Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le particulier et le général

Pour la neuvième estampe, La passe d’Inume dans la province de Kai, Hokusai témoigne de sa formidable capacité à combiner les éléments d’autant plus puissamment qu’il y en a moins.

On peut voir qu’il y a trois zones calmes (a, b, c) qui forment l’ossature de trois zones avec le mouvement. Ce mouvement est bien entendu celui des voyageurs. Et c’est à chaque fois la végétation qui est le support de la multiplicité soutenant les mouvements directionnels uniques, vers le haut ou vers le bas.

Le Fuji vu de la province d’Owari, la dixième estampe, témoigne de la tentative de présenter une activité laborieuse en gros plan, en le combinant à l’atmosphère. C’est moins puissant, car moins solennel, malgré le caractère typique présenté.

Cette activité typique joue en fait en s’appuyant sur le cercle élaboré, par un jeu de poids et de contre-poids, le mont Fuji en décalage servant de développement inégal pour renforcer l’idée de mouvement déjà présente par la perspective légèrement décalée.

La onzième estampe, Le temple d’Asakusa Honganji à Edo, est bien plus marquante. La partir visible du temple bouddhiste témoigne d’une activité laborieuse en hauteur, qui a trois parallèles: le cerf-volant partant de la ville, une construction en cours et le mont Fuji.

Il y a ainsi un poids à droite de l’image, où commence la lecture au Japon, des mouvements vers la droite en contre-poids, et même la ville joue le rôle de ralentisseur avec ses toits fournissant direction et contre-direction.

L’île Tsukada dans la province de Musashi, la douzième estampe, témoigne tout à fait de cet effort de présenter le réalisme en particulier en le reliant systématiquement à l’universel. Le village de pêcheurs, qui occupe quasiment toute l’île et connaît la prospérité, est au centre d’une intense activité.

On a ainsi une ligne passant par en haut, comme souvent, connaissant un grand frein par un poids sur toute la partie gauche de l’estampe, renforçant alors la présence des multiples barques.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : portraits typiques et mouvements

Ce qui est marquant dans l’estampe intitulée Surugadai à Edo, la cinquième de la série, c’est que le mont Fuji est à l’arrière-plan, tel un symbole bienveillant sur un Japon défini de manière tout à fait précise. On a en effet d’un côté la nature, sur la gauche, et de l’autre des bâtiments, soit une construction humaine.

On a également des voyageurs et des travailleurs présents dans la scène. On a ainsi une formulation esthétique reposant sur le principe de la synthèse : c’est typique, et le cadre est présenté comme relevant d’une substance contradictoire.

Il faut ici se souvenir qu’au Japon, on regarde ‘image de la droite vers la gauche. On a ainsi un grand espace qui nous pousse de l’avant, le toit nous précipitant sur une scène avec un travailleur. La végétation sur la gauche fait contre-poids au mouvement de la vue, alors que les déplacements des personnages, dans des directions opposées, ajoute de la dynamique. C’est un portrait vivant.

Pour la sixième estampe de la série, Le pin-coussin à Aoyama, le mont Fuji est bien plus présent ; la scène est d’ailleurs cette fois reposante.

Il y a pourtant une synthèse puissamment construite. La zone première de la vue, sur la droite, forme un espace qui s’élance toujours plus vers la droite, accompagné par une présence contradictoire du mont Fuji, alors que la zone de végétation sert de contre-poids afin de permettre la présentation des figures humaines, dont la plupart se reposent. C’est très subtil.

Senju dans la province de Musashi a une approche apparemment plus simple. On pense simplement assister à un passage pour cette septième estampe.

En réalité, l’oeuvre organise un tempo très calibré pour ce passage. La végétation est très présente au début, sur la droite, pour se répandre ensuite, forçant l’œil à suivre sa continuité, le mouvement étant renforcé par ce que transporte le cheval et l’habit d’un pêcheur. On est poussé vers la gauche.

Toutefois, le réalisme de Hokusai excelle dans les Trente-six vues du mont Fuji dans sa capacité à poser les choses, une sorte de réalisme où le typique s’inscrit dans une atmosphère, comme pour La Grande Vague de Kanagawa, la huitième estampe.

La Tama dans la province de Musashi est ainsi résolument splendide, avec l’amoindrissement des éléments apportant de manière palpable. La Tama est un fleuve passant par une partie d’Edo (soit Tokyo aujourd’hui), la province de Musashi contenait notamment Edo.

La réussite subtile de cette oeuvre tient au mouvement, que Hokusai maîtrise parfaitement, mais cette fois en limitant les éléments afin de jouer sur les contrastes. On a littéralement deux zones : une (ici appelée 1) poussant de l’avant dans une perspective assez linéaire – en jouant sur le mont Fuji qui est en quelque sorte traversé de droite à gauche, mais dont la masse graphique sert de référent, de nexus à l’oeuvre.

Et on a la zone (a), très élémentaire, se confrontant à la zone (b) du fleuve, lui-même contradictoire pour indiquer le mouvement avec la zone (c), la zone (d) introduisant la zone 2, qui avec sa végétation non linéaire implique la notion de mouvement par détours.

Ce qui témoigne des tours et détours pour les transports, ici par bateau et par cheval.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le mont Fuji comme vecteur du réalisme

Si l’on prend les deux oeuvres qui suivent immédiatement La Grande Vague de Kanagawa dans les Trente-six vues du mont Fuji, alors on peut penser qu’il y a une focalisation effectivement sur le mont Fuji. La quatrième estampe montre que cela ne sera pas le cas et que c’est un symbole national utilisé dans l’affirmation du réalisme.

Voici Vent frais par matin clair, L’orage sous le sommet et Le Fuji vu à travers le pont de Mannen à Fukagawa.

Le contraste est saisissant entre ce qui forme deux portraits du mont Fuji d’un côté, une scène résolument typique de l’autre. Il est facile de comprendre que le mont Fuji a été mis en avant de prime abord pour bien en souligner l’importance symbolique, alors que dès la quatrième image on en revient à la première, dans le sens où l’on montre que les pêcheurs de La Grande Vague de Kanagawa n’étaient pas là pour le pittoresque de la chose.

Sur le plan de la composition, les deux portraits du mont Fuji forment un contraste dialectique assez saisissant.

Vent frais par matin clair
L’orage sous le sommet

On a en effet une situation calme pour l’un, un orage pour l’autre. Lorsque la situation est calme, les nuages sont au-dessus du mont Fuji c’est-à-dire en harmonie avec lui, en étant présent tout au long de l’estampe. Lors de l’orage, celui-ci est sous le mont Fuji, qui resplendit à l’écart de l’événement.

On remarquera d’ailleurs que dans la première estampe, il y a une continuité complète dans le dessin de la montagne, les nuages évoluant à l’arrière-plan pour en souligner cette majesté. Dans la seconde, le mont Fuji se présenta avec un sommet difficilement inaccessible, pour ne pas dire inatteignable. Le ciel est d’ailleurs immaculé, le sommet du mont Fuji semblant relever de la même substance.

Le Fuji vu à travers le pont de Mannen à Fukagawa est bien différent. Nous sommes ici à Edo, dans le quartier de Fukagawa, le pont de Mannen signifiant en fait le pont de 10 000 ans. Le pont passe au-dessus de la Onagigawa, un cours d’eau assez restreint qui rejoint juste après, on peut le voir, le fleuve Sumida.

L’oeuvre est particulièrement subtile. Elle est un même une sorte de jeu d’équilibriste. On a en effet une mise en perspective s’appuyant, de manière éminemment dialectique, sur un développement inégal.

Le côté droit du pont est davantage marqué par les arbres allant vers le fond, à l’opposé du côté gauche où la végétation semble plus proche. Il n’y a droite qu’un pecheur isolé, alors qu’au centre, tourné vers la gauche, il y a un pêcheur sur un navire (l’image se lit de droite à gauche au Japon). Le mont Fuji apparaît davantage du côté gauche, comme la personne avec l’ombrelle sur le pont.

Si l’on se fonde sur ce sens japonais, on peut d’ailleurs voir qu’on passe en quelque sorte du simple, du particulier, au général, car plus on va vers la gauche, plus il y a de la densité.

Pourquoi cela ? Parce que le pont est un lieu de passage, qu’il abrite d’ailleurs des vendeurs de poissons et de tortues (parfois justement achetés et relâchés dans l’esprit bouddhiste) ; il est un lieu populaire du Japon, dont on a ici une image vivante.

C’est très exactement le sens des Trente-six vues du mont Fuji.

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Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : « La Grande Vague de Kanagawa »

Durant les années 1831-1833 publie les Trente-six vues du mont Fuji, son oeuvre la plus célèbre, avec l’estampe notamment très connue qu’est La Grande Vague de Kanagawa. C’est d’ailleurs la première estampe. Sur le côté est écrit le titre de l’oeuvre et de l’estampe, « Trente-six vues du mont Fuji / au large de Kanagawa / Sous la vague », avec la signature : « de la brosse de Hokusai changeant son nom en Litsu ».

Il y a ici quelque chose d’essentiel : le mont Fuji n’est pas le seul thème de Trente-six vues du mont Fuji, il en est seulement la base. Il est le prétexte national pour un art réaliste populaire dans son contenu.

Dans l’estampe, on le voit ainsi en arrière-plan, alors que des pêcheurs quittant Edo repartent chez eux, se déplaçant à rebours de la vague.

Le mont Fuji (ce qui signifie incomparable) est ainsi le seul point fixe d’une situation de tendance et de contre-tendance.

Chaque tendance et contre-tendance est elle-même appuyée, comme affirmation générale, par des éléments particuliers : l’écume des vagues et les pêcheurs.

En fait, si l’on observe la mise en perspective des flux et reflux, toujours en courbes, on a alors le mont Fuji comme nexus.

Cette synthèse maniant parfaitement un agencement dialectique est d’autant plus marquant que le nombre de couleurs est très restreint, et que les traits ne visent pas à être pointilleux. Il y a une dimension assez brute.

On retrouve le principe de faire plus avec moins. Et cette oeuvre magistrale inaugure les Trente-six vues du mont Fuji, monument du réalisme.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : l’environnement naturel

Si la dimension urbaine est le point faible de Hokusai, l’acceptation de la Nature, sa reconnaissance, son affirmation, forment son point fort. C’est là où son expression est la plus vigoureuse, la plus en avance même car elle n’est pas que vraie, elle est aussi encore puissamment inspirante.

C’est d’ailleurs lorsque la Nature est le support de sa démarche que la question de l’environnement architectural n’est pas simplement une illustration, serait-elle typique mais bien une réalité à part entière.

Avec la Nature, les choses prennent tout de suite une autre dimension.

C’est que la Nature est, au sens strict, ce qui permet le mouvement. Il faut se rappeler ici que le Japon est un archipel de plusieurs milliers d’îles, dont quatre forment la quasi totalité de la superficie : Hokkaidō, Honshū, Shikoku et Kyūshū.

Le riz était longtemps la ressource absolue pour ne pas sombrer dans la famine et d’ailleurs durant la période d’Edo les taxes sont payées en riz par les paysans. Le caractère essentiel de la Nature est par conséquent nécessairement admis d’une manière ou d’une autre. C’est d’ailleurs au fond l’intérêt profond que trouva Hokusai dans le bouddhisme, à l’image de l’Asie historiquement.

Exister, c’est alors se placer dans un rapport étroit avec la Nature, au quotidien, si l’on sort des grandes villes.

La Nature, c’est la toute puissance, c’est par elle qu’il faut passer. On sait comment cette conception joue fondamentalement au Japon.

C’est cela qui explique la focalisation sur les éléments puissamment marquants de la Nature chez Hokusai en particulier, et au Japon en général.

On comprend pourquoi Hokusai se tourna ainsi vers le mont Fuji – et pourquoi les représentations réalistes qu’il a mis en place à partir de là sont d’une immense valeur esthétique, artistique, culturel, historique, pour le Japon comme pour le monde.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : l’environnement architectural

Le réalisme implique d’être en mesure d’appréhender l’environnement architectural, car c’est une dimension essentielle de la culture et du rapport de l’humanité à la Nature. Mais cela est naturellement très difficile lorsque un artiste fait face à une transformation extrêmement rapide le dépassant.

Hokusai se place à une époque où, en fait, il n’y a plus seulement d’un côté quelques grandes villes massives et des campagnes : le Japon de la bourgeoisie émergente va de pair avec une amélioration des habitations, une complexité plus grande des structures urbaines se systématisant, etc.

C’est là le point faible de Hokusai par conséquent, car on voit qu’il ne sait pas s’il doit se tourner vers une typisation de l’environnement architectural ou une présentation empiriste.

A rebours de cette vue générale, voici des exemples de focalisation.

On sait comment le Japon, historiquement, par la suite, s’est littéralement brisé sur cette question du rapport villes – campagnes, avec un romantisme forcené des campagnes accompagnant un culte de l’hyper-modernité urbaine.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : les animaux

S’il a porté attention aux figures humaines, tout autant qu’aux travailleurs dans leur caractère à la fois typique et personnel, Hokusai a également su se tourner de manière authentique avers les animaux et les végétaux.

Il y a là non pas une envie d’accumuler les images de manière empirique, ou bien un simple paysagisme, mais bien un matérialisme réel reconnaissant la dignité du réel.

Hokusai se tourne d’ailleurs vers des animaux extrêmement différents.

Et, comme pour les êtres humains, on a à la fois une situation typique et une dimension personnelle de chaque animal qui est tout à fait pris en compte et valorisé.

L’effort de personnalisation est rendu bien plus ardu pour les végétaux lorsqu’ils sont séparés de leur environnement direct, cependant on sent que Hokusai s’efforce d’aller en cette direction.

Il va de soi cependant que c’est lorsque il y a combinaison, synthèse en elle-même, qu’on obtient les résultats les plus satisfaisants, les plus marquants.

On voit très bien, dans l’approche de Hokusai, comment s’exprime ici le matérialisme, avec son souci encyclopédique et son affirmation de la dignité du réel, dans la contradiction entre le particulier et l’universel.

Cela aboutit par contre, forcément, à s’éloigner du particulier qu’est le Japon, malgré des tentatives de s’en rapprocher comme la suivante.

On notera enfin cette scène pittoresque où une activité humaine est présentée à travers des figures de rats, qui sont bien connus pour leurs entreprises collectives pleines d’efforts.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : les figures

Dans le Hokusai manga, on trouve des figures qui sont plus particulièrement soulignées. Il s’agit de personnages historiques, de divinités. Leur présentation est sérieuse ou posée de manières propres à elles, mais dans tous les cas il y a une insistance sur une dimension personnelle. Il y a ici quelque chose qui mérite d’être souligné par conséquent, car la bourgeoisie émergente affirme, par définition, les traits personnels assumés, à rebours de l’effacement de ceux-ci dans une société patriarcale-féodale.

Il y a une réelle dignité personnelle dans ces figures, et on peut également noter la présence de femmes, montrant comment l’époque est bousculée dans ses valeurs, le nouveau chassant l’ancien.

On notera ici que, forcément, ces figures peuvent se voir rabaisser ou ré-hausser, dans un jeu typiquement japonais de fuite sur ce plan. Il est comme tangué et cela tient malheureusement à la nature de son époque, avec l’impossibilité pour la bourgeoisie d’assumer franchement le matérialisme, retombant dans les travers de la période d’Edo, avec ses terribles limitations.

Le réalisme de Hokusai, en faisant un titan, est ainsi frein, mais il parvient tout de même à produire des synthèses, comme le chef d’oeuvre suivant combinant le travail, le peuple, le mouvement, les figures personnelles, de femmes qui plus est, dans un cadre national japonais.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : le mouvement

La grande difficulté qu’il y a bien entendu dans le dessin, c’est de représenter le mouvement. Le défi est différent d’en sculpture, car dans celle-ci tout forme un bloc, alors que dans un dessin les éléments sont séparés de manière marquée. La difficulté est toutefois de rester compréhensible, de ne pas écraser le mouvement lui-même.

Une manière dialectique de faire face au défi de la représentation du mouvement est d’en faire plus avec moins.

On notera d’ailleurs que Hokusai parvient justement à trouver une voie, toute particulière, toute japonaise, dans ce conflit dialectique entre la quantité et la qualité. Le niveau synthétique est époustouflant.

Cette insistance sur le mouvement est également une preuve de la nature même de l’oeuvre de Hokusai, titan de son époque.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : les objets

Ce qui caractérise la période historique où Hokusai est actif, c’est qu’on est dans un Japon figé, et en même temps un Japon se transformant par la bourgeoisie naissante. Il y a donc une attention extrême à l’accumulation d’objets, autrement dit de marchandises, dans la réalité japonaise. Hokusai ne tombe pas dans le fétichisme, il relie toujours ces objets à leur nature concrète.

Leur présentation a ainsi une dimension synthétique, d’orientation encyclopédique.

On trouve d’ailleurs une mise en perspective de compréhension des objets dans leur fondement, comme dans l’Encyclopédie. Le fonctionnement et l’utilisation des armes qu’on a ici relève d’une présentation cohérente en tant que telle.

Il s’agit à la fois de contempler et de représenter, et de montrer en ne perdant pas de vue l’esprit de synthèse. Ce n’est jamais un objet neutralisé, séparé de sa réalité concrète.

Hokusai porte un regard matérialiste sur le travail, sur le peuple qui travaille, sur les objets employés.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : le peuple en action

De manière essentielle, on trouve dans le Hokusai Manga une présentation des masses, dans leur dimension à la fois particulière et individuelle. C’est magistral. Non seulement, on a le travail, mais on a les masses elles-mêmes, et Hokusai parvient à relier le particulier au général.

De manière significative, les situations sont innombrables, témoignant de la richesse infinie des masses. Et la dignité de chaque situation est tout à fait prise en compte et reflétée.

La dimension foisonnante des masses est ici un véritable drapeau démocratique et populaire ; en ce sens, c’est une affirmation historique alors de la nation japonaise.

On a ici clairement affaire au matérialisme, qui prend la matière telle qu’elle est. Ces deux pages sont exemplaires ici en ce que les formes des animaux et des humains sont clairement mis en parallèle. C’est là de l’analogie, de la reconnaissance de la matière en tant que telle, de ses différentes formes au dénominateur commun, un matérialisme contemplateur-descriptif comme celui d’Aristote.

A ceci près qu’on est dans une époque de transformation et que l’activité transformatrice est au centre, comme en témoigne les situations de chaque personnage, qui sont toujours ancrés dans une activité.

Le peuple en action, tel qu’il est, est ainsi assumé par Hokusai.

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Les carnets de croquis de Katsushika Hokusai : le travail

Katsushika Hokusai (1760-1849) est le titan de l’art national japonais émergeant dans la période de domination du clan Tokugawa, dans une société patriarcale-féodale figée dont la capitale est Edo. Il représente la charge esthétique des temps nouveaux, porté par la bourgeoisie commençant à s’arracher du carcan idéologique du régime.

Ce fut d’ailleurs tout un processus. Katsushika Hokusai est initialement partie prenante de l’idéologie dominante et ce n’est qu’à un âge avancé qu’il se produit un tournant. Initialement, sa formation relève de ce qui est alors encore hégémonique, avec les courtisanes, les acteurs, les estampes bon marché en général, etc.

Ce qui est ici intéressant, c’est qu’il connaît plusieurs étapes, utilisant à chaque fois un nouveau pseudonyme, avec des ruptures claires ; il décide par exemple en 1785 de ne plus représenter d’acteurs. Au total, il aura utilisé plus d’une cinquantaine de pseudonymes.

Bateaux cargo luttant contre les vagues, Hokusai, vers 1805

Le tournant le plus marquant est la parution en 1814 d’un carnet de croquis, de 23 x 16 cm, appelé Hokusai Manga, avec dessins représentant le vie réelle, en monochrome, exprimant un effort de synthèse dans le cadre d’une vie entière de labeur au service de l’art du dessin.

Le succès au rendez-vous et l’effort fut prolongé : le carnet se vit ajouter une seconde et une troisième partie en 1815, une quatrième et une cinquième partie en 1816, une sixième, septième, huitième et neuvième partie en 1817, et enfin une dixième partie en 1819. La onzième et la douzième parties furent ajoutées en 1834. Trois volumes furent ensuite produits après la mort de Hokusai, le dernier étant considéré comme ne relevant pas vraiment de lui, bien qu’on puisse faire le choix de considérer qu’il y a bien des œuvres de lui en faisant partie, ou relevant au moins de sa perspective.

La dimension à la fois empiriste et encyclopédique saute bien entendu aux yeux ; on est ici dans une perspective, démocratique, matérialiste. Il y a bien des éléments surnaturels parfois, mais ils sont clairement alignés dans la perspective d’une étude populaire, de surnaturel tel qu’imaginé par le peuple.

L’oeuvre obtint une reconnaissance immense, notamment à l’international ; l’oeuvre, déjà diffusée à Paris en 1856, est exposée par le Japon lui-même lors de l’Exposition universelle d’art et d’industrie de 1867.

Et ce qu’il est essentiel de noter, c’est la reconnaissance du peuple et de son travail qu’on y trouve. On a ici un peuple transformateur, les masses laborieuses.

Il y a une véritable attention portée à l’humanité dans ses activités relevant d’une notion méprisée alors par le régime, et dont la reconnaissance ne peut être faite alors que par une bourgeoisie émergente assumant la transformation de la matière. La présentation de la mine qu’on a ici est exemplaire d’une approche synthétique.

Les masses laborieuses sont saisies dans leur réalité, mais également et surtout de manière typique. On est ici ainsi dans le réalisme et l’oeuvre de Hokusai est d’un haut niveau synthétique, on voit bien sa capacité à porter son attention sur les travailleurs, ainsi que sa volonté de parvenir à le représenter sur le plan technique.

Hokusai témoigne de l’activité foisonnante des masses, mais également de la multiplicité des situations, des mouvements, des actions. Il trouve la perspective juste pour le présenter.

La présence du travail, porté par des masses transformatrices, dans l’oeuvre de Hokusai, reflète parfaitement sa nature historique, porteuse de réalisme et des temps nouveaux.

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Utagawa Hiroshige, les sites célèbres du Japon et les « Cent vues d’Edo »

Il fallait pour Utagawa Hiroshige, si l’on voit le conflit entre poésie et réalisme dans Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō, basculer dans un sens ou dans un autre. La réponse se trouve dans les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon (avec 71 estampes) publiées de 1853 à 1856, et dans les Cent vues d’Edo (avec 69 estampes) publiées en 1856 et 1858.

Ces œuvres témoignent de l’orientation repli-poétique et valurent à Utagawa Hiroshige de se faire présenter par la critique bourgeoise comme une sorte de paysagiste.

Les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon témoignent en effet d’un côté d’une orientation nationale, puisque l’existence du Japon est reconnu comme telle. En ce sens, il y a une dimension nationale-démocratique. De l’autre, la lecture qui est faite des sites célèbres reflètent une approche contemplative reflétant une bourgeoisie au fond impuissante.

On a ainsi des plages, des monts, des festivals, des maisons de thé, des temples, des ponts, des bateaux…

Voici quelques exemples, avec le mont Otoko à Hirakata, la plage à Takaishi, les maisons de thé au mont Asakuma.

La seule oeuvre marquante est le tourbillon de Naruto, causé deux fois par jour par la rencontre de deux marées, celle du Pacifique et celle de la mer intérieure de Seto.

Utagawa Hiroshige considérait les Cent vues d’Edo comme son oeuvre la plus aboutie, la plus représentative. Il ne put cependant le terminer et un disciple, même appelé Hiroshige II, prit le relais, l’oeuvre elle-même obtenant un succès considérable.

Et, somme toute, on y retrouve la même approche neutralisée que dans les Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon. Le ton est paisible, il est agréable, mais cela se fait aux dépens d’une profondeur compositionnelle.

Voici La barque Yoroi et Koami-chō, L’ermitage de Bashō et la colline aux camélias près de l’aqueduc à Sekiguchi et À l’intérieur du sanctuaire Kameido Tenjin.

Voici encore trois œuvres,Temple Kinryū-zan à Asakusa, Contemplation de la Lune, ainsi que Rizière d’Asakusa et festival Torinomachi.

Cette dernière oeuvre avec le chat est très réussi, comme par ailleurs Fukagawa Susaki et Jūmantsubo (avec un aigle) et Minowa, Kanasugi et Mikawashima  (avec des grues de Mandchourie).

On notera par contre Renards de feu la nuit du Nouvel An sous l’arbre Enoki près d’Ōji, seule estampe sortant du cadre du réalisme, qui annonce déjà une tendance que va avoir justement la culture japonaise à basculer dans les superstitions religieuses, notamment locales, ancrant l’opposition se combinant entre un empereur divin avec une religion nationale et des rites pu préjugés magiques locaux, à dimension folklorique.

On remarquera également que de nombreux magasins sont représentés, ce qui est cohérent vue la ville qu’est Edo, mais c’est fait sans prétention, sans affirmation réelle, à une époque pourtant où la bourgeoisie est en train de s’élancer. C’est lourd de signification.

Vue de la rue Itchome à Nihonbashi (à l’arrière-plan on a la célèbre boutique Shirokiya spot « arbre blanc »)
Les boutiques de soie à Ōdenma-chō
Boutiques avec des biens en coton à Ōdenma-chō (les femmes sont ici des geishas)
Shitaya Hirokōji, c’est-à-dire la grande rue du quartier de Shikaya, avec au premier plan entrepôts Matsuzakaya pour le négoce du textile
Suruga-chō, un quartier avec ici de part et d’autres les boutiques Mitsui vendant du textile

On a là une bourgeoisie s’affirmant, mais de manière feutrée. Il manque toute une charge historique et cela se ressent au niveau de la profondeur esthétique.

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Utagawa Hiroshige et « Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō »

Utagawa Hiroshige réalisa, à la fin des années 1830 et au tout début des années 1840, la fin du travail entrepris par Keisai Eisen afin de raconter un périple partant d’Edo pour aller à Kyoto, mais cette fois sans passer par la route principale, comme pour dans « Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō ».

L’oeuvre consiste en 71 estampes, dont 23 ainsi que le point de départ par Keisai Eisen. Ce point de départ est d’ailleurs, comme on le voit, relativement tourné vers l’exotisme, le divertissement, un certain esprit pittoresque propre au tourisme.

Cela se ressent également dans ses autres travaux, comme pour les stations Itabashi, Ōmiya et Fukaya.

Utagawa Hiroshige tend par contre à dépasser l’anecdotique, pour saisir le typique. Ici, pour la station Miyota, on voit bien que les attitudes sont placées au sens strict dans leur environnement, avec non pas l’objectif d’attirer l’attention par un divertissement, mais avec synthèse, avec profondeur.

On est ici dans la démarche de la peinture de genre, propre au matérialisme. Voici un exemple significatif avec la station de Shimosuwa.

Or, il y a forcément une tension entre la démarche relativement contemplative, sur le plan de la sensibilité, de Utagawa Hiroshige, et l’exigence du portraitisme. Cela produit une oscillation entre impressionnisme et réalisme, et c’est important car si l’on ne voit pas cette ambivalence, on ne peut pas comprendre justement comment des œuvres ont eu un impact si important en Europe dans la foulée, où le capitalisme était développé de manière bien plus ample.

On a ici les stations Miyanokoshi et Seba.

La 39e station, Suhara, est tout à fait représentative du conflit, irrésolu, entre dimension atmosphérique et réalisme.

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Utagawa Hiroshige et « Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō »

Utagawa Hiroshige (1797-1858) est l’un des deux grands maîtres de l’art national japonais et donc du réalisme, l’autre étant Katsushika Hokusai (1760-1849). L’oeuvre magistrale d’Utagawa Hiroshige consiste en un portrait de son parcours sur la grande route, la principale alors, menant de la capitale du pouvoir Edo à la capitale impériale Kyoto, dans Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō.

L’oeuvre, éditée en 1833-1834 après le voyage effectué en 1832, consiste justement en 53 estampes, imprimées à l’horizontal sur un papier de 39 × 26 cm.

On a ainsi comme point de départ Le pont du Japon à Edo. Ce qui est intéressant, c’est que dans la première version, il n’y avait que quelques personne sur le pont. Utagawa Hiroshige a voulu apporter de la densité.

S’il y avait moins de monde, le départ interpellerait moins.

Et cela permet justement de voir comment l’artiste a multiplié les directions afin de donner l’impression de quelque chose de désordonné s’amassant pourtant dans une même direction. Dans la version avec peu de gens, on a des gens qui passent, ici on a un réel départ.

La première étape, présentée dans la seconde estampe, est Shinagawa. Dans la première estampe, la dimension du départ l’emportait nécessairement sur le portrait. Ce n’est ici plus le cas et on peut reconnaître tout de suite la patte d’Utagawa Hiroshige, tenant en une délicatesse posée de manière ample, avec la multiplicité des choses s’insérant en continuité dans une atmosphère enserrant fortement l’ensemble, mais sans l’étouffer.

Voici pour le comprendre la 38e station, Okazaki, et la 47, Seki, pour voir comment cette approche est la substance même de l’artiste, au-delà des portraits différents.

Le peuple est présenté dans sa réalité matérielle et naturelle, on a une approche démocratique et populaire, à rebours de la démarche élitiste – patriarcale du régime dominant et de l’esthétique décadente qui l’accompagne.

La 4e station (Hodogaya) et la 5e (Totsuka) présentent tout à fait l’environnement tel qu’il est, en prenant comme prétexte le passage, mais en témoignant du fait que si les voyageurs passent, ce qu’il y a reste, reste vivant. C’est la reconnaissance de la dignité du réel.

Le voyage à travers le pays, de la capitale administrative-militaire à la capitale religieuse-impériale, est également un vecteur de l’affirmation de la nation japonaise. C’est là un aspect essentiel.

La 13e station, Hara, avec le mont Fuji à l’arrière-plan, est ici emblématique ; on voit également le mont Fuji à l’arrière plan de la 10e station, Hakone, dont le rude chemin permet justement d’avancer jusqu’à lui.

Il en va de même sur le plan national pour la 20e station, Mariko, connu pour un plat pour un plat particulier, le tororo (composé d’orge, d’une algue nommée aonori et d’une sorte de patate appelée tororo ou encore igname en français). Il a été rendu célèbre par un poème de Matsuo Bashō (1644-1694) : 梅若菜丸子の宿のとろろ汁 (ume wakana / Mariko no shuku no / tororo-jiru); soit Fleurs de prunier et jeunes pousses, au poste de Mariko, soupe d’igname râpée.

Matsuo Bashō a inauguré ce genre de court poème, appelé haiku, caractéristique de l’idéologie de la période d’Edo, avec sa focalisation sur le passage inéluctable du temps et la fuite d’une vie qu’il s’agit de valoriser en soi, directement, sans chercher d’envergure.

Les panneaux proposent justement le plat particulier de Mariko

La réalité n’est pas contournée. Ici, dans la 36e station, Akasaka, on voit à gauche les voyageurs se restaurer, avec une servante, et à droite des prostituées se préparer. La condition de la femme est ici présentée sans critique, mais tel un arrière-plan objectif.

Cette absence de « mise en perspective » sur le plan du contenu, au sens d’une charge révolutionnaire, tient à la nature du régime. On est ici dans une bourgeoisie naissante, qui s’inscrit dans un cadre où tout n’est que « passage » dans le cadre d’un monde entièrement statique et fermé sur lui-même.

L’arrivée à Kyoto le reflète, avec une focalisation justement sur un arrière-plan entièrement statique, appuyé par les montagnes pour se figer, avec l’eau pour l’assoupir et l’assouplir pour permettre au pont de représenter de simples passeurs, figures éphémères ne troublant rien en aucune manière.

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