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  • PCE(ml), FRAP, PCE(r), GRAPO

    L’Espagne a la particularité d’avoir connu deux mouvements révolutionnaires se situant dans le prolongement de la guerre d’Espagne. Ces deux mouvements appuyaient, tout comme le Parti Communiste d’Espagne durant la guerre civile des années 1930, la perspective de la révolution au moyen de la lutte populaire antifasciste.

    Ils considéraient que la lutte devait continuer et ils ont établi une démarche afin de reformer un front de masse sur cette ligne, avec le Parti se présentant comme en étant le meilleur outil. Le Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste) et le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué) opéraient pour cela tous deux depuis l’illégalité.

    Le PCE (ml) avait généré un Front de masse – le FRAP – Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote. Le PCE(r), quant à lui, envisageait les choses selon l’angle d’un Mouvement populaire de Résistance dont il fallait interpréter les contours, appuyant plus concrètement les GRAPO – Groupes Antifascistes du Premier Octobre.

    Ces deux organisations n’existent plus aujourd’hui en tant que tel. Le PCE (ml) a abandonné la perspective de renversement au moment de la transition « démocratique », tandis que le PCE(r) prenait en quelque sorte le relais de sa démarche. L’organisation a cependant été finalement anéantie au début des années 2000, après un combat d’un quart de siècle.

    Il faut bien noter ici le fait que, dans les deux cas, le PCE (ml) et le PCE(r) sont allés dans la direction du maoïsme, mais se sont littéralement arrêtés juste avant de l’assumer. C’est à ce moment-là que la décadence a opéré.

    Les origines du PCE (ml) et du PCE(r)

    Historiquement, les deux organisations puisent leur identité dans la bataille anti-révisionniste des années 1960. Le Parti Communiste d’Espagne avait soutenu la démarche révisionniste de l’URSS ; il avait par conséquent, en 1956, cessé les activités armées contre le régime de Franco.

    Des révolutionnaires finirent par quitter ses rangs pour fonder en 1964 le Partido Comunista de España (marxista-leninista), c’est-à-dire le Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste). Sa structure est illégale et l’organisation est structurée à partir de l’exil.

    A la base, quatre groupes opposés au révisionnisme du PCE se retrouvent en octobre 1964 en Suisse. Ils sont organisés autour de revues : El Proletario qui regroupe des étudiants à Madrid, Bilbao et Paris, Mundo Obrero Revolucionario basé à Paris par des éléments « pro-chinois » du PCE local, La Chispa édité par une « Opposition révolutionnaire du PCE » basée à Genève, et enfin España Democrática, publié par un groupe issu de la section du PCE en Colombie publiant España Democrática.

    Ils fondent en novembre le PCE (ml) au théâtre de l’Alhambra à Paris et une trentaine de délégués élit un Comité Central, dont la première réunion se tient un mois plus tard dans un garage à Bruxelles. Son organe est Vanguardia Obrera.

    C’est pareillement à Bruxelles que naquit, en septembre 1968, une autre organisation, l’OMLE – Organización de Marxistas-Leninistas de España, l’Organisation des Marxistes-Léninistes d’Espagne.

    A l’opposé du PCE (ml) basé à l’étranger mais ayant des relais en Espagne, l’OMLE est né uniquement hors d’Espagne, à partir d’activistes en Belgique, en France et en Suisse.

    Sa base est issue d’activistes du Mundo Obrero Revolucionario publié à Paris et n’ayant pas rejoint le PCE (ml) à sa fondation, de l’Organización Comunista Marxista Leninista dirigé par Francisco Javier Martín Eizaguirre et issue du PCE, ainsi que des Comités de Apoyo al Pueblo de Vietnam et des Círculos Guevaristas.

    Les différences entre le PCE (ml) et l’OMLE

    Lorsque le PCE (ml) se fonde, sa position est celle qui correspond à celle du PCMLF en France ou bien du Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste). Le Parti ayant failli, il faut immédiatement le remplacer. Dans le cas français, la base pour cela était absente et la position était idéaliste, dans le cas indien c’était correct. Le PCE (ml) se situe sans doute à mi-chemin.

    L’OMLE n’est pas d’accord avec cette démarche et sa position est celle de l’UJC (ml) en France ou bien du Centre Communiste Maoïste d’Inde. D’un côté, elle appelait à davantage de complexité, d’agglutinement de forces communistes, de l’autre il y avait une certaine dynamique mouvementiste, pratiquement guévariste.

    L’autre différence majeure est que le PCE (ml) considère que l’Espagne est devenue un satellite de l’impérialisme américain. Sa ligne combine donc l’appel à la révolution démocratique avec une dimension anti-impérialiste. Ce positionnement double était en quelque sorte déjà celui du PCE durant la guerre civile, en raison de l’intervention étrangère germano-italienne.

    L’OMLE a été d’accord avec ce point de vue au début de son existence. Cependant, au fur et à mesure a triomphé une ligne comme quoi ce n’est pas vrai et affirmant que l’Espagne est un pays capitaliste faible.

    La troisième grande différence réside dans la question de la féodalité. Le PCE (ml) insiste sur l’existence de grands propriétaires terriens, formant l’une des bases du régime d’une nature ainsi féodale – monopoliste – coloniale. L’orientation reste comme celle du PCE de la guerre civile, avec une révolution démocratique et populaire comme objectif.

    Ce n’est pas le cas de l’OMLE, qui appelle à une lutte anti-monopoliste et antifasciste, mais avec comme objectif la dictature du prolétariat.

    La construction en Espagne du PCE (ml) et de l’OMLE

    Le PCE (ml) et l’OMLE sont tous deux nés hors d’Espagne, mais le premier disposait de relais dans le pays, ce que n’avait pas le second. Le PCE (ml) mena immédiatement un travail de structuration en Espagne pour y établir l’organisation. Mais dès décembre 1964, le réseau catalan est démantelé, en en avril 1965 il y a de nombreuses arrestations et en 1966 le principal organisateur dans le pays, Paulino García Moya (Valera), est arrêté.

    Durant ce processus, en mars 1965, Ricardo Gualino a été grièvement blessé à la bouche par un tir lors d’une arrestation alors qu’il menait une action de propagande, et en avril de la même année José Delgado Guerrero “Acero”, 25 ans, meurt suite à la torture.

    En novembre 1967, cinq membres du PCE (ml) sont également condamnés à 26 années de prison.

    En fait, malgré le travail mené, en 1968, le PCE (ml) est pratiquement démantelé en Espagne. Ce qui le sauve, c’est que la direction reste basée à l’étranger et forme une base idéologique solide, mettant son énergie à réussir à l’implantation.

    Cela réussit enfin à partir de 1969, au point d’intégrer l’organisation madrilène dénommée Unión de Marxistas-Leninistas.

    L’OMLE ne profite pas de relais quelconques par contre, ce qui rend la tâche bien plus rude ; ses noyaux durs sont basés à Paris, Strasbourg et au Luxembourg. C’est par le retour de l’émigration que l’organisation peut se structurer, et ce tardivement.

    Ce n’est qu’en 1970 qu’il y a une base à Madrid et une à Cadix. Et en 1972, l’Organización Obreira bien implanté à Vigo rejoint l’OMLE comme section de Galice, apportant une solide base issue de la quasi totalité des jeunesses communistes et d’une partie du PCE de la ville de Vigo.

    Son dirigeant, Abelardo Collazo, vivait dans un four abandonné dans son enfance et a commencé à travailler dans la construction à l’âge de douze ans. Il travaillera ensuite notamment un an aux Usines Citroën à Paris. Cadre de l’OMLE et de son prolongement le PCE (r), il sera exécuté par la police dans une embuscade, de six balles dans le dos, en 1980.

    Rapidement, l’OMLE s’étend ensuite dans la région de Valence, le pays basque, l’Andalousie et la Catalogne.

    La structuration du début des années 1970

    L’implantation en Espagne étant finalement réussie, tant le PCE (ml) que le PCE(r) connaissent des modifications profondes. Cela a également pour raison qu’en 1969 l’état d’urgence avait été proclamé. Les luttes de classes étaient intenses et le régime voyait sa base profondément troublé.

    C’est surtout pour l’OMLE que la situation va changer la donne, avec l’intégration en 1971 de membres du Partido Comunista de España (internacional), une organisation s’étant formée parallèlement à Saragosse, Madrid, Séville, les Asturies.

    Parmi eux, il y a en effet Manuel Pérez Martínez qui, avec les ouvriers du bâtiment qui l’accompagnent, va provoquer un chamboulement dans l’OMLE. La critique concerne deux aspects : l’absence d’impulsion organisationnelle suffisante, le libéralisme dans la gestion des fédérations.

    Lors de la Ve réunion générale de l’OMLE à Paris, cela va fournir de base à la nouvelle direction centralisant les activités et faisant de Bandera Roja, le Drapeau rouge, l’organe publié à Madrid, le pivot du renforcement en tant que parti en tant que tel. La base de l’OMLE est alors à Cadix, Séville et Cordoue, puis en Galice.

    La thèse de la dimension coloniale de l’Espagne est alors abandonnée et l’organisation se replie sur elle-même, refusant toute étape démocratique. La ligne adoptée à sa première conférence nationale en juin 1973 prône de ce fait l’établissement d’un gouvernement révolutionnaire.

    L’organisation tangue avec le démantèlement par la police des structures de Cadix et Séville en 1974 et une fascination pour la révolution des œillets au Portugal menée par l’armée. Elle est également isolée par son refus catégorique de participer aux élections syndicales qui sont mises en place en février 1975.

    Du côté du PCE (ml), les modifications ne viennent pas de l’extérieur, mais de l’élan donné. Lors de la visite du président américain Richard Nixon, en 1970, le PCE (ml) put organiser des rassemblements à Madrid (avec 24 équipes de propagande), Valence, Murcie, Bilbao et Saint-Sébastien ; entre 20 000 et 100 000 personnes se mettent en grève à son initiative, la même année, pour la libération des prisonniers politiques.

    Il avait généré toute une série de structures : l’Oposición Sindical Obrera (Opposition Syndicale Ouvrière, fondée clandestinement dans les années 1950 par le PCE), la Federación Universitaria Democrática Española (Fédération Universitaire Démocratique Espagnole), la Unión Popular de Mujeres (Union Populaire des Femmes), les Comisiones de Barrio (Commissions de Quartier), la Federación de Estudiantes Demócratas de Enseñanza Media (Fédération des Etudiants Démocrates de l’Enseignement intermédiaire), la Unión Popular de Profesores Demócratas (Union Populaire des Professeurs Démocrates), les Agrupaciones de Jóvenes Comunistas (marxistas-leninistas) (Regroupement des jeunes communistes marxistes-léninistes), ainsi que l’Unión Popular de Artistas (Union Populaire des Artistes) dont l’organe était Viento del pueblo.

    La mise en place du FRAP par le PCE (ml)

    La ligne du PCE (ml), exprimée dans son organe Vanguardia Obrera (Avant-garde Ouvrière), était la suivante : le régime espagnol est de type fasciste et sous domination de l’impérialisme américain ; l’objectif est la Démocratie Populaire sous la forme de la République populaire et fédérale.

    Les masses devant être unies et armées dans une Armée populaire, le processus révolutionnaire intégrant la petite-bourgeoisie et des secteurs de la bourgeoisie et devant être prêt à faire face à une intervention américaine.

    En octobre 1970, une réunion du Comité Central dans le massif montagneux de la sierra de Guadarrama décide de passer à une nouvelle étape, avec l’établissement désormais de structures de masse, la mise en place prochaine d’un premier congrès, ainsi que la formation d’un Front pour le renversement du régime, avec également une aile militaire.

    Le premier pas en direction du front fut l’alliance avec le Frente Español de Liberación Nacional (FELN), une organisation républicaine fondée en 1963 par le socialiste Julio Álvarez del Vayo, ministre des Affaires étrangères du gouvernement républicain du 4 septembre 1936 au 28 mars 1939.

    Julio Álvarez del Vayo

    Lorsque la Catalogne tomba lors de la guerre civile, Julio Álvarez del Vayo revint dans la zone républicaine depuis la France, participant jusqu’à la dernière minute à la guerre civile.

    Le FELN visait la réactivation des maquis pour redémarrer la lutte armée anti-franquiste ; il mena initialement lui-même de multiples actions armées, qui se terminèrent néanmoins avec l’arrestation en juin 1964 d’Andrés Ruiz Márquez.

    Puis le PCE (ml), le FELN et le groupe Vanguardia socialista, rejoint ensuite par Fracción marxista-leninista del Movimiento Comunista de España ainsi que l’Unión Socialista Española, fondèrent, dans l’appartement parisien de l’écrivain Arthur Miller, le 23 janvier 1971, l’embryon du Frente Revolucionario Antifascista y Patriota (F.R.A.P.), qui sera fondé officiellement en novembre 1973.

    Les objectifs de ce Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote, formellement un comité de coordination pour sa fondation pour la période 1971-1973 – étaient synthétisés en six points.

    Le pays était considéré comme dominé par une oligarchie, dont les biens devaient être nationalisés, tout comme les possessions des monopoles étrangers, alors qu’une réforme agraire devait être mise en place, brisant les grands propriétaires terriens.

    Le programme en six points du FRAP

    Le programme du FRAP est établi dès le départ, dès la constitution en 1971 d’un « Comité coordinateur pour le FRAP ».

    1. Renverser la dictature fasciste et expulser l’impérialisme yankee à travers la lutte révolutionnaire.

    2. Établissement d’une République populaire fédérative, qui garantisse les libertés démocratiques du peuple et les droits des minorités nationales.

    3. Nationalisation des biens monopolistes étrangers et confiscation des biens de l’oligarchie.

    4. Réforme agraire profonde, sur la base de la confiscation de grands domaines.

    5.Liquidation des vestiges du colonialisme espagnol.

    6. Formation d’une armée au service du peuple.

    L’élan du FRAP et son prestige

    Dès sa fondation, en 1973, le FRAP a été un vrai succès. En plus des multiples rassemblements annuels et illégaux du 1er mai, il organisa également un rassemblement de 10 000 personnes le 2 mai 1973, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement national anti-napoléonien.

    Il y eut un mort dès le premier jour, le FRAP exécutant un membre des services secrets franquistes de la Brigada Político-Social afin de protéger le cortège, les activistes du FRAP étant munis d’objets contondants et d’armes blanches.

    Le degré d’affrontement était immédiatement de haut niveau, comme en témoigne la mort atroce de Cipriano Martos Jiménez, assassiné par la police en septembre 1973 au moyen d’un « cocktail de vérité » composé d’essence et d’acide sulfurique, détruisant l’appareil digestif.

    Cipriano Martos Jiménez

    Dès janvier 1974, un comité pro-F.R.A.P. existe à Madrid, en février en Catalogne et dans la région de Valence, alors que suivent l’Andalousie, les Asturies, puis pratiquement toute l’Espagne, mais aussi la France, l’Allemagne (avec l’appui massif du KPD/ML et en profitant de l’émigration espagnole une présence organisée dans 56 villes), de la Suède, de la Suisse, de la Belgique, de la Hollande, de l’Italie et du Canada.

    Le FRAP devient incontournable. Lorsqu’en juillet 1975 les Juventudes Socialistas du PSOE tiennent leur congrès illégal à Lisbonne, le représentant de la J.C.E.(m-l) prenant la parole au nom du F.R.A.P. est accueilli très chaleureusement.

    Comme indicateur du succès chez les étudiants, on a le fait que 15 % des étudiants de l’université de Valence étaient considérés comme soutenant le FRAP.

    La ligne était, dans le prolongement de la guerre d’Espagne, celle de l’alliance des progressistes, l’avancée dans l’esprit de fusion entre les communistes et l’aile gauche des socialistes. Le dirigeant du FRAP Julio Álvarez del Vayo en était le symbole.

    Le F.R.A.P. est alors en première ligne du combat anti-franquiste ; avec 49 personnes condamnées en 1975-1976, c’est lui qui subit le plus les condamnations, juste derrière ETA et alors que le régime a instauré le 22 août 1975 une « decreto-ley antiterrorista » particulièrement répressive.

    Le FRAP et la guerre populaire

    La ligne exposée à la troisième conférence élargie du Comité Central du PCE(ml), en 1975, était la mobilisation pour généraliser la lutte armée, pour que les masses se saisissent de la démarche de résistance et que soit ici ouverte la phase de la guerre populaire.

    A côté de « F.R.A.P., F.R.A.P., F.R.A.P., Republica Popular », le slogan du F.R.A.P. est d’ailleurs « F.R.A.P., F.R.A.P., F.R.A.P., Guerra Popular » et le PCE (ml) avait formulé dès 1967, lors de la seconde conférence de son Comité Central, la considération que la « guerre populaire » faisait partie de sa ligne politique.

    On y lit notamment :

    « En Espagne, la dictature de l’oligarchie pro-impérialiste s’exerce de la manière la plus violente, à travers l’État yankee-franquiste, qui s’appuie sur un monstrueux appareil terroriste (armée, garde civile, police armée, Brigada Político Social [la police secrète], groupes de la réaction, etc.).

    Au moyen de cet Etat, l’impérialisme et l’oligarchie exercent la plus impitoyable répression sur le peuple, persécutant de manière sanguinaire toute action de lutte de la part des masses.

    La lutte armée révolutionnaire surgit au sein du peuple travailleur uniquement comme résultat d’une agitation et d’une propagande politique tenaces.

    Ce n’est qu’au moyen d’un travail de propagande des organisations d’avant-garde, fondamentalement du Parti Communiste d’Espagne (m-l), que les masses peuvent être idéologiquement en mesure de comprendre la nécessité de se soulever en armes contre la dictature yankee-franquiste.

    La lutte armée ne peut pas surgir ni se développer isolée de la lutte des masses, mais seulement en étroite liaison avec le mouvement de masse ouvrier et paysan.

    Des formes initiales (grèves, manifestations), il faut passer graduellement (et l’évolution spontanée de la lutte confirme cette trajectoire) à des formes supérieures de combat : affrontements violents avec les forces de la dictature, attaques, émeutes, etc. »

    Voici ce qu’on lit également dans l’organe du PCE(ml) Revolución Española en 1973, dans l’article Forgeons le Front révolutionnaire antifasciste et patriote pour renverser le Yankee-Franquisme :

    « S’il est vrai que même la principale forme de lutte du FRAP est la lutte politique de masse, il existe toutefois déjà des manifestations du changement qualitatif en cours, telles que des affrontements violents avec les forces répressives, pour couvrir les manifestations avec groupes de protection armés, les commandoss contre les institutions fascistes et yankees, etc., qui sont en réalité des formes embryonnaires de lutte armée, que nous devons non seulement populariser et généraliser, mais aussi développer vers des formes plus élevées de lutte armée, pour aller de l’avant sur le chemin de la guerre populaire, où le FRAP atteindra son plein développement en regroupant et en dirigeant la grande majorité du peuple espagnol vers sa libération sociale et nationale ».

    Le FRAP en première ligne contre le franquisme

    Voici comment la situation est présentée par le Comité espagnol du Sud-Ouest de la France pour le Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote :

    « Les forces réactionnaires impérialistes courent inexorablement à leur perte, mais pour précipiter leur défaite, il faut que le front anti-impérialiste mondial resserre ses liens et que l’internationalisme prolétarien joue son rôle de solidarité sans limites ni frontières.

    En France, les antifascistes espagnols sont poursuivis et expulsés en violation de la Convention de Genève sur le droit d’asile politique et en vertu des accords bilatéraux avec le gouvernement franquiste (accords Debré – Lopez Bravo).

    L’armée espagnole « made in USA » participe en compagnie des paras français à des manœuvres anti-guérilla dans les Pyrénées – tout récemment encore dans la région de Bagnères-de-Bigorre – Arreau (Hautes-Pyrénées), sous le patronage de hautes personnalités civiles et militaires des deux pays, dont le gouverneur franquiste de la province de Hyesca – en prévision d’une inévitable insurrection populaire en Espagne et pour briser l’aide que le peuple français pourra apporter aux antifascistes espagnols dans leur lutte pour la République et pour l’indépendance nationale.

    La visite que Maurice Schumann vient de rendre à son collège Lopes Bravo, membre comme lui de l’Opus Dei, n’est pas fortuite. Depuis la rencontre Castielle – Couve de Murville en 1959, l’impérialisme français apporte un soutien concret à l’oligarchie fasciste espagnole.

    Des accords militaires ont été signés, concernant la livraison de 30 Mirage III et la construction sous licence des hélicoptères Alouette (anti-guérilla).

    Mais là où la collaboration est la plus étroite, c’est pour réprimer les masses d’émigrants et réfugiés politiques en France. Déjà les deux polices collaborent pour se transmettre les dossiers des antifascistes réfugiés en France.

    L’antifasciste Angel Campillo Fernandes a été arrêté et conduit menotté à la main à la Brigade Politico-Sociale franquiste, et condamné à 6 ans de prison, sur la base du dossier fourni par la DST le 23 février à Bordeaux.

    Le statut de réfugié politique en France n’est plus d’aucune garantie (on pourrait citer des dizaines de ces cas d’interrogatoires et pressions exercées sur des réfugiés espagnols, mais par mesure de sécurité, nous préférons garder le silence) (…).

    Dans les prisons espagnoles, 3 000 détenus politiques subissent les traitements les plus inhumains (…).

    Les comités pour le F.R.A.P. à l’extérieur de l’Espagne ne mènent pas une lutte à part et sans relation avec l’intérieur. Ils sont l’arrière-garde organisée des Comités pour le F.R.A.P. en Espagne (…).

    Sans unité effective à l’intérieur d’un Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote, qui organise et dirige toutes les actions multiformes contre l’oligarchie des monopoles industriels, des grands propriétaires fonciers et des banques, qui a vendu la patrie à l’impérialisme américain, la victoire est impossible (…).

    L’oligarchie s’est convertie en une vaste institution de gangstérisme qui ruine toutes les classes productives non-monopolistes.

    La crise atteint toutes les entreprises qui ne se soumettent pas aux monopoles yankees et qui sont saisies par l’INI (Institut National pour l’Industrie, monopole financier et bancaire d’État).

    Les importations sont de 70 % supérieures aux exportations et le déficit est couvert par les devises apportées par les émigrants (qui sont venus du capitalisme européen comme des bêtes de somme), et grâce aux devises du tourisme (…).

    Cette « paix » et cet « ordre » sont maintenus grâce à 500 000 agents de répression qui touchent 50 000 pesetas par mois chacun (sans compter la possibilité de cumuler deux ou trois traitements).

    Pour les seconder, il y a environ 250 000 bureaucrates dans l’administration et 150 000 autres dans le clergé (l’État accorde à ce dernier trois milliards de pesetas par an).

    Comme force d’appoint, l’armée yankee avec 35 000 soldats et 30 bases militaires (« les défenseurs de la liberté et de la culture occidentale »), avec, en plus, environ 1 000 agents de la CIA, d’anciens nazis, OAS, etc. (…).

    Les impérialistes américains participent à 70 % des investissements de capitaux étrangers en Espagne (dans certains secteurs 100 % des capitaux investis) et les substantiels bénéfices qu’ils en retirent sont complètement exonérés d’impôts (…).

    Rien qu’en 1970, il y a eu plus de 1 000 grèves. Et la lutte revêt de plus en plus un caractère insurrectionnel. »

    Le FRAP et la concurrence réformiste et révisionniste

    Si le FRAP avait une démarche visant un changement de régime, tel n’était pas la ligne du Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste. Celui-ci mit en place une Junta Democrática de España en juillet 1974, tentant de capter l’opposition légaliste au fascisme espagnol. Les socialistes du PSOE œuvraient également de leur côté à ce qu’ils considéraient être une convergence devant faire évoluer le régime.

    Des activistes du FRAP

    Le PCE (ml) lança de son côté la formation de Comités de Unidad Popular (Comités d’Unité Populaire), alors que le F.R.A.P. se lança dans la lutte armée au moyen de « groupes de combat » s’appropriant des armes, cambriolant des banques, attaquant des entreprises en soutien aux grèves, ainsi que des locaux institutionnels.

    Trois policiers furent tués au total lors de ces multiples opérations, alors que le régime exécuta le 27 septembre 1975 les condamnés à mort José Humberto Baena Alonso, José Luis Sánchez Bravo et Ramón García Sanz, trois membres du FRAP. A leurs côtés, il y avait des activistes d’ETA politico-militaire Juan Paredes Manot (Txiki) et Ángel Otaegui.

    Ce furent les dernières condamnations à mort du régime, Francisco Franco mourant peu après, et elles provoquèrent une onde de choc en Espagne et en Europe de l’Ouest, avec une vaste solidarité. En France, 50 000 personnes défilèrent, l’idéologie du FRAP étant très présente dans la dynamique.

    L’OMLE devient le PCE(r) et fondation des GRAPO

    L’une des réponses immédiates aux condamnations à mort fut l’exécution de quatre policiers par cinq commandos différents le premier octobre 1975. C’était l’apparition des GRAPO, les Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre.

    Leur manifeste, intitulé « Le peuple sera libre s’il prend les armes », est diffusé dans toute l’Espagne le 18 juillet 1976, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement franquiste et de la mobilisation antifasciste.

    Le symbole des GRAPO

    Les GRAPO apparaissent ici comme guérilla proposant le conflit ouvert avec le régime à la suite de « l’été de la terreur » ayant culminé dans les condamnations à mort. C’est l’OMLE qui les a générés à partir de son appareil technique et militaire.

    Concrètement, la progression de l’OMLE n’était en rien comparable à celle du PCE (ml). En juin 1975, elle tient son congrès dans la ville de Torrelavega, et fonde le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué). Une structure étudiante, l’Organización Democràtica de Estudiantes Antifascistas (ODEA), est mise en place, ainsi que le groupe intellectuel-artistique Pueblo y Cultura, un « Secours rouge », une Unión de Juventudes Antifascistas (UJA), une Asociación de Familiares y Amigos de Presos Políticos (AFAPP), un Socorro Rojo.

    Ces structures seront rapidement interdites : le Socorro Rojo en 1977, l’ODEA en 1978 et l’UJA en 1979, les Mujeres Antifascistas en 1980 et Pueblo y Cultura en 1981. L’AFAPP sera interdite en 2005.

    L’organisation est basée à Madrid, en Andalousie (Cordoue, Séville, Cadix et sa périphérie), la Galice (Vigo, Ferrol), ainsi que de manière moins prononcée au pays basque (Bilbao surtout), en Catalogne, aux Asturies et la région de León. La moitié est composée de travailleurs manuels, 20 % d’étudiants et d’employés, les diplômés ne formant que 10 % des membres.

    Le symbole du PCE(r)

    Par ce développement, l’organisation se place directement en concurrence avec le PCE (ml). Et elle ne s’en tient pas là et cherche à concurrencer le FRAP, sur une base évidemment bien différente. Pour cette raison, la « section technique » qui menait des expropriations dans les banques pour financer l’organisation devenait autonome, sous la forme des Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre (GRAPO).

    Les GRAPO sont pourtant considérés par le PCE(r) comme un front : tous les membres du PCE(r) ne sont pas dans les GRAPO, et il y a dans les GRAPO des antifascistes, des démocrates, etc. qui ne sont pas du PCE(r).

    L’explication était qu’il y avait le besoin d’une organisation

    « encadrant le plus grand nombre possible de combattants anti-fascistes, formant ses propres cadres (ne devant pas être nécessairement de membres du Parti ni professer l’idéologie communiste) ».

    Cette structure devait être autonome du PCE(r) et ce dernier insistera toujours sur ce dernier aspect, bien que concrètement c’est lui qui a toujours fourni la principale base des GRAPO.

    La position du PCE(ml) en 1975

    Le PCE(ml) fut fou de rage de l’arrivée des GRAPO. Il considère alors que c’est un interventionnisme gauchiste formant un obstacle à la stratégie de démocratie populaire. Voici comment Elena Ódena exprime le point de vue du PCE(ml) sur la stratégie, dans un entretien avec le journaliste José Dalmau, 17 février 1977. Elle est alors la dirigeante du Parti depuis l’arrestation de García Moya en 1966 et le resta jusqu’à son décès en 1985.

    « Après ce processus, le PCE (m-l) continue d’évoluer jusqu’en 1975, année de l’émergence du FRAP avec la lutte armée, quand a-t-il été décidé de suivre cette voie?

    –Elena Ódena : La lutte armée, en ce qui concerne le parti, est décidée dès le premier jour. Dans la ligne politique du parti, il est écrit que la violence révolutionnaire, la lutte armée et la guerre populaire étaient le seul moyen de renverser le capitalisme et la dictature franquiste à cette époque et d’implanter un régime de démocratie populaire et de socialisme. Donc ce n’est pas nouveau »

    Elena Ódena,
    dirigeante du PCE(ml)

    Cependant, le PCE (ml) ne savait pas dans quelle direction aller alors qu’à la mort de Franco en décembre 1975 s’ouvrait ce qui sera ensuite appelé la transition. Le PCE (ml) refusait le processus de reconnaissance du nouveau régime, dont la base était pour lui exactement la même qu’avant, toutefois il oscillait entre tout refuser en bloc et participer comme aile gauche au changement en cours.

    Voici ce que dit la dirigeante du PCE(ml), dans l’article La dictature monarcho-oligarchique, dépendant de l’impérialisme yankee, peut-elle se transformer en une démocratie bourgeoise?, en janvier 1977.

    «L’oligarchie au pouvoir – ses différents secteurs dans leur ensemble – adoptera les formes et les modalités du gouvernement et recourra aux déséquilibres et assouplissements qui les intéressent le plus pour rester plus confortablement au pouvoir, essentiellement sur la base de leurs intérêts de classe.

    Les cadeaux et les concessions qui, à un moment ou à un autre, sont obligés de concéder un pouvoir réactionnaire sous la pression des masses, ne changeront en rien leur nature antipopulaire.

    Nous, à la tête des masses combattantes, devons utiliser, bien sûr, tous les éléments de la démocratie, toute concession ou liberté pour le peuple, que la dictature se voit obligée de céder, en gardant toujours à l’esprit que les intérêts de classe du prolétariat et des masses laborieuses n’ont rien à voir avec des pseudo-libertés bourgeoises rachitiques et étroites que tout gouvernement réactionnaire en service pourrait être obligé d’accorder dans le contexte actuel de tournant et de lutte révolutionnaire. »

    C’était là refuser de se tourner dans un sens ou dans un autre et c’est nécessairement fatal. Car la question de la lutte armée – ou plus exactement de la guerre populaire qu’espérait devenir le FRAP de par son orientation maoïste – devient alors épineuse.

    Cela est d’autant plus vrai que la polémique lancée par Enver Hoxha suite à la mort en 1976 de Mao Zedong – contre ce dernier – amène le PCE(ml) à se placer dans l’orbite du hoxhaisme et par conséquent à rompre avec la théorie maoïste de la guerre populaire.

    Le PCE(r), lui, de par son orientation initiale de non-participation à quoi que ce soit lié aux institutions y compris sur le plan syndical, se retrouvait de fait tout seul sur le terrain de l’opposition totale.

    L’effondrement du PCE(ml) et du FRAP

    Ce qui restait du FRAP au moment de la transition se dilue dans des actions illégales consistant en des attaques au cocktail Molotov, accompagnées de répression importante (56 personnes arrêtées rien qu’entre juin 1977 et juin 1979), avec parallèlement de très nombreux hold-ups, sans doute au moins quarante.

    Il finit par disparaître, le PCE (ml) le remplaçant par une Convención Republicana de los Pueblos de España, une Convention Républicaine des Peuples d’Espagne appelant à refuser le retour de la monarchie et à la formation de tribunaux populaires pour le jugement des crimes franquistes, avec en arrière-plan la tentative de former au sein des masses un Gouvernement Républicain provisoire.

    Cette Convention Républicaine visait à se poser comme alternative plus radicale à ce que proposait le Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste, mais en pratique cela ne faisait que le placer dans son orbite. C’était là la conséquence de l’abandon de la stratégie de la guerre populaire au profit de la ligne hoxhaiste de « pression » depuis l’intérieur du régime.

    Le nouveau régime profitait d’ailleurs de l’espoir en le changement ; l’abstention appelée par le PCE (ml) au référendum sur le projet loi de réforme politique de 1976 reste donc sans effet (77,8% de participation, 97,36% de oui), tout comme lors du référendum constitutionnel de 1978 (participation de 67,11%, avec 88,54% de oui).

    Ne trouvant plus aucune voie révolutionnaire et ayant fermé la voie de la guerre populaire, le PCE (ml) abandonna le fusil dans son symbole partidaire et se tourna vers l’électoralisme et le réformisme, avec une approche para-syndicale entièrement fondée sur l’Asociación Obrera Asambleísta qui rassembla 2500 délégués à son congrès de 1978.

    Toujours illégal, le PCE (ml) se présenta sous la bannière Izquierda Republicana (Gauche Républicaine) aux élections de 1979, obtenant 55 384 votes (soit 0,31% des voix), avant de parvenir à être légalisé en 1981, obtenant aux élections de 1982, en tant que PCE (ml), 23 186 voix, soit seulement 0,11% des suffrages.

    Le PCE(r) et les GRAPO sur le devant de la scène

    Le PCE(r) arrivait tardivement sur le devant de la scène, cependant sa ligne était celle du refus du syndicalisme et des institutions en général. Il formait par conséquent un pôle de radicalité entièrement autonome lors du tournant de 1975.

    Si le PCE (ml) connaît donc alors des hémorragies militantes et des scissions, le PCE(r) se met à organiser la lutte armée de manière approfondie, avec des centaines d’attaques à venir, reprenant le flambeau du PCE (ml) sans pourtant jamais y faire référence puisqu’il était né de manière entièrement extérieur à lui.

    Dans le document « Expériences de trois années de lutte », les GRAPO exposent leur point de vue de la manière suivante :

    « La classe ouvrière avec son parti d’avant-garde est la force guidant et dirigeant notre révolution, c’est le secteur le plus clair et au premier rang, et en tant que tel celui appelé pour guider et diriger la révolution ; l’unité de la résistance comprend la guérilla (…).

    En raison de l’existence du fascisme avec comme conséquence le manque de libertés réelles et la super-exploitation que nous avons vu et que nous voyons toujours soumettre le prolétariat et les larges masses populaires, la contradiction principale qui joue est celle entre l’État espagnol se confrontant au peuple, contre le fascisme et les monopoles. »

    C’est une ligne très offensive, au moment où le PCE(ml) cherche à se placer adéquatement, tout en modifiant totalement sa base idéologique. Cela lui est fatal : le PCE(ml) se maintient alors dans les années 1980 comme parti reconnu par l’Albanie, avant de disparaître au début des années 1990.

    Le PCE(r) est alors quant à lui en pleine offensive. Comme le dit le Manifeste-Programme du PCE(r) :

    « Dans un moment d’aggravation maximale de la crise politique du régime, ainsi que de toutes les contradictions et tensions sociales, le Congrès constitua une plate-forme qui permettra au PCE(r), à peine né, de jouer un rôle important dans la vie politique, tout particulièrement dans la dénonciation de la Réforme (…).

    En 1975, quand Franco disparaît de la scène politique et qu’on intronise la monarchie des Bourbon, en suivant les consignes de succession établies par le dictateur, les anciennes formes de domination fasciste venaient d’êtres démolies par la lutte des masses des dernières années. Il était clair que le régime ne pouvait plus tenir debout en conservant son caractère ouvertement fasciste.

    D’un autre côté, la stabilité de ces formes engourdissait chaque fois d’avantage la réalisation des plans de la classe dominante espagnole, poussée à son intégration totale, économiquement et militairement, dans le bloc impérialiste.

    C’est ainsi qu’on ouvre le pas, au milieu de la division des chapelles politiques et des groupes financiers, à la réforme politique. »

    La ligne du PCE(r)

    Le PCE(r) a une ligne fondamentalement différente de celle du PCE(ml), puisqu’il considère l’Espagne comme capitaliste et a abandonné la thèse comme quoi c’est un satellite américain. Voici son programme :

    « Le programme du Parti pour une étape de transition se résume en seize points :

    1) Formation d’un Gouvernement Provisoire Démocratique Révolutionnaire.
    2) Création de Conseils ouvriers et populaires comme base du nouveau pouvoir.

    3) Dissolution de tous les corps répressifs de la réaction et armement général du peuple.
    4) Libération des prisonniers politique antifascistes et mise en procès de leur tortionnaires et assassins contre-révolutionnaires. Large grâce pour les prisonniers sociaux.

    5) Expropriation et nationalisation des banques des grandes propriétés agricoles, des monopoles industriels et commerciaux et des principaux moyens de communication
    6) Reconnaissance au droit à l’autodétermination des peuples basque, catalan et galicien. Indépendance pour la colonie africaine des Canaries. Retour de Ceuta y Melilla au Maroc.

    7) Suppression de tous les privilèges économiques et politiques de l’Eglise ; séparation radicale de l’Église et de l’école. Liberté de conscience.
    8) Liberté d’expression, d’organisation et de manifestation pour le peuple. Le droit de grève sera une conquête irréversible des travailleurs.

    9) Incorporation de la femme, sur un pied absolue d’égalité avec l’homme, dans la vie économique, politique et sociale.
    10) Reconnaissance de tous les droits électoraux politique, sociaux, etc. des travailleurs immigrés. Suppression de toute forme d’oppression et de discrimination raciale, sexuelle et culturelle.

    11) Réduction de la journée de travail. Travail pour tous. Amélioration des conditions de vie et de travail.
    12) Logements dignes et économiques ; sécurité sociale, santé et enseignement a la charge de l’État.

    13) Droit de la jeunesse à recevoir une formation intégrale et gratuite, droit à un travail sain et bien rétribué, de disposer de locaux et d’autres moyens pour le libre déroulement de ses activités
    14) Sortie immédiate de l’OTAN et de l’UE, ainsi que des autres organisations créées pour l’agression et le pillage impérialiste.

    15) Démantèlement des bases militaires étrangères sur notre territoire et réintégration de Gibraltar.
    16) Application des principes de coexistence pacifiques dans les relations avec tous les pays. Appui de la lutte de libération des peuples opprimés. »

    La première grande offensive des GRAPO

    Le 18 juillet 1976, les GRAPO mènent 60 attaques à l’explosif à l’occasion du soixantième anniversaire du début de la guerre civile. Sont visés des symboles de la victoire franquiste durant la guerre civile.

    Les GRAPO tentent également d’exécuter Agustia Munoz Vazques, un chef militaire ayant négocié l’intégration de l’Espagne dans l’OTAN. Le 7 mai, ils blessent grièvement Emilio Rodriguez Roman, le directeur général de la Direction Générale de la Sécurité après qu’une manifestation ouvrière fut mitraillée par la police.

    En décembre 1976 un commando enlève le président du conseil d’Etat Antonio María de Oriol y Urquijo alors que des attaques à l’explosif sont menées contre les installations de la télévision espagnole.

    En janvier 1977 le président de la Cour Suprême de la justice militaire, le lieutenant-général Emilio Villaescusa Quilis est enlevé, alors que quelques jours avant des manifestants avaient été abattus dans les rues par la police et qu’un commando d’extrême-droite avait mené une opération contre un local de gauche madrilène et tué cinq activistes.

    Les deux enlèvements échouent finalement par une opération de police en février 1977.

    Deux policiers et un garde civil sont tués, trois autres blessés, lors de deux attaques contre les forces fascistes suite à l’exécution de cinq avocats de gauche par une unité paramilitaire supervisée par la Garde Civile. Le 4 juin 1977 deux gardes civils sont également exécutés à Barcelone alors qu’ont lieu les premières élections générales depuis 1936.

    Le 27 septembre 1977, le capitaine de la police Florentino Herquedas est exécuté par les GRAPO à Madrid ; il était un des chefs des équipes fusillant les antifascistes du FRAP et d’ETA le 27 septembre 1975. Les GRAPO s’approprièrent en passant plus de 500 kilos d’explosifs.

    Le 22 mars 1978 le directeur général des prisons Jesús Haddad est exécuté à Madrid; il était notamment responsable de l’assassinat sous la torture d’un prisonnier anarchiste à la prison de Carabanchel, la police essayant de lui arracher des informations sur un plan d’évasion de prisonniers du PCE(r) et des GRAPO.

    Arenas, secrétaire du PCE(r) fut rapidement emprisonné, dès 1976 et jusqu’en 1984, où il retourna dans l’illégalité jusqu’à son arrestation en 2000.

    Le programme en cinq points du PCE(r)

    L’année 1978 est marqué par une grande révolte populaire, avec une vague de grèves inébranlable, notamment au Pays basque, en Andalousie et en Galice. Cela aboutit à la mise en place d’une constitution nouvelle en novembre.

    Dans ce contexte, le PCE(r) fit un programme en cinq points formant la base d’une éventuelle négociation avec le gouvernement. Il était exigé :

    – l’amnistie totale et la suppression des lois répressives ;

    – l’épuration des éléments fascistes des corps répressifs, des tribunaux et des autres institutions étatiques ;

    – l’affirmation sans restrictions des libertés politiques syndicales ;

    – la sortie de l’OTAN et le démantèlement des bases américaines ;

    – la dissolution du parlement et la convocation d’élections libres formant une assemblée constituante.

    Cette démarche est accompagnée d’une multitude d’actions de basse intensité (attaques aux cocktails molotov, formation de barricades, incendies divers, saccage de commerces, etc.). Le 10 janvier 1979, le magistrat du tribunal suprême Cruz Cuenca est même exécuté.

    La seconde offensive des GRAPO

    Le tournant se produit le 20 avril 1979, lorsque le dirigeant du PCE(r) Juan Carlos Delgado de Codes est assassiné lors d’un traquenard de la police, fait même reconnu par la presse espagnole. Le PCE(r) considère alors qu’aucune négociation n’est plus possible.

    Carlos Delgado de Codes

    Le 5 mars 1979, le général Muñoz Vázquez est exécuté en plein Madrid ; le 6 avril c’est le chef de la brigade antiterroriste de la police qui est tué par les GRAPO.

    Le 11 avril 1979, le directeur général des institutions pénitentiaires García Valdés échappe à une action contre lui. Le 25 mai 1979, l’inspecteur de police Damián Seco Fernández est tué lors d’une fusillade. Le 2 septembre 1980, le général de brigade Enrique Briz Armengol est exécuté.

    L’année 1979 est celle où les GRAPO menèrent le plus d’actions.

    Le coup d’arrêt par la répression

    Il faut ici comprendre le contexte meurtrier. Le nombre d’actions meurtrières des GRAPO pour la période 1975-1977 est grosso modo équivalent à celui d’actions du même type menées par l’extrême-droite. Il y a une situation de polarisation violente.

    ETA, l’organisation indépendantiste basque, mène sur ce plan deux fois plus d’actions meurtrières que les GRAPO. Mais la police, durant la même période, tue bien plus d’activistes qu’ETA. A la polarisation s’associe un interventionnisme étatique meurtrier.

    Il va de soi ici qu’ETA dispose d’une base bien plus large que celle des GRAPO. Cela implique que pour mener autant d’initiatives, il faut un très haut degré d’activisme et cela ne va pas sans prix à payer.

    Deux membres des GRAPO périssent en tentant de faire sauter le palais de justice de Séville. En janvier 1977, 40 membres du PCE(r) et des GRAPO sont arrêtés. En octobre 1977, c’est le comité central du PCE(r) qui est arrêté, à Benidorm.

    En juin 1979, un commando para-étatique assassine en France Francisco Javier Martín Eizaguirre, le premier dirigeant du PCE(r), et Aurelio Fernández Cario.

    Javier Martín Eizaguirre

    En 1979, ce sont pas moins de 306 personnes qui sont en prison en raison de leur appartenance au PCE(r) ou aux GRAPO. L’État accuse en particulier 65 prisonniers des GRAPO de 14 assassinats, 30 attentats à l’explosif, 50 attaques à main armée.

    On notera le tour de force des cinq prisonniers des GRAPO (dont des mineurs), qui parviennent à creuser un tunnel pour s’enfuir de la prison de Zamora en décembre 1979.

    La prison de Zamora

    En 1980, il y a 143 arrestations ; en 1981, leur chiffre est de 207.

    Entre 1979 et 1982, pas moins de 12 membres des GRAPO sont tués lors d’affrontements avec la police.

    « Violences terroristes » et « violences de basse intensité »
    « Violences terroristes » et « violences de basse intensité »

    A cela s’ajoute les grèves de la faim, longues et dures. Juan José « Kepa » Crespo Galende meurt le 19 juin 1981 après 94 jours de grève de la faim.

    L’enterrement de Kepa

    Une victoire incroyable fut cependant obtenue ici, puisque dans la prison de Soria, de 1980 à 1989, 80 prisonniers du PCE(r) et des GRAPO furent regroupés.

    La question de la négociation ou de l’affrontement

    Alors que les élections vont se tenir, les GRAPO mènent en octobre 1982 30 attaques à l’explosif dans quinze endroits à travers tout le pays. Ce sont les socialistes du PSOE qui l’emportent, mais le 5 décembre 1982, le dirigeant des GRAPO Juan Martin Luna, sans armes, tombe dans un traquenard de la police à Barcelone et est assassiné.

    Cela pose un grave dilemme au PCE(r), qui a entamé des négociations à la prison de Soria, par l’intermédiaire de ses prisonniers, avec des responsables du ministère de l’intérieur, mais sans résultats.

    Une partie des prisonniers affirme toutefois alors que « la crise révolutionnaire est terminée » et « revendique la raison », abandonnant le mouvement.

    A cette capitulation s’ajoute le triomphe dans les GRAPO de la ligne « Tout pour la guérilla », qui va durer jusqu’en 1985, année marquée par une défaite pratique de cette ligne face à la répression.

    Cette situation ne sera jamais digéré et à partir de là, le PCE(r) ne saura jamais s’il doit aller dans le sens d’une pression pour des négociations, ou au contraire s’il doit aller à l’affrontement. Ce dilemme va être au cœur de toute son existence par la suite, jusqu’à l’effondrement.

    Des prisonniers du PCE(r) et des GRAPO

    Les années 1983-1984

    Dans ce contexte marqué par la tendance à la capitulation, à la négociation ou à la fuite en avant, les GRAPO décident de se renforcer au moyen d’une approche nouvelle. Reprenant la méthode d’ETA appliqué dans un contexte de libération nationale, les GRAPO exigent un impôt révolutionnaire à certains patrons.

    Plus de cent d’entre eux payent cet impôt en 1984. Les GRAPO mènent dans ce cadre quatre attaques afin d’exécuter l’industriel Félix de la Piedad, le directeur de l’agence immobilière Urbis Manuel Ángel de la Quintana, le président du patronat de Séville Rafael Padura.

    70 attaques à l’explosif sont également menés durant la période 1983-1984.

    Hommage à Juan García Rueda

    Considérant le régime comme fasciste, les GRAPO visent également directement le personnel lié à l’armée. En avril 1983, un lieutenant de la police nationale est tué à Valence et un garde civil (l’équivalent d’un gendarme) à La Corogne. Deux policiers sont tués en janvier 1984, et à La Corogne, un haut responsable de la radio national est exécuté.

    Cette ligne focalisée sur l’organisation elle-même – avec 46 actions menées au total pour 1984 – aboutit à un échec total. Le 19 janvier 1985, l’État espagnol démantèle les GRAPO avec 19 arrestations dans neuf provinces, la découverte de 17 appartements, de tout un arsenal ainsi que d’importantes sommes d’argent.

    Des erreurs dans la sécurité avaient permis la mise en place de cette opération de police en simplement 48 heures.

    Des prisonnières du PCE(r) et des GRAPO

    La réorganisation et la fuite en avant

    En septembre 1984, le dirigeant du PCE(r) Arenas propose un document intitulé « Quel chemin allons-nous prendre », posant une rectification de la ligne stratégique. Il venait de sortir de prison où il était depuis 1976. C’est alors le triomphe d’une ligne pragmatique-technique.

    En 1985, les GRAPO ont pratiquement cessé d’exister. sept de leurs membres sont arrêtés lors des « expropriations » dans les banques. Il faudra attendre 1987 pour une reprise avec six actions armées, notamment l’attaque d’un commissariat de Malaga pour se procurer des armes (les trois policiers présents furent simplement ligotés).

    En 1988, « l’impôt révolutionnaire » est de nouveau collecté, un entrepreneur galicien étant tué en mai, un autre à la Corogne en juillet 1988. En octobre une opération récupère 800 cartes d’identité vierges, un policier étant tué. En mars 1989, alors que se réunit à Madrid l’instance internationale TREVI (l’ancêtre d’Europol), les GRAPO tuent deux gardes civils.

    En juillet 1989, 148 millions de pesetas sont récupérées lors d’une attaque de banque dans la province de Castellón. En novembre, un haut gradé militaire est grièvement blessé, le 18 un membre de la police secrète est tué, le 28 deux gardes civils gardant un bâtiment sont tués.

    C’est là une fuite en avant d’autant plus marquante que ces actions d’une grande brutalité, alors que les GRAPO agissent littéralement comme une fin en soi, sont censés épauler une grève de la faim totale des prisonniers commençant en novembre, pour leur regroupement qui avait été aboli par le régime.

    Les grévistes sont alors nourris de force et Jose Manuel Sevillano Martin meurent dans des conditions atroces le 25 mai 1990, après 177 jours de grève de la faim. Entre-temps, l’un des médecins ayant servi la mesure répressive, José Ramón Muñoz Fernández, fut tué à Saragosse en mars. Un autre, José Luis Casado, échappa à trois tentatives des GRAPO.

    Enfin, un colonel de l’armée est tué à Valladolid en juin et en septembre, les GRAPO mènent plusieurs attaques à l’explosif à Madrid (la bourse, la cour suprême, le ministère de l’économie).

    A Tarragon, il y a des dégâts pour une somme se chiffrant par millions dans l’attaque d’installations pétrolières le 8 septembre, alors que deux jours plus tard d’importants dégâts sont causés dans l’attaque des locaux centraux du PSOE à Barcelone.

    Le même mois un millier de permis de conduire vierges sont récupérés à Gijón et les locaux dévastés à l’explosif, puis en novembre deux attaques à l’explosif visent des bâtiments officiels à Barcelone.

    1990 et les signes de la déroute

    Le tournant de 1985 a concrètement totalement modifié la ligne du PCE(r) et des GRAPO, même s’il y avait déjà cela en germe. Avant 1985, le PCE(r) se veut le protagoniste d’un affrontement puisant dans la bataille contre le fascisme et son prolongement. Après 1985, on passe à une ligne marxiste-léniniste pragmatique-technique s’orientant par rapport à une théorie se voulant universelle de l’État moderne comme étant fasciste.

    Pour donner un exemple de ce positionnement ultra, lorsque Francisco Brotons Beneyto « Miguel » sort de prison en 2002 après 25 ans, les médias l’attendent à la sortie, mais sa seule déclaration est alors :

    « Je ne fais pas de déclarations aux médias fascistes. »

    C’est une sorte de ligne semi-anarchiste qui l’emporte, amenant d’ailleurs le PCE(r) à sortir d’une analyse de l’Espagne pour s’aligner sur le courant pragmatique-technique dit « communiste combattant » issu de la ligne de la « seconde position » des Brigades Rouges et qui récusent la « subjectivité ».

    Dans ce cadre, le PCE(r) produit un document de critique de la RAF et des Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant, dénommé « Deux lignes ». Ce document est une référence absolue pour le courant pragmatique-technique se définissant comme « communiste combattant ».

    Une théorisation du rapport entre Parti et guérilla est également réalisée, dans un document écrit par les prisonniers et qu’on peut considérer comme une sorte de grande synthèse de l’activité menée jusque-là : « Parti et guérilla ».

    Il est marquant ici que, comme les révisionnistes et nombre de marxistes-léninistes n’ayant pas saisi ce concept, le PCE(r) voit en les pays capitalistes un capitalisme monopoliste d’Etat. Or, c’est la thèse révisionniste d’Eugen Varga validée par le social-impérialisme soviétique et affirmant qu’on est passé à un prétendu nouveau stade impérialiste.

    Le PCE(r) n’a cependant rien saisi de ses problèmes, car depuis 1985 il ne cesse de souligner la croissance d’un « mouvement populaire de résistance » en Espagne, d’une montée d’une vague révolutionnaire, etc.

    Cet optimisme idéaliste s’associe à une lecture pratiquement délirante de l’URSS et de la Chine. Voici ce qu’on lit dans la presse du PCE(r) en 1991, alors que l’URSS s’effondre (après avoir été social-impérialiste) et que la Chine révisionniste bascule dans le capitalisme à outrance :

    « Pour toutes ces raisons, et comme le confirment l’analyse historique et les événements les plus récents, nous nions que puisse se produire un recul ou un retour au capitalisme dans l’ensemble des pays socialistes.

    Et même dans l’hypothèse où se déroulerait un phénomène de ce type, nous devrions considérer que le socialisme parviendrait à réapparaître avec des forces décuplées. Il faut avoir en tête que le système socialiste est fondamentalement composé de l’URSS et de la RPC [République Populaire de Chine], deux grands pays extrêmement peuplés, de grande superficie, aux énormes capacités économiques, scientifiques, technologiques et militaires.

    Ils sont de plus dotés d’une considérable expérience en matière d’organisation et de direction des affaires publiques. Il est vrai que les révisionnistes et la bourgeoisie ont fait beaucoup de mal aux masses populaires de ces pays, les menant au bourbier dont il est assez difficile de sortir maintenant, mais ils n’ont pas atteint, ni n’atteindront l’objectif d’y rétablir le capitalisme . »

    On est là en plein révisionnisme, pratiquement fou furieux.

    Les années 1990

    Les années 1991 et 1992 sont marquées par plusieurs attaques, comme en février 1991 l’attaque à l’explosif contre un pipeline de l’OTAN de Rota-Zaragoza dans la région de Cordoue, le paralysant pendant six heures, ou en avril 1992 contre l’institut national industriel et le ministère de l’emploi. Il y eut également des expropriations bancaires.

    En juin 1991, l’ancien directeur des prisons Enrique Galavís Reyes échappe à la mort dans la destruction à l’explosif de sa maison ; en octobre, l’inauguration du TAV (l’équivalent du TGV) par le ministre des Travaux publics et des Transports est fortement perturbé par des sabotages effectués par les GRAPO.

    En 1993, l’attaque d’un fourgon blindé de transports de fonds à Saragosse échoue et trois membres des GRAPO sont tués. Sept attaques à l’explosif sont menées à Madrid (locaux du PSOE, association des employeurs, syndicat patronal, Institut national de l’industrie, etc.).

    La question des fonds est encore au centre de plusieurs actions de 1994, avec plusieurs actions en cette direction, alors qu’en janvier deux attaques ont lieu contre un centre des impôts et un bureau pour la recherche d’emploi, dans un contexte de grève générale. En juillet et en décembre deux fourgons blindés de transports de fonds sont dévalisés.

    En 1995, les GRAPO enlevèrent Publio Cordon, un riche entrepreneur à la tête d’assurances ; selon les GRAPO il fut libéré contre une rançon de 400 millions de pesetas, mais il semble qu’en réalité il s’est tué en essayant de s’enfuir.

    Ce positionnement n’a naturellement aucune perspective et en 1997, il est rendu public qu’il existe des discussions depuis un an entre le ministère de l’intérieur espagnol et les prisonniers du PCE(r) et des GRAPO, afin de parvenir à un accord.

    L’échec de celles-ci provoquent un vide stratégique et l’émergence d’une « fraction Octobre » lançant une attaque contre la direction, accusée de basculer dans un déviationnisme de droite et de chercher une porte de sortie n’étant en fait qu’une reddition.

    En 1998, les GRAPO mènent des actions en mars contre trois agences des impôts à Madrid, ainsi qu’une compagnie d’assurances et la radio, ainsi qu’une action à Barcelone en décembre contre l’office de promotion du travail et de l’employeur.

    En avril 1999, les GRAPO font détonner une bombe sur la tombe de Franco dans la basilique de la Vallée des morts.

    Arenas et l’offensive anti-maoïste

    Le problème du PCE(r) était simple. Il avait assumé la guerre populaire prolongée, ajoutant somme toute la dimension « prolongée » au concept développé par le PCE(ml). Mais il n’avait jamais eu l’envergure du PCE(ml) et sa démarche est initialement purement technique, les GRAPO sortant de l’appareil de sécurité du PCE(r).

    Le niveau idéologique PCE(r) était bloqué au niveau de l’OMLE et pour donner un exemple, lorsque Gonzalo se fait arrêter au Pérou en 1992, le PCE(r) publie un article « Le maoïsme et la caricature du marxisme ».

    Cette matrice bloquait tout et Arenas, le dirigeant du PCE(r), est très clair encore à la fin des années 1990 : on ne change rien. Il écrit pour ce faire plusieurs articles, qui allaient en réalité non pas faire de lui un grand théoricien, mais coincer définitivement le PCE(r) entre marxisme-léninisme et marxisme-léninisme-maoïsme, et ainsi le condamner à se faire broyer.

    Ces longs articles, tous parus dans la revue théorique du PCE(r), Antorcha, sont :

    Ligne de masses et théorie marxiste de la connaissance (janvier 1998) ;

    L’universel et le particulier (janvier 1999) ;

    Le problème de l’identité (juin 1999).

    Le premier article conclut ainsi par la question :

    « Le maoïsme est-il le marxisme-léninisme de notre époque ? »

    Arenas s’y évertue à jongler entre le hoxhaisme (le « maoïsme » est un practicisme, un économisme, un basisme, etc.) et une certaine reconnaissance de Mao Zedong.

    Le second texte est bien plus ambitieux puisqu’il vise à critiquer la conception « philosophique » de Mao Zedong – Arenas reprend en fait entièrement la thèse hoxhaiste comme quoi Mao Zedong se trompe en disant qu’il y a une contradiction principale et des contradictions secondaires, mais sans jamais le dire. Il réduit Mao Zedong à un empiriste tendanciellement tourné vers la bourgeoisie,exactement comme Hoxha l’a fait.

    Une note ajoutée à la fin de l’article le résume à un empiriste :

    « Toute la conception de Mao tourne autour de cette vision unilatérale de la contradiction qui découle toujours de la réalité immédiate et a perdu de vue d’autres facteurs de développement importants. C’est pourquoi il convient de noter que, si la loi de la contradiction est la plus importante de la dialectique, elle ne peut toutefois pas être réduite à cette loi. »

    Le dernier moment est une dénonciation de Mao Zedong pour avoir souligné qu’il y avait unité des contraires, Arenas reprenant les arguments hoxhaistes comme quoi il n’y aurait que lutte, que parler d’unité c’était accepter la collusion avec la bourgeoisie, etc.

    La déroute de 2000

    En mai 2000, les GRAPO échouent dans l’attaque d’un fourgon blindé à Vigo ; les convoyeurs ouvrent le feu et deux d’entre eux sont tués. En septembre, la police désamorce une bombe des GRAPO à un siège d’intérim ; le lendemain un colis piégé est déposé au quotidien El Mundo à Barcelone par trois personnes cagoulées, faisant plusieurs blessés dans les rangs de la police.

    Resistencia,
    le magazine du PCE(r)

    Puis vient la déroute complète, scellant le sort des GRAPO. En novembre 2000, la police française interpelle à Paris et en banlieue parisienne, à Boulogne-Billancourt, Montrouge (Hauts-de-Seine) et Cachan (Val-de-Marne), le noyau dur du PCE(r) : Manuel Pérez Martínez dit Arenas, Isabel Llaquet Baldellou, José Luis Elipe López, José Antonio Peña Quesada, Maria Rosario Llobregat Moreno. Deux membres des GRAPO sont arrêtés : Fernando Silva Sande et Maria Victoria Gómez Méndez.

    Les GRAPO répondent huit jours plus tard en tuant un policier. En novembre 2001, un fourgon blindé de transports de fonds est dévalisé à Santander. Mais en juillet 2002, huit membres des GRAPO sont arrêtés à Paris et six à Madrid.

    Quelques actions sont menées, mais de manière espacée. En avril 2003 une banque est attaquée à Leganés ; en février 2006 la tentative d’enlèvement d’une entrepreneuse dans le travail temporaire échoue, celle-ci étant tuée. L’attaque d’une banque un mois plus tard à Castellón échoue également.

    Trois membres des GRAPO sont alors arrêtés en juin. Le mois d’après, les GRAPO attaquent une banque à Saint-Jacques de Compostelle. C’est alors la fin de l’organisation et le PCE(r) semble anéanti également comme structure organisée.

    En 2008, six personnes agissant dans la légalité sont arrêtées et accusées de servir de structure au service des GRAPO.

    Au total, 6 membres du PCE(r) sont morts tués par la police, sous la torture ou lors de grèves de la faim. 16 membres des GRAPO sont morts tués par la police, sauf un à la suite d’une grève de la faim, un sous la torture, un officiellement par suicide au bout de trois ans d’isolement carcéral total, un par absence de soins en prison. Cinq membres des GRAPO sont morts lors d’actions.

    Environ 3500 personnes ont été arrêtées en liaison avec le PCE(r) et les GRAPO, plus de 1400 ont été emprisonnées. Autant ont été maltraitées voire torturées.

    =>Retour au dossier PCE (ml) et FRAP, PCE (r) et GRAPO

  • Gauche Prolétarienne De la lutte violente de partisans

    [Mars 1970.]

    INTRODUCTION

    Les très violentes attaques de l’ennemi contre nous, qui se développent rapidement, et systématiquement, témoignent clairement d’un tournant dans l’histoire de la Gauche Prolétarienne.

    Comment en sommes-nous arrivés là ?

    Au fond, la lutte très sévère que nous avons menée contre les liquidateurs du mouvement de masse, de l’espoir né en mai 68 (an I de la nouvelle résistance populaire), cette lutte-là, qui nous a formés et forgés, commence depuis la rentrée prolétarienne de 69 à donner ses fruits.

    Un « nouveau sentiment » se répand dans le peuple : celui de la lutte directe contre les oppresseurs ; une pratique nouvelle des masses s’impose : la lutte populaire, violente, de partisans.

    Que l’on se souvienne des premiers temps : nous étions encerclés, déjà, calomniés, déjà, nous étions une petite poignée. Nous avons grandi, parce que nous nous sommes battus, parce que nous avons eu confiance dans l’intelligence du prolétariat, parce que nous avons fermement adhéré à la grande vérité de notre temps : le pouvoir est au bout du fusil.

    Et aujourd’hui, nous sommes plus forts et nous voyons plus clair.

    Nous n’hésitons plus à nous jeter dans le monde où l’on souffre et où se battre est une nécessité, où l’on se bat pour que naisse une paix juste, la paix dans la liberté pour l’immense majorité, pour le peuple ; c’est là le premier fruit de la politique dégagée en octobre.

    Et nous sommes mieux organisés : notre journal, le journal des ouvriers en colère est plus acéré, son caractère prolétarien s’est affirmé et sa diffusion dans les masses est engagée. Un recul net des positions non prolétariennes dans le domaine du style de pensée, de langage, de travail et de vie est incontestable.

    Ce sont là d’autres succès d’octobre. Il y a donc eu des victoires au cours du mouvement de réforme commencé en octobre.

    Notre présence dans les masses en est renforcée, le soutien populaire est plus grand et dans certaines grandes usines le sol commence à trembler sous les pieds des patrons et de la police syndicale. En un mot les premiers francs-tireurs prolétariens de la guerre de classe commencent à frapper.

    Voilà pourquoi l’ennemi a commencé à nous attaquer avec une extrême violence.

    Comme l’enseigne notre grand guide : 

    « Si l’ennemi nous attaque avec violence, nous peignant sous les couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons, c’est encore mieux, car cela prouve non seulement que nous avons établi une ligne de démarcation nette entre l’ennemi et nous mais encore que nous avons remporté des succès remarquables dans notre travail. »

    Les complots et les attaques de nos ennemis visant à semer la dissension entre les masses et nous sont nombreux, variés et se développent rapidement : le silence sur les grandes actions de partisans dans les mines ou au métro ; la provocation comme cela se dessine à Dunkerque, à Bezons ou bien à Strasbourg ; les arrestations qui visent non seulement à nous intimider et à renforcer dans nos rangs les idéologies liquidatrices mais qui maintenant visent à nous mettre « hors d’état de nuire » aux intérêts des exploiteurs ; l’asphyxie financière par les attaques contre notre journal et les amendes.

    Voilà des exemples-types de la campagne de l’ennemi visant à l’encerclement et l’anéantissement de la gauche et plus encore de ce qu’elle représente : l’avenir de la nouvelle résistance.

    Mais surtout ce qu’il faut retenir, c’est le mensonge abject, les ignominies des social-fascistes en particulier.

    Le mensonge c’est ce par quoi ils essaient de nous isoler ; le plus important pour nos ennemis c’est de nous dépeindre sous les couleurs les plus sombres.

    Le plus important pour eux c’est de salir l’image de la nouvelle résistance naissante, d’inverser le blanc et le noir, de faire des constructeurs de la lumière des voyous, une pègre destructrice, des « asociaux ».

    Le Président nous enseigne « la vérité a la couleur d’un drapeau net ». Nous voulons aux yeux des masses garantir la couleur de notre drapeau ; voilà pourquoi nous disons « la vérité vaincra ».

    Et cela doit signifier dans la vie un travail politique dans les masses sans précédent pour nous.

    Allons plus loin, voyons clairement comment nous allons briser net la première campagne d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi.

    Regardons les choses en face sans maquiller la réalité : si l’ennemi peut encore nous dépeindre comme des « marginaux » c’est que nous n’avons pas encore construit correctement à l’échelle nationale des régions de partisans dont l’arrière soit de solides bases d’appui d’usine.

    Quand se généraliseront les combats des francs-tireurs prolétariens de la guerre de classe, alors on nous traitera certainement de terroristes, de bandits comme les réactionnaires traitaient les partisans chinois, mais on ne pourra plus nier que nous créons un climat d’insécurité généralisée pour l’ordre patronal dans les usines et les régions-usines.

    On ne dira pas de nous « ce sont des marginaux », « des asociaux ». Il ne faut pas tactiquement sous-estimer l’ennemi.

    Tant que la lutte violente de partisans n’aura pas pour base d’appui le prolétariat d’usine, le mensonge « ce sont des asociaux » risque de tromper certains éléments du peuple.

    Voilà pourquoi nous disons : pour briser l’actuelle campagne d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi il faut répondre par l’application énergique de notre mot d’ordre central :

    « DANS LES RÉGIONS-USINES OU LES MASSES SONT POUR NOUS COMME LA FORET ET LA JUNGLE QUI NOUS CACHENT IL FAUT MENER LE TRAVAIL DE PROPAGANDE POLITIQUE TOUT EN POURSUIVANT LA GUÉRILLA. »

    Adhérer fermement à ce mot d’ordre, c’est bien sûr non seulement briser l’attaque de l’ennemi, mais faire un bond en avant dans notre liaison avec les masses fondamentales.
    Briser l’attaque de l’ennemi et renforcer notre liaison avec les masses c’est une seule et même chose.

    Et de fait le plan stratégique de réajustement exposé dans le rapport suivant ouvre une nouvelle période de la réforme.

    La première, on l’a vu, a été marquée par un certain nombre de succès mais nous n’avons pas encore remporté de victoire décisive de la réforme, dans la construction du Parti prolétarien.

    Il n’y aura d’afflux de sang neuf prolétarien, d’afflux de masse qu’en traduisant dans la vie nettement la stratégie d’édification des bases d’appui d’usine.

    En d’autres termes : la décision stratégique de se concentrer dans les régions-usines afin d’y mener la lutte populaire, violente, de partisans, cette décision est capitale pour la fondation du Parti.

    Pour appliquer cette décision il faut une idéologie au moins aussi ferme que celle que nous avions quand nous avons créé la Gauche dans les pires conditions.

    Et nous comptons pratiquement sur les pionniers de la lutte, ceux qui n’ont jamais accepté dans les faits la liquidation, jamais c’est-à-dire à aucune des étapes que nous avons traversées, nous comptons sur ces militants et ces cadres pour diriger cette longue marche dans les régions-usines.

    Nous comptons principalement sur les militants ouvriers qui ont permis que la Gauche arrive à ce tournant de notre histoire.

    A eux incombe la tâche de poser dès demain les pierres de la fondation du Parti qui, enraciné dans les régions-usines, unifiera le peuple dans la lutte de partisans. Lénine disait : la révolution n’est pas droite comme la perspective Nevski, une sorte de Champs-Elysées russe.

    Il y a de très nombreux détours, de nombreuses vicissitudes dans le cours de la lutte ; pour vaincre, il faut éliminer la mentalité défaitiste qui s’affole dès que tout ne marche pas comme on aimerait.

    « ELIMINONS LA MENTALITE DEFAITISTE »

    Si nous appliquons avec justesse notre politique, l’attaque de l’ennemi sera brisé et l’espoir dans le peuple portera un nom :

    NOUVELLE RÉSISTANCE

    Rapport d’orientation

    I. – POUR PRENDRE LE POUVOIR, NOTRE PEUPLE DEVRA MENER UNE LUTTE ARMÉE PROLONGÉE

    Toutes les classes luttent pour le pouvoir, parce que sans le pouvoir on a rien, avec le pouvoir on a tout. Il faut que les patrons aient le pouvoir pour continuer à faire du profit ; il faut que le peuple ait le pouvoir pour avoir la liberté et le bonheur.

    Or le Président Mao nous enseigne que « le pouvoir est au bout du fusil ».

    Ce qui veut dire que c’est par les armes, par la guerre qu’une classe conserve ou prend le pouvoir. C’est parce qu’aujourd’hui ils ont les armes que les patrons ont le pouvoir.

    Et c’est en faisant la guerre ouverte au peuple qu’ils chercheront désespérément à le conserver lorsque leur pouvoir sera menacé de mort.

    De même c’est parce que aujourd’hui le peuple est désarmé qu’il est maintenu dans l’oppression, et c’est en prenant les armes et en faisant la guerre aux patrons qu’il prendra le pouvoir.

    Donc toutes les forces de classe, qu’elles l’avouent ou non, répondent à leur manière à cette question « qui aura le pouvoir demain ? Qui aura les armes demain ?»

    La bourgeoisie y répond sans se dissimuler aujourd’hui comme demain, elle veut conserver le pouvoir. Elle le conservera en menant s’il le faut la guerre contre le peuple, c’est pour cela qu’elle fait occuper les villes par ses flics ; c’est pour cela qu’elle prépare son armée à la guerre civile.

    Les révisionnistes et la police syndicale répondent aussi à cette question. Ils y répondent à leur manière ; celle d’un flic en civil, avec l’apparence d’être du côté du peuple ; ils sont en réalité du côté de ses ennemis. En apparence, en paroles, ils veulent que le peuple demain ait le pouvoir. Mais en réalité, ils veulent que lès patrons le conservent.

    Et pour cela ils ne préparent pas le peuple à la guerre, ils voudraient l’obliger à rester dans la paix, c’est-à-dire en fait dans l’obéissance à la loi et aux armes des patrons.
    Et quand le peuple, de lui-même, choisit de préparer la guerre, frappe directement ses ennemis, brise la loi du patron, ils sont les premiers à intervenir pour essayer de rétablir l’ordre.

    Nous autres maoïstes, nous sommes la troisième force politique organisée qui réponde à cette question : « qui demain aura le pouvoir ? Qui demain aura les armes ? »

    Nous disons la troisième force politique, parce que nous ne comptons pas tous les bourgeois qui disent la même chose sous des formes différentes ; tous les groupuscules parasites qui disent, au fond, la même chose que les flics en civil du P.C.F. et des syndicats.

    Nous voulons que demain, le peuple ait le pouvoir, et nous savons qu’il ne l’arrachera que par la lutte armée prolongée ; le concept stratégique qui guide notre travail c’est donc « se préparer, préparer le peuple en prévision d’une guerre » ; la lutte politique que nous menons aujourd’hui doit préparer la lutte politique armée que nous mènerons demain.

    Particulièrement dans les usines qui doivent être le lieu principal de notre travail politique, elle doit briser l’idéologie pacifiste légaliste, idéologie de soumission entretenue par les syndicats.

    II – LA LUTTE VIOLENTE DE PARTISANS, PRÉPARATION A LA GUERRE PROLONGÉE

    La lutte politique qui nous prépare à la lutte armée, c’est la lutte violente de partisans. Pourquoi ?

    A) La lutte violente de partisans crée les conditions politiques de la lutte armée.

    La définition la plus générale de la lutte violente de partisans, c’est la suivante : elle fait respecter sur le terrain la loi des pauvres contre la loi des exploiteurs.

    La loi et le droit des pauvres, tous les pseudo-révolutionnaires s’en réclament ; mais les partisans l’imposent sur le terrain, c’est-à-dire, nécessairement contre la loi des exploiteurs, et contre ses gardiens.

    C’est pourquoi la lutte des partisans n’est pas seulement un vague appel à la lutte armée prolongée, mais une préfiguration, un premier pas dans la lutte du pouvoir rouge contre le pouvoir blanc.

    Quand on incendie la moto du patron ou les grands bureaux des mines, quand on sabote une grue en représaille contre l’assassinat des ouvriers, c’est peu de chose en comparaison de la guerre véritable, celle que nous mènerons quand tout le peuple sera soulevé et armé, mais c’est quand même la guerre de classe qui commence : avec la lutte violente de partisans, c’est l’état de guerre qui est instauré entre le peuple et ses oppresseurs, c’est la paix sociale qui est brisée, puisque patrons et flics savent qu’ils n’ont pas à craindre des pétitions ou des protestations, mais qu’ils ont à craindre pour eux-mêmes, pour leurs biens, pour leur matériel.

    Or qu’est-ce qu’apporte l’état de guerre ?

    Il est la condition pour édifier les trois armes de notre révolution : le parti révolutionnaire prolétarien, l’armée populaire, l’unité de toutes les couches du peuple autour du prolétariat.

    a) L’expérience historique, surtout depuis mai, nous a appris que l’état de paix, c’est-à-dire la pression pacifique sur le patron, c’est le terrain des syndicats et des révisionnistes ; par contre, l’état de guerre, c’est-à-dire la lutte directe illégale, contre les patrons et leurs valets, c’est le terrain sur lequel se développe la force prolétarienne autonome par rapport aux syndicats et aux révisionnistes, la force prolétarienne révolutionnaire.

    Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi : la loi est faite pour maintenir l’exploitation et l’oppression ; donc les ouvriers qui se révoltent contre l’exploitation et l’oppression agissent nécessairement contre la loi des patrons, tandis que les révisionnistes qui veulent maintenir l’esclavage tentent par tous les moyens de contenir la colère des masses dans les cadres légaux.

    La loi est celle du patron, donc connue par lui; c’est comme si on voulait attaquer une position ennemie : il y a quelques voies d’accès connues de l’ennemi et contrôlées par lui; les traîtres essayent d’entraîner les combattants à attaquer par là ; si on les écoute, c’est la défaite.

    Mais les partisans, eux, attaquent ailleurs, là où on ne les attend pas, par surprise.

    Pour nous, c’est pareil : si on attaque le patron là où il s’y attend, dans les cadres prévus par la loi, c’est nous qui sommes surpris et anéantis, nous devons donc attaquer là où il ne s’y attend pas, en dehors de la loi, par surprise.

    Les bris des cadences, les représailles directes contre les despotes, petits et grands, la séquestration, l’expropriation et la distribution au peuple des biens que le patron lui vole, le sabotage, les manifestations violentes, toutes ces formes de la révolte ouvrière et populaire sont des formes illégales, des formes de guerre, des actions de partisans.

    Ce sont elles qui permettent aux ouvriers révolutionnaires de se regrouper, de développer leur initiative, d’agir.

    Ce sont elles qui permettent de construire le parti des ouvriers révolutionnaires, le parti communiste révolutionnaire prolétarien.

    Ainsi la lutte violente de partisans et le processus de construction du parti, sont deux processus étroitement liés.

    b) La première arme politique pour mener la lutte armée prolongée, c’est le parti.

    La deuxième c’est l’armée populaire.

    Comment la lutte violente de partisans prépare-t-elle la construction de l’armée populaire?

    La revue indienne « Liberation » dans le rapport sur la lutte armée paysanne dit la chose suivante : (les paysans)

    « ont lancé le mot d’ordre coup pour coup dans une lutte directe contre les propriétaires fonciers et les usuriers.

    Leur lutte leur ont permis de comprendre qu’ils doivent opposer la lutte armée à la contre-révolution armée ».

    Le rapport ajoute les précisions suivantes : l’éducation de masse sur la question de la lutte armée, qui est la condition pour la création de l’armée populaire, s’est faite progressivement par étapes : il y a d’abord eu « la lutte héroïque de la paysannerie de Naxalbari » qui a développé dans les masses un nouveau sentiment celui de lutter pour la prise du pouvoir ».

    Puis sous la direction du parti, les paysans de Gangapur ont en avril 1968 pris les armes et ont moissonné en plein jour les champs des propriétaires fonciers et chassé ceux-ci ainsi que tous leurs hommes de main.

    Cet acte a suscité parmi la paysannerie de toute la région de Mushahari un immense enthousiasme.

    Les paysans sous la direction du parti ont encore mené d’autres actions de partisans, par exemple l’attaque des bandes armées du propriétaire foncier le plus haï de toute la région et l’enlèvement, en armes, de la récolte de plusieurs propriétaires locaux.

    C’est au cours de ces actions de partisans que la masse des paysans s’est convaincue de la nécessité de prendre les armes : l’alternative était ou la guérilla armée ou la capitulation (Pékin Informations, n° 5, 1970).

    Eh bien pour nous aussi, c’est dans la lutte coup pour coup, dans la lutte directe que notre peuple s’instruira de la nécessité de la lutte armée contre la contre-révolution armée.

    C’est au cours de cette lutte directe contre les patrons et leurs bandes armées, que nous appelons lutte violente de partisans, que le peuple assimilera profondément qu’il n’y a que deux voies, la capitulation ou la lutte armée prolongée.

    Ainsi la lutte violente de partisans crée les conditions politiques de l’armement du peuple, c’est-à-dire de l’armée populaire.

    c) Reste la troisième arme, l’union de toutes les couches du peuple autour du prolétariat.

    Qu’est-ce que l’ensemble du peuple attend du prolétariat ? Qu’il lui montre la voie de la libération.

    Or le peuple n’attend plus rien de la paix, de la collaboration avec ses oppresseurs.

    Les grèves façon C.G.T., cela n’unit pas le peuple autour des ouvriers, au contraire. Contre les patrons, le peuple veut la guerre ; c’est quand les ouvriers sont capables par une lutte directe, de faire reculer les patrons et les flics, que le peuple s’unit autour d’eux : c’est quand ils représentent l’espoir.

    En Belgique, toutes les couches populaires se sont unies autour des mineurs du Limbourg parce qu’ils ont fait trembler les patrons, parce qu’ils ont repoussé par la violence les flics, parce qu’ils ont incendié leurs cars.

    En France, toutes les actions de partisans que nous avons menées ont rencontré l’approbation, le soutien actif des masses populaires, comme à Saint-Lazare, parce qu’elles montrent la voie de la libération, non celle de la survie dans l’esclavage.

    C’est la lutte violente de partisans qui unira le peuple autour du prolétariat, parce que c’est elle qui donne l’espoir et la certitude de triompher un jour.

    Nous avons vu que la lutte violente de partisans permettait de forger les trois armes politiques pour la guerre populaire prolongée.

    Comment permet-elle de réunir les conditions idéologiques de la préparation à la guerre prolongée ?

    B) La lutte violente de partisans crée les conditions idéologiques pour la lutte armée prolongée.

    Le président Mao nous enseigne que «une guerre révolutionnaire agit comme une sorte de contrepoison, non seulement contre l’ennemi, dont elle brisera la ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs qu’elle débarrassera de tout ce qu’ils ont de malsain ».

    Cela est vrai aussi pour la lutte violente de partisans.

    C’est dans l’élément de la guerre que peut être menée de façon conséquente et victorieuse la lutte idéologique contre le défaitisme, le pacifisme, la liquidation ; c’est dans l’élément de la guerre que se trempe et s’éprouve l’esprit de servir le peuple.

    Seuls en sont vraiment animés ceux qui sont prêts à tout lui sacrifier, à ne craindre ni les épreuves, ni un jour « les tortures et la mort » ; aujourd’hui seuls font réellement la preuve de leur attachement aux intérêts du peuple ceux qui sont déterminés à se battre pour lui contre les flics ou les milices fascistes du P.C.F., comme à Argenteuil ou à Aubervilliers, ceux qui risquent à tout le moins leur liberté dans des actions de partisans, et non ceux qui limitent le travail politique à la rédaction d’articles, de tracts et de proclamations creuses.

    C) La lutte violente de partisans crée les conditions militaires pour le passage à la lutte armée prolongée.

    Pour apprendre à faire la guerre, il faut faire la guerre ; pour apprendre les lois de la guerre de partisans, il faut mener la lutte violente de partisans ; ce n’est pas la guerre proprement dite, la lutte armée mais c’est tout de même la lutte violente, illégale, contre un ennemi militairement plus fort que nous.

    Elle nous oblige donc à poser les problèmes de la lutte dans des termes militaires, ceux de la stratégie mais aussi ceux de la tactique de la guerre de partisans.

    Poser les problèmes en termes de stratégie, c’est par exemple envisager la construction de nos organisations en distinguant des bases d’appui et des régions de partisans : on a besoin de bases d’appui, c’est-à-dire d’arrières pour les partisans, parce qu’on mène la lutte violente de partisans.

    Si par exemple on voulait construire un syndicat, on n’aurait aucun besoin de bases d’appui.

    Poser les problèmes en termes de tactique, c’est par exemple envisager une action de partisans du point de vue des forces militaires en présence : transformer la supériorité militaire de l’ennemi en infériorité en attaquant son point faible, en utilisant la surprise, en concentrant des forces supérieures, en pratiquant des manœuvres de diversion, etc.

    Tous ces problèmes doivent être envisagés pour mener la lutte violente de partisans ; ils sont l’apprentissage dans la vie de la guerre de partisans.

    Cet apprentissage est loin d’être inutile quand on voit par exemple l’incroyable dénuement dans lequel se trouvèrent les premiers résistants au début de la lutte armée, anciens de la guerre d’Espagne mis à part.

    Pour eux les problèmes de la guerre étaient vraiment quelque chose de radicalement nouveau.

    Ainsi un groupe qui doit descendre un officier nazi à la Gare de Lyon n’a pas prévu de repli ; un groupe qui va attaquer un dépôt de matériel n’a pas prévu de bloquer l’issue et manque de se retrouver enfermé dans l’usine.

    La lutte violente de partisans, c’est l’apprentissage de la stratégie et de la tactique de la guerre de partisans.

    III. – AVEC QUI ET OU MENER LA GUERRE DE PARTISANS ?

    « Les grandes forces de la guerre, indique le Président Mao, ont leurs sources profondes dans les masses populaires ».

    La lutte violente de partisans pour préparer la guerre prolongée, doit rassembler les grandes forces de la guerre, c’est-à-dire mobiliser et organiser les masses populaires autour du prolétariat ; c’est un point que nous avons évoqué mais qu’il faut maintenant voir plus en détail.

    Pour mener la guerre prolongée, le prolétariat doit unifier autour de lui toutes les couches du peuple ; si cette condition n’est pas remplie, les soulèvements qui doivent être les premières salves de la lutte armée seront encerclés et anéantis par l’ennemi ; ils seront si l’on veut de nouvelles communes : c’est-à-dire des soulèvements armés du prolétariat, isolés du reste du peuple donc, nécessairement sans issue, écrasés.

    Cette question est donc une question stratégique de la première importance : c’est celle de savoir qui sera encerclé et en fin de compte anéanti ; si tout le peuple est mobilisé et organisé autour du prolétariat, l’ennemi sera comme «le buffle sauvage devant le mur de feu» et sa supériorité militaire ne lui servira qu’à faire durer la guerre : il sera en fin de compte anéanti, au terme d’une guerre prolongée.

    Si au contraire le prolétariat est seul c’est lui qui sera encerclé, et alors la supériorité militaire de l’ennemi fera qu’il sera anéanti au terme d’une campagne de courte durée.

    Pour aller à l’essentiel il y a deux erreurs stratégiques à éviter à tout prix : la première consisterait à ne mener que des combats sans arrières, c’est-à-dire des combats populaires sans bases d’appui prolétariennes qui forment l’arrière des partisans et le centre de l’unité du peuple ; alors l’ennemi ne serait pas encerclé puisque pour l’encercler il faut les masses mobilisées et organisées par le prolétariat.

    La deuxième serait la conception ossifiée, d’abord on organise le prolétariat, ensuite le peuple : d’abord on construit et on consolide les bases d’usines, ensuite on verra à unir autour de ces bases les paysans, les commerçants, les étudiants, etc. La caractéristique commune de ces erreurs c’est qu’elles n’envisagent pas l’avenir d’un point de vue militaire, celui des soulèvements débutant la guerre prolongée.

    La réponse c’est une stratégie correcte d’édification et de développement des bases d’appui et des régions de partisans.

    Qu’est-ce qu’une base d’appui dans la guerre de partisans ?

    Reportons-nous à « problèmes stratégiques de la guerre de partisans ».

    « En quoi consistent les bases d’appui de la guerre de partisans ?

    Ce sont des bases stratégiques sur lesquelles les détachements de partisans s’appuient pour accomplir leurs tâches stratégiques et atteindre leur but : conserver et accroître leurs forces, détruire et chasser celles de l’ennemi.

    Sans ces bases, nous ne pourrions nous appuyer sur rien pour accomplir toutes les tâches stratégiques et atteindre les buts de la guerre…

    Ces bases d’appui sont justement les arrières de partisans » (Problèmes stratégiques de la guerre de partisans).

    Voilà la définition scientifique des bases d’appui dans la guerre de partisans.

    Maintenant quelle est la différence avec les régions de partisans ?

    Dans la guerre de partisans faite à l’arrière de l’ennemi, les régions de partisans se distinguent des bases d’appui.

    Les territoires qui sont encerclés par l’ennemi mais qui ne sont pas occupés par lui ou qui ont déjà été libérés… constituent déjà des bases d’appui toutes prêtes…

    Cependant en d’autres endroits proches de ces bases, la situation est différente… Ces régions appartiennent aux détachements de partisans, dès qu’ils arrivent, et se retrouvent au pouvoir du gouvernement fantoche quand ils s’en vont ; elles ne sont pas encore des bases de partisans, mais seulement ce qu’on appelle des régions de partisans (Problème stratégiques de la Guerre de partisans).

    Maintenant qu’est-ce qu’une base d’appui dans la lutte violente de partisans.

    Quelle est pour nous la signification de ces concepts : base d’appui, région de partisans ?

    Il est évident qu’ils n’ont pas exactement le même sens que dans l’étape de la guerre de partisans, pour la bonne raison qu’il y a entre cette étape et celle où nous sommes la différence des armes : dans la lutte non armée on ne libère pas une région.

    Nos bases d’appui dans la lutte violente de partisans ne seront pas des régions libérées.

    On retiendra donc seulement de base d’appui le sens suivant : « ce sont les bases stratégiques sur lesquelles les détachements de partisans s’appuient pour accomplir leurs tâches stratégiques et atteindre leurs buts, ces bases d’appui sont les arrières des partisans ».

    Or quelles sont nos tâches stratégiques ?

    Unifier le peuple autour du prolétariat dans la lutte violente de partisans, construire le Parti qui dirigera la guerre prolongée ; c’est par rapport à ces tâches stratégiques que nos bases d’appui doivent constituer des arrières.

    Il faut donc donner à « base d’appui » la signification suivante : « c’est un arrière pour la lutte de partisans, c’est-à-dire que c’est une base d’où partent les partisans et où ils sont protégés ; c’est un arrière pour l’unité du peuple, c’est-à-dire qu’elle constitue le cœur dur, prolétarien de l’unité populaire : c’est autour des groupes de partisans ouvriers d’une base d’appui d’usine que se forment des groupes populaires, ouvriers, paysans, commerçants, étudiants.

    Voilà donc la définition d’une base d’appui dans la lutte violente de partisans : c’est une base sur laquelle on peut s’appuyer pour unir le peuple autour du prolétariat dans la lutte de partisans ; c’est-à-dire que c’est une base où on construit des organisations stables pour mener la guérilla et unifier le peuple.

    Ainsi on voit tout de suite qu’une gare comme St-Lazare ou un super-marché ou un marché populaire, même si les partisans y interviennent régulièrement et sont dans les masses comme des poissons dans l’eau, ne sont en aucune manière des bases d’appui.

    Une fac, un lycée, ne peuvent constituer que des bases d’appui provisoires dans la mesure où ils peuvent être bien pour un temps un arrière pour la guérilla, mais non un arrière pour l’unité populaire pour la bonne raison qu’on unifie pas le peuple autour des étudiants.

    C’est pourquoi notre politique vis-à-vis des facs est et sera de constituer des bases d’appui provisoires, en amenant les étudiants révolutionnaires par des interventions répétées sur les luttes populaires, à mener de pair la guérilla contre les ennemis du peuple, flics et révisos, et la propagande politique dans les masses.

    Mais de telles bases d’appui provisoires devront servir à la construction de véritables bases d’appui et cela en envoyant la majorité des forces s’établir massivement sur des concentrations ouvrières et populaires.

    Les bases d’appui pour la lutte violente de partisans, ce sont essentiellement les usines, les bases d’appui d’usines.

    Ce sont les usines qui peuvent constituer les arrières politiques et militaires pour la lutte violente de partisans ; arrières militaires, cela veut dire que les organisations prolétariennes autonomes qui se développent dans les usines sont nécessairement des organisations de partisans, pour les raisons que nous avons vues et que ces organisations doivent constituer à la fois la base de départ et la protection de masses pour les combats de partisans : arrières politiques, cela veut dire que les groupes d’usines forment le noyau fondamental autour duquel s’unifie le peuple, qu’ils ont pour tâche stratégique de regrouper autour d’eux les groupes populaires de partisans.

    Maintenant si l’usine constitue l’arrière, la base d’appui pour les tâches politico-militaires des partisans, il faut examiner ce qu’on entend par régions de partisans ; c’est-à-dire quelles sont les régions pour lesquelles l’usine est l’arrière ?

    Les régions de partisans ce sont les régions qui sont en quelque sorte organisées autour de l’usine : les villes usines comme Sochaux autour de Peugeot ou région usine comme le périmètre Mantes – Ecquevilly-Les Mureaux autour de Renault-Flins.

    Dans ces régions, les partisans à partir de l’arrière que constitue l’usine, mènent la lutte violente de partisans pour unifier le peuple, pour constituer autour d’eux des groupes populaires de partisans ; ces groupes s’édifient en se battant sur des fronts variés : logement, loisirs, transports, luttes contre la vie chère…

    Il est important de persuader que ces fronts ne peuvent être occupés durablement qu’en s’appuyant sur un arrière d’usine : la base d’appui est au sens strict un arrière politico-militaire pour la lutte violente de partisans.

    Deuxième remarque pour éviter-le mécanisme dans la théorie de l’édification de bases d’appui, il faut tenir compte de l’inégalité du développement de la révolution idéologique dans les masses.

    Notre tâche centrale à l’échelle nationale c’est d’organiser la résistance du peuple dans les bases d’appui et dans les régions de partisans qui les entourent, c’est donc d’édifier, de construire des bases d’appui et d’unifier autour les régions de partisans.

    Cette tâche s’impose à nous parce que la révolution idéologique, c’est-à-dire l’esprit de résistance s’est considérablement développé dans les masses après mai d’abord, après les actions de partisans menées par les masses seules ou avec les maoïstes.

    Mais cette fonction de foyer pour la révolution idéologique qu’ont eues certaines batailles de partisans n’est plus du jour au lendemain inutile puisque la révolution idéologique n’a pas encore gagné les 90 % du peuple, d’autant qu’elle est inégalement développée : dans certaines régions par exemple celles où mai n’est pour ainsi dire pas passé et où ensuite il n’y a pas eu de combats de partisans, il est très important d’allumer de tels brasiers.

    Un exemple : la bataille sur le bidonville et le marché d’Argenteuil qui n’était pas l’édification d’une base d’appui, puisqu’elle n’a débouché sur aucun travail d’organisation stable, a eu la fonction capitale de propager l’incendie de la révolution idéologique non seulement sur tous les travailleurs immigrés de la région parisienne et d’au delà mais aussi sur les usines de la région par exemple sur certains ateliers de Renault.

    Donc aujourd’hui la tâche centrale sur le Nord-Ouest de Paris c’est d’organiser la résistance, c’est-à-dire édifier les bases d’appui de Renault mais surtout aussi sur UNIC et les usines de Bezons et de rayonner sur toute la région de partisans qui entourent ces usines.

    Mais dans beaucoup d’autres régions, il faut mener des combats comme ceux d’Argenteuil ou d’Ivry qui jouent le rôle de Naxalbari : « après la lutte héroïque de la paysannerie de Naxalbari, un nouveau sentiment s’est fait jour celui de lutter pour la prise du pouvoir ».

    C’est dans cette perspective que nous devons envisager de mener des batailles sur les foyers de travailleurs immigrés ou sur des cités populaires qui servent de brasiers pour la révolution idéologique.

    Il y a donc des détours qui sont un progrès dans la révolution, qui mènent aux bases d’appui ; et il y a des détours qui constituent un piétinement, voire un recul de la révolution, ceux qui écartent des bases d’appui.

    On peut donc maintenant formuler de manière précise notre stratégie dans la lutte violente de partisans : ÉDIFIER DANS LES USINES DES GROUPES DE PARTISANS QUI MÈNENT LA LUTTE DIRECTE CONTRE LE PATRON. EN S’APPUYANT SUR CET ARRIÈRE, ET SIMULTANÉMENT, UNIR LE PEUPLE DANS LES RÉGIONS DE PARTISANS ENTOURANT L’USINE.

    IV. – FAIRE PASSER NOTRE STRATÉGIE DANS LA VIE : PRENDRE LA DÉCISION STRATÉGIQUE DE DÉPLACER NOS TROUPES

    Ce n’est pas tout de définir une stratégie de préparation à la guerre, c’est-à-dire une stratégie de la construction des bases d’appui : il faut faire passer cette stratégie dans la vie.

    Pratiquement, cela signifie : cesser de « tourner autour du pot » ; on comprend tout de suite ce que cela veut dire quand on sait que des villes universitaires où des banlieues petites-bourgeoises retiennent encore des dizaines de militants, alors que des grandes concentrations prolétariennes sont encore pratiquement pour nous des «terres inconnues».

    Il faut bien voir que la décision de déplacer nos troupes vers les bases d’appui et régions de partisans potentielles, c’est-à-dire vers les villes et régions-usines est une décision stratégique de la même importance, toutes proportions gardées, que la décision pour le Parti Communiste Chinois, en 1928, de construire des bases dans les campagnes, d’encercler les villes par les campagnes.

    Encore une fois, la question qui se pose est de savoir qui, de d’ennemi ou de nous, sera encerclé et en fin de compte anéanti.

    En 1928, pour le P.C.C., rester dans les villes comme le réclamait l’ultra-gauche ou comme le fit Liou Chao Chi, c’était soit se faire encercler et rapidement anéantir si on menait la guerre, soit végéter dans le travail pacifique ; au contraire s’établir dans les campagnes comme l’indiquait et le réalisa le Président Mao, c’était encercler l’ennemi et en fin de compte l’anéantir au terme d’une guerre prolongée.

    Pour nous, l’équivalent des villes de 1928, ce sont les zones sans arrières ; elles sont la base objective pour la domination de la politique bourgeoise, c’est-à-dire aussi l’oscillation entre la « gauche » et la droite.

    La droite, c’est-à-dire le travail groupusculaire pacifique, la guerre en paroles, la capitulation en réalité. Dans ces conditions, toutes les frontières s’effacent entre la Gauche et la liquidation, entre la lutte de partisans et le syndicalisme.

    La « gauche », c’est la lutte de partisans « tous azimuts », la conception « roquet » de la lutte de partisans, sur tous les fronts mais sans appui solide sur les usines, donc sans possibilité profonde et durable de se protéger de l’ennemi et de dresser devant lui le «mur de feu» du peuple : ce qui se produit alors c’est une banalisation de la lutte de partisans ; on ne mène pas la lutte de partisans selon un plan, avec des objectifs politiques précis ; on la mène n’importe où et n’importe quand, on s’en sert comme d’un talisman, pour « débloquer la situation », comme on dit ; on riposte pour riposter, parce que soi-disant il faudrait riposter à chaque fois qu’on est attaqué, comme un roquet qui mort à chaque fois qu’il prend un coup de pied.

    L’ultra-gauche nous laisse sans défense sérieuse face aux campagnes d’encerclement et d’anéantissement de l’ennemi, dont une expérience récente permet de dégager les lois : l’encerclement par le silence, c’est-à-dire taire systématiquement toutes les actions de partisans qui montrent la voie, c’est-à-dire nous unissent plus profondément au peuple et au prolétariat ; les premiers signes, c’est le silence observé sur les mines, sur Dunkerque, sur la campagne des transports.

    L’encerclement par la calomnie et la provocation : par contre on nous fait endosser toutes les actions violentes menées sans plan stratégique par les parasites à courte vue, ou, plus généralement, une partie des délits de droit commun : le vol d’armes de Strasbourg, c’était la G.P. qui l’avait fait, jusqu’à ce qu’on découvre ses auteurs dans le milieu parisien.

    Plus encore, c’est la provocation qui, avec l’aide active des sociaux fascistes et la complicité complaisante des groupuscules liquidateurs regroupés autour de « Rouge », va devenir la tactique n°1 de l’encerclement.

    La tactique de l’encerclement est naturellement impliquée par la tactique du silence : dans la mesure où on n’accorde pas d’existence officielle aux actions avancées menées par les partisans, il ne reste plus que des moyens de répression extra-légaux : aujourd’hui la provocation, demain le terrorisme.

    Les exemples se succèdent avec une rapidité et une constance suffisantes pour qu’on y voit une loi de l’encerclement : ACDB, mines, il y a quelque temps trois bombes déposées dans une usine et qui risquaient de faire sauter tout le quartier.

    Après l’encerclement viendrait l’anéantissement, c’est-à-dire la répression massive contre la G.P. une fois que celle-ci aurait été encerclée, discréditée aux yeux de masses.

    Or à de telles manœuvres de l’ennemi, on ne peut résister que si on s’adosse à des bases d’appui prolétariennes solides, édifiées dans le travail de guérilla et de propagande politique.

    On ne peut y résister si on n’a pas d’arrière, c’est-à-dire si on est attaqué par exemple sur une banlieue essentiellement petite bourgeoise.

    Contre une stratégie bien réelle de l’ennemi, il faut donc appliquer résolument, fermement, notre stratégie, c’est-à-dire opérer des déplacements de troupes massifs pour édifier des arrières ouvriers et populaires solides contre lesquels viendront se briser les campagnes d’encerclement de l’ennemi.

    A cet égard, l’exemple des mines est bon : encore que ce ne soit encore en aucune manière une base d’appui édifiées, le simple fait que la Cause du Mineur soit connue de beaucoup de mineurs, a finalement fait échouer la provocation qui aurait pu nous anéantir.

    On n’aurait pas pu faire échouer une telle provocation sur une banlieue essentiellement petite-bourgeoise.

    Il faut donc que ce déplacement de troupes soit notre perspective immédiate.

    Il faudra le préparer avec une éducation politique en profondeur qui fasse apparaître qu’il s’agit d’une décision stratégique dont dépend l’avenir, que cette décision est prise, parce que l’avenir c’est la guerre, l’encerclement et l’anéantissement de l’ennemi ou de nous : nous allons vers les bases d’appui pour ruiner les plans de l’ennemi, pour l’encercler et finalement l’anéantir.

    Il faudra faire comprendre aux camarades, comme les cadres politiques le faisait comprendre aux soldats de l’armée rouge, que si nous évacuons partiellement ou totalement certaines régions, c’est parce qu’aujourd’hui nous y risquons l’anéantissement:, c’est pour aller constituer des arrières solides d’où un jour nous reprendrons les régions évacuées.

    V. – QUELQUES PRINCIPES POUR MENER LA LUTTE VIOLENTE DE PARTISANS DANS LES BASES D’APPUI ET RÉGIONS DE PARTISANS

    Comment se développera la lutte de partisans dans les bases d’appui et les régions de partisans ? Dans ce domaine, il est clair que les idées naîtront de notre pratique, autant dire que nous avons beaucoup, presque tout à apprendre.

    On peut simplement tirer les premières règles que nous enseignent notre courte expérience et celle des peuples qui ont déjà franchi les étapes que nous abordons.

    A) Pour développer la lutte de partisans, pour embraser la plaine, il faut libérer l’initiative des masses.

    Pour que les actions des premiers partisans libèrent l’initiative des masses, fassent lever d’autres partisans, il faut au moins deux conditions ; la première, c’est que la cible politique de l’action soit claire, directement liée aux aspirations des masses à la justice, à la liberté, au bonheur.

    A cet égard, on voit bien qu’il y a une différence profonde entre une action, mettons contre une ambassade fantoche, ou contre une banque dont la domination n’est pas directement éprouvée, et une action comme le passage gratuit des travailleurs à Renault-Billancourt ou encore, la vengeance de camarades assassinés : dans un cas, il y a un rapport indirect, assez lâche, avec les aspirations des masses, dans l’autre il y a des liens directs et même parfois des liens de sang.

    La deuxième condition, c’est que la forme militaire même de l’action soit immédiatement assimilable par les masses.

    Écoutons ce que disent les camarades indiens :

    « La deuxième idée erronée, c’est la confiance illimitée dans les armes à feu modernes. L’attitude dédaigneuse envers les armes traditionnelles paralyse l’initiative du peuple.

    Sans employer au maximum les armes traditionnelles, la force totale du peuple ne peut être déployée pour attaquer l’ennemi le moment venu. » (Pékin-Informations, n° 5, 1970)

    Ce qui veut dire qu’entre la forme militaire de l’action de la N.R.P. à Mantes-la-jolie, par exemple, et celles de Dunkerque ou de Renault-Billancourt, il y a une différence qualitative, qui n’est pas dans le sens qu’on imagine d’abord : la première ne permet pas au peuple de « déployer sa force », parce qu’elle ne peut pas être reproduite par les masses, au moins pas aujourd’hui ; au contraire, immobiliser une machine, tous les ouvriers savent comment il faut le faire ; forcer le passage même contre quelques dizaines de flics, tous les ouvriers aussi, et tout le peuple sait comment il faut agir : c’est une des raisons pour lesquelles il y a vite eu des centaines d’ouvriers à participer aux actions de partisans de masse de la campagne des transports.

    C’est ainsi d’abord que s’étendra la résistance populaire ; c’est ainsi qu’a commencé la Résistance et il a fallu attendre des années pour en venir massivement à des attaques d’anéantissement contre des postes ou des troupes ennemies ; nous continuerons à mener des actions de ce genre, lorsque les circonstances l’exigeront, en raison de leur effet politique et idéologique indéniablement très puissant.

    Mais il faudra en attendre peu du point de vue-de la libération de l’initiative des masses donc aussi de l’organisation.

    Pour illustrer toutes ces catégories, on va prendre un exemple, la campagne sur les transports, et l’examiner de différents points de vue ; quel était le terrain de la lutte, base d’appui ou région de partisans ?

    Quelles étaient la cible politique et la forme militaire des actions de partisans ?

    Les interventions principales étaient : Billancourt, Citroën, Saint-Lazare, Austerlitz. La cible politique est rigoureusement identique dans les quatre cas : imposons les transports gratuits, refusons par la violence le vol légal.

    De ce point de vue donc, pas de différence ?

    Du point de vue du terrain sur lequel on se bat, il y a d’une part Renault-Citroën, d’autre part Saint-Lazare et Austerlitz qui étaient comprises dans des régions de partisans entourant les usines ;
    c’est en fonction de cette distinction qu’on a choisi dans chaque cas la forme militaire de l’action de partisans : sur les bases d’appui à édifier ou en voie de l’être, c’est-à-dire sur les usines, le problème essentiel était de libérer immédiatement l’initiative des masses pour pouvoir les organiser en groupes de partisans ;

    donc, à Renault, comme à Citroën, on a tenté et réussi les passages de masse, imposés contre les flics ;

    seulement tout de même, petite différence entre les deux : à Renault, on avait déplacé quelques troupes, ce qui permettait d’avoir un groupe relativement cohérent à l’intérieur et un détachement à l’extérieur : ce qui a permis de consolider réellement, c’est-à-dire de passer à l’organisation; à Citroën, par contre, on avait « tourné autour du pot », ce qui a momentanément empêché de consolider, c’est-à-dire, d’organiser durablement les travailleurs mobilisés pour passer sans payer et assister au meeting sur les quais du métro.

    Sur les gares au contraire, où il était de toute façon hors de question de construire des organisations, on a choisi une forme qui ne libère pas directement l’initiative des masses, c’est-à-dire qui ne peut pas être reproduite, parce qu’elle est militairement difficile, mais qui suscite tout de même l’enthousiasme du peuple pour la lutte de partisans : récupération de tickets et distributions très protégées.

    En conclusion, ce qui fait de cette campagne un grand succès, c’est la combinaison des actions visant à développer directement l’initiative des masses pour les organiser sur des bases d’appui, et des actions visant à développer l’enthousiasme et le soutien populaire autour de ces bases.

    B) La lutte de partisans, ce n’est pas seulement les actions violentes, c’est aussi, et indissolublement, la propagande politique en largeur et en profondeur.

    Écoutons encore les camarades indiens : « dans les plaines, où les masses sont pour nous les forêts et les montagnes qui nous cachent, nous devons faire de la propagande politique tout en poursuivant la guérilla…

    Nous ne pouvons déjouer le complot des classes régnantes qui cherchent à créer des dissenssions entre nous et les masses qu’en faisant régulièrement et d’une manière plus concrète notre travail de propagande.

    Nous le savons aussi par notre expérience pour construire des bases d’appui, pour unifier le peuple et étendre la lutte de partisans dans les régions qui les entourent, il ne faut pas se détourner un seul instant des taches de propagande.

    Si nous ne faisons pas connaître régulièrement, profondément, aux masses, notre orientation politique, les buts de la guerre que nous menons, l’ennemi pourra semer la division dans le camp du peuple, nous isoler, et nous frapper.

    Donc, la formulation complète de notre décision stratégique, c’est : déplacer nos troupes pour construire des bases d’appui, c’est-à-dire, mener de pair la guérilla et la propagande politique dans les masses.

    La diffusion de la Cause du Peuple, l’édification des réseaux d’usine, la rédaction des journaux locaux, les feuilles d’usine, les bulletins d’information comme « la vérité vaincra », ce sont des taches fondamentales des partisans.

    En outre, il faut mener des actions du type de celles de Renault-Billancourt et de Saint-Lazare, qui intègrent de façon vivante la propagande politique dans la lutte de partisans, font voir dans la guerre même les buts de la guerre : exproprier les voleurs, distribuer au peuple les biens qu’on lui vole et montrer que nous ne nous battrons pas pour nous battre, que nous nous battons parce que nous voulons « la paix et pour tous du pain et des roses » ; c’est comme lorsque les paysans indiens moissonnent en plein jour les champs du propriétaire.

    Faisons nôtre le mot d’ordre des camarades indiens :

    DANS LES RÉGIONS-USINES OU LES MASSES SONT POUR NOUS LES FORETS ET LES MONTAGNES QUI NOUS CACHENT, NOUS DEVONS FAIRE LA PROPAGANDE POLITIQUE TOUT EN POURSUIVANT LA GUÉRILLA.

    Camarades, nous sommes engagés dans une lutte de longue durée.

    Nous voulons que l’avenir soit radieux, mais nous savons que pour y arriver il faudra anéantir l’ennemi dans une guerre de longue durée.

    Nous voulons la paix, préparons-nous à la guerre. Nous voulons construire demain la France populaire, nous voulons que le peuple soit libre, créons les bases de sa résistance !

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  • Histoire de la Gauche Prolétarienne

    L’effondrement de la direction de l’UJC(ml) a montré les limites « althussériennes » de l’idéologie développée. Et en raison de l’élan de mai 1968, la pression est très grande, et surtout, il n’y a pas de réelle compréhension des soucis posés par la question de la direction.

    La réponse n’est ainsi pas idéologique, mais pratique : la militarisation et la prolétarisation doivent former la réponse adéquate, et le nom choisi fait référence à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne : « Gauche Prolétarienne » (GP).

    La réorganisation de l’ex-UJC(ml)

    Un mouvement en deux temps se lance : il y a tout d’abord la republication, à partir du premier novembre 1968, de la Cause du peuple, comme « journal communiste prolétarien. »

    Puis, il y a le rapprochement du mouvement du 22 mars, né à Nanterre et qui a été au cœur de l’activisme de mai 1968. On retrouve leur état d’esprit dans une œuvre publiée en mars 1969 et intitulé Vers la guerre civile. Les auteurs sont Serge July et Alain Geismar, Herta Alvarez et Évelyne July, qui rejoindront la Gauche Prolétarienne.

    Dans la foulée sort en avril 1969 le premier numéro des Cahiers de la Gauche Prolétarienne, qui prennent le relais des Cahiers marxistes-léninistes ; le thème rejoint la thématique du mouvement du 22 mars : « De la révolte anti-autoritaire à la révolution prolétarienne ».

    La violence

    La Gauche Prolétarienne se fait la voie du choix de la violence ; ses activistes sont aux premières loges. Très présents dans les lycées parisiens, c’est dans le plus prestigieux de tous, Louis-le-Grand, qu’ a justement lieu une attaque fasciste le 2 mai 1969, qui se voit faire face à une réaction massive, les fascistes finissant par lancer une grenade artisanale, qui arrache la main d’un lycéen.

    Le 15 juin, la GP tend une embuscade à la police sur le marché de Montrouge, en proche banlieue parisienne. Le 17 juin, 200 jeunes « outillés » prennent d’assaut l’usine de Flins, ce qui termine en corps à corps avec la maîtrise de l’usine et avec la CGT.

    La GP multiplie ces attaques, comme lorsque le siège du patronat à Paris est pris d’assaut par une quarantaine d’activistes qui jettent pierres, boulons et fumigènes, ou bien avec l’affrontement à l’usine Coder de Marseille avec les vigiles et les contremaîtres.

    Les résultats ne se font pas attendre : la GP dispose de comités de base dans les usines à Renault – Le Mans et Renault – Billancourt, Citroën – Choisy, Peugeot – Sochaux, Renault – Flins, Vitho – Saint-Ouen, Girosteel – Le Bourget, etc.

    L’anti-capitalisme romantique

    La GP appartient à un courant qui n’est pas seulement français ; on retrouve la même dynamique en Allemagne de l’Ouest et dans d’autres pays. On y retrouve aussi la même porosité à l’antisémitisme, et cela par ailleurs malgré la présence de nombreuses personnes juives à la direction de la GP.

    La raison en est bien entendu l’anticapitalisme romantique, comme lorsque le 25 septembre 1969 est attaqué l’hôtel particulier du milliardaire Rotschild et que sont inscrits sur les murs « Rotschild le peuple français et le peuple palestinien te balaieront ».

    Le « peuple » remplace le prolétariat et l’anti-capitalisme romantique le socialisme ; le 26 septembre c’est la banque Rothschild qui est attaquée par une centaine de militants, dont une partie d’origine arabe, puis ensuite les locaux du quotidien (de droite) L’Aurore en raison de son soutien au sionisme.

    Si la lutte contre le sionisme est une composante de l’internationalisme, ce n’est pas cela à quoi on a affaire ici. La GP a joué en effet du populisme à tous les niveaux : avec les arabes en utilisant la question palestinienne, avec la jeunesse en appelant à une révolte romantique contre l’autorité, etc.

    La GP ira même jusqu’à soutenir sur les barricades les syndicats des petits commerçants en lutte contre la fiscalité. Le point culminant de cette tendance populiste est alors l’affirmation de la « Nouvelle Résistance ».

    La « Nouvelle Résistance » face au « nouveau fascisme »

    La Gauche Prolétarienne avait besoin de justifier sa ligne populiste, aussi forgea-t-elle la théorie comme quoi la situation en France était équivalente à celle de l’Occupation. Une position totalement idéaliste et même négationniste dans sa démarche, et surtout reflétant la vision du monde petite-bourgeoise face au gaullisme.

    Le théoricien fut d’ailleurs André Glucksmann, qui dans les années 1980 deviendra un chantre du libéralisme et des États-Unis, après avoir été à partir du milieu des années 1970 un théoricien anti-communiste forcené.

    André Glucksmann expliquera par la suite dans Nouveau fascisme, nouvelle démocratie, article publié en mai 1972, la conception de ce qui est censé être un nouveau fascisme.

    « Le fascisme est dans l’Etat, c’est même là qu’il se trouve le mieux et [le ministre de l’intérieur] M. Marcellin ne prendra pas d’assaut son propre bureau. Le fascisme d’aujourd’hui ne signifie plus la prise du Ministère de l’Intérieur par des groupes d’extrême droite mais la prise de la France par le Ministère de l’Intérieur. »

    Il reprend en fait la théorie trotskyste, pour la renverser : au lieu que ce soit les « lumpen » qui se révoltent au service de l’appareil d’État, c’est ce dernier qui prend les choses en main.

    « Le nouveau fascisme s’appuie, comme jamais auparavant, sur la mobilisation guerrière de l’appareil d’État, il recrute moins les exclus du système impérialiste que les couches autoritaires et parasites produites par le système (…). La particularité du nouveau fascisme c’est qu’il ne peut plus organiser directement une fraction des masses (…). Désormais, c’est la fascisation elle-même qui est l’oeuvre de l’appareil d’État. Police, justice, monopole de l’information, bureaucraties autoritaires qui assuraient jadis les assises de la « révolution fasciste » doivent se battre maintenant aux avant-postes. »

    La violence généralisée, mais le refus de la lutte armée

    Cela n’empêche pas la Gauche Prolétarienne de réfuter la lutte armée, pourtant logique dans le raisonnement d’une « occupation ». Lors de discussions ayant eu lieu à Paris avec Andreas Baader qui construisait avec Ulrike Meinhof la Fraction Armée Rouge, les dirigeants de la Gauche Prolétarienne ont refusé ce saut.

    Ils ont pareillement dit non aux organisations palestiniennes sur ce point, lors notamment d’une visite de responsables de la Gauche Prolétarienne dans un camp palestinien en Jordanie, tout comme un représentant de la Gauche Prolétarienne a dit non à Zhou Enlai, lors d’un voyage officiel en Chine populaire pour les 20 ans de la révolution.

    La « nouvelle résistance » de la Gauche Prolétarienne est ainsi violente mais non armée, elle est une sorte de guerre « symbolique » des partisans munis de cocktails Molotov et de barres de fer, multipliant dès septembre 1969 les actions, depuis l’attaque des commissariats jusqu’à la prise d’assaut de la station de métro de Passy en plein 16e arrondissement de Paris pour prendre les tickets et les redistribuer, ou encore l’organisation d’un passage gratuit en force dans le métro à Boulogne.

    Le style idéologique se veut sommaire, avec la Cause du peuple, tirant à 40 000 exemplaires, assénant des formules chocs : « Contre les ennemis qui font de l’or avec notre sang, il n’y a qu’une seule attitude possible : la riposte », « Vie chère, vie d’esclaves, assez ! », « On a raison de séquestrer les patrons », « Tremblez petits chefs, nous sommes les plus forts ! »

    La ligne théorique est pareillement très réduite : « Il faut le pouvoir : pour assurer réellement le bifteck, et pour garantir effectivement la liberté. »

    La Gauche Prolétarienne n’est d’ailleurs pas une organisation communiste au sens strict : il y a une direction qui décide de tout hors de la base, celle-ci n’étant pas formellement membre de l’organisation par ailleurs. La démarche est purement mouvementiste.

    La Gauche Prolétarienne finit d’ailleurs par s’opposer régulièrement au PCF, à Argenteuil en banlieue parisienne où les combats sur le marché du dimanche étaient régulier, et se transformant en bataille rangée le 14 septembre 1969.

    Les actions sont multiples et diffuses ; en février 1970 ont lieu ainsi l’attaque aux cocktails Molotov du siège de la direction des Houillères à Hénin-Liétard, le sabotage de 2 grues à Dunkerque, l’attaque de deux bureaux du Service d’aide technique aux travailleurs étrangers, l’attaque du siège des entrepreneurs de l’Isère à Grenoble, l’incendie des Grands Moulins à Corbeil-Essonnes, etc.

    La ligne de la Gauche Prolétarienne est alors résumée dans la fameuse chanson « Les nouveaux partisans », chantée anonymement par une chanteuse ayant abandonné la carrière pop pour devenir une garde rouge (par la suite elle deviendra anarchiste et niera catégoriquement tout rapport au maoïsme, tout en reprenant dans les années 2000 les chansons d’alors).

    Les nouveaux partisans face à la répression

    L’État décida alors de réagir vivement contre ce mouvement semi-légal qui l’attaquait ouvertement. Le ministère de l’intérieur ouvrit les hostilités avec une plainte pour « injures et diffamation envers la police, provocation au meurtre, au pillage, à l’incendie et aux crimes contre la sûreté de l’État. »

    Un meeting prévu à la salle parisienne de la Mutualité le 14 mars 1970 est interdit, et le journal la Cause du peuple est massivement saisi, alors que son directeur de publication est arrêté. Enfin, la loi anti-casseurs est instaurée le 30 avril 1970 : les organisateurs d’une manifestation deviennent responsables juridiquement de toute violence.

    Mais ce n’est pas la répression le véritable problème. Lorsqu’il est décidé de demander à Jean-Paul Sartre de devenir directeur de publication de la Cause du peuple, la rencontre se fait dans la très chic brasserie parisienne de la Coupole.

    Dans le même esprit, la direction de la Gauche Prolétarienne se réunit encore et toujours à l’Ecole Normale Supérieure, et si un front démocratique d’avocats est monté, la personne chargée des relations avec la presse est Serge July, qui gère alors les rapports avec une flopée d’intellectuels de gauche « solidaires » face à l’interdiction de la Cause du peuple.

    Solidarité des intellectuels « de gauche » et interdiction

    Le tout-Paris intellectuel se rapproche des maoïstes, eux-mêmes des bourgeois qui choisissent le camp du peuple, comme le montre l’action ultra-populiste de pillage du traiteur de luxe Fauchon, amenant une distribution improvisée ensuite, et marquée par l’arrestation d’une militante dont le père était un bon client de Fauchon.

    Le soutien libéral à la Cause du peuple fait que si celle-ci est interdite, elle est vendue à la sauvette sans soucis au Quartier latin à Paris, parfois même par une personnalité comme Jean-Paul Sartre.

    C’est d’ailleurs ce dernier qui ouvre le grand meeting de solidarité à la salle parisienne de la Mutualité, le 25 mai 1970, où prennent la parole également des représentants de la LCR et du PSU.

    Le 27 mai, jour du procès de deux directeurs de publication de la Cause du peuple, des centaines d’activistes organisent des escarmouches avec la police, en raison de l’interdiction de toute manifestation. C’est alors la Gauche Prolétarienne qui est interdite.

    De manière fort juste, dans une autobiographie de 1978, le ministre de l’intérieur d’alors, Raymond Marcellin, racontera ainsi :

    « La Gauche Prolétarienne, en 1970, tenta une escapade révolutionnaire, mais fut rapidement bloquée, parce que nous étions prêts. »

    L’ex-Gauche Prolétarienne

    Mais le soutien « intellectuel » et « démocrate » est là, avec Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Michel Leiris, Cavanna, François Truffaut, etc.

    La Gauche Prolétarienne sort dans cette optique un nouveau journal, J’accuse, dont le premier numéro paraît le 15 janvier 1971 et qui finira par fusionner avec la Cause du peuple; le Comité Djellali, du nom d’une jeune Algérien tué par l’ami d’une gardienne lors d’une altercation, rassemble également une foule d’intellectuels.

    Elle peut générer en juin 1970 un « Secours Rouge », où Sartre joue une rôle central comme figure rassembleuse.

    La Gauche Prolétarienne est alors alors l’actualité en France. Les numéros 15 à 19 de la Cause du Peuple sont saisis et une tentative de réimprimer les Cahiers de la gauche prolétarienne est également empêchée, avec une arrestation au bout.

    Pourtant, dans de nombreuses villes, des militants d’extrême-gauche vendent la presse de la Gauche Prolétarienne par solidarité, et du 1er au 25 septembre 1970 a lieu une première grève de la faim d’une trentaine de détenus maoïstes pour l’obtention du « régime spécial ». Une seconde aura lieu en janvier 1971.

    Il y a également la mise en avant d’Alain Geismar, figure de mai 1968 en tant que secrétaire-général adjoint du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup), et devenu la figure publique de la Gauche Prolétarienne, Benny Lévy en étant le chef.

    Et lorsque le 20 octobre 1970, Alain Geismar est condamné devant la 17e chambre correctionnelle à 18 mois de prison ferme pour « reconstitution de ligue dissoute », il est reconnu comme prisonnier politique, par la prison, comme par la presse (les directeurs de publication de la Cause du peuple Jean-Pierre Le Dantec et Michel Le Bris, arrêté fin mars et début avril, prirent de leur côté huit mois chacun).

    Il y a même Sartre qui, le 20 octobre 1970 à la sortie des usines Renault de Billancourt, fait un discours sur un tonneau, appelant intellectuels et travailleurs à ne faire qu’un, et en soutien à Alain Geismar, devant la presse nationale et internationale. En même temps à Paris, la Gauche Prolétarienne harcèle la police, ce qui aboutit à 375 arrestations.

    Les cinéastes sont un milieu proche de la contestation, et deux soutiens pratiques sont de la partie avec des films militants : Marin Karmitz sort « coup pour coup » et Jean-Luc Godard « Tout va bien ».

    Le révisionnisme « armé »

    Dans ce contexte, la Gauche Prolétarienne décide d’utiliser sa structure appelée « Nouvelle Résistance Populaire » (NRP) et fondée clandestinement en mai 1970.

    Cependant, tant la répression que la NRP ne frappent pas fort : en décembre 1970, les militants de la Gauche Prolétarienne ayant tenté de faire sauter à l’explosif des garages Peugeot ne prennent que 6 mois fermes, pour être libérés dès janvier 1971.

    Lorsque au second procès devant la Cour de sûreté de l’État le 24 novembre 1970, Alain Geismar est condamné à 2 ans de prison ferme, la NRP enlève seulement pour un bref temps le député gaulliste Alain de Grailly, impliqué dans le scandale immobilier des abattoirs de la Villette, le 26 novembre.

    Lorsque, à la mi-décembre 1970, la Cour de sûreté de l’Etat juge les inculpés de l’affaire d’Hénin-Liétard, ils sont acquittés, sauf la personne en fuite condamnée à cinq ans de prison.

    Dans cet esprit de lutte sociale « feutrée » où la Gauche Prolétarienne apparaît comme réformiste armée avec un soutien « démocratique », est organisée un tribunal populaire à Lens afin de juger symboliquement les responsables des Houillères, suite à un accident minier (16 mineurs tués le 14 février 1970). Sartre agit comme procureur, épaulée par Eugénie Camphin, membre du Parti Communiste depuis 1920 et résistante historique.

    Et finalement, le n°1 des Cahiers Prolétariens établit la ligne symbolique, non armée, de la « résistance ».

    C’est un révisionnisme « armé » qui naît, comme appui d’une lutte ouverte démocratique. Le 26 janvier 1971 a lieu un meeting de soutien aux prisonniers maoïstes, que les intellectuels bourgeois Simone de Beauvoir et Michel Leiris président sous un portrait de Mao Zedong.

    A la mi-février, c’est l’église du Sacré-Cœur qui est occupée, en « réponse » à la répression de la manifestation interdite du Secours Rouge, où un militant a perdu un œil.

    D’un côté, à la mi-mai, les locaux de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute sont plastiqués, mais le 18 juin est fondé l’Agence de presse Libération.

    Le même jour, 18 juin est organisé un dépôt de gerbe au Mont-Valérien pour rendre hommage « Aux victimes du fascisme, ancien et nouveau ».

    Les Rolling Stones

    Le 24 juin 1970, au Palais des Sports à Paris, Serge July a pu faire en sorte de prendre la parole en plein milieu du concert, grâce à Mick Jagger. Il tient alors le discours suivant, exprimant les limites ultra-démocratiques de la Gauche Prolétarienne.

    « Les Stones m’ont demandé de prendre la parole ce soir. Pendant que je vous parle, pendant que les Stones vont chanter, une centaine de prisonniers politiques sont en taule (…).

    Si aujourd’hui ils sont en taule, c’est parce qu’ils se sont battus contre les flics, qui croient pouvoir continuer longtemps, impunément, les tabassages dans les commissariats, contre leurs sales gueules qui nous font chier à chaque coin de rue, à la sortie du lycée, de l’usine, de la fac, du bal.

    S’ils sont en taule, c’est parce qu’ils n’ont pas peur de dire que lorsqu’on reçoit un coup de matraque sur la gueule, il faut bousiller le mec qui vous l’a envoyé, que lorsqu’on en a marre d’être emmerdé par un chef à l’usine, on a raison de lui casser la gueule, que lorsqu’on en a marre, on a raison de se battre, de se révolter. »

    L’ex-Gauche Prolétarienne prend son mythe au sérieux : la NRP dispose de planques, d’une fabrique de faux-papiers, d’armes et d’explosifs, de matériel pour capter les fréquences de la police.

    Elle se veut au service des luttes populaires, et les ex-GP multiplient les initiatives : Groupes Ouvriers Anti-flics, Groupes Ouvriers de Riposte, Milices Ouvrières Multinationales, Mouvement de la jeunesse, Comités de lutte d’ateliers, ou encore une « douane ouvrière » en mai 1971 pour contrôler les mallettes des cadres et dirigeants à la sortie de l’usine.

    Même les petits commerçants opposés au fisc sont appelés les « Jacquou du petit commerce ». Un tract du Secours Rouge de décembre 1971 témoigne encore de ce populisme : « Qui vole un pain va en prison. Qui vole des millions va au Palais-Bourbon ! »

    Pierre Overney et la mort du gauchisme

    Les risques sont cependant grands ; à une manifestation pro-palestinienne, un militant de la GP est ainsi blessé par balles par la police. Et en février 1972 se produit le grand choc, à l’usine Renault-Billancourt.

    Le 14, l’ex-GP accompagnée de Sartre réussit très brièvement à y distribuer des tracts.

    Le 25, une opération similaire est organisée, avec la volonté de passer en force. Le militant Pierre Overney, qui diffuse des tracts appelant à une manifestation pour pour le 10e anniversaire du massacre de Charonne le même jour, brave l’arme pointé par lui par un vigile, qui tire et le tue.

    Le 29 février a lieu un premier rassemblement unitaire, avec 30 000 personnes dont des figures du PSU et du trotskysme. Et le 4 mars 1972, 200 000 personnes participent aux obsèques, qui marquent un tournant politique.

    Car la direction de l’ex-GP récuse tout dépassement de la violence symbolique, et s’oppose formellement à sa base.

    Cette ligne se concrétise vite afin de maintenir le révisionnisme « armé », lorsque le 8 mars la NRP enlève un responsable du personnel de Renault-Billancourt, Robert Nogrette, libéré deux jours après.

    Puis, alors qu’est trouvée morte une jeune ouvrière à Bruay-en-Artois, l’ex-GP lance une campagne lorsqu’un notaire est arrêté, sur une ligne ultra-populiste, résumée par cette formule de la Cause du peuple : « Et maintenant, ils massacrent nos enfants ».

    La revue intellectuelle Les Temps modernes parachève la formation de cette ligne avec le numéro spécial « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie ».

    Puis, rapidement, le quotidien Libération est mis en place, paraissant le 18 avril 1973, après un premier échec le 5 février. La Cause du peuple s’arrête alors le 13 septembre, appelant à soutenir la grève autogestionnaire chez LIP.

    Et au début novembre, la direction se réunit et liquide l’organisation.

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  • Les messages du Comité Exécutif après le second congrès de l’Internationale Communiste

    Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fit plusieurs appels après le deuxième congrès.

    Il fit ainsi vers le milieu du mois d’août un appel aux ouvriers de France et de Grande-Bretagne, appelant à leur mobilisation contre les chargements de munitions pour la Pologne, qui menait alors des offensives anti-soviétiques.

    Il y avait déjà eu des grèves à ce sujet en Grande-Bretagne et le conseil central d’action à Londres avait menacé le premier ministre d’un mouvement plus dur en cas de soutien à la Pologne ou à l’armée blanche de Wrangel.

    L’appel de l’Internationale Communiste souligne l’importance de la question :

    « La guerre entre la Pologne blanche et la Russie soviétique est une guerre entre la bourgeoisie et le prolétariat du monde entier. Cela est devenu évident pour tout travailleur conscient. L’issue de cette guerre dépend avant tout des actions des travailleurs de Grande-Bretagne et de France. »

    Un peu plus tard encore dans le mois, un appel fut fait aux syndicats pour la mise en place d’une Internationale Syndicale Rouge. L’appel dit notamment :

    « Travailleurs, membres des syndicats de tous les pays!
    Le travailleur le plus arriéré, l’organisation de travailleurs la plus arriérée, doit maintenant
    reconnaître que le monde bourgeois tombe en ruines. »

    À la toute fin du mois, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste écrivit aux socialistes italiens, reprochant une démarche trop indécise, irrésolue dans la résolution des problèmes posés par la droite dans le Parti. Ce message fut suivi d’une lettre ouverte au prolétariat italien, le 22 septembre 1920.

    Il y eut également le même mois un document pour expliquer les accords de paix faits avec la Pologne, un appel aux ouvriers de France à l’occasion du 15e congrès de la CGT qui se tint du 27 septembre au 2 octobre 1920, une lettre ouverte aux membres de l’USPD allemande à l’occasion de son congrès qui se tint du 12 au 17 octobre.

    Zinoviev participa d’ailleurs à ce congrès, faisant un discours de quatre heures. Le congrès accepta par 236 voix contre 156 l’adhésion à l’Internationale et 300 000 membres de l’USPD rejoignirent de ce fait le KPD (qui avait lui 50 000 membres alors). La majorité des 55 quotidiens et des 81 députés au Reichstag restèrent cependant dans une USPD maintenue qui rejoignit les socialistes en septembre 1922.

    Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste fit ensuite une lettre en octobre 1920 à l’occasion du congrès du KPD.

    En novembre 1920, il fit un appel aux membres du Parti Socialiste italien et des syndicats en Italie ; on y lit notamment :

    « La révolution prolétarienne frappe à votre porte. Vous êtes plus proches de la victoire que les travailleurs de tout autre pays. Il y a en Italie pratiquement à portée de main les prérequis pour une révolution prolétarienne victorieuse.

    Les prérequis sont pratiquement tous là, excepté un en particulier : c’est le niveau d’organisation dans vos rangs. Nous ne disons pas que vous n’êtes pas organisés. La classe ouvrière italienne est organisée.

    Mais vos organisations ne sont pas homogènes. Des réformistes y ont trouvé place. »

    Une lettre fut envoyée encore en novembre 1920 en Allemagne à l’occasion du congrès du KPD, puis le même mois une autre, signée également par l’Internationale Syndicale Rouge, à la Fédération syndicale internationale (fondée en 1919 et regroupant les syndicats rejetant la révolution russe).

    Cette lettre consiste en fait en une lettre ouverte, contenant des dénonciations de la Fédération syndicale internationale comme regroupant des syndicats jaunes.

    À la toute fin du mois, il y eut une résolution acceptant le KAPD allemand comme parti sympathisant de l’Internationale Communiste. Ce choix fut fait après deux sessions du Comité Exécutif abordant cette question, avec une opposition très forte des directions du KPD et de l’USPD avant que ces organisation ne soient réunies. Le KPD unifié envoya par la suite en janvier 1921 une lettre de protestation, le Comité Exécutif refaisant un vote pour valider cette résolution.

    En décembre 1920, le Comité Exécutif envoya une lettre à la SFIO à l’occasion du congrès de Tours, Clara Zetkine y étant la représentante de l’Internationale Communiste. Il y avait 285 délégués avec 4574 mandats ; 3028 voix se portèrent sur l’adhésion à l’Internationale Communiste, contre 1022.

    En janvier 1921, le Comité Exécutif envoya une lettre aux Parti Socialiste italien, qui tenait son congrès à Livourne, Khristo Kabakchiev et Karl Radek y étant les représentants de l’Internationale Communiste.

    La résolution d’Amadeo Bordiga en faveur des 21 conditions reçut 59 000 voix, celle d’une acceptation sous conditions formulée par Giacinto Menotti Serrati en reçut 98 000, celle de Filippo Turati appelant au rejet en reçut 15 000. L’aile gauche sortit fonder le Parti Communiste et le Parti Socialiste italien fut exclu de l’Internationale Communiste.

    Le même mois, le Comité Exécutif fit une résolution au sujet de la conférence de Vienne des partis socialistes, qui se tint du 22 au 27 février avec 80 délégués de 13 pays. Cela donna naissance à l’Internationale dite de Vienne, qualifiée d’Internationale « deux et demi » par l’Internationale Communiste. En décembre 1922, la seconde Internationale l’Internationale dite de Vienne la rejoignit et cela donna naissance à l’Internationale ouvrière socialiste.

    En février 1921, le Comité Exécutif fit une résolution sur la démission de cinq membres du Comité Central du KPD, ces membres de la direction de la section allemande reprochant l’Internationale Communiste de trop pousser vers l’avant, notamment en Italie.

    Une résolution eut lieu en mars 1921 au sujet de la révolte anti-soviétique de Kronstadt, puis une autre au sujet du soulèvement de mars en Allemagne. La résolution salue le soulèvement et affirme qu’il s’agit d’une expérience sur le chemin de la victoire.

    Cet épisode provoqua beaucoup de remous dans le KPD, qui perdit la moitié de ses membres, et en avril 1921 le Comité Exécutif fit une résolution sur l’expulsion des rangs du KPD de son ancien dirigeant Paul Levi.

    En mai 1921, le Comité Exécutif fit une résolution au sujet des réparations que devait alors payer l’Allemagne à la suite de la guerre mondiale, expliquant qu’accepter ces exigences aboutirait au suicide économique de 60 millions de personnes.

    Puis vint l’appel pour le troisième congrès de l’Internationale Communiste.

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  • Les 21 conditions au second congrès de l’Internationale Communiste

    Le congrès se termine, le 7 août, par une session spéciale commune à l’Internationale Communiste, au Comité Central exécutif russe, au Soviet de Moscou, des syndicats et des conseils d’entreprises. Mais au-delà des documents votés concernant les lignes dans différents domaines, il fut procédé à la mise en place de « conditions » d’appartenance à l’Internationale Communiste.

    Ce sont les communistes russes qui en sont à l’origine et le fait de les faire voter est une exigence de reconnaissance de leur statut d’avant-garde sur le plan international.

    Les 21 conditions exigent en effet un remodelage complet des organisations existantes, qu’elles aient adhéré ou pas à l’Internationale Communiste, avec une discipline et une centralisation qui, dans les faits, sont étrangers à la tradition social-démocrate d’Europe et ce malgré ses prétentions sur ce plan.

    Il va de soi que c’est encore pire pour ce qui ne relève pas de cette tradition, comme les socialistes français avec leur tradition de fédéralisme, leur refus catégorique de la discipline, etc.

    Les communistes russes mettent ainsi la pression. Si le premier congrès n’avait pas atteint cette dimension en termes de structuration, l’idée est que, maintenant que l’Internationale Communiste se concrétise, ceux qui veulent en faire partie doivent assumer.

    Une manifestation du second congrès peint par Boris Kustodiev

    Zinoviev, dans sa présentation des 21 conditions, explique d’ailleurs qu’il ne suffira pas de les accepter pour être « baptisé » communiste. Les choses seront vérifiées.

    En ce sens, les 21 conditions sont une offensive très claire contre le « centre », qui affirme rejeter les réformistes, mais sans concrétiser sa démarche au point de réellement rejoindre les communistes.

    Dans ses documents du deuxième congrès, l’Internationale Communiste valorise ainsi les 21 conditions en soulignant que c’est un garde-fou :

    « L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

    Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la III° Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

    L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la II° Internationale.

    En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la II° Internationale.

    Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

    C’est pourquoi le 2° Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent. »

    Ces 21 conditions devinrent la grande actualité du mouvement ouvrier.

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  • La question syndicale et celle des pays opprimés au second congrès de l’Internationale Communiste

    Il fallut bien trancher au-delà des incompréhensions et des désaccords, et c’est autour de la question syndicale que tout se joua, en rapport avec celle des pays opprimés.

    Les deux questions sont liées en raison de la vision du monde de Lénine. Pour celui-ci, il y a une vague révolutionnaire mondiale. Au-delà de la conscience des avant-gardes, il y a donc les masses qui se mettent en branle.

    Or, celles-ci peuvent avoir un caractère arriéré sur le plan de la conscience, de l’organisation, etc. Il faut donc savoir les accueillir, même si les formes qu’elles ont adopté sont inadéquates.

    C’est pour cela que Lénine entra lui-même dans la bataille pour la question syndicale et la question des pays opprimés, ainsi que pour la question parlementaire qui est à comprendre selon le même angle d’approche.

    Lénine

    La question des pays opprimés fut exposée par Lénine dans un rapport. La ligne était la suivante : il fallait soutenir les mouvements bourgeois-démocratiques nationaux, mais bien faire attention à ce que ceux-ci ne s’arrogent pas le contrôle sur les révoltes paysannes.

    C’était là une partie de la révolution mondiale. Lénine précisa bien que les pays opprimés n’étaient d’ailleurs pas obligés de passer par l’étape capitaliste ; on a ici le principe de la révolution par étapes, l’étape démocratique d’abord, socialiste ensuite.

    L’Italien Giacinto Menotti Serrati s’opposa à une telle perspective ; il considérait que si l’on en arrivait à soutenir tous les mouvements des pays opprimés, indistinctement, on se mettrait potentiellement à la remorque de leur bourgeoisie nationale. Il voyait davantage le soulèvement national comme un outil pratique pour un prolétariat extrêmement faible.

    Sur ce plan, Giacinto Menotti Serrati avait une vision arriérée, social-démocratie à l’ancienne, n’ayant pas assimilé la démarche de Lénine. Ce dernier raisonnait en termes de masse et d’enclenchement de séquences révolutionnaires par les masses en mouvement.

    Lénine

    Pour la même raison, Lénine souligna le besoin de participer à la bataille dans les syndicats. Il faut saisir ici que dans les pays capitalistes, les syndicats avaient vu le nombre de leurs membres puissamment reculer pendant la première guerre mondiale, pour à la fin de celle-ci, connaître une vaste croissance.

    En Angleterre, il y avait 4,5 millions de syndiqués en 1914, pour 6,5 millions désormais. Les chiffres sont passés pareillement de 400 000 à deux millions pour la France, de 450 000 à deux millions en Italie, aux États-Unis de deux millions à 4 millions.

    En Allemagne, les syndicats n’avaient en décembre 1918 plus que deux millions de membres ; au moment du second congrès, ils en avaient huit millions, soit à peu près la moitié des masses laborieuses.

    Pour les communistes russes, il fallait donc obligatoirement se tourner vers eux alors qu’une nouvelle période s’ouvrait. Les tendances syndicalistes révolutionnaires – les Shop stewards britanniques et les IWW américaines – ne voulaient pas en entendre parler, ayant une démarche syndicaliste révolutionnaire et voulant que leur propre initiative soit la seule interface révolutionnaire.

    La CNT a la même vision des choses, tout comme le KAPD qui lui voit en les conseils la seule forme d’organisation possible.

    Les débats furent donc âpres et devant les protestations anglaises et américaines face à la fin des débats quant à cette question, Zinoviev expliqua simplement qu’on allait pas discuter jusqu’à s’évanouir.

    Il est à souligner ici que sur les sept personnes intervenues à ce sujet, seulement trois prônaient la position russe. Aux trois Américains et britanniques s’ajoutaient l’Italien, Bombacci, sur une ligne très similaire. Il y avait clairement deux lignes.

    Le congrès décida donc de clore les débats, par 50 voix contre 25. Les délégations américaine et anglaise refusèrent alors de participer au vote final quant aux principes généraux de l’orientation de l’Internationale Communiste sur les syndicats, devant ensuite être finalisés en commission. Le Français Ángel Pestaña, lui-même du syndicat CNT, protesta contre l’absence de traduction en français et refusa également de participer au vote.

    Lors du vote, il y eut 64 voix en faveur de l’envoi en commission et 13 abstentions.

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  • La question française au second congrès de l’Internationale Communiste

    La question française fut très importante pour l’Internationale Communiste, tout autant que la question allemande, et même la question italienne. L’objectif assumé était de récupérer les socialistes français dans leur majorité, tout comme d’intégrer l’USPD allemande et les socialistes italiens. C’était là assurer une base de masse.

    Le congrès de Strasbourg de la SFIO avait choisi en janvier 1920, par 4300 voix contre 300, de quitter la seconde Internationale. Un autre vote du congrès rejetait par contre, avec 2/3 des voix, l’adhésion à l’Internationale Communiste.

    Il s’ensuivit un double mouvement : d’une part des discussions avec l’Internationale Communiste, de l’autre des tractations avec l’USPD allemande, ainsi que les socialistes italiens et suisses, pour une conférence internationale au sujet de la question de l’Internationale en général.

    Ludovic-Oscar Frossard et Marcel Cachin allèrent donc à Moscou pour des discussions avec l’Internationale Communiste, assistant à deux sessions de son Comité Exécutif. Finalement, la SFIO décidèrent par 2735 voix et 1632 abstentions de les envoyer assister au second congrès de l’Internationale Communiste.

    Marcel Cachin en 1918

    Ce double positionnement était inacceptable pour l’Internationale Communiste, qui exigeait une purge idéologique et organisationnelle de la part des socialistes français. Les deux délégués reçurent donc, comme les délégués de l’USPD, de nombreuses remontrances.

    Zinoviev constate ainsi au congrès que Marcel Cachin est sincère, un vrai combattant malgré qu’il ait commis des erreurs. Or, Zinoviev constate qu’en 1920, parlant du président américain Wilson, celui-ci le désigne comme le « dernier grand bourgeois », et parle de la « démocratie américaine » comme s’étant opposé aux événements des dernières années.

    C’est là du social-pacifisme à la Jean Jaurès, pour Zinoviev, et c’est insuffisant. Pareillement, Zinoviev constate que Ludovic-Oscar Frossard, dans un écrit de février 1920, explique que l’adhésion à l’Internationale Communiste ne changera pas la question des élections et de l’alliance avec d’autres partis. Et Zinoviev de constater, de manière abrupte :

    « Ainsi comme vous voyez, on a ainsi la conception que l’Internationale Communiste est une bonne brasserie, où les représentants des différents pays chantent « l’Internationale » et se font réciproquement des compliments.

    Après, on se sépare et on continue ses vieilles pratiques.

    Nous ne permettrons jamais cette satanée démarche de la IIde Internationale. »

    Par la suite, Ludovic-Oscar Frossard, franc-maçon, refusera la bolchevisation et quittera le mouvement dès la fin du second congrès de l’Internationale Communiste, pour rejoindre les socialistes et devenir relativement un collaborateur du régime de Pétain après 1940. Marcel Cachin quittera lui la franc-maçonnerie comme demandé ; directeur de l’Humanité depuis 1918, il le resta jusqu’à sa mort en 1958.

    Zinoviev est également outré que dans L’Humanité, telle tendance ait droit à tant d’articles, telle autre à tant d’articles, etc. Ainsi le centre a huit articles, la droite en a trois et la gauche quatre. Zinoviev compare cela à huit gouttes d’eau distillée, trois gouttes de poison et quatre gouttes de lait comme contre-poison.

    Il mentionne une autre habitude néfaste :

    « Frossard a expliqué avant son départ de Paris : j’aimerais aller à Moscou sans Renaudel. Nous allons avoir une discussion difficile avec les camarades russes ; c’est mieux qu’il reste à la maison.

    Mais dans la lettre à ce sujet, monsieur Renaudel est désigné par Frossard comme « notre ami ». Ces manières françaises, nous devons les abolir.

    Elles ne sont également pas totalement françaises. Modigliani écrit également à Serrati et Serrati à Prampolini : mon ami.

    Cette méthode française et italienne ne peut pas être la nôtre. »

    La critique la plus brutale vint d’Aron Goldenberg, qui dénonça que tel représentant des socialistes français ait voté les crédits de guerre, tel autre le budget ayant servi notamment à l’intervention militaire française contre la Russie rouge.

    Les socialistes français ne feraient que reprendre la phraséologie révolutionnaire, alors qu’ils ont soutenu la guerre impérialiste jusqu’au bout ; structurellement, c’est un parti de l’aristocratie ouvrière, avec des réformistes petit-bourgeois s’étant enlisés dans leur propre démarche. Cachin et Frossard reflètent la position des socialistes français, qui est de prétendre qu’ils seraient d’accord sur tout avec l’Internationale Communiste, mais ce serait une duperie.

    C’était là une ligne gauchiste, Aron Goldenberg passant d’ailleurs dans le camp de l’ultra-gauche à la toute fin des années 1920, alors que l’ouverture très critique des communistes russes aux socialistes français allait porter ses fruits.

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  • Incompréhensions et désaccords au second congrès de l’Internationale Communiste

    Ce qui se joue en fait lors du second congrès de l’Internationale Communiste, c’est toute une lecture du communisme. Le second congrès témoigne ici d’un profond malentendu chez certains, d’une parfaite compréhension de ce qui se passe pour d’autres.

    Les délégués hongrois avaient ainsi parfaitement compris le bolchevisme et la Russie soviétique, s’appuyant sur leur propre expérience. Il en va de même pour les Bulgares. En fait, leur propre parcours les amenait à cela.

    Lénine

    Cependant, d’autres arrivaient avec des conceptions totalement étrangères au bolchevisme, et ayant plaqué leur propre lecture des choses sur l’Internationale Communiste, ils formulaient des points de vue au mieux étonnants, au pire ahurissant.

    Ainsi, le KAPD – Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne – demandait son adhésion à l’Internationale Communiste, alors qu’en même temps il considérait que le Parti Communiste devait se dissoudre dans les soviets, les conseils.

    L’Espagnol Ángel Pestaña, du syndicat communiste libertaire CNT, défendit le syndicalisme contre la primauté du Parti, affirmant même que ce n’est pas le Parti qui a organisé l’armée rouge, car la révolution française montrerait qu’on a toujours comme allant de soi un parti et une armée dans une situation de crise. Ángel Pestaña resta donc communiste libertaire mais fondit ensuite un « Parti syndicaliste » possibiliste communiste libertaire qui participa au Front populaire.

    L’Allemand Augustin Souchy mit pareillement en avant le syndicalisme révolutionnaire, et le Britannique Jack Tanner, du mouvement syndicaliste anti-parlementaire des Shop Stewards, rejeta que la Russie soviétique puisse servir de modèle à tous les pays :

    « Ce qui se passe en Russie en ce moment ne peut pas être le modèle type pour tous les pays. En Angleterre par exemple, la situation est en général tout à fait différente de la situation comme celle en Russie avant la révolution.

    Les Shop Stewards comprennent la dictature du prolétariat différemment d’en Russie. Ils la comprennent comme la dictature d’une minorité, comme celle représentée par les Shop Stewards. »

    Augustin Souchy revint à un anarchisme primaire, Jack Tanner rejoint les communistes mais simplement quelques mois, afin de repasser au syndicalisme pur et dur.

    Cette mentalité était typique d’une ultra-gauche marginalisée, coupée de la social-démocratie historique, proche de l’anarchisme mais plus d’esprit syndicaliste révolutionnaire, qui avait une lecture idéaliste du bolchevisme. En France s’était fondé en mai 1919 un « Parti Communiste » sur cette base, qui devint dès décembre une « Fédération communiste des soviets » ne durant que quelque temps.

    La Maladie infantile du communisme
    (le « gauchisme »), écrit par Lénine en mai 1920

    Toutefois, les communistes russes firent de réels efforts pour amener tous ces gens à faire un saut qualitatif en direction du bolchevisme, considérant que leur volontarisme représentait une certaine valeur, l’expression d’une combativité dans le contexte de la vague de la révolution mondiale.

    Lénine tenta de temporiser avec les Britanniques, en disant qu’il s’agissait là d’un simple préjugé à l’égard du terme de Parti, les Shop Stewards ayant par ailleurs un comité national pour diriger le mouvement.

    La discussion était cependant d’autant plus difficile que, par exemple, Jack Tanner défendait également le principe comme quoi il ne faudrait pas de directives internationales, chaque regroupement membre de l’Internationale Communiste – y compris sous une forme non politique -, devant avoir toute latitude pour sa propre stratégie, ses propres tactiques. Cela faisait beaucoup.

    Pour ajouter à la complication, allant totalement à l’encontre des Shop Stewards, le British Socialist Party demanda à pouvoir continuer comme fraction au sein du Labour Party, ce que Lénine considérait comme tactiquement juste, puisqu’il s’agissait d’une sorte de grand parti syndicaliste, avec 6-7 millions de travailleurs.

    Lénine

    Lénine fut entendu : l’Internationale Communiste décida que les communistes britanniques devraient rejoindre le Labour Party si ce n’était pas déjà fait (58 voix pour, 24 contre, 2 abstentions).

    Les communistes russes avaient le même positionnement par rapport à l’USPD allemande, qui se rapprochait ouvertement de l’Internationale Communiste et disposait de 800 000 adhérents (11 000 étant même en prison), même s’il existait une aile droite très puissante encore.

    Cela était considéré comme intolérable par les gauchistes, David Wijnkoop des Pays-Bas étant furieux de la présence de l’USPD allemande et agressa ouvertement son délégué Ernst Däumig, ce qui aboutit à des insultes avec Radek. Il rejetait tout autant les socialistes français, qui formaient une question toute particulière.

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  • La question du style de travail communiste au second congrès de l’Internationale Communiste

    Le second congrès de l’Internationale Communiste dresse toute une série de constats. Il ne s’agit pas vraiment d’évaluations, celles-ci n’émergeant que par la suite dans les grandes débats des congrès suivants. Le second congrès soupèse la situation et tranche directement, car le contexte n’est pas celui où il faut voir comment fonctionne un appareil communiste pour éventuellement rectifier le tir, mais celui où il faut constituer des Partis Communistes.

    Or, il y avait sur ce plan de nombreux soucis. La section suédoise n’avait pas encore pris la dénomination de communiste et tolérait une droite ; la section norvégienne intégrait des sections syndicales entières et acceptait ouvertement les tendances de droite.

    La version soviétique de la revue L’Internationale Communiste

    En Italie, Filippo Turati paradait en tant que socialiste tout en exprimant ouvertement ses points de vue droitiers, alors qu’officiellement il relevait de l’Internationale Communiste puisque appartenant à sa section italienne. Cette dernière n’a par ailleurs pas encore changé de nom et reculait même devant cette nécessité, cherchant une option « socialiste-communiste ».

    En Allemagne, l’USPD sympathisante avait dans ses rangs Karl Kautsky et le souci était non pas tant lui-même, politiquement fini, que le kautskysme comme tendance social-pacifiste convergeant avec l’impérialisme.

    Tout cela, somme toute, met les communistes russes hors d’eux, puisqu’ils veulent former des avant-gardes organisés et structurés. Cependant, ils savent que la situation est délicate, car la rupture doit se faire avec un mouvement d’entraînement à la base, en direction du communisme, et sans céder aux courants droitiers qui sont forts, en particulier dans les appareils.

    Lénine

    Boukharine prend ainsi les parlementaires et s’aperçoit que pour l’USPD allemande, tout comme pour les partis français, italien, norvégien… seule une toute petite minorité est pour l’Internationale Communiste, la majorité étant centriste et l’aile droite étant carrément forte.

    C’est là un obstacle dans la rupture avec le style social-démocrate devenu décadent, sans oublier que c’est grave pour l’Italie, puisque le Parti appartient déjà à l’Internationale Communiste.

    À ce problème avec la droite s’ajoute le problème avec les gauchistes. Ceux-ci ont une base idéologique de type syndicaliste révolutionnaire, avec comme principaux représentants les syndicalistes britanniques et américains, ainsi que l’Italien Amadeo Bordiga.

    Ils refusent catégoriquement le parlement, considérant cette forme sociale comme dépassée et les parlementaires comme l’expression, dans tous les cas, de la contre-révolution. Le Britannique Willie Gallacher cite l’exemple anglais comme typique pour lui de l’impossibilité d’aller au parlement, mentionnant le comportement de John Maclean, qui dans les discours racontent qu’il est bolchevik et veut renverser le parlement, et au parlement qu’il n’est pas bolchevik.

    Lénine dénoncera ce qui est pour lui une posture ; il intervient ainsi directement pour critiquer les affirmations d’Amadeo Bordiga :

    « Le camarade Bordiga a visiblement voulu défendre ici le point de vue des marxistes italiens, mais il n’a néanmoins répondu à aucun des arguments avancés par d’autres marxistes en faveur de l’action parlementaire.

    Il a reconnu que l’expérience historique ne se crée pas artificiellement. Il vient de nous dire qu’il faut reporter lutte dans un autre domaine. Ignorerait-il que toute crise révolutionnaire s’accompagne d’une crise parlementaire ?

    Il a dit, c’est vrai, qu’il faut reporter la lutte dans un autre domaine, dans les Soviets. Mais il a reconnu lui-même qu’il n’est pas possible de créer artificiellement des Soviets. L’exemple de la Russie prouve qu’on ne peut les organiser que pendant la révolution ou bien juste à la veille de la révolution.

    Du temps de Kérenski, les Soviets (les Soviets menchéviks) étaient organisés d’une telle manière qu’ils ne pouvaient en aucune façon constituer le pouvoir prolétarien.

    Le parlement est un produit du développement historique, que nous ne pouvons éliminer tant que nous ne sommes pas suffisamment forts pour dissoudre cette institution bourgeoise.

    Ce n’est qu’en en faisant partie que l’on peut, partant des conditions historiques données, lutter contre la société bourgeoise et le parlementarisme. Le moyen dont la bourgeoisie se sert dans la lutte doit être aussi utilisé par le prolétariat, dans des buts tout autres évidemment. Vous ne pouvez pas affirmer qu’il n’en est pas ainsi,et, si vous voulez le contester, vous devez effacer l’expérience de tous les événements révolutionnaires du monde. »

    Lénine a en cela le grand soutien des Bulgares. Schablin, délégué du Parti Communiste de Bulgarie, justifie la thèse de Lénine : dans son pays, les communistes ont réussi historiquement à faire dans le Parlement une base d’agitation. En 1914, trois députés opposés à la guerre furent mis en prison, alors que des centaines de militants furent fusillés.

    Et entre 1919 et 1920, malgré la terreur, le nombre de députés communistes passa de 47 à 50, soit 120 000 voix en 1919 et 187 000 en 1920. La bourgeoisie fut obligée, afin de trouver une majorité, d’enlever leur mandat de député à 9 communistes. Lénine a donc raison d’exiger une analyse concrète de la situation particulière sur la base de la tendance générale (qui est la révolution mondiale) et de ne pas faire de l’anti-parlementarisme un marqueur identitaire.

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  • Les complications au second congrès de l’Internationale Communiste

    On a un très bon aperçu des complications du second congrès si on porte le regard sur ceux nommés à la présidence du second congrès. Il s’agit de :

    – l’Allemand Paul Levi,

    – le Français Alfred Rosmer

    – l’Italien Giacinto Menotti Serrati,

    – les russes Lénine et Zinoviev.

    Alfred Rosmer est typique de tout un esprit français pro-communiste après 1918. Il vient de l’anarchisme puis est passé dans le camp du syndicalisme révolutionnaire, voyant en la révolution russe une concrétisation inattendue de ses idéaux. Il finira par rompre au milieu des années 1920 avec le mouvement communiste, pour se tourner vers le trotskysme, dans un esprit syndicaliste révolutionnaire.

    Paul Levi fut l’un des fondateurs du mouvement communiste allemand aux côtés de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et il en devint même le dirigeant au moment du second congrès. Mais il capitule très rapidement et rejoint dès 1922 les socialistes, qui pourtant avaient écrasé les spartakistes.

    Giacinto Menotti Serrati est une personnalité très différente des deux autres, qui capitulèrent. En effet, il a une véritable réflexion de fond qu’il assume et il y a de très grandes incompréhensions lors des débats.

    Giacinto Menotti Serrati

    On lui reproche ainsi de tutoyer dans ses messages des dirigeants socialistes d’orientation réformiste, ce à quoi il répond tout simplement qu’en Italie, les socialistes se tutoient tous, n’y voyant donc pas malice, alors que pour les communistes de Russie cela semblait un insupportable copinage.

    Un autre exemple est que Giacinto Menotti Serrati considérait que Filippo Turati, aussi réformiste et opportuniste qu’il était, s’était opposé à la première guerre mondiale (en fait seulement jusqu’en 1917), et que par conséquent, il fallait avoir un regard approfondi et circonspect.

    On ne sera pas étonné que Lénine lui reprocha par conséquent au congrès un certain sentimentalisme.

    La différence complète de style se révèle aussi dans cette anecdote : Giacinto Menotti Serrati expliqua qu’on ne disposait pas de « sincéromètre » pour évaluer la sincérité des partis désireux de rejoindre l’Internationale Communiste. Ce fut pas moins que Lénine qui intervint alors pour lui dire qu’on le trouverait !

    La question qu’il y a l’arrière-plan est dans l’évaluation de la situation couplée aux exigences de structuration rapide. Giacinto Menotti Serrati est ici à rebours de l’Internationale Communiste. Pour lui, la prise en considération des conditions concrètes de chaque pays doit être déterminante et prime sur la formation de Partis Communistes à court terme.

    À ses yeux, l’USPD allemande a une base de masses dans un pays connaissant des troubles révolutionnaires : on peut en attendre quelque chose. Pour la France et ses socialistes, c’est le contraire.

    Pour la même raison, Giacinto Menotti Serrati s’opposera à la formation pour lui trop précoce d’un Parti Communiste en Italie. Le IIIe congrès le considérera pour cette raison comme un renégat – mais lui et ses « maximalistes » socialistes rejoindront bien finalement le Parti Communiste formé en Italie, et il sera même leur délégué au IVe congrès de l’Internationale Communiste.

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  • Les exigences sur le plan de l’organisation au second congrès de l’Internationale Communiste

    Consciente de sa force grandissante relevant d’une tendance de fond, l’Internationale Communiste posait ses exigences. Elle profitait ici du fait d’avoir réussi à se fonder au premier congrès, forçant à une prise de position qui soit nette.

    Elle savait cependant qu’un travail gigantesque était à mener. Les choses allaient vite, étaient nombreuses et il n’y avait pas un regard adéquat à ce sujet, sans même parler d’une organisation apte à saisir le mouvement. Zinoviev résuma cet aspect en disant :

    « Nous avons maintenant chaque jour, chaque heure des grèves économiques, dont nous ne savons même qu’elles ont eu lieu. D’une telle centrale [dirigeant chaque grève, comme dans la première Internationale], il ne peut être question, justement parce que le mouvement a si énormément grandi. »

    Pour cette raison, l’Internationale Communiste fut très attentive à imposer une approche bolchevique, avec un esprit de conséquence à la mesure des exigences de l’époque. Zinoviev donne un exemple significatif de l’approche qu’avaient de nombreux partisans de l’entrée dans l’Internationale Communiste :

    « J’ai encore lu certaines affirmations de différents réformistes « de gauche » dans la « Revue » des camarades français, comme par exemple Claude Trèves.

    Trèves est pour qu’on rentre tout de suite dans l’Internationale Communiste, mais sous la condition que l’on ait pas le besoin de se lier et qu’il n’y ait pas de mots d’ordre pour les pays en particulier.

    Le sens de cela, c’est qu’ils veulent entrer tout de suite, mais sans se lier et avec une telle « autonomie », que ces gens continueraient de faire comme avant.

    Le plus fort, c’est monsieur Modigliani, un « aussi-socialiste » italien, qui l’a formulé. Il est maintenant formellement un membre de l’Internationale Communiste, mais il n’est pas un camarade pour nous.

    Il était récemment à Paris et voulait amener Longuet à rentrer dans l’Internationale Communiste, et il a motivé cela de la manière suivante : pourquoi ne pas rentrer dans l’Internationale Communiste ? Cela ne nous engage à rien. On doit simplement envoyer une carte postale à l’Exécutif toutes les deux semaines. C’est tout. Pourquoi ne pas le faire ? »

    On reconnaît bien ici que, à l’arrière-plan, ce sont les communistes de l’URSS qui donnent le ton et qui fournissent la base idéologique pour la mise en place des institutions de l’Internationale communiste.

    D’ailleurs, celle-ci exigeait désormais que chaque Parti envoie un délégué présent de manière permanente auprès du Comité Exécutif. Ce dernier se posait toujours plus comme un véritable état-major de la révolution mondiale, cherchant à structurer les troupes de sympathisants pour en faire une véritable armée. Telle est l’identité fondamentale des débuts de l’Internationale Communiste.

    L’introduction du congrès, rédigé par le président du Comité Exécutif, Zinoviev, et son secrétaire, Radek, le soulignait par ailleurs :

    « Le premier congrès de l’Internationale Communiste a planté le drapeau du communisme. Aujourd’hui, des millions d’ouvriers conscients se situent déjà sous cette bannière.

    Il s’agit maintenant plus de propagande des idées communistes. Ce qui s’ouvre maintenant, c’est l’époque de l’organisation du prolétariat communiste et de la lutte immédiate pour la révolution communiste. »

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  • La question de la formation des Partis Communistes au second congrès de l’Internationale Communiste

    Le grand souci du second congrès de l’Internationale Communiste n’était pas les problèmes d’organisation, bien que ceux-ci aient été très importants.

    Ce qui était la vraie problématique de l’Internationale Communiste, c’était son succès. Tout le monde savait bien que pour sa première année d’existence, l’Internationale Communiste n’avait été qu’un outil propagandiste.

    La situation était désormais modifiée et le fait de vouloir la rejoindre était devenue une tendance irrépressible dans le mouvement ouvrier. Il ne s’agissait plus de savoir si l’Internationale Communiste allait être rejointe par de très nombreuses organisations, mais comment celle-ci allait gérer toutes les adhésions et ensuite sa propre organisation.

    Edition américaine éditée par la section américaine du Manifeste du second congrès

    Autant les courants droitiers cherchant à la rejoindre pour gagner en prestige étaient facilement identifiables, autant la situation était plus compliquée avec les courants gauchistes.

    Pour ces derniers, à l’activisme il est vrai important, un Parti Communiste n’était rien d’autre qu’un rassemblement des éléments les plus volontaires dans une sorte de super comité révolutionnaire aux contours très lâches et se fondant avec la révolution une fois celle-ci lancée.

    On l’aura compris : l’Internationale Communiste faisait face d’un côté à ceux n’ayant pas assez rompu avec la social-démocratie telle qu’elle a existé dans le passé, et ceux ne venant pas de la social-démocratie mais véhiculant des préjugés et illusions de type syndicaliste révolutionnaire, voire anarchiste.

    Zinoviev, lors du congrès, résume la situation dans les partis sociaux-démocrates de la manière suivante :

    « Nous avons la même division tripartite du mouvement dans chaque pays :

    1. une droite expressément opportuniste, qui est maintenant le soutien le plus important de la bourgeoisie ;

    2. un milieu plus ou moins affirmé, le marais, le centre, qui est également le soutien de l’ordre bourgeois ;

    3. une gauche, qui est plus ou moins clairement communiste ou au moins penche vers le communisme. »

    La position n’était toutefois pas de battre la droite en neutralisant le centre, mais d’organiser la fracture à partir de la gauche. Au second congrès de l’Internationale Communiste, il y a encore l’esprit d’urgence par rapport à la vague de la révolution mondiale faisant vaciller les pays capitalistes d’Europe.

    Le compte-rendu des débats du second congrès dans son édition américaine

    Ainsi, malgré cette situation difficile, la perspective affirmée est triomphaliste. Il est alors considéré que la révolution mondiale engloutirait l’Europe d’ici deux, trois années. Surtout, il était considéré que la révolution d’Octobre avait ébranlé la domination sur les pays coloniaux ou semi-coloniaux, que par conséquent l’Inde et la Chine s’ébranleraient bientôt, faisant pencher – de par leur exigence démocratique – la balance de manière définitive du côté de la révolution mondiale.

    Il était considéré par l’Internationale Communiste, et cela de manière très claire, que les rapports économiques entre l’Europe et les colonies étaient devenus la base même du capitalisme.

    Cela allait donc également avec la dénonciation de tout l’appareil syndical et politique ouvrier devenu corrompu de par la stabilité capitaliste profitant de ces rapports. L’objectif double de l’Internationale Communiste est alors de :

    – former une nouvelle génération de cadres communistes ayant la prise du pouvoir par l’insurrection comme objectif ;

    – établir une démarche saine, rompant avec les traditions réformistes se maintenant de par la corruption due à l’exploitation des pays dominés.

    Pour ce faire, l’Internationale Communiste mit en place des conditions d’appartenance à sa structure, ce qui rendit le second congrès très célèbre, les 21 conditions se posant comme la ligne de démarcation entre socialistes et communistes.

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  • La tenue et l’esprit du second congrès de l’Internationale Communiste

    Les conditions de la tenue du deuxième congrès de l’Internationale Communiste furent extrêmement difficiles, car la Russie soviétique connaissait un blocus international.

    Trouver des traducteurs et des secrétaires pour noter les discours était ardu ; seulement deux dactylos furent trouvés en allemand, un en français, aucun en anglais. Rien que pour déchiffrer les notes du congrès, il fallut deux mois.

    Des délégués du second congrès

    Les votes effectués concernent les orientations générales, qui sont débattues au congrès avec des intervenants donnant leur point de vue. Ces orientations générales sont :

    – travaillées en amont dans des commissions, qui formulent un texte d’orientation servant de base de discussion ;

    – retournées aux commissions concernées pour l’écriture d’une version finale.

    Les commissions sont composées de délégués de tous les pays ; leurs thématiques sont les suivantes :

    – le mouvement syndical :

    – le parlementarisme ;

    – la question agraire ;

    – les tâches de l’Internationale ;

    – la question coloniale et nationale ;

    – les conditions d’adhésion.

    Lénine est lui-même membre de plusieurs commissions : celle sur la question agraire, celle sur les tâches de l’Internationale, celle sur la question coloniale et nationale.

    Lénine au second congrès

    Le ton est résolument offensif. Zinoviev, qui préside l’Internationale Communiste souligne l’importance d’une structure clandestine, il explique l’importance de combattre les syndicats jaunes, y compris de manière armée, etc.

    Dès la première session du congrès, il explique la situation et l’ambition du mouvement :

    « L’effondrement de la seconde Internationale [des sociaux-démocrates refusant la révolution russe] reflète l’effondrement de l’ordre bourgeois lui-même. C’est le pivot autour duquel tout se tourne.

    Nous avons battu la seconde Internationale, parce que « le crépuscule des dieux » du capitalisme a commencé.

    Nous avons battu la IIde Internationale parce que la bourgeoisie ne peut et ne pourra liquider nulle part dans le monde entier le testament de la guerre impérialiste. »

    Dans un discours le dernier jour, le 7 août 1920, il dit même que le second congrès qui se termine est le précurseur d’un autre congrès mondial, celui des républiques soviétiques à l’échelle de planète.

    Cette vision est clairement urgentiste et sera remise en cause par la suite ; ainsi le IIIe congrès de l’Internationale Communiste n’adoptera pas le point de vue comme quoi la IIde Internationale était totalement écrasée.

    Lénine au second congrès de l’Internationale Communiste

    Cependant, la clef de l’attitude de l’Internationale Communiste face aux questions, c’est qu’il est considéré qu’il y a une crise générale du capitalisme. Au départ, c’est Eugen Varga qui fut chargé d’établir une analyse approfondie de ce phénomène, avec ses conséquences. L’idée générale, c’est que le capitalisme ne parvient pas à se remettre de la guerre mondiale. Il surmonte certains aspects, mais il reste prisonnier de tels problèmes qu’il va à son effondrement.

    Lénine intervient de fait au tout début du congrès, pour faire un long exposé de l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme. Il souligne qu’il ne faut pas être unilatéral : il ne s’agit pas de dire que la bourgeoisie n’a plus d’issue, car celle-ci peut forcer le cours des choses sur plusieurs aspects encore.

    L’Internationale Communiste se réunit justement, selon Lénine, comme preuve historique que la bourgeoisie ne sera pas en mesure de le faire ; Lénine pose en fait une alternative historique. D’où son exigence que d’authentiques Partis Communistes soient formés, pour profiter de la crise révolutionnaire.

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  • Le succès dans la mise en place du second congrès de l’Internationale Communiste

    Le second congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à Saint-Pétersbourg le 19 juillet, puis à Moscou du 23 juillet au 7 août 1920. C’était là concrétiser le mouvement lancé au premier congrès, ce que l’Internationale Communiste voyait comme un succès total, puisque l’objectif était la formation de Partis Communistes partout dans le monde, sur la base de la rupture avec la IIde Internationale, l’ancienne Internationale des forces social-démocrates, d’où viennent les bolcheviks russes eux-mêmes.

    Sur ce point, une véritable dynamique était enclenchée et connaissait des succès. Dans les faits, l’Internationale Communiste se positionnait comme un véritable centre de gravité politique, vers lequel il fallait, d’une manière ou d’une autre, se tourner quand on était lié à la classe ouvrière.

    Cela se lit dans une présence de délégués d’origine très variée.

    Des délégués du second congrès,
    Lénine au premier plan

    On a la Corée (1 délégué), la Turquie (3 délégués), le Mexique (2 délégués), la Yougoslavie (1 délégué), la Géorgie (5 délégués), le Danemark (2 délégués), la Belgique (1 délégué), la Chine (2 délégués consultatifs seulement), l’Inde (2 délégués consultatifs seulement), l’Italie (4 délégués ainsi que 5 délégués consultatifs seulement), l’Angleterre (6 délégués), les États-Unis (six délégués), la Pologne (1 délégué), l’Arménie (2 délégués), l’Azerbaïdjan (1 délégué), la Bulgarie (3 délégués), la Suède (2 délégués), l’Australie (2 délégués consultatifs seulement).

    On a les Pays-Bas (2 délégués), l’Estonie (2 délégués), la Finlande (6 délégués ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), l’Allemagne (6 délégués du KPD, 7 délégués consultatifs seulement de l’USPD), la France (5 délégués du Comité de la IIIe Internationale, ainsi que 2 délégués de la Jeunesse et 3 délégués consultatifs seulement), l’Irlande (5 délégués), la Lettonie (5 délégués), la Lituanie – Biélorussie (2 délégués), la Suisse (5 délégués), la Norvège (8 délégués).

    On a l’Autriche (4 délégués), la Galicie orientale (3 délégués), la Perse (1 délégué ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), l’Espagne (1 délégué), la Tchécoslovaquie (3 délégués, ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), la Hongrie (4 délégués et 5 délégués consultatifs seulement), et enfin, bien sûr, la Russie (67 délégués et 4 consultatifs seulement).

    C’est là un indéniable succès sur le plan international, comparé au premier congrès. Cela complique évidemment d’autant plus les modalités des votes effectués.

    Concrètement, cela donne 167 délégués pouvant voter, 51 dont l’expression n’est que consultative.

    Des 167 voix, 124 relèvent de Partis Communistes déjà constitués et 12 d’organisations de jeunesse, soit 31 de structures seulement proches ou très proches du communisme.

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  • Manifeste du second congrès de l’Internationale communiste

    Le monde capitaliste et l’Internationale Communiste

    I. — LES RAPPORTS INTERNATIONAUX APRÈS VERSAILLES

    C’est avec mélancolie et regret que la bourgeoisie du monde entier se rappelle les jours d’antan. Tous les fondements de la politique internationale ou intérieure sont bouleversés ou ébranlés. Pour le monde des exploiteurs demain est gros d’orages. La guerre impérialiste a achevé de détruire le vieux système des alliances et des assurances mutuelles sur lequel étaient basés l’équilibre international et la paix armée. Aucun équilibre nouveau ne résulte de la paix de Versailles.

    La Russie d’abord, ensuite l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne ont été jetées hors de la lice. Ces puissances de premier ordre, qui avaient occupé la première place parmi les pirates de l’impérialisme mondial, sont devenues elles-mêmes les victimes du pillage et ont été livrées au démembrement.

    Devant l’impérialisme vainqueur de l’Entente s’est ouvert un champ illimité d’exploitation coloniale, commençant au Rhin, embrassant toute l’Europe centrale et orientale, pour finir à l’Océan Pacifique. Est-ce que le Congo, la Syrie, l’Égypte et le Mexique peuvent entrer en comparaison avec les steppes, les forêts et les montagnes de la Russie, avec les forces ouvrières, avec les ouvriers qualifiés de l’Allemagne ?

    Le nouveau programme colonial des vainqueurs était bien simple : renverser la république prolétarienne en Russie, faire main basse sur nos matières premières, accaparer la main-d’œuvre allemande, le charbon allemand, imposer à l’entrepreneur allemand le rôle de garde-chiourme et avoir à leur disposition les marchandises ainsi obtenues ainsi que les revenus des entreprises.

    Le projet « d’organiser l’Europe » qui avait été conçu par l’impérialisme allemand à l’époque de ses succès militaires, a été repris par l’Entente victorieuse. En traduisant à la barre des accusés les chenapans de l’empire allemand les gouvernements de l’Entente les considèrent bien comme leurs pairs.

    Mais même dans le camp des vainqueurs il y a des vaincus.

    Enivrée par son chauvinisme et par ses victoires, la bourgeoisie française se voit déjà maîtresse de l’Europe. En réalité jamais la France n’a été à tous les points de vue dans une dépendance plus servile vis-à-vis de ses rivales plus puissantes, l’Angleterre et l’Amérique.

    La France prescrit à la Belgique un programme économique et militaire, et transforme sa faible alliée en province vassale, mais, vis-à-vis de l’Angleterre, elle joue, en plus grand, le rôle de la Belgique. Pour le moment les impérialistes anglais laissent aux usuriers français le soin de se faire justice dans les limites continentales qui leur sont assignées, faisant ainsi retomber sur la France l’indignation des travailleurs de l’Europe et de l’Angleterre même.

    La puissance de la France, saignée à blanc et ruinée, n’est qu’apparente et factice ; un jour plus tôt ou plus tard les social-patriotes français seront bien obligés de s’en apercevoir.

    L’Italie a encore plus perdu de son poids dans les relations internationales. Manquant de charbon, manquant de pain, manquant de matières premières, absolument déséquilibrée par la guerre, la bourgeoisie italienne, en dépit de toute sa mauvaise volonté, n’est pas capable de réaliser dans la mesure où elle le voudrait, les droits qu’elle croit avoir au pillage et à la violence, même dans les coins de colonies que l’Angleterre a bien voulu lui abandonner.

    Le Japon, en proie aux contradictions inhérentes au régime capitaliste dans une société demeurée féodale, est à la veille d’une crise révolutionnaire des plus profondes ; déjà, malgré des circonstances plutôt favorables dans la politique internationale, cette crise a paralysé son élan impérialiste.

    Restent seulement deux véritables grandes puissances mondiales, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

    L’impérialisme anglais s’est débarrassé de son rival asiatique, le tsarisme, et de la menaçante concurrence allemande. La puissance de la Grande-Bretagne sur les mers atteint son apogée. Elle entoure les continents d’une chaîne de peuples qui lui sont soumis.

    Elle a mis la main sur la Finlande, l’Estonie et la Lettonie ; elle enlève à la Suède et à la Norvège les derniers vestiges de leur indépendance ; elle transforme la mer Baltique en un golfe qui appartient aux eaux britanniques. Personne ne lui résiste dans la mer du Nord. Possédant le Cap, l’Égypte, l’Inde, la Perse, l’Afghanistan, elle fait de l’Océan Indien une mer intérieure entièrement soumise à son pouvoir. Étant maîtresse des océans, l’Angleterre contrôle les continents. Souveraine du monde, elle ne trouve des limites à sa puissance que dans la république américaine du dollar et dans la république russe des Soviets.

    La guerre mondiale a définitivement obligé les États-Unis à renoncer à leur conservatisme continental. Élargissant son essor, le programme de son capitalisme national, — « l’Amérique aux Américains » (doctrine de Monroe) — a été remplacé par le programme de l’impérialisme : « Le monde entier aux Américains ».

    Ne se contentant plus d’exploiter la guerre par le commerce, par l’industrie et par les opérations de Bourse, cherchant d’autres sources de richesse que celles qu’elle tirait du sang européen, lorsqu’elle était neutre, l’Amérique est entrée dans la guerre, a joué un rôle décisif dans la défaite de l’Allemagne et s’est mêlée de résoudre toutes les questions de politique européenne et mondiale.

    Sous le drapeau de la Société des Nations, les États-Unis ont tenté de faire passer de l’autre côté de l’océan l’expérience qu’ils avaient déjà faite chez eux d’une association fédérative de grands peuples appartenant à des races diverses ; ils ont voulu enchaîner à leur char triomphal les peuples de l’Europe et des autres parties du monde, en les assujettissant au gouvernement de Washington. La Ligue des Nations ne devait plus être en somme qu’une société jouissant d’un monopole mondial, sous la firme : « Yankee & Co ».

    Le Président des États-Unis, le grand prophète des lieux communs, est descendu de son Sinaï pour conquérir l’Europe, apportant avec lui ses quatorze articles. Les boursiers, les ministres, les gens d’affaires de la bourgeoisie ne se sont pas trompés une seule minute sur le véritable sens de la nouvelle révélation.

    En revanche, les « socialistes » européens, travaillés par le ferment de Kautsky, ont été saisis d’une extase religieuse et se sont mis à danser, comme le roi David, en accompagnant l’arche sainte de Wilson.

    Lorsqu’il a fallu résoudre des questions pratiques, l’apôtre américain a fort bien vu qu’en dépit de la hausse extraordinaire du dollar, la primauté appartenait encore et toujours à la Grande-Bretagne sur toutes les routes maritimes qui réunissent et qui séparent les nations ; car l’Angleterre dispose de la flotte la plus forte, du câble le plus long, et elle a une antique expérience de la piraterie mondiale.

    En outre, Wilson s’est heurté à la république soviétique et au communisme. Profondément blessé, le Messie américain a désavoué la Ligue des Nations dont l’Angleterre avait fait une de ses chancelleries diplomatiques, et il a tourné le dos à l’Europe.

    Ce serait toutefois un enfantillage de penser qu’après avoir subi un premier échec de la part de l’Angleterre l’impérialisme américain rentrera dans sa coquille, nous voulons dire : se conformera de nouveau à la doctrine de Monroe.

    Non, continuant à asservir par des moyens de plus en plus violents le continent américain, transformant en colonies les pays de l’Amérique centrale et méridionale, les États-Unis, représentés par leurs deux partis dirigeants, les démocrates et les républicains, se préparent, pour faire pièce à la Ligue des Nations créée par l’Angleterre, à constituer leur propre Ligue, dans laquelle l’Amérique du Nord jouerait le rôle d’un centre mondial. Pour prendre les choses par le bon bout, ils ont l’intention de faire de leur flotte, dans le courant des trois ou cinq prochaines années, un instrument de lutte plus puissant que n’est la flotte britannique. C’est ce qui oblige l’Angleterre impérialiste à se poser la question : être ou ne pas être ?

    À la rivalité furieuse de ces deux géants dans le domaine des constructions navales s’ajoute une lutte non moins furieuse pour la possession du pétrole.

    La France qui comptait jouer un rôle d’arbitre entre l’Angleterre et les États-Unis s’est trouvée entraînée dans l’orbite de la Grande-Bretagne, comme un satellite de deuxième grandeur ; la Ligue des Nations est pour elle un fardeau intolérable et elle cherche à s’en défaire en fomentant un antagonisme entre l’Angleterre et l’Amérique du Nord.

    Ainsi les forces les plus puissantes travaillent à préparer un nouveau duel mondial.

    Le programme de l’émancipation des petites nations, qui avait été mis en avant pendant la guerre, a amené la débâcle complète et l’asservissement absolu des peuples des Balkans, vainqueurs et vaincus, et la balkanisation d’une partie considérable de l’Europe. Les intérêts impérialistes des vainqueurs les ont engagés à détacher des grandes puissances qu’ils avaient battues certains petits États représentants des nationalités distinctes.

    Ici il ne saurait être question de ce que l’on appelle le principe des nationalités : l’impérialisme consiste à briser les cadres nationaux, même ceux des grandes puissances. Les petits États bourgeois récemment créés ne sont que les sous-produits de l’impérialisme. En créant, pour y trouver un appui provisoire, toute une série de petites nations, ouvertement opprimées ou officiellement protégées, mais en réalité vassales — l’Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Yougoslavie, la Bohème, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Arménie, la Géorgie, etc… — en les dominant au moyen des banques, des chemins de fer, du monopole des charbons l’impérialisme les condamne à souffrir de difficultés économiques et nationales intolérables, de conflits interminables, de querelles sanglantes.

    Quelle monstrueuse raillerie est dans l’histoire ce fait que la restauration de la Pologne, après avoir fait partie du programme de la démocratie révolutionnaire et des premières manifestations du prolétariat international, a été réalisée par l’impérialisme afin de faire obstacle à la Révolution ! La Pologne « démocratique », dont les précurseurs moururent sur les barricades de l’Europe entière, est en ce moment un instrument malpropre et sanglant entre les mains des brigands anglo-français qui attaquent la première république prolétarienne que le monde ait jamais vu.

    À côté de la Pologne, la Tchécoslovaquie, « démocratique », vendue au capital français, fournit une garde blanche contre la Russie soviétique, contre la Hongrie soviétique.

    La tentative héroïque faite par le prolétariat hongrois pour s’arracher au chaos politique et économique de l’Europe centrale et entrer dans la voie de la fédération soviétique, — qui est vraiment l’unique voie de salut — a été étouffée par la réaction capitaliste coalisée, au moment où, trompé par les partis qui le dirigent, le prolétariat des grandes puissances européennes s’est trouvé incapable de remplir son devoir envers la Hongrie socialiste et envers lui-même.

    Le gouvernement soviétique de Budapest a été renversé avec l’aide de social-traîtres qui, après s’être maintenus au pouvoir pendant trois ans et demi, ont été jetés à terre par la canaille contre-révolutionnaire déchaînée, dont les crimes sanglants ont surpassé ceux de Koltchak, de Dénikine, de Wrangel et des autres agents de l’Entente… Mais, même abattue pour un temps, la Hongrie soviétique continue à éclairer, comme un phare splendide, les travailleurs de l’Europe centrale.

    Le peuple turc ne veut pas se soumettre à la honteuse paix que lui imposent les tyrans de Londres. Pour faire exécuter les clauses du traité, l’Angleterre a armé et lancé la Grèce contre la Turquie. De cette manière la péninsule balkanique et l’Asie-Mineure, Turcs et Grecs, sont condamnés à une dévastation complète, à des massacres mutuels.

    Dans la lutte de l’Entente contre la Turquie, l’Arménie a été inscrite au programme, de même que la Belgique dans la lutte contre l’Allemagne, de même que la Serbie dans la lutte contre l’Autriche-Hongrie. Après que l’Arménie a été constituée — sans frontières définies, sans possibilité d’existence — Wilson a refusé d’accepter le mandat arménien que lui proposait « la Ligue des Nations » : car le sol de l’Arménie ne renferme ni naphte, ni platine. L’Arménie « émancipée » est plus que jamais sans défense.

    Presque chacun des États « nationaux » nouvellement créés a son irrédentisme, c’est-à-dire son abcès national latent.

    En même temps la lutte nationale, dans les domaines possédés par les vainqueurs, a atteint sa plus haute tension. La bourgeoisie anglaise qui voudrait prendre sous sa tutelle les peuples des quatre parties du monde, est incapable de résoudre d’une manière satisfaisante la question irlandaise qui se pose dans son voisinage immédiat.

    La question nationale dans les colonies est encore plus grosse de menaces. L’Égypte, l’Inde, la Perse sont secoués par les insurrections. Les prolétaires avancés de l’Europe et de l’Amérique transmettent aux travailleurs des colonies la devise de la fédération soviétique.

    L’Europe officielle, gouvernementale, nationale, civilisée, bourgeoise, — telle qu’elle est sortie de la guerre et de la paix ce Versailles — suggère l’idée d’une maison de fous. Les petits États créés par des moyens artificiels, morcelés, étouffant au point de vue économique dans les bornes qui leur ont été prescrites, se prennent à la gorge et combattent pour s’arracher des ports, des provinces, des petites villes de rien du tout. Ils cherchent la protection des États plus forts, dont l’antagonisme s’accroît de jour en jour. L’Italie garde une attitude hostile à la France et serait disposée à soutenir contre elle l’Allemagne, si celle-ci se trouvait capable de relever la tête.

    La France est empoisonnée par l’envie qu’elle porte à l’Angleterre et, pour obtenir qu’on lui paie ses rentes, elle est prête à mettre de nouveau le feu aux quatre coins de l’Europe. L’Angleterre maintient avec l’aide de la France l’Europe dans un état de chaos et d’impuissance qui lui laisse les mains libres pour effectuer ses opérations mondiales, dirigées contre l’Amérique. Les États-Unis laissent le Japon s’enliser dans la Sibérie orientale, pour assurer pendant ce temps à leur flotte la supériorité sur celle de la Grande-Bretagne avant 1925, à moins que l’Angleterre ne se décide à se mesurer avec eux avant cette date.

    Pour compléter comme il convient ce tableau, l’oracle militaire de la bourgeoisie française, le maréchal Foch nous prévient que la guerre future aura pour point de départ le point où la guerre précédente s’est arrêtée : on verra d’abord apparaître les avions et les tanks, le fusil automatique et les mitrailleuses au lieu du fusil portatif, la grenade au lieu de la baïonnette.

    Ouvriers et paysans de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Australie ! Vous avez sacrifié dix millions de vies, vingt millions de blessés et d’invalides. Maintenant vous savez du moins ce que vous avez obtenu à ce prix !

    II. LA SITUATION ÉCONOMIQUE

    En même temps l’humanité continue à se ruiner.

    La guerre a détruit mécaniquement les liens économiques dont le développement constituait une des plus importantes conquêtes du capitalisme mondial. Depuis 1914, l’Angleterre, la France et l’Italie ont été complètement séparées de l’Europe centrale et du proche Orient, depuis 1917 — de la Russie.

    Durant plusieurs années d’une guerre qui a détruit ce qui avait été l’œuvre de plusieurs générations, le travail humain, réduit au minimum, a été appliqué principalement à transformer en marchandises les réserves des matières premières dont on disposait depuis longtemps et dont on a fait surtout des armes et des instruments de destruction.

    Dans les domaines économiques où l’homme entre en lutte immédiate avec la nature avare et inerte, en tirant de ses entrailles le combustible et les matières premières, le travail a été progressivement réduit à néant. La victoire de l’Entente et la paix de Versailles n’ont point arrêter la destruction économique et la décadence générale, elles en ont seulement modifié les voies et les formes.

    Le blocus de la Russie soviétique et la guerre civile suscitée artificiellement le long de ses fertiles frontières ont causé et causent encore des dommages inappréciables au bien-être de l’humanité toute entière. Si la Russie était soutenue, au point de vue technique, dans une mesure même très modeste, — l’Internationale l’affirme devant le monde entier — elle pourrait, grâce aux formes soviétiques d’économie, donner deux et trois fois plus de produits alimentaires et de matières premières à l’Europe que n’en donnait autrefois la Russie du Tsar. Au lieu de cela, l’impérialisme anglo-français force la République des travailleurs à employer toute son énergie et toutes ses ressources à sa défense.

    Pour priver les ouvriers russes de combustible, l’Angleterre a retenu entre ses griffes Bakou dont le pétrole est resté de cette façon à peu près inutilisé, car elle n’a réussi a en importer qu’une infime partie. Le richissime bassin houiller du Don a été dévasté par les bandits blancs aux gages de l’Entente, chaque fois qu’ils ont réussi à prendre l’offensive dans ce secteur. Les ingénieurs et les sapeurs français se sont plus d’une fois appliqués à détruire nos ponts et nos voies ferrés ; et le Japon n’a pas cessé jusqu’ici de piller et de ruiner la Sibérie orientale.

    La science industrielle allemande et le taux de production très élevé de la main-d’œuvre allemande, ces deux facteurs d’une extrême importance pour la renaissance de la vie économique européenne, sont paralysés par les clauses de la paix de Versailles encore plus qu’ils ne l’avaient été par la guerre.

    L’Entente se trouve devant un dilemme : pour pouvoir exiger le payement il faut donner le moyen de travailler, pour laisser travailler il faut laisser vivre. Et donner à l’Allemagne ruinée, dépecée, exsangue, le moyen de se refaire une vie, c’est lui rendre possible un sursaut de protestation. Foch a peur d’une revanche allemande, et cette crainte transpire dans tout ce qu’il entreprend, par exemple dans la façon de resserrer chaque jour davantage l’étau militaire qui doit empêcher l’Allemagne de se redresser.

    Tous manquent de quelque chose, tous sont dans le besoin. Non pas seulement le bilan de l’Allemagne, mais également celui de la France et de l’Angleterre, se signalent exclusivement par leur passif. La dette française s’élève à 300 milliards de francs, dont les deux tiers au moins, selon l’assertion du sénateur réactionnaire Gaudin de Villaine, sont les résultats de toute sorte de déprédations, d’abus et de désordres.

    La France a besoin d’or, la France a besoin de charbon. Les bourgeois français en appellent aux tombes innombrables des soldats tombés pendant la guerre pour réclamer les intérêts de ses capitaux. L’Allemagne doit payer : est-ce que le général Foch n’a pas assez de Sénégalais pour occuper les villes allemandes ? La Russie doit payer ! Pour nous en persuader, le gouvernement français dépense à dévaster la Russie, les milliards arrachés aux contribuables pour la reconstitution des départements français.

    L’entente financière internationale qui devait alléger le fardeau des impôts français en annulant les dettes de guerre, cette entente n’a pas eu lieu : les États-Unis se sont montrés très peu disposés à faire à l’Europe un cadeau de 10 milliards de livres sterling.

    L’émission du papier-monnaie continue, atteignant chaque jour un chiffre plus imposant. En Russie, où il existe une organisation économique unifiée, une répartition systématique des denrées et où le salaire en montée tend de plus en plus à être remplacé par le payement en nature, l’émission continuelle des papier-monnaie et la chute rapide de leur taux ne font que confirmer le délabrement du vieux système financier et commercial. Mais dans les pays de capitalisme la quantité croissante des bons du trésor en cours sont l’indice d’un profond désarroi économique et d’une faillite imminente.

    Les conférences convoquées par l’Entente voyagent de place en place, cherchant à s’inspirer de telle ou telle plage à la mode. Chacun réclame les intérêts du sang versé pendant la guerre, une indemnité proportionnelle au nombre de ses tués. Cette manière de bourse ambulante rabâche tous les quinze jours la même question : à savoir, si c’est 50 ou 55 % que la France doit recevoir, d’une contribution que l’Allemagne n’est pas en état de payer. Ces conférences fantasmagoriques sont bien faites pour couronner la fameuse « organisation » de l’Europe, qu’on s’était tant plu à vanter.

    La guerre a fait subir au capitalisme une évolution. Le pressurage systématique de la plus-value qui fut jadis pour l’entrepreneur la seule source de revenu, semble à présent une occupation trop fade aux messieurs les bourgeois qui ont pris l’habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l’espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes basées sur le brigandage international.

    Le bourgeois a rejeté quelques préjugés qui le gênaient et acquis par contre un certain coup de main qui lui manquait jusqu’ici. La guerre l’a accoutumé, comme aux actes les plus ordinaires, à réduire par le blocus des pays entiers à la famine, à bombarder et incendier des villes et villages pacifiques, à infecter les sources et les rivières en y jetant des cultures du choléra, à transporter de la dynamite dans des valises diplomatiques, à émettre des billets de banque faux imitant ceux de l’ennemi, à employer la corruption, l’espionnage et la contrebande dans des proportions jusque-là inouïes.

    Les moyens d’action appliqués à la guerre restèrent en vigueur dans le monde commercial après la conclusion de la paix. Les opérations commerciales de quelque importance s’effectuent sous l’égide de l’État. Ce dernier est devenu semblable à une association de malfaiteurs armés jusqu’aux dents. Le terrain de la production mondiale se rétrécit chaque jour davantage et la mainmise sur la production devient d’autant plus frénétique et revient d’autant plus chère.

    Empêcher : voilà le dernier mot de la politique du capitalisme, la devise qui remplace le protectionnisme et le libre-échangisme ! L’agression dont a été victime la Hongrie de la part des chenapans roumains qui y pillèrent tout ce qui leur tomba sous la main, locomotives et bijoux indifféremment, caractérise la philosophie économique de Lloyd George et de Millerand.

    Dans sa politique économique intérieur, la bourgeoisie ne sait à quoi s’en tenir entre un système de nationalisation, de réglementation et de contrôle de l’état qui pourrait être des plus efficaces, et, d’autre part, les protestations qui se font entendre contre la mainmise effectuée par l’État sur les affaires économiques.

    Le parlement français cherche à trouver un compromis qui lui permettrait de concentrer la direction de toutes les voies ferrées de la république dans des mains uniques sans pour cela léser les intérêts des capitalistes actionnaires dans les compagnies de chemin de fer privées. En même temps, la presse capitaliste mène une campagne enragée contre « l’étatisme » qui est le premier pas de l’intervention de l’État et qui met un frein à l’initiative privée. Les chemins de fer américains, qui, dirigés pendant la guerre par l’État, avaient été désorganisés, sont tombés dans une situation encore plus difficile lorsque le contrôle du gouvernement a été supprimé. Néanmoins, le parti républicain promet dans son programme d’affranchir la vie économique de l’arbitrage gouvernemental.

    Le chef des trade-unions américains, Samul Gompers, ce vieux cerbère du Capital, lutte contre la nationalisation des chemins de fer que, de leur côté, les naïfs adeptes les charlatans du réformisme proposent à la France en guise de pensée universelle. En réalité, l’intervention désordonnée de l’état ne serait faite que pour seconder l’activité pernicieuse des spéculateurs, pour achever d’introduire le désarroi le plus complet dans l’économie du capitalisme, à l’heure où celui-ci se trouve dans sa période de décadence. Enlever aux trusts les moyens de production et de transport pour les transmettre à « la nation », c’est-à-dire à l’état bourgeois, c’est-à-dire au plus puissant et au plus avide des trusts capitalistes, ce n’est non pas enrayer le mal, mais en faire une loi commune.

    La baisse de prix et la hausse du taux de la monnaie ne sont que des indices trompeurs qui ne peuvent cacher la ruine imminente. Les prix ont beau baisser, cela ne veut pas dire qu’il y ait une augmentation de matières premières ni que le travail soit devenu plus productif.

    Après l’épreuve sanglante de la guerre, la masse ouvrière n’est plus capable de travailler avec la même vigueur dans les mêmes conditions.

    La destruction au cours de quelques heures de valeurs dont la création avait demandé des années, l’impudent agiotage d’une clique financière avec des enjeux de plusieurs milliards et, à côté de cela, des monceaux d’ossements et de ruines — ces leçons données par l’histoire, étaient peu faites pour soutenir dans la classe ouvrière la discipline automatique inhérente au travail salarié. Les économistes bourgeois et les faiseurs de feuilletons nous parlent d’une « vague de paresse » qui déferlerait, selon eux, sur l’Europe, menaçant son avenir économique.

    Les administrateurs cherchent à gagner du temps en accordant certains privilèges aux ouvriers qualifiés. Mais ils perdent leur peine. Pour la reconstitution et le développement de la production au travail, il est nécessaire que la classe ouvrière sache pertinemment que chaque coup de marteau aura pour résultat d’améliorer son sort, de lui rendre plus facile l’instruction et de la rapprocher d’une paix universelle. Or, cette assurance ne peut lui être donnée que par une révolution sociale.

    La hausse de prix sur les denrées alimentaires sème le mécontentement et la révolte dans tous les pays. La bourgeoisie de France, d’Italie, d’Allemagne et des autres pays ne trouve que des palliatifs à opposer au fléau de la vie chère et à la vague menaçante des grèves. Pour être en mesure de payer aux agriculteurs ne fut ce qu’une partie de leurs frais de production, l’état, couvert de dettes, s’engage dans des spéculations louches, se dévalise lui-même pour retarder le quart d’heure de Rabelais.

    S’il est vrai que certaines catégories d’ouvriers vivent actuellement dans des conditions même meilleures qu’avant la guerre, cela ne signifie rien en réalité quant à ce qui concerne l’état économique des pays capitalistes. On obtient des résultats éphémères en s’adressant à demain pour ouvrir des emprunts de charlatans ; demain amènera la misère et toutes sortes de calamités.

    Que dire des États-Unis ? « L’Amérique est l’espoir de l’humanité » : par la bouche de Millerand, le bourgeois français répète cette sentence de Turgot, il espère qu’on lui remettra ses dettes, lui qui ne les remet à personne. Mais les États-Unis ne sont pas capables de tirer l’Europe de l’impasse économique où elle est engagée. Durant les six dernières années ils ont épuisé leur stock de matières premières. L’adaptation du capitalisme, américain aux exigences de la guerre mondiale, a rétréci sa base industrielle.

    Les Européens ont cessé d’émigrer en Amérique. Une vague de retour a arraché à l’industrie américaine des centaines de milliers d’Allemands, d’Italiens, Polonais, de Serbes, de Tchèques qu’appelaient en Europe soit la mobilisation, soit le mirage d’une patrie recouvrée. Le manque de matières premières et de forces ouvrières pèse lourdement sur la République transatlantique et engendre une profonde crise économique, par suite de laquelle le prolétariat américain entre dans une nouvelle phase de lutte révolutionnaire. L’Amérique s’européanise rapidement.

    Les neutres n’ont pas échappé aux conséquences de la guerre et du blocus. Semblable à un liquide enfermé dans des vases communicants, l’économie des États capitalistes étroitement reliés entre eux, grand ou petits, belligérants ou neutres, vainqueurs ou vaincus, tend à prendre un seul et même niveau — celui de la misère de la famine et du dépérissement.

    La Suisse vit au jour le jour, chaque éventualité menace de la jeter hors de tout équilibre. En Scandinavie, une riche importation d’or ne saurait résoudre le problème de l’approvisionnement. On est obligé de demander du charbon à l’Angleterre par petites portions, et cela avec force courbettes. En dépit de la famine en Europe, la pêche en Norvège subit une crise inouïe.

    L’Espagne, d’où la France a fait venir des hommes, des chevaux et des vivres, ne peut se tirer de nombre de difficultés, au point de vue du ravitaillement, lesquelles entraînent à leur tour des grèves violentes et des manifestations de la part des masses que la faim oblige à descendre dans la rue.

    La bourgeoisie compte fermement sur les campagnes. Ses économistes affirment que le bien-être des paysans a extraordinairement augmenté. C’est une illusion. Il est vrai que les paysans qui apportent leurs produits au marché ont plus ou moins fait fortune, partout, pendant la guerre. Ils ont vendu leurs produits à très haut prix et ont payé d’une monnaie qui leur revient à bon marché les dettes qu’ils avaient faites lorsque l’argent coûtait cher. C’est là pour eux un avantage évident.

    Mais, durant la guerre, leurs exploitations sont tombées dans le désordre et leur rendement a faibli. Ils ont besoin d’objets fabriqués. Et le prix de ces objets a augmenté dans la mesure où l’argent est devenu meilleur marché. Les exigences du fisc sont devenues monstrueuses et menacent d’engloutir le paysan avec ses produits et ses terres. Ainsi après une période de relèvement momentané du bien-être, les paysans de la petite classe tombent de plus en plus dans des difficultés irréductibles. Leur mécontentement au sujet des résultats de la guerre ne fera que croître et, représenté par une armée permanente, le paysan prépare à la bourgeoisie pas mal de surprises désagréables.

    La restauration économique de l’Europe, dont parlent les ministres qui la gouvernent, est un mensonge. L’Europe se ruine et le monde entier se ruine avec elle.

    Sur les bases du capitalisme il n’est point de salut. La politique de l’impérialisme ne saurait éliminer le besoin, elle ne peut que le rendre plus douloureux en favorisant la dilapidation des réserves dont on dispose encore.

    La question du combustible et des matières premières est une question internationale que l’on ne peut résoudre que sur la base d’une production réglée sur un plan, mise en commun, socialisée.

    Il faut annuler les dettes d’état. Il faut émanciper le travail et ses fruits du tribut monstrueux qu’il paie à la ploutocratie mondiale. Il faut renverser la ploutocratie. Il faut jeter à bas les barrières gouvernementales qui fractionnent l’économie mondiale. Au Conseil Suprême Économique des impérialistes de l’Entente, il faut substituer un Conseil Suprême Économique du prolétariat mondial pour l’exploitation centralisée de toutes les ressources de l’humanité.

    Il faut tuer l’impérialisme pour que le genre humain puisse continuer à subsister.

    III. — LE RÉGIME BOURGEOIS APRÈS LA GUERRE

    Toute l’énergie des classes opulentes est concentrée sur ces deux questions : se maintenir au pouvoir dans la lutte internationale et ne pas permettre au prolétariat de devenir maître du pays.

    Conformément à ce programme, les anciens groupes politiques parmi la bourgeoisie en Russie où l’étendard du parti constitutionnel-démocrate (K. D.) est devenu durant la période décisive de la lutte, l’étendard de tous les riches dressés contre la révolution des ouvriers et des paysans, mais aussi dans les pays dont la culture politique est plus ancienne et a des racines plus profondes, les programmes d’autrefois qui séparaient les diverses fractions de la bourgeoisie ont disparu, presque sans laisser de traces, bien avant l’attaque ouverte qui a été menée par le prolétariat révolutionnaire.

    Lloyd George se fait le héraut de l’union des conservateurs, des unionistes et des libéraux pour la lutte en commun contre la domination menaçante de la classe ouvrière. Ce vieux démagogue établit à la base de son système la sainte église, qu’il compare à une station centrale d’électricité fournissant un courant égal à tous les partis des classes opulentes.

    En France, l’époque si peu lointaine encore et si bruyante de l’anticléricalisme semble n’être plus qu’une vision de l’autre monde : les radicaux, les royalistes et les catholiques constituent actuellement un bloc de l’ordre national contre le prolétariat qui lève la tête. Tendant la main à toutes les forces de la réaction, le gouvernement français soutient le cent-noir Wrangel et renoue ses rapports diplomatiques avec le Vatican.

    Le neutre convaincu, le germanophile Giolitti se saisit du gouvernail de l’état italien en qualité de chef commun des interventionnistes, des neutralistes, des cléricaux, des mazzinistes : il est prêt à louvoyer dans les questions secondaires de la politique intérieure et extérieure pour repousser avec d’autant plus d’énergie l’offensive des prolétaires révolutionnaires dans les villes et les villages. Le Gouvernement de Giolitti se considère à bon droit comme le dernier atout de la bourgeoisie italienne.

    La politique de tous les gouvernements allemands et des partis gouvernementaux, après la défaite des Hohenzollern, a tendu à établir de concert avec les classes dirigeantes de l’Entente, un terrain commun de haine contre le bolchevisme, c’est-à-dire contre la révolution prolétarienne.

    Au moment où le Shylock anglo-français étouffe avec une férocité croissante le peuple allemand, la bourgeoisie allemande, sans distinction de partis, demande à l’ennemi de relâcher le nœud qui l’étrangle juste assez pour pouvoir, de ses propres mains, égorger l’avant-garde du prolétariat allemand.

    C’est en somme à cela que reviennent toujours les conférences périodiques qui ont lieu et les conventions que l’on signe au sujet du désarmement et de la livraison des engins de guerre.

    En Amérique, on ne fait plus aucune différence entre Républicains et Démocrates. Ces puissantes organisations politiques d’exploiteurs, adaptées au cercle restreint des intérêts américains, ont montré en toute évidence à quel point elles étaient dénuées de consistance lorsque la bourgeoisie américaine est entrée dans la lice du brigandage mondial.

    Jamais encore les intrigues des chefs et de leurs bandes — dans l’opposition comme dans les ministères — n’avaient fait preuve d’un semblable cynisme, n’avaient agi aussi ouvertement. Mais en même temps tous les chefs, et leurs cliques, les partis bourgeois de tous les pays, constituent un front commun contre le prolétariat révolutionnaire.

    Au moment où les imbéciles de la social-démocratie continuent à opposer le chemin de la démocratie aux violences de la voie dictatoriale, les derniers vestiges de la démocratie sont foulés aux pieds et anéantis dans tous les États du monde.

    Après une guerre durant laquelle les chambres de représentants, quoique ne disposant pas du pouvoir, servaient à couvrir par leurs cris patriotiques l’action des bandes dirigeantes impérialistes, les parlements sont tombés dans une complète prostration. Toutes les questions sérieuses se résolvent en dehors des parlements. L’élargissement illusoire des prérogatives parlementaires, solennellement proclamé par les saltimbanques de l’impérialisme en Italie et dans les autres pays, ne change rien à l’état des choses.

    Véritables maîtres de la situation, disposant du sort de l’état, lord Rothschild, lord Weir, Morgan et Rockfeller, Schneider et Loucheur, Hugo Stinnes et Felix Deutsch, Rizzello et Agnelli — ces rois de l’or, du charbon, du pétrole et du métal — agissent derrière les coulisses en envoyant aux parlements leurs petits commis pour exécuter leurs travaux.

    Le parlement français, qu’amuse encore la procédure des lectures à trois reprises de projets de lois insignifiants, le parlement français plus que tout autre discrédité par l’abus de la rhétorique, par le mensonge, par le cynisme avec lequel il se laisse acheter, apprend tout à coup que les quatre milliards qu’il avait destinés aux réparations dans les régions dévastées de la France ont été dépensées par Clemenceau pour des fins tout autres, et principalement pour poursuivre l’œuvre de dévastation entreprise dans les provinces russes.

    L’écrasante majorité des députés du parlement anglais, soi-disant tout-puissant, n’est pas plus renseignée au sujet des véritables intentions de Lloyd George et de Kerson, en ce qui concerne la Russie Soviétique et même la France, que les vieilles femmes dans les villages du Bengale.

    Aux États-Unis le parlement est un chœur obéissant ou qui ronchonne quelquefois sous la baguette du président ; celui-ci n’est que le suppôt de la machine électorale qui sert d’appareil politique aux trusts — maintenant, après la guerre, dans une beaucoup plus large mesure qu’auparavant.

    Le parlementarisme tardif des Allemands, avorton de la révolution bourgeoise, qui n’est elle-même qu’un avorton de l’histoire, est sujet dès l’enfance à toutes les maladies qui affectent les vieux chiens. Le Reichstag de la République d’Ebert, « le plus démocratique du monde », reste impuissant non seulement devant le bâton de maréchal que brandit Foch, mais aussi devant les machinations de ses boursiers, de ses Stinnes ainsi que devant les complots militaires d’une clique d’officiers. La démocratie parlementaire allemande n’est qu’un vide entre deux dictatures.

    Il s’est produit durant la guerre de profondes modifications dans la composition même de la bourgeoisie. En face de l’appauvrissement général du monde entier, la concentration des capitaux a fait tout à coup un grand saut en avant.

    On a vu se mettre en vedette des maisons de commerce qui restaient autrefois dans l’ombre. La solidité, l’équilibre, la propension aux compromis « raisonnables », l’observation d’un certain décorum dans l’exploitation comme dans l’utilisation des produits, — tout cela a disparu sous le torrent de l’impérialisme.

    Ce sont de nouveaux riches qui ont occupé l’avant-scène : fournisseurs d’armée, spéculateurs de bas étage, parvenus, rastaquouères, maraudeurs, repris de justice couverts de diamants, canaille sans foi ni loi, avide de luxe, prête aux dernières atrocités pour entraver la révolution prolétarienne qui ne peut leur promettre qu’un nœud coulant.

    Le régime actuel en tant que domination des riches, se dresse devant les masses dans toute sont impudence. En Amérique, en France, en Angleterre le luxe d’après-guerre a pris un caractère frénétique. Paris, bondé de parasites du patriotisme international, ressemble, d’après l’aveu du Temps, à une Babylone à la veille d’une catastrophe.

    C’est au gré de cette bourgeoisie que se rangent la politique, la justice, la presse, l’art, l’Église. Tous les freins, tous les principes sont laissés de côté. Wilson, Clemenceau, Millerand, Lloyd George, Churchill ne s’arrêtent pas devant les plus impudentes tromperies, devant les mensonges les plus grossiers et, lorsque on les surprend à accomplir des actes malhonnêtes, ils poursuivent tranquillement des exploits qui devraient les mener devant la cour d’assises.

    Les règles classiques de la perversité politique, telles que les a rédigées le vieux Machiavel, ne sont plus que les innocents aphorismes d’un nigaud de province en comparaison avec les principes sur lesquels se règlent les gouvernants bourgeois d’aujourd’hui. Les tribunaux, qui couvraient autrefois d’un clinquant démocratique leur essence bourgeoise, se sont mis à bafouer ouvertement les prolétaires et accomplissent un travail de provocation contre-révolutionnaire.

    Les juges de la 3e République acquittent sans broncher l’assassin de Jaurès. Les tribunaux de l’Allemagne, qui avait été proclamée république socialiste, encouragent les assassins de Liebknecht, de Rosa Luxemburg et de bien d’autres martyrs du prolétariat. Les tribunaux des démocraties bourgeoises servent à légaliser solennellement tous les crimes de la terreur blanche.

    La presse bourgeoise se laisse ouvertement acheter, elle porte l’estampille des vendus sur le front, comme une marque de fabrique. Les journaux dirigeants de la bourgeoisie mondiale sont des fabriques monstrueuses de mensonges, de calomnies et de prisons spirituelles.

    Les dispositions et les sentiments de la bourgeoisie sont sujets à des hausses et à des baisses nerveuses, comme le prix de ses marchés. Durant les premiers mois qui ont suivi la fin de la guerre, la bourgeoisie internationale, surtout la bourgeoisie française, claquait des dents devant le communisme menaçant. Elle se faisait de l’imminence du danger une idée en rapport avec les crimes sanglants qu’elle avait commis.

    Mais elle a su repousser la première attaque. Reliés à elle par les chaînes d’une responsabilité commune, les partis socialistes et les syndicats de la 2e Internationale lui ont rendu un dernier service, en prêtant le dos aux premiers coups portés par la colère des travailleurs. Au prix du naufrage complet de la 2e Internationale, la bourgeoisie a reçu quelque répit. Il a suffi d’un certain nombre de votes contre-révolutionnaires obtenus par Clemenceau aux élections parlementaires, de quelques mois d’équilibre instable, de l’insuccès de la grève de mai pour que la bourgeoisie française envisage avec assurance la solidité inébranlable de son régime. L’orgueil de cette classe a atteint le niveau auquel s’étaient autrefois élevées ses craintes.

    La menace est devenue l’argument unique de la bourgeoisie. Elle ne croit pas aux phrases et exige des actes : qu’on arrête, qu’on disperse les manifestations, qu’on confisque, qu’on fusille !

    Les ministres bourgeois et les parlementaires tâchent d’en imposer à la bourgeoisie en faisant figure d’hommes bien trempés, d’hommes d’acier. Lloyd George conseille sèchement aux ministres allemands de fusilier leurs communards, comme on l’a fait en France en 1871. Un fonctionnaire de troisième ordre peut compter sur les applaudissements tumultueux de la Chambre s’il sait mettre à la fin d’un pauvre compte rendu quelques menaces à l’adresse des ouvriers.

    Tandis que l’administration se transforme en une organisation de plus en plus éhontée, destinée à exercer des répressions sanglantes, à l’égard des classes laborieuses, d’autres organisations contre-révolutionnaires privées, formées sous son égide et mises à sa disposition, travaillent à empêcher par la force les grèves, à commettre des provocations, à donner de faux témoignages, à détruire les organisations révolutionnaires, à s’emparer des institutions communistes, à massacrer et incendier, à assassiner les tribus révolutionnaires, et prennent d’autres mesures à l’avenant pour défendre la propriété privée et la démocratie.

    Les fils des gros propriétaires, des gros bourgeois, les petits bourgeois qui ne savent à quoi s’en prendre et en général les éléments déclassés, en premier lieu les ci-devant de diverses catégories émigrées de Russie, forment d’inépuisables cadres de réserve pour les armées irrégulières de la contre-révolution. Des officiers élevés à l’école de la guerre impérialiste sont à leur tête.

    Les vingt mille officiers de l’armée de Hohenzollern constituent, surtout après la révolte de Kapp-Lüttwitz, un noyau contre-révolutionnaire solide dont la démocratie allemande ne sera pas à même de venir à bout si le marteau de la dictature du prolétariat ne vient le briser. Cette organisation centralisée des terroristes de l’ancien régime se complète par les détachements de partisans formés par les hauts bourreaux prussiens.

    Aux États-Unis, des unions comme la National Security League ou le Knigths of Liberty sont les régiments d’avant-garde du capital et sur leurs flancs agissent ces bandes de brigands que sont les Detective agencies d’espionnage privé.

    En France la Ligue Civique n’est autre chose qu’une organisation perfectionnée de « renards » et la Confédération du Travail, d’ailleurs réformiste, est mise hors la loi.

    La maffia des officiers blancs de Hongrie qui persiste à avoir une existence clandestine bien que leur gouvernement de bourreaux contre-révolutionnaires subsiste par le bon plaisir de l’Angleterre, a montré au prolétariat du monde entier comment se pratiquent cette civilisation et cette humanité que préconisent Wilson et Lloyd George après avoir maudit le pouvoir des Soviets et les violences révolutionnaires.

    Les gouvernements « démocratiques » de la Finlande, de la Géorgie, de la Lettonie et de l’Estonie suent sang et eau pour atteindre le niveau de perfection de leur prototype hongrois. À Barcelone, la police a sous ses ordres une bande d’assassins. Et il en est de même partout.

    Même dans un pays vaincu et ruiné comme la Bulgarie, les officiers sans emploi se réunissent en sociétés secrètes qui sont prêtes au premier signe à faire preuve de leur patriotisme au détriment des ouvriers bulgares.

    Tel qu’il est mis en pratique dans le régime bourgeois d’après-guerre, le programme d’une conciliation des intérêts contradictoires, d’une collaboration des classes, d’un réformisme parlementaire, d’une socialisation graduelle et d’un accord mutuel au sein de chaque nation, tout cela ne présente qu’une sinistre bouffonnerie.

    La bourgeoisie s’est refusée une fois pour toutes à concilier ses propres intérêts et ceux du prolétariat au moyen de simples réformes. Elle corrompt ceux qui ont pris les aumônes de la classe ouvrière et soumet le prolétariat par le fer et le sang à une règle inflexible.

    Pas une seule question importante ne se décide à la majorité des voix. Du principe démocratique il n’est resté qu’un souvenir dans les cervelles fumeuses des réformistes. L’état se borne chaque jour davantage à recruter ce qui constitue le nerf essentiel des gouvernements, c’est-à-dire des régiments de soldats.

    La bourgeoisie ne perd plus son temps à « compter les poires sur l’arbre », elle compte les fusils, les mitrailleuses et les canons qui seront à sa disposition lorsque l’heure sera venue où la question du pouvoir et de la propriété ne souffrira plus aucun délai.

    Qui vient nous parler de collaboration ou de médiation ? Ce qu’il faut pour notre salut, c’est la ruine de la bourgeoisie et seule la révolution prolétarienne peut causer cette ruine.

    IV. — LA RUSSIE SOVIÉTISTE

    Le chauvinisme, la cupidité, la discorde s’entrechoquent dans une sarabande effrénée et seul à la face du monde le principe du communisme reste vivace et créateur. Bien que le pouvoir des Soviets se soit établi pour commencer dans un pays arriéré, dévasté par la guerre, entouré d’ennemis puissants, il s’est montré doué non seulement d’une ténacité peu commune, mais aussi d’une activité inouïe. Il a prouvé par le fait la force potentielle du communisme. Le développement et le raffermissement du pouvoir soviétique constituent le point culminant de l’histoire du monde depuis la création de l’Internationale Communiste.

    La capacité de former une armée a toujours été considérée jusqu’ici comme le critérium de toute activité économique ou politique. La force ou la faiblesse de l’armée sont l’indice qui sert à évaluer la force ou la faiblesse de l’état au point de vue économique.

    Le pouvoir des Soviets a créé au bruit du canon une force militaire de premier ordre, et grâce à elle il a battu avec une supériorité indiscutable non seulement les champions de la vieille Russie monarchiste et bourgeoise, les armées de Koltchak, Dénikine, Youdénitch, Wrangel et autres, mais aussi les armées nationales des républiques « démocratiques » qui entrent en ligne pour le bon plaisir de l’impérialisme mondial (Finlande, Estonie, Lettonie, Pologne).

    Au point de vue économique c’est déjà un grand miracle que la Russie soviétique ait tenu bon ces trois premières années. Elle a fait mieux, elle s’est développée, parce que, ayant eu l’énergie d’arracher d’entre les mains de la bourgeoisie les instruments d’exploitation, elle en a fait des instruments de production industrielle et les a mis méthodiquement en action. Le fracas des pièces d’artillerie le long du front immense qui encercle la Russie des toutes parts ne l’a pas empêché de prendre des mesures pour rétablir la vie économique et intellectuelle bouleversée.

    La monopolisation par l’état socialiste des principales denrées alimentaires et la lutte sans merci contre les spéculateurs ont seules sauvegardé les villes russes d’une famine mortelle et donné la possibilité de ravitailler l’Armée Rouge. La réunion de toutes les usines, des fabriques, des chemins de fer et de la navigation sous l’égide de l’état a seule permis de régulariser la production et d’organiser le transport.

    La concentration de l’industrie et du transport entre les mains du gouvernement amène à la simplification des méthodes techniques en créant des modèles uniques pour les diverses pièces, modèles qui servent de prototype à toute production ultérieure. Seul le socialisme rend possible d’évaluer avec précision la quantité de boulons pour locomotives, pour wagons et pour steamers qui sont à produire et à réparer.

    De même on peut prévoir périodiquement la production en gros nécessaire des pièces des machines adaptées au prototype, ce qui présente des avantages incalculables pour l’intensification de la production.

    Le progrès économique, l’organisation scientifique de l’industrie, la mise en pratique du système Taylor épuré de toutes tendances au « sweating », ne rencontrent plus en Russie soviétique d’autres obstacles que ceux que tâchent de susciter les impérialistes étrangers.

    Tandis que les intérêts des nationalités, se heurtant aux prétentions impérialistes, sont une source continuelle de conflits universels, de révoltes et de guerres, la Russie socialiste a montré qu’un gouvernement ouvrier est capable de concilier les besoins nationaux avec les besoins économiques, épurant les premiers de tout chauvinisme et les seconds de tout impérialisme.

    Le socialisme a pour but de relier toutes les régions, toutes les provinces, toutes les nationalités par l’unité d’un même système économique. Le centralisme économique n’admettant plus l’exploitation d’une classe par une autre, d’une nation par une autre, et étant par cela même également avantageux pour toutes, ne paralyse en aucune façon le libre développement de l’économie nationale.

    L’exemple de la Russie des Soviets permet aux peuples de l’Europe Centrale, du sud-est des Balkans, des possessions coloniales de la Grande-Bretagne, à toutes les nations, à toutes les peuplades opprimées, aux Égyptiens et aux Turcs, aux Hindous et aux Persans, aux Irlandais et aux Bulgares, de se rendre compte que la solidarité de toutes les nationalités du monde n’est réalisable que par une fédération de républiques soviétiques.

    La révolution a fait de la Russie la première puissance prolétarienne. Depuis trois ans qu’elle existe, ses frontières n’ont pas cessé de se transformer. Devenues plus étroites sous les coups de boutoir de l’impérialisme mondial, elles reprenaient leur extension lorsque la poussée diminuait d’intensité. La lutte pour les Soviets est devenue la lutte contre le capitalisme mondial.

    La question de la Russie des Soviets est devenue une pierre de touche pour toutes les organisations ouvrières. La deuxième et infâme trahison de la social-démocratie allemande après celle du 4 août 1914, c’est que, faisant partie du gouvernement elle a demandé secours à l’impérialisme occidental, au lieu de s’allier à la révolution d’Orient. L’Allemagne soviétique alliée à la Russie soviétique, elles auraient été plus fortes à elles deux que tous les États capitalistes pris ensemble.

    L’Internationale Communiste a fait sienne la cause de la Russie soviétique. Le prolétariat international ne remettra son glaive au fourreau que lorsque la Russie soviétique sera devenue l’un des chaînons d’une Fédération de républiques soviétiques embrassant le monde.

    V. — LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
    ET L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

    La guerre civile est mise à l’ordre du jour dans le monde entier. La devise en est : « Le pouvoir aux Soviets ».

    Le capitalisme a transformé en prolétariat l’immense majorité de l’humanité. L’impérialisme a tiré les masses de leur inertie et les a incitées au mouvement révolutionnaire. Ce que nous entendons actuellement par le mot « masse » n’est pas ce que nous entendions par là il y a quelques années. Ce qui était la masse à l’époque du parlementarisme et du trade-unionisme est devenu de nos jours l’élite. Des millions et des dizaines de millions d’hommes qui avaient vécu jusqu’ici en dehors de toute politique sont en train de se transformer en une masse révolutionnaire.

    La guerre a mis tout le monde sur pied, a éveillé le sens politique des milieux les plus arriérés, leur a donné des illusions et des espérances, et les a toutes déçues. Étroite discipline corporative et, en somme, inertie des prolétaires les plus conscients d’un côté, apathie incurable des masses, de l’autre — ces traits caractéristiques des anciennes formes du mouvement ouvrier, sont tombés dans l’oubli pour toujours. Des millions de nouvelles recrues viennent d’entrer en ligne.

    Les femmes qui ont perdu leurs maris et leurs pères et qui ont dû se mettre au travail à leur place, prennent une large part au mouvement révolutionnaire. Les ouvriers de la nouvelle génération, habitués dès l’enfance aux grondements et aux éclairs de la guerre mondiale, ont accueilli la révolution comme leur élément naturel. La lutte passe par des phases différentes suivant le pays, mais cette lutte est la dernière. Il arrive que les vagues révolutionnaires, déferlant contre l’édifice d’une organisation surannée, lui prêtent une nouvelle vie. Des vieilles enseignes, des devises à demi effacées surnagent çà et là à la surface des flots.

    Il y a dans les cervelles du trouble, des ténèbres, des préjugés, des illusions. Mais le mouvement dans son ensemble a un caractère profondément révolutionnaire. On ne peut ni l’éteindre ni l’arrêter. Il s’étend, se raffermit, se purifie, rejette tout ce qui a fait son temps. Il ne s’arrêtera pas que le prolétariat mondial ne soit arrivé au pouvoir.

    La grève est le moyen d’action le plus habituel au mouvement révolutionnaire. Ce qui la cause le plus souvent, irrésistiblement, c’est la hausse des prix sur les denrées de première nécessité. La grève surgit souvent de conflits régionaux. Elle est le cri de protestation des masses impatientées par le tripotage parlementaire des socialistes. Elle exprime la solidarité entre les exploités d’un même pays ou de pays différents. Ses devises sont de nature à la fois économique et politique.

    Souvent des bribes de réformisme s’y entremêlent à des mots d’ordre de révolution sociale. Elle se calme, semble vouloir finir, puis reprend de plus belle, ébranlant la production, menaçant l’appareil gouvernemental. Elle met en fureur la bourgeoisie parce qu’elle profite de toute occasion pour exprimer sa sympathie à la Russie soviétique. Les pressentiments des exploiteurs ne les trompent pas. Cette grève désordonnée n’est autre chose en effet qu’une revue des forces révolutionnaires, un appel aux armes du prolétariat révolutionnaire.

    L’étroite dépendance dans laquelle se trouvent tous les pays vis-à-vis les uns des autres et qui s’est révélée d’une façon si catastrophique pendant la guerre, donne une importance particulière aux branches du travail qui relient les pays et place au premier rang les cheminots et les ouvriers du transport en général. Le prolétariat du transport a eu l’occasion de montrer une partie de sa force dans le boycottage de la Hongrie et de la Pologne blanches.

    La grève et le boycottage, méthodes que la classe ouvrière mettait en œuvre au début de sa lutte trade-unioniste, c’est-à-dire quand elle n’avait pas encore commencé à utiliser le parlementarisme, ont revêtu de nos jours la même importance et la même signification redoutables que la préparation de l’artillerie avant la dernière attaque.

    L’impuissance à laquelle l’individu se trouve de plus en plus réduit devant la poussée aveugle des événements historiques oblige non seulement de nouveaux groupes d’ouvriers et d’ouvrières, mais encore les employés, les fonctionnaires, les intellectuels petits-bourgeois à entrer dans les rangs des organisations syndicales.

    Avant que la marche de la révolution prolétarienne oblige à créer des Soviets qui planeront au-dessus de toutes les vieilles organisations ouvrières, les travailleurs se groupent en syndicats, tolèrent en attendant l’ancienne constitution de ces syndicats, leur programme officiel, leur élite dirigeante, mais en apportant dans ces organisations l’énergie révolutionnaire croissante des masses qui ne s’étaient point révélées jusque-là.

    Les couches les plus basses, les prolétaires des campagnes, les manœuvres relèvent la tête. En Italie, en Allemagne et dans d’autres pays on observe une croissance magnifique du mouvement révolutionnaire des ouvriers agricoles et leur rapprochement avec le prolétariat des villes.

    Les paysans pauvres regardent d’un meilleur œil le socialisme. Si les intrigues des réformistes parlementaires qui cherchent à exploiter les préjugés de propriété du moujik sont restées infructueuses, le mouvement vraiment révolutionnaire du prolétariat, sa lutte indomptable contre les oppresseurs, font naître une lueur d’espérance dans le cœur du travailleur le plus humble, le plus courbé vers la glèbe, le plus miséreux.

    L’abîme de la misère humaine et de l’ignorance est insondable. Toute couche qui vient de se redresser en laisse derrière elle une autre qui tente à peine de se soulever. Mais l’avant-garde ne doit pas attendre la masse compacte de l’arrière pour engager le combat. Le soin de réveiller, de stimuler et d’éduquer ses couches les plus arriérées, la classe ouvrière le prendra lorsqu’elle sera parvenue au pouvoir.

    Les travailleurs des colonies et des pays à demi coloniaux se sont réveillés. Dans les espaces infinis de l’Inde, de l’Égypte, de la Perse, sur lesquels se dresse l’hydre monstrueuse de l’impérialisme anglais, sur cette mer humaine sans fond, s’accomplit un travail latent ininterrompu, soulevant des vagues qui font trembler dans la City les actions de la Bourse et les cœurs.

    Dans le mouvement des peuples coloniaux, l’élément social sous toutes ses formes se mêle à l’élément national, mais tous les deux sont dirigés contre l’impérialisme. Depuis les premières tentatives jusqu’aux formes perfectionnées, le chemin de la lutte se poursuit dans les colonies et dans les pays arriérés en général à marches forcées, sous la pression de l’impérialisme moderne et sous la direction du prolétariat révolutionnaire.

    Le rapprochement fécond qui s’opère entre les peuples musulmans et non-musulmans, unis par les chaînes communes de la domination anglaise et de la domination étrangère en général, l’épuration intérieure du mouvement, la diminution constante de l’influence du clergé et de la réaction chauvine, la lutte simultanée menée par les indigènes à la fois contre les envahisseurs et contre leurs propriétaires suzerains, prêtres et usuriers, font de l’armée de l’insurrection coloniale grandissante une force historique de premier ordre, une réserve inépuisable pour le prolétariat mondial.

    Les parias se lèvent. Leur pensée qui s’éveille se reporte vers la Russie des Soviets, vers les barricades dressées dans les rues des villes d’Allemagne, vers la lutte désespérée des ouvriers grévistes de l’Angleterre, vers l’Internationale Communiste.

    Le socialisme qui, directement ou indirectement, défend la situation privilégiée de certaines nations au détriment des autres, qui s’accommode de l’esclavage colonial, qui admet des différences de droits entre les hommes de race et de couleur différentes ; qui aide la bourgeoisie de la métropole à maintenir sa domination sur les colonies au lieu de favoriser l’insurrection armée de Ces colonies ; le socialisme anglais qui ne soutient pas de tout son pouvoir l’insurrection de l’Irlande, de l’Égypte et de l’Inde contre la ploutocratie londonienne — ce « socialisme » loin de pouvoir prétendre au mandat et à la confiance du prolétariat, mérite sinon des balles, du moins la marque de l’opprobre.

    Or, dans ses efforts pour amener la révolution mondiale, le prolétariat se heurte non seulement aux lignes de fil de fer barbelé à moitié détruites qui se dressent encore entre les pays depuis la guerre, mais surtout à l’égoïsme, au conservatisme, à l’aveuglement et à la trahison des vieilles organisations de partis et des syndicats qui ont vécu de lui à l’époque précédente.

    La trahison dont s’est rendue coutumière la social-démocratie internationale n’a rien d’égal dans l’histoire de la lutte contre l’asservissement. C’est en Allemagne que les conséquences en sont les plus terribles. La défaite de l’impérialisme allemand a été en même temps celle du système d’économie capitaliste.

    En dehors du prolétariat il n’y avait aucune classe qui pût prétendre au pouvoir d’état. Le perfectionnement de la technique, le nombre et le niveau intellectuel de la classe ouvrière allemande étaient un sur garant du succès de la révolution sociale. Malheureusement la social-démocratie allemande s’est mise en travers de la voie. Grâce à des manœuvres compliquées dans lesquelles la ruse se mêle à la bêtise, elle a paralysé l’énergie du prolétariat pour le détourner de la conquête du pouvoir qui était son but naturel et nécessaire.

    La social-démocratie s’était évertuée pendant des dizaines d’années à conquérir la confiance des ouvriers, pour, ensuite, au moment décisif, quand le sort de la société bourgeoise était en jeu, mettre toute son autorité au service des exploiteurs.

    La trahison du libéralisme et la faillite de la démocratie bourgeoise sont des épisodes insignifiants en comparaison de la trahison monstrueuse des partis socialistes. Le rôle de l’Église elle-même, cette station électrique centrale du conservatisme, comme l’a définie Lloyd George, pâlit devant le rôle anti-socialiste de la 2e Internationale.

    La social-démocratie a voulu justifier sa trahison envers la révolution pendant la guerre par la formule de défense nationale. Elle couvre sa politique contre-révolutionnaire, après la conclusion de la paix, avec la formule de démocratie. Défense nationale et démocratie, voilà les formules solennelles de capitulation du prolétariat devant la volonté de la bourgeoisie.

    Mais la chute ne s’arrête pas là. Continuant sa politique de défense du régime capitaliste, la social-démocratie est obligée, à la remorque de la bourgeoise, de fouler aux pieds la « défense nationale » et la « démocratie ». Scheidemann et Ebert baisent les mains de l’impérialisme français dont ils réclament l’appui contre la révolution soviétique. Noske incarne la terreur blanche et la contre-révolution bourgeoise.

    Albert Thomas se transforme en commis de la Ligue des Nations, cette honteuse agence de l’impérialisme. Vandervelde, éloquente image de la fragilité de la 2e Internationale dont il était le chef, devient ministre du roi, collègue du calotin Delacrois, défenseur des prêtres catholiques belges et avocat des atrocités capitalistes commises sur les nègres du Congo.

    Henderson, qui singe les grands hommes de la bourgeoisie, qui figure à tour de rôle comme ministre du roi et représentant de l’opposition ouvrière de Sa Majesté ; Tom Shaw qui réclame du gouvernement soviétique des preuves irréfutables comme quoi le gouvernement de Londres est composé d’escrocs, de bandits et de parjures, que sont donc tous ces messieurs, sinon les ennemis jurés de la classe ouvrière ?

    Renner et Seitz, Niemets et Tousar, Troelstra et Branting, Daszinsky et Tchkéidzé, chacun d’eux traduit, dans la langue de sa petite bourgeoisie malhonnête, la faillite de la 2e Internationale.

    Karl Kautsky enfin, ex-théoricien de la 2e Internationale et ex-marxiste, devient le conseiller ânonnant attitré de la presse jaune de tous les pays.

    Sous l’impulsion des masses, les éléments plus élastiques du vieux socialisme, sans pour cela changer de nature, changent de tournure et de couleur, rompent ou s’apprêtent à rompre avec la 2e Internationale, battant en retraite comme toujours devant toute action de masse et révolutionnaire et même devant tout prélude sérieux de l’action.

    Pour caractériser et, en même temps, pour confondre les acteurs de cette mascarade, il suffit de dire que le parti socialiste polonais qui a pour chef Daszinsky et pour patron Pilsudsky, le parti du cynisme bourgeois et du fanatisme chauvin, déclare se retirer de la 2e Internationale.

    L’élite parlementaire dirigeante du parti socialiste français qui vote actuellement contre le budget et contre le traité de Versailles, reste au fond un des piliers de la république bourgeoise. Ses gestes d’opposition vont, de temps en temps juste assez loin pour ne pas ébranler la demi-confiance des milieux les plus conservateurs parmi le prolétariat.

    Dans les questions capitales de la lutte de classe, le socialisme parlementaire français continue de tromper la volonté de la classe ouvrière, en lui suggérant que le moment actuel n’est pas propice à la conquête du pouvoir, parce que la France est trop appauvrie de même qu’hier il était défavorable à cause de la guerre, comme à la veille de la guerre c’était la prospérité industrielle qui y faisait obstacle et, auparavant, la crise industrielle. À côté du socialisme parlementaire et sur le même plan siège le syndicalisme bavard et trompeur des Jouhaux et Cie.

    La création d’un parti communiste fort et trempé par l’esprit d’unité et de discipline en France est une question de vie ou de mort pour le prolétariat français.

    La nouvelle génération des ouvriers allemands fait son éducation et puise sa force dans les grèves et les insurrections.

    Son expérience lui coûte d’autant plus de victimes que le Parti Socialiste Indépendant continuera de subir l’influence des conservateurs social-démocrates et des routiniers qui se remémorent la social-démocratie des temps de Bebel, qui ne comprennent rien au caractère de l’époque révolutionnaire actuelle, tremblent devant la guerre civile et la terreur révolutionnaire, se laissent aller au courant des événements, dans l’attente du miracle qui doit venir en aide à leur incapacité.

    C’est dans le feu de la lutte que le parti de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht enseigne aux ouvriers allemands où se trouve le bon chemin.

    Parmi le mouvement ouvrier anglais la routine est telle qu’on n’a pas encore senti en Angleterre le besoin de changer son fusil d’épaule : les chefs du parti ouvrier britannique s’entêtent à vouloir rester dans les cadres de la 2e Internationale.

    Tandis que le cours des événements des dernières années, en rompant la stabilité de la vie économique dans l’Angleterre conservatrice, a rendu les masses travailleuses on ne peut plus aptes à assimiler le programme révolutionnaire, la mécanique officielle de la nation bourgeoise avec son pouvoir royal, sa Chambre des lords, sa Chambre des Communes, son Église, ses trade-unions, son parti ouvrier, George V, l’évêque de Canterbury et Henderson, reste intacte comme un frein automatique puissant contre le développement.

    Il n’y a que le parti communiste affranchi de la routine et de l’esprit de secte, intimement lié aux grandes organisations ouvrières qui peut opposer l’élément prolétarien à cette élite officielle.

    En Italie, où la bourgeoisie reconnaît franchement que le sort du pays se trouve désormais, en fin de compte, entre les mains du parti socialiste, la politique de l’aile droite représentée par Turati s’efforce de faire rentrer le torrent de la révolution prolétarienne dans l’ornière des réformes parlementaires. C’est dans ce sabotage intérieur que réside actuellement le plus grand danger.

    Prolétaires d’Italie, songez à la Hongrie dont l’exemple est entré dans l’histoire pour rappeler malheureusement que dans la lutte pour le pouvoir, comme pendant l’exercice du pouvoir, le prolétariat doit rester intrépide, rejeter tous les éléments équivoques et faire impitoyablement justice de toutes les tentatives de trahison !

    Les catastrophes militaires, suivies d’une crise économique redoutable, inaugurent un nouveau chapitre dans le mouvement ouvrier des États-Unis et dans les autres pays du continent américain. La liquidation du charlatanisme et de l’impudence du wilsonisme, c’est la liquidation par le fait même de ce socialisme américain, mélange d’illusions pacifistes et d’activité mercantile, dont le trade-unionisme gauche des Gompers et Cie, est le couronnement.

    L’union étroite des partis ouvriers révolutionnaires et des organisations prolétariennes du continent américain, de la presqu’île de l’Alaska au cap Horn, en une section américaine compacte de l’Internationale, en face de l’impérialisme tout puissant et menaçant des États-Unis, voilà le problème qui doit être réalisé dans la lutte contre toutes les forces mobilisées par le dollar pour sa défense.

    Les socialistes de gouvernement et leurs consorts de tous les pays ont eu beaucoup de raisons pour accuser les communistes de provoquer, par leur tactique intransigeante, l’activité de la contre-révolution dont ils contribuent à resserrer les rangs. Cette inculpation politique n’est pas autre chose qu’une réédition tardive des plaintes du libéralisme. Ce dernier précisément affirmait que la lutte spontanée du prolétariat pousse les privilégiés dans le camp de la réaction. C’est une vérité incontestable.

    Si la classe ouvrière ne s’attaquait pas aux fondements de la domination de la bourgeoisie, celle-ci n’aurait pas besoin de répressions.

    L’idée même de contre-révolution n’existerait pas si l’histoire ne connaissait pas de révolution. Si les insurrections du prolétariat entraînent fatalement l’union de la bourgeoisie pour la défense et la contre-attaque, cela ne prouve qu’une chose, c’est que la révolution est la lutte de deux classes irréconciliables qui ne peut aboutir qu’au triomphe définitif de l’une sur l’autre.

    Le communisme récuse avec mépris la politique qui consiste à maintenir les masses dans la stagnation, en leur faisant redouter la massue de la contre-révolution.

    À l’incohérence et au chaos du monde capitaliste dont les derniers efforts menacent d’engloutir toute la civilisation humaine, l’Internationale Communiste oppose la lutte combinée du prolétariat mondial, pour la destruction de la propriété particulière comme instrument de production, et pour la reconstruction d’une économie nationale et mondiale fondée sur un plan économique unique, établi et réalisé par la société solidaire des producteurs.

    En groupant sous le drapeau de la dictature du prolétariat et du système soviétique de l’état les millions de travailleurs de toutes les parties du monde, l’Internationale Communiste lutte obstinément pour organiser et pour purifier ses propres éléments.

    L’Internationale Communiste, c’est le parti de l’insurrection du prolétariat mondial révolutionné. Elle rejette toutes les organisations et les partis qui, sous une forme ouverte ou voilée, endorment, démoralisent et énervent le prolétariat, en l’exhortant à s’incliner devant les fétiches dont se pare la dictature de la bourgeoisie : la légalité, la démocratie, la défense nationale, etc…

    L’Internationale Communiste ne peut pas non plus tolérer dans ses rangs les organisations qui, tout en inscrivant dans leur programme la dictature du prolétariat, persistent à mener une politique qui s’entête à chercher une solution pacifique à la crise historique. Ce n’est pas résoudre la question que de reconnaître le système soviétique. L’organisation soviétique ne renferme pas une vertu miraculeuse.

    Cette vertu révolutionnaire réside dans le prolétariat lui-même. Il faut que celui-ci n’hésite pas à se soulever et à conquérir le pouvoir et alors seulement l’organisation soviétique manifestera ses qualités et restera pour lui l’arme la plus efficace.

    L’Internationale Communiste prétend expulser des rangs du mouvement ouvrier tous les chefs qui sont liés directement ou indirectement par une collaboration politique avec la bourgeoisie.

    Ce qu’il nous faut, ce sont des chefs qui n’aient pour la société bourgeoise qu’une haine mortelle, qui organisent le prolétariat en vue d’une lutte impitoyable, qui soient prêts à mener au combat l’armée des insurgés, qui ne s’arrêtent pas à mi-chemin quoiqu’il arrive et qui ne craignent pas de recourir à des mesures de répression impitoyables contre tous ceux qui tenteront par la force de les contrecarrer.

    L’Internationale Communiste, c’est le parti international de l’insurrection et de la dictature prolétariennes. Pour elle, il n’existe pas d’autres buts ni d’autres problèmes que ceux de la classe ouvrière. Les prétentions des petites sectes dont chacune veut sauver la classe ouvrière à sa manière, sont étrangères et contraires à l’esprit de l’Internationale Communiste.

    Elle ne possède pas la panacée universelle, le remède infaillible à tous les maux ; elle tire leçon de l’expérience de la classe ouvrière dans le passé et dans le présent, cette expérience lui sert à réparer ses fautes et ses omissions ; elle en tire un plan général et elle ne reconnaît et n’adopte que les formules révolutionnaires qui sont celles de l’action de masse.

    Organisation professionnelle, grève économique et politique, boycottage, élections parlementaires et municipales, tribune parlementaire, propagande légale et illégale, organisations secrètes au sein de l’armée, travail coopératif, barricades, l’Internationale Communiste ne repousse aucune des formes d’organisation ou de lutte créées au cours du développement du mouvement ouvrier, mais aussi elle n’en consacre aucune en qualité de panacée universelle.

    Le système des Soviets n’est pas uniquement un principe abstrait que les communistes veulent opposer au système parlementaire. Les Soviets sont un appareil du pouvoir prolétarien qui, après la lutte et seulement par le moyen de cette lutte, doit remplacer le parlementarisme.

    Tout en combattant de la façon la plus décidée contre le réformisme des syndicats, contre le carriérisme et le crétinisme des parlements, l’Internationale Communiste ne laisse pas de condamner le fanatisme de ceux qui invitent les prolétaires à quitter les rangs d’organisations syndicales comptant des millions de membres et à tourner le dos aux institutions parlementaires et municipales.

    Les communistes en aucune façon ne se détournent des masses dupées et vendues par les réformistes et les patriotes, mais ils acceptent la lutte avec eux, au sein même des organisations de masses et des institutions créées par la société bourgeoise, de façon à pouvoir renverser celle-ci rapidement et à coup sûr.

    Pendant que, sous l’égide de la 2e internationale, les systèmes d’organisation de classe et les moyens de lutte presque exclusivement légaux se sont trouvés, en fin de compte, assujettis au contrôle et à la direction de la bourgeoisie et que la classe révolutionnaire a été musclée par les agents réformistes, l’Internationale Communiste tout au contraire arrache d’entre les mains de la bourgeoisie les guides qu’elle avait accaparées, prend sur soi l’organisation du mouvement ouvrier, le rassemble sous un commandement révolutionnaire et, aidée par lui, propose au prolétariat un but unique, à savoir : la prise du pouvoir pour la destruction de l’état bourgeois et la constitution d’une société communiste.

    Au cours de toute son activité, qu’il soit instigateur d’une grève de protestation, chef d’une organisation clandestine, secrétaire d’un syndicat, propagandiste dans les meetings ou député au parlement, pionnier de la coopération ou soldat à la barricade, le communiste se doit de rester fidèle, c’est-à-dire qu’il doit être soumis à la discipline du parti, lutteur infatigable, ennemi mortel de la société capitaliste, de ses bases économiques, de ses formes administratives, de son mensonge démocratique, de sa religion et de sa morale ; il doit être le défenseur plein d’abnégation de la révolution prolétarienne et l’infatigable champion de la société nouvelle.

    Ouvriers et ouvrières !

    Il n’y a sur la terre qu’un seul drapeau qui mérite que l’on combatte et qu’on meure sous ses plis, c’est le drapeau de l’Internationale Communiste !

    SIGNÉ :

    RUSSIE : N. Lénine, G. Zinoviev, N. Boukharine, L. Trotsky.
    ALLEMAGNE : P. Lévi, E. Meyer, Y. Walcher, R. Wolfstein.
    FRANCE : Rosmer, Jacques Sadoul, Henri Guilbeaux.
    ANGLETERRE : Tom Quelch, Gallacher, Silvya Pankhurst, Mas
    AMÉRIQUE (E.-U.) : Fleen, A. Frayna, A. Bilan, J. Reed.
    ITALIE : D.M. Serrati, N. Bombacci, Graziadei, A. Bordiga.
    NORVÈGE : Frys, Shaefflo, A. Madsen.
    SUÈDE : K. Dalstroem, Samuelson, Winberg.
    DANEMARK : O. Jorgenson, M. Nilsen.
    HOLLANDE : Wijncup, Jansen, Van Leuve.
    BELGIQUE : Van Overstraeten.
    ESPAGNE : Pestaña.
    SUISSE : Herzog, J. Humbert-Droz.
    HONGRIE : Racoczy, A. Roudnyansky, Varga.
    GALICIE : Levitsky.
    POLOGNE : J. Marchlevsky.
    LATVIE : Stoutclika, Krastjyn.
    LITHUANIE : Mitzkévich-Kapsukas.
    TCHÉCOSLOVAQUIE : Vanek, Gula, Zapototsky.
    ESTONIE : R. Wakman, G. Poegelman.
    FINLANDE : I. Rakhia, Letonmiaky, K. Manner.
    BULGARIE : Kabaktchiev, Maximov, Chabline.
    YOUGOSLAVIE : Milkitch.
    GÉORGIE : M. Tsakiah.
    ARMÉNIE : Nazaritian.
    TURQUIE : Nichad.
    PERSE : Sultan-Zadé.
    INDE : Atcharia, Sheffik.
    INDES-NÉERLANDAISES : Maring.
    CHINE : Laou-Siou-Tchéou.
    CORÉE : Pak Djinchoun, Him Houlin.

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    de l’Internationale communiste