Le 12 et 13 avril 1948, c’est le premier Congrès national de la CGT-Force Ouvrière, au Palais de la Mutualité. Le nom de Force ouvrière est massivement adoptée (14 260 mandats contre 1790), mais comme ajout au sigle CGT. Le congrès se veut d’ailleurs le 33e congrès corporatif.
La voie était d’autant plus ouverte que le régime lui-même appuyait l’initiative, reconnaissant début avril le caractère « représentatif » de cette « nouvelle » CGT. Dès le départ, la CGT-Force Ouvrière a ainsi profité d’appuis extérieurs massifs, permettant une inscription dans la réalité française.
Cela n’aurait cependant pas été possible, si la base même de la CGT-Force Ouvrière ne reflétait pas la permanence de tout un état d’esprit syndicaliste non seulement apolitique, mais même anti-politique. Les propos de Raoul Lenoir (1872-1963), un ancien militant, secrétaire de la fédération des métaux en 1909, sont sans ambiguïtés aucune :
« N’importe quel gouvernement quel qu’il soit, un gouvernement de droite, d’extrême-gauche, du parti socialiste, du parti républicain, si, en face de lui, surtout dans la situation où nous sommes, il n’y a pas une force syndicale puissante, indépendante, examinant elle-même ses problèmes, ses moyens d’action, vous pourrez dire ce que vous voudrez, ce sera quand même une dictature qui pèsera sur la classe ouvrière. »
De tels propos reflètent tant la vision des choses des tenants du « syndicalisme libre » que celle des syndicalistes révolutionnaires, d’où leur union pour plusieurs décennies au sein de la CGT-Force Ouvrière, qui ne changera jamais d’orientation.
La charte d’Amiens est d’ailleurs bien entendu très largement mise en avant et les syndicats de la CGT-Force Ouvrière affirment au congrès que :
« Instruits par une douloureuse expérience, ils proclament attentatoire à l’unité ouvrière la recherche systématique de postes de responsabilités syndicales par les militants des partis politiques en vue de faire du mouvement syndical un instrument des partis. »
Les personnes élus aux postes dirigeants lors du congrès sont immédiatement la garantie de l’ancrage dans ce positionnement. Robert Bothereau devient le chef incontesté, comme secrétaire général. Pierre Neumeyer est trésorier.
Comme témoins, jouant le rôle de garants également, on a Chester représentant les TUC anglais et Williams pour le CIO américain. Ce dernier lit au congrès un texte du président du CIO, Philip Murray, avec un appui ouvert au Plan Marshall :
« Le programme d’aide à l’Europe constitue un effort du peuple américain, dans son ensemble, en vue d’apporter sa part à la reconstruction de l’Europe dévastée par la guerre. »
A son congrès constitutif, la CGT-Force Ouvrière pose quatre axes syndicaux :
– une « réforme administrative tenant compte du reclassement de la fonction publique »,
– une « réforme fiscale établissant l’égalité devant l’impôt »,
– une « réduction des crédits militaires »,
– une « répartition plus équitable du revenu national ».
C’est là ni plus ni moins que l’orientation des socialistes de la SFIO. Il s’agit de prôner le « social » et de s’ancrer dans les masses, en sachant pertinemment qu’on sera minoritaire, et qu’on pourra jouer de démagogie alors que s’affrontent la Droite et les communistes.
D’ailleurs, immédiatement, la CGT met en place des « comités contre la vie chère » et la CGT-Force Ouvrière cherche à se placer comme arbitre lors du grand conflit des mineurs porté par la CGT et le gouvernement qui n’hésite pas à envoyer les CRS avec l’emploi d’armes à feu. L’Union Syndicale de la région parisienne expliqua alors qu’elle :
« dénonce l’exploitation qui est faite de la misère ouvrière à des fins nettement politiques, ouvrant la voie à la dictature qui précipiterait la classe ouvrière dans les chaos d’une nouvelle guerre mondiale. »
Cette ligne est systématique et se décline à tous les niveaux. Ainsi, au niveau international, la CGT-Force Ouvrière tient le même discours. Bothereau, son dirigeant, explique en 1959 lors du 6e congrès, à Paris :
« Faisons de l’Europe un exemple pour les peuples qui accèdent à leur liberté. Car la liberté à elle seule n’est pas le bonheur. Entre le libéralisme des U.S.A. [sic] et le totalitarisme communiste, réalisons une forme originale d’économie collective. »