Il est important que le parcours de Racine se soit confondu avec sa mise à la disposition au service du néo-stoïcisme. Il n’a pas choisi d’affirmer la vie intérieure, en prenant son autonomie. Il a au contraire choisi la soumission.
Phèdre fut sa dernière tragédie, avant d’arrêter d’écrire. Il fera finalement deux tragédies, Esther et Athalie, mais d’inspiration religieuse et ne devant pas être joué devant un public ; elles étaient destinées au demoiselles de Saint-Cyr.
Dans la préface de Phèdre, Racine présente le théâtre comme moyen de contribuer à la vertu, c’est-à-dire finalement à ce qui doit être considéré comme le néo-stoïcisme.
« Au reste, je n’ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mes tragédies. Je laisse aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c’est que je n’en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle−ci.
Les moindres fautes y sont sévèrement punies ; la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité.
C’est là proprement le dut que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer, et c’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n’était pas moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes.
Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poème dramatique, et Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de mettre la main aux tragédies d’Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d’utiles instructions que ceux de ces poètes.
Ce serait peut−être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine, qui l’ont condamnée dans ces derniers temps et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu’à les divertir, et s’ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie. »
Racine accompagne en fait le tournant réactionnaire de la monarchie absolue, à la fin du règne de Louis XIV. Il s’installe par ailleurs dans les institutions. Il est à partir de 1674 et ce grâce à Colbert trésorier en la généralité de Moulins. En 1677, il est avec Boileau nommé historiographe du roi, en 1690 il est gentilhomme ordinaire, en 1694 il est secrétaire du roi.
Sa situation est privilégiée et il est omniprésent ; Racine était le seul avec Monsieur de Chamlay pouvant assister comme il l’entendait au lever du roi, etc.
Certains historiens ont parlé d’une disgrâce sur la fin de sa vie, mais cela ne semble nullement réellement étayé et la situation se déroule de toutes manières dans une monarchie absolue qui n’est plus que l’ombre d’elle-même déjà.
Racine était tout simplement devenu un parvenu ; parti d’une situation sociale faible, voire franchement pauvre, son art l’avait amené à rejoindre les plus hautes sphères. Il pratiquait la complaisance la plus totale qu’il considérait comme nécessaire.
En 1678, en tant que directeur de l’Académie française, il concluait par exemple ainsi son discours :
« Tous les mots de la langue, toutes les syllabes nous paroissent précieuses, parce que nous les regardons comme autant d’instruments qui doivent servir à la gloire de notre auguste protecteur. »
On a là une soumission ne pouvant aller avec une productivité littéraire. Cela reflète l’effondrement d’une époque sur elle-même, la perte de tout repère. En 1685, il tint les propos suivants, qui firent réagir le roi lui-même :
« Heureux ceux qui… ont l’honneur d’approcher de près ce grand prince… le plus sage et le plus parfait de tous les hommes. »
Louis XIV lui expliqua à ce sujet :
« Je suis très content ; je vous louerois davantage, si vous m’aviez moins loué. »
Voici comment le décrit un missionné de Spanheim, l’électeur de Brandebourg :
« M. de Racine a passé du théâtre à la cour, où il est devenu habile courtisan, dévot même. Le mérite de ses pièces dramatiques n’égale pas celui qu’il a eu l’esprit de se former en ce pays-là, où il fait toutes sortes de personnages.
Ou il complimente avec la foule, ou il blâme et crie dans le tête-à-tête, ou il s’accommode à toutes les intrigues dont on veut le mettre ; mais celle de la dévotion domine chez lui ; il tâche toujours de tenir à ceux qui en sont le chef. »