, discuterons le problème du travail syndical, nous examinerons soigneusement, minutieusement l’expérience de nos partis, nous essayerons de l’analyser en toute conscience, d’établir quelles sont les causes, quelles sont les origines de nos lacunes dans ce domaine.

Si nous voulons faire de l’autocritique, je pense qu’il y a peu de secteurs sur le front de notre lutte et de notre activité où elle puisse avoir autant d’importance et soit aussi nécessaire que dans le secteur de notre travail dans les syndicats. Notre influence idéologique s’accroît au sein des syndicats.

Mais jusqu’à présent nos camarades jouissent encore de trop peu d’autorité en tant que militants syndicaux. L’autorité de nos militants s’accroît, mais leur autorité est celle de leaders politiques, d’initiateurs de larges campagnes politiques, de combattants de la lutte révolutionnaire de classe du prolétariat, de défenseurs de ses grands intérêts historiques.

Mais leur autorité spécifique de militants syndicaux, de bons dirigeants du mouvement gréviste est encore insuffisante. La disproportion entre l’autorité politique de nos camarades et leur autorité syndicale est encore très grande. Cela s’explique par les différentes défectuosités qui existent dans notre travail dans les syndicats. Tenez, quelques exemples. Prenons la France.

Nous y constatons de nombreuses erreurs commises par les communistes dans le domaine syndical. Les rapports entre les communistes et les syndiqués sans parti ne sont pas ce qu’ils devraient être : les communistes commandent trop, agissent trop peu par la conviction, ne travaillent pas d’une façon assez systématique. Il y a aussi d’autres sortes de défauts.

Certains militants syndicaux font « bien » leur travail dans les syndicats. Mais ce travail syndical est presque du travail social-démocrate et l’on y chercherait en vain la manière spécifiquement bolchéviste de poser les problèmes syndicaux. Les problèmes spécifiquement communistes y font presque complètement défaut.

Un tel militant syndical peut avoir une très bonne réputation dans les larges masses syndicales, mais il ne mérite guère d’être approuvé du point de vue communiste. En Allemagne, par exemple, certains camarades se sont tellement habitués aux méthodes social-démocrates de travail qu’ils n’ont pas suivi les directives du parti, n’ont pas publié les appels électoraux de notre parti, etc.

Ils se soumettaient à la discipline syndicale générale afin de rester de « bons » militants syndicaux. C’est là une autre variété de travail non satisfaisant des communistes dans les syndicats.

Pendant le mouvement gréviste, et c’est là une des questions de la plus haute importance du travail syndical, nous avons aussi observé diverses fautes assez graves de la part de nos militants syndicaux. Parfois nous nous heurtions « à la politique de la remorque », c’est-à-dire à l’absence d’initiative, à l’incapacité de jouer le rôle dirigeant dans le mouvement gréviste.

Pendant la grève, nous nous traînions souvent à la remorque de la masse au lieu de la diriger. Dans la période écoulée, il y a eu pas mal de ces exemples en France, où des grèves se déroulaient en dehors de nous.

D’autre part, nous opérons trop souvent dans le mouvement gréviste avec des phrases révolutionnaires, mais nous ne portons pas assez d’attention à la préparation sérieuse des grèves, nous ne tenons pas suffisamment compte de la conjoncture et de toutes les possibilités de grève, nous ne savons pas choisir le moment du déclenchement ou de la cessation de la grève, nous ne savons pas la diriger habilement, etc.

Cependant, toutes ces qualités sont absolument nécessaires, surtout à l’heure actuelle, car dans ce domaine, dans le domaine de la direction des grèves, la situation est très difficile. Presque chaque grève a, dans une mesure plus ou moins considérable, la tendance de se transformer en un grand événement politique.

Dans ces conditions, on ne peut bien mener la grève qu’en étant bien au courant de la conjoncture, qu’en calculant toutes les possibilités du mouvement dans tous les détails. Il ne faut pas seulement du tempérament révolutionnaire : celui-ci est nécessaire, mais il n’est pas suffisant.

Ce qu’il faut aussi, c’est la connaissance des conditions économiques et politiques de la lutte. Les questions du mouvement syndical n’ont jamais été aussi compliquées qu’actuellement. A la base de ce problème compliqué se trouve notamment le rapport entre les forces du capital et les forces unies de la classe ouvrière.

Or, camarades, nous avons actuellement une situation telle, que ces conditions spécifiques ne sont souvent pas comprises. C’est ainsi que le problème de l’unification des comités de fabriques et d’usines en une organisation correspondant à l’organisation des trusts n’est pas encore résolu, et nos partis communistes des pays capitalistes les plus avancés ne font pas assez de propagande pour une telle concentration du mouvement ouvrier.

Cependant, la propagande pour cette union, pour cette centralisation de la lutte, doit former notre réponse à la concentration du capital trustisé. Dans le domaine syndical, nous luttons actuellement moins contre tels ou tels patrons isolés, que contre le capital trustisé uni. Le terme « trust » doit être souligné toujours de nouveau. C’est là la particularité spécifique à laquelle nous avons actuellement affaire.

La question des jeunes est un des principaux problèmes

Camarades, il y a encore chez nous d’autres lacunes. Elles concernent nos organisations de masse et cela malgré les grands succès que nous y avons remportés. Je prends, par exemple, un autre domaine de notre activité, — notre mouvement des jeunes. Nous pouvons enregistrer certains progrès importants, surtout dans le domaine de la lutte antimilitariste au cours des différentes campagnes militaires.

Prenez l’action de la Fédération des Jeunesses communistes de France pendant la guerre du Maroc, et celle de nos J.C. en général, dans la lutte contre la menace de guerre. Malheureusement, nous observons aussi de grands défauts.

Tantôt le nombre des jeunes camarades fléchit, tantôt il reste stationnaire. Il est incontestable que le mouvement des jeunes se distingue par des méthodes trop sectaires, que notre Internationale des Jeunes n’est pas à même de pénétrer dans toutes les organisations de masses de la jeunesse ouvrière et d’y étendre son influence.

Jusqu’à présent, notre tactique dans l’organisation des jeunes a été caractérisée par une certaine étroitesse. Je crois que ces lacunes se sont encore accentuées ces derniers temps. C’est là un des points les plus dangereux de notre travail. Certains camarades ayant constaté les grandes fautes commises voudraient animer le travail par des méthodes qui feraient perdre la physionomie politique et communiste aux J.C. Je pense que c’est faux.

Nos jeunesses doivent rester une organisation communiste qui, naturellement, ne doit pas doubler le parti. Cependant, l’orientation communiste générale doit rester la base du développement futur des J.C.

Pour le maximum de variété et de souplesse dans les méthodes de travail

Ce qui nous manque et ce que nous devons tâcher d’obtenir, c’est la variété dans les méthodes de travail.

Nous devons tendre à ce que l’organisation des jeunes réagisse non seulement sur les questions de grande politique, sur les grandes campagnes politiques, mais aussi sur les questions politiques et culturelles, sur toutes les questions qui intéressent la jeunesse ; dans tous les domaines, à commencer par les sports jusqu’à la révolution chinoise, nos jeunes camarades doivent dire leur mot, réagir organiquement et politiquement comme l’exigent les directives sur la pénétration de notre influence dans toutes les organisations de jeunes ouvriers.

Pas de sectarisme, pas de méthodes bornées qui, en fait, ne font que détruire le front unique du mouvement des jeunes.

Camarades, le problème des jeunes est un des principaux problèmes de notre époque. En Europe occidentale, en Amérique et en d’autres pays, ce problème est pour nous d’une importance sérieuse.

Pour gagner la jeunesse, la bourgeoisie lutte avec une énergie fiévreuse et avec plus d’habileté que nous. Toutes ces grandes organisations sportives que certains considèrent comme une méthode de civilisation bourgeoise, ont une grande signification politique.

Leur importance est en liaison étroite avec les questions centrales de la politique, tout particulièrement avec celle de la guerre. Par les associations sportives, la bourgeoisie impérialiste entraîne la jeunesse à la guerre, parfois sous une forme bénigne et apolitique.

En considérant ces processus, d’un point de vue non pas isolé mais du développement général, ou s’aperçoit qu’ils jouent à notre époque un rôle politique considérable.

Le jeune ouvrier raconte avec enthousiasme comme il joue bien au football, mais il est déjà pris dans le filet de l’organisation bourgeoise. Les exercices de gymnastique sont en quelque sorte un entrainement militaire, non seulement au point de vue de la technique, mais aussi de la politique et de la guerre.

Or, si nous consacrons principalement notre attention aux grands problèmes politiques, sans essayer de pénétrer en même temps dans toutes les organisations de masse, — je ne parle pas absolument d’une pénétration organique, mais de notre influence et de notre autorité politique, — nous perdrons pour notre cause les grandes masses de la jeunesse.

Pourquoi dis-je que le problème de la jeunesse est un des principaux problèmes ? Premièrement, parce que, ces derniers temps, nous causons beaucoup du problème syndical, par exemple, tandis que nous portons trop peu d’attention au mouvement de la jeunesse. Mais réfléchissez, sur quelques faits essentiels tels que celui-ci : à présent, la jeunesse est plus mal organisée que le prolétariat adulte, chez les social-démocrates aussi bien que chez nous.

C’est là un des grands paradoxes historiques que la génération d’après-guerre, née pendant la guerre, soit plus mal organisée que la génération précédente. Je pense que cela provient en partie de ce que de larges couches de la jeune génération ont été neutralisées, soit directement ou indirectement par la bourgeoisie, ou bien que la jeunesse est sous l’emprise d’un état d’esprit apolitique. Mais ceci s’explique aussi par l’influence de la bourgeoisie impérialiste ; l’essentiel pour elle est de neutraliser la jeunesse.

C’est pourquoi, il est absolument nécessaire que nous améliorions notre travail dans le domaine d’organisation de la jeunesse. Nous devons le dire bien haut et le congrès doit donner à l’I.C.J. les directives nécessaires dans ce sens.

Plus d’attention à la question paysanne

Abordons à présent la question des organisations sympathisantes. S’il est vrai que nous approchions de catastrophes, quoique nous ne pouvions pas en déterminer la date précise, — il serait absurde d’ailleurs de chercher à prévoir les dates, — nous devons comprendre en tous cas que, sous cette perspective, la question des organisations auxiliaires jouera un rôle considérable.

Peut-être bien que spécialement dans un avenir prochain, nous devrons analyser la question du mouvement paysan et de l’Internationale paysanne. Les résultats des élections en Allemagne et en France nous ont montré que notre influence n’a pas augmenté parmi les paysans, mais a plutôt fléchi.

C’est un symptôme important. Naturellement, notre travail parmi les paysans de nombreux pays capitalistes n’est pas chose facile. Pourtant, ce sont précisément les légions paysannes qui sont utilisées contre nous dans la lutte et la bourgeoisie travaille avec une énergie redoublée dans ce domaine.

Elle fait tout son possible pour gagner les masses paysannes, tandis que les partis communistes ont négligé quelque peu leur travail parmi la paysannerie. Dans certains pays nous avons laissé échapper le moment opportun. Rappelons le grand mouvement paysan en Roumanie. Il est vrai que notre parti communiste de Roumanie était brisé, mais personne n’a même signalé que nous étions à la veille de pareils événements aussi importants dans ce pays.

L’I.C. dans son ensemble, y compris le Comité exécutif, n’ont pas prévu cela, n’ont pas pris en temps voulu les mesures nécessaires, ce qui est une grande faute, même en tenant compte que la situation était très difficile, qu’il n’y avait presque aucune liaison, etc. Ces événements se sont déroulés presque en dehors de l’influence de notre parti.

C’est pourquoi nous devons en tirer des enseignements déterminés en ce qui concerne le mouvement paysan dans les pays balkaniques, en Roumanie, en Yougoslavie, en Bulgarie et en Pologne également.

Nous devons concentrer notre attention sur la question paysanne et, sous cet angle, nous devons aider l’Internationale paysanne à se transformer en une véritable organisation vivante. Je ne puis vous présenter un rapport sur l’activité de cette organisation, mais je vais dire qu’elle est plus ou moins une organisation de propagande, que son travail se borne principalement à éditer des matériaux divers. Ses liaisons organiques sont très insuffisantes. L’effectif de cette organisation est infime.

Malgré tout, elle obtient certains succès. Je pense que c’est non seulement la faute de l’Internationale paysanne, mais aussi celle de l’I.C., notre faute collective. Nous n’avons pas délégué dans cette organisation des forces suffisantes, nous n’avons pas consacré assez d’attention à son travail. Les événements de Roumanie et les résultats des élections en France et en Allemagne en sont un témoignage évident. Nous devrons soulever cette question dans un prochain avenir et faire tout le nécessaire pour obtenir des améliorations.

Je pense que l’appui que nous accordons à la Ligue anti-impérialiste n’est pas suffisant pour une organisation de ce genre. Certains camarades pensent que cette Ligue n’est pas une institution très vitale. En réalité, l’expérience montre le contraire : elle montre toute l’ampleur des forces potentielles et des possibilités de développement de cette organisation. L’aide que nous lui apportons est insuffisante.

On prétend que le congrès de la Ligue fut une grande parade, une grande manifestation politique. Il en fut ainsi parce que cette parade était une nécessité objective et que les forces révolutionnaires éprouvaient le besoin de s’unir.

Au point de vue de notre stratégie générale, nous devons déclarer que plus nous aurons de points de ralliement dans notre ligne et dans celle des forces sympathisantes, — que ce soit en Europe, en Asie, on Afrique ou dans d’autres pays, — d’autant plus nous serons prêts au moment des catastrophes, d’autant plus nous grouperons de véritables et vivantes organisations dans le camp de la révolution.

Pourquoi occuper dans cette question un point de vue liquidateur, c’est là une chose que je ne puis comprendre. Parfois les gens s’efforcent de faire retomber la responsabilité sur un état de choses objectif, sur des forces et des événements indépendants de notre volonté. C’est 1à une très mauvaise méthode. Nous sommes les premiers, coupables car nous avons trop peu aidé cette organisation.

La liaison du travail légal avec le travail illégal

Maintenant, j’aborderai une autre question : le problème de la liaison du travail légal avec le travail illégal. De nouveau, si notre analyse est juste en général, nous devons dès à présent commencer le travail illégal, poser la tâche de la liaison du travail légal avec le travail illégal. En ce qui concerne l’expérience du travail illégal, nous pouvons dire que dans de nombreux pays elle est assez vaste.

Nous possédons cette expérience en Pologne, dans les pays balkanique, en Italie, au Japon et en Chine. Certains partis ne sont pas encore expérimentés en ce domaine. Ceci concerne avant tout les partis du prolétariat occidental. Mais, camarades, l’offensive contre nos partis s’accentuera.

Notre parti frère français a déjà senti ce qui l’attend à l’avenir. Les attaques contre notre parti deviendront progressivement plus violentes. Il ne subsiste aucun doute qu’à la veille de la guerre, voire même quelque temps avant, nos partis tomberont sous le coup de lois d’exception. C’est une chose incontestable qu’il faut prévoir.

Aussi est-il nécessaire de jeter dès à présent la base de nos organisations illégales, en particulier dans la flotte, dans l’armée, etc. Dans le cas contraire, les événements nous prendront au dépourvu et nous, perdrons beaucoup du fait de notre préparation insuffisante.

La question des organisations illégales, y compris celle des organisations de liaison légales et illégales dans l’armée et la flotte, est une question de grande actualité. Vous comprendrez pourquoi je ne m’étendrai pas sur ce sujet, pourquoi je ne puis donner des détails, des conseils et des directives.

Mais, cette tâche se pose au premier plan et il faut la mettre en relief autant que possible. On ne doit pas se borner à des lieux communs; il faut élaborer des directives concrètes pour notre travail pratique et ces directives doivent être appliquées.

Si nous appliquons comme il faut la tactique du front unique dans le travail syndical, dans les organisations des jeunes et sympathisantes, nous saurons détruire la fameuse disproportion qui existe entre l’accroissement de notre influence politique et sa consolidation organique.

Les symptômes de bureaucratisme

En corrélation avec ceci, on voudrait encore toucher à certains autres de nos défauts. Il me semble, – et je dois le déclarer ouvertement – que ces derniers temps, non seulement dans notre parti, le P.C. de l’U.R.S.S, mais aussi dans de nombreux autres partis.

Les symptômes de bureaucratisme se sont accrus : ceci se manifeste parfois par un ultra-centralisme de la direction, par une absence totale d’initiative dans les organisations locales, etc. Il va de soi que le centralisme est indispensable de même qu’une direction centralisée. Les comités centraux doivent être de puissants organes de direction. C’est là une vérité élémentaire.

Mais il arrive fréquemment que les organisations locales ne font preuve d’aucune initiative, que la vie politique ne bat pas dans les cellules de base, que de nombreuses campagnes et les questions de l’action syndicale y jouent [il manque ici des mots ou une ligne] n’est pas difficile de voir que le pourcentage des militants du rang; mènent une action faible et que la vie intérieure du partit n’embrasse qu’un milieu restreint de fonctionnaires.

C’est là une grande lacune qui est liée à d’autres défauts. Nous prêchons sans relâche : animez les cadres, gagnez de nouveaux hommes à la direction, attirez de nouveaux membres dans les cadres du parti.

Mais, ces nouveaux hommes ne peuvent nous tomber du ciel comme des militants tout préparés. Ils doivent s’éduquer dans le processus de la vie intense du parti, de même que la masse du parti et les fonctionnaires. Si nous ne parvenons pas à remédier à ces défauts, la sélection de nouveaux cadres du parti sera rendue très difficile.

Etant donnée l’absence de vie à la base du parti, il est très difficile d’assurer avec succès la sélection de leaders ou de cadres du parti. Si l’on jette un regard sur les congrès des partis et de l’I.C, il n’est pas difficile de voir que le pourcentage des militants du rang qui y prennent part, n’a pas augmenté.

Il se manifeste donc la tendance de n’envoyer comme délégués exclusivement que des fonctionnaires ou parti, des syndicats et des fonctionnaires rétribués du parti. Cette tendance existe. Evidemment, il ne faut pas exagérer ce danger, mais il est nécessaire de le constater.

Ceci se trouve en corrélation étroite avec différentes problèmes compliqués de la, vie intérieure du parti, il faut souligner l’animation insuffisante de la vie intérieure du parti, en particulier à la base, dans les-cellules de fabriques, etc. II faut constater ce fait afin de pouvoir y remédier.

La lutte pour l’amélioration des cadres

Encore quelques mots sur le niveau culturel et politique de nos partis, sur nos cadres du parti. Il y a là aussi un écart entre les besoins objectifs de la masse des membres et la capacité et la qualification de nos cadres du parti.

Il me semble que nous avons ignoré de nombreux problèmes théoriques, que nos camarades du parti étudient peu, que la littérature est insuffisante et n’est pas appropriée aux besoins objectifs actuels, que nous réservons peu de temps à l’étude; que nous n’étudions pas assez profondément et sérieusement les questions.

Tout cela se répercute sur les méthodes de discussion. Au congrès et à la séance plénière précédente du C.E. de l’I.C., j ai déjà dit que nos discussions intérieures consistent surtout à lancer de grands mots.

Ces discussions superficielles sont la preuve que les problèmes examinés n’ont pas été étudiés avec tout le sérieux nécessaire par ceux qui participent aux discussions. Effectuer des opérations avec les différents genres de déviations, cela nous l’avons parfaitement appris et le réalisons brillamment.

En ce qui concerne la véritable étude des problèmes, la véritable argumentation et non pas la lutte automatique contre un adversaire, cela nous ne l’avons pas encore appris dans la mesure nécessaire.

Cependant, chaque pas dans la voie du développement de notre parti exige que -nous approfondissions notre pensée politique, que nous louvoyions, manœuvrions et réagissions à chaque nouvelle situation avec toute l’attention voulue.

Cet là un problème fondamental. A mon avis, nous devons porter une attention sérieuse à notre niveau théorique, à une meilleure organisation de notre presse et au relèvement de l’instruction dans nos partis.

VI. Les déviations dans l’Internationale communiste.

La déviation de droite est le principal danger

A présent camarades, quelques mots concernant les différents genres de déviations dans l’Internationale communiste. Il y a quelques temps, l’Internationale communiste était principalement menacée du côté des « extrêmes-gauchistes » qui essayèrent de constituer une organisation internationale.

Après la défaite de l’opposition du P.C. de l’U.R.S.S., ces initiatives furent brisées. Mais la défaite même de l’opposition et le point culminant de ce processus, à savoir la décomposition du « Leninbund », nous obligent à tirer quelques conclusions.

Nous avons affirmé que le trotskisme est une déviation social-démocrate. Certains camarades pensaient dans le fond que c’était une forte exagération. Mais l’histoire du Leninbund montra que le centre de l’opposition passa aux social-démocrates. Fut-ce l’effet du hasard ? Non.

La dialectique des rapports entre les soi-disant « extrême-gauchiste » et la droite est évidente. Maintenant, le principal danger est la déviation de droite, si l’on prend l’Internationale communiste dans son ensemble. La période de stabilisation que je viens d’analyser, les vestiges du parlementarisme, l’influence de la social-démocratie, certains traits spécifiques du travail syndical, — tels sont les facteurs principaux qui engendrent ce danger.

Ce danger revêt des formes variées dans les différents partis. Comment s’est il manifesté ? Premièrement, par le désir de travailler légalement à tout prix, par la crainte de sortir des cadres de la légalité bourgeoise, même dans les cas où cela était indispensable, par la soumission exagérée aux lois bourgeoises. Cette déviation de droite s’est également manifestée par l’incompréhension de la nécessité d’accentuer la lutte de classe.

C’est ainsi que par exemple, pendant les grèves on a négligé d’organiser des grèves là où il aurait fallu le faire. Cette déviation s’est manifestée aussi par une ligne erronée à l’égard de la social-démocratie, par une lutte insuffisamment accentuée contre ses leaders de « gauche ».

Elle se manifeste également par un internationalisme insuffisant dans les partis. Nous voyons que même les partis dont l’orientation est généralement juste, oublient de remplir leur devoir international, comme: cela fut le cas à l’égard de la révolution chinoise.

C’est là sans conteste une déviation de droite prononcée. La même déviation se manifeste aussi dans le travail syndical où la discipline syndicale générale est placée parfois au-dessus de la discipline de notre parti, et encore sous d’autres formes auxquelles je ne m’arrêterai pas ici.

Les déviations de gauche

Le fait de ne pas comprendre les rapports exacts qui doivent exister entre le parti et les syndicats aboutit à ce que le parti commande parfois directement les masses en sa qualité d’avant-garde communiste, sans essayer de convaincre, sans mener un travail systématique. De plus, il y a certaines tendances à renoncer absolument à la tactique du front unique.

Des déviations de gauche furent observées en Chine après la phase des grossières déviations de droite. Elles prirent la forme d’un état d’esprit putschiste, de la tactique putschiste, etc. Mais, en général, les déviations de la ligne exacte vers la droite sont aujourd’hui plus fréquentes que vers la gauche. Prenons par exemple la France.

Dans notre parti français existaient et existent encore des traditions parlementaires, au mauvais sens de ce mot. Elles se sont manifestées lors des dernières élections. On a pu constater une tendance à saboter notre changement de tactique, à s’opposer à cette tactique. Ceci provient naturellement d’une orientation par trop forte vers le parlementarisme, de certaines déviations opportunistes par rapport à la juste ligne politique. Dans le parti français, ces déviations s’expliquent par des traditions historiques profondément ancrées.

Il va de soi que notre parti français frère doit continuer à l’avenir à lutter systématiquement contre ce fait, en s’efforçant avant tout de convaincre ses membres. Il est question non seulement de lutter contre telle ou telle personne, mais aussi de lutter contre les vieilles traditions fortement ancrées de la vie sociale française et de la vie antérieure du parti socialiste, dont une grande partie des membres a adhéré au P.C.

Ces divergences se rencontrent dans le P.C.F. On les a observées lors de la discussion sur la répression, quand certains camarades français et tout le parti ont commis des erreurs, rectifiées par la suite. Nous retrouvons ces mêmes erreurs dans le parti frère de Tchécoslovaquie, véritable parti de masse, mais qui souffre dans une grande mesure de la « légalité ».

Parfois, le parti tchèque ne peut se décider à s’adresser aux masses pour organiser une protestation contre les différentes lois dirigées contre lui.

Si l’on fait constamment des concessions au gouvernement, si l’on ne déploie pas des efforts suffisants pour la mobilisation des masses contre les lois et les décrets anticommunistes du gouvernement, il est évident qu’on ne parviendra pas à établir une base quelconque pour préparer des actions de masses plus importantes, absolument contraires à la conception de la légalité bourgeoise.

Certains camarades n’ont aucune idée de la façon dont se dérouleront les événements. Ils raisonnent ainsi : nous travaillerons dans les cadres de la légalité jusqu’à tel ou tel jour, par exemple, jusqu’à la déclaration de la guerre, ensuite nous changerons notre tactique. Non, camarade, il faut se préparer d’avance. Il faut considérer l’action de masse comme un de nos meilleurs moyens de lutte.

Mobiliser les masses, devenir maître de la rue, attaquer toujours de nouveau l’Etat bourgeois et le détruire, conquérir la rue par des moyens révolutionnaires, — au sens strict de ce mot — ensuite aller plus loin, — c’est seulement sur la base de pareils événements et du développement de ces événements, c’est seulement sur la base des actions de masses, etc… que nous nous préparerons à des combats plus acharnés et plus tenaces.

En ce qui concerne les grèves et leur conduite peu satisfaisante, il y des cas où certaines organisations du parti ne savaient même pas qu’une grève se préparait dans telle ou telle fabrique importante. De pareils cas eurent lieu eu France. En ce qui concerne la position erronée à l’égard de la social-démocratie, nous avons certains exemples frappants d’erreurs commises en Allemagne, en France, en Tchécoslovaquie, etc…

Ces déviations politiques prirent partout la forme de mots d’ordre erronés. Ainsi et surtout en Allemagne où certains camarades lancèrent le mot d’ordre du contrôle sur la production, tandis que la situation révolutionnaire indispensable manquait absolument : objectivement, ce n’était rien moins qu’un pas vers la tactique de la « démocratie économique » de la social-démocratie, vers la « paix industrielle ».

Dans l’absence d’une situation révolutionnaire, un mot d’ordre vraiment juste et révolutionnaire se transforme en son contraire. Il cesse alors d’être un mot d’ordre inexact et signale déjà une ligne politique erronée.

Actuellement, ce danger de droite se présente à nous au tout premier plan, et il est parfaitement compréhensible qu’après avoir brisé l’opposition trotskiste, nous devons mener maintenant une ligne, politique déterminée contre ces déviations de droite et contre les petits groupements d’opposition de droite.

A présent, examinons d’une façon critique et à la loupe nos autres défauts. Dans certains partis, voire même dans un grand nombre d’entre eux, nous observons qu’ils ne s’assimilent pas les nouvelles situations et, en général, ne voient pas quand se produit quelque chose de nouveau. Tel a été le cas en France lorsque Poincaré est venu au pouvoir.

Nous retrouvons un exemple semblable en Angleterre, lorsque le Labour Party et le Conseil général accomplirent un brusque changement de tactique. La même faute a été commise en Angleterre, lorsque survint une nouvelle phase dans le rapport des forces sociales. En Allemagne également, nous n’avons pas réagi assez rapidement lors de la constitution du « Burgerblock » (bloc bourgeois), etc.

Plus d’attention à la situation concrète

Ainsi, presque tous les partis sans exception réagissent trop tard aux changements de situation. Quand survient une nouvelle constellation, le parti n’agit pas d’emblée, ou réagit trop tard, lance trop tard des directives ou des mots d’ordre, etc. Il me semble que ceci concerne également l’I.C. et sa direction. L’I.C. ne réagit pas toujours en temps voulu aux nouvelles circonstances, aux nouveaux événements, aux situations nouvellement créées.

Les mots d’ordre et les directives ne sont pas toujours donnés en temps opportun. Il arrive parfois qu’un seul et même parti lance jusqu’à 20 mots d’ordre différents. Or, si nous émettons simultanément 20 mots d’ordre, ils perdent toute leur raison d’être, l’attention du parti est divisée. Il arrive parfois que les organes dirigeants du parti ne savent pas grouper les mots d’ordre de façon à réunir les mots d’ordre secondaires autour des mots d’ordre principaux

C’est là une grande faiblesse de la direction. Dans la pratique, on réalise trop souvent d’une façon trop molle, insuffisante, des mots d’ordre qui, en eux-mêmes, sont parfaitement justes.

D’une part, nous lançons trop de mots d’ordre en n’ayant pas un mot d’ordre central. D’autre part, nous lançons des lieux communs révolutionnaires, oubliant et perdant de vue les mots d’ordre de la « petite » lutte quotidienne.

La thèse d’une accentuation de la lutte contre la social-démocratie est très juste. Mais ce qui est faux, c’est que nous ne causons pas avec les ouvriers social-démocrates eux-mêmes. Plus nous parlons des erreurs au sein du parti social- démocrate, plus nous devons convaincre les ouvriers social-démocrates de la justesse de notre tactique politique.

Jusqu’à présent, les partis n’ont pas encore appris à lier les questions du travail quotidien à nos buts et tâches principaux. Ou bien nous parlons très haut des problèmes mondiaux et ne faisons rien pour résoudre les questions quotidiennes, ou bien nous nous bornons à celles-ci et oublions qu’il faut les lier aux grandes questions politiques; en outre, nos partis sont souvent incapables d’apprécier exactement et en temps voulu la période en cours et tous ses traits caractéristiques.

Le défaut de nos partis consiste en ce qu’ils ne réagissent pas immédiatement sur la nouvelle conjoncture, en ce qu’ils ne la saisissent pas assez rapidement, ne la caractérisent pas nettement, ne donnent pas toujours le mot d’ordre convenable.

J’ai tant parlé de ces lacunes pour que nous puissions les soumettre à une critique pratique.

Comme la période qui s’est écoulée depuis le dernier congrès est assez longue, nous devons souligner nos défauts et côtés faibles également à l’égard de l’I.C. Prenons la question des faiblesses d’organisation et de l’exécution insuffisante de nos décisions : nous adressons des circulaires, des lettres ouvertes et fermées et nous ne vérifions pas si tout a été exécute, réalisé. Nous dépensons une grande quantité de papier, mais nous ne nous assurons que très peu de l’exécution effective de nos décisions.

Nous avons décidé maintes fois que notre direction devait être vraiment internationale, que les partis devaient envoyer au C.E. de l’I.C. leurs meilleurs représentants pour s’y adonner à un travail permanent. En fait, cette décision est toujours sur le papier.

Contre la lutte de fraction

Je dois souligner une autre chose qui, il est vrai, est plus ou moins étrangère à la question envisagée, mais qui, néanmoins, a une importance considérable dans la vie des partis communistes.

Je veux parler de la lutte fractionnelle qui est menée sans fondement politique suffisant. Les causes profondes en sont très compliquées : elles sont liées en partie à des traditions historiques. Dans certains partis, le danger de la lutte fractionnelle est si grand qu’il faudra, à mon avis prendre des mesures exceptionnelles pour y mettre fin.

Permettez-moi de vous citer deux exemples.

Prenons la situation au sein du parti yougoslave, où, depuis sept ans, sévit une lutte fractionnelle violente qui a fortement affaibli le parti. Dans toutes les conférences, congrès et séances plénières internationales, etc., nous avons constaté à l’unanimité que les divergences s’atténuent toujours plus.

Mais malgré toutes les déclarations solennelles que, dorénavant, la lutte fractionnelle cesserait, cette lutte continua avec toujours plus d’acharnement, jusqu’à ruiner le parti, — non pas tant par la terreur de la police que par la lutte fractionnelle.

La réorganisation du parti s’effectue actuellement sur la base d’un regroupement complet au sein même du parti : nouveaux hommes, nouvelle direction. Heureusement, on peut encore sauver le parti par ce moyen. Mais il me semble qu’il faut s’arrêter à cette question pour en tirer certaines leçons. La crise au sein du parti yougoslave, qui a duré si longtemps, a été surmontée plus ou moins par les moyens exceptionnels indiqués.

En ce moment, nous sommes en face d’un nouveau danger considérable, menaçant un parti très important, à savoir le parti communiste polonais. Jusqu’à présent, je n’ai pas parlé des partis isolément, mais j’ai simplement fait la somme des faiblesses de certains de nos partis, que j’ai cités à titre d’exemple. J’estime pourtant-de mon devoir de m’arrêter à la question polonaise.

Dans l’état actuel des choses, notre parti polonais est à un poste très responsable. Le rôle considérable que ce parti frère aura à jouer au cas de guerre est évident. Ce parti sera une des principales forces dont disposera, l’Internationale communiste. Lors du coup d’Etat de Pilsudski, le parti polonais a commis une grave erreur opportuniste.

Les leaders de toutes les tendances, sans exception, ont commis cette erreur. On ne peut faire retomber la responsabilité de cette erreur opportuniste sur un .groupe quelconque, fait que nous, I.C., avons déjà constaté.

Au dernier congrès du parti communiste polonais, qui dura plus de trois mois, car à chaque occasion et sur chaque question surgissent des divergences et des discussions entre les deux fractions, — les représentants de l’I.C. ont constaté unanimement que les divergences politiques au sein du parti polonais se réduisent en fait presque à zéro.

Néanmoins, après ce congrès, la scission du parti polonais n’a été évitée que grâce à la forte pression exercée par le C.E., par toute l’I.C.

Si nous n’étions pas intervenus, il y aurait dès à présent deux partis dans le mouvement communiste polonais, malgré que les divergences politiques furent réduites au minimum, — je le déclare en pleine conscience de ma responsabilité.

Ceci s’est passé tout dernièrement, au moment où Pilsudski et ses partisans préparent ouvertement la guerre, où chacun doit comprendre que toutes ces attaques contre la Diète, etc…, ne sont pas de grossières interventions de la part d’un homme devenu fou, mais que c’est là le système d’une ligne césarienne, dirigée en premier lieu contre l’U.R.S.S.

Cette ligne césarienne est d’ailleurs très intelligente et très habile. Pilsudski et ses partisans ont réussi à briser certains partis d’opposition, à briser notre parti ukrainien, à briser l’opposition de la Hromada de Russie Blanche, etc…

Enfin, dans le domaine international, Pilsudski et ses partisans ont su mener une politique très habile. (Une voix : « Ils ont su inoculer leur politique à la classe ouvrière »), ils ont su pénétrer au sein de là classe ouvrière. En effet, ce n’est pas notre parti seul qui a remporté une victoire électorale en Pologne ; un grand nombre d’ouvriers de Varsovie ont voté pour Pilsudski.

Quoique notre parti ait remporté un grand succès dans l’état actuel des choses, un brillant succès vraiment, nous voyons cependant, d’après les derniers comptes rendus reçus il y trois jours, qu’il existe déjà deux comités dans l’organisation de Varsovie. J’estime que ce n’est pas à l’honneur du parti communiste et de l’Internationale communiste. (Applaudissements.)

Camarades, je pense également, — quoique je n’aie pas établi le projet de thèses — que le Congrès chargera spécialement le comité exécutif de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’unité. (Vifs applaudissements.)

Il sera préférable d’avoir un parti unique dirigé par de simples ouvriers qui, lors de la guerre, combattront courageusement comme des soldats de la révolution, qu’une organisation de leaders en lutte constante entre eux qui, au moment du danger, mèneront le parti à sa perte. (Applaudissements.)

VII. Les perspectives sont favorables

En avant vers la lutte, vers la victoire !

Camarades, si je parle tant de nos défauts ce n’est pas que je considère la situation et les prémisses générales comme défavorables pour notre activité. Bien au contraire.

Les grandes questions politiques, telles la menace de guerre, la situation créée par les contradictions croissantes de la stabilisation du capitalisme, nous offrent un terrain plus ou moins favorable pour notre travail dans toute la classe ouvrière.

Notre influence est incontestable dans les pays coloniaux, surtout en Chine; nous sommes à la veille du jour où elle sera incontestable aussi dans l’Inde ; nous obtenons une influence prépondérante et incontestable parmi la classe ouvrière d’Europe occidentale que nous mettons en présence de questions aussi importantes que celle de la menace de guerre.

C’est pourquoi, parallèlement à l’aggravation des contradictions générales, à l’aggravation des contradictions inhérentes au capitalisme et de la lutte de classes, c’est-à-dire en corrélation avec les contradictions qui existent objectivement en ce moment, il se crée un terrain propice, des perspectives favorables pour notre action, pour nos succès.

Il n’existe aucune raison de dire que le progrès technique, la consolidation partielle de l’organisme capitaliste, le processus de stabilisation du capitalisme nous casseront le cou, comme le prédisent les social-démocrates. Au contraire, plus les contradictions propres à la situation présente s’accentueront, plus s’étendra et se consolidera notre influence.

Lorsque nous apprendrons, — et nous finirons bien par l’apprendre — à combiner notre travail quotidien et les grandes questions politiques, nous étendrons notre influence aux larges masses de la classe ouvrière d’Europe occidentale, nous soumettrons à notre influence le mouvement ouvrier des grands Etats capitalistes et saurons le relier au mouvement des peuples opprimés qui est d’une importance historique.

Lorsque l’heure viendra et que se dresseront les drapeaux de l’impérialisme guerrier, notre Internationale communiste, tous nos partis, la multitude des travailleurs du monde entier diront leur mot. Ce mot sera le mot d’ordre de la guerre civile, le mot d’ordre de lutte à mort contre l’impérialisme, ce sera le cri de victoire de l’Internationale communiste !

(Vifs applaudissements. Ovation. Les délégués se lèvent et chantent « l’internationale »).

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de l’Internationale Communiste

Résolution sur l’Adhésion des PC de Cuba, Corée, Nouvelle-Zélande, Paraguay, de la Ligue Ouvrière d’Irlande, du P.S. de l’Equateur et du P.S.R. de Colombie à l’IC

L’influence croissante de l’IC dans les colonies et semi-colonies s’est exprimée, dans le domaine de l’organisation, par la création de nouveaux PC et par l’adhésion de Partis ouvriers révolutionnaires à l’Internationale.

Le 6e Congrès Mondial salue la formation et l’adhésion de ces nouvelles sections comme une nouvelle preuve de confiance des masses ouvrières et paysannes et des peuples opprimés dans l’IC et dans sa politique de lutte contre l’oppression coloniale et comme l’expression du caractère vraiment mondial de son action.

C’est pourquoi le 6 e Congrès Mondial confirme les décisions prises par l’Exécutif, entre les 5 e et 6 e Congrès Mondiaux, concernant l’admission comme Sections de l’IC :

du PC de Corée,

du PC de Cuba,

de la Ligue Ouvrière d’Irlande,

et décide d’admettre dans l’IC : le PC de Nouvelle-Zélande et le PC du Paraguay.

La décision d’adhésion à l’IC prise par le dernier Congrès du Parti socialiste de l’Equateur, confirmée par un referendum des organisations de tout le pays, et la même décision prise à l’unanimité par le dernier Congrès du Parti socialiste révolutionnaire de Colombie démontrent la volonté des masses ouvrières de ces deux pays de lutter sous le drapeau du communisme dans les rangs de l’Internationale, qu’elles reconnaissent comme le seul guide du mouvement révolutionnaire international.

Le 6e Congrès mondial salue leur décision d’adhérer à l’IC comme l’expression de l’élan révolutionnaire des masses opprimées de ces pays, décidées à lutter sous la bannière de communiste, seule capable de les aider et de les guider dans leur effort de libération.

Il y voit l’expression de la volonté de ces partis de masses de devenir de véritables partis bolchévisme. Le 6 e Congrès accepte le Parti socialiste de l’Equateur et le Parti socialiste révolutionnaire de Colombie comme sections de l’IC.

Mais, étant donné que ces deux partis ne sont pas encore, par leur structure et leur idéologie, de véritables partis entièrement communistes, le 6e Congrès Mondial fait un devoir à l’Exécutif de donner à ces partis les directives, les conseils et l’aide nécessaires pour en faire de véritables PC, en transformant et en affermissant leurs organisations, en élevant leur niveau idéologique et en éduquant leur conscience de classe tout en conservant et en renforçant encore leur caractère de partis de masses.

Par l’admission de ces sept nouvelles Sections, l’IC se lie plus étroitement avec les masses nouvelles de millions d’ouvriers et de paysans exploités et opprimés par les grands brigands impérialistes.

En coordonnant leur lutte avec celle du prolétariat des métropoles, des ouvriers, des paysans et des nations affranchies de I’URSS et des millions d’esclaves des colonies, l’IC développe et organise sur une échelle toujours plus vaste la solidarité révolutionnaire de tous les opprimés, condition de leur victoire mondiale sur la bourgeoisie et l’impérialisme.

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de l’Internationale Communiste

Résolution sur l’Appel de Trotski, Sapronov, etc. au sixième congrès de l’Internationale Communiste

Après examen des requêtes adressées par Trotski, Sapronov, et autres membres de l’opposition du PCUS exclus de ce parti et qui demandent leur réintégration, le 6e Congrès Mondial de l’IC décide :

§1. Le Congrès Mondial approuve entièrement la décision du 15e Congrès du PCUS et la résolution du 9e Plenum du CEIC déclarant que l’adhésion à l’opposition trotskiste et la propagande de ses idées sont inconciliables avec la qualité de membre du Parti bolchévik.

Le groupe Trotski, par son point de vue dans les questions de programme, de politique et d’organisation s’est échoué sur les positions des menchéviks et s’est objectivement transformé en un organe de lutte contre le pouvoir soviétique. Son exclusion du PCUS était donc juste et inévitable.

§2. La requête des exclus au Congrès mondial est une nouvelle preuve que Trotski et la petite poignée de ses adeptes qui ne se sont pas soumis, à l’exemple de la grosse majorité de l’ancienne opposition, aux conditions fixées par le 15e Congrès, poursuivent leur lutte, leur travail de scission, leur campagne de calomnies contre le PCUS et contre la dictature du prolétariat.

Le Congrès estime superflu de discuter avec des ennemis de l’IC sur le contenu politique contre- révolutionnaire de la plate-forme trotskiste, après que l’ensemble des membres de tous les PC ont à plusieurs reprises résolument repoussé ce point de vue.

§3. Les sanctions prises, par les organes du pouvoir soviétique contre certaines personnes exclues du parti sont des mesures de défense de la dictature du prolétariat, mesures absolument imposées par la nécessité révolutionnaire.

§4. Le 6e Congrès Mondial ratifie la décision du 15e Congrès du PCUS concernant l’exclusion des trotskistes et rejette la requête adressés par Trotski, Radek, et autres exclus demandant leur réintégration dans le Parti.

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de l’Internationale Communiste