La seconde crise générale du capitalisme pose un défi extrêmement grand au prolétariat de par la rationalisation qui en découle. La bourgeoisie ne peut en effet que se précipiter dans un vaste mouvement de restructuration sur le dos des masses, afin de chercher à sauvegarder le taux de profit.
Face à cette opération d’envergure, la réponse ne peut qu’être politique avant tout, ce qui implique également une initiative de défense des intérêts matériels des masses sur le terrain immédiat des revendications élémentaires.
Historiquement, ce sont les syndicats qui jouent ici le rôle de levier essentiel pour une telle activité. Or, ceux-ci possèdent en France un style corrompu et prétentieux. Ils sont à la fois divisés et sans réelle base de masse, à part chez les fonctionnaires. Ils sont donc en décalage complet avec le défi historique auquel fait face le prolétariat. La question syndicale se pose ainsi avec une grande acuité et soit les syndicats seront une partie du problème, soit une partie de la solution.
Le premier moment de la question syndicale
Du point de vue communiste, la question syndicale a connu deux moments.
Le premier consiste en les inlassables appels de l’Internationale Communiste à rejoindre les syndicats. Il n’y avait pas d’illusions sur la nature des dirigeants syndicaux, toujours favorables à des accords avec la bourgeoisie et l’État ; il était cependant considéré que la présence d’une partie des masses dans les syndicats rendait cela nécessaire. Le programme de l’Internationale Communiste, en 1928, souligne que les défaites lors de la première vague révolutionnaire sont dues « à la tactique de trahison des chefs sociaux-démocrates et des dirigeants réformistes du mouvement syndical ».
Les communistes des pays capitalistes étaient extrêmement rétifs à ce travail, à la fois ingrat et très difficile de par les multiples exclusions imposées par les directions syndicales à leur encontre, notamment par l’intermédiaire de la social-démocratie. La défaite totale du Parti Communiste d’Allemagne en 1933 a cependant montré que cette question était importante, de par l’articulation nécessaire du mouvement syndical à la lutte contre le fascisme et la guerre.
La preuve en est que, à la suite du tentative du coup de force fasciste en février 1934 en France, le Front populaire a porté en lui l’unification syndicale. Les masses considéraient que l’unité était nécessaire et on a vu alors qu’elles considéraient les syndicats comme relevant de leur mouvement historique et comme devant relever de l’unité organique.
Le fait est que, si les masses ne rejoignent pas nécessairement les syndicats, elles ont un rapport ambigu avec eux, particulièrement en France où les syndicalistes se présentent souvent comme une sorte d’avant-garde combattant à la place des masses. C’est évidemment du substitutisme de type syndicaliste-révolutionnaire.
Le second moment
Le second moment concernant la question syndicale date des années 1960, alors que le mode de production capitaliste se relance après la seconde guerre mondiale. Cela change beaucoup de choses, puisque les syndicats s’inscrivent dans l’accompagnement du développement capitaliste.
Ici encore l’exemple français est très parlant. Le mouvement des étudiants opposés au révisionnisme et levant la bannière de Mao Zedong, l’UJCML, avait initialement décidé d’appliquer le principe de l’Internationale Communiste et de promouvoir l’adhésion à la CGT, pour la pousser dans la direction d’une CGT de lutte de classes.
Ce fut une défaite et l’UJCML devint la Gauche Prolétarienne, farouchement anti-syndicaliste, tout comme d’ailleurs tous les communistes des pays capitalistes, en raison de la compréhension du fait que les syndicats, notamment en raison de la transformation de l’URSS en social-impérialisme, étaient ouvertement alliés à la bourgeoisie. En France, la CGT a été l’un des piliers de la sauvegarde du régime en mai 1968, combattant ardemment les « gauchistes ».
Les communistes des pays capitalistes assumèrent alors la ligne de l’autonomie prolétaire, contre les syndicats cherchant à intégrer les mouvements de contestation afin de les conduire dans des opérations de réimpulsion du mode de production capitaliste. Il n’est pas possible d’être communiste et de valoriser les syndicats pour la période 1953-2020. C’est une ligne de démarcation infranchissable entre les communistes et les révisionnistes.
Y a-t-il un troisième moment ?
La question qui se pose désormais, avec l’irruption de la seconde crise générale du capitalisme, est de savoir dans quelle mesure les syndicats peuvent, ou non, jouer un rôle s’inscrivant dans le processus de défense des intérêts du prolétariat. Ils sont en effet faciles d’accès et représentent un sas possible pour le combat.
Comme le formule le programme de l’Internationale Communiste en 1928, « les syndicats, organisations ouvrières de masses dans lesquelles s’organisent et s’éduquent pour la première fois les couches les plus étendues du prolétariat, sont, en régime capitaliste, le principal instrument de la lutte par la grève, puis de l’action de masses contre le capital trusté et son État ».
Le second moment a neutralisé cette possibilité ; peut-on alors parler d’un troisième moment provoqué par la seconde crise générale du capitalisme ?
Si l’on regarde sur le plan subjectif, on ne peut que répondre négativement. Les syndicalistes n’ont pas changé ; ils représentent une approche anti-politique, anti-communiste même, avec systématiquement l’espoir de présenter de « meilleurs » plans aux directions des entreprises. On peut partir du principe que le syndicat désire « être calife à la place du calife » et que rien d’autre ne l’intéresse.
Si l’on regarde sur le plan objectif, on ne peut pas répondre positivement non plus. Les syndicats ont, depuis 2000, inlassablement cherché à gagner des batailles au moyen du forcing et du substitutisme. Ils n’ont jamais cherché à gagner les masses, à se massifier donc. Ils savent très bien qu’une massification les remettrait entièrement en cause et ils préfèrent vivre de leurs rentes, exprimant les intérêts des syndicalistes qui relèvent de l’aristocratie ouvrière, couche corrompue par le capitalisme et l’État bourgeois.
Toutefois, cette question de la massification est justement l’aspect pouvant amener un changement complet. Si les syndicats et les syndicalistes sont inutiles aujourd’hui et même, concrètement, nuisibles à la cause révolutionnaire, une éventuelle massification renverserait la donne. Elle bousculerait tout l’appareil, elle pousserait à une unification des travailleurs à la base.
Il suffirait que dans une entreprise il y ait un mouvement général d’adhésion au syndicat, une modification du style et de la direction de celui-ci, une lutte qui triomphe et on aurait alors un modèle pouvant servir de base aux initiatives populaires à l’échelle du pays. Le souci est bien sûr que cela signifie un haut niveau de conscience politique pour engager un tel processus, un haut niveau d’implication et d’activités.
Cependant, si la seconde crise générale du capitalisme frappe une entreprise en particulier et qu’une résistance réelle se développe, c’est une démarche praticable.
Si cela ne se produit pas, de toute façon, on va avoir une résistance des masses qui échappera alors entièrement aux syndicats. Une lutte réelle, de toute façon, ne peut pas se fonder sur une « intersyndicale ». Soit les masses sont unies autour d’un (seul) syndicat, soit elles sont organisées elles-mêmes à la base, remplaçant le syndicat manquant pour former un comité de grève, voire même un comité populaire, le fameux « soviet ».
Syndicat ou soviet ?
Cette question du syndicat ou du soviet est, d’ailleurs, le sens même de la question syndicale dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme. Soit les masses résistent et passent à l’établissement de comités populaires, de soviets, rompant totalement avec les institutions, et donc les syndicats. Soit les masses résistent, mais choisissent le terrain le plus immédiat et investissent les syndicats pour les transformer.
Ces deux hypothèses d’initiative populaire de résistance à la seconde crise générale du capitalisme impliquent, naturellement, deux scénarios totalement différents.
Il est même possible que la résistance des masses décide de sortir du terrain des revendications économiques pour s’exprimer sur un autre terrain. Il est également possible que, selon les secteurs, il y ait tel ou tel choix et qu’on se retrouve ici avec des syndicats passés sous contrôle populaire, là-bas un comité de lutte à dimension populaire dans une entreprise ou en-dehors du terrain de l’entreprise, par exemple au sujet d’une question écologiste, d’une question de logement, d’une question du coût de la vie, etc.
Dans tous les cas, il n’y aura toutefois aucune spontanéité. La résistance à la rationalisation capitaliste ne peut provenir que d’éléments conscientisés par la politique communiste, éléments dont l’activité naît directement de la confrontation avec la seconde crise générale du capitalisme.
Le Parti et la question de la massification des syndicats et de leur nécessaire unification
Le Parti ne peut pas poser de préalable en ce qui concerne la forme que prendra le mouvement de résistance des masses. Parler de massification des syndicats est juste, dans tous les cas ; si cette massification n’a pas lieu avant la révolution socialiste, elle aura lieu après elle, dans le cadre de l’établissement du socialisme. Cela est indéniable. Tout va dépendre du retour de la lutte des classes et des modalités de la massification de celle-ci.
Ce qui est toutefois évident, politiquement, est qu’il faut exiger l’unification des syndicats, car c’est en phase avec l’exigence historique des masses dans leur résistance.
« Un seul syndicat, pour la défense des droits des travailleurs ! » est une revendication qui, par définition, pose l’unité des masses laborieuses dans un contexte de résistance à la rationalisation capitaliste. C’est, de toutes façons, en conflit avec la nature corrompue et bureaucratique des syndicats eux-mêmes, qui doivent être révolutionnés pour pouvoir jouer un rôle favorable aux masses et par rapport à la révolution socialiste.
Les bureaucrates syndicaux, corrompus et étant un obstacle à la lutte des classes par définition même, s’opposeront toujours à l’unification syndicale. La lutte des classes exigeant l’unité populaire, leur position se démasquera comme étrangère et même opposée aux besoins historiques des masses.
Les communistes ne considèrent ainsi pas qu’il faille soutenir la CGT ou bien qu’il faille « monter un nouveau syndicat » comme le prétendent les différents courants syndicalistes révolutionnaires, qui ont par ailleurs essayé cela avec la CNT dans les années 1990-2000. Ce qu’il faut exiger, c’est l’unification de toutes les forces syndicales afin de refléter et de contribuer à l’unité populaire, d’avoir confiance dans les masses, une massification des syndicats confiant à ceux-ci une nature nouvelle.
Cette direction vers l’unification des masses est l’aspect principal et la question syndicale est secondaire ici, puisque les masses peuvent choisir la voie des soviets. Ce sont elles qui décident, selon les exigences de la lutte des classes et du développement de leur conflictualité, sous l’inévitable direction politique du Parti. Les masses font l’Histoire, le Parti les dirige.