Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La nature du XXe congrès du PCUS

    Le XXe congrès du PCUS se tint du 14 au 25 février 1956. Il s’est tenu, comme le précédent, dans le Grand Palais du Kremlin. Étaient présents 1 355 délégués représentant chacun 5 000 membres, ainsi que 81 délégués avec uniquement une voix consultative.

    Ce qui était exposé était d’une ambition démesurée. Le nouveau plan quinquennal devait connaître une augmentation des investissements de 67 % par rapport au précédent. Les objectifs pour 1960 étaient bien sûr très précisément chiffrés et exigeaient une progression vertigineuse (étaient prévues une production de 593 millions de tonnes de charbon, 53 millions de tonnes de fonte, 330 000 tonnes de fibres artificielles, 1 840 000 tonnes de huiles végétales, etc.).

    La production de viande était censée pas moins que doubler. Il était prévu de fournir à l’agriculture du matériel en masse : 1 650 000 tracteurs, 560 000 moissonneuses-batteuses.

    Le XXe congrès du PCUS

    En rapport avec cette perspective grandiose plaçant le communisme finalement comme une affaire de génération – cela sera ouvertement dit tel quel dans les années qui suivirent – le PCUS se voyait donner une sorte de qualité suprême.

    Ainsi, la modification du programme du Parti devait être déjà être menée auparavant, mais la Seconde Guerre mondiale empêcha la réalisation de ce travail. Une commission fut finalement constituée à cet effet lors du XIXe congrès, en 1952.

    Elle était constituée de dix membres et présidée par Staline. Au XXe congrès, il n’en restait pratiquement rien. Staline était décédé. Viatechslav Molotov avait été blâmé, Georgi Malenkov mis de côté. Laurenti Beria avait été fusillé. Paul Youdine avait été nommé ambassadeur en Chine en décembre 1953. D.I. Tchesnikov, l’un des deux rédacteurs de l’organe théorique Kommunist, où en janvier il dénonçait « les capitulards qui insistent pour que l’on apaise les impérialistes », avait été purgé en mars 1953.

    Nikita Khrouchtchev annonça alors quelque chose n’ayant rien à voir : la future mise en place d’un programme valable pour tous les Partis Communistes dans le monde. Cela correspondait à la lecture du XIXe congrès de la situation de l’URSS, îlot censé aller au communisme à court terme et de ce fait modèle technique-pratique pour le reste du monde.

    Le XXe congrès du PCUS

    Tout cela était rendu possible par la modification de la base du Parti. Il avait déjà été remarqué qu’au XIXe congrès, le nombre de membres du Parti avait largement grossi par rapport au congrès précédent de 1938. Une nouvelle génération avait émergé, coupée de beaucoup des expériences faites.

    C’est encore plus vrai pour le XXe congrès. Le PCUS a désormais 6 795 896 membres et 419 609 candidats. C’est 330 000 membres de plus qu’au congrès précédent. Le nombre de membres du Parti a doublé depuis 1940.

    À cela s’ajoute un autre aspect, fondamental. Entre le 1951 et 1956, l’enseignement supérieur soviétique a formé autour de 1 120 000 personnes, soit 72 % de plus que les cinq années précédentes. Ces chiffres donnés par Nikita Khrouchtchev correspondent certainement à la vérité, puisque l’après-guerre avait été caractérisé par une difficulté extrême de par les dégâts causés par les nazis.

    Cela signifie qu’apparaît ici une nouvelle intelligentsia, issue de l’élan précédent mais coupée de celui-ci idéologiquement. Des jeunes intègrent les strates supérieures de l’URSS en étant simplement intégrés dans le discours instauré en 1952 selon laquelle les forces productives sont l’essentiel.

    C’est d’autant plus vrai que l’enseignement supérieur est centralisé dans quelques villes : Moscou, Leningrad, Kiev, Tbilissi, Kharkov, Bakou, Tachkent, Minsk.

    Le XXe congrès du PCUS

    Le paradoxe est que du côté des délégués, il y a une baisse du niveau d’études. 758 délégués ont un niveau universitaire (contre 793 en 1952), 276 celui du bac (223 en 1952), 292 un niveau inférieur au bac (176 en 1952). Il y aurait également une prolétarisation, avec deux fois plus de délégués étant travailleurs industriels et deux fois plus de kolkhoziens, pour autant qu’il soit possible de faire confiance à ces chiffres.

    Il y a ici un phénomène difficile à appréhender, mais témoignant dans tous les cas d’une modification des délégués par rapport au congrès précédent. C’est encore plus vrai sur le long terme : 30 % des délégués ont rejoint le Parti à partir de 1946. Cela souligne également la rapidité avec laquelle ils sont arrivés jusqu’au statut de délégués.

    Il y a également un vieillissement. Comme au congrès précédent, les quarantenaires représentent la majorité des présents, mais les plus de cinquante ans, auparavant 15,3 % des présents, en forment désormais 24 %.

    Le XXe congrès du PCUS

    Cette ambition démesurée et cette nouvelle « génération » s’associent avec un phénomène frappant : la stabilité de la direction. L’ensemble du Présidium et du secrétariat du Comité Central a été réélu au XXe congrès du PCUS, sans aucune modification.

    Le Présidium est composé de Nikita Khrouchtchev, Nicolas Boulganine, Lazare Kaganovitch, Kliment Vorochilov, Anastas Mikoyan, Maksim Sabourov, Pierre Pervoukhine, Georges Malenkov, Viatcheslav Molotov, Michel Souslov et Alexeï Kirichenko.

    Le Secrétariat est composé de Nikita Khrouchtchev (comme premier secrétaire), Nicolas Belaev, Pierre Pospelov, Michel Souslov, Dimitri Chepilov, Leonid Brejnev et Ekaterina Fourtseva. Les trois derniers nommés sont également suppléants du Présidium. Leonid Brejnev succédera par la suite à Nikita Khrouchtchev à la tête du pays.

    Cette situation était là un triomphe pour la direction, qui s’était néanmoins débarrassé de nombreux éléments.

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  • Le contexte du XXe congrès du PCUS

    On a comme aspects essentiels du contexte du XXe congrès :

    – la sécurité d’État a été décapitée ;

    – le gouvernement a été mis au pas ;

    – le PCUS est centralisé autour du Présidium ;

    – une nouvelle génération arrive sur la scène des postes à responsabilité ;

    – le XIXe congrès a ouvert un immense espace à la thèse des forces productives ;

    – le PCUS a été contaminé par les thèses d’Eugen Varga lancées après 1945 et visant à une gestion bourgeoise – « neutre » de la réalité soviétique.

    La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État ont permis à la clique ayant pris le contrôle du Parti et du gouvernement d’avoir les coudées franches.

    La mise de côté de Georgi Malenkov marqua le triomphe de la clique contrôlant le Parti. De ce fait, le thème de la « direction collective » devint le grand mot d’ordre servant à structurer une nouvelle bourgeoisie.

    Une publication tirée à 160 000 exemplaires – Les statuts du Parti Communiste d’Union Soviétique – la loi fondamentale de la vie du Parti – fut diffusée par la Société pansoviétique de diffusion de la connaissance politique et scientifique. Elle saluait les décisions prises par la direction à la suite de « l’affaire Beria », affirmant que :

    « Les décrets de la session de juillet [1953] du Comité Central du Parti ont une grande signification pour le développement de la démocratie interne du Parti, la critique et l’auto-critique, et dans l’élévation du niveau de collectivité à la direction du Parti.

    La session a résolument condamné la « théorie » idéaliste du culte de la personnalité qui est étranger au marxisme-léninisme et qui a connu une certaine dissémination dans notre presse et notre propagande orale.

    Au moyen de cette « théorie » anti-marxiste, certains travailleurs du Parti ont cherché à justifier une pratique vicieuse dans leur activité, faisant que les principes léninistes de démocratie interne ont été remplacés par le commandement bureaucratique d’une seule personne. »

    Il s’agit d’une critique très nette de l’appareil de sécurité d’État et de Staline, c’est-à-dire du fait de prendre des décisions en raison de l’idéologie – ce qui apparaît comme « unilatéral » pour la nouvelle bourgeoisie dont la clique de Nikita Khrouchtchev est à ce moment-là le seul représentant, celle représentée par Georgi Malenkov, la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, ayant perdu la bataille factionnelle.

    Il n’y eut d’ailleurs aucune réunion du Comité Central entre juillet 1955 et le XXe congrès : c’est le Présidium qui avait les clefs du Parti.

    La seule tâche à l’horizon fut la parution par la Pravda, le 13 février 1956, la veille du congrès, d’un article de Bolesław Bierut, le dirigeant communiste polonais, expliquant qu’était appliqué en Pologne le principe de Lénine et de Staline de priorité à l’industrie lourde. Bolesław Bierut décédera peu après la tenue du XXe congrès, encore à Moscou ; il est à peu près clair qu’il a été empoisonné.

    Les organes des Comités Centraux des partis des différentes républiques se positionnèrent également de manière très différente pour l’ouverture du XXe congrès. Staline fut mentionné positivement avec également une image dans les publications d’Ukraine, de Biélorussie, d’Ouzbékistan, de Lettonie et de Géorgie, mais il n’y eut rien sur lui dans celles d’Arménie, de Moldavie, ni de la république karélo-finlandaise. Celles du Kazakhstan, du Turkménistan, d’Estonie et de Kirghizie mentionnèrent son nom, celle du Tadjikistan publia une photographie.

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  • Le rapport du PCUS à Staline entre 1953 et 1956

    Il n’était évidemment pas possible pour les révisionnistes de rejeter Staline d’un coup. Les masses avaient compris la valeur de Staline. Il n’était plus possible de renverser la tendance en ce sens. Il fallait donc l’étouffer.

    Cet aspect est très important. Vu de l’extérieur de l’URSS, le PCUS a procédé à une « déstalinisation », à un rejet massif. Mais vu de l’intérieur, cela était présenté comme une « rectification », les points fondamentaux étant résolument masqués aux masses.

    Cela a amené d’ailleurs certains à sous-estimer le rejet de Staline par la clique dirigeante de l’URSS, alors qu’il a été total. Seulement, il n’a pas été public, l’URSS devenant un pays social-impérialiste où la bourgeoisie était littéralement une caste à part.

    On peut ainsi voir qu’entre le XIXe et le XXe congrès, soit entre 1952 et 1956, il n’y a pas de modification franchement apparente quant à la référence à Staline par le Parti dirigeant l’URSS.

    L’immense Staline

    Il y avait quelques gommages déjà fait, cependant. Les slogans du premier mai mis en avant à partir du 21 avril 1953 appelaient eux-mêmes à la « coexistence pacifique » internationale, à la légalité socialiste, le nom de Staline étant pratiquement omis.

    La constitution fut désormais qualifiée de « soviétique » et non plus de relevant de Staline, la jeunesse communiste, auparavant Komsomol de Lénine et Staline, devint l’Union Communiste pansoviétique de la jeunesse.

    En fait, dans les quinze jours suivant la mort de Staline, il y eut un processus d’abandon de la référence à Staline, de manière insidieuse : ses citations ne lui furent plus attribuées, il ne fut plus fait référence à ses œuvres majeures lorsqu’on parlait de lui. Les mesures suivant sa mort, telles que les vastes amnisties et la réduction de prix, furent annoncées sans faire référence à lui.

    On a un bon exemple de l’approche générale avec l’article d’avril 1953 dans la Pravda, écrit par le rédacteur Slepov au sujet de la vie du Parti, qui souligne la supériorité de la direction collective sur la « domination des mesures administratives », tout en se revendiquant de Staline.

    L’éditorial du 27 mai 1953 de la revue Kommunist dénonce également le culte de la personnalité, mais en s’appuyant sur des affirmations en ce sens de Lénine et de Staline. On lit à ce sujet :

    « Notre parti lutte résolument contre le culte de la personnalité, contre l’attribution à l’individu de traits surnaturels, contre l’adoration du chef, contre l’ignorance du rôle des masses, des classes et du parti. Loin de stimuler l’initiative et l’activité des masses, de tels cultes les incitent à la passivité.

    Les fondateurs du communisme, Marx, Engels, Lénine, Staline, étaient hostiles au culte de la personnalité. »

    Le Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique publia également un document le mois suivant sa mort, le 27 juillet 1953, avec comme prétexte le 50e anniversaire du second congrès du Parti. Ce document traitait de l’histoire du Parti, sous la forme de thèses, et plaçait tout sous l’égide de Lénine, Staline ne devenant plus qu’une simple référence en rapport avec le Parti.

    C’était une réécriture de l’histoire en faveur de la thèse selon laquelle depuis la mort de Lénine, il y aurait eu une direction collective à l’œuvre, dont Staline n’aurait été qu’un rouage – la grande thèse du XXe congrès est d’affirmer qu’il avait finir par mal agir à ce niveau.

    Le XXe congrès n’est pas une remise en cause de Staline – il est une dénonciation de Staline comme prétendu élément de la direction collective.

    La période entre les XIXe et XXe congrès est celle de la mise en place de la direction collective, conformément aux exigences du XIXe congrès, mais avec en pratique la liquidation assumée de la forme précédente d’organisation du Parti et de son contenu.

    Malenkov avait mis l’accent, en mai 1953, sur les biens courants ; c’est indirectement au nom de Staline que cela fut réfuté par Nikita Khrouchtchev qui rappela le juste combat contre la « déviation droitière » de la fin des années 1920, qu’avait justement combattu Staline.

    Nikita Khrouchtchev nomma Boulganine premier ministre à la place de Georgi Malenkov et le présenta comme :

    « l’un des frères d’arme les plus proches du continuateur de la cause de Lénine, Joseph Vissarianovitch Staline »

    Dans son discours d’intronisation, Boulganine expliqua que son gouvernement

    « suivrait les instruction du grand Lénine et du continuateur de sa cause, J. V. Staline »

    Tant lors des mois de décembre 1954 que 1955, l’anniversaire de la naissance de Staline fut largement célébrée.

    Le 7 janvier 1955, lors d’un meeting du Komsomol, Nikita Khrouchtchev expliqua qu’il avait influencé Staline au sujet d’une importante question politique, celle sur la mise en place d’un impôt sur les gens non mariés et sans enfants. Georgi Malenkov, qui allait être démis un mois après et était le seul autre membre du Présidium présent alors, monta à la tribune pour confirmer ces propos.

    Et à la fin de l’année 1955, le dictionnaire encyclopédique présente Nikita Khrouchtchev comme :

    « l’un des plus proches compagnons d’arme de J.V. Staline »

    Un article pour le 76e anniversaire de la naissance de Staline, paru dans Kommunist, ne mentionne également que trois noms : Lénine, Staline, Nikita Khrouchtchev.

    L’agence TASS annonça le 12 janvier 1956 la parution prochaine du 14e volume des œuvres de Staline, couvrant la période 1934-1941. Les treize premiers avaient été publiés de 1946 à 1951 et même s’il y a l’annonce, on voit que la période d’après 1934 a posé un réel problème après 1953. Il ne fut d’ailleurs jamais publié.

    Le premier numéro de 1956 de Kommunist, en janvier, contient également un article de l’idéologue Mikhail Kammari, rédacteur en chef depuis 1954 (et jusque 1959) de la revue Questions de philosophie. Dans son article sur Le rôle des masses populaires dans le développement de la vie spirituelle de la société, il fait référence de manière positive à Staline.

    L’arrivée du XXe congrès bouleversa la donne, comme le reflètent les prises de positions.

    Ainsi, à partir du 23 janvier 1956, la Pravda ne mentionne plus Staline.

    L’immense Staline

    La biographie de Lénine publiée par l’Institut Marx – Engels – Lénine – Staline mentionne de manière moins importante Staline comme successeur de Lénine et ce dernier est pris comme argument pour justifier la « direction collective », avec une critique sous-jacente de Staline. Nikita Khrouchtchev apparaît à la fin comme le représentant du PCUS, avec un extrait de lui soulignant l’importance de l’industrie lourde et rejetant la ligne de Georgi Malenkov comme « anti-léniniste ».

    Au meeting du Komsomol, le 21 janvier 1955, Nikita Khrouchtchev ne mentionna pas Staline, contrairement à l’année d’avant où il racontait en être proche.

    Avant la conférence du Parti du 4 février 1956, le Comité Central du Parti et le Conseil des ministres salua le 75e anniversaire de Vorochilov, mais sans référence à Staline, seulement à Lénine.

    Le numéro de Kommunist, l’organe théorique, publié le 9 février, ne contient pas une seule fois le nom de Staline. Une réunion des lecteurs de Problèmes d’histoire se réunit les 25, 27 et 28 janvier 1956, traitant notamment de la question de l’histoire du Parti et remettant en cause le Précis d’histoire du PCUS(b), sans toutfois oser s’en prendre encore à Staline qui est pourtant le maître d’oeuvre de cet ouvrage.

    Pour l’ouverture du XXe congrès, la Pravda ne salua que Lénine.

    Ce n’est que dans les bas échelons du Parti que Staline était encore une référence, ainsi qu’en Géorgie, et pour les formes dans les grandes réunions à la veille du XXe congrès : Ekaterina Fourtseva, lors de la préparation de celui-ci par le Présidium le 17 janvier, parle encore des grands enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline. Elle modifia par la suite radicalement son point de vue.

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  • L’affrontement entre Georgi Malenkov et Nikita Khrouchtchev

    À la mort de Staline, il y a deux principales figures : Georgi Malenkov, président du conseil des ministres de l’URSS et Nikita Khrouchtchev, secrétaire du Comité Central du PCUS. La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS se fondent sur leur alliance, comme la résolution du Comité Central du PCUS l’expose parfaitement.

    Leurs lignes différaient cependant de manière assez prononcée.

    Nikita Khrouchtchev et Georgi Malenkov

    Nikita Khrouchtchev fit ainsi la promotion de l’agriculture dans les « terres vierges », se situant en Asie centrale dans la région de la Volga. Le projet fut un échec, mais lui accorda du prestige, de par son accentuation sur la question de l’agriculture, un vrai problème en URSS.

    Nikita Khrouchtchev fit ici office de stabilisateur, de celui qui veut continuer l’élan de la grande industrie tout en corrigeant le tir pour l’agriculture.

    Georgi Malenkov, quant à lui, mit l’accent sur la consommation de biens courants. Il apparaissait ici comme un modificateur, cherchant à changer d’axe l’économie et à l’accentuer sur une perspective non pas de construction, mais de consommation élargie.

    Ici, Georgi Malenkov agissait en fait conformément au XIXe congrès, qui affirmait qu’on était passé à l’étape de l’édification du communisme et qu’il fallait élever le niveau des biens de consommation.

    La base idéologique du XIXe congrès était cependant erronée. Cela fait qu’il se situait en décalage historique avec l’émergence d’une vaste bureaucratie incrustée dans le Parti et œuvrant à déformer, non pas à transformer la situation. Naturellement cette transformation impliquait un saut qualitatif (en le social-impérialisme soviétique), toutefois la nouvelle bourgeoisie n’en avait pas conscience ; elle émergeait comme tendance historique accompagnée d’une considération subjective conforme à la lecture de ses propres exigences, à travers le révisionnisme.

    Cela est d’autant plus vrai que Georgi Malenkov était porté par la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, pas dans le PCUS.

    Timbre vietnamien de 1954 avec Georgi Malenkov, Ho Chi Minh, Mao Zedong

    Lorsqu’il annonce les mesures gouvernementales au Soviet suprême, le 8 août 1953, il les présente même comme relevant « du gouvernement et du Comité Central », ce qui était une entorse fondamentale au protocole soviétique dans l’ordre des termes employés, puisque le Parti a la primauté sur le gouvernement. L’usage voulait donc qu’on dise : « du Comité Central et du gouvernement ».

    Georgi Malenkov répéta la formule même cinq fois dans son discours. En voici un extrait :

    « À présent, nous disposons de toutes les données nécessaires pour accroître la production de biens de consommation. Le volume atteint jusqu’ici ne saurait nous satisfaire.

    Pour assurer le relèvement constant du niveau de vie de la population, il nous faut développer davantage notre industrie légère. Le gouvernement et le parti estiment qu’il est indispensable d’augmenter également les investissements dans les industries alimentaires et dans l’agriculture afin que la production d’articles de consommation courante soit substantiellement accrue (…).

    Nous devons amener l’industrie de construction de machines et autres entreprises de l’industrie lourde à produire des articles de consommation courante.

    Notre tâche urgente est maintenant à augmenter considérablement, au cours des deux ou trois années à venir, l’approvisionnement de la population en produits des industries légère et alimentaire. »

    Ainsi, comme la ligne de Georgi Malenkov impliquait une restructuration partielle de l’économie sous la supervision de la clique bureaucratique gouvernementale qui elle-seule allait être préservée, au profit d’une modification en profondeur de l’appareil aux dépens du Parti, il fut mis de côté par la clique dirigeante du PCUS.

    Il démissionna en février 1955 à la suite d’une violente attaque de Dimitri Shepilov. Celui-ci écrit dans la Pravda (dont il était rédacteur en chef) du 24 janvier 1955 :

    « Si la théorie de ceux qui préconisent un développement de l’industrie légère au détriment de celui de l’industrie lourde était appliquée, elle aboutirait à désarmer le peuple soviétique (…).

    Ce n’est pas parce que l’U.R.S.S. atteint les sommets de l’industrialisation, ni sous prétexte qu’en U.R.S.S. la production a pour seul but de satisfaire aux besoins de la consommation, que l’économie soviétique doit se séparer du communisme en en déplaçant le centre de gravité sur l’industrie légère. »

    Georgi Malenkov fut remplacé par un proche de Nikita Khrouchtchev, Nicolaï Boulganine.

    Ce succès de Nikita Khrouchtchev poussa Vyatislav Molotov à rentrer dans la bataille : il tint alors au Soviet Suprême un discours particulièrement critique sur la politique étrangère menée. Le conflit fut inévitable, surtout alors que Nikita Khrouchtchev et Nicolaï Boulganine partirent à Belgrad en mai et en juin 1955, afin de rétablir les relations avec la Yougoslavie titiste.

    Vyatislav Molotov resta sur ce point fidèle à la ligne de l’époque de Staline, suivant lequel la Yougoslavie était un État fasciste : cela lui valut un blâme de la part du Comité Central lors de sa session de juillet 1955.

    Vyatislav Molotov avait également affirmé dans un discours, le 8 février 1955, que :

    « À côté de l’Union Soviétique, où les fondations d’une société socialiste ont déjà été construites, il y a également les démocraties populaires, qui n’ont fait que le premier pas, même si hautement important, en direction du socialisme. »

    Cela impliquait que le socialisme n’avait pas été construit en URSS, seulement ses fondations. Il dut se résoudre à écrire une lettre d’autocritique à ce sujet dans la revue Kommunist, à la fin de l’été 1955, ce qui montre l’approfondissement de sa mise à l’écart entre les deux dates.

    Sa position était alors carbonisée et en juin 1956, alors que Tito allait en visite à Moscou, il fut au préalable remplacé par Dimitri Shepilov à la tête du ministère des affaires étrangères, afin de bien souligner le nouveau rapport à la Yougoslavie.

    Parallèlement, Lazare Kaganovitch était également rentré dans la bataille. Il fut nommé président d’un nouveau Comité d’État sur le travail et les salaires en mai 1955, mais les discours qu’il tint, notamment celui du 7 novembre 1955, soulignaient l’importance de la théorie marxiste-léniniste.

    Cela lui valut d’être éjecté de son poste en juin 1956 et nommé en septembre ministre de l’industrie des matériaux de construction. Entre-temps avait eu lieu le XXe congrès.

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  • L’explication officielle de «l’affaire Beria» et le développement des forces productives

    La fin de la résolution du PCUS sur « l’affaire Beria » se situe dans le prolongement logique des autres points. Ceux-ci avaient souligné l’alliance de Georgi Malenkov (point 3) et de Nikita Khrouchtchev (point 4), autour du gouvernement et de la clique dirigeante du Parti respectivement, puis dénoncé Lavrenti Beria comme chef de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS.

    La dernière partie de la résolution explique donc que l’appareil de sécurité d’État de l’URSS doit se soumettre au Parti et qu’il s’agit désormais de se concentrer sur le développement des forces productives.

    En filigrane, il y a une dénonciation de Staline, mais sur le plan formel cela n’est pas assumé, puisque cela passe par la dénonciation de Beria et de l’appareil de sécurité d’État.

    7. La session plénière du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique décide :

    a) D’approuver pleinement les mesures décisives prises en temps utile par le Présidium du Comité central du PCUS afin d’éliminer les actions criminelles anti-Parti et anti-État de Béria comme seules justes.

    b) Pour les actes de trahison visant à saper l’État soviétique, expulser L. Beria en tant qu’ennemi du parti et du peuple soviétique du rang des membres du Parti Communiste de l’Union soviétique, le faire juger (…).

    Notre parti doit tirer les leçons politiques de l’affaire Beria et en formuler les conclusions nécessaires pour ses activités futures.

    Premièrement. Il est nécessaire de renforcer la direction du Parti à tous les niveaux du parti et de l’appareil d’État. Éliminer les anomalies graves qui se sont développées ces dernières années dans la vie de parti et les méthodes de direction du parti.

    La tâche consiste à assurer la mise en œuvre exacte des principes de la direction du Parti élaborés par Lénine et des normes de vie du Parti, le strict respect des exigences de la Charte du PCUS sur le calendrier de la convocation des congrès du parti, des plénières du Comité central et du travail régulier de tous les organismes centraux et locaux du Parti.

    Le principe suprême de la direction partidaire dans notre Parti est la direction collective.

    Seule l’expérience politique collective, la sagesse collective du Comité central, fondée sur la base scientifique de la théorie marxiste-léniniste, garantit la justesse de la direction du Parti et du pays, l’unité et la cohésion inébranlables du Parti et la construction réussie du communisme dans notre pays. La tâche consiste à observer strictement les principes de la direction collective dans tous les organes du Parti.

    Il est nécessaire de contrôler régulièrement le travail de toutes les organisations et de tous les départements afin de mettre fin au travail incontrôlé de tout employé, quel que soit son poste, sachant que la direction partidaire de toutes les organisations est la condition principale de la réussite de leur travail.

    Et inversement, le retrait du contrôle du parti conduit inévitablement à un échec du travail, à sa corruption.

    Deuxièmement. Il est nécessaire de remédier à la mauvaise situation qui s’est produite au fil des années, lorsque le ministère de l’Intérieur a effectivement été perdu du contrôle du Parti.

    Une des raisons pour lesquelles les tentatives aventuristes, anti-parti et anti-soviétiques de Beria de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement se sont avérées possibles est que des rapports incorrects et anormaux s’étaient développés entre le Parti et les organes du ministère de l’Intérieur.

    Le ministère de l’Intérieur est devenu arbitraire dans le système de l’État socialiste.

    En fait, au cours des dernières années, le contrôle effectif et la direction collective du parti sur les organes du Ministère de l’intérieur ont été perdus.

    Tout cela a permis à divers carriéristes et aventuriers ennemis du Parti qui se rendaient au ministère des affaires intérieures d’essayer d’utiliser son appareil pour terroriser, intimider et discréditer les cadres honnêtes du Parti et de l’État soviétique voués au communisme.

    De plus, il s’est avéré que les éléments hostiles et carriéristes de l’appareil du ministère des affaires intérieures ont tenté de saper et de discréditer les cadres dirigeants du Parti, y compris ses personnalités.

    Les organisations du parti sont tenues de contrôler systématiquement et en permanence toutes les activités des organes du ministère de l’Intérieur dans le centre et dans les localités (…).

    Troisièmement. La vigilance révolutionnaire des communistes et de tous les travailleurs doit être renforcée de toutes les manières dans l’ensemble du travail des organisations du parti et des organisations soviétiques. Il faut se rappeler et ne jamais oublier l’environnement capitaliste, qui envoie et enverra parmi nous ses agents pour des activités subversives (…).

    Quatrièmement. La force et l’invincibilité du Parti communiste résident dans son lien inextricable avec le peuple.

    Les organisations du parti sont obligées de renforcer et d’élargir constamment les rapports du parti avec les masses, de prendre en compte les revendications des travailleurs et de manifester le souci quotidien d’améliorer le bien-être matériel des travailleurs, des agriculteurs, de l’intelligentsia et de tout le peuple soviétique, tout en veillant au respect de ses intérêts.

    Cinquièmement. Le devoir sacré de notre parti tout entier est la consolidation de l’amitié indestructible des peuples de l’URSS, le renforcement de l’État socialiste multinational, l’éducation du peuple soviétique dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien et la lutte décisive contre toutes les manifestations du nationalisme bourgeois. Il est nécessaire d’éliminer les conséquences des destructions de Beria dans le domaine des relations nationales.

    Sixièmement. Le système socialiste offre d’énormes avantages et possibilités pour une nouvelle et encore plus puissante montée en puissance de notre économie et de notre culture et pour une nouvelle augmentation du bien-être matériel de la population. Nous disposons de ressources naturelles inépuisables, d’équipements performants de première classe dans l’industrie et l’agriculture, d’un personnel hautement qualifié composé de travailleurs et de spécialistes.

    Mais il serait faux d’oublier que nous avons également des tâches économiques urgentes non résolues, en particulier pour le développement de l’agriculture (élevage, culture de légumes, etc.). Nous avons toujours des difficultés de croissance bien connues liées à la résolution de la tâche gigantesque consistant à satisfaire au mieux les besoins matériels et culturels sans cesse croissants des travailleurs.

    Les organisations de partis, soviétiques, syndicales et du Komsomol doivent mobiliser et organiser les forces créatrices du peuple afin de tirer pleinement parti de nos réserves et de la possibilité de résoudre toutes ces tâches, de mener à bien et de dépasser le plan de développement quinquennal de l’URSS, telles que définies par le XIXe Congrès du parti.

    Septièmement. Les intérêts vitaux du parti exigent une amélioration significative de l’ensemble de la cause de la propagande partidaire et du travail politique et éducatif parmi les masses.

    Il est impératif que les communistes étudient la théorie marxiste-léniniste, non pas dogmatiquement, mais qu’ils comprennent la nature créatrice du marxisme-léninisme et n’apprennent pas des formulations et des citations individuelles, mais l’essence d’un enseignement révolutionnaire mondial de Marx – Engels – Lénine – Staline qui transforme tout.

    Notre propagande doit éduquer les communistes et le peuple tout entier, dans un esprit de confiance, à l’invincibilité de la grande cause du communisme, dans l’esprit de dévouement désintéressé pour notre parti et la patrie socialiste. »

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  • L’explication officielle de «l’affaire Beria» et le rejet de l’appareil de sécurité de l’Etat

    La résolution du PCUS sur « l’affaire Beria » expose donc tout d’abord le contexte général, dans l’esprit du XIXe congrès (points 1 et 2), avant de passer à un examen critique, le point 3 reprenant les thèses de Georgi Malenkov, le point 4 celles de Nikita Khrouchtchev.

    Les points 5 et 6 présentent la rencontre des points 3 et 4, puisque Lavrenti Beria se voit accusé d’avoir voulu nuire au Parti (dont Nikita Khrouchtchev est à la tête en pratique), ainsi qu’au gouvernement (dont Georgi Malenkov est à la tête).

    Et s’il a pu faire cela, c’est parce qu’il a dirigé l’appareil de Sécurité d’État. La liste des accusations affabulatrices tourne systématiquement autour de cet aspect.

    « 5. Il faut tenir compte de la particularité de la position du Parti Communiste dans le système de l’État soviétique. Notre Parti est le seul parti du pays et, de plus, il joue le rôle de chef indiscutable dans les orientations de l’État socialiste. La direction du Parti est une condition déterminante pour la force et la stabilité du système soviétique.

    Dans le même temps, il convient de rappeler que la position de monopole du Parti a aussi ses côtés obscurs lorsque la vigilance révolutionnaire dans nos rangs contre l’ennemi de classe est affaiblie.

    Nous oublions souvent que les ennemis, se déguisant habilement en communistes, ont essayé et essaieront d’infiltrer le Parti en faveur de leurs objectifs ennemis, de leur carrière et de leurs fonctions subversives en tant qu’agents des puissances impérialistes et de leurs services de renseignements.

    6. A cet égard, le Plenum du Comité central estime nécessaire d’attirer l’attention de la partie au cas de Béria, exposée par le Présidium du Comité central en tant qu’agent de l’impérialisme international.

    Comme vous pouvez le voir maintenant, Beria, se déguisant intelligemment, avec diverses fraudes de carrière, a gagné la confiance de J.V. Staline.

    Les activités criminelles anti-Parti et anti-État de Beria, profondément cachées et déguisées pendant la vie de J.V. Staline, commencèrent à se déployer pas à pas après sa mort, lorsque les ennemis de l’État soviétique intensifièrent leurs activités anti-soviétiques subversives. Devenu impudent et sans bornes, Beria a récemment commencé à révéler son vrai visage d’ennemi du Parti et du peuple soviétique.

    Quels étaient les actes criminels et les desseins perfides de Beria?

    Après la mort de J.V. Staline, le Comité central et son Présidium avaient pour principale préoccupation de veiller à l’unité de la direction du Parti et du gouvernement, sur la base des principes marxistes-léninistes, afin de mener à bien les tâches fondamentales de l’édification d’une société communiste.

    Par des actions intrigantes insidieuses, Beria a essayé de diviser et de séparer le noyau dirigeant léniniste-stalinien de notre parti, de discréditer tant les dirigeants du Parti que du gouvernement, afin de renforcer son « autorité » et de réaliser ses projets criminels anti-soviétiques.

    Après avoir occupé le poste de ministre de l’Intérieur de l’URSS, Beria a tenté d’utiliser l’appareil du ministère de l’Intérieur afin de déployer sa fraude pénale pour s’emparer du pouvoir. En tant que vil provocateur et ennemi du parti, il a commencé par tenter de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement, en utilisant les organes du ministère de l’Intérieur au centre et dans les localités contre le Parti et ses dirigeants, contre le gouvernement de l’URSS.

    Béria a utilisé les gardes des membres du Présidium du Comité central pour espionner les dirigeants du Parti et du gouvernement. Il a établi la procédure concernant les rapports obligatoires de ses agents sur la localisation des dirigeants du Parti et du gouvernement et sur qui ils rencontrent; une écoute et l’enregistrement de leurs conversations téléphoniques, etc. ont été organisés.

    Comme cela a maintenant été prouvé, Beria a réintégré le personnel du ministère de l’Intérieur contre le Parti en exigeant qu’ils se considèrent comme indépendants du parti.

    Ainsi, Beria a enfreint de manière criminelle le décret du 4 décembre 1952 du Comité central du PCUS, « Sur la situation du MGB [ministère de la sécurité d’État] », adopté durant la vie de J.V. Staline et avec sa participation, qui soulignait la nécessité de « mettre fin de manière décisive aux activités incontrôlées des organes du ministère de la Sécurité de l’État et de placer leur travail au centre et dans les localités sous le contrôle systématique et constant du parti. »

    De plus, Beria, en le cachant au Comité central et au gouvernement, a ordonné aux organes locaux du ministère de l’Intérieur de contrôler les organisations du Parti, de fabriquer de faux documents sur les travailleurs du Parti, ainsi que sur les organisations du Parti et soviétiques.

    Les honnêtes communistes, employés du ministère de l’Intérieur, qui considéraient que ces attitudes anti-parti étaient fausses, Béria les a soumis à la répression. 

    Ainsi, par exemple, le chef du département du ministère des Affaires intérieures de la région de Lviv [en Ukraine], le camarade Strokach seulement parce qu’il a informé le secrétaire du comité régional du Parti de Lviv de l’ordre qu’il avait reçu pour recueillir des données négatives sur le travail des organisations du parti et des cadres du parti, a été renvoyé par Beria en juin 1953, avec menace de l’arrêter et de l’envoyer dans dans un camp.

    Biffant de manière criminelle les exigences de la Charte du parti concernant la sélection de cadres pour leurs qualités politiques et effectives, Beria a nommé des employés du ministère de l’Intérieur sur la base de sa loyauté personnelle à son égard, sélectionner des personnes suspectes étrangères au Parti, en même temps qu’il a expulsé des employés précédemment envoyés par le Comité central auprès du ministère des Affaires intérieures et des organisations locales du Parti.

    Comme établi par les faits, Beria, même pendant la vie de J.V. Staline, et surtout après sa mort, sous divers faux prétextes, empêchait de toutes les manières possibles la solution des problèmes les plus urgents pour le renforcement et le développement de l’agriculture. 

    Maintenant, il ne fait aucun doute que cet ennemi vil du peuple s’était fixé pour objectif de saper les fermes collectives et de créer des difficultés pour l’approvisionnement en nourriture du pays.

    Beria cherchait par diverses méthodes insidieuses à saper l’amitié des peuples de l’URSS – le fondement des fondements d’un État socialiste multinational et la condition principale de tous les succès des républiques soviétiques soeurs. 

    Sous le faux prétexte de lutter contre les violations de la politique nationale du parti, il a tenté de semer la discorde et l’inimitié entre les peuples de l’URSS, afin d’activer des éléments nationalistes bourgeois dans les républiques de l’Union.

    La figure politique ennemie, Beria, était particulièrement évidente lors de la discussion de la question allemande à la fin du mois de mai de cette année.

    Les propositions de Beria sur cette question se résumaient à l’abandon de la construction du socialisme en République démocratique allemande et à la transformation de la RDA en un État bourgeois, ce qui aurait signifié une reddition directe aux forces impérialistes.

    Dans le même temps, Beria est devenu si impudent que, sous couvert de la lutte contre les imperfections et les excès dans la construction de fermes collectives dans les pays de démocratie populaire et en RDA, il a commencé à formuler des vues anti-collectives sur les fermes, jusqu’à la proposition de dissoudre les fermes collectives dans ces pays (…).

    Au cours des tout derniers jours, les agents de Beria ont révélé les intentions criminelles de ses agents en vue d’établir une relation personnelle avec Tito et Rankovich en Yougoslavie.

    En 1919, lors de l’occupation britannique de Bakou, Beria servit en Azerbaïdjan dans les statistiques de la Garde Blanche, Musavat, et cacha ses activités perfides au Parti.

    Le Plénum du Comité central du PCUS estime qu’il est établi que Béria a perdu la nature de communiste, est devenu un bourgeois dégénéré et est devenu en réalité un agent de l’impérialisme international. une politique capitularde qui conduirait finalement à la restauration du capitalisme. »

    On a ainsi, avec la remise en cause de Lavrenti Beria, la remise en cause de l’ensemble de l’appareil de sécurité d’Etat d’URSS.

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  • Le PCUS, les deux factions et l’explication officielle de «l’affaire Beria»

    Voici les principaux extraits du début de la résolution de la session du Comité Central du PCUS intitulé « À propos des actions criminelles anti-Parti et anti-État de Beria », adoptée à l’unanimité le 7 juillet 1953.

    C’est un document d’autant plus important qu’il ne parle que dans une partie de « l’affaire Beria », cherchant en même temps à donner une certaine définition de l’URSS, avec déjà un pas largement fait en direction du XXe congrès.

    Le début de la résolution ne parle ainsi pas du tout de Lavrenti Beria, mais se concentre sur une « évaluation » de la situation de l’URSS.

    Les points 1 et 2 relèvent du même esprit que le XIXe congrès et ne disent pas des choses différentes sur le fond. Il y a deux systèmes, l’un se renforce, l’autre s’effondre, etc.

    « Après avoir entendu et discuté du rapport du camarade G.M. Malenkov sur les actions criminelles anti-Parti et anti-État de Béria, l’assemblée plénière du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique établit :

    1. A la suite de la mort de J.V. Staline, l’ensemble du monde bourgeois tablait sur l’affaiblissement de l’État soviétique, sur la division et la confusion qui régneraient dans la direction de notre Parti et de notre État, sur l’affaiblissement des liens du Parti avec le peuple. Mais ces calculs des ennemis ont été renversés.

    Le Comité central du Parti au cours des quatre mois qui ont suivi la mort de J.V. Staline a assuré la direction ininterrompue et appropriée de toute la vie du pays, a très bien réuni le Parti et le peuple autour des tâches de construction du communisme, de renforcement du pouvoir économique et de défense de notre pays et d’amélioration continue des kolkhoziens, de l’intelligentsia, de tous les peuples soviétiques.

    En appliquant les décisions du 19e Congrès du PCUS, le Parti assura une puissante poussée dans tous les secteurs de l’économie nationale.

    La nouvelle initiative de paix lancée par le gouvernement soviétique a permis de renforcer davantage la position internationale de l’URSS, de renforcer l’autorité de notre pays et de renforcer considérablement le mouvement mondial pour la préservation et la consolidation de la paix.

    2. Les succès de l’Union soviétique dans la construction du communisme, la progression constante sur la voie du socialisme dans les pays de démocratie populaire en Europe, ainsi que la puissante reprise de l’économie et de la culture de la grande République populaire de Chine, le développement du mouvement ouvrier dans un certain nombre de pays capitalistes et la lutte de libération nationale dans de nombreux pays – tout cela signifie une augmentation considérable de la force et du pouvoir du camp démocratique et du mouvement de libération mondiale.

    Dans le même temps, dans le camp impérialiste, la crise générale du capitalisme et l’affaiblissement de l’ensemble du système capitaliste se sont aggravés, de même que les difficultés économiques, le chômage, les coûts élevés et l’appauvrissement des travailleurs.

    En raison de l’expansion effrénée de l’impérialisme américain et de la dictature impudente de son côté vis-à-vis de ses partenaires plus faibles et de ses satellites, les contradictions au sein du camp capitaliste s’aggravent.

    Ainsi, tout le cours du développement mondial témoigne de la croissance constante des forces de la démocratie et du socialisme, d’une part, de l’affaiblissement général des forces du camp impérialiste, de l’autre, qui suscite une profonde inquiétude parmi les impérialistes et provoque une vive activation des forces impérialistes réactionnaires, leur désir fébrile de saper la puissance croissante des forces internationale du camp de la paix et due socialisme, et surtout sa force dirigeante – l’Union soviétique.

    Cela se traduit par la course effrénée aux armements des pays capitalistes, par des aventures militaires, par des tentatives de pression accrue sur l’URSS, par l’organisation de toutes sortes de provocations et de sabotages dans les pays du camp démocratique, pour lesquels des centaines de millions de dollars sont alloués. 

    Les impérialistes cherchent un soutien dans les pays de démocratie et de socialisme sous la forme de divers renégats et d’éléments en décomposition, et intensifient les activités subversives de leurs agents.

    Les points 3 et 4 sont très révélateurs de parce qu’ils expriment le point de vue de deux factions différentes.

    Ils correspondent à des critiques de la situation, et ce :

    – pour le point 3 dans l’esprit de Georgi Malenkov (comme quoi il faut renforcer la production de biens de consommation),

    – pour le point 4 dans l’esprit de Nikita Khrouchtchev (comme quoi il faut « rétablir » la direction collective).

    Le point 4 contient déjà les fondements de la dénonciation du « culte de la personnalité ».

    3. Le pays soviétique, doté d’un pouvoir indestructible et de forces créatrices, avance avec succès sur la voie de la construction du communisme. Nous avons une industrie socialiste puissante, une industrie lourde complètement développée, qui est à la base des fondements d’une économie socialiste. Notre secteur de l’ingénierie est en forte progression, fournissant à tous les secteurs de l’industrie, des transports et de l’agriculture une technologie moderne (…).

    Tous ces succès dans le développement de l’économie socialiste et dans la construction culturelle sont devenus possibles grâce à la forte alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie collective, à l’amitié croissante des peuples de l’URSS, à la consolidation constante de l’unité morale et politique du peuple soviétique et à la mise en œuvre cohérente des politiques élaborées par le Parti communiste.

    Avec tout cela, comme avant, le Parti ne doit pas sous-estimer les difficultés et les faiblesses existantes dans notre construction économique et culturelle.

    Nous ne devons pas oublier que notre pays a traversé les plus grandes épreuves causées par la guerre, qui a dévasté la plus grande partie du pays et fait de nombreuses victimes.

    Au fil des ans, il a fallu déployer des efforts considérables pour guérir les blessures graves et éliminer les effets de la guerre.

    Il faut admettre que nous avons de nombreuses entreprises industrielles en retard et même des industries individuelles. De nombreuses fermes collectives et des zones agricoles entières sont en mauvais état. Les rendements des cultures et la productivité du bétail sont faibles et ne correspondent pas à l’augmentation des équipements techniques de l’agriculture et aux opportunités inhérentes au système de la ferme collective. De ce fait, nous ne répondons toujours pas suffisamment aux besoins matériels croissants et aux besoins culturels de notre population.

    Nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait qu’avec l’abolition des classes exploiteuses dans notre pays, les vestiges du capitalisme dans l’esprit des gens sont loin d’avoir disparus et qu’il existe de graves lacunes en matière d’éducation communiste du peuple soviétique.

    Ce serait oublier les fondements du marxisme-léninisme si nous cessions de compter sur le fait qu’il existe un environnement capitaliste qui envoie ses agents parmi nous, à la recherche de personnes prêtes à trahir les intérêts de la Patrie et à remplir les tâches incombant aux impérialistes pour saper la société soviétique.

    4. Notre parti est la force organisatrice et inspirante de la société soviétique. Grâce à la bonne direction du Parti, le peuple soviétique a remporté des victoires historiques dans le monde en faveur de la construction d’une société communiste.

    Cependant, les activités de notre parti présentent des lacunes importantes, à la fois dans un certain nombre de secteurs de la construction économique et dans le domaine de l’éducation communiste des travailleurs.

    Il faut bien admettre que nous avons de graves lacunes dans le respect des normes établies par le grand Lénine, des principes bolcheviques de la direction du Parti.

    Au fil des ans, nous avons accumulé d’importantes anomalies dans ce domaine. Il n’est pas justifié que sept ans seulement après la fin de la guerre et 13 ans après le 18ème Congrès, le 19ème Congrès du parti ait été convoqué. Pendant plusieurs années, les assemblées plénières du Comité central du parti ne se sont pas réunies.

    Pendant longtemps, le Bureau Politique n’a pas fonctionné normalement. Les décisions sur les questions les plus importantes du travail d’État et de la construction économique étaient souvent prises sans une étude préalable appropriée et sans discussion collective au sein des principaux organes du parti, comme le prévoyait la Charte du parti.

    En raison de telles anomalies dans l’organisation des activités du Comité central, le travail collectif n’a pas été assuré, de même que la critique et l’autocritique. La présence de telles anomalies conduisait en fait parfois à des décisions insuffisamment étayées et à une diminution du rôle du Comité central en tant qu’organe de direction collective du parti.

    À cet égard, il convient également de reconnaître qu’il est anormal que la propagande de notre parti au cours des dernières années s’écarte de la conception marxiste-léniniste de la question du rôle de l’individu dans l’histoire.

    Cela s’est traduit par le fait que, au lieu d’expliquer correctement le rôle du Parti communiste en tant que véritable moteur de l’édification du communisme dans notre pays, la propagande du parti s’est souvent perdue dans le culte de la personnalité, ce qui a entraîné une diminution du rôle du parti et de son centre, des activités créatrices des masses du parti et des larges masses du peuple soviétique. 

    Cette orientation du travail de propagande est en contradiction avec les dispositions bien connues de Marx sur le culte de la personnalité. »

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  • Le PCUS et l’explication officielle de «l’affaire Beria»

    Le coup de force contre la tête de l’appareil de sécurité d’État empêchait une initiative de l’État socialiste dans son rapport au Parti. Il est évident que de hauts responsables militaires ont joué un rôle, puisque des forces armées sont intervenues au Kremlin et que la clique de Nikita Khrouchtchev a été clairement appuyée par l’armée durant cette période.

    De fait, l’armée qui joua un rôle toujours subordonné à l’appareil de sécurité d’État en URSS s’est vue confier un rôle prééminent par la suite, avec un immense appareil militaro-industriel engloutissant une partie faramineuse des richesses du pays. Dans les années 1980, le complexe militaro-industriel représentait 25 % du PIB et les 3/4 des recherches et développement.

    Cette décapitation de l’appareil de sécurité d’État est donc à considérer comme la grande opération contre le principal verrou barrant la route à la prise du contrôle du pays par le Présidium du PCUS.

    Staline, sa fille Svetlana, Lavrenti Beria

    Il faudra par ailleurs plus de dix jours avant qu’une explication de l’affaire soit produite par le PCUS. Une fois cette explication faite, Lavrenti Beria servit de bouc-émissaire, avec toutefois une extrême prudence pour le procès.

    On apprit ainsi seulement le 16 décembre que l’enquête à son sujet était terminée et le 24 décembre, il fut annoncé que Lavrenti Beria avait été jugé et exécuté la veille. Là encore, la presse soviétique n’aborda la question que très brièvement.

    On a ainsi tous les ingrédients d’un coup d’État et cela se lit jusqu’à la résolution de la session du Comité Central du PCUS intitulé « À propos des actions criminelles anti-Parti et anti-État de Beria », adoptée à l’unanimité le 7 juillet 1953.

    La résolution ne traite qu’en partie de « l’affaire Beria », posant concrètement une véritable base idéologique nouvelle. La restructuration continua par ailleurs par la suite. Le personnel dirigeant de républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan connut une purge dans l’année qui suivit, pour « manquement » au « caractère collégial » dans la gestion de la direction.

    Serge Krouglov, nommé ministre des affaires intérieures après la liquidation de Lavrenti Beria, fut lui-même mis de côté à la veille du XXe congrès.

    Pour également bien asseoir son coup, le Comité Central du PCUS produisit un document particulièrement long, réservé aux cadres, devant être étudié toujours sous supervision. Il consistait en une sorte de biographie détaillée accusant Lavrenti Beria de crimes aux différentes époques de sa vie.

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  • La mort de Staline et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

    Le 26 juin 1953, Lavrenti Beria était intercepté chez lui et immédiatement exécuté. Officiellement, il aurait été emprisonné pour passer en procès à la fin de l’année, étant condamné à mort et exécuté seulement le 23 décembre.

    C’est en réalité un coup de force contre l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, dont Lavrenti Beria était à la tête.

    On parle ici de la plus grande figure organisationnelle de l’URSS avec Joseph Staline, ces deux communistes faisant office de véritable tandem géorgien. Lavrenti Beria est à partir de la fin des années 1930 le principal responsable de la sécurité du pays, jouant un rôle de premier plan dans la guerre mondiale, notamment comme responsable des services de contre-espionnage du SMERSH (acronyme de « mort aux espions ! »).

    Lavrenti Beria

    Au moment de sa mort, Lavrenti Beria était membre du Présidium du Comité central du PCUS, premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, ministre des affaires intérieures, héros du travail socialiste, maréchal de l’Union soviétique, responsable du programme atomique soviétique. C’est également lui qui, sur la place rouge, fut l’un des trois orateurs de l’oraison funèbre pour Joseph Staline, le 9 mars 1953.

    L’accusation, fantasmagorique, veut qu’il ait été un espion à la solide de l’impérialisme ayant tenté de monter un coup d’État par l’intermédiaire des services secrets ; tout cela serait étayé par de nombreux documents du procès et même un long « aveu ».

    À cela s’ajoute l’accusation d’avoir soi-disant régulièrement enlevé des femmes pour les violer et ensuite les faire fondre à l’acide sulfurique dans sa salle de bains ou bien les broyer dans un concasseur de pierres !

    On a ici une véritable opération militaire accompagné d’une campagne d’intoxication psychologique, qui a commencé dès le lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953, et qui vise à la destruction de l’appareil de sécurité.

    Lavrenti Beria

    A.A. Epyshev, vice-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS, est démis de ses fonctions le 11 mars 1953. B.C. Ryasnoy, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la seconde direction principale chargée du contre-espionnage, responsable de la garde personnelle de Staline depuis mai 1952, est démis le même jour.

    S.R. Savchenkjo, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la première direction principale chargée du renseignement, est démis le 17 mars 1953.

    Cette liste est encore longue et concerne en fait les hauts cadres de la sécurité d’État. Car, en décembre 1952, le PCUS a voulu la fusion du ministère de la sécurité d’État et de celui des affaires intérieures et c’est Lavrenti Beria qui prit la tête de la nouvelle structure au moment de la mort de Staline. Or, il semble à peu près clair que Staline n’a pas eu une mort naturelle et Lavrenti Beria avait commencé une enquête, qui eut immédiatement comme réponse son exécution.

    De plus, Lavrenti Beria était devenu le chef de file de l’application de la légalité socialiste dans l’esprit de la constitution de 1936. Il avait déjà souligné cette dimension lors de l’oraison funèbre de Staline et avait promulgué un ordre secret, le 4 avril 1953, appelant à l’interdiction de « l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ».

    L’ordre souligne le point suivant :

    « Ces méthodes vicieuses d’enquêtes orientaient les efforts du personnel opérationnel sur le mauvais chemin et l’attention des organes de sécurité de l’État était détournée de la lutte contre les véritables ennemis de l’État soviétique. Je commande d’interdire strictement l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ; dans le cadre de l’enquête, respectez scrupuleusement les normes du code de procédure pénale (…).

    Familiariser toute la structure opérationnelle des organes du ministère de l’Intérieur avec cet ordre et avertir qu’à partir de maintenant, non seulement les auteurs directs, mais également leurs dirigeants seront tenus responsables des violations du droit soviétique. »

    L’affirmation de cette légalité étatique était un obstacle fondamental pour le Présidium du PCUS. En effet, si l’on suivait les dispositions du XIX congrès de 1952, il n’y avait plus de secrétaire général, simplement une direction collective devant assurer l’édification du communisme, c’est-à-dire gérer au mieux les forces productives.

    Or, si cela était faux idéologiquement, il restait une base : si le Parti basculait dans une démarche incorrecte, il restait l’appareil d’État pour contre-balancer la chose. Celui-ci continuait de fonctionner selon les principes établis.

    Il fallait donc absolument le démanteler du point de vue de la clique formée principalement de Nikita Khrouchtchev, Léonid Brejnev, Mikhail Souslov… qui entendait diriger le pays par en haut et non pas simplement avoir une fonction « administrative » comme le formulait le XIXe congrès de 1952.

    Lavrenti Beria

    La liquidation de nombreux cadres de la Sécurité d’État dès la mort de Staline culmina donc en l’exécution de Lavrenti Beria, ainsi que celle de plusieurs très hauts responsables condamnés lors du même procès fictif :

    – Leo Vlodzimirsky, alors dirigeant de l’unité d’enquête sur les affaires particulièrement importantes du ministère de l’intérieur ;

    – Vsevolod Merkulov, alors ministre du Contrôle de l’État de l’URSS (1950-1953), responsable de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS de 1938 à 1941, général depuis 1945, commissaire du peuple (puis ministre) de la Sécurité de l’État de l’URSS (1941, 1943-1946);

    – Vladimir Dekanozov, alors ministre des affaires intérieurs de Géorgie, membre du Comité central du PCUS (b) de 1941 à 1952, ancien responsable adjoint de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS, ancien commissaire populaire adjoint aux affaires étrangères et représentant extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS en Allemagne (1940-1941);

    – Bogdan Kobulov, alors premier sous-ministre des Affaires intérieures de l’URSS, après avoir été une figure clef du NKVD pour plusieurs postes, notamment chef de l’unité d’enquête du NKVD de l’URSS , puis chef de la direction économique principale du NKVD de l’URSS (1938-1939) ;

    – Sergey Goglidze, alors figure du ministère des affaires intérieurs de l’URSS et responsable de la 3e direction (contre-espionnage dans l’armée et la marine soviétiques), notamment ancien vice-ministre de la sécurité d’État, ancien dirigeant du troisième département (contre-espionnage militaire) du ministère de la Sécurité d’État, ancien responsable de la direction principale pour la protection des chemins de fer et du transport par voie navigable du ministère de la Sécurité de l’État de l’URSS, ancien commissaire du peuple aux affaires intérieures de l’URSS, ancien chef du bureau du NKVD de la République socialiste soviétique de Géorgie, ancien ministre de la Sécurité d’État d’Ouzbékistan ;

    – Pavel Meshik, alors ministre de l’Intérieur de la République socialiste soviétique d’Ukraine et chef adjoint de la 1re Direction principale du Conseil des ministres de l’URSS (chargé de la construction de la bombe atomique), notamment ancien chef adjoint de la direction principale du SMERSH, ancien dirigeant du département des enquêtes de la direction économique principale du NKVD de l’URSS, ancien dirigeant premier département (commissariats industriel et alimentaire) de l’institution d’État du NKVD ;

    Tant Lavrenti Beria que les autres responsables ont été incinérés après leur exécution.

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  • Les contradictions en URSS au lendemain du XIXe congrès

    À partir de 1952 – et non pas à partir de la mort de Staline le 5 mars 1953 – le PCUS est régi de manière collégiale, par une direction collective s’appuyant sur le Présidium du Comité Central, lui-même sévèrement encadré par le Comité Central.

    Or, il restait un appareil centralisé par définition même, celui de l’appareil de sécurité d’État.

    Il y a ici une contradiction qui s’est posée historiquement, de par l’erreur du XIXe congrès, qui considérait que le socialisme avait été instauré et que l’URSS rentrait dans la période d’édification du communisme.

    Il ne pouvait pas y avoir en même temps une direction collective et un appareil de sécurité centralisé existant dans l’État et à côté du Parti. Tant la centralisation des services de sécurité autour d’une figure historique, Lavrenti Beria, que le maintien des camps de travail (donnant par définition une importance aux services de sécurité), rentrait en conflit avec la démarche lancée au XIXe congrès.

    Celle-ci posait d’ailleurs la liquidation des camps de travail. Dans la même logique, la peine de mort avait été supprimée en 1947, mais finalement réinstaurée en 1950 devant les affaires d’espionnage.

    Il fut donc décidé que la gestion des camps de travail devait passer au ministère de la justice. Une amnistie importante fut également décidée le 27 mars 1953.

    Drapeau de l’URSS du 5 décembre 1936 au 19 août 1955

    Restait la question de l’appareil de sécurité au sens ouvert (telle la police) et celui au sens fermé (contre-espionnage). On en était alors à une fusion du MGB et du MVD – le ministère de la sécurité d’État et le ministère des affaires intérieures. Dans 12 républiques sur 15, ce fut le responsable du MGB qui passa responsable du MVD.

    Mais il y a ici plus important encore : la République soviétique de Russie n’avait pas de MVD propre – c’était celui au niveau pansoviétique qui en assumait la fonction. C’est dire le caractère essentiel de son rôle, sa puissance.

    L’une des premières décisions du MVD, désormais dirigé par Lavrenti Beria, fut une critique en règle, dans la Pravda du 4 avril 1953, du MGB pour son enquête sur le complot des médecins accusés d’avoir joué un rôle dans des accusations d’empoisonnement. Le MVD prétendit que les aveux avaient été forcés et que l’enquête n’avait pas été légale. Les médecins furent libérés, des responsables du MGB arrêtés, l’informatrice de l’affaire, Lydia Timsshuk, se vit enlever l’ordre de Lénine reçu pour l’occasion.

    Cette démarche fut très inattendue ; la revue de mars du Komosomol (la jeunesse communiste), sortie elle-même le 4 avril, contient ainsi un article de dénonciation de l’espionnage et célébrant l’exemple de Lydia Timsshuk.

    Le 10 avril 1953, les Izvestia prolongèrent la remise en cause en affirmant qu’il s’agissait d’une initiative antisémite prenant comme prétexte un pseudo-complot de médecins juifs. La presse soviétique accusa parallèlement le style de travail de la direction du Parti en Géorgie, ce qui se prolongea par la suite. Il s’ensuivit une remise en cause de la purge de 1951-1952 et le rétablissement de ceux mis de côté.

    On a là en fait une bataille factionnelle qui se jouait dans le Parti, avec le conflit entre le Parti passé sous direction collégiale et l’appareil de sécurité d’État resté centralisé.

    La tension fut à son comble à l’occasion d’un opéra. Celui-ci, intitulé Les décabristes, relatait la révolte contre le tsar d’une partie de l’aristocratie. Le 27 juin 1953, tout le Présidium du PCUS y assistait, à l’exception de Lavrenti Beria et de deux membres suppléants, l’arménien Vladimir Bagirov et le russe Léonid Melnikov.

    Dans la journée, plusieurs dizaines de tanks accompagnés d’autres véhicules militaires étaient arrivées par le train à Moscou et commençaient à se déployer dans la ville. Ce dispositif militaire connut une amplification dès la tombée de la nuit et cela jusqu’au 30 juin. Il semble que certaines unités dépendaient de l’appareil de sécurité d’État, d’autres de l’armée.

    Cette situation, clairement de crise, fut également accompagnée par la suite d’au moins deux articles marquants. Le premier fut publié sans signature dans la Pravda du 4 juillet 1953 ; citant notamment Staline, il souligna l’importance de la direction collective, de la soumission des communistes à la volonté de la majorité du Parti.

    Le second consista en l’éditorial des Izvestia du 7 juillet et s’appuyait sur Les problèmes économiques du socialisme, écrit par Staline à l’occasion du XIXe congrès de 1952, et expliquait qu’un dirigeant négligeant la théorie ne peut pas assumer sa fonction.

    On peut considérer que le premier document représente la ligne de la direction collégiale du Parti, le second vraisemblablement de la ligne idéologique maintenue, soutenue par l’appareil de sécurité d’État, mais il est difficile d’y voir clair, car la journée de crise du 27 avait été précédé, la veille, de la liquidation du dirigeant de l’appareil de sécurité d’État, Lavrenti Beria.

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  • PCE(r) : En première ligne

    Histoire du Parti Communiste d’Espagne (reconstitué)
    (des origines au II Congrès)

    Éditeur : Collectif Francisco Javier Martínez Eizaguirre 
    Juin 2004

    Introduction

    1. La fundation de l’OMLE dans l’exil
      1.1 Pire que la guerre: l’aprèsguerre fut encore
      1.2 La dégénérescence révisionniste du PCE
      1.3 L’essor du mouvement ouvrier et populaire
      1.4 La confluence de plusieurs groupes communistes à Bruxelles
      1.5 Les deux fédérations de l’intérieur: Cadix et Madrid
      1.6 Pour un centre unique de toute l’Organisation
    2. Le changement d’orientation
      2.1 La V Réunion Générale
      2.2 La lutte contre le spontanéisme
      2.3 Organiser à la classe ouvrière en étroite relation avec le Parti
      2.4 L’orientation dans le travail de propagande
      2.5 La fusion des communistes galiciens avec l’OMLE
      2.6 Les tentatives de reformer le parti révisionniste depuis l’intérieur
      2.7 La Grève Générale Révolutionnaire de Vigo et la fusion d’Organisation Ouvrière avec l’OMLE
    3. La célébration de la Ière Conférence
      3.1 Préparation de la Conférence
      3.2 Les résolutions de la Conférence
      3.3 La professionnalisation des cadres
      3.4 L’ouverture du régime commence
      3.5 L’style communiste dans le travail de propagande et d’agitation
      3.6 Les premières arrestations
      3.7 Les erreurs de l’été
      3.8 Convocation du Congrès reconstitutif
    4. La bataille contre la réforme fasciste
      4.1 Le Congrès reconstitutif du Parti
      4.2 L’été de la terreur
      4.3 IBM et le système offset dans l’appareil de propagande
      4.4 Le prolétariat a désormais son avantgarde
      4.5 Apprendre le maniement des armes
      4.6 Du silence à l’intoxication, et toujours la terreur
      4.7 Transit pacifique à la démocratie ou processus révolutionnaire ouvert?
      4.8 La création du Comité de Lien
      4.9 Critique des méthodes bureaucratiques de direction
    5. Une vraie campagne d’encerclement et d’anéantissement
      5.1 Le IIème Congrès du Parti
      5.2 L’arrestation du Comité Central
      5.3 Les pactes de la Moncloa
      5.4 Le dilemme international

    Introduction

    La situation politique en Espagne pendant les années 60, lorsque l’OMLE (Organisation des Marxistes Léninistes d’Espagne) était en période de formation, était caractérisée se par trois traits fondamentaux : le régime fasciste régnant, l’essor du mouvement ouvrier et populaire, et le révisionnisme qui s’était emparé du Parti Communiste.

    Par opposition à d’autres pays, le fascisme en Espagne s’était imposé en 1939, après trois années de guerre et pas pacifiquement, au moyen d’élections. Cela octroya aux militaires un rôle décisif dans le régime: à la différence des autres chefs fascistes européens, Franco était général de l’Armée. C’est pourquoi ce qui singularisa le franquisme par rapport à ses homologues italiens et allemands fut précisément le rôle décisif des militaires aussi bien pendant la guerre qu’à l’après-guerre.

    Le fascisme en Espagne n’a pas qu’il duré seulement quelques années mais il est resté en place, avec diverses vicissitudes, jusqu’à nos jours, en forgeant la classe ouvrière et la dotant d’une expérience de luttes que très peu d’autres ont connue. La lutte de classes en Espagne a été et continue à être profondément marqué par la guerre civile et par une domination fasciste postérieure et prolongée. La liquidation du PCE(r) contribua à cela dans une grande mesure bien qu’il ait continué la lutte de résistance après la défaite de la République.

    Comme signale le Programme du PCE(r):

    Le fascisme a réussi à écraser les organisations syndicales et les partis démocratiques, mais pas le Parti de la classe ouvrière. Le PCE a poursuivi la lutte dans les usines, les mines, les villes et les campagnes.

    Le coup le plus dur, celui qui a détruit le Parti, n’est pas arrivé par la répression, mais par le travail de sape mené dans son sein par le révisionnisme carrilliste […] Cette activité contre-révolutionnaire a été possible à cause des mêmes faiblesses, insuffisances et erreurs traînées par le Parti depuis l’étape antérieure, jamais analysées à fond ni, par conséquent, corrigées […]

    À tout cela, il faut ajouter d’autres facteurs comme la dispersion de la direction, l’attention nulle prêtée au développement de la théorie révolutionnaire et à la formulation d’une ligne politique adaptée aux nouvelles conditions de l’Espagne, ainsi que le progressif abandon des principes léninistes de fonctionnement et d’organisation. De cette façon, se sont créées les conditions qui ont permis à l’opportunisme de se développer dans les rangs du Parti et d’attendre l’occasion propice pour prendre la direction et faire triompher son œuvre destructive, sans que les vieux dirigeants, pétris de dogmatisme et d’habitudes conciliatrices, fussent capables de l’empêcher […]

    Vers le milieu des années 60, dans les pays capitalistes de haut niveau de développement économique, surgit parmi la jeunesse un puissant mouvement de contenu clairement politique. Déjà, à l’intérieur de ces pays, apparaissaient tous les symptômes de la nouvelle phase de la crise générale du système, en gestation après la courte période d’essor économique de la post-guerre. Les théories au sujet d’une prétendue société post-industrielle – où disparaîtraient les crises économiques et la lutte de classes pour faire place à l’entente et au bien-être général, à une société de consommation et à un développement économique soutenu – s’écroulèrent comme un château de cartes, si bien que la critique du système capitaliste a réoccupé le premier plan de l’actualité […]

    Ce mouvement de critique du capitalisme sera stimulé par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne Chinoise et par la critique marxiste-léniniste effectuée par le PCCh et les communistes d’autres pays contre les thèses révisionnistes : la transition pacifique et parlementaire au socialisme, l’État de tout le peuple, l’émulation économique entre le socialisme et le capitalisme, etc.

    À la fin de la décennie, deux événements nouveaux et importants, qui ébranlèrent la vie de tous les pays, sont venus s’ajouter aux précédents: l’héroïque lutte de résistance du peuple vietnamien contre l’agression nord-américaine et le mouvement de masses, de caractère révolutionnaire, déclanché au mois du mai 1968 à Paris et dans d’autres villes de France.

    La crise économique capitaliste mondiale a eu aussi une forte répercussion en Espagne, à un moment où les plans de développement industriel touchaient au but, le régime entrait en plein dans une crise politique et commençait, prudemment, la manœuvre ‘d’ouverture’ par laquelle il cherchait une sortie. Le mouvement ouvrier et populaire s’était remis des effets de la défaite supportée en 1939 et des longues années de terreur fasciste ouverte et, étant donné que la politique de réconciliation carrilliste et ses consignes pour une ‘grève nationale pacifique’ avaient échoué, il commençait à s’orienter sur la voie de la résistance et de la lutte armée.

    Ce contexte général donnera lieu à l’apparition du nouveau mouvement ouvrier organisé. L’Organisation des Marxistes-Léninistes d’Espagne (OMLE) fut une des premières organisations communistes nées à cette période (1968). C’est en partant d’elle, qu’on reconstruira le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière, dont la nécessité se faisait sentir depuis déjà longtemps.

    1. La fondation de l’OMLE dans l’exil

    1.1 Pire que la guerre: l’après-guerre fut encore

    Après la guerre, il n’y eut pas un seul instant de paix. La répression de l’après-guerre a occasionné plus de dommages encore aux organisations communistes, ouvrières et paysannes, qui ont été férocement pourchassés et leurs dirigeants assassinés par milliers. L’importance de la répression n’a pas eu parangon dans l’histoire: Le fascisme es Espagne chercha à raser toute trace des communistes espagnols. Les prisons débordèrent et il a fallu que les camps de concentration prennent leur place, des espaces à plein air, clôturés et fortement surveillés. À la fin de la guerre, la propagande officielle changea leurs noms pour d’autres comme ‘des camps de travail’, ‘des bataillons disciplinaires’, ‘des colonies pénitentiaires militarisées’, etc. Les prisonniers vivaient mal cette situation, soumis aux intempéries, à la faim, aux plaies et aux maladies(1).

    Aujourd’hui encore, l’Armée n’a pas autorisé l’accès des archives de la répression aux historiennes (2). Cependant d’après les données officielles de l’époque, 8 pour cent de la population passa par le bagne pendant l’après-guerre; environ un million de personnes ont été condamnées par les conseils de guerre les six premières années de l’après-guerre, la plus part à la peine de mort, accusées de rébellion militaire.

    On évalue les fugitifs entre 700.000 et 800.000, dont un demi-million fuirent, à la fin des combats ; presque la moitié revint ; il y en eut 300.000 qui ne purent jamais rentrer de l’exil et 35.000 qui décédèrent, victimes de la faim et des maladies, dans les camps de concentration français et d’Afrique du Nord, une quantité à la quelle il faut encore ajouter les 7.000 des camps de concentration nazis.

    Les communistes et d’autres antifascistes assassinés depuis la guerre s’élèvent à quelque 200.000 (3). Le régime de Franco n’eut aucune compassion pour l’Armée républicaine, vaincue et désarmée.

    Les plus hauts responsables de ce massacre gigantesque, des procureurs militaires comme José Solís Ruiz ou Carlos Arias Navarro occupèrent, ensuite, les plus hauts postes du régime. Les partis, syndicats et associations, liés de loin ou de près au Front Populaire, furent dissous et leurs biens confisqués, tout en étant l’objet d’un pillage organisé sur lequel de nombreux oligarques actuels fondèrent leurs immenses fortunes.

    Cependant, le chiffre des prisonniers, morts, exilés n’épuise pas le chapitre répressif de la première époque franquiste. Il y eut aussi un secteur très important de la population qui a perdu pour toujours son poste de travail; d’autres n’ont plus jamais réussi à exercer leur profession et beaucoup d’entre eux eurent à supporter des humiliantes enquêtes d’aptitude. Les républicains devaient toujours porter des sauf-conduits et certificats de bonne conduite, ce qui les transformait en parias. Incarcérés, torturés, assassinés, exilés…

    Le fascisme n’en eut pas assez et déchaîna une vaste épuration si bien que, la moindre suspicion d’opposition, donnait lieu à des représailles. Des parents de communistes et de républicains furent aussi persécutés et obligés d’abandonner leurs professions et leurs emplois, en même temps que leurs propriétés étaient confisquées.

    Quelque 300.000 fonctionnaires de la République perdirent leur poste de travail, un chiffre qui est encore plus significatif si on considère que, par exemple, 80 pour cent des maîtres d’école furent renvoyés. Les chiffres seraient encore plus élevés si nous considérions ceux qui furent expulsés par des tribunaux d’honneur dans le corps du fonctionnariat et le corps professionnel; le nombre est très difficile à mesurer pour le moment ; en 1969 il y avait encore des enquêtes en cours contre des maîtres de l’Éducation Nationale.

    On instaura, partout en Espagne, une censure implacable et absolue sur la presse, la radio ou le théâtre. Le jour du soulèvement, pendant une allocution en Pampelune, le général Mola l’avait très clairement averti: Il faut semer la terreur, il faut laisser la sensation de maîtrise absolue, en éliminant sans aucun scrupule et aucune hésitation tous ceux qui ne partagent pas nos idées.

    Le niveau de vie des masses est descendu à des niveaux insoupçonnés. À la fin de la guerre, un quart de la population courrait le risque de mourir de faim (4) et pas parce que la nourriture manquait sinon parce que, pendant la seconde Guerre Mondiale, la spéculation gigantesque et les exportations en tout genre dans l’Allemagne de Hitler ont désapprovisionné le marché intérieur.

    L’oligarchie accumula d’immenses fortunes par les travaux forcés de centaines de milliers de prisonniers de guerre qui grossirent les bataillons de travailleurs.

    Les entreprises du bâtiment, florissantes pendant les années soixante, accumulèrent leur capital aux dépens de la main d’œuvre gratuite apportée par les antifascistes réduits à l’esclavage (5). Mais aussi les entreprises minières d’Almadén, la MSP à Ponferrada, Duro Felguera et celles de la métallurgie comme Babcock & Wilcox, la Maquinista et autres. La dénutrition et l’avitaminose entraînèrent une vague d’épidémies qui affectèrent l’ensemble de la population. Les chroniques de l’Espagne de l’après-guerre sont remplies d’épisodes du marché noir d’un côté et de la faim de l’autre. À la démoralisation de la défaite, venait s’ajouter la recherche quotidienne du pain.

    Des nombreuses fortunes et des nombreuses promotions dans l’échelle du pouvoir économique se construisirent à cette période, grâce aux bénéfices du marché noir, de la faim et de la spéculation de l’après-guerre.

    En plus de l’état de guerre permanent, l’Espagne endura une véritable économie de guerre durant les années de l’autarcie: jusqu’à 1962, des militaires étaient à la tête de ministères comme celui de l’Industrie et du Commerce, des Travaux publies ou de la Direction de l’Institut National de l’Industrie et des grands monopoles de l’État. L’oligarchie amassa des richesses fabuleuses dans le cadre épouvantable du chômage, de la faim et des maladies (6).

    Donc, l’État fasciste n’a pas constitué un empêchement pour qu’un processus intense d’accumulation capitaliste s’ouvrait mais au contraire: il fut l’un de ses grands moteurs, grâce à la coercition persistante sur le prolétariat. Le régime changea tout ce qu’il était obligé de changer pour le bénéficie de l’oligarchie financière et des propriétaires fonciers.

    Il l’a fait au moment où il fallait le faire sans tenir compte de ceux à qu’il pouvait porter préjudice. Sous une propagande officielle triomphaliste qui avait l’air d’une domination monocorde des grands hiérarchies du régime, était sous-jacente une guerre sourde des camarillas en lutte permanente pour le contrôle de l’appareil de l’État: phalangistes, carlistes, catholiques, monarchistes, technocrates, militaires, etc., se succédaient ou coexistaient dans les hauts postes de l’Administration, dans un équilibre difficile soutenu uniquement par le besoin d ‘exploiter les masses populaires et de noyer dans le sang n’importe quelle opposition à leurs projets.

    Depuis le début des années 50, le capital monopoliste avait décidément opté pour la voie de la modernisation puisque la voie de l’autarcie et du corporatisme s’étaiit rapidement épuisé. Au milieu des années 50, la reforme administrative de l’État a été entamé, ce qui correspondait a des critères technocratiques qui vont permettre l’accumulation et la concentration du capital des années soixante et la reforme politique des années soixante-dix.

    Le point de départ de tout ce processus est la création, en décembre 1956, de l’Office de Coordination et de Programmation économique, dirigé par Lopez Rodó, sous la tutelle directe de l’Amiral Carrero Blanco. Son premier résultat fut, l’année suivante, la Loi de Régime Juridique de l’Administration de l’État, dont l’article 13.6 établissait, parmi les compétences de la Présidence du Gouvernement -c’est-à-dire, de l’amiral Carrero Blanco- l’élaboration de plans de développement économique. Cette réforme administrative a précédé les plans de développement qui, à leur tour, renfermaient d’importantes mesures administratives.

    Sous le gouvernement des catholiques de l’Opus Dei, l’oligarchie entreprit, en 1959, un plan ambitieux d’expansion économique, avec la collaboration active des USA, des autres puissances occidentales et du Vatican. Il agissait d’en finir avec l’autarcie et d’introduire l’Espagne dans le circuit économique impérialiste qui, en ces années là, commençait à resurgir du marasme de la guerre mondiale.

    Toutefois, l’Espagne se trouvait à l’époque sur le bord de la cessation de paiement ; il était impossible de renouveler l’appareil productif sans faire des importations ; la nourriture était rationnée et l’appareil productif sur le point de se paralyser. L’un des objectifs fondamentaux du Plan de Stabilisation de 1959 fut donc la convertibilité de la peseta pour profiter de la conjecture mondiale et faciliter l’intégration de l’économie espagnole dans l’économie internationale.

    À partir de 1959, la scène économique espagnole va changer radicalement: d’un pays sous-développé et à moitié féodal, l’Espagne en vient à s’intégrer à la liste des pays capitalistes monopolistes d’État.

    Dans la décennie des années 60, des taux de croissance annuelles d’environ 7 pour cent ont été obtenus. Beaucoup de choses ont changé très rapidement, non seulement sur le plan politique mais aussi sociologique. La campagne se dépeupla, tant par l’effet de l’émigration à l’extérieur (deux millions de journaliers) qu’à l’intérieur, vers les nouveaux pôles industriels. On peut calculer que l’émigration intérieure, de la campagne vers la ville, a été de trois millions et demi de travailleurs entre les années 1962 et 1970.

    La main d’œuvre agricole, qui constituait la moitié de la force de travail en 1959, se réduisit drastiquement jusqu’à se situer à 12 pour cent en 1977. Espagne avait cessé d’être un pays agricole et les anciennes structures du féodalisme disparaissaient.

    Naturellement, le chômage, l’une des plaies de la période autarcique, disparut de façon foudroyante et il se produisit un agrandissement des villes qui changea soudainement leur physionomie, presque du jour au lendemain, avec l’apparition de nouveaux quartiers et de banlieues où les ouvriers s’entassèrent, dans des conditions lamentables par manque de logements, de services de santé, d’hygiène, de transports en commun, etc.

    La population paysanne vieillit et, par contre, le prolétariat dans les usines était très jeune: une nouvelle génération assimila rapidement les nouvelles coutumes urbaines et adopta les nouvelles habitudes. En 1970, pour une population active inférieure à 13 millions, il existait plus de trois millions de travailleurs à l’étranger.

    Dans ce processus, ce furent les ouvriers et les paysans qui, encore une fois, supportèrent les plans de règlement et de surexploitation. Les grèves étaient sanctionnées en tant que délit de rébellion militaire et les libertés les plus fondamentales étaient absentes.

    Le développement économique des années soixante fut lié directement et étroitement à la misère des larges masses de travailleurs; mais pas seulement à cela: ce développement fut aussi lié au terrorisme du régime fasciste. L’oligarchie financière s’est servie de l’État comme moyen essentiel de sa politique économique, pour multiplier ses profits et pour renforcer sa domination sur tous les secteurs de l’économie (7).

    L’accumulation accélérée de capital des années 60 était rattachée à l’extérieur par trois liens fondamentaux: les importations de capital, l’émigration et le tourisme.

    Alors se déclencha un processus à l’opposé du précédent, fondé sur l’autarcie, l’interventionnisme et la voie prussienne dans le développement agraire. L’ouverture à l’extérieur était une exigence fondamentale puisque les réserves de devises étaient pratiquement épuisées, l’Espagne manquait de la moindre capacité d’endettement et l’envolée de l’inflation était spectaculaire. En conséquence, cette croissance aurait été impossible si l’impérialisme n’avait pas cautionné les plans du régime.

    Dans une grande mesure, les plans économiques ont été dessinés aux USA de façon directe ou à travers les organismes financiers internationaux comme la Bande Mondiale ou le Fond Monétaire International.

    Le soutien de l’impérialisme, notamment américain, eut un double objectif économique et militaire. En février 1940, le Chase National Bank accorda déjà un premier prêt de 25 millions de dollars au gouvernement de Madrid pour l’achat de nourriture; la même année, du mois de mai, les impérialistes autorisent l’Export Import Bank à ouvrir une ligne de crédit allant jusqu’à 62,5 millions, destiné à favoriser le commerce extérieur des oligarques espagnols, etc.; en 1950, le Sénat américain approuve un emprunt officiel de l’Espagne (8).

    Les États-Unis ont fourni l’armement de l’Armée et la police fasciste et, en échange, le régime autorisa l’utilisation des ports espagnols à la Marine de guerre et à l’Armée de l’Air des USA. La présence nord-américaine sur le territoire espagnol et son appui à l’extérieur permet au régime de concentrer ses forces sur l’écrasement de la résistance intérieure. L’Armée américaine et l’Armée espagnole réalisaient des grandes manœuvres mixtes, basées sur l’écrasement d’insurrections internes (9).

    Non moins important fut le progressif appui diplomatique. L’ONU autorisa l’entrée de l’Espagne qui, peu après, réussit son entrée dans la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation) et qui signa un concordat avec le Vatican. Le processus culmina en 1953 avec les accords militaires et économiques grâce auxquels les bases militaires de Rota (Cadix), Morón (Séville), Torrejón (Madrid) et Sanjurjo (Saragosse) ont été construites. Ainsi, l’Espagne devint une plate-forme d’agression contre les pays socialistes et contre les États émergents du Tiers Monde et, plus particulièrement, du Moyen Orient.

    La collaboration était mutuelle et concernait aussi bien le domaine militaire que le domaine économique. En échange des bases militaires, le régime reçut un ballon d’oxygène vital pour assurer la permanence de sa domination à long terme. Les puissances impérialistes appuyaient la continuité du fascisme en Espagne et accompagnaient son projet d’ouverture économique.

    Entre 1961 et 1964, le Produit Intérieur Brut augmenta, en moyenne, au rythme annuel des 7 pour cent. L’envoi de devises par l’émigration est passé de 55 millions de dollars en 1960 à 469 millions en 1970. Les devises envoyées par mandat postal par nos travailleurs entre 1960 et 1966 surpassent la somme de capital social de toutes les banques privées en 1965 (10).

    L’émigration éleva les salaires des journaliers et obligea à la mécanisation des labours dans la campagne, tout en provoquant la faillite de la petite exploitation agricole traditionnelle. À partir de 1968 immédiatement derrière les journaliers ce sont les petits propriétaires ruraux qui émigrent. Pareillement, la vieille aristocratie des propriétaires terriens, l’un des piliers du fascisme, perdit du terrain très vite et finit par fusionner avec le capital financier.

    L’État compensa les grands propriétaires fonciers de la diminution de la rente de la terre -grâce aux prêts à bas taux d’intérêt-, tout en soutenant artificiellement les prix agricoles, ainsi que par des dédommagements pour l’amélioration et la modernisation de leurs propriétés rurales à travers l’Institut National de la Colonisation.

    L’aristocratie déplaça ses capitaux vers les finances, ce qui réduisit les tensions existantes entre les deux secteurs de l’oligarchie et contribua à l’accumulation accélérée de capital. Le pouvoir de l’aristocratie des grands propriétaires fonciers ne pouvait se maintenir que dans un cadre sociologique essentiellement agraire et au prix d’une politique économique et agricole fortement protectionniste et interventionniste (11). C’est justement cela qui changea en 1959. L’Espagne était déjà un pays de capitalisme monopoliste.

    L’État terroriste implanté en 1939 sur plus d’un million de morts fut l’instrument qui rendit possible la gigantesque accumulation de capital dont la propagande fasciste se flatta en parlant de paix et de bien-être. Ce fut un développement capitaliste lié au terrorisme d’État. Mais le développement capitaliste créa en même temps les conditions pour en finir avec ce système.

    La conversion de l’Espagne, un pays semi-féodal, avec une économie basée sur l’agriculture, en un pays capitaliste, avec une industrie développée, fait que le prolétariat devint la classe la plus nombreuse de la population, qui agit comme avant-garde du peuple dans la lutte contre le fascisme. Par conséquent, en 1970, l’Espagne n’était plus un pays semi-féodal et il n’y avait pas de révolution démocratico-bourgeoise à réaliser.

    La transformation économique de l’Espagne s’est produite sans qu’il y ait une révolution au sens strict ; mais cela ne veut pas dire qu’elle s’est effectuée de façon pacifique. La persistance du régime témoigne le contraire: le fascisme s’a servir au capital financier pour noyer dans le sang les contradictions aiguës qu’entraînait cette transformation.

    Les révisionnistes parlèrent démagogiquement des restes du féodalisme, qui persistaient dans la société espagnole, pour essayer ainsi de justifier leurs agissements destinés à attacher les ouvriers au char de la bourgeoisie. Finalement, l’Espagne n’était pas non plus une colonie de l’impérialisme yankee, comme certains groupes petits-bourgeois l’affirmaient. Au contraire, c’était déjà un pays capitaliste avec un degré relativement avancé d’industrialisation: en Espagne, l’oligarchie détenait directement le pouvoir économique et politique, mais le prolétariat constituait la force principale.

    La résistance à l’oppression et à l’exploitation fasciste-monopoliste ne s’arrêta pas en 1939, à la suite de la défaite momentanée des forces populaires; elle a continué à se développer et à s’accroître à tel point que la position des forces sociales en lutte a changé par rapport aux années quarante.

    Dans le Programme du PCE(r), cette période historique est résumée de la façon suivante :

    Le fascisme fut l’instrument principal que l’oligarchie propriétaire terrienne et financière utilisa pour soumettre les masses populaires et pour mener à bien le développement économique du pays par la voie monopoliste. Ce caractère double, monopoliste (impérialiste) et en même temps fasciste, est la caractéristique principale de l’État espagnol.

    En développant la grande industrie, l’agriculture capitaliste, le commerce à grande échelle, les transports, etc., et en menant à bien la fusion de tous les secteurs économiques avec la Banque et l’État à son service, l’oligarchie a créé les conditions matérielles pour la réalisation du socialisme puisqu’elle a fait grandir le prolétariat et l’a élevé à l’école d’une guerre civile quasi permanente […]

    Le fascisme est la superstructure politique, juridique, idéologique, etc., qui correspond au système d’exploitation monopoliste implanté en Espagne en 1939. Il s’est développé avec lui et il se maintient aujourd’hui encore comme forme de pouvoir parce qu’ils ne pourraient pas exister l’un sans l’autre.

    1.2 La dégénérescence révisionniste du PCE

    Ce ne fut pas l’oligarchie ni son régime de terreur, ce ne furent pas les promenades et les assassinats à l’aube, qui en finirent avec le Parti communiste d’Espagne. Ce fut le révisionnisme, niché dans son sein, qui permit au régime de se maintenir au pouvoir et, de plus, en étant sûr d’un calme au moins relatif.

    Avec Santiago Carrillo au Secrétariat général du Parti depuis 1956, le PCE finit par proposer l’embrassade du peuple et de ses irréconciliables ennemis fascistes. Les révisionnistes abandonnèrent même l’idée de recourir aux armes contre le régime.

    Au contraire, depuis le début des années soixante, Carrillo commença à négocier avec Franco, non seulement à l’insu des travailleurs espagnols, mais même des adhérents de son parti, qu’il n’informa jamais de ses manigances. En 1973, les négociations continuèrent à Bucarest par l’intermédiaire de Ceaucescu (ami intime de Carrillo), avec le général Díez Alegría et le colonel San Martín, deux hommes des services secrets de l’amiral Carrero Blanco.

    La nouvelle stratégie symbolisée par des consignes telles que la réconciliation nationale, le pacte pour la liberté ou la grève générale pacifique(12), impliquait la renonciation aux méthodes révolutionnaires, mais était dépourvue de contreparties de la part du régime qui n’hésita pas à faire fusiller Grimau ainsi que les anarchistes Granados et Delgado en 1963. Les carrillistes se réconcilièrent avec le fascisme, mais le fascisme ne se réconcilia avec personne.

    On peut dire qu’à ce moment se termina une étape de l’opposition antifranquiste, prolongation de la Guerre civile, et que s’amorça une nouvelle, même dans l’aspect générationnel.

    Sans qu’on puisse dire que les activités armées aient cessé complètement, des phénomènes plus massifs firent leur apparition, focalisés sur les grands noyaux industriels, différents des noyaux armés qui avaient opéré dans la montagne. L’Université également commença à se transformer en un foyer d’agitation quasi permanente, indice de l’incorporation de secteurs sociaux plus larges à la lutte.

    Les révisionnistes justifiaient leur stratégie de collaboration avec les éléments dynamiques de l’oligarchie en faisant allusion à certaines frictions supposées au manque de corrélation entre la croissance économique et l’immobilisme politique, entre l’infrastructure économique et la superstructure politique (13).

    Carrillo et son parti ne parlaient que de dictature et de franquisme, en les considérant comme un régime personnaliste qui tournait autour du général Franco et de sa famille. La démocratie arriverait si on éliminait du pouvoir ce cercle étroit et ses collaborateurs. C’est justement à cause de cette influence du révisionnisme qu’en Espagne on parlait du franquisme à la place de fascisme, comme s’il s’agissait d’un régime personnel qui jamais n’exista.

    Le PCE considérait le régime comme quelque chose d’étranger à la nature de classe de la bourgeoisie monopoliste, comme un obstacle à ses projets. Les révisionnistes cachaient que le fascisme -comme disait Dimitrov- n’était que la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du grand capital (14).

    Ils cachaient la nature de classe du fascisme, en plus de cacher que la grande bourgeoisie avait besoin du fascisme pour poursuivre et intensifier l’accumulation capitaliste et pour consolider sa domination politique. Le régime, loin d’y être un obstacle, était sa meilleure et plus efficace arme. L’oligarchie va se servir de l’État comme principal instrument pour la soumission et l’exploitation des masses ouvrières et populaires, mais aussi va utiliser l’État comme moyen essentiel de sa politique économique.

    Très tôt, l’OMLE prêta grande attention à la caractérisation du régime et maintint que ce facteur politique était déterminant pour élaborer une stratégie conforme aux besoins du prolétariat espagnol.

    Le fascisme avait surgi de la liquidation des libertés démocratiques révolutionnaires, conquises par des décennies de luttes et, par conséquent, elles ne pouvaient être regagnées qu’en en finissant avec le régime. Cela ne voulait dire en aucune façon qu’il soit nécessaire de développer une révolution démocratique bourgeoise, puisque le régime des monopoles l’avait dépassée pour l’essentiel.

    Cependant, la persistance du fascisme empêchait de faire le saut vers la dictature du prolétariat et le socialisme, sans tenir compte de la nécessité de pratiquer, pendant une brève période, la démocratie la plus large et la plus résolue, afin de préparer les masses et les gagner à la cause du socialisme.

    Ce principe de base commençait à différencier l’OMLE des révisionnistes et aussi d’autres groupes soi-disant de gauche de l’époque. En effet, non seulement les révisionnistes s’alliaient avec le diable -comme ils disaient eux-mêmes-, mais, en réalité, tous les groupes de gauche soutinrent des semblables positions idéologiques et politiques, en marchant à l’ombre de l’oligarchie. Ce qui singularisait ces groupes est qu’ils ne prenaient pas en considération la nature fasciste du régime et insistaient sur une supposée dépendance de l’Espagne de l’impérialisme nord-américain, qu’ils considéraient comme l’ennemi principal, laissant l’oligarchie autochtone à l’écart.

    À la fin des années soixante, une série d’évènements internationaux remirent en question tous les bobards révisionnistes: la Révolution culturelle chinoise, la guerre de Vietnam, la révolution cubaine, l’assassinat du Che en Bolivie et, finalement, le mai français. Ainsi surgit un puissant mouvement de la jeunesse d’une nette teneur anti-impérialiste.

    Le nouveau mouvement révolutionnaire qui surgit à la fin des années soixante avait une nette teneur anti-impérialiste non seulement du fait de la guerre de Vietnam, mais aussi grâce à la force des jeunes États émergents en Afrique et Asie, qui venaient de rompre avec le colonialisme et d’obtenir leur indépendance. De ce fait, à côté d’une juste dénonciation du révisionnisme, les mouvements de gauche traînaient toute une conception petite-bourgeoise tiers-mondiste.

    La crise économique des pays capitalistes, qui commence en 1968 et qui va s’aiguiser en 1973, s’ajoute à cette crise du révisionnisme. Les luttes acquièrent un caractère massif et la bourgeoisie ne peut pas faire appel aux masses. En Espagne, étaient apparus de nouveaux courants petits-bourgeois, comme le Front de Libération Populaire et, plus tard, d’autres comme le Mouvement communiste, l’Organisation Révolutionnaire de Travailleurs, etc., avant même que n’éclatent publiquement les divergences au sein du mouvement communiste.

    Ce ne fut pas non plus par hasard qu’autant de groupes de caractéristiques semblables apparurent. Ces courants n’auraient jamais autant proliféré s’il n’y avait pas eu la décomposition révisionniste.

    En tout cas, le phénomène gauchiste montrait les conditions dans lesquelles se trouvait un large secteur de la petite-bourgeoisie en Espagne, privé de libertés et continuellement saigné à blanc par les monopoles. Ce secteur s’enhardit par la renaissance des luttes du prolétariat et des éléments qui essayaient de s’organiser, sortirent de ses rangs. Cependant, ils ne pouvaient se présenter devant les masses avec l’idéologie vermoulue de la bourgeoisie et se couvraient donc de la phraséologie marxiste.

    Aussi au sein du PCE -déjà aux mains des carrillistes-, s’est manifestée depuis 1963 une forte opposition contre le révisionnisme, surtout dans les organisations résidantes à l’étranger.

    Cette opposition réussit à se regrouper et de là sortit le PCE(m-l), sur une base Programmatique qui était une mauvaise copie, taillée dans le programme du PCCh pour la Révolution démocratique populaire ou la Nouvelle démocratie en Chine, lorsque ce pays demi-féodal avait été envahi par le Japon. De façon qu’à la place du Japon, le PCE(m-l) décida, dans un effort d’originalité, que l’Espagne serait une colonie de l’impérialisme yankee.

    Plus tard, l’aggravation de la crise capitaliste et les grandes vagues de luttes de la classe ouvrière provoquèrent une autre importante scission dans le parti révisionniste en Catalogne, dont surgit le PCE(i), qui ne prit pas en considération l’existence d’un régime politique fasciste en Espagne, même s’il établissait correctement la nécessité d’une révolution de type socialiste.

    À l’origine, les énoncés politiques de l’OMLE n’étaient pas moins confus que ceux de tous ces groupes à qui, depuis le début, nous posions la question de l’unité. Mais ils n’acceptèrent pas parce qu’ils considéraient avoir déjà reconstruit le Parti, alors qu’en réalité, la seule chose qu’ils faisaient était de traîner derrière le parti carrilliste.

    1.3 L’essor du mouvement ouvrier et populaire

    En Espagne, en raison du profond changement économique des années soixante, on observe l’incorporation de larges secteurs sociaux à la lutte antifasciste. De plus, s’est produit la relève des générations, appréciable lors des luttes des étudiants au milieu des années cinquante.

    Le conflit des étudiant de l’Université de février 1956 amorce la création d’une constellation gauchiste qui essaie de remplir -de façon rhétorique, la plupart du temps- le vide laissé par la trahison du parti communiste.

    C’est un moment d’essor où le mouvement de résistance souffre, néanmoins, d’une énorme désorientation et d’une forte faiblesse idéologique, politique et d’organisation. Le Parti communiste se voit dépassé par la propre lutte des masses et sa stratégie fait naufrage, ce qui est vérifiable lors de l’échec de la grève générale de 24 heures, convoquée pour le 18 juillet 1959.

    L’extension quantitative de l’opposition fur accompagnée d’une grande fragilité qualitative, d’un manque alarmant de direction politique. C’est ce qui explique la paradoxe que, malgré l’accroissement de la lutte antifasciste, la décennie des années soixante soit celle de la stabilité maximale de la dictature. Une situation qui se prolongera jusqu’en 1969, l’année où commence la crise politique du régime, suivie tout de suite de l’économique. L’Université servit de détonateur pour le premier état d’exception décrété, en février 1956.

    L’augmentation des luttes ouvrières, plus part, obligea à la rédaction d’une nouvelle Loi d’ordre public, le draconien Décret du Banditisme et du terrorisme de 1960 et, finalement, à la création du Tribunal d’ordre public, en 1963.

    Les formes d’opposition massive au régime qui commençaient à éclater ces années-là son quantifiables par la croissance de certaines catégories de délits attribués au Tribunal d’ordre public comme les manifestations, la propagande ou l’association illégale qui ont augmenté à un rythme moyen très proche des 8 pour cent par an depuis 1969.

    L’importance de l’activité armée révolutionnaire est reflétée par le fait que, en 1974 et 1975, sur les 3.000 procès instruits par les tribunaux militaires, 740 étaient spécifiquement militaires.

    L’apparition du Tribunal d’ordre public servit seulement à alléger le volume de travail des conseils de guerre en affaires de gravité, telles que les suppositions d’association, propagande ou manifestation illégales. Cependant, le meilleur indice du caractère des années soixante apparaît dans le fait qu’en 1966 ne soit comptabilisé aucun conflit du travail pour des motifs politiques, sociaux ou de solidarité.

    Ce furent aussi les années où le régime s’offrit le luxe de promulguer des lois comme celle d’Association (1964) et celle de la Presse; ou bien de promouvoir des élections syndicales, d’annuler des responsabilités civiles ou de convoquer le référendum de la Loi organique de l’État, tout cela en 1966.

    L’essor du mouvement ouvrier commença en 1962 avec les mobilisations en Euskal Herria et aux Asturies, bien qu’à ce moment le révisionnisme réussit à détourner les luttes pendant un certain temps.

    La Lois des Conventions collectives de 1958 était suspendue pour mettre en marche le plan de stabilisation et les premières conventions commencèrent à être négociées en 1961, suivies de mobilisations conséquentes, car les salaires étaient gelés depuis 1957 et la situation des masses extrêmement précaire. La lutte se déclencha contre le gel des salaires, les maxima salariaux et la politique de se serrer la ceinture.

    En février 1962, toute une série de grèves éclata dans la Sidérurgie Basconia à Bilbao, la Bazán à Cadix, Matériaux et Constructions à Valencia et Carbones de Berga à Barcelone. Au mois d’avril, les grèves s’étendirent à l’ensemble des mines des Asturies et se prolongèrent jusqu’au mois de juin, incluant des entreprises électriques, métallurgiques et chimiques d’Euskal Herria, León, Catalogne et Madrid, de même que les mines de Río Tinto à Huelva, Linares (Jaén) et Puertollano (Ciudad Real) et des journaliers d’Andalousie et d’Estrémadure.

    Ce fut le plus large mouvement de grève depuis la fin de la guerre, ce qui obligea le régime à déclarer l’état d’exception dans les Asturies, le Gipúzkoa et la Bizkaia. Pendant la première semaine, la police arrêta 100 antifascistes. Les manifestations se reproduisirent l’année suivante à partir le mois de juin et se prolongèrent jusqu’en novembre.

    Le mouvement ouvrier et populaire s’était rétabli des effets de la défaite de 1939 et des longues années de terreur fasciste ouverte et, une fois échouée la politique de réconciliation et les consignes du révisionnisme carrilliste pour une grève générale, les masses commençaient à se diriger sur la voie d’une lutte décidée et résolue.

    C’est à cette époque qu’apparurent les caractéristiques qui marquèrent la nature de ce mouvement: les grèves économiques se transformant en véritables batailles politiques. Entre 1967 et 1971, 45 pour cent des grèves furent des grèves de solidarité ou bien de nature nettement politique (15).

    Les manifestations de rue débouchèrent sur de durs affrontements avec la police et les ouvriers gagnèrent la solidarité de toute la population, qui seconda leurs appels; leurs luttes devinrent des véritables vagues de protestation qui visaient contre la structure même de l’État.

    Pendant les manifestations de 1962, surgissent les premières Commissions ouvrières, instruments de lutte et d’organisation indépendante des travailleurs. Ces Commissions étaient élues de façon démocratique dans les assemblées d’usine et négociant avec le patronat en marge des syndicaux verticaux et des voies légales ; une fois leur tâche finie, les commissions se dissolvaient (16).

    Cette méthode empêchait le travail policier de contrôle. Lors des grèves de 1962, les révisionnistes n’eurent rien à voir avec l’apparition des Commissions ouvrières puisque tout leur travail syndical se développait à travers un modèle d’organisation bien différent: l’Opposition Syndicale ouvrière qui, comme l’indique son propre nom, prétendait développer sa tâche d’opposition à l’intérieur du syndicat fasciste.

    Cependant, on ne peut pas non plus négliger le caractère spontané de ces manifestations et l’absence de direction politique.

    Le fait que des protestations d’une telle ampleur puissent se déclencher en absence d’une direction politique n’est concevable qu’en raison de la dure situation d’exploitation et de cherté de la vie, de la répression brutale déclenchée par le régime et, finalement, de la haine et la conscience antifasciste enracinée dans le prolétariat. Ainsi, des luttes débutant par des revendications professionnelles élémentaires débordent et deviennent de véritables batailles politiques contre le fascisme.

    En août 1966, se produisit un large mouvement de grèves qui embrassa le bassin minier du Nalon et du Caudal, la Duro Felguera et Chemins de Fer de Langreo aux Asturies; les ouvriers de Babcock, de Firestone et d’Hispano Olivetti à Barcelone firent aussi de la grève ; à Madrid, les ouvriers de Perkins, Marconi, Ibérica d’Électricité, Kelvinator, Standard, AEG, etc. arrêtent le travail. Le 30 novembre de cette même année commença la grève de Laminaciones de Bandas en Frío d’Echevarri, une grève qui durera plusieurs mois.

    En janvier 1967, les ouvriers de la Seat, de la Maquinista et Olivetti, à Barcelone, se mobilisèrent pour empêcher les licenciements de 3000 grévistes des mines des Asturies. De fortes manifestations et d’affrontements avec la police eurent lieu dans les rues et les places de Madrid. En Catalogne aussi, plus de 45 entreprises du textile de Sabadell et Tarrasa, ainsi que les ouvriers de Siemens, Uralita et d’autres entreprises, se solidarisèrent avec les mineurs de Mieres. En avril, l’état d’exception fut décrété à Bizkaia.

    Les étudiants des universités se mobilisèrent également. Toutes ces luttes eurent leur couronnement dans les actions de masses du 27 octobre, dans la ceinture industrielle de Madrid où plus de 25.000 ouvriers s’affrontèrent ouvertement à la police à Getafe, San Blas, Place d’Atocha, etc.

    Telle était la situation réelle du mouvement ouvrier des années soixante, tandis que la politique révisionniste suivait d’autres vois bien différentes. Au commencement même des grèves de 1962, la police arrêta les dirigeants de l’Opposition syndicale ouvrière, c’est pourquoi les révisionnistes changèrent leurs projets et jetèrent les yeux sur les Commissions ouvrières. Tous les projets révisionnistes, soutenus par les phalangistes du syndicat vertical visèrent à institutionnaliser la commission de délégués et à les intégrer au syndicat officiel.

    Pour en convaincre les ouvriers, ils convoquaient des grèves liquidatrices, prédestinées à l’échec. D’un côté, au moyen de ces grèves, les révisionnistes essayaient de démontrer l’inutilité des méthodes révolutionnaires de lutte et la nécessité d’entrer dans la légalité et les institutions fascistes.

    D’autre côté, les révisionnistes utilisaient ces épreuves de force pour faire chanter le régime et l’amener à la table de négociations. Ils essayaient de conquérir la Direction et le contrôle du mouvement ouvrier, désorganisé mais menaçant, pour gagner en respectabilité et capacité de négociation.

    Néanmoins, comme nous disons, le fascisme ne se réconcilie avec personne, pas même avec les révisionnistes; en mars 1967, le Tribunal suprême déclara les Commissions ouvrières hors la loi. À partir de ce moment-là, les ouvriers les plus combatifs étant à découvert, les arrestations seront massives puisque l’action légale et ouverte avait permis la police de repérer les ouvriers les plus avancés.

    De nombreux autres furent licenciés de leurs entreprises et les enquêtes se multiplièrent.

    La démoralisation, la discorde et la confusion se répandirent: Les révisionnistes ont chevauché chaque lutte dans la nette intention de désorganiser encore plus et de diviser les ouvriers; ils ont placé leurs meilleurs hommes au syndicat où en prison lorsqu’ils refusaient de suivre leur jeu; ils ont désarmé la classe ouvrière et le reste du peuple face à la répression fasciste, en prêchant des idées pacifistes et conciliatrices et ils ont essayé de démoraliser en provoquant de continuelles ‘grèves générales’. De cette façon, le révisionnisme agit en avant-garde du capital financier dans les rangs ouvriers et, par conséquent, est leur ennemi le plus dangereux, l’agent du fascisme que nous devons combattre sans trêve (17).

    Durant les années 1967 et 1968, les révisionnistes commencèrent à perdre de l’influence, la crise économique se déclancha et le gouvernement ordonna le gèle des salaires. Au mois d’avril 1968, l’état d’exception fut décrété. Au mois de juillet Etxebarrieta fut assassiné par la Garde civile et plus de 5.000 personnes participèrent à son enterrement.

    Au mois d’août, l’organisation indépendantiste exécuta le célèbre tortionnaire Melitón Manzanas. Le 25 janvier 1969, le gouvernement décréta l’état d’exception partout en Espagne ; toutefois, il fut incapable d’empêcher le déclanchement des grèves dans la métallurgie à Bilbao, aux Altos Hornos de Sagunto et au Ferrol, où la grève de Peninsular Maderera dura 37 jours.

    En 1969, le nombre de grèves réalisées en Espagne, par rapport à l’année précédente, passe de 309 à 491, selon les données statistiques nationales. Ce formidable mouvement de grève à caractère politique révolutionnaire aggrava la crise interne du système. Le scandale Matesa sera le prétexte qui mènera les deux secteurs fondamentaux de l’oligarchie à un affrontement ouvert.

    Les travailleurs remettent en pratique les anciennes méthodes de lutte et la répression est de plus en plus brutale.

    Le mouvement ouvrier n’est pas paralysé pour autant, au contraire les heures de grève enregistrées et le nombre de grévistes augmentent chaque année. Les grèves de solidarité et les grèves politiques commencent, les ouvriers occupent les usines et les délégués syndicaux démissionnent.

    Des mobilisations à caractère quasi insurrectionnel ont lieu dans de nombreuses localités ; en plus des ouvriers, y participent de nombreux secteurs sociaux.

    Les méthodes de lutte que la classe ouvrière met en pratique sont les mêmes: les assemblées de travailleurs qui deviennent véritables organismes démocratiques où se forge l’unité et où des accords sont conclus ; les grèves politiques ou de solidarité qui entraînent d’innombrables secteurs de la population ; des manifestations sont convoquées ; des barricades se lèvent; des usines sont occupées et les patrons sont séquestrés ; les piquets de grève deviennent des détachements de combat qui s’affrontent quotidiennement à la police.

    Pour la première fois apparaît ce qui sera, peu de temps après, l’une des formes de lutte le plus significative: les grèves zonales généralisées et semi-spontanées, en ayant un contenu de solidarité anti-répressive.

    En général, il s’agira d’actions développées à la suite d’une répression violente -et très souvent sanglante-, d’une grève ou d’une manifestation ouvrière ou populaire. Une action où la presque totalité de la population travailleuse prendra part et qui comportera fréquemment la mise en pratique de la violence de masses face à l’agression des forces répressives (18).

    Bien de fois, les manifestations adoptent la forme de guérilla urbaine: à la place des occupations d’églises et des listes de signatures, préconisées par les révisionnistes, se produisent des assauts effectués par de petits groupes pour distribuer des tracts, placer de banderoles, faire des graffitis, préparer des sabotages ou dresser des barricades (19).

    La police se montrait impuissante parce que, lorsqu’elle arrivait sur place, les manifestants avaient disparu pour se rendre à un autre endroit.

    Après la brutale répression de l’après-guerre, les masses avaient perdu la peur du fascisme. Un important progrès de la conscience politique et de la capacité de lutte des ouvriers était en train de se produire.

    Non seulement les méthodes de lutte se développaient en marge de la légalité, mais contre cette légalité elle-même: il y avait des grèves bien que ce soit un délit, des piquets se formaient malgré la répression, on participait à des manifestations malgré la violence policière, les coups de feu, etc.

    Le mouvement ouvrier tourna le dos aux carrillistes, mais il continua à être désorganisé et à agir instinctivement et spontanément. Depuis lors, la situation n’a pas changé substantiellement parce que le mouvement spontané, de lui-même, ne peut rien faire de plus ; c’est aux communistes que revient la tâche de doter le mouvement ouvrier de la tactique et l’organisation nécessaires à poursuivre la lutte pour atteindre ses objectifs politiques de classe.

    1.4 La confluence de plusieurs groupes communistes à Bruxelles

    L’Organisation de Marxistes-Léninistes d’Espagne fut l’une des premières organisations nées en l’exil à la fin des années soixante, dans cette période d’essor du mouvement ouvrier et populaire.

    En partant de l’OMLE, le parti révolutionnaire dont la classe ouvrière avait besoin fut reconstitué. Cependant, comme il arrive toujours avec chaque mouvement nouveau en gestation, l’OMLE était au début une organisation très faible et portait toutes les tares idéologiques et politiques caractéristiques du moment.

    Ce serait plus tard que l’OMLE deviendrait un véritable détachement communiste, au travers d’un long processus de travail politique qui permettrait de mieux assimiler et appliquer le marxisme-léninisme aux conditions de l’Espagne.

    Ce n’est pas par hasard que l’OMLE, de même que d’autres groupes, surgit en l’exil. Une organisation de ce caractère n’était pas possible à l’intérieur de l’Espagne, où les fascistes et les révisionnistes se préoccupaient à l’unisson d’empêcher que les ouvriers puissent avoir l’accès aux œuvres du marxisme-léninisme, à l’expérience des exilés qui poussaient à la révolution en Espagne.

    Ces conditions n’existaient pas à l’intérieur, où les ouvriers les plus avancés ne se méfiaient que d’une façon instinctive de certaines manœuvres des carrillistes.

    Comme on l’exposa quelques années plus tard: L’époque de la fondation de l’OMLE fut une période d’une grande confusion parce que c’était alors que beaucoup de personnes inquiètes commençaient à se poser à nouveau tous les problèmes de la lutte de classes en Espagne. Le révisionnisme ne trompait plus; c’était alors qu’il commença vraiment à battre en retraite, que sa Ligne s’effondra et qu’on en découvrit une nouvelle (20).

    On peut dire que le noyau initial de l’OMLE naquit en France de la fusion de plusieurs groupes, parmi lesquels il y en avait deux qui se détachaient, non seulement par le nombre de leurs membres, mais aussi, et particulièrement, par leur fidélité à la cause révolutionnaire et par les expériences et les habitudes acquises en matière d’organisation.

    Le premier se rassemblait autour du journal Mundo Obrero Revolucionario; il était le résultat d’une scission qui eut lieu en 1964 au sein de l’organisation du parti carrilliste en Suisse.

    Cet organe de presse obtint la reconnaissance et le soutien du Parti Communiste de Chine, à l’époque où ledit Parti soutenait le mouvement marxiste-léniniste des pays de l’Europe occidentale. Son dirigeant le plus marquant était un ancien cadre du PCE (Suré) qui s’était distingué pendant la guerre révolutionnaire comme dirigeant de la guérilla et qui bénéficiait d’une grande influence parmi les communistes exilés.

    Malgré le soutien que le Parti Communiste chinois et l’Humanité nouvelle en France accordaient à cette organisation, au milieu des années soixante, elle traversa une période de crise après laquelle les militants de base réussirent à former -à la fin de 1967- un nouveau Comité de coordination à Paris, avec le but de reconstituer le Parti communiste.

    L’autre groupe qui prit part active à la fondation, et qui par la suite aura une importance spéciale dans l’OMLE, est l’Organisation communiste marxiste-léniniste, dont Francisco Javier Martínez Eizaguirre était à la tête à Paris; il était un ouvrier basque né à Erandio (Bizkaia), provenant des Comités de Soutien à la Lutte de Libération du peuple vietnamien et des organisations guevaristes partisanes d’organiser la lutte armée en Espagne.

    Martínez Eizaguirre fut membre actif du Comité des Commissions Ouvrières jusqu’au moment de sa rupture avec les carrillistes. L’Organisation communiste marxiste-léniniste avait aussi dans ses buts la reconstruction du Parti Communiste.

    Les autres membres de l’Organisation en herbe étaient aussi militants des Comités de soutien à la Lutte de Libération du peuple vietnamien et jouèrent un rôle remarquable parmi l’émigration espagnole et durant les événements de mai 1968 à Paris et dans d’autres villes de France. Parmi ces derniers, il y avait plusieurs jeunes en relation avec des ouvriers et des étudiants de Madrid.

    En pleine explosion de mai 1968, des représentants de ces groupes eurent une série de discussions à Paris, où finalement il fut décidé de réaliser un travail politique commun. On fit des préparatifs pour mener à bien une Conférence, en créant un Comité de Liaison où chacun des groupes intéressés au projet eut sa représentation.

    Compte tenu la dispersion régnante parmi les communistes opposés à la politique de réconciliation nationale préconisée par les carrillistes, la Conférence ne se proposa que tenter de grouper les forces pour reconstruire le Parti, puisqu’on considérait que le Parti Communiste d’Espagne, avec sa ligne politique révolutionnaire, avait cessé d’exister aux mains de Carrillo et ses partisans. Il était nécessaire, avant tout, de se mettre au travail pour relever le Parti sur la base d’un programme révolutionnaire marxiste-léniniste.

    La Conférence constitutive de l’Organisation eut lieu à Bruxelles en novembre 1968 et 25 militants de deux groupes y participèrent. Tous se sentaient fortement influencés par l’expérience de la Révolution chinoise, ce qui se manifesta lors de la Conférence au moment d’adopter les résolutions relatives à la ligne politique.

    On explique de cette façon qu’ils définirent l’Espagne comme étant un pays semi-féodal et colonial, oppressé et exploité par l’impérialisme yankee et qu’en accord avec ces postulats, ils établirent une Ligne de lutte et d’alliance de classes pour la libération nationale.

    À cette époque-là, l’OMLE créa les Commissions Ouvrières de quartier parmi les travailleurs émigrants de Paris, participa à la Ière assemblée de Commissions Ouvrières d’Europe en juin 1970 et dirigea l’organisation de masses L’Émigrant, qui éditait un journal portant le même nom: Alors, l’OMLE était complètement immergé dans le mouvement de gauche qui dénonçait le révisionnisme d’une façon littéraire pour pratiquer le suivisme; c’est-à-dire qu’elle restait à l’ombre du PCE, en soutenant la même ligne. Les exilés et les émigrants avaient un rôle important pour mettre en relief l’inexistence d’un vrai parti communiste et la nécessité de le reconstruire; ils commencèrent à percevoir les problèmes avant que ne le fassent les ouvriers avancés d’Espagne, dû à leur contact avec le mouvement communiste international, mais ils étaient fort limités à cause de leur éloignement du pays. Cela ne leur permettait pas d’apercevoir la réalité de l’Espagne (21).

    Bien qu’à la Conférence de Bruxelles ils aient formé un Comité Central et une Commission exécutive pour diriger tout le travail politique, ils négligèrent le centralisme démocratique. L’Organisation se structura en diverses fédérations, toutes à l’étranger. Seul un petit nombre de militants fut envoyé à l’intérieur, où ils constituèrent deux autres fédérations à Madrid et à Cadix.

    Pour la propagande fut pareil. L’OMLE avait commencé la diffusion d’un journal unique (Bandera Roja) édité à Paris, mais l’éloignement les empêchait de refléter la situation réelle d’Espagne.

    Ces premiers problèmes auxquels l’Organisation se heurta peu après sa naissance s’aggravèrent à cause des désaccords et des contradictions qui opposaient chacune des fédérations à la Direction. Le Comité Central et le Comité exécutif commençaient à faire eau de toute part. Plusieurs réunions générales de représentants de chacune des fédérations avec le Comité Central eurent lieu; c’étaient des réunions où se manifestait, toujours, un plus grand nombre de problèmes sans résolution, en même temps que le travail politique de toute l’Organisation stagnait.

    Seul Eizaguirre, à la tête d’une poignée de militants de la fédération de Paris, et d’autres militants qui développaient leur travail à l’intérieur poursuivirent le travail malgré les difficultés. Membre fondateur de l’Organisation, Eizaguirre resta ferme à sa place à travers tous les avatars et les désagréments de la lutte révolutionnaire, à travers les querelles des groupes politiques de l’émigration et de la dissolution presque totale de l’OMLE avant de contacter les groupes communistes de l’intérieur.

    Dans une bonne mesure, on lui devait les progrès de l’Organisation. Il avait porté sur ses épaules la plus grande partie du travail politique et les frais économiques qui en découlaient, avant que soit constitué le Centre dirigeant. C’était lui qui avait assuré pendant longtemps l’édition de l’organe de presse et son introduction en Espagne.

    L’une des consignes les plus importantes de cette première époque était la nécessité de l’union, de regrouper tous les communistes autour de la tâche de reconstruire le Parti, ce qui n’était pas conçu comme une tâche exclusive de l’OMLE, mais de tous les groupes qui avaient rompu avec le révisionnisme.

    On peut dire que cette simple consigne fut celle qui sauva l’OMLE, contrairement aux autres groupes de l’époque: Il y avait quelque chose qui la différenciait des autres organisations, car tandis que les autres étaient déjà le ‘Parti’, l’OMLE cherchait sa reconstruction et, malgré qu’elle ait une ligne incorrecte, on pouvait encore faire quelque chose avec elle. Cela amena l’organisation à une promotion de camarades plus liés aux conditions du pays. Logiquement, la lutte idéologique interne commença dès le moment même où on commença à travailler (22).

    L’OMLE fut la seule organisation qui ne surgit pas comme étant le Parti, mais qui se proposait de le reconstruire. Cependant, comme le temps le démontrera, cette reconstruction ne découlerait pas de l’union avec d’autres groupes dits communistes, mais de la critique implacable de ceux-ci.

    Trois longues années s’écoulèrent avant de nous en rendre compte.

    1.5 Les deux fédérations de l’intérieur: Cadix et Madrid

    En même temps que les fédérations de l’étranger se dissolvaient, opposées les unes aux autres et ne surmontant pas les nombreux problèmes, le travail de l’Organisation à l’intérieur progressait. Les militants, peu nombreux, qui réalisaient leur travail politique clandestin à l’intérieur réussirent à établir le contact avec certains groupes d’ouvriers et d’étudiants à Madrid et à Cadix et commencèrent à diffuser le journal, Bandera Roja, édité par l’Organisation en France par leur biais. On commença à créer de cette façon les conditions pour le développement de l’OMLE.

    Au début de l’activité de l’Organisation en Espagne, au seuil des années soixante, les quartiers de Vallecas et de Quintana à Madrid furent la base principale du travail. C’est à partir de ces quartiers que le rayon d’action de l’OMLE s’étendra aux autres quartiers, aux usines et aux facultés pour ensuite développer son activité à d’autres régions et à toutes les nationalités de l’État sur une base d’organisation plus solide.

    Enrique Cerdán Calixto, Pepa Alarcón Lafuente et beaucoup d’autres furent militants de cette première heure de l’organisation à Madrid. Ces jeunes apprirent bientôt, à travers la lutte, ce que beaucoup d’ouvriers savaient déjà alors: que le parti révisionniste et sa politique de réconciliation n’étaient qu’un bobard que la bourgeoisie utilisait contre les travailleurs. Ils apprirent aussi à faire des graffitis, à distribuer de tracts, à fabriquer des cocktails Molotov et à organiser des commandos d’agitation pour la dénonciation politique.

    L’été de 1970, ils dénoncèrent, par exemple, les assassinats d’ouvriers du bâtiment à Grenade ; plus tard, ils firent appel à la lutte contre l’état d’exception décrété par le Gouvernement au Pays Basque et participèrent aux manifestations de solidarité avec les accusés devant le conseil de guerre de Burgos, en décembre de cette année.

    Cette première poignée de jeunes avait beaucoup d’enthousiasme et de volonté; toutefois, les problèmes de toute sorte qu’ils devaient affronter étaient nombreux et, à cette époque-là, les solutions adéquates manquaient toujours. Leurs idées en matière d’organisation étaient erronées et ils manquaient d’expérience de travail de parti.

    En outre, la direction de l’Organisation était bien loin d’avoir établi clairement une stratégie et une tactique politiques, c’est pourquoi l’Organe central se contentait de diffuser des idées vagues sur une hypothétique domination impérialiste yankee en Espagne et des consignes de lutte pour la République Démocratique populaire.

    Par ailleurs, on ne savait pas très bien comment mettre en pratique l’idée de la reconstruction du Parti, la seule idée vraiment claire et juste sur laquelle on devait baser la plus grande partie du travail à ce moment-là.

    Depuis ces jours, à l’OMLE on apprit tout en marchant: le sens profond de la solidarité qui animait ces jeunes, le vif instinct de classe des ouvriers, la clandestinité et la lutte contre l’État capitaliste détesté, si enracinés parmi la classe ouvrière d’Espagne, firent au début ce que le marxisme-léninisme ne pouvait faire, simplement parce qu’on ne le connaissait pas.

    Cette ignorance était l’héritage de trente ans de dictature fasciste et surtout de beaucoup d’années de désorganisation et de confusion fomentées par le révisionnisme. La répression fasciste et le révisionnisme avaient conspiré contre le mouvement ouvrier, mais ils ne purent étouffer l’instinct de classe.

    Les premiers pas sont faits aussi à Cadix à cette époque. Dans cette ville, la naissance de l’OMLE pivotait autour du groupe de théâtre Quimera, Théâtre populaire. Ce groupe avait des caractéristiques très particulières. Ses membres étaient tous travailleurs, et lors de ses représentations ils se préoccupaient plus du fond, du contenu, que des formes ; ils se consacraient plutôt à faire de l’agitation qu’à jouer des œuvres artistiques.

    José María Sánchez Casas était à sa tête ; c’était un autodidacte ; son père travaillait comme employé dans un magasin et sa mère était cuisinière chez de citoyens huppés. Sánchez Casas travaillait sur le quai de Cadix. Le groupe de théâtre attira l’attention non seulement des autorités, qui tentaient d’empêcher ses représentations en envoyant la Garde civile, mais aussi de différents groupes politiques de gauche.

    L’été de 1969, un jeune, qui sera surnommé après Le Français, apparut dans les locaux où ils répétaient l’œuvre de Bertotl Brecht La Vie de Galilée. Ce jeune donna quelques exemplaires du journal Bandera Roja aux membres du groupe de théâtre. Lors de sa deuxième visite à Cadix, quelques mois après, il portait un duplicateur et la proposition de s’organiser dans l’OMLE.

    Sánchez Casas et son groupe ne savaient pas plus de l’Organisation que ce qu’ils avaient lu dans ces numéros de Bandera Roja, mais ils avaient remarqué quelque chose qui le rendait différent des autres journaux édités par d’autres groupes opportunistes de gauche et ils décidèrent d’y adhérer. Trois formèrent le noyau de l’Organisation de l’OMLE à Cadix, parmi lesquels Sánchez Casas.

    Au début, les actions politiques de ce groupe étaient sporadiques et le spontanéisme y prédominait; de plus, ils ne trouvaient pas de directives précises pour les orienter dans leur travail dans le journal arrivé de France par la poste. Les seuls contacts qu’ils avaient avec la Direction consistaient dans les visites qui leur venaient de Madrid tous les six mois.

    Pourtant, le noyau commencera bientôt à développer une activité énorme. Le groupe de théâtre servait d’agglutinant pour de nombreux jeunes travailleurs de la localité et d’organe de propagande. On jouait des œuvres où on criait les consignes diffusées en tracts clandestins auparavant par toute la ville. Des réunions avaient lieu avec tous ces jeunes dans les locaux où le groupe de théâtre répétait et on y discutait sur les problèmes politiques et syndicaux.

    Toutefois, on ne pouvait encore parler d’une vraie organisation communiste ; on agissait plus par intuition et par élan de rébellion devant la répression et l’exploitation que les masses travailleuses subissaient.

    Ces jours-là, on prit contact avec Juan Carlos Delgado de Codes, qui étudiait la Navigation et qui travaillait comme concierge à l’ordre des médecins de Cadix pour se payer les études. C’était un jeune décidé qui donna des signes d’une capacité d’analyse peu commune dès le premier moment.

    D’origine ségovienne, la politique fut toujours la raison de sa vie, et la lutte de classes, la lutte pour le socialisme, la seule politique possible ; il sera assassiné à Madrid, Place de Lavapiés, en avril 1979 d’une balle dans la nuque.

    Plus tard, on réussit à établir des contacts dans les chantiers navals de Cadix et dans la corporation du bâtiment ; quelques-uns étaient militants des Jeunesses ouvrières catholiques et des Commissions Ouvrières, aussi attirés pour la propagande de l’OMLE qui commençait à se répandre à Cadix. À une occasion, les responsables de la propagande avaient besoin d’une cachette pour le duplicateur et ils décidèrent d’en parler avec un jeune ouvrier du bâtiment qui méritait leur confiance.

    Il s’appelait Juan Martín Luna. On lui parle de l’affaire et Luna n’hésita pas un seul moment. Depuis lors, il s’engagea dans l’Organisation étant l’un de ses militants les plus actifs. Malgré sa jeunesse, Martín Luna gagna bientôt le respect de tous ses camarades, beaucoup d’entre eux plus âgés; il fit des meetings et du prosélytisme, organisa des groupes de sympathisants dans le bâtiment et promut quelques luttes ; c’étaient les débuts d’un travail de parti auquel il consacra toute sa vie.

    À cette époque, un fait capital se produisit dans l’OMLE. Manuel Pérez Martínez venait de sortir de la prison de Carabanchel (Madrid) – où il était resté quelques mois pour un délit de propagande et d’association illégale – et il prit contact avec l’Organisation dans son quartier, El Pozo del Tío Raimundo.

    Il apportera au groupe initial de l’OMLE à Madrid des choses fondamentales, dont elle avait manqué jusqu’alors: de l’expérience dans le travail de parti, des idées précises sur la façon dont il ne fallait pas continuer à travailler et la connaissance des principes fondamentaux du marxisme-léninisme.

    Manuel Pérez Martínez était un ouvrier du bâtiment comme son père. Il avait milité dans le PCE depuis 1963, dès sa jeunesse la plus précoce, jusqu’à 1968, date où il se sépara avec d’autres camarades du parti à la suite d’une assemblée des Commissions Ouvrières qui eut lieu dans le village de San Fernando de Henares, aux alentours de Madrid.

    Il avait créé l’organisation des Jeunesses Communistes à Vallecas et il dirigea les luttes des habitants du quartier du Pozo del Tío Raimundo pour l’amélioration des conditions de vie, avec de jeunes militants catholiques. En 1965, répondant à un appel de tracts faits par les jeunes des deux tendances, les habitants du Pozo et d’Entrevías firent une grève du transport public. Lors de cette grève, de nombreux groupes d’ouvriers détruisirent la pratique totalité des véhicules de l’entreprise Vallejo. Le service fut amélioré immédiatement.

    Stimulés par ces réussites, les jeunes qui avaient dirigé cette action de masses décidèrent d’étendre leur coopération à d’autres camps d’activité. C’est ainsi que naîtra la première Commission ouvrière de la jeunesse – intégrée par de jeunes communistes et catholiques -, une expérience qui donnera lieu les années suivantes à un large mouvement organisé de la jeunesse ouvrière à Madrid et dans d’autres capitales. La Direction carrilliste tentera bientôt d’utiliser ce mouvement de la jeunesse pour ses tractations politiques avec la bourgeoisie.

    Manuel Pérez Martínez et d’autres camarades s’opposèrent dès le début, de la façon la plus résolue, à ces manœuvres et à toute renonciation à la lutte révolutionnaire pour faire un marché avec la bourgeoisie monopoliste. Il y avait longtemps qu’ils critiquaient au sein du parti carrilliste la ligne idéologique et la politique réformiste et traîtresse de la Direction.

    Ces critiques s’accentuèrent à mesure que le temps s’écoulait et que la trahison carrilliste aux intérêts ouvriers était de plus en plus claire, jusqu’au moment où Pérez Martínez et ses camarades décidèrent de dénoncer publiquement et ouvertement les carrillistes, et rompirent avec eux et avec les Commissions Ouvrières de la jeunesse qu’ils contrôlaient.

    Cette rupture toucha de nombreux jeunes ouvriers et étudiants, qui n’hésitèrent plus à l’heure de s’affronter aux carrillistes ; cela ouvrira la porte à tout un courant de critique du révisionnisme et à la création des nombreux groupes qui conformeront plus tard le mouvement de la gauche radicale à Madrid et dans d’autres endroits.

    Cependant, bientôt se fera sentir la nécessité d’une organisation unifiée, qui agisse conformément aux principes idéologiques et politiques et aux normes de fonctionnement marxiste-léniniste.

    Entre-temps, Manuel Pérez développait une large activité de propagande des idées communistes et pour l’organisation syndicale des ouvriers du bâtiment. Ces activités se feront remarquer plus tard, durant la grève du bâtiment de septembre 1971 et dans celles qui auront lieu à Madrid les années suivantes, des grèves où les Cercles Ouvriers du bâtiment, promus par l’OMLE, feront sentir leur présence de plus en plus.

    Le travail développé par Manuel Pérez Martínez parmi les ouvriers et la jeunesse l’emmènera à la prison de Carabanchel le printemps de 1970. En sortant de prison, il s’engagea dans l’OMLE dans un groupe composé d’ouvriers et d’étudiants qui avaient rompu avec le révisionnisme auparavant, après être passés par l’épreuve du feu des débats et des dissensions sur n’importe quoi dans le meilleur style de l’époque, avant d’élaborer patiemment de justes conclussions politiques.

    L’incorporation de ces nouveaux militants à l’OMLE se fit sentir rapidement dans l’organisation de Madrid, et leurs idées se reflétèrent dans le travail politique. Bientôt, on commença à organiser des cellules dans les quartiers, dans les entreprises, dans l’université, et petit à petit le libéralisme et la copinage régnants dans les relations des camarades furent bannis. On commença à étudier et à discuter à tous les niveaux les textes marxistes dont on disposait.

    On obtint aussi un duplicateur qui se substitua à celui emprunté qu’on utilisait, et on commença à éditer de tracts d’agitation qui analysaient la réalité quotidienne sur les lieux de travail et dans les quartiers. Bandera Roja arrivait encore de Paris, mais il s’éloignait de plus en plus des vrais problèmes et ne répondait plus aux exigences du travail pratique.

    On commença à entreprendre avec fermeté beaucoup de tâches, à analyser les événements politiques et les luttes des ouvriers en Espagne et à diffuser des consignes d’organisation, d’unité et de résistance, tous convaincus que ce qu’ils ne feraient pas pour reconstruire le Parti, personne ne le ferait. Pour toutes ces raisons, 1971 allait devenir une année clef et pas seulement pour l’organisation de Madrid.

    Le Premier mai de cette année-là, l’OMLE organisa des manifestations, ou plutôt des sauts de type commando, à Palomeras et dans la zone d’Ascao, l’une durant la matinée et l’autre durant la soirée. La manifestation du matin à Palomeras fut l’une de celles qui se gravent dans la mémoire: en plein soleil et avec tout le quartier dans la rue en criant À bas le fascisme ! et en saluant les drapeaux rouges.

    Divers piquets avaient passé toute la nuit à faire des graffitis avec des seaux et des pinceaux. Les rues des quartiers d’El Pozo et de Palomeras parurent remplies de consignes de Vive le Premier mai et Boycott des élections syndicales: l’impact parmi les gens fut immense et entraîna la venue d’une tradition d’agitation qui accompagnera partout l’OMLE, et après le PCE(r).

    La manifestation commença à midi dans la rue Pedro Laborde et finit à Palomeras Bajas, à côté la voie du chemin de fer. On parcourut tout le quartier, en pendant des drapeaux rouges sur les câbles électriques et en distribuant des tracts qui expliquaient uniquement le cas des dix ouvriers pendus à Chicago, parce qu’une manifestation du Premier mai ces années-là n’avait pas besoin de beaucoup d’explications.

    Quelque deux cents personnes l’avaient commencé et plus de mille la finirent, une demi-heure plus tard. La police et les sapeurs-pompier arrivèrent pour retirer les drapeaux. Cette manifestation fut une grande fête ; le prêtre Llanos et son cortège de soutanes – parmi lesquelles se détachait le prêtre Palatin, ensuite conseiller municipal avec le PSOE d’où il passa au ministère de l’Intérieur – commencèrent à se préoccuper de l’activité de l’OMLE dans le quartier, qui en peu de temps leur arrachait leur pouvoir sur ce laboratoire d’expérimentation sociale avant-gardiste de la hiérarchie ecclésiastique.

    Les luttes de l’usine Manufactures textiles, dans la banlieue de Vicávaro, furent un fait important pour l’organisation de Madrid aux alentours de cette date. Les conditions de travail dans l’usine étaient vraiment misérables, plus encore que dans les autres usines du textile ; en outre, la direction tenta un licenciement collectif des travailleuses, parmi elles une camarade.

    Cependant, un nombreux cercle d’ouvrières restait à l’intérieur et elles réussirent à arrêter le travail avec les consignes de réadmission, contre la régulation du personnel et pour toute une série d’améliorations. La réponse du patronat fut la procédure de crise et la fermeture définitive de l’usine. Ses portes ne furent jamais ouvertes à nouveau, mais le groupe d’ouvrières à la tête de ces luttes sera la base de l’organisation du textile à Madrid dans les années suivantes et du travail de parti de l’OMLE dans cette branche industrielle.

    1.6 Pour un centre unique de toute l’Organisation

    La Conférence de constitution de l’OMLE avait eu une grande importance parce qu’on y formula d’une façon claire et concrète l’objectif principal des communistes en ces moments-là: le Parti n’existait plus, il avait été désagrégé par les agents de la bourgeoisie infiltrés au sein de la classe ouvrière et, par conséquent, il fallait se mettre au travail pour le reconstruire.

    Les premiers pas faits dans cette direction commençaient à mettre en évidence deux conceptions opposées. D’une partie, ceux qui soulignaient, Manuel Pérez en tête, la nécessité d’un seul Centre dirigeant pour toute l’Organisation et qui faisaient de la contradiction entre le peuple et l’État fasciste la contradiction principale de la société, et d’une autre, les partisans du polycentrisme (de la structure fédérative de l’organisation), qui continuaient à parler de l’Espagne comme étant une colonie yankee.

    Ces différences politiques de fond se reflétaient, surtout, à l’heure de mettre en pratique un fonctionnement et un style de travail vraiment léniniste pour la reconstruction du Parti. L’affrontement avec les vieilles conceptions connut un premier point critique à la suite du deuxième appel à la grève générale dans le bâtiment que lancèrent les Commissions ouvrières en septembre 1971 à Madrid.

    Lors de leur premier appel, l’année précédente, les révisionnistes avaient réussi à entraîner derrière eux toutes les organisations de gauche, y compris l’OMLE. Maintenant, par contre, on comptait déjà sur cette expérience.

    Manuel Pérez travaillait alors sur le chantier de l’Université de Cantoblanco et connaissait fort bien la situation d’effervescence dans le secteur: un appel de ce genre était criminel, comme l’avait été l’antérieur, car il ne servait qu’à augmenter la discorde, à paralyser les multiples luttes partielles et à manœuvrer tout le mouvement au profit de la réconciliation, la chose la plus contraire au sentiment des ouvriers. Il fallait donc dénoncer cet appel comme une provocation.

    Toutefois, tout le monde n’était pas d’accord dans l’OMLE avec ce point de vue. On avait accepté par majorité quelques mois auparavant la consigne de Boycott des élections syndicales, contre les propositions des carrillistes de remporter le Syndicat Vertical; en revanche, maintenant, il y avait ceux qui considéraient plus pratique de ne pas descendre de la charrette de Commissions Ouvrières et de continuer à leur traîne en appuyant l’appel. Manuel Pérez réussit à imposer son point de vue au sein du Comité Local de Madrid et fut responsable d’organiser la campagne.

    On fit des réunions avec les ouvriers, on distribua des tracts avec la consigne de Boycott de la provocation bourgeoise et on organisa des assemblées explicatives et de piquets dans les centres de travail pour dénoncer la grève comme liquidatrice. C’est de cette façon -disait le numéro 15 de Bandera Roja quelques mois après- que l’OMLE se mit à la tête du mouvement et commença à indiquer le chemin.

    Cette campagne apprit aux militants et aux sympathisants ce qu’est le révisionnisme plus que toutes les critiques parues dans Bandera Roja jusqu’alors, et aussi comment on devait le combattre dans la pratique si on voulait reconstruire le Parti, diriger le prolétariat et cesser d’être un petit groupe de plus de gauchistes faisant la sieste à l’ombre des carrillistes et traînés par leur inertie réformiste. La clef était de rompre réellement et définitivement avec le révisionnisme, de se mettre à la tête de la classe ouvrière et non de rester toujours à sa queue.

    Ceci fut la première expérience pratique où l’OMLE se mit réellement à la tête du prolétariat. Une époque nouvelle commençait. Derrière restait une Organisation qui, comme celles surgies du révisionnisme, n’accumulait que confusion politique et d’organisation.

    On rompit définitivement avec cette pratique, mais il fallait rompre aussi avec beaucoup d’autres choses. Maintenant, la bataille était dans les rangs mêmes de l’Organisation. La Vème Réunion générale convoquée pour octobre 1971 marquera le début de cette nouvelle étape.

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  • Fraction Octobre du PCE(r): Lettre à la rédaction de Front Social (2001)

    [Lettre reçue et publiée par la revue Front Social suite à la parution de l’article Le PCE[r] : entre réformisme armé et rupture révolutionnaire. La Fraction dont il est question n’a jamais été reconnu par le PCE(r).]

    Fraction Octobre du PCE(r)

    Lettre à la rédaction de Front Social

    20 Mai 2001

    Chers camarades,

    Je suis depuis un certain temps avec intérêt votre revue. J’ai lu dans le n. 18 l’article Le PCE[r] entre réformisme armé et rupture révolutionnaire. Je voudrais à travers ce courrier exprimer mes impressions et en même temps profiter pour vous envoyer mes salutations révolutionnaires.

    J’apprécie beaucoup que des communistes français prêtent attention aux positions de notre Parti. Comme vous bien dites, « les révolutionnaires français doivent connaître l’expérience du PCE[r] »; également les révolutionnaires espagnols doivent connaître la vôtre.

    Ainsi nous pouvons échanger nos respectifs points de vue et nos expériences, apprendre les uns des autres, autant à travers les succès qu’à travers les erreurs, resserrer les liens internationalistes et contribuer, chacun selon ses forces, à la renaissance du mouvement communiste international.

    L’article que vous avez publié m’a paru, en général, très positif.

    Il souligne certains points clef de la lutte entre les deux lignes qu’on mène maintenant dans notre Parti.

    Je constate que vous avez compris et bien exposé les origines et les manifestations principales de la ligne de droite et son système particulier de se camoufler sous une tactique apparemment radicale ou gauchiste.

    Je vois que vous percevez dans une certaine mesure l’existence et la force de la ligne révolutionnaire. Autrement vous ne prendriez pas en considération le PCE[r] en tant que parti révolutionnaire et encore moins vous lui consacreriez des pages dans votre revue.

    Par contre, je crois que vous n’avez pas les idées assez claires pour ce qui concerne les origines et les manifestations de la ligne révolutionnaire.

    D’ailleurs ce n’est pas facile pour quelqu’un qui observe de l’extérieur, étant donné que depuis de la fin de la Réforme (1976-1982) il n’y a pas eu dans nos rangs une ligne de démarcation nette entre la ligne révolutionnaire communiste et la ligne de droite.

    On peut même dire que ce manque de contours bien nets entre les deux lignes, mais surtout pour la ligne révolutionnaire, jusqu’à presque la constitution de la Fraction Octobre (Fracción Octubre, juin 2000), constitue un trait caractéristique du mouvement historique particulier de la lutte idéologique au sein du PCE[r].

    A mon avis il ne faut pas l’attribuer à la capacité de se camoufler qu’aurait la ligne opportuniste qui s’est configurée au fur et à mesure que ses représentants ont persisté à ne pas reconnaître les erreurs commises sous leur orientation et sous leur direction.

    Il s’agit plutôt d’une insuffisante compréhension du marxisme de la part du Parti dans son ensemble, du manque d’une véritable lutte idéologique (ou de l’étouffement de celle-ci chaque fois qu’elle éclatait) et de la faiblesse de l’organisation qui est due surtout à son faible enracinement et à sa faible influence au sein du prolétariat conscient et de la vie politique espagnole.

    Il ne faut pas non plus oublier un autre aspect qui a déterminé ce manque de délimitation claire entre la tendance révolutionnaire et la tendance opportuniste, qui explique la relative capacité de manœuvre de cette dernière et en même temps l’apparente et relative faiblesse de la ligne révolutionnaire : le fait que les velléités politiques de rupture ou  » négociatrices  » des droitiers n’ont jamais pu aller jusqu’au bout, puisque le régime prétendait que le Parti renonce à sa ligne de résistance.

    Ceci montre que l’opportunisme, quoique pour une longue période pendant son développement n’a pas dû lutter ouvertement avec une opposition définie et consciente, cependant il ne s’est jamais senti assez fort pour mener ses projets jusqu’au bout ; ce qui veut dire que la ligne révolutionnaire posait des obstacles.

    Ce n’est pas mon intention d’entrer ici dans chaque problème que vous avez soulevé dans l’article que vous nous avez consacré et encore moins d’exprimer mon opinion au sujet des toutes les appréciations faites autour du PCE[r] et des GRAPO parce que la discussion s’élargirait trop.

    Donc je vais me limiter aux évaluations qui me semblent les plus importantes, car elles n’affectent pas seulement la tactique et la stratégie de la révolution en Espagne, mais elles ont une portée internationale.

    Certes, dans les problèmes auxquels notre Parti est confronté pèse beaucoup la contradiction qu’à grandes lignes montre l’auteur dudit article entre le réformisme radical (*), – qui prend la forme du soutien politique à la lutte armée pour imposer à l’Etat une  » réforme démocratique  » – et l’aspiration à mener au bout la révolution socialiste, c’est-à-dire ce que vous appelez  » rupture révolutionnaire « .

    L’existence de cette contradiction – qui parcourt notre discours politique et se ramifie en d’autres contradictions diverses plus concrètes, qui nous amènent souvent à affirmer une chose et son contraire – reflète en somme une contradiction entre les deux lignes qui se sont opposées sans arriver jusqu’aux événements assez récents à le faire ouvertement et frontalement.

    La constitution de la Fraction Octobre, en juin 2000 et la publication peu après de son organe de presse La Gaceta, sont la manifestation la plus claire de l’émergence conséquente d’une ligne dans laquelle a toujours baigné la vitalité révolutionnaire du Parti.

    Ça explique pourquoi la Fraction Octobre, malgré son entité actuelle assez modeste en tant que force organisée, constitue déjà maintenant le centre de convergence et de rassemblement le plus important de camarades et de ressources pour la victoire de la ligne révolutionnaire, étant donné que la ligne de droite tient dans ses mains depuis des années la direction et l’utilise sans scrupules pour s’imposer au Parti tout entier.

    La force de la ligne de droite dans nos rangs ne peut pas être séparée, comme je l’ai déjà dit, de la crise et de la désorientation auxquels est soumis notre mouvement à niveau international ni de nos limites dans la compréhension du marxisme.

    Ces facteurs ont alimenté un certain dogmatisme qui à son tour a empêché de combattre avec efficacité 1. la survivante influence idéologique du révisionnisme moderne, que, cependant, nous traînons, 2. sa reproduction et 3. sa pénétration à la dérobée dans le Parti.

    La ligne de droite se reflète au sein de notre Parti pas seulement dans la conservation d’une tactique erronée et dans une orientation politique réformiste de la lutte armée (dans le sens de poursuivre des revendications politiques démocratico-bourgeoises), mais aussi dans une stratégie ambiguë et confuse pour la révolution socialiste.

    Egalement elle se reflète, comme vous-mêmes avez bien observé, dans les illusions montrées au sujet de la capacité de régénération communiste du parti révisionniste de l’URSS – comme nous l’avons justement catalogué – ; illusions qui, dans le cas du parti révisionniste chinois dirigé par Deng Siao-ping, nous ont amenés à le considérer comme un grand parti communiste.

    Et ceci jusqu’à il n’y a pas long temps. D’autre part, sur le plan de la théorie, nos problèmes se sont aggravés et compliqués 1. avec le rejet des apports de Mao au développement du marxisme, fait par le secrétaire général de notre Parti et 2. avec ses distorsions au sujet du véritable sens des principes marxistes, de leurs origines et de leur développement.

    Nous ne pouvons pas passer non plus sur la grave incidence de l’opportunisme de droite sur le plan organique, qui fait en sorte que le centralisme démocratique soit systématiquement et gravement bafoué à travers l’annulation du débat et l’étouffement de la lutte idéologique, avec tout ce qui comporte comme accentuation du sectarisme et propulsion au fractionnisme de la part des dirigeants suprêmes du PCE[r].

    Il est clair que notre Parti depuis pas mal d’années est en train de suivre une tactique erronée pour ce qui concerne l’accumulation des forces révolutionnaires.

    Cette tactique, strictement liée à la recherche d’objectifs stratégiques intermédiaires impossibles, se fonde, d’un côté, sur notre caractérisation limitée de la Réforme politique du régime fasciste.

    A ce sujet, il faut souligner que nous avons été les seuls à la considérer comme une manœuvre antidémocratique, mais nous lui avons attribué simplement la prétention de masquer la continuation du franquisme sans Franco.

    Cela nous amena à ne pas comprendre les caractéristiques de la nouvelle période qui allait s’ouvrir pour la lutte des classes en Espagne, avec laquelle cependant nous nous sommes heurtés ; plus concrètement nous n’avons pas compris que la bourgeoisie devait absolument adopter des nouvelles méthodes pour affronter les contradictions entre elle-même et les masses populaires et en particulier avec la classe ouvrière.

    Pour la même raison nous n’avons pas vu la nécessité qu’elle avait de changer le système de régler les contradictions entre les secteurs qui la composaient et les contradictions avec leurs respectifs alliés monopolistes et impérialistes d’autres pays.

    Nos erreurs tactiques et stratégiques se basent de l’autre côté sur le fait de penser que la Réforme a complètement échoué et que pour cette raison la grande bourgeoisie espagnole serait obligée à retourner à ses origines franquistes, c’est-à-dire au fascisme ouvert.

    Les deux thèses sont bien loin de la réalité. En premier lieu, parce que le système politique actuel, depuis que la Réforme a commencé à fonctionner, n’est aucunement différent du système de contre-révolution préventive présent dans la plupart des  » démocraties  » impérialistes; même si le régime de l’oligarchie financière espagnole prend ses origines à la date du 18 juillet 1936 et dans l’écrasement de la République Populaire.

    En deuxième lieu, parce que, après la fin de la grande  » étape  » franquiste, aucune période n’a été plus  » démocratique  » que l’actuelle, pas même avec les gouvernements successifs du PSOE, ce qui ne permet pas d’affirmer que, depuis qu’Aznar est à la Moncloa, le régime est retourné à ses origines.

    En troisième lieu, parce que, bien que la grande bourgeoisie ait échoué dans ses intentions de liquider ou dévier le mouvement de résistance, elle a obtenu avec la Réforme d’atteindre progressivement beaucoup des objectifs qu’elle se proposait, comme 1. priver le mouvement de résistance populaire de son caractère de masse (sauf au Euskal Herria) en profitant aussi de nos erreurs, 2. élargir la base sociale du régime avec le soutien des partis réformistes en lui donnant une certaine légitimité  » démocratique « .

    La grande bourgeoisie a réussi à avancer en ce sens aussi en Euskal Herria, où le développement d’un fort mouvement populaire de libération nationale a entravé cette légitimation et cette  » normalisation démocratique  » du régime monarchique oligarchique.

    Et cela grâce à la collaboration du nationalisme conservateur et de son parti le plus emblématique – le Parti Nationaliste Basque (PNV) – qui tente d’affaiblir et d’absorber le Mouvement de Libération Nationaliste Basque (MLNV) pour affirmer son hégémonie politique vis-à-vis des partis centralistes qui représentent les intérêts de l’oligarchie, comme on a vu clairement avec les dernières élections autonomes au Pays Basque (13 mai 2001).

    Certes nous ne devons jamais oublier que ces succès du régime, que la Réforme a rendus possibles, sont précaires à cause de l’aggravation de la crise politique et économique que le système impérialiste traverse et de son incidence sur les différentes contradictions qui concernent la société espagnole, en particulier sur la contradiction qui oppose les masses ouvrières et populaires à la grande bourgeoisie.

    C’est-à-dire, ces succès sont plantés dans des sables de plus en plus mouvants.

    Notre dénonciation de la Réforme promue par l’oligarchie financière d’Espagne et aussi notre insistance dans la revendication que notre lutte actuelle pour le socialisme continue la résistance antifasciste et anti-impérialiste commencée avec la guerre nationale révolutionnaire et antifasciste (1936-39), il faut les mettre en relation avec ce dernier point.

    Nous ne devons pas continuer avec la même tactique et la même stratégie d’autrefois.

    Nous devons au contraire appliquer une tactique et une stratégie essentiellement différentes, similaires à celles qu’il faut appliquer aujourd’hui dans les autres pays impérialistes d’Europe. Les défenseurs de la ligne opportuniste n’acceptent pas de reconnaître tout cela.

    Ils sont aveuglés par leur subjectivisme et occupés à éviter toute responsabilité pour les erreurs que le Parti vient de commettre.

    Par conséquent ce n’est pas étrange que la ligne de droite soit obligée à inventer une réalité à sa mesure, à fin de maintenir sa prétention d’imposer à l’oligarchie, à travers la lutte armée et la mobilisation des masses des travailleurs, un régime de « libertés démocratiques  » ou une espèce de  » rupture démocratique « , comme le Parti a continué à faire de façon plus ou moins ouverte depuis qu’il adopta le Programme en Cinq Points en 1978.

    Tout cela sans la nécessité de remettre en question le pouvoir politique et économique de la grande bourgeoisie financière. Les partisans actifs et conscients de la ligne opportuniste de droite ne se préoccupent pas que la mobilisation des travailleurs est absolument absente et que le type de lutte armée, que les GRAPO pratiquent, est toujours moins efficace et manque d’une perspective stratégique.

    Ils sont en effets occupés à se camoufler derrière une phraséologie stérile et radicale (extrémiste) pleine de principes, dans l’attente que le gouvernement du moment vienne à une  » négociation  » qui donne un peu d’oxygène à leurs positions et à leurs illusions réformistes.

    Cette même position réformiste, même si dépourvue de ces illusions et couverte dans ce cas par une bonne couche de utopisme, subjectivisme et  » gauchisme « , étant donné sa façade antifasciste et socialisante, inspire aussi le Programme Minimum du Parti.

    Ce programme a l’objectif politique d’instaurer la République Populaire, avec laquelle, selon notre Manifeste Programme, « on commence une courte étape de transition qui peut être considérée aussi comme le commencement de la restructuration socialiste « .

    Mais les inspirateurs de la ligne de droite ne nous disent pas comment nous allons renverser l’Etat oligarchique.

    En effet d’un côté ils soutiennent qu’il n’est pas possible d’accumuler des forces sous le régime actuel, du fait qu’il serait un régime ouvertement fasciste; de l’autre côté, avec ça ils nient la viabilité d’une stratégie de guerre populaire de longue durée.

    Donc rien d’étrange qu’ils nous ne disent pas comment le prolétariat va installer sa dictature et va commencer sans elle la  » restructuration socialiste « , pourvu qu’ils laissent le rôle du Parti Communiste dans la pénombre.

    Et en plus ce n’est pas assez se poser comme objectif le renversement de l’oligarchie financière pour faire triompher la révolution socialiste, mais il faut aussi adopter une tactique et une stratégie conséquentes et révolutionnaires pour rendre possible la prise du pouvoir de la part du prolétariat. Autrement la révolution, même si très radicale, ne réussira pas à dépasser le cadre démocrato-bourgeois et elle sera battue.

    Mais la chose plus curieuse de tout ceci est que, après avoir indiqué la voie révolutionnaire en Espagne comme originale et complètement différente des autres pays, ils ne trouvent rien de mieux pour le démontrer que proposer cette même tactique et cette même stratégie comme une ligne que les communistes des autres pays européens aussi devraient suivre.

    Comme confirmation de cela et pour ce qui concerne la France, il suffit de regarder les derniers écrits envoyés par Arenas de la prison de Fresnes.

    Il alerte contre la  » vichysation  » de la  » démocratie  » française.

    De cette façon il ne fait que manifester sa prétention d’appliquer aussi à la France la théorie opportuniste du prétendu retour du régime politique espagnol à ses origines franquistes et sa vision particulariste de la  » transition au socialisme  » en Espagne.

    Les déclarations faites ces jours-ci par le gén. Paul Aussaresses au sujet de ses actions accomplies quand il était à la tête des escadrons de la mort pendant la répression menée par l’armée française contre le FLN et contre le peuple algérien, confirment, aussi à ceux qui ne veulent pas se rendre à l’évidence, que l’Etat français n’a pas besoin de retourner à Vichy pour lancer contre le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière les services, les organismes et le personnel mercenaire et dressé, comme le général lui-même dit, à  » voler, tuer, vandaliser, terroriser. … à crocheter les serrures, à tuer sans laisser des traces, à mentir, à être indifférent à ma souffrance et à celle des autres, à oublier et à me faire oublier. Tout cela pour la France. …dans l’intérêt de mon pays et dans la clandestinité … ». (Le Monde, 3 mai 2001).

    C’est très significatif que Jospin, Chirac et d’autres notables de votre pays ont immédiatement concentré le débat autour du repentir et du bilan du passé, en déviant l’attention du fait qu’aujourd’hui les Renseignements Généraux et les autres services plus ou moins occultes de l’Etat français font exactement la même chose, qui est décrite par le général Aussaresses et que ceci constitue l’objet d’enseignement justement dans les écoles militaires et de police de la République française (et des autres pays impérialistes).

    Toutes ces erreurs révèlent effectivement que le PCE[r] n’a pas coupé complètement les ponts avec le révisionnisme sur le plan idéologique.

    Comme j’ai déjà expliqué, cette rupture a été empêchée surtout à cause de l’influence du dogmatisme dans nos rangs. Cela explique 1. pourquoi notre lutte contre le révisionnisme a été limitée fondamentalement au plan politique, 2. pourquoi nous n’avons pas dépassé substantiellement les conceptions limitées de la période de l’Internationale Communiste et 3. pourquoi à la fin il est arrivé que nous n’avons pas fait, comme il le fallait, le travail de construction d’un nouveau parti communiste, doué d’une juste tactique et enraciné au sein de la classe ouvrière.

    Notre sous-estimation et aussi notre manque de conscience de l’influence du révisionnisme au sein de notre mouvement et parmi les ouvriers et les éléments avancés sont des exemples éclatants de cela.

    L’origine de la crise particulière de notre Parti se trouve dans la prédominance pendant une longue période de ces thèses réformistes, dont nous n’avons pas réussi à nous débarrasser à cause de l’influence idéologique du dogmatisme et de l’héritage du révisionnisme moderne.

    Cette crise peut se résoudre avec le développement sur une grande échelle de la lutte entre les deux lignes.

    Elle pourra résoudre enfin la contradiction entre le réformisme et les aspirations et les objectifs révolutionnaires du Parti avec la victoire de la ligne communiste.

    Cela arrivera quand la tendance opportuniste de droite, difficilement identifiable pour les raisons déjà dites et qui occupe d’importantes positions au sein des organes dirigeants, sera démasquée et battue.

    Elle est le principal obstacle à la rectification de nos erreurs.

    Ces trois dernières années, cette ligne de droite pour se camoufler a dû rejeter les apports de Mao, qu’au contraire dans le passé elle avait soutenus avec ostentation [en les faisant propres].

    En 1993 Arenas même avait publié un article tendancieux contre le président du PCP, Abimael Guzmán, qui venait d’être arrêté, avec le titre Le maoïsme et la caricature du marxisme, où il s’érigeait paladin du maoïsme. Avec ce rejet, les droitiers ont accentué son dogmatisme (voir la trilogie composée par les articles publiés dans les n. 2, 4 et 5 de Antorcha, sous les titres respectivement, Ligne de masse et théorie marxiste de la connaissance, L’universel et le particulier et Le problème de l’identité).

    Ce va-et-vient théorique confirme indirectement les difficultés que la ligne opportuniste rencontre pour garder sa prédominance au sein de la direction du Parti.

    Mais toutes ces manifestations de l’influence que le révisionnisme a eue dans nos rangs pendant des longues années, même si cachées sous une défense seulement en paroles des principes marxistes, ne doivent pas faire oublier les manifestations de notre ligne rouge, comme les communistes chinois avaient l’habitude d’appeler la ligne révolutionnaire pendant la Révolution Culturelle.

    Elle s’est manifestée dans certains pas importants effectués, depuis ses origines et sur différents plans, par notre Parti en rupture avec le dogmatisme et le révisionnisme.

    Des pas tels qui constituent à ce jour l’aspect principal de l’activité développée par le Parti pendant les 25 ans de sa vie. Je crois qu’il faut tenir en grand compte ces apports, même si nous n’avons pas su les théoriser d’une façon adéquate (chose qui est à la base de nos constantes et flagrantes contradictions).

    C’est le cas de la thèse universelle  » ce n’est pas possible le retour du fascisme à la démocratie bourgeoise « . Grâce à cette thèse nous fûmes les premiers à montrer l’essence fasciste du moderne Etat impérialiste.

    De cette façon nous avons réussi à rompre avec une des limites qui ont porté tous les anciens partis communistes des pays impérialistes à tomber dans le piège de la  » démocratie  » après la II Guerre mondiale.

    Je pourrais signaler d’autres apports résultat de notre pratique, comme la thèse qui soutient la nécessité stratégique de créer des partis communistes clandestins dans les pays impérialistes ou celle qui plaide pour combiner dans les processus révolutionnaires des pays impérialistes, la lutte de masse avec la guérilla comme instrument qui contribue à s´ouvrir un chemin au mouvement de résistance.

    Ces apports sont très importants aujourd’hui parce que la ligne rouge a hissé le drapeau de la lutte ouverte contre l’opportunisme de droite au sein de notre Parti.

    Sans ces apports il est évident que nous n’aurions pas pu combattre, comme nous l’avons fait, les projets des révisionnistes et des opportunistes de  » gauche  » d’embellir le fascisme et l’impérialisme avec leurs louanges à la Réforme politique du régime, en la considérant comme un projet d’installer en Espagne un régime démocratico-bourgeois.

    Ainsi, à différence de tout type d’opportunistes, inclus ceux qui se déguisaient en marxistes-léninistes ou maoïstes, nous avons évité de tomber  » dans l’opportunisme le plus complet ».

    Tout cela explique et motive la solidarité et l’attention prêtée par le mouvement communiste international vers notre Parti malgré ses erreurs.

    Pour la même raison il est important que les camarades des autres pays impérialistes prêtent attention et valorisent lesdits apports dans l’intérêt de la révolution dans les respectifs pays.

    Egalement ils doivent valoriser les aspects positifs qui déjà existent du mouvement communiste, pour apprendre et pour combattre le dénigrement et le défaitisme que la bourgeoisie impérialiste fomente avec tous les moyens parmi les masses des travailleurs, mais aussi pour lutter contre l’occultation des succès obtenus par le mouvement communiste et l’exagération et la propagation aux quatre vents seulement des erreurs et des défaites.

    Certes, ce propos et cet effort pour dépasser les limites de l’ancien mouvement communiste international faits par notre Parti à sa naissance, après, ont été interrompus.

    A la place d’avancer dans la reconstruction du Parti Communiste en s’appuyant sur les premiers et importants pas faits (déjà au II Congrès, en 1977, au moment le plus haut du développement organique de notre organisation, nous avions reconnu que la reconstruction du Parti n’était pas encore terminée), à cause de la persistance de nos erreurs nous avons reculé du chemin parcouru.

    L’isolement progressif du PCE[r] vis-à-vis de la classe ouvrière et sa faible influence actuelle sur les masses ouvrières et populaires le montrent. Mais plus encore le révèle le fait que, après 25 ans, nous sommes très loin d’avoir rassemblé dans nos rangs tous les communistes de notre pays et tous ceux qui aspirent à le devenir.

    L’apport donné par le Parti suppose dans la pratique le dépassement de certaines limites de l’ancien mouvement communiste international, comme j’ai déjà dit. Le fait que vous n’en avez pas tenu compte suffisamment dans votre article, on peut l’expliquer en partie par l’analyse erronée faite dans le même article au sujet de l’histoire du PCE et aussi de la naissance du PCE[r].

    Ceci me semble évident dans votre affirmation que  » le PCE[r] ne remet donc pas en cause la ligne politique du PC d’Espagne, pourtant révisionniste comme on a pu le voir dans la guerre antifasciste  » (p. 8), mais aussi là où vous nous attribuez d’avoir reconstitué simplement le PCE ou, ce qui est la même chose, d’avoir reconstruit un parti révisionniste, si nous nous atteignons à l’argumentation exposée.

    Cette appréciation qui donne l’impression qu’il n’y a pas une ligne de démarcation entre le PCE et le parti carrilliste [du chef révisionniste Santiago Carrillo], ne contribue pas, à mon avis, à donner à vos lecteurs une vision objective de l’histoire du PCE, et par conséquent aussi du PCE[r]. Elle ne correspond pas à la vérité historique, elle confond différents plans et contextes et en définitive n’aide pas à comprendre la contradiction que vous mêmes signalez.

    Cela conduit à faire un bilan erroné de l’histoire du mouvement communiste international.

    Celui qui affirme que dans l’histoire du PCE, fondé en 1921, le passage du communisme au révisionnisme (effectué en 1956) n’a pas supposé une rupture sur tous les plans avec ce qui est important dans la période précédente, devrait dire par cohérence qu’aussi dans le mouvement communiste international il n’y a pas eu cette rupture et que nous devons renier les résultats obtenus par le mouvement communiste dans la première moitié du XX siècle.

    Le PCE[r] n’a jamais mis en discussion globalement la ligne suivie par le PCE pendant la guerre de 1936-39 parce que nous ne l’avons pas considérée une ligne révisionniste, mais une ligne révolutionnaire malgré les graves erreurs d’opportunisme commises pendant et après cette guerre.

    Ces erreurs ne nous ont pas empêché de considérer le PCE comme un vrai parti communiste jusqu’à quand les carrillistes achevèrent leur travail de liquidation et usurpèrent ses sigles en 1956. C’est pour cela que nous avons revendiqué, depuis le temps de la OMLE (1968-1975), la tradition communiste dont le Parti de José Díaz était porteur, et nous avons assumé ses succès ainsi comme ses erreurs.

    Les premiers pour récupérer notre patrimoine révolutionnaire et nous baser sur lui pour développer une ligne politique d’accord avec les changements qui se sont produits en Espagne et dans le monde ; les deuxièmes, pour apprendre à ne pas les répéter.

    Nous revendiquons la continuité avec notre passé, mais aussi la rupture avec ce qui est vieux, qui est déjà dépassé, pour pouvoir résoudre les problèmes nouveaux.

    A partir de là nous avons donné, dès le début, beaucoup d’importance aux apports universels de Mao, bien que, c’est vrai, sans descendre en profondeur dans leur signification, implications et conséquences.

    La thèse que le PCE pendant la Guerre nationale révolutionnaire et antifasciste aurait suivi une ligne révisionniste ou contre-révolutionnaire est très répandue en France et dans les autres pays impérialistes,  » grâce  » aux organisations trotskistes et anarchistes.

    Nous avons un exemple dans le film bien connu de Ken Loach, Terre et liberté. Elle non seulement fait table rase de la lutte interne entre les deux lignes, mais elle fausse complètement la réalité historique.

    Notre Parti, dans son analyse intitulé Aproximación a la historia del PCE (1921-1956), fondé sur une série d´articles publiée dans Resistencia pendant les années 1993-95, a une approche tout à fait différente.

    Je ne sais pas si vous la connaissez. Dans cette analyse il y a une valorisation critique des résultats positifs et des erreurs du PCE le long de son existence, on les situe dans leur contexte historique et l’on prête une attention particulière et détachée à la période de la guerre.

    Donc je pense que la critique que l’auteur de l’article Le PCE[r] : entre réformisme armé et rupture révolutionnaire (p. 8) fait à notre Parti, de n’avoir pas mis en question la ligne suivie par le PCE, manque d’une base solide. Elle ne tient pas compte et elle ne part pas non plus du bilan que nous avons déjà fait. Seulement ainsi nous pourrons savoir si nous sommes ou ne sommes pas en erreur.

    À cette fin, je transcris en résumant un paragraphe de ce travail, où sont exposées nos positions au sujet de la période qui termina avec le coup d’Etat anti-républicain du colonel Casado et la catastrophique défaite des forces républicaines.

     » De cette conclusion catastrophique de la guerre, on ne peut pas tirer la conclusion que la politique du PCE et, plus concrètement, la tactique du Front Populaire étaient erronées. Au contraire, sans elles le peuple n’aurait pas pu faire face aux forces militaires réactionnaires pendant presque trois ans dans des conditions si difficiles.

    Mais le fait que la ligne du Parti était fondamentalement juste, n’avait pas empêché de commettre des erreurs dans son application, et son application ne pouvait pas échapper à la lutte entre les deux lignes qui était en train de se développer au sein du Parti. En tout cas il faut considérer si ces erreurs-là ont été plus importantes que les succès.

    En tenant présent ce que nous avons exposé, il est évident que, dès le début de la guerre, le PCE a commis une série d’erreurs sur le plan politique comme sur le plan militaire. Ces erreurs l’ont amené à se subordonner de plus en plus au gouvernement républicain et ont fini pour devenir l’aspect principal.

    Ainsi, ce qui au début était une ligne juste s’est transformé dans son contraire, en provoquant la défaite du Parti et en empêchant toute résistance armée organisée contre le fascisme.

    Si autant d’erreurs n’avaient pas été accumulées, une défaite – très probable dès le début de la guerre à cause de la corrélation défavorable des forces et de la situation internationale, qui déjà en soi empêchait au peuple de gagner la guerre à ce moment-là – n’aurait pas empêché la continuation de la lutte.

    Une des erreurs, sans doute la plus grave, parce qu’elle fût celle qui réellement empêcha le Parti de se préparer pour continuer la résistance dans les nouvelles conditions, consista – comme il est dit dans le Programme approuvé par le III congrès du PCE[r] – à < tendre à se subordonner au gouvernement républicain, au lieu de soutenir l’unité à partir d’une position politique et militaire indépendante.

    Cela amena le Parti à affaiblir la lutte idéologique au sein du Front Populaire et au sein du Parti même et à négliger le travail politique parmi les paysans.

    Cette politique de subordination et de concessions, bien qu’elle visât la consolidation d’une démocratie parlementaire bourgeoise au lieu d’une république de nouveau type, en pratique elle contribua seulement, dans ces circonstances, à la victoire du fascisme >.

    (…) A cause de cette tendance à la subordination le PCE finit pour perdre sa propre indépendance politique, il permit à la bourgeoisie républicaine d’établir son hégémonie dans la révolution démocratique et d’en freiner le développement. Il laissa en ses mains la direction de la lutte contre la réaction, devant laquelle elle était en train de capituler à cause de sa position de classe.

    Cette dépendance conduit le Parti à s’isoler graduellement des masses – en particulier des paysans pauvres – et à sous-évaluer le rôle que ces derniers pouvaient jouer dans le développement de la révolution démocratique et dans la lutte contre le fascisme et l’impérialisme.

    (…) Le fait que pendant la guerre une ligne de subordination au gouvernement républicain se soit imposée de façon croissante au sein du Parti et surtout au sein de sa direction, ne signifie pas que tous les cadres et les militants la partageassent.

    Les conceptions qui orientaient son action et l’application souvent contradictoire de la ligne montrent clairement que dans le PCE était en train de se développer une lutte entre deux lignes sur chaque problème de la révolution : une ligne révolutionnaire et de résistance et une autre réformiste et de capitulation.

    Si ce n’avait pas été ainsi, si la grande majorité du Parti n’avait pas suivi une ligne révolutionnaire et de résistance, c’est sûr que les tendances opportunistes qui depuis long temps étaient en train de s’ouvrir un chemin en son sein se seraient imposées encore plus tôt.

    Si enfin cette ligne de subordination et capitulation prévalut au sein de sa direction, ceci arriva parce que les partisans de la ligne de résistance ne furent pas capables de l’empêcher. « .

    Celles-ci et d’autres erreurs, sur lesquelles nous ne nous étendons pas ici, ont contribué à la démoralisation des masses des travailleurs et ont facilité le fléchissement vers le fascisme et l’impérialisme des partis démocratico-bourgeois et des organisations ouvrières avec une idéologie anarchiste ou social-démocrate.

    Chose qui explique leur soutien au coup d’Etat du colonel Casado, réalisé sous les auspices de la diplomatie franco-britannique et du gouvernement fasciste de Burgos.

    Les dirigeants communistes espagnols ont la principale et définitive responsabilité dans toutes ces erreurs.

    Mais c’est certain aussi que toutes les erreurs comme les succès ne peuvent être séparés des conceptions justes de la direction de la Internationale Communiste et de ses conceptions erronées et limitées.

    A ces conceptions ont contribué en quelque mesure tous les partis communistes, même le PCCh qui fût, finalement, celui qui adopta les positions les plus justes au sein de l’Internationale. De là la victoire de la révolution en Chine.

    Pour ce qui concerne le PCE, sa persistance dans ces mêmes erreurs, dont on vient de parler, après l’anéantissement de la République Populaire et la désorientation de la direction devant la complexe situation internationale créée après l’éclatement de la II Guerre mondiale, rendirent beaucoup plus désastreux et durables les effets de la défaite et contribuèrent 1. au succès de l’opportunisme de droite, qui gagna des importantes positions et 2. au succès des carrillistes, qui ont fini pour s’imposer en 1956, en profitant de la situation qui s’était créée au sein du PCUS et du mouvement communiste international après le XX et XXII congrès du PCUS.

    Mais, même dans ces conditions favorables, Carrillo et ses partisans, avec la complicité de Dolores Ibarruri et d’autres anciens cadres, pour liquider le Parti, durent recourir systématiquement à l’expulsion, à la calomnie, à la délation, à la provocation et à l’assassinat de nombreux communistes.

    La campagne de diffamation carrilliste contre Joan Comorera, secrétaire général du Parti socialiste unifié de la Catalogne (PSUC), pour le liquider, est un exemple bien clair des méthodes qu’ils utilisèrent. Cela démontre que détruire le Parti n’était pas facile.

    A partir de là, le PCE, qui de fait était déjà miné par l’opportunisme de droite dès la fin des années 40 et qui en outre se cachait derrière le soutien à la lutte de guérilla et à l’appui qu’elle recevait par les communistes et les travailleurs, termina d’être un parti communiste pour se convertir en un parti révisionniste.

    A mon avis c’est important de souligner ce parcours pour le PCE comme pour d’autres partis communistes comme le PCF ou le PCI, où, malgré l’influence opportuniste, existait aussi un fort courant révolutionnaire qui rendit possible la Résistance.

    Il faut bien tenir compte de cela, parce que si nous passons sur la lutte interne entre les deux lignes qui eut lieu en quelque façon chez tous ces partis, nous commettons l’erreur d’établir une ligne de continuité entre les partis communistes de la période de la IC et les partis surgis de la dégénération révisionniste.

    Cette erreur favorise le travail de confusion que les révisionnistes et les impérialistes sont en train de réaliser dans les masses ouvrières et populaires.

    Certainement cette dégénération ne peut pas être expliqué si on ne tient pas compte 1. des limites du mouvement communiste international de l’époque, 2. du grand poids du dogmatisme, 3. du relâchement de la lutte idéologique avant et durant la période après la II Guerre mondiale et 4. d’autres facteurs qui favorisèrent ce processus.

    Mais il n’y a pas de doute que le révisionnisme moderne aurait eu bien plus de difficultés à liquider les partis communistes, sans l’aide apporté par la plate-forme de Khrouchtchev au XX et XXII congrès du PCUS.

    Pour finir, une autre question importante dont vous parlez dans votre article et à propos de laquelle apparemment vous ne considérez pas notre Parti comme une organisation réellement communiste, mais simplement révolutionnaire. Il s’agit de la question que  » on ne peut pas être communiste sans défendre le marxisme-léninisme-maoïsme « .

    Cette thèse, si elle est présentée sous cette forme schématique, à mon avis, peut mener à beaucoup de confusion.

    Je suis d’accord que si on ne défend pas politiquement les apports théoriques et pratiques de Mao au développement du marxisme, comme il était déjà arrivé avec le léninisme après la Révolution d’Octobre, aujourd’hui on ne peut pas être communiste.

    Pas de doutes à ce sujet. D’autres camarades et moi avons déjà exprimé un total désaccord devant le refus de la Direction de notre Parti (et plus concrètement de Arenas) de l’œuvre théorique de Mao et devant sa tentative de déformer la signification, l’origine et le développement des principes marxistes.

    On a montré, en outre, que cela suppose une régression par rapport au niveau théorique atteint par le parti. A mon avis ces apports nous aident à résoudre les nouveaux problèmes auxquels sont confrontés le mouvement communiste international et la révolution mondiale et ils nous aident à lutter aussi contre le dogmatisme et le révisionnisme.

    Bien sûr, les assumer et les défendre politiquement comporte, comme toujours pour les principes, de les appliquer et de les défendre conséquemment à travers la pratique concrète pour, après, les préciser et les développer. Mais cela ne doit pas être confondu avec l’établissement d’une division par étapes différenciées du développement du marxisme.

    Dans ce cas on court le risque de délier ces apports de leur source originelle. Dans le marxisme, une fois que Marx et Engels ont établi sa base doctrinale, sont implicites tous les possibles développements théoriques passés, présents et futurs de ses postulats et il n’y a aucune raison ou aucune motivation théorique qui justifie de distinguer ou d’antéposer comme principale la pensée de Mao au-dessus de l’œuvre fondamentale de Marx et d’Engels.

    A ce sujet Lénine observait dans ses Cahiers philosophiques que  » Marx dans La Sainte Famille, y souligne fortement et met en relief les principes fondamentaux de toute sa conception du monde « .

    Si cela n’est pas bien assimilé, nous pouvons nous laisser aller à n’importe quelle déformation. Chose qui peut arriver (et en effet elle arrive) aussi si nous nous limitons à arborer les principes du marxisme comme s’ils n’étaient pas susceptibles de s’enrichir et de se développer en conséquence de la pratique révolutionnaire. De cette façon nous les vidons de leur contenu et nous en faisons une caricature.

    Certes, il nous reste encore à éclaircir le fait que cette position au sujet du maoïsme résulte contradictoire. Pour s’en sortir il faut peut-être tenir plus en compte la mise au point que fit Staline à l’égard des apports de Lénine. Il montra que ceux-ci et la conception marxiste du monde de Lénine  » ne sont pas une seule et même chose, quant à l’étendue  » (Principes du léninisme, Staline, 1924). Ce que Staline dit par rapport au léninisme et à son étape correspondante justifierait aujourd’hui la considération du maoïsme et de ses apports comme une étape plus avancée.

    Avec ces commentaires et éclaircissements j’espère avoir apporté une contribution à fin que vous ayez une meilleure connaissance, et vos lecteurs aussi, des succès et des erreurs de notre Parti, et aussi de la lutte en cours entre les deux lignes.

    De cette façon nous allons serrer un peu plus les liens entre les communistes de votre pays et du nôtre.
    Je voudrais vous transmettre ma reconnaissance et celle d’autres camarades pour le soutien et la solidarité que vous montrez vers notre Parti et en particulier pour les camarades détenus à Paris depuis novembre 2000.
    Bon travail et à la prochaine.
    Saludos revolucionarios.

    A.Cienfuegos
    Membre de la Fraction Octobre du PCE[r]

    Notes

    * Le qualificatif  » armé  » appliqué au réformisme ne me semble pas approprié.

    Le PCE[r] ne pratique pas la lutte armée, mais il soutient politiquement la lutte armée.

    De fait, il la soutient dès une perspective réformiste, bien que ne soit pas celle-ci l’idée que se font la plupart de ses membres et des combattants des GRAPO. Pour cette question, pour ce qui concerne l’application de la stratégie de la guerre populaire de longue durée dans les pays impérialistes et les méthodes de lutte, il y aura l’occasion d’en parler un autre moment

    =>Retour au dossier PCE (ml) et FRAP, PCE (r) et GRAPO

  • PCE(r) : Deux lignes (1987)

    [Le document rejette la ligne du « Front anti-impérialiste » prôné par la RAF, les br-pcc et Action Directe.]

    Commune Karl Marx des militants emprisonnés du PCE(r) et des GRAPO

    février 1987

    Il serait absurde de ne considérer le problème qui se pose au mouvement révolutionnaire européen, à savoir l’existence de deux courants divergents en son sein, qu’en termes de « nécessité ou non du Parti », ou de l’envisager seulement sous l’angle d’une adhésion ou non-adhésion à une « mode » qui serait celle de la reconstruction du Parti Communiste, le Parti de la classe ouvrière.

    Car, au fond, il s’agit de divergences considérables dans l’appréciation du caractère de la révolution en Europe, de l’internationalisme prolétarien, de l’organisation politique des masses, du rôle et des objectifs de la lutte armée de guérilla, de la stratégie et de la tactique, etc.

    Dans ce document, nous nous proposons d’examiner du mieux possible les racines économiques et les origines de classe de la politique que poursuivent les « anti-impérialistes », de leurs idées et concepts de base, et enfin, la relation existant entre leur « projet » politique, leur tactique et leur stratégie, et les événements historiques les plus récents qui se sont déroulés en Europe, particulièrement les événements en rapport avec le mouvement ouvrier et communiste.

    Cet examen nous permettra de démontrer que les « anti-impérialistes » n’ont pas de programme politique communiste, que toute leur tactique repose sur l’activité « anti-impérialiste », anti-USA, anti- OTAN, et que leurs objectifs et positions idéologiques, au lieu de représenter ceux de la classe ouvrière, correspondent plutôt aux positions de classe d’importants secteurs de la petite-bourgeoisie.

    Devant la progression des monopoles des multinationales et l’extension de leur domination à tous les secteurs et groupes sociaux bourgeois, ces mêmes secteurs ont vu s’amenuiser leurs anciens privilèges et leur influence dans la société, et se trouvent souvent ruinés et dépossédés, ce qui explique fort bien leur radicalisme.

    C’est le phénomène connu de la prolétarisation des couches basses de la petite-bourgeoisie, des couches qui subissent, de façon caractéristique, une forte pression des monopoles.

    Il est indéniable que le mouvement gauchiste fortement radicalisé – et, au fond, réformiste – garde d’importants liens idéologiques avec ces couches en voie de prolétarisation et – si l’on veut être francs – que leur proposition « d’unité » anti-impérialiste et leur concept d’attaque contre l’État, contre les secteurs de pointe des monopoles et contre l’OTAN, sont fortement liés à ce processus de prolétarisation.

    Un des plus importants succès du mouvement de guérilla apparu au début des années 70 en Europe est celui d’avoir brisé la fausse paix bourgeoise-réformiste des institutions capitalistes européennes, et d’avoir ainsi attiré l’attention des masses sur la perspective révolutionnaire.

    Mais quelques groupes, trop obnubilés par les succès remportés par l’activité de guérilla, continuent leurs activités comme si rien n’avait changé depuis ce temps.

    Ils ne considèrent pas plus qu’aujourd’hui, on ne peut ajourner l’accomplissement de tâches révolutionnaires historiquement abandonnées, qu’il faut intégrer l’activité de guérilla dans l’important mouvement politique, militaire et organisationnel qui naît et s’étend partout.

    Il est vrai que, comme les événements l’ont démontré dans la période qui va du début des années 70 aux années 80, cette forme-là d’activité armée s’imposait, en grande partie, comme le moyen de faire de la politique révolutionnaire dans les pays impérialistes.

    Mais aujourd’hui, les conditions ont suffisamment mûri, et si nous poursuivions la lutte de la même manière, nous poursuivrions, de façon injustifiée, une pratique unilatérale et même préjudiciable pour le mouvement révolutionnaire européen.

    Pour sortir de cette impasse, il faut réunifier les forces révolutionnaires sur la base du marxisme-léninisme, commencer à élaborer le programme prolétarien de la révolution socialiste et édifier un Parti léniniste solide et de haute cohésion idéologique.

    Il est certain qu’avec une vision politique et militaire plus large, basée sur une position de classe prolétarienne, et fonction des objectifs – des plus immédiats aux plus lointains – qu’impose au prolétariat la révolution socialiste, nous pourrons plus adroitement définir nos tâches politiques et militaires.

    La tâche politique la plus immédiate est celle qui concerne le renforcement du Parti Communiste et l’élaboration du Programme Minimum de la révolution socialiste, l’organisation et l’éducation des ouvriers aux idées communistes, la dénonciation de la politique de la bourgeoisie et de ses alliés réformistes et révisionnistes, etc.

    Dans le domaine militaire, il faudra nous concentrer autour des tâches concernant la formation d’une petite armée de combattants prolétaires qui apprennent à maîtriser l’art de la guerre populaire prolongée et les techniques militaires modernes ainsi qu’à synthétiser, dans des tâches militaires, la ligne politique du mouvement politique de résistance, etc.

    Bien que nous nous trouvions dans la première phase de la guerre révolutionnaire, nous ne devons pas oublier que nos objectifs à plus long terme sont l’insurrection populaire et l’armement du peuple.

    Actuellement, étant donné le rapport de force, la direction de la guérilla doit sélectionner rigoureusement et adroitement ses activités militaires de telle sorte qu’elles facilitent l’accumulation de forces révolutionnaires et qu’elles encouragent la réalisation des tâches politiques dont sont chargées d’autres forces organisées dans le mouvement de résistance.

    A grands traits, en guise d’esquisse, nous pourrions dire que ce sont là les objectifs fondamentaux de la guérilla, son programme militaire minimum.

    Aujourd’hui, il nous faut donc aborder sans tarder – le retard est nuisible – les tâches que nous venons de décrire.

    Plus nous perdons de temps à comprendre et à entreprendre ces tâches politiques et militaires, plus le chemin de la révolution socialiste devient difficile et accidenté.

    Élaborer le programme de la révolution est une tâche qui demande du temps et la synthèse de nombreuses expériences de lutte. Mais il serait très nuisible, et ce serait une grande erreur, de refuser ou de reporter cette élaboration. Ceux qui adoptent cette attitude démontrent leur peu d’intérêt ou leur manque total d’intérêt pour une réelle transformation de la société actuelle.

    Pour notre part, nous voulons attirer l’attention des révolutionnaires d’Europe sur l’important processus politique qui se déroule actuellement dans toute l’Europe: la convergence croissante entre les communistes et les secteurs et éléments les plus avancés du prolétariat.

    Notre devoir consiste en ce que ce processus semi-spontané se réalise consciemment et s’effectue de la manière la plus organisée et la plus dirigée possible.

    Les conditions objectives existent déjà en grande partie: de larges secteurs de la classe ouvrière, les plus combatifs et avancés, ont besoin d’une organisation prolétarienne et communiste qui les dirige et d’un Programme révolutionnaire pour lequel lutter.

    En même temps, l’actuelle dépression économique capitaliste, les réductions budgétaires des programmes sociaux bourgeois, le chômage et la misère d’amples secteurs populaires, les licenciements continuels d’un grand nombre d’ouvriers, dus aux plans de restructuration des monopoles, etc. provoquent le réveil à la lutte de milliers et milliers d’ouvriers prêts à combattre pour le socialisme.

    Ils sont de plus en plus conscients de leur responsabilité historique, ils se sont identifiés à leur classe et sont décidés aux plus grands sacrifices pour faire progresser la cause du prolétariat.

    Les entraves et préjugés réformistes favorisés par la société du « bien-être » ou « post-industrielle », vieilles reliques idéologiques du monopolisme d’après-guerre, sont aujourd’hui dépassés.

    NOTRE CONCEPTION INTERNATIONALISTE

    Face à ceux qui pensent que la pratique de l’internationalisme prolétarien réside actuellement dans le fait de créer de petites organisations militaires supranationales, comme une pâle copie de l’OTAN, nous réaffirmons la validité de la conception qui impose aux communistes le devoir de s’engager à faire la révolution dans leur propre pays et de contribuer à son triomphe partout.

    Compte tenu des circonstances particulières qui sont les nôtres actuellement, nous pensons que la contribution de chacun doit reposer fondamentalement sur ce qui suit:

    1. Participer activement à la discussion idéologique et au débat, sur les principes, la stratégie et la tactique, et sur les tâches les plus immédiates des communistes, discussion et débat qui se développent partout.

    Dans les limites de notre situation matérielle, nous participons depuis longtemps à cette discussion, apportant nos expériences, défendant nos positions de principe et critiquant fraternellement les positions des autres.

    Ainsi, nous sommes intervenus dans le débat sur l’internationalisme, et sur les tâches que nous pensons être, dès aujourd’hui et sans délai, celles qui s’imposent aux communistes (construire le Parti, dénoncer et démasquer toute sorte d’opportunisme).

    Nous avons aussi donné notre avis sur le rôle que doit remplir et la configuration que doit prendre le Parti à l’heure actuelle, le rôle et la fonction de l’activité armée de la guérilla, le caractère qu’acquièrent aujourd’hui les contradictions inter- impérialistes, etc. Nous avons écrit plusieurs articles sur ces questions.

    2. Appuyer moralement et matériellement la lutte idéologique et politique que livrent nos camarades d’autres pays. Nous croyons que l’appui moral le meilleur est la critique franche et ouverte: signaler les faiblesses des autres et leur origine, faire nôtre leur juste défense des positions communistes, défendre et appuyer leur lutte contre les positions opportunistes et militaristes, et plus spécialement, appuyer le combat juste et résolu face à la bourgeoisie et son Etat, et face à l’impérialisme même si parfois nous ne partageons pas entièrement les objectifs recherchés.

    L’internationalisme dont nous parlons dépasse les différences existant entre les deux lignes.

    Il facilite les rapports, le rapprochement, l’échange d’expériences et la collaboration sur des sujets généraux ainsi que la lutte commune contre les ennemis communs: l’État bourgeois et l’impérialisme.

    La collaboration et l’entraide fructueuse ne pourront reposer que sur la critique franche, ouverte et sans réserve, reconnaissant les positions de chacun et acceptant les critiques justes.

    Pour cela, et étant donné la situation dans laquelle se trouve le mouvement révolutionnaire européen, nous ne pouvons pas manquer de signaler avec toute la clarté et la fermeté requises les différences de fond existant entre les deux lignes qui se profilent.

    Si nous ne le faisions pas, nous courrions le risque de voir nos positions mal interprétées avec le grand tort que cela pourrait causer.

    Notre consigne est donc: avancer résolument dans la construction du Parti, dans l’organisation de la classe ouvrière vers la guerre populaire prolongée; combattre, au moyen de la critique, la tendance militariste et le militarisme pan-européiste; lutter pour la révolution socialiste et la dictature du prolétariat en Europe, en forgeant petit à petit l’alliance et la fraternité de tous les prolétaires du continent, et en comptant avant tout sur nos propres forces, sur l’immense force de tous les ouvriers qui combattent le capitalisme dans chaque pays.

    Étant donné le tour radical que prennent les luttes et les grèves ouvrières partout (contre les projets de revitalisation du capitalisme décadent), la tendance communiste révolutionnaire du mouvement commence à trouver un soutien et un appui importants.

    On peut donc prévoir le renforcement, l’enracinement et le développement de cette tendance.

    On comprend le désarroi des « anti-impérialistes » devant l’énoncé et la défense des véritables positions internationalistes et devant le programme communiste de la classe ouvrière.

    Et ce désarroi ne pourra que croître tant qu’il leur manquera un vrai programme de classe, prolétarien.

    Leur soi-disant « internationalisme » du « Front » n’est qu’un pan- européisme usé, sans autre objectif apparent qu’une Europe dénucléarisée, démilitarisée, verte et sans OTAN.

    Objectif utopique et irréalisable en dehors d’un monde entièrement communiste, objectif qui représente l’idéal et l’illusion petite- bourgeoise d’une société capitaliste pacifique, humaine et prospère.

    Ces tendances petites-bourgeoises, poussées à l’extrême, seraient conservatrices et réactionnaires malgré leur ferme et combative position anti-OTAN.

    MARXISME ET IDEALISME

    Les composants du courant « anti-impérialiste » ont coutume de se proclamer marxistes, mais leur « marxisme » a peu à voir avec les principes fondamentaux défendus par Marx, Engels et Lénine, et ne tient en outre aucun compte du matérialisme historique et dialectique.

    Pour autant que nous le sachions, les marxistes partent de l’analyse économique et sociale des classes en lutte dans la société, du mode de production et de l’étape historique, pour ensuite élaborer le programme prolétarien et leur stratégie communiste.

    Pour réaliser cette tâche, ils différencient ces conditions objectives (celles qui sont données d’avance au prolétariat et à son avant-garde communiste) des subjectives (celles où le prolétariat peut déterminer quelles doivent être sa tactique et stratégie, etc.).

    Lorsqu’on étudie les documents de la Rote Armee Fraktion, on y remarque l’absence de toute analyse de ce type.

    Dans les analyses que fait la Rote Armee Fraktion, nous voulons particulièrement signaler ce qui est erroné dans ses concepts de prolétarisation et de prolétariat international.

    Par exemple, elle affirme que les classes sociales «ne peuvent plus se définir par la position qu’elles occupent dans le processus de production».

    Il suffit de rappeler que, pour Marx et Engels, et spécialement pour Lénine, dans leurs analyses des classes et de la lutte des classes de la société capitaliste, cette définition des classes a toujours été une forteresse inexpugnable du marxisme, du matérialisme.

    Et ils ont souvent signalé que s’en écarter mène au marais de l’idéalisme, à l’opportunisme et au chauvinisme.

    Il est clair que, derrière des concepts comme la « prolétarisation militante », « l’aliénation et l’embourgeoisement des ouvriers », les « processus à la base », etc. se cache une dénaturation du marxisme. Ainsi les « anti-impérialistes » proclament que « la classe » – considérée par eux de façon abstraite – ce sont «ceux qui ont compris le caractère destructeur du système», et que « ce fondement de la prolétarisation est la raison pour laquelle les personnes présentes dans les processus à la base, dans la résistance, etc., proviennent de tous les secteurs du peuple ».

    Comme nous le voyons, les conceptions de la Rote Armee Fraktion s’écartent du léninisme.

    Nous devons donc nous demander quelles sont les circonstances qui ont rendu possible la stagnation idéologique du courant « anti- impérialiste ».

    Nous croyons que ce sont les suivantes: en premier lieu, la désorganisation et la désorientation de la classe ouvrière (au moment où sont apparus ces groupes), qui furent surtout le produit des théories révisionnistes apparues au XXème Congrès du P.C.U.S.; il faut aussi tenir compte du fait que cela s’est accompli pendant une période de relative paix sociale et même d’expansion économique capitaliste.

    En second lieu, l’absence de vrais partis communistes pour affronter la nouvelle situation créée, a fait surgir de nombreux groupes révolutionnaires, pour la plupart ignorants des traditions et des expériences révolutionnaires du marxisme-léninisme.

    Ces groupes s’affrontent à l’État avec la méthode la plus efficace qui se trouve à leur portée pour initier le combat: la lutte armée. Mais ils se trouvent tout à fait désarmés idéologiquement.

    Leur manque d’esprit léniniste ferme et l’incompréhension chez eux de la nécessité de construire un parti capable de rassembler, d’organiser, d’éduquer et de diriger les éléments les plus avancés de la classe ouvrière, les mène, tôt ou tard, vers des positions opportunistes et bourgeoises: les conceptions idéologiques qu’ils assument finalement sont plus proches de Proudhon ou de Bakounine que du marxisme.

    Il ne fait aucun doute que cela est dû, en grande partie, aux progrès et à l’extension des monopoles et des trusts dans tous les secteurs économiques de la société capitaliste, qui en écrasant ou rognant les intérêts de la petite-bourgeoisie, ont provoqué un important mécontentement général dans ces secteurs.

    Bien que cela soit très clair, on ne peut pas admettre pour autant que ce seraient ces secteurs, brusquement radicalisés par leur situation spéciale, qui défendent les intérêts du prolétariat, ses objectifs ou ses positions de classe.

    C’est des ouvriers, c’est de la classe la plus exploitée et la plus spoliée de la société capitaliste, que sortiront les éléments les plus avancés des masses, la force la plus puissante capable de renverser le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste.

    Et la tâche qui revient aux communistes est celle d’attirer les couches qui se trouvent en voie de prolétarisation vers le programme prolétarien, de leur faire comprendre qu’il n’y a pas d’autre issue que la dictature du prolétariat et le socialisme, de critiquer leur désespoir et leur opportunisme, leur manque de clairvoyance et leur étroitesse de vue, etc. ou, au moins, de les neutraliser!

    D’ailleurs, conformément à la description que nous avons faite d’eux, les camarades « anti-impérialistes », abondant dans leurs positions de confusion idéaliste, essaient de nous convaincre que la contradiction Etat-société est la contradiction principale dans les métropoles.

    Pour autant que nous le sachions, jamais le marxisme n’a parlé de contradiction entre Etat et société, mais, à partir de l’analyse des classes, il a établi la contradiction existant entre d’une part la bourgeoisie et son Etat et d’autre part le prolétariat, etc.

    Et le marxisme a toujours considéré l’Etat comme un appareil d’oppression d’une classe sur une autre; un appareil militaire répressif – par nature – organisé et dirigé – spécialement – contre la classe exploitée et opprimée, le prolétariat.

    L’Etat est l’organe le plus important que détient la bourgeoisie au pouvoir comme instrument de la lutte des classes contre le prolétariat. C’est l’essence de l’Etat.

    C’est pourquoi le prolétariat doit diriger ses efforts pour renverser l’Etat de la bourgeoisie et pour le remplacer par un autre de type nouveau, l’Etat prolétarien, la dictature du prolétariat.

    Opposer l’Etat à la « société », comme le font les « anti- impérialistes », c’est placer l’Etat en dehors de la société, tel un phénomène supérieur transcendant celle-ci; c’est nier le caractère de classe de l’Etat.

    En même temps, cela revient à le considérer comme un phénomène pervers et superflu; et à dire que l’objectif des révolutionnaires serait donc de détruire tout vestige de l’Etat, comme le concevait autrefois Bakounine.

    De sorte que, outre leurs dispositions anti-Etat et l’absence d’un programme communiste, de classe, les « anti-impérialistes » nous proposent, en accord avec cette contradiction Etat-société, une alliance interclassiste pour combattre l’Etat qui, à leurs yeux, est la seule cause de tous les maux que subit la « société » capitaliste.

    Même si, dans un de leurs documents, ils affirment que leur politique révolutionnaire dans les métropoles «n’a rien à voir avec une conception du monde», nous voyons que cela n’est pas vrai.

    Nous croyons qu’il est plus exact, au regard des faits, d’admettre que leur conception du monde obéit à la situation dans laquelle se trouve la petite-bourgeoisie qui, écrasée par les multinationales et désespérant de l’avenir, concentre toutes ses attaques contre l’Etat impérialiste, spécialement contre ses appareils militaires et ses alliances.

    Attaques qui n’ont d’autres perspectives que la lutte qui est menée et évoquent en tout cas celles des ouvriers lorsqu’ils cassaient les machines croyant ainsi mettre un terme à l’exploitation du prolétariat: c’était surtout d’anciens secteurs ruinés de l’artisanat et du petit commerce qui s’étaient vu éjectés de leurs ateliers et de leurs petites boutiques par la grande mécanisation.

    La lutte des réformistes se différencie radicalement de la lutte des communistes, ces derniers essayant d’organiser par leur lutte les forces ouvrières, de les organiser dans l’esprit du communisme et de la stratégie de la guerre populaire prolongée, au travers des objectifs stratégiques les plus immédiats à atteindre.

    La même conclusion s’impose lorsque les « antiimpérialistes » considèrent que le prolétariat n’est pas un fait objectif de la société capitaliste, mais un acte de conscience.

    Ils affirment que l’élément subjectif est l’élément essentiel et l’élément « décisif pour la lutte dans les centres impérialistes », les centres impérialistes « ne produisant spontanément – à partir des contradictions objectives et des conditions existantes… – aucune condition révolutionnaire mais seulement destruction et pourriture ».

    C’est une grave erreur subjectiviste, propre au volontarisme, que d’affirmer et de maintenir ces positions car, pour que triomphe la révolution, certaines conditions révolutionnaires doivent exister et ce sont, en premier lieu, des conditions objectives.

    Bien que les conditions révolutionnaires objectives ne soient pas suffisantes en elles-mêmes pour renverser un régime et un gouvernement (qui, si on ne les fait pas tomber, ne tomberont jamais), elles sont indispensables.

    C’est pourquoi il faut aussi développer ces conditions objectives en s’appuyant sur les ouvriers, la classe la plus nombreuse et exploitée, la plus avancée, disciplinée et résolue de la société capitaliste.

    Pour cela il est indispensable de créer un parti prolétarien sûr et discipliné, intimement lié au mouvement révolutionnaire des masses ouvrières et populaires, un parti qui les organise, élève leur conscience et les prépare à la révolution.

    Et ce n’est pas de cela dont nous parlent les « anti-impérialistes ». Pour eux, le prolétariat n’existe pas objectivement. Ils nous disent que les individus ne deviennent des prolétaires que grâce à un acte de conscience, qu’en assumant les positions du prolétariat international.

    Pourtant, Marx liait le concept de prolétaire au processus même de la production de marchandises sous le capitalisme, à l’extorsion que subit l’ouvrierproducteur exproprié de ses produits.

    Ceci est réellement ce qui intéresse l’ouvrier en tant que classe, dont le mot d’ordre est donc: expropriation des expropriateurs. Et cette contradiction présente dans chaque cellule de production capitaliste est aussi le germe qui donne naissance à la conscience prolétarienne, à la puissante force combattante du prolétariat.

    Quelque chose de très différent de ce que défend la Rote Armee Fraktion.

    Si, en révolutionnaires voulant transformer la société, nous comprenons les circonstances du retard de quelques secteurs de la classe ouvrière, le rôle de l’aristocratie ouvrière face à la grande masse d’ouvriers surexploités, de semi-prolétaires, de, chômeurs, etc., alors, nous devons comprendre aussi que la transformation de la « classe en soi » en « classe pour soi » ne se fera qu’au moyen du parti ouvrier.

    La « classe en soi » est la classe ouvrière telle qu’elle apparaît dans le processus de production capitaliste, dispersée, désunie et sans conscience de sa situation.

    L’histoire nous a maintes fois démontré que c’est uniquement au moyen du parti prolétarien que l’on réussira à organiser et à unir la classe ouvrière pour qu’elle participe politiquement, comme force indépendante, aux luttes des classes de son pays, consciente de son rôle historique et des objectifs du socialisme et du communisme; celle-ci est la « classe pour soi ».

    Mais, contrairement à ce que nous venons de dire, les « anti- impérialistes » substituent unilatéralement aux conditions économiques et politiques du pays, et à la nécessité du Parti communiste, la considération subjectiviste de la haine et de la colère, très importante par ailleurs dans la lutte contre la bourgeoisie, mais de toute évidence insuffisante.

    Sur cette base – celle de la haine et de la colère – ils disent que «se développe «actuellement le front révolutionnaire dans le centre»… Et non sur les épaules du prolétariat, appelé, selon Marx et tous les marxistes, à renverser la société capitaliste, et à être le fossoyeur de société capitaliste!

    Pour les « anti-impérialistes », «ceux qui combattent l’impérialisme» constituent le prolétariat.

    Dans ce contexte de combat militaire, les ouvriers opposés aujourd’hui aux plans de surexploitation capitaliste ne sont pas, à leurs yeux, des prolétaires et ne méritent aucun intérêt.

    A moins que les grèves dans les entreprises «n’abandonnent le terrain institutionnalisé et méprisable de la simple opposition».

    Nous reléguerions ainsi à un plan très secondaire l’importante tâche des communistes qui consiste à se joindre aux ouvriers les plus avancés, à les organiser, et à profiter des conflits réels dans les entreprises pour les éduquer à l’arme du marxisme et les faire avancer sur le chemin de la révolution.

    Il semble néanmoins que la Rote Armee Fraktion prétend seulement s’appuyer sur les luttes ouvrières quand celles-ci échappent à leur cours normal – chose courante actuellement si nous tenons compte de la profonde crise capitaliste – … pour les transformer en une arme contre l’OTAN.

    Ce qui est bien différent de ce que font les communistes, qui essaient de transformer chaque usine en une forteresse du parti prolétarien et la lutte contre l’OTAN en un autre front de la lutte contre le capitalisme et contre l’impérialisme pour la dictature du prolétariat.

    La lutte économique des ouvriers, plus encore qu’un conflit inévitable dans le capitalisme, est une arme indispensable pour améliorer leurs conditions de vie, et, en même temps, une arme du communisme très utile pour renforcer la combativité ouvrière et la conscience révolutionnaire, pour répandre le programme prolétarien, etc.

    Le parti prolétarien doit centrer ses activités sur les grandes usines du pays, non pas pour constituer des syndicats ou décrire les méchancetés de l’impérialisme et de l’OTAN, mais pour organiser les ouvriers sur base des principes du communisme, pour renforcer leur solidarité prolétarienne, pour faire connaître le programme de la révolution socialiste, pour appuyer leurs luttes, etc.

    Il doit combattre de toutes ses forces les révisionnistes et toute sorte de réformisme et d’opportunisme, dénoncer les plans de restructuration des monopoles, forger dans la lutte des organisations ouvrières indépendantes de la bourgeoisie et des réformistes, étendre le mouvement d’appui populaire et les piquets, chercher la solidarité d’autres secteurs de masses, organiser les grèves et les manifestations, appuyer la lutte de guérilla et encourager l’incorporation des ouvriers à la lutte armée.

    L’histoire a démontré que la révolution a triomphé là où les révolutionnaires ont compté sur leurs propres forces, en développant la lutte révolutionnaire dans leur pays.

    Dans notre cas, ceci signifie travailler au renforcement du mouvement ouvrier révolutionnaire et donc mener à bien toutes les tâches signalées précédemment.

    Les autres pays révolutionnaires, socialistes et progressistes, du monde ont toujours soutenu tout pays menant sa révolution, mais si l’on ne compte pas sur ses propres forces, il n’y a rien à faire.

    Et compter sur ses propres forces en Europe, cela signifie s’appuyer sur la puissante capacité combative du prolétariat, force principale et dirigeante de la révolution.

    La classe ouvrière est la classe qui lutte avec le plus de détermination et de dévouement contre la société capitaliste, elle est donc la seule qui peut la renverser et construire le socialisme. Penser autrement, c’est s’écarter du b-a ba du marxisme.

    PARTI COMMUNISTE
    OU FRONT DE LIBERATION NATIONALE?

    Quelles coïncidences existe-t-il, dans le mouvement révolutionnaire européen, entre la tendance « anti-impérialiste » et la tendance communiste? A grands traits, nous pourrions résumer ces coïncidences par le combat contre la bourgeoisie et l’impérialisme et l’adoption de la lutte armée.

    Les stratégies, les façons de concevoir la révolution et ses objectifs, et les rapports de chaque courant à la lutte politique révolutionnaire du prolétariat sont des aspects qui les différencient.

    Le courant « anti-impérialiste » centre fondamentalement sa lutte autour de la préparation et l’exécution d’actions armées de toutes sortes contre les installations et les intérêts de l’Alliance Atlantique et de l’OTAN.

    Ces actions sont menées dans le cadre de ce qu’ils appellent «la stratégie contre leur stratégie» et «l’unité» supranationale des organisations de guérilla révolutionnaire – une interprétation fausse de l’internationalisme.

    Même dans les cas où ces attaques ont visé des hommes d’affaires et des politiciens en vue, elles l’ont fait en fonction de leur rapport avec l’OTAN, la course aux armements, ou la guerre.

    Mais de quelle stratégie peut-on parler quand on se met à la remorque de la stratégie impérialiste?

    Les actions armées de la Rote Armee Fraktion et d’Action Directe, dépourvues d’un programme politique prolétarien, se caractérisent par leur spontanéisme et n’ont d’autre but que le militaire lui- même.

    Vu la situation du mouvement révolutionnaire européen, les positions défendues par les « antiimpérialistes » créent la confusion au sein d’un important secteur des forces révolutionnaires, en l’écartant de ses véritables objectifs et en retardant ainsi son nécessaire développement.

    Bien sûr, l’Allemagne étant aujourd’hui le lieu de rencontre de deux camps antagoniques irréconciliables, le socialisme et le capitalisme, on peut y observer mieux que nulle part ailleurs le rôle que jouent dans le monde actuel les organisations militaires de l’alliance anti-communiste.

    Il est donc facile dé comprendre, au vu des conditions historiques et politiques de l’Allemagne, que le mouvement révolutionnaire là- bas ait tendu à insister davantage sur la forme de l’alliance militaire impérialiste et non sur son contenu de classe.

    Et davantage sur la puissance apparente de l’impérialisme et non sur les tâches nécessaires pour organiser, éclairer et se mettre à la tête de la classe ouvrière pour pouvoir en finir non seulement avec les alliances impérialistes mais également, ce qui est plus important, avec les classes et le mode de production qui les rendent possibles.

    La proposition « anti-impérialiste » d’un front ouest-européen est une transposition impropre en Europe des Fronts de Libération Nationale des colonies et semi-colonies.

    Bien que la différence entre l’Europe et les pays du Tiers-Monde saute aux yeux, la Rote Armée Fraktion a toujours considéré ces mouvements comme un modèle politique de validité universelle et dès le début elle a aspiré à devenir un mouvement analogue.

    Cette analyse simpliste et unilatérale autrefois soutenue par les khrouchtchéviens, fut sévèrement critiquée par Mao Tsé Toung car elle «tend à remplacer subjectivement toutes les contradictions qui existent dans le monde «par une seule».

    Il est inutile de dire le minimum que l’on peut obtenir avec un schéma semblable en Europe.

    Il est certain que les peuples et les nations du Tiers-Monde ont apporté des enseignements très précieux aux prolétaires européens, mais vouloir calquer ou reproduire des formules étrangères telles quelles, sans aucun sens critique, a toujours produit des résultats négatifs tout au long de l’histoire.

    Supposer un antagonisme entre l’impérialisme et la « libération » n’est pas correct.

    Il faudrait parler d’antagonisme entre le capitalisme et le socialisme, entre la « bourgeoisie nationale » impérialiste et le prolétariat national révolutionnaire, entre l’Etat de la bourgeoisie monopoliste et le prolétariat qui lutte pour imposer sa dictature et son Etat.

    La proposition des « anti-impérialistes » correspond plutôt aux présupposés politiques révolutionnaires d’autres latitudes où, aux côtés d’un prolétariat réduit, c’est la paysannerie qui constitue la force principale de la population, avec une petite et moyenne bourgeoisie nationale.

    En Europe, par contre, la paysannerie est, en règle générale, inférieure à 10% alors que le prolétariat constitue l’immense majorité de la population; nous manquons aussi d’une véritable bourgeoisie nationale qui réclame la révolution ou qui peut s’y joindre, notamment parce que l’époque de la révolution démocratique bourgeoise est depuis longtemps dépassée en Europe.

    A notre époque, les communistes de chaque pays doivent aider consciemment le prolétariat de leur pays à lutter contre sa bourgeoisie, à démasquer la ligne politique bourgeoise (l’opportunisme bourgeois) et ses plans d’exploitation et d’oppression, à organiser la classe ouvrière indépendamment de la bourgeoisie et des syndicats corrompus et intégrés au système, à dénoncer la collaboration de classe des partis réformistes et révisionnistes et à lutter contre eux, etc.

    Les communistes doivent donc commencer à forger un puissant parti marxiste-léniniste qui puisse diriger le prolétariat dans sa lutte révolutionnaire contre l’oligarchie monopoliste, financière et foncière et contre son État.

    Sans ce parti prolétarien, la révolution court droit à la défaite la plus fracassante.

    Sans ce parti, toutes les tentatives d’organiser la lutte armée pour le communisme seront vaines.

    En plus d’appuyer au mieux dé nos possibilités les mouvements de libération nationale des colonies et la lutte contre l’impérialisme, nous devons faire la révolution dans notre pays en comptant sur les forces puissantes du prolétariat et du peuple.

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  • PCE(r) : La critique contemplative (1986)

    [L’article de 1 répond à une critique de la lutte armée dans la revue « Un monde à gagner » publiée par le Comité du Mouvement Révolutionnaire Internationaliste, le regroupement maoïste international, Comité ne reflétant pas le point de vue de tous ses membres.]

    novembre 1986

    La polémique entamée au sein des milieux révolutionnaires en Europe occidentale, à propos des expériences les plus importantes de la lutte des classes de ces dernières années, dépasse largement ce cadre pour se transformer en un débat beaucoup plus général.

    Un nombre toujours plus grand d’ouvriers, d’étudiants et d’autres démocrates s’intéressent à la discussion ouverte, et y participent même activement.

    Différentes raisons motivent cet intérêt croissant, mais la principale d’entre elles – celle qu’il faut retenir – n’est autre que la persistance et l’élargissement qu’acquiert le mal dénommé « phénomène terroriste », c’est-à-dire l’incapacité des Etats impérialistes d’anéantir le mouvement de résistance populaire qui se soulève partout contre les mesures d’exploitation et d’oppression, et cela malgré l’arsenal de lois et de corps spéciaux dont ils se dotent.

    C’est dans ce climat général et au milieu des expectatives qu’il crée, que l’ample débat dont nous venons de parler se déroule.

    Naturellement, parmi la quantité de propositions, d’auto-critiques et de critiques plus ou moins sévères, de vieilles et de nouvelles idées, d’intentions sincères de redressement, etc. apparaît aussi de temps en temps, comme une voix étrangère, la critique de quelques intellectuels oiseux et infatués – de véritables pédants – qui n’ont fait et ne feront jamais autre chose que critiquer, en même temps qu’ils s’arrogent le droit d’enseigner aux autres ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire.

    Une de ces voix grinçantes, celle d’un certain P. Becker, est descendue dans l’arène avec un article intitulé «La voie erronée de la guérilla urbaine en Europe occidentale», qui est paru dans le quatrième numéro de la revue «Un monde à gagner», l’organe de l’auto-proclamé «Mouvement Révolutionnaire Internationaliste».

    Il serait long et ennuyeux d’aborder ici les abondantes interprétations tendancieuses, les omissions, et tous les lieux communs du répertoire de la presse bourgeoise la plus réactionnaire que ce texte renferme.

    Voilà pourquoi nous ne nous arrêterons que sur les questions d’une grande actualité, que sur celles qui, à notre avis, revêtent un grand intérêt.

    P. Becker commence son article en avouant son intention de mener «une critique décisive», destructrice, et cela à partir d’une prétendue position «scientifique» marxiste-léniniste, de ce qu’il n’hésite pas à qualifier de «continuelles déviations révisionnistes et réformistes» dans le mouvement révolutionnaire des pays d’Europe Occidentale.

    Voyons comment il s’y prend:

    «L’année dernière, en Europe Occidentale ont été commis une série d’actes de sabotage et d’assassinat, de l’explosion de bombes contre des objectifs de l’O.T.A.N. et contre des compagnies «ayant des rapports avec l’Afrique du Sud, jusqu’à «es épisodes plus dramatiques: l’élimination d’un général français et d’un fabricant d’armes ouest«allemand pendant l’hiver 1985».

    Telles sont les «déviations révisionnistes et réformistes» (les «dramatiques» épisodes, les «sabotages et les assassinats») qui provoquent les réactions les plus incontrôlées de monsieur Becker.

    On pourrait certainement supposer, ne fût-ce qu’un instant, qu’il s’agit seulement là d’un lapsus, d’un de ces mauvais tours que «les démons de l’inconscient» jouent souvent aux individus en son genre; cependant, le passage que nous venons de citer traduit l’expression la plus achevée de sa véritable position de classe.

    Cette même position se manifeste, au fil de son long article, de multiples autres manières. Mais poursuivons son exposé:

    « Dans certains pays – insiste plus loin Becker en citant une déclaration du M.R.I. – un petit nombre d’individus est passé au terrorisme, une ligne politique et idéologique qui ne s’appuie pas sur les «masses révolutionnaires et qui n’a pas une perspective correcte du renversement révolutionnaire de l’impérialisme.

    Tandis qu’ils aiment apparaître comme très « révolutionnaires », ces mouvements terroristes ont intégré dans la plupart des cas, toute une série de déviations révisionnistes et réformistes, telle que « la lutte de libération » dans les pays impérialistes, la défense de l’U.R.S.S. impérialiste, et ainsi de suite.

    Ces mouvements partagent avec l’économisme l’incapacité fondamentale de comprendre la centralité de la tâche d’élever la conscience politique des masses et de les guider à la lutte politique comme préparation pour la révolution. »

    Voilà la synthèse de la critique portée au «terrorisme» par Becker, ainsi que la conception sur laquelle elle est fondée, et son programme politique. Mais il y a plus, d’après lui:

    « dans les pays impérialistes les situations révolutionnaires ne sont pas habituelles: elles se présentent très rarement».

    Dans de telles conditions de paix, de stabilité politique et de progrès général, Becker interroge:

    « Comment une stratégie de guerre d’usure peut-elle mobiliser les masses pour la guerre révolutionnaire?»

    Comme on peut le constater aisément, la réponse se trouve dans la question elle-même, et pour cette raison nous pensons que tout autre commentaire à ce sujet serait superflu.

    Ce qu’il importe de souligner, c’est que cette vision idyllique de l’actuelle société bourgeoise – vision qui, nous aurons l’occasion de le vérifier, se changera immédiatement en vision catastrophiste –  n’empêche pas Becker de reconnaître que, dans les pays impérialistes, « émergeront inévitablement des situations révolutionnaires.»

    Le fonctionnement même du système, pontifie Becker, « y compris les dynamiques qui le conduisent vers une guerre inter-impérialiste mondiale (…) précipiteront des milliers d’individus sur la scène de l’histoire.»

    C’est à ce moment-là que les conditions pour l’insurrection seront créées, et que l’heure tant attendue aura sonné pour faire « un bond au moment fatidique ».

    Pour écrire ce que nous venons de présenter, Becker a dû laisser de côté une donnée aussi flagrante et essentielle que la crise générale dans laquelle le monde capitaliste se débat actuellement; il a dû escamoter les préparatifs bellicistes que les impérialistes développent, ainsi que la montée des vagues de lutte révolutionnaire que l’on observe partout dans le monde.

    Becker soutient que dans les pays capitalistes il n’y a pas de situation révolutionnaire, pour reconnaître aussitôt après que ces conditions «émergeront inévitablement». Il est clair que dans tous les cas il fait dépendre ces conditions du déclenchement – et nous supposons également du développement – d’une troisième guerre mondiale.

    Toutes les idées de Becker tournent autour de cette conception. Celle-ci relève-t-elle du marxisme? Becker le prétend. Mao écrit: «Ou bien la révolution empêche la guerre, ou bien la guerre fera éclater la révolution. »

    Et Becker, lui, écarte toute possibilité de révolution avant que n’éclate la guerre, et il nous laisse nus et impuissants face aux forces aveugles déchaînées par le capitalisme.

    On pourrait objecter à la conclusion que nous venons d’exprimer, que Mao faisait allusion à la révolution dans des pays arriérés ou du Tiers-Monde; néanmoins, nous ne savons pas très bien comment ces derniers pourraient éviter la guerre sans l’alliance et l’appui des pays du «deuxième monde», comme le soutiennent les actuels dirigeants chinois. Comme on peut l’apprécier, cette thèse archi-révisionniste renferme tout au moins une certaine logique.

    La conception du monde que nous désignons comme «catastrophiste», (un seul et indivisible monde, se dirigeant inéluctablement vers les abîmes de son auto-destruction), constitue la base idéologique des positions politiques de Becker.

    D’après cette conception, il n’y a actuellement dans le monde qu’un seul système économico-social (le système impérialiste), et celui- ci s’achemine, poussé par la force d’inertie de ses contradictions internes, vers une nouvelle conflagration générale.

    D’après cette même conception, les masses populaires des différents pays n’ont aucun rôle à jouer ici: les «millions d’individus» auxquels fait allusion Becker n’ayant pas encore été poussés «sur la scène de l’histoire» par la tendance historique (par la crise, l’impérialisme et les convulsions que celui-ci provoque). A ce qu’il paraît, les deux guerres mondiales et les révolutions qu’elles ont engendrées ont été des jeux d’enfants.

    De plus, toujours selon Becker, la crise générale du système que ces deux guerres ont engendrée ne méritent même pas d’être prise en considération; et quant à la prochaine guerre que les milieux impérialistes les plus agressifs préparent, elle ne traduit pas plus une situation de crise aiguë du système et, en tout cas, les masses «révolutionnaires» devront attendre, tranquillement assises, que l’éclatement des bombes les pousse jusqu’à «la scène».

    Et donc, aux dires de Becker, quand celles-là dégringoleront sur les pauvres têtes de celles-ci, le moment suprême (l’heure de l’insurrection) sonnera; mais entre-temps, les travailleurs de tous les pays, et en particulier ceux de l’Europe Occidentale – puisque c’est d’elle qu’il s’agit – ne peuvent rien faire pour empêcher cette guerre, ni en fomentant la révolution partout, ni en opposant la guerre révolutionnaire à la guerre impérialiste.

    En réalité, ce que Becker et ceux de son espèce poursuivent, n’est autre que lier les mains des travailleurs et assurer l’arrière- garde de l’impérialisme, car si cet objectif n’était pas atteint, l’U.R.S.S. et les autres pays socialistes et progressistes se trouveraient dans de meilleures conditions pour affronter l’agression.

    En «théorie» la position défendue par Becker appelle à la lutte contre les deux super-puissances et à se maintenir équidistants de celles-ci afin de pouvoir faire la révolution, mais, même en supposant que cette manière de penser contienne un dessein révolutionnaire sincère, la force des événements pousse souvent vers une des deux parties, précisément du côté des capitalistes, et cela, non seulement contre l’U.R.S.S. «impérialiste», mais aussi contre tous les pays et mouvements révolutionnaires.

    Il n’est pas surprenant du tout de voir monsieur Becker couronner son article par une attaque furieuse dirigée contre la guérilla urbaine en Europe Occidentale, qualifiant celle-ci de «troupes de choc de Gorbatchev».

    Que pourrait-on dire de lui et de ceux qui comme lui apportent continuellement de l’eau au moulin de l’impérialisme yankee?

    LA THEOLOGIE DE L’INSURRECTION

    Son mépris de la lutte armée organisée et l’apologie que Becker fait des explosions spontanées de la lutte des masses (qu’il considère lui-même comme «authentiquement révolutionnaires»), nous alerte – dès début de son article – sur ses véritables idées politiques:

    « Un jour de révolte à Birmingham inflige aux impérialistes cent fois plus de dommages matériels que des années de leur guérilla urbaine – mais le dommage le plus important est sans doute le fait d’avoir porté des coups politiques et idéologiques à la bourgeoisie et ses prétentions à une société juste et satisfaisante – à côté desquels les actions des terroristes font pâle figure.»

    Notre héros se place à une distance prudente du champ de bataille et d’un promontoire, il harangue les révolutionnaires organisés et les masses révoltées; il leur déclare: Abandonnez votre engagement, déposez les armes! Est-ce que vous ignorez que «le dommage le plus important» que l’on peut causer à la bourgeoisie est de lui porter «des coups politiques et idéologiques»?

    D’un côté, les luttes spontanées, et de l’autre les «coups» politiques et idéologiques, telle est la plate-forme de l’économisme que Becker veut faire passer en contrebande comme le dernier cri du marxisme révolutionnaire.

    Certes, toutes ces bagatelles nous font pâlir.

    Ce qui nous laisse vraiment étonnés et perplexes, c’est cette constante préoccupation qui semble faire perdre le sommeil à monsieur Becker, et qui l’amène à critiquer de la façon la plus hargneuse et démagogique une ligne politique qui, selon lui, «remplace la lutte révolutionnaire des masses par des attaques armées d’un petit groupe».

    Or, à la lumière de ce que nous venons de lire, à la lumière de la conception de la «lutte révolutionnaire» des masses exposée par Becker, ne sommes-nous pas en droit d’affirmer que ce qui le préoccupe réellement, c’est justement tout le contraire de ce qu’il affirme?

    C’est-à-dire que la lutte armée de la guérilla urbaine, dirigée-par un véritable détachement communiste, non seulement ne «remplace» pas (comment pourrait-elle le faire?) la lutte des masses mais, au contraire – comme nous le soutenons – qu’elle la stimule, qu’elle contribue à sa meilleure organisation, qu’elle lui fraie le chemin et qu’elle lui permet de se doter d’un programme et d’objectifs clairs.

    De notre côté, aucun doute n’est permis à ce propos, mais si nous en avions, si nous manquions de conviction, la seule apparition de la critique portée par Becker au « terrorisme » suffirait à nous convaincre définitivement.

    Les opportunistes ont peur d’être démasqués par le développement de la lutte des classes.

    C’est pour cela que leur travail le plus saillant consiste à s’attaquer à ceux qui se soulèvent les armes à la main pour combattre l’impérialisme, en prétextant continuellement que ceux-là réalisent leurs actions «en marge» de la lutte des masses, qu’ils «la remplacent», qu’ils «retardent» ou «désarticulent» leur mouvement, etc.

    Les opportunistes disent cela tandis que, d’un autre côté, ils prêchent la soumis; sion et le respect superstitieux devant la légalité imposée par les fusils de la bourgeoisie, ils prêchent le pacifisme et le réformisme; et quand, malgré ce travail de trahison, des ouvriers et d’autres travailleurs se lancent dans le combat franc et résolu, alors, afin d’éviter d’être complètement démasqués, ils fouillent dans les classiques pour «argumenter» sur «l’inopportunité du moment», sur «le rapport de force défavorable», ou «le manque de préparation de la lutte armée», et autres choses du même acabit; quand ils ne se retranchent pas derrière les secteurs les plus arriérés afin d’isoler et de contraindre à reculer ceux qui marchent en avant, ceux qui sont vraiment prêts à lutter et à donner l’exemple aux autres.

    Que nous enseigne l’expérience dans notre pays?

    Pendant des années, les carrillistes et autres ruffians ont axé leur activité sur la liquidation du mouvement ouvrier révolutionnaire, en s’appuyant sur l’argument suprême selon lequel «les conditions de crise du système n’étaient pas réunies» et, en même temps qu’ils appelaient les ouvriers à «conquérir» le syndicat fasciste et qu’ils se réunissaient en tables rondes avec les secteurs «évolutionnistes» de l’oligarchie, ils se livraient à la persécution des communistes, (de tous ceux qui s’opposaient et dénonçaient leurs manèges anti-ouvriers), en nous taxant «d’impatience», de vouloir faire de la politique «rien qu’avec une mitraillette», de «revanchisme», de «provocation», etc.

    De telle sorte que, lorsque la crise économique et politique du régime se déchaîna – et que ce dernier déclencha ses plans de réforme – nous ne fûmes absolument pas surpris de voir surgir ces mêmes individus proclamant l’urgente nécessité de «sortir le pays de la crise» afin de sauver «la démocratie» et les miettes du grand festin que la bourgeoisie financière avait laissé tomber de la table pour les tenir contents.

    Bon, nous découvrons maintenant dans l’article de Becker – et sans pouvoir retenir une moue de mépris – la même rengaine démagogique avec laquelle toute la meute de «la gauche» («communistes», «marxistes-léninistes», et même «maoïstes») nous a cassé les oreilles ces dernières années.

    Car il s’agit du même discours, même s’il diffère dans quelques détails.

    Ce qu’il y a de neuf chez Becker – et c’est cela qui a retenu notre attention – c’est l’animosité et l’acharnement qui le saisissent dans son délire de persécution.

    Écoutons-le encore une fois:

    « Les regards de ceux qui brûlent d’impatience, dans l’attente du jour où ils pourront régler leurs comptes avec la bourgeoisie, doivent s’élever un peu plus haut, au-delà de la pure et simple soif de vengeance, jusqu’à l’horizon où se dessine la perspective d’engager la lutte armée pour faire avancer le genre humain jusqu’à une époque entièrement nouvelle dans l’histoire de l’espèce. »

    Et Becker complète cette position béate par un appel désolé à remplacer la critique des armes portée contre la société bourgeoise putride par «l’arme» de la critique, ou, comme il le précise, «par l’arme de la science de la révolution».

    Les bigots, eux aussi, ont toujours voulu présenter la théologie comme une «science».

    Le fait que, dans ce cas, Becker appelle sa théologie «science de la révolution», ne change en rien les fondements de l’affaire.

    Dans les deux cas, la pratique n’intervient pas. Toute la différence réside en ceci: le marxisme est une doctrine pour l’action, tandis que le «marxisme» usé de Becker n’est rien d’autre – en imaginant le meilleur – qu’un doctrinarisme inopérant et contemplatif.

    C’est d’ailleurs à partir de cette position contemplative – très satisfaite d’elle-même – que Becker nous invite à «élever le regard» (pardessus les choses du monde), «un peu plus haut», afin de «faire avancer le genre humain» et de le tirer hors des ténèbres qui l’entourent.

    Pas question de «règlements de comptes»!, prêche-t-il: Laissez de côté la «pure et simple soif de vengeance»! Regardez «vers l’horizon où se dessine la perspective»!!

    UN FAUX DILEMME : LA VIOLENCE DE QUELQUES-UNS
    OU LA VIOLENCE DE BEAUCOUP

    En fait, la violence n’est pas la question centrale dans la critique faite par Becker à la guérilla urbaine. Sa tentative a pour objet de poser le faux dilemme de savoir si ce sont les masses ou un «petit groupe» qui doivent l’exercer.

    Mais, que nous sachions, personne ici n’a dit que la révolution puisse être l’affaire de quelques élus, si héroïques, ardents ou disposés au sacrifice qu’ils se montrent.

    Ce que nous soutenons, c’est la nécessité absolue d’incorporer la lutte armée dans la stratégie révolutionnaire, en la concevant comme une partie essentielle, comme quelque chose qui découle de tout le développement historique et des conditions matérielles objectives dans lesquelles se livre aujourd’hui la lutte des classes au sein des Etats impérialistes, de leur nature fasciste et spoliatrice, profondément réactionnaire.

    Dans ces conditions, que monsieur Becker se garde bien de mentionner, la lutte armée naît de façon inévitable du fait de la crise, du renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière et des autres travailleurs, des brutalités et de l’oppression subies de la part de l’Etat; elle naît de la résistance que les masses opposent, consciemment, au système de la bourgeoisie en processus de ruine et de désagrégation.

    Au moment venu – qu’il est impossible de fixer dès maintenant – cette forme de lutte devra devenir principale, et toutes les autres devront y être subordonnées.

    Est-ce que cette conception exclut le travail d’un parti, la lutte idéologique et politique, le travail d’organisation, etc?

    Nous, nous soutenons que non seulement cette conception n’exclut pas tout cela, mais, au contraire, qu’elle le présuppose et le renforce; elle le rend nécessaire de la façon la plus évidente.

    Nous ne nions pas qu’il existe de «petits groupes» qui s’obstinent à refuser la nécessité du parti prolétarien, armé de la théorie marxisteléniniste, des groupes dont l’activité armée, dans la plupart des cas, ne revient qu’à leur porter préjudice.

    Mais cela est une autre question qui n’a rien ou très peu à voir avec ce dont nous traitons ici.

    Ce que nous soutenons, encore une fois, c’est que la propagande et la « critique », la lutte politique et la lutte idéologique telles qu’elles étaient conçues dans la phase précédente du développement du système capitaliste, ne suffisent plus en elles-mêmes pour élever les masses jusqu’à la compréhension de leurs objectifs historiques, et encore moins pour les mener au combat pour le pouvoir.

    Nos idées à ce sujet sont bien connues, car nous avons analysé ce problème maintes fois et, par là, les nombreuses interprétations fausses faites par monsieur Becker dans son article ne lui serviront à rien..

    Par exemple: Quand aurions-nous nié que la guerre révolutionnaire soit une guerre de classe? Cependant, nous ne nous bornons pas à répéter une vérité aussi simple comme des perroquets.

    Notre attention se concentre sur la recherche des voies qui permettront aux masses d’approcher leur but, en abandonnant les voies de garage et les chemins battus (qui, comme cela est déjà parfaitement démontré, ne mènent nulle part).

    N’est-ce pas là, précisément, la mission de tout parti authentiquement communiste? Selon les « bolchéviks chinois » et le Komintern qui les soutenait, la ligne défendue par Mao pour la révolution chinoise n’avait rien de « marxiste-léniniste »; ils la dénonçaient comme « nationaliste », « opportuniste », « petite- bourgeoise » et à peine « scientifique ».

    On peut dire la même chose des attaques lancées par Kautsky et consorts contre Lénine et la Révolution d’Octobre, parce que cette dernière rompit avec l’orthodoxie vermoulue que Kautsky et d’autres avaient incubée pendant des dizaines d’années de développement « pacifique » du capitalisme.

    Dans les deux cas, de la même façon dont s’y prend maintenant Becker en cherchant l’appui de Lénine et Mao, il s’agissait de conserver à tout prix, c’est-à-dire aux dépens du mouvement réel, une «pureté» doctrinale qui apportait de très bons résultats pour l’impérialisme.

    Car, comme Lénine le rappelait face aux doctrinaires de cette espèce: «la théorie est toujours grise et l’arbre de la vie toujours vert».

    Notre Parti, le P.C.E.(r), ne renonce pas à l’héritage légué par les deux grandes révolutions, mais ce que nous refusons, c’est le schéma scolastique qui trahit la révolution chaque fois qu’il la promet, en la reléguant aux calendes grecques, en usant des mêmes subterfuges que ceux employés maintenant par Becker.

    S’il n’est pas possible de séparer l’objectif (la libération des masses) de la façon dont on combat, pourquoi alors ne devrait-on pas appliquer ce même principe aux méthodes de lutte pour la révolution?

    Si ce dont il s’agit ici, c’est de préparer les conditions générales (et pas seulement celles de type idéologique) pour l’insurrection des masses, pourquoi ne pas commencer dès maintenant à les préparer dans tous les domaines?

    Faut-il faire confiance une fois de plus, (c’est-à-dire, après toutes les expériences vécues), aux promesses insurrectionnelles qui devront s’accomplir au dernier moment?

    Est-il possible d’improviser une action de cette nature?

    Par cette « voie », appelée de façon incorrecte « d’Octobre », on ne parviendra jamais à l’insurrection, et si celle-ci finissait malgré tout par se produire à partir d’une réaction spontanée des travailleurs, il est certain qu’elle échouerait.

    Où donc se trouvent, dans notre exposé, l’étroitesse de vue, la soif de vengeance, l’exhortation morale, « le fardeau de l’homme blanc » cher à R. Kipling, et les autres amabilités que monsieur Becker nous prodigue?

    Quel est le marxiste qui oserait affirmer qüe l’intégration des masses à la lutte politique, et à la lutte armée pour le pouvoir comme expression la plus élevée, s’est produite quelque fois tout d’un coup, ou dans la première phase d’un processus révolutionnaire?

    Quand Mao soutient qu’une seule étincelle peut embraser la prairie, ne fait-il pas allusion à l’intégration des masses au combat qu’une petite armée mène depuis longtemps?

    Et n’était-ce pas les masses qui combattaient jusqu’alors?

    Il faudrait d’ailleurs percer l’ambiguité et la relativité du concept même de masses afin de finir d’éclaircir cette affaire. C,ar même dans l’expérience de l’insurrection d’Octobre 1917, que monsieur Becker prend pour modèle, on ne peut pas parler, comme on le fait généralement, d’un acte unique ou automatique.

    C’est une tromperie complète de présenter l’histoire de cette façon, de déformer ainsi l’expérience de la Révolution d’Octobre pour l’opposer – de la façon la plus opportuniste – aux formes les plus avancées de la lutte des classes qui se déroule actuellement dans les pays impérialistes, en invoquant l’absence de conditions révolutionnaires dans ces mêmes pays.

    Comment expliquer le phénomène de la lutte armée? Par les élucubrations et la soif de vengeance de quelques individus? Becker veut qu’on le prenne au sérieux et qu’on considère comme «scientifique» son «marxisme-léninisme-pensée Mao», mais nous, nous ne sommes pas des poussins nés de la dernière pluie, et il y a longtemps que nous avons des ergots.

    Si les choses étaient telles que cet homme l’affirme, il est certain que ni lui ni toute la propagande mensongère bourgeoise ne lui consacreraient tant d’espace, et ne montreraient pas une telle inquiétude à combattre « le terrorisme ».

    Il serait impossible de comprendre l’insurrection d’Octobre sans la révolution démocratique-bourgeoise de février qui détrôna le tsar, et ces deux révolutions sans tenir compte de celle de 1905. De plus, la guerre impérialiste avait désarticulé un Etat russe déjà corrompu et maltraité.

    Les masses, la plupart d’entre elles encadrées dans l’armée et la marine, étaient armées et résolues à lutter jusqu’au bout. Dans de telles conditions, il ne fut pas très difficile de réussir à ce qu’elles retournent les fusils contre leurs oppresseurs.

    Une autre question se dégage de tout cela: une situation identique peut-elle se produire dans l’un ou l’autre pays de l’Europe Occidentale, de façon qu’elle offre au prolétariat la possibilité de concentrer ses forces jusqu’à s’emparer du pouvoir? Evidemment, on ne peut l’écarter absolument, même si cela nous semble bien improbable.

    Mais la stratégie révolutionnaire ne se confond pas avec un calcul de probabilités soumises, toutes, aux caprices du hasard; la révolution exige à chaque instant que l’on parte des conditions réelles, des expériences qui découlent quotidiennement de la lutte; elle n’est pas un ramassis d’expériences passées, ni non plus un jeu de devinettes.

    CE QUI EST FAUX ET CE QUI EST VRAI
    DANS LE NOUVEAU MOUVEMENT
    REVOLUTIONNAIRE D’EUROPE OCCIDENTALE

    Ce qui fait perdre la tête à monsieur Becker, c’est toute la série de perversions des principes consacrés qu’il voit dans les groupes et organisations révolutionnaires lorsque ceux-ci affirment, avec des ambitions démesurées, «qu’ils sont l’avant-garde de la lutte des classes, guidée par le marxisme-léninisme, et que leur but est la révolution et le communisme».

    En outre – se plaint-il, hystérique – « leur guérilla urbaine est définie comme l’expression pratique d’un véritable internationalisme».

    Et comble des combles, ce qu’il ressent comme un véritable sacrilège, une intromission intolérable dans les affaires de son église, c’est que quelques-uns de ces groupes ont commencé à «écrire sur la nécessité d’une nouvelle Internationale Communiste» et qu’ils voient dans le « Front de la Guérilla » une sorte de pas en avant dans cette direction.

    Eh bien, pour notre part, nous n’allons pas commettre la bêtise de prendre la défense de ce mouvement dans son ensemble, ni celle de toutes les conceptions politiques qu’il est en train de mettre en avant, de la même façon que nous n’approuvons pas toutes et chacune de ses actions; nous savons que dans ce mouvement convergent et combattent différents courants (et non pas rien qu’un monsieur Becker), parmi lesquels certains sont indiscutablement fort subjectivistes, anarchistes et même ouvertement nationalistes.

    Cela est toujours arrivé dans les mouvements en processus de formation.

    L’hétérogénéité et un bagage idéologique indéfini sont les caractéristiques qui définissent le mieux le mouvement d’ensemble actuel.

    De là découle le culte du spontanéisme et le rôle prépondérant que certains donnent à des actions armées dépourvues, bien des fois, de l’orientation politique claire que seul peut apporter un véritable parti marxiste-léniniste.

    C’est l’absence de tels partis dans la plupart des pays de l’Europe Occidentale qui a fait de ce mouvement un formidable bouillon de culture des idées et des conceptions bourgeoises et petites-bourgeoises les plus étranges.

    Mais, à moins d’être un parfait ignorant, qui oserait aujourd’hui nier qu’en son sein oeuvrent et livrent une incessante lutte politique et idéologique les seules forces saines, qui ne sont pas corrompues jusqu’à la moelle, les militants communistes honnêtes qui ont survécu à la débâcle « pro-chinoise » et « pro-albanaise » des années 60 et 70?

    Qui – à moins d’être un fieffé révisionniste ou pire… (en supposant qu’il existe une chose pire que celle-là) – oserait nier que ce mouvement, malgré son hétérogénéité, ou la rigidité que l’on y décèle d’autres fois, son romantisme exagéré, etc., ne représente pas un gigantesque pas en avant par rapport à ce mélange d’esthètes et de grimaçants?

    Il est inutile que monsieur Becker s’étende en considérations au sujet de «l’échec» de la «voie terroriste», comme si les «partis» qu’il représente nous offraient tous les jours la joie d’une révolution victorieuse; il est inutile qu’il s’emballe en faisant une abondante démagogie à l’aide des repentis, comme si dans les prisons d’Italie et d’autres pays il n’y avait pas des centaines de militants «purgeant» de très longues peines, subissant d’interminables tortures, parce qu’ils n’abjurent pas leurs idées révolutionnaires.

    En réalité, ce que Becker propose au nom du marxisme-léninisme n’est autre que le passage en masse de tous ces révolutionnaires et nombreux communistes du côté des repentis, du côté des délateurs et des collaborateurs de la police et de la réaction.

    Il essaie de cette façon de compléter le sale boulot que la bourgeoisie impérialiste, malgré tout son appareil répressif et de propagande, n’a pu et ne pourra jamais réussir.

    A aucun moment Becker ne défend la position marxiste, ni devant cette importante question, ni devant n’importe quel autre problème.

    Selon lui, il faudrait considérer comme un miracle qu’après les trahisons réformistes, qu’après l’apostasie d’autres et l’abandon de presque tout le reste, la crème de la jeunesse d’Europe, les jeunes les plus sagaces, les plus sains et intelligents, aient opté pour le communisme et soient occupés à en chercher le chemin.

    Il est en tout cas inutile de dire que ce miracle-là n’est pas dû à l’église de Becker, mais qu’il obéit plutôt à des causes tout à fait étrangères à son travail évangélisateur adverse, qu’il obéit – comme nous venons de le voir – à la force d’attraction que le marxisme-léninisme et le communisme exercent sur de plus en plus larges secteurs de travailleurs et de la jeunesse combative.

    Sur ce point, le doctrinarisme de Becker n’indique rien d’autre qu’un subjectivisme extrême.

    Pour lui, comme nous avons eu l’occasion de le constater au début de son article, il n’existe dans le monde que ce qui est blanc et ce qui est noir; ceci est ceci, cela est cela, ce sont des choses totalement différentes, sans liaison, sans rapport entre elles, et, plus important, sans qu’à l’intérieur de ceci ou de cela ne soit en train de se développer un processus de lutte, de changement ou de transformation.

    Les états de transition n’existent pas non plus pour monsieur Becker ; c’est-à-dire que pour lui une chose est comme elle est et ne peut se transformer en une autre différente.

    Qu’il existe au sein du mouvement révolutionnaire une lutte de tendances, cela, il ne peut ou ne veut pas le reconnaître, car pour lui les choses et les phénomènes n’existent qu’à l’état «pur», de façon statique.

    Cette méthode le dispense de rechercher les causes profondes et de séparer le bon grain de l’ivraie.

    Évidemment, il est beaucoup plus facile de tout fourrer dans un même sac étiqueté «terrorisme» et de le balancer par-dessus bord comme s’il s’agissait d’une meute de chiens enragés.

    En politique, cette conception idéaliste et sa méthode scolastique, métaphysique – dont monsieur Becker nous a déjà montré des échantillons suffisants – se traduisent par les plus grandes aberrations que l’on puisse imaginer.

    Mais laissons cette question et ce qui est signalé au début de ce paragraphe pour une meilleure occasion.

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  • PCE(r) : Au seuil des années 30

    [Document des années 1990.]

    par M. Queralt du PCE(r)

    La crise économique capitaliste a montré à nouveau son sinistre visage sous sa forme de toujours: avec le spectre de la récession qui, cette fois, comme le signalent beaucoup de voix autorisées et peu suspectes de ‘gauchisme’, conduira à une dépression généralisée.

     » L’exacerbation des déséquilibres mondiaux, la prééminence de la spéculation financière sur la production effective, l’épuisement des instruments monétaires et fiscaux antidépression, tout fait supposer que la prochaine récession pourra se transformer en une sévère dépression. Malgré la complaisance et l’optimisme des cercles officiels, nous pouvons nous trouver au seuil des années 30  » (A. Gunder Frank, économiste nord-américain).

    Les gouvernements et leurs mercenaires des moyens de communication impérialistes se sont pressés de baptiser ce spectre de la récession du nom de Saddam Hussein.

    Car voici qu’un militaire d’un pays qui est loin de compter parmi les puissances mondiales qui se partagent le gâteau dans le monde peut mettre fin d’un coup de pistolet à des années de  » prospérité « , et miner la pseudo-forteresse d’un système jusqu’à la réduite en miettes.

    Ce que personne ne veut reconnaître, c’est que longtemps avant le deux août les symptômes de la récession se trouvaient déjà là: le  » colosse économique américain  » avait déjà, dans les six premiers mois de l’année, un taux de croissance de 0,4%, c’est-à-dire une croissance purement technique, qui situe la croissance réelle à un zéro pointé.

    Le dollar était déjà en train de s’écrouler sur les marchés de dévises depuis plus d’un an.

    Quelque chose de semblable était en train de se passer dans presque tous les pays industrialisés les plus développés. La crise n’a rien à voir avec les hausses du prix du pétrole, puisque le pétrole était payé (et c’était une des raisons des  » bons résultats « ) à des prix déflationnistes, c’est-à-dire très au-dessous de sa valeur réelle.

    Si on avait prix en compte la dépréciation du dollar – monnaie dans laquelle on paie le pétrole – le prix du baril, calculé sur la base de son prix réel en 1980, aurait dû être de 60 dollars.

    On pourrait résumer le développement de la crise générale du capitalisme pendant les vingt dernières années en disant que quatre récessions se sont déjà produites, auxquelles il faut ajouter le krach boursier de 1987. Aucune des reprises qui ont eu lieu après chacune de ces récessions ou crises de surproduction n’a permis de recouvrer les forces existantes antérieurement, et chacune de ces récessions a été plus profonde, a duré plus longtemps et s’est plus étendue que la précèdente.

    La tendance à la baisse du taux de croissance est encore plus évidente si l’on considére l’économie capitaliste comme un tout. Les taux et les chiffres absolus d’augmentation du chômage, au cours de chacune de ces crises, ont augmenté par rapport à la précèdente.

    Dans les pays de l’O.C.D.E., le chômage a presque doublé d’une crise à l’autre (5 millions en 1967, 8 millions en 1970, 15 millions en 1975 et 33 millions en 1982). Dans le tiers-monde, le chômage s’est étendu à la plus de la moitié de la population à partir de 1979, alors que le problème de l’endettement entrait dans sa phase explosive.

    A partir de 1983 se produit une reprise apparente de l’économie qui a été acclamée comme s’il s’agissait d’un miracle. L’ére Reagan fut qualifiée la décennie de la sortie de la crise.

    Néanmoins, cette reprise avait une base très faible; le krach boursier de 1987 fut le premier signe avant-coureur de la banqueroute qui approchait, mais les gouverrnements et les banques centrales des pays les plus développés réussirent à combler le trou en injectant des doses énormes d’argent.

    Pendant la décennie de la  » reprise  » toutes les tendances négatives et les indices du niveau de l’économie réelle se sont présentés ou ont évolué de façon conjointe avec les tendances correspondantes dans la sphère financière, en particulier dans le domaine de la spéculation, ce qui s’est traduit par un déplacement des investissements réels et de la production à partir du moment où ils commençaient à ne plus être rentables.

    Malgré les politiques monétaristes appliquées pour restreindre la masse monétaire, les réserves monétaires furent multipliées par plus de dix pendant la décennie, le crédit se développa rapidement, la dette augmenta jusqu’à des situations alarmantes et les taux d’intérêts atteignirent des valeurs sans précèdent.

    Les tentatives financières, souvent spéculatives, pour compenser les tendances cycliques à la baisse de l’économie réelle dans la crise générale du système, ont eu un succès apparemment partiel; ce qui avait apparu apporter une solution à certains problèmes en a créé d’autres.

    Par exemple: le financement de la dette du tiers-monde, projeté pour maintenir le rythme de croissance des pays importateurs et des pays industrialisés exportateurs, avait produit une baisse drastique de la production réelle importée par les premiers et exportée par les seconds.

    C’est-à-dire que les pays sous-développés se trouvent dans l’obligation d’investir toutes leurs ressources dans le paiement du service de la dette, ce qui a provoqué une restriction maximale de la consommation des biens d’importation. A la suite de quoi, tant en Europe qu’au Japon, les taux de croissance se sont réduits; les USA ont cherché à freiner cette baisse en stimulant les dépenses militaires et en augmentant la dette financière spéculative.

    La crise nous offre un tel écheveau confus de données et de chiffres qu’il vaut mieux épargner la plupart d’entre eux au lecteur [à la lectrice] pour ne pas détourner son attention. Néanmoins, nous avons estimé qu’il fallait relever quelques unes de ces données, en particulier celles qui se réfèrent à la décennie reaganienne aux USA, parce qu’elles démontrent clairement l’incapacité du système à dépasser la crise permanente dont il souffre.

    Les données sur lesquelles se fondent les rapports officiels nord-américains pour démontrer la  » reprise économique  » aux USA, pendant la décennie qui vient de s’achever, sont la preuve la plus claire du fait que celle-ci a été totalement fictive. Les faibles investissements effectués l’ont été dans le secteur de l’équipement à court terme, et la création de nouveaux emplois a été restreinte au secteur des services, à ses niveaux les plus bas (type alimentation Mac Donald’s), ou à celui des industries liées à la guerre.

    L’administration yankee s’est endetté jusqu’aux limites de l’mimaginable, pendant un mandat présidentiel qui s’était proposer d’éliminer le déficit budgétaire et de réduire la dette extérieure.

    En moins d’une décennie, le déficit budgétaire américain cumulé est passé de 200 milliards de dollars à 2 trillions, ce qui, en 1985, représentait déjà 40% du PNB. La dette extérieure nord-américaine a énormément augmenté – en 1989 elle était déjà de 250 milliards de dollars – plaçant les USA, la première puissance économique du monde, au rang de principal pays débiteur du monde.

    Cette dette apparaît encore réduite par rapport à une autre encore bien plus importante, bien moins connue: il existe actuellement une accumulation estimée à 1,5 trillion de dollars entre les mains d’étrangers qui opèrent sur le marché européen ou dans d’autres pays.

    Cette somme équivaut à un an de biens et de services que les USA ont été capable de consommer ou de détenir sans les produire, ceci grâce à leur capacité d’émettre les dollars que le reste du monde avait besoin de posséder ou d’utiliser comme réserve ou moyen de paiement.

    Il est très peu probable que cette somme puisse être échangée contre des biens ou des services produits aux USA, qui n’exportent déjà plus que le dixième de ce qu’ils exportaient auparavant.

    La fameuse reprise de l’économie américaine s’est basée, essentiellement, sur l’augmentation de la dépense publique destinée à la politique d’armement (pendant l’ère Reagan, qui fut un  » temps de paix « , les dépenses militaires aux USA atteingnirent un chiffre qu’on ne peut plus écrire avec des zéros, 2 quadrillions de dollars!), elle a été fondée aussi sur le bas prix payé pour les produits importés des pays exportateurs de matières premières, mais, surtout, sur l’application d’une politique monétariste, dont les conséquences ont aggravé de façon dramatique les conditions de vie de millions de travailleurs aux USA.

    La réduction des coûts, des salaires et des services sociaux, la protection des profits des entreprises, la restructuration industrielle, la réorganisation du marché du travail – avec licenciements massifs et généralisation du sous-emploi – ont soutenu la  » reprise économique « , au bout de laquelle se dressait un tableau dantesque, comparable à la situation que subissaient les masses travailleuses au début du siècle.

    Dans tous les secteurs de l’industrie, la  » flexibilité  » s’est transformée en un élément-clef de la rentabilité.

    Le mot d’ordre du moment est le système de production flexible, dans lequel les produits répondent plus rapidement à la demande du marché, avec une quantité minimum de stocks et une production irrégulière, intégrée progressivement à des ordinateurs.

    Il s’agit de changements technologiques dictés par la logique de réduction des coûts.

    La production flexible, qui fut lancée par les Japonais, est déjà largement utilisée dans presque toutes les industries de haute technologie nord-américaines; elle exige que les travailleurs préparent les machines rapidement – accélérant ainsi la production – ainsi qu’une  » flexibilité  » dans l’engagement de la main d’oeuvre, etc.

    D’autre part, les industries de technologie moyenne ont eu tendance à engager des petites entreprises ou des sous-traitants, qui utilisent à leur tour de la main d’oeuvre temporaire, pour les travaux de routine qui peuvent être effectués par de la min d’oeuvre non qualifiée.

    Les grandes industries ont rompu tous les compromis sociaux avec ces travailleurs, qui sont facilement portés sur la liste des licenciés, piur être de nouveau engagés plus tard.

    De cette façon, nous nous trouvons avec des dizaines de millions de travailleurs employés temporairement, vingt millions de personnes travaillant à l’heure et parmi celles-ci dix millions sont privés de toute assurance.
    Naturellement, la réduction des coûts implique aussi une réduction des salaires, qui a été progressive pendant l’ère Reagan; en 1989, on évaluait à 8 millions le nombre de travailleurs recevant seulement le salaire minimum qui, compte tenu de l’inflation, se trouve au même niveau qu’en 1955.

    Mais il ya encore autre chose: les licenciements massifs exécutés par les grandes industries et la généralisation consécutive du sous-emploi ont porté à 25 millions le nombre de travailleurs dont les revenus sont très en-dessous du salaire minimum.

    Une partie de ces travailleurs vit dans la misère la plus absolue.

    Actuellement le nombre de pauvres aux USA – dont la population est de 235 millions – atteint le chiffre épouvantable de 50 millions de personnes, dont 20 millions (un Nord-Américain sur cinq) souffrent de la faim.

    Quant aux aides sociales, l’équipe reaganienne en a supprimé une bonne partie.

    Par exemple, en 1987, l’assurance sur le chômage n’a couvert que les 2/3 des travailleurs en chômage; la politique menée conseillait de diminuer les assurances-chômage pour obliger les travailleurs à accepter immédiatement d’autres postes de travail dans n’importe quelles conditions de travail.

    En ce qui concerne l’assistance sanitaire, l’éducation, etc., les chiffres concordent avec avec les autres données de la misère: 37 millions de Nord-Américains n’ont aucune assurance-maladie, la mortalité infantile aux USA se trouve au même niveau qu’au Bangladesh! 40% des jeunes sont semi-analphabétes; des millions de personnes survivent sous des cartons dans les rues ou dans les métros… « 

    Les sans-abris, déchets humains jetés par le système. Pire qu’à Calcutta. Voici le résultat du capitalisme le plus dur « , s’exclame un sociologue nord-américain, tandis qu’un autre, le professeur Bellah, dit indign « :  » La vie est terrible.Tout brûle devant les yeux des Nord-Américains transformés en Néron. Aucune société ne souffre d’autant de problèmes que la nôtre. Notre type de capitalisme est sauvagement destructeur « .
    Tels ont été quelques uns des  » excellents  » résultats de la  » reprise  » économique reaganienne.

    Grâce à eux, à la politique monétariste appliquée, la masse de l’argent, et par conséquent celle des crédits a augmenté; mais l’envol de la spéculation financière a aussi atteint ses propres limites en tant que solution des problèmes de l’économie réelle, et il s’est lui-même converti en un problème en soi.

    La cause fondamentale de la spéculation est la surproduction de marchandises ou, ce qui revient au même, l’énorme capacité de production excédentaire qui pèse sur la plupart des secteurs de l’industrie, et qui en même temps empêche une relance réelle de l’investissement productif, ce qui conduit irrémédiablement à la récession.

    La profonde crise économique qui se rapproche pourrait se présenter comme un iceberg: son sommet, la partie visible, serait constitué par les faillites bancaires et l’absorption – tant financière qu’industrielle – de petites entités par d’autres plus grandes, ce qui renforcera encore plus la concentration du capital monopoliste; sa partie immergée serait la crise financière et industrielle, et la mer qui entoure l’iceberg et qui le décompose serait la crise générale du système capitaliste.

    Nous devons à nouveau en revenir aux USA, non seulement en raison de leur poids spécifique dans l’ensemble de l’économie capitaliste mondiale, mais aussi parce que c’est là-bas, et peut-être pour cette même raison, que la crise est la plus mûre et a commencé à exercer ses effets. Les faillites bancaires ont déjà commencé en Amérique du Nord, où les Caisses d’épargne ont coulé à pic; leurs pertes cumulées pendant les 10 dernières années se montent à 700 milliards de dollars.

    Les bénéfices des banques des USA ont baissé de 52% le dernier trimestre; la banqueroute menace des centaines de moyennes et de petites entités de crédit qui, durant les dernières années, avaient accordé des prêts en cascade à des entreprises spéculatrices du secteur immobilier; les géants de l’industrie ont déjà annoncé une nouvelle restructuration de leurs entreprises (General Motors va fermer 38 usines aux USA et au Canada, en licenciant 37 000 ouvriers, tandis que Ford a décidé de supprimer 14 000 postes de travail).

    Les responsables de l’élaboration politique et économique, tendant à appuer la dernière reprise, avaient eu recours à des politiques antirécession qui, ayant déjà servi, ne sont plus viables aujourd’hui en tant qu’instruments pour affronter la récession qui vient de commencer.

    La croissance des dépenses publiques, l’augmentation du déficit budgétaire, les interventions sur le taux d’intérêt et sur la politique commerciale sont des mesures déjà inefficaces aujourd’hui, c’est pourquoi les pays industriels les plus développés, les USA en tête, ont déjà esquissé une politique d’ » ajustement  » similaire à celle que le Fonds Monétaire International (F.M.I.) avait imposée aux pays d’Amérique latine pendant la dernière décennie.
    Les politiques d’ » ajustement « , dont les conséquences pour les masses populaires seront encore plus dramatiques que celles qui leur ont été infligées par les politiques monétaristes, consistent dans la réduction, à n’importe quel prix, des déficits, des dettes extérieures, etc.

    Pour y parvenir, on planifie des réductions drastiques de budgets; on réduit les salaires réels jusqu’à des indices de misère (en y rajoutant la contraction du salaire indirect, représenté par les services publics, l’éducation, la santé, le logement, les retraites, etc.); on restructure à nouveau les industries, envoyant au chômage des millions d’ouvriers, on augmente les impôts indirects et, de cette façon, les prix des produits de base; on passe à une concentration plus forte du capital, en liquidant de nombreuses entreprises, en assujettissant les plus petites aux plus grandes, ou en les fusionnant entre elles; si c’est nécessaire, et pour proétger les exportations, on effectue une dévaluation de la monnaie nationale, etc.

    La conception des politiques d’ajustement part d’une vision très particulière de la crise, considérée comme une manifestation transitoire de  » déséquilibres extérieurs « , de distorsions dans le système productif intérieur, provoqués par des inteférences de l’Etat, par l’excès de dépenses publiques ou par des demandes sociales  » démesurées « .

    En réalité, ces politiques ont pour objet de  » braver la tempête « , en attendant le retour à la normale. Mais l’expérience montre que, au lieu de remplir la fonction d’un programme pour sortir de la crise, les politiques d’ajustement finissent par jouer le rôle de gestion de celle-ci, et leur caractère supposé transitoire se prolonge de façon indéfinie.

    C’est à ce moment qu’apparaissent sur scène les théories fascistes sur la société des  » trois tiers « , selon lesquelles un tiers de l’humanité est de trop, et qu’il faut donc l’éliminer par la famine, par la guerre, ou les deux à la fois.
    Nombreux sont déjà les pays capitalistes qui ont commencé à mettre en pratique une partie du programme d’ » ajustement « .
    Aux USA, on est parvenu à un accord pour réduire en cinq ans de 500 milliards le déficit budgétaire. Dans ce but on a déjà annoncé l’augmentation des impôts indirects et une nouvelle réduction des dépenses sociales beaucoup plus importante que celle qui avait été appliquée lors de la politique monétariste de Reagan (…).

    Les spéculations financières internes de presque tous les pays développés dépassent la production de biens et de services; le mouvement international des capitaux escède en valeur l’échange commercial réel dans une proportion de dix à un.

    La spéculation financière et le mouvement de capitaux se sont transformés en véritable facteur déterminant des taux de change, des taux d’intérêt, de la demande et de la distribution d’argent, des prix et, à travers tout cela, de la production et de l’emploi.

    Les taux de change et leurs flucutations correspondent presque toujours à des circonstances financières spéculatives plus qu’aux conditions réelles de la production ou du commerce, et au lieu de les corriger, ils étendent les déséquilibres commerciaux. Les politiques fiscales se montrent déjà impuissantes à corriger le moindre déséquilibre (…). « 

    L’interdépendance économique existant entre tous les pays, en particulier entre les pays capitalistes les plus développés… étant fondée sur la ‘liberté d’entreprise’, sur le ‘libre commerce’ et la non moins libre concurrence effrénée, ne permet pas un contrôle effectif sur les forces aveugles qui opèrent dans le marché; au contraire, elle accentue la lutte entre les monopoles des différents pays et opére, en fin de compte à la manière des vases communicants, d’une façon qui étend le mal rapidement de tous les côtés.

    La ‘coordination’ rencontre un obstacle insurmontable dans la nature privée du capital elle-même et dans l’anarchie de la production.

    De plus, la situation économique de chaque pays n’est pas identique à celle des autres et les objectifs de chaque Etat sont en général aussi différents, ou ils sont incompatibles avec ceux des autres; en outre, les mesures qui peuvent être prises pour contenir ou pallier les effets de la crise touchent de manière différente les intérêts de chacun de ces Etats.

    C’est pourquoi, au lieu des accords et de la coordination, ce qui se produit le plus fréquemment c’est la non-coordination et l’obstruction, qui se sont transformés en des méthodes les plus utilisés dans la lutte inter-impérialiste  » (Resistencia, revue du PCE(r), n°spécial, novembre 1987) (…).

    En général, tous les pays européens se trouveront aussi touchés par la récession, même s’il est évident que quelques uns d’entre eux sont mieux équipés que d’autres pour y faire face, ce qui n’est pas le cas de l’Espagne où se retrouvent toutes les conditions pour que cela éclate d’une façon virulente.

    Le  » miracle  » économique de l’oligarchie espagnole, dont se montrent si fiers les  » felipistes  » (Note: partisans du chef du parti socialiste ouvrier espagnol, Felipe Gonzales), a une base encore plus fictive que la fameuse reprise reaganienne.

    Les importants investissements étrangers (surtout yankees et japonais) réalisés dans notre pays ont servi à gonfler une bulle spéculative qu’un simple souffle d’air fera exploser de toutes parts (…).

    Les syndicats institutionnels, après avoir accepté le fameux pacte de  » compétitivité  » ou de surexploitation, vont centrer leur  » lutte  » sur la défense du  » pouvoir d’achat des salires « , pour y parvenir ils pactiseront et ils vendront les intérêts des travailleurs contre le triste plat de lentilles que la crise pourra leur offrir.

    Ils oublieront, comme ils l’ont fait dans les années passées, de défendre le poste de travail, de mettre fin à la  » flexibilité  » du personnel, d’améliorer les conditions de travail, etc.

    Que peuvent faire les travailleurs? Donner un coup de main à la bourgeoisie pour sortir de la crise? Nous sommes convaincus que même si l’oligarchie et son armée – comme ils l’ont fait plusieurs fois – les obligeaient à le faire par la force des baïonnettes, cela ne suffirait pas à sauver le système de la banqueroute et de la ruine inévitable

    Que peuvent faire les travailleurs? Donner un coup de main à la bourgeoisie pour sortir de la crise? Nous sommes convaincus que même si l’oligarchie et son armée – comme ils l’ont fait plusieurs fois – les obligeaient à le faire par la force des baïonnettes, cela ne suffirait pas à sauver le système de la banqueroute et de la ruine inévitable.

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