Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Vladimir Vernadsky et le rapport de la forme à la substance matérielle

    En posant la question du rapport entre la forme de la matière et son contenu chimique dans son rapport à la réalité, Vladimir Vernadsky menait un travail matérialiste de fond. Il opérait dans la substance même de la matière, approfondissant les investigations à ce sujet.

    De ce fait, il déchirait un encadrement logico-mathématique empêchant l’accès aux modalités d’existence de la matière. Dans son ouvrage La géochimie, Vladimir Vernadsky souligne le point suivant, d’une très grande importance :

    « Il [le Français Félix Vicq d’Azyr (1748-1794)] disait :

    « La vie est donc un tourbillon plus ou moins rapide, plus ou moins compliqué, dont la direction est constante, et qui entraîne toujours des molécules de mêmes sortes, mais où les molécules individuelles entrent, et d’où elles sortent continuellement, de manière que la forme du corps vivant lui est plus essentielle que sa matière.

    Tant que ce mouvement subsiste, le corps où il s’exerce est vivant, il vit. Lorsque le mouvement s’arrête sans retour, le corps meurt ».

    Une des idées dominantes qui est exprimée ici — la forme du corps vivant comme quelque chose de plus essentiel que sa matière — fut durant tout le XIXe siècle l’idée fondamentale de la biologie.

    On laissait de côté non seulement la matière, mais aussi l’action de l’organisme sur le milieu ambiant, l’étude des mouvements des molécules du milieu, essentiels, selon Cuvier, à la vie. Nous voyons de notre temps un retour a des idées plus larges.

    Ainsi, par exemple, F[rédéric]. Houssay a très bien marqué la schématisation, la non-correspondance complète de l’organisme vivant du biologiste avec l’organisme vivant, corps naturel.

    L’organisme réel est indissolublement lié au milieu ambiant et nous ne pouvons l’isoler que dans notre pensée. Ces idées cependant ne sont pas encore entrées dans le courant dominant de la biologie, ils ne représentent que des tentatives de savants isolés.

    La question générale sur la répercussion des organismes vivants, de la matière vivante, dans le milieu cosmique où ils se trouvent, ne fixe pas l’attention du biologiste, n’incite pas son investigation scientifique. »

    Vladimir Vernadsky, La géochimie

    A l’arrière-plan, on reconnaît aisément l’opposition frontale entre Platon et son mode logico-mathématique, Aristote et son mode matériel. Vladimir Vernadsky appartient clairement au courant matérialiste ayant suivi Aristote, et de ce fait pose son travail dans le cadre d’une substance universelle.

    Vladimir Vernadsky est ici un néo-spinoziste, bloqué juste avant l’étape du matérialisme dialectique. Voici un passage où il mentionne Lawrence Joseph Henderson (1878-1942), auteur de The Fitness of the Environment (1913), La forme de l’environnement, dont le sous-titre est Enquête sur la signification biologique des propriétés de la matière, ainsi que de The Order of Nature (1917), L’ordre de la Nature.

    L’extrait est tiré de La géochimie.

    « En biologie nous voyons se former un courant d’idées très intéressant, exprimées ces dernières années avec clarté et profondeur par le physiologiste américain M. Henderson.

    Il a non seulement démontré la liaison intime de l’eau avec les manifestations de la vie, mais constaté qu’entre les centaines de milliers des composés chimiques connus, l’eau a une position unique.

    C’est le composé propice par excellence, par ses propriétés physiques et chimiques, à l’existence de l’organisme. Entre tous les composés chimiques connus aucun ne peut être comparé de loin, sous ce rapport, à l’eau. L’eau seule est par ses propriétés prédestinée à la vie.

    Nous retrouvons ici le rajeunissement sous une forme nouvelle des idées téléologiques anciennes de la première moitié du XIXe siècle — des idées sur l’harmonie universelle naturelle — l’idée de l’ordre non occasionnel. 

    « Dans le monde, dit M. Henderson, que décrit la science moderne, habitent des organismes, spécialement adaptés à un milieu préformé pour eux, dont le composé le plus important est l’eau… »

    « L’eau en elle-même, telle qu’elle surgit dans l’évolution cosmique, est appropriée à tous les phénomènes de la vie et son appropriation est non moins étonnante et significative que l’appropriation de l’organisme obtenue par son adaptation pendant la durée de l’évolution organique. »


    Ce n’est pas de la téléologie.

    C’est un fait, fait d’une extrême importance pour l’étude et la compréhension de la vie, une nouvelle indication, que l’écorce terrestre n’est pas un amas irrégulier de matière brute, mais un mécanisme régulier compliqué.

    Il semble que le processus de la manifestation de la vie, étroitement liée à l’écorce terrestre, a des racines dans des phénomènes qui ont précédé de longtemps non seulement l’épanouissement de la vie, mais la formation géologique de l’écorce elle-même.

    On commence à chercher ces racines dans la composition atomique 
    de l’écorce. »

    Vladimir Vernadsky, La géochimie

    Vladimir Vernadsky se revendique en fait du meilleur de la bourgeoisie, celle des Lumières, raisonnant en termes de système, reconnaissant la Nature.

    Il faut souligner ici l’importance du travail mené en Russie à cette époque, avec notamment Vassili Dokoutchaïev (1846-1903), le grand scientifique ouvrant l’étude des sols. Il fut le directeur de la première recherche autonome de Vladimir Vernadsky, qui porta sur l’isomorphisme des minéraux et fit qu’on lui proposa de devenir professeur d’université.

    Vassili Dokoutchaïev, en 1888

    Dans ses Essais sur la biogéochimie, en 1940, Vladimir Vernadsky expliqua à ce sujet :

    « Lorsque j’étudiais la minéralogie à l’université (à Saint-Pétersbourg), je commençais sur une voie alors inaccoutumée, particulièrement en rapport avec mon travail et mes contacts durant mes années étudiantes et immédiatement après (1883-97) avec le grand scientifique russe V.V. Dokouchaev.

    Il a le premier attiré mon attention sur le côté dynamique de la minéralogie, l’étude des minéraux à travers le temps (…). Cela a défini le parcours entier de mon enseignement et de mon étude de la minéralogie et cela s’est reflété dans ma pensée et l’œuvre scientifique de mes étudiants et collègues. »

    Voici comment Vassili Dokoutchaïev exposait sa conception :

    « En portant un regard plus attentif sur les grandes découvertes de la connaissance humaine, les découvertes, on peut dire, qui ont révolutionné notre vue de la nature de fond en comble, en particulier sur le travail de Lavoisier, Lyell, Darwin, Helmholtz, et d’autres, il est impossible de ne pas remarquer un manque tout à fait réel et important (…).

    Ils ont surtout étudié des corps séparés – les minéraux, les dépôts miniers, les plantes et les animaux, et les phénomènes individuels – le feu (le volcanisme), l’eau, la terre, l’air, au sujet desquels, je le répète, la science a obtenus des résultats éblouissants, mais pas leur inter-relations, pas ce lien génétique, éternel et toujours ordonné entre la nature inerte et celle vivante, entre la plante, l’animal, et les royaumes minéraux d’un côté, et l’homme, dans sa vie quotidienne et même son monde spirituel, de l’autre.

    Mais ce sont expressément ces inter-relations, ces interactions obéissant à des lois, qui contiennent l’essence de la connaissance de la nature, le noyau d’une vraie philosophie naturelle – le meilleur et le plus haut achèvement de la connaissance scientifique. »

    C’est ce sens que l’activité de Vladimir Vernadsky a ouvert la voie à la géochimie, la biogéochimie, l’hydrogéochimie, l’hydrogéothermie… dans le prolongement de la tradition démocratique – bourgeoise d’étude de la réalité de manière raisonnée, matérialiste.

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  • Vladimir Vernadsky et l’importance du soleil

    Vladimir Vernadsky, lorsqu’il définit la biosphère, insiste particulièrement sur le rôle capital du soleil. C’est en effet lui qui fournit l’énergie nécessaire à la matière vivante. Sans le soleil, il n’y aurait pas les moyens de s’approvisionner en énergie.

    On ainsi la vie qui agit avec la planète elle-même :

    « La vie est ainsi un perturbateur puissant, permanent et continu de l’inertie chimique sur la surface de notre planète.

    En réalité, non seulement elle crée, par ses couleurs, ses formes, par les associations des organismes végétaux et animaux, par le travail et l’œuvre créatrice de l’humanité civilisée, tout le tableau de la nature ambiante, mais elle pénètre les processus chimiques les plus profonds et les plus grandioses de l’écorce terrestre.

    Il n’est pas de grand équilibre chimique sur l’écorce terrestre où l’influence de la vie ne se manifeste, marquant toute la chimie de son sceau ineffaçable.

    Ainsi, la vie n’est pas un phénomène extérieur ou accidentel à la surface terrestre. Elle est liée d’un lien étroit à la structure de l’écorce terrestre, fait partie de son mécanisme et y remplit les fonctions de première importance, nécessaires à l’existence même de ce mécanisme. »

    Et la source d’énergie de la matière vivante est le soleil:

    « La matière de la biosphère pénétrée de l’énergie communiquée devient active : elle amasse et distribue dans la biosphère l’énergie reçue sous forme de rayonnements, et finit par la transformer en énergie libre, capable d’effectuer du travail dans le milieu terrestre (…).

    La biosphère est tout autant (sinon davantage) la création du Soleil que la manifestation de processus terrestres.

    Les intuitions religieuses antiques de l’humanité qui considéraient les créatures terrestres, en particulier les hommes, comme des enfants du soleil étaient bien plus proches de la vérité que ne le pensent ceux qui voient seulement dans les êtres terrestres la création éphémère, le jeu aveugle et accidentel de la modification de la matière et des forces terrestres (…).

    Les rayons ultra-violets et infrarouges n’exercent qu’une action indirecte sur les processus chimiques de la biosphère. Ce n’est pas en eux que résident les sources essentielles de son énergie. C’est l’ensemble des organismes vivants de la Terre, la matière vivante, qui transforme l’énergie rayonnante du soleil en énergie chimique de la biosphère (dans sa forme active). »

    On peut même dire en fait que la matière vivante est un accumulateur d’énergie solaire, qui est activée en fonction. Dans son ouvrage La géochimie, Vladimir Vernadsky dit à ce sujet :

    « La matière vivante peut être regardée comme une matière à l’état actif, un accumulateur de l’énergie solaire. Elle transforme l’énergie solaire, rayonnante et thermique, en énergie chimique, en mouvement moléculaire.

    Ainsi, l’écorce terrestre n’est pas une masse inerte de la matière, c’est un mécanisme compliqué, qui par l’intermédiaire de matière à l’état actif, tient les atomes de l’écorce en un mouvement énergique et incessant. »

    Il est significatif que ce rôle principal du soleil dans l’existence de la matière vivante ait été oblitérée de la vision du monde de l’humanité. Cela n’est bien entendu pas vrai pour l’humanité ayant saisi le matérialisme dialectique : les symboles communistes reconnaissent de manière régulière la place du soleil.

    Emblème de l’URSS de 1936 à 1946. La présence du soleil levant est systématique dans les emblèmes des républiques également.

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  • Vladimir Vernadsky et le rapport de l’humanité à la matière vivante

    En raison de sa position empirique-critique, Vladimir Vernadsky n’a pas voulu donner – ou pas étant en mesure de donner – des indications précises quant au positionnement de l’humanité par rapport à sa propre activité transformatrice.

    On trouve cependant des traits généraux, des exigences allant de pair avec l’émergence de l’humanité comme force géologique atteignant un certain niveau de développement.

    Dans L’autrotrophie de l’humanité, écrit à la fin de sa vie, il avait ainsi constaté ainsi que l’humanité est en train de trouver une voie pour s’extirper du reste de la matière vivante pour exister elle-même. Un être autotrophe, c’est un être capable de générer sa propre matière organique à partir d’éléments minéraux.

    Or, si l’on suit le raisonnement, cela signifie que l’humanité cesse d’agir de manière négative à l’encontre de toute la matière vivante. Non seulement l’humanité cesse d’utiliser les animaux, mais elle cesse même l’utilisation des plantes, des arbres, etc.

    L’humanité serait une forme de vie cessant d’utiliser la vie elle-même. On a là une lecture que l’on doit interpréter comme un véganisme tellement conséquent qu’il est élargi à l’ensemble de la matière vivante.

    Voici comment Vladimir Vernadsky présente la place de l’humanité dans la biosphère, à la fois dedans et dehors à l’avenir :

    « Il existe dans l’écorce terrestre une grande force géologique – peut être cosmique – dont l’action planétaire n’est, généralement pas prise en considération dans les concepts du Cosmos, concepts scientifiques ou basés sur la science (…).

    Cette force c’est l’entendement humain, la volonté dirigée et réglée de l’homme social.

    Sa manifestation dans le milieu ambiant au cours des myriades de siècles est apparue comme une des expressions de l’ensemble des organismes – de la matière vivante – dont l’humanité ne constitue qu’une partie.

    Mais voilà plusieurs siècles que la société humaine se dégage de plus en plus par son action sur le milieu ambiant de la matière vivante.

    Cette société devient dans la biosphère, c’est-à-dire dans l’enveloppe supérieure de notre planète, un facteur unique, dont la puissance croit avec une grande accélération et change – à elle seule – d’une manière nouvelle avec une rapidité croissante le mécanisme des fondements mêmes de la biosphère.

    Elle devient de plus en plus indépendante des autres formes de la Vie et évolue vers une nouvelle manifestation vitale. »

    Vladimir Vernadsky, L’autrotrophie de l’humanité

    Voici comment, à la suite de cela, il présente sa conception de l’autotrophie de l’humanité :

    « La force des marées et des vagues marines, l’énergie atomique radioactive, la chaleur solaire peuvent nous donner toute la puissance voulue.

    L’introduction de ces formes d’énergie dans la vie est une question de temps. Elle dépend de problèmes dont la solution ne présente rien d’impossible.

    L’énergie ainsi obtenue n’aura pas de limites pratiquement.

    En utilisant directement l’énergie du soleil, l’homme se rendra maître de la source d’énergie de la plante verte, de la forme qu’il utilise par l’intermédiaire de cette dernière dans sa nourriture et dans ses combustions.

    17. La synthèse des aliments, libérée de l’intermédiaire des êtres organisés, quand elle sera accomplie, changera l’avenir humain (…).

    Que signifierait une synthèse pareille des aliments dans la vie humaine et dans la vie de la biosphère ?

    Par son accomplissement, l’homme se libérerait de la matière vivante. D’un être social hétérotrophe, il deviendrait un être autotrophe.

    La répercussion de ce phénomène dans la biosphère doit être immense. Ce fait signifierait la scission du bloc vivant, la création d’un troisième embranchement indépendant de la matière vivante.

    Par ce fait apparaîtrait dans l’écorce terrestre, et pour la première fois dans l’histoire géologique du Globe, un animal autotrophe.

    Il nous est aujourd’hui difficile, peut-être impossible de nous représenter les conséquences géologiques de cet événement ; – mais il est clair que ce fait serait le couronnement d’une longue évolution paléontologique, représenterait non une action de la volonté libre humaine, mais la manifestation d’un processus naturel.

    L’entendement humain produirait par ce fait non seulement un grand effet social, mais un grand phénomène géologique (…).

    Le naturaliste ne peut contempler cette découverte qu’avec une grande tranquillité.

    II voit dans son accomplissement l’expression synthétique d’un grand processus naturel qui dure depuis des millions d’années et qui ne présente aucun signe de dissolution. C’est un processus créateur et non anarchique.

    De fait, l’avenir de l’homme est toujours formé en grande partie par l’homme lui-même.

    La création d’un nouvel être autotrophe lui donnera, des possibilités qui lui ont manqué pour l’accomplissement de ses aspirations morales séculaires elle lui ouvrira les voies d’une vie meilleure. »

    Vladimir Vernadsky, L’autrotrophie de l’humanité

    Vladimir Vernadsky ne donne pas plus d’indications. Il n’a pas systématisé sa conception. Il souligne l’aspect historique du phénomène en cours, sa très grande ampleur, à l’échelle de la planète elle-même. Mais il ne fournit pas de clefs idéologiques pour saisir, en théorie et en pratique, cette transformation.

    Il pose toutefois la base d’une lecture cosmique du mouvement de la matière au Communisme.

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  • Vladimir Vernadsky et l’empirio-criticisme

    Du point de vue du matérialisme dialectique, la démarche de Vladimir Vernadsky semblait à la fois tout à fait juste, mais avec une dynamique à l’arrière-plan ressemblant farouchement au vitalisme. En fait, Vladimir Vernadsky parlait surtout de cosmologie, de la nature de la matière, cependant il passait par le levier de la chimie et n’hésitait pas qui plus est à utiliser une manière de voir faisant de la « vie » une sorte d’abstraction l’emportant sur tout.

    Vladimir Vernadsky, scientifique démocratico-bourgeois, rechignait en fait à formuler une vision du monde en tant que telle et se contenter d’évaluer les expériences. C’était un empiriste criticique et il est flagrant qu’il aurait pu ou du annoncer le réchauffement climatique avec un regard plus approfondi qu’il ne l’a fait, s’il ne s’était contenté d’en rester au niveau des constatations et des spéculations au sujet des constatations.

    Critiqué pour tout cela par Abram Déborine, qui joua un rôle actif en faveur du matérialisme dialectique dans les années 1920, Vladimir Vernadsky se définit alors en réponse comme un « sceptique sur le plan de la philosophie », ce qui ne devait évidemment pas arranger les choses avec les institutions soviétiques.

    Vladimir Vernadsky affirma notamment que :

    « Comme résultat de ses enquêtes, l’académicien Déborine en arrive à la conclusion que je suis un mystique et le fondateur d’un nouveau système religieux-philosophique.

    D’autres m’ont défini comme un vitaliste, un néo-vitaliste, un fidéiste, un idéaliste, un mécaniste, un mystique.

    Je dois protester précisément et de manière décidée contre toutes ces définitions. Je ne proteste pas parce que je les considère comme insultantes à mon égard, mais parce qu’elles sont fausses en ce qui me concerne et qu’elles sont exprimées trop simplement par des gens parlant au sujet de quelque chose dont ils ne connaissent rien. »

    Il est frappant ici de voir ici que, malgré de tels propos, Vladimir Vernadsky fut l’une des plus hautes sommités scientifiques soviétiques. C’est que Vladimir Vernadsky ne comprenait en fait strictement rien à la question posée par les communistes, ni à sa signification.

    On a un exemple de développement inégal dans sa pensée qui est tout à fait significatif. Cela était somme toute flagrant et c’est la raison pour laquelle Vladimir Vernadsky pouvait finalement s’intégrer dans les institutions soviétiques.

    D’ailleurs, dans sa propre réponse, Abram Déborine réfuta toute « intention diabolique », tout en maintenant le reproche d’une incompréhension complète du matérialisme dialectique par Vladimir Vernadsky. Et effectivement, Vladimir Vernadsky n’y comprit jamais rien en tant que système, tout en assumant un matérialisme très net, très incisif, avec une exigence démocratique de développement de la science particulièrement avancée.

    Il était de fait prisonnier des limites historiques des forces productives de son époque, de son parcours bourgeois – démocratique, et ne pouvait, pour beaucoup, qu’être assimilé à un penseur imaginant tel Platon un magma de matière inerte façonnée par un démiurge qui serait, ici, la matière vivante en général, puis l’humanité en particulier.

    Les institutions soviétiques étaient forcément frustrées de l’incapacité de Vladimir Vernadsky à faire un saut qualitatif sur le plan idéologique.

    Lorsque dans un article au sujet de la biosphère pour l’Académie des sciences en 1937, il critique le matérialisme dialectique comme « dépassé », le philosophe A.A. Maximov lui répondit simplement :

    « Dans un article sur les frontières de la biosphère, l’académicien Vernadsky a également touché le statut contemporain de la philosophie en général et en URSS en particulier, une question n’ayant aucun rapport avec la biosphère.

    Il est libre d’agir ainsi, mais sa méthode et ses réponses se posent en contradiction flagrante aux méthodes du travail scientifique de Vernadsky lui-même. »

    Vladimir Vernadsky ne percevait toutefois pas le rapport entre sa propre activité et le matérialisme dialectique, tellement il était enferré dans ses recherches et leur démarche empirique – critique. A.A. Maximov lui rappela alors ce qui était un simple constat :

    « Dans les pays capitalistes, les scientifiques luttent avec les tendances religieuses, mystiques, idéalistes et d’autres pareillement anti-scientifiques. En URSS, à présent, la voie a été ouverte pour la science.

    Les bases sociales de la religion et de la philosophie idéaliste ont été balayées. Ainsi, toutes les conditions nécessaires ont été mises en place pour le bourgeonnement complet de la science, et on commence déjà à en voir les débuts.

    C’est cela qu’a donné le matérialisme dialectique à la science. »

    La démarche de Vladimir Vernadsky était portée par l’URSS, par le cadre historique nouveau, cependant, Vladimir Vernadsky vivait à l’écart, en décalage avec les préoccupations concrètes, tellement il était avancé dans ses recherches, et tellement il se confinait dans son empirisme critique.

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  • Vladimir Vernadsky, la curvilinéarité et l’abiogenèse

    L’une des questions formant un grand débat en URSS alors fut l’opposition au sujet de l’abiogenèse.

    Il faut ici comprendre que l’intérêt de Vladimir Vernadsky tient à la question atomique. Vladimir Vernadsky a été l’un des premiers à s’intéresser à celle-ci, avec une approche de chimiste lui faisant ajouter deux dimensions à l’atome : l’espace et le temps.

    En fait, chez Vladimir Vernadsky, un atome n’est pas qu’un élément minuscule, à un endroit précis, avec un rapport particulier à la question de l’énergie. Il a également une histoire, issue du rapport du temps avec l’espace, que Vladimir Vernadsky interprète comme sa migration.

    De plus, cet atome dépend de son rapport à la matière soit inerte, soit morte. Il y a en fait pour lui trois caractéristiques de la vie :

    – la stabilité relative de l’organisme, qui ne connaît donc pas de modifications subites ;

    – le caractère dispesé de l’organisme, au sens où il existe en étant séparé de son environnement direct ;

    – sa nature curvilinéaire.

    Ce dernier point est essentiel, Vladimir Vernadsky affirmant qu’il n’existe pas de surfaces planes chez les êtres vivants, que cela est relié à l’asymétrie moléculaire et qu’il est par conséquent nécessaire d’employer la géométrie riemannienne et non plus euclidienne.

    C’est la base pour son affirmation, en 1931, dans sa conférence sur Les problèmes du temps dans la science contemporaine, que :

    « L’espace de la géométrie du temps de Newton inévitablement isotrope [le temps est le même dans tous les directions] et homogène.

    Il correspond à un vide absolu.

    Un tel espace absolu, l’espace de l’ancienne géométrie en trois dimensions [euclidienne] – vide, homogène et isotropique – ne se rencontre pas, en réalité, par celui qui investigue la nature. »

    Cela est indéniablement une approche reconnaissant le développement inégal et le caractère inépuisable de la matière. C’est là tout à fait conforme à la thèse de Mao Zedong selon laquelle rien n’est indivisible.

    Mao Zedong a mené une immense bataille idéologique avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, affirmant que rien n’est indivisible.

    Or, cela pose deux soucis, au-delà du caractère matérialiste, voire matérialiste dialectique de la démarche.

    Tout d’abord, cela fait que Vladimir Vernadsky s’arrête à l’atome, en faisant en quelque sorte une « brique » originelle de la vie. C’est là une approche opposée à sa propre thèse comme quoi le vide n’existe pas (et donc comme quoi « rien n’est indivisible »).

    En pratique cela n’est pas vrai, puisque Vladimir Vernadsky affirme qu’il existe justement un autre mode de l’espace-temps au niveau des atomes relevant du vivant, qu’il y a donc encore un processus en cours, un mouvement dans le mouvement, etc.

    Mais tant qu’il ne l’a pas trouvé, il restait bloqué à l’atome comme brique. Le niveau historique ne permettait pas de déployer la lecture scientifique jusqu’au bout.

    Cela a comme conséquence que Vladimir Vernadsky, une fois qu’il avait établi les principes de la biosphère, ne cessa pas de chercher à en établir les limites. Il séparait, on peut dire arbitrairement, la croûte terrestre, du reste de la vie planétaire.

    Encore une fois, ce n’est pas vrai, puisqu’il raisonnait en termes cosmiques. Mais en l’absence de saisie du matérialisme dialectique et en raison du faible niveau technique encore, il revenait à une délimitation, il y tendait inéluctablement.

    Le matérialisme dialectique aurait du faire un pas vers Vladimir Vernadsky, et il l’a fait en l’intégrant dans les institutions soviétiques. Toutefois, les forces productives à l’échelle planétaire ne permettait pas encore un processus complet.

    Le résultat est que, pour maintenir la stabilité de son système, Vladimir Vernadsky opposait de manière formelle la matière « inerte » et la matière vivante, et qu’il lui fallait toujours chercher un appui extérieur pour justifier la vie : l’énergie solaire pour les êtres vivants profitant de la chlorophylle, la vie venant de comètes, etc. ; en fait Vladimir Vernadsky considéra finalement que la vie avait toujours existé dans l’univers.

    Voici comment il rejette l’abiogenèse, dans La Biosphère, en 1926 :

    « Pendant toutes les périodes géologiques il n’a jamais existé, et il n’existe pas à l’heure actuelle, de traces d’abiogenèse (c’est-à-dire de création immédiate d’un organisme vivant partant de la matière brute).

    On n’a jamais observé das le cours des temps géologiques de périodes géologiques azoïques (c’est-à-dire dénuées de vie).

    Il s’en suit :

    a) que la matière vivante contemporaine est rattachée par un lien génétique à la matière vivante de toutes les époques géologiques antérieures ;

    b) que les conditions du milieu terrestre dans le cours de tous ces temps ont été favorables à son existence, c’est-à-dire toujours voisines de celles d’aujourd’hui. »

    Voici comment il pose cela, dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, en 1931 :

    « Dans la structure chimique de la biosphère on a affaire au monde vivant dans son ensemble et non à des espèces particulières. Parmi les millions d’espèces il n’y en a pas une qui puisse à elle seule remplir toutes les fonctions géochimiques vitales, qui depuis le commencement existent dans la biosphère.

    Ainsi la composition morphologique du monde vivant dans la biosphère a dû être complexe dès le commencement. Les fonctions vitales de la biosphère, les fonctions bio-géochimiques, sont immuables a travers les temps géologiques.

    Nulle d’entre elles n’a fait apparition dans le cours de ces temps. Elles ont toutes existé simultanément et toujours. Elles sont géologiquement éternelles. »

    De ce fait, Vladimir Vernadsky s’est opposé à Alexandre Oparine (1894-1980), partisan de l’abiogenèse, c’est-à-dire de l’origine de la formation de la matière vivante à partir de la matière inerte.

    En pratique toutefois, Vladimir Vernadsky avait une démarche revenant à l’interprétation d’Alexandre Oparine, mais posé à l’envers. Au lieu d’avoir une soupe primordiale dans le passé comme chez Alexandre Oparine, chez Vladimir Vernadsky on l’a dans le futur avec une sorte de soupe finale issue de la migration générale des atomes.

    Il est ici intéressant de noter que si par la suite Vladimir Vernadsky fut valorisé en URSS devenu social-impérialiste, cela resta de manière symbolique, alors qu’Alexandre Oparine fut mis en avant sur le plan international, notamment avec les traductions de son ouvrage de 1936, Les origines de la vie. Il fut également le président du cinquième congrès international de biochimie, avec deux mille scientifiques présents, du 10 au 16 août 1961 à Moscou, etc.

    On a ici une lutte de deux lignes.

    Vladimir Vernadsky représentait la bonne perspective, mais son incapacité à saisir le matérialisme dialectique empêcha en grande partie une lecture adéquate de sa démarche. Pourtant, Vladimir Vernadsky ne rejetait pas le principe de l’abiogenèse, il considérait que la question était mal posée.

    Dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, il dit ainsi :

    « Si l’on admet l’abiogenèse sur la Terre (le principe de Redi demeurant intact), il doit exister deux possibilités de l’abiogenèse : soit la formation simultanée d’un ensemble d’organismes unicellulaires, de fonctions biogéochimiques déterminées; soit la création d’une forme organique non existante et inconnue, dont la désagrégation ultérieure en organismes de diverses fonctions géochimiques (espèces sui generis primitives) devrait se produire très rapidement et par voie inconnue, indépendamment du processus de l’évolution.

    Le fait est que le processus de l’évolution sous quelque forme nous le prenions, se développe toujours dans les cadres de la nature vivante déjà existante. Conclure logiquement de là au changement des formes des organismes par l’évolution en dehors de la nature vivante, comme on le fait souvent, serait une faute de logique, une extrapolation inadmissible (…).

    En tous cas tous ces changements – donc le processus de l’évolution lui-même aussi, – ne peuvent être pris en considération quand on parle de la matière vivante primitive, hétérogène, qui, soit qu’elle fut apportée des espaces cosmiques ou créée par l’abiogenèse en dehors de la biosphère, qui n’existait pas alors, a pour la première fois rendu possible le processus même de l’évolution des espèces.

    La matière vivante primitive, qui donne naissance a la nature vivante actuelle, devait se transformer en dehors des lois de l’évolution, qui correspondent exclusivement aux êtres organisés, vivant et se formant dans les cadres de la nature vivante, déjà existante.

    Probablement les fonctions géochimiques de la vie ont servi de facteur essentiel à cette transformation. La matière vivante primitive devait probablement correspondre à un complexe de formes organisées, unicellulaires et bactérielles.

    L’extrême rapidité de la multiplication est une des propriétés importantes d’un tel complexe.

    La grandeur V – vitesse de la transmission de la vie, y atteint des milliers et des dizaines de milliers de centimètres par seconde : la vie pourrait couvrir en peu de jours toute la surface de la planète, former ainsi la biosphère, établir la genèse du processus de l’évolution et de ses lois, c’est-à-dire du processus, lié avec l’action réciproque des formes organiques dans les cadres de la biosphère.

    La création de la biosphère, son commencement fut ainsi lu moment du commencement du processus de l’évolution, de la création par cette voie de diverses séries organiques héréditaires successives. »

    Il a ici une certaine démarche empirique-critique bloquant une perspective cosmique matérialiste dialectique.

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la conscience du tournant pour la planète

    L’irruption de l’humanité comme facteur géologique implique une nouvelle étape dans l’histoire planétaire et cela va avec une vision cosmique totalement nouvelle.

    Vladimir Vernadsky avait tout à fait conscience que la planète était à un tournant.

    Dans L’étude de la vie et la nouvelle physique, une conférence faite aux Sociétés des Naturalistes de Moscou et de Leningrad, en 1930, Vladimir Vernadsky posa ainsi les choses :

    « En réalité l’explication de la vie donnée par les schémas de la conception dominante de l’univers scientifique n’a pas fait de progrès dans le cours de tous les siècles passés.

    Le même abîme se dresse entre la matière vivante et non vivante, la matière brute, que dans les temps de Newton.

    Les schémas et les constructions des systèmes physico-chimiques du Cosmos de Newton n’ont jusqu’ici pas réussi à expliquer scientifiquement la conscience, l’intelligence et la pensée logique.

    Le savant devait chercher une issue de ces contradictions soit dans la pensée philosophique ou religieuse, soit dans la reconstruction de l’Univers scientifique, dans laquelle les phénomènes de la vie exprimés dans les faits scientifiques et les généralisations empiriques, devaient être inclus, de front avec d’autres manifestations de la réalité (…).

    En présence de l’unité de tout ce qui vit, de la vie, on ne peut savoir où s’arrêtera la pénétration du Cosmos scientifiquement construit par les phénomènes liés avec la vie. L’avenir y est probablement gros de grandes surprises (…).

    Nous nous rapprochons d’une époque très responsable — de celle du changement radical de notre conception de l’Univers scientifique.

    Ce changement ne sera par ses suites probablement pas moins important que le fut à son temps la création du Cosmos, qui reposait sur la gravitation universelle, et le temps et l’espace infinis, Cosmos pénétré de matière et d’énergie.

    Ce changement permettra de surmonter la contradiction existant entre la vie et la création scientifique d’une part, et le Cosmos construit scientifiquement de l’autre, contradiction qui s’est manifestée précisément aux XVIe -XIXe siècles, époque de la création et du développement du concept de l’Univers newtonien.

    Ce fut d’ailleurs la conception de l’Univers de Newton sans Newton, qui y avait introduit les corrections d’un chrétien croyant (…).

    Il n’est pas douteux que la vie dans le tableau scientifique de l’Univers nous apparaîtra sous une forme inattendue. Tous les phénomènes étudiés dans la physique et dans la chimie s’y manifestent sous une autre forme que celle sous laquelle ils se présentent devant nos organes des sens (…).

    On peut noter un grand nombre de manifestations de la vie dans ce domaine dignes d’attention, dont une partie qui revêt un caractère planétaire, est lié avec la Terre, tandis que l’autre dépasse évidemment les limites de l’existence planétaire, indique la situation plus générale de la vie dans le Cosmos.

    Parmi les propriétés planétaires de la vie sont à noter :

    1. La matière vivante est créée et maintenue sur notre planète par l’énergie cosmique du Soleil. Elle y forme une partie intégrante de la géosphère supérieure, la biosphère, une partie indissoluble de son mécanisme.

    2. L’énergie du Soleil est graduellement transportée par l’intermédiaire de la matière vivante dans les parties plus profondes de la planète, de son écorce.

    3. La quantité de matière dans la biosphère pénétrée par la vie est une grandeur constante ou presque permanente à travers les temps géologiques.

    4. La matière vivante entre dans le cours de tous les temps géologiques de façon uniforme dans les cycles géochimiques des éléments chimiques, dans l’écorce terrestre, en y jouant un rôle très important. Par cette voie, la matière vivante apporte dans la migration des éléments chimiques terrestres une énergie géochimique déterminée, dont la source première émane principalement du Soleil.

    5. La matière vivante se trouve en un échange chimique continuel avec le milieu cosmique qui l’entoure, mais n’y est jamais spontanément engendrée. Cette matière vivante représente dans le cours de tous les temps géologiques un bloc unique, génétiquement lié, nettement séparé du milieu cosmique.

    6. L’énergie géochimique biogène tend à sa manifestation maximum dans la biosphère (premier principe biogéochimique).

    7. Lors de l’évolution des espèces, ce sont les organismes augmentant par leur vie l’énergie géochimique biogène qui survivent (second principe biogéochimique).

    8. Lors de l’évolution des espèces la composition chimique de la matière vivante demeure constante, mais l’énergie géochimique biogène apportée par la matière vivante dans le milieu cosmique accroît.

    9. Avec l’apparition de l’homme dans la biosphère conformément au second principe biogéochimique l’action de la vie sur notre planète se développe et change tellement par l’effet de son intelligence, qu’il devient possible de parler d’une époque psychozoïque spéciale dans l’histoire de notre planète, analogue à d’autres époques géologiques par le changement effectué dans la nature vivante de la Terre, aux époques cambrienne ou oligocène par exemple.

    Avec l’apparition d’un être vivant doué d’intelligence sur notre planète, celle-ci passe à un autre stade de son histoire. »

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la signification planétaire de l’intervention humaine

    Vladimir Vernadsky a tout à fait compris la signification de l’intervention humaine en ce qui concerne l’activité de la biosphère. Il raisonne en termes de migration des atomes, et il s’aperçoit que les activités humaines jouent un rôle toujours plus immense en ce sens.

    Voici comment il présente la chose dans L’évolution des espèces et la matière vivante :

    « Il en existe encore une troisième. Cette troisième forme commence à prendre à notre époque, époque psychozoïque [c’est-à-dire marqué par l’émergence de l’esprit comme facteur], une importance extraordinaire dans l’histoire de notre planète.

    C’est la migration des atomes, suscitée également par les organismes, mais qui ne se rattache pas génétiquement et immédiatement à la pénétration ou au passage des atomes à travers leur corps.

    Cette migration biogène est provoquée par le développement de l’activité technique. Elle est par exemple déterminée par le travail des animaux fouilleurs, dont on relève les traces depuis les époques géologiques les plus anciennes, par le contrecoup de la vie sociale des animaux constructeurs, des termites, des fourmis, des castors.

    Mais cette forme de migration biogène des éléments chimiques a pris un développement extraordinaire depuis l’apparition de l’humanité civilisée, il y a une dizaine de milliers d’années.

    Des corps entièrement nouveaux ont été créés de cette façon comme par exemple les métaux à l’état libre.

    La face de la Terre se transforme et la nature vierge disparaît.

    Cette migration biogène ne paraît pas être en relation directe avec la masse de la matière vivante : elle est conditionnée dans ses traits essentiels par le travail de la pensée de l’organisme conscient. »

    Ce que dit Vladimir Vernadsky, c’est que si auparavant, il existait un rapport en quelque sorte arithmétique entre une certaine masse et un certain effet de cette masse sur les atomes, désormais le rapport est découplé.

    Les choix de l’humanité impliquent des effets dont le rapport est sans commune mesure ou proportion avec la masse d’humains. Cela ne signifie pas que la masse en tant que telle ne joue pas un rôle. Cependant, les moyens mis en œuvre ont atteint désormais des proportions gigantesques et les orientations de l’humanité ont un impact à l’échelle planétaire.

    La Terre. Image synthétisée à partir de données d’un satellite de la NASA.

    Vladimir Vernadsky a tout à fait noté l’apparition de nouveaux éléments matériels sur Terre. Si on l’avait suici, on aurait pu saisir de manière active le processus et cherchait à en étudier l’impact.

    Dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, une conférence faite à la Société des Naturalistes de Leningrad en 1931, avec le texte révisé par l’auteur par la suite, il dit :

    « La matière brute de la biosphère commence à changer nettement avec l’apparition de l’humanité civilisée.

    Il y apparaît de nouveaux corps inconnus jusque là (par exemple l’aluminium métallique et ses alliages) et leur masse change (par exemple la considérable augmentation de la quantité de fer métallique ou du cuivre métallique).

    La formation de tels corps nouveaux augmente avec une accélération toujours croissante. »

    En 1938, Vladimir Vernadsky parle donc de « la pensée scientifique comme phénomène planétaire », ce qui va de pair avec le concept de noosphère, le terme noos signifiant en grec ancien la pensée.

    L’énergie biogéochimique prend ainsi une nouvelle qualité, la biosphère ouvrant la voie à la noosphère. L’humanité était devenu un facteur géologique sans précédent dans l’histoire de la planète, prenant le relais de la biosphère en tant que telle.

    C’est ici où l’on retrouve l’obstacle idéologique barrant la route à Vladimir Vernadsky, avec son vitalisme. Vladimir Vernadsky n’est en effet pas en mesure de cerner la question du communisme, du rapport amélioré de la matière à elle-même, bien qu’il le pressente. D’ailleurs, l’humanité agit au moyen de ses capacités techniques, elle ne le fait pas en agissant d’elle-même. Vladimir Vernadsky entrevoit ici la question des forces productives.

    Il dit, dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, en 1931 :

    « Ce n’est que du moment de l’apparition de l’humanité civilisée dans la biosphère qu’un organisme se trouva à lui seul capable de produire simultanément des processus chimiques variés, mais il y parvint par son intelligence et sa technique et non par le travail physiologique de sa structure. »

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la migration biogène des atomes : les oiseaux et les humains

    Voici comment Vladimir Vernadsky, dans La Matière vivante et la chimie de la mer, présente en 1924 l’exemple des oiseaux pour les migrations des éléments chimiques.

    « Je ne dirai que quelques mots sur l’importance que présente l’activité des animaux terrestres. Nous ne nous rendons habituellement pas compte de la portée de leur vie au point de vue géochimique. L’appareil qui à l’heure présente remplit cette fonction est représenté principalement parle règne des oiseaux ─ des organismes ailés.

    En particulier, il se manifeste par leurs migrations périodiques, qui forment une importante et caractéristique partie du mécanisme qui mélange les éléments chimiques sur la surface de notre planète.

    Des myriades d’oiseaux accomplissent d’immenses migrations à des dates régulières, ils traversent des milliers de kilomètres et transportent dans leurs corps d’un lieu à d’autres de notre planète des éléments chimiques, accomplissant par ce procédé un immense travail chimique.

    Un grand rôle est rempli par les oiseaux marins, qui arrivent en hiver dans les pays chauds et au printemps s’envolent pour les rivages froids de l’océan.

    Mais aussi la masse principale des oiseaux marins qui restent toujours sur place (par exemple les pingouins et d’autres oiseaux qui forment des marchés d’oiseaux) accomplissent un travail identique.

    Ils tirent continuellement de la mer une grande quantité d’éléments chimiques pour leur nourriture, et les transportent sur la terre ferme.

    La portée de ce phénomène est évidente. Il suffit de nous représenter la quantité des restes qui se rassemblent sous forme de guano dans des conditions climatiques favorables.

    Dans les régions littorales de l’océan ─ pauvres en météores aquatiques ─ ils forment des masses de dizaines et de centaines de milliers de tonnes. »

    Vladimir Vernadsky, La Matière vivante et la chimie de la mer, 1924

    Voici comment, dans L’évolution des espèces et la matière vivante, en 1928, il reprend cette idée, et expose le rôle de l’humanité désormais pour cette migration. Il est le premier à affirmer :

    a) que cette migration provoquée par l’humanité est de grande ampleur et en cours ;

    b) qu’on en était alors qu’à des débuts d’une transformation générale.

    « Dans le mécanisme de la biosphère, dans la migration biogène des atomes, les oiseaux, ainsi que les autres organismes volants, jouent un rôle immense pour ce qui est de l’échange de la matière entre la Terre ferme et l’eau, principalement entre le continent et l’Océan !

    Le rôle des oiseaux s’oppose ici à celui des fleuves, mais, par la quantité des masses transportées, il s’en rapproche. Les migrations des oiseaux rendent ce rôle encore plus important en ce qui concerne la circulation biogène des atomes.

    L’apparition de ces espèces de vertébrés ailés a non seulement créé de nouvelles formes de migrations biogènes et a eu une répercussion sur la balance chimique de la mer et du continent, mais elle a provoqué encore une recrudescence de la migration biogène au cours de l’histoire de corps séparés, en particulier dans celle du phosphore.

    Les invertébrés ailés, les insectes, n’ont pas joué un rôle aussi important. Il est vrai que les sauriens volants sont apparus avant les oiseaux, mais tout indique qu’ils n’ont pas exercé une action comparable à la leur. L’apparition des oiseaux paraît liée à celle de nouveaux types de forêts, ou, en tout cas, semble avoir coïncidé avec celle-ci.

    Le rôle de l’humanité civilisée du point de vue de la migration biogène a été infiniment plus important que celui des autres vertébrés.

    Ici, pour la première fois dans l’histoire de la Terre, la migration biogène, due au développement de l’action de la technique a pu avoir une signification plus grande que la migration biogène déterminée par la masse de la matière vivante.

    En même temps, les migrations biogènes ont changé pour tous les éléments.

    Ce processus s’est effectué très rapidement dans un espace de temps insignifiant.

    La face de la Terre s’est transformée d’une façon méconnaissable et pourtant il est évident que l’ère de cette transformation ne fait que commencer. »

    Vladimir Vernadsky, L’évolution des espèces et la matière vivante, 1928

    Ces dernières lignes font de Vladimir Vernadsky l’un des plus grands penseurs du XXe siècle.

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et l’évolution comme fruit de la migration des éléments chimiques

    Vladimir Vernadsky ne s’est pas arrêté à constater le mouvement de la matière vivante et sa dimension transformatrice. Il a également cherché à en présenter les contours généraux.

    S’appuyant sur son parcours de chimiste, il a tenté de présenter le cadre de la biosphère comme réalité transformatrice, en disant somme toute : tout est une question de dispersion des atomes, de leur mélange.

    Dans L’évolution des espèces et la matière vivante, il dit ainsi :

    « Nous appellerons migration des éléments chimiques tout déplacement des éléments chimiques quelle qu’en soit la cause.

    La migration dans la biosphère peut être déterminée par des processus chimiques, par exemple, lors des éruptions volcaniques; elle est suscitée par le mouvement des masses liquides, solides, gazeuses dans le cas des évaporations et de la formation des dépôts; elle s’observe à l’occasion du mouvement des fleuves, des courants marins, des vents, des charriages et des déplacements des couches terrestres, etc.

    La migration biogène provoquée par l’intervention de la vie compte, envisagée dans son ensemble, parmi les processus les plus grandioses et les plus typiques de la biosphère et constitue le trait essentiel de son mécanisme.

    Des quantités innombrables d’atomes se trouvent soumis à l’action d’une migration biogène ininterrompue (…).

    Cette migration s’effectue partiellement sous l’influence de l’énergie solaire, de la force de la gravitation et de l’action des parties internes de l’écorce terrestre sur la biosphère.

    Tous ces déplacements des éléments, quelle qu’en soit la cause, répondent à divers systèmes d’équilibres mécaniques déterminés; en particulier, dans l’histoire de divers éléments chimiques, ils donnent naissance à des cycles géochimiques fermés, à des tourbillons d’atomes. »

    Vladimir Vernadsky dit ainsi : la réalité de la transformation de la biosphère c’est la réalité de l’accroissement de la migration biogène des atomes dans la biosphère.

    Ce qu’on appelle évolution correspond à la production de nouvelles formes de vie, qui s’inscrivent dans ce processus de complexification produit par la migration des atomes – et on sait que la vie modifie la structure des molécules, avec les principes de l’asymétrie moléculaire.

    Ce qu’on appelle l’expansion de la vie est, selon Vladimir Vernadsky, l’expansion de la richesse des éléments, à la fois quantitativement et qualitativement. Le mouvement de la matière tend à cette expansion.

    Il constate, pour donner un exemple, dans L’évolution des espèces et la matière vivante, que :

    « Le processus de l’évolution a non seulement élargi le domaine de la vie, il a intensifié et accéléré la migration biogène.

    La formation du squelette des vertébrés a modifié et augmenté, en la concentrant, la migration des atomes du fluor et, sans doute, du phosphore et celle de celui des invertébrés aquatiques — la migration des atomes du calcium. »

    Cette évolution, selon Vladimir Vernadsky, va toujours à sa manifestation maximale. En 1931, il tint une conférence à la Société des explorateurs de la nature de Leningrad, au sujet d’une Étude du phénomène de la vie et les physiques nouvelles. Il y affirma que :

    « L’énergie biogéochimique dans la biosphère a une tendance à sa manifestation maximale. »

    Vladimir Vernadsky qualifia cela de « premier principe de la biogéochimie ».

    Cela consiste ni plus ni moins à affirmer que la vie a toujours tendance à se développer, à se multiplier. Naturellement, il existe des limites : le temps de la reproduction, les conditions géologiques et plus globalement les conditions relatives à l’environnement.

    Néanmoins, la matière vivante ne consiste pas en un équilibre, en quelque chose de statique. De manière dialectique, Vladimir Vernadsky relie cela à la question de l’interaction entre les êtres vivants et l’ensemble de la matière vivante. Le « second principe de la biogéochimie » pose en effet que :

    « Dans le processus d’évolution des espèces, la survie appartient à celles capable d’augmenter l’énergie biochimique totale de la biosphère. »

    De la même manière que Karl Marx considère que la société a été l’histoire de la lutte des classes, c’est-à-dire du développement du mode de production, la biosphère est l’histoire de l’agencement entre espèces, avec toujours un dépassement vers un meilleur agencement, au sens géobiochimique.

    Vladimir Vernadsky donne une définition encore plus poussée de cela en 1940, disant que :

    « L’évolution des espèces durant le temps géologique va dans la direction d’une migration biogénique croissante des atomes dans la biosphère. »

    Ce que veut dire Vladimir Vernadsky, c’est que le mouvement historique de la biosphère tend à la complexification des cycles biogéochimiques.

    L’histoire des espèces et de leur évolution est en rapport avec le mouvement général du rapport de la matière vivante avec elle-même et l’ensemble de la matière comme système.

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la dimension biogéochimique de la matière vivante

    Vladimir Vernadsky appelle biosphère la réalité de la matière vivante procédant à la transformation de la matière inerte. Il présente sa théorie dans son ouvrage La Biosphère publié en russe en 1926 et en français dès 1929.

    Qu’est-ce que la biosphère ? Il faut la saisir d’un point de vue biogéochimique.

    Voici ce qu’il dit à ce sujet, dans une conférence faite à Brno, à l’Université Masaryk, en Tchécoslovaquie, en janvier 1926, et à la société des Naturalistes de Leningrad (Saint-Pétersbourg), en avril 1926.

    Elle était intitulé Sur la multiplication des organismes et son rôle dans le mécanisme de la biosphère et fut publiée dans le Bulletin de l’Académie des Sciences de l’Union des Républiques Soviétiques la même année, ainsi que dans la Revue générale des Sciences du 15 décembre 1926.

    « La biosphère – la région de la vie – embrasse notre planète d’une façon continue. La vie règne sur toute la superficie de la Terre; son travail chimique s’effectue partout sans nulle interruption depuis des billions d’années.

    Ce travail chimique détermine avec une intensité et une envergure toujours plus évidentes un courant d’éléments chimiques ininterrompu, inaltérable et soumis à des lois déterminées, courant qui circule entre la matière vivante et la matière brute et inversement.

    Cette enveloppe embrasse une superficie de 5.10065 x 10 6 km2; elle atteint une hauteur de plus de dix kilomètres dans l’enveloppe gazeuse inférieure de la planète, dans la troposphère ; elle pénètre tout l’océan mondial à une épaisseur moyenne de 3,7 km., et par places jusqu’à presque 10 km.

    La vie embrasse toute la terre ferme depuis les sommets d’une hauteur d’à peu près 8 km jusqu’aux abîmes les plus profonds ; elle s’infiltre par endroits dans les fissures et les cavités à une profondeur de plus d’un kilomètre.

    Dans la biosphère, la vie est dispersée. Elle se concentre en de minces couches du sol, dans les forêts, les champs, les steppes, les bassins aqueux, le plancton marin, les boues du fond marin. Elle est plus intense et plus développée dans les amas de sargasses à la surface de l’océan, dans ses mers, ses bas-fonds, sur la frontière de l’océan et de la terre ferme, près des îles et des continents.

    La région de la vie, c’est l’enveloppe superficielle de notre planète; cette enveloppe se trouve en contact avec l’espace cosmique. Elle en reçoit des rayonnements, principalement ceux du Soleil. Et ces rayonnements non seulement entretiennent tous les phénomènes de la vie, mais ils posent le fondement (avec l’aide des plantes vertes autotrophes – indépendantes dans leur nourriture du reste des êtres vivants) des immenses dépôts d’énergie chimique libre, tels que les composés organiques, qui forment la corps des organismes.

    Plus nous remontons dans l’histoire de notre planète, dans l’étude des éléments chimiques (géochimie), ou dans celle de leurs molécules et de leurs cristaux (minéralogie), plus la répercussion de la vie sous forme des composés organiques, créés par elle, devient claire et profonde. »

    La biosphère, c’est donc la matière vivante, mais la matière vivante en action. Vladimir Vernadsky assume que la matière est en mouvement et qu’elle est transformatrice, tout comme le fait qu’elle se transforme, et qu’elle se transforme elle-même.

    La planète bleue, image synthétisée à partir des données d’un satellite de la NASA.

    Vladimir Vernadsky constate donc l’expansion de la vie : à l’existence matérielle des êtres vivants, il faut ajouter la dimension « expansion ». C’est là une lecture considérant très clairement que la vie s’étend, se renforce, devient plus complexe, plus développée.

    Il dit, lors de la même conférence :

    « Entre les trois manifestations principales de la matière vivante dans la biosphère – son poids (sa masse), sa composition chimique, son énergie – c’est l’énergie qui a le moins attiré la pensée scientifique.

    Il est évident que le poids de la matière vivante pourra être établi quand on connaîtra le nombre des individus qui la composent et le poids moyen de l’individu. Pareillement, la composition chimique moyenne de l’organisme pourra être facilement déterminée quantitativement pour leurs ensembles et exprimée en pour cent de poids ou d’atomes.

    Si nous avons peu de données de ce genre, ce n’est pas à cause de la difficulté de la solution du problème, mais du peu d’importance qu’on y attachait.

    Comment exprimer numériquement la manifestation de l’énergie de la matière vivante homogène dans la biosphère?

    Il est évident que les organismes par leur respiration, par leur nutrition, par le métabolisme interne de leur corps, influent sur les processus chimiques de la biosphère, sur la migration de ses éléments chimiques.

    Mais l’effet géochimique de ces processus, si même nous les exprimions en nombres pour tous les organismes terrestres, ne nous donnerait qu’une idée vague de l’énergie géochimique inhérente a la matière vivante, c’est-à-dire de la force propre à créer et à modifier la migration des éléments chimiques de la biosphère.

    Pour évaluer cette énergie, il est nécessaire de prendre en considération une propriété essentielle, toujours inhérente à l’organisme vivant, celle de la multiplication des organismes. »

    De manière peut-être plus détaillée, voici ce qu’il dit dans L’évolution des espèces et la matière vivante, une communication faite à la Société des Naturalistes de Leningrad le 5 février 1928 :

    « L’espèce est habituellement considérée dans la biologie du point de vue géométrique; la forme, les caractères morphologiques, y occupent la première place.

    Dans les phénomènes biogéochimiques, au contraire, celle-ci est réservée au nombre et l’espèce est considérée du point de vue arithmétique.

    Différentes espèces d’animaux et de plantes doivent, à l’instar des phénomènes chimiques et physiques, des composés chimiques et des systèmes physico-chimiques, être caractérisés et déterminés en géochimie par des constantes numériques.

    Les indices morphologiques relevés par les biologistes et nécessaires pour la détermination de l’espèce y sont remplacés par les constantes numériques.

    Dans les processus biogéochimiques il est indispensable de prendre en considération les constantes numériques suivantes : le poids moyen de l’organisme, sa composition chimique élémentaire moyenne et l’énergie géochimique moyenne qui lui est propre, c’est-à-dire sa faculté de produire des déplacements, autrement dit « la migration » des éléments chimiques dans le milieu vital.

    Dans les processus biogéochimiques ce sont la matière et l’énergie qui sont au premier plan au lieu de la forme inhérente à l’espèce.

    L’espèce peut à ce point de vue être considérée comme une matière analogue aux autres matières de l’écorce terrestre, comme, les eaux, les minéraux et les roches, qui, avec les organismes, sont l’objet des processus biogéochimiques. »

    Voici encore ce qu’il dit encore dans La composition chimique de la matière vivante et la chimie de l’écorce terrestre, une conférence faite à l’Université tchèque de Charles à Prague le 22 juin 1922, et prononcée au préalable comme discours prononcé le 12 mars 1922 à Saint-Pétersbourg à la Société des Naturalistes de cette ville.

    « La Géochimie a pour but l’histoire des éléments chimiques de l’écorce terrestre, en quoi elle se distingue de la Minéralogie, qui étudie leurs molécules, les minéraux.

    Cette étude géochimique a établi le rôle important que joue le monde organique vivant,la matière vivante, comme je l’appellerai, dans la chimie de l’écorce terrestre. Nous ne pouvons même nous faire aucune idée de l’histoire des éléments chimiques de l’écorce terrestre sans tenir compte de l’existence d’organismes vivants à la surface du Globe (…).

    Nous sommes obligés, en Géochimie, d’étudier des organismes vivants, des phénomènes vitaux. Mais ces organismes ne se manifestent pas sous les formes que se représentent les biologistes.

    Le géochimiste est obligé d’employer, à l’égard des organismes, les méthodes d’investigation adoptées dans l’étude du règne minéral. Ce qui l’intéresse dans l’organisme, c’est sa composition chimique, son poids et son énergie. La structure morphologique, les phénomènes qui s’accomplissent dans l’organisme, passent au second plan, bien qu’ils ne soient pas négligeables, comme nous le verrons plus tard.

    Les organismes ne se manifestent pas individuellement, mais dans leur action en masse. L’individu disparaît, si l’on considère l’immensité de l’échelle des phénomènes terrestres. Seul l’ensemble de ces individus offre de l’importance.

    Les organismes vivants se présentent en Géochimie presque exclusivement comme des faits susceptibles d’être assujettis à des lois statistiques. Il s’ensuit qu’il nous sera commode et nécessaire d’introduire une nouvelle conception de la nature vivante. »

    Vladimir Vernadsky insiste ainsi particulièrement sur la dimension biogéochimique de la matière vivante et de son activité. On pourrait résumer cela en disant qu’il refuse de voir la matière vivante en deux dimensions, avec des données arithmétiques. Il la considère en trois dimensions, avec une dimension exponentielle.

    Le mouvement de la matière procède par sauts qualitatifs et brise la linéarité, la symétrie, l’équilibre.

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et l’expansion de la matière vivante transformante

    Vladimir Vernadsky a compris le principe du saut qualitatif. Il est d’autant plus marquant qu’il n’ait jamais compris le matérialisme dialectique, qui formalisait un concept qu’il utilisait. Et cela, alors qu’il agissait comme scientifique justement dans un État dont l’idéologie était le matérialisme dialectique, lui permettant de s’élancer dans ses recherches.

    On retrouve ici la perspective déjà exprimée par Hegel à l’encontre des mathématiques, qui sont bien un outil mais pas du tout le moyen absolu de saisir la réalité (qui serait sinon « logico-mathématique »). Dans un document de travail datant de 1927, intitulé « A la frontière de la science. L’espace des sciences naturelles et l’espace de la philosophie et des mathématiques », Vladimir Vernadsky note à ce sujet :

    « Une des distinctions les plus fondamentales dans notre pensée – celle des naturalistes, d’un côté, et des mathématiciens, de l’autre – est le caractère de l’espace.

    Pour les mathématiciens, à moins qu’il ne le spécifie différemment, l’espace est sans structure. Il est caractérisé par les dimensions seulement.

    Pour le naturaliste – qu’il le dise ou non, qu’il en ait conscience ou non -, il n’y a pas d’espace vide, non rempli.

    Il conçoit toujours l’espace réel, et a affaire seulement à lui. »

    C’est là indubitablement une thèse tout à fait conforme au matérialisme dialectique. Ce que tente de faire Vladimir Vernadsky, c’est de dresser le portrait du mouvement de la matière, sa transformation.

    Vladimir Vernadsky

    Dans De quelques manifestations géochimiques de la vie, il résume toute sa conception matérialiste, fondée sur l’asymétrie moléculaire, en disant :

    « Des faits nouveaux, établis récemment par des études qui semblaient complètement étrangères aux problèmes biologiques, font penser que la vie peut agir sur la symétrie des atomes, c’est-à-dire que les atomes qui entrent dans la composition de la matière vivante peuvent présenter des propriétés et des mélanges isotopiques différents de ceux qui construisent la matière brute. »

    La matière vivante assimile la matière inerte. Elle l’intègre dans sa propre matière et, de ce fait, organise l’expansion de la vie, tout en modifiant l’organisation atomique. La matière vivante est un facteur de transformation.

    Vladimir Vernadsky expose ainsi, dans De quelques manifestations géochimiques de la vie, l’affirmation de la matière vivante dans la réalité matérielle générale :

    « Si la matière vivante n’existait pas et n’entrait pas incessamment dans les équilibres cycliques qui caractérisent la chimie de l’écorce, les atomes graphitiques seraient seuls à exister, car la formation de l’acide carbonique est une conséquence de l’existence de l’oxygène libre, qui ne se forma que dans la biosphère et est toujours un produit direct du processus vital.

    Toute autre est l’histoire des atomes du carbone dans la matière vivante de la biosphère. Des composés carboniques innombrables s’y forment et s’y transforment.

    Les atomes diamantins y sont stables; s’ils reprennent incessamment la symétrie des atomes graphitiques, le processus inverse est non moins commun, et les atomes diamantins prédominent toujours.

    Ainsi notre champ thermodynamique possède des propriétés diverses dans la matière vivante et dans la matière brute. Les atomes diamantins, qui ne se forment pas dans ce champ dans la matière brute, trouvent des conditions propices d’existence dans le même champ de la matière vivante.

    La cause de ce phénomène ne peut être cherchée que dans l’action de la matière vivante.

    Nous savons depuis longtemps que la matière vivante possède des moyens puissants pour changer complètement le champs thermodynamique de la biosphère par rapport aux réactions chimiques qui y ont lieu.

    En se servant de l’énergie rayonnante du Soleil, au moyen d’un mécanisme qui nous est incompréhensible jusqu’à présent dans son essence, c’est la matière vivante qui produit à notre température et à notre pression des changements chimiques qui, dans nos laboratoires ou dans les régions privées de vie de notre planète, ne se produisent qu’à des pressions énormes ou à des températures élevées.

    La stabilité et la genèse des atomes diamantins du carbone dans la matière vivante rentrent dans le cadre connu des multiples processus biochimiques qui ont lieu à chaque pas dans l’organisme.

    C’est une nouvelle expression du grand phénomène de l’histoire de la biosphère (…).

    Jusqu’où peut s’étendre cette action ? Se manifeste-t-elle exclusivement dans le domaine des atomes du carbone ? II est très peu probable que cela soit ainsi.

    Par analogie (qui semble dans ce cas très solide) avec les phénomènes biochimiques, on doit s’attendre à y trouver l’expression d’un phénomène général.

    Logiquement, on a le droit de penser que l’action de la vie sur la symétrie des atomes peut s’étendre sur les autres éléments chimiques biogènes.

    Dans ce cas ce serait un fait général de la manifestation de la vie. »

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la question des matières organiques fossiles

    Vladimir Vernadsky avait donc constaté l’apparition du CO2 produit par les activités humaines.

    Cela est d’autant plus intéressant qu’il constate la dissymétrie du pétrole.

    Il apparaît, de par le fait qu’on voit la dissymétrie du pétrole, que leur origine provient de la vie elle-même. Cela implique une compréhension de comment la vie utilise ce qu’elle a accumulé elle-même pendant longtemps.

    Vladimir Vernadsky aborde la question dans La géochimie, publié en 1924, le même ouvrage où il constate que l’humanité produit du C02 par ses activités.

    Vladimir Vernadsky

    Il met en avant un argument qui s’oppose par avance à la dite « théorie moderne russo-ukrainienne » des années 1960 de production du pétrole depuis l’intérieur de la Terre. Il souligne en effet l’origine nécessairement organique du pétrole :

    « Les propriétés optiques des pétroles nous donnent un nouvel argument en faveur de l’impossibilité de leur genèse inorganique, de leurs relations avec des composés juvéniles, et cela est l’argument qui paraît incontestable.

    Tous les hydrocarbures juvéniles doivent être optiquement inactifs ; nous ne connaissons, comme l’a montré Pasteur, qu’un seul milieu, qui donne dans la nature des édifices moléculaires carboniques énantiomorphes — la nature vivante.

    La symétrie d’un phénomène naturel est une de ses propriétés les plus fondamentales. Pasteur était dans ce domaine un des précurseurs longtemps incompris. Un autre français illustre Pierre Curie a généralisé cette notion et a essayé de donner une théorie générale de la symétrie des phénomènes physiques.

    Il en a éclairci l’importance logique et — empirique — de premier ordre et, rapproche la notion de symétrie d’une autre notion scientifique fondamentale dont l’importance nous parait incontestable, la notion de la dimension.

    Le phénomène de symétrie énantiomorphe ne peut provenir que d’une cause qui est elle-même sujette à cette symétrie. La matière vivante est composée d’édifices chimiques à structure énantiomorphe et elle peut donner lieu à la formation de nouveaux corps énantiomorphes.

    Nous savons qu’elle dure des millions d’années sans interruption, que la génération abiogène de la matière vivante n’existe pas dans les phénomènes naturels.

    Mais la matière vivante n’existe pas dans les profondeurs terrestres, dans les régions juvéniles, où l’on cherche la genèse des pétroles. Pour y expliquer la formation des structures énantiomorphes, comme celles des pétroles, il faudrait y supposer l’existence de milieux énantiomorphes.

    Nos connaissances scientifiques actuelles ne nous permettent pas de le démontrer.

    En restant dans le domaine de la science empirique la constatation de l’activité optique d’un minéral carboné nous ramène inévitablement à la matière vivante, seul milieu physique où l’énantiomorphie existe pour les édifices moléculaires contenant des atomes de carbone. Il est tout à fait étonnant qu’on ait négligé pendant si longtemps la découverte de l’activité optique des pétroles et qu’on ne l’ait pas prise en considération dans les nombreuses théories émises partout sur sa genèse (…).

    Le fait reste solidement établi : les pétroles sont des corps à structure optique active et nous ne connaissons de tels composés du carbone que parmi les corps formés par la matière vivante.

    Tous les minéraux du carbone, qui n’ont pas de genèse biochimique sont optiquement inertes.

    La prédominance très nette d’une seule direction de la rotation droite est très remarquable, car dans la matière vivante nous avons la prédominance de la rotation gauche. Il se peut que l’étude approfondie de ce fait donnera la clef de la question.

    Ainsi les pétroles ne peuvent pas provenir des produits juvéniles du carbone. Les hydrocarbures juvéniles qui existent ne peuvent jouer un rôle important dans la composition des pétroles.

    Tandis que l’étude de la constitution chimique des pétroles aboutit à leur origine biogène, l’étude des géologues et des biologistes amène aux mêmes conclusions (…).

    Comme leur matière primaire ne peut pas provenir des régions profondes de l’écorce, on doit la chercher dans la matière vivante. Cependant les restes d’organismes ne donnent généralement pas de pétroles (…).

    Ce n’est que dans notre siècle, qu’on a pu distinguer dans la complexité de la nature les phénomènes quotidiens, qui longtemps ont paru sans importance, mais qui, en réalité, produisent le phénomène grandiose de la genèse des pétroles.

    Pour les comprendre il a fallu un travail collectif pénible, approfondi. Des sciences nouvelles, celle des marais, l’écologie des plantes, se sont constituées, l’étude des tourbes, des sols et des limons aquatiques a pris une nouvelle direction. Les savants du Nord — les Scandinaves, 
    les Russes, les Anglo-Américains — en étudiant leur nature environnante ont complètement 
    changé dans ces dernières dizaines d’années l’aspect scientifique de la nature (…).

    Ces savants avaient le sentiment libre de la nature, ils la comprenaient en dehors de leurs laboratoires comme un Tout. Et ils y ont vu ce que les autres avant eux n’avaient pas remarqué.

    Si même les explications de [l’Allemand] H[enry]. Potonié ne sont pas toujours heureuses, le fait principal qu’il a exprimé reste intact. Les pétroles, ainsi que les houilles, sont des produits finaux d’une lente décomposition des matières végétales et animales.

    Cette décomposition commence sous l’eau, dans les bassins aquatiques à la surface terrestre, en biosphère, et finit dans la deuxième enveloppe thermodynamique. La structure chimique des différents pétroles est liée à la structure moléculaire distincte de leurs matières primaires, produits de la matière vivante.

    Les pétroles sont des produits de la transformation des premiers des produits de la décomposition sous l’eau des matières vivantes, dans les régions de l’écorce pauvres en oxygène, à une température et à une pression plus hautes que celles de la biosphère. L’origine de leur genèse est biochimique (…).

    Si le mécanisme même du processus ne nous est pas connu dans ses détails et si la formation des gisements pétrolifères est en beaucoup de points encore très discutable, le fait fondamental est établi : les pétroles proviennent de la matière vivante. »

    Si l’on voit justement l’importance des matières organiques fossiles que sont le gaz naturel, le charbon, le pétrole pour le développement du mode de (re)production de l’humanité, alors on est obligé de comprendre que cela implique l’utilisation de la vie par la vie.

    Le gaz naturel, le charbon, le pétrole, ont donc bien en effet comme base le carbone fossile, c’est-à-dire des restes d’êtres vivants.

    La crise du réchauffement climatique est donc directement issue de l’utilisation en un laps de temps très rapide par la vie humaine de ce que la vie elle-même a accumulé pendant une très longue période, plusieurs centaines de millions d’années.

    Le gaz naturel, le charbon, le pétrole… existent en raison d’une sédimentation de matériaux qui n’ont pas été recyclés par la vie. Leur existence tient ainsi au développement inégal dans le processus d’utilisation de la matière par la vie (en tant que matière vivante).

    Il est intéressant de voir ici que le russe Mikhaïl Lomonossov (1711-1765), qui fut chimiste, physicien, astronome, historien, philosophe, poète, dramaturge, linguiste, slaviste, pédagogue, mosaïste, fut le premier à affirmer que le pétrole et le charbon provenaient justement de débris d’êtres vivants.

    L’illustre Mikhaïl Lomonossov, avec Catherine II de Russie,
    tels que vu par Ivan Kuzmich Fedorov, en 1884.

    Il est à noter ici que l’Allemand Alexander von Humboldt et le Français Louis Joseph Gay-Lussac s’opposèrent à cette théorie ; pour eux, le charbon et le pétrole provenaient d’une action à l’intérieur de la planète. Cette perspective fut ensuite partagée par le Français Marcellin Berthelot et le Russe Dmitri Mendeleïev.

    Nikolaï Koudriavtsev réaffirma cette théorie dite du « pétrole abiotique » en 1951, lors d’un congrès de l’Institut panrusse de Pétrole et de Recherches Géologiques. Il avait au préalable passer quelques années en camp de travail comme ennemi du peuple et ce n’est que dans les années 1950 et 1960 qu’il put diffuser cette conception selon laquelle le pétrole était produit depuis le manteau terrestre, et cela en continu.

    On voit ici que la perspective ouverte se place à l’opposé de celle élaborée par Vladimir Vernadsky.

    Si l’on avait, dans les années 1960, saisi le rapport de l’humanité au charbon, au pétrole, au gaz naturel, comme étant un rapport de la vie avec la vie, dans le cadre d’un processus non linéaire et d’un développement inégal, alors on aurait bien plus vite, et de manière meilleure, cerné la question.

    Le charbon, le pétrole, le gaz naturel n’auraient pas été considérés comme des ressources au même titre qu’un rocher ; ils auraient été placés dans le cadre d’un processus, dont le sens complet reste encore à comprendre, mais en tout cas aurait permis de prendre en compte très tôt le réchauffement climatique.

    L’humanité aurait active, conscience dans son rapport aux matières organiques fossiles, et non pas simplement passive, avec une démarche utilitariste-pragmatique.

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la biosphère comme espace-temps déterminé

    Vladimir Vernadsky a initialement fait deux choses : reprendre l’asymétrie moléculaire découverte par Louis Pasteur et prolongée par Pierre Curie, assumer le principe d’une lecture cosmique, au sens d’un univers sans Dieu et allant dans une direction.

    La conséquence de ces deux thèses fut leur fusion dans la conception de la biosphère, c’est-à-dire de la transformation de la matière inerte, dans ses fondements moléculaires, par la matière vivante.

    La thèse de la biosphère comme système est un aspect seulement de la démarche de Vladimir Vernadsky. L’autre aspect est que la biosphère est un système dynamique, dont le fondement est la modification de la matière par elle-même, de la matière inerte par la matière vivante.

    Vladimir Vernadsky

    Ce faisant, Vladimir Vernadsky redéfinit l’espace-temps de la planète Terre.

    Initialement, le terme « biosphère » a été employé par l’Autrichien Edouard Suess dans La formation des Alpes, en 1875, pour désigner la couche de la planète Terre où il y a des êtres vivants. Chez Vladimir Vernadsky, la notion prend un autre sens, car il ne s’agit nullement de raisonner en termes descriptifs, sans accorder une dimension substantielle au concept.

    Ainsi, dans son article de 1938, Sur certains problèmes fondamentaux de la biogéochimie, Vladimir Vernadsky rejette la vision d’Edouard Suess d’une biosphère comme surface terrestre, ainsi que celle de Claude Bernard d’une planète comme simple support cosmique. Vladimir Vernadsky considère que la biosphère a une composition et une structure strictement définies.

    Il dit ainsi :

    « La biosphère n’est pas une nature amorphe, une partie sans structures dans l’espace-temps, où des phénomènes biologiques sont étudiés et établis indépendamment d’elle ; elle a une structure définie changeant à travers le temps suivant des lois.

    Cela doit être pris en considération dans toutes les déductions scientifiques, dans la logique de la science naturelle en tout premier lieu, et ce n’est pas fait.

    La « nature » du naturaliste est seulement la biosphère. C’est quelque chose de tout à fait défini et délimité. »

    Ce que veut dire Vladimir Vernadsky, c’est que la biosphère relève d’un espace-temps bien déterminé, possédant son autonomie. La biosphère n’est pas un phénomène qui existerait en une partie d’un endroit et une partie d’un temps, elle forme elle-même un espace-temps justement parce que c’est un phénomène.

    Et ce processus est dynamique, car la matière vivante est en train de modifier la matière inerte, au sens où la vie se développant, la structure moléculaire se modifie par l’intégration comme matière vivante dans le domaine de la vie.

    Dans De quelques manifestations géochimiques de la vie, il dit ainsi :

    « Des faits nouveaux, établis récemment par des études qui semblaient complètement étrangères aux problèmes biologiques, font penser que la vie peut agir sur la symétrie des atomes, c’est-à-dire que les atomes qui entrent dans la composition de la matière vivante peuvent présenter des propriétés et des mélanges isotopiques différents de ceux qui construisent la matière brute. »

    Ce phénomène est de portée universelle. C’est là où la démarche de Vladimir Vernadsky témoigne de sa dynamique tout à fait juste. Il a compris le développement inégal dans l’univers et de l’univers.

    Voici comment il présente cette dimension cosmique, dans Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, une conférence faite à la Société des Naturalistes de Leningrad en 1931, le texte étant révisé par l’auteur.

    « La vie n’a pu se créer, selon Pasteur, que dans un milieu de dissymétrie particulière, distinct du milieu habituel de la biosphère. Nous comprenons sous le terme du dissymétrie un phénomène complexe, que Pasteur se représentait autrement que nous.

    Cette notion fut approfondie après Pasteur par P. Curie, qui en formula un principe d’une immense portée théorique, principe que j’appellerai principe de P. Curie.

    Ce principe dit :

    « La dissymétrie ne peut se manifester que sous l’action d’une cause, douée de la même dissymétrie. »

    Je ne puis entrer ici dans des détails, mais il importe de noter que, selon le principe de Curie il doit exister une extrême stabilité du milieu dissymétrique ou du phénomène dissymétrique dans le milieu où cette dissymétrie fait défaut.

    De très diverses manifestations de la dissymétrie peuvent évidemment exister, et la dissymétrie liée avec les phénomènes de la vie est une de ces formes.

    Nous appellerons dissymétrie spécifique de la vie la propriété déterminée de l’espace ou d’un autre phénomène lié avec la vie, pour lequel il n’existe pas d’autre élément de symétrie que les axes de la simple symétrie, mais ces axes sont anormaux, car une de leurs propriétés essentielles y fait défaut, – celle de la parité des phénomènes droits et gauches, observés autour d’eux.

    Un tel milieu dissymétrique se distingue nettement du milieu cristallin, caractérisé par les axes de la simple symétrie.

    Il n’existe ou ne prédomine dans le milieu dissymétrique qu’un seul des deux phénomènes antipodes – droit ou gauche – tous les deux peuvent y exister.

    Tandis que le milieu symétrique cristallin énantiomorphe comprend toujours deux milieux simultanés, – mais toujours séparés – quantitativement identiques – droit et gauche.

    Dans le milieu dissymétrique caractéristique de la vie, il ne se forme qu’un seul de ces deux milieux – droit ou gauche, ou l’un des deux y prédomine nettement.

    On peut représenter ce milieu dissymétrique mathématiquement, comme un milieu symétrique cristallin énantiomorphe, dont la symétrie est enfreinte.

    La dissymétrie indique alors une violation de symétrie habituelle. Les éléments de la symétrie complexe font toujours défaut dans un tel milieu dissymétrique, il n’y existe ni centre, ni plan de symétrie.

    Ainsi la doctrine de la symétrie n’embrasse pas la dissymétrie particulière à la vie, la disparité des phénomènes droits et gauches y servant d’obstacle. Du point de vue de la doctrine de la symétrie c’est une infraction particulière et déterminée de symétrie.

    Pasteur a indiqué que la structure de la matière des organismes vivants ainsi que les manifestations physiologiques de ces organismes étaient caractérisés par une dissymétrie nettement exprimée, avec prédominance de phénomènes droits.

    Le caractère droit des organismes se manifeste comme par la rotation droite du plan de la polarisation de la lumière de leurs composés essentiels – purs et cristallisés, concentrés dans les œufs, dans les semences, par leurs antipodes cristallins droits, qui se forment lors de la cristallisation en dehors des organismes, par l’assimilation des antipodes droits par les organismes dans le phénomène de nutrition (eux seuls peuvent leur servir de nourriture); les organismes sont indifférents au sujet des antipodes gauches dans ces processus (ils les évitent pendant la nutrition), etc.

    Je n’indiquerai pas les déductions générales, importantes, que Pasteur tira de cette généralisation empirique.

    Je noterai seulement qu’il a indiqué avec justesse, bien avant l’établissement du principe de P. Curie, que la génération spontanée, l’abiogenèse, l’apparition de la vie du sein de la matière brute, ne pouvait avoir lieu que dans un tel milieu dissymétrique droit. Il croyait que c’était dans ce sens là qu’il fallait diriger les essais de la synthèse d’un organisme vivant.

    Il avait déjà énoncé et jusqu’à présent cela s’est trouvé justifié, que seuls les organismes vivants possédaient une telle dissymétrie sur la Terre. Il suit de la généralisation de Pasteur, en tenant aussi compte du principe de Redi, que la matière de la biosphère est hétérogène d’une manière extraordinaire.

    D’une part les organismes vivants sont dissymétriques, dans le sens indiqué et ne se forment que par multiplication (c’est-à-dire proviennent toujours de la substance dissymétrique même, selon les principes de Redi et de Curie).

    D’autre part la matière terrestre ordinaire n’a pas une telle structure.

    Aucune des autres enveloppes terrestres ne contient la matière dissymétrique découverte par Pasteur. La limite qui sépare ces deux milieux est très nette.

    D’autres corps terrestres furent encore découverts après Pasteur, possédant les mêmes propriétés les pétroles, mais les pétroles sont liés dans leur genèse avec la vie.

    La dissymétrie des pétroles – jointe à leur origine biogène, permet d’introduire une correction dans la généralisation de Pasteur.

    Il doit non seulement exister des formes de vie droites, comme le pensait Pasteur, mais gauches aussi car bien que ce soient les pétroles à rotation droite qui prédominent, il existe aussi de rares pétroles à rotation gauche.

    Cette correction de la généralisation de Pasteur relative au caractère droit de la dissymétrie vitale, aurait pu être notée plus tôt, de sa vie, d’autres manifestations de la dissymétrie vitale étant connues de longue date, donnant pour les organismes parmi la majorité prédominante des formes droites des formes individuelles gauches, par exemple certains mollusques donnent des coquilles à spirale gauche (individus gauches) parmi la masse prédominante des formes à spirale droite phénomène, qui avait frappé l’attention des naturalistes encore au XVIIIe siècle.

    Ainsi le trait essentiel de cette dissymétrie c’est la prédominance nette de l’un des antipodes, l’inégalité frappante du nombre des droits et des gauches.

    La prédominance des formes droites dans les phénomènes vitaux est habituellement nettement marquée, bien qu’ici aussi les albumines les plus importants des mammifères (l’homme), mélanges de colloïdes, possèdent dans la majorité écrasante des cas la rotation gauche.

    Outre les organismes vivants et les pétroles et autres produits organiques qui sont liés par leur genèse a la vie, tous les autres phénomènes de la biosphère ne manifestent pas cette dissymétrie.

    Elle fait défaut comme l’a montré Curie dans les champs magnétiques et électriques.

    L’homme peut créer dans les laboratoires des milieux de structure énantiomorphe, possédant quelques propriétés des structures énantiomorphes dissymétriques, caractéristiques de la vie. Cependant il n’a pas réussi jusqu’à, présent à créer un milieu dissymétrique, analogue à celui qui se trouve dans l’intérieur des organismes.

    L’étude de l’action sur les phénomènes vitaux des milieux formés par les rayons droits ou gauches polarisés circulaires ouvre un champ de grand intérêt, mais ce n’est pas un milieu dissymétrique analogue a celui des organismes.

    Il faut même toujours avoir en vue que selon le principe de Curie l’activité de l’homme serait elle-même une cause dissymétrique et la création par lui d’un milieu dissymétrique répondant à la vie, serait un fait normal, au point de vue de la dissymétrie.

    Suivant certaines indications il existerait des phénomènes dissymétriques hors de la Terre, dans le Cosmos. Et déjà L. Pasteur chercha la cause de l’apparition du phénomène dissymétrique de la vie dans le Cosmos, dans les phénomènes ayant lieu hors de la planète.

    La forme spirale des nébuleuses et de quelques agglomérations stellaires indique la présence probable de phénomènes analogues dissymétriques dans le Cosmos. Si les spirales droites prédominent en effet nettement parmi les nébuleuses spirales, comme le constatent de nombreuses photographies, ou si dans certaines parties de l’univers se concentrent des nébuleuses a spirale droite et dans d’autres des nébuleuses à spirale gauche l’existence d’espaces dissymétriques dans le Cosmos deviendrait plus que probable.

    Cette dissymétrie paraît être analogue à celle qu’on observe dans l’espace pénétré par la vie, c’est-à-dire qu’elle possède des vecteurs énantiomorphes (resp. seulement les axes de la symétrie simple) et qu’en même temps tous les deux vecteurs – droit et gauche – peuvent y exister, mais non en nombre égal; les vecteurs droits y prédominent plus souvent.

    Il est possible que notre planète privée de phénomènes dissymétriques, outre la vie dans la biosphère, peut – en traversant les régions du Cosmos qui en possèdent – pénétrer à quelque stade de son histoire dans l’espace de la dissymétrie droite de ce genre, c’est-à-dire peut s’engager dans les conditions du champ dissymétrique droit où la vie peut s’engendrer.

    Certes, ce champ dissymétrique droit ne peut aucunement par lui seul engendrer la vie, mais son absence exclut ce processus. »

    Vladimir Vernadsky, Sur les conditions de l’apparition de la vie sur la Terre, 1931

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la matière en rapport avec elle-même

    En considérant la matière vivante comme un bloc unifié, Vladimir Vernadsky basculait inéluctablement dans une problématique matérialiste dialectique, puisque la matière ne peut avoir un rapport qu’avec elle-même dans son existence, puisqu’il n’y a rien d’autre.

    En supprimant une source, une origine extérieure à la matière, en se passant de l’hypothèse de Dieu, Vladimir Vernadsky place la matière face à elle-même. De fait, dans son article sur l’autotrophie humaine de 1925, Vladimir Vernadsky affirme qu’un être humain qui ne trouverait plus d’autres matières vivantes pour satisfaire ses besoins en termes de nutrition serait condamné.

    Les êtres humains ne peuvent pas produire leurs aliments « tout seul », ils doivent anéantir d’autres êtres vivants ou bien profiter de leur activité biochimique. De manière flagrante, Vladimir Vernadsky tombe ici sur la notion de reproduction de la vie humaine, que Karl Marx analyse en détail, avec le concept de mode de production.

    Vladimir Vernadsky

    Vladimir Vernadsky ne part toutefois pas dans la direction de l’économie et de toutes manières ne comprend rien du tout à cette problématique, puisque dans le même article il rejette la Russie soviétique comme un exemple de chaos, de situation de la civilisation comme au bord du précipice, etc.

    En scientifique bourgeois progressiste, il attribue toutes les mauvaises situations à une incompréhension par l’humanité du rôle essentiel de la science et donc des scientifiques.

    Il cite, comme incompris ou dévalorisés, les britanniques Henry Cavendish (1731-1810) et Joseph Priestly (1733-1804), Antoine Lavoisier (1743-1794), le Suisse Nicolas Théodore de Saussure (1767-1845), le néerlandais Jan Ingen-Housz (1730-1799), pionniers qui auraient été compris seulement une ou deux générations après, avec Jean-Baptiste Boussaingault (1801-1881), Jean-Baptiste Dumas (1800-1884), Justus von Liebig (1803-1873).

    Il faudrait donc céder la préséance sociale aux scientifiques ; Vladimir Vernadsky ne quittera jamais cette conception, même s’il considérera que la science peut être assumée par la société toute entière. Il est à noter par ailleurs que né en 1863, il a alors déjà un certain âge.

    Vladimir Vernadsky

    La direction que prend donc Vladimir Vernadsky, c’est la géologie, dans sa dimension chimique. Il constate que pour se construire, exister et reproduire leur existence, les plantes s’appuient sur leur propre capacité à puiser les ressources dans leur environnement immédiat, ce que l’Allemand Wilhelm Pffefer appelle des organismes autotrophes.

    Vladimir Vernadsky constate alors que sans cette activité chimique des plantes, qui s’appuie sur l’énergie solaire, ni les champignons, ni les animaux, ni les êtres humains ne pourraient exister.

    Il considère alors, fort logiquement, que la vie ne consiste pas en un assemblage d’individus isolés, et il note également l’existence numériquement massive des bactéries, découvertes par le Russe Sergueï Nikolaïevitch, qui sont également autotrophes, c’est-à-dire capables de synthétiser leur matière organique à partir d’éléments minéraux.

    Or, par la raison, l’humanité est capable d’une action toujours plus importante sur cet ensemble du bloc du vivant, bien plus que sa masse physique ne pourrait le laisser penser.

    Reprenant le concept d’Homo Faber de Henri Bergson, il explique que l’humanité, avec la découverte de l’agriculture il y a de cela 600 générations, modifie de manière toujours plus contrôlée son environnement, la composition chimique et minéralogique de la matière.

    En utilisant l’énergie des courants marins et des vagues, l’énergie atomique et l’énergie solaire, l’humanité pourra être en mesure de synthétiser son alimentation indépendamment de la matière vivante, formant un schisme avec elle. L’être humain deviendrait alors un animal autotrophe, en tant que manifestation d’un long processus naturel.

    >Sommaire du dossier

  • Vladimir Vernadsky et la matière vivante comme bloc unifié

    Vladimir Vernadsky avait saisi que Louis Pasteur avait mis la main sur une sorte de clef montrant bien que la nature évolue selon des bases bien précises, et universelles. Il lui restait cependant à être en mesure de parvenir à une vision du monde.

    Pour ce faire, il s’appuya sur des concepts récupérés à Paris.

    Donnant des cours à la Sorbonne en 1922, Vladimir Vernadsky rencontra en effet le mathématicien Edouard Le Roy, sorte de disciple du philosophe Henri Bergson, ainsi que le catholique Teilhard de Chardin.

    Ces deux derniers penseurs cherchaient à fusionner une lecture scientifique – pratique, de type matérialiste, avec une philosophie idéaliste attribuant à l’acte créateur un rôle déterminant. C’est ce qu’on appelle le vitalisme, une philosophie ayant eu une grande importance en France dans l’histoire des idées.

    Cet acte censé être créateur était, pour l’un comme pour l’autre, à la fois un choix subjectif fait en toute conscience, et quelque chose d’obligatoire de par l’évolution du monde. On a là une tentative, vouée à l’échec, de mêler l’idéalisme au déterminisme.

    Dans le contexte français, marqué par un très haut niveau scientifique, cela va aboutir à une sorte de lecture à prétention planétaire, voire cosmique, le vitalisme étant par essence universel, Henri Bergson parlant d’énergie créatrice.

    Celui-ci théorise également le principe de l’homo faber ; l’homme qui utilise des outils est une forme nouvelle d’humanité, agissant de manière prétendument créatrice comparée à auparavant. Il constate également que son impact est au niveau planétaire.

    Teilhard de Chardin avait quant à lui une lecture vitaliste de l’univers, qui fut réfutée par l’Église pour sa démarche matérialiste latente et forme un monument intellectuel très développé.

    Teilhard de Chardin reconnaît en effet la conception idéaliste du big bang, d’un prétendu début à l’univers. Mais il rattache la fin à la résolution de tout conflit matériel, à une sorte de grande fusion, comme si l’univers ne restait plus que positif, ayant abandonné toute négativité, basculant ainsi dans Jésus-Christ.

    Teilhard de Chardin considère qu’il y a d’abord l’étape de la géo-genèse, puis de la bio-genèse et enfin celle de la psycho-genèse. C’est un mélange entre la conception matérialiste de la transformation (allant au communisme) et l’idéalisme religieux fantasmant sur un passage de la matière à l’esprit « pur ».

    La psycho-genèse aboutit ainsi à une « noosphère », la planète devenant « pensée » pure alors que l’univers revient ainsi à Jésus-Christ.

    Cela ressemble beaucoup à la conception pareillement tripartite, empruntée aux figures du Père, du Fils et du Saint-Esprit, élaborée par Joachim de Flore au 12e siècle en Italie. C’est ainsi une réactivation d’une forme de millénarisme, alors que le communisme s’affirme historiquement.

    De plus, cette lecture inquiète oscillant entre matérialisme à portée cosmique et métaphysique idéaliste correspond à tout un conflit entre religion et science au milieu du 20e siècle ; le roman de science-fiction Solaris, du polonais Stanislas Lem, avec une planète existant comme « pensée pure », est le grand classique littéraire du genre, avec également une version cinématographique réalisé par le réalisateur soviétique très porté sur la métaphysique et les interrogations cosmiques Andréi Tarkovsky.

    Vladimir Vernadsky puise sans aucun doute dans l’approche de Henri Bergson et de Teilhard de Chardin. Etant un scientifique de la bourgeoisie dans sa dimension progressiste, Vladimir Vernadsky ne pouvait pas ne pas aller dans le sens de souligner l’importance des choix, de la subjectivité.

    En 1925, il écrivit à ce sujet un article pour la Revue générale des sciences pures et appliquées, basée en France. Dans L’autotrophie humaine, il explique que la raison humaine, dirigée et contrôlée par la volonté de l’être humain socialisé, était devenue une nouvelle force géologique et peut-être même cosmique.

    On a ainsi à la fois la dimension matérialiste avec la nature géologique de la question, et la dimension idéaliste avec la « volonté humaine ». Vladimir Vernadsky n’étant cependant ni philosophe ni religieux, sa notion de « volonté humaine » est extensible.

    Il entend par là non pas tant la volonté de chaque individu ou de l’espèce humaine, mais le fait que la société humaine transforme la réalité autour d’elle, s’agrandissant, ayant un impact toujours plus grand sur son environnement direct et indirect.

    Ce que veut dire Vladimir Vernadsky par « volonté humaine », c’est surtout le caractère qualitativement différent de l’action exercée par l’espèce humaine si on la compare à celle du reste de la matière vivante. Cependant, en même temps, dans son article, Vladimir Vernadsky place l’humanité au sein du « bloc de la vie », du « bloc vivant ».

    Il y a ici une opposition dialectique – que Vladimir Vernadsky ne perçoit pas – mais qu’il résout au moyen d’une référence au naturaliste florentin Francesco Redi (1621-1697), dont l’idée fut reprise par la suite par Antonio Vallisnieri (1661-1730) et, selon Vladimir Vernadsky, de manière décisive par Louis Pasteur.

    Cette idée consiste à affirmer que tous les êtres vivants sont issus d’autres êtres vivants.

    Le naturaliste florentin Francesco Redi (1621-1697)

    Vladimir Vernadsky fait alors un véritable tour de force. D’un côté, il tombe dans l’idéalisme en disant que c’était là un fait pour l’instant prouvé par la science, et qu’il n’est nullement assuré, même si c’était possible, qu’on parvienne à voir si la matière vivante provient de la matière non vivante qui aurait connu un changement.

    Vladimir Vernadsky rejette ainsi deux conceptions : celle, religieuse, faisant que Dieu forme la vie à partir de matière « neutre », et celle, matérialiste, où la matière vivante est le produit naturel du mouvement dialectique de la matière non vivante.

    Cela devrait tomber alors dans une sorte de mi-chemin improductif, oscillant perpétuellement entre idéalisme et matérialisme, comme c’est le cas chez Henri Bergson et Teilhard de Chardin, anéantissant tout caractère productif à leur démarche intellectuelle et conceptuelle.

    Cependant, Vladimir Vernadsky fait alors un saut qualitatif en disant : puisqu’il en est ainsi, il faut considérer la matière vivante comme un bloc unifié ayant existé depuis le départ sur notre planète.

    Il réfute de ce fait l’idéalisme pour n’avoir qu’en perspective la matière en général, comme système.

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