La CFDT et la Gauche Prolétarienne

Le 1er novembre 1973, les maoïstes de la Gauche Prolétarienne procédèrent à leur auto-dissolution. L’organisation avait été fondée en 1968, comme convergence des maoïstes de l’Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste) et des révolutionnaires « anti-autoritaires » issus mouvement du 22 mars, fondé à Nanterre et jouant un rôle significatif lors de Mai 1968.

La Gauche Prolétarienne appliquait deux lignes : la prolétarisation et la militarisation. Les militants devaient s’intégrer aux masses, en cherchant à vivre et travailler dans des endroits sélectionnés pour leur radicalisation possible.

La perspective était d’aller vers la guerre de partisans, comme « nouvelle résistance ». Une « nouvelle résistance populaire » fut fondée en 1970 en ce sens, afin de mettre en place des actions violentes.

La Gauche Prolétarienne fut extrêmement célèbre en France durant sa brève existence ; elle fut interdite en 1970, mais maintint son existence, en ayant notamment le soutien de nombreux intellectuels et artistes, dont le philosophe Jean-Paul Sartre et Jean-Luc Godard.

La Gauche Prolétarienne, sur la fin, tenta à la fois de générer un mouvement contestataire de masse, quitte à développer une presse de style très populiste, et de systématiser la violence. La direction finit par considérer qu’elle était en roue libre et procéda, plus qu’à une auto-dissolution, à une liquidation par en haut.

Il fut souligné deux choses par la direction.

Primo, qu’il fallait éviter la lutte armée pour la lutte armée, la direction assimilant en quelque sorte lutte armée et terrorisme. Cela conduisit l’ancienne direction de la Gauche Prolétarienne et même la quasi totalité des cadres à rejoindre la bourgeoisie, alors qu’en Allemagne (avec la RAF) et en Italie (avec les Brigades Rouges) la Gauche Prolétarienne avait servi de modèle.

Secundo, qu’il était apparu de nouvelles formes de lutte, comme l’autogestion de l’usine LIP ou l’occupation du plateau Larzac pour s’opposer à l’extension massive d’une base militaire. Cet aspect était considéré comme essentiel et servait de base à la justification de la liquidation de la Gauche Prolétarienne, pour laisser place à une généralisation de ces mouvements.

Or, tous ces « nouveaux mouvements sociaux » trouvaient une organisation qui les soutenaient et s’en revendiquaient : la centrale syndicale CFDT. Et celle-ci, alors que la Gauche Prolétarienne disparaît, en 1973, assume un discours de révolutionnarisation générale de la société qui est clairement parallèle avec les positions de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au même moment.

Il y a ici un paradoxe historique, ou plus exactement un grand ratage. La Gauche Prolétarienne aurait dû comprendre qu’elle avait systématisé une idéologie, le maoïsme, et voyant les nouvelles formes de lutte, saisir la chance d’avoir une immense caisse de résonance avec la CFDT.

On pourrait dire pour faire plus simple que la Gauche Prolétarienne avait la guerre et la CFDT le peuple, que la guerre populaire aurait dû naître de leur rencontre.

C’était impossible néanmoins, car la Gauche Prolétarienne perdait toujours plus de vue l’idéologie, au point de s’en passer totalement sur la fin ; les derniers et rares débris militants de l’organisation passeront dans le camp de l’anarcho-syndicalisme, du spontanéisme chez les autonomes ou bien dans le vide intellectuel et culturel des pro-albanais.

Si la Gauche Prolétarienne avait mis en place une véritable base idéologique, elle aurait pu travailler la CFDT au corps, lui fournissant les fondements qui lui auraient permis de saisir la portée de sa critique du capitalisme développé et de la société de consommation.

Il est vrai que la Gauche Prolétarienne n’avait pas de réflexion concernant ce dernier point. Mais elle était issue de mai 1968, comme les activistes de la CFDT du même moment ; comme la CFDT de 1973, elle rejetait tant le modèle américain que le modèle soviétique ; le rôle de la conquête démocratique des masses – dans une optique de mobilisation révolutionnaire – se posait tant chez l’un que chez l’autre avec les mêmes bases.

La Gauche Prolétarienne a ici commis une double erreur d’évaluation historique.

D’abord, elle était totalement focalisé sur la CGT, ce qui a été une double erreur : il y a eu sous-estimation de l’affrontement idéologique avec le PCF révisionniste, et il y a eu un fétichisme sur la dimension traditionnelle syndicaliste révolutionnaire des travailleurs français.

Autrement dit, la CGT était vue plus comme un concurrent qu’autre chose et c’était une obsession. Comme la CFDT marchait en tandem avec la CGT, la Gauche Prolétarienne considérait d’autant plus que de toutes façons, la CFDT fonctionnait comme appendice de la CGT.

Ensuite, elle a justement rejeté la CFDT selon des critères erronés. Pour la Gauche Prolétarienne, la CFDT ne pouvait pas être prise au sérieux, car elle ne concevait pas le changement de société comme un préalable à tout changement.

Si abstraitement cela est juste, cela revenait à dire la même chose que la CGT sur la CFDT, la CGT affirmant qu’il fallait au préalable à tout progrès réel un gouvernement de gauche par les élections.

La Gauche Prolétarienne considérait la CFDT comme une expression petite-bourgeoise, correspondant aux intérêts des couches intermédiaires – cadres et techniciens – dans les entreprises.

Elle ne prenait pas au sérieux les prétentions de la CFDT à élargir à tous les niveaux une critique générale de la société. Pour la Gauche Prolétarienne, la CFDT était un syndicat qui s’imaginait aller dans le sens d’être plus qu’un syndicat, ce qui était absurde.

Au lieu d’une absurdité, la Gauche Prolétarienne aurait dû comprendre avec le matérialisme dialectique qu’il s’agissait là d’une contradiction. Elle aurait alors compris son rôle historique par rapport à la CFDT.

C’est même en comprenant cela qu’on comprend pourquoi la Gauche Prolétarienne s’est effondrée du jour au lendemain : son rôle historique était terminé, c’est la CFDT qui formait désormais l’aspect principal sur le plan historique.

Et c’est ce qui explique que la CFDT en faveur de la révolutionnarisation de la société n’a elle-même duré que quelques années. Sans la Gauche Prolétarienne pour apporter le maoïsme, elle ne pouvait pas s’assumer elle-même et devait s’effondrer sous la pression de la ligne noire en son sein.

La conjugaison de la Gauche Prolétarienne et de la CFDT, c’est l’absence historique fatale à la révolution en France, c’est ce qui explique la disparition du camp révolutionnaire, le triomphe du Programme commun PS-PCF avec François Mitterrand.

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La CFDT, la CGT et la « seconde gauche »

On ne peut pas comprendre le tournant imposé de manière réussie par Edmond Maire sans comprendre le rapport à la « seconde gauche ». Le triomphe d’Edmond Maire, c’est en effet celui de l’aile droite du Parti socialiste unifié, des socialistes autogestionnaires basculant dans le « modernisme » le plus complet, et dont la principale figure est Michel Rocard.

Lorsque paraît en octobre 1953 la première version imprimée (et non ronéotypée, ou plus exactement polycopié) de Reconstruction, on trouve en première page une citation d’un de ses cadres, Charles Savouillan :

« Cette gauche renouvelée ne peut être, à nos yeux, que démocratique, laïque et socialiste. »

Cette citation provient d’un discours intitulé « Pour une gauche démocratique laïque et socialiste » tenu en mai 1953 à Puteaux lors d’une conférence des socialistes de la SFIO. Le discours avait même été publié dans l’organe du Parti socialiste SFIO, Le Populaire, le 8 juin 1953, pour être publié par Reconstruction également (en juin et en octobre).

On lit dans le discours notamment la chose suivante :

« Notre Groupe a été fondé il y a sept ans par des travailleurs manuels et intellectuels, militants syndicalistes, résolus à ne point laisser subordonner leur organisation à un parti, mais également résolus à élucider et à vouloir toutes les conditions, même politiques, d’une action ouvrière efficace.

Au premier rang de ces conditions, nous plaçons un renouvellement de la gauche française. Cette gauche renouvelée ne peut être, à nos yeux, que démocratique, laïque et socialiste.

Démocratique évidemment et anti-totalitaire : nous n’avons pas à insister devant vous sur ce point pour nous essentiel ; une transformation des structures économiques serait vaine à nos yeux si elle ne s’accompagnait pas du respect et du développement des libertés politique, syndicale et spirituelle historiquement solidaires.

Cette gauche française renouvelée sera nécessairement laïque par sa conception d’un Etat indépendant des confessions, respectueux des croyances comme des incroyances, sauvegardant pour chaque citoyen, la liberté de conscience, le droit à la sincérité : aux hommes qui ont fait la loi Barangé [qui accorde une subvention aux parents scolarisant leurs enfants dans les écoles privées], nous avons reproché et reprochons d’avoir rétabli dans la vie publique française une ligne de démarcation confessionnelle.

Cette ligne, nous voulons, au contraire, l’effacer dans le monde salarié pour accroître les forces de transformation sociale, donner à la gauche non communiste toute son ampleur.

Si elle veut pouvoir maîtriser demain les grands problèmes nationaux, cette gauche sera délibérément socialiste.

Nos camarades ne sauraient se contenter d’un vague esprit « social », compatible avec des survivances paternalistes ou corporatistes.

Ils ne sauraient se satisfaire, non plus, de simples déclarations anti-capitalistes ; ce qui se trouve aujourd’hui en question, à leurs yeux, c’est, au centre même du régime capitaliste, le statut de la fonction d’investissement, fonction d’une importance primordiale dans une nation appauvrie, d’un développement technique insuffisant, comme la France aujourd’hui : cette fonction, il n’est pas possible de l’abandonner, selon la tradition capitaliste, au jeu de l’épargne spontanée et du marché des capitaux ; dans ce domaine, une planification s’impose, comportant à la fois une politique d’investissement public, éventuellement alimentée par l’impôt, après réforme fiscale, et un contrôle public de l’auto-financement privé, lequel constitue en fait un véritable impôt indirect.

L’Etat démocratique qui résoudra les problèmes vitaux de notre pays devra être un Etat socialiste.

Tel est l’esprit dans lequel notre Groupe fait siennes les idées directrices du socialisme démocratique dans la synthèse qui en a été présentée à la Conférence Internationale de Francfort de juin-juillet 1951.

Si, comme nous en avons la conviction, le monde du travail français s’oriente, sous la pression de l’actuelle réaction, vers un mouvement social plus profond et plus exigeant que ceux de 1936 et de 1944, c’est vers un socialisme démocratique qu’il convient dès maintenant de diriger les énergies, en renforçant les organisations de base, seules capables d’éviter la déviation totalitaire. »

Reconstruction publiera dans la foulée, en novembre 1953, « Qu’est-ce que le socialisme démocratique ? », rédigé par Bernard Vacheret, qui aux côtés de Raymond Létoquart et Pierre Cournil soulignaient l’importance désormais fondamentale de l’éducation pour l’économie, en raison des exigences techniques se généralisant.

On a ici une réflexion « moderniste » typique de Reconstruction, et de la future CFDT.

Reconstruction soutient alors le « Front républicain » aux élections de 1956, « Front » dont la figure de proue est Pierre Mendès-France et dont les composantes sont les Républicains sociaux (du gaulliste Jacques Chaban-Delmas, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (de François Mitterrand), le Parti radical-socialiste et le parti socialiste SFIO.

Pierre Mendès-France (wikipédia)

Ce fut un succès pour le Front républicain, avec 29,2 % des suffrages et la mise en place d’un gouvernement, dirigé pourtant non pas par Pierre Mendès-France mais Guy Mollet du Parti socialiste SFIO ; Pierre Mendès-France, vice-chef du gouvernement, démissionna au bout de quelques mois, en raison du manque de volonté de cesser la guerre d’Algérie de la part de Guy Mollet.

Cet échec gouvernemental eut son aboutissement dans le coup d’État gaulliste de 1958, qui instaura la Ve République et dispersa toutes les forces de la gauche.

Le Parti socialiste SFIO tenta de pousser à l’union générale à partir de 1963 et l’hebdomadaire L’Express proposa alors en 1965 un candidat « X », capable de les réunir. Il s’agissait en fait de Gaston Defferre, socialiste SFIO, maire de Marseille, anticommuniste complet ayant remis la gestion du personnel de la mairie, du recrutement aux promotions, à la CGT-Force ouvrière.

Gaston Defferre (wikipédia)

La CFTC devenu CFDT correspondait parfaitement à ce positionnement, de par son origine catholique (et son lien aux centristes) et son engagement nouveau « socialiste démocratique » (donc parallèle à la SFIO). Aussi parut dans Le monde du 17 décembre 1965 un manifeste signé de cinq « clubs » politiques et d’un « Groupe de Recherche Ouvrier et Paysan » comprenant des dirigeants nationaux de la CFTC/CFDT. qui s’engageaient dans la brèche.

Cependant, contrairement aux socialistes les centristes du MRP ne voulaient pas de la moindre ouverture à la base du Parti communiste français, ruinant le projet. La CFTC/CFDT ne voulait pas non plus s’engager, craignant :

– d’une part que sa base ne suive pas, car n’ayant aucune expérience d’unité à gauche de par son parcours ;

– que la minorité se maintenant comme CFTC gagne des points, notamment en Alsace, en accusant la nouvelle CFDT de politisation.

Sans les radicaux, aucune « grande fédération » de la seconde gauche n’était possible et ce fut donc l’échec de la tentative de Gaston Defferre et de son mouvement « Horizon 80 ».

François Mitterrand prit alors l’initiative en juillet 1965 de pousser à une « petite fédération », le congrès du Parti socialiste SFIO quelques mois plus tard soutenant l’initiative.

François Mitterrand

Cela donna naissance, en septembre 1965, à la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), unissant le parti socialiste SFIO (de Guy Mollet), le Parti radical, la Convention des Institutions Républicaines (de François Mitterrand), l’Union des groupes et clubs socialistes (de Jean Poperen), l’Union des clubs pour le renouveau de la gauche (d’Alain Savary).

Mais de manière notable, la direction n’est pas composée que des représentants des partis : à parts égales, on a les représentants des « clubs » politiques (comme le Cercle Jean-Jaurès). C’est à ce titre qu’on retrouve Reconstruction.

Profitant en effet de sa propre activité, et du lien du SGEN depuis la fin de la seconde guerre mondiale avec les socialistes et à partir de 1953 avec Pierre Mendès-France, Reconstruction se vit inviter à avoir une place au Comité Exécutif au sein du FGDS.

Afin de maintenir la fiction de l’indépendance et de l’apolitisme, un « Comité Syndicaliste d’Etudes Politiques (Groupe Reconstruction) » fut mis en place. Officiellement, ce Comité n’était qu’un « club » syndicaliste membre invité de la Fédération, et Reconstruction continuait son activité indépendante à côté de la Fédération et de ce « Comité ».

En pratique, Reconstruction commençait à encenser François Mitterrand de manière ininterrompue, alors que le manifeste électoral de la FGDS, « Pour la République des citoyens », est qualifié de « document synthétique d’un style remarquable ».

Reconstruction décida également de soutenir les cadres CFTC ayant rejoint le Parti socialiste unifié (PSU) se développant en parallèle.

Puis vint l’unification autour de François Mitterrand dans un « Parti socialiste » en 1971 lors du congrès d’Epinay et les Assises du socialisme de 1974 organisées par Michel Rocard. La gauche gouvernementale était unie et cherchait un programme commun avec le Parti communiste français, qui ne cessa de faire monter les enchères, notamment par l’intermédiaire de la CGT.

Ce dernier aspect est essentiel. Le programme commun PS-PCF a causé un mal fou à la CFDT qui cherchait à se positionner comme indépendante, mais en étroit rapport avec une CGT de plus en plus ouvertement liée au PCF en raison de la perspective d’un succès électoral.

On a ainsi encore un dense communiqué commun CFDT-CGT le 1er décembre 1970, qui met en avant cinq thématiques de lutte : salaires et pouvoir d’achat, retraites, heure d’information syndicale, durée du travail, emploi.

Trois campagnes communes furent menées en 1971, autour des retraites, des droits syndicaux et de la répression patronale, ainsi que des droits des immigrés.

Et lorsque la CGT produit un document intitulé « Les perspectives du socialisme pour la France et le rôle du syndicat », la CFDT lui répond en octobre 1971 avec le document « Pour un socialisme démocratique », à quoi répond encore la CGT avec des articles de son secrétaire Henri Krasucki dans la Vie Ouvrière en mars et avril 1972.

Le point culminant du processus fut pratiquement une forme d’unité CFDT-CGT avec l’accord du 26 juin 1974.

Mais, donc, le programme commun vient tout faire tomber à l’eau, le PCF neutralisant la CGT afin de faire sentir son poids au sein du rapport de force général.

La CFDT, un temps, fera face, avec des discours sur l’union de la gauche, l’union des forces populaires et elle soutiendra malgré ses discours anti-politiques, la candidature du socialiste François Mitterrand aux élections présidentielles de 1974.

Cependant, elle aurait aimé rester indépendante au maximum, et elle voyait qu’elle était marginalisée par le Programme commun.

En 1973, la CFDT constatait que font partie du courant socialiste autogestionnaire : le Parti socialiste (qui l’assumait effectivement dans son programme de 1971), le Parti socialiste unifié, Objectif socialiste, l’Alliance marxiste révolutionnaire (issu du trotskisme), le CERES (socialiste), les anarchistes.

Au final, il ne resta que le Parti socialiste unifié qui lui-même se saborda dans les socialistes. La CFDT n’avait plus d’expression politique, risquait de se faire happer par les socialistes et devait affronter une CGT revigorée et ambitieuse.

Il y avait donc un espace pour une réaffirmation de la CFDT comme « syndicat libre » tourné sur lui-même, que prit Edmond Maire qui ne croyait pas au succès de François Mitterrand en 1981, ni à celle de la gauche en général.

Edmond Maire, ancien Parti socialiste unifié avec Michel Rocard, avait pourtant adhéré avec lui au Parti socialiste en 1974. Mais justement, la position d’Edmond Maire exprimait l’autogestion comme capitulation, tout comme Michel Rocard s’opposa à François Mitterrand sur une ligne droitière.

D’aile gauche des socialistes, les autogestionnaires du courant Michel Rocard – Edmond Maire devinrent l’aile droite, et cela correspond à une restauration aux valeurs d’avant Mai 1968. On est revenu à Reconstruction, aux socialistes démocratiques accompagnant le capitalisme américain.

Toute la scène « autogestionnaire » était contradictoire, et si les congrès de 1973 et 1976 exprimaient l’aspect positif, rouge, sans pour autant réussir le saut au maoïsme, c’est finalement l’aspect noir, contre-révolutionnaire qui l’a emporté, en profitant de la matrice de la CFDT issue de la CFTC.

Autrement dit, il aurait fallu que la CFDT de 1973-1976 connaisse un saut qualitatif, que les communistes, sur la base du maoïsme, contribue à sa réalisation. C’est là que tout se jouait alors, à la suite de Mai 1968 ; la défaite à ce niveau anéantissait toute possibilité d’émergence, avant l’ouverture d’un nouveau cycle.

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La CFDT recentrée par Edmond Maire et l’intégration complète

La cause est ainsi entendue à la fin des années 1970 : le socialisme est impossible, reste le « recentrage sur la logique syndicale », qui est le grand mot d’ordre de la CFDT.

Un puissant outil pour cela fut le « syndicat libre » polonais Solidarność de Lech Wałęsa, apolitique et pro-catholique dans son opposition à la Pologne soumise au social-impérialisme soviétique.

Le secrétaire général Edmond Maire fit en sorte que la CFDT s’implique ostensiblement dans le soutien au syndicat polonais, ce qui fut un excellent moyen tant de dénoncer l’échec du communisme que de promouvoir le recentrage, tout en dynamitant les liens avec la CGT pro-soviétique.

La rupture avec la CGT fut d’ailleurs officialisée en septembre 1980, en raison de ses liens avec le Parti communiste français dans le cadre de la mise en place du programme commun PS-PCF.

La clef est donc ici la non-participation de la CFDT à la victoire de la gauche en 1981, même s’il faut la relativiser par l’entrée de cadres de la CFDT dans des cabinets ministériels.

Edmond Maire laissa nettement la centrale syndicale à l’écart, au point même de saluer le fameux « tournant de la rigueur » de 1983, un choix de portée stratégique afin que la CFDT soit considérée par le patronat comme le partenaire crédible pour l’avenir.

« Clairvoyance sur l’action syndicale », « Pluralité des combats »…

À partir de 1981 d’ailleurs, la CFDT multiplie les rencontres secrètes avec le patronat pour les négociations ; c’est un début masqué de la CFDT moderniste accompagnant l’évolution du capitalisme.

Plus rien ne changera. Jean Kaspar, qui succéda à Edmond Maire en 1988, n’eut aucun mal la même année à exclure une révolte des syndicats PTT de la région parisienne liée à un mouvement des infirmières à l’automne. Les exclus partirent fonder SUD–PTT (Solidaires Unitaires Démocratiques – Postes, Télégraphes et Télécommunications).

Les syndicats CRC d’Île-de-France furent exclus quant à eux en mars 1989 en raison de leur opposition à l’accord Evin la même année, signé par la CFDT, et mirent en place SUD–Santé.

Le symbole de la CFDT dans les années 1990

Mais tout cela restait marginal, dans la passivité totale de la base de la CFDT. La grande preuve, ce furent les grandes grèves de 1995, massives comme jamais depuis le début des années 1980, contre le plan Juppé qui prévoyait des restructurations (dans la santé, dans les retraites de la fonction publique).

Malgré une contestation interne allant jusqu’à un désaveu interne majoritaire, la secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, en place depuis 1992, maintint sa position de soutenir le plan Juppé.

La figure de François Chérèque, qui lui succéda de 2002 à 2012, fut dans la même veine, lui qui aura été président du « think tank » de gauche libérale Terra Nova de 2013 à sa mort en 2017.

Le logo de la CFDT des années 2000

Mais c’est surtout le parcours de son père Jacques Chérèque qui est emblématique. Ouvrier spécialisé, il devint secrétaire général de la Fédération générale de la métallurgie (FGM-CFDT) en 1971, puis secrétaire général adjoint de la CFDT en 1979 ; il fut ensuite nommé préfet délégué pour le redéploiement industriel en Lorraine en 1984, avant de devenir quelques années plus tard ministre chargé de l’Aménagement du territoire et à la reconversion industrielle (« Il faut retirer les hauts fourneaux de la tête des sidérurgistes lorrains »).

On a ici une démarche typique d’accompagnement et de recherche des meilleures améliorations ou sorties possibles, dans l’absence de toute contestation.

La boucle est même pratiquement bouclée quand on sait que le secrétaire général de 2012 à 2023, Laurent Berger, avant d’être permanent CFDT, a été un permanent de la Jeunesse ouvrière chrétienne et a écrit son mémoire de maîtrise d’histoire sur « L’épiscopat nantais de Monseigneur Villepelet (1936-1966) ».

Reconstruction avait réussi : un grand syndicat réformiste moderniste s’était mis en place, capable de tenir tête à la CGT, et même de la dépasser : à partir de 2017, la CFDT dépasse la CGT dans le secteur privé.

Le logo « moderne » tout à fait représentatif de la CFDT des années 2010

Car la CFDT est un syndicat de masse. Si on regarde les effectifs, on a à la CFTC 340 000 membres en 1953, 433 000 en 1961, puis à la CFDT 678 000 membres en 1970, 900 000 en 1977, 535 000 en 1988, 757 000 en 1998, 883 000 en 2002, 851 000 en 2010 et 623 000 en 2018 (le comptage du nombre d’adhérents fut modifié en 2017), 612 000 en 2022.

Cela aurait été impossible sans la proposition stratégique de Reconstruction et la mise en place des outils adéquats en ce sens.

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La CFDT en 1976 et la tentative d’un programme subversif

La CFDT de 1976 se situe dans la même perspective qu’en 1973 ; on retrouve encore des thèses parallèles à celles de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au même moment, sans que les cadres de la CFDT ne fassent eux-mêmes le rapprochement.

Ce qui est dit sur la santé, par exemple, est extrêmement puissant.

« La santé est l’un des besoins fondamentaux que la société capitaliste, de par son type de développement et ses contradictions internes, est incapable de satisfaire.

La crise, par ses effets, accentue ces contradictions.

Les travailleurs « paient» les nuisances du développement capitaliste dans leurs conditions de travail et dans leurs conditions de vie.

Malgré le chômage, la dégradation des conditions de travail se poursuit : charges de travail excessives, aggravation des agressions dues aux nuisances – bruits, produits dangereux, atmosphères empoussiérées, etc. – mise en fabrication de produits sans connaître leurs effets possibles sur la santé – extension du travail de nuit et en équipe – accélération des rythmes de la production et du travail.

Les conditions de vie, elles, sont marquées très fortement par les déficiences de l’urbanisme, de l’habitat, des transports collectifs, de l’organisation des soins, des équipements culturels, sociaux, des loisirs, toutes fonctions collectives sacrifiées à l’« impératif industriel» et aux lois du profit.

D’où, conséquences sociales bien connues de ces carences : un surcroît de fatigue physique et mentale, l’apparition et le développement de nouvelles « maladies » dont les causes sont attribuées à la « vie moderne » (maladies cardio-vasculaires, maladies nerveuses, etc.) et surtout l’inadaptation et la marginalisation d’un nombre toujours croissant d’individus et de catégories.

Pour la CFDT, la santé n’est pas l’absence de maladie ni, non plus, un état de bien-être physique, mental et social, sorte de nirvâna passif qui peut même traduire l’aliénation totale.

La santé, c’est la capacité active et autonome de chacun à se situer dans les différents rapports qu’il entretient dans toutes ses activités, individuelles et sociales : rapport à son propre corps, rapports interpersonnels, rapports sociaux.

Ces différents rapports sont en interaction : le rapport qu’un homme ou une femme entretient avec son propre corps de même que leurs relations interpersonnelles, sont influencés par la façon dont sont répartis, vécus, représentés, les rôles entre hommes et femmes dans une société donnée.

La santé est donc « un produit social » déterminé par des conditions individuelles et collectives. »

La CFDT de 1976 assume un combat qui dépasse très largement la perspective syndicale, puisque tous les aspects de vie sont touchés et doivent être révolutionnés.

« Dans la société française, l’ébranlement signifié par mai 1968 s’est amplifié. Parce que le mouvement étudiant et lycéen manque de continuité apparente, on a trop vite oublié que c’était l’ensemble de la société qui avait été remis en cause.

Les valeurs bourgeoises s’effritent. L’ordre social est ébranlé et ne peut plus être stabilisé par les solutions politiques de la bourgeoisie.

Les institutions les plus solides, comme l’armée, la médecine, la justice, sont maintenant contestées de l’intérieur. La multiplication de tous les mouvements de libération manifeste un profond désir de changement dans les rapports sociaux.

Le progrès, le travail, la hiérarchie, ne sont plus des valeurs intangibles. Le type de développement fondé sur la croissance marchande est accusé.

Il n’y a pas de domaine de la vie quotidienne et de la vie sociale qui ne soit aujourd’hui touché par cette lame de fond dont mai 68 avait manifesté l’émergence.

Ce sont tous les fondements idéologiques, culturels, industriels de la société bourgeoise qui sont en procès. C’est aussi cela la crise.

Bien sûr, tout est loin d’être clair dans cette vaste contestation multiforme dont le contenu anticapitaliste semble parfois absent, autorisant bien des formes de récupération, de manipulation.

Mais cette confusion même est le signe de l’ampleur du phénomène.

Et la crise économique, dans tout cela ? Y aurait-il deux crises ? Une crise globale de la société, d’une part, et une crise économique juxtaposée, d’autre part ?

Non, car par bien des aspects, les deux sont liées : on ne peut séparer la crise économique de la modification des rapports de forces internationaux ; on ne peut isoler, dans la crise de la croissance capitaliste, les aspects économiques et les aspects sociaux. »

La CFDT de 1976, comme celle de 1973, tient un discours appelant les masses à révolutionner leur situation. Si on retrouve un discours « autogestionnaire », les ambitions vont bien plus loin qu’une simple gestion locale et il est appelé à un changement sur tous les plans plus qu’autre chose.

« Car il ne suffit pas de remplacer les ministres et les PDG. Ce sont les structures mêmes du pouvoir qu’il faut modifier pour que les travailleurs puissent se l’approprier réellement.

Changer l’Etat, socialiser les moyens de production, briser les schémas hiérarchiques, démasquer l’autorité paternaliste, remettre en cause les structures et les manifestations d’oppression et de domination à tous les échelons, tels sont les impératifs d’une transition au socialisme.

Ces changements sont essentiels : c’est souvent d’eux que dépendront les possibilités de mettre en œuvre !es autres transformations.

Permettre une égalité devant la décision, décentraliser celle-ci et la faire prendre en charge par les intéressés eux-mêmes : c’est à la fois le but et le moyen de réaliser le socialisme autogestionnaire.

C’est pourquoi les objectifs en matière de pouvoir ne sont pas « un luxe », seulement accessibles dans une phase avancée et lointaine de construction du socialisme. Ils constituent un objectif majeur et prioritaire.

Dès aujourd’hui nous préparons la transition par la façon dont nous élaborons et posons nos revendications et associons les travailleurs à ce processus.

C’est là que réside notre responsabilité principale d’organisation syndicale. C’était la signification de notre dernier congrès : ‘‘Vivre demain dans nos luttes d’aujourd’hui’’. »

La nouveauté, en 1976, c’est la tentative de formaliser un programme. Naturellement, sans le maoïsme, les limites vont être patentes. Voici comment la CFDT de 1976 présente la situation.

« 203. La société capitaliste est un ensemble social fondé sur l’exploitation, l’aliénation et la domination des travailleurs. Elle comporte :

• une organisation économique liant indissolublement et conflictuellement la propriété privée des moyens de production et le salariat ;

• une organisation sociale perpétuant des rapports hiérarchiques et inégalitaire ;

• une idéologie, ciment du système, conditionnant les individus pour assurer le pouvoir de la classe dominante.

204. Ces trois éléments sont interdépendants et inséparables dans le fonctionnement de la société capitaliste. L’un d’entre eux peul être dominant pendant une période, aucun ne l’est de manière permanente.

205. Dans cet ensemble, l’Etat, à la fois administration, institution et appareil de répression, reflète les conflits et les luttes dans la société et s’attache à les neutraliser pour maintenir la prédominance de la classe au pouvoir, dont il est de fait l’instrument.

206. Cette société est marquée structurellement par la lutte de classe entre les tenants du système et ceux qui, exploités., domines, aliénés, le contestent et oeuvrent par leurs luttes à la construction du socialisme (…).

244. Dans ce processus, les luttes sociales sont le moteur essentiel de la transformation sociale, un facteur déterminant pour modifier les structures économiques, les rapports de production et rapports sociaux, conquérir le pouvoir politique.

La CFDT entend faire ainsi de la période actuelle de lutte anti-capitaliste une période de préparation du passage au socialisme en développant une action de masse et de classe :

245. – permettant des amélioration immédiates de la situation des travailleurs ;

– favorisant à travers la responsabilité collective, la prise de conscience par les travailleurs de la nécessité et de la possibilité du socialisme autogestionnaire ;

– préparant les travailleurs à exercer collectivement leurs responsabilités sans que leur pouvoir soit confisqué par une bureaucratie ou une technocratie qui gouvernerait en leur nom. »

Et voici ce que la CFDT de 1976 considère comme objectifs de transformation :

« • Socialisation des principaux moyens de production, d’échange et de communication (établissements de crédit, groupes industriels dominants, secteurs technologiquement stratégiques, grands moyens d’information et de culture) (…)

• Maîtrise et transformation du type de développement économique et social par la planification démocratique. (…)

• Définition de nouveaux droits et Instauration de nouveaux rapports sociaux dans l’entreprise et les institutions sociales, permettant de progresser vers l’autogestion (extension du pouvoir syndical, droit du travail facteur d’égalité et de modification des rapports sociaux, remise en cause des structures hiérarchiques, modification de l’organisation du travail remettant en cause la division sociale et technique du travail, la séparation entre conception et exécution, travail manuel et travail intellectuel, commandement et exécution, etc. ainsi que la nature de la production).

• Instauration de nouveaux droits pour l’ensemble des catégories sociales victimes de discriminations tenant à leur race, à leur sexe, à leur âge.

• Socialisation et autogestion des moyens d’information et de formation. L’information et la formation (école, éducation permanente) doivent être des facteurs d’égalité et de liberté.

• Décentralisation des pouvoirs de l’Etat et remise en cause de sa fonction répressive, création d’instances poli- tiques régionales.

• Mise en œuvre d’une politique internationale fondée sur la coopération et le développement du socialisme. »

On est ici dans une incapacité de réaliser le saut au maoïsme, de formaliser de manière syndicale un programme dont la dimension révolutionnaire est typique d’un Parti révolutionnaire.

Le congrès de 1976 exprime ainsi que la CFDT se heurte à un mur et le choc se produit en deux temps.

Il y a d’abord la base qui ne peut certainement pas assumer tout cela et qui commence à se désengager. Ainsi, la résolution générale n’obtient que par 15 833 mandats (66,04 %), faisant face à un rejet de la part de 5 127 mandats (21,38 %) et une puissante abstention avec 3 017 mandats (12,58 %).

Ensuite, le dirigeant Edmond Maire va procéder à une restauration généralisée des positions à l’avant-Mai 68.

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La CFDT en 1973 et le maoïsme

Les thèses du congrès de la CFDT de 1973 ont une grande importance dans le domaine des idées. Elles sont idéologiquement très pointues, bien trop pour que la base CFDT puisse ne serait-ce que les approcher.

Il suffit d’ailleurs de voir qu’au début des années 1970, la CFDT dispose d’autour de 700 000 membres, alors que son Magazine n’est publié qu’à 127 000 exemplaires, un chiffre très faible, et son hebdo à 30 500 exemplaires.

On a clairement affaire à des écrits réalisés par un état-major disposant d’une base de masse et profitant d’un système de pensée et d’observation de la société française. Sauf que cet état-major, porté par Mai 1968, ne dispose pas des outils intellectuels pour comprendre son propre discours.

Il est en effet absolument évident que les thèses du congrès correspondent entièrement à la démarche qu’on trouve en Chine parallèlement avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, depuis 1966.

La lutte des classes est ainsi définie non pas selon un prisme économiste, mais bien en prenant en compte le 24 heures sur 24 du capitalisme développé.

« La lutte de classe est une réalité centrale de la société capitaliste.

Elle se manifeste dans trois dimensions à la fois :

dimension économique (salaires, emploi, conditions de travail) ;

dimension sociale (remise en cause de l’autorité patronale et de la hiérarchie, suppression de la condition salariale) ;

dimension idéologique (contestation du caractère soi-disant neutre et scientifique du développement capitaliste, remise en cause de l’idéologie dominante).

Ces trois dimensions de la lutte de classe sont liées dans la mesure où, la société capitaliste est à la fois un système économique, un mode d’organisation des rapports sociaux et une idéologie.

Ce qui se manifeste actuellement de plus en plus nettement, c’est que la lutte de classe ne se limite plus à l’entreprise, elle s’étend aussi hors de l’entreprise.

Ceci s’explique par le fait que le capitalisme en se développant est conduit à intervenir dans tous les aspects de la vie sociale (loisirs, urbanisme, transports, culture, etc …) dans le but :

– de les modeler pour reproduire hors de l’entreprise le type de rapports sociaux hiérarchiques et inégalitaires nécessaires au maintien de l’exploitation.

– d’étendre les relations marchandes en suscitant de nouveaux besoins pour constituer de nouveaux marchés.

Cette extension du champ de l’exploitation et de la domination des êtres humains ne réduit pas l’importance de la lutte sur les lieux de travail.

Mais elle ouvre de nouveaux terrains à la lutte de classe et oblige à une réflexion sur des concepts jusqu’alors tenus pour acquis. »

Ce qui est donc frappant, c’est le rejet de la position révisionniste du PCF qui entend simplement prendre les commandes de l’État. Les thèses de la CFDT soulignent que l’État est en relation avec les rapports sociaux, qu’il ne flotte pas au-dessus de la réalité.

Cette juste critique est impressionnante, car elle ne profite pas du maoïsme comme idéologie, tout en y parvenant par la dignité du réel ; malheureusement et évidemment, la CFDT envisage comme solution la décentralisation de l’État, une sorte de dissolution de type anarchiste.

« La C.F.D.T. entend modifier la nature de l’Etat, notamment en décentralisant les centres de pouvoir.

Comme l’Etat n’est pas un appareil neutre manipulé par des gens qui, eux, évidemment, ne sont pas neutres, il ne suffit pas d’un changement de direction politique (le gouvernement et le Président) pour changer l’Etat.

Il ne s’agit pas seulement de « nationaliser » un Etat qui aurait été confisqué par un petit groupe, ou d’utiliser autrement un appareil d’Etat qui resterait inchangé : il faut modifier sa nature.

C’est pour cela, notamment, que la C.F.D.T. s’oppose aux thèses du P.C. sur le capitalisme monopoliste d’Etat. Cette thèse avance que l’Etat a été confisqué au seul profit des grands monopoles, et que leur nationalisation suffira à en changer la nature dans le sens souhaité.

Elle oublie que la forme de l’Etat est liée aux rapports sociaux dans leur ensemble, qui incluent les conflits à. l’intérieur de la classe dominante et le jeu d’ensemble du rapport des forces dans la société.

Elle tend à faire croire faussement qu’il est un appareil neutre, qu’un groupe au pouvoir pourrait faire fonctionner différemment sans le modifier.

Si la thèse du capitalisme monopoliste d’Etat est erronée, c’est qu’elle se fonde sur une analyse trop partielle des rapports sociaux dans leur ensemble, mettant d’un côté les grands monopoles et de l’autre la classe ouvrière entourée d’une cohorte hétéroclite « d’alliés ».

La réalité sociale est plus complexe, la réalité de l’Etat est donc plus complexe aussi. »

Si on veut comprendre le sens de ce paradoxe d’une CFDT de 1974 exprimant les thèses du maoïsme, il faut se tourner vers la critique romantique du capitalisme porté par le catholicisme, qui portait une grande attention aux mentalités, à la technique, à l’esprit du travail, à la division du travail.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne a porté une grande attention à ces thèmes, dans le cadre de la remise en cause de la division entre travail manuel et travail intellectuel. Voici ce que dit la CFDT en 1973 :

« Décentralisation et démocratisation des pouvoirs

a) Le développement technique n’est pas neutre, Il est lié aux rapports sociaux existants.

La technique a aujourd’hui pour but premier de permettre la valorisation du capital, de développer sa rentabilité. Les machines sont d’abord conçues en fonction du profit et non pas des travailleurs qui les utilisent.

L’exemple des chaînes dans l’automobile ou l’électronique montre clairement que le choix des techniques de production est profondément lié à une certaine division sociale du travail.

La révolte des O.S. [ouvriers spécialisés, sans qualification professionnelle et exécutant des tâches répétitives] remet à la fois en cause la division technique et la division sociale du travail.

Si la science peut être considérée comme neutre, ce n’est souvent qu’au niveau abstrait et très global de la recherche fondamentale. Le plus souvent la recherche s’effectue en fonction de problèmes posés à résoudre.

Mais quelles sont les questions prioritaires que la science s’attache aujourd’hui à travailler ?

Ce qui est alors en cause, ce sont les orientations et les modalités de la recherche. On peut se demander par exemple, si l’ergonomie et la médecine du travail ont aujourd’hui une place suffisante.

Il est de plus certain, pour reprendre cet exemple de la médecine du travail, que la recherche prend un sens différent selon que les médecins connaissent ou non les conditions très concrètes de travail.

Ainsi, si la science est neutre, l’orientation de la recherche scientifique, qui est dépendante de choix globaux et des questions concrètes qui sont posées aux chercheurs, ne l’est pas.

Il s’agira donc pour nous non pas de nier le rôle de la science et de la technique, mais de remettre en cause le choix de certaines techniques de production, de contester certaines orientations globales de l’effort de recherche, d’insister sur les préoccupations avec lesquelles doivent travailler les chercheurs. »

Partant de là, la CFDT de 1973 remet en cause la fascination passive pour les forces productives, comprenant que des choix idéologiques sont à faire lorsqu’on décide de la production.

Voici ce que dit la CFDT de 1973 :

« Par bien des aspects, la préparation du VIe Plan a constitué en France un moment de clarification.

Le Plan est nettement apparu comme un simple encadrement du développement capitaliste : les espoirs ou les velléités manifestés lors des précédents Plans pour infléchir le développement capitaliste spontané se sont définitivement effondrés.

La C.F.D.T. a alors été la seule organisation syndicale à contester le type de croissance capitaliste proprement dit et pas seulement la répartition des fruits de cette croissance. Par delà les problèmes de partage ou de distribution du « gâteau », c’était en effet, radicalement, le type de société qui était en cause.

Cette contestation « explosive » de la société capitaliste avait alors été accueillie, de divers côtés, par un scepticisme affiché quand il ne s’agissait pas de ricanements impuissants.

Deux années plus tard, la croissance se trouve mise en accusation de diverses manières : travaux du Club de Rome (à partir du rapport de l’Institut de technologie du Massachusetts,) lettre de [Sicco] Mansholt [travailliste néerlandais proposant la décroissance], colloques divers, actions militantes qui se développent sur le cadre de vie (urbanisme, transports).

La croissance et l’environnement sont en passe de devenir des thèmes « tarte à la crème » que tout le monde agite, mais qui sont rarement analysés vraiment sur le fond.

La position de la C.F.D.T., face à ce déferlement de discussions, reste claire : il faut mettre en cause la croissance capitaliste.

Contester le capitalisme, ce n’est pas simplement critiquer la répartition qu’il de la croissance, c’est aussi mettre en lumière les incohérences d’un développement qui privilégie toujours le produit individuel de consommation par rapport aux équipements et services collectifs. »

L’insistance sur la modification des mentalités, alors que la société de consommation envahit les démarches de manière systématique, est particulièrement forte.

« La croissance comme but de l’économie marchande, l’idéologie de la consommation – obsession, la consommation des seuls objets rentables comme finalité, non seulement ne répondent pas à l’aspiration des êtres humains mais ne peuvent même plus être poursuivis sans conduire le monde à la catastrophe.

Dans le capitalisme, c’est donc une conception totalement fausse et abstraite de l’efficacité qui domine. Il peut être rentable de détruire l’équilibre naturel d’une région si l’entreprise ne paie pas le coût des nuisances; une nouvelle machine peut être rentable même si elle aggrave la tension nerveuse des travailleurs, dans la mesure où la santé n’est pas un but de l’entreprise, etc.

Pour la C.F.D.T. il est donc clair que c’est la logique du capital, la mesure « très spéciale » que le capitalisme fait de l’efficacité, qui doit être contestée d’abord.

C’est pourquoi il faut remettre en cause le profit en tant que critère principal des choix économiques et non seulement dans son utilisation.

Ce n’est pas avec les outils faussés de la société capitaliste que l’on peut construire le socialisme.

Si le capitalisme s’appuie d’abord sur les groupes sociaux qui profitent de ce fonctionnement de la société, il doit aussi de plus en plus compter sur un appui idéologique.

Il s’agit de faire reconnaître comme universellement valable ce qui n’est qu’une caractéristique de la société capitaliste.

Ainsi, dans le langage courant, il est clair pour tout le monde qu’une affaire rentable est celle qui rapporte de l’argent et non pas celle qui rend un service maximum pour un coût :social minimum.

Tout changement de la société qui n’opère pas à ce niveau un bouleversement culturel et idéologique risque donc de reproduire une société du même type, même si la répartition des revenus se modifie.

C’est pourquoi la C.F.D.T. refuse par delà le capitalisme toute société de type productiviste.

L’expérience de nombreux pays étrangers montre que cette précision dans l’analyse n’est pas inutile : la glorification de la production pour la production dans les pays de l’Est conduit souvent à restaurer, même si les modalités changent, une dictature d’objectifs faisant abstraction d’un certain nombre de besoins déterminants pour l’épanouissement des travailleurs. »

On a ainsi une résolution sur la lutte de classe où la CFDT de 1973 explique que la lutte de classe ne se résume pas du tout à l’entreprise, qu’il faut envisager les rapports de production, et même les rapports sociaux !

« 30) La société capitaliste est marquée par la lutte de classe entre les tenants de ce système et ceux qui, exploités, dominés, aliénés, le contestent et ont intérêt à la construction du socialisme. Sur les intérêts et les objectifs que s’est fixés la classe ouvrière, d’autres couches sociales peuvent s’engager dans un processus de renversement du capitalisme.

31) Si la réalité de la lutte de classe est le plus vivement vécue sur les lieur. de travail, elle s’exprime largement en dehors de l’entreprise dans la mesure où la logique du développement du capitalisme le conduit à intervenir dans tous les aspects de la vie sociale (loisirs. urbanisme, culture, transports, etc.). La lutte de classe manifeste des intérêts et des projets antagonistes, c’est-à-dire inconciliables.

32) Pour la C.F.D.T., engagée dans cette lutte, les clivages s’opèrent non seulement à partir des rapports de production, mais aussi des rapports sociaux et de l’ensemble des luttes contre le capitalisme.

33) La conscience de classe est indispensable à la destruction du capitalisme. Elle se forge à partir d’une réalité vécue. d’une situation concrète et de luttes communes pour la réalisation d’un projet socialiste. C’est donc la capacité de se mobiliser durablement et solidairement pour des changements fondamentaux qui définit la nature et les contours du rassemblement des forces anticapitalistes.

34) La C.F.D.T. contribue dans l’action à dégager les conditions d’un rassemblement de classe, autour d’un projet socialiste, de tous ceux qui, exploités, dominés, aliénés, peuvent et doivent se rassembler pou, le socialisme démocratique. »

On a ici une réflexion sur le capitalisme développé qu’on ne retrouve que chez le Collectif Prolétaire Métropolitain italien, qui donnera les Brigades Rouges.

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Le style CFDT « alternatif » : l’autogestion

Les événements de Mai 1968 vont pousser la CFDT à adopter un discours plus « radical », dont l’arrière-plan n’est pas tant l’acquisition de principes « révolutionnaires » que la nécessité d’avoir une contre-proposition au gaullisme.

Ainsi, le 16 mai 1968, le Bureau Confédéral de la CFDT avait-il lancé le mot d’ordre :

« A la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures démocratiques à base d’autogestion. »

L’humanisme-existentialisme de la CFDT va alors se transformer, en apparence, en revendications socialistes, sous l’impulsion d’un « groupe de synthèse » mis en place par la direction.

On a ainsi en 1969 les exigences suivantes :

– la démocratisation des moyens d’information (à une époque où l’ORTF étatique prédomine ;

– une planification démocratique (en écho au « plan » gaulliste) ;

– un véritable pouvoir syndical dans les entreprises (par opposition à la prime d’intéressement promue par le gaullisme) ;

– une démocratisation de la gestion des entreprises appartenant à l’État (à l’opposé du régime gaulliste à ce niveau) ;

– une nationalisation des entreprises dominantes et des secteurs-clefs de l’économie.

Ce dernier point est naturellement le plus « radical ». Il tranche avec ce qui était demandé auparavant, où les nationalisations n’étaient que conçues que comme éventuelles et comme support à une orientation « meilleure » de l’investissement.

Le manifeste aux travailleurs adoptés par le Congrès de 1963 disait ainsi que :

« La C.F.T.C. rappelle solennellement que lorsqu’elle a proposé une « planification démocratique» elle affirmait que cette organisation de l’économie au service des besoins du peuple supposait une nationalisation totale du système bancaire et de crédit.

Elle opposait au capitalisme moderne — sous quelque forme de planification qu’il se dissimule — une économie socialisée où la fonction d’investissement deviendrait une responsabilité publique, y compris par d’éventuelles nationalisations des secteurs-clés de l’économie. »

Désormais, on passe à autre chose : à la suite de Mai 1968, la CFDT assume de remettre en cause la propriété privée des moyens de production.

Cependant, ce n’est pas au nom des classes, mais toujours de l’Homme : on ne sort pas du fond humaniste-existentialiste. L’objectif, c’est la « propriété sociale des moyens de production » et la CFDT insiste sur le mot « social », soulignant qu’il peut y avoir énormément des formes possibles.

Il y a en fait une sorte d’assimilation-élargissement l’un à l’autre des concepts de démocratie et d’autogestion.

Inévitablement, une précision fut nécessaire et l’autogestion fut le thème d’une conférence dans la petite ville normande de Bierville, où est basé un centre de formation de la CFDT, les 7 et 8 décembre 1968.

Elle rassembla, sous le titre « Pour des structures démocratiques à base d’autogestion dans l’entreprise », les cadres présents dans les entreprises les plus marquées par les événements de Mai 1968.

L’autogestion est alors présentée par la CFDT comme une alternative tant au néocapitalisme qu’à la technocratie. Par « néocapitalisme », la CFDT reprend un concept développé par certains économistes, trotskistes, notamment ; le capitalisme serait devenu subordonné aux « décideurs » des entreprises et non plus à la bourgeoisie.

Par technocratie, la CFDT désigne le socialisme étatique, considéré comme bureaucratique. L’autogestion est vue comme une troisième voie, la seule démocratique.

La CFDT met par conséquent en avant la mobilisation des travailleurs pour en quelque sorte prendre les choses en main, pour assumer les choix dans la société.

On comprend ici que la CFDT puisse, au moment de son congrès fondateur, dénoncer le Parti communiste français comme « peu dynamique et peu imaginatif », et que c’est encore plus vrai après Mai 1968.

La CFDT a pris en compte les profondes modifications de la société française, ayant compris que le modèle américain l’emportait – à ceci près que la CFDT accepte ces modifications, en voulant composer avec elles.

Elle ne veut d’ailleurs pas d’autogestion généralisée car cela présupposerait une révolution et donc une dictature ; elle dit bien en 1970, année du 35e congrès qui officialise les thèses de l’autogestion, qu’il s’agit d’abord de commencer l’autogestion dans les entreprises clefs du secteur nationalisé, et de convaincre ensuite la majorité de la population.

La CFDT est certaine de gagner, en raison de la modernité triomphante, une modernité que le PCF ne constate pas du tout, maintenant son discours misérabiliste sur le paupérisme absolu.

On parle pourtant de gens de la même génération : à son 33e congrès en 1965, la moyenne d’âge des délégués de la CFDT est de 38 ans, soit pareil qu’à la CGT.

Mais là où la CGT a une hégémonie ouvrière, avec des ouvriers s’alignant sur un Parti communiste français devenu révisionniste, rabougri intellectuellement, avec des ouvriers accédant à la propriété et se repliant sur eux-mêmes dans leurs municipalités, la CFDT a une hégémonie de cadres, techniciens et employés, tournés vers le changement et la modernité.

D’où la célébration du « pluralisme des modes de vie », suivant le modèle américain.

Et si l’on regarde bien, l’autogestion est avant tout un masque. Chez le PCF, qui met également au même moment en avant l’autogestion contre le « capitalisme monopoliste d’État, c’est le masque d’un changement de pouvoir dans un sens favorable au social-impérialisme soviétique.

Chez la CFDT, l’autogestion est le masque de la négociation systématisée et à tous les niveaux. Ce que veut la CFDT, c’est que le syndicat joue un rôle sur tous les tableaux, qu’il soit incontournable.

Elle mobilise sur le mythe d’un socialisme démocratique, afin de mieux s’implanter. Ce qu’elle dit en 1970 le montre très bien :

« La négociation est un aspect essentiel de la lutte pour la démocratisation.

Lorsque la négociation est l’aboutissement d’une action menée par les travailleurs sur des objectifs auxquels ils adhèrent pleinement, elle est manifestation d’un rapport de forces et traduction de ce rapport de forces dans les relations entre les travailleurs et l’entreprise.

C’est un moment privilégié pendant lequel sont conquises de nouvelles libertés et s’affirme le pouvoir syndical face à celui de l’entreprise capitaliste. C’est aussi un moment important pour la syndicalisation des travailleurs.

Une articulation doit être recherchée entre les différents niveaux de négociation à deux points de vue différents : la négociation de caractère national, régional ou local doit se prolonger par une négociation au plan de l’entreprise, aider la négociation dans l’entre-prise et non pas la supprimer.

De même la négociation au plan national ou régional ou local ne doit pas déporter la négociation des problèmes au plan de l’entreprise sur d’autres institutions que le syndicat et, par exemple, sur le comité d’entreprise.

L’articulation des négociations doit donc valoriser la négociation au plan de l’entreprise et non pas en faire disparaître les raisons d’être.

L’accord d’entreprise, complément de la Convention Collective, doit se généraliser et garantir bien des aspects du contrat de travail qui ne peuvent être valablement régis à l’extérieur de l’entreprise.

Pour cela, le contenu de ces accords doit porter non seulement sur la structure et le taux des salaires réels, sur la durée du travail, sur les garanties collectives, mais aussi sur les règles générales du contrat de travail : critères d’embauche, de licenciement, principes en matières de formation professionnelle…

Le rôle du syndicat trop limité actuellement à quelques aspects – collectifs – du contrat de travail, doit s’étendre à l’ensemble du contenu de celui-ci, à tous les aspects de la condition salariale.

Il s’agit là en fait de revaloriser l’action syndicale en faisant des problèmes les plus immédiatement ressentis par les salariés, les objectifs de notre action revendicative quotidienne (…).

Le système économique capitaliste, obstacle essentiel par ses fondements juridiques et de classe à une démocratisation des décisions majeures, doit être enserré, peu à peu, dans la contrainte de la force collective des travailleurs.

Si l’autogestion et la planification démocratique dépendent de conditions politiques, elles dépendent aussi et d’abord de cette volonté révolutionnaire de démocratie dans l’entreprise, base première de l’action syndicale. »

C’est là une sorte de conquête du capitalisme par la démocratisation. Le grand symbole, c’est Lip. L’usine de montres Lip devant être liquidée, les travailleurs décident d’en prendre le contrôle, avec comme base syndicale une majorité CFDT. Ils organisent la production et mettent en place un système de vente, qui périclitera rapidement, jusqu’à la faillite en 1977.

Les limites de cette démocratisation sont évidentes ; dans le contexte capitaliste, il n’y a pas d’espace. Se produit alors un grand paradoxe : dans les années 1970, la CFDT va associer à cette démarche réformiste-moderniste une dénonciation virulente du capitalisme développé et son élargissement à la vie quotidienne, dont les fondements sont extrêmement proches du maoïsme.

Pour compenser les blocages particuliers, la CFDT va généraliser sa critique générale, faisant de la CFDT le cœur d’un projet à portée révolutionnaire.

Il y a ici un rendez-vous historique raté, qui surprend immanquablement tous les historiens bourgeois qui, bien entendu, ne voient pas cette dimension. Ils constatent avec étonnement que la CFDT est passé du catholicisme à un discours radical, pour ensuite devenir entièrement conformiste, sans saisir la nature du processus.

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La CFDT en tandem avec la CGT et Mai 1968

Dès sa fondation, la CFDT maintient évidemment la ligne de l’unité d’action avec la CGT.

Le 10 janvier 1966 est signé un accord CGT-CFDT ; en pratique, le contenu de l’accord tient surtout du programme revendicatif de la CFDT élaboré en avril 1965. Les deux pensent être gagnants, pour les raisons suivantes.

Pour la CGT, il s’agit de renforcer l’agitation sociale ; à l’arrière-plan, il y a son parti politique, le Parti communiste français, même si officiellement c’est la CGT qui est la courroie de transmission du Parti communiste français.

Pour la CFDT, il y a les moyens de davantage se faire connaître, surtout depuis la transformation de la CFTC en CFDT, et de davantage s’ancrer dans les « réformes de structure ». La CFDT observe avec attention les modifications sociales et économiques faites par le gaullisme, elles les considèrent comme erronées et en proposent d’autres.

C’est qu’elle propose surtout, c’est une planification démocratique, dont les principaux ressorts sont :

– une politique fiscale différente ;

– la nationalisation de la banque, du crédit, de l’industrie pharmaceutique, du pétrole, des télécommunications ;

– la mise en place d’organismes politiques régionales aux pouvoirs étendus pour jouer sur l’économie.

Tout cela relève de la « planification démocratique », et on voit aux exigences qu’il faut comprendre comme une sorte de « démocratie planificatrice ». C’est pourquoi la CFDT ne cesse d’appuyer la construction européenne, qu’elle voit comme un vecteur de démocratisation, la démocratisation permettant des orientations nouvelles.

La ligne est totalement distincte de celle de la CGT qui veut renverser le gaullisme, gaullisme que la CFDT veut contourner avec la construction européenne.

En pratique, si on regarde les implications, on peut dire que la CGT est alignée sur la superpuissance sociale-impérialiste soviétique et la CFDT sur la superpuissance impérialiste américaine.

L’opposition commune au gaullisme les amène pourtant à agir ensemble et l’année 1966 prolonge de manière approfondie la liaison CGT-CFDT.

Le travail en commun se généralise à la base avec de multiples grèves, alors qu’une manifestation commune a lieu le 15 mars devant le siège à Paris du syndicat patronal, le CNPF, puis un meeting commun au mois de mai.

Une déclaration commune CGT-CFDT est réalisée en août 1967 ; lorsque la CFDT tient son 34e congrès en novembre 1967, le bilan est considéré comme positif : « l’unité d’action » fonctionne, l’unité n’est que tactique et la CFDT continue de progresser.

Mais, en même temps, la CFDT refuse de s’aligner sur la CGT qui soutient le rapprochement entre les socialistes et le PCF, au nom du refus de la politique. Elle joue ainsi un rôle majeur dans l’apolitisme du côté des travailleurs.

Le schéma se répète à l’occasion de Mai 1968. Le mouvement étudiant possédait une véritable charge révolutionnaire, ce que la CFDT refuse. Aussi s’aligne-t-elle sur la CGT, farouchement opposé au mouvement, pour la grève et la manifestation du 13 mai 1968, réalisée avec l’UNEF, et où se rassemblent un million de personnes.

La CFDT se contente de parler de « revendications » et de « démocratie sociale, économique et politique » ; son discours est celui d’un existentialisme chrétien. On lit ainsi dans la revue Syndicalisme CFDT :

« Quand les jeunes réclament – avec des méthodes qui peuvent être maladroites, anarchiques, choquantes quelques fois pour des « adultes », mais cela ne change rien au problème de fond – un nouveau style de relations entre maîtres et élèves, la participation des étudiants à l’organisation et à la vie des facultés, à l’élaboration des programmes, ils s’inscrivent très exactement dans le combat fondamental que les travailleurs mènent de leur côté pour mettre en cause le pouvoir capitaliste dans l’entreprise, dans l’économie, dans la nation, le combat pour une démocratie réelle, qui assure à tous les niveaux de la société la participation des hommes. »

Cette conception de la « participation » des hommes aux différents aspects de la société est exemplaire de l’existentialisme chrétien et de la notion d’autogestion, qui s’associe à une lecture petite-bourgeoise anarchisante de ce qu’est l’État et de ce que sont les structures sociales.

De ce fait, la CFDT n’appellera pas, pas plus que la CGT, à la grève générale durant les événements de mai et juin 1968. Sa ligne se résume parfaitement avec ce qu’on lit dans son communiqué du 16 mai 1968 :

« La CFDT dont l’action est déterminée par la volonté d’associer le plus largement possible les travailleurs aux décisions qui les concernent, les appelle aujourd’hui à discuter, à s’organiser et à agir sur tous les lieux de travail (…).

La lutte des étudiants pour la démocratisation des universités est de même nature que celle des travailleurs pour la démocratisation des entreprises.

A la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures administratives à base d’autogestion… L’extension des libertés syndicales, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, la garantie de l’emploi, le droit des travailleurs à la gestion de l’économie et de leur entreprise doivent être affirmés avec plus de force. »

La perspective de la CFDT, c’est l’établissement de commissions de travail qui analysent les différents aspects des entreprises et œuvrent à sa « démocratisation ».

En l’absence de tout contenu, de toute ligne idéologique, cela ne fait que contribuer à la cogestion, mais cela apparaît comme ultra-démocratique de par la ligne de la CGT qui n’aborde aucun aspect de la vie quotidienne et se contente de revendications sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail.

C’est en ce sens que le fait de coller à la CGT permet à la CFDT d’acquérir à la fois une légitimité et une dimension « moderne ».

Le processus continue bien évidemment pour cette raison lorsque, fin mai 1968, la France est paralysée par la grève. La CGT et la CFDT font un communiqué commun pour demander des négociations, ce que le gouvernement lance dans la foulée.

Ces négociations, qui commencèrent le 25 mai avec la CFDT, la CGT, la CGT-FO, la CGC, la CFTC (maintenue), la FEN, le syndicat patronal CNPF et les représentants des PME est un triomphe pour la CFDT. De syndicat chrétien à la marge du mouvement ouvrier, elle se voit obtenir une légitimité complète.

Vu de 2023 où la CFDT a dépassé la CGT en termes du nombre d’adhérents, on semble assister à un processus inéluctable où un syndicat existentialiste-moderniste « mange » littéralement un syndicat revendicatif.

D’ailleurs, lorsque l’UNEF organise un meeting au stade de Charléty à Paris le 27 mai 1968, la CFDT est de la partie et elle apparaît comme le lieu où doivent s’investir les « contestataires » liés à Mai 1968. La CFDT, avec son discours ultra-démocratique, capte toute la petite-bourgeoisie s’imaginant une force « révolutionnaire ».

Dans la foulée, la CFDT appuie alors Mendès-France, chef de file des socialistes qui se réorganisent, et demande aux travailleurs de cesser leur action en général pour se tourner vers les élections de juin 1968 (où les forces conservatrices obtiennent un succès général).

Et elle développe une nouvelle thématique, accolée à la planification démocratique : l’autogestion.

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La CFDT et la société de consommation

La planification démocratique de la jeune CFDT vise à empêcher que ne triomphe une « société de consommation » aliénée, une société de consommateurs individuels.

Pourquoi ? Parce qu’elle permettrait de maintenir la « consommation collective (éducation, santé, logement, culture, etc. ».

Cette thèse part du principe d’anticiper ce qui va arriver. Le groupe Reconstruction se focalise depuis le départ sur les États-Unis et à sa suite, la CFDT considère que les États-Unis forment le modèle, avec un regard toujours plus critique toutefois.

Elle affirme donc que la France va connaître une urbanisation croissante, que l’on va vivre plus longtemps, que le progrès technique va connaître une dimension inconnue jusqu’à présent (par l’énergie atomique, l’automation, l’énergie sans fil…). Il y a un grand suivi des bouleversements techniques.

En même temps, la CFDT comprend que cela implique une déqualification des travailleurs en raison de l’évolution si rapide, et des conditions de travail marqué par l’ennui, la perte du sens de travailler, même si la situation permet un confort matériel plus marqué.

Il y a à la fois un regard réaliste, matérialiste, permis paradoxalement par une ancienne base catholique romantique critique du capitalisme… et un idéalisme humaniste-existentialiste.

Ici, la CFDT s’appuie notamment de la figure de Jacques Ellul, un philosophe dénonçant le monde moderne et technique sur une base à la fois anarchiste et chrétienne. Les êtres humains seraient totalement conditionnés par les médias, la télévision, le cinéma, les structures du travail, la technique moderne, etc.

Jacques Ellul (wikipédia)

André Jeanson, qui sera le dirigeant de la CFDT de 1967 à 1970 (et qui dira ensuite que « la CFDT a été Mai 68 »), résume cette approche de la CFDT en expliquant en 1963 que :

« Malgré les forces contraires, la société industrielle moderne est encore assez fluide pour se laisser arracher aux perspectives d’une civilisation du « gadget » et d’un conformisme déshumanisant ; pour se laisser pousser dans la voie de la démocratie et de l’épanouissement des hommes. »

Autrement dit, comme la CFDT l’expose à sa fondation, il faut critiquer le capitalisme, mais ce qui est appelé « capitalisme » c’est en réalité un non-partage des fruits de la civilisation :

« La société de consommation avec ses normes ambiantes, ses signes de « bonheur moyen », marque la réalité de la vraie pauvreté : un enseignement de classe, l’absence de culture, la pénurie de logements, l’accélération des cadences de travail, la longueur des horaires aggravée par la durée des trajets, l’angoisse en face d’un avenir professionnel incertain devant l’accélération du développement des techniques, l’oppression dans la vie du travail, l’exploitation quotidienne, autant de réalités qui constituent une forme moderne d’exploitation, c’est-à-dire subir sans jamais décider.

Une société restera foncièrement injuste tant que la valeur d’un homme sera considérée en fonction d’un modèle social de consommation et non en fonction de sa seule qualité d’homme. »

Cette critique de la société de consommation va prendre un tournant radical à la suite de Mai 1968.

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La CFDT, le modèle américain et la planification démocratique

La CFTC a été travaillée au corps par Reconstruction, pour aboutir à la CFDT. Et il est un aspect essentiel à saisir, sans quoi on ne peut pas comprendre pourquoi la CFDT a dénoncé la société de consommation dans les années 1970 : l’arrière-plan américain.

La référence de Reconstruction, ce sont les États-Unis. Reconstruction a soutenu tant l’OTAN que le plan Marshall ; il voit en les États-Unis et le Royaume-Uni des pays avec une continuité constitutionnelle permettant la « modernisation » par le syndicalisme.

Le 1er mai 1966, à l’occasion de ses vingt ans, Reconstruction rappelle de la manière suivante l’importance de sa référence au modèle américain.

« A l’époque où « le modèle américain » ne s’imposait pas comme aujourd’hui à l’imitation et à la critique européennes, c’était une originalité de présenter des organisations syndicales des Etats-Unis, celles notamment appartenant au C.I.O. (Congrès des Organisations d’Industrie), leurs modes d’action, la société où elles s’inséraient pour la réformer en coopération avec les intellectuels « libéraux » et les politiques qui, à la suite de F.D. Roosevelt, se situent, comme plus tard le président Kennedy, « à la gauche du centre ».

La reconnaissance du rôle majeur des États-Unis dans le monde d’après-guerre est un des traits de l’attitude initiale de Reconstruction.

Et il ne s’agissait pas de reconnaître simplement un fait de puissance : une étude de la société économique américaine modifiée par le New Deal en avait révélé la complexité, empêchant de n’y voir que capitalisme, et capitalisme schématiquement conçu selon un marxisme vulgaire, facile lieu trop commun dans l’intelligentsia française.

A cela s’ajoutaient le sentiment de la vitalité de la démocratie en Amérique, du civisme et de la liberté d’expression malgré les puissances de conformisme et de corruption, et aussi la connaissance des meilleurs aspects du Labor américain, au C.I.O. notamment : — l’action d’hommes tels que Sidney Hillman et Walter Reuther, — un internationalisme aussi sincère que moderne manifeste dans la fondation de la Fédération Syndicale Mondiale et l’effort ultérieur pour en sauver l’unité, — le maintien d’exigences idéales, d’une grande ouverture d’esprit, d’un constant travail éducatif dans de riches organisations de masse, — la conception et la mise en œuvre de programmes tant d’éducation que d’action politiques.

Ce degré d’information explique l’attitude positive du milieu « Reconstruction » à l’égard du Plan Marshall : attitude raisonnée, comportant une action de défense des intérêts ouvriers.

L’unité d’action avec des fédérations C.G.T. dans cette défense s’acompagnait chez des animateurs de Reconstruction comme les secrétaires fédéraux C.F.T.C. Fernand Hennebicq, Charles Savouillan, Raymond Marion d’un refus brutal de seconder la propagande antiaméricaine du P.C. et des « partisans de la paix », élément de la politique extérieure de Staline. Face au dictateur soviétique (dont le Rapport
Khrouchtchev devait plus tard révéler en U.R.S.S. même l’esprit humanitaire), le Pacte Atlantique avec les Etats-Unis apparaissait comme un moyen d’équilibre indispensable. »

Reconstruction soutient donc tout le milieu socialiste anti-communiste. Dans les pays occidentaux, l’aile droite des socialistes avait systématiquement liquidé l’aile gauche ; en France, néanmoins, les socialistes ne parvenaient pas à se maintenir après cette liquidation. C’est ce qui explique une relance à l’apparence plus « dure », tout en restant sur le plan des valeurs de l’aile droite des socialistes d’après-guerre.

Le projet de Reconstruction fait donc écho au New Deal américain et au syndicat américain AFL-CIO, au Labour anglais ; il y a l’idée d’œuvrer à une modification des orientations de l’économie capitaliste. D’où la thématique de la « planification démocratique ».

Cette planification s’oppose à la planification de type communiste ; elle reste indéfinie dans une large mesure, tout en exprimant l’idée d’une orientation imposée au capitalisme.

C’est à partir de son congrès de 1959 que la CFTC assuma ce principe d’une « planification démocratique », fruit d’une réflexion commencée en son sein en 1953 sous l’impulsion de Reconstruction.

La possibilité d’un tel choix remonte à loin. Dans les années 1930, la CFTC s’était mise de côté par rapport au corporatisme catholique, ce qui avait amené la signature des dirigeants de la CFTC avec ceux de la CGT (ayant éjecté les communistes) pour le « manifeste des douze » en 1940.

Le mot d’ordre ici, c’est le « syndicalisme libre ». Par conséquent, c’est à ce « syndicalisme libre » de jouer un rôle toujours plus grand dans la société et l’économie.

En ce qui concerne la dimension économique, cette position est celle du syndicalisme français en général. Le syndicalisme français, né dans l’anarcho-syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire, reste marqué par la tendance à ce que les syndicats jouent un rôle toujours essentiel dans l’économie. Même la CGT-Force ouvrière, qui quitte la CGT liée aux communistes, reste sur cette ligne.

La particularité de la CFTC-CFDT, par contre, c’est qu’en raison de l’humanisme-existentialisme, ce rôle syndical est élargi à la société. La grande particularité de la jeune CFDT, c’est d’avoir un discours systématisé appelant à changer la vie quotidienne.

Il faut bien voir ici le double aspect, sans quoi on rate toute la substance de la CFDT. D’un côté, c’est un syndicat « libre » prônant un humanisme n’allant pas bien loin et se contentant d’accompagner le capitalisme sur le plan social.

De l’autre, c’est un syndicat qui, en raison de la dimension « existentialiste » et de son acceptation de la modernité, va assumer une critique en règle de la « société de consommation ».

En fait, la CFDT est la seule organisation qui, en France, dans les années 1960-1970, constate l’expansion du capitalisme et la modification des mentalités, des habitudes, du travail, de la culture, bref que tout cela a une portée de civilisation.

Et avant d’arriver à cette critique de la société de consommation, qui commence réellement en 1968, il y a une phase intermédiaire, celle de la « planification démocratique », dont l’optique est critique du capitalisme, sans pour autant appeler à un bouleversement en tant que tel.

La planification démocratique de Reconstruction s’inscrit simplement dans le cadre du « socialisme démocratique », c’est-à-dire de l’aile droite des socialistes de l’après-guerre. C’est en raison de Mai 1968 qu’elle va acquérir, un temps limité, une portée « révolutionnaire ».

Initialement, une première tentative approfondie de donner un contenu à ce concept de planification démocratique au sein de la CFDT se déroula lors du congrès des 11-12 mars 1962, avec 400 participants d’horizons divers (CFDT, journalistes, universitaires, figures politiques, etc.).

Et au moment de sa fondation en 1964, en remplacement de la CFTC, la CFDT propose la « planification démocratique » comme moyen de transformer la société.

La définition fournie est alors la suivante :

« Une économie au service des besoins du peuple suppose une nationalisation du système bancaire et de secteurs-clés de l’économie.

Aux formes anciennes et nouvelles du capitalisme, nous opposons une économie où la fonction d’investissement deviendra une responsabilité publique.

La planification démocratique de l’économie – où l’ensemble des citoyens participera aux décisions importantes concernant leurs conditions de vie – est capable d’assurer à la fois la culture des masses populaires, le plein emploi et l’élévation constante du niveau de vie. »

Autrement dit, la planification démocratique se veut une sorte de combinaison d’orientations sociales et économiques choisies par en bas, modifiant les « priorités » économiques.

Et cette planification démocratique va être opposée à la « société de consommation ».

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La CFTC et le rôle du SGEN

Il faut souligner la particularité du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN), mis en place en novembre 1937 avec une dizaine de personnes, et son rôle historique comme vecteur de Reconstruction dans la CFTC et comme force menant à la CFDT.

C’est en effet le SGEN qui pousse à ce que le Congrès de 1946 de la CFTC aille dans le sens d’une interdiction pour des mandatés syndicaux de disposer de mandats politiques.

Mais, surtout, le SGEN est né comme structure refusant un alignement religieux. Les membres du SGEN appréciaient la CGT, mais restaient dans l’anticommunisme et par conséquent se sont tournés vers la CFTC. Par contre, les statuts soulignaient dès le départ que c’est la démarche de la CFTC qui était soutenue, et que par contre le SGEN n’assurait aucune référence religieuse.

Voici ce que disait la carte d’adhésion au SGEN dès ses débuts :

« Le Syndicat déclare s’inspirer dans son action professionnelle : déclare s’inspirer dans son action Profession.

– de l’engagement qu’ont pris ses membres, en entrant dans un service statutairement laïque et neutre de faire abstraction, dans leur enseignement, de toute doctrine d’autorité et préférence de parti pour former seulement les jeunes esprits à l’usage de la raison et de la liberté ;

– de l’attachement de ses membres à l’Ecole publique, du sentiment de son unité, de la conscience de son rôle social ;

– de la tradition universitaire oui refuse de faire dépendre le recrutement et l’avancement des maîtres de l’adhésion à une quelconque doctrine d’Etat ;

– de la conviction que l’Enseignement Public contribue à former de futurs citoyens non pas en leur imposant une doctrine mais en suscitant dans la jeunesse des forces qui se mettront librement au service du bien public.

Conscient de la solidarité de ses membres avec les autres fonctionnaires et l’ensemble des salariés, solidarité qui demande une liaison permanente avec des organisations usant des mêmes méthodes,

le Syndicat se déclare solidaire de la Fédération Française des Syndicats Professionnels de Fonctionnaires et de la Confédération Franoaise des Travailleurs Chrétiens. »

Plus concrètement, il était impossible pour la CFTC de s’implanter dans l’Éducation nationale en raison de son alignement sur l’Église catholique. L’opposition à la religion était bien trop fort. La rencontre du SGEN fondé par l’agrégé de lettres Guy Raynaud de Lage et la CFTC était donc entièrement pragmatique.

Le SGEN avait besoin d’un syndicat confédéral où se placer et la CFTC profitait d’une section dont les professions – instituteurs et professeurs – étaient grandement hostiles à la religion.

Ce rapport de double nature du SGEN avec la CFTC – intégré mais laïc – est essentiel à connaître, dans la mesure où c’est le SGEN qui va être le plus grand vecteur de Reconstruction dans la CFTC.

C’est le SGEN qui le premier, dès la fin de la seconde guerre mondiale, pousse à la déconfessionnalisation de la CFTC. C’est le SGEN qui, en 1955, met en valeur le « socialisme démocratique », pour une motion obtenant 40,8 % des voix au congrès de la CFTC où il est notamment dit que :

« Conscient de l’extrême difficulté qu’éprouvent les salariés français à obtenir une répartition nouvelle, non seulement des revenus mais du pouvoir : problème que ne résoudra pas un néocapitalisme, acceptant la tradition ouvrière française, socialiste non de parti mais de conception économique, constatant que pour le mouvement ouvrier européen, un socialisme démocratique peut seul fournir l’alternative au mythe totalitaire,

le Congrès reconnaît qu’en visant à une planification qui fera de la fonction d’investissement une responsabilité publique, l’action syndicale, dans tous les secteurs, s’attaque au régime capitaliste de l’entreprise. »

C’est le SGEN qui pousse à ce que la CFTC s’assume comme le premier syndicat ; dans sa résolution de Poitiers en 1956, le SGEN explique ouvertement que son objectif est de :

« permettre à la C.F.T.C. de faire face à ses responsabilités de première centrale non communiste de ce pays, par le développement d’un syndicalisme militant, strictement non confessionnel, attaché à une action de transformation sociale et de planification économique dans le respect des valeurs libérales, essentielles à la démocratie, — valeurs dont l’Université a la garde. »

C’est le SGEN qui fournit l’idéologie pour passer d’un existentialisme catholique à un existentialisme « socialiste démocratique », comme ici avec l’explication faite au congrès de 1957 :

« Aux plus traditionnels de nos collègues que nous supposons, par hypothèse, inconditionnellement attachés au libéralisme universitaire, héritage du XIXe siècle, nous n’avons cessé de rappeler que la tâche du XXe siècle, dans sa seconde moitié surtout, était de le maintenir vivant au sein de la transformation sociale et de la planification économique dont la jeunesse intellectuelle sent, depuis la Libération, la nécessité et l’attrait.

Dans l’effort de synthèse dynamique qui fut et demeure le nôtre, faut-il, après les leçons de 1957 (XXe congrès du P. C. soviétique, évolution polonaise, crise hongroise), nous justifier encore d’avoir rappelé aux plus jeunes et aux plus ardents la pérennité nécessaire des valeurs libérales ? »

L’acteur principal du SGEN, c’est Paul Vignaux, qui en fut le dirigeant de 1948 à 1970. L’aspect principal de sa nature est que cet ancien de la Jeunesse ouvrière chrétienne devenu agrégé de philosophique a passé la seconde guerre mondiale aux États-Unis, travaillant pour les institutions universitaires et militaires américaines, en liaison avec le syndicalisme de ce pays.

On a tous les ingrédients pour l’avènement du syndicalisme « moderniste » de la CFDT ensuite, dont Paul Vignaux fut un artisan majeur. La CFTC, pour le SGEN, était à la fois un sas, un outil et un vecteur ; voici comment Paul Vignaux décrit en amont du congrès de 1957 le statut du SGEN par rapport à la CFTC :

« 1) Cette affiliation statutaire n’est rien d’autre qu’une adhésion collective à des méthodes d’action syndicale et de transformation sociale. Elle n’implique aucune adhésion à une doctrine d’Eglise, adhésion qui, aux yeux du syndicat, relève de la seule conscience individuelle des syndiqués.

2) Par ailleurs, la mention de la morale sociale chrétienne à l’article 1er des statuts confédéraux ayant rappelé de quelle inspiration se réclamaient les fondateurs de la C.F.T.C. et peuvent se réclamer ses militants, la suite du même article précise les méthodes d’action syndicale et de transformation sociale qu’acceptent les organisations confédérées ainsi que les valeurs fondamentales à respecter et promouvoir dans leur action — valeurs communes proposées aux incroyants comme aux croyants de diverses confessions.

3) Seules ces méthodes et ces valeurs jointes à celles définies dans l’article 2 des statuts du S.G.E.N.. constituent la norme suprême de décisions syndicales ; aucune autre ne peut être introduite, dans les délibérations syndicales, même en invoquant la mention de la morale sociale chrétienne dans les statuts confédéraux.

A tous ceux qui lui apportent son adhésion, le S.G.E.N. se présente ainsi comme une organisation véritablement laïque dont l’indépendance garantit le respect de toutes les consciences.

Il appartient aux responsables syndicaux de s’opposer à l’introduction, dans les débats intérieurs à l’organisation, de toute considération qui altérerait cette laïcité et compromettrait cette indépendance. »

Finalement, on peut pratiquement dire qu’après que le SGEN ait rejoint la CFTC, c’est finalement la CFTC qui a rejoint le SGEN et est devenu alors CFDT.

La déclaration du SGEN pour son vingtième anniversaire, en 1957, anticipe entièrement la CFDT dans sa nature :

« Le Congrès.

à l’occasion du XXe anniversaire du Syndicat Général de l’Education Nationale affilié à la C.F.T.C.

proclame la fidélité de l’organisation à ses buts fondamentaux
— de syndicat universitaire,
— de syndicat général,
— de syndicat confédéré,
buts énoncés dans ses statuts et précisés par ses Congrès :

– participer à l’édification d’un service public de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique qui réponde au droit du citoyen et au devoir de l’Etat proclamés en 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir de l’Etat » (préambule de la Constitution) ;

– Promouvoir un esprit de laïcité non moins respectueux des croyances que de l’incroyance, afin que l’enseignement public devienne, de plus en plus, par son seul rayonnement, un lieu de rencontre fraternelle des Français, maîtres et élèves, de toutes origines et de toutes orientations ;

– Maintenir la tradition universitaire de culture désintéressée tout en équipant l’Université française pour les tâches nationales que lui imposent les nécessités techniques et les besoins civiques d’un grand pays moderne ;

– Défendre, dans cette perspective, et avec la préoccupation de l’unité du service public, les intérêts individuels et collectifs de son personnel ;

– Par une action collective au sein de la première confédération non communiste du pays, susciter une alliance des travailleurs manuels et intellectuels dans un climat de démocratie antitotalitaire hors duquel il n’y a ni autonomie du mouvement ouvrier, ni liberté de pensée ;

– Maintenir et promouvoir les valeurs libérales qu’incarne l’Université au sein des transformations qu’appellent, dans la société française, la justice sociale et le développement de l’économie : redistribution équitable du revenu par la Sécurité Sociale, les prestations familiales, l’abolition des privilèges fiscaux instaurés au détriment des salariés ;

– planification démocratique de l’économie qui exclue l’abandon de la fonction d’investissement à des pouvoirs anonymes et irresponsables et en soumette l’exercice à un contrôle effectif de travailleurs, afin d’assurer en particulier l’équipement matériel et humain du service public de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique. »

Cette importance du SGEN, avec Paul Vignaux ayant passé la seconde guerre mondiale aux États-Unis, se retrouve à Reconstruction, dont Paul Vignaux fut évidemment un cadre majeur.

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La CFTC devient CFDT

Les 6 et 7 novembre 1964, le congrès extraordinaire de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), avec 3000 délégués à Issy-les-Moulineaux en banlieue parisienne, approuve par 70,11 % des voix la modification de la nature du syndicat confédéral, donnant naissance à la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

Si la totalité des délégués n’a pas voté en faveur de la transformation, une partie significative des opposants accepte toutefois de rester dans les rangs, la direction faisant d’incessants appels en ce sens.

Seulement moins de 10 % des membres de la CFTC scissionnent, maintenant le nom de CFTC pour leur structure, sous la direction de deux mineurs, Jean Bornard et Joseph Sauty, qui reflètent une affection profonde chez les mineurs du Nord pour le syndicalisme chrétien.

La CFDT, qui s’appelle au départ CFDT (cftc), cherchera par tous les moyens juridiques à empêcher l’utilisation du nom CFTC ; si sur le plan matériel, elle conservera tous les biens syndicaux, elle ne parviendra toutefois pas à empêcher l’existence d’une CFTC « maintenue ».

Les quatre premiers paragraphes du préambule de la CFDT suffisent en soi pour comprendre la nature du nouveau syndicat remplaçant l’ancienne CFTC.

Le premier paragraphe assume le mouvement ouvrier, alors que la CFTC est née en dehors du celui-ci ; néanmoins, au lieu de la lutte des classes, on a un humanisme-existentialisme.

« Tout le combat du mouvement ouvrier pour la libération et la promotion collective des travailleurs et des travailleuses est basée sur la notion fondamentale que tous les êtres humains sont doués de raison et de conscience et qu’ils naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Suivant les conceptions humanistes-existentialistes, les problèmes ne sont pas les classes, mais l’organisation sociale, les « structures » qui tendent à l’emporter dans une société toujours plus complexe.

« Dans un monde en évolution, marqué par les progrès techniques qui devraient servir à son épanouissement, le travailleur est plus que jamais menacé par des structures et des méthodes déshumanisantes ou technocratiques qui font de lui un objet d’exploitation et d’asservissement. »

Ce qui est fondamental dans cette démarche, c’est le côté repli humaniste-existentialiste sur soi, typiquement français. Et cela à l’époque de l’affirmation du tiers-monde et du maoïsme.

« Face aux conflits qui déchirent le monde, aux menaces de destruction de l’humanité par les armes nucléaires, les exigences de justice, de fraternité et de paix entre les peuples sont plus impérieuses que jamais. »

Tout ramène à l’idéologie « syndicaliste ».

« Le syndicalisme est pour les travailleurs l’instrument nécessaire de leur promotion individuelle et collective et de la construction d’une société démocratique. »

Prenant la parole, le secrétaire général Eugène Descamps le souligne assez : la CFDT est opposée au communisme, dans sa définition même, et il s’agit de récupérer les adhérents de la CGT, ce qui est dit à demi-mot bien entendu.

« Ce que demande votre Confédération, c’est d’être les uns et les autres des hommes de dialogue et de tolérance.

L’effort de convergence est aussi indispensable pour le Mouvement ouvrier. D’autres hommes ont autant de générosité que nous. Il faut détruire les barrières qui existent entre démocrates.

Nous ne croyons pas au déterminisme de l’histoire et c’est pourquoi nous ne sommes pas des marxistes.

La Centrale que nous voulons construire sera humaniste, elle sera démocratique. Il faut faire une « terre des hommes » [allusion au titre d’un recueil d’essais autobiographiques de l’auteur humaniste-existentialiste chrétien Antoine de Saint-Exupéry]. »

C’est en ce sens qu’il faut comprendre les paroles de toute fin de congrès, qui sont en apparence très engagées.

« Partons d’ici avec la conscience d’avoir fait notre devoir. Fidèles au passé et marchant vers l’avenir, vous ferez de la CFDT l’instrument de libération de la classe ouvrière. »

C’est Maurice Bouladoux qui prononça ces derniers mots qui sont clairement une simulation de discours révolutionnaire. On parle ici en effet d’un cadre historique du syndicalisme chrétien, qui avait adhéré aux centristes du Mouvement républicain populaire après 1945 et était une figure de l’unification européenne, de fait sous supervision américaine.

On retrouve ici le « modèle américain » cher à Reconstruction. Et si Maurice Bouladoux ne fait pas partie de Reconstruction, en pratique il ne s’y est pas opposé et a joué le rôle de passeur fournissant la CFTC clef en main à celle-ci.

Cela explique que Maurice Bouladoux, qui a été secrétaire de la CFTC de 1948 à 1953, puis président de 1953 à 1961, est devenu ensuite président honoraire, le restant au sein de la CFDT jusqu’en 1997, année de son décès.

Qui plus est, Maurice Bouladoux était, au moment de sa prise de parole finale, pas moins que… le président de la Confédération internationale des syndicats chrétiens (il l’a été de 1961 à 1973).

Quant au reste de son parcours, on le voit membre pendant de longues années d’innombrables institutions françaises et internationales (Conseil économique, Conseil économique et social, Banque française pour le commerce extérieur, Conférences internationales du travail…), et il fut également nommé commandeur de la Légion d’Honneur en France, et a reçu l’ordre Saint-Grégoire-le-Grand de la part du Vatican.

Cela fait beaucoup pour quelqu’un annonçant que la CFDT devient « l’instrument de la classe ouvrière ».

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La CFTC en tandem avec la CGT : la pratique

Reconstruction va batailler fermement pour que sa ligne de l’unité d’action avec la CGT s’impose, et en 1952 la CFTC sera au bord de la rupture entre l’ancienne direction voulant maintenir la logique confessionnelle et la minorité exigeant que la CFTC s’ouvre et parte à l’assaut des grandes masses pour les ravir à la CGT, la CGT-Force ouvrière étant hors du coup.

Il y a même la démission de cadres dirigeants de la CFTC appartenant à la minorité, en octobre 1952 ; le congrès de mai 1953 aboutit cependant à leur réintégration et la mise en place d’un vaste compromis.

Ce compromis va permettre à Reconstruction de systématiser son idéologie de l’unité d’action, et d’accompagner les premiers efforts en ce sens.

Albert Detraz, secrétaire de la Fédération CFTC du Bâtiment et du Bois, tient une « chronique de
l’unité d’action » et ses réflexions sont compilées dans une étude en 1957 largement diffusée, puis rééditée en 1961.

Ainsi, concrètement, tout en refusant les initiatives politiques anti-guerre de la CGT, la CFTC se coordonne avec elle pour les luttes limitées aux revendications sociales.

C’est le cas notamment en 1950 lors d’une loi sur les conventions collectives qui provoqua une vague de grève d’en moyenne trois semaines. La CFTC y gagna en prestige et l’alliance avec la CGT se reproduisit dans la grève des fonctionnaires d’août 1953.

Ce fut un mouvement fort, avec le 7 août 1,5 million de fonctionnaires en grève aux côtés de 400 000 cheminots et de 100 000 agents d’EDF ; d’autres secteurs rejoignirent le mouvement, dont les métallurgistes, portant à 4 millions le nombre de grévistes le 13 août.

Et, dans ce cadre, la CFTC en profita pour négocier avec le gouvernement aux côtés de la CGT-Force ouvrière, mettant la CGT de côté.

Ce scénario se reproduisit à de nombreuses reprises. La CFDT se plaça systématiquement comme combative aux côtés de la CGT et comme prompte à la négociation avec la CGT-Force ouvrière.

En théorie, la CGT aurait dû parer à cette tactique. Elle ne le fit cependant pas, car à partir de 1952, elle a abandonné sa ligne d’avoir des revendications politiques, surtout anti-guerre. Rien qu’en 1950, la CGT avait organisé 1500 arrêts de travail pour désorganiser la production d’armement ou les transports militaires.

A partir de 1953 et la prise du pouvoir en URSS par le révisionnisme, la CGT basculait dans une posture syndicaliste révolutionnaire aux côtés du Parti communiste français électoraliste ; cela laissait d’autant plus d’espace pour les initiatives de la CFTC.

Le PCF devenu révisionniste s’oriente par rapport à la théorie du « capitalisme monopoliste d’Etat »

Eut ainsi lieu un intense aller-retour d’articles critiques de la part de la CGT et de la CFTC, la CGT mettant le paquet pour chercher à stopper la CFTC sur le plan des idées en 1956-1957 : « Comment aller de l’avant dans la voie de l’unité », « Sur quelques aspects du problème de l’unité », «  Unité syndicale et démocratie syndicale », « La lutte des travailleurs contre l’exploitation et pour le bien-être, base de l’unité de la classe ouvrière internationale », «  Soyons précis », « Pour la défense efficace des intérêts ouvriers, pour l’unité de la classe ouvrière » (Lettre ouverte à la CFTC), « Ecartons les vrais obstacles », etc.

Le point culminant fut la campagne de la CGT pour l’unité syndicale en 1957, qui échoua ; à partir de là, il était clair que la CFTC était en mesure de pratiquer « l’unité d’action », tout en évitant toute unité organique.

Le coup d’État gaulliste de 1958 et la capitulation de l’ensemble de la gauche française accentua encore plus la situation, plaçant la CGT dans une situation de dépendance pour apparaître constructive.

Fameuse caricature de Jean Effel, avec le général Massu, de Gaulle, le radical Félix Gaillard, Marianne symbolisant la République, le socialiste Guy Mollet

Pour cette raison, le 28 mai 1958, alors qu’ils avaient appelé à manifester pour la veille initialement, le PCF et la CGT rejoignirent les manifestations CFTC et CGT-Force ouvrière contre le coup d’État.

La CFTC pratiquait dans les faits un double jeu. Plus l’initiative avait une portée politique, gouvernementale, plus elle se tournait vers la CGT-Force ouvrière ; plus il s’agissait de simples revendications, plus elle se tournait vers la CGT.

Autrement dit, la CFTC avait comme rôle historique à la fois d’épauler la CGT-Force ouvrière pour renforcer le réformisme et les négociations, et de pousser la CGT à édulcorer son contenu de par les nécessités d’un front syndical.

La Guerre d’Algérie continua de renforcer cette situation et le 8 février 1962, lors de la manifestation contre la guerre qui culmina dans la charge de police amenant la mort de huit personnes, les organisations appelantes étaient la CGT, la CFTC et le syndicat étudiant UNEF.

Lors de la grande grève du secteur public en 1964, la CFTC dispose d’un « comité de liaison » œuvrant avec le « Comité d’action » de la CGT.

La même année, la CFTC devint la CFDT, Confédération française démocratique du travail.

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La CFTC en tandem avec la CGT : la théorie

Lorsque, en 1947, il y a une scission dans la CGT, avec l’émergence de la CGT-Force ouvrière, Reconstruction salue cette :

« réaction syndicaliste contre le contrôle des syndicats par un parti totalitaire ».

Quant à la CFTC, elle met immédiatement en place un cartel inter-confédéral avec la CGT-Force ouvrière, qui ne durera pas.

La raison, on la trouve expliquée en 1964, dans les propos d’André Bergeron, à la tête de la CGT-Force ouvrière. Il s’agit d’une évaluation générale de la CFTC, dans un article publié dans les « Nouvelles », une publication internationale du syndicat AFL-CIO, violemment anticommuniste et qui, avec la CIA, a œuvré à l’émergence de la CGT-Force ouvrière en 1947.

André Bergeron dénonce l’approche de la CFTC qui perpétuellement se tourne vers la CGT, alors que justement la CGT-Force ouvrière combat celle-ci de manière ininterrompue :

« Les militants Force Ouvrière ont été, et sont encore, constamment gênés par le comportement des syndicats chrétiens qui, non seulement acceptent, mais provoquent l’unité d’action, voulant jouer le rôle de charnière, de trait d’union entre la C.G.T. et Force Ouvrière.

La Confédération Force Ouvrière a, plusieurs fois, fait savoir aux dirigeants des syndicats chrétiens qu’elle ne serait pas hostile à un rapprochement avec la C.F.T.C. à condition que ses organisations cessent de pratiquer l’unité d’action avec la C.G.T. communiste.

La réponse a toujours été la même : « nous ne craignons pas les communistes et n’éprouvons aucun complexe à leur égard ! ». L’histoire démontre qu’ils se font de dangereuses illusions (…).

En appliquant presque en permanence leur tactique d’unité d’action avec la C.G.T., les organisations de la C.F.T.C. créent en France une dangereuse situation dont les communistes risquent fort en définitive d’être les bénéficiaires.

Créer un courant unitaire est chose facile. Il est moins aisé de le canaliser. Mais les dirigeants chrétiens ont-ils bien conscience des risques que leur comportement fait courir au syndicalisme libre ? »

Et, effectivement, la CGT-Force ouvrière va toujours rejeter la CFTC (et la CFDT qu’elle deviendra), en raison des liens avec la CGT, que la CGT-Force ouvrière récusait totalement.

Il faut bien comprendre ici le paradoxe d’une CFTC (puis CFDT) très proche de la CGT-Force ouvrière, mais se tournant en permanence vers la CGT, au nom du concept appelé « unité d’action ».

Cette unité d’action a été théorisée de manière très précise par Reconstruction, ce qu’Edmond Maire, dirigeant de la CFDT, reconnaît ouvertement dans son ouvrage Pour un socialisme démocratique en 1971 :

« On doit dire et je pense que personne ne s’en choquera à la C.F.D.T. d’aujourd’hui
que c’est la minorité C.F.T.C., le courant Reconstruction avec Paul VIGNAUX qui a mis au point notre théorie de l’unité d’action. »

Alors que, donc, la CGT-Force ouvrière quittait la CGT en la boycottant de manière absolue, Reconstruction a promu un suivi soutenu de la CGT par l’unité d’action devant servir le syndicalisme « libre ». Il fallait suivre autant que possible la CGT pour la remplacer.

La première affirmation de cette position date de décembre 1948 : Reconstruction met en avant une « lettre aux militants », écrite par Charles Savouillan, autour du thème de « l’unité d’action » avec la CGT.

Charles Savouillan dit la chose suivante. La scission de la CGT-Force ouvrière a affaibli la CGT qui ne peut plus jouer à « qui m’aime me suive ».

Elle ne peut plus faire pression et va désormais essayer de gagner des points par la « décomposition » de ses partenaires, en menant une action commune, sur la base des revendications hors CGT mais cherchant à séparer la base de la direction afin de la recruter dans le processus de lutte.

Or, rappelle Charles Savouillan, toute la ligne de la CGT est décidée par le Parti communiste. Cela veut dire qu’on peut « lire » la tactique communiste et la retourner en son contraire… et profiter soi-même de l’unité d’action, aux dépens de la CGT.

Ce serait même d’autant plus nécessaire que la grande majorité des travailleurs est avec la CGT ! Il s’agit de faire en sorte que le « syndicalisme libre » l’emporte sur le « totalitarisme ».

Il conclut ainsi son analyse de plusieurs pages sur la stratégie et la tactique communistes en disant que :

« La situation des forces sociales dans un pays, l’intérêt des travailleurs tel qu’il apparaît dans cette situation, peuvent rendre opportune, nécessaire même l’unité d’action entre des syndicalistes non-communistes et les organisations syndicales à direction communiste.

Mais comme dit le proverbe : « lorsqu’on veut manger la soupe avec le diable, il faut avoir une grande cuillère ».

Lorsqu’on pratique l’unité d’action avec la CGT, il faut savoir ce qu’est la CGT, ce qu’elle veut. Il ne s’agit pas seulement de distinguer l’action strictement professionnelle de l’action politique qui l’élargit et la déborde, selon la stratégie communiste : nous reprendrons ce problème.

Il s’agit, dans la coïncidence même l’objectif immédiats, de demeurer conscients de ce que nous sommes et voulons. »

Voici comment, a posteriori, en janvier 1971, Reconstruction présente sa démarche historique de reconquête syndicale :

« L’idée directrice d’unité d’action, telle qu’élaborée à « Reconstruction », implique la conscience d’un rapport de force syndicale qui, dans une situation de prépondérance communiste, motive pour une minorité non-communiste le recours de fait au pluralisme confédéral.

Si cette minorité envisage avec les organisations majoritaires à direction communiste une relation de partenaires dans l’unité d’action, elle se situe d’abord à l’égard de ces mêmes organisations comme leur concurrente.

En 1948 et dans les années suivantes, les militants qui, à « Reconstruction », préconisaient l’unité d’action avec la C.G.T. ne dissimulaient pas leur projet d’une reconquête syndicaliste de milieux syndicalement dominés par des organisations à direction communiste.

L’implantation dans ces milieux industriels de la C.F.T.C. devenue C.F.D.T. a sans doute accru cette concurrence, donnée fondamentale de l’unité d’action qui vise et parvient à la limiter, dans certains domaines (…).

Confirmant l’attente des fondateurs de « Reconstruction », l’expérience a d’ailleurs montré que, dans des milieux de travail où ils étaient jusqu’alors peu connus, les syndicats C.F.T.C. devenant C.F.D.T. étendaient leur audience et s’implantaient en pratiquant l’unité d’action dans des conditions qui sauvegardent leur personnalité.

Si le problème de cette sauvegarde a été exactement posé, si l’on a pu y trouver des solutions pratiques, c’est en se référant à l’histoire de l’action communiste internationale depuis Lénine, par une analyse de la tactique des « fronts unique, commun, etc. » et en y opposant une conception, délibérément non communiste, de l’unité d’action intersyndicale. »

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La CFTC après 1945 : le découplage formel avec les centristes et l’Église

Reconstruction a posé une dynamique qui est essentielle pour la CFTC en développant une idéologie syndicale qui lui est propre. Il faudra du temps cependant avant que la mutation ne se réalise pleinement.

Car si Reconstruction fait bien partie du camp où se retrouvent non-gaullistes et non-communistes, la CFTC penche à droite de ce camp et non à sa gauche.

Au lendemain immédiat de la guerre, la CFTC a surtout été un vivier pour la reconstitution des centristes. Ainsi, un tiers des députés du MRP, le grand mouvement centriste, soit une cinquantaine de parlementaires, vient de la CFTC, de nombreux cadres ont la double casquette.

Il faut savoir ici qu’il a existé au début du 20e siècle un parti catholique en Allemagne, le Zentrum ; l’Église catholique a toujours fait en sorte d’éviter cela pour la France.

Un tel tandem MRP-CFTC posait donc un changement de ligne, pour un choix qui avait toujours voulu être évité. Aussi, dès la fin de la guerre, la dynamique est-elle cassée.

Si en juin 1945, en raison des succès du tandem, la tentative faite au Congrès de la CFTC de séparer le syndicat de la politique avait encore échoué (par 62 % des voix contre 38%), en février 1946, le Comité national de février 1946 décida par contre, par 110 voix contre 43, de rendre impossible le cumul de mandats politiques.

Paul Vignaux, porte-parole du Syndicat général de l’Éducation nationale, fait alors immédiatement voter à l’unanimité par le Comité national une résolution pour souligner le découplage.

Paul Vignaux (wikipédia)

Il est très clairement souligné qu’un échec gouvernemental risquait d’emporter la CFTC. Autrement dit, la CFTC risquerait d’être « grillé » aux yeux des masses et d’échouer par rapport à la CGT…

« Considérant

– la gravité de la situation économique et morale du pays,

– le danger que la masse déçue ne perde confiance dans le syndicalisme et les institutions libres,

– l’obligation pour le mouvement syndical de dégager les leçons de l’expérience,

Le Comité national constate

– que les travailleurs, qui n’ont point marchandé leur confiance au précédent gouvernement, subissent aujourd’hui les effets de l’absence de politique économique, cohérente et suivie,

– que la représentation du mouvement syndical dans de nombreux organismes officiels, de caractère consultatif, n’a pu empêcher le développement de cette situation,

– qu’une participation de ce genre comporte le risque permanent de faire endosser au syndicalisme des responsabilités qu’en réalité il ne partage pas.

En conséquence, le Comité national déclare

– qu’ayant affirmé dès novembre 1940 que notre défaite, au seuil de la guerre, ne tenait pas à l’exercice de la liberté des citoyens, le syndicalisme chrétien se doit aujourd’hui d’affirmer que la reconstruction économique et morale du pays exige un climat de liberté, de contrôle et de responsabilités démocratiques.

Dans cet esprit, le Comité national précise

– que la C.F.T.C. détermine son action dans une indépendance totale à l’égard des partis,

– que cette indépendance interdit ait mouvement toute formule de confiance politique globale à un homme ou à un gouvernement, à un ou plusieurs partis, et l’oblige à donner seulement son approbation et son concours à des mesures définies,

– que la même indépendance exige que les positions adoptées par les représentants syndicaux dans leurs relations avec les pouvoirs publics soient nettement définies et devant leurs mandants, et devant l’opinion publique, afin que, dans chaque cas, le syndicalisme chrétien prenne ses responsabilités et seulement les siennes. »

Le congrès de la CFTC de juin 1946 avalisa par 4 006 voix contre 1 255 ce choix de séparation du MRP.

C’était là une reconnaissance de la nature purement syndicale de la CFTC et, fort logiquement, la tendance de fond se prolongea. En octobre 1946, les Comités Nationaux durent se prononcer sur deux formulations devant remplacer l’ancienne au sujet de l’inspiration sociale.

Le premier article des statuts affirmait en effet que la CFTC se fondait sur la doctrine sociale de l’Église, et les expériences corporatistes directement catholiques, surtout autrichienne et espagnole, avaient largement décrédibilisées ce rêve clérical.

La direction proposa une modification, exprimée comme suit :

« La C.F.T.C. s’inspire, dans son action, des principes de la doctrine chrétienne, et notamment des commentaires et précisions apportés par les encycliques pontificales relatives aux questions sociales et économiques. »

François Henry, au nom du Syndicat général de l’Éducation nationale, proposa une version plus ambiguë :

« La Confédération se réclame et s’inspire, dans son action, des principes de la morale sociale chrétienne. »

La seconde proposition l’emporta et le Congrès de 1947 sépara formellement le syndicat des textes officiels de l’Église catholique.

C’était là un véritable saut, puisque la CFTC, officiellement, ne faisait que se réclamer et s’inspirer de la « morale sociale chrétienne ».

Cela ne se fit pas sans heurts. En 1952-1953, le conflit interne fut assez important et le président Gaston Teissier remit au pas les forces cherchant à laïciser trop fortement le mouvement ; ce qu’il dit dans une réponse à Eugène Descamps, un des principaux responsables de Reconstruction, illustre bien la nature du conflit :

« Mon ami, notre maison n’est pas socialiste. Nous ne sommes pas socialistes, nous n’avons rien à voir avec eux. Ce n’est pas à vous de définir l’orientation de notre centrale. C’est à nous, Bureau confédéral ! Pas à un dirigeant de fédération qui n’a pas de mandats. »

C’était pour Gaston Teissier l’occasion de parler comme « président » dont la fonction était d’assurer le « maintien de la doctrine ». Cependant, du moment que le lien organique était coupé avec les centristes et l’Église, il était évident que cela n’avait plus de sens.

Inévitablement, la CFTC se devait d’assumer une autre orientation, de fait une ligne « syndicaliste anti-autoritaire » dans le style « socialiste démocratique » établi par Reconstruction.

En 1961, Eugène Descamps, que dénonçait Gaston Teisser, devint secrétaire général de la CFTC ; c’était un métallurgiste : pour la première fois le poste de secrétaire général ne revenait pas à la Fédération des employés issus du SECI. C’en était fini de l’ancienne CFTC.

L’année 1964 couronna alors le processus avec la transformation de la CFTC en Confédération française démocratique du travail (CFDT).

Le symbole de la CFDT (cftc) en 1964-1965

Les 6 et 7 novembre à Paris, 70,1 % des mandats des 2300 délégués soutiennent la transformation qui est largement acceptée, 10 % des effectifs seulement décidant de maintenir l’ancienne forme et de continuer en parallèle, en tant que CFTC maintenue.

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La CFTC et Reconstruction

Le mot d’ordre du congrès de 1947 de la CFTC est « Libérons l’Homme de la machine et de l’argent ». Cela reflète l’existentialisme social pétri dans l’existentialisme catholique ; on trouve exactement la même démarche au sein du syndicat étudiant UNEF.

La Résistance, avec son alliance gaulliste-communiste, donne naissance à une génération idéaliste mêlant idéaux sociaux et exigences existentielles façonnées dans le christianisme.

C’est le groupe « Reconstruction », base d’un mouvement, qui est la source de ce tournant post-catholique, ou plutôt de ce prolongement social où le catholicisme prend le masque d’une philosophie sociale « moderne ».

Ce mouvement tourne autour de revues ; de simples cahiers de notes et d’études initialement (janvier 1946-février 1948) initialement, on passe à une publication régulière avec les Bulletins des groupes Reconstruction (mars 1948-septembre 1953), qui se développent en les Cahiers des groupes Reconstruction (octobre 1953-juillet 1956), et finalement en les Cahiers Reconstruction (août 1956-juillet 1974).

On peut dire que Reconstruction a bombardé mensuellement son idéologie dans sa revue de 1948 à 1968, servant de fermentation intellectuelle à la CFTC.

Reconstruction dit la chose suivante : il faut que le syndicat assume les questions de politiques sociales et de politiques économiques. Il ne peut pas rester à l’écart de ces deux questions et doit par conséquent directement s’adresser à l’État.

Le numéro 1 des cahiers de Reconstruction, en janvier 1946, présente ainsi l’alternative :

« De deux choses l’une :

– ou ces syndicalistes trouvent devant eux, comme à VICHY, un Etat autoritaire prêt à devenir totalitaire, incarné dans des hommes qui veulent se réserver la vue et l’action d’ensemble. D’autorité, les, syndicalistes seront réduits à un rôle consultatif et à un rôle d’exécutants, comme dans la Charte du 4 octobre 1941 ; les organisations ouvrières, mises en tutelle, seront enfermées chacune dans sa « profession » ; en définitive, l’appareil gouvernemental s’emploiera à briser le mouvement ouvrier.

– ou les syndicalistes sont citoyen d’un Etat démocratique, qui laisse subsister en dehors de lui des forces nationales indépendantes, usant de la pleine liberté d’expression. Dans cette atmosphère, le syndicalisme pourra prendre position sur tous les problèmes intéressant, à son avis, le monde du travail. Plus il y aura de démocratie vivante, intense dans toute l’activité nationale,
plus le mouvement syndical aura de chance de grandir et d’agir. »

Dans le contexte de l’époque, cela donne la chose suivante. Il y a les gaullistes, de droite et pour un État fort, et les communistes qui veulent la dictature du prolétariat. Entre les deux, il y a toute une aire occupée par les centristes, les socialistes, les anarchistes. Reconstruction affirme qu’il faut se poser comme élément de cette aire, comme « syndicalistes anti-totalitaires ».

Reconstruction reprend d’ailleurs l’idée socialiste d’un capitalisme organisé ; dans le numéro 1 on lit ainsi la chose suivante. On se rappellera que le Parti communiste français, devenu révisionniste en 1953, développera par la suite le même argumentaire avec sa thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».

« Fait caractéristique également de notre époque, l’influence sociale et politique des entreprises groupées en monopoles, les liaisons étroites qui s’établissent entre leurs dirigeants et les dirigeants de l’Etat, notamment lorsque celui-ci, ayant à diriger l’économie, cherche des compétences qu’il trouve naturellement dans les milieux industriels et financiers.

L’Etat dirigeant tend à devenir un Etat-des-monopoles (Ce que les Anglo-Saxons appellent Monopoly-State). »

Reconstruction se revendique ainsi rapidement du « socialisme démocratique ». L’éditorial du Cahier 21-22 (juin-juillet 1955) définissait ainsi la ligne idéologique :

« Traditionnellement, le mouvement syndical français est contestation du capitalisme.

Cet anticapitalisme ne doit pas rester dangereusement vague.

Dès qu’il reconnaît que son action tend « à une planification démocratique de l’économie qui fera de la fonction d’investissement une responsabilité publique », le syndicalisme prend un aspect socialiste — au sens que la théorie économique moderne peut donner à ce terme, au sens également que lui a donné la déclaration de Francfort (1951) lors de la reconstitution de l’Internationale Socialiste.

A la fois comme alternative au mythe totalitaire du communisme et par opposition au néo-capitalisme d’après-guerre, le socialisme démocratique s’est défini de nos jours sous l’influence prédominante des mouvements ouvriers britannique et scandinave.

Et, comme le remarquait en rejetant une notion sectaire de la laïcité, l’organe d’un syndicat « minoritaire » C.F.T.C., les pays européens les plus avancés dans la voie du socialisme démocratique « sont ceux où le mouvement ouvrier socialiste n’a pas été le moins respectueux des consciences religieuses » (Ecoles et Education, 29 juin 1955). »

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