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  • Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné et le «Désert»

    Les Tragiques sont ainsi une œuvre exprimant une défaite, et c’est cela qui fait son intérêt, Théodore Agrippa d’Aubigné étant une figure historique d’une grande importance pour la France du XVIe siècle.

    Il fut, en effet, un des principaux activistes de la cause protestante en France, tant sur le plan militaire que sur le plan intellectuel.

    C’est en ce sens qu’ont une valeur historique les écrits de Théodore Agrippa d’Aubigné synthétisant cet épisode historique que furent les guerres de religion : Les Tragiques, écrits en vers et publiés en 1616), l’Histoire Universelle, publiés dans la période 1616-1620, en prose et d’une approche plus formelle.

    Théodore Agrippa d’Aubigné en 1622

    Pour cette raison, conformément à son interprétation de la situation – celle du Désert, c’est-à-dire d’une période d’exil face à la menace –Théodore Agrippa d’Aubigné signera Les Tragiques d’un pseudonyme, LBDD (le bouc du désert).

    Les calvinistes se considéraient, après la révocation de l’Édit de Nantes, en 1685 comme les Hébreux à la sortie d’Égypte (Exode, 14-17), dans le « Désert ».

    Mais le principe remonte à plus loin : dans Les Tragiques, Théodore Agrippe d’Aubigné utilise déjà cette référence, qui est également présente dans l’apocalypse, une femme se réfugiant dans le désert pour éviter d’être noyé par l’eau sortant massivement d’un dragon.

    Le désert est aride, mais protecteur et il ne dure qu’un temps, telle est la vision qu’a Théodore Agrippa d’Aubigné de la situation qu’il connaît :

    « O Désert, promesse des cieux,
    Infertile mais bienheureux !
    Tu as une seule abondance,
    Tu produis les célestes dons,
    Et la fertilité de France
    Ne gît qu’en épineux chardons.
    Tu es circuit, non surpris,
    Et menacé sans être pris.
    Le dragon ne peut et s’essaie :
    Il ne peut nuire que des yeux. »

    Il s’agit de porter la vérité, qui ne peut naître que dans l’adversité :

    « La vérité a coutume
    D’accoucher en un lieu secret »

    Il faut donc assumer le bannissement qui a été imposé à la vérité, pour la porter :

    « Voilà comment de nous la vérité bannie,
    Meurtrie et déchirée, est aux prisons, aux fers,
    Ou égare ses pas parmi les lieux déserts »

    Cela fait des calvinistes le David des temps modernes, défendant la vérité avec une fronde :

    « Je commençais à arracher
    Des cailloux polis d’un rocher,
    Et elle [la Vérité] tordait une fronde ;
    Puis nous jetions par l’univers,
    En forme d’une pierre ronde
    Ses belles plaintes et mes vers.

    (…)

    Vous bienheureux les malheureux !
    Separant des fanges du monde
    Votre chrétienne liberté,
    Vous défendez à coups de fronde
    Les logis de la vérité »

    Or, il y a là une contradiction essentielle. La France a été un pays marqué à la fois par l’humanisme (du Nord et de l’Est de l’Europe) et par la Renaissance italienne, au point qu’aujourd’hui les commentateurs bourgeois sont incapables de distinguer les deux.

    Mais Agrippa d’Aubigné aurait dû représenter le calvinisme, dans une démarche parallèle à celle de l’humanisme : pourquoi trouve-t-on alors des éléments de la Renaissance ? C’est que son calvinisme n’a pas atteint un niveau suffisant de maturité pour ne pas utiliser des valeurs de la Renaissance.

    Cela tient bien entendu à la base aristocratique de Théodore Agrippa d’Aubigné et de ce qu’il représente.

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  • «Je veux peindre la France une mère affligée»

    Nous sommes en 1616 lorsque Les Tragiques sont publiées, alors que Henri IV s’est fait assassiné en 1610, malgré qu’il ait abjuré le protestantisme en 1593. Son auteur, Théodore Agrippa d’Aubigné, figure du protestantisme et historiquement très proche de Henri IV, ne peut plus alors faire qu’un constat désabusé :

    « ce siècle n’est rien qu’une histoire tragique »

    Son parti, celui du calvinisme qui s’est lancé dans une grande offensive anti-cléricale, n’a pas réussi sa percée, alors que son chef même, son proche ami qu’il a toujours valorisé comme le chef des protestants, a capitulé pour devenir Roi. L’Édit de Nantes qu’il a formulé est d’ailleurs terriblement bancal et un piège se refermant sur les calvinistes.

    François Quesnel  (1542–1619),
    Portrait dessiné du roi Henri IV, 1602

    La situation est très mauvaise de par le rapport de force, et exprimée dans le passage le plus célèbre des Tragiques, sous la forme de deux bébés dont l’un, plus fort, prive l’autre de nourriture et provoque de terribles douleurs à sa mère.

    Voici comment Théodore Agrippa d’Aubigné met cela en scène, dans le premier des sept livres que forme le recueil poétique des Tragiques (des espaces sont laissées pour faciliter la lecture) :

    « Je veux peindre la France une mère affligée,
    Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée.

    Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
    Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups
    D’ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
    Dont nature donnait à son besson l’usage ;

    Ce voleur acharné, cet Esaü malheureux,
    Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux,
    Si que, pour arracher à son frère la vie,
    Il méprise la sienne et n’en a plus d’envie.

    Mais son Jacob, pressé d’avoir jeûné meshui [aujourd’hui],
    Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui,
    À la fin se défend, et sa juste colère
    Rend à l’autre un combat dont le champ et la mère.

    Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
    Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;
    Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
    Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.

    Leur conflit se rallume et fait si furieux
    Que d’un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
    Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,
    Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;

    Elle voit les mutins tout déchirés, sanglants,
    Qui, ainsi que du cœur, des mains se vont cherchant.

    Quand, pressant à son sein d’une amour maternelle
    Celui qui a le droit et la juste querelle,
    Elle veut le sauver, l’autre qui n’est pas las
    Viole en poursuivant l’asile de ses bras.
    Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ;

    Puis, aux derniers abois de sa proche ruine,
    Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté
    Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ;
    Or vivez de venin, sanglante géniture,
    Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture ! »

    Ce panorama terrible de la guerre des religions, Pierre de Ronsard l’avait exprimé de manière similaire, du point de vue catholique en 1562, dans son Discours des misères de ce temps, à la reine mère du Roi.

    On ne doit pas en être étonné, car Théodore Agrippa d’Aubigné s’est toujours réclamé de Pierre de Ronsard et a intitulé Misères le premier recueil des Tragiques d’où est tiré ce plus fameux passage.

    Voici ce que dit Pierre de Ronsard, pour bien comprendre l’écho que représente la démarche de Théodore Agrippa d’Aubigné :

    « Ce monstre (le Protestantisme) arme le fils contre son propre père 
    Et le frère (ô malheur !) arme contre son frère,
    La sœur contre la sœur, et les cousins germains
    Au sang de leurs cousins veulent tremper leurs mains :
    L’oncle hait son neveu, le serviteur son maître
    La femme ne veut plus son mari reconnaître
    Les enfants sans raison disputent de la foi 
    Et tout à l’abandon va sans ordre et sans loi. »

    La contradiction saute ici aux yeux à l’observateur averti. Théodore Agrippa d’Aubigné se revendique de Pierre de Ronsard et cherche à remettre la France dans le droit chemin, au-delà ce qui lui apparaît comme une déviation.

    Il ne comprend pas ce que représente Pierre de Ronsard, il s’imagine qu’il peut le reconnaître culturellement, alors que son approche est celle de la synthèse Renaissance-humanisme propre à la France, avec sa monarchie pactisant avec le catholicisme pour devenir absolue.

    Il ne comprend pas l’ampleur du calvinisme, la signification de rupture complète avec la féodalité, pas plus qu’il ne comprend pas pourquoi celui-ci ne triomphe pas en France.

    Et son style s’en ressent : Les Tragiques sont une œuvre d’environ dix mille vers extrêmement difficile à lire, dans un français tortueux rempli de références à la Bible mais également à l’Antiquité gréco-romaine.

    C’est le reflet d’un terrible problème de fond, montrant les limites historiques du calvinisme en France.

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  • OOA (MLM-pM):Le marxisme et la question nationale en Afghanistan

    Dédié au Mouvement Communiste International

    « Quelle est l’essence de cette révolution démocratique?

    C’est une guerre paysanne dirigée par le Parti Communiste, elle entend créer un Etat nouveau constitué de quatre classes pour écraser l’impérialisme, la grande bourgeoisie, les propriétaires terriens et, ce faisant, accomplir ses quatre tâches.

    C’est ainsi que la révolution démocratique a une forme principale de lutte: la guerre populaire et une forme principale d’organisation: la force armée;

    cela représente, donc, la solution du problème de la terre, du problème national, de la destruction de l’État propriétaire terrien bureaucratique, des forces armées réactionnaires – cette colonne qui le soutient- pour réaliser l’objectif politique de construire un État nouveau, un État de Démocratie Nouvelle et de créer la République Populaire de Démocratie Nouvelle, pour ensuite, avancer immédiatement vers la révolution socialiste.

    En synthèse: la révolution démocratique se concrétise dans la guerre paysanne dirigée par le Parti Communiste; toute autre modalité ne représente rien d’autre qu’un service à l’État propriétaire terrien bureaucratique. » Président Gonzalo [cité dans le document du Parti Communiste du Pérou : La révolution démocratique]

    C’est à partir du point de vue de classe que les marxistes révolutionnaires d’Afghanistan ont vu la question nationale. Cela a été un point les différenciant de la « perspective nationale » des révisionnistes.

    Ces cinq dernières décennies, les révisionnistes ont soit sous-estimé cette question, soit l’ont surestimé. De telles sous- et sur-estimation sont issues de leurs analyses non fondées sur les classes de la question nationale en Afghanistan.

    La question nationale, comme le marxisme l’enseigne a été une question paysanne, dans les pays féodaux, semi-féodaux, semi-coloniaux / coloniaux. L’Afghanistan a été semi-coloniale ou une colonie lors des 150 dernières années.

    Ce statut a commencé avec l’invasion anglaise en Afghanistan.

    Le peuple d’Afghanistan a mené trois héroïques guerres contre les colonialistes britanniques.

    Sous Amir Amanullah Khan, notre peuple a remporté la victoire politique et militaire sur la Grande-Bretagne, mais, cela n’a pas duré plus d’une décennie, et en bout de dix ans, d’abord Habibulah Kalakani, puis Nader Shah, ont de nouveau défait le courant progressiste.

    Sous Nader Shah a eu lieu le processus d’émergence d’un capitalisme bureaucratique aux côtés des vestiges du féodalisme, et soumis à l’impérialisme. Ainsi, l’Afghanistan est apparu comme un pays semi-féodal et semi-colonial, dans lequel un capitalisme bureaucratique a émergé.

    Mais le processus d’émergence de ce « capitalisme » était trop lent, et Nader régnait encore comme un monarque féodal plutôt qu’un monarque bureaucrate.

    Ce document, traite principalement de la question nationale, qui est essentiellement une question des paysans en Afghanistan.

    Notre organisation a cependant produit de nombreux documents analysant la question nationale en Afghanistan, mais en raison du fait que la quasi-totalité des analyses sont en persan, il est nécessaire de délivrer un document en anglais pour le Mouvement Communiste International.

    Les révisionnistes et ceux ayant un faible niveau de connaissance idéologique ont largement, et de manière fausse, annoncé et fait valoir que le peuple d’Afghanistan est une nation.

    Le slogan « nation afghane » était une arme de combat, par lequel le parti de la « Afghan Millat » (= la nation afghane), sous le règne du roi Zaher Shah (fils de Nader Shah), a supprimé les autres nationalités et les minorités nationales. La monarchie a également vu son intérêt tribal pour défendre un tel programme réactionnaire.

    Mais, les maoïstes, opposés à un tel ordre du jour, et fondés sur la théorie marxiste de ce qu’est une nation, ont fait valoir que: le peuple de l’Afghanistan, non seulement ne fait pas une nation, mais, le slogan de « nation afghane » est une arme de combat, par lequel les réactionnaires ont toujours supprimé les masses révolutionnaires.

    Certaines sections des militants soutenant la pensée Mao Zedong et qui avaient de faibles connaissances théoriques ont également été victimes du fait de parler du peuple d’Afghanistan comme nation afghane. Mais, pour la plupart des maoïstes en Afghanistan, il était clair que nous n’avons pas les conditions requises pour être une nation.

    L’excellent travail du camarade Staline, le marxisme et la question nationale, a toujours été une source théorique solide des maoïstes qui discutent de la question nationale à partir d’une position de classe.

    Pour étudier l’oppression nationale en Afghanistan, nous n’avons pas à sous-estimer les noires tentatives de la royauté, qui a toujours affirmé que la nationalité pachtoune, qui est aussi appelé les Afghans, constitue la majorité de la population.

    Mais, ce n’est qu’une question politique, et elle n’a pas de réalité objective.

    La domination pachtoune en Afghanistan, soutenue par les impérialistes et les colonialistes pendant la majeure partie du 20e siècle, n’a jamais autorisé les statistiques pour le calcul des nationalités et de la population.

    Une des statistiques, que l’ONU cite également, et qui est pratiquement négligée par les politiciens pachtounes chauvins réactionnaires , est celle qui a été faite sous le régime du [Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan] révisionniste.

    Le régime du PDPA a estimé que la population de nationalité pachtoune composait seulement 39% de la population. Les révisionnistes ont abandonné le processus de statistiques concernant la population, et ils se sont opposés à la poursuite de l’affaire.

    Cela parce que Taraki et Amin, deux dirigeants révisionnistes du PDPA, étaient pachtounes, et ils avaient aussi des conceptions chauvines qui ne permettaient pas de politiques réelles.

    Pendant le règne Zaher Shah, il y a eu un homme politique non-pachtoune d’Afghanistan, Taher Badakhshi, qui a également prétendu être marxiste, et qui a proposé un scénario national pour l’Afghanistan. Son courant a été défini comme « courant anti-oppression nationale. »

    Mais, il n’a pas proposé son scénario en le fondant sur le marxisme. Il était un petit-bourgeois nationaliste, qui avait une vision étroite d’esprit et sectaire de l’émancipation des nationalités. Il a donné la priorité aux droits des minorités nationales, à la place de la lutte des classes. Ainsi, son scénario a été condamné et rejeté par les forces révolutionnaires d’Afghanistan.

    Les maoïstes ont fait valoir que pour autant que les Pachtounes ne semblent pas être la majorité, et que la création de la question de la « minorité » et de la « majorité » a été un piège politique de la classe dominante réactionnaire afin de supprimer les masses non-pachtounes, cela ne signifie pas qu’il soit juste et révolutionnaire d’imposer le nationalisme.

    Le marxisme argumente seulement pour une analyse de classe de la question nationale. C’est une réalité que la couche dirigeante du peuple pachtoune a toujours supprimé les masses non-pachtounes, mais nous ne devons pas oublier que des millions de personnes du peuple pachtoune souffrent également de l’oppression de classe de la féodalité et du capitalisme bureaucratique.

    Tout le monde sait que les dirigeants Pachtounes ont donné de nombreux privilèges aux Pachtounes dans la distribution des terres des zones peuplées de non-pachtounes, principalement sous Nader Shah, et Zaher Shah, mais nous ne devons pas oublier que il y a encore des millions de Pachtounes pauvres sans terre et qui sont des paysans pauvres qui sont les forces réelles pour une Révolutions de Nouvelle Démocratie.

    Ainsi, les maoïstes révolutionnaires d’Afghanistan ont rejeté la thèse « anti-oppression nationale » de Taher Badakhshi. Cette thèse était une orientation sectaire, non fondée sur les classes, et qui était principalement en faveur des féodaux réactionnaires non-pachtounes.

    Ainsi, le « courant anti-oppression » a été analysé en tant que tel et qualifié par les maoïstes comme étant un programme réactionnaire, qui voyait l’ensemble de la population pachtoune comme l’ennemi d’autres nationalités.

    Les maoïstes ont fait valoir que: le peuple pachtoune n’est pas réactionnaire dans son ensemble, c’est seulement une mince couche au pouvoir, qui représente les intérêts du capital bureaucratique et des seigneurs des terres, qui est réactionnaire.

    Mais, les maoïstes ont également souligné que: il y a les astuces de la strate gouvernante, qui tente de tromper les masses pauvres pachtounes et de les utiliser comme une arme de combat pour supprimer les autres masses.

    Dans ce scénario, les Pachtounes pauvres, en raison du faible niveau de conscience politique, ont de nombreuses fois été instrumentalisé dans l’élimination des masses non pachtounes ; cependant, il n’est pas juste de cibler la nationalité pachtoune comme réactionnaire.

    Nous devons cibler le véritable ennemi: l’impérialisme, le capitalisme bureaucratique et les propriétaires terriens.

    Les djihadistes, les prétendus combattants de la liberté de Ronald Reagan [président des USA de 1980 à 1988], qui étaient en faveur de l’impérialisme mondial, principalement l’impérialisme yankee, en venant toutefois avec de faux slogans sur la fraternité islamique, étaient profondément enracinés dans les illusions nationalistes.

    Gulbuddin Hekmatyar, comme comandant dhihadiste pachtoune, a été soutenu par les services de renseignement pakistanais, et avait des liens avec les États-Unis.

    Son parti, le Parti islamique d’Afghanistan, avait principalement comme membres des Pachtounes.

    De l’autre côté, Ahmad Shah Massoud, un autre comandant dhihadiste, qui était un non-Pachtoune et mettait en avant une nationalité tadjik, prétendant toutefois à une identité islamique, était organisé principalement à partir de combattants tadjiks.

    Massoud était lié par un bout aux impérialistes français, et de l’autre il avait des liens avec le KGB.

    En outre, après la défaite des djihadistes et pendant la domination d’Al-Qaida en Afghanistan, où le groupe taliban a dirigé en grande partie le pays, les relations de Massoud avec la Russie et la France était plus qu’un « mystère », et ces deux pays impérialistes ont appuyé le soi-disant « front uni national » sous la direction de Massoud.

    Le voyage de Massoud en Europe, qui a eu lieu au cours de la dernière année de sa vie et qui a été chaleureusement félicité par les régimes impérialistes d’Europe occidentale, était une autre pose « démocratique », que ce comandant fasciste génocidaire a montré à la presse.

    Le général Ab. Rashid Dostom, un chef de milice, qui provenait d’une nationalité ouzbèke d’Afghanistan, est également un chef de guerre, qui se déclarait faussement pour les droits du peuples ouzbek, mais il est en réalité en faveur des seigneurs fonciers réactionnaires ouzbeks, et maintient les intérêts des riches ouzbeks.

    Il y avait Abdul Ali Mazari, d’ethnie Hazara et chef religieux des chiites, qui a aussi été un commandant djihadiste, toutefois affirmant les droits des Hazaras, mais avait jailli du régime théocratique des mollahs d’Iran, et était un ennemi des masses opprimées et pauvres.

    C’était un seigneur de la guerre féodal, qui se battait pour le bénéfice des riches des Hazaras.

    Il y a au moins des dizaines de dirigeants djihadistes et religieux encore en vie qui, après la défaite du social-impérialisme soviétique en Afghanistan, sont désormais en train d’abandonner les slogans religieux, et ont glissé vers le nationalisme de leurs propres ethnies.

    En effet, ils jouent avec le scénario de l’oppression nationale, et sont tout simplement en train de gagner du prestige auprès des nationalités en les trompant.

    Il y a maintenant des illusions parmi certaines sections de Pachtounes sans conscience comme quoi Gulbuddin Hekmatyar, un commandant pachtoune, combat l’invasion menée par les USA. Ce n’est pas vrai.

    Gulbuddin est le même que Massoud auparavant. Massoud a tué des milliers de maoïstes. Gulbuddin est aussi un fondamentaliste extrémiste islamiste. En outre, il est un chauviniste pachtoune, et il est le même que le roi Zaher et le roi Nader sur le plan du chauvinisme.

    Les révisionnistes, les djihadistes, les talibans et enfin l’équipe marionnette de « technocrates » de Karzaï, le président fantoche de la République islamique d’Afghanistan, sont toutes des forces réactionnaires, qui n’ont rien à dire sur la question nationale, et à la place, ont réussi un scénario de guerre des nationalités.

    L’Afghanistan est un pays d’une mosaïque de nationalités. Au lieu d’une nation, nous avons au moins une trentaine de groupes ethniques, et quatre grandes nationalités.

    Les Pachtounes, la nationalité largement dominante: sont parmi les personnes les plus grands individus traîtres d’ethnie pachtoune, qui ont trompé les Pachtounes et mené des guerres de suppression à l’égard d’autres nationalités, les traîtres comme Gulbuddin (leader islamiste), Sayyaf (leader islamiste), Karzaï (l’actuel président de l’Afghanistan), Taraki (chef du PDPA [Parti démocratique populaire d’Afghanistan] révisionniste – fraction Khalq [le peuple] et ancien président de l’Afghanistan), Hafizullah Amin (autre chef de file révisionniste du PDPA – fraction Khalq, qui a été président de l’Afghanistan pendant 90 jours), le mollah Omar (le chef du groupe réactionnaire taliban).

    Ils ont tué des millions d’innocents en Afghanistan, et ils sont tous, avec leurs partis respectifs, des criminels de guerre.

    Les Tadjiks: c’est une autre nationalité significative et importante d’Afghanistan.

    Les traîtres et criminels musulmans comme Burhanuddin Rabbani (ancien président d’Afghanistan avant la domination des talibans), Ahmad Shah Massoud (un extrémiste islamiste qui a tué principalement les combattants maoïstes dans les zones non-pachtounes), Ustad Attah (gouverneur de la province de Balkh, et ​un des principaux dirigeants des djihadistes d’origine ethnique tadjik)…

    De tels individus ne représentent pas les intérêts de l’ethnie tadjik de l’Afghanistan. Au contraire, ils sont les assassins des forces progressistes d’Afghanistan.

    Les Ouzbeks: c’est une autre nationalité significative et importante d’Afghanistan.

    Le général Dostum, d’une milice ouzbek, qui n’a même pas fini l’école d’une bonne manière, avait été « nommé » comme général militaire de l’ancien président du régime djihadiste, Sibghatullah Mujadidi. Il a été honoré pour sa contribution, avec les djihadistes, à renverser le régime du PDPA.

    Les Hazaras: c’est une autre nationalité significative et importante d’Afghanistan.

    Abdul Ali Mazari (fondateur du Parti de l’Unité islamique d’Afghanistan) est le dirigeant qui a ordonné le génocide de la population pachtoune et non Hazara. Il a agi à titre d’agent du régime chiite d’Iran. Mohaqiq est un autre chef fasciste religieux du Parti de l’Unité islamique d’Afghanistan.

    Khalili est un autre fasciste d’ origine ethnique hazara, qui est maintenant le vice-président de Hamid Karzaï, et participe au régime fantoche des marionnettes sous l’occupation militaire.

    Comme on le voit, les traîtres ci-dessus ont été les ennemis du peuple de l’Afghanistan.

    Il y a d’autres organisations, clandestines ou semi-clandestines, qui prétendent toutefois être anti-djihadistes et non-islamistes, mais elles sont au service de l’impérialisme américain et d’autres puissances occidentales. Elles servent à la bourgeoisie bureaucratique compradore.

    Elles n’ont pas condamné l’invasion de l’Afghanistan dirigée par l’OTAN, et ont pris le parti de Hamid Karzaï. RAWA (Organisation Révolutionnaire des Femmes d’Afghanistan) est l’une de ces forces.

    RAWA a finalement renoncé, a abandonné la « lutte » clandestine et sous le pouvoir de Karzaï a célébré le « 8 mars » à Kaboul. Cette organisation a également participé aux élections des conseils provinciaux du régime fantoche.

    RAWA est essentiellement la branche féminine de l’Organisation de Libération de l’Afghanistan ; l’ALO est une organisation suivant Deng Xiao Ping, qui avait émergé en se fondant sur la théorie des trois mondes.

    Son dirigeant, Dr. Faiz Ahmad, a été le fondateur de l’économisme afghan. Il a renoncé à la lutte révolutionnaire et a rejeté la stratégie de la guerre populaire en faveur de la lutte armée. Aujourd’hui, l’Organisation de Libération de l’Afghanistan est aux côtés de l’impérialisme yankee, et n’a pas d’opposition aux élections présidentielles marionnettes en Afghanistan.

    Notre organisation a toujours condamné RAWA et l’OLA. Ce sont les organisations qui servent pour le régime compradore bureaucratique de Hamid Karzaï, et ils ont vendu leur pays dans la lutte politique pour l’impérialisme.

    Karzaï est un héros pour l’impérialisme américain. Ainsi, il a aussi été un héros pour l’ALO et sa branche féminine, RAWA.

    Massoud est un héros pour l’impérialisme français, les djihadistes l’admirent aussi !

    Gulbuddin est un héros pour les impérialistes et l’État réactionnaire du Pakistan, ainsi les chauvins parmi les Pachtounes le soutiennent, pas tous les Pachtounes.

    Abdul Ali Mazari est un héros pour les islamistes d’Iran et les djihadistes chez les Hazaras. Mais pas pour les masses opprimées.

    Dostum est un héros pour l’Ouzbékistan et les propriétaires terriens ouzbeks d’Afghanistan, et non pour les masses opprimées des Ouzbeks.

    Le véritable héros d’Afghanistan, le héros des masses, qui a dirigé le processus révolutionnaire des masses laborieuses d’Afghanistan, est le camarade Akram Yari.

    Akram Yari était, sur le plan ethnique, un Hazara. Il était issu d’une minorité hazara. Mais, il ne s’est jamais vu comme un Hazara. Il croyait au potentiel révolutionnaire des masses opprimées d’Afghanistan. Ainsi, il s’est tout d’abord opposé aux féodaux hazaras.

    Il était l’ennemi des propriétaires terriens hazaras. Ce fut la raison pour laquelle ses oncles et ses proches, qui étaient tous des propriétaires fonciers, ont été parmi ses premiers opposants.

    La principale forme de lutte en Afghanistan est la guerre populaire, et la principale forme d’organisation est l’Armée de Libération du Peuple, et ces deux armes ouvrent la voie à une émancipation nationale, pour la révolution démocratique, et pour mener une lutte prolongée pour une République de Nouvelle Démocratie d’Afghanistan.

    Notre organisation a toujours célébré la riche culture de nos masses opprimées. Nous avons toujours salué Norouz (la fête persane du Nouvel An) seulement pour les masses laborieuses, et non pour les seigneurs de la guerre, et non pour les classes dominantes réactionnaires.

    Ce document, qui coïncide avec la fête nationale du printemps et Norouz (le premier jour de l’année), est un prolongement de notre célébration de l’an dernier.

    Nous avons déjà mis une félicitation pour Norouz en faveur des masses opprimées sur notre site Web. Chaque année, nous avons souhaité Norouz pour les opprimés.

    Cette année, nous l’avons de nouveau souhaité pour les millions de paysans, qui affirment que: Norouz est le jour des paysans.

    Il s’agit d’une journée qui annonce le début d’une nouvelle année, et le début du printemps. Donc, ce jour, est un symbole des masses laborieuses qui servent le pays. C’est pourquoi, Norouz, depuis presque une centaine d’années, a également été appelé le jour de la célébration de la paysannerie.

    Que la question nationale, comme le marxisme l’a toujours enseigné, soit la lutte des paysans pour l’émancipation, et pour la Révolution de Nouvelle Démocratie.

    Non à tous les « représentants » réactionnaires des groupes ethniques d’Afghanistan.

    Non au chauvinisme des traîtres pachtounes (et non des masses pachtounes) et au nationalisme sectaire et étroit d’esprit des dirigeants traîtres non-pachtounes (et non des masses de non-Pachtounes).

    Les peuple d’Afghanistan sont un poing uni!

    Ne vous divisez pas ! Unissez-vous et mettez en déroute l’impérialisme, le capitalisme bureaucratique et le féodalisme!

    Organisation des Ouvriers d’Afghanistan
    (Marxiste-Léniniste-Maoïste, principalement Maoïste)
    25 mars 2013

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  • Akrami Yari sur le capitalisme bureaucratique

    Qu’est-ce que le capitalisme bureaucratique ? La compréhension de cette forme sociale est au plus profond du noyau du maoïsme. Selon le maoïsme, il y a deux types de pays : les pays impérialistes d’un côté, et les pays opprimés de l’autre. Ces pays opprimés sont semi-coloniaux, semi-féodaux.

    Dans les pays capitalistes, le marché libre a triomphé et anéanti les restes féodaux. Cela n’est pas le cas dans les autres pays, où la bourgeoisie a été trop faible face à l’hégémonie impérialiste, et où le féodalisme n’existait pas dans une version développée, l’économie du pays étant fondée sur une économie traditionnelle d’auto-suffisance locale.

    En raison de cela, le capitalisme a été d’un côté dans l’incapacité d’abolir le féodalisme organisé d’en haut par l’impérialisme, de l’autre côté incapable également de se développer franchement.

    Cela amène à la situation où le capitalisme est une forme dégénérée, existant d’un côté en soumission à l’impérialisme, et de l’autre en rapport étroit avec le féodalisme. Il y a de fait une contradiction entre la bourgeoisie bureaucratique et la bourgeoisie nationale, et pour cette raison la bourgeoisie bureaucratique soutient le féodalisme contre la bourgeoisie nationale et sa volonté de généraliser le capitalisme.

    Pour cette raison, aucune « modernisation » ne peut vraiment avoir lieu, parce que le féodalisme bloque chaque développement ; même s’il est apparemment faible, il se maintient par différentes formes. Voyons ce que nous enseigne Akram Yari avec l’exemple afghan :

    « Est-ce que le développement d’un tel capitalisme corrompu et dégénéré [le capitalisme bureaucratique] qui vient de la situation de l’impérialisme mondial, triomphe de la féodalité sur le long terme ?

    Est-ce que l’impérialisme est en mesure de développer son embryon (le capitalisme) sous cette forme dans ce pays (en Afghanistan)? [Sans s’appuyer sur une forme corrompue, qui est le capitalisme bureaucratique.]

    La réponse à cette question, selon notre point de vue, est absolument négative!

    Tout d’abord, le développement et la croissance du capitalisme de marché libre, qui joue un rôle secondaire dans une telle circonstance, est sujet à la défaite dans la situation internationale du capitalisme impérialiste.

    Cela vient des tendances gloutonnes et de l’expansionnisme hégémonique de l’impérialisme, en particulier du social-impérialisme qui crée des obstacles et empêche le développement de cette classe capitaliste nationale [la bourgeoisie nationale].

    Deuxièmement, il y a la croissance et le développement du capitalisme bureaucratique, qui est mélangé avec l’oppression, les troubles et les discriminations féodales, et contaminé par des corruptions, la hiérarchie des privilèges, et en même temps la dictature religieuse fasciste qui lui est aussi inséparablement annexée, et est la seule forme qui a vu le jour dans tous les pays sous la domination du capitalisme [impérialiste] ; dans une telle forme dégénérée [qu’est le capitalisme bureaucratique], non seulement ne se développe pas le capitalisme dans de tels pays, mais plutôt se renforcent et se fortifient les vestiges du féodalisme, et cela joue un rôle pour sauver le féodalisme dans ses frontières, et par cela [un tel développement dégénéré du capitalisme], se maintient la stabilité du marché mondial impérialiste.

    Donc, la seule chose que le marché impérialiste apporte à de tels pays, et qu’il appelle « modernisation », est un capitalisme corrompu chétif, qui est pourri et dégénéré plutôt que progressiste, et est plus âgé que n’importe qui peut supposer [et celai est contraire aux allégations de ses apologistes qui argumentent pour son caractère moderne], et c’est plus que son caractère « moderne », cet appui sur le pourri et le vieux [les vieilles infrastructures et superstructures préalables]. »

    C’est l’enseignement maoïste classique. Selon les révisionnistes (du type social-impérialiste soviétique ou de la variante hoxhaiste), la bourgeoisie nationale est en mesure de prendre le pouvoir ou au moins d’influencer la société.

    Le maoïsme nous enseigne que ce n’est pas le cas. Il n’y a pas seulement une bourgeoisie bureaucratique, il y a aussi un capitalisme bureaucratique, il n’y a pas que des forces féodales, il y a le féodalisme. Un pays semi-colonial semi-féodal n’est pas qu’un pays où sont présent une classe capitaliste bureaucratique et le féodalisme, c’est un pays dont la réalité est façonné par eux.

    Prétendre changer cette réalité de l’intérieur est, en fait, moderniser à la fois le capitalisme bureaucratique et le féodalisme, formes qui ne sont pas « du passé », mais produit par l’impérialisme ; il y a l’impérialisme d’un côté, la réalité semi-coloniale semi-féodale de l’autre : c’est la forme dialectique de cet aspect de la réalité.

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  • Akram Yari a-t-il fondé l’approche matérialiste dialectique de la psychologie?

    Akram Yari, le grand maoïste historique de l’Afghanistan, a-t-il fondé l’approche matérialiste dialectique de la psychologie? Il s’agit d’une question très importante. Il y a de nombreux d’éléments qui peuvent nous laisser considérer que c’est le cas. Revenons à une phrase écrite par Akram Yari:

    « La pérennité de l’individu est une cause de surplace et est un agent passif, mais le sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent dynamique et actif. »

    Il est nécessaire de commenter davantage cette phrase, étant donné que sa luxuriance idéologique est extrême.

    Pôles d’opposés

    Comme nous pouvons le voir, en effet, il y a deux pôles d’opposés:

    pérennité de l’individu <=====> sacrifice pour la classe [ouvrière]

    cause de sur-place et est un agent passif <=====> un agent dynamique et actif

    Si l’on regarde plus loin, nous pouvons voir encore des paires de contraires, les contraires:

    individu <=====> classe [ouvrière]

    pérennité <=====> sacrifice

    et

    cause de surplace <=====> agent dynamique

    agent passif <=====> agent actif

    Nous commençons à avoir une vision du luxe de la pensée d’Akram Yari. Allons plus loin et voyons quels mots il a utilisé.

    L’étymologie des mots choisis

    En particulier, nous devons voir quel vocabulaire il utilise pour actif / passif et cause de sur-place / dynamique.

    Akram Yari dit:

    « بقای فردی عامل سکون وپسیف است وازخودگذری درمقابل منافع طبقه عامل متحرک واکتیف »

    Pour « surplace », il utilise « سکون”, prononcé « Sukoun », cela vient de la langue arabe, où cela signifie « calme » ; il est aussi employé par le grand maître de la falsafa, Avicenne, par exemple dans le « Danesh Namé », le « livre de la science. »

    Pour dynamique, il emploie « متحرک », prononcé « Mutaharek », qui vient de l’arabe « حَرَكَة”.

    Ici, il est à noter que le mot est à prendre au sens de « mobile », c’est-à-dire de dynamique dans le sens où il peut venir à être en mouvement.

    L’opposition surplace / dynamique est à comprendre comme calme / mobile.

    C’est directement en relation avec l’opposition passif / actif, pour lesquels Akram Yari utilise les mots empruntés à la langue anglaise (aktif / pasif).

    Et maintenant, portons un dernier regard, sur le mot « agent ». Akram Yari utilise le mot « عامل », prononcé « aamel. » Cela vient de la langue arabe, et le dictionnaire en ligne wiktionnaire donne cette explication utile (dans la version anglaise)

    « Nom

    عَامِل‎ • 

    (ʕāmil) , pluriel عَوَامِل

    (ʕawāmil)‎

    1. facteur, constituant, élément, agent causal
    2. force motrice
    3. (grammaire) mot qui régit un autre mot
     »

    La Falsafa: Al-Fârâbî et Avicenne

    Maintenant, jetons un regard sur les enseignements de la Falsafa. Trouvons-nous les mêmes pôles d’opposés?

    Prenons l’opposition :

    agent passif <=====> agent actif

    Pour résumer, selon la tradition d’Aristote, du second maître (Al-Fârâbî) et d’Avicenne, il y a un Dieu qui est un « moteur ».

    Parce qu’il est « bon », il produit la bonté qui est déjà séparée de Dieu, donnant naissance à un « ange » qui est un « intellect » (aql).

    A la fin de ce processus, il y a la Terre, formée d’une fusion du faible niveau de « l’intellect » et de la matière. La matière est simplement « passive » et formée par l’intellect, qui est « actif. »

    Par conséquent, ce qu’on appelle la « pensée » n’appartient pas à la matière. Elle appartient à l’intellect.

    Voyons maintenant l’opposition :

    cause de surplace <=====> dynamique

    Selon la tradition d’Aristote – Al Farabi – Avicenne, la matière est « calme », au sens de « réceptive », tandis que l’intellect est « mobile », se mouvant jusqu’à la matière réceptive, la formant (= lui donne des formes).

    Selon Aristote, le sage qui comprend cela devient heureux, selon Al-Fârâbî, quelqu’un comprenant cela deviennent le philosophe-roi. Et selon Avicenne, l’individu peut recevoir des « faisceaux de lumière » de « l’intellect » apportant des formes universelles de connaissance.

    La Falsafa : Averroès

    Dans les conceptions étonnantes d’Al-Fârâbî et d’Avicenne, les gens sont comme des ordinateurs recherchant les informations dans un grand centre de données, qui serait « Dieu », les câbles étant l’intellect mettant les informations sur les écrans (ici: les « âmes »).

    Mais comme nous le savons, le « grand commentateur », Averroès, a modifié ce système. Dans le système d’Al-Fârâbî et Avicenne, tout vient d’en haut, de l’intellect. Les individus sont purement passifs.

    Cependant, Averroès a vu la contradiction: comment l’esprit éternel et unique peut-il être en relation avec les individus non éternels et non uniques?

    C’était un saut matérialiste majeur, qui a été rapidement et sévèrement écrasé par les représentants de l’Islam, alors qu’en Europe, c’est devenu l’arme pour les matérialistes dans la lutte contre l’Église, donnant l’impulsion centrale pour la Renaissance.

    Comment Averroès a-t-il changé le système d’Al-Fârâbî – Avicenne?

    Selon Averroès, « l’intellect » ne venait pas seulement de l’extérieur de la matière, il y avait aussi une partie de l’intellect directement reliée à la matière.

    Les humains étaient de la matière, mais avec un « intellect », qui était ouvert à l’intelligence venant de l’extérieur (par le haut, de Dieu).

    L’union matière – intelligence d’un être humain formait une union الاتحاد – al-ittihad, en quête d’une jonction إتصا –ittisal, avec le grand intellect.

    C’était une étape importante, parce que c’était une reconnaissance de l’existence du cerveau.

    Une compréhension matérialiste

    Le système d’Aristote – Al-Fârâbî – Avicenne – Averroès est un système statique.

    Mais pour nous, le monde est en mouvement, la matière est éternelle et suit un mouvement dialectique. Ainsi, l’aspect statique est opposé à l’aspect dynamique, comme le dit Mao Zedong, « l’arbre peut préférer le calme, mais le vent continue de souffler. »

    Donc, maintenant, revenons à l’affirmation d’Akram Yari:

    « La pérennité de l’individu est une cause de surplace et est un agent passif, mais le sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent dynamique et actif. »

    Et comprenons cela correctement.

    Qu’est-ce que la pérennité ? C’est le calme. Qu’est-ce que le sacrifice? C’est le vent. Les individus vivent dans une société donnée, mais cette société évolue. L’individu voit et ressent cette évolution, mais sans une bonne approche, il tombe dans la nostalgie.

    Ici, Akram Yari a souligné quelques points très importants, atteignant un très haut niveau de compréhension de la psychologie ; si l’on prend sa citation, d’un côté, nous avons le côté non-mobile:

    « la pérennité de l’individu est une cause de surplace et est un agent passif »

    Et de l’autre côté, nous avons le côté mobile:

    « le sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent dynamique et actif. »

    Si nous étions avec Avicenne, nous dirions: l’intellect (aql) est actif et « écrit » sur l’agent passif.

    Mais, comme nous n’utilisons pas le concept de Dieu, mais de la matière en mouvement dialectique éternel, alors le monde est dans un processus d’auto-transformation.

    (C’est certainement pourquoi Akram Yari n’a pas utilisé les mots arabes pour actif / passif utilisés par Avicenne: cela aurait été comme si le système matérialiste était équivalent à celui d’Avicenne, ce qui n’est pas le cas. Akram Yari ne connaissant sans doute pas Averroès, titan de la falsafa mais largement inconnu dans le monde musulman).

    Par conséquent, cette transformation est l’agent actif réel. Et avec Averroès, nous savons que les individus ne sont pas seulement comme un récepteur, ils peuvent émettre aussi: les humains sont tournés en direction de l’intellect venant du haut, mais aussi en direction de la matière à laquelle ils sont reliés.

    Ainsi, Akram Yari explique ce qu’Averroès, Kant, Lénine ont observé: les gens ne pensent pas à un niveau supérieur à eux-mêmes, à l’exception des quelques personnes ayant la compréhension de l’ensemble du système qui a tout mis en mouvement.

    La « pensée » des êtres humains est une réflexion, elle est tardive, parce que pas tournée dans la direction du mouvement général.

    Pour bien le comprendre, nous allons revenir sur les oppositions présentées par Akram Yari.

    Individu et sacrifice, un mouvement dialectique
    et donc, interne

    Nous avons dit que les contraires sont les suivants:

    individu <=====> classe [ouvrière]

    pérennité <=====> sacrifice

    Mais en réalité ce n’est pas correct, cela devrait être :

    individu <=====> sacrifice

    pérennité <=====> classe [ouvrière]

    Pourquoi cela? Parce que c’est la classe qui est contre la pérennité, la classe porte le communisme, qui est l’abolition de la vieille société.

    La contradiction est interne: la classe appartient à la société.

    Et l’autre contradiction est entre l’individu, tourné dans le sens de lui-même, tandis que le sacrifice montre qu’il s’est tourné vers le mouvement général de la matière.

    La contradiction est interne: le sacrifice est celui de l’individu lui-même.

    La base pour une compréhension de
    la psychologie de l’individu

    Ainsi, la contradiction est interne. Mais quelles sont les formes de cette contradiction?

    Pour cela, comprenons ce qu’Akram Yari a dit juste avant la phrase que nous avons cité:

    « Le principe de base de la vie d’un individu est, d’une manière superficielle, rien de plus que de conserver son existence matérielle jusqu’à la mort, mais la situation de la vie, de manière significative sa manière sociale, conduit la survie et la pérennité d’un individu en direction de la transformation à une contradiction : d’un côté, la survie matérielle est à la base du fait d’être en vie, mais d’un autre aspect, donner des sacrifices en faveur de la classe est l’initiative nécessaire pour la croissance individuelle et le développement de la société humaine. »

    Quand Akram Yari parle de la « manière sociale », le fait de « conserver son existence matérielle jusqu’à la mort », c’est comme quand Averroès parle de « l’intellect » présent dans la matière et non pas tournée vers le grand intellect (Averroès l’appelle « l’intellect matériel »).

    Et comme la contradiction est dans la société elle-même, dans la reproduction des moyens de vie (= le mode de production), la contradiction est dans l’humain directement aussi. Individu et sacrifice constituent une contradiction, mais une contradiction non pas entre l’humain et l’intellect comme dans la conception religieuse d’Aristote – Al-Fârâbî – Avicenne – Averroès.

    C’est une contradiction dans l’humain lui-même. C’est pourquoi Karl Marx nous a expliqué, dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1843):

    « Il est évident que l’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu’elle pénètre les masses.

    La théorie est capable de pénétrer les masses dès qu’elle procède par des démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad hominem dès qu’elle devient radicale.

    Être radical, c’est prendre les choses par la racine. Or, pour l’homme, la racine, c’est l’homme lui-même. »

    Akram Yari a donné la base pour la psychologie

    En expliquant que l’individu est dans une situation qui est passive et non-mobile, Akram Yari défend le point de vue matérialiste dialectique selon lequel la pensée individuelle est le reflet du mouvement de la matière.

    Néanmoins, comme la pensée est la matière grise, elle est dans le cerveau, et comme le cerveau est matière, le cerveau est une partie du mouvement de la matière.

    Par conséquent, l’individu est dans une contradiction. Cette contradiction est la base de l’approche matérialiste dialectique de la psychologie.

    L’esprit des individus est en même temps l’outil pour comprendre la réalité directe de l’individu, mais aussi la réalité globale du monde. Cela vient de la réalité naturelle du cerveau.

    Cela ouvre tout un champ de la compréhension des individus. Cela aide à comprendre la tension entre l’aspect global de la classe et la réalité des individus qui sont dans la classe, mais aussi tournés, d’une manière relative, dans une réalité directe, partie de la reproduction des moyens de vivre.

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  • Akram Yari sur la dialectique entre la vie d’un individu et le progrès de la société

    Quand nous regardons l’histoire, quand on voit que la vie est matière en mouvement, il est alors inévitable que nous pouvons voir une contradiction entre la recherche par chaque vie de sa propre préservation et la nécessité de mettre sa propre vie en danger dans la lutte pour le progrès.

    D’un côté, la tendance générale de la révolution pousse l’individu à l’action. De l’autre côté, l’individu vit déjà, il a une famille, il a des amis, une relation amoureuse peut avoir commencée, les enfants sont peut-être déjà là, etc.

    Il y a ainsi une grande tension entre la vie d’un individu qui est propulsée dans une direction, avec une culture qui lui est propre, faisant des projets pour l’avenir, et la nécessité de la révolution.

    Bien sûr, les révolutionnaires authentiques sont conscients de cela et toutes leurs vies sont gérées de manière à se conformer à la nécessité de la révolution: c’est le principe des révolutionnaires professionnels, comme Lénine l’a formulé.

    Donc, nous devons nous poser la question de l’adéquation d’une vie d’un individu et son devoir. C’est une contradiction. Nous pouvons voir facilement cela dans le processus de construction et de développement du Parti Communiste, nous pouvons voir comment des gens échouent, parce qu’ils ne sont pas capables de se transformer. C’est aussi ce que signifiait Gonzalo avec la question de la nécessité et du hasard historique de ce qui fait agir un individu comme ceci ou comme cela.

    Il y a une tension entre la tendance des individus à voir dans le communisme la seule voie du progrès en général, et leur tendance à l’auto-protection qui doit aller, si elle n’est pas transformée, dans le sens de la protection illusoire par le passé, la réaction, alors qu’en fait, la transformation ne peut être évitée.

    Par conséquent, le Parti Communiste doit toujours élever son niveau, de sorte que les individus puissent directement voir que leur propre développement est lié à la progression du communisme. Aucune vie ne peut être améliorée dans un sens qui va contre le communisme.

    Et la vie suivant la tendance générale au communisme ne peut que progresser, acquérant des éléments pour son avancée dans les domaines culturels, trouvant les éléments positifs dans la société, sa propre vie, étant en mesure de rester authentique, etc.

    Donc, pour résumer, une partie de la matière ne peut de toutes manières pas aller dans une direction opposée au mouvement général de la matière ; c’est le principe de l’univers en oignon. Toutes les couches de l’univers sont en transformation.

    Voici comment le grand maoïste d’Afghanistan, Akram Yari, nous explique cette contradiction:

    « … Le principe de base de la vie d’un individu est, d’une manière superficielle, rien de plus que de conserver son existence matérielle jusqu’à la mort, mais la situation de la vie, de manière significative sa manière sociale, conduit la survie et la pérennité d’un individu en direction de la transformation à une contradiction : d’un côté, la survie matérielle est à la base du fait d’être en vie, mais d’un autre aspect, donner des sacrifices en faveur de la classe est l’initiative nécessaire pour la croissance individuelle et le développement de la société humaine.

    La pérennité de l’individu est une cause de sur-place et est un agent passif, mais le sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent dynamique et actif. »

    La compréhension grandiose par Akram Yari nous montre ici qu’il y a un aspect passif et un aspect dynamique, ce qui signifie que l’aspect principal est l’aspect général, pas l’aspect individuel. Cela signifie que la tendance qui gagne est l’aspect dynamique.

    Ceci est dialectique: comme l’individu est une composante de la matière en général, si le système se déplace, il se déplace aussi. Et si l’individu comprend cela, il peut accompagner le mouvement général de la matière. En effet, il porte alors la pensée.

    Et c’est pourquoi Akram Yari explique que:

    « Il est crucial pour une meilleure existence et une vie meilleure que de faire des sacrifices, parce qu’on en arrive là que dans cette forme de travail, dans le cadre de sacrifice pour le bien de la classe, en étant pleinement engagé en faveur de la classe, et en négligeant son propre intérêt, et en étant en faveur de la classe qui mène à une vie meilleure.

    Il est alors possible pour un individu de mener une lutte pour garantir sa vraie éternité. »

    Cela ressemble à de la poésie pour les personnes non habitués aux lois du matérialisme dialectique. Mais si nous regardons Engels, n’a-t-il pas gagner son « éternité » en aidant Karl Marx et à la fondation du marxisme, au lieu de seulement « vivre » comme un bourgeois comme il aurait pu le faire?

    Fondamentalement, c’est la question touchant chaque individu: faut-il essayer une « auto-protection », qui ne peut être qu’une illusion étant donné que le passé est toujours plus faible, ou faut-il oser le nouveau, qui est faible mais toujours plus fort, et conforme au mouvement général de la matière en transformation?

    Nous connaissons tous des gens qui ont fait face à un choix, et qui ont suivi la ligne opportuniste, au lieu de la ligne révolutionnaire, pour une raison de confort, exactement comme quelqu’un peut prétendre nier son propre amour, parce que celui-ci n’est pas en adéquation avec son propre projet de carrière bourgeoise.

    Mais concluons avec cette leçon magistrale d’Akram Yari sur la dialectique, ici sur la nature de la politique révolutionnaire:

    « Quelle forme prend le travail principal dans la lutte pour l’émancipation des êtres humains dans une société de classe? La forme de travail qui est vraiment efficace pour la libération et l’émancipation des êtres humains.

    Cette forme de travail est la politique révolutionnaire.

    Cela signifie que la politique révolutionnaire des intérêts de la classe en ensemble, bien qu’en progrès, et dans la progression, peut briser les chaînes de l’esclavage des humains et conduit les êtres humains vers l’émancipation et la libération.

    C’est la raison pour laquelle la politique vient avant toutes les autres questions.

    Cela signifie que l’aide politique est la chose la plus non-privé et la plus impartiale qu’un individu peut offrir aux autres. Mais tous savent que dans une société de classe, il n’y a rien d’impartial, de sorte que la politique ne peut pas non plus être impartiale, et ne peut pas être trouvé impartiale dans une société de classe.

    Mais quel est le parti pris politique? La partialité politique, c’est en soi une contradiction: d’un aspect, elle contient toutes les partialités privées et [représente] chacun d’entre eux, et d’un autre aspect, la partialité politique ne reflète pas la partialité privée et personnelle.

    La partialité politique est une image, c’est une abstraction et elle contient trop de parties de partialités personnelles ou privées, et en même temps, elle ne représente pas la partialité privée d’un individu quel qu’il soit, et ne correspond nullement à une partialité privée quelle qu’elle soit.

    Comme la politique révolutionnaire prolétarienne est la négation de la partialité privée de chaque individu de la classe, en même temps, c’est la forme abstraite et l’intégration de l’ensemble des partialités des individus [membres] d’une classe. »

    Combien utiles sont les leçons de Akram Yari !

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  • Jaïnisme et capitalisme

    Qu’est-il advenu du capitalisme indien? Il avait en fait déjà une idéologie extrêmement développée : le jaïnisme.

    Mais Karl Marx n’a pas pu voir cela, pour deux raisons. Tout d’abord, le jaïnisme était moins connu, pour ne pas dire inconnu, ce qui est encore aujourd’hui le cas. Ensuite, Marx connaissait une forme avancée d’idéologie capitaliste, et le jaïnisme était « démocratique » dans une forme très élémentaire.

    Le jaïnisme est apparu au même moment que le bouddhisme ; sa philosophie en était très proche. Mais si le bouddhisme était l’idéologie de la ville, du royaume, le jaïnisme était directement l’idéologie du capitalisme.

    C’est pourquoi le jaïnisme est beaucoup plus exigeant : une personne qui offre à son insu de la nourriture empoisonnée est innocente selon le bouddhisme, coupable selon le jaïnisme.

    Extrait du Kalpa Sūtra, qui contient les biographies des grandes figures jaines, 15e siècle

    Si le mot jaïnisme vient en effet du verbe sanskrit jin, qui signifie se battre – ici la bataille contre les passions et la réalité de la matière -, le paradoxe est que le jaïnisme est une religion très pragmatique.

    Sur le plan scientifique, c’est de l’empirisme dans la tradition bourgeoise primitive : les choses sont supposées avoir de multiples aspects, chaque personne prenant peut-être un aspect différent, et ainsi toute proposition est vraie de façon conditionnelle et non pas de façon absolue.

    C’est un relativisme très utile au capitalisme ; en fait c’est ici une forme ouverte de libéralisme, un appel à la pratique autonome, sans avoir à être jugé par des « forces suprêmes ».

    Un jaïn devait être austère et digne de confiance ; pour le jaïnisme, il n’y avait ni castes, ni possibilité d’être « parfait » en tant qu’être humain, seule la mort pouvait provoquer la libération finale. Et le jaïnisme des débuts refusait aussi le culte des images.

    Il est évident que tout ceci a la même dynamique que le protestantisme.

    Les 24 grandes figures jaines, vers 1850

    Et nous voyons que du point de vue matérialiste, le jaïnisme rejette le concept de la création de l’univers ; dans la même perspective, le jaïnisme réfute le principe d’une « force suprême » qui « organiserait » le monde.

    Ce qui est ici extraordinaire, c’est que cette ligne pré-bourgeoise était si progressiste qu’elle acceptait ouvertement la conception matérialiste de l’unité du monde.

    Le jaïnisme était la religion la plus proche de considérer que la réincarnation était le développement éternel de la matière vivante par le mouvement des atomes.

    Le jaïnisme allait si loin, qu’il considérait que tous les êtres vivants étaient liés ; comme l’a formulé le mathématicien jaïn Umā Svāti au deuxième siècle :

    « Les âmes existent pour se rendre service les unes aux autres. »

    Dans la lignée de cette reconnaissance de la matière vivante, il est interdit pour les jaïns de faire du mal à tout être vivant. Dans le livre sacré traditionnel appelé l’uttaradhyayana sutra, nous pouvons lire ceci :

    « Des bâtons et des couteaux, des pieux et des massues, de mes membres brisés,

    J’ai impitoyablement souffert à d’innombrables reprises.

    Par des rasoirs, des couteaux, des lances bien affûtées, j’ai été si souvent

    Traîné, écartelé, découpé et dépecé

    Tel un cerf aux abois pris au collet, tombé dans un piège,

    J’ai si souvent été attaché, ligoté et même tué.

    Comme un poisson sans défense, j’ai été pris avec des hameçons et dans des filets,

    Crocheté, écaillé, fendu et éviscéré, et tué un million de fois…

    Né arbre, j’ai été abattu et débité, à coup de hache et de burin

    Puis découpé en planche à l’infini.

    Incarné dans le fer, j’ai subi le marteau et les pinces

    Tellement de fois, pris en étau, frappé, tordu…

    Toujours tremblant de peur ; dans une souffrance permanente,

    J’ai ressenti la plus grandes tristesse, la plus grande agonie. »

    De nos jours, le jaïnisme a encore quatre millions d’adeptes, la plupart en Inde où cette religion a toujours été associée aux marchands ; en Belgique, cette communauté est connue à Anvers pour sa présence dans le commerce des diamants.

    Les jaïns ont donc pour ainsi dire été intégrés comme une caste de marchands au sein de l’hindouisme, après que ce dernier ait bien sûr triomphé du bouddhisme, qui était le grand concurrent du jaïnisme.

    Sous la domination islamique, les jaïns ont conservé ce rôle de commerçants, pour lequel ils étaient protégés, et même tenus en grand respect par Akbar, le grand souverain qui a tenté d’unifier l’empire comme l’avait fait Ashoka.

    Akbar, profondément influencé par Hiravijaya ji (1526-1595), a renoncé à la pêche et à la chasse, est devenu végétarien et a interdit le meurtre d’animaux pendant les festivals de Paryusana et Mahavir Jayanti, a fait interdire l’abattage des animaux pendant six mois dans le Gujarat, a abandonné certains impôts ; etc..

    Mais ce n’est pas tout, même après la tentative d’Akbar de construire une nouvelle idéologie pacifique et universelle, le Sulh-e-Kul, les commerçants jaïns ont conservé la protection de l’empire Moghol, même sous Aurangzeb. Les jaïns avaient la liberté de culte, la protection des pèlerinages et la possibilité de les entreprendre comme ils le souhaitaient, etc.

    Extrait du Kalpa Sūtra, 15e siècle

    Symboles de cette liberté dans les affaires, les temples jaïns, dont la construction a débuté au 11e siècle, se trouvent par centaines sur le mont Shatrunjaya, dans le Gujarat.

    Le fait que le jaïnisme se soit maintenu uniquement dans le nord-ouest de l’Inde est important. Sa dimension politique avait déjà disparu à l’époque de l’ascension du bouddhisme ; c’était uniquement l’idéologie capitaliste de l’ascension de la bourgeoisie à ses débuts.

    Mais comme le jaïnisme avait déjà un niveau culturel très élevé, nous y trouvons beaucoup d’interdictions morales qui ont joué un grand rôle dans l’échec du capitalisme indien.

    Parmi ces interdictions, on retrouve celles qui sont liées aux êtres vivants. Un jaïn ne peut pas participer à la production et à la vente de charbon de bois et de bois, tout comme il n’a pas le droit d’utiliser ou de vendre des animaux, et donc pas le droit de construire ou de vendre des chariots (à cause du bois et de l’utilisation des animaux).

    Mahavira, fondateur du jainisme, 14e siècle

    Étaient évidemment interdits le commerce des produits issus des animaux comme l’ivoire, les os, les coquillages, les peaux, mais aussi le commerce de l’alcool ou d’articles dangereux comme les armes, les poisons, et encore les outils agricoles qui représentaient une menace à la vie dans le sol (les jaïns évitent ainsi de manger de l’ail et des oignons, comme leur arrachage est un danger pour des êtres vivants).

    Dans le même esprit, il était interdit d’assécher des lacs ou de défricher des forêts, notamment par le feu, ou d’opérer des moulins ou des presses à écraser le grain et la canne à sucre.

    Les jaïns étaient donc usuriers, commerçants, prêteurs sur gages, etc. ; ils refusaient d’investir dans toute production opposée au principe de l’« Ahiṃsā », d’absence de souffrance. Les marchands du Gujarat profitaient des échanges maritimes internationaux, étant présents dans les ports de Goa, Chaul, Diu.

    Mahavira, vers 1825

    Nous tenons ici l’explication de l’échec du capitalisme dans l’Inde antique.

    Comme le brahmanisme était un système de caste raciste, il s’opposait à la responsabilité et à l’initiative individuelles nécessaires aux marchands. Il était donc inévitable que ces derniers forgent leur propre idéologie.

    Mais contrairement à la situation en Europe, les marchands ne pouvaient pas cohabiter avec la monarchie absolue. Par conséquent, le jaïnisme en tant qu’idéologie du capitalisme a décliné, pour devenir une religion locale ; cette défaite a empêché la construction d’une idéologie capitaliste forte présente dans tout le pays.

    De plus, les artisans étant sous le joug du féodalisme, les marchands ne pouvaient pas établir de liens avec eux.

    Mais ce n’était pas tout, et ce dernier point explique pourquoi Karl Marx n’a pas pu voir le jaïnisme. Le capitalisme est un mode de production, et donc de reproduction. Cela veut dire que l’argent doit circuler d’un côté, et que des travailleurs individuels doivent être prêts à travailler de l’autre côté.

    Le problème n’était pas seulement que le féodalisme bloquait l’émergence de travailleurs libres. C’était aussi que le faible capitalisme indien n’avait pas de marché.

    Comment le capitalisme européen s’est-il développé ? Par la vente de marchandises à la bourgeoisie.

    Mais Rosa Luxembourg a posé cette question : comment le capital peut-il s’élargir si tout l’argent est dans les mains de la bourgeoisie ? Et elle pensait que la clé était l’intégration des secteurs non capitalistes.

    La réponse est claire avec l’exemple indien : l’accumulation du capital s’est accélérée grâce à l’intensification du travail animal, et de la vente de produits entraînant des dépendances tels que l’alcool, l’opium, le sucre, le tabac, etc.

    Ces ventes ont permis de s’emparer de tout l’argent et de le réinjecter dans le circuit capitaliste. Mais en Inde, le jaïnisme était déjà une idéologie hautement civilisée.

    La base même de l’accumulation n’a pu être atteinte à cause de cela ; même le commerce le plus lucratif, celui des chevaux, était rejeté par les jaïns. Le résultat a été un faible développement de la bourgeoise.

    Ainsi, le jaïnisme n’a jamais plus été en capacité de défier l’hindouisme, qui est devenu l’idéologie du féodalisme. Ce féodalisme a été pris d’assaut par les envahisseurs, qui n’ont eu qu’à maintenir les choses telles qu’elle étaient, bloquant la société indienne.

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  • Hindouisme, bouddhisme et jaïnisme en Inde: unification et glaciation de la société indienne

    La Bhakti a permis au brahmanisme, puis à l’hindouisme, de bénéficier d’un bastion idéologique solide dans les masses, le prix à payer étant l’implication active des masses dans ce processus. Cela a permis au féodalisme de s’enraciner profondément dans la société.

    Mais nous observons ici autre chose : ce processus a mené à l’unification de l’Inde. Comment cela a-t-il pu être possible ?

    Après l’effondrement de l’empire Maurya, l’Inde antique était divisée en de nombreux royaumes qui se disputaient la suprématie. L’empire Gupta n’a été que le succès temporaire d’un royaume en particulier ; en pratique, le pays se divisait en une multitude de pouvoir locaux.

    L’hindouisme était l’idéologie du système féodal en général, chaque instance de pouvoir local mettant en avant sa divinité, etc. Les masses étaient de cette façon impliquées dans les querelles intestines féodales.

    Dans ce contexte, à chaque fois qu’un roi accédait à une position importante, il soutenait une religion en octroyant au clergé des terres et des temples. Un temple recevait de la terre et des paysans pour la travailler, avec pour résultat l’approfondissement du féodalisme.

    Les rois ont commencé à octroyer également des terres aux forces féodales qui leur apportaient leur soutien, même si officiellement la propriété foncière n’a jamais été problématisée en Inde antique et féodale : les rapports de pouvoir, par l’intermédiaire des castes, étaient suffisants.

    A travers ce processus, la partie sud de l’Inde a rejoint la partie nord. L’Inde du sud possédait déjà une culture forte, en particulier chez les Tamouls ; des royaumes entreprenaient déjà de créer des idéologies, en particulier au moyen du bouddhisme.

    Représentation moderne de la déesse Sarasvati

    Ce bouddhisme était cependant très différent de celui de l’époque d’Ashoka. C’était désormais une religion organisée, connue sous le nom de Mahāyāna (« Grand Véhicule » en sanskrit) et qui comportait de nombreux dieux, des rituels, un clergé, etc.

    Le but n’était plus la libération, mais le culte des Bodhisattvas, des divinités qui pourraient devenir des bouddhas mais qui choisissent de repousser ce moment pour rester dans le monde, ce afin d’aider les masses (ce qui en fait des « modèles » pour les humains). C’était une variante féodale décadente du bouddhisme des origines, comme en témoignent les énormes statues couvertes d’or, de bijoux, etc.

    Finalement, la vigueur idéologique de l’hindouisme a conduit les forces féodales du sud à rallier l’hindouisme, les seigneurs féodaux ont été intégrés dans la castes des kshatriya, des prêtres ont été formés, et toute une histoire a été « écrite » pour intégrer le sud à la culture du nord.

    C’était une construction idéologique pure et simple, et dans les faits, le sud n’a jamais connu quatre castes, mais seulement un système traditionnel à deux niveaux, avec d’un côté les seigneurs féodaux et le clergé, et de l’autre des masses opprimées.

    Une autre variante concernait les zones tribales intégrées ; dans ces cas, l’hindouisme devait s’adapter, ce qui a donné naissance au tantrisme et ses éléments de magie.

    Comme R.S. Sharma le souligne dans « La société médiévale indienne à ses débuts »:

    « Une enquête géographique des concessions foncières montrerait que, sauf dans le sud profond où les colonies brahmanes apparaissent en grand nombre à partir du huitième siècle, cela a été du cinquième au septième siècles que les concessions de terres à grande échelle ont été faites aux brahmanes dans les zones périphériques comme l’Assam, le Bengale, l’Orissa, l’Inde du centre et du sud. Les zones de l’Himalaya et le Népal ont également été ouverts aux brahmanes dans les périodes post-gupta par des concessions de terres. »

    L’hindouisme a permis la généralisation d’un système dans lequel les seigneurs féodaux gouvernaient principalement un ensemble de villages, où la Bhakti, portée par les populations locales, a apporté les prémices de l’élément national.

    Sans la Bhakti, la dévotion des masses, les souverains féodaux auraient gouverné des royaumes complètement disparates ; grâce à la Bhakti, les masses ont trouvé un point de rencontre malgré les barrières linguistiques et culturelles.

    Le choc causé par les invasions islamiques a permis de mettre cela en perspective. Tout d’abord, les envahisseurs ont progressivement gagné la domination sur tous les royaumes, formant un nouvel empire et unifiant le pays sur le plan administratif, les forces féodales devenant une interface avec le pouvoir central.

    De plus, les masses soutenant la Bhakti se retrouvaient confrontées à une autre religion, ce qui a renforcé l’unification, excepté dans les zones directement liées aux envahisseurs, comme l’Inde du nord-ouest, ou historiquement réticentes à la domination septentrionale, comme le Bengale qui était un bastion bouddhiste, et dont la partie orientale est devenue principalement musulmane.

    La déesse de la destruction Kali sur le corps de Shiva, entre 1800 et 1825. Kali est historiquement particulièrement révéré au Bengale occidental.

    L’empire Moghol a maintenu tel quel le système féodal sans abolir les castes, se contentant de coordonner les choses par le haut, comme une sorte d’antithèse de l’empire Maurya (à l’exception de l’idéologie progressiste Sulh-e-Kul de l’empereur Akbar, qui tenta d’unifier l’empire de façon similaire, tel un Ashoka moderne).

    Les forces féodales étant dans l’incapacité d’évoluer vers une monarchie absolue, les envahisseurs ont pu former une monarchie tyrannique et parasitaire, et vivre des revenus de la collecte des impôts et de la propriété foncière directe (plus ou moins un cinquième de l’empire, selon la période).

    C’est précisément cela que Marx avait vu, et qui l’a amené à penser que l’Inde n’était jamais parvenue à dépasser la dispersion féodale d’une part, et d’autre part à former un état central pour mettre de l’ordre dans ce chaos.

    Dans un article de 1853 intitulé Les conséquences futures de la domination britannique en Inde, publié dans le New York Daily Tribune, Karl Marx écrit dans cet esprit :

    « La société indienne n’a pas d’histoire du tout, du moins pas d’histoire connue.

    Ce que nous appelons histoire, n’est que l’histoire des envahisseurs successifs qui ont fondé leurs empires sur les bases passives de cette société immuable et qui n’offrait pas de résistance.

    La question, donc, n’est pas de savoir si les anglais avaient le droit de conquérir l’Inde, mais de savoir si nous préférons que l’Inde soit conquise pas les Turcs, les Perses, les Russes, ou les Britanniques.

    L’Angleterre a une double mission à remplir en Inde : la mission de détruire, et la mission de régénérer l’anéantissement de l’ancienne société asiatique, et de jeter les bases matérielles de la société occidentale en Asie (…).

    Les classes dirigeantes de Grande-Bretagne n’ont trouvé jusqu’à présent qu’un intérêt fortuit, transitoire et épisodique aux progrès de l’Inde. L’aristocratie voulait la conquérir, l’argentocratie voulait la piller, et la manufacturocratie voulait la brader. Mais à présent, c’est une autre affaire.

    La manufacturocratie a découvert que la transformation de l’Inde en pays producteur a pris pour eux une importance vitale, et qu’à cette fin, il est nécessaire par dessus tout de la doter de moyens d’irrigation et de communication interne (…).

    L’industrie moderne, résultante du système de chemins de fer, va dissoudre les divisions héréditaires du travail sur lesquelles reposent les castes indiennes, ces obstacles décisifs au progrès indien et au pouvoir indien.

    Rien, parmi tout ce que la bourgeoisie anglaise sera contrainte de faire, n’émancipera ni n’améliorera la condition sociale de la masse du peuple, laquelle dépend non seulement du développement des forces productives mais aussi de leur appropriation par le peuple. Mais ce que la bourgeoisie ne manquera pas de faire, c’est de poser les bases matérielles de ces deux conditions.

    La période bourgeoise de l’histoire doit créer les bases matérielles du nouveau monde – d’une part, les échanges universaux fondés sur la dépendance mutuelle de l’humanité, et les conditions de ces échanges ; d’autre part, le développement des forces productives de l’homme, et la transformation de la production matérielle en une domination scientifique des instances naturelles.

    L’industrie et le commerce bourgeois créent les conditions matérielles d’un nouveau monde de la même façon que les révolutions géologiques ont créé la surface de la terre ».

    Mais, comme nous l’avons vu, il y a une histoire complexe dont le bouddhisme et le jaïnisme sont les expressions conflictuelles par rapport à l’hindouisme. C’est là un aspect cependant secondaire par rapport à ce que constate Karl Marx avec justesse alors : l’Inde est d’une faiblesse complète au moment de la colonisation, elle n’a pas d’ossature.

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  • L’apparition des masses avec la Bhakti

    L’hindouisme est parvenu à écraser le bouddhisme grâce à la Bhakti, mais le prix à payer a été élevé, car il a fallu intégrer la dévotion des masses dans la pratique religieuse. Voici comment Damodar Dharmananda Kosambi décrit ce processus dans Culture et Civilisation de l’Inde Antique :

    « Les brahmanes ont peu à peu étendu leur influence aux tribus et aux castes corporatives qui y échappaient encore, un processus qui se poursuit aujourd’hui. Cela impliquait le culte de nouveaux dieux, y compris Krishna, qui avait supplanté le culte d’Indra dans plaine du Punjab avant l’invasion d’Alexandre.

    Mais la spécificité des rituels et des cultes tribaux a été modifiée, les divinités tribales devenant des équivalents des dieux brahmaniques standard, et de nouvelles écritures brahmaniques ont rendu respectables les dieux qui ne pouvaient être assimilés tels quels.

    Ces divinités nouvelles ou à l’identité redéfinie allaient de pair avec de nouveaux rituels, et des dates supplémentaires au calendrier lunaire pour les occasions particulières. De nouveaux lieux de pèlerinage sont apparus, ainsi que les mythes leur conférant une respectabilité suffisante, alors qu’ils n’étaient auparavant que des lieux de culte primitifs pré-brahmaniques.

    Le Mahabharata, le Ramayana et surtout les Puranas regorgent de tels éléments.

    Le mécanisme d’assimilation est particulièrement intéressant. Non seulement Krishna, mais aussi le Bouddha lui-même, ainsi que des divinités totémiques telles que les très anciens Poisson, Tortue et Ours furent transformés en incarnations de Vishnu-Narayana.

    Le dieu Hanuman à tête de singe, populaire auprès des cultivateurs à tel point qu’il était le dieu associé à l’agriculture et faisait l’objet d’un culte particulier, est ainsi devenu le fidèle compagnon-serviteur de Rama, une autre incarnation de Vishnu. Vishnu-Narayana utilise le grand Cobra portant le monde comme un lit pour dormir sur les eaux ; et en même temps, ce même Cobra sert d’étole à Shiva, et d’arme à Ganesha.

    Ganesha, dieu à la tête d’éléphant, est le fils de Shiva, ou plutôt de la femme de Shiva. Shiva lui-même est le maître des gobelins et des démons, beaucoup d’entre eux – comme le cacodémon [un esprit mauvais, démoniaque] Vétala – étant des dieux extrêmement primitifs et liés à l’origine aux cultes populaires des villages.

    Nandi, le taureau de Shiva, faisait l’objet d’un culte dans l’Inde du sud à l’époque néolithique, où aucun maître humain ni aucune divinité ne le chevauchait ; il apparaît indépendamment sur d’innombrables sceaux datant de la civilisation de l’Indus.

    Cette assimilation se poursuit à l’infini, et si l’on regroupe toutes les légendes on voit bien qu’elles ne sont qu’un agrégat informe.

    Pourtant, l’importance de ce processus ne doit pas être sous-estimé. Le culte de ces divinités primitives ré-assimilées faisait partie d’un mécanisme d’acculturation, de concessions mutuelles.

    Tout d’abord, ceux qui auparavant vouaient un culte au Cobra pouvaient encore le vénérer même en s’inclinant devant Shiva, et inversement ceux qui révéraient Shiva rendaient hommage au Cobra dans leurs propres pratiques rituelles. Plus tard, nombreux sont ceux qui allaient observer chaque année le jour du Cobra, pendant lequel il est interdit de travailler la terre et où de la nourriture est donnée en offrande aux serpents.

    Des éléments matriarcaux ont été ajoutés, par assimilation de la déesse mère à l’ « épouse » d’un dieu masculin, comme par exemple Durga-Parvati (qui peut avoir des noms différents selon le lieu, comme Tukaï ou Kalubaï) l’épouse de Shiva, ou Lakshmi l’épouse de Vishnou.

    Cette complexe généalogie divine conservait des éléments de syncrétisme : Skanda et Ganesha sont devenus les fils de Shiva. »

    Ce processus comportait d’énormes risques, car il produisait des mouvements de masse mystiques rejetant les prêtres eux-mêmes au nom de l’amour mystique.

    Des figures éminentes de la bhakti : Namdeva, Kabir, Raidas et Pipaji, 19e siècle

    Kabir (1440-1518) est le meneur le plus célèbre de l’un de ces mouvement ; sa « voie » est théorisée dans le Bijak, une compilation de poèmes mystiques aujourd’hui encore très célèbre.

    En voici un exemple :

    « Oh servant, où Me cherches tu ?

    Regarde ! Je suis près de toi.

    Je ne suis ni au temple ni à la mosquée : ni à la Kaaba ni à Kailash :

    Je ne suis ni dans les rites ni dans les cérémonies,

    ni dans le Yoga ni dans la renonciation.

    Si tu cherches vraiment, tu Me verras tout de suite :

    Tu viendras en un instant à Ma rencontre. »

    « Je ne suis pas Hindou,

    Ni Musulman non plus!

    Je suis ce corps, un théâtre

    Des cinq éléments ; un spectacle

    De l’esprit qui danse

    Avec la joie et la tristesse ».

    Un autre personnage important est Nanak (1469-1539), le fondateur du sikhisme, pareillement orienté vers le rejet de l’hindouisme et de l’islam, au nom de la dévotion et de la vérité éternelle.

    Nanak enseignant à des ascètes, entre 1828 et 1830

    Kabir et Nanak, entre autres, rejetaient le principe des prêtres, des textes sacrés, de la fonction de yogi, des dogmes : l’amour et la fusion avec le « un » était un « appel » mystique.

    Dans de tels cas, il y avait une rupture avec l’hindouisme, avec les système des castes, avec une quelconque forme de clergé. La mobilisation de masse était au cœur de la démarche.

    Même à l’intérieur de l’hindouisme, de telles tendances existaient, très fortes, et elles ont marqué leur époque. Le vaishnavisme de Chaitanya est par exemple allé très loin avec le culte de Krishna, tout comme le poète Surdas (1528- vers 1581) et la poétesse Mira Bai (vers 1498- vers 1546) dont voici un poème :

    « Impérissable, O Seigneur,

    Est l’amour

    Qui me lie à Toi :

    Comme un diamant,

    Il brise le marteau qui le frappe.

    Mon cœur s’imprègne dans le Tien

    Comme la cire dans de l’or.

    Tel que le lotus qui vit au sein de l’eau,

    Je vis en Toi.

    Comme l’oiseau

    Qui toute la nuit

    Contemple la lune décroissante,

    Je me suis perdue en Ton sein.

    Ô, reviens, mon Adoré ».

    En voici un autre :

    « Dans mes voyages j’ai passé du temps avec un grand yogi.

    Un jour il m’a dit :

    Deviens si immobile que tu puisses entendre

    le sang couler dans tes veines. 

    Une nuit alors que j’étais assise au calme,

    Il m’a semblé être sur le point d’entrer dans un monde si vaste

    Que je sais que c’est notre source à tous ».

    Nous trouvons aussi des personnages comme Eknath (1533-1599), et le très important Tulsidas (1532-1623), qui ont formulé une « voie » où Dieu est considéré à la fois comme personnel et impersonnel, c’est-à-dire comme le but d’une quête mystique, mais aussi d’un culte personnel.

    La Bhakti a permis à l’hindouisme de gagner les masses, mais cela signifiait l’irruption des masses dans la religion elle-même.

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  • Le mouvement de la Bhakti

    Shankara a produit une doctrine classique de l’hindouisme, une nouvelle forme de brahmanisme où les castes étaient réintégrées, l’ordre ancien était de retour, et le bouddhisme, cet ennemi idéologique, était vaincu.

    Malgré cela, voilà ce que nous lisons dans le Bhāgavata Purāṇa, la légende éternelle et divine du Dieu Suprême, qui se compose de dix-huit mille vers écrits entre le 9ème et le 10ème siècle (mais qui existaient auparavant  de manière orale) :

    « Ni le Yoga ni le Samkhya ni le dharma ni l’étude des Védas, ni la sobriété religieuse ni l’abandon de soi ne Le ravissent (si pleinement) qu’une intense dévotion.

    Moi, qui suis le Soi bien-aimé des vertueux, ne peux être saisi (qu’) à travers une dévotion absolue et pleine de révérence.

    La dévotion entièrement dirigée vers Lui absout même les Svapakas (qui cuisinent et mangent la chair des chiens) du stigmate qui leur est apposé dès la naissance. »

    En effet, l’hindouisme n’avait triomphé que dans la forme. La perspective de Shankara n’a pas été suivie, car elle était trop rigide, trop uniforme et pas adaptée aux multiples situations locales qui nécessitaient l’intégration de divinités spécifiques.

    Nous trouvons donc, en compétition idéologique avec Shankara, Madhvacharya (1199-1278) et Ramanuja (1017-1137), qui ont développé un système non-dualiste.

    Alors que Shankara appelait à rejoindre le « Un » car tout le reste n’est qu’illusion, exactement comme Platon et son allégorie de la caverne, Madhvacharya et Ramanuja faisaient la promotion d’un système dualiste traditionnel.

    Selon eux, il y avait l’univers d’un côté et Dieu de l’autre, et les êtres humains devaient prier Dieu le seigneur de l’univers.

    Nous sommes ici dans le domaine du vaïshnavisme, le culte de Vishnou ; mais nous trouvons aussi, parallèlement à cela et à a même période, le « shivaïsme », le culte de Shiva.

    Le shivaïsme était très répandu sans être aussi puissant, et idéologiquement plus présent aux limites de l’Inde antique, notamment au Cachemire ; il était principalement connecté aux pratiques magiques et mystiques qui avaient encore cours à l’époque.

    Représentation shivaïte par Raja Ravi Varma (1848-1906), avec Shiva et Parvati, entouré des autres dieux n’ayant ici qu’une place secondaire

    La célébration de Shiva s’accompagnait par exemple du culte du lingam, le phallus en tant que symbole d’énergie ; Shiva était en fait un dieu pré-védique, puis il a été intégré dans les védas par assimilation avec le dieu védique Rudra, un processus qui s’est achevé dans le Shvetashvatara Upanishad.

    Le vaïshnavisme était la forme populaire de l’hindouisme : jusqu’à ce jour, le système « non-dualiste » de Shankara, bien que très estimé, n’a jamais bénéficié d’une vraie popularité. Le vaïshnavisme était si populaire qu’il était lié au mouvement de la « Bhakti » (« portion », « part », « dévotion », « attachement à », etc.).

    Comme nous l’avons vu dans la citation ci-dessus, le mouvement de la Bhakti acceptait la théologie hindouiste, mais rejetait plus ou moins les castes, et même les rituels védiques, au nom d’une connexion directe avec un dieu, au moyen du chant, de la prière, de la dévotion etc.

    Représentation au 18e siècle de Kalki, la dernière forme de Vishnou sur terre intervenant pour faire cesser le Kali Yuga, le dernier âge, et faire recommencer les cycles cosmiques depuis de le départ

    Le phénomène le plus étonnant ici est que le mouvement de la Bhakti, malgré ces positions, ait pu être intégré à l’hindouisme, et exister pacifiquement aux côtés de la tradition orthodoxe.

    Comment un mouvement populaire de dévotion au dieu unique et accessible à tous, a-t-il pu coexister avec la tradition orthodoxe ?

    C’est parce que le mouvement de la Bhakti était l’expression de l’évolution historique de l’idéologie féodale et de sa base sociale. L’hindouisme orthodoxe était l’idéologie des villages, mais partout où les traditions étaient enchevêtrées dans des situations complexes, nous trouvons l’approche de la Bhakti, qui est en fait un équivalent du christianisme européen du haut moyen-âge.

    L’hindouisme orthodoxe a du accepter cela, afin de protéger ses propres traditions des mouvements de masse, mais aussi parce que la Bhakti était un front idéologique de mobilisation de masse permettant de contenir l’avancée de l’Islam.

    Alors que dans l’hindouisme orthodoxe c’est le clergé qui est en position centrale, dans le mouvement de la Bhakti c’est la société entière, c’est-à-dire les dirigeants locaux ; on vénérait le dieu suprême, que ce soit sous sa forme propre, sous la forme d’autres sous-dieux ou déesses, ou même sous la forme d’un professeur, d’un « gourou ».

    Alors que Shankara appelait à comprendre de façon plutôt rationnelle la vacuité de l’ego, la Bhakti expliquait que l’amour pour Dieu permettait de fusionner avec lui, dans une perspective mystique, car nous vivons dans le dernier yuga, le dernier cycle d’une période de 4,1 à 8,2 milliards d’années où l’univers est détruit et recréé.

    Ici, l’influence du soufisme musulman est manifeste puisqu’on y retrouve le rapport individuel à Dieu, alors qu’auparavant Dieu était une entité équivalente à l’univers, donc distant et inaccessible, mis à part pour les âmes pures.

    Avec la Bhakti tout le monde pouvait « fusionner » avec Dieu à travers l’adoration, les prières, les chants collectifs, etc. Ce qu’on appelle la mouvance « Hare Krishna » en Europe et aux États-Unis est basée sur la tradition Bhakti, le but des disciples étant de ressembler à Radha, la femme aimée du dieu suprême Krishna.

    Des dévots de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, plus connus
    comme les « Hare Krishna »

    Le mouvement de la Bhakti n’appelait pas à l’anéantissement de l’ego, mais à sa rencontre avec le suprême. Son concurrent n’était pas le bouddhisme, c’était l’Islam, dans la situation concrète de l’Inde à l’apparition du féodalisme.

    Il faut ici mentionner le grand mathématicien Damodar Dharmananda Kosambi (1907-1966), qui était aussi un historien. Citons ici sa compréhension du matérialisme dialectique et soulignons-en la valeur :

    « Le matérialisme dialectique soutient que la matière est primordiale et que les propriétés de la matière sont inépuisables. L’esprit est un aspect de la matière en tant que fonction du cerveau, les idées ne sont donc pas des phénomènes primaires, mais plutôt le reflet de processus et de changements matériels de la conscience humaine, qui est elle-même un processus matériel.

    En définitive, les idées se forment à partir de l’expérience humaine.

    La matière n’est pas inerte, mais dans un état permanent d’interaction et d’échange ; c’est un processus complexe plutôt qu’un agrégat de choses. A chaque niveau il y a cette caractéristique inhérente du changement, cette « contradiction interne », qui mène à une négation (pas nécessairement unique) de ce niveau ou de cette condition. » (Exasperating Essays: Exercises in Dialectical Method).

    L’historien indien Damodar
    Dharmananda Kosambi
    (1907-1966)

    Citons ici son ouvrage Aspects économiques et sociaux de la Bhagavad-gītā :

    « Pourtant, le Gita contenait quand même une innovation parfaitement adaptée aux besoins de cette dernière période : la Bhakti, l’adoration personnelle. Pour qui avait composé cette œuvre, la Bhakti était le moyen de justifier que tous les points de vue dérivent de la même source divine.

    Comme nous l’avons constaté par la suite avec le plutôt insipide Anu-Gita, cela n’a pas suffit à l’époque. Mais avec la fin des grands empires personnels en vue, – celui de Harsa étant le dernier – le nouvel État devait être féodal de haut en bas.

    L’essence du féodalisme pleinement abouti, c’est la chaîne de loyautés personnelles qui relie le servant à l’intendant, le métayer au seigneur et le baron au roi ou à l’empereur.

    Il ne s’agit pas de loyauté au sens abstrait, mais sur les bases solides des moyens et des rapports sociaux de production : la propriété foncière, le service militaire, la collecte des impôts et la conversion par les magnats de la production locale en marchandise. Assurément, ce système n’aurait pas pu exister avant la fin du 6ème siècle.

    Le mot-clé est samanta, qui en 532 signifiait encore « dirigeant local », et qui en 592 avait pris le sens de « baron local ». Les nouveaux barons était responsables personnellement devant le roi, et faisaient partie d’un mécanisme de collecte d’impôts.

    Le roi Manusmrti, par exemple, n’avait pas de samantas ; il devait tout administrer lui-même, directement ou par le biais d’agents dépourvus de statut indépendant.

    Le développement approfondi du féodalisme « par en bas » requérait à l’échelle du village une classe d’individus qui avaient des prérogatives sur la terre (en matière de culture, d’occupation ou de propriété héréditaire) et qui effectuaient un service militaire spécial ainsi qu’un service de perception d’impôts.

    Pour assurer la cohésion de ce type d’État et de société, la meilleure religion est celle qui promeut la Bhakti, la foi personnelle, même si l’objet de dévotion a des défauts évidents. »

    Avec la Bhakti, l’hindouisme a trouvé le moyen de faire la promotion de Dieu en général grâce à la dévotion personnelle qui élimine toute perspective rationnelle ; l’Inde a pu s’enfoncer dans le féodalisme avec cette religion coexistant avec l’hindouisme orthodoxe, ce dernier étant l’expression de la continuation du système des villages de l’Inde antique.

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  • Matérialisme, monisme et le message de la Baghavat

    La situation du matérialisme dans l’Inde antique était intenable. Les deux directions possibles du matérialisme étaient bloquées à la fois par l’hindouisme et le bouddhisme.

    Le matérialisme devait surmonter deux difficultés. La première difficulté était d’expliquer qu’il n’y a pas d’« âme », que seul le corps existe et que les êtres humains ne « pensent » pas : il n’y a que la matière.

    La deuxième était de considérer que l’univers ne fait qu’un et que la pensée en est le reflet, un simple élément de sa totalité.

    Cependant, ces deux affirmations étaient impossibles. Le bouddhisme expliquait déjà que les « âmes » étaient une illusion, qu’il n’y avait pas d’individu, et appelait à nier la matière pour plonger dans le Nirvana.

    Ainsi, les tendances matérialistes qui comprenaient la vacuité du concept d’ « individu » avec un ego unique étaient prisonnières d’une mystique religieuse qui devenait leur seule issue.

    Tout mouvement d’orientation épicurien devait se transformer en négation de l’ « âme », non pas au nom de la matière, mais au nom de sa négation et de celle de l’ « âme ».

    Shiva et Parvati, le couple idéal, ici représenté comme ayant fusionné,
    grottes d’Éléphanta,
    autour du 6e siècle de notre ère

    Il y avait ensuite la question de la pensée comme reflet de l’univers, à travers l’« intellect », pour utiliser le concept d’Aristote, d’Avicenne et d’Averroès.

    Mais cette orientation n’était pas possible non plus, car l’hindouisme et en particulier Shankara avaient développé un concept très proche de celui du bouddhisme : il y avait, en effet, un intellect universel, mais il n’était pas le reflet du monde, il était le reflet de Dieu.

    Ainsi, ceux qui prenaient cette direction acceptaient le monisme, mais c’était un monisme religieux qui niait la matière.

    Une œuvre très importante à cet égard, est la Baghavad-gītā, le Chant du Bienheureux, écrit vers le 5ème siècle avant notre ère. Il se compose de 700 vers issus du Mahabharata, le plus long récit épique jamais écrit en sanskrit.

    Le but de la Bhagavad-gītā est la destruction directe du bouddhisme, du matérialisme et du prestige d’Ashoka.

    En voici la trame : dans la bataille pour la succession au trône du roi défunt, Arjuna, qui est à la tête d’une armée, est dépité à l’idée de combattre les membres de sa propre famille, il ne veut pas d’une guerre. Mais le conducteur de son char est en fait Krishna, un avatar de Vishnou.

    Krishna et Arjuna, tapis indien du XVIII-XIXe siècle

    Vishnou lui explique qu’il est seul à exister, de telle manière qu’Arjuna peut tuer puisqu’il ne tuera pas vraiment, à condition de comprendre que seul Vishnou existe.

    Cela signifie deux choses : d’un côté cette œuvre défend un monisme total, dans lequel seul l’univers existe en tant que « produit » de Vishnou, et dans lequel les pensées sont des sous-produits de l’existence de Vishnou. De l’autre côté, la Bhagavad-gītā explique que les castes doivent être respectées, que les Védas sont sacrés, etc.

    Si cette œuvre est une arme si puissante, c’est parce que dans le renouvellement du système des castes, il apparaît que le véritable but n’est pas d’atteindre le sommet de la société, mais de quitter la fausse réalité de l’univers et de comprendre que seul Vishnou existe.

    Citons ici quelques passages très intéressants de la Bhagavad-gītā qui sont vraiment très proches d’une compréhension matérialiste de la pensée comme reflet de l’univers éternel :

    « Les sens sont supérieurs à la matière inerte ; l’esprit est supérieur aux sens ; l’intelligence est encore supérieure à l’esprit ; et [la conscience] est encore plus grande que l’intelligence. »

    « Ce qui imprègne le corps tout entier, cela est, sachez-le, indestructible. Personne ne peut détruire cette conscience impérissable. L’enveloppe matérielle de l’entité vivante incommensurable, éternelle et indestructible est vouée à la disparition (…)

    Pour la conscience il n’y a ni naissance ni mort à aucun moment. Elle n’est pas venue au monde, ne vient pas au monde, ne viendra pas au monde. Elle ne naît pas, elle est éternelle, infinie, sans âge. Elle ne meurt pas quand le corps est tué ».

    « Bien que je ne sois pas né et que Mon corps transcendantal ne périsse jamais, et bien que Je sois le Seigneur de tout ce qui vit, J’apparais chaque millénaire sous ma forme transcendantale d’origine. Partout où il y a un déclin de la pratique religieuse, Ô descendant de Baratha, et une prédominance de l’irréligion – c’est à ce moment que Je descends.

    Pour libérer les pieux et anéantir les mécréants, ainsi que pour rétablir les principes de la religion, J’apparais en personne, millénaire après millénaire. »

    Vishnou « descend » quand cela est nécessaire : nous voyons qu’en toile de fond, il y a une mauvaise compréhension du principe de synthèse de la pensée-guide dans un moment de « crise ». Et il est comme l’univers dans sa compréhension matérialiste : éternel, sans limites, etc.

    En raison de la situation, il fallait que le matérialisme dise : oui, le bouddhisme a raison de dire que la conscience individuelle est une illusion, mais il est faux de dire qu’à cause de cela la réalité est sans importance, et oui, l’hindouisme a compris que l’univers n’est qu’un et qu’il n’y a qu’une pensée, mais il est faux de dire que cette pensée émane d’un dieu extérieur à la réalité.

    La situation n’était pas mûre pour cette perspective matérialiste, qui n’est apparue que plus tard avec la Falsafa arabo-persane, puis l’averroïsme latin.

    La position du matérialisme en Inde était extrêmement faible. Tous les documents relatifs au matérialisme antique ont été perdus, mais nous connaissons les positions des matérialistes à travers les critiques qui en ont été faites et qui récapitulaient souvent ces positions.

    Shankara nous donne les informations suivantes sur la conception de ceux qu’on appelait les Lokāyatikas, les matérialistes.

    « Selon les Lokāyatikas, la fondation du monde est représentée par quatre éléments – la terre, l’eau, la chaleur, le vent – et cela est tout ; ils ne reconnaissent rien d’autre ».

    Cela signifie que selon les matérialistes de l’Inde antique, il n’y a pas d’âme, seulement de la matière (comprise comme les quatre éléments indiens traditionnels).

    Shankara résume ainsi leur position :

    « Je suis fort, faible, vieux, jeune – ces caractéristiques sont attribuées au corps spécifique, particulier qui est ātman, et il n’y a rien à côté de cela ».

    Grâce à d’autres auteurs, nous savons aussi de la même façon que selon les Lokāyatikas, seuls existent la terre, l’eau, le feu et l’air, qui une fois mis en relation constituent les corps, les organes sensoriels et les objets. Rien de vivant ne peut se maintenir dans l’ « au-delà », donc il n’y a pas d’ « au-delà ».

    Cela signifie que les Lokāyatikas étaient des empiristes. Ils ne prenaient pas en compte la question de l’unité globale de l’univers ou même du corps : ils ne croyaient que ce qu’ils voyaient et étaient donc un équivalent direct de l’épicurisme.

    C’était une orientation pratique, un matérialisme primitif. Shankara dit aussi à propos des Lokāyatikas :

    « Avec l’aide des moyens accessibles à la perception, c’est à dire l’agriculture, l’élevage, le commerce, la politique, l’administration et les occupations de ce genre, Que les sages connaissent le bonheur sur terre ».

    Cela signifie que les Lokāyatikas étaient des épicuriens directement connectés aux rois. Dans l’Inde antique, les dirigeants voulaient gouverner sans l’interférence des prêtres, c’est pourquoi ils soutenaient l’épicurisme.

    Dans cette opposition au sein des classes dirigeantes, les intellectuels matérialistes apparaissaient comme des armes idéologiques, dans un phénomène qui s’apparente déjà à ce que nous appelons l’averroïsme politique, apparu notamment avec John Wycliffe et le hussitisme.

    Ce phénomène est allé tellement loin que nous trouvons un équivalent direct du Prince de Machiavel, l’Arthashastra, écrit pas Kautilya, le premier ministre de Chandragupta, le fondateur de l’empire Maurya, et grand-père d’Ashoka.

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  • Hindouisme, bouddhisme et jaïnisme en Inde: la question de l’ego et du soi

    Karl Marx ne connaissait pas le bouddhisme et son rôle en Inde. Il pensait que l’hindouisme avait toujours été la forme religieuse dominante et que le culte de la nature en était un élément, alors que c’était en fait une pratique animiste des peuples autochtones colonisés et une composante pacifique du bouddhisme comme idéologie urbaine et civilisée.

    Si nous prenons par exemple Adi Shankara (vers 788-820), un des plus importants théoriciens de l’hindouisme, nous voyons qu’il a combattu le culte de Khandobā, un dieu pré-aryen à tête de chien protecteur du Deccan (la partie sud de l’Inde).

    Ce dieu a plus tard été transformé en forme, en « avatar » de Shiva et, en fait, l’hindouisme a surtout mis en avant Vishnu et Shiva et a intégré tous les dieux non-aryens en tant que « formes », en tant qu’ « avatars », des autres dieux.

    De la même façon, Adi Shankara a lutté contre la culture « tantrique », c’est-à-dire la magie et les rituels érotiques qui existaient sur le territoire actuel de l’Assam, une région très éloignée des zones aryennes.

    Représentation idéalisée d‘Adi Shankara, 1904

    Adi Shankara a aussi contribué à une forte culture des monastères, une culture ascétique directement empruntée au bouddhisme qui est encore aujourd’hui très forte dans le sud de l’Inde où elle a émergé.

    Adi Shankara a en fait été le grand théoricien de l’hindouisme, celui qui a écrasé le bouddhisme déjà affaibli.

    Le point crucial est le suivant : le triomphe sur l’ego est clairement la composante la plus développée de l’hindouisme, du bouddhisme et du jaïnisme. Même si la réflexion à ce niveau se perd dans la psychologie réactionnaire, et si la réincarnation apparaît comme l’élément le plus fort dans ces systèmes, le niveau de questionnement est extrêmement élevé, et contenait à ses débuts une dimension matérialiste.

    Selon le matérialisme dialectique, la pensée est le reflet du mouvement de la matière éternelle : le mode de production tel qu’il est expliqué par Karl Marx permet de comprendre la relation entre la pensée et la matière en (éternel) développement.

    Averroès, en affirmant que l’être humain ne pense pas, a ouvert la voie au matérialisme en Europe, avec l’averroïsme latin.

    En Inde, c’est le « Bouddha » qui a formulé la première position allant dans ce sens. Sa position consistait à expliquer que la conscience en tant qu’ego individuel était une illusion.

    Cependant, la démarche étant de libérer la société par la religion, les efforts se concentraient uniquement sur l’extinction de la fausse conscience, sans jamais attribuer de valeur à la réalité. La réalité était l’apanage du monarque absolu et des marchands.

    Le Bouddha, dans le style gréco-bouddhiste typique de la région du Gandhara, actuellement au Pakistan, 1er ou 2e siècle de notre ère

    Mais il y avait encore un problème : même si dans cette conception les actions sont mauvaises, car elles créent de la souffrance, il fallait quand même pouvoir expliquer les actions. Et c’est précisément là que l’hindouisme a développé une explication, en fait identique à celle de Platon et d’Aristote.

    C’est ici qu’Adi Shankara a joué un rôle crucial. En fait, Shankara a admis la position du bouddhisme mais au lieu de dire que l’ego n’existait pas, il a proposé un système de fusion de la conscience individuelle et du vrai Soi.

    Le système s’avérait supérieur au bouddhisme parce qu’il se présentait comme un monisme : il n’y avait qu’une réalité, celle du vrai Soi, qui englobait notre propre soi. La religion était la méthode pour comprendre cela, et les textes sacrés des Védas, rejetés par le bouddhisme, étaient d’une grande assistance.

    Le bouddhisme n’expliquait pas le monde, il ne faisait que le nier. Shankara abondait dans ce sens et a utilisé la notion de « māyā », du monde comme illusion. Cependant, il a expliqué que le monde n’était pas une abstraction, mais une sorte de rêve de la superconscience.

    Le bouddhisme expliquait que le monde matériel était le produit de la « volonté », qui formait une « cause » par le biais du « désir ». Quand s’accomplit l’arrêt de la volonté, la conscience demeure dans une sorte de zone tampon entre la destruction et la création : le « nirvana ».

    Shankara a expliqué qu’au contraire, l’effet préexistait à la cause, notre propre réalité était superposée à la cause éternelle, notre âme n’étant en fait qu’une partie de la superconscience, l’ « ātman ».

    Selon Shankara, par exemple, comme il l’explique dans le Brahmasutra :

    « l’âme n’est que la réflexion de sa forme élevée, l’ātman. »

    « L’âme n’est que savoir ou connaissance. »

    «  Il est impossible de nier l’ātman, car précisément celui qui nie est lui-même ātman ».

    « Il est impossible que la conscience individuelle, qui est connaissance, soit différente de ce Brahman, et il est impossible qu’il en existe plusieurs effets ou des consciences distinctes ».

    Platon, puis les néoplatoniciens, ne disaient pas autre chose : Dieu a créé la bonté, la bonté étant quelque chose de « plus » que Dieu, une sorte de « numéro 2 » qui a produit le multiple. Les nombres du multiple ont engendré, de par leurs combinaisons, les « idées » qui ont donné forme à la matière.

    Le but est donc de comprendre que chaque conscience provient de la grande conscience et qu’elle veut y retourner. Shankara dit précisément la même chose. La matière masque la conscience, c’est le principe de la māyā-avidyā, « illusion-ignorance ».

    Dans son commentaire du Brahmasutra, Shankara dit :

    « cette superposition, définie comme telle, est appelée avidyā [ignorance] par les sages, alors qu’ils appellent connaissance l’affirmation de la vraie nature de quelque chose que l’on distingue des choses superposées. »

    Shankara a ainsi produit une arme puissante contre le bouddhisme. Toutefois il est impossible de ne pas remarquer que, de ce point de vue, l’objectif est de rejoindre la « vraie » réalité, la réalité divine, et de considérer le « bas monde » comme étant sans valeur. Le concept de māyā est même directement emprunté au bouddhisme.

    Il en découle que ce système « advaita » (non dualiste) n’a pas remporté l’hégémonie dans l’hindouisme, les classes dirigeantes préférant les systèmes « dvaita », c’est-à-dire les systèmes déistes classiques. Mais pour saisir ces systèmes dvaita, il faut aussi voir la position du matérialisme et pourquoi ce dernier n’a pas pu triompher.

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  • La conséquence de l’hindouisme en tant que superstructure sur l’infrastructure de l’Inde antique

    Le triomphe de l’hindouisme sur le bouddhisme a pris des siècles. Même après la réorganisation du brahmanisme dans sa nouvelle forme « hindouiste », le bouddhisme a d’abord maintenu sa position en Inde antique, et quelques 3000 missionnaires bouddhistes furent envoyés en Chine où le bouddhisme est rapidement devenu la religion d’État.

    Néanmoins, les dernières positions du bouddhisme montraient leur faiblesse. Même si la dynastie Pala a régné sur l’Inde antique pendant une longue période (750-1147), son pouvoir s’étendait essentiellement sur le Bengale, où le bouddhisme était déjà l’idéologie de cette zone hautement développée comparativement à la zone historique des Aryens.

    A l’époque des conquêtes musulmanes, du 11e au 16e siècle, le bouddhisme était déjà très affaibli. De plus, les envahisseurs ont maintenu l’ordre social que l’hindouisme avait érigé.

    Il n’y avait donc pas d’espace pour le développement de centres urbains et du capitalisme, encore moins pour le développement d’un empire unifié.

    Matsya, une des formes prises par le dieu Vishnou

    L’hindouisme était l’idéologie des hautes castes qui avaient besoin d’une société statique et à leur service. Les « cycles » de l’hindouisme reflètent l’existence statique des petites communes, marquées comme en Chine par l’union de la petite agriculture et de l’industrie domestique.

    L’hindouisme était l’idéologie de ce système de castes et contrôlait les petites communes, mais ses différentes interprétations dépendaient de l’histoire locale. Cela permettait aux dirigeants locaux de conserver une base idéologique large dans les masses qui étaient, bien sûr, très diversifiées en ce qui concerne les langues, les traditions, les cultures, etc.

    A la différence du bouddhisme, de sa culture urbaine et de sa morale de citoyenneté universelle, l’hindouisme se basait d’un coté sur les grandes villes, l’état central et les pèlerinages et, de l’autre, sur les villages.

    La superstructure bloquait tout changement et aidait à reproduire ce mode de production. Si le brahmanisme était le produit de la situation sociale, l’hindouisme était en revanche une nouvelle idéologie destinée à reproduire cette situation sociale et à lutter pour défendre l’ancien contre le nouveau.

    Dans une lettre à Friedrich Engels du 14 juin 1853, Karl Marx parle de la situation indienne de l’époque et fait le parallèle avec l’Inde antique :

    « La nature immuable de cette partie de l’Asie, en dépit de toute l’agitation politique désordonnée en surface, s’explique entièrement par deux circonstances qui s’entretiennent mutuellement :

    1. par le système de grands travaux du gouvernement central et,

    2. par l’empire tout entier qui, mis à part quelques grandes villes, est un amas de villages, chacun doté de sa propre organisation et chacun formant un petit monde en soi (…).

    Si dans certaines de ces communautés, les terres du village [sont] cultivées en commun, dans la plupart des cas chaque habitant travaille son champ. Dans ces mêmes villages, l’esclavage et le système des castes. Sur les terrains en friche, des pâtures communes. Tissage et filage domestique réalisés par les femmes et les filles.

    Ces républiques idylliques, dont seules les limites du village sont jalousement préservées des villages avoisinants, existent encore, dans un état de conservation quasi-parfait, dans les territoires d’Inde du Nord-Est qui ne sont occupés que depuis peu par les Anglais.

    On ne peut concevoir, je pense, de meilleure base au despotisme et à la stagnation asiatiques.

    Et peu importe à quel point les Anglais aient pu irlandiser le pays, la destruction de ces formes archétypales était la conditio sine qua non de l’européanisation.

    Le percepteur n’aurait pas pu, à lui seul, provoquer cela. Il y eut un autre facteur essentiel, celui de la destruction des industries traditionnelles, qui priva les villages de leur caractère autarcique. »

    L’hindouisme était la nouvelle forme de despotisme asiatique qu’avaient élaboré les conquérants aryens, un despotisme asiatique qui fut ensuite adopté tel quel par les conquérants islamiques.

    Sculpture de la déesse Parvati, 11e siècle

    Examinons de plus près ces villages et le despotisme asiatique.

    Voici ce qui dit Karl Marx à propos de l’Inde antique dans Le Capital, pour en expliquer le système économique :

    « Ces petites communautés indiennes, dont on peut suivre les traces jusqu’aux temps les plus reculés, et qui existent encore en partie, sont fondées sur la possession commune du sol, sur l’union immédiate de l’agriculture et du métier et sur une division du travail invariable, laquelle sert de plan et de modèle toutes les fois qu’il se forme des communautés nouvelles.

    Établies sur un terrain qui comprend de cent à quelques milles acres, elles constituent des organismes de production complets se suffisant à eux-mêmes.

    La plus grande masse du produit est destinée à la consommation immédiate de la communauté; elle ne devient point marchandise, de manière que la production est indépendante de la division du travail occasionnée par l’échange dans l’ensemble de la société indienne.

    L’excédant seul des produits se transforme en marchandise, et va tout d’abord entre les mains de l’État auquel, depuis les temps les plus reculés, en revient une certaine partie à titre de rente en nature.

    Ces communautés revêtent diverses formes dans différentes parties de l’Inde.

    Sous sa forme la plus simple, la communauté cultive le sol en commun et partage les produits entre ses membres, tandis que chaque famille s’occupe chez elle de travaux domestiques, tels que filage, tissage, etc.

    À côté de cette masse occupée d’une manière uniforme nous trouvons « l’habitant principal » juge, chef de police et receveur d’impôts, le tout en une seule personne ;

    le teneur de livres qui règle les comptes de l’agriculture et du cadastre et enregistre tout ce qui s’y rapporte ;

    un troisième employé qui poursuit les criminels et protège les voyageurs étrangers qu’il accompagne d’un village à l’autre, l’homme frontière qui empêche les empiétements des communautés voisines ;

    l’inspecteur des eaux qui fait distribuer pour les besoins de l’agriculture l’eau dérivée des réservoirs communs ;

    le bramine qui remplit les fonctions du culte ; le maître d’école qui enseigne aux enfants de la communauté à lire et à écrire sur le sable ;

    le bramine calendrier qui en qualité d’astrologue indique les époques des semailles et de la moisson ainsi que les heures favorables ou funestes aux divers travaux agricoles ;

    un forgeron et un charpentier qui fabriquent et réparent tous les instruments d’agriculture ; le potier qui fait toute la vaisselle du village ;

    le barbier, le blanchisseur, l’orfèvre et çà et là le poète qui dans quelques communautés remplace l’orfèvre et dans d’autres, le maître d’école.

    Cette douzaine de personnages est entretenue aux frais de la communauté entière.

    Quand la population augmente, une communauté nouvelle est fondée sur le modèle des anciennes et s’établit dans un terrain non cultivé.

    L’ensemble de la communauté repose donc sur une division du travail régulière, mais la division dans le sens manufacturier est impossible puisque le marché reste immuable pour le forgeron, le charpentier, etc., et que tout au plus, selon l’importance des villages, il s’y trouve deux forgerons ou deux potiers au lieu d’un.

    La loi qui règle la division du travail de la communauté agit ici avec l’autorité inviolable d’une loi physique, tandis que chaque artisan exécute chez lui, dans son atelier, d’après le mode traditionnel, mais avec indépendance et sans reconnaître aucune autorité, toutes les opérations qui sont de son ressort.

    La simplicité de l’organisme productif de ces communautés qui se suffisent à elles-mêmes, se reproduisent constamment sous la même forme, et une fois détruites accidentellement se reconstituent au même lieu et avec le même nom, nous fournit la clef de l’immutabilité des sociétés asiatiques, immutabilité qui contraste d’une manière si étrange avec la dissolution et reconstruction incessantes des États asiatiques, les changements violents de leurs dynasties.

    La structure des éléments économiques fondamentaux de la société, reste hors des atteintes de toutes les tourmentes de la région politique.»

    Examinons ensuite la nature de l’État existant au dessus de ces villages.

    Voici ce que Karl Marx dit dans un article du New York Daily Tribune publié le 10 juin 1853, intitulé « La domination britannique en Inde » :

    « De manière générale et depuis des temps immémoriaux, il n’y a eu en Asie que trois ministères de gouvernement; celui de la finance, dédié au pillage de l’intérieur ; celui de la Guerre, c’est à dire le pillage de l’extérieur ; et troisièmement, le ministère des Grands Travaux d’État.

    Le climat et les conditions géographiques, surtout les vastes bandes de désert qui s’étendant du Sahara, traversant l’Arabie, la Perse, l’Inde et la Tartarie jusqu’aux plus élevés des hauts plateaux asiatiques, ont fait en sorte que l’irrigation artificielle par canaux et les retenues d’eau soient le fondement de l’agriculture orientale.

    Tout comme en Égypte et en Inde, on utilise les inondations pour fertiliser le sol en Mésopotamie, en Perse, etc.; on profite de l’altitude pour alimenter les canaux d’irrigation.

    La nécessité primordiale d’un usage économique et commun de l’eau, qui en Occident a conduit à des initiatives privées d’association volontaire, comme en Flandres et en Italie, requérait en Orient, où la civilisation était trop arriérée et l’étendue du territoire trop vaste pour faire germer l’association volontaire, l’interférence du pouvoir centralisé du gouvernement.

    D’où une fonction économique dévolue à tout gouvernement asiatique, celle d’organiser les Grands Travaux.

    La fertilisation artificielle du sol, dépendante du gouvernement, et son déclin rapide dès lors que l’on négligeait l’irrigation et le drainage, explique le fait à première vue étrange que les territoires arides et déserts que nous connaissons maintenant, aient pu être jadis brillamment cultivés, comme Palmyre, Pétra, les ruines du Yémen, et de vastes provinces d’Égypte, de Perse et de l’Hindoustan; cela explique aussi qu’une seule guerre de dévastation y puisse dépeupler un pays pendant plusieurs siècles, et en détruire toute la civilisation. »

    Dans le même article, Karl Marx essaie de décrire la situation des masses.

    Voici que qu’il dit :

    « Si révoltée que soit la sensibilité humaine devant le spectacle de la décomposition et de la dissolution de ces myriades d’organisations sociales patriarchales et inoffensives, jetées dans un complet désarroi, leurs membres individuels privés à la fois de leur forme antique de civilisation et de leur moyen de subsistance héréditaire, nous ne devons pas oublier que ces communautés villageoises idylliques, aussi inoffensives qu’elles puissent paraître, ont toujours été le solide fondement du despotisme oriental, qu’elles emprisonnaient l’esprit humain dans les limites les plus étroites qui se puissent concevoir, elles en faisaient l’instrument docile de la superstition, l’esclave des règles traditionnelles, et le privaient de toute grandeur et de toute énergie historique.

    Nous ne devons pas oublier ce nombrilisme barbare qui, concentré sur quelque misérable parcelle de terre, assistait tranquillement à la ruine des empires, à la perpétration d’innombrables cruautés, au massacre de la population des grandes villes, sans réagir à ces faits plus que si c’étaient des événements naturels — et lui-même, d’ailleurs, proie sans défense du premier agresseur venu qui daignerait lui prêter attention.

    Nous ne devons pas oublier que cette vie sans grandeur, stagnante, végétative, que cette forme passive d’existence attirait, au contraire, l’éclosion de forces destructives sauvages, sans but ni frein, au point de faire de l’assassinat un rite religieux dans l’Hindoustan.

    Nous ne devons pas oublier que ces petites communautés étaient contaminées par les distinctions de caste et par l’esclavage, et qu’elles ont assujetti l’homme aux circonstances extérieures au lieu de l’élever pour en faire le maître de ces circonstances, qu’elles transformaient un État social capable de se développer par lui-même en une destinée naturelle immuable, entraînant ainsi un culte abrutissant de la nature qui exhibait sa dégradation dans le fait que l’homme, ce souverain de la nature, tombait à genoux en adoration face à Kanuman [en fait, Hanuman] le singe, et Sabbala, la vache. »

    Cette dernière phrase montre que Karl Marx ne connaissait pas le bouddhisme et le jaïnisme (d’ailleurs il n’en a jamais parlé). Il ignorait que le culte de la nature était perpétré en dehors du brahmanisme et en opposition à ce dernier, et que l’hindouisme a dû contre son gré incorporer ce culte pour atteindre les masses.

    Et évidemment, en 2013, il nous est beaucoup plus facile de comprendre la contradiction entre les villes et les campagnes.

    Il faut justement saisir ce qui joue comme moteur idéologique de l’hindouisme : la fusion du soi individuel et de Dieu l’esprit suprême, par la destruction du « soi » illusoire.

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  • La réincarnation dans l’hindouisme, une nouvelle forme de brahmanisme en réaction au bouddhisme et au jaïnisme

    Le brahmanisme était confronté à une menace énorme, celle du développement massif du bouddhisme et du jaïnisme, c’est-à-dire le développement de la monarchie absolue et de la classe des marchands.

    Le bouddhisme était une idéologie qui rejetait les castes et ouvrait la voie à la modernisation, à une sécularisation de la vie sociale. Et là aussi, le végétarisme s’affirmait dans le bouddhisme et le jaïnisme, ce qui traçait une ligne de démarcation entre l’hindouisme et les autres nouvelles religions.

    Le végétarisme était le produit de la tradition animiste des peuplades oppressées par les envahisseurs aryens, mais c’était aussi une façon d’affirmer une orientation capitaliste face aux aborigènes qui vivaient de chasse et de cueillette (aatavika) et en tribus dans les forêts (aranyacara).

    Ashoka (304-232 avant notre ère), le premier monarque absolu à avoir unifié pratiquement toute l’Inde antique, a non seulement utilisé le bouddhisme comme son arme, mais a aussi entrepris de faire triompher un code de moralité, ou « dhamma », qui soit accepté par toutes les religions et qui puisse devenir la nouvelle culture des sujets de l’empire.

    Le dharma-vijaya – la conquête par la piété – était l’idéologie du nouvel État, et on retrouve ces principes gravés sur des piliers et des blocs de pierre un peu partout dans le pays. Les symboles les plus connus sont les quatre lions indiens qui se dressent dos à dos, mais aussi « l’Ashoka Chakra ».

    Les lions d’Ashoka, et en-dessous l’Ashoka Chakra, la roue d’Ashoka

    Ashoka a ainsi appelé à un saut civilisationnel, en rejetant les valeurs barbares de l’époque de la domination des Aryens. Ici aussi bien sûr, le végétarisme était un élément central. C’était l’appel à une voie paisible qui ferait des humains des sujets conscients en tant qu’individus plutôt que les prisonniers d’un système barbare.

    Ainsi, on trouve un appel à ne pas détruire la vie (en sanskrit prãņãtipãtaḥ, en prakrit pãņãtipãto), à ne rien prendre si ce n’est pas un don (en sanskrit adattãdãnam, en prakrit adinnãdãnaṃ), à ne pas avoir de rapports sexuels non autorisés (en sanskrit kãmamithyãcãraḥ, en prakrit kãmesu micchãcãro), à ne pas mentir (en sanskrit mṛṣãvãdaḥ, en prakrit musãvãdo) et à ne pas succomber aux boissons enivrantes (en sanskrit surãmaireyapramãdasthãnam, en prakrit surãmerayapamãdaṭṭhãnaṃ).

    En conséquence, le brahmanisme a dû entreprendre une transformation interne et proposer une nouvelle perspective dans laquelle la réincarnation allait jouer un rôle central dans sa reconquête de l’hégémonie sur les masses.

    La première étape fut militaire, avec la destruction de la dynastie Maurya à laquelle appartenait Ashoka. L’empereur Brihadratha fut tué par son général Pusyamitra Sunga (185-149 avant notre ère) qui forma un empire dans le nord-est de l’Inde antique, cette dernière perdant ainsi son unité.

    Un processus général de lutte contre le bouddhisme commença. Les dirigeants locaux utilisaient le brahmanisme comme un outil de domination et combattaient la négation des castes, tout en rejetant le centralisme.

    De ces combats incessants entre monarques a émergé un nouvel empire, celui de la dynastie Gupta, mais sa structure n’était pas très centralisée.

    Carte de l’empire Gupta en l’an 400

    Sous le règne de Chandra Gupta Ier, Samudra Gupta le Grand et Chandra Gupta II le Grand, l’Inde antique a vu les forces hindouistes développer leur usage de l’écriture et produire un haut niveau de culture au service du renouveau du brahmanisme.

    La soi-disant nouvelle religion a intégré les dieux dans toute leur disparité afin d’unifier les classes des dirigeants féodaux de façon générale, ce qui leur a permis de tenir tête à la position unificatrice du bouddhisme. Cela a été la naissance de ce que l’on appelle « hindouisme », un terme utilisé pour marquer la différence avec le brahmanisme.

    Mais cela ne suffisait pas : il fallait franchir une étape. Cette étape consistait en l’approfondissement métaphysique du concept religieux de réincarnation, ce qui allait permettre de lutter contre le bouddhisme sur les plans intellectuel et idéologique.

    Il était bien sûr nécessaire de relier cet approfondissement à l’intégration de la multitude de divinités de toutes provenances, d’où les divergences de perception, d’interprétation etc. etc.

    On a appelé cette période « l’Âge d’Or », mais c’était une époque dorée uniquement pour les classes dirigeantes, c’est-à-dire l’empereur, les dirigeants féodaux et les prêtres, qui ont recouvré leur position idéologique centrale.

    Le système des castes a commencé à prendre le contrôle des relations sociales, évinçant le bouddhisme qui perdait ses positions une à une avec la fin du gouvernement centralisé, de l’empire unifié et la perte de grands centres urbains.

    La classe des dirigeants féodaux, ainsi que les prêtres, mettaient en avant les dieux locaux, qui ont été peu à peu intégrés au brahmanisme afin de gagner les masses. Même entre dirigeants, le choix des divinités indiquait des divergences de position : la dynastie Gupta soutenait traditionnellement le dieu Vishnu, alors que ses rivaux soutenaient le dieu Shiva.

    Pour cette raison, l’hindouisme a élaboré le concept de « darshan », qui signifie « vision » en sanskrit, et a reconnu six darshanas « officielles » et donc qualifiées de « astika » (« qui existent »), par opposition aux « nastika » (« qui n’existent pas ») qui désignaient le bouddhisme, le jaïnisme, les courants matérialistes, etc. c’est-à-dire tous les points de vue qui rejetaient l’autorité des Védas.

    En dépit des différences, tous les nouveaux courants hindouistes considéraient la moksha (« libération ») comme le but utime, c’est-à-dire la fin du processus de réincarnation du soi.

    Mais contrairement au bouddhisme qui niait l’individu et considérait la libération comme une extinction du soi – le célèbre Nirvana –, l’hindouisme dans son ensemble expliquait que la fin signifiait la coalescence (l’union, le rapprochement, la fusion, etc.) avec Dieu, l’esprit suprême.

    Le brahmanisme offrait la possibilité d’accéder au sommet de la hiérarchie sociale, l’hindouisme a lui étendu le processus à Dieu lui-même.

    Les divinités Shiva et Parvati, vers 1800

    Les six darshanas étaient les suivantes :

    – Le Mimansa (« investigation »), aussi appelé Pūrva Mimamsa (« exégèse ancienne »), est une « voie » créée en réaction directe au bouddhisme, par Jaimini au 3e siècle avant notre ère, et consiste en une nouvelle lecture des Védas, essentiellement par Bhartṛhari (5e siècle), afin d’élaborer une nouvelle « exégèse. »

    La libération passe par la compréhension religieuse de la révélation : c’est une « voie » relativement traditionnelle, une tentative de relancer le brahmanisme à travers une « auto-critique » apparente.

    – Le Samkhya (« empirique »), une école se fondant principalement sur le livre Samkhya Karika (vers 200 après JC), est un déisme directement concurrent du bouddhisme, qui considère qu’il y a d’un côté Dieu (Puruṣa, la conscience) et, de l’autre côté, un monde (prakrti, le domaine de la perception sensible).

    Chaque âme est une parcelle de Puruṣa emprisonée dans la matière à cause du désir, l’objectif étant donc la libération de la matière.

    – Le Yoga (terme qui provient soit de yujir yoga – le joug, soit de yuj samādhau – se concentrer) est très connu en France. Dans la pratique, c’est une « voie » religieuse vers la libération, avec des méthodes de méditation pour atteindre le « divin ».

    L’œuvre maîtresse du Yoga se compose de 196 soutras indiens (des aphorismes) regroupés dans les Yoga Sūtras des Patañjali, qui ont vécu entre le 2e et le 4e siècle après JC).

    – Le Nyaya (« récursion ») est une voie qui se fonde principalement sur des Soutras rédigés par Aksapada Gautama au cours du 2e siècle.

    C’est une école basée sur la logique où la conscience est « élevée » vers la connaissance du « divin ».

    – Le Vaisheshika est une voie qui a essayé de développer une interprétation atomiste du monde, et qui a fusionné avec l’école du Nyaya.

    – Le Vedanta (« la fin des Védas »), également nommé Uttarā Mīmāṃsā (« exégèse approfondie ») est une voie qui a produit les œuvres majeures qui ont forgé l’identité de l’hindouisme.

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  • La réincarnation et l’éternité dans le bouddhisme et le jaïnisme comme opposition au brahmanisme

    L’organisation du brahmanisme en tant que « mélange » entre la religion traditionnelle des Aryens et l’animisme des populations autochtones des territoires couverts par l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh aujourd’hui, a permis la formation d’une base sociale féodale tendant principalement vers un système esclavagiste.

    Les diversités locales expliquent le nombre important de dieux et déesses qui témoignent des formes locales de l’animisme. Ces particularités étaient fortement mises en avant par les dirigeants féodaux locaux qui profitaient du système esclavagiste.

    En effet, le système des castes a permis la formation de sociétés locales fortes, établies à l’échelle de villages, qui se sont parfois développées en vraies villes. D’où l’existence d’éléments sociaux qui tendaient vers une forme achevée de féodalisme, voire vers un pré-capitalisme.

    Par ailleurs, les peuples colonisés ont commencé à renforcer leur animisme, ce qui a provoqué un gigantesque conflit idéologique.

    Bases et forces idéologiques

    Avec le brahmanisme, les peuples colonisés et opprimés ont commencé à s’impliquer dans la religion. C’était pour eux une façon transparente de défendre leurs intérêts, par le biais animiste de la religion.

    Le respect pour les animaux est ainsi devenu la bannière des opprimés. L’élargissement de la religion aux animaux a renforcé l’aspect animiste, et affaibli l’élément idéologique dominant, à savoir la « renaissance » comme membre de la classe dirigeante.

    La reconnaissance de la vie animale est devenue une arme remettant directement en question la valeur unilatérale de la vie de ces dirigeants sanguinaires.

    Néanmoins, les opprimés ne formaient pas une classe révolutionnaire. Pour cette raison, deux autres formations sociales ont elles aussi brandi la bannière de la “compassion” afin d’obtenir un soutien massif dans leurs efforts pour arriver au pouvoir.

    La première de ces formations sociales était la monarchie absolue. Si un roi voulait régner au delà de son territoire, il devait d’abord s’attaquer aux disparités locales qui confortaient les dirigeants locaux, afin d’affaiblir la classe parasite religieuse des prêtres.

    Ainsi, le premier grand souverain de l’Inde fut Ashoka (304-232 avant notre ère). La légende raconte qu’il embrassa la religion bouddhiste après avoir été témoin des massacres de la guerre du Kalinga (plus de 100 000 morts et 150 000 déportations).

    Dans les faits, Ashoka a unifié presque tout le territoire du Pakistan et de l’Inde actuels. Pour consolider son empire, il a construit une nouvelle idéologie, exactement comme l’avait fait Akhenaton en son temps.

    L’empire Maurya sous Ashoka

    La deuxième formation sociale était celle des marchands, préoccupés principalement par deux choses : maintenir leur existence en tant que tels au sein de la société et affaiblir la classe parasitaire des prêtres.

    C’est pour cette raison qu’ils soutenaient le bouddhisme ainsi que le jaïnisme.

    Bouddhisme et jaïnisme

    Le bouddhisme et le jaïnisme ont tous deux été théorisés par des membres de royaumes locaux qui avaient tout abandonné pour mener une vie d’ascèse et « découvrir » la voie de la « moksha » (« libération »).

    Cela signifie que Mahavira (vers 599 – 527 avant notre ère) et Gautama Bouddha (vers 563 – 483 avant notre ère) rejetaient tous les deux leur origine de classe, et en effet ils rejetaient le système des castes.

    Mais il leur a fallu justifier ce rejet. Pour cela, ils se sont servi du concept d’esprit dans la réincarnation.

    Représentation de la naissance de Mahavira,
    fin du 14e siècle

    Pour le brahmanisme, il s’agissait de justifier la possibilité, à moment donné, de se trouver au sommet de la société, au sein de la classe dirigeante. Donc, le brahmanisme proposa la fiction selon laquelle « l’âme », le « soi » personnel, se conservait dans le processus de réincarnation.

    C’était un moyen de tromper les masses, de proposer, de façon idéaliste, une possibilité d’ascension sociale.

    Le bouddhisme et le jaïnisme avaient entrepris de détruire cette idéologie en affirmant que, dans le système de réincarnation, l’aspect personnel n’était pas conservé. L’esprit se réincarnait mais sans ses propriétés individuelles.

    Cela signifie que le bouddhisme et le jaïnisme se sont employés à afficher le caractère erroné de l’hindouisme, qui affirmait que tout le monde pouvait partir d’en bas et accéder au sommet de la société.

    Bien sûr, les conséquences étaient énormes pour le clergé, dont la fonction sociale se voyait rejetée par la proposition d’une société « éclairée » où tout le monde pouvait, dans l’égalité, se mettre en quête du « moksha », de la libération du monde matériel, et où certains éléments auraient le choix de former une prêtrise ascétique retirée de la société et entretenue par elle.

    Évidemment, il est impossible de ne pas voir à quel point cela est similaire en substance au protestantisme, qui allait apparaître 2000 ans plus tard.

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