Le matérialisme dialectique et la torsion comme évaluation dialectique

Il a été compris que le concept de nexus était essentiel afin d’éviter de faire reculer la dialectique au niveau d’une simple dualité. Le nexus est l’aspect principal où les deux pôles de la contradiction agissent de la manière la plus forte, tant dans un sens positif qu’en un sens négatif. C’est « l’endroit » du phénomène où se conjugue la contradiction de la manière à la fois la plus forte et la plus faible, tant qualitativement que quantitativement.

C’est également, en un sens, le lieu du développement inégal des différents aspects de la contradiction.

Il a été considéré comme juste de voir le mouvement d’un phénomène comme se rapprochant d’une spirale. Un mouvement en spirale se rapproche ou s’éloigne d’un noyau central, et cela de manière toujours plus prononcée, toujours plus marquée.

Il n’y a pas de mouvement en ligne droite, un phénomène avance toujours plus vers le saut qualitatif ; lorsqu’il semble s’éloigner, il s’en rapproche en fait, ce que le mouvement en spirale reflète bien.

Aussi faut-il ici introduire le principe de torsion. Ce concept peut être très utile pour comprendre le mouvement dialectique.

En effet, il n’y a pas lieu de séparer le nexus de la contradiction dans son ensemble. Il n’y a pas un phénomène paralysé par deux pôles contradictoires, mais connaissant à un endroit en particulier une situation de tension.

Raisonner ainsi serait faire un fétiche du développement inégal et l’établir comme loi universelle en lieu et place de la contradiction.

Or, le développement inégal est une caractéristique de la loi de la contradiction, c’est une expression qualitative de l’existence quantitative des choses.

Par torsion, on peut considérer le principe suivant lequel une chose est travaillée par deux pôles, que la contradiction « force » à un mouvement dans une certaine direction.

Si l’on prend comme base le mouvement en spirale, on peut considérer que le mouvement spiralaire est induit par la contradiction interne, obligeant le mouvement à s’orienter dans une certaine « direction ».

Il faut dire s’orienter, et non pas se diriger, car se diriger serait unilatéral ; aucun phénomène ne peut se produire, s’établir, exister sous la forme d’une ligne droite.

Dire que l’on va manger et se mettre à manger n’est pas un mouvement en ligne droite, car il y a le phénomène de disposer de la nourriture. C’est vrai pour toute chose, tout phénomène. Il n’y a jamais de passage unilatéral d’un point A à un point B.

Pour cette raison justement, le principe de torsion peut être très utile, au sens où il peut permettre d’évaluer les processus selon leur degré de torsion. On peut dire par exemple que la torsion était à son comble en Russie au mois d’octobre 1917, qu’elle était relative seulement au moment du Front populaire en France en 1936.

La torsion s’établit lorsqu’on achète une pomme pour la manger, elle se développe lorsqu’on la mange, elle a abouti lorsqu’on a fini de manger la pomme.

Cette évaluation de la torsion, toutefois, présente une difficulté majeure. Il ne faut en effet pas raisonner de manière linéaire. On risque en effet de considérer la torsion au moyen de la dualité, au lieu de l’évaluer comme un processus en cours.

Comment peut-on évaluer un processus en cours ?

Karl Marx avait, dans ses notes sur les mathématiques, analysé justement le calcul différentiel. Il s’agit d’une méthode pour calculer un moment bien déterminé d’un mouvement général, c’est-à-dire pour disposer d’une photographie à un moment donné d’une tendance générale.

Si on s’inspire de cet apport de Karl Marx, alors on peut avoir l’idée que pour évaluer la torsion, il ne faut pas évaluer la contradiction en deux dimensions, mais en trois.

Voici ce que cela donnerait. Dans le premier cas, on poserait une grille où l’on estimerait l’importance de des deux aspects de la contradiction. On considérerait que telle ou telle zone serait « aux mains » d’un deux aspects et le degré de torsion s’évaluerait en fonction du rapport quantitatif.

On peut rapprocher cela du jeu chinois appelé Go, où on pose des pions justement pour tenter de maîtriser une zone, et le plus de zones possibles. Il y a également le jeu d’arcade Qix de 1981, où l’on trace des lignes en évitant des barres en mouvement afin de conquérir des zones.

Cette approche a sa part de validité, mais le souci est qu’elle récuse qu’il y ait un cours non linéaire de l’interaction entre les pôles de la contradiction. Elle ramène en fait à la dualité, à une opposition blanc-noir.

Il vaut mieux raisonner en trois dimensions, car là on échappe à la dualité, et la nature dynamique de la contradiction apparaît. On lit bien la torsion. Reste qu’il faut établir des critères pour la construction que l’on peut faire.

Il s’agit là bien entendu, dans le cadre d’une telle construction, d’une vue de l’esprit. Mais c’est justement là la science. La science permet de se rapprocher au plus près d’un phénomène. Comprendre les modalités d’un phénomène est la base même du matérialisme dialectique.

Un phénomène en cours implique une torsion, un déchirement interne, correspondant à la crise s’appuyant sur le nexus, l’aspect de la contradiction où les pôles se confondent et se rejettent de manière la plus nette.

On comprend bien ce dont on parle si on se souvient de ces moments où il ne fallait surtout pas agir, afin d’agir de manière réussie par la suite. Il s’agit ici de la maturation d’un phénomène.

Et qu’est-ce qui se passe inversement si on accompagne pas la maturation d’un phénomène ? Celui-ci se déroule quand même, mais en punissant ceux qui n’ont pas suivi le mouvement.

Chez les êtres humains, c’est cette fameuse « prise de conscience » de ce qu’on a « oublié » et qui constitue désormais des « squelettes dans le placard ». C’est une vie avec des fantômes qui attend ceux qui ne saisissent pas les processus dialectiques dans leur propre vie et qui ne savent pas évaluer la valeur et le sens d’une torsion dans un phénomène.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne a justement été en Chine populaire la généralisation de l’étude des contradictions, à tous les niveaux de l’existence, afin de faire avancer tant la vie sociale que sa vie personnelle.

La torsion est le principe même de transformation. Et tout comme pour le développement inégal, il ne remplace pas la loi de la contradiction, sans quoi on en reviendrait ici, non pas à la dualité, mais à « l’entéléchie » d’Aristote pour qui tout phénomène est défini par sa matrice originelle et cette matrice seulement.

Aristote avait bien vu que la contradiction est interne, seulement il la posait comme un « début » impliquant une fin bien déterminée ; il ne connaissait pas les interactions dialectiques, le développement inégal ni le caractère inépuisable de la matière.

Car aucune torsion ne pourra jamais être saisie de manière complète : elle s’insère dans un univers en oignon, consistant en la matière éternelle et infinie. Il y a toujours de la ressource pour la matière et la contradiction, et ce à l’infini.

La science ne s’arrêtera ainsi jamais, car il n’y a pas de science « pure » des torsions et il n’y en aura jamais. Ce serait une lecture unilatérale de ce qu’est le matérialisme dialectique, qui récuse toute démarche mécanique et « objectiviste ».

Le matérialisme dialectique est la participation au mouvement général de la matière, en tant que lecture matérialiste du caractère dialectique de la matière éternelle et infinie.

Le matérialisme dialectique et le nexus de la contradictioncomme point de transition du mouvement en spirale et ses cycles

La question de la transition est d’une extrême difficulté dans le matérialisme dialectique. En effet, puisque le mouvement et le statique s’opposent dialectiquement, comment considérer qu’ils établissent un rapport « constructif », « productif », pour permettre de franchir un cap ?

La difficulté est telle que cela a largement servi le révisionnisme, qui a prétendu avoir résolu le problème en affirmant que, dans les moments « créatifs », ce n’est pas un qui devient deux, mais deux qui deviennent un. Il y aurait une « unification » des contraires afin de faire avancer les choses, les phénomènes.

Lorsque les choses avanceraient, c’est qu’elles auraient « uni » leurs forces. Il y aurait annulation des différences afin de permettre d’avoir suffisamment d’énergie, d’appui, pour s’élancer.

C’est naturellement un piège anti-dialectique, qui derrière le mot d’ordre « l’union fait la force », sert à effacer les nuances, les différences, à neutraliser les contradictions, et cela au nom d’une hypothétique période intermédiaire, « productive », utile, nécessaire, etc.

A contrario du révisionnisme qui falsifie la vision communiste du monde, le matérialisme dialectique ne conçoit pas une « transition » comme une « réconciliation » de deux pôles contradictoires. Il considère la transition comme l’expression d’une contradiction et donc comme une séparation.

Au sens strict, la transition n’est qu’un aspect de l’affrontement entre le nouveau et l’ancien. Cela se produit à un niveau particulier, qui est d’une importance essentielle, qui établit l’aspect principal pour toute la chose, tout le phénomène.

C’est en ce sens qu’on peut parler de « transition ». Mais il existe pas de transition comme sas, moment isolé et séparé. En ce sens, le fameux propos de l’intellectuel italien Antonio Gramsci, figure majeure du communisme en Italie, est totalement erroné, anti-dialectique :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »

C’est là l’hypothèse d’une « transition » comme moment d’annulation des contradictions, comme on en trouve chez tous ceux qui rejettent le matérialisme dialectique et ne savent donc pas « lire » les contradictions. C’est cette même conception qui propose des « transitions » passer du capitalisme au socialisme en s’appuyant sur des moyens « magiques » comme l’éducation, les élections, le syndicalisme, les grèves, etc.

Comment faut-il voir les choses ? Quelle est cette contradiction qui exprime ce qu’est réellement une transition ?

Posons les choses.

Un mouvement est par définition à la fois continu et non-continu, autrement dit il n’y a pas de « moment » précis, statique, unilatéral où on sait qu’on passe d’une chose à une autre, d’une étape à une autre.

Or, il y a bien transformation : transformation d’un rapport sexuel entre un homme et une femme en enfant à naître, transformation du capitalisme en socialisme, transformation de la nourriture en éléments chimiques pour faire fonctionner le corps, etc.

On peut bien arbitrairement définir un moment clef pour annoncer un passage d’une étape à une autre, cependant cela n’aurait qu’une portée descriptive. On notera ici un aspect très important : une telle démarche arbitraire est la base de ce qu’on appelle la perversion.

Quelqu’un qui mange, mais se fait vomir immédiatement afin de ne pas grossir, a dans son imaginaire le fétiche que, puisque la nourriture est mangée, elle a été assimilée pour vivre, et qu’on peut donc s’en débarrasser en « trichant ».

Les hommes fascinés par les adolescents ou les adolescentes ont comme fétiche la transformation en adulte, considérée comme un « potentiel », une réalisation réalisée sans être réalisée encore. En ce sens, une société où les enfants et les adolescents s’habillent comme des adultes contribue à la confusion et laisse tendanciellement la porte ouverte aux fétiches.

Tout manquement à la compréhension matérialiste dialectique des choses, des phénomènes, aboutit en fait inévitablement à des fétiches, à des lectures « statiques », à une conception bornée.

Pour échapper à une telle erreur, il faut se tourner vers le mouvement en spirale.

Il est bien connu que le matérialisme dialectique souligne le mouvement en spirale, mais qu’entend-on précisément par là ? En effet, le concept a ici surtout été descriptif, pour indiquer que les choses ne vont pas en ligne droite.

Lénine utilise le concept de spirale de la manière suivante, en 1915, dans ses notes sur la question de la dialectique.

Il dit que si on regarde les choses avec une vision « immédiate », on s’imagine que les choses progressent en ligne droite. Mais en réalité, le progrès avance par bonds, avec des ruptures, des décrochages. Aussi vaut-il mieux parler de spirale.

Ce sont ceux qui ont intérêt à ce qu’on ait une vision bornée des choses qui insistent sur le concept de « ligne droite », afin de donner naissance à des fétiches auxquels on doit s’accrocher, afin que rien ne change, que tout reste pareil.

« La connaissance humaine n’est pas (ou ne décrit pas) une ligne droite, mais une ligne courbe qui se rapproche indéfiniment d’une série de cercles, d’une spirale.

Tout segment, tronçon, morceau de cette courbe peut être changé (changé unilatéralement) en une ligne droite indépendante, entière, qui (si on ne voit pas la forêt derrière les arbres) conduit alors dans le marais, à la bondieuserie (où elle est fixée par l’intérêt de classe des classes dominantes).

Démarche rectiligne et unilatéralité, raideur de bois et ossification, subjectivisme et cécité subjective, voilà les racines gnoséologiques de l’idéalisme.

Et la bondieuserie (=idéalisme philosophique) a, naturellement, des racines gnoséologiques, elle n’est pas dépourvue de fondement ; c’est une fleur stérile, c’est incontestable, mais une fleur stérile qui pousse sur l’arbre vivant de la vivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissance humaine. »

Regardons ce concept de spirale et voyons comment on peut en profiter de manière formidable. Une spirale, c’est une courbe qui s’enroule autour d’un axe. Cependant, une spirale cela peut également être une courbe qui s’enroule autour d’un axe… en s’éloignant ou en se rapprochant de cet axe, et ce à l’infini.

Dans ce dernier cas, une spirale est un mouvement en courbe où on se rapproche ou s’éloigne toujours plus d’un point fixe, d’un axe, et ce à l’infini.

Voici une représentation dessinée par le graveur Jost Amman et conçue par l’orfèvre humaniste allemand Wenzel Jamnitzer, pour l’ouvrage de 1568 Perspectiva corporum regularium (Perspective des corps réguliers).

La représentation a ici un seul souci : la spirale en trois dimensions parvient à un bout, à une extrémité. Il faut enlever ce bout, sans quoi on aurait une fin, et il faudrait un début, ce qui s’opposerait au principe de l’infini et on retomberait au « borné ».

Pourquoi ce mouvement en spirale est-il correct, dans son principe, pour représenter le mouvement ?

Il y a une série de points très complexes.

1. Le mouvement en spirale présente, entre ses différents niveaux de courbes, une différence de degrés. Plus on avance plus les courbes deviennent plus « petites », plus ramassées. C’est conforme à l’évolution quantitative. Il y a alourdissement, accélération, approfondissement, etc.

L’inverse est vraie : des courbes qui deviennent plus larges, plus grandes, représentent la dilatation, l’étalement, le développement, etc.

C’est la contradiction entre la qualité et la qualité qui s’exprime ici.

2. Le mouvement en spirale témoigne d’un processus en cours. Lorsqu’on se rapproche, ou bien lorsqu’on s’éloigne de l’axe, on le fait au fur et à mesure. Ce au fur et à mesure est ce qu’on appelle le temps ; le temps est produit par l’espace, par la matière infinie, qui est partout, qui est tout, et qui se transforme.

La notation de cette transformation, par contraste d’une transformation par rapport à une autre, est ce qu’on appelle le temps.

3. Le mouvement en spirale tend autour d’un point fixe, sans jamais l’atteindre. D’une part, c’est conforme au mouvement de chaque phénomène, qui est d’un côté fixe (comme le point), de l’autre en mouvement (comme la spirale).

Les contraires s’interpénètrent toujours ; il n’y a jamais de « réconciliation ». Rien n’est jamais statique, uni, unifié, unique, il n’y a jamais d’assimilation possible de la courbe et du point statique.

Le mouvement prime toujours sur la dimension statique – et la dimension statique est le squelette de la réalité, sans qui rien n’existerait, se dispersant dans le mouvement. C’est la matière qui est dialectique, pas la dialectique qui est matérielle.

En quoi ces points abordés aident-t-ils pour la question de la transition ?

Eh bien, si on raisonne sans le mouvement en spirale, on va bien saisir les deux pôles d’une contradiction. Cependant il y a un risque majeur : celui de basculer dans la dualité et non la dialectique.

C’est là où se situe précisément l’erreur à ne pas commettre. C’est l’erreur finalement inverse du révisionnisme. Le révisionnisme dit que deux deviennent un, qu’il y a réconciliation des contraires. La dualité est l’erreur qui fétichise les deux contraires dans leur pure opposition.

La dualité aboutit, somme toute, à concevoir que les contraires ne peuvent pas se convertir l’un en l’autre. Le reproche que fait finalement Mao Zedong à Staline, c’est précisément de remplacer parfois la dialectique par la dualité, et d’aboutir à des solutions mécanistes ou administratives.

C’est là que cela va aider pour mieux comprendre ce qu’est une transition. Si on part du principe que les contraires peuvent se convertir l’un en l’autre, alors, de par le développement inégal, il va nécessairement y avoir un aspect qui va devenir principal, par rapport aux autres aspects qui eux sont secondaires.
Rappelons ici que le développement inégal ne désigne pas du tout l’opposé du mouvement linéaire ; faire une telle erreur témoignerait d’une incompréhension complète du matérialisme dialectique. Le développement inégal concerne toujours plusieurs choses, plusieurs aspects, plusieurs phénomènes.

On ne peut donc pas dire d’une chose qu’elle connaît un « développement inégal ». Ce qu’elle connaît, c’est un mouvement non linéaire. C’est en son sein que se déroule le développement inégal, avec ses différents aspects. C’est également dans le rapport aux autres choses qu’il y a une situation de développement inégal.

C’est très important ici, car sinon on nierait le principe de différence. Le développement inégal est l’expression de la nuance, de la différence. C’est un rapport entre des choses – et ce n’est pas ce qu’on cherche ici, puisqu’on veut connaître la transition, qui se pose comme « non rapport » entre les choses, période intermédiaire.

Autrement dit, ce qu’on cherche ici, c’est de savoir comment déterminer une transition au sein du mouvement, mouvement que le matérialisme dialectique analyse comme ininterrompu et infini.

Comment alors trouver du fini dans l’infini, du statique dans le mouvement ? Et cela doit être un fini qui aille à l’infini, le statique qui aille au mouvement, car la transition aboutit à la chose suivant en venant de la chose précédente.

Il faut poser les choses comme suit. Dans la contradiction, les contraires se convertissent par moments l’un en l’autre.

Ce qu’on peut appeler alors « nexus », c’est le lieu où cette conversion s’exprime de la manière la plus marquée, où elle joue le rôle le plus avancé.

C’est le nexus qui est, dans une transformation, l’expression de la transition.

Et ce nexus est le point « statique » du mouvement en spirale, que le mouvement en spirale n’atteint jamais.

Ou bien, dit différemment : le nexus, c’est l’aspect d’une contradiction où, à la fois, on s’éloigne et on se rapproche le plus et le moins à la fois de l’ancien et du nouveau.

Prenons quelques exemples pour y voir clair.

a) Un homme et une femme se rencontrent et des sentiments naissent en eux. Ils vont former un couple. La transition entre leur position de célibataires avec des sentiments et le couple, c’est leur premier baiser.

La tension de cette transition du premier baiser expose parfaitement le nexus, où on s’éloigne et on s’approche de manière contradictoire à la fois du passé et de l’avenir.

Aller vers l’autre personne est une négation de soi, puisqu’on doit changer, et en même temps une affirmation car on va vers celui qu’on va être désormais.

Mais le mouvement amoureux s’appuie également sur une affirmation de soi, puisque c’est l’ancien soi qui éprouve un manque, ce qui aboutit à une négation puisqu’on va nier le manque en le faisant disparaître par la présence auprès de l’être aimé.

b) On a faim, c’est l’expression d’un besoin nutritionnel, qui s’exprime par une gêne corporelle. On mange pour répondre à cette contradiction qui est le besoin opposé au manque.

Quand on mange, on comble le manque. Le mouvement en spirale tend à satisfaire le besoin. Mais il ne pourra jamais le combler, car le besoin même satisfait redeviendra manque. Une fois qu’on a mangé, on sera obligé de manger de nouveau plus tard. Il y a conversion des contraires l’un en l’autre.

On mange pour éloigner la faim, mais en mangeant, on maintient le corps en fonctionnement et on va en même temps se rapprocher de la faim.

Et cette contradiction est le nexus de tout le système biologique humain. Sans alimentation, tout le reste du fonctionnement ne peut pas avoir lieu. La transition entre les différents moments de l’être humain a comme marqueur le repas. Cela explique au passage l’importance historique de ce moment particulier.

On notera qu’on découvre ici au passage le concept de cycles. Chaque cycle de l’alimentation se répète, mais il y a des nuances, des différences ; on ne mange pas pareillement bébé, enfant, adolescent, adulte ou comme personne âgée.

c) Un être humain passe de l’adolescence à l’âge adulte. Si on prend le mouvement en spirale, on ne peut pas réellement voir de frontière, de marquage de séparation.

Par les contradictions, on peut cependant en voir les contours fondamentaux : on passe à une certaine maturité, la croissance corporelle a cessé, l’ensemble des facteurs biologiques (notamment hormonaux) se sont stabilisés.

Dans ce faisceau de contradictions, il y a un point qui va être le nexus, car c’est en lui que la conversion des contraires l’un en l’autre est le plus marqué.

Quelles sont ces deux contraires ? Eh bien, c’est d’un côté le regard complété sur soi-même et de l’autre la reconnaissance du reste de la société qu’on intègre. C’est par l’insertion de l’être complet dans la société des adultes que la transition est complétée : c’est là le nexus.

Une cérémonie de la citoyenneté apparaît inévitable comme reconnaissance du processus ; en France, c’est traditionnellement le bac qui a joué ce rôle dans la seconde moitié du 20e siècle.

d) On distingue habituellement quatre saisons, avec le printemps auquel succède l’été, puis l’automne à laquelle succède l’hiver. Il n’y a pourtant, naturellement, pas véritablement cette succession mécanique, mais plutôt une contradiction entre la saison plutôt froide et la saison plutôt chaude.

Et comment se voit la transition de l’une à l’autre ? Par la durée des journées.

Celles-ci sont courtes en hiver et longues en été. C’est ainsi que la végétation, en général, sait comment se comporter, car elle interprète la durée de l’ensoleillement.

Pourtant, le changement n’est pas linéaire, mais se fait en spirale. Si le soleil se « couche » formellement plus tard un certain jour que la veille, il se peut très bien que ce jour les nuages obstruent la luminosité, alors que par contre la veille il y ait fait beau, et donc qu’il y a eu une durée véritablement plus longue de la journée.

Il y a pourtant un mouvement général, allant de plus de jour à moins de jour, puis inversement de moins de jour à plus de jour. On comprend évidemment que le nexus, la transition, se produit autour du 21 juin pour l’été et du 21 décembre pour l’hiver.

C’est le moment où se concentre la transition, passant d’un mouvement à l’autre, se transformant en son contraire. Le nexus est très facile à voir, de par le calendrier, avec véritablement cette sensation d’une fixation « statique », et d’un retournement.

C’est ce qui explique la place majeure accordée par l’humanité, dans les différentes parties du monde, au-delà des parcours différents, aux solstices d’été et d’hiver.

e) Une entorse de la cheville est une blessure. Au cœur de la contradiction entre la cheville et l’accident provoquant la blessure, le nexus est le processus inflammatoire : il est le moment de la transition entre la cheville blessée et sa guérison, l’expression de la phase de réparation.

L’inflammation, c’est la manière dont le corps humain apporte à un endroit précis les éléments nutritifs dont il a besoin pour se réparer. C’est la reconnaissance de la blessure, pour s’en éloigner ; on se rapproche et on s’éloigne de la blessure, en même temps.

On voit ici d’ailleurs combien la prescription d’anti-inflammatoires ne correspond pas à la compréhension du processus dialectique de la blessure puisque ces derniers visent à lutter contre un phénomène interne à la contradiction à la base même de la réparation.

Il est bien plus correct d’aider avec de la glace la circulation sanguine, accompagnant dans un premier temps l’apport des nutriments pris en charge par l’inflammation.

f) La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne représente une saisie de la question de la transition, parce qu’elle se fonde sur la compréhension que l’articulation générale des éléments composant la tradition s’appuie sur un aspect principal.

Toutes les phases de la GRCP tiennent à des combats portant précisément sur le nexus, qui varie selon les moments et qu’il s’agit de retrouver pour agir à bon escient. La GRCP commence ainsi par une critique théâtrale, pour porter ensuite sur les universités, la division du travail, la cosmologie, les mathématiques, le prétendu culte du génie, etc.

Les succès ont tenu à l’identification du nexus et au calibrage adéquat pour œuvrer à ce niveau.

g) Lorsque le mode de production capitaliste s’est élancé en Europe occidentale, la vision du monde féodale en a été ébranlée jusque dans ses fondements. La bourgeoisie a entamé une lutte à mort avec le féodalisme et l’aristocratie qui le portait, et donc avec la vision du monde féodale, dont la religion catholique romaine était l’expression la plus aboutie.

Mais en France, de par l’échec du calvinisme, la transformation est passée par un détour, celui de la monarchie absolue, du rationalisme des Lumières, de l’adaptation du catholicisme (dissidence augustiniste encore a appelée jansénistes, catholicisme social, etc.).

Le paradoxe historique est que ni l’aristocratie, ni l’Église catholique n’ont été réellement éliminés, avec leur survie au-delà de la période historique où leur rôle était central. Cela a joué de manière significative, par la perversion de certains éléments allant dans le sens du progrès bourgeois.

D’où l’impression parfois d’une époque embrouillée où l’on ne sait pas où sont les éléments décadents et où sont les éléments progressistes. Tel religieux catholique a pu apparaître très à l’avant-gardiste pour son époque, tel penseur des Lumières peut apparaître d’une totale décadence sur certains points en particulier.

Autrement dit, parce que historiquement, la tendance va à l’écrasement du féodalisme et donc des forces qui le portent, mais qu’en même temps, chacun des éléments de la société française d’alors se place à tout moment dans le nexus plus ou moins en alignement sur cette tendance, qui allait inévitablement à la Révolution.

La tension entre l’implacabilité du mouvement historique sur le plan de la matière et l’extrême diversité des éléments composant la société humaine et l’instabilité de leur trajectoire, en raison des différences de développement de la conscience, rend la compréhension du processus à la fois tendanciellement net, mais circonstanciellement buissonnant et presque illisible en apparence.

Tous ces exemples indiquent bien que c’est la question de la vision du monde qui est ici centrale. Elle découle fondamentalement de l’assimilation de cette notion de nexus, dans le sens où la vision du monde est produite par le nexus et permet de saisir le prochain.

Le matérialisme dialectique accomplit une transition absolument fondamentale, un pas vers un alignement de sa conscience avec le Cosmos comme matière éternelle en mouvement.

Cette compréhension heurte paradoxalement précisément la conscience humaine dans son mouvement même au sein de la matière. La conscience humaine est en effet finie, par opposition à l’univers, qui lui est infini.

C’est ce qu’on appelle l’Histoire qui se trouve ici bouleversée de manière fascinante et même vertigineuse : cela ouvre ni plus ni moins que la question du rapport relatif de la conscience humaine au temps, en termes de perception sensible.

La compréhension bourgeoisie de l’Histoire, désormais dépassée, se focalise sur le foisonnement circonstanciel, pour tenter de mettre en avant un pseudo-aspect imprévisible de l’Histoire, où la volonté humaine aurait un espace, exprimé par des acteurs plus ou moins conscients de leur rôle. La compréhension bourgeoise se résume ainsi en matière d’Histoire très logiquement à des séries d’explication de problèmes bien circonstanciés.

La compréhension prolétarienne de l’Histoire met à l’opposé la compréhension face à l’explication elle-même, en affirmant le caractère central de la transformation. Le matérialisme dialectique se fixe sur la tendance générale, avant d’aborder la déclinaison particulière.

En même temps, il affirme qu’il y a dans la déclinaison particulière une affirmation de la tendance générale – mais il n’en fait pas un fétiche, ayant connaissance du développement inégal des choses, des phénomènes au sein d’un processus général.

Les nexus dans le développement historique de l’Humanité peuvent être en fait plus ou moins longs, plus ou moins denses, plus ou moins localisés ou circonscrits, et donc s’inscrire dans la suite d’une séquence plus ou moins marquante, imprimant par écho le rapport au nexus lui-même et déterminant la capacité à le percevoir. C’est là que se forme l’avant-garde.

De la même manière dans toutes les sciences en général, la compréhension du nexus est fondamentale pour saisir l’affrontement entre l’ancien et le nouveau, leur jonction et leur affrontement, leur combinaison et leur séparation.

En ce sens, on peut affirmer que la Révolution, c’est la mise à jour, ou mieux l’éducation au sens strict de l’élévation, que l’Humanité engage pour se réaligner sur la réalité matérielle et son mouvement.

Comprendre le nexus c’est saisir la transition comme point le plus proche et le plus éloigné allant de l’ancien au nouveau ; c’est là où la contradiction exprime sa tension la plus grande.

C’est ce qui explique la situation traumatisée de l’humanité actuelle, engagée profondément dans le nexus qui doit réaligner l’Histoire de l’Humanité avec le mouvement du Cosmos, et pourtant sans compréhension encore des nécessités historiques, alors que ce nous vivons, c’est la fin de l’Histoire de l’Humanité et le début de la Compréhension du Cosmos, en tant que composante active de celui-ci.

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Vive le 1er mai 2023, vive la révolution mondiale contre la guerre impérialiste de repartage du monde!

Réchauffement climatique, pandémie, guerre en Ukraine avec l’affrontement sino-américain à l’arrière-plan, inflation et chute relative du niveau de vie, effondrement de la culture et de l’éducation… La période historique que nous vivons est particulièrement troublante et provoque une anxiété à l’échelle de l’ensemble des sociétés occidentales.

Tout le monde sent bien que le monde se transforme, mais personne ne saisit objectivement l’ampleur du désastre. Subjectivement, les réactions consistent donc en le déni, la fuite en avant dans la consommation, le repli identitaire et communautaire, le soutien aux menées militaristes de l’OTAN, le retour des illusions sociales-réformistes. Il est simplement espéré que les choses restent comme elles sont, le plus longtemps possible.

Nous appelons à regarder les choses avec le sérieux et une attitude scientifique, ce que permet le matérialisme dialectique appliqué à l’Histoire. Car la période historique actuelle est lourde de significations.

C’est en effet l’hégémonie des pays capitalistes occidentaux, avec à sa tête la superpuissance impérialiste américaine, qui est remise en cause. La superpuissance impérialiste chinoise cherche à avoir le dessus. Elle cherche à entraîner dans son sillage de nombreux pays qui se sont développés à l’ombre des pays occidentaux : la Russie, la Turquie, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Mexique, l’Arabie Saoudite…

Certains en Europe, notamment en Belgique et en France, s’imaginent qu’un tel phénomène, s’il connaissait le succès, permettrait d’atténuer le capitalisme, de modifier dans un sens positif les rapports entre les pays sur les plans économiques et politiques. C’est faux : en réalité, nous allons à un affrontement entre blocs. C’est une bataille pour le repartage du monde !

Afin de surmonter la terrible crise qui a émergé avec la pandémie, les capitalistes vont à la guerre. C’est parce que nous l’avons compris que nous avons annoncé plus de six mois avant son déclenchement l’affrontement militaire entre la Russie et l’Ukraine. Et de tels conflits vont devenir de plus en plus nombreux, jusqu’à révéler ouvertement la bataille ouverte pour l’hégémonie entre les superpuissances américaine et chinoise.

L’Histoire du monde est actuellement la course à la guerre sino-américaine pour l’hégémonie mondiale. Et il n’existe pas encore ce qui forme, dialectiquement, son contraire : le mouvement des masses mondiales pour leur libération, c’est-à-dire la révolution mondiale.

Car, effectivement, les masses mondiales s’agitent et l’hégémonie des pays impérialistes occidentaux est insupportable. Mais seule la révolution mondiale – et non la superpuissance impérialiste chinoise – représente leurs intérêts. D’où la nécessité, dans chaque pays, d’une affirmation communiste marxiste-léniniste-maoïste, sous la forme du Parti, comme fraction politique du prolétariat international.

Le présent appartient à la course effrénée à la guerre impérialiste, mais l’avenir est à la révolution mondiale ! Guerre populaire pour le Communisme !

1er mai 2023

Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique
Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

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Résolution du Comité Exécutif relative à la dissolution de l’Internationale Communiste

datée du 15 mai 1943, rendu public le 22 mai 1943

La mission historique de l’Internationale Communiste lors de sa création en 1919 consistait, face à la banqueroute des vieux partis de la classe ouvrière, à sauver les principes du marxisme de la déformation et de la falsification par les éléments opportunistes du mouvement ouvrier, à unir dans de véritables partis ouvriers l’avant-garde de la classe ouvrière de tous les pays, à mobiliser les masses travailleuses pour la défense de leurs intérêts économiques et politiques, pour la défense contre le fascisme se préparant à la guerre et la défense de l’URSS particulièrement visée par les machinations guerrières du fascisme.

L’Internationale Communiste a dévoilé à plusieurs reprises la vraie signification du pacte anticomintern comme instrument de la préparation de la guerre par les fascistes hitlériens. Longtemps avant la guerre, elle a démasqué les infâmes menées politiques des fascistes hitlériens dans les divers pays, menées que ceux-ci essayaient de camoufler en accusant l’Internationale Communiste d’immixtion dans les affaires intérieures des autres pays.

Mais déjà avant la guerre, il devenait plus évident de jour en jour que, devant la complication de la situation nationale et internationale de chaque pays, la direction des forces ouvrières par un seul centre international rencontrait des difficultés insurmontables.

Les profondes divergences dans le développement historique des divers pays, le caractère hétérogène et souvent même contradictoire de leurs institutions politiques, la diversité dans la cadence de leur développement social et politique, les différences dans les degrés de conscience de classe et de l’organisation de la classe ouvrière dans chaque pays, posent pour chaque pays d’autres tâches et d’autres devoirs.

Les vingt-cinq années écoulées et l’expérience de l’Internationale Communiste ont montré de façon irréfutable que la forme d’organisation de l’Association Internationale des travailleurs, telle qu’elle avait été décidée par le premier Congrès de l’Internationale Communiste pour la période de début de reconstruction du mouvement ouvrier international, s’est révélée de plus en plus surannée en face de la croissance des partis communistes nationaux dans les différents pays et cela à cause de la complication de la situation et elle est même devenue un obstacle au développement des partis ouvriers nationaux.

La guerre mondiale déclenchée par Hitler a encore accentué les différences et a créé un profond abîme entre les pays de dictature fasciste et les peuples libres réunis dans la coalition anti-hitlérienne.

Tandis que dans les pays du bloc hitlérien les ouvriers et les masses travailleuses ont pour tâche de préparer de toutes leurs forces la défaite de leur État, de saper de l’intérieur la machine de guerre hitlérienne et d’abattre leurs gouvernements fauteurs de guerre, les masses travailleuses de la coalition anti-hitlérienne ont le devoir sacré de soutenir de toutes leurs forces les efforts de guerre de leurs gouvernements afin d’écraser le plus tôt possible les puissances fascistes et d’assurer l’égalité des droits de tous les peuples.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que, dans certains pays, les antifascistes ont des tâches particulières. Ainsi, dans les pays occupés par les fascistes hitlériens, les ouvriers et les masses travailleuses ont comme tâche l’organisation de la lutte armée contre l’occupant et sa transformation en guerre de libération nationale.

En même temps, l’union des plus larges masses populaires sans différence de parti, dans la lutte aux côtés des pays de la coalition anti-hitlérienne, a montré que l’essor national et la mobilisation des masses par l’avant-garde ouvrière dans chaque pays peuvent être réalisés de la meilleure façon dans le cadre de chaque État en particulier.

Déjà, le VIIe Congrès de l’Internationale Communiste, en 1935, avait tenu compte de cette évolution, en relevant la nécessité d’une plus grande souplesse et indépendance des différentes sections de l’Internationale, en soulignant la nécessité pour l’Internationale de tenir compte dans ses décisions des conditions concrètes et des particularités de chaque pays et en décidant d’éviter, en règle générale, l’intervention directe des organes dirigeants de l’Internationale dans les questions d’organisation intérieure des différents partis communistes.

Sa basant sur ces considérations, l’Internationale Communiste a pris note et agréé, en novembre 1940, la demande du parti communiste des États-Unis de quitter l’Internationale Communiste.

Les communistes, fidèles aux enseignements des créateurs du marxisme-léninisme, n’ont jamais été partisans du maintien, à tout prix, des formes d’organisation périmées. Ils ont toujours subordonné les formes d’organisation et les méthodes d’action aux intérêts politiques fondamentaux de l’ensemble de la classe ouvrière et aux particularités concrètes de la situation historique donnée ainsi qu’aux tâches qui en découlent.

Ils se rappellent l’exemple de Karl Marx qui, après que l’Association Internationale des Travailleurs eut rempli ses tâches, ayant comme résultat la création de partis ouvriers nationaux de masses, n’a pas hésité à dissoudre cette première internationale.

Partant de toutes ces considérations et tenant compte du fait de la croissance et de la maturité politique des partis communistes et de leurs cadres dirigeants dans la plupart des pays, et considérant que les conditions de la guerre actuelle mettent à l’ordre du jour la dissolution de l’Internationale Communiste comme centre dirigeant du mouvement ouvrier, le Présidium du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, empêchée par les circonstances créées par la guerre mondiale de convoquer un congrès mondial, se permet de soumettre aux sections de l’Internationale la proposition suivante :

« L’Internationale Communiste comme centre dirigeant du mouvement ouvrier international est dissoute et les sections déliées de leurs obligations créées par le statut et les décisions des congrès de l’Internationale Communiste. »

« Le Présidium du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste appelle les adhérents de l’Internationale Communiste à mobiliser toutes leurs forces pour le soutien et la participation active à la lutte pour la libération des peuples et des Etats, pour l’écrasement rapide des fascistes hitlériens, de leurs alliés et vassaux. »

Le Présidium du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste

G. Dimitrov

O. Kuusinen

M. Ercoli

D. Manouilsky

W. Florin

A. Marty

K. Gottwald

W. Pieck

V. Kolarov

M. Thorez

J. Köplenig

A. Jdanov

Ont également signé : Bianco (Italie), Lekhtinin (Finlande), Anna Pauker (Roumanie), Mathias Rakosi (Hongrie)

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L’obsession juridique et la constitution juive du monothéisme primitif

Le judaïsme est une religion principalement juridique, exactement comme dans l’animisme cosmique. Le judaïsme conserve l’obsession pour les règlements, l’observance de ces règlements, etc.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’obsession du judaïsme pour la pureté. Il y a là un rapport direct entre les rituels du judaïsme, et ceux des cultes de l’animisme cosmique.

Toute l’histoire légendaire du sacrifice par Abraham de son fils Isaac, que Dieu (Élohim) lui ordonne avant de métamorphoser le sacrifice demandé en sacrifiant un animal pourrait être tout aussi bien assumé par n’importe quel autre culte de l’animisme cosmique, y compris même le refus à la dernière minute du sacrifice humain.

On retrouve par exemple un récit tout à fait semblable dans la mythologie grecque, avec la tentative de sacrifice de Phrysos (dont le nom dérive de celui de bélier en grec) par son propre père.

Et jusqu’à aujourd’hui, la tradition juive veut que pour Yom Kippour, on fasse pratique de « l’expiation » en faisant… tourner un poulet au-dessus de sa tête, avant qu’il ne soit tué ! La prière dit à cette occasion dit :

« Voici mon double, voici mon remplaçant, voici mon expiation. Puisse ce coq ou cette poule aller à la mort pendant que je m’engagerai et continuerai une vie heureuse, longue et paisible. »

On est là très clairement au niveau de l’animisme cosmique. On voit le degré d’interprétations que les rabbins sont obligés d’atteindre pour maintenir un tel édifice religieux en équilibre.

Le judaïsme, comme animisme-cosmique avancé ne peut être en réalité être poussé complètement au monothéisme, il ne peut qu’y dériver de manière tendancielle, de par l’impossibilité de se couper de sa base même.

Alors il se tourne vers l’obsession de ses propres interprétations et réinterprétations, se condamnant à un effondrement toujours recommencé, tout en maintenant toujours possible une nouvelle lecture, conforme aux exigences des temps. Cette formidable tragédie dialectique offre une base à son propre dépassement, et c’est bien ainsi que le monothéisme chrétien, comme rupture historique assumée, s’est élancé depuis le judaïsme et depuis le judaïsme seulement.

La dimension juridique en témoigne. Le monothéisme chrétien, s’il réalise des normes, n’est absolument pas systématique dans chaque moment du quotidien comme le judaïsme, qui en reste aux exigences de l’époque de l’animisme cosmique.

Cela ne se voit pas chez les pratiquants prenant une distance inavouée. Aujourd’hui, le judaïsme considère que chacun décide dans quelle mesure il sera pratiquant en tant que tel, qu’il n’y a pas à juger ce choix. C’est là une réinterprétation libérale propre au capitalisme ; le judaïsme a largement emprunté son style au protestantisme.

Mais sinon c’est un véritable catalogue sans fin de règles allant jusqu’à l’ordre pour lacer ses chaussures.

Car le judaïsme, dans ses fondamentaux, n’a pas d’espace pour un tel libéralisme sur le plan de la pratique. Le judaïsme exige la pratique de la religion parce que la pratique est avant tout la conformité aux préceptes juridiques.

Elle est même cela uniquement. Peu importe de croire ou pas, il faut suivre les règles. Peu importe qu’on croit ou pas du moment qu’on fasse le Shabbat : telle est la conception dominante.

Et ces préceptes juridiques sont en adéquation complète avec le « Dieu » qui est ici le même que celui de l’animisme cosmique. Manger cacher n’est pas simplement une exigence, c’est une mise en conformité. Porter une kippa, c’est montrer sa soumission. La circoncision est une marque de l’alliance effective avec le dieu tutélaire. Toutes les fêtes répondent à des périodes de l’année, qui reviennent cycle par cycle.

La dimension cyclique du judaïsme doit tout à l’animisme cosmique.

C’est très important, car le monothéisme chrétien, le réel monothéisme, fait disparaître toute conformité juridique avec un Dieu-univers.

Cette dimension anti-juridique du monothéisme est fondamentale ; en voici un exemple significatif avec ce que raconte Paul, la figure majeure du christianisme, dans l’Épître aux Galates :

« Je leur exposai l’Évangile que je prêche parmi les païens, je l’exposai en particulier à ceux qui sont les plus considérés, afin de ne pas courir ou avoir couru en vain (…).

Sachant que ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru en Jésus-Christ, afin d’être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la loi, parce que nulle chair ne sera justifiée par les œuvres de la loi.

Mais, tandis que nous cherchons à être justifiés par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, Christ serait-il un ministre du péché? Loin de là!

Car, si je rebâtis les choses que j’ai détruites, je me constitue moi-même un transgresseur, car c’est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu.

J’ai été crucifié avec Christ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi.

Je ne rejette pas la grâce de Dieu; car si la justice s’obtient par la loi, Christ est donc mort en vain. »

Et Paul de souligner que c’est la fin de cette dimension juridique qui est la base du caractère universel du monothéisme :

« Si l’héritage venait de la loi, il ne viendrait plus de la promesse; or, c’est par la promesse que Dieu a fait à Abraham ce don de sa grâce.

Pourquoi donc la loi? Elle a été donnée ensuite à cause des transgressions, jusqu’à ce que vînt la postérité à qui la promesse avait été faite; elle a été promulguée par des anges, au moyen d’un médiateur.

Or, le médiateur n’est pas médiateur d’un seul, tandis que Dieu est un seul.

La loi est-elle donc contre les promesses de Dieu? Loin de là! S’il eût été donné une loi qui pût procurer la vie, la justice viendrait réellement de la loi.

Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce qui avait été promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croient.
Avant que la foi vînt, nous étions enfermés sous la garde de la loi, en vue de la foi qui devait être révélée.

Ainsi la loi a été comme un pédagogue pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi.

La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce pédagogue.

Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ;

vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.

Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »

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Dieu, le messie, le début et la fin du monde dans la constitution juive du monothéisme primitif

Maïmonide (1135-1204) est l’une des figures les plus importantes du judaïsme. Il a formulé treize principes de foi qui sont largement reconnus dans le judaïsme, pourtant totalement fragmenté.

Ce qu’on lit est absolument frappant et tout à fait conforme à l’idée de bricolage d’un dieu tutélaire mixé avec le dieu-univers. Il n’y a aucune dimension métaphysique, aucune focalisation sur Dieu pourtant être absolu.

On apprend seulement que Dieu est loin (dieu-univers) et qu’il a fourni des messages par Moïse (dieu tutélaire). C’est un simple appareil pour justifier la « loi orale » des rabbins, qui est ici tout simplement « oublié » !

« 1- Que le Créateur, béni soit Son nom, est le seul créateur et le seul guide du monde.

2- Que le Créateur, béni soit Son nom, est unique.

3- Que le Créateur, béni soit Son nom, ne possède aucun corps, ni aucune forme corporelle.

4- Que le Créateur, béni soit Son nom, est le Premier et le Dernier.

5- Que le Créateur, béni soit Son nom, est l’unique objet de nos prières, et nul autre.

6- Que les propos des Prophètes sont vérité.

7- Que la prophétie de Moïse, notre maître, sur lui la paix, est vraie, qu’il est et reste le père de tous les prophètes.

8- Que la Torah que nous possédons est celle transmise à de Moïse, notre maître, sur lui la paix.

9- Que cette Torah ne sera pas changée contre une autre loi ou doctrine.

10- Que le Créateur, béni soit Son nom, connaît l’œuvre de l’Homme et ses pensées secrètes.

11- Que le Créateur, béni soit Son nom, récompense le juste et punit le méchant.

12- Que le Messie (Machiah) viendra, et bien qu’il tarde à venir, je crois en sa venue.

13- Que les morts ressusciteront, selon la volonté du Créateur, béni soit Son nom. »

On notera la question du Messie. Ce thème est inévitable pour des Juifs ayant combiné le dieu tutélaire au dieu-univers afin d’espérer un renversement de situation historique. La construction étant artificielle, il faut un mythe pour permettre un équilibre : c’est l’arrivée hypothétique d’un messie.

De manière notable ici, le messie est un thème systématique du judaïsme, mais il n’est absolument jamais approfondi ni pris en considération. C’est un objet virtuel pour faire tenir l’édifice, cela est absolument clair.

C’est même tellement clair que le messie sera un simple humain, qui rétablira le royaume et le Temple. Le Dieu juif est tellement « bloqué » dans sa définition qu’une intervention divine dans la réalité n’est même pas concevable.

Maïmonide dit ainsi que :

« Le Roi oint (Melekh HaMashia’h) est destiné à se lever et restaurer le royaume Davidique dans son antique et première souveraineté. Il construira le Temple de Jérusalem et rassemblera les égarés d’Israël.

Toutes les lois reprendront vigueur en ses jours comme avant : les offrandes sacrificielles seront offertes et les années sabbatiques ainsi que les Jubilés seront tenus, en accord avec tous les préceptes mentionnés dans la Torah. »

La seule autre option, c’est la reconnaissance de Jésus-Christ. Et ce qui caractérise le judaïsme, c’est précisément le refus de voir en Jésus le « Fils de Dieu », « Dieu » lui-même.

Si c’est absolument inconcevable pour les Juifs, c’est qu’ils en restent à la conception de l’animisme cosmique d’un Dieu inéluctablement transcendant, avec qui aucun « lien » ne peut être tissé. Et cela, même si paradoxalement leur dieu tutélaire a pris les traits de ce dieu-univers !

Même le messie ne peut donc rien porter de divin. Le Dieu des Juifs relève encore et toujours de l’animisme cosmique, il consiste en l’univers, le mouvement de l’univers ou plus exactement l’énergie de l’univers. Il reste le Manitou amérindien, le Brahman du brahmanisme, le Teotl aztèque, etc.

Cela se voit, à ce niveau, avec l’absence de fin historique. C’est un aspect particulièrement frappant.

L’animisme cosmique considère toujours que le monde matériel accompagne l’existence d’un Dieu-univers absolu et « énergétique ». Il peut donc y avoir des catastrophes d’ampleur mondiale, mais le flux est continu et il ne saurait pour cette raison y avoir de fin du monde.

Le christianisme, comme monothéisme accompli, souligne forcément, à l’inverse la fin du monde.

Le judaïsme, comme monothéisme primitif, reste lié sur ce plan à l’animisme cosmique. La fin de temps ne change strictement rien à la nature du monde. Le messie arrive, Israël est rétabli sur son territoire historique et se voit accorder une reconnaissance mondiale, et les choses continuent comme avant, même si désormais dans la « paix » divine marquée par l’harmonie et la prospérité.

C’est là qu’on voit que le monothéisme juif n’est pas complet. Il y a bien un début, mais il n’y a pas de fin. Il y a bien un début comme le monothéisme, mais il n’y a pas de fin tout comme dans l’animisme cosmique.

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La clef du monothéisme juif : la chronologie

Il faut établir d’une part la clef du monothéisme juif et, d’autre part, vérifier ensuite si cette clef est juste en regardant le judaïsme lui-même. La première chose est donc de regarder les modalités historiques pour voir la dialectique à l’œuvre.

Selon la Bible, les Juifs arrivés en Terre promise sont divisés en tribus et ont perdu la Loi donnée par Dieu par l’intermédiaire de Moïse. Elle explique que les Juifs connaissent alors des troubles en raison de la non-observance de la loi de Moïse, tout en étant dirigés par des chefs de guerre, des « juges ».

En réalité, les Juifs n’avaient pas encore « reçu » cette loi, bien évidemment. Il s’agit là d’une reconstruction théologique a posteriori. Et les « juges », ce sont simplement les dirigeants des clans et tribus.

Rappelons ici au passage qu’il n’y a aucune trace archéologique de l’esclavage des Juifs en Égypte. Qui plus est, la Terre promise était justement à l’époque une province égyptienne, ce que la Bible « oublie » de mentionner.

Fresque avec Moïse et le buisson ardent, synagogue de Doura Europos, Syrie, milieu du 3e siècle

Ce qui s’est passé, c’est que des populations locales, avec éventuellement une immigration, ont connu une centralisation typique de cette période de l’histoire. Les douze tribus d’Israël étant toujours mentionnées, sans doute s’agissait-il d’ailleurs d’une entité fédérative.

Pour qu’elles aient pu se fédérer, l’Égypte a dû perdre le contrôle de la zone, ou faire avec pendant au moins un temps.

Ce processus d’unification est présenté par la Bible de la manière suivante : Dieu « accorde » une monarchie aux Juifs, afin qu’ils soient comme les autres peuples, et non plus simplement divisés et dépendant des « juges ».

Il est prétendu que Dieu choisit le roi. C’est là sans doute une nécessité symbolique pour que l’ensemble des tribus donne son aval. On parle vraisemblablement par ailleurs du dieu-univers : le roi était choisi par les tribus et cela relevait du « destin » cosmique.

Les premiers rois sont alors Saül, David et Salomon. Ce dernier construit alors le grand Temple.

Traduction historique : c’est la formation d’une Cité-État. On est ici dans la période qui va de 1030 à 931 avant notre ère.

Etoile de David, Capharnaüm, 2e siècle

Est-il réellement possible qu’on ait affaire, dès le départ, à un monothéisme ? Absolument pas. À moins de croire en le message biblique et en la religion, il n’y a aucune raison de penser qu’on n’est pas ici dans le schéma classique d’une Cité-État, avec un polythéisme caractérisé par un dieu tutélaire, ainsi qu’un dieu-univers de nature « énergétique » fonctionnant à l’arrière-plan.

D’ailleurs, après ces trois rois, il y a une scission et deux royaumes se revendiquant de YHWH-tutélaire : le royaume de Juda d’un côté, et le royaume d’Israël de l’autre.

C’est bien la preuve que l’unification initiale des tribus n’était pas si puissante, et d’ailleurs des historiens doutent même que la monarchie des premiers rois ait existé. Et il est vrai qu’il est étrange que si le royaume de Juda est centré sur Jérusalem, le royaume d’Israël dispose de deux centres religieux qui lui sont propres, tout au nord et tout au sud du pays, Béthel et Dan.

De plus, on sait par l’archéologie que dans le royaume d’Israël, d’autres dieux que YHWH étaient vénérés, tels El, Baal, Ashéré, Ashtar, Shagar, etc. On retrouve notamment le nom du dieu El dans les prénoms Israël, Daniel, Samuel, Michaël, etc.

Et comme vu, dans le Livre des Rois, il est clairement dit que, jusqu’à l’intervention de Josias au 7e siècle avant notre ère, on trouvait dans le royaume de Juda une pléthore de dieux.

On n’a ainsi pas de monothéisme. On a YHWH comme dieu tutélaire.

Comme on sait qu’ensuite, en théorie, le monothéisme arrive, fort logiquement, on devrait alors s’attendre cependant au succès des deux royaumes. On s’imagine qu’il va y avoir une accumulation de conquêtes et une uniformisation des mœurs, des mentalités, du culte religieux, et qu’on va aboutir à un culte unique d’un dieu unique.

Or, ce n’est pas du tout le cas. L’existence de ces deux royaumes est très rapidement précaire. S’il y a une petite phase d’expansion, ce sont surtout des troubles permanents et la soumission qui forment la norme.

Les principaux événements sont les conflits avec les Assyriens, qui envahissent même le royaume d’Israël en 720 et le démantèlent !

Les habitants de ce royaume sont en partie déportés, d’autres rejoignent le royaume de Juda. Cela va donner naissance aux Samaritains, des Juifs qui considèrent que plus rien ne peut être ajouté à la religion. Le judaïsme actuel intègre inversement des textes de divers « prophètes » mineurs qui vont émerger par la suite.

Le royaume de Juda se maintient, mais en mauvaise posture, avec la dépendance à l’Égypte et à Babylone. En 586 avant notre ère, la capitale du royaume de Juda, Jérusalem, est même détruite par Babylone et l’élite y est déportée jusqu’en 538, au moment où la Perse triomphe de Babylone.

Autrement dit, de 1030 à 538 avant notre ère, les Juifs n’ont été en mesure que d’établir un petit royaume qui est immédiatement devenu la cible de puissances régionales plus importantes. Il n’y a eu aucun saut qualitatif qui justifierait l’irruption du monothéisme.

La domination de Babylone (wikipédia)

Faut-il considérer que l’exil à Babylone de l’élite juive a été un phénomène majeur en ce sens ?

L’exil n’a toutefois duré que cinquante ans et dans un cadre de soumission, donc on pourrait penser que non. Deux aspects jouent toutefois en ce sens.

Tout d’abord, le temple est reconstruit, en l’an 516 avant notre ère.

Ensuite, la Bible nous explique elle-même qu’il y a eu un conflit de légitimité au retour de l’élite, celle-ci considérant que les non déportés n’avaient pas leur mot à dire. La Perse, la nouvelle puissance dominante avec à sa tête Artaxerxès I, fit alors le ménage en demandant à Ezra (souvent appelé Esdras en français) de réorganiser les Juifs.

C’est ce qu’il fit en établissant une Grande Assemblée de 120 sages et en établissant une stricte orthodoxie excluant les femmes non juives avec qui s’étaient mariés des hommes non déportés.

Cette reprise en main de la religion, alors que tout s’était effondré, implique une relecture particulièrement forcée des choses. Le YHWH comme dieu tutélaire a dû être particulièrement mis en avant, mais comme il avait « échoué » à protéger les Juifs, il fallait le renforcer dans sa dimension.

La Perse avait apparemment intérêt à cela pour la stabilité régionale. On a littéralement une remise en vie artificielle de Juda.

Codex de Léningrad (1008), plus ancienne copie complète du texte massorétique de la Bible juive

Cela se vérifie si on regarde la suite. En -332, les Juifs passent sous domination grecque séleucide, à la suite d’Alexandre le grand). L’impact culturel est alors immense, relativisé toutefois par l’effondrement grec qui permet une courte indépendance, de -168 à 63.

Suit alors la domination romaine et, comme on le sait, l’émergence de Jésus-Christ et du christianisme.

On peut alors y voir plus clair, car une scission a alors lieu chez les Juifs.

Les Pharisiens veulent que les Juifs se maintiennent coûte que coûte. Ils se ferment sur eux-mêmes et pour ce faire se revendiquent des traditions, d’une « loi orale » ayant autant d’importance que la Torah. Ils vont produire le judaïsme.

Les Sadducéens représentent l’élite religieuse, qui veut collaborer avec les Romains. Ils se feront éliminer au fur et à mesure par les indépendantistes Juifs formant l’aile dure des Pharisiens : les zélotes et les sicaires.

On sait très peu de choses des Sadducéens, voire même pratiquement rien. Mais comme ils existaient au moment de Jésus-Christ, certaines conceptions sont soulignées. Les Pharisiens :

– nient l’intervention divine dans la vie quotidienne ;

– nient la résurrection des morts et d’ailleurs l’âme du défunt passe dans un au-delà indifférencié ;

– nient les anges et les démons.

Il est ici absolument clair que les Pharisiens parlent ici du dieu-univers de l’animisme cosmique. Dans le mélange dieu-univers / dieu-tutélaire, ils représentent l’aspect dieu-univers comme principal.

D’où leur acceptation d’une soumission nationale : le dieu tutélaire n’est plus vraiment tutélaire. C’est une sorte de dieu venu du polythéisme ayant pris des traits du dieu-univers. C’est le monothéisme tels que les chercheurs traditionnels le voient, en quelque sorte.

Les Sadducéens penchent inversement du côté du dieu-tutélaire. Et pour le sauver coûte que coûte, il faut faire du dieu-univers son arrière-plan virtuel, et former un nouvel aspect : une loi orale pour que se débarrasse tout l’équilibre artificiel de YHWH dieu-tutélaire/dieu-univers.

Quant à Jésus-Christ, il résout la contradiction de manière productive, en prenant sur lui d’inverser le rapport : ce n’est plus le dieu-tutélaire qui grimpe vers le dieu-univers, mais le dieu-univers qui s’incarne, se débarrassant du dieu tutélaire venu du polythéisme pour, en fait, prendre sa place comme monothéisme.

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La personnalisation de YHWH : Josias

Il faut regarder maintenant un aspect très important : la personnalisation de YHWH. Une telle personnalisation est en effet en contradiction avec l’animisme cosmique pour qui le dieu-univers est impersonnel, indéfinissable, à l’écart du monde qu’il alimente en énergie et que, en définitive, il est lui-même.

Dans le Livre des Rois, on trouve ce passage mêlant dieu-univers et Dieu personnel :

« [Le roi de Juda] Ezéchias prit la lettre de la main des messagers, et la lut. Puis il monta à la maison de l’Éternel, et la déploya devant l’Éternel, qui il adressa cette prière: Éternel, Dieu d’Israël, assis sur les chérubins!

C’est toi qui es le seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c’est toi qui as fait les cieux et la terre.

Éternel! incline ton oreille, et écoute. Éternel! ouvre tes yeux, et regarde.

Entends les paroles de Sanchérib [roi d’Assyrie], qui a envoyé Rabschaké [c’est-à-dire un haut officier militaire] pour insulter au Dieu vivant.

Il est vrai, ô Éternel! que les rois d’Assyrie ont détruit les nations et ravagé leurs pays, et qu’ils ont jeté leurs dieux dans le feu; mais ce n’étaient point des dieux, c’étaient des ouvrages de mains d’homme, du bois et de la pierre; et ils les ont anéantis.

Maintenant, Éternel, notre Dieu! délivre-nous de la main de Sanchérib, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, ô Éternel! »

Dans ce passage, on s’adresse à YHWH et on veut qu’il intervienne. Cela signifie qu’ici, YHWH n’est normalement pas le dieu-univers de l’animisme cosmique, mais un dieu servant de patron, comme chaque Cité-État en a toujours un.

Ce dieu coexiste en théorie avec d’autres dieux, tout en étant le dieu principal, spécifique. Là il se voit attribuer des éléments supérieurs pourtant, au niveau du dieu-univers. C’est notable.

Et, dans le Livre des Rois, encore, on a la figure de Josias, qui est tout à fait essentiel. Il a vécu de 640 à 609, c’est un roi, celui du royaume de Juda.

Il est raconté que, contrairement à son grand-père Manassé qui avait placé des autels pour le dieu Baal et même mis en poteau sacré pour déesse Ashera dans le grand temple, lui restaura celui-ci, alors que son or pour les décorations avait été remis aux Assyriens.

Et à l’occasion de cette rénovation du temple, Josias fit la découverte d’un « ouvrage », qui est un document par ailleurs non défini soulignant l’alliance de YHWH avec les Juifs. Il en profite pour liquider les autres dieux.

Voici ce que dit le Livre des Rois :

« Le roi Josias fit assembler auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem.

Puis il monta à la maison de l’Éternel, avec tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les sacrificateurs, les prophètes, et tout le peuple, depuis le plus petit jusqu’au plus grand.

Il lut devant eux toutes les paroles du livre de l’alliance, qu’on avait trouvé dans la maison de l’Éternel.

Le roi se tenait sur l’estrade, et il traita alliance devant l’Éternel, s’engageant à suivre l’Éternel, et à observer ses ordonnances, ses préceptes et ses lois, de tout son cœur et de toute son âme, afin de mettre en pratique les paroles de cette alliance, écrites dans ce livre. Et tout le peuple entra dans l’alliance.

Le roi ordonna à Hilkija, le souverain sacrificateur, aux sacrificateurs du second ordre, et à ceux qui gardaient le seuil, de sortir du temple de l’Éternel tous les ustensiles qui avaient été faits pour Baal, pour Astarté, et pour toute l’armée des cieux ; et il les brûla hors de Jérusalem, dans les champs du Cédron, et en fit porter la poussière à Béthel.

Il chassa les prêtres des idoles, établis par les rois de Juda pour brûler des parfums sur les hauts lieux dans les villes de Juda et aux environs de Jérusalem, et ceux qui offraient des parfums à Baal, au soleil, à la lune, au zodiaque et à toute l’armée des cieux.

Il sortit de la maison de l’Éternel l’idole d’Astarté, qu’il transporta hors de Jérusalem vers le torrent de Cédron ; il la brûla au torrent de Cédron et la réduisit en poussière, et il en jeta la poussière sur les sépulcres des enfants du peuple.

Il abattit les maisons des prostitués qui étaient dans la maison de l’Éternel, et où les femmes tissaient des tentes pour Astarté.

Il fit venir tous les prêtres des villes de Juda ; il souilla les hauts lieux où les prêtres brûlaient des parfums, depuis Guéba jusqu’à Beer-Schéba ; et il renversa les hauts lieux des portes, celui qui était à l’entrée de la porte de Josué, chef de la ville, et celui qui était à gauche de la porte de la ville.

Toutefois les prêtres des hauts lieux ne montaient pas à l’autel de l’Éternel à Jérusalem, mais ils mangeaient des pains sans levain au milieu de leurs frères.

Le roi souilla Topheth dans la vallée des fils de Hinnom, afin que personne ne fît plus passer son fils ou sa fille par le feu en l’honneur de Moloc.

Il fit disparaître de l’entrée de la maison de l’Éternel les chevaux que les rois de Juda avaient consacrés au soleil, près de la chambre de l’eunuque Nethan-Mélec, qui demeurait dans le faubourg ; et il brûla au feu les chars du soleil.

Le roi démolit les autels qui étaient sur le toit de la chambre haute d’Achaz et que les rois de Juda avaient faits, et les autels qu’avait faits Manassé dans les deux parvis de la maison de l’Éternel ; après les avoir brisés et enlevés de là, il en jeta la poussière dans le torrent de Cédron.

Le roi souilla les hauts lieux qui étaient en face de Jérusalem, sur la droite de la montagne de perdition, et que Salomon, roi d’Israël, avait bâtis à Astarté, l’abomination des Sidoniens, à Kemosch, l’abomination de Moab, et à Milcom, l’abomination des fils d’Ammon.

Il brisa les statues et abattit les idoles, et il remplit d’ossements d’hommes la place qu’elles occupaient.

Il renversa aussi l’autel qui était à Béthel, et le haut lieu qu’avait fait Jéroboam, fils de Nebath, qui avait fait pécher Israël ; il brûla le haut lieu et le réduisit en poussière, et il brûla l’idole.

Josias, s’étant tourné et ayant vu les sépulcres qui étaient là dans la montagne, envoya prendre les ossements des sépulcres, et il les brûla sur l’autel et le souilla, selon la parole de l’Éternel prononcée par l’homme de Dieu qui avait annoncé ces choses (…).

De plus, Josias fit disparaître ceux qui évoquaient les esprits et ceux qui prédisaient l’avenir, et les théraphim, et les idoles, et toutes les abominations qui se voyaient dans le pays de Juda et à Jérusalem, afin de mettre en pratique les paroles de la loi, écrites dans le livre que le sacrificateur Hilkija avait trouvé dans la maison de l’Éternel.

Avant Josias, il n’y eut point de roi qui, comme lui, revînt à l’Éternel de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, selon toute la loi de Moïse ; et après lui, il n’en a point paru de semblable.

Toutefois l’Éternel ne se désista point de l’ardeur de sa grande colère dont il était enflammé contre Juda, à cause de tout ce qu’avait fait Manassé pour l’irriter.

Et l’Éternel dit : J’ôterai aussi Juda de devant ma face comme j’ai ôté Israël, et je rejetterai cette ville de Jérusalem que j’avais choisie, et la maison de laquelle j’avais dit : Là sera mon nom. »

Il y a ici quelque chose d’incompréhensible : si Josias était si bien qu’avant lui aucun roi n’avait été si bien, ni après lui, pourquoi alors détruire son royaume ? Pourquoi le grand nettoyage du Temple n’a-t-il pas amené dans le bon sens ?

Il ne peut y avoir qu’une raison : le texte intervient a posteriori, la figure de Josias est modifiée pour être réutilisé avec une fonction précise.

Laquelle ?

En fait, ce qu’on devine, c’est que Josias met en avant YHWH comme patron de la Cité-État.

Ce qu’a fait Josias, c’est remettre de l’ordre face aux influences des autres Cités-États, des autres empires, des autres cultures et religions locales. Il a procédé à la recentralisation de la Cité-État.

On a ce faisant un moment clef : celui où la confusion commence à opérer entre le dieu tutélaire des Juifs et le dieu-univers. La confusion a comme sens politique à l’arrière-plan de maintenir la Cité-État en disant que si le dieu tutélaire a échoué, il a en fait une « dimension » plus grande qu’on s’imaginait.

La prétendue « alliance » – justifiée par la « découverte » d’un texte de la plus haute importance en nettoyant le Temple – est le moyen de former cette contradiction dieu-tutélaire / dieu-univers.

Le dieu-univers descend d’un cran et a « choisi » un peuple : il ne faut donc pas s’inquiéter outre mesure !

Fresque avec la fille du pharaon récupérant Moïse nourrisson, synagogue de Doura Europos, Syrie, milieu du 3e siècle

C’est là que commence le problème théologique. Car il y a une contradiction, qui produit le judaïsme : le YHWH de la Genèse est clairement le dieu-univers de l’animisme cosmique, alors que le YHWH de Josias est un dieu parmi d’autres, mais le dieu tutélaire de la Cité-État qui voit son champ d’importance être élargi.

En utilisant l’alliance comme moyen de faire « descendre » le dieu-univers, Josias ouvre la voie à une confusion générale, à une assimilation du dieu tutélaire YHWH au dieu univers YHWH – on peut se douter qu’à la base les deux avaient deux noms différents, tenant peut-être à une simple différence de voyelles.

L’assimilation de l’un à l’autre s’est toujours plus approfondie avec la crise générale de la situation politico-religieuse des Juifs.

Ceux-ci ont été obligés de confondre leur dieu tutélaire avec le dieu-univers à l’arrière-plan….

Non pas parce qu’ils sont allés en avant, vers le monothéisme, par la centralisation, l’unification, la synthèse… Mais justement parce qu’ils sont repartis en arrière, dans un mouvement de décomposition, et qu’ils ont tenté de s’y opposer.

L’histoire des royaumes juifs, marginaux, faibles, écrasés, sans importance historique aucune, a produit une révolte contre cette histoire, et l’assimilation du dieu tutélaire et du dieu-univers.

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L’arche d’alliance et sa « disparition »

La question de l’alliance entre les Juifs et Dieu est très facile à comprendre si l’on part de l’animisme cosmique. L’erreur qui a toujours été faite a été de considérer qu’un dieu « total » s’adresse aux Hébreux. Or, dans le polythéisme, le seul dieu « total » est le dieu-univers impersonnel.

Il existe à l’arrière-plan, il est peu vénéré, il n’existe que comme énergie vitale. Tout ce qui existe n’existe que par ce dieu-univers et, en dernier ressort, est ce dieu-univers.

Un tel dieu, éternel, ne peut pas se tourner vers un peuple.

Il faudrait alors se tourner vers le dieu YHWH comme dieu parmi d’autres dieux. On aurait alors un dieu parmi d’autres dieux faisant l’acquisition d’une nature suprême.

Sauf qu’il faudrait expliquer pourquoi un dieu particulier aux Hébreux se tournerait vers eux, alors qu’à la base il le fait déjà. Et pourquoi deviendrait-il suprême s’il ne l’était pas ?

Maintenant regardons l’arche d’alliance, que Dieu demande que les Hébreux construisent. On sait à quel point cette arche est symboliquement importante. Et pourtant, à un moment elle disparaît de la Bible !

Lorsque le Temple est détruit une première fois, en 586 avant notre ère, il n’en est plus parlé. Même la tradition juive n’en sait rien !

C’est tout de même extrêmement incohérent. Surtout que la Bible, dans le livre de l’Exode, présente une avalanche de détails pour sa construction. Voici l’extrait concerné, extrêmement long, mais c’est pour bien voir son foisonnement et sa prétention.

Le Seigneur parla à Moïse. Il dit :

« Dis aux fils d’Israël de prélever pour moi une contribution. Vous la recevrez de tout homme que son cœur y incitera.

Voici la contribution que vous recevrez d’eux : de l’or, de l’argent et du bronze,

de la pourpre violette et de la pourpre rouge, du cramoisi éclatant, du lin et du poil de chèvre,

des peaux de bélier teintes en rouge, du cuir fin et du bois d’acacia,

de l’huile pour le luminaire, du baume pour l’huile de l’onction et de l’encens aromatique,

des pierres de cornaline et des pierres pour orner l’éphod et le pectoral.

Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai au milieu d’eux.

Je vais te montrer le modèle de la Demeure et le modèle de tous ses objets : vous les reproduirez exactement.

On fera une arche en bois d’acacia de deux coudées et demie de long sur une coudée et demie de large et une coudée et demie de haut.

Tu la plaqueras d’or pur à l’intérieur et à l’extérieur, et tu l’entoureras d’une moulure en or.

Tu couleras quatre anneaux d’or que tu attacheras aux quatre pieds de l’arche : deux anneaux sur un côté, deux anneaux sur l’autre.

Tu feras des barres en bois d’acacia, tu les plaqueras d’or

et tu les introduiras dans les anneaux des côtés de l’arche pour pouvoir la porter.

Les barres resteront dans les anneaux de l’arche ; elles n’en seront pas retirées.

Tu placeras dans l’arche le Témoignage que je te donnerai.

Puis tu feras en or pur un couvercle, le propitiatoire, long de deux coudées et demie et large d’une coudée et demie.

Ensuite tu forgeras deux kéroubim [anges mêlant une forme de lion, de taureau, d’oiseau et d’homme] en or à placer aux deux extrémités du propitiatoire.

Fais un kéroub à une extrémité, et l’autre kéroub à l’autre extrémité ; vous ferez donc les kéroubim aux deux extrémités du propitiatoire.

Les kéroubim auront les ailes déployées vers le haut et protégeront le propitiatoire de leurs ailes. Ils se feront face, le regard tourné vers le propitiatoire.

Tu placeras le propitiatoire sur le dessus de l’arche et, dans l’arche, tu placeras le Témoignage que je te donnerai.

C’est là que je te laisserai me rencontrer ; je parlerai avec toi d’au-dessus du propitiatoire entre les deux kéroubim situés sur l’arche du Témoignage ; là, je te donnerai mes ordres pour les fils d’Israël.

Puis tu feras une table en bois d’acacia, longue de deux coudées, large d’une coudée et haute d’une coudée et demie.

Tu la plaqueras d’or pur et tu l’entoureras d’une moulure en or.

Tu feras des entretoises de la largeur d’une main et tu les entoureras d’une moulure en or.

Tu feras quatre anneaux d’or que tu mettras aux quatre angles formés par les quatre pieds.

Ces anneaux seront placés près des entretoises, pour loger les barres servant à porter la table.

Tu feras des barres en bois d’acacia et tu les plaqueras d’or ; elles serviront à porter la table.

Tu feras des plats, des gobelets, des aiguières et des timbales pour les libations. Tu les feras en or pur.

Et sur la table, tu placeras face à moi le pain qui m’est destiné, perpétuellement.

Puis tu feras un chandelier en or pur. Le chandelier sera forgé : base, tige, coupes, boutons et fleurs feront corps avec lui.

Six branches s’en détacheront sur les côtés : trois d’un côté et trois de l’autre.

Sur une branche, trois coupes en forme d’amande avec bouton et fleur et, sur une autre branche, trois coupes en forme d’amande avec bouton et fleur ; de même pour les six branches sortant du chandelier.

Le chandelier lui-même portera quatre coupes en forme d’amande avec boutons et fleurs :

un bouton sous les deux premières branches issues du chandelier, un bouton sous les deux suivantes et un bouton sous les deux dernières ; ainsi donc pour les six branches qui sortent du chandelier.

Boutons et branches feront corps avec le chandelier qui sera tout entier forgé d’une seule pièce, en or pur.

Ensuite, tu lui feras sept lampes. On allumera les lampes de manière à éclairer l’espace qui est devant lui.

Ses pincettes et ses porte-lampes seront en or pur.

Il te faudra un lingot d’or pur pour le chandelier et tous ses accessoires.

Regarde et exécute selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne.

Pour construire la Demeure, tu feras dix tentures de lin retors, pourpre violette, pourpre rouge et cramoisi éclatant ; tu y broderas des kéroubim: ce sera une œuvre d’artiste.

Chaque tenture mesurera vingt-huit coudées de long et quatre de large. Toutes les tentures auront les mêmes dimensions.

Cinq tentures seront assemblées l’une à l’autre, et les cinq autres également.

Tu feras des lacets de pourpre violette au bord de la première tenture, à l’extrémité de l’assemblage, et tu feras de même au bord de la dernière tenture du deuxième assemblage.

Tu mettras cinquante lacets à la première tenture et cinquante lacets à l’extrémité de la tenture du deuxième assemblage, les lacets s’attachant l’un à l’autre.

Tu feras cinquante agrafes en or, tu assembleras les tentures l’une à l’autre par les agrafes. Ainsi, la Demeure sera d’un seul tenant.

Ensuite, pour former une tente au-dessus de la Demeure, tu feras onze tentures en poil de chèvre.

Chaque tenture mesurera trente coudées de long et quatre coudées de large. Les onze tentures auront les mêmes dimensions.

Tu assembleras cinq tentures à part, puis six tentures à part, et tu replieras la sixième tenture sur le devant de la tente.

Tu feras cinquante lacets au bord d’une première tenture, la dernière de l’assemblage, et cinquante lacets au bord de la même tenture du deuxième assemblage.

Tu feras cinquante agrafes de bronze, tu introduiras les agrafes dans les lacets pour assembler la tente d’un seul tenant.

De ce qui retombe en surplus des tentures, une moitié de la tenture en surplus retombera sur l’arrière de la Demeure.

Et, dans le sens de la longueur des tentures, une coudée en surplus retombera, de part et d’autre, sur les côtés de la Demeure pour la couvrir.

Enfin tu feras pour la tente une couverture en peaux de béliers teintes en rouge, et une autre en cuir fin à mettre par-dessus.

Puis tu feras pour la Demeure des cadres en bois d’acacia, dressés debout.

Ils mesureront dix coudées de long et une coudée et demie de large.

Un cadre sera assemblé par deux tenons jumelés : ainsi feras-tu pour tous les cadres de la Demeure.

Tu disposeras les cadres pour la Demeure comme suit : vingt en direction du Néguev, au sud ;

et tu feras quarante socles en argent sous les vingt cadres : deux socles sous un cadre pour ses deux tenons, puis deux socles sous un autre cadre pour ses deux tenons.

Pour le deuxième côté de la Demeure, tu disposeras, en direction du nord, vingt cadres

avec leurs quarante socles en argent : deux socles sous un cadre et deux socles sous un autre cadre.

Et pour le fond de la Demeure, vers l’ouest, tu feras six cadres ;

tu feras aussi deux cadres comme contreforts de la Demeure, au fond ;

ils seront jumelés à leur base et le seront également au sommet, à la hauteur du premier anneau : ainsi en sera-t-il pour eux deux, ils seront comme deux contreforts.

Il y aura donc huit cadres, avec leurs socles en argent, soit seize socles : deux socles sous un cadre et deux socles sous un autre cadre.

Puis tu feras des traverses en bois d’acacia : cinq pour les cadres du premier côté de la Demeure,

cinq pour les cadres du deuxième côté de la Demeure, cinq pour les cadres qui forment le fond de la Demeure vers l’ouest ;

tu feras aussi la traverse médiane, à mi-hauteur des cadres, traversant la Demeure d’un bout à l’autre.

Les cadres, tu les plaqueras d’or, tu feras en or leurs anneaux pour loger les traverses, et les traverses, tu les plaqueras d’or.

Tu dresseras la Demeure d’après la règle qui t’a été montrée sur la montagne.

Puis tu feras un rideau de pourpre violette, pourpre rouge, cramoisi éclatant et lin retors ; ce sera une œuvre d’artiste : on y brodera des kéroubim.

Tu le fixeras à quatre colonnes en acacia et tu les plaqueras d’or, munies de crochets en or et posées sur quatre socles en argent.

Tu fixeras le rideau sous les agrafes et là, derrière le rideau, tu introduiras l’arche du Témoignage. Le rideau marquera pour vous la séparation entre le Sanctuaire et le Saint des saints.

Tu placeras le propitiatoire sur l’arche du Témoignage dans le Saint des saints.

À l’extérieur du rideau, tu poseras la table et, en face d’elle, le chandelier: la table côté nord de la Demeure, et le chandelier côté sud.

Enfin, pour l’entrée de la tente, tu feras un voile en pourpre violette, pourpre rouge, cramoisi éclatant et lin retors : ce sera une œuvre d’artisan brocheur.

Tu feras, pour le voile, cinq colonnes en acacia et tu les plaqueras d’or, tu les muniras de crochets en or, et tu couleras pour elles cinq socles en bronze.

Puis tu feras l’autel en bois d’acacia. L’autel aura cinq coudées de long, cinq coudées de large, – sa base sera donc carrée – et trois coudées de haut.

Tu feras des cornes aux quatre angles de l’autel, et ses cornes feront corps avec lui. Tu le plaqueras de bronze.

Tu feras les vases pour recueillir les cendres grasses, les pelles, les bols pour l’aspersion, les fourchettes et les brûle-parfums : tous ces accessoires, tu les feras en bronze.

Tu lui feras une grille de bronze en forme de filet, munie de quatre anneaux de bronze aux quatre extrémités.

Tu la mettras sous la bordure de l’autel, en bas ; la grille sera à mi-hauteur de l’autel.

Tu feras pour l’autel des barres en bois d’acacia et tu les plaqueras de bronze.

On les engagera dans les anneaux et elles seront placées sur les deux côtés de l’autel pour le porter.

Tu le feras creux, en planches. Comme il te fut montré sur la montagne, c’est ainsi que l’on fera.

Tu feras le parvis de la Demeure. Du côté du Néguev, au sud, le parvis aura des toiles en lin retors, sur une longueur de cent coudées pour un seul côté.

Ses vingt colonnes et leurs vingt socles seront en bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles, en argent.

De même, du côté nord, sur toute sa longueur, le parvis aura des toiles longues de cent coudées, vingt colonnes et leurs vingt socles en bronze; les crochets des colonnes et leurs tringles seront en argent.

En largeur, du côté ouest, le parvis aura des toiles sur cinquante coudées, avec leurs dix colonnes et leurs dix socles.

La largeur du parvis du côté de l’est, vers le levant, sera de cinquante coudées ;

il y aura quinze coudées de toiles sur une aile, avec leurs trois colonnes et leurs trois socles,

et, sur la deuxième aile, quinze coudées de toiles, avec leurs trois colonnes et leurs trois socles.

Pour la porte du parvis, il y aura un voile de vingt coudées, en pourpre violette, pourpre rouge, cramoisi éclatant et lin retors – œuvre d’artisan brocheur –, avec leurs quatre colonnes et leurs quatre socles.

Toutes les colonnes du parvis seront réunies par des tringles en argent ; leurs crochets seront en argent et leurs socles en bronze.

La longueur du parvis sera de cent coudées, sa largeur de cinquante, et sa hauteur de cinq – les socles seront en bronze.

Tous les accessoires utilisés pour le service de la Demeure, tous ses piquets et les piquets du parvis seront en bronze.

Tu ordonneras également aux fils d’Israël de te procurer, pour le luminaire, de l’huile d’olive limpide et vierge, pour que, perpétuellement, monte la flamme d’une lampe.

C’est dans la tente de la Rencontre, à l’extérieur du rideau qui abrite le Témoignage, que la disposeront Aaron et ses fils, pour qu’elle soit du soir au matin devant le Seigneur : c’est un décret perpétuel, de génération en génération, pour les fils d’Israël.

Ce décret perpétuel n’a pas fonctionné. C’est d’autant plus important que Dieu dit: « ils me feront un sanctuaire et je demeurerai au milieu d’eux ».

Quelque chose ne colle pas. Comme on sait en plus qu’au moment de l’exode, la Terre promise était dans l’empire égyptien, ce que la Bible ne mentionne pas…

Qu’on a aucune trace archéologique de l’exode, aucune trace de cela chez les Égyptiens, et que jamais 600 000 personnes ne peuvent se balader ainsi sans se faire remarquer…

Alors on comprend que l’alliance est un texte à la fois mythique et fonctionnel.

Autrement dit, le texte a une base réelle. Il correspond au culte de YHWH comme dieu-tutélaire, c’est un mythe justificatif.

Mais ce dieu tutélaire a échoué, la destruction du Temple en fait foi, et l’arche a disparu de la Bible à ce moment-là.

Pourquoi a-t-elle disparu ? Parce qu’elle était liée au dieu tutélaire. Pourquoi n’a-t-elle pas été effacée de la Bible ? Car il y en avait besoin de manière fonctionnelle.

Il fallait en effet prétendre que si les Juifs ont échoué, c’est qu’ils ont réussi, car l’ordre du monde – le dieu – univers – leur a confié une « mission ».

Mais pour qu’il leur confie spécifiquement une mission, il faut qu’il y ait un lien. C’est là où le dieu-tutélaire a été récupéré et mixé avec le dieu-univers.

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YHWH dans la constitution juive du monothéisme primitif

Il faut vérifier si dans la Torah on trouve bien des éléments permettant de bien cerner YHWH comme le dieu-univers et Élohim comme « les dieux ». Si c’est le cas, la Torah est bien le dépassement de l’animisme cosmique, du moins une tentative en ce sens.

On notera ici une erreur commise par les historiens bourgeois. Ils cherchent dans le passé un dieu (parmi d’autres, donc) du nom de YHWH qui préfigurerait le Dieu juif. Or, dans l’animisme cosmique, il y a toujours une entité cosmique impersonnelle fournissant l’énergie vitale et elle n’est pas vénérée directement.

Ce sont les dieux qu’on vénère, car ils forment une expression concrète de l’univers-force vitale aux contours infinis. Il y a bien plus de chance de voir des restes de cette conception dans la Torah que de trouver un dieu YHWH de nature « personnelle ».

Une des grandes preuves de cela est l’interdiction qu’on trouve dans le judaïsme de représenter YHWH. Si on parle d’un dieu « personnel » passé devenu Dieu unique, c’est effectivement étrange, car on sait bien que le polythéisme implique plusieurs dieux et leur représentation, notamment par des statues, afin de pratiquer un culte.

Or, dans l’animisme cosmique, le dieu-univers-force vitale n’est pas représenté, car il ne peut pas être représenté, étant donné qu’il est une énergie vitale qu’il y a partout et tout le temps, qui permet à toute chose d’exister, mieux : qui est son existence en tant que tel. Le dieu-univers est le vecteur de la vie et la seule réalité en définitive.

YHWH correspond tout à fait à cela si on prend l’interdiction de toute représentation – qui n’est pas une interdiction à la base, mais un trait caractéristique du dieu-univers.

Cela correspond également tout à fait à comment YHWH se laisse découvrir pour la première fois, à Moïse, en disant : « Je suis ce qui suis ». Tous les animismes cosmiques, qu’ils soient indiens, chinois, mésopotamiens, mésoaméricains… seraient d’accord avec cette définition du dieu-univers.

On lit dans le Deutéronome la chose suivante :

« Tu as été rendu témoin de ces choses, afin que tu reconnusses que l’Éternel est Dieu, qu’il n’y en a point d’autre. »

Ou encore :

« Sache donc en ce jour, et retiens dans ton cœur que l’Éternel est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre, et qu’il n’y en a point d’autre. »

Là encore, au sens strict, tous les animismes cosmiques seraient d’accord pour dire qu’au fond, si on regarde les choses de manière métaphysique, il n’y a qu’un seul Dieu-univers et que les dieux ne sont eux-mêmes qu’un mode de ce dieu-univers qui ne change jamais, qui est l’énergie du monde-énergie.

Chez Jérémie, on retrouve ces traits, avec le concept de « Dieu vivant », qui n’a un sens que dans une perspective animiste cosmique :

« Mais l’Éternel est Dieu en vérité, Il est un Dieu vivant et un roi éternel »

Dans les Psaumes, on retrouve des définitions de Dieu exprimant bien cette idée de « mouvement », d’un Dieu semblable au vent, au feu, présent partout, ayant une nature énergétique en tous lieux :

« Dieu, Dieu, l’Éternel, parle, et convoque la terre, Depuis le soleil levant jusqu’au soleil couchant.

De Sion, beauté parfaite, Dieu resplendit. Il vient, notre Dieu, il ne reste pas en silence ;

Devant lui est un feu dévorant, Autour de lui une violente tempête. »

Dans les Psaumes encore, on a ce passage, où l’on a l’impression de lire des propos d’un guerrier de l’Inde antique ou de l’empire aztèque, avec un dieu-énergie « alimentant » pour la bataille :

« Les voies de Dieu sont parfaites, La parole de l’Éternel est éprouvée; Il est un bouclier pour tous ceux qui se confient en lui.

Car qui est Dieu, si ce n’est l’Éternel; Et qui est un rocher, si ce n’est notre Dieu?

C’est Dieu qui me ceint de force, Et qui me conduit dans la voie droite.

Il rend mes pieds semblables à ceux des biches, Et il me place sur mes lieux élevés.

Il exerce mes mains au combat, Et mes bras tendent l’arc d’airain. Tu me donnes le bouclier de ton salut, Ta droite me soutient, Et je deviens grand par ta bonté.

Tu élargis le chemin sous mes pas, Et mes pieds ne chancellent point.

Je poursuis mes ennemis, je les atteins, Et je ne reviens pas avant de les avoir anéantis.

Je les brise, et ils ne peuvent se relever ; Ils tombent sous mes pieds.

Tu me ceins de force pour le combat, Tu fais plier sous moi mes adversaires.

Tu fais tourner le dos à mes ennemis devant moi, Et j’extermine ceux qui me haïssent.

Ils crient, et personne pour les sauver! Ils crient à l’Éternel, et il ne leur répond pas! Je les broie comme la poussière qu’emporte le vent, Je les foule comme la boue des rues. »

Lorsqu’il est dit que certains crient à l’Éternel, mais qu’il ne leur est pas répondu, cela veut dire que l’énergie va à celui qui tient le propos et pas aux autres. La victoire est liée à la « connexion » avec le dieu-univers.

C’est là tout à fait conforme à l’animisme cosmique pour qui ce qui se passe dépend de la liaison « énergétique » avec le dieu-univers. En ce sens, la kabbale juive n’est qu’une réactivation au moyen-âge de cet aspect, au moyen de l’influence du néo-platonisme se diffusant alors, qui lui-même vient de l’animisme cosmique mais du côté grec.

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La contradiction entre YHWH et les Élohim

Il est courant de présenter le judaïsme comme un monothéisme pur, avec une grande insistance sur l’unité divine, ou plus exactement l’unicité divine. Dieu est une entité omnipotente, omniprésente, omnisciente, tellement lointaine et respectable que même son nom est mystérieux – YHWH (soit les lettres hébraïques yod/he/waw/he).

Le véritable fondement du judaïsme est d’ailleurs le « Shema » : « Shema, Israël, Adonaï Elohénou, Adonaï Erad », soit « Écoute, Israël ! Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est Un », formule qu’on retrouve dans la prière du matin et celle du soir.

Tout cela est une belle narration, sauf qu’il existe un souci fondamental. Le terme YHWH revient 1419 fois dans la Torah, consistant en les textes dénommés la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome.

Or, le terme « Elohim » revient quant à lui 2500 fois, surtout pour pareillement désigner le Dieu du judaïsme. Et ce terme signifie… « les dieux », les « entités divines ».

Synagogue portugaise à Amsterdam

Il y a un tour de passe-passe dans la Bible juive, qui fait en sorte d’utiliser le plus souvent au singulier le verbe et les adjectifs allant avec ce terme pourtant au pluriel de « Élohim ». Il n’en reste pas moins que ce terme désigne différents dieux, et que parfois même le verbe sont au pluriel, ou encore parfois ce qui relève de ce terme.

C’est au moins, au minimum, un reste du passé. Si l’on regarde les principes de l’animisme cosmique, on voit très bien comment on a d’un côté les dieux, désignés ici par Élohim, de l’autre l’univers-dieu à l’arrière-plan, la source de l’énergie vitale, appelée ici YHWH.

Ce qui caractérise le judaïsme, c’est l’assimilation des dieux à l’univers-dieu à l’arrière-plan. Les mésopotamiens, les Indiens, les Chinois, les amérindiens et les mésoaméricains… ont maintenu la séparation entre les dieux et l’univers, pas les Juifs.

Encore est-il que ce processus a été long, tourmenté et nullement complet.

Ainsi, on lit dans la Genèse : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». Le terme pour « Dieu » est Élohim, soit « les dieux ». Le verbe dire est par contre au singulier. Cependant, la citation indique clairement un pluriel. Il y a très clairement ici une sorte de fusion-assimilation.

Menorah de la synagogue de Naples, 19e siècle

Encore dans la Genèse, il y a ce passage très connu : « L’Éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. » Le terme originel pour « l’Éternel Dieu », par ailleurs un pléonasme, est en fait les Élohim.

Cela change bien entendu le sens du propos puisqu’il est dit sans ambiguïté : « comme l’un de nous ». La phrase réelle, c’est « Les Élohim dit [sic] : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous ».

Abraham dit par exemple encore dans la Genèse que « Et il arriva lorsque Dieu me fit errer loin de la maison de mon père… ». Non seulement le terme pour « Dieu » est Élohim, mais en plus le verbe est au pluriel. On doit donc lire : « Et il arriva lorsque les dieux me firent errer loin de la maison de mon père… ».

Pour la petite histoire, ce terme d’Élohim qu’on retrouve tout au long de la Genèse est prétexte à une importante littérature faisant de ceux-ci des extra-terrestres « constructeurs ».

La figure majeure de ce mouvement, assez vite délirant et poreux à l’irrationalisme d’extrême-droite, est le Suisse Erich von Däniken, qui a eu un grand succès avec ses livres au début des années 1970.

Il faut également mentionner Zecharia Sitchin, qui a fait carrière aux États-Unis mais qui vient d’URSS, un pays qui lors de sa période social-impérialiste était par ailleurs frayant d’irrationalisme « psychique » ou extra-terrestres. Il y a également l’Italien, Mauro Biglino, spécialiste de l’hébreu ayant même travaillé en ce domaine pour le Vatican.

Enfin, il y a le mouvement « raélien », de type sectaire-folklorique, qui défend ce même point de vue selon lequel les « Élohim » sont des « anciens astronautes » extra-terrestres ayant fabriqué l’humanité.

Telle est la solution irrationnelle à la contradiction entre YHWH et Élohim, qui s’explique tout à fait bien lorsqu’on a compris au moyen du matérialisme dialectique ce qu’est l’animisme cosmique.

La religion juive ne peut évidemment choisir ni l’une, ni l’autre option pour expliquer le problème, aussi se sort-elle de telles incohérences par des pirouettes interprétatives ou bien la réduction de Elohim à un mot support de plusieurs autres termes, comme les anges.

Cela ferait que le même terme désignerait parfois Dieu, parfois les Anges, parfois même des rois. C’est ce que dit une figure majeure du judaïsme, Maïmonide : le Nom Élohim est homonyme, s’appliquant à dieu, aux anges et aux gouvernants régissant les états ».

Or, c’est totalement incohérent par rapport au souci ou au prétendu souci d’unicité divine du judaïsme, au point même de ne pas vouloir prononcer YHVW.

Dieu pourrait dans cette logique être désigné par un même terme que pour les faux dieux, comme ici dans l’Exode :

« Et Jéthro dit : Béni soit l’Éternel, qui vous a délivrés de la main des Égyptiens et de la main de Pharaon; qui a délivré le peuple de la main des Égyptiens!

Je reconnais maintenant que l’Éternel est plus grand que tous les dieux [Élohim] ; car la méchanceté des Égyptiens est retombée sur eux. »

Tout cela ne tient pas debout. La seule explication possible, c’est que YHWH consiste en l’univers-dieu de l’animisme cosmique, et il n’y a jamais justement de définition de cette force vitale cosmique dans aucun animisme cosmique. D’où le caractère imprononçable, indéfinissable de YHWH.

Elohim désigne les dieux, ceux de l’animisme cosmique qui ont été « fusionnés » entre eux et assimilés à l’univers-dieu.

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La distinction entre le monothéisme juif et le judaïsme

Si l’on s’intéresse au monothéisme juif, il faut au préalable être en mesure d’enlever tout ce qui y a été ajouté, modifié, retranché. Le judaïsme en tant que religion ne se confond en effet pas du tout avec le monothéisme juif originel. Cela est rendu obscur par la prétention de la religion juive à la continuité historique et traditionnelle. Il n’en demeure pas moins que le judaïsme ne se confond nullement avec le monothéisme juif des origines.

Il faut toujours avoir à l’esprit en effet qu’une religion se fonde d’une part sur des textes révélés ou relevant du divin, d’autre part sur un appareil de commentaires à portée juridique et directement religieuse.

Le catholicisme romain est indissociable du catéchisme établi par le Vatican, en plus de l’ancien et du nouveau testament. L’Islam est indissociable, en plus du Coran, des propos rapportés du prophète (les « hadiths ») et de la tradition qui s’y rapporte.

Dans le judaïsme, on a ce que les chrétiens appellent ancien testament (avec de très légères modifications). La première partie est la Torah, qui est composée de :

– la Genèse,

– l’Exode,

– le Lévitique,

– les Nombres,

– le Deutéronome.

Illustration religieuse juive, en France en 1930

La Torah va d’Adam et Ève, les « premiers » êtres humains 3761 années avant notre ère, jusqu’à la Terre promise. La deuxième partie raconte la suite jusqu’à la déportation de l’élite juive à Babylone en 567 avant notre ère.

Cette partie est racontée par l’intermédiaire des Prophètes : Josué, les « juges », Samuel, les rois, Isaïe, Jérémie, Ezechiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.

La troisième partie contient des œuvres de différentes natures, et tient en trois sections :

– trois livres dits poétiques (les Psaumes, les Proverbes, le livre de Job),

– cinq « rouleaux » (le Cantique des Cantiques, Ruth, les Lamentions, l’Ecclésiaste, Esther),

– trois livres « historiques » : Daniel, Esdras, les Chroniques.

La Bible s’arrête en l’an 164 avant notre ère, au moment où une révolte juive a lieu et permet une réinstauration politique (temporaire).

Une synagogue en Serbie

Mais il y a surtout tout un appareil se rapportant à ces trois parties formant dans la religion juive le Tanakh.

Ce qu’on peut constater, c’est que la véritable base du judaïsme en tant que religion est issue d’une période qui a suivi l’émergence de Jésus-Christ et du monothéisme systématisé.

Cela suit la destruction du temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70. Il avait déjà été détruit par les Babyloniens en 587 avant notre ère, ce qui a également une importance, mais plus directement pour le monothéisme juif originel justement.

La défaite romaine est la véritable origine du judaïsme comme religion. C’est tellement vrai que les dirigeants juifs ont procédé à un grand renversement juridique concernant la définition même de la judéité.

Initialement, dans la religion juive, on est Juif par son père, ou plus exactement il est considéré que la famille du père est la famille de l’enfant, pas celle de la mère. Cependant, en raison des répressions par l’empire romain au 1er siècle de notre ère, coûtant notamment la vie aux hommes, et en raison des viols, le judaïsme a adopté le modèle patrilinéaire romain.

Le judaïsme a, en fait, systématisé son approche juridique à ce moment-là. Le rôle central est joué par Yohanan ben Zakkaï, une figure que le judaïsme ne met jamais en avant, mais qui joue littéralement le rôle d’un second Moïse.

Il assiste en effet à la destruction du temple de Jérusalem et prend l’initiative, en accord avec les Romains, de rassembler dans la ville de Yavné l’ensemble de la direction religieuse des Juifs. Ce faisant, il organise ainsi le remplacement fonctionnel du Temple détruit et prend dans la foulée des mesures pour accompagner ce changement : les offrandes sont remplacées par des prières, le rôle du Temple est effacé et remplacé, etc.

Les Juifs avaient auparavant une direction politico-religieuse typique de tous les peuples de la région. Avec cette initiative, les religieux s’approprièrent une aura politique sur les Juifs dans le cadre du triomphe romain.

Des rouleaux de la Torah

De là découle l’émergence de centres nationalistes utilisant la religion comme vecteur de maintien en tant que peuple face aux Romains : ce sont les écoles religieuses, les yeshivas (du terme pour dire « assis »), notamment à Lod, Bnei Bral, Tzippori, en Tibériade.

Ce processus connaît un saut qualitatif lorsque les docteurs en religion juive décident de compiler leurs traditions orales, qu’ils firent prétendument remonter jusqu’à Moïse. Les villes de Sura (dans le sud de la Mésopotamie) et de Pumbedita (au milieu de l’Euphrate) revêtent dans ce cadre une importance particulière.

Cette « tradition orale » est précisément ce qu’on appelle le judaïsme. Le judaïsme, c’est le culte des livres de la Torah à travers les prescriptions de la « tradition orale ». Celle-ci est constituée :

– de la Mishna (« répétition »), 63 traités datant du début du 3e siècle de notre ère ;

– de la Gemara (« étude »), un commentaire de la Mishna rédigé en araméen au 6e siècle de notre ère.

Le plus ancien exemplaire complet de la Mishna est de Hongrie et date du 10e-11e siègle

Ces deux ouvrages, Mishna et Gemara, forment ce qu’on appelle le Talmud. Sauf qu’il en existe deux qui sont concurrents, car deux « études » ont été faites : une en Galilée (Talmud dit de Jérusalem), l’autre à Babylone (Talmud dit de Babylone). Le Talmud de Babylone a au fur et à mesure totalement fait disparaître celui de Jérusalem.

On retrouve ici toutefois un aspect essentiel du judaïsme : sa non-centralisation, sa non-uniformité. Si la « tradition orale » est adoptée en tant que tel, les interprétations sont innombrables et les conceptions théologiques au sein du judaïsme sont extrêmement différentes, voire antagoniques.

Le judaïsme est en fait une religion de rituel répété – Yom Kippour, Hanoucca, etc. – et de commentaires sans fin. Parmi les auteurs jouant un rôle éminent de « commentateur », mentionnons le Français du 11e siècle Rachi, et Moïse Maïmonide qui vécut au siècle suivant dans l’Espagne musulmane. Ces deux auteurs ont été intégrés au judaïsme – avec une marge de manœuvre, puisqu’on peut les « commenter ».

Au 13e siècle apparaît la Kabbale, qui prétend relever d’une tradition secrète remontant à Moïse, et former la vraie clef de la « tradition orale ». Là encore, la marge de manœuvre pour son acceptation ou son rejet, à différents degrés, est totale dans le judaïsme.

Première édition du principal ouvrage de la kabbale, le Zohar, en 1558 à Mantoue en Italie

Il faut également mentionner un travail de fond, appelé « massorétique », commencé au 7e siècle de notre ère et durant plusieurs siècles. Le texte de la Torah était en effet écrit en continu, avec une orthographe non réellement fixée, une prononciation non fixée, une cantillation pareillement non fixée.

Avant le travail des Massorètes, il n’y avait donc pas d’unité sur tous ces points ! Cela en dit long sur le caractère multiforme du judaïsme si jusqu’à cette époque cela n’avait pas été réalisé. Ce sont également eux qui firent en sorte que lors de la lecture de la Bible, on prononce seigneur (Adonaï) en lieu et place de YHWH, par « respect ».

C’est également cette marge de manœuvre historique au sein du judaïsme qui a donné naissance à la séparation entre Juifs séfarades et ashkénazes, formant deux grands courants à la fois proches et distincts, et qui a permis l’éclosion ininterrompue de courants « nouveaux ».

Une opposition frontale fut notamment celle entre le hassidisme et les Mitnagdim, alors qu’il y eut des figures très importantes connaissant un succès temporaire comme « messie », Sabbataï Tsevi au 17e siècle dans l’empire ottoman, Jacob Frank en Pologne au 18e siècle.

« Bienvenue Messie »: jusqu’à sa mort en 1992 et même après, Menachem Mendel Schneerson a été mis en avant de manière crypto-messianique par le mouvement hassidique dit des Loubavitch

Dans le même ordre d’idée, le Talmud souligne que « La Loi du pays est la Loi » et que les Juifs doivent se plier aux lois du pays où ils vivent. Le judaïsme, en tant que religion, est le produit d’une défaite militaire d’un peuple et une tentative de maintenir des fondements pour une unité qui persiste, mais à travers une décentralisation massive.

Et tout ce processus se déroule après l’émergence de Jésus-Christ comme figure historique et ne concerne donc pas la question du monothéisme originel. Pour l’étudier, il faut se tourner vers le Tanakh, surtout la Torah, et vers l’archéologie.

La première chose à faire, c’est de voir dans quelle mesure on retrouve le polythéisme, l’animisme cosmique dans la Torah.

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Le paradoxe dans la constitution juive du monothéisme primitif

Si on prend les apparences, le judaïsme est un monothéisme, qui puise sa source dans un prophète, Moïse, qui a conduit les Hébreux hors de l’esclavage en Égypte et vers une Terre promise. En réalité, le judaïsme consiste en une « loi orale » qui fournit les principes de la vie quotidienne : ce qu’on appelle la Bible, ou Torah, ne consiste qu’en des textes référentiels.

Cette « loi orale » est récente : elle date de la période de Jésus-Christ. Elle est le fruit d’une tentative de maintenir les fondamentaux d’un royaume juif anéanti, celui de Juda.

Ce royaume a deux particularités : il a duré, sous une forme ou une autre, pendant très longtemps. Il est fondé au 10-9e siècle avant notre ère, sa dernière forme disparaît au 1er siècle avant notre ère.

Et il n’aura pratiquement jamais été indépendant, puisqu’il aura été sous domination assyrienne, babylonienne, perse, grecque séleucide, romaine.

Pièces de monnaie utilisées par les Juifs lors de l’époque de la domination perse

C’est ce parcours historique qui pose problème. Historiquement, on peut voir que le polythéisme a cédé la place au monothéisme. Le monothéisme correspond donc à une avancée historique ; il est autant une avancée qu’il reflète une avancée.

Or, on ne voit pas pourquoi les Juifs s’appuieraient sur le monothéisme alors qu’ils n’ont aucunement un développement particulier. On s’attendrait à une Cité-État triomphante, formant un empire, unifiant les territoires, modifiant les cultes pour les uniformiser et aboutissant par là à un dieu unique.

On n’a rien de tout cela.

Il n’y a alors que deux hypothèses possibles. La première, c’est que Dieu s’est vraiment adressé à Moïse et a sorti les Hébreux d’Égypte, leur confiant la loi pour qu’ils s’établissent dans la Terre promise.

Elle est évidemment fausse. Elle l’est d’autant plus que la Bible oublie une chose : le territoire de la Terre promise était, à l’époque dont il est parlé, une région égyptienne. Comme il n’y a aucune trace chez les Égyptiens d’un esclavage d’Hébreux, alors on comprend que la région a conquis son autonomie et qu’a posteriori, le décrochage vis-à-vis de l’Égypte a été formulé de manière mythique.

Mosaïque de la synagogue antique de Beit Alpha, on notera que les signes du zodiaque ne sont pas correctement disposés par rapport aux saisons

La seconde hypothèse est la suivante. Puisque ce n’est pas par la progression historique que les Juifs ont développé le monothéisme, alors c’est par la récession historique. Ce n’est pas parce qu’ils ont réussi que les Juifs ont produit le monothéisme, mais parce qu’ils ont échoué.

Si on lit la Bible justement, on peut voir que tant le peuple que les rois juifs sont perpétuellement dénoncés comme incapables de suivre la loi, comme devant être châtiés par Dieu, etc.

Le monothéisme n’est donc pas une expression de force, mais de faiblesse. La valorisation absolue de YHWH exprime le besoin des Juifs d’une force majeure pour les maintenir, pour les sauver.

Mais il y a deux YHWH. C’est ça en fait le paradoxe du judaïsme et toute la substance du judaïsme est là. Absolument toutes les questions internes au judaïsme se résolvent si on le comprend.

Il faut partir du polythéisme. Celui-ci n’est pas un vrai polythéisme, c’est un animisme cosmique. Il y a bien effectivement de très nombreux dieux. Il y a cependant toujours un dieu-univers à l’arrière-plan, sans forme et pure énergie, alimentant le monde, le monde lui-même n’étant qu’un mode d’existence de ce dieu-univers.

On ne prie pas le dieu-univers, car cela ne sert à rien : il est tout. On prie les dieux qui sont des formes spirituelles, magiques, de certains aspects du monde qui nous entoure.

C’est ainsi partout, chez les Chinois, les Indiens, les Babyloniens, les Égyptiens, les Aztèques, etc. C’est donc vrai pour les Juifs.

Les Juifs appelaient ce dieu-univers par un nom. Et, parmi tous les dieux, certains comptaient plus que d’autres. Dans ce passé historique lointain, les gens vivaient comme des chasseurs-cueilleurs, ou bien dans des tribus et des clans allant dans le sens de l’agriculture et de la domestication des animaux.

Lorsque des tribus se fédèrent et parviennent à une domination d’un certain niveau, elles s’unissent comme caste dominante d’une Cité-État. Et chaque Cité-État est sous le patronage d’un dieu. Ur avait le dieu lune, Babylone avait Mardouk, Athènes avait Athéna, Tenochtitlan avait Huitzilopochtli, etc.

Le dieu babylonien Mardouk et le dragon Mušḫuššu

Jérusalem avait YHWH. Ce même YHWH qui a été assimilé au dieu-univers. Pourquoi ? Non pas parce que YWHW serait monté d’un cran comme on le pense. On s’imagine trop souvent que le monothéisme serait un polythéisme où un dieu a pris le dessus.

Ce n’est pas du tout le cas. Le monothéisme, c’est en fait le dieu-univers qui descend d’un cran. Voilà pourquoi Jésus-Christ, comme fils de dieu, établit réellement le monothéisme. Le dieu-univers devient matériel, au lieu d’être éloigné, inaccessible, impersonnel comme auparavant.

Pourquoi les Juifs ont-ils les premiers fait descendre, relativement, le dieu-univers d’un cran ? Car leur dieu tutélaire avait échoué à les protéger. Le royaume n’avait pas maintenu son indépendance, Jérusalem se faisait en permanence agresser.

Les Juifs existaient encore pourtant. Comme ils voulaient que la situation change, ils se sont adressés au monde lui-même : le dieu-univers. Ils ont assimilé leur dieu tutélaire au dieu-univers.

Tout cela est une construction artificielle et branlante. Cela ne joue cependant strictement aucun rôle, car les Juifs n’ont jamais systématisé leur théologie. Les points de vue théologiques chez les Juifs sont extrêmement divers, voire antagoniques. Ils peuvent être aussi éloignés qu’entre un catholique et un Hindou.

Cela ne compte pas pour les Juifs, car YHWH et la Torah ne forment qu’un arrière-plan virtuel justifiant la « loi orale », qui elle définit totalement la vie quotidienne.

Initialement, c’était pour maintenir une unité juive face aux envahisseurs. Puis, avec la dispersion, c’est devenu une religion en roue libre. Sur le papier, elle est monothéiste. Mais c’est un monothéisme sans substance, purement fonctionnel.

Les Juifs ont ainsi « inventé » le monothéisme, mais il est primitif. C’est pour cela que le christianisme est une production juive : la contradiction interne poussait nécessairement en ce sens.

Il fallait bien que ce dieu parmi les autres ayant acquis des traits du dieu-univers devienne le dieu-univers se faisant dieu parmi les autres – ce qui est une contradiction : d’où le monothéisme complet du christianisme.

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Massification et rationalisation du « polythéisme »

L’une des caractéristiques majeures de l’animisme cosmique, c’est la dimension festive-populaire des rites. Normalement, dans l’animisme, les gens suivent un rituel mené à petite échelle. Dans le polythéisme, on est de manière assumée dans l’ère des masses.

La multitude des dieux de l’animisme cosmique correspond à la massification de la société, à une compréhension plus qualitative de chaque aspect représenté par les différents dieux, à un développement qualitatif des connaissances impliquant quantitativement de nouveaux dieux.

Dans l’animisme, le rituel passe par un chamane pour aller vers les gens l’entourant et finalement revenir au chamane. Dans l’animisme cosmique, le rituel part des masses pour revenir aux masses. Les rites polythéistes, où les dieux représentent des aspects de l’univers, ne sont pas concevables sans l’agrégation de centaines de personnes, avec tout un cérémoniel.

Gravure de 1891 représentant la danse des Esprits des Amérindiens Sioux

On parle d’un événement avec une grande solennité, une alimentation spéciale, des représentations allégoriques, des décorations, des costumes, des chants, des danses, des jeux, etc.

La fête polythéiste systématisée à une dimension civique, elle exprime est produit la cohésion, la communion pour mieux dire, de la communauté en son sein et de celle-ci avec ses dieux ou son dieu tutélaire, sa tychè selon le lexique grec.

Voilà pourquoi l’ordre social systématisé par l’aristocratie patriarcale-militaire est relativisé dans ce cadre ritualisé, rappelant la communauté ancienne en apparence, mais en fait structurant les hiérarchies : la régie patriarcale cède à la participation des femmes au culte, l’esclavage cède à la convivialité en tout cas concernant l’esclavage dans sa dimension domestique, la dimension militaire est gommée.

Voilà pourquoi aussi les fêtes sont des moments d’échanges de la communauté, en son sein avec les marchés, mais également avec l’extérieur, des foires où opèrent les marchands étrangers, où se règlent également les litiges, se paient les amendes et les dettes.

Le temple maya à Chichén Itzá

C’est à la fois une manière de conclure un cycle, et d’ailleurs les plus grandes fêtes religieuses servent le plus souvent de calendrier (comme le calendrier olympien, basé sur la fête de Zeus Olympien et ses fameux « Jeux Olympiques »), mais aussi et de plus en plus, à marquer le temps dans un processus de civilisation linéaire, impliquant de déterminer une origine de fondation (divinisée et fêtée) et une perspective cosmique : on s’inscrit dans la réalité « cosmique ».

Il faut bien saisir toutefois que cette tendance civilisationnelle centralisatrice se heurte à la poly-lecture du polythéisme.

Dans l’animisme cosmique, il y a une force masquée à l’arrière-plan. Elle est indéfinissable, en mouvement, éternel, mais on peut saisir ses modalités d’expression, en utilisant les dieux, sortes d’esprits en plus développés. C’est ce qui explique pourquoi au sein des religions polythéistes, il existe l’adoration de dieux différents, plusieurs types d’adoration du même dieu, plusieurs versions des mêmes mythes, etc.

L’animisme cosmique est en fait le stade suprême de l’animisme. Il mélange les animismes produits à la sortie des communautés matriarcales, les systématise. L’étape suivante est le monothéisme, qui uniformise les différents aspects.

Statère d’or avec la tête du dieu Zeus orné de lauriers, Asie Mineure, 360-340 avant notre ère

Il est intéressant de voir que l’hindouisme est allé en direction du monothéisme, mais son échec est reflété par le maintien de cette démarche animiste cosmique visant à considérer que, étant donné que seul le dieu à l’arrière-plan est réellement ce qu’il est, tout le reste est ambivalent. Chacun voit ce qu’il peut voir de l’univers et partant de là, tant que c’est dans le même esprit général, on peut vénérer le dieu qu’on veut, qui forme un aspect particulier du dieu suprême à l’arrière-plan.

On trouve la même chose dans l’empire aztèque, qui n’était ni un empire, ni aztèque. Lorsque les Mexicas, venant du pays mythique d’Aztlan, prennent le pouvoir dans une triple alliance avec les Acolhuas et les Tépanèques, ils accordent une immense marge de manœuvre pour les cérémonies religieuses de la trentaine de régions sur laquelle il y a l’hégémonie.

Il est bien connu qu’on trouve la même chose dans l’empire Inca, dans la Grèce antique, dans la Rome antique, l’Égypte… Bien souvent d’ailleurs, les dieux étrangers des territoires conquis sont intégrés, sous une forme plus ou moins modifiée, dans le culte principal.

Le mithraisme se développa au sein de l’empire romain à partir du premier siècle ; ici le dieu Mithra tuant le taureau, fin du 2e siècle

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une certaine centralisation ou surveillance. L’empire aztèque disposait par exemple d’un superviseur pour chaque culte majeur, le Teopixcatepachoani, et Rome décida à la fin du 2e siècle avant notre ère de demander aux interprètes des Livres sybillins (des oracles grecs) de procéder à la surveillance des cultes étrangers.

Un rôle à également étudier ici est celui des centres religieux jouant un rôle dans toutes les zones et connaissant à ce titre des pèlerinages (Chichen Itza, Ixchel et Cholula en Mésoamérique ; Olympie, Delphes et Eleusis en Grèce antique ; Bénarès, Prayāg, Haridwar, Ujjain, Nashik, Mathura, Kanchipuram et Dwarka en Inde, etc.).

Néanmoins, le syncrétisme reste partout la règle prédominante, aboutissant à une surenchère de dieux, au point qu’il est évident que tout le monde ne pouvait pas les connaître ni précisément, ni les déterminer.

Le polythéisme n’est ainsi pas seulement un polythéisme, c’est un poly-poly-théisme. L’animisme cosmique (polythéiste) apparaît comme la négation de l’animisme (polythéiste), et le monothéisme comme la négation de la négation par le renversement : l’univers n’est plus « extérieur » au monde et les dieux à l’intérieur du monde, on a désormais l’univers à l’intérieur de notre monde, et un Dieu, un seul, à l’extérieur.

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Le soleil et la naissance, clef des cycles

Quetzalcoatl, le dieu serpent à plumes mésoaméricain, a un frère jumeau, Xolotl, qui est aussi monstrueux qu’est splendide son frère. Cela répond à la lecture systématiquement dialectique qu’on trouve en Mésoamérique.

Xolotl, difforme, est un dieu protecteur des êtres monstrueux, qui étaient particulièrement valorisés dans cette partie du monde. C’est lui qui, chaque nuit, accompagne le soleil dans le monde d’en bas, pour le ramener à la surface. Il est également l’accompagnateur des âmes des morts dans le monde d’en bas.

L’analogie avec le Christ est évidente. Il faut un intermédiaire avec l’univers pour, par son sacrifice, œuvrant au maintien du monde.

Et la statue où on voit Xolotl, avec le soleil sur le dos, est le symbole le plus clair, le plus splendide de l’animisme cosmique. L’univers existe, éternellement, et tout est mouvement, de naissance, de mort, de naissance, de mort, perpétuellement.

Xolotl portant le soleil sur son dos lors du passage dans l’infra-monde

Le soleil représente cette naissance et cette mort s’alternant. Et la réapparition du soleil est le miracle permanent, le cadeau-mouvement fait aux êtres humains. D’ailleurs, chez les Aztèques, les dieux doivent se sacrifier pour former le soleil, et le dernier dieu se sacrifier pour le mettre en mouvement.

Lorsque l’empereur romain Aurélien, en 274, inaugure le culte du Soleil invaincu, Sol invictus, et fait du 25 décembre son jour de naissance (Dies Natalis Solis, qui donnera le mot « Noël ») en rapport avec le solstice d’hiver, il se fonde directement sur le caractère le plus substantiel de l’animisme cosmique.

L’animisme cosmique est, avant tout, un culte solaire. Les temples de l’animisme cosmique accordent une valeur primordiale à l’étude astronomique, aux étoiles en général, à la planète Vénus en particulier, au soleil avant tout.

Les solstices et les équinoxes ont ainsi une place fondamentale, en tant que « symptômes » du mouvement du soleil. Les temples mésoaméricains ont leurs architectures directement fondées sur eux, afin d’être en rapport le plus étroit avec eux pour le culte.

Avec cet arrière-plan solaire, être un prêtre, c’est être un astronome, et de fait un astrologue, car les cycles déterminent les choses à venir tout comme ils ont déterminé les choses passées.

Puisque le mouvement se répète, il suffit d’établir son mode pour pouvoir en « lire » le résultat allant avec. Aucun mouvement n’étant linéaire, il suffit d’observer les « péripéties » des astres et de voir, de les relier aux faits historiques se déroulant alors, et de tracer un bilan pour l’avenir.

C’est là l’expression d’un fétichisme du mouvement des astres, d’une humanité qui, rappelons-le, pouvait observer les étoiles en levant les yeux la nuit.

Le dieu solaire Shamash est au centre de cette scène divine de Mésopotamie : avec des éclairs sortant de ses épaules, il se fraie un passage vers l’aube

Si l’astronomie a été particulièrement développée notamment en Mésopotamie, c’est le calendrier mésoaméricain qui a sans doute le plus fasciné, de par sa découverte tardive.

En Mésoamérique, les cycles tiennent à quatre soleils (chez les Mayas par exemple), ou cinq soleils (chez les Aztèques). Pour ce dernier cas, il y avait dans le premier cycle qui dura 13 fois 52 ans des géants qui furent finalement tués, dans le second cycle de la même durée des sortes d’êtres humains finalement transformés en singes. Dans le troisième de 7 fois 52 d’autres sortes d’êtres humains qui furent supprimés, alors que dans le quatrième cycle de 6 fois 52 ils furent transformés en poissons.

Le cinquième cycle amène l’existence des êtres humains tels qu’on les connaît ; la mission cosmique des Aztèques est de maintenir l’équilibre en nourrissant le soleil. Il est considéré toutefois qu’à un moment ce sera l’échec et la destruction du monde dans des séismes.

Les glyphes aztèques de 26 années, soit la moitié d’un siècle mésoaméricain ; la femme représente la nuit et verse le contenu d’un bol, l’homme représente le jour et se perce d’une aiguille pour faire une offrande de sang

Le calendrier maya est ici très intéressant.

Le calendrier pour la vie quotidienne s’appelle Haab et consiste en 18 périodes de 20 jours, soit 360 jours. Ces périodes ne se « succèdent » pas, elles s’entremêlent comme en spirale, une forme considérée en Mésoamérique comme essentielle dans son rapport au mouvement.

Cinq jours y sont ajoutés, pour une année solaire de 365,2420 jours (avec donc une marge d’erreur très faible, puisqu’elle est en réalité de 365,2422 jours).

Cela signifie que la vie des Mayas, dans son déroulement, dépend du soleil. Ce sont les enfants du soleil.

Le calendrier religieux s’appelle Tzolk’in et consiste en 13 périodes de 20 jours, soit 260 jours. Rappelons que la durée de gestation d’un être humain est entre 255 et 265 jours. 260 jours est également une durée d’observation de Vénus, l’étoile du matin qui était considéré comme jouant un grand rôle dans la fertilité.

Le calendrier Tzolk’in

Cela signifie que la vie religieuse des Mayas, dans son déroulement, dépend du mouvement porté par l’univers – et ce mouvement, c’est la vie elle-même, d’où les 260 jours, formant une naissance, le calendrier reflétant des cycles de naissance.

La vie a son calendrier, mais son existence sous-tend un autre calendrier, qui permet la vie. C’est la dualité de l’animisme cosmique : il y a le monde et un arrière-plan énergétique à ce monde.

On retrouve le nombre 52 comme chez les Aztèques, puisque les deux calendriers mayas ne se combinaient que tous les 52 ans, le premier multiple commun de 260 et 365 étant 18 980 (soit 52×365).

Le cycle de 52 ans est le fruit d’un double calendrier – d’une humanité ayant vu, à défaut de comprendre, le caractère dialectique de la vie en elle-même.

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