Mai 1942
Allocution
d’ouverture
Camarades !
Vous
avez été invités aujourd’hui à cette réunion pour un échange
de vues sur la liaison entre le travail littéraire et artistique et
le travail révolutionnaire en général.
Notre
but est d’assurer à la littérature et à l’art révolutionnaire
les moyens de se développer sainement et d’apporter une
contribution plus féconde aux autres activités révolutionnaires,
afin que l’ennemi de notre nation puisse être vaincu et la tâche
de la libération nationale accomplie.
Nous
luttons pour la libération du peuple chinois sur maints fronts
différents ; deux d’entre eux sont le front de la plume et le
front de l’épée, c’est-à-dire le front culturel et le front
militaire. Pour vaincre l’ennemi, nous devons nous appuyer en
premier lieu sur l’armée qui a le fusil à la main.
Mais
à elle seule cette armée ne saurait suffire, il nous faut aussi une
armée de la culture, indispensable pour unir nos rangs et vaincre
l’ennemi. Depuis le Mouvement du 4 Mai 1919, une telle armée de la
culture s’est constituée en Chine, elle a apporté une aide à la
révolution chinoise en réduisant progressivement la sphère
d’influence et en minant les forces de la culture féodale chinoise
et de la culture compradore, qui est au service de l’agression
impérialiste.
Pour
faire front contre la nouvelle culture, la réaction chinoise n’a
plus à présent d’autre ressource que de » répondre à la
qualité par la quantité » ; en d’autres termes, les
réactionnaires, qui ont de l’argent en abondance mais ne font rien
de valable, s’évertuent à produire le plus possible.
Depuis
le Mouvement du 4 Mai, la littérature et l’art forment un secteur
important du front culturel et l’on y a fait du bon travail.
Le mouvement littéraire et artistique révolutionnaire a connu un grand développement pendant la Guerre civile de Dix Ans. Il allait dans le même sens général que la guerre révolutionnaire de l’époque, mais ces deux armées sœurs manquaient de coordination dans leur travail pratique, car la réaction avait réussi à les isoler l’une de l’autre.
Depuis le début de la Guerre de Résistance contre le Japon, les écrivains et artistes révolutionnaires viennent en nombre croissant à Yenan et dans les autres bases antijaponaises. C’est très bien.
Mais
le fait qu’ils soient venus dans ces bases ne signifie pas encore
qu’ils aient réussi à se fondre complètement avec les masses
populaires. Or, une telle fusion est nécessaire si nous voulons
avancer dans notre travail révolutionnaire.
Le
but de notre réunion d’aujourd’hui est précisément de faire en
sorte que la littérature et l’art s’intègrent parfaitement dans
le mécanisme général de la révolution, qu’ils deviennent une
arme puissante pour unir et éduquer le peuple, pour frapper et
anéantir l’ennemi, et qu’ils aident le peuple à lutter contre
l’ennemi d’un même cœur et d’une même volonté.
Quels
sont les problèmes à résoudre pour atteindre ce but ? Je
pense que ce sont les suivants : la position de classe de ceux
qui se consacrent à la littérature et à l’art, leur attitude,
leur public, leur travail et les études auxquelles ils doivent se
livrer.
La
position de classe. Nous nous tenons sur les positions du prolétariat
et des masses populaires. Pour les membres du Parti communiste, cela
implique la nécessité de se tenir sur la position du Parti, de se
conformer à l’esprit de parti et à la politique du Parti.
Parmi
nos travailleurs littéraires et artistiques, y en a-t-il qui n’ont
pas encore une idée juste ou une idée nette sur ce point ? Je
pense que oui ; nombre de nos camarades se sont souvent écartés
de la position juste.
L’attitude.
De notre position découle l’attitude déterminée que nous prenons
à l’égard de faits déterminés. Par exemple : faut-il louer
ou dénoncer ? C’est là une question d’attitude. Laquelle
de ces deux attitudes devons-nous adopter ? Je répondrai :
toutes les deux ; il s’agit de voir à qui nous avons affaire.
Il y a trois catégories de personnes : nos ennemis, nos alliés
du front uni, et les nôtres, j’entends les masses populaires et
leur avant-garde.
Trois
attitudes différentes doivent être adoptées à l’égard de ces
trois catégories de personnes.
En
ce qui concerne nos ennemis, les impérialistes japonais et tous les
ennemis du peuple, la tâche des écrivains et des artistes
révolutionnaires consiste à dévoiler leur cruauté, leurs
mensonges et à montrer qu’ils sont voués à la défaite, afin
d’encourager l’armée et le peuple qui résistent au Japon à
lutter résolument, d’un même cœur et d’une même volonté pour
abattre l’ennemi. A l’égard de nos différents alliés du front
uni, notre attitude doit être celle de l’union comme de la
critique ; et comme les unions sont diverses, diverses seront
les critiques.
Nous
approuvons la lutte de nos alliés pour résister au Japon et les
félicitons quand ils remportent des succès, mais nous devons les
critiquer s’ils ne se montrent pas assez actifs dans la Guerre de
Résistance. Nous devons combattre fermement quiconque s’oppose au
Parti communiste et au peuple et s’engage ainsi de plus en plus
dans la voie de la réaction. En ce qui concerne les masses
populaires, leur travail et leur combat, leur armée et leur Parti,
nous devons, bien entendu, les glorifier.
Le
peuple, lui aussi, a ses défauts. Dans les rangs du prolétariat,
beaucoup de gens ont conservé l’idéologie petite-bourgeoise, et
chez les paysans comme dans la petite bourgeoisie urbaine se
rencontrent des idées rétrogrades ; c’est un fardeau qui les
gêne dans leur lutte. Nous devons, en y mettant le temps et avec
patience, les éduquer, les aider à se débarrasser de ce fardeau et
à combattre leurs insuffisances et leurs erreurs, afin qu’ils
puissent progresser à grands pas.
Au
cours de la lutte, ils se sont réformés ou sont en train de le
faire, et notre littérature et notre art doivent décrire le
processus de cette rééducation. A moins qu’ils ne persistent dans
leurs erreurs, nous ne devons pas, en portant sur les gens un
jugement unilatéral, commettre la faute de les ridiculiser ou pire
encore, de nous montrer hostiles à leur égard.
Nos
productions artistiques et littéraires doivent les aider à s’unir,
à progresser et à poursuivre leur combat dans l’unanimité, à se
débarrasser de ce qu’ils peuvent avoir d’arriéré et à
développer ce qu’ils ont de révolutionnaire ; elles ne
doivent en aucun cas avoir l’effet inverse.
Le
public, ou la question de savoir à qui sont destinées les œuvres
littéraires et artistiques. Dans la région frontière du
Chensi-Kansou-Ninghsia et les bases antijaponaises de la Chine du
Nord et de la Chine centrale, ce problème n’est pas le même que
dans les territoires contrôlés par le Kuomintang et se posait
encore moins dans le Changhaï d’avant la Guerre de Résistance.
A
Changhaï, c’était surtout une partie des étudiants, des employés
de bureau et de commerce qui s’intéressaient aux œuvres
littéraires et artistiques révolutionnaires.
Dans les régions
contrôlées par le Kuomintang, le cercle s’est quelque peu élargi
depuis la Guerre de Résistance, mais le public est resté
essentiellement le même, car le gouvernement tenait les ouvriers,
les paysans et les soldats à l’écart de la littérature et de
l’art révolutionnaires.
Il
en est tout autrement dans nos bases d’appui.
Les
œuvres littéraires et artistiques ont ici pour public les ouvriers,
les paysans, les soldats et les cadres révolutionnaires.
Il
y a aussi des étudiants dans nos bases d’appui, mais ils diffèrent
des étudiants du type ancien : ils ont été ou deviendront des
cadres. Les différents cadres, les combattants dans l’armée, les
ouvriers dans les usines et les paysans dans les campagnes réclament
des livres et des journaux dès l’instant où ils ont appris à
lire ; les illettrés eux aussi veulent assister à des
spectacles, admirer des peintures, chanter, écouter de la musique ;
voilà le public auquel s’adressent nos œuvres littéraires et
artistiques.
Prenons
par exemple nos cadres. Croyez-vous qu’ils soient en petit nombre ?
Ils sont bien plus nombreux que les lecteurs d’un ouvrage
quelconque publié dans les régions contrôlées par le Kuomintang,
où une édition ne compte en général que deux mille exemplaires,
ce qui fait seulement six mille pour trois éditions, alors que dans
nos bases d’appui le nombre des cadres sachant lire dépasse déjà
dix mille rien qu’à Yenan.
De
plus, beaucoup sont des révolutionnaires éprouvés, ils sont venus
de tous les coins du pays et ils iront travailler dans différentes
régions, aussi le travail d’éducation parmi eux est-il d’une
grande importance. Nos écrivains et nos artistes doivent s’y
employer tout particulièrement.
Puisque
notre littérature et notre art sont destinés aux ouvriers, aux
paysans, aux soldats et à leurs cadres, il s’agit de comprendre
ceux-ci et de les connaître à fond. Il y a énormément à faire
pour comprendre et connaître à fond les différentes espèces de
gens et de choses dans les organismes du Parti et de l’Etat, à la
campagne, dans les usines, dans la VIIIe Armée de Route et la
Nouvelle IVe Armée. Nos écrivains et artistes ont pour tâche leur
propre travail de création, mais leur premier devoir est de
comprendre les gens et de les connaître à fond.
Or,
qu’en a-t-il été à cet égard de nos écrivains et artistes
jusqu’à présent ? Je dirais qu’ils ont manqué de
connaissance et de compréhension ; ils ont été semblables à
ces » héros qui ne savent où manifester leurs prouesses ».
Quelle est la connaissance qui leur manquait ? Celle des gens.
Nos
écrivains et artistes ne connaissaient bien ni leur sujet ni leur
public et parfois ceux-ci leur restaient même complètement
étrangers. Ils ne connaissaient pas les ouvriers, les paysans et les
soldats, ni leurs cadres. Quelle est la compréhension qui leur
manquait ?
Celle
du langage, c’est-à-dire qu’ils ne comprenaient pas bien le
langage riche et vivant des masses.
Nombre
d’écrivains et d’artistes demeurent coupés des masses et mènent
une existence vide ; le langage du peuple ne leur est évidemment
pas familier ; aussi écrivent-ils dans une langue insipide, le
plus souvent truffée d’expressions fabriquées, ni chair ni
poisson, à cent lieues du langage du peuple.
Beaucoup
de camarades aiment à parler du » style des masses » ;
mais que signifie l’expression » style des masses » ?
Elle signifie que les pensées et les sentiments de nos écrivains et
artistes doivent se fondre avec ceux des larges masses d’ouvriers,
de paysans et de soldats. Pour réaliser cette fusion, il faut
apprendre consciencieusement le langage des masses ; si celui-ci
vous est en grande partie inintelligible, comment pouvez-vous parler
de création artistique ?
Quand
je parle de » héros qui ne savent où manifester leurs
prouesses « , j’entends que vos grands discours ne sont guère
appréciés des masses.
Plus
vous vous posez en hommes d’expérience, plus vous jouez les »
héros » et plus vous faites d’efforts pour écouler votre
marchandise, plus les masses répugnent à l’acheter.
Si
vous voulez que les masses vous comprennent, si vous voulez ne faire
qu’un avec elles, vous devez trouver en vous la volonté de vous
soumettre à une refonte longue et même douloureuse. A ce propos, je
peux vous faire part de mon expérience sur les transformations de
mes propres sentiments.
Je
suis un homme qui est passé par l’école et j’y avais acquis les
habitudes d’un étudiant ; devant la foule des étudiants qui
n’auraient pu porter quoi que ce soit sur leurs épaules ou dans
leurs mains, j’aurais cru manquer de dignité en faisant le moindre
travail manuel, comme par exemple de porter moi-même mes bagages sur
l’épaule.
En
ce temps-là, il me semblait que seuls les intellectuels étaient
propres, et que, comparés à eux, les ouvriers et les paysans
étaient plus ou moins sales. Je pouvais porter les vêtements d’un
autre intellectuel parce que je pensais qu’ils étaient propres,
mais je n’aurais pas voulu mettre les habits d’un ouvrier ou d’un
paysan, car je les trouvais sales.
Devenu
révolutionnaire, je vécus parmi les ouvriers, les paysans et les
soldats de l’armée révolutionnaire et, peu à peu, je me
familiarisai avec eux, et eux avec moi. C’est alors, et alors
seulement, qu’un changement radical s’opéra dans les sentiments
bourgeois et petits-bourgeois qu’on m’avait inculqués dans les
écoles bourgeoises.
J’en
vins à comprendre que, comparés aux ouvriers et aux paysans, les
intellectuels non rééduqués n’étaient pas propres ; que
les plus propres étaient encore les ouvriers et les paysans, plus
propres, malgré leurs mains noires et la bouse qui collait à leurs
pieds, que tous les intellectuels bourgeois et petits-bourgeois.
Voilà ce que j’appelle se refondre, remplacer les sentiments d’une
classe par ceux d’une autre classe.
Si
nos écrivains et artistes venus des milieux intellectuels veulent
que leurs œuvres soient bien accueillies par les masses, il faut que
leurs pensées et leurs sentiments changent, il faut qu’ils se
rééduquent. Sans ce changement, sans cette rééducation, ils
n’arriveront à rien de bon et ne seront jamais bien à leur
place.
Enfin, le problème de l’étude.
J’entends
par là l’étude du marxisme-léninisme et de la société. Ceux
qui se considèrent comme des écrivains révolutionnaires marxistes,
et à plus forte raison les écrivains communistes, doivent connaître
le marxisme-léninisme ; mais il y a aujourd’hui des camarades
qui n’ont qu’une connaissance insuffisante des conceptions
fondamentales du marxisme. Par exemple, l’une de celles-ci est que
l’être détermine la conscience, que la réalité objective de la
lutte des classes et de la lutte pour le salut de la nation détermine
nos pensées et nos sentiments.
Cependant,
certains de nos camarades posent le problème à l’envers et
affirment qu’en toutes choses il faut partir de » l’amour « .
Or l’amour, dans la société de classes, ne saurait être lui
aussi qu’un amour de classe. Mais ces camarades sont à la
recherche d’un amour au-dessus des classes, de l’amour dans
l’abstrait, comme d’ailleurs de la liberté dans l’abstrait, de
la vérité dans l’abstrait, de la nature humaine dans l’abstrait,
etc. Cela montre qu’ils ont subi une forte influence bourgeoise.
Il
faut liquider totalement cette influence et se consacrer sincèrement
à l’étude du marxisme-léninisme. Les travailleurs littéraires
et artistiques doivent apprendre l’art de créer, cela va de soi ;
mais le marxisme-léninisme est une science que tous les
révolutionnaires doivent étudier, et les écrivains et artistes ne
font pas exception.
Ils
doivent étudier la société, c’est-à-dire ses différentes
classes, leurs rapports et leurs conditions respectives, leur
physionomie et leur psychologie. C’est seulement lorsque nous
aurons tiré au clair toutes ces questions que notre littérature et
notre art acquerront un riche contenu et auront une orientation
juste.
Aujourd’hui,
en guise d’introduction, je ne fais que soulever ces problèmes,
sur lesquels j’espère que vous vous prononcerez tous, ainsi que
sur certains autres qui s’y rapportent.
I
A
vrai dire, ce problème a été depuis longtemps résolu par les
marxistes, et en particulier par Lénine. Dès 1905, Lénine
soulignait que notre art et notre littérature doivent »
servir… les millions et les dizaines de millions de travailleurs
» [1].
Pour
nos camarades des bases antijaponaises qui travaillent dans les
domaines littéraire et artistique, ce problème aurait dû,
semble-t-il, être résolu depuis longtemps sans qu’il soit besoin
de le soulever à nouveau. En réalité, il n’en est pas ainsi. De
nombreux camarades n’ont pas encore trouvé de solution claire et
précise.
C’est
pourquoi ils ne peuvent éviter que leur état d’esprit, leurs
œuvres, leurs actes, leurs idées sur l’orientation de la
littérature et de l’art ne passent plus ou moins à côté des
besoins des masses, des besoins de la lutte pratique. Parmi les
nombreux hommes de culture, écrivains, artistes, et autres
travailleurs littéraires et artistiques participant, aux côtés du
Parti communiste, de la VIIIe Armée de Route et de la Nouvelle IVe
Armée, à la grande lutte pour la libération, quelques-uns peuvent
être des arrivistes qui ne resteront pas avec nous ; mais, dans
leur immense majorité, ils se consacrent de toutes leurs forces à
l’œuvre commune.
Grâce
aux efforts de ces camarades, nos réalisations dans les domaines de
la littérature, du théâtre, de la musique et des beaux-arts sont
considérables. Nombre d’entre eux se sont mis à l’œuvre après
que la Guerre de Résistance eut éclaté ; beaucoup d’autres
ont commencé à travailler pour la révolution bien avant cette
guerre, ont éprouvé mille peines et difficultés et ont influencé
les masses par leur action et par leurs œuvres.
Pourquoi
n’en disons-nous pas moins que, même parmi ces camarades, tous
n’ont pas encore trouvé de réponse nette et précise à la
question : qui la littérature et l’art doivent-ils servir ?
Est-il
possible qu’il y en ait encore qui soutiennent que la littérature
et l’art révolutionnaires ne doivent pas servir les larges masses
populaires mais les exploiteurs et les oppresseurs ?
Bien
entendu, il existe une littérature et un art au service des
exploiteurs et des oppresseurs. La littérature et l’art faits pour
les propriétaires fonciers, c’est la littérature féodale et
l’art féodal, qui furent la littérature et l’art de la classe
dominante dans la période féodale de la Chine. Aujourd’hui
encore, en Chine, leur influence reste forte.
La
littérature et l’art faits pour la bourgeoisie, c’est la
littérature et l’art bourgeois. Des gens comme Liang
Che-tsieou [2], que Lou Sin fustigea, ont pu professer que la
littérature et l’art sont au-dessus des classes ; en fait,
ils prennent position pour la littérature et l’art bourgeois et
contre la littérature et l’art prolétariens. Il est également
une littérature et un art qui servent les impérialistes, et que
représentent les œuvres de Tcheou Tsouo-jen, de Tchang
Tse-ping [3] et de leurs semblables ; c’est la
littérature et l’art des traîtres à la patrie.
Pour
nous, la littérature et l’art ne s’adressent pas aux catégories
de gens que nous venons de citer, mais au peuple. Nous avons déjà
dit que la nouvelle culture chinoise, à l’étape actuelle, est la
culture anti-impérialiste et antiféodale des larges masses
populaires, placée sous la direction du prolétariat.
A
notre époque, ce qui est authentiquement populaire est
nécessairement dirigé par le prolétariat. Ce qui est dirigé par
la bourgeoisie ne peut appartenir aux masses populaires. Ceci, bien
entendu, est aussi vrai pour la littérature et l’art nouveaux,
éléments de la culture nouvelle. Nous devons recueillir le riche
héritage et maintenir les meilleures traditions de la littérature
et de l’art chinois et étrangers, mais pour les mettre au service
des masses populaires.
Nous
ne refusons nullement d’utiliser les formes littéraires et
artistiques du passé : entre nos mains, refaçonnées et
chargées d’un contenu nouveau, elles deviennent elles aussi
propres à servir la révolution et le peuple.
Mais
qui sont les masses populaires ? Les masses populaires les plus
larges – elles constituent plus de 90 pour cent de notre population
– sont les ouvriers, les paysans, les soldats et la petite
bourgeoisie urbaine.
Ainsi
notre littérature et notre art sont-ils destinés, en premier lieu,
aux ouvriers, la classe qui dirige la révolution ; en second
lieu, aux paysans, nos alliés les plus nombreux et les plus résolus
dans la révolution ; en troisième lieu, aux ouvriers et
paysans armés, autrement dit à la VIIIe Armée de Route, à la
Nouvelle IVe Armée et aux autres détachements armés du peuple, qui
sont les forces principales de la guerre révolutionnaire ; en
dernier lieu, aux masses travailleuses et aux intellectuels de la
petite bourgeoisie urbaine, qui sont aussi nos alliés dans la
révolution et sont susceptibles de collaborer longtemps avec nous.
Ces
quatre catégories représentent l’immense majorité du peuple
chinois, ce sont les masses populaires les plus larges.
Notre
littérature et notre art doivent donc s’adresser aux quatre
catégories de personnes dont je viens de parler. Pour les servir,
nous devons nous placer sur la position du prolétariat et non sur
celle de la petite bourgeoisie. Les écrivains qui, à l’heure
actuelle, se cramponnent à leur position individualiste,
petite-bourgeoise, sont incapables de servir réellement les masses
révolutionnaires des ouvriers, des paysans et des soldats, car ils
s’intéressent surtout au petit nombre d’intellectuels
petits-bourgeois.
Et
c’est là précisément la raison pour laquelle une partie de nos
camarades ne peuvent pas résoudre, d’une manière correcte, le
problème de savoir qui notre littérature et notre art doivent
servir. Je ne parle pas du problème sur le plan théorique. Personne
dans nos rangs ne considère, en théorie ou en paroles, que la masse
des ouvriers, des paysans et des soldats a moins d’importance que
les intellectuels petits-bourgeois.
Je
veux parler ici de la pratique, du comportement de ces camarades.
Dans la pratique, dans leur comportement, n’accordent-ils pas
davantage d’importance aux intellectuels petits-bourgeois qu’aux
ouvriers, aux paysans et aux soldats ?
Je
pense que si. Beaucoup de camarades s’attachent de préférence à
étudier les intellectuels petits-bourgeois, à analyser leur
psychologie et à les dépeindre, cherchant à excuser et à
justifier leurs défauts ; ils n’essaient pas de les amener,
de concert avec eux, à se rapprocher des ouvriers, des paysans et
des soldats, à participer à la lutte pratique qu’ils mènent, à
les décrire et à les éduquer.
Venus
de la petite bourgeoisie et intellectuels eux-mêmes, beaucoup de nos
camarades ne cherchent d’amis que parmi les intellectuels et n’ont
d’attention que pour l’étude et la représentation de ces
derniers. Si, pour les étudier et les dépeindre, ils se plaçaient
sur la position du prolétariat, ils auraient raison de le faire.
Mais il n’en est pas ainsi, du moins pas tout à fait. Ils se
placent sur la position de la petite bourgeoisie et font de leurs
oeuvres un autoportrait du petit-bourgeois.
On
peut s’en convaincre à l’examen d’un assez grand nombre de
leurs œuvres littéraires et artistiques. Dans bien des cas, ils
montrent la plus grande sympathie pour les intellectuels d’origine
petite-bourgeoise et même présentent avec bienveillance leurs
défauts, qu’ils vont jusqu’à louer.
Par
contre, ces camarades ne se lient guère avec les ouvriers, les
paysans et les soldats ; ils ne les comprennent ni ne les
étudient, ils n’ont parmi eux aucun ami intime et ne savent pas
les représenter. S’ils essaient de les peindre, les habits sont
bien d’un travailleur, mais le visage est celui d’un intellectuel
petit-bourgeois.
A
certains égards, ils aiment eux aussi les ouvriers, les paysans, les
soldats et les cadres issus de leurs rangs ; à d’autres
égards, parfois, ils ne les aiment pas : ils n’aiment pas
leurs sentiments et leurs manières, ni leur littérature et leur art
encore en germe (tels que journaux muraux, peintures murales, chants
folkloriques et contes populaires).
Bien
sûr, il arrive qu’ils aiment aussi ces choses-là, mais seulement
à titre de curiosité ou pour en emprunter de quoi orner leurs
propres œuvres, ou même parce que certains aspects arriérés les
séduisent. Parfois, ils les dédaignent franchement pour se tourner
vers ce qui vient de la petite bourgeoisie intellectuelle, voire même
de la bourgeoisie.
Ils
ont encore les pieds plantés dans le sol de la petite bourgeoisie
intellectuelle, ou, pour m’exprimer dans un style plus relevé,
l’intellectuel petit-bourgeois subsiste dans les replis secrets de
leur âme. Ainsi donc, le problème de savoir à qui la littérature
et l’art sont destinés n’est pas encore résolu pour eux ou bien
ne l’est pas encore d’une manière précise.
Ceci
ne s’applique pas uniquement à ceux qui sont arrivés récemment à
Yenan ; même parmi ceux qui ont été au front, qui travaillent
depuis quelques années déjà sur le territoire des bases d’appui,
dans la VIIIe Armée de Route et dans la Nouvelle IVe Armée, il y en
a beaucoup pour qui ce problème n’est pas encore complètement
résolu.
Pour
qu’il le soit, il faut du temps, huit à dix années au moins.
Cependant,
même si le délai doit être long, nous devons résoudre ce
problème, lui donner une solution claire et définitive. Il faut que
nos écrivains et nos artistes s’acquittent de cette tâche, il
faut qu’ils abandonnent leur position petite-bourgeoise et passent
graduellement du côté du prolétariat, du côté des ouvriers, des
paysans et des soldats en allant parmi eux, en se jetant au cœur de
la lutte pratique, en étudiant le marxisme et la société.
C’est
seulement ainsi que nous pourrons créer une littérature et un art
qui servent réellement les ouvriers, les paysans et les soldats, une
littérature et un art authentiquement prolétariens.
Qui
la littérature et l’art doivent-ils servir ? C’est là une
question fondamentale, une question de principe. Jusqu’ici, les
controverses, divergences, antagonismes ou mésententes qui ont surgi
entre certains camarades n’ont pas porté sur cette question
fondamentale, de principe, mais sur des questions d’ordre plutôt
secondaire, voire dénuées de tout caractère de principe.
Sur
la question de principe qui nous occupe, les contestants n’avaient
guère de divergences ; leur accord était au contraire presque
complet ; en effet, tous les camarades, dans une certaine
mesure, avaient tendance à dédaigner les ouvriers, les paysans et
les soldats et à rester à l’écart des masses. Je dis » dans
une certaine mesure « , car, d’une manière générale, s’ils
dédaignaient les ouvriers, les paysans et les soldats, s’ils
restaient à l’écart des masses, ce n’était pas de la même
façon que le Kuomintang.
Mais,
quoi qu’il en soit, cette tendance existe. Et tant que cette
question fondamentale ne sera pas résolue, beaucoup d’autres
seront difficiles à résoudre. Prenons, par exemple, le sectarisme
dans les milieux littéraires et artistiques. C’est également là
une question de principe. Or, on ne peut éliminer le sectarisme que
si on lance et si on applique consciencieusement, là aussi, les mots
d’ordre appelant à travailler pour les ouvriers et les paysans,
pour la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IVe Armée, à aller aux
masses. Il n’y a absolument pas d’autre moyen d’en finir avec
lui. Lou Sin a dit : La condition indispensable à l’existence
d’un front uni, c’est d’avoir un but commun…
Notre
absence d’unité montre que nous n’avons pas su nous assigner un
but commun ; nous ne travaillons en effet que pour des groupes
restreints, voire, au fond, seulement pour notre intérêt personnel.
Si notre objectif à tous est de servir les masses ouvrières et
paysannes, il ne fait aucun doute que nous aurons un front uni
[4].
Ce
problème se posait alors à Changhaï, il se pose aussi actuellement
à Tchongking. Mais dans ces endroits, il est très difficile de le
résoudre complètement, car les gouvernants y oppriment les
écrivains et les artistes révolutionnaires et les privent de la
liberté d’aller parmi les masses d’ouvriers, de paysans et de
soldats. La situation est toute différente ici.
Nous
encourageons les efforts des écrivains et des artistes
révolutionnaires pour resserrer leurs liens avec les ouvriers, les
paysans et les soldats, nous leur assurons l’entière liberté
d’aller aux masses, de créer une littérature et un art
authentiquement révolutionnaires. C’est pourquoi, chez nous, ce
problème est près d’être résolu. Mais que cette solution soit
proche ne signifie pas qu’elle soit entièrement et définitivement
acquise, et si nous parlons de la nécessité d’étudier le
marxisme et la société, c’est justement pour arriver à une
solution entière et définitive de ce problème. Par marxisme, nous
entendons un marxisme vivant qui exerce un rôle réel dans la vie et
la lutte des masses, et non un marxisme purement verbal. Passez du
marxisme en paroles à un marxisme de la vie réelle, et il n’y
aura plus de place pour le sectarisme ; il sera alors possible
non seulement d’en finir avec le sectarisme, mais aussi de résoudre
les nombreux autres problèmes qui se posent à nous.
II
Le
problème : qui servir ? étant résolu, nous abordons
maintenant le problème : comment servir ? Ou, comme le
posent nos camarades, devons-nous consacrer nos efforts à élever le
niveau de la littérature et de l’art ou bien à les populariser ?
Dans
le passé, des camarades ont sous-estime ou négligé dans une
certaine mesure, et parfois dans une mesure importante, la
popularisation de la littérature et de l’art ; ils
attachaient une importance excessive à l’élévation de leur
niveau.
Ce
niveau doit être élevé ; on a raison d’insister là-dessus,
mais on a tort de le faire d’une manière unilatérale, exclusive,
jusqu’à l’exagération. Nous retrouvons ici les effets de cette
absence d’une solution claire et complète au problème du public
auquel sont destinés la littérature et l’art.
Comme
ces camarades n’ont pas tiré ce problème au clair, ils manquent
d’un bon critère pour juger ce qu’ils appellent »
populariser » et » élever le niveau » et, à plus
forte raison, ils ne peuvent trouver le juste rapport entre l’un et
l’autre.
Dès
lors que notre littérature et notre art sont essentiellement
destinés aux ouvriers, aux paysans et aux soldats, les populariser
signifie les rendre populaires parmi eux, en élever le niveau
signifie partir du niveau des ouvriers, des paysans et des soldats
pour relever.
Que
devons-nous populariser parmi eux ? Ce qui répond aux besoins
et au goût de la classe féodale des propriétaires fonciers ?
Ou bien de la bourgeoisie ? Ou encore des intellectuels
petits-bourgeois ? Non, rien de tout cela.
Nous
devons populariser seulement ce dont ont besoin les ouvriers, paysans
et soldats et qu’ils sont prêts à accueillir. C’est pourquoi,
avant d’entreprendre la tâche d’éduquer les ouvriers, les
paysans et les soldats, il nous faut apprendre auprès d’eux. Cela
est particulièrement vrai quand on parle d’élever le niveau. Pour
élever une chose, il faut la prendre au niveau où elle se trouve.
Un
seau d’eau, par exemple, n’est-ce pas sur le sol qu’on le prend
pour le soulever ?
Serait-ce en l’air par hasard ?
D’où devons-nous donc partir pour élever le niveau de
la
littérature et de l’art ? Du niveau de la classe
féodale ? Ou de celui de la bourgeoisie ?
Ou de celui
des intellectuels petits-bourgeois ?
Non,
d’aucun de ces niveaux. Nous ne pouvons élever le niveau de la
littérature et de l’art qu’en partant de celui des ouvriers, des
paysans et des soldats eux-mêmes.
Cela
ne signifie pas non plus que nous devions élever le niveau des
ouvriers, des paysans et des soldats à la » hauteur » de
celui de la classe féodale, de la bourgeoisie ou des intellectuels
petits-bourgeois ; cela signifie qu’il nous faut élever le
niveau de la littérature et de l’art en suivant le propre
mouvement ascendant des ouvriers, des paysans et des soldats, le
mouvement ascendant du prolétariat.
Ici
encore s’impose la tâche de nous mettre à l’école des
ouvriers, des paysans et des soldats. C’est seulement en partant
d’eux que nous arriverons à comprendre comme il faut ce qu’est
la popularisation de la littérature et de l’art et l’élévation
de leur niveau et que nous trouverons le juste rapport entre l’une
et l’autre.
Quelle
est en dernière analyse la source de tous les genres littéraires et
artistiques ? En tant que formes idéologiques, les œuvres
littéraires et les œuvres d’art sont le produit du reflet, dans
le cerveau de l’homme, d’une vie sociale donnée.
La
littérature et l’art révolutionnaires sont donc le produit du
reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l’écrivain ou de
l’artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine
de matériaux pour la littérature et l’art, matériaux à l’état
naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu’il y a de
plus vivant, de plus riche, d’essentiel.
Dans
ce sens, elle fait pâlir n’importe quelle littérature, n’importe
quel art, dont elle est d’ailleurs la source unique, inépuisable.
Source unique, car c’est la seule possible ; il ne peut y en
avoir d’autre. Certains diront : Et la littérature et l’art
dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays
étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?
A
vrai dire, les ouvres du passé ne sont pas des sources, mais des
cours d’eau ; elles ont été créées avec les matériaux que
les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple
de leur temps et de leur pays. Nous devons recueillir tout ce qu’il
y a de bon dans l’héritage littéraire et artistique légué par
le passé, assimiler d’un esprit critique ce qu’il contient
d’utile et nous en servir comme d’un exemple, lorsque nous créons
des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de
notre pays les matériaux nécessaires.
Entre
avoir et ne pas avoir un tel exemple, il y a une différence :
la différence qui fait que l’œuvre est élégante ou brute,
raffinée ou grossière, supérieure ou inférieure et que
l’exécution en est aisée ou laborieuse.
C’est
pourquoi nous ne devons pas rejeter l’héritage des anciens et des
étrangers ni refuser de prendre leurs œuvres pour exemples,
fussent-elles féodales ou bourgeoises.
Mais
accepter cet héritage et le prendre en exemple ne doit jamais
suppléer à notre propre activité de création, que rien ne peut
remplacer.
Transposer
et imiter sans aucun esprit critique les œuvres anciennes et
étrangères, c’est, en littérature et en art, tomber dans le
dogmatisme le plus stérile et le plus nuisible.
Les
écrivains et artistes révolutionnaires chinois, les écrivains et
artistes qui promettent doivent aller parmi les masses ; ils
doivent se mêler pendant une longue période, sans réserve et de
tout cœur, à la masse des ouvriers, des paysans et des soldats,
passer par le creuset du combat, aller à la source unique,
prodigieusement riche et abondante, de tout travail créateur, pour
observer, comprendre, étudier et analyser toutes sortes de gens,
toutes les classes, toutes les masses, toutes les formes palpitantes
de la vie et de la lutte, tous les matériaux bruts nécessaires à
la littérature et à l’art.
C’est
seulement ensuite qu’ils pourront se mettre à créer. Si vous
n’agissez pas ainsi, votre travail sera sans objet, vous
appartiendrez à ce genre d’écrivains ou d’artistes qui ne le
sont que de nom et dont Lou Sin, dans son testament, recommandait
vivement à son fils de ne jamais suivre l’exemple [5].
Bien
que la vie sociale des hommes soit la seule source de la littérature
et de l’art, et qu’elle les dépasse infiniment par la richesse
vivante de son contenu, le peuple ne s’en contente pas et veut de
la littérature et de l’art. Pourquoi ?
Parce
que, si la vie comme la littérature et l’art sont beaux, la vie
reflétée dans les œuvres littéraires et artistiques peut et doit
toutefois être plus relevée, plus intense, plus condensée, plus
typique, plus proche de l’idéal et, partant, d’un caractère
plus universel que la réalité quotidienne.
Puisant
leurs éléments dans la vie réelle, la littérature et l’art
révolutionnaires doivent créer les figures les plus variées et
aider les masses à faire avancer l’histoire.
Prenons
un exemple. Les uns souffrent de la faim et du froid, sont victimes
de l’oppression, les autres exploitent et oppriment les hommes ;
le fait existe partout et semble bien banal. Mais les écrivains et
les artistes ont le pouvoir de condenser ces faits quotidiens,
d’exprimer sous une forme typique les contradictions et les luttes
qu’ils recèlent et de créer ainsi des œuvres capables d’éveiller
les masses populaires, de les exalter, de les appeler à s’unir et
à lutter pour changer les conditions dans lesquelles elles vivent.
Sans
une telle littérature, un tel art, ces tâches ne pourraient être
accomplies, ou ne pourraient l’être avec autant d’efficacité et
de rapidité.
Que
signifie populariser et que signifie élever le niveau en littérature
et en art ? Quel rapport y a-t-il entre ces deux tâches. Les
œuvres de vulgarisation sont plus simples, plus faciles à
comprendre, et c’est pourquoi elles sont plus aisément et plus
rapidement assimilées par les larges masses populaires
d’aujourd’hui. Les œuvres d’un niveau élevé demandent une
exécution plus soignée, aussi sont-elles plus difficiles à
produire, et, à l’heure actuelle, elles se répandent généralement
avec plus de difficulté, avec plus de lenteur parmi les masses
populaires.
Voici
le problème devant lequel se trouvent à présent les ouvriers, les
paysans et les soldats : Ils sont engagés dans une lutte
farouche et sanglante contre l’ennemi et, illettrés et sans
culture, parce que soumis à la longue domination de la classe
féodale et de la bourgeoisie, ils ont grand besoin que se développe
un vaste mouvement d’initiation culturelle ; ils réclament
avec insistance la culture et l’instruction, les œuvres
littéraires et artistiques qui répondent à leurs besoins immédiats
et qu’ils pourraient s’assimiler sans difficulté, de sorte que
leur enthousiasme au combat en soit exalté, leur foi dans la
victoire affermie et leur solidarité renforcée dans la lutte
unanime contre l’ennemi.
Ce
qu’il faut d’abord faire pour eux n’est pas d’ » ajouter
des fleurs à un brocart « , mais d’ » offrir du charbon
par temps de neige « . C’est pourquoi, dans les conditions
actuelles, la popularisation est la tâche la plus urgente. La
sous-estimer ou la négliger serait une erreur.
Toutefois,
on ne peut séparer de façon absolue le travail de popularisation de
celui de l’élévation de niveau. Il est maintenant possible de
populariser certaines œuvres de qualité supérieure ; du
reste, le niveau culturel des masses s’élève constamment.
Si
dans notre travail de popularisation nous nous en tenions toujours au
même niveau, si nous fournissions mois après mois, année après
année, la même marchandise, si nous donnions toujours » Le
Petit Bouvier » [6] ou faisions toujours lire les
mêmes mots : » homme, main, bouche, couteau, bœuf, mouton
» [7], quelle différence y aurait-il encore entre
éducateur et éduqué ? Ce serait bonnet blanc et blanc bonnet.
Quel
sens pourrait bien avoir une popularisation pareille ? Le peuple
demande d’abord que les œuvres soient populaires, puis que leur
niveau s’élève aussitôt, qu’il s’élève de mois en mois et
d’année en année. De même que populariser signifie rendre
accessible pour le peuple, élever le niveau signifie ici l’élever
pour le peuple. C’est une élévation de niveau qui ne part pas du
vide et ne s’enferme pas entre quatre murs, c’est une élévation
de niveau fondée sur la popularisation.
Elle
est déterminée par la popularisation en même temps qu’elle la
guide. En Chine, la révolution et la culture révolutionnaire ont un
développement inégal et ne s’étendent que progressivement.
Alors
qu’en tel endroit on a popularisé la littérature et l’art et
même, sur cette base, élevé leur niveau, en tel autre on n’a pas
encore commencé à les populariser. Ainsi, l’expérience que nous
avons acquise dans un endroit en nous fondant sur la popularisation
de la littérature et de l’art pour en élever le niveau peut être
mise à profit dans d’autres endroits, afin d’y guider notre
travail et de nous épargner bien des détours et des erreurs. Sur le
plan international, l’expérience positive acquise à l’étranger,
et en premier lieu en Union soviétique, peut également nous servir
de guide.
Ainsi
donc, nous fondons sur la popularisation nos efforts pour élever le
niveau de la littérature et de l’art et ces efforts guident à
leur tour la popularisation.
C’est
pourquoi la popularisation, au sens où nous l’entendons, loin de
nuire aux efforts que nous faisons actuellement, dans un cadre
limité, pour élever le niveau de nos productions, leur fournit une
base et crée en même temps les conditions nécessaires pour la
poursuite de ce travail dans un cadre beaucoup plus vaste à
l’avenir.
Outre
l’élévation du niveau de nos œuvres répondant directement aux
besoins des masses, il en existe une autre, qui répond à leurs
besoins d’une manière indirecte : c’est l’élévation de
ce niveau exigée par les cadres.
Les
cadres sont les éléments avancés des masses et ils ont reçu en
général une instruction plus poussée ; il leur faut une
littérature et un art d’un niveau plus élevé, et ce serait une
erreur de ne pas tenir compte de ce besoin. Ce que vous faites pour
les cadres, vous le faites intégralement pour les masses, car on ne
peut éduquer les masses et les guider que par l’intermédiaire des
cadres.
Si
nous nous détournons de ce but, si ce que nous donnons aux cadres ne
peut les aider à éduquer les masses et à les guider, nos efforts
pour élever le niveau littéraire et artistique n’auront plus
d’objet et s’écarteront de notre principe fondamental, qui est
de servir les masses populaires.
En
résumé, les matériaux bruts de la littérature et de l’art,
contenus dans la vie du peuple, deviennent, par le travail créateur
des écrivains et des artistes révolutionnaires, la littérature et
l’art qui, en tant que formes idéologiques, servent les masses
populaires.
Il
s’agit, d’une part, d’une littérature et d’un art d’un
niveau élevé, qui se sont développés sur la base d’une
littérature et d’un art d’un niveau élémentaire et sont
nécessaires à la partie des masses dont le niveau s’est élevé
ou, plus immédiatement, aux cadres travaillant au sein de
celles-ci ; d’autre part, il s’agit d’une littérature et
d’un art d’un niveau élémentaire qui, à l’inverse, sont
produits sous la direction de la littérature et de l’art du niveau
élevé et répondent en général aux premiers besoins de la grande
majorité des masses d’aujourd’hui.
Qu’ils
soient d’un niveau élevé ou d’un niveau élémentaire, notre
littérature et notre art servent au même titre la grande masse du
peuple, au premier chef les ouvriers, les paysans et les soldats ;
ils sont créés pour eux et utilisés par eux.
Ayant
résolu le problème du rapport entre la popularisation de la
littérature et de l’art et l’élévation de leur niveau, nous
allons pouvoir résoudre également le problème des rapports entre
spécialistes et vulgarisateurs. Nos spécialistes doivent travailler
non seulement pour les cadres, mais aussi et surtout pour les masses.
Nos
spécialistes en littérature doivent s’intéresser aux journaux
muraux édités par les masses ainsi qu’aux reportages provenant de
l’armée et des régions rurales ; nos spécialistes de la
scène doivent s’intéresser aux petites troupes théâtrales de
l’armée et des régions rurales ; nos spécialistes de la
musique doivent s’intéresser aux chansons créées par les masses,
et nos spécialistes des beaux-arts, à l’art populaire.
Tous
ces camarades doivent se lier étroitement avec les camarades qui
travaillent parmi les masses à la popularisation de la littérature
et de l’art ; tout en les aidant et en les guidant, ils
doivent s’instruire auprès d’eux, se nourrir, par leur
intermédiaire, de la sève qui monte des masses, pour vivifier et
enrichir leur art, afin que leur spécialité ne devienne pas un »
château dans les nuages « , éloigné des masses et de la
réalité, dépourvu de contenu et de vie.
Nous
devons avoir de la considération pour nos spécialistes, ils sont
très précieux pour notre cause. Toutefois, nous devons leur dire
qu’un écrivain ou artiste révolutionnaire ne peut donner un sens
à son travail que s’il est lié aux masses, s’il reflète leur
vie, s’il est leur porte-parole fidèle.
C’est
seulement en étant le représentant des masses qu’il peut les
éduquer, c’est seulement en se faisant leur élève qu’il peut
devenir leur maître. S’il se prend pour un seigneur vis-à-vis des
masses, s’il se pose en aristocrate trônant au-dessus de la »
plèbe « , alors, si grand que soit son talent, il ne sera
d’aucune utilité pour les masses et son travail sera sans avenir.
Notre
attitude n’est-elle pas utilitariste ? Les matérialistes ne
sont pas contre l’utilitarisme en général, ils sont contre
l’utilitarisme des classes féodale, bourgeoise et
petite-bourgeoise, contre ces hypocrites qui se disent ennemis de
l’utilitarisme mais pratiquent en réalité l’utilitarisme le
plus égoïste et le plus myope.
En
ce monde, il n’y a pas d’utilitarisme qui soit en dehors des
classes ; dans la société de classes, ce qui n’est pas
l’utilitarisme d’une classe est celui d’une autre.
Nous
sommes des utilitaristes révolutionnaires, prolétariens, nous
partons de l’unité des intérêts présents et futurs des masses
les plus larges constituant plus de 90 pour cent de notre
population ; nous sommes donc des utilitaristes révolutionnaires
qui nous assignons les objectifs les plus larges et pour l’avenir
le plus lointain, et non des utilitaristes étroits qui ne voient que
le particulier et l’immédiat.
Si
une œuvre ne plaît qu’à un public restreint et n’est pas utile
ou même nuit à la majorité du peuple et si cependant, dans un but
utilitaire personnel ou au profit d’un cercle étroit, on l’impose
sur le marché, on fait de la propagande pour elle parmi les masses
et qu’après cela on accuse encore les masses d’utilitarisme, non
seulement on insulte les masses, mais encore on montre que l’on se
connaît fort mal soi-même.
Une
chose n’est bonne que si elle est réellement utile aux masses.
Votre œuvre fût-elle aussi belle que » La Neige printanière
« , si elle n’est goûtée pour le moment que par le petit
nombre, si les masses continuent à chanter » Le Chant des
rustres » [8] et que, sans essayer d’élever leur
niveau, vous vous contentiez de les vitupérer, toutes vos
récriminations seront vaines.
A
l’heure actuelle, notre tâche est d’associer » La Neige
printanière » au » Chant des rustres « , d’unir
l’élévation du niveau à la popularisation de la littérature et
de l’art.
Sinon,
l’art le plus sublime, de quelque grand maître que ce soit, n’est
en fin de compte que de l’utilitarisme du genre le plus étroit. Et
vous avez beau affirmer que votre art est » pur et sublime « ,
c’est vous seul qui le dites, mais les masses ne vous approuvent
pas.
Une
fois résolu le problème de notre orientation fondamentale, à
savoir qu’il faut servir les ouvriers, les paysans et les soldats
et comment il faut les servir, d’autres problèmes se trouvent
résolus du même coup, comme, par exemple, celui de savoir s’il
faut peindre la lumière ou les ténèbres, celui de l’unité, etc.
Si nous nous sommes mis d’accord sur cette orientation
fondamentale, nos écrivains et nos artistes, nos écoles et nos
publications de littérature et d’art, nos organisations dans ces
domaines et toute notre activité littéraire et artistique doivent
s’y conformer.
S’en
écarter serait une erreur. Et tout ce qui ne correspond pas à cette
orientation doit être corrigé comme il faut.
III
Ayant
établi que notre littérature et notre art doivent servir la grande
masse du peuple, nous pouvons maintenant passer à un problème
concernant les relations à l’intérieur du Parti, celui des
relations entre le travail du Parti dans le domaine de la littérature
et de l’art et l’ensemble de son travail, ainsi qu’à un
problème concernant les relations extérieures du Parti, celui des
relations entre le travail du Parti dans le domaine de la littérature
et de l’art et le travail des non communistes dans le même
domaine, c’est-à-dire au problème du front uni des écrivains et
des artistes.
Commençons
par le premier problème.
Dans
le monde d’aujourd’hui, toute culture, toute littérature et tout
art appartiennent à une classe déterminée et relèvent d’une
ligne politique définie. Il n’existe pas, dans la réalité, d’art
pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se
développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle.
La
littérature et l’art prolétarien font partie de l’ensemble de
la cause révolutionnaire du prolétariat ; ils sont, comme
disait Lénine, » une petite roue et une petite vis » du
mécanisme général de la révolution » [9].
Aussi
le travail littéraire et artistique occupe-t-il dans l’ensemble de
l’activité révolutionnaire du Parti une position fixée et bien
définie ; il est subordonné à la tâche révolutionnaire
assignée par le Parti pour une période donnée de la révolution.
Rejeter
cela, c’est glisser inévitablement vers le dualisme ou le
pluralisme, ce qui en substance aboutirait à ce que voulait
Trotski : » une politique marxiste et un art bourgeois « .
Nous
ne sommes pas d’accord avec ceux qui donnent à la littérature et
à l’art une importance tellement exagérée qu’elle devient une
erreur, mais nous ne sommes pas d’accord, non plus, avec ceux qui
sous-estiment leur importance.
La
littérature et l’art sont subordonnés à la politique, mais ils
exercent, à leur tour, une grande influence sur elle. La littérature
et l’art révolutionnaire font partie de l’ensemble de la cause
de la révolution, dont ils constituent une petite roue et une petite
vis.
Certes,
au point de vue de la portée, de l’urgence et de l’ordre de
priorité, ils le cèdent à d’autres parties encore plus
importantes, mais ils n’en sont pas moins une petite roue, une
petite vis du mécanisme général, une partie indispensable à
l’ensemble de la cause de la révolution. La révolution ne peut
progresser et triompher sans la littérature et sans l’art,
fussent-ils parmi les plus simples, parmi les plus élémentaires.
Ne
pas voir cela serait une erreur. D’autre part, lorsque nous parlons
de la subordination de la littérature et de l’art à la politique,
il s’agit d’une politique de classe, d’une politique de masse,
et non de ce qu’on appelle la politique d’un petit nombre
d’hommes politiques. Qu’elle soit révolutionnaire ou
contre-révolutionnaire, la politique est toujours la lutte d’une
classe contre une autre, et non l’action d’un petit nombre
d’individus.
La
lutte révolutionnaire sur les fronts de l’idéologie et de l’art
doit être subordonnée à la lutte politique, car les besoins des
classes et des masses ne peuvent trouver leur expression concentrée
que par l’intermédiaire de la politique.
Les
hommes politiques révolutionnaires, les spécialistes de la
politique qui possèdent la science ou l’art de la politique
révolutionnaire ne sont en réalité que les guides de ces millions
et millions d’autres hommes politiques que sont les masses et dont
ils ont pour tâche de rassembler et de cristalliser les idées, afin
de les retourner ensuite aux masses pour que celles-ci s’en
saisissent et les mettent en pratique ; il ne sont donc point de
ces » hommes politiques » du type aristocratique qui,
enfermés dans leur cabinet, échafaudent de vains projets, se
prennent pour de grands esprits et se font leur propre publicité :
» Ici, la seule maison sérieuse.
Ne
pas confondre avec les autres ! » C’est en cela que
consiste la différence de principe entre les hommes politiques du
prolétariat et les politiciens de la bourgeoisie décadente.
Et
c’est précisément pour cela que l’unité peut être totale
entre le caractère politique de notre littérature et de notre art
et leur vérité. Ce serait une faute que de méconnaître ce point
et de déprécier la politique prolétarienne et les hommes
politiques du prolétariat.
Passons
maintenant au problème du front uni dans la littérature et l’art.
Etant
donné que la littérature et l’art sont subordonnés à la
politique et que la question première, fondamentale, de la politique
chinoise d’aujourd’hui est la résistance au Japon, les camarades
du Parti qui travaillent dans le domaine de la littérature et de
l’art ont en premier lieu le devoir de s’unir, sur cette base,
avec tous les écrivains et artistes non communistes (depuis les
sympathisants du Parti et les écrivains et artistes de la petite
bourgeoisie jusqu’aux écrivains et artistes de la bourgeoisie et
de la classe des propriétaires fonciers qui sont pour la résistance
au Japon).
En
second lieu, nous devons nous unir avec eux sur la base de la
démocratie ; mais, sur ce point, une partie des écrivains et
artistes qui sont pour la résistance au Japon ne sont pas d’accord
avec nous, le cadre de cette union sera donc inévitablement un peu
plus restreint.
En
troisième lieu, enfin, nous devons rechercher l’unité avec eux
sur les questions qui intéressent spécialement les milieux
littéraires et artistiques : les questions de méthode et de
style.
Nous
sommes pour le réalisme socialiste ; or, là encore, une partie
des écrivains et artistes ne sont pas d’accord avec nous, c’est
pourquoi le cadre de cette union sera encore plus restreint. Il y
aura donc unité sur telle question, lutte et critique à propos de
telle autre.
Bien
qu’il s’agisse d’autant de questions particulières, elles sont
liées entre elles, et c’est pourquoi, même dans celles qui
favorisent l’union – comme, par exemple, la question de la
résistance au Japon – il y a encore lutte et critique. Au sein d’un
front uni, l’union sans la lutte ou la lutte sans l’union, comme
dans le capitulationnisme et le suivisme de droite ou l’exclusivisme
et le sectarisme » de gauche » pratiqués autrefois par
certains camarades, sont des lignes politiques également erronées.
Ce
qui est vrai en politique l’est aussi en littérature et en art.
Parmi
les différentes forces qui, en Chine, forment le front uni en
littérature et en art, les écrivains et les artistes
petits-bourgeois occupent une place importante.
Leur
pensée comme leurs œuvres présentent bien des défauts, mais dans
une certaine mesure ils se tournent vers la révolution, se
rapprochent du peuple travailleur. C’est donc une tâche
particulièrement importante que de les aider à surmonter leurs
défauts, de les rallier au front qui sert le peuple travailleur.
IV
L’un
des principaux moyens de lutte sur le front de la littérature et de
l’art est la critique littéraire et artistique. Elle doit être
développée.
Jusqu’ici,
le travail dans ce domaine a été fort insuffisant, comme l’ont
signalé à juste titre nos camarades.
La
critique littéraire et artistique représente un problème complexe
qui requiert beaucoup de recherches spéciales. Je n’insisterai ici
que sur une question fondamentale, celle des critères ; et, par
ailleurs, j’exposerai brièvement mon opinion sur certaines
questions particulières que des camarades ont soulevées, ainsi que
sur certaines vues erronées.
La
critique littéraire et artistique comporte deux critères :
l’un politique, l’autre artistique. Selon le critère politique,
est bon tout ce qui favorise la résistance au Japon et l’unité du
peuple, tout ce qui exhorte les masses à la concorde et à l’union
des volontés, tout ce qui s’oppose à la régression et contribue
au progrès ; est mauvais, par contre, tout ce qui ne favorise
pas la résistance au Japon et l’unité du peuple, tout ce qui sème
la discorde et la division au sein des masses, tout ce qui s’oppose
au progrès et nous ramène en arrière.
Mais
sur quoi devons-nous nous baser, en dernière analyse, pour discerner
le bon du mauvais, sur les intentions (les désirs subjectifs) ou sur
les résultats (la pratique sociale) ? Les idéalistes mettent
l’accent sur les intentions et ignorent les résultats ; les
partisans du matérialisme mécaniste mettent l’accent sur les
résultats et ignorent les intentions.
En
opposition avec les uns comme avec les autres, nous considérons, à
la lumière du matérialisme dialectique, les intentions et les
résultats dans leur unité. L’intention de servir les masses est
inséparable du résultat qui est d’obtenir l’approbation des
masses ; il faut qu’il y ait unité entre les deux.
Est
mauvais ce qui part d’intentions inspirées par l’intérêt
personnel ou par celui d’un groupe restreint ; est mauvais
également ce qui est inspiré par l’intérêt des masses, mais
n’aboutit pas à des résultats approuvés par les masses, utiles
aux masses.
Pour
juger des désirs subjectifs d’un auteur, c’est-à-dire pour
juger si l’auteur est guidé par des intentions justes et bonnes,
nous ne devons pas nous référer à ses déclarations, mais à
l’effet de ses actes (principalement de ses œuvres) sur les masses
de la société.
La
pratique sociale et ses résultats sont le critère permettant de
contrôler les désirs subjectifs ou les intentions.
Notre
critique littéraire et artistique doit être étrangère au
sectarisme, et, compte tenu du principe général de l’union dans
la lutte contre le Japon, nous devons admettre l’existence d’œuvres
littéraires et artistiques reflétant les vues politiques les plus
variées.
Mais
en même temps notre critique doit rester inébranlable sur les
positions de principe ; il faut soumettre à une critique sévère
et condamner toutes les œuvres littéraires et artistiques contenant
des vues antinationales, antiscientifiques, antipopulaires,
anticommunistes, car, tant par les intentions que par les résultats,
ces œuvres, si l’on peut les appeler ainsi, sabotent l’union
dans la résistance au Japon.
Selon
le critère artistique, tout ce qui est à un niveau artistique
relativement élevé est bon ou relativement bon ; tout ce qui
est à un niveau artistique relativement bas est mauvais ou
relativement mauvais.
Bien
entendu, ici également, il faut tenir compte de l’effet produit
par l’œuvre sur la société. Il n’y a guère d’écrivain ou
d’artiste qui ne trouve belles ses propres œuvres, et notre
critique doit permettre la libre compétition des œuvres d’art les
plus variées ; mais il est indispensable de les soumettre à
une critique juste selon les critères scientifiques de l’art, de
façon qu’un art situé à un niveau relativement bas s’améliore
progressivement et atteigne un niveau relativement élevé, et qu’un
art qui ne répond pas aux exigences de la lutte des larges masses
finisse par les satisfaire.
Il
existe donc deux critères – l’un politique, l’autre artistique ;
quel est le rapport entre eux ? Il est impossible de mettre le
signe égal entre la politique et l’art, de même qu’entre une
conception générale du monde et les méthodes de la création et de
la critique artistiques. Nous nions l’existence non seulement d’un
critère politique abstrait et immuable, mais aussi d’un critère
artistique abstrait et immuable ; chaque classe, dans chaque
société de classes, possède son critère propre, aussi bien
politique qu’artistique.
Néanmoins,
n’importe quelle classe, dans n’importe quelle société de
classes, met le critère politique à la première place et le
critère artistique à la seconde. La bourgeoisie rejette toujours
les œuvres littéraires et artistiques du prolétariat, quelles que
soient leurs qualités artistiques.
De
son côté, le prolétariat doit déterminer son attitude à l’égard
d’une œuvre littéraire ou artistique du passé, avant tout
d’après la position prise dans cette œuvre vis-à-vis du peuple,
et selon que celle-ci a eu ou non, dans l’histoire, une
signification progressiste.
Certaines
productions, foncièrement réactionnaires sur le plan politique,
peuvent présenter en même temps quelque valeur artistique. Plus une
œuvre au contenu réactionnaire a de valeur artistique, plus elle
est nocive pour le peuple, et plus elle est à rejeter.
Le
trait commun à la littérature et à l’art de toutes les classes
exploiteuses sur leur déclin, c’est la contradiction entre le
contenu politique réactionnaire et la forme artistique des œuvres.
Quant à nous, nous exigeons l’unité de la politique et de l’art,
l’unité du contenu et de la forme, l’unité d’un contenu
politique révolutionnaire et d’une forme artistique aussi parfaite
que possible.
Les
œuvres qui manquent de valeur artistique, quelque avancées qu’elles
soient au point de vue politique, restent inefficaces. C’est
pourquoi nous sommes à la fois contre les œuvres d’art exprimant
des vues politiques erronées et contre la tendance à produire des
œuvres au » style de slogan et d’affiche « , où les vues
politiques sont justes mais qui manquent de force d’expression
artistique. Nous devons, en littérature et en art, mener la lutte
sur deux fronts.
L’une
ou l’autre de ces tendances se retrouve chez bon nombre de nos
camarades.
Beaucoup
sont enclins à négliger l’aspect artistique des œuvres, ils
doivent donc veiller à élever le niveau de leur art. J’estime
toutefois qu’à l’heure actuelle c’est encore l’aspect
politique qui pose le problème le plus grave. Certains camarades
manquent de connaissances politiques élémentaires, si bien qu’ils
ont toutes sortes d’idées confuses.
Permettez-moi
de citer quelques exemples pris à Yenan.
La
» théorie de la nature humaine « . Existe-t-il une nature
humaine ? Bien sûr que oui, mais seulement une nature humaine
concrète et non une nature humaine abstraite.
Dans
la société de classes, il n’existe de nature humaine que revêtue
d’un caractère de classe et il n’y a pas de nature humaine
étrangère aux classes.
Nous
sommes pour la nature humaine prolétarienne, de la grande masse du
peuple, alors que les propriétaires fonciers et la bourgeoisie sont
pour la nature humaine des propriétaires fonciers et de la
bourgeoisie ; seulement ils ne le disent pas et la présentent
comme la seule nature humaine qui soit.
La
nature humaine dont certains intellectuels petits-bourgeois font
l’éloge est, elle aussi, isolée des masses populaires ou même
antipopulaire. Ce qu’ils appellent nature humaine n’est rien
d’autre, au fond, que l’individualisme bourgeois ; c’est
pourquoi, à leurs yeux, la nature humaine prolétarienne est
incompatible avec la nature humaine dont ils parlent.
Voilà
comment se présente cette » théorie de la nature humaine »
sur laquelle d’aucuns, à Yenan, prétendent fonder la »
théorie » de la littérature et de l’art qu’ils défendent.
C’est
un point de vue tout à fait faux.
»
Le point de départ fondamental de la littérature et de l’art,
c’est l’amour, l’amour de l’humanité. » On peut certes
partir de l’amour, mais il y a un autre point de départ qui, lui,
est fondamental. L’amour est un concept, un produit de la pratique
objective.
Or,
ce n’est pas du tout des concepts que nous partons, mais de la
pratique objective. L’amour du prolétariat chez nos écrivains et
artistes venus des milieux intellectuels résulte de ce que la
société leur a fait comprendre qu’un commun destin les lie au
prolétariat. Notre haine contre l’impérialisme japonais vient de
ce que celui-ci nous opprime. Il n’y a au monde ni amour sans
cause, ni haine sans cause.
Quant
au prétendu » amour de l’humanité « , jamais depuis que
celle-ci s’est divisée en classes, il n’a existé d’amour
aussi général. Toutes les classes dominantes du passé se sont
complu à prêcher un tel amour et nombre de » sages » en
ont fait autant, mais personne encore ne l’a réellement mis en
pratique, car c’est chose impossible dans la société de classes.
Un
amour réel de l’humanité ne sera possible que lorsque les classes
auront été supprimées dans le monde entier. Les classes ont divisé
la société en groupes antagonistes, et c’est seulement après la
suppression des classes qu’apparaîtra l’amour de l’humanité
tout entière.
Actuellement,
un tel amour n’existe pas encore. Nous ne pouvons pas aimer nos
ennemis, nous ne pouvons pas aimer les laideurs de la société.
Notre but, c’est de les faire disparaître. C’est là du simple
bon sens ; se peut-il que certains de nos écrivains et artistes
ne comprennent pas encore cela ?
»
Depuis toujours la littérature et l’art ont représenté la
lumière et les ténèbres dans une proportion égale, juste
moitié-moitié. » II y a beaucoup de confusion dans cette
affirmation. Il n’est pas vrai que la littérature et l’art aient
toujours procédé ainsi.
De
nombreux écrivains de la petite bourgeoisie n’ont jamais découvert
la lumière ; leurs œuvres n’ont fait que de révéler les
ténèbres, on les a appelées » littérature de dénonciation
» ; il y en a qui vont jusqu’à répandre purement et
simplement le pessimisme, le dégoût de l’existence.
Par
contre, la littérature soviétique, dans la période de
l’édification du socialisme, dépeint principalement la lumière.
Bien sûr, elle montre aussi des insuffisances dans le travail, des
types négatifs, mais uniquement dans le but de faire ressortir la
lumière dans l’ensemble du tableau et pas dans la proportion »
moitié-moitié « . Les écrivains et les artistes bourgeois des
périodes de réaction dépeignent les masses révolutionnaires comme
des émeutiers et se présentent eux-mêmes comme des saints ;
c’est intervertir la lumière et les ténèbres.
Seuls
les écrivains et les artistes vraiment révolutionnaires sont
capables de résoudre correctement le problème de savoir ce qu’il
faut exalter et ce qu’il faut dénoncer.
Dénoncer
toutes les forces ténébreuses qui nuisent aux masses populaires,
exalter toutes les luttes révolutionnaires des masses populaires,
telle est la tâche fondamentale des écrivains et des artistes
révolutionnaires.
»
De tout temps, la tâche de la littérature et de l’art a été de
dénoncer. » Cette assertion, tout comme la précédente,
témoigne d’un manque de connaissances dans les sciences
historiques.
Il
a été dit plus haut que la littérature et l’art ne se bornaient
nullement à dénoncer. Pour les écrivains et les artistes
révolutionnaires, seuls sont à dénoncer les agresseurs, les
exploiteurs, les oppresseurs et leur influence néfaste sur le
peuple, mais en aucun cas les masses populaires elles-mêmes.
Celles-ci ne sont pas non plus sans défauts, mais ces défauts
doivent être corrigés par la critique et l’autocritique au sein
du peuple ; du reste, la critique et l’autocritique
constituent l’une des tâches les plus importantes de la
littérature et de l’art.
Mais
on ne peut nullement parler, en l’espèce, de » dénoncer le
peuple « . Le peuple, il s’agit essentiellement de l’éduquer,
d’élever son niveau. Seuls les écrivains et les artistes
contre-révolutionnaires dépeignent le peuple comme » stupide
de nature » et représentent les masses révolutionnaires comme
des » émeutiers tyranniques « .
»
Nous sommes encore, affirme-t-on, à l’époque du pamphlet, et nous
avons encore besoin du style de Lou Sin. » Vivant sous la
domination des forces ténébreuses et privé de la liberté de
parole, Lou Sin avait tout à fait raison de se servir, comme arme de
combat, de l’essai plein d’une froide ironie et d’une satire
acérée.
Nous
aussi, nous devons tourner impitoyablement en dérision le fascisme,
les réactionnaires chinois et tout ce qui porte tort au peuple, mais
dans la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia et dans les
bases de résistance antijaponaise derrière les lignes ennemies, où
les écrivains et artistes révolutionnaires jouissent de toutes les
libertés démocratiques, où celles-ci ne sont refusées qu’aux
éléments contrerévolutionnaires, la forme de l’essai satirique
ne devrait plus être purement et simplement celle des essais de Lou
Sin.
Nous
pouvons parler bien haut, et nous n’avons nul besoin de recourir à
des expressions voilées et indirectes qui rendent les œuvres d’un
accès difficile aux masses populaires .Pour ce qui est du peuple
lui-même et non de ses ennemis, le Lou Sin de l’ » époque du
pamphlet » n’a jamais, lui non plus, ridiculisé ni attaqué
les masses révolutionnaires ou les partis révolutionnaires ; à
leur égard, il a observé dans ses essais satiriques un ton
entièrement différent de celui qu’il réservait à ses ennemis.
Nous
avons dit qu’il faut critiquer les défauts du peuple, mais il faut
le faire en nous plaçant véritablement sur la position du peuple ;
notre critique doit être pénétrée du désir ardent de le défendre
et de l’éduquer.
Traiter
ses camarades comme on traite l’ennemi, c’est adopter la position
de ce dernier. Est-ce à dire que nous renonçons à la satire ?
Non, celle-ci sera toujours nécessaire. Mais il existe plusieurs
genres de satire : la satire dirigée contre les ennemis, la
satire dirigée contre les alliés, la satire dirigée contre les
nôtres, et dans chacun de ces cas nous devons procéder
différemment.
Nous
ne sommes nullement contre la satire en général, mais nous devons
nous garder de l’employer sans discernement. » Je n’aime pas
encenser ; les œuvres exaltant la lumière ne sont pas
nécessairement éminentes et les œuvres peignant les ténèbres ne
sont pas nécessairement médiocres.
»
De deux choses l’une : ou bien l’on est un écrivain, un
artiste bourgeois et alors on n’exalte pas le prolétariat, mais la
bourgeoisie ; ou bien l’on est un écrivain, un artiste
prolétarien et alors on exalte non la bourgeoisie, mais le
prolétariat et tout le peuple travailleur.
Les
œuvres célébrant les » aspects lumineux » de la
bourgeoisie ne sont pas nécessairement éminentes et les œuvres
peignant ses côtés sombres ne sont pas nécessairement médiocres ;
les œuvres célébrant les aspects lumineux du prolétariat ne
manquent pas nécessairement de grandeur, mais les œuvres peignant
les » ténèbres » du prolétariat sont nécessairement
médiocres.
Cela
n’est-il pas confirmé par toute l’histoire de la littérature et
de l’art ? Pourquoi ne pas chanter le peuple, créateur de
l’histoire de l’humanité ? Pourquoi ne pas chanter le
prolétariat, le Parti communiste, la démocratie nouvelle, le
socialisme ?
Mais
il existe des gens qui n’éprouvent aucun enthousiasme pour la
cause du peuple, qui adoptent, face à la lutte et aux succès du
prolétariat et de son avant-garde, l’attitude indifférente du
spectateur qui se tient à l’écart. Ce à quoi ils s’intéressent,
ce qu’ils ne se lassent pas de célébrer, c’est leur propre
personne, et aussi parfois quelques personnalités de leur coterie.
Ces
individualistes petits-bourgeois se refusent, bien entendu, à
chanter les exploits et les vertus du peuple révolutionnaire, à
exalter son courage au combat, sa foi dans la victoire. Des gens
pareils ne sont au fond que des termites dans les rangs de la
révolution ; le peuple révolutionnaire n’a nullement besoin
de » chantres » de cette espèce.
»
Ce n’est pas une question de position, dit-on encore ; ma
position est juste, mes intentions sont bonnes ; je comprends
parfaitement, mais c’est l’expression qui cloche et finalement il
se trouve que les conséquences étaient mauvaises. » J’ai
parlé tout à l’heure du point de vue du matérialisme dialectique
sur les intentions et les résultats.
Maintenant,
voici ce que je voudrais demander : La question des résultats
n’est-elle pas une question de position ? Si quelqu’un
n’agit qu’en obéissant à ses intentions sans se soucier des
résultats, il ressemble à un médecin qui se contenterait de
rédiger des ordonnances sans se préoccuper de savoir combien de
malades elles ont fait périr, ou bien à un parti politique qui se
contenterait de faire des déclarations sans s’inquiéter le moins
du monde de leur réalisation.
Permettez-moi
de vous demander si une telle position serait juste, si de telles
intentions seraient bonnes ? Bien entendu, on peut se tromper
même si on a cherché à prévoir le résultat d’une action en
cours, mais si les faits ont déjà prouvé que le résultat sera
négatif, et qu’on persiste à suivre la même voie, dirons-nous
encore que les intentions sont bonnes ?
On
juge un parti politique ou un médecin sur leurs réalisations
pratiques, sur les résultats de leur activité ; il faut faire
de même pour juger un écrivain. Des intentions vraiment bonnes
exigent qu’on tienne compte des résultats, qu’on établisse un
bilan de l’expérience acquise, qu’on étudie les méthodes ou –
s’il s’agit de création – les moyens d’expression.
Des
intentions vraiment bonnes exigent une autocritique absolument
sincère des insuffisances et des erreurs dans le travail, et la
résolution de les corriger. C’est ainsi que les communistes
appliquent la méthode de l’autocritique. Seule cette position est
juste. Et c’est seulement au cours de l’activité pratique qu’on
peut, pénétré du sentiment rigoureux de sa propre responsabilité,
comprendre peu à peu ce qu’est la position juste et, peu à peu,
la faire sienne.
Si
l’on ne progresse pas dans cette direction au cours de son activité
pratique, si l’on se contente d’affirmer péremptoirement qu’on
a » compris « , il s’avérera qu’en fait on n’a rien
compris du tout.
»
Nous appeler à étudier le marxisme, c’est répéter l’erreur de
la méthode de création du matérialisme dialectique, c’est
étouffer nos dispositions créatrices « , affirme-t-on
enfin.
Nous
étudions le marxisme afin de considérer le monde, la société, la
littérature et l’art du point de vue du matérialisme dialectique
et du matérialisme historique, et nullement pour écrire des cours
de philosophie en place d’œuvres littéraires et artistiques.
Le
marxisme embrasse le réalisme en littérature et en art, mais ne
peut se substituer à lui dans la création artistique, tout comme il
embrasse la théorie atomique et électronique en physique, mais ne
peut se substituer à elle. Les formules dogmatiques, vides et
sèches, détruisent nos dispositions créatrices, et non seulement
elles, mais en premier lieu le marxisme lui-même.
Le
» marxisme » dogmatique, ce n’est pas du tout le
marxisme, mais l’antimarxisme. Le marxisme ne détruit-il donc
point de dispositions créatrices ? Si. Il détruit à coup sûr
les dispositions créatrices féodales, bourgeoises,
petites-bourgeoises, libérales, individualistes, nihilistes, celles
de l’art pour l’art, celles qui sont aristocratiques, décadentes,
pessimistes et toutes les autres dispositions créatrices non
populaires, non prolétariennes. Faut-il détruire ces dispositions
créatrices si elles existent chez des écrivains et artistes
prolétariens ? Je pense que oui, et cela de la manière la plus
radicale, car en détruisant l’ancien on pourra en même temps
édifier le nouveau.
V
Que
peut-on conclure du fait que ces problèmes se posent dans les
milieux littéraires et artistiques de Yenan ?
On
peut en conclure que, dans ces milieux, il existe encore un style de
travail très incorrect, que nos camarades souffrent encore de bien
des défauts tels que l’idéalisme, le dogmatisme, le goût des
vaines imaginations, le verbiage, le mépris de la pratique, la
rupture avec les masses, etc.
Il
nous faut procéder effectivement à un mouvement sérieux pour
rectifier le style de travail.
Nombre
de nos camarades n’ont pas encore une idée bien claire de la
différence entre le prolétariat et la petite bourgeoisie. Beaucoup
de membres du Parti ne le sont que du point de vue de l’organisation
et encore d’une façon incomplète, ou même pas du tout, du point
de vue idéologique.
Ils
ont encore la tête farcie de l’infect fatras hérité des classes
exploiteuses ; ils ne comprennent absolument pas ce que c’est
que l’idéologie prolétarienne, le communisme, le Parti.
Ils
se disent : » L’idéologie prolétarienne ?
Qu’est-ce que c’est que ça ? Toujours la même rengaine !
» Ils ne se rendent pas compte qu’il n’est pas si facile de
s’assimiler cette » rengaine « . Il y a même des gens
qui, de toute leur vie, n’auront jamais rien d’un communiste ;
ils finissent inévitablement par quitter le Parti.
Par
conséquent, pour diriger le mouvement révolutionnaire de façon
qu’il se développe encore mieux et aboutisse plus rapidement, nous
devons, bien que notre Parti et ses rangs se composent en majorité
d’éléments purs, y mettre sérieusement de l’ordre, tant en ce
qui concerne l’idéologie que l’organisation ; et pour avoir
de l’ordre dans l’organisation, il en faut d’abord sur le plan
de l’idéologie, il faut développer une lutte qui oppose
l’idéologie prolétarienne à l’idéologie non prolétarienne.
Dans les milieux littéraires et artistiques de Yenan, une lutte
idéologique est déjà engagée, et c’est indispensable.
Les
intellectuels issus de la petite bourgeoisie s’obstinent toujours
et par tous les moyens, y compris la littérature et l’art, à se
mettre en avant, à propager leurs convictions personnelles et ils
veulent qu’on transforme le Parti et le monde à leur propre image.
Dans
de telles circonstances, notre devoir est de leur crier : »
Holà ! ’Camarades’ ! Ça n’ira pas comme ça !
Le prolétariat ne s’adaptera pas à vous ! Vous suivre, c’est
suivre les gros propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie,
c’est risquer la mort du Parti, la mort de la patrie ! »
Qui faut-il donc suivre ? On ne peut transformer le Parti et le
monde qu’à l’image de l’avant-garde prolétarienne.
Nous
attendons de nos camarades des milieux littéraires et artistiques
qu’ils prennent conscience du grave enjeu de ce grand débat et
qu’ils participent plus activement à la lutte pour faire de tous
nos camarades des éléments sains, pour resserrer et renforcer
vraiment nos rangs, sur le plan de l’idéologie et de
l’organisation.
Du
fait de la confusion de leurs idées, beaucoup de nos camarades ne
savent pas très bien faire la différence entre les bases d’appui
de la révolution et les régions sous la domination du Kuomintang ;
d’où les nombreuses erreurs qu’ils commettent.
Un
bon nombre de camarades qui sont arrivés ici venaient en droite
ligne des réduits situés sous les escaliers dans lesquels ils
vivaient à Changhaï ; en quittant ces réduits pour les bases
d’appui de la révolution, ces camarades sont passés non seulement
d’une région à une autre, mais aussi d’une époque historique à
une autre.
Là,
c’est une société semi-féodale, semi-coloniale, sous la
domination des gros propriétaires fonciers et de la grande
bourgeoisie, ici, une société révolutionnaire de démocratie
nouvelle, sous la direction du prolétariat. Arriver dans les bases
révolutionnaires, c’est entrer dans une époque telle que n’en a
jamais connu l’histoire plusieurs fois millénaire de la Chine, une
époque où le pouvoir est exercé par la grande masse du peuple.
Les
gens qui nous entourent, le public auquel s’adresse notre
propagande sont tout différents. L’ancienne époque est à jamais
révolue. C’est pourquoi nous devons nous unir sans la moindre
hésitation à ces nouvelles masses populaires.
Et,
si vivant parmi elles, vous continuez, camarades, comme je l’ai dit
l’autre fois, à » manquer de connaissance et de compréhension
» et à rester semblables à ces » héros qui ne savent où
manifester leurs prouesses « , vous rencontrerez des difficultés
lorsque vous irez à la campagne, et même ici à Yenan. Certains
camarades se disent : » Je ferais mieux de continuer à
écrire pour les lecteurs du ’grand-arrière’ [10] ;
c’est un milieu que je connais bien et ce travail a une ’importance
nationale’. » Cette façon de voir les choses est tout à fait
fausse.
Le
» grand-arrière » change, lui aussi, et les lecteurs n’y
sont pas disposés à entendre les écrivains des bases
révolutionnaires leur ressasser toujours les mêmes histoires ;
ils attendent qu’on leur parle des hommes nouveaux, du monde
nouveau. Une œuvre aura donc d’autant plus une portée nationale
qu’elle sera plus directement écrite pour les masses des bases
révolutionnaires.
Dans
La Débâcle de Fadeïev [11], on ne parle que d’un tout petit
détachement de partisans. Cette œuvre n’est pas du tout conçue
pour satisfaire les goûts des lecteurs de la vieille société ;
elle n’en a pas moins exercé son influence sur le monde entier. En
tout cas, elle a eu, comme on le sait, une très grande influence en
Chine.
La
Chine va de l’avant, elle ne recule pas ; dans sa marche en
avant, elle est guidée par les bases révolutionnaires et non par
des régions arriérées, rétrogrades. Au cours de la rectification
de leur style de travail, nos camarades doivent, en tout premier
lieu, se pénétrer de ce point essentiel.
Et
puisqu’il est indispensable de s’intégrer à l’époque
nouvelle, à l’époque des masses, il faut résoudre définitivement
le problème des relations entre l’individu et les masses.
Prenons
pour devise ces deux vers de Lou Sin : Le sourcil hautain, je
défie froidement les milliers qui pointent le doigt sur moi, La tête
baissée, je me -fais volontiers le buffle de l’enfant [12].
»
Les milliers » désignent ici l’ennemi ; nous ne nous
inclinerons jamais devant l’ennemi, si féroce soit-il. Par »
enfant « , il faut entendre le prolétariat, et la grande masse
du peuple.
Tous
les communistes, tous les révolutionnaires, tous les travailleurs
révolutionnaires de la littérature et de l’art doivent prendre
exemple sur Lou Sin, se faire le » buffle » du prolétariat
et des masses populaires et » accepter d’en porter le faix
jusqu’au dernier soupir » [13].
Pour
que les intellectuels puissent se fondre avec les masses populaires,
puissent les servir, il faut du temps, le temps qu’ils apprennent,
eux et les masses, à se connaître mutuellement. Il est possible, il
est peut-être inévitable que cela n’aille pas sans beaucoup de
souffrances et de frictions, mais si vous êtes bien résolus, vous
arriverez au but.
Je
ne me suis arrêté aujourd’hui que sur quelques questions
relatives à l’orientation fondamentale de notre mouvement
littéraire et artistique ; il existe encore beaucoup de
questions particulières qui nécessiteront une étude approfondie.
Je
suis convaincu que vous êtes résolus, camarades, à vous engager
dans la voie indiquée.
Je
suis convaincu qu’en corrigeant votre style de travail, en passant
par une longue période d’étude et de travail, vous saurez vous
transformer vous-mêmes et transformer votre art, que vous saurez
créer une foule d’œuvres remarquables, chaleureusement
accueillies par les masses populaires, que vous saurez porter le
mouvement littéraire et artistique à un stade nouveau, un stade
glorieux, non seulement dans les bases révolutionnaires, mais dans
toute la Chine.
Discours
de clôture
Camarades !
Nous
nous sommes réunis à trois reprises au cours de ce mois. En quête
de la vérité, nous avons eu de vifs débats ; plusieurs
dizaines de camarades – membres du Parti ou non – ont pris la parole,
ils ont exposé largement les problèmes et leur ont donné une forme
plus concrète. Je pense que l’ensemble du mouvement littéraire et
artistique en tirera grand profit.
Lorsque
nous discutons un problème, nous devons partir de la réalité et
non de la définition. Ce serait une mauvaise méthode que de
chercher dans les manuels la définition de la littérature et de
l’art, puis de nous en servir pour déterminer l’orientation de
l’actuel mouvement littéraire et artistique ou pour juger les
opinions et les controverses d’aujourd’hui.
Nous
sommes des marxistes et le marxisme nous enseigne, pour aborder un
problème, à partir non des définitions abstraites, mais des faits
objectifs, et à déterminer au moyen de l’analyse de ces faits
notre orientation, notre politique, nos méthodes. C’est ce qu’il
faut faire également dans nos présents débats sur le travail
littéraire et artistique.
Quels
sont donc les faits devant lesquels nous nous trouvons ?
Les
voici : la Guerre de Résistance contre le Japon que la Chine
mène depuis cinq ans ; la guerre mondiale contre le fascisme ;
l’attitude hésitante des gros propriétaires fonciers et de la
grande bourgeoisie dans la Guerre de Résistance et leur politique
d’oppression impitoyable du peuple ; le mouvement
révolutionnaire dans la littérature et dans l’art depuis le
Mouvement du 4 Mai – sa grande contribution à la révolution au
cours des vingt-trois dernières années ainsi que ses nombreux
défauts ; les bases démocratiques antijaponaises de la VIIIe
Armée de Route et de la Nouvelle IVe Armée et la fusion, dans ces
bases d’appui, d’un grand nombre d’écrivains et d’artistes
avec ces deux armées ainsi qu’avec les ouvriers et les paysans ;
la différence entre les conditions de travail et les tâches des
écrivains et des artistes selon qu’ils vivent dans nos bases
d’appui ou dans les régions contrôlées par le Kuomintang ;
les controverses soulevées dans le domaine de la littérature et de
l’art à Yenan et dans les autres bases antijaponaises.
Voilà
des faits réels, indéniables. C’est à leur lumière que nous
devons examiner nos problèmes.
Quel
est alors le nœud de la question ? Je pense que l’essentiel
est de servir les masses et de savoir comment les servir. Si ces deux
problèmes ne sont pas résolus, ou bien sont résolus d’une façon
inadéquate, nos écrivains et nos artistes s’adapteront mal à
leur milieu et à leurs tâches et se heurteront à toute une série
de difficultés intérieures et extérieures. Dans mes conclusions,
j’insisterai particulièrement sur ces deux problèmes, et j’en
aborderai d’autres qui leur sont liés.
[1] Voir V.I. Lénine : »
L’Organisation du Parti et la littérature de parti « . Dans
cet article, Lénine, dégageant les traits distinctifs de la
littérature prolétarienne, écrivait : » Cette
littérature sera libre, parce que ce ne seront pas l’âpreté au
gain ni l’arrivisme qui lui amèneront des forces toujours
nouvelles, mais l’idée du socialisme et la sympathie pour les
travailleurs. Cette littérature sera libre parce qu’elle ne
servira pas une héroïne blasée, ni les » dix mille
privilégiés » qui s’ennuient et souffrent de leur obésité,
mais les millions et les dizaines de millions de travailleurs qui
sont la fleur du pays, sa force, son avenir. Cette littérature
véritablement libre fécondera le dernier mot de la pensée
révolutionnaire de l’humanité par l’expérience et le travail
vivant du prolétariat socialiste, elle provoquera de façon
permanente une action réciproque entre l’expérience du passé
(le socialisme scientifique qui a permis le développement complet
du socialisme en le dégageant de ses formes primitives utopiques)
et l’expérience du présent (la lutte actuelle des camarades
ouvriers) « .
[2] Liang
Che-tsieou, membre d’un parti contre-révolutionnaire, le Parti
national-socialiste, propagea longtemps les idées de la bourgeoisie
réactionnaire américaine dans les domaines de la littérature et
de l’art, s’acharnant à combattre la révolution et dénigrant
la littérature et l’art révolutionnaires.
[3] Après
la prise de Peiping et de Changhaï par le Japon en 1937, Tcheou
Tsouo-jen et TchangTse-ping passèrent du côté des envahisseurs
japonais.
[4] Voir
» Ce que je pense de la Ligue des Ecrivains de Gauche »
dans le recueil » Deux cœurs « , Œuvres complètes de Lou
Sin, tome IV.
[5] Voir
» La Mort » dans le ce Supplément « , » Recueil
Tsiékiéting « , Œuvres complètes de Lou Sin, tome VI.
[6] Opérette
très souvent jouée en Chine. Elle ne comprend que deux rôles :
un bouvier et une jeune paysanne. Le contenu de la pièce tient
essentiellement dans le duo chanté par ces deux personnages. Au
début de la Guerre de Résistance contre le Japon, cette opérette
fut utilisée, avec un texte modifié, pour la propagande contre
l’agression japonaise et connut à l’époque un grand succès.
[7] Les
mots chinois signifiant : » homme, main, bouche, couteau,
bœuf, mouton » sont relativement simples à écrire. Aussi,
dans l’ancienne Chine, les trouvait-on habituellement dans les
premières leçons des manuels de chinois utilisés dans les écoles
primaires.
[8] »
La Neige printanière » et » Le Chant des rustres »
sont des chansons de la principauté de Tchou (IIP siècle av.
J.-C.). Le motif de la première est plus compliqué, celui de la
seconde plus simple. Dans l’anthologie de la littérature chinoise
Wensiuam, les » Réponses de Song Yu au prince Tchou »
relatent que, dans la capitale de la principauté de Tchou,
quelqu’un s’étant mis à fredonner » La Neige printanière
« , » quelques dizaines de personnes seulement, reprirent
l’air « , mais que, lorsqu’il attaqua ce Le Chant des
rustres « , » des milliers de personnes chantèrent avec
lui « .
[9] Voir
V. I. Lénine : » L’Organisation du Parti et la
littérature de parti. » L’auteur a écrit : » La
littérature doit devenir une partie de la cause générale du
prolétariat, une petite roue et une petite vis dans le grand
mécanisme social-démocrate, un et indivisible, mis en mouvement
par toute l’avant-garde consciente de toute la classe ouvrière. «
[10] II
s’agit des régions contrôlées par le Kuomintang. Pendant la
Guerre de Résistance contre le Japon, les vastes régions de la
Chine du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, qui n’avaient pas été
occupées par les Japonais et qui se trouvaient sous le contrôle du
Kuomintang, étaient appelées généralement le »
grand-arrière « , par opposition au » petit-arrière « ,
c’est-à-dire aux bases antijaponaises qui se trouvaient sur les
arrières des envahisseurs japonais et étaient dirigées par le
Parti communiste.
[11] A.
Fadeïev, célèbre écrivain soviétique. Dans son roman La
Débâcle, publié en 1927, il relate le combat, pendant la guerre
civile en Union soviétique, d’un détachement de partisans où se
trouvaient réunis des ouvriers, des paysans et des intellectuels
révolutionnaires de Sibérie, contre des bandes
contre-révolutionnaires. Ce roman a été traduit en chinois par
Lou Sin.
[12] Voir
» Pour me moquer de moi-même » dans » Recueil en
dehors des recueils « , Œuvres complètes de Lou Sin, tome VI.
[13] Citation célèbre tirée d’une des pétitions au trône présentées par Tchoukeh Liang (181-234). Le nom de Tchoukeh Liang est devenu proverbial en Chine pour désigner la sagesse politique et la fidélité ardente à une bonne cause.
=>Oeuvres de Mao Zedong