Catégorie : Non classé

  • Le premier congrès des écrivains soviétiques en 1934

    En 1932, le Parti Communiste de Russie (bolchévik) décida d’unifier les écrivains dans une seule grande association. Ce choix est officialisé par la résolution du Comité Central du 23 avril 1932 : « Sur la restructuration des organisations littéraires et artistiques ».

    La mise en place des décisions de la réalisation aboutit au premier congrès des écrivains soviétiques, à Moscou en 1934, ouvert le 17 août 1934, pour se dérouler du 19 août au 1er septembre.

    Ce congrès des écrivains en 1934 fut la grande réalisation du mouvement lancé par les communistes soviétiques à la suite de la révolution de 1917 dans le domaine des arts et des lettres. Il s’est tenu de manière très organisée, en étant largement annoncé dans la presse, une grande valeur lui étant accordée, avec une très grande reconnaissance idéologique et culturelle.

    Parmi les écrivains soviétiques, on trouvait notamment Feodor Gladkov, Samuil Marshak, Demyan Bedny, Leonid Leonov, Konstantin Fedin, Vsevolod Ivanov, Mikhail Sholokhov, Fyodor Panfyorov, Alexander Serafimovich, Aleksei Tolstoy, Aleksandr Fadeev, Mikhail Zoshchenko, Boris Pilnyak, Mikhail Prishvin, Ilya Ehrenbourg.

    Parmi les auteurs venus hors d’URSS, on trouvait entre autres Johannes Becher, Louis Aragon, André Malraux, Ernst Toller, Vitezlav Nezval, Theodor Plivier, Willi Bredel.

    Une soirée culturelle, avec Maxime Gorki et Lénine

    En pratique, 53% des personnes participant étaient membres du Parti. 26 sessions furent tenues, avec 212 discours et présentations. Il y eut 41 messages de salutations, venant d’usines, de kolkhozes, d’écoles et d’universités, de l’armée rouge, d’organisations artistiques ainsi que d’organes du Parti.

    Le congrès lui-même a envoyé des messages de salutations à Staline, à Kliment Vorochilov (commissaire politique pour la défense), au comité central du Parti, au conseil des commissaires du peuple, au conseil des ministres, aux écrivains révolutionnaires de Japon et de Chine, ainsi qu’à l’écrivain français Romain Rolland. Une lettre fut envoyée aux travailleurs des usines à papier d’Union Soviétique.

    Différents discours ont encadré la congrès ; c’est ainsi Gorki qui a tenu le discours d’ouverture et celui de clôture, lançant un magnifique :

    « Nous nous présentons comme les juges d’un monde voué à la mort et comme des hommes qui proclament l’humanisme authentique, l’humanisme du prolétariat révolutionnaire. »

    Il tint également, dès le premier jour, un exposé sur la littérature soviétique et il prit de nouveau la parole aussi lors de la 9e session. Il fut, de fait, la grande figure du congrès.

    Andreï Jdanov, secrétaire du comité central, intervint quant à lui le premier jour ; Karl Radek prit la parole lors de la 12e session au sujet de « La littérature mondiale moderne et les tâches de l’art prolétarien », et Nikolaï Boukharine prit la parole lors de la 19e session au sujet du thème « Poésie, poétique et les tâches de l’activité poétique en URSS ».

    Karl Radek et Nikolaï Boukharine reprirent la parole, respectivement lors des 15e et 22e sessions, en réponse aux remarques suite à leurs interventions. Alexei Steckij, responsable de la section du comité central pour la culture et la propagande, prit la parole lors de la 23e session.

    Une soirée culturelle, avec Maxime Gorki et Staline

    La clôture du congrès alla de pair avec l’établissement des statuts. Ceux-ci se fondent directement sur la résolution du Parti d’avril 1932, soulignant « l’appropriation critique de l’héritage littéraire du passé ». Le réalisme socialiste est présenté comme

    « la méthode fondamentale de la littérature artistique soviétique et de la critique littéraire »

    Ce qui est exigé, c’est la

    « mise en forme historique-concrète, conforme à la vérité, de la réalité et de son développement révolutionnaire »

    Cependant, les communistes ne forment qu’une « fraction » de l’Union des écrivains. Du moment qu’un écrivain respecte la légalité socialiste, il peut rejoindre l’Union.

    Ces statuts furent largement exposés dans la presse soviétique; le quotidien Izvestia traita chaque jour du congrès, la Pravda le traita régulièrement, la Literaturnaja gazeta fut publiée quotidiennement pendant le congrès.

    L’idée mise en avant était que la littérature devait avancer, se mettre en adéquation avec les progrès qu’avaient connus la société. Selon le mot de Staline, les écrivains étaient les « ingénieurs des âmes ».

    Tant Staline que Maxime Gorki soulignaient l’importance de donner naissance au réalisme socialiste; ils mirent en avant la démarche, l’esprit, le contenu, soit l’accompagnement de la construction du socialisme. Il n’y avait pas d’explication quant à la forme, il n’y avait pas d’obligation.

    Le socialisme ne commande pas à la littérature, il orchestre le mouvement, il indique le chemin, et il doit convaincre. C’est le principe de la « littérature de tendance ». C’est Andreï Jdanov qui théorisa le principe, dont les grandes lignes ont été établies par Lénine.

    Andreï Jdanov parla de « romantisme révolutionnaire », de « romantisme de nouveau type », composante incontournable du réalisme socialiste.

    Dans ce cadre, la Pravda numéro 229 du 20 août 1934 publia un discours d’Andreï Jdanov, deux jours après la tenue de celui de Maxime Gorki, lui aussi publié. Les deux discours commençaient à la page deux, furent publiés en entier, malgré leur longueur, et accompagnés d’une grande photographie.

    Le même numéro de la Pravda publia également en entier une lettre de salutation, depuis Nice, de Heinrich Mann, le grand auteur communiste allemand désormais réfugié, ainsi que des messages des écrivains allemands Oskar Maria Graf (présent au congrès) et Lion Feuchtwanger.

    La Pravda publia ainsi de manière régulière, et en y accordant une grande place, les activités du congrès.

    Le 26 août, la résolution appela à la lutte les écrivains du monde entier, contre l’oppression capitaliste, la barbarie fasciste, contre l’esclavagisme colonialiste, contre la préparation d’une nouvelle guerre impérialiste et pour la défense de l’Union Soviétique.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et le prolongement de l’héritage national

    Étant un art porté par le peuple dans un pays particulier, avec l’affirmation de l’universel à travers le particulier, le réalisme socialiste rejette les concepts d’arts censés être « prolétarien » ou « bourgeois ». Il considère l’art comme relevant de la culture et pour cette raison il assume l’héritage national sur ce plan.

    Le réalisme socialiste marque une nouvelle étape dans la culture, mais il se définit comme le dépassement des périodes passées, pas comme leur négation. Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951, publié en Union Soviétique, souligne ainsi que :

    « L’art soviétique prolonge les meilleures traditions réalistes de l’art du passé, en particulier de l’art russe, l’art de Pouchkine et de Tolstoï, de Gogol et de Nekrassov, de Répine et de Sourikov, de Tchaïkovski et de Glinka, etc.

    Mais le réalisme de l’art soviétique représente une étape qualitativement nouvelle dans l’histoire de l’art universelle. »

    Si on prend un tableau comme De nouveau des mauvaises notes, de Fedor Reshetnikov, datant de 1952, se place tout à fait dans le prolongement des portraitistes russes des décennies précédentes surnommes les ambulants.

    On a ici portrait avec une situation caractéristique, une présentation typique, mais avec l’ajout de la dimension socialiste représentée par la pionnière avec le regard plein de reproches qui a justement fini d’étudier. Le chien – plein d’empathie, c’est la dignité du réel – salue un jeune garçon dont le regard perdu montre qu’il cherchera à mieux faire.

    On ne peut pas comprendre la valeur d’une peinture comme Le restaurateur d’Andrei Kouznetsov, de 1951, sans voir la valeur essentielle que trouve le réalisme socialiste dans l’héritage national.

    Pour cette raison, le réalisme socialiste est né de la victoire idéologique sur le « proletkult », à la « culture prolétarienne », une conception non communiste, malgré ses prétentions. Cette idéologie a été puissante dans les années 1920, portée par le courant anarcho-syndicaliste. Son principal théoricien, Alexander Bogdanov (1863-1928), avait déjà été critiqué par Lénine dans Matérialisme et empirio-criticisme pour sa philosophie idéaliste.

    Zprès la révolution de 1917, Alexander Bogdanov avait remis en avant sa conception de manière plus développée, appelant à une science de l’organisation qu’il appelle « tectologie », avec le Parti s’occupant de la politique, les syndicats de l’économie et les artistes d’avant-garde des arts et des lettres.

    Le proletkult est alors, dans cette conception, une prétendue avant-garde devant commander les arts, imposer par en-haut une nouvelle organisation, sur les ruines du passé. L’Association des Ecrivains Prolétariens de Moscou (MAPP), alliée au Front Gauche des Arts (LEF), explique ainsi dans sa revue Au poste, premier numéro du 24 juin 1923, que :

    « Est prolétarienne la littérature qui organise le psychisme et la conscience de la classe ouvrière et des classes travailleuses dans le sens des missions finales du prolétariat, transformateur du monde et créateur de la société communiste. »

    Le proletkult qui prétendait régir les arts et les lettres fut remis à sa place par la résolution du 18 juin 1925 du Comité Central du Parti Communiste de Russie (bolchévik), intitulé Sur la politique du parti dans le domaine des belles-lettres. Il fut par la suite liquidé comme tendance gauchiste, du type bourgeois-cosmopolite, un grand rôle étant joué par le premier congrès des écrivains soviétiques, en 1934.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et la chanson « Vaste est ma patrie »

    L’un des grands symboles de la dimension nationale du réalisme socialiste est la « chanson sur le patrie », d’Issak Dunaïevskiy pour la musique, Vassili Lebedev-Kumach pour les paroles. Elle se trouve dans Le cirque, une comédie mélodramatique de Grigori Alexandrov datant de 1936. Ce film racontee l’histoire d’une femme américaine ayant un enfant noir et fuyant le racisme meurtrier de son pays.

    Ayant rejoint le monde du cirque et en visite en URSS, elle bascule dans la culture soviétique et l’apothéose du film est l’acceptation de son enfant, elle-même devenant une citoyenne soviétique, un défilé se faisant avec la chanson pour la patrie.

    Voici l’affiche de la chanson, véritable hymne patriotique soviétique.

    Voici différentes versions de la chanson.

    Version chantée par Boris Gmirya
    Version chantée par D.V. Demyanov
    Version chantée par Andrey Ivanov
    Version chantée par Pyotr Leshenko
    Version chantée par Sergey Moroz
    Version marche militaire (1944))

    Voici le texte avec la translittération et une traduction, ainsi qu’une version complète (les passages en italiques ont été supprimés par le révisionnisme après la mort de Staline).

    Широка страна моя родная,
    Много в ней лесов, полей и рек!
    Я другой такой страны не знаю,
    Где так вольно дышит человек.

    Shiroka strana moya rodnaya,
    Mnogo v ney lesov, poley i rek!
    Ya drugoy takoy strany ne znayu,
    Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

    Vaste est ma patrie,
    d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
    Je ne connais aucun autre pays
    Où un Homme peut respirer si librement
    .

    От Москвы до самых до окраин,
    С южных гор до северных морей
    Человек проходит, как хозяин
    Необъятной Родины своей.

    Ot Moskvy do samykh do okrain,
    S yuznykh gor do severnykh morey
    Chelovyek prohodit, kak hozyain
    Neobyatnoy Rodiny svoyey.

    De Moscou aux frontières,
    Des montagnes méridionales à la mer du Nord
    Un Homme se trouve tel un maître
    sur sa vaste patrie.

    Всюду жизнь и вольно и широко,
    Точно Волга полная, течёт.
    Молодым везде у нас дорога,
    Старикам везде у нас почёт.

    Vsyudu zhizn’ i vol’no i shiroko,
    Tochno Volga polnaya, techyot.
    Molodym vezdye u nas doroga,
    Starikam vezdye u nas pochyot.

    A travers la vie, et librement et largement,
    comme coule la Volga.
    La jeunesse toujours nous est toujours chère,
    Les personnes âgées toujours honorées par nous.

    Широка страна моя родная,
    Много в ней лесов, полей и рек!
    Я другой такой страны не знаю,
    Где так вольно дышит человек.

    Shiroka strana moya rodnaya,
    Mnogo v ney lesov, poley i rek!
    Ya drugoy takoy strany ne znayu,
    Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

    Vaste est ma patrie,
    d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
    Je ne connais aucun autre pays
    Où un Homme peut respirer si librement
    .

    Наши нивы глазом не обшаришь,
    Не упомнишь наших городов,
    Наше слово гордое – товарищ –
    Нам дороже всех красивых слов.

    Nashi nivy glazom ne obsharish’
    Ne upomnish’ nashikh gorodov,
    Nashe slovo gordoye – tovarisch –
    Nam dorozhye vsyekh krasivykh slov.

    Nos champs sont trop larges pour nos yeux,
    nos villes trop nombreuses pour s’en rappeler,
    notre fier mot – camarade –
    est pour nous plus précieux que tous les jolis mots
    .

    С этим словом мы повсюду дома.
    Нет для нас ни чёрных, ни цветных.
    Это слово каждому знакомо,
    С ним везде находим мы родных.

    S etim slovom my povsyudu doma.
    Nyet dlya nas ni chyornykh, ni tsvetnykh.
    Eto slovo kazhdomu znakomo,
    S nim vezdye nahodim my rodnykh.

    Avec ce mot partout nous sommes dans notre foyer.
    Pour nous il n’y a ni noir ni coloré.
    Ce mot est familier à tous,
    avec lui nous trouvons toujours des amis.

    Широка страна моя родная,
    Много в ней лесов, полей и рек!
    Я другой такой страны не знаю,
    Где так вольно дышит человек.

    Shiroka strana moya rodnaya,
    Mnogo v ney lesov, poley i rek!
    Ya drugoy takoy strany ne znayu,
    Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

    Vaste est ma patrie,
    d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
    Je ne connais aucun autre pays
    Où un Homme peut respirer si librement.

    За столом никто у нас не лишний,
    По заслугам каждый награждён,
    Золотыми буквами мы пишем
    Всенародный Сталинский закон

    Za stolom nikto u nas ne lishniy,
    Po zaslugam kazhdyi nagrazhdyon,
    Zolotymi bukvami my pishyem
    Vsyenarodniy Stalinskiy zakon.

    A notre table personne n’est exclu.
    Chacun reçoit selon son mérite,
    en lettres d’or nous écrivons
    la loi de Staline.

    Этих слов величие и славу
    Никакие годы не сотрут:
    Человек всегда имеет право
    На ученье, отдых и на труд.

    Etikh slov velichiye i slavu
    Nikakiye gody ne sotrut:
    Chelovyek vsegda imyeyet pravo
    Na uchenye, otdykh i na trud.

    Ces grands et glorieux mots
    vivront à travers les années :
    Une personne toujours a le droit
    d’étudier, de se reposer et de travailler.

    Широка страна моя родная,
    Много в ней лесов, полей и рек!
    Я другой такой страны не знаю,
    Где так вольно дышит человек.

    Shiroka strana moya rodnaya,
    Mnogo v ney lesov, poley i rek!
    Ya drugoy takoy strany ne znayu,
    Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

    Vaste est ma patrie,
    d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
    Je ne connais aucun autre pays
    Où un Homme peut respirer si librement

    Над страной весенний ветер веет.
    С каждым днём все радостнее жить,
    И никто на свете не умеет
    Лучше нас смеяться и любить.

    Nad stranoy vesenniy veter veyet.
    S kazhdym dnyom vsye radostneye zhit,
    I nikto na svetye ne umyeyet
    Luchshe nas smeyatsya i lyubit.

    Sur le pays souffle le vent du Printemps
    Chaque jour la vie devient plus joyeuse,
    et personne sur terre ne peut connaître
    nos grandes manières de rire et d’aimer.

    Но сурово брови мы насупим,
    Если враг захочет нас сломать,
    Как невесту, Родину мы любим,
    Бережём, как ласковую мать.

    No surovo brovi my nasupim,
    Yesli vrag zahochet nas slomat’,
    Kak nevestu, Rodinu my lyubim,
    Berezhyom, kak laskovuyu mat’.

    Mais nos sourcils se fronceront farouchement
    si un ennemi tente de nous briser.
    Comme une épouse, nous aimons notre patrie
    Nous en prenons soin comme une mère affectueuse.

    Широка страна моя родная,
    Много в ней лесов, полей и рек!
    Я другой такой страны не знаю,
    Где так вольно дышит человек.

    Shiroka strana moya rodnaya,
    Mnogo v ney lesov, poley i rek!
    Ya drugoy takoy strany ne znayu,
    Gdye tak vol’no dyshit chelovyek.

    Vaste est ma patrie,
    d’elle tellement de forêts, de champs et de rivières !
    Je ne connais aucun autre pays
    Où un Homme peut respirer si librement.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et le caractère national de l’art

    Le caractère néo-classique du réalisme socialiste correspond au fait que le socialisme vit par un peuple en particulier. Pour cette raison, la forme néo-classique change selon les républiques soviétiques et, dans tous les cas, l’art atteint une reconnaissance nationale.

    Il faut saisir le réalisme socialiste comme l’expression culturelle démocratique des masses, par et dans le socialisme. Le peintre et théoricien de l’art Konstantin Juon explique que 

    « C’est sur son sol natal que l’art peut développer ses formes et ses traits nationaux authentiques, en liaison avec le nouveau contenu socialiste.

    Le coloris spécifique de la vie et de la nature, les types humains, la richesse architecturale, ornementale, celle de l’habillement, le caractère unique du style, des formes et des couleurs propres aux différents lieux sont susceptibles de créer de nouvelles valeurs artistiques qui constitueront un apport original à l’art mondial. »

    C’est la reconnaissance de la dignité du réel, et Konstantin Juon parle également de

    « la subordination du principe intuitif à la pensée consciente, laquelle n’entre pas en contradiction avec l’intuition, mais ne fait au contraire que la préciser. »

    Konstantin Juon mentionne également

    « l’appréhension synthétique ou universelle, selon le terme de Léonard de Vinci, des phénomènes. »

    Cette unité fait que le trait distinctif du réalisme socialiste est

    « la liquidation des contradictions entre l’artiste et le spectateur, entre le talent et la conception du monde (…), le réalisme compris non seulement comme la représentation véridique du monde visible, mais aussi comme l’expression de la pensée critique et des sentiments de l’homme par rapport aux phénomènes de la vie. »

    Voici, en ce sens, une œuvre de Nikolaï Karakhin. C’est un peintre ouzbek, ce qui explique l’approche picturale particulière, présente ici la construction du lac Komosomol, à Tachkent.

    La représentation des ouvrières estoniennes est, par définition, différente sur le plan pictural.

    Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951, publié en Union Soviétique, donne la définition suivante de l’art en URSS :

    « L’art soviétique est profondément populaire non seulement par son contenu et son orientation idéologique, mais aussi par sa forme.

    Lénine disait que le nouvel art doit être compris des masses. En 1948, la Résolution du Comité central du PC(b) sur l’opéra La grande amitié de V. Muradeli a donné des directives claires en cette matière.

    On y indique que les fondements de l’orientation réaliste dans la musique soviétique sont l’alliage « d’un contenu élevé et d’une perfection artistique de la forme musicale, la véracité et le caractère réaliste de la musique, son lien profondément organique avec la création musicale du peuple et l’art du chant de ce dernier, une haute maîtrise professionnelle accompagnée d’une simplicité et d’une accessibilité des œuvres musicales. »

    La méthode du réalisme socialiste postule la fusion organique de l’élément national et de l’élément international dans l’art.

    La position élaborée par le camarade Staline oriente ici l’art soviétique : la culture soviétique est une culture socialiste par son contenu et nationale par sa forme. »

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et le classicisme nouveau

    L’ère des masses, le fait que l’art soit reconnu comme relevant de leur culture, tout cela implique un classicisme réaffirmé. Le réalisme socialiste a toujours souligné qu’il assumait de prendre la position d’une systématisation nouvelle, harmonieuse de la réalité. Cette représentation allégorique du XVIe congrès du PCUS(b) reflète parfaitement l’idée de masses organisées assumant la culture, son exigence de classicisme, face aux barbares capitalistes.

    Voici le théâtre académique central de l’Armée rouge. On y retrouve la même démarche dite néo-classique, au sens où le réalisme socialiste, en architecture, cherche à combiner le principe décoratif pour les éléments, caractérisant la dimension culturelle populaire, avec un caractère harmonieux et imposant, pour marquer le caractère général du socialisme.

    L’approche ne consiste donc pas directement en une direction « monumentale », qui inversement caractérise strictement l’art fasciste (qui de ce fait préfère l’architecture, la sculpture), cette sinistre caricature du socialisme. On le voit très bien avec le fameux métro de Moscou, qui se construit à l’époque de Staline et combine néo-classicisme et art déco, formant une œuvre magistrale.

    Ici, le bâtiment résidentiel des travailleurs du MGB (le ministère des affaires intérieures), à sa construction à Moscou en 1949.

    Voici également des panneaux de mosaïque octogonaux qui ornent la voûte du hall central de la station de métro Novokuznetskaya à Moscou, réalisé par Alexandre Deïneka.

    Il faut bien entendu mentionner les bâtiments moscovites souvent surnommés les « sept sœurs », qu’il faut rapprocher du Palais de la culture et des sciences offert par l’URSS à la Pologne.

    Cette perspective architecturale du réalisme socialiste sera officiellement remis en cause par le révisionnisme au moyen du décret n ° 1871 du 4 novembre 1955 du Comité central du PCUS et du Conseil des ministres de l’URSS, intitulé À propos de l’élimination des excès de conception et de construction.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et l’ère des masses

    Le réalisme socialiste accorde sa pleine reconnaissance au caractère de masse de la société. Il présente par conséquent l’ensemble des masses comme la réalité sociale la plus haute, la plus véritable. Il y a le peuple, dans sa réalité quotidienne, mais il y a également dialectiquement le peuple comme force historique.

    Voici deux peintures d’Isaak Brodsky reflétant cette exigence : Manifestation et Lénine aux usines Poutilov en mai 1917.

    Voici, encore d’Isaak Brodsky, Le jour de la constitution.

    Le tableau de Petr Krivonogov intitulé Victoire!, de 1948, confère également toute sa plénitude au caractère de masse du triomphe de 1945.

    Il existe, de par l’irruption des masses dans l’histoire, une dimension épique dans la représentation des événements marquants, des phénomènes sociaux, politiques, culturels. Le socialisme inaugure l’ère des masses ; on change de dimension pour ce qui est de la manière de percevoir la réalité, on atteint une dimension de grande ampleur, de valeur mondiale. La dimension universelle se confond avec les événements mondiaux.

    La victoire du peuple conquérant, par Mykhaylo Khmelko, en est un excellent exemple.

    La présentation par Alexandre Deïneka en 1952 de l’ouverture d’une centrale hydro-électrique d’une ferme collective reflète tout à fait cette ère de masses, dans le cadre de la construction du socialisme, de son établissement comme société organisée.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et la dimension socialiste

    La nature socialiste du réalisme socialiste ne tient nullement à une dimension propagandiste, mais à sa dimension morale-culturelle portant les valeurs conformes à la tendance historique consistant en la marche au communisme. L’œuvre de Kerzhner Alexander Haskelevich montrant des élèves dans la première classe, en 1950, reflète cette exigence d’une vie rationnelle tournée vers la connaissance, la participation collective, l’esprit d’édification propre au socialisme.

    Le Dictionnaire philosophique abrégé de 1951 publié en Union Soviétique dit à ce sujet que :

    « L’exigence fondamentale du réalisme socialiste est la représentation véridique, historiquement concrète, de la réalité dans son développement révolutionnaire.

    La véracité et le caractère historiquement concret de la représentation artistique de la réalité doivent se coupler avec la tâche de transformation idéologique et d’éducation des travailleurs dans l’esprit du socialisme.

    Le réalisme socialiste n’exclut pas, mais au contraire inclut en lui comme un de ses éléments constitutifs le romantisme révolutionnaire, la faculté de percevoir à l’état embryonnaire ce qui appartient à l’avenir, car comme l’a montré A. Jdanov au premier congrès de l’Union des écrivains soviétiques, « toute la vie de notre Parti, toute la vie de la classe ouvrière et sa lutte sont une combinaison du travail pratique le plus lucide et rigoureux et des perspectives héroïques et grandioses les plus sublimes. »

    Le camarade Staline a appelé les écrivains et artistes les « ingénieurs des âmes », voués à éduquer les masses laborieuses dans l’esprit du communisme, du dévouement sans réserve au parti communiste, dans l’esprit du patriotisme soviétique et de l’amour pour la grande patrie socialiste.

    Par leurs œuvres, les écrivains et artistes soviétiques mènent la lutte contre les survivances du capitalisme dans les consciences et inculquent à l’homme soviétique les principes de la morale socialiste. »

    On retrouve tout à fait cette expression du caractère socialiste de la morale dans le tableau de Grigory Gavrilenko présentant le fait d’Apprendre de l’excellence.

    La dimension socialiste n’est jamais une apologétique, mais toujours l’expression d’une tendance au sein de la réalité, une expression de la réalité elle-même, une présentation des faits correspondant à l’affirmation du nouveau, contre l’ancien.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et le caractère populaire

    Le réalisme socialiste s’appuie sur la réalité du byt, de la vie quotidienne, mais cela ne prend son sens que de par la considération que l’art n’existe que dans le cadre de la narodnost, c’est-à-dire de la réalité populaire.

    Il ne s’agit pas simplement d’une vie quotidienne concrète et non abstraite, il s’agit d’une vie quotidienne vécue par le peuple. Tout passe par le peuple, tout n’existe que par le peuple, tout part du peuple et doit retourner au peuple. Le réalisme socialiste implique que l’art n’existe que par le peuple et pour le peuple, de par un rapport dialectique entre l’artiste et lui.

    Et ce peuple a connu des transformations, qui se reflète dans l’art ; Andreï Jdanov souligna ainsi au congrès des écrivains :

    « Nous ne sommes plus les mêmes Russes qu’avant 1917, la Russie n’est plus la même et notre caractère n’est plus le même. »

    Pour cette raison, le réalisme socialiste conjugue à la fois la mise en avant du plus haut niveau civilisationnel – avec comme références ouvertes à la fois l’Antiquité et la Renaissance – et l’expression du « sentiment nouveau », de la « signification intérieure. » Mais tout cela en liaison avec le caractère populaire de l’existence.

    Le tableau Le grain de Tatiana Yablonskaya, de 1949, reflète cette exigence de l’art comme reflet du peuple, de la signification intérieure de sa réalité, du sentiment nouveau dans son rapport à l’existence.

    Tatiana Yablonskaya expliquera en février 1950 dans la revue La culture et la vie, dans son article Le réalisme socialiste en peinture, que :

    « Avant ma visite à la ferme collective, me faire le reproche de formalisme [ainsi que de soumission à l’impressionnisme] me faisait un peu mal. Maintenant, je suis d’accord avec cette critique…

    Ma vision du monde a été renversée. J’ai abordé ma dernière peinture, « Le grain », différemment.

    J’ai fait de mon mieux pour exprimer le sentiment qui m’a submergé lorsque j’étais à la ferme collective. Je me suis efforcé d’exprimer le joyeux travail communautaire de notre beau peuple, la richesse et le pouvoir de nos fermes collectives, ainsi que le triomphe des idées de Lénine et de Staline dans la reconstruction socialiste du village. »

    L’artiste au travail pour son oeuvre

    Ce que Tatiana Yablonskaya pose ici, c’est que l’artiste ne peut se prétendre tel sans être capable de se mettre à l’école du peuple, de ressentir dans sa propre existence les facettes et la profondeur de la vie populaire.

    Ce n’est qu’ainsi que l’artiste trouve une dynamique réelle et ne décroche pas de la culture pour sombrer dans le formalisme voire même le subjectivisme.

    C’est le peuple qui fournit la matière de l’existence même de l’art, et par conséquent l’artiste ne peut exister qu’en s’impliquant dans la réalité populaire elle-même, en apportant sa contribution.

    Pour réaliser Le grain, Tatiana Yablonskaya resta de juin à septembre 1948 à Letava, réalisant 300 dessins et études.

    Les œuvres de Fedot Sychkov possèdent également en ce sens une haute charge artistique, tout à fait dans l’esprit des ambulants russes, lui-même ayant été un disciple d’Ilia Répine. On a ici un portrait de la vie populaire, sur les collines enneigées et au retour de l’école.

    La vie populaire, de fait, porte en elle une vraie joie, une réelle allégresse, et cela de manière tout à fait nette et expressive dans le cadre d’une société socialiste. La vie populaire et sa réalité impose la célébration de la vie.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et la vie quotidienne

    La reconnaissance de la vie quotidienne des masses va avec celle de la dignité du réel, c’est-à-dire la reconnaissance de l’universel dans le particulier. Le réalisme socialiste n’est pas un simple « portrait », une photographie à la mode du matérialisme vulgaire ; il révèle le monde intérieur, sa richesse, sa portée universelle.

    Le tableau d’Alexander Laktionov, Lettre du front, de 1947, témoigne de la valeur de la vie quotidienne dans sa réalité même. Le caractère pauvre du lieu s’oppose à la luminosité des figures présentes, reflétant la richesse de la situation, son humanité.

    Il en va de même pour sa peinture de 1952, Déménagement dans un nouvel appartement. Le caractère relevant de la vie quotidienne se conjugue avec une portée universelle. L’arrivée dans le nouvel appartement est représenté sous différents aspects matériels et psychologiques, avec une dimension socialiste marquée pour caractériser la situation. Il y a à la fois de la complexité et une puissante simplicité, ce qui est une marque du réalisme socialiste.

    Le terme pour désigner cette vie quotidienne ayant une valeur en soi de portée universelle est celui de byt, le verbe être, exister. Le réalisme socialiste présente l’existence telle qu’elle est, dans sa tendance l’emportant. Nina Dmitrieva, lors de l’Exposition pansoviétique de 1952, explique au sujet de la peinture du byt :

    « Montrer la richesse des aspirations individuelles, l’ampleur de la pensée et des horizons intellectuels, la beauté des qualités morales des Soviétiques, tout en dénonçant et en raillant impitoyablement les états d’arriération, la routine, l’inculture, la bassesse des intérêts, où qu’ils puissent se manifester, tel est le pathos de la peinture du byt.

    Là sont sa signification et sa fonction en tant qu’instrument de l’éducation communiste.

    C’est pourquoi l’on ne saurait indiscutablement réduire la spécificité du genre du byt à la représentation d’anecdotes futiles dont ne découle aucune façon ni tendance et qui ne proposent même pas des possibilités minimes pour révéler le typique, pour caractériser franchement l’état psychique des personnages. »

    Le fait de reconnaître la richesse de la vie quotidienne, en plus de la reconnaître, fait que le matérialisme dialectique implique une profondeur de champ tout à fait marqué, une subjectivité impliquée dans le processus lui-même. Sans cela, il n’y a pas de matérialisme, mais seulement un regard abstrait.

    Le réalisme socialiste implique le caractère concret du byt, comme ici dans Une sacrée surprise, par Adolf Gugel et Raisa Kudrevich, de 1951.

    Ici encore, les différents aspects de la situation sont bien montrés, avec toujours la complexité et la simplicité.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et la combinaison de l’universel et du particulier

    L’œuvre d’art est une représentation particulière, mais il y a de l’universel dans ce qui est représenté. L’œuvre d’art reflète non seulement ce particulier, mais également l’universel en lui. Sa valeur en tant que reflet est d’autant plus forte.

    Voici une œuvre d’Anatoli Yurevich Nikich-Krilichevski de 1951, intitulée Nature morte avec les médailles de Maria Isakova. Surnommée la cendrillon de Vyatka, elle fut la première à triompher à trois championnats du monde de patinage de vitesse – les premiers auxquels participa l’URSS- en 1948, 1949, 1950, alors qu’elle fut également première aux championnats d’URSS de 1945, 1946, 1947, 1948, 1949, 1951, seconde en 1944 et 1950.

    Les médailles présentées, dans un contexte bien précis et qu’on redécouvre tout au long des détails de l’œuvre – la ville, le grand bâtiment soviétique à l’arrière-plan, le symbole du club de sport du Dynamo de Moscou, les objets de valeur avec une belle esthétique, les fleurs savamment agencés, les rideaux, les lettres reçues, les coupes, etc. – accordent à ce tableau une très forte charge artistique.

    C’est en tant que sportive émérite que Maria Isakova, dont voici un portrait en 1950, porte une dimension universelle. C’est cette dimension qui est montrée dans le tableau.

    Maria Isakova

    Il y a la femme, la femme sportive, la femme sportive qui atteint un haut niveau, la femme sportive qui atteint un haut niveau et qui est une composante de la société socialiste. Le particulier et l’universel sont ici bien montrés dans leur liaison interne.

    Georg Lukacs, dans la période où il assuma le réalisme socialiste (il fut toute sa vie un intellectuel bourgeois oscillant), explique de la manière suivante, en 1951 dans Balzac et le réalisme français, l’importance de la richesse intérieure de la figure montrée dans une œuvre :

    « La catégorie centrale et le critère de la conception réaliste de la littérature, à savoir le type par rapport au caractère et à la situation est une synthèse particulière qui lie organiquement le général et l’individuel.

    Le type ne devient pas tel parce qu’il est moyen, pas plus que pour son caractère uniquement individuel, quelque prononcé qu’il soit, mais du fait que tous les moments d’une période historique qui, du point de vue humain et social, sont essentiels et déterminants, concourent en lui et s’y croisent, du fait que la création du type montre ces moments dans leur degré d’évolution le plus élevé et dans l’extrême déploiement de ses possibilités virtuelles, dans l’extrême représentation d’extrêmes qui concrétise en même temps le sommet et les limites de la totalité de l’homme et de l’époque. »

    Georg Lukacs surestime certainement ici la question de la « totalité » qui serait à montrer, ce thème étant son obsession, par incapacité à saisir la dialectique, et donc le caractère à la fois relatif et « total » des phénomènes. Cependant, il a raison de montrer qu’il faut que soit clair le passage de l’histoire à travers la figure montrée, l’entrelacement des facteurs propres à une époque, le déploiement de ce qui est sous-jacent à une époque.

    Nature morte avec les médailles de Maria Isakova n’est à ce titre pas un témoignage particulier sur une sportive, mais le reflet d’une réalité historique tout à fait caractérisée, avec sa tendance, ici l’URSS socialiste.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • L’art comme cours d’eau historique de la culture

    Comme l’art consiste en une représentation synthétique de la réalité, il n’est pas qu’un reflet de la vérité, il devient vérité lui-même car il la porte en elle. C’est ce qu’on appelle la culture, où tous les éléments matériels artistiques se reflètent, dans un long flux historique.

    C’est pour cette raison que les œuvres de Lénine et de Mao Zedong sont parsemées de références littéraires. Leur nombre est important et la démarche systématique. Mao Zedong explique de nombreux faits et phénomènes au moyen de références littéraires classiques chinoises. Il les mentionne en considérant qu’il est impossible de ne pas les connaître, de ne pas les avoir assimilé.

    Voici la liste des auteurs cités par Lénine, avec leurs occurrences, dans une statistique de 1934, alors que les 29 premiers volumes de ses œuvres complètes de Lénine étaient disponibles :

    • Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine : 320 fois
    • Nikolaï Gogol : 99 fois
    • Ivan Krylov : 60 fois
    • Ivan Tourgueniev : 46 fois
    • Nikolaï Nekrassov : 26 fois
    • Alexander Pouchkine : 19 fois
    • Anton Tchekhov : 18 fois
    • Alexander Ostrovsky : 17 fois
    • Gleb Ouspensky : 16 fois
    • Ivan Gontcharov : 11 fois

    Il est d’autant plus marquant que Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine soit la référence la plus systématique, que son œuvre elle-même s’appuie sur la reconnaissances des figures typiques classiques et qu’il les prolonge.

    Le grand écrivain russe Maxime Gorki, à l’origine avec Staline du concept de réalisme socialiste, constate ainsi dans son Histoire de la littérature russe la chose suivante au sujet du romancier le plus cité par Lénine dans ses œuvres :

    « Prendre un héros de la littérature, un type littéraire du passé et le montrer dans la vie de tous les jours, c’est le procédé favori de Chtchedrine. Depuis 1870, ses héros sont les descendants de Khlestakov, Motchaline, Mitrophane, Prostakov, qui avaient conquis toute la société avec une force particulière après 1881. »

    C’est que Lénine, Mao Zedong, Maxime Gorki voient le travail artistique comme une production, et non pas comme une « création » à partir de rien. Ils considèrent qu’il y a une continuité historique, un flux ininterrompu, non linéaire, de l’expression artistique, dans le cadre de la culture.

    Mao Zedong, dans son Intervention aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan en mai 1942, nous explique cela de la manière suivante :

    « Quelle est en dernière analyse la source de tous les genres littéraires et artistiques ?

    En tant que formes idéologiques, les œuvres littéraires et les œuvres d’art sont le produit du reflet, dans le cerveau de l’homme, d’une vie sociale donnée.

    La littérature et l’art révolutionnaires sont donc le produit du reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l’écrivain ou de l’artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine de matériaux pour la littérature et l’art, matériaux à l’état naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu’il y a de plus vivant, de plus riche, d’essentiel.

    Dans ce sens, elle fait pâlir n’importe quelle littérature, n’importe quel art, dont elle est d’ailleurs la source unique, inépuisable. Source unique, car c’est la seule possible ; il ne peut y en avoir d’autre.

    Certains diront : Et la littérature et l’art dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?

    A vrai dire, les œuvres du passé ne sont pas des sources, mais des cours d’eau ; elles ont été créées avec les matériaux que les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple de leur temps et de leur pays.

    Nous devons recueillir tout ce qu’il y a de bon dans l’héritage littéraire et artistique légué par le passé, assimiler d’un esprit critique ce qu’il contient d’utile et nous en servir comme d’un exemple, lorsque nous créons des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de notre pays les matériaux nécessaires. »

    L’art relève de la culture et la culture est portée par le mouvement historique. L’art reflète ce mouvement, de là vient sa dignité, sa valeur et par conséquent son appréciation. Il n’existe pas d’œuvres d’art séparées du processus général de la société, du mouvement général de la matière.

    Le plaisir artistique tient au reflet : en voyant le haut niveau de reflet de la réalité dans une œuvre d’art, on apprécie celle-ci, parce que toute conscience est elle-même reflet. L’œuvre d’art se présente ici comme un reflet à portée universelle d’une réalité particulière.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et la vérité comme critère esthétique

    La vérité implique une certaine disposition de la réalité, la vérité étant le reflet dans la présentation de la réalité. Pour qu’un artiste soit authentique, il faut donc qu’il porte la vérité dans son œuvre, et donc qu’il porte un regard réel.

    C’est pourquoi, dans la Literaturnaja Gazeta du 23 mai 1932, Ivan Gronski qui était le directeur des Izvestia explique que :

    « Le problème de la méthode ne doit pas être posé de façon abstraite, l’écrivain n’aura pas à suivre des cours de matérialisme dialectique avant de pouvoir écrire.

    Le principe de base à inculquer à chaque écrivain est le suivant: écrivez la vérité, reflétez de façon véridique notre réalité, qui est dialectique en elle-même. La méthode fondamentale de la littérature soviétique est donc celle du réalisme socialiste. »

    La réalité est « dialectique en elle-même », il n’y a pas besoin de « forcer » le trait ou d’imposer un mouvement à la réalité. L’agencement de la réalité obéit forcément à des rapports dialectique ; ce qui compte, c’est de reconnaître la dignité du réel et de saisir les moments justes.

    On le voit bien dans le tableau d’Irina Shevandronova, Rendez-vous chez le médecin. Altaï. Ce tableau date de 1954, donc un an après la mort de Staline et déjà la remise en cause du réalisme socialiste. On en a cependant ici encore les caractéristiques générales.

    Le cadre est posé dans toute sa complexité, toute sa candeur également avec les enfants présents en de multiples endroits. Le docteur est une femme, reflétant le haut niveau culturel dans le cadre du socialisme. Les habits sont typiques, le portrait témoigne de la bienveillance, de la bienfaisance, dans un cadre concret, de la vie quotidienne.

    La vérité est ainsi le critère esthétique, non pas au sens d’une vérité générale, abstraite et impersonnelle, mais au contraire dans la reconnaissance de la saisie subjective matérielle de la réalité.

    L’artiste synthétise les moments clefs de la réalité de par sa sensibilité. Reconnaissant sa dignité au réel, il en montre la nature au moyen d’une expression artistique.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Lénine et Tolstoï, Friedrich Engels et Honoré de Balzac

    Lénine a écrit un ouvrage sur Tolstoï, qu’il présente comme un écrivain qui fut le miroir de la révolution russe. Or, le paradoxe, c’est que Tolstoï n’a pas compris la révolution russe, si l’on prend les faits de manière extérieure.

    Lénine lit en fait la tendance qui existe dans l’œuvre de Tolstoï, il en voit la valeur en tant que reflet historique. Voici comment il explique cela :

    « Il peut sembler, à première vue, étrange et artificiel d’accoler le nom du grand artiste à la révolution qu’il n’a manifestement pas comprise et dont il s’est manifestement détourné. On ne peut tout de même pas nommer miroir d’un phénomène ce qui, de toute évidence, ne le reflète pas de façon exacte.

    Mais notre révolution est un phénomène extrêmement complexe ; dans la masse de ses réalisateurs et de ses participants immédiats, il existe beaucoup d’éléments sociaux qui, eux aussi, ne comprenaient manifestement pas ce qui se passait et qui, de même, se détournaient des tâches historiques véritables qui leur étaient assignées par le cours des événements.

    Et si nous sommes en présence d’un artiste réellement grand, il a dû refléter dans ses œuvres quelques-uns au moins des côtés essentiels de la révolution. »

    Friedrich Engels a fait exactement la même chose avec Honoré de Balzac. Le fidèle aide de Karl Marx, lui-même un éminent marxiste, constate le même paradoxe : Honoré de Balzac n’a pas compris ni soutenu la tendance historique l’emportant alors, mais son œuvre la reflète.

    Voici ce qu’il écrit dans une lettre d’avril 1888 à Margaret Harkness, un écrivain britannique auteur du roman A City Girl datant du 1887.

    « Votre Mister Grant est un chef d’œuvre. Si je trouve quand même quelque chose à critiquer, c’est peut-être uniquement le fait que votre récit n’est pas suffisamment réaliste.

    Le réalisme, à mon avis, suppose, outre l’exactitude des détails, la représentation exacte des caractères typiques dans des circonstances typiques.

    Vos caractères sont suffisamment typiques dans les limites où ils sont dépeints par vous ; mais on ne peut sans doute pas dire la même chose des circonstances où ils se trouvent plongés et où ils agissent (…).

    Je suis loin de vous reprocher de ne pas avoir écrit un récit purement socialiste, un « roman de tendance », comme nous le disons, nous autres Allemands, où seraient glorifiées les idées politiques et sociales de l’auteur.

    Ce n’est pas du tout ce que je pense. Plus les opinions [politiques] de l’auteur demeurent cachées mieux cela vaut pour l’œuvre d’art. Permettez-moi [de l’illustrer par] un exemple.

    Balzac, que j’estime être un maître du réalisme infiniment plus grand que tous les Zola passés, présents et à venir, nous donne dans La Comédie humaine l’histoire la plus merveilleusement réaliste de la société française, [spécialement du monde parisien], en décrivant sous forme d’une chronique de mœurs presque d’année en année, de 1816 à 1848, la pression de plus en plus forte que la bourgeoisie ascendante a exercée sur la noblesse qui s’était reconstituée après 1815 et qui [tant bien que mal] dans la mesure du possible relevait le drapeau de la vieille politesse française (…).

    Sans doute, en politique, Balzac était légitimiste ; sa grande œuvre est une élégie perpétuelle qui déplore la décomposition irrémédiable de la haute société ; toutes ses sympathies vont à la classe condamnée à disparaître.

    Mais malgré tout cela, sa satire n’est jamais plus tranchante, son ironie plus amère que quand il fait précisément agir les aristocrates, ces hommes et ces femmes pour lesquelles il ressentait une si profonde sympathie.

    Et [en dehors de quelques provinciaux], les seuls hommes dont il parle avec une admiration non dissimulée, ce sont ses adversaires politiques les plus acharnés, les héros républicains du Cloître Saint-Merri, les hommes qui à cette époque (1830-1836) représentaient véritablement les masses populaires.

    Que Balzac ait été forcé d’aller à l’encontre de ses propres sympathies de classe et de ses préjugés politiques, qu’il ait vu l’inéluctabilité de la fin de ses aristocrates chéris, et qu’il les ait décrit comme ne méritant pas un meilleur sort ; qu’il n’ait vu les vrais hommes de l’avenir que là seulement où l’on pouvait les trouver à l’époque, cela, je le considère comme un des plus grands triomphes du réalisme et l’une des caractéristiques les plus marquantes du vieux Balzac.

    Je dois cependant arguer pour votre défense que nulle part dans le monde civilisé la classe ouvrière ne manifeste moins de résistance active, plus de passivité à l’égard de son destin, que nulle part les ouvriers ne sont plus hébétés que dans l’East End de Londres.

    Et qui sait si vous n’avez pas eu d’excellentes raisons de vous contenter, pour cette fois-ci, de ne montrer que le côté passif de la vie de la classe ouvrière, en réservant le côté actif pour un autre ouvrage ? »

    Ce que disent ici Friedrich Engels et Lénine, c’est qu’il faut voir comment la tendance historique qui se déploie se retrouve dans une œuvre. Il ne s’agit pas de chercher un reflet de manière formelle – il faut que le contenu possède une haute complexité, témoignant de la richesse du processus en cours, en lui étant fidèle et pour cela en en présentant les traits caractéristiques.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Le réalisme socialiste et la conception matérialiste dialectique du reflet

    Le réalisme socialiste s’appuie sur la vision du monde du matérialisme dialectique. Le matérialisme affirme que tout est matériel, que l’univers n’est que matière, que les conceptions, les pensées, les réflexions… reflètent la réalité. Rien n’est indépendant, isolé.

    Le matérialisme dialectique est plus développé que le simple matérialisme : il affirme qu’il y a un mouvement général, des tendances qui s’affirment dans l’histoire, dans la réalité matérielle. Connaître ces tendances, les épouser, est la position active de qui a compris le matérialisme dialectique.

    Pour toutes ces raisons, l’artiste n’est pas quelqu’un d’isolé. Il existe dans un contexte, qu’il reflète. Ce qui fait la valeur de son travail, c’est sa haute technicité dans la représentation de la réalité, dans la synthèse des moments importants dans la réalité. Son œuvre est d’autant plus réussie qu’elle exprime la tendance l’emportant.

    Ce qui fait la valeur du tableau Nous allons à une nouvelle vie, d’Ahmed Kitaev datant de 1953, c’est qu’il exprime une situation caractéristique en la plaçant dans une tendance générale : celle de jeunes femmes finissant un cycle de leur vie, possédant une certaine qualité de vie, un avenir plein de richesses se proposant à elles.

    On a la dimension collective, un ton à la fois joyeux mais sans ostentation ; à l’arrière-plan il y a les félicitations des anciennes générations. L’ambiance printanière conforte l’image de bienveillance et de bienfaisance, caractérisant précisément le socialisme.

    L’un des grands mots d’ordre de l’URSS lancé par Staline et correspondant à cet état d’esprit était justement :

    « La vie est devenue meilleure, camarades, la vie est devenue plus joyeuse. »

    Il y a ainsi toujours un contenu qui s’allie dialectiquement à la forme ; l’un sans l’autre, ce n’est pas de la culture. Il y a donc une exigence qui se pose, celle de la compréhension réelle des faits, de l’importance des situations, sur le plan humain, culturel, historique, naturel, etc.

    Si l’on prend le tableau de Vladimir Aleksandrovich Serov datant de 1950 où Lénine converse avec des paysans à Smolny, on peut voir une situation empreinte de gravité, mais en même temps un portrait vivant. On y voit le besoin de bienveillance de la part du paysan âgé, l’attitude tendue et bienveillante de Lénine, la fixation énergique des deux paysans sur Lénine.

    Le sac posé au premier plan témoigne de la situation des paysans, dont les habits (de la fourrure en peau de mouton), la coupe de cheveux, les barbes, la peau, etc. sont typiques. Le tableau reflète la réalité, mais il ne le fait pas en la prenant comme une matière brute, il en prend le caractère synthétique, par la figure de Lénine.

    L’œuvre d’art est ici le reflet de la réalité, la synthèse d’un de ses moments, en exprimant une tendance historique l’emportant, ce qui fait sa valeur sensible.

    =>Retour au dossier sur le réalisme socialiste

  • Gauche Prolétarienne: Revue Fédayin (1970)

    [Ces 2 textes sont parues dans la revue « Fédayin » d’octobre 1970, juste après le septembre noir. La revue était distribuée en France par la Gauche Prolétarienne et les Comités Palestine et avait été fondée par Mahmoud Hamchari.]

    NON A L’ETAT PALESTINIEN FANTOCHE

    En juin 1970, les forces armées royales jordaniennes ont tenté, sur le conseil de leurs maîtres de Washington, d’écraser la Révolution palestinienne. Leur échec, total, a été vivement ressenti par les forces réactionnaires et par les capitulards du Moyen­-Orient et du monde entier. 

    Aussi ces forces, conscientes du danger que la Révolution palestinienne représente pour leurs intérêts dans cette région du monde, ont essayé de regrouper leurs dispositifs, d’oublier provisoirement leurs contradictions, et de former un front assez vaste pour pallier l’impuissance des forces jordaniennes  fantoches. 

    C’est pourquoi le plan Rogers a été proposé aux gouvernements arabes capitulards et au gouvernement sioniste ; l’auteur le souligne dans le premier paragraphe de son projet : « Les derniers développements au Proche­-Orient, y compris les derniers événements de Jordanie m’ont convaincu que nous devons réagir vite pour résoudre l’impasse actuelle qui empêche une solution pacifique. 

    Je crois que la situation est critique et grave, que la Jordanie et les États-Unis ont des rapports amicaux et étroits et que nous devons collaborer pour notre commun bénéfice.

    Nous nous adressons particulièrement aux milieux responsables de votre gouvernement, qui peuvent jouer un rôle important, pour qu’ils collaborent avec nous, et que nous saisissions cette occasion, dont la perte entraînera des résultats douloureux que nous regretterons ».

    En dépit de ces efforts de coordination, de la complicité des régimes capitulards, en dépit de la collaboration de l’aviation israélienne, les forces fascistes étaient incapables d’anéantir les forces de la révolution.

    Aussi, comme la défaite de juin avait donné naissance au plan Rogers, la défaite de septembre a obligé les forces réactionnaires à changer de tactique et à chercher une autre issue. Selon les journaux et les milieux « bien informés », elles l’ont trouvée  dans la création d’un « Etat palestinien ».

    POURQUOI UN « ETAT PALESTINIEN » ?

    Le but principal des ennemis du peuple palestinien est l’anéantissement des forces de la révolution palestinienne, par une bataille indirecte, par un affrontement sanglant, ou par un complot international.

    L’héroïsme des combattants, la participation des masses palestino-­jordaniennes au combat, l’appui des masses arabes, l’émotion de l’opinion mondiale, qui voyait clairement le génocide, ont fait échouer l’opération décisive. 

    Il fallait désormais faire face à cette « réalité nouvelle » (selon l’expression même de la presse liée à l’impérialisme) qu’est le peuple palestinien : vingt­-deux ans après le crime commis contre lui par les impérialistes et les sionistes, vingt-­deux ans pendant lesquels on a nié son existence même, pendant lesquels on l’a rejeté au rang de masse de réfugiés contraints de chercher un abri dans les Etats arabes, à mendier un morceau de pain, à émigrer loin, vingt­-deux ans de dépossession continue et aggravée dans les territoires colonisés par les immigrants sionistes, voilà que de « petit problème empirique », le peuple palestinien se hausse au niveau de « réalité indiscutable ». 

    On affirme, ici et là, son « droit à l’auto­détermination » ­pourvu qu’il ne s’exerce qu’en­dehors de la Palestine : on lui cherche un coin de terre à baptiser « Palestine », au Nord de la Jordanie (proposition du journal « Economist »), en Cisjordanie (18% de la Palestine, 82% formant l’Etat « auto­déterminé » d’Israël). Quel est l’objectif de ces divers plans ?

    Isoler les Palestiniens des masses arabes, les mettre sous le contrôle des Puissances, leur interdire définitivement le retour dans leur pays, dans leurs villages, dans leurs maisons, donner enfin à Israël la possibilité de les frapper à coup sûr, s’ils bougeaient. 

    Il y a bien sûr quelques divergences : les uns (les dirigeants sionistes) voient cette « Palestine »­là comme un Etat­tampon, contrôlé de toutes parts, économiquement intégré à Israël. Le roi d’Amman, au contraire, veut le garder, fédéré ou confédéré, dans son royaume.

    Une troisième solution prévoit une indépendance garantie par les Américains et les Russes : les premiers apaiseraient les craintes israéliennes, les seconds réconforteraient ainsi les capitulards arabes soumis aux critiques de leurs peuples.  

    Dans tous les cas, le peuple palestinien accepterait de renoncer à sa patrie pour toujours ; on ouvrirait en échange pour lui un « Etat­-camp », une « réserve », le « Bantoustan » où crever lentement. Comme il faut tâter le terrain avant d’avancer, le premier pas pourrait être d’inviter les Palestiniens à envoyer leurs représentants à New York participer aux négociations Jarring.  

    Le but est complexe, et se veut habile : Les palestiniens acceptent, ce qui est bien improbable, et renoncent à leur combat : la « solution pacifique » serait imposée. Ils refusent : ils s’isoleraient alors (c’est l’espoir des forces impérialistes) des masses arabes et de l’opinion publique mondiale qui les appuie.

    L’ATTITUDE DE LA REVOLUTION PALESTINIENNE

    Dès les premiers jours de sa lutte, la révolution palestinienne avait proclamé clairement que son but n’était pas d’obtenir un territoire, mais de recouvrer son propre pays. Les révolutionnaires palestiniens ne cherchent pas une région où s’installer, mais visent la libération de leur Palestine.

    Ils savaient que tôt ou tard capitulards et fantoches s’opposeraient à ce but, ils voient aujourd’hui toutes ces forces s’unir contre lui. Mais ils savaient aussi que toute autre solution n’était qu’illusoire : leur but n’est pas la simple reconquête de la terre, mais la libération des masses arabes et juives opprimées.  

    L’ « Etat palestinien » prolongerait l’exploitation économique, remplaçant l’oppression directe des forces féodales jordaniennes par celle des impérialismes qui se partagent le monde, sous le contrôle d’une police « internationale ».

    Il maintiendrait et il renforcerait le fait colonial. D’où que vienne cette proposition, la Révolution palestinienne ne peut que la repousser.

    En même temps, elle comprend que la situation au Proche-­Orient est changée, que la modification des rapports de force exige en particulier des changements radicaux dans la structure de ses organisations, dans les formes de soutien des peuples arabes, qui doivent devenir plus actives, plus militantes, car la lutte entre la révolution et la contre­ révolution devient chaque jour plus acharnée. 

    Second article:

    POURQUOI LE CESSEZ-­LE-­FEU EN JORDANIE ?

     Dès 1957, à l’époque où le Fath avait commencé à organiser ses premières cellules, la Révolution s’était donné comme but la libération de la Palestine, la destruction de l’appareil raciste de l’Etat sioniste et la création d’un Etat démocratique où  musulmans, juifs et chrétiens vivraient ensemble.

    Mais elle savait aussi qu’elle se heurterait à plusieurs obstacles avant de réaliser son but final. En effet, ses ennemis ne se limitaient pas au mouvement sioniste, mais englobaient aussi l’impérialisme mondial et les forces réactionnaires arabes.  Ce n’est donc pas un hasard que les premiers martyrs palestiniens soient tombés sous les balles des réactionnaires jordaniens.

    Ce n’est pas non plus un hasard que les prisons jordaniennes aient été remplies de militants palestiniens avant même que les sionistes n’emprisonnent les premiers combattants révolutionnaires. 

    Ainsi dès le début, la Révolution palestinienne ne se faisait pas d’illusion sur le régime hachémite et savait parfaitement qu’il visait la liquidation des forces révolutionnaires. Pourtant, elle ne tomba pas dans le piège de faire du régime jordanien son  ennemi principal. 

    Après la défaite de juin 1967, les rapports entre le régime jordanien et les autres régimes arabes d’un côté, la révolution palestinienne de l’autre, sont devenus plus complexes.

    Ces régimes essayaient d’utiliser les forces révolutionnaires comme atout contre l’Etat sioniste en même temps qu’ils essayaient de les contenir : en effet, comme la Révolution bénéficiait de l’appui des masses, les forces réactionnaires qui  persistaient dans leurs attaques durent le faire d’une façon plus camouflée. 

    La dernière tentative des réactionnaires arabes pour contenir les forces révolutionnaires ayant échoué en juin 1970, les impérialistes ont fait pression sur les gouvernements arabes et israéliens pour qu’ils s’arrangent entre eux face au danger commun que représentait la révolution palestinienne : ainsi est né le plan Rogers. En quoi consiste ce plan ?

    Le prix que les régimes arabes devaient payer était simple : l’écrasement de la Révolution  palestinienne. De son côté, l’Etat sioniste devait retirer ses forces de certains territoires occupés. Ayant lui aussi accepté ce plan, Hussein prépara ses forces pour le moment propice qui fut le détournement des quatre avions.

    LES POINTS EN FAVEUR DES FORCES FASCISTES JORDANIENNES

    1. Elles ont choisi le moment et le lieu de l’affrontement.

     2. Le moment choisi paraissait propice à la liquidation de la Révolution en raison du détournement des avions (action qui avait suscité un courant hostile dans l’opinion mondiale).  

    3. Les conditions paraissaient favorables à une armée régulière car les révolutionnaires étaient encerclés dans les villes. 

    4. Les forces armées patriotiques dans l’Armée royale étaient cantonnées dans le désert et seules les forces bédouines, plus sûres, furent engagées dans la bataille.

    LES POINTS FAIBLES DE LA RÉVOLUTION

    1. Ses forces n’étaient pas bien unifiées politiquement avant le déclenchement des hostilités.

    Plusieurs organisations et même une partie des cadres du Fath ne croyaient pas que le roi tenterait  de liquider les forces de la Révolution. Ils pensaient que si le régime se lançait dans une telle aventure, il s’effondrerait en deux jours sous les coups des masses arabes, des masses  palestino-­jordaniennes et des soldats et officiers patriotes de l’armée jordanienne.

    2. L’Armée de Libération de la Palestine était morcelée : une partie sur le Canal, une autre en Syrie, une troisième en Irak. 

    3. Alors que classiquement, la guérilla a ses bases dans les campagnes, au contraire, en Jordanie, la révolution a dû mener une guerre d’auto­défense avec les villes pour base.

    Elle n’a pas choisi cette nouvelle forme de lutte mais y a été amenée parce que les masses palestino-­jordaniennes sont principalement  concentrées dans les villes. Une telle guerre a besoin d’une nouvelle tactique qui ne peut se préciser que dans la bataille elle­-même. Mais malgré ces désavantages, les forces réactionnaires furent impuissantes devant l’héroïsme du peuple.

    Leurs tentatives pour occuper les villes échouèrent l’une après l’autre. L’artillerie, les avions, les chars et les blindés avaient la puissance mécanique, tandis que les révolutionnaires étaient protégés par le peuple. 

    L’émotion et la mobilisation des masses dans tous les pays arabes dans tous les pays arabes et dans le monde aboutissent à un isolement politique des fascistes jordaniens.

    Les autres  régimes arabes, même ceux qui auraient souhaité une victoire rapide du roi, durent se désolidariser de lui et Hussein fut acculé à demander le cessez-­le-­feu. 

    D’un autre côté, la guerre d’auto­-défense ne pouvait durer indéfiniment. Comme la Révolution ne pouvait pas remporter une victoire rapide et décisive, il lui a fallu faire des concessions. 

    En acceptant le cessez­-le-­feu, le régime jordanien a dû renoncer provisoirement à son objectif principal qui était l’anéantissement des forces révolutionnaires, tandis que les fédayin n’abandonnaient provisoirement qu’un but secondaire, la chute de Hussein, et pouvaient se regrouper et se renforcer.

    De toute façon, la victoire d’une révolution populaire ne peut pas être assurée par une insurrection de courte durée. Elle nécessite une lutte populaire prolongée. Dans une telle lutte, les peuples arabes prendront les armes eux aussi et se rangeront du côté du peuple palestino-­jordanien.

    C’est pourquoi la révolution devait éviter un affrontement avec plusieurs régimes arabes à la fois et sauvegarder ses forces pour préparer l’avenir, c’est pourquoi elle a accepté le cessez-­le-­feu.

    Et cette concession, elle l’a expliqué aux masses avec franchise parce qu’elle a une entière confiance en elles. 

    =>Retour au dossier sur la Gauche Prolétarienne