Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Thèses sur la situation mondiale et les tâches de l’Internationale Communiste au troisième congrès

    I. LE FOND DE LA QUESTION

    1. Le mouvement révolutionnaire, à l’issue de la guerre impérialiste et depuis cette guerre, se distingue par son ampleur sans précédent dans l’histoire. En mars 1917, le tsarisme est renversé. En mai 1917, orageuse lutte gréviste en Angleterre. En novembre 1917, le prolétariat russe s’empare du pouvoir de l’Etat.

    En novembre 1918, chute des monarchies allemande et austro-hongroise. Le mouvement gréviste s’empare de toute une série de pays européens et se développe particulièrement au cours de l’année suivante. En mars 1919, la République Soviétique est installée en Hongrie. Vers la fin de la même année, les Etats-Unis sont ébranlés par les formidables grèves des métallurgistes, des mineurs et des cheminots. En Allemagne, après les combats de janvier et de mars 1919, le mouvement atteint son point culminant, au lendemain de l’émeute de Kapp, en mars 1920.

    En France, le moment de la plus haute tension de la vie intérieure arrive au mois de mai 1920. En Italie, le mouvement du prolétariat industriel et rural s’accroît sans cesse et mène en septembre 1920 à la mainmise par les ouvriers sur les usines, les fabriques et les propriétés foncières. Le prolétariat tchèque, en décembre 1920, saisit l’arme de la grève générale politique. En mars 1921, soulèvement des ouvriers de l’Allemagne centrale et grève des ouvriers mineurs en Angleterre.

    Le mouvement atteint des proportions particulièrement grandes et une intensité plus violente dans les pays hier belligérants et surtout dans les pays vaincus mais il s’étend aussi aux pays neutres. En Asie et en Afrique, il suscite ou renforce l’indignation révolutionnaire des nombreuses masses coloniales.

    Cette puissante vague ne réussit pourtant pas à renverser le capitalisme mondial, ni même le capitalisme européen.

    2. Pendant l’année qui s’est écoulée entre le 2e et le 3e Congrès de l’Internationale Communiste, une série de soulèvements et de luttes de la classe ouvrière se terminent en partie par la défaite (avance de l’armée rouge sur Varsovie en août 1920, mouvement du prolétariat italien en septembre 1920, soulèvement des ouvriers allemands en mars 1921).

    La première période du mouvement révolutionnaire, après la guerre, est caractérisée par sa violence élémentaire, par l’imprécision très significative des buts et des méthodes et par l’extrême panique qui s’empare des classes dirigeantes ; elle parait être terminée dans une large mesure. Le sentiment de sa puissance de classe qu’a la bourgeoisie, et la solidité extérieure de ses organes d’Etat se sont indubitablement renforcés.

    La peur du communisme s’est affaiblie si elle n’a pas complètement disparu. Les dirigeants de la bourgeoisie vantent la puissance de leur mécanisme d’Etat et passent même dans tous les pays à l’offensive contre les masses ouvrières, tant sur le front économique que sur le front politique.

    3. En raison de cette situation, l’Internationale Communiste se pose à elle-même et pose à la classe ouvrière les questions suivantes : Dans quelle mesure les nouveaux rapports réciproques de la bourgeoisie et du prolétariat correspondent-ils réellement aux rapports plus profonds de leurs forces respectives ?

    La bourgeoisie est-elle vraiment à présent plus en mesure de rétablir l’équilibre social détruit par la guerre ? Y a-t-il des raisons de supposer qu’après une époque d’ébranlements politiques et de luttes de classes vient une nouvelle époque, prolongée du rétablissement et de l’agrandissement du capitalisme ? Ne s’ensuit-il pas la nécessité de réviser le programme ou la tactique de l’Internationale Communiste ?

    II. LA GUERRE, LA PROSPÉRITE SPÉCULATIVE ET LA CRISE. LES PAYS EUROPÉENS

    4. Les deux dizaines d’années qui avaient précédé la guerre furent une époque d’ascension capitaliste particulièrement puissante. Les périodes de prospérité se distinguent par leur durée et par leur intensité, les périodes de dépression ou de crise, au contraire, par leur brièveté. D’une façon générale, la source s’était brusquement élevée ; les nations capitalistes s’étaient enrichies.

    Enserrant le marché mondial par leurs trusts, leurs cartels et leurs consortiums, les maîtres des destinées du monde se rendaient compte que le développement enragé de la production devait se heurter aux limites de la capacité d’achat du marché capitaliste mondial ; ils essayèrent de sortir de cette situation par les moyens de violence ; la crise sanglante de la guerre mondiale devait remplacer une longue période menaçante de dépression économique avec le même résultat d’ailleurs, c’est-à-dire la destruction d’énormes forces de production.

    La guerre a cependant réuni l’extrême puissance destructrice de ses méthodes à la durée imprévisiblement longue de leur emploi. Le résultat fut qu’elle ne détruisit pas seulement, au sens économique, la production « superflue », mais qu’elle affaiblit, ébranla, mina le mécanisme fondamental de la production en Europe. Elle contribua en même temps au grand développement capitaliste des Etats-Unis et à l’ascension fiévreuse du Japon. Le centre de gravité de l’économie mondiale passa d’Europe en Amérique.

    5. La période de cessation du massacre prolongé pendant quatre années, période de démobilisation et de transition de l’état de guerre à l’état de paix, inévitablement accompagnée d’une crise économique, conséquence de l’épuisement et du chaos de la guerre, apparaissait aux yeux de la bourgeoisie – et avec raison – comme grosse des plus grands périls. A la vérité, pendant les deux années qui suivirent la guerre, les pays qu’elle avait ravagés devinrent l’arène de puissants mouvements prolétariens.

    Le fait que ce ne fut pas la crise inévitable, semblait-il, qui se produisit, quelques mois après la guerre, mais un relèvement économique, fut une des causes principales de ce que la bourgeoisie conserva néanmoins sa position dominante.

    Cette période dura environ un an et demi. L’industrie occupait la presque totalité des ouvriers démobilisés. Quoique, en règle générale, les salaires ne pussent atteindre les prix des articles de consommation, ils s’élevaient cependant suffisamment pour créer le mirage de conquêtes économiques.

    C’est précisément cet essor économique de 1919-1920 qui, adoucissant la phase la plus aiguë de liquidation de la guerre, eut pour résultat une extraordinaire recrudescence de l’assurance bourgeoise et souleva la question de l’avènement d’une nouvelle époque organique de développement capitaliste.

    Cependant, le relèvement de 1919-1920 ne marquait pas, au fond, le début de la restauration de l’économie capitaliste après la guerre, mais la continuation de la situation artificielle de l’industrie et du commerce, créée par la guerre, et qui put ébranler l’économie capitaliste.

    6. La guerre impérialiste éclata à l’époque ou la crise industrielle et commerciale, qui prit alors naissance en Amérique (1913), commençait à envahir l’Europe.

    Le développement normal du cycle industriel fut interrompu par la guerre qui devint elle-même le plus puissant facteur économique. La guerre créa pour les branches fondamentales de l’industrie un marché à peu près illimité, complètement à l’abri de toute concurrence. Le grand acheteur n’avait jamais assez de tout ce qu’on lui fournissait. La fabrication des moyens de production se transforma en fabrication des moyens de destruction.

    Les articles de consommation personnelle étaient acquis à des prix de plus en plus élevés par des millions d’individus qui, ne produisant rien, ne faisaient que détruire. C’était là le processus même de la destruction ; mais, en vertu des contradictions monstrueuses de la société capitaliste, cette ruine prit la forme de l’enrichissement. L’Etat lançait emprunt sur emprunt, émission sur émission, et – des budgets se chiffrant par millions – passa aux milliards. Machines et constructions s’usaient et n’étaient pas remplacées.

    La terre était mal cultivée. Des constructions essentielles dans les villes et sur les chemins de fer étaient arrêtées. En même temps le nombre des valeurs d’Etat, des bons de crédit et du Trésor et des fonds s’accrut sans cesse. Le capital fictif s’enfla dans la mesure même dans laquelle le capital productif était détruit. Le système du crédit, moyen de circulation des marchandises, se transforma en un moyen d’immobiliser les biens nationaux, y compris ceux qui devront être créés par les générations futures.

    Par crainte d’une crise qui eut été une catastrophe, l’Etat capitaliste agit après la guerre de la même façon que pendant celle-ci : nouvelles émissions, nouveaux emprunts, réglementation des prix de vente et d’achat des articles les plus importants, garantie de profits, denrées à des prix réduits, multiples allocations en addition aux appointements et aux salaires – et avec tout cela, censure militaire et dictature de galonnés.

    7. En même temps, la cessation des hostilités et le rétablissement des relations internationales révélèrent la demande considérable des marchandises les plus diverses, sur toute la surface du globe.

    La guerre avait laissé d’immenses stocks de produits, d’énormes sommes d’argent, concentrés entre les mains des fournisseurs et des spéculateurs, qui les employèrent là où le profit momentanément était le plus grand. Il s’ensuivit une activité commerciale fiévreuse, alors que, avec l’élévation inouïe des prix et des dividendes fantastiques, dans aucune de ses branches fondamentales, l’industrie ne se rapprochait en Europe de son niveau d’avant-guerre.

    8. Au prix de la destruction économique du système économique, accroissement de capital fictif, baisse du cours, spéculation, au lieu de panser les plaies économiques, le gouvernement bourgeois, agissant de concert avec les consortiums des banques et avec les trusts de l’industrie, réussit à éloigner le début de la crise économique, au moment où s’achevait la crise politique de la démobilisation et le premier examen des conséquences de la guerre.

    Ayant ainsi obtenu un répit important, la bourgeoisie crut que le danger de la crise était écarté pour un temps indéterminé. Un optimisme extrême s’empara des esprits ; il sembla que les besoins de la reconstruction dussent ouvrir une époque de prospérité industrielle, commerciale et surtout de spéculations heureuses. L’année 1920 fut l’année des espoirs déçus.

    Sous une forme financière, tout d’abord, sous une forme commerciale ensuite, et enfin sous une forme industrielle, la crise se produisit en mars 1920 au japon, en avril aux Etats-Unis (une légère baisse des prix avait commencé en janvier) ; elle passa en Angleterre, en France, en Italie, toujours en avril, dans les pays neutres de l’Europe, se manifesta sous une forme assez légère en Allemagne et se répandit dans la seconde moitié de 1920 dans tout le monde capitaliste.

    9. De la sorte, la crise de l’année 1920, et c’est là l’essentiel pour la compréhension de la situation mondiale, n’est pas une étape du cycle « normal », industriel, mais une réaction plus profonde contre la prospérité fictive du temps de guerre et des deux années suivantes, prospérité basée sur la destruction et sur l’épuisement.

    L’alternative normale des crises et des périodes de prospérité se poursuivait auparavant suivant la courbe du développement industriel. Pendant les sept dernières années, pas contre, les forces productrices de l’Europe, loin de s’élever, tombèrent brutalement.

    La destruction des bases mêmes de l’économie doit d’abord se manifester dans toute la superstructure. Pour arriver à une certaine coordination intérieure, l’économie de l’Europe devra pendant les quelques années à venir se restreindre et diminuer.

    La courbe des forces productrices tombera de sa hauteur fictive actuelle. Des périodes de prospérité ne peuvent avoir dans ce cas qu’une courte durée et surtout un caractère de spéculation. Les crises seront longues et pénibles. La crise actuelle en Europe est une crise de sous-production. C’est la réaction de la misère contre les efforts pour produire, trafiquer et vivre sur un pied analogue à celui de l’époque capitaliste précédente.

    10. En Europe, l’Angleterre est le pays économiquement le plus fort et qui a le moins souffert de la guerre ; on ne saurait cependant, même par rapport à elle, parler d’un rétablissement de l’équilibre capitaliste après la guerre. Certes, grâce à son organisation mondiale et à sa situation de triomphatrice, l’Angleterre a obtenu après la guerre certains succès commerciaux et financiers, elle a amélioré son bilan commercial, elle a relevé le cours de la livre sterling et elle a obtenu un excédent des revenus sur les dépenses aux budgets ; mais sur le terrain industriel, l’Angleterre a rétrogradé depuis la guerre.

    Le rendement du travail et les revenus nationaux sont incomparablement plus bas qu’avant la guerre. La situation industrielle la plus importante, celle du charbon, s’aggrave de plus en plus, aggravant la situation des autres branches. Les mouvements grévistes incessants sont non la cause, mais la conséquence de la ruine de l’économie anglaise.

    11. La France, la Belgique, l’Italie sont irréparablement ruinées par la guerre. La tentative de restaurer l’économie de la France aux dépens de l’Allemagne est un véritable brigandage accompagné d’oppression diplomatique qui, sans sauver la France, ne tend qu’à épuiser définitivement l’Allemagne (en charbon, machines, bétail, or). Cette mesure porte un coup sérieux à toute l’économie de l’Europe continentale dans son ensemble.

    La France gagne bien moins que ne perd l’Allemagne, et elle court à la ruine économique, bien que ses paysans aient de nouveau, grâce à des efforts extraordinaires, rétabli une grande partie des cultures agricoles et que certaines branches d’industrie (par exemple l’industrie des produits chimiques) se soient considérablement développées pendant la guerre.

    Les dettes et les dépenses d’Etat (par suite du militarisme) ont atteint des dimensions incroyables ; à la fin de la dernière période de prospérité, le cours du change français était tombé de 60%. Le rétablissement de l’économie française est entravé par les lourdes pertes en vies humaines causées par la guerre, pertes impossibles à compenser par suite du faible accroissement de la population française. Il en est de même, à peu de chose près, pour l’économie de la Belgique et de l’Italie.

    12. Le caractère illusoire de la période de prospérité est surtout évident en Allemagne ; dans un laps de temps pendant lequel les prix se sont élevés en une année et demie au sextuple, la production du pays a continué de baisser très rapidement.

    La participation, triomphante en apparence, de l’Allemagne au trafic commercial international d’avant-guerre est payée d’un double prix : gaspillage du capital fondamental de la nation (par la destruction de l’appareil de production, de transport et de crédit) et abaissement successif du niveau d’existence de la classe ouvrière. Les profits des exportateurs allemands s’expriment par une perte sèche du point de vue de l’économie publique.

    Sous forme d’exportation, c’est la vente à bas prix de l’Allemagne même qui a lieu. Les maîtres capitalistes s’assurent une part toujours croissante de la fortune nationale qui, elle, diminue sans cesse. Les ouvriers allemands deviennent les coolies de l’Europe.

    13. De même que l’indépendance politique fictive des petits pays neutres repose sur l’antagonisme des grandes puissances entre elles, de même leur prospérité économique dépend du marché mondial, dont le caractère fondamental était déterminé avant la guerre par l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis et la France.

    Au cours de la guerre, la bourgeoisie des petits Etats neutres d’Europe réalisa des bénéfices monstrueux. Mais la destruction et la ruine des pays belligérants d’Europe entraînèrent la ruine économique des petits pays neutres. Leurs dettes s’accrurent, leurs changes baissèrent, la crise leur porta coup sur coup.

    III. ÉTATS-UNIS, JAPON, PAYS COLONIAUX ET LA RUSSIE DES SOVIETS

    14. Le développement des Etats-Unis pendant la guerre présente en un certain sens le contraire du développement de l’Europe. La participation des Etats-Unis à la guerre fut surtout une participation de fournisseurs. Les Etats-Unis ne ressentirent nullement les effets destructeurs de la guerre. L’influence indirectement destructrice de la guerre sur les transports, sur l’économie rurale, etc., fut bien plus faible dans ce pays qu’en Angleterre – sans parler même de la France ou de l’Allemagne.

    D’autre part, les Etats-Unis exploitèrent de la manière la plus complète la suppression ou du moins l’extrême affaiblissement de la concurrence européenne et poussèrent leurs industries les plus importantes à un degré de développement inespéré (naphte, constructions navales, automobiles, charbon) ; ce ne sont pas seulement le naphte et les céréales américains, mais aussi le charbon, qui tiennent maintenant dans leur dépendance la plupart des pays d’Europe.

    Si, jusqu’à la guerre, l’Amérique exportait surtout des produits agricoles et des matières premières (constituant les deux tiers de l’exportation totale), à présent, au contraire. elle exporte surtout des produits industriels (60% de son exportation). Si, jusqu’à la guerre, l’Amérique était débitrice, à présent elle est devenue la créancière du monde entier. La moitié environ de la réserve mondiale de l’or continue toujours à y affluer. Le rôle déterminant sur le marché mondial est passé de la livre sterling au dollar.

    15. Cependant, le capital américain, lui aussi, est sorti de l’équilibre. L’essor extraordinaire de l’industrie américaine a été exclusivement déterminé par l’ensemble des conditions mondiales : suppression de la concurrence européenne et surtout demande du marché militaire de l’Europe. Si l’Europe, ruinée, n’a pas pu, même après la guerre, revenir en qualité de concurrente de l’Amérique, à sa situation d’avant-guerre sur le marché mondial, elle ne peut, d’autre part, en qualité de marché pour l’Amérique, n’avoir désormais qu’une part insignifiante de son importance antérieure. Les Etats-Unis sont devenus dans une mesure infiniment plus grande qu’avant-guerre un pays d’exportation.

    L’appareil productif surdéveloppé pendant la guerre ne peut être complètement utilisé à cause du manque de débouchés. Quelques industries sont ainsi devenues des industries de saison qui ne peuvent donner du travail aux ouvriers que pendant une partie de l’année. La crise est aux Etats-Unis le commencement d’une profonde et durable ruine économique résultant de la chute de l’Europe. C’est là le résultat de la destruction de la division du travail mondial.

    16. Le Japon aussi a profité de la guerre pour élargir sa place sur le marché mondial. Son développement est incomparablement plus limité que celui des Etats-Unis et, dans une série de branches, il revêt un caractère purement artificiel. Si ses forces productrices furent suffisantes pour la conquête d’un marché déserté par les concurrents, elles apparaissent cependant insuffisantes pour lui garder ce marché dans la lutte avec les pays capitalistes plus puissants. Il en résulta une crise aiguë qui fut précisément le commencement de toutes les autres crises.

    17. Les pays maritimes exportant des matières premières, et dans ce nombre les pays coloniaux (Amérique du Sud, Canada, Australie, Indes, Egypte, etc.), profitèrent à leur tour de l’interruption des communications internationales pour développer leur industrie indigène. La crise mondiale s’est étendue à présent chez eux aussi. Le développement de l’industrie nationale dans ces pays devient à son tour une source de nouvelles difficultés commerciales pour l’Angleterre et pour toute l’Europe.

    18. Dans le domaine de la production du commerce et du crédit, et cela non seulement en Europe, mais sur une échelle mondiale, il n’y a donc pas de raison d’affirmer un rétablissement quelconque d’équilibre stable après la guerre.

    La chute économique de l’Europe continue, mais la destruction des bases de l’économie européenne se manifestera à peine pendant les années qui viennent.

    Le marché mondial est désorganisé. L’Europe a besoin des produits américains, mais elle ne peut donner à l’Amérique aucun équivalent. L’Europe est anémiée, l’Amérique est hypertrophiée. Le change or est supprimé. La dépréciation du change des pays européens (qui atteint jusqu’à 99%) est un obstacle presque insurmontable pour le commerce international. Les fluctuations continuelles et imprévues du change transforment la production capitaliste en une spéculation effrénée. Le marché mondial n’a plus d’équivalent général.

    Le rétablissement du cours or en Europe ne pourrait être obtenu que par l’élévation de l’exportation et la diminution des importations. L’Europe ruinée est incapable de cette transformation. L’Amérique se défend à son tour des importations européennes artificielles (dumping) en élevant les tarifs douaniers.

    L’Europe reste une maison d’aliénés. La plupart des Etats promulguent des interdictions d’exportation et d’importation ; ils multiplient leurs tarifs protecteurs. L’Angleterre établit des droits prohibitifs contre l’exportation allemande et toute la vie économique de l’Allemagne est à la merci d’une bande de spéculateurs de l’Entente et surtout français. Le territoire de l’Autriche-Hongrie est divisé par une dizaine de lignes douanières. L’écheveau des traités de paix est chaque jour plus embrouillé.

    19. La disparition de la Russie soviétique en tant que débouché pour les produits industriels et en tant que fournisseur de matières brutes a contribué dans une grande mesure à rompre l’équilibre de l’économie mondiale. Le retour de la Russie sur le marché mondial ne peut pas, pendant la prochaine période, y porter de bien grands changements.

    L’organisme capitaliste de la Russie se trouvait, sous le rapport des moyens de production, dans la plus étroite dépendance de l’industrie mondiale, et cette dépendance s’est encore accentuée par rapport aux pays de l’Entente, pendant la guerre, alors que l’industrie intérieure de la Russie était entièrement mobilisée. Le blocus rompit d’un coup tous ces liens vitaux. Il ne saurait même être question que ce pays épuisé et ruiné par trois années de guerre civile puisse organiser chez lui les nouvelles branches d’industrie sans lesquelles les anciennes ont été inévitablement ruinées par l’épuisement de leur matériel fondamental.

    A tout cela s’ajoute le fait de l’absorption dans l’armée rouge de centaines de milliers des meilleurs ouvriers et, dans une mesure considérable, des plus qualifiés. Dans ces conditions historiques, aucun autre régime n’aurait pu, cerné par le blocus, réduit à des guerres incessantes, recueillant un terrible héritage de ruines, maintenir la vie économique et créer une administration centralisée.

    Mais on ne peut douter que la lutte contre l’impérialisme mondial ait été payée de l’épuisement prolongé des forces productrices de la Russie dans plusieurs branches fondamentales de l’économie. Ce n’est qu’à présent, à la suite du relâchement du blocus et du rétablissement de certaines formes plus normales des rapports entre la ville et la campagne, que le pouvoir soviétique reçoit la possibilité d’une direction centralisée constante et inflexible en vue du relèvement du pays.

    IV. TENSION DES ANTAGONISMES SOCIAUX

    20. La guerre, qui entraîna une destruction sans précédent dans l’histoire des forces productrices, n’a pas arrêté le processus de la différenciation sociale ; au contraire, la prolétarisation des larges couches intermédiaires, y compris la nouvelle classe moyenne (employés, fonctionnaires, etc.) et la concentration de la propriété entre les mains d’une petite minorité (trusts, cartels, consortiums, etc.), firent, pendant les sept dernières années, des progrès monstrueux dans les pays qui ont le plus souffert de la guerre. La question Stinnes est devenue une question essentielle de la vie économique allemande.

    La hausse des prix sur toutes les marchandises, concomitante à la baisse catastrophique du change dans tous les pays européens belligérants, attestait au fond une nouvelle répartition du revenu national au détriment de la classe ouvrière, des fonctionnaires, des employés, des petits rentiers et, d’une façon générale, de toutes les catégories d’individus ayant un revenu plus ou moins déterminé.

    De la sorte, sous le rapport de ses ressources matérielles, l’Europe fut ramenée a une dizaine d’années en arrière et la tension des antagonismes sociaux, qui ne peut désormais être comparée à ce qu’elle était autrefois, loin d’être arrêtée dans son cours, s’accentua avec une rapidité extraordinaire.

    Ce fait capital est déjà suffisant pour détruire tout espoir fondé sur un développement prolongé et pacifique des forces de la démocratie ; la différenciation progressive – d’un côté la « stinnesation » et, de l’autre, la prolétarisation et la paupérisation – basée sur la ruine économique, détermine le caractère tendu, conclusif et cruel de la lutte des classes.

    Le caractère actuel de la crise ne fait que prolonger sous ce rapport le travail de la guerre et de l’essor spéculatif qui la suivit.

    21. La hausse des prix des produits agricoles, tout en créant l’illusion de l’enrichissement général de la campagne, provoqua un accroissement réel des revenus et de la fortune des paysans riches. Les paysans purent, en effet, avec du papier déprécié, qu’ils avaient amassé en grande quantité, payer leurs dettes contractées au cours normal.

    Malgré la hausse énorme du prix de la terre, malgré l’abus éhonté du monopole des moyens de subsistance ; malgré enfin l’enrichissement des grands propriétaires fonciers et des paysans aisés, la régression dans l’économie rurale de l’Europe est indiscutable : c’est une régression multiforme qui se traduit par l’extension des formes d’économie rurale, la transformation de terres arables en prairies, la destruction du bétail, l’application du système de la jachère. Cette régression a eu encore pour causes l’insuffisance, la cherté et la hausse des prix des articles manufacturés, enfin – en Europe centrale et orientale – la réduction systématique de la production, qui est une réaction contre les tentatives du pouvoir étatique d’accaparer le contrôle des produits agricoles.

    Les paysans aisés, et en partie les paysans moyens, créent des organisations politiques et économiques pour se protéger contre les charges de la bourgeoisie et pour dicter à l’Etat – comme prix du secours accordé contre le prolétariat – une politique de tarifs et d’impôts unilatérale et exclusivement profitable aux paysans, une politique qui entrave la reconstruction capitaliste.

    Ainsi se crée entre la bourgeoisie urbaine et la bourgeoisie villageoise une opposition qui affaiblit la puissance de toute la classe bourgeoise. En même temps une grande partie des paysans pauvres sont prolétarisés, le village se convertit en une armée de mécontents et la conscience de classe du prolétariat rural s’accroît.

    D’autre part, l’appauvrissement général de l’Europe, qui la rend incapable d’acheter la quantité nécessaire de céréales américaines, entraîna une lourde crise de l’économie rurale transatlantique. On observe une aggravation de la situation du paysan et du petit fermier non seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, en Australie, en Afrique du Sud.

    22. La situation des fonctionnaires et des employés, par suite de la diminution de la capacité d’achat de l’argent, s’est aggravée d’une façon générale plus durement que la situation du prolétariat. Les conditions d’existence des fonctionnaires subalternes et moyens étant complètement ébranlées, ces éléments sont devenus un ferment de mécontentement politique, qui sape la solidité du mécanisme d’Etat, qu’ils servent. « La nouvelle caste moyenne », qui selon les réformistes, représentait le centre des forces conservatrices, devient plutôt, pendant l’époque de transition, un facteur révolutionnaire.

    23. L’Europe capitaliste a finalement perdu sa situation économique prédominante dans le monde. D’autre part, son équilibre de classes relatif reposait sur cette vaste domination. Tous les efforts des pays européens (l’Angleterre et, en partie, la France), pour rétablir la situation intérieure, ne purent qu’aggraver le chaos de l’incertitude.

    24. Tandis qu’en Europe la concentration de la propriété s’accomplit sur les bases de la ruine, aux Etats-Unis cette concentration et les antagonismes de classe atteignirent un degré extrême sur le fond d’un enrichissement capitaliste fiévreux. Les brusques changements de la situation, par suite de l’incertitude générale du marché mondial, donnent à la lutte des classes sur le sol américain un caractère extrêmement tendu et révolutionnaire. A une apogée capitaliste sans précédent dans l’histoire, doit succéder une apogée de lutte révolutionnaire.

    25. L’émigration des ouvriers et des paysans au delà de l’océan servait toujours de soupape de sûreté au régime capitaliste d’Europe. Elle augmentait dans les époques de dépression prolongée et après l’échec des mouvements révolutionnaires. Mais maintenant l’Amérique et l’Australie entravent toujours davantage l’immigration. La soupape de sûreté de l’émigration ne fonctionne plus.

    26. Le développement énergique du capitalisme en Orient, particulièrement aux Indes et en Chine, a créé de nouvelles bases sociales pour la lutte révolutionnaire. La bourgeoisie de ces pays a resserré encore plus étroitement ses liens avec le capital étranger et est devenue de la sorte son principal instrument de domination.

    Sa lutte contre l’impérialisme étranger, lutte du plus faible concurrent, a essentiellement un caractère à demi fictif. Le développement du prolétariat indigène paralyse les tendances révolutionnaires nationales de la bourgeoisie capitaliste. Mais, en même temps, les rangs nombreux des paysans reçoivent en la personne de l’avant-garde communiste consciente de véritables chefs révolutionnaires.

    La réunion de l’oppression militaire nationaliste de l’impérialisme étranger, de l’exploitation capitaliste par la bourgeoisie indigène et par la bourgeoisie étrangère, ainsi que la survivance de la servitude féodale, créent des conditions dans lesquelles le prolétariat naissant se développera rapidement et se mettra à la tête du large mouvement des paysans.

    Le mouvement populaire révolutionnaire aux Indes, dans les autres colonies, est devenu maintenant partie intégrante de la révolution mondiale des travailleurs, dans la même mesure que le soulèvement du prolétariat dans les pays capitalistes de l’ancien ou du nouveau monde.

    V. RAPPORTS INTERNATIONAUX

    27. La situation générale de l’économie mondiale et, avant tout, la ruine de l’Europe déterminent une longue période de lourdes difficultés économiques, de secousses, de crises partielles et générales, etc. Les rapports internationaux, tels qu’ils s’établirent comme résultat de la guerre et du traité de Versailles, rendent la situation sans issue.

    L’impérialisme a été engendré par les besoins des forces productrices tendant à supprimer les frontières des Etats nationaux et à créer un territoire européen et mondial économique unique ; le résultat du conflit des impérialismes ennemis a été l’établissement dans l’Europe Centrale et Orientale de nouvelles frontières, de nouvelles douanes et de nouvelles armées. Au sens économique et pratique, l’Europe a été ramenée au Moyen-Age.

    Sur une terre épuisée et ruinée, on entretient actuellement une armée une fois et demie plus grande qu’en 1914, c’est-à-dire à l’apogée de la « paix armée ».

    28. La politique dirigeante de la France sur le continent européen peut être divisée en deux parties : l’une, attestant la rage aveugle de l’usurier prêt à étouffer son débiteur insolvable, et l’autre, représentée par la cupidité de la grande industrie pillarde en vue de créer, à l’aide des bassins de la Sarre, de la Ruhr et de la Haute-Silésie, les conditions favorables à un impérialisme industriel, susceptible de remplacer l’impérialisme financier en faillite.

    Mais ces efforts vont à l’encontre des intérêts de l’Angleterre. La tâche de celle-ci consiste à séparer le charbon allemand du minerai français, dont la réunion est pourtant une condition indispensable à la régénération de l’Europe.

    29. L’Empire Britannique paraît actuellement au sommet de sa puissance. Il a maintenu ses anciennes possessions et il en a conquis de nouvelles. Mais précisément le moment actuel montre que la situation prédominante de l’Angleterre est en contradiction avec sa déchéance économique effective. L’Allemagne, avec son capitalisme incomparablement plus progressif sous le rapport de la technique et de l’organisation, est écrasée par la force armée.

    Mais, en la personne des Etats-Unis économiquement maîtres des deux Amériques, se dresse en face de l’Angleterre un adversaire triomphant et plus menaçant que l’Allemagne. Grâce à une meilleure organisation et à une meilleure technique, le rendement du travail dans les industries des Etats-Unis est incomparablement supérieur à ce qu’il est en Angleterre. Les Etats-Unis produisent 65 à70 % du naphte consommé dans le monde entier et dont dépend l’usage des automobiles, celui des tracteurs, la flotte et l’aviation. La situation séculaire et presque monopolisée de l’Angleterre sur le marché du charbon est définitivement ruinée, l’Amérique a pris la première place. Son exportation en Europe augmente de façon menaçante. Sa flotte commerciale est presque égale à celle de l’Angleterre.

    Les Etats-Unis ne veulent plus se résigner au monopole mondial des câbles, détenu par l’Angleterre. Dans le domaine industriel, la Grande-Bretagne passe à la défensive et, sous prétexte de lutter contre la concurrence « malsaine » de l’Allemagne, s’arme de mesures protectionnistes contre les Etats-Unis. Enfin, tandis que la flotte militaire de l’Angleterre, comptant un grand nombre d’unités vieillies, s’est arrêtée dans son développement, le gouvernement Harding a repris le programme au gouvernement Wilson relativement aux constructions navales, lesquelles, au cours des deux ou trois prochaines années, donneront l’hégémonie des mers au pavillon américain.

    La situation est telle que, ou l’Angleterre sera automatiquement repoussée à l’arrière-plan et, malgré sa victoire sur l’Allemagne, deviendra une puissance de second ordre, ou bien – et elle s’y croit déjà obligée – elle engagera à fond, dans un très prochain avenir, toutes les forces par elle acquises dans le passé dans une lutte à mort avec les Etats-Unis.

    C’est dans cette perspective que l’Angleterre maintient son alliance avec le Japon et s’efforce, au prix de concessions de plus en plus grandes, d’acquérir l’appui ou, tout au moins, la neutralité de la France.

    La croissance du rôle international – dans les limites du continent – de cette dernière au cours de l’année écoulée a pour cause non un affaiblissement de la France, mais un affaiblissement international de l’Angleterre.

    La capitulation de l’Allemagne en mai dernier, dans la question des contributions de guerre, signale partout une victoire temporaire de l’Angleterre et assure la chute économique ultérieure de l’Europe centrale, sans exclure, dans un avenir rapproché, l’occupation par la France du bassin de la Ruhr et de la Haute-Silésie.

    30. L’antagonisme du Japon et des Etats-Unis, provisoirement dissimulé à la suite de leur participation à la guerre contre l’Allemagne, développe en ce moment ouvertement ses tendances. Le Japon s’est, par suite de la guerre, rapproché des côtes américaines, ayant reçu dans l’Océan Pacifique des îles d’une grande importance stratégique.

    La crise de l’industrie rapidement développée du Japon a de nouveau réveillé la question de l’émigration ; le Japon, pays à population dense, et pauvre en ressources naturelles, est obligé d’exporter des marchandises ou des hommes. Dans un cas comme dans l’autre, il se heurte aux Etats-Unis, en Californie, en Chine et sur l’île de Jap.

    Le japon dépense plus de la moitié de son budget pour l’armée et pour la flotte. Dans la lutte de l’Angleterre avec l’Amérique, le Japon aura sur mer le rôle joué sur terre par la France dans la guerre avec l’Allemagne. Le Japon profite actuellement de l’antagonisme entre la Grande-Bretagne et l’Amérique, mais la lutte décisive de ces deux géants pour la domination du monde se décidera finalement à son détriment.

    31. Le grand massacre récent fut européen par ses causes et par ses principaux participants. L’axe de la lutte, c’était l’antagonisme entre l’Angleterre et l’Allemagne. L’intervention des Etats-Unis élargit les cadres de la lutte, mais ne l’écarte pas de sa tendance fondamentale ; le conflit européen fut résolu au moyen du monde entier.

    La guerre, qui résolut à sa manière le différend entre l’Angleterre et l’Allemagne, non seulement n’a pas résolu la question des rapports entre les Etats-Unis et l’Angleterre, mais, au contraire, l’a reposée au premier plan dans toutes ses proportions, en tant que question fondamentale de la politique mondiale, de même qu’elle a posé une question de second ordre, celle des rapports entre les Etats-Unis et le Japon. La dernière guerre a de la sorte été la préface européenne à la guerre véritablement mondiale qui décidera de la domination impérialiste exclusive.

    32. Mais ce n’est là qu’un des axes de la politique mondiale. Il y a un autre axe encore : la Fédération des Soviets russes et la III° Internationale sont nées des conséquences de la dernière guerre. Le groupement des forces révolutionnaires internationales est entièrement dirigé contre tous les groupements impérialistes.

    La conservation de l’alliance entre l’Angleterre et la France ou, au contraire, sa destruction a le même prix au point de vue des intérêts du prolétariat et au point de vue de la paix que le renouvellement ou le non-renouvellement de l’alliance anglo-japonaise, que l’entrée (ou le refus d’entrer) des Etats-Unis dans la Société des Nations. Le prolétariat ne saurait voir une grande garantie de paix dans le groupement passager, cupide et sans foi des Etats capitalistes dont la politique, évoluant de plus en plus autour de l’antagonisme anglo-américain, l’entretient en préparant une sanglante explosion.

    La conclusion, par quelques pays capitalistes, de traités de paix et de conventions commerciales avec la Russie soviétique ne signifie pas, loin de là, la renonciation de la bourgeoisie mondiale à la destruction de la République des Soviets. On ne peut y voir qu’un changement peut-être passager de formes et de méthodes de lutte. Le coup d’état japonais en Extrême-Orient signifie peut-être le commencement d’une nouvelle période d’intervention armée.

    Il est absolument évident que, plus le mouvement révolutionnaire prolétarien mondial se ralentit, et plus les contradictions de la situation internationale économique et politique stimulent inévitablement la bourgeoisie à tenter de nouveau de provoquer un dénouement par les armes à l’échelle mondiale. Cela voudrait dire que le « rétablissement de l’équilibre capitaliste » après la nouvelle guerre se baserait sur un épuisement économique et sur un recul de la civilisation, tels qu’en comparaison de la situation actuelle de l’Europe, il semblerait le comble du bien-être.

    33. Quoique l’expérience de la dernière guerre ait confirmé avec une certitude terrifiante que « la guerre est un calcul trompeur » – vérité qui contient tout le pacifisme, tant socialiste que bourgeois – la préparation de la nouvelle guerre, préparation économique, politique, idéologique et technique, se poursuit à vive allure dans tout le monde capitaliste. Le pacifisme humanitaire anti-révolutionnaire est devenu une force auxiliaire du militarisme.

    Les social-démocrates de toutes nuances et les syndicalistes d’Amsterdam insufflent au prolétariat international la conviction de la nécessité de s’adapter aux règles économiques et au droit international des Etats, tels qu’ils ont été établis par suite de la guerre, et apparaissent ainsi comme des auxiliaires insignes de la bourgeoisie impérialiste dans la préparation du nouveau massacre qui menace de détruire définitivement la civilisation humaine.

    VI. LA CLASSE OUVRIÈRE APRÈS LA GUERRE

    34. Au fond, la question du rétablissement du capitalisme sur les bases tracées plus haut se résume ainsi : la classe ouvrière est-elle disposée à faire, dans des conditions nouvelles incomparablement plus difficiles, les sacrifices indispensables pour affermir les conditions de son propre esclavage, plus étroit et plus dur qu’avant la guerre ?

    Pour restaurer l’économie européenne, en remplacement de l’appareil de production détruit pendant la guerre, une forte création nouvelle de capital serait nécessaire. Cela ne serait possible que si le prolétariat était prêt a travailler davantage dans des conditions d’existence très inférieures. C’est ce que les capitalistes demandent ; c’est ce que lui conseillent les chefs traîtres des Internationale jaunes : d’abord aider à la restauration du capitalisme, ensuite lutter pour l’amélioration de la situation des ouvriers.

    Mais le prolétariat d’Europe n’est pas prêt à se sacrifice, il réclame une amélioration de ses conditions d’existence, ce qui actuellement est en contradiction absolue avec les possibilités objectives du capitalisme. D’où les grèves et les insurrections sans fin et l’impossibilité de restaurer l’économie européenne. Rétablir le cours du change, c’est pour divers Etats européens (Allemagne, France, Italie, Autriche, Hongrie, Pologne, Balkans) avant tout se débarrasser de charges dépassant la mesure de leurs forces, c’est-à-dire se déclarer en faillite ; c’est aussi donner une puissante impulsion à la lutte de toutes les classes pour une nouvelle répartition du revenu national.

    Rétablir le cours du change, c’est à l’avenir diminuer les dépenses de l’Etat au détriment des masses (renoncer à fixer le salaire minimum, le prix des articles de consommation générale), c’est empêcher l’arrivée des articles de première nécessité à meilleur marché provenant de l’étranger et relever l’exportation en diminuant les frais de la production, c’est-à-dire encore une fois, au premier chef, renforcer l’exploitation de la masse ouvrière. Toute mesure sérieuse, tendant à rétablir l’équilibre capitaliste, ébranle plus encore l’équilibre déjà rompu des classes et donne un nouvel élan à la lutte révolutionnaire. La question de savoir si le capitalisme peut se régénérer devient par conséquent une question de lutte entre forces vivantes : celles des classes et des partis.

    Si, des deux classes fondamentales, la bourgeoisie et le prolétariat, l’une, la dernière, renonçait à la lutte révolutionnaire, l’autre, la bourgeoisie, retrouverait en fin de compte, indubitablement, un nouvel équilibre capitaliste – équilibre de décomposition matérielle et morale – au moyen de nouvelles crises, de nouvelles guerres, de l’appauvrissement poursuivi de pays entiers et de la mort de dizaines de millions de travailleurs.

    Mais la situation actuelle du prolétariat international ne donne guère de raisons de pronostiquer cet équilibre.

    35. Les éléments sociaux de stabilité, de conservatisme, de tradition, ont perdu la plus grande partie de leur autorité sur l’esprit des masses laborieuses. Si la social-démocratie et les trade-unions conservent encore quelque influence sur une partie considérable du prolétariat, grâce à l’héritage de l’appareil d’organisation, du passé, cette influence est tout à fait inconsistante. La guerre a modifié non seulement l’état d’esprit, mais la composition même du prolétariat et ces modifications sont tout à fait incompatibles avec l’organisation graduelle d’avant la guerre.

    Au sommet du prolétariat, dans la plupart des pays domine encore la bureaucratie ouvrière extrêmement développée, étroitement unie, qui élabore ses propres méthodes et ses procédés de domination, et se rattache par des milliers de liens aux institutions et aux organes de l’Etat capitaliste.

    Vient ensuite un groupe d’ouvriers, le mieux placé dans la production, occupant ou comptant occuper des postes d’administration, et qui sont l’appui le plus sûr de la bureaucratie ouvrière.

    Puis la vieille génération des social-démocrates et des syndicalistes ouvriers qualifiés pour la plupart, rattachés à leur organisation par des dizaines d’années de lutte et qui ne peuvent se décider à rompre avec elle, malgré ses trahisons et ses faillites. Toutefois, dans bien des branches de production, les ouvriers qualifiés sont mélangés à des ouvriers non qualifiés, des femmes surtout.

    Viennent encore des millions d’ouvriers qui ont fait l’apprentissage de la guerre, qui sont familiarisés avec le maniement des armes et prêts, pour la plupart, à s’en servir contre l’ennemi de classe, à la condition toutefois d’une préparation sérieuse, préalable, d’une ferme direction, choses indispensables au succès.

    Puis des millions de nouveaux ouvriers, d’ouvrières en particulier, attirés dans l’industrie pendant la guerre et communiquant au prolétariat non seulement leurs préjugés petits-bourgeois, mais encore leurs aspirations impatientes vers de meilleures conditions d’existence.

    Enfin, des millions de jeunes ouvriers et ouvrières élevés pendant la tempête révolutionnaire, plus accessibles à la parole communiste, brûlant du désir d’agir.

    En dernier lieu, une gigantesque armée de chômeurs, pour la plupart déclassés et mi-déclassés, reflétant le plus vivement dans ses fluctuations le cours de la décadence de l’économie capitaliste et tenant l’ordre bourgeois sous sa constante menace.

    Ces éléments du prolétariat, si divers par leur origine et leur caractère, ne sont entraînés dans le mouvement après la guerre, ni simultanément, ni de la même manière. De là, les hésitations, les fluctuations, les progrès et les reculs de la lutte révolutionnaire.

    Mais, dans son écrasante majorité, la masse prolétarienne serre promptement les rangs parmi la ruine de toutes ses anciennes illusions, l’effrayante incertitude de la vie quotidienne, devant la toute-puissance du capital concentré, devant les méthodes de brigandage de l’Etat militarisé. Cette masse, qui compte de nombreux millions d’hommes, cherche une direction ferme et claire, un programme net d’action, et crée par là même une base au rôle décisif que le parti communiste cohérent et centralisé est appelé à jouer.

    36. La situation de la classe ouvrière s’est évidemment aggravée pendant la guerre. Certains groupes d’ouvriers ont prospéré. Les familles dans lesquelles quelques membres ont pu travailler dans les usines pendant la guerre ont même réussi a maintenir et à élever leur niveau d’existence. Mais, d’une façon générale, le salaire n’a pas augmenté proportionnellement à la cherté de la vie.

    Dans l’Europe Centrale, le prolétariat a, pendant la guerre, été voué à des privations toujours croissantes. Dans les pays continentaux de l’Entente, la chute du niveau d’existence fut moins brutale jusqu’à ces temps derniers. En Angleterre, le prolétariat arrêta, pendant la dernière période de la guerre, au moyen d’une lutte énergique, le processus d’aggravation des conditions de son existence.

    Aux Etats-Unis, la situation de quelques couches de la classe ouvrière s’est améliorée, quelques couches ont conservé leur ancienne situation ou ont subi un abaissement de leur niveau d’existence.

    La crise s’abattit sur le prolétariat du monde entier avec une force terrifiante. La réduction des salaires dépassa la baisse des prix. Le nombre des chômeurs et des demi-chômeurs devient énorme, sans précédent dans l’histoire du capitalisme.

    Les fréquents changements dans les conditions de l’existence personnelle influent très défavorablement sur le rendement du travail, mais ils excluent la possibilité d’établir l’équilibre des classes sur le terrain fondamental, c’est-à-dire sur celui de la production. L’incertitude des conditions d’existence, reflétant l’inconsistance générale des conditions économiques nationales et mondiales, constitue à présent le facteur le plus révolutionnaire.

    VII. PERSPECTIVES ET TÂCHES

    37. La guerre n’a pas déterminé immédiatement la révolution prolétarienne. La bourgeoisie note ce fait, avec une certaine apparence de raison, comme sa plus grande victoire.

    Il n’y a qu’un esprit borné petit-bourgeois qui puisse voir la faillite du programme de l’Internationale Communiste dans le fait que le prolétariat européen n’a pas renversé la bourgeoisie pendant la guerre ou immédiatement après. Le développement de l’Internationale Communiste dans la révolution prolétarienne n’implique pas la fixation dogmatique d’une date déterminée au calendrier de la révolution, ni l’obligation d’amener mécaniquement la révolution à la date fixée.

    La révolution était et reste une lutte de forces vivantes sur les bases historiques données. La destruction de l’équilibre capitaliste par la guerre à l’échelle mondiale a créé des conditions favorables pour les forces fondamentales de la révolution, pour le prolétariat. Tous les efforts de l’Internationale Communiste étaient et restent dirigés vers l’utilisation complète de cette situation.

    Les divergences entre l’Internationale Communiste et les social-démocrates des deux groupes ne consistent pas en ce que nous aurions déterminé une date fixe pour la révolution, alors que les social-démocrates nient la valeur de l’utopie et du « putschisme » (tentatives insurrectionnelles) ; ces divergences résident en ce que les social-démocrates réagissent contre le développement révolutionnaire effectif, en aidant de toutes leurs forces, au gouvernement aussi bien que dans l’opposition, au rétablissement de l’équilibre de l’Etat bourgeois, tandis que les communistes profitent de toutes les occasions, de tous les moyens et de toutes les méthodes pour renverser et écraser l’Etat bourgeois par la dictature du prolétariat.

    Au cours des deux années et demie écoulées depuis la guerre, le prolétariat des différents pays a manifesté tant d’énergie, tant de disposition à la lutte, tant d’esprit de sacrifice, qu’il aurait pu suffire largement à sa tâche et accomplir une révolution triomphante s’il s’était trouvé à la tête de la classe ouvrière un parti communiste réellement international, bien préparé et fortement centralisé.

    Mais diverses causes historiques et les influences du passé ont placé à la tête du prolétariat européen, pendant la guerre et depuis, l’organisation de la II° Internationale, qui est devenue et qui reste un instrument politique inappréciable aux mains de la bourgeoisie.

    38. En Allemagne, vers la fin de l’année 1918 et au commencement de 1919, le pouvoir appartenait en fait à la classe ouvrière. La social-démocratie – majoritaires et indépendants – les syndicats, firent agir toute leur influence traditionnelle et tout leur appareil pour remettre ce pouvoir entre les mains de la bourgeoisie.

    En Italie, le mouvement révolutionnaire impétueux du prolétariat a crû de plus en plus pendant les derniers dix-huit mois et seul le manque de caractère d’un parti socialiste petit-bourgeois, la politique de trahison de la fraction parlementaire, l’opportunisme lâche des organisations syndicales ont pu permettre à la bourgeoisie de rétablir son appareil, de mobiliser sa garde blanche, de passer à l’attaque contre le prolétariat momentanément découragé par la faillite de ses vieux organes dirigeants.

    Le puissant mouvement gréviste des dernières années en Angleterre s’est constamment brisé contre la force armée de l’Etat, qui intimidait les chefs des trade-unions. Si ces chefs étaient restés fidèles à la cause de la classe ouvrière, on aurait quand même pu, malgré tous ses défauts, faire servir aux combats révolutionnaires le mécanisme des trade-unions.

    Lors de la dernière crise de la « Triple Alliance » apparut la possibilité d’une collusion révolutionnaire avec la bourgeoisie, mais cette collision fut entravée par l’esprit conservateur, la poltronnerie et la traîtrise des chefs syndicaux ; si l’organisme des trade-unions anglais fournissait en ce moment, dans l’intérêt du socialisme, seulement la moitié du travail qu’il effectue dans l’intérêt du capital, le prolétariat anglais s’emparerait du pouvoir avec le minimum de sacrifices et pourrait s’atteler à la tâche de réorganisation systématique du pays.

    Ce que nous venons de dire s’applique dans une mesure plus ou moins grande à. tous les pays capitalistes.

    39. Il est absolument incontestable que la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le pouvoir manifeste à l’heure actuelle à l’échelle mondiale un certain fléchissement, un certain ralentissement. Mais, au fond des choses, il n’était pas permis de s’attendre à ce que l’offensive révolutionnaire d’après-guerre, dans la mesure où elle ne donna pas d’emblée la victoire, se développât suivant une ligue ininterrompue. Le développement politique a aussi ses cycles, ses hauts et ses bas. L’ennemi ne reste pas passif : il combat lui aussi.

    Si l’attaque du prolétariat n’est pas couronnée de succès, la bourgeoisie passe à la première occasion à la contre-attaque. La perte par le prolétariat de quelques positions conquises sans difficulté entraîne une certaine dépression dans ses rangs. Mais s’il reste incontestable qu’à l’époque où nous vivons, la courbe du développement capitaliste est, d’une façon générale, descendante avec des mouvements passagers de relèvement, la courbe de la révolution est montante avec quelques fléchissements.

    La restauration du capitalisme a pour condition sine qua non l’intensification de l’exploitation, la perte de millions de vies humaines, l’abaissement pour des millions d’êtres humains des conditions moyennes d’existence au-dessous du niveau minimum (Existenzminimum), l’insécurité perpétuelle du prolétariat, ce qui est un facteur constant de grève et de révolte. C’est sous la pression de ces causes et dans les combats qu’elles engendrent que croît la volonté des masses de renverser la société capitaliste.

    40. La tâche capitale du Parti Communiste dans la crise que nous traversons est de diriger les combat défensifs du prolétariat, de les élargir, de les approfondir, de les grouper et de les transformer – selon le processus du développement – en combats politiques pour le but final.

    Mais Si les événements se développent plus lentement et qu’une période de relèvement succède, dans un nombre plus ou moins grand de pays, à la crise économique actuelle, cela ne saurait en aucune manière être interprété comme l’avènement d’une époque d’« organisation ». Aussi longtemps que le capitalisme existera, les fluctuations du développement seront inévitables. Ces fluctuations accompagneront le capitalisme dans son agonie comme elles l’ont accompagné dans sa jeunesse et dans sa maturité.

    Au cas où le prolétariat serait repoussé par l’attaque du Capital dans la crise actuelle, il passera à l’offensive dès qu’il se manifestera quelque amélioration dans la situation.

    Son offensive économique qui, dans ce dernier cas, serait inévitablement menée sous les mots d’ordre de revanche contre toutes les mystifications du temps de guerre, contre tout le pillage et tous les outrages infligés pendant la crise, aura, pour cette même raison, la même tendance à se transformer en guerre civile ouverte que la lutte défensive actuelle.

    41. Que le mouvement révolutionnaire au cours de la prochaine période suive un cours plus animé ou plus ralenti, le parti communiste doit, dans les deux cas, devenir un parti d’action. il est à la tête des masses combattantes, il formule fermement et clairement des mots d’ordre de combat, il dénonce les mots d’ordre équivoques de la social-démocratie, basés toujours sur le compromis.

    Le parti communiste doit s’efforcer, au cours de toutes les alternatives du combat, de renforcer par des moyens d’organisation ses nouveaux points d’appui ; il doit former les masses aux manœuvres actives, les armer de nouvelles méthodes et de nouveaux procédés, basés sur le choc direct et ouvert avec les forces de l’ennemi.

    En profitant de chaque répit pour s’assimiler l’expérience de la phase précédente de la lutte, le parti communiste doit s’efforcer d’approfondir et d’élargir les conflits de classe et de les relier sur une échelle nationale et internationale dans l’idée du but et de l’action pratique, de façon qu’au sommet du prolétariat soient brisées toutes les résistances dans la voie de la dictature et de la Révolution sociale.

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    de l’Internationale Communiste

  • Convocation au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    À toutes les organisations prolétariennes appartenant à l’Internationale Communiste ou désirant y entrer

    Comité Exécutif de l’Internationale Communiste

    Le 3e Congrès universel de l’Internationale Communiste est convoqué à Moscou pour le 1er juin 1921. Nous avançons ce congrès de deux mois sur le terme prévu par le règlement de l’Internationale. Nous sommes convaincus que les Partis adhérant à l’internationale conviendront avec nous que l’intérêt de notre cause exige ce rapprochement de date.

    Au coure des neuf mois aujourd’hui écoulés depuis le 2e Congrès universel, une large discussion de principes s’est poursuivie dans plusieurs de nos Partis sur toutes les questions posées par le 2e Congrès. Dans plusieurs pays la différenciation a même atteint un degré tel que la rupture s’est enfin opérée entre les Communistes et les partisans du Centre.

    En Allemagne, en France, en Angleterre, en Suède, en Norvège, en Roumanie, en Yougoslavie, en Grèce, en Suisse, en Belgique et dans d’autres pays, la scission entre les communistes et les tenants de l’Internationale intermédiaire deux-et-demie est un fait accompli.

    Dans d’autres pays, comme la Tchécoslovaquie, cette scission sera l’œuvre de l’avenir le plus rapproché. En Italie les communistes ont constitué un Parti indépendant.

    De l’actuel Parti Socialiste, qui groupe des réformistes avérés et des révolutionnaires hésitants, se sépareront progressivement les éléments prolétarien et sains, qui adhéreront à l’Internationale Communiste. En Amérique, l’union de tous les groupements communistes s’opérera dans le plus bref délai.

    L’internationale doit tirer la conclution de tous ces événemetns qui se sont produits à l’intérieur de ces Partis. Le Comité Exécutif a dû prendre pendant cette période des résolutions de la plus haute gravité, il doit en rendre compte à toute l’internationale Communiste. Le 3e Congrès doit avant tout se convaincre que chacun des Partis affiliés a exécuté véritablement toutes les conditions posées par le 2e congrès.

    C’est toute une période de l’Internationale Communiste qui se termine. Jusqu’à son premier Congrès, l’Internationale était dans la phase préparatoire et embryonnaire. Entre le premier et le second, elle a passé par la phase première de propagande. Pendant tout ce temps elle n’était pas encore une organisation internationale possédant une forme précise. Elle n’était qu’un drapeau.

    La période qui s’est écoulée entre le second et le troisième Congrès est au contraires celle de la différenciation accusée entre les tendances et de la formation de véritables Partis Communistes. Le 3e Congrès fera la somme de tout ce travail et donnera à l’Internationale son organisation parfaite et sa tactique régulière.

    Le projet d’ordre du jour composé pour le 3e Congrès par le Comité Exécutif a été publie dans la presse. Le premier point est le rapport du Comité Exécutif. Pendant les neuf mois écoulés depuis le 2e Congrès, le Comité Exécutif a dû prendre la part la plus directe à la campagne et aux scissions qui se sont produites à l’intérieur des Partis. Il s’est élevé naturellement contre lui à ce sujet des protestations.

    Le 3e Congrès aura à dire si le Comité Exécutif a mis fidèlement en pratique la ligne de conduite fixée par le 2e Congrès, Mais l’Internationale Communiste en tout cas doit établir cette règle ferme et précise que le Comité Exécutif est entièrement subordonné au Congrès universel ; on peut en appeler de telle ou telle de ses décisions, mais dans l’intervalle entre les Congrès toute la plénitude de la direction lui appartient. Ses décisions doivent être exécutées.

    Sans cela l’existence même de l’Internationale Communiste, comme organisation mondiale centralisée et disciplinée, est impossible. Si l’internationale Communiste ne s’appelle pas en vain l’Internationale de l’action, elle doit avoir son État-major, elle doit être certaine qu’à l’égard de cet État-major la discipline sera observée non seulement en paroles, mais dans les actes.

    Le second point de l’ordre du jour est intitulé : « La crise économique universelle et les buts nouveaux de l’Internationale Communiste ».

    Les « théoriciens » de l’Internationale deux-et-demie, Otto Bauer, Hilferding, Kautsky et Cie, assurent que la bourgeoisie, après la fin de la guerre impérialiste, réussira aujourd’hui à restaurer l’équilibre économique et que l’Europe entre dans une ère de développement organique actif sur la base d’un système capitaliste « renouvelé » en vue de la production pacifique.

    De là les leaders de l’Internationale deux-et-demie sans parler des traîtres déclarés de la Seconde « Internationale », tirent certains avantages pratiques. Voilà de qui permet à tous ces Partis, comme par exemple les Indépendants d’Allemagne ou les Longuettistes de France, de passer cyniquement dans le camp de la contre-révolution avérée.

    Au 3e Congrès universel il appartiendra, en partant de l’appréciation exacte des faits, après l’analyse minutieuse de la crise économique avec toutes ses horreurs, chômage jusqu’à présent sans exemple et misère inouïe des masses, de faire apparaître aux travailleurs du monde entier toute la fausseté des illusions réformistes et toute la sottise des gens qui croient à l’avenir d’un capitalisme replâtré et prêchent au prolétariat international une tactique petite-bourgeoise de réformation pacifique.

    Le troisième et le quatrième points de l’ordre du jour concernent la tactique de l’Internationale Communiste pendant la période révolutionnaire et la période de transition (exigences partielles, actions partielles et enfin lutte révolutionnaire décisive).

    Dans la période de transition que nous traversons, il est fatal qu’il se produise, dans le mouvement révolutionnaire deux écarts. Si nous sommes à la veille de la Révolution, pourquoi donc émettre des exigences partielles, disent les uns ?

    Si nous pouvons émettre des exigences partielles, pourquoi donc répéterons-nous chaque fois tout le programme dans son ensemble, disent les autres ? Ne dissipons pas nos forces dans des manifestations partielles, accumulons-les pour la lutte finale et décisive, disent les premiers. Profitons de chaque occasion pour nous manifester, disent les seconds.

    Le 3e Congrès devra tirer les leçons de l’expérience concrète des camarades russes à la veille de la Révolution et de la lutte menée par les ouvriers allemands et les prolétaires des autres pays.

    Le 3e Congrès devra formuler exactement la ligne tactique des Partis Communistes, ligne également étrangère au sectarisme et à la recherche des succès éphémères, tendant également à établir la plus étroite liaison entre les Partis Communistes et les masses prolétariennes et à conserver l’intransigeance doctrinale et la fidélité à la théorie du marxisme révolutionnaire.

    Les articles 5 et 6 sont consacrés au mouvement professionnel international : la campagne contre l’Internationale jaune d’Amsterdam et le Soviet International des Syndicats Rouges. C’est une des questions les plus essentielles du 3e Congrès.

    La lutte s’engage de plus en plus vive dans le camp du mouvement professionnel. C’est elle qui décidera l’issue du débat entre la Seconde et la Troisième Internationale, c’est-à-dire entre la bourgeoisie et le prolétariat. Les syndicats groupent aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de prolétaires.

    La tactique des noyaux communistes à l’intérieur des syndicats, préconisée par le deuxième Congrès pour conquérir à l’Internationale Communiste tout le prolétariat, a fait ses preuves.

    Elle a obtenu de sérieux succès en Allemagne, en France, en Angleterre et ailleurs. Les premiers coups graves ont été portés à l’association jaune d’Amsterdam. Les leaders jaunes d’Amsterdam se débattent de tous les côtés, aujourd’hui ils sont prêts a faire des concessions, demain ils se mettront à exclure tous les partisans de l’Internationale Communiste.

    C’est un signe non douteux de leur prochaine faillite complète. Le troisième Congrès aura à marquer les résultats de la lutte contre Amsterdam et à systématiser cette lutte pour l’avenir.

    Mais la principale question qui se posera à lui sera de définir exactement les relations entre l’Internationale Communiste et le Soviet International des Syndicats Rouges : y aura-t-il deux organisations internationales parallèles sous la direction de l’Internationale Communiste, ou bien n’aurons-nous qu’une Internationale Communiste renfermant non seulement les Partis Communistes, mais encore d’une façon générale toutes les organisations prolétariennes se plaçant sur le terrain de l’Internationale Communiste et entre autres les syndicats Rouges ?

    Dans ce dernier et le Soviet International des Syndicats Rouges ne serait qu’une section de l’Internationale unique. On peut fournir beaucoup de raisons pour et contre chacune de ces solutions. De l’une ou de l’autre dépendra en grande partie la structure du mouvement ouvrier international. Toutes les organisations appartenant à l’Internationale Communiste doivent examiner attentivement cette question sous toutes ses faces et apporter leur décision nettement formulée au 3e Congrès.

    Les septième et huitième points de l’ordre du jour sont consacrés aux questions d’organisation : structure intérieure des Partis Communistes, méthodes et contenu de leur action, structure organique de l’Internationale Communiste et ses relations avec les Partis adhérents. Il y a à examiner ici deux groupes de questions.

    Le premier, c’est la façon dont doit être construit chaque Parti Communiste pris à part. C’est un fait notable qu’en Occident, même à l’intérieur des Partis Communistes, il n’existe pour ainsi dire pas d’organisation fonctionnant de façon permanente.

    C’est seulement au moment des élections ou dans des cas analogues que tous les membres du Parti agissent de façon combinée. Mais de noyaux communistes ayant une forme précise et fonctionnant régulièrement dans les usines, dans les mines, sur les chemins de fer, dans les villages, dans les syndicats ou dans les coopératives, le Parti n’en possède pas.

    Il n’y a pas non plus de subordination strictement déterminée de ces noyaux à un centre directeur unique. Il n’y a pas d’organisation illégale sérieuse capable de compléter l’organisation légale.

    Il est indispensable de mettre fin à cet état de choses, et c’est à quoi s’occupera le 3e Congrès. L’autre groupe de questions concerne les limites de l’autonomie dont chaque Parti jouira à l’égard du Comité Exécutif, c’est-à-dire l’agencement intérieur à donner à l’organisation prolétarienne internationale centralisée seule capable de diriger réellement la lutte internationale du prolétariat et les moyens à prendre pour perfectionner la liaison entre les divers Partis communistes ou bien entre eux pris dans leur ensemble et le Comité Exécutif.

    En d’autres termes sur quelles bases doit être construite l’organisation de l’Internationale Communiste pour être effectivement en état d’exécuter sa mission qui grandit de jour en jour ?

    Le neuvième point est consacré à une grave question. L’Internationale Communiste a remporté ses premières victoires parmi les peuples d’Orient.

    Le Congrès de Bakou a eu sans aucun doute une énorme importance historique. Celui se prépare pour les peuples d Extrême-Orient jouera également son rôle. Le troisième Congrès aura à traiter la question d’Orient non plus seulement d’un point de vue théorique comme le deuxième Congrès mais du point de vue pratique.

    Sans révolution en Orient, il n y a pas de victoire possible pour la révolution prolétarienne universelle. Voilà l’idée dont doit se pénétrer tout prolétaire communiste.

    C’est seulement alors que les ouvriers communistes seront suffisamment armés moralement contre « l’opportunisme européen » des Hilferding et autres héros de l’Internationale deux-et-demie qui ont toujours en réserve un sourire de mépris à l’adresse des peuples opprimés de l’Orient.

    Il faut accorder une immense importance au dixième point de l’ordre du jour concernant le Parti Socialiste d’Italie. Ce Parti appartenait précédemment à l’Internationale Communiste. Sous l’influence de la propagande centriste menée par Serrati, son Congrès de Livourne a refusé de mettre en pratique les vingt et une conditions élaborées par le 2e Congrès à l’usage de tous les Partis.

    Le groupe de Serrati, ayant rassemblé la majorité au Congrès, a voulu imposer à l’Internationale Communiste des agents avérés du capital comme les vieux réformistes connus de tous : Turati, Modigliani, d’Aragona, Treves et Cie – les Dittmann, les Bernstein et les Longuet d’Italie.

    En faveur de ces réformistes qui disposaient au Congrès de 14 000 voix, les chefs du centre italien, Serrati en tête, ont rompu avec 50 000 prolétaires communistes. Serrati a trahi les décisions prises au deuxième Congrès.

    A Livourne la victoire morale sur le centre a été remportée en réalité par les réformistes et Turati. Les ouvriers communistes ont constitué un Parti Communiste indépendant.

    Dans ces conditions le Comité Exécutif a estimé de son devoir de reconnaître comme unique section de l’Internationale Communiste en Italie le jeune Parti Communiste Italien et d’exclure de l’Internationale le Parti de Serrati qui a renié par ce fait les décisions du deuxième Congrès. Le Parti Socialiste d’Italie a fait appel contre cette décision devant le prochain Congrès. Son droit à faire appel est indubitable, comme pour tout Parti. Le Comité Exécutif est prêt à remettre le différend à la décision du 3e Congrès.

    Connaissant les us et coutumes des leaders centristes, qui aiment éviter de répondre nettement aux questions difficiles, le Comité Exécutif, dans une lettre spéciale au Comité Central du Parti Socialiste d’Italie a déclaré : 1° Nous vous invitons au 3e Congrès, mais nous demandons que vos délégués aient tous les pouvoirs nécessaires pour donner des réponses définitives à ce Congrès ; 2° Nous demandons que vous répondiez clairement et exactement si vous êtes d’accord oui ou non pour exclure du Parti de l’Internationale les groupes de Turati, Treves et Cie, car tel est l’unique différend.

    La question italienne a acquis une importance internationale. En Allemagne le groupe de Levi, qui depuis longtemps déjà tentait de constituer une sorte d’aile droite de l’Internationale Communiste, a saisi l’occasion, prétendant que le Comité Exécutif avait commis dans cette question des erreurs de tactique, préconisé les scissions « mécaniques », et autres prétextes du même genre.

    Le 3e Congrès fera toute la clarté, sur cette question, relèvera à sa hauteur de principe, débarrassera le différend de tous les éléments mesquins et accidentels, afin de montrer à tous que quiconque ne met pas en pratique les vingt et une conditions ne saurait être membre de la 3e Internationale.

    L’ordre du jour comporte encore la question du K. A. P. D. Ce Parti devra dire définitivement s’il se soumet oui ou non à la discipline internationale.

    Ensuite viendront les questions concernant le mouvement féminin, le mouvement des jeunesses, etc…

    Enfin le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a décidé de mettre sous une forme ou sous une autre à l’ordre du jour du 3e Congrès le problème d’une importance essentielle de la politique économique et de la situation générale de la République soviétiste, la première république dans laquelle le pouvoir ait été conquis par le prolétariat.

    Nous demandons à tous les Partis et organisations appartenant à l’Internationale Communiste ou désirant y entrer d’ouvrir immédiatement dans la presse et dans les réunions la plus large discussion sur les questions à l’ordre du jour du 3e Congrès. Nous leur demandons ensuite d’aborder immédiatement les élections à ce Congrès.

    Le Comité Exécutif a décidé à l’unanimité d’inviter tous les Partis : 1° A envoyer des délégations les plus nombreuses possibles ; 2° A faire en sorte qu’un tiers des délégués soit choisi dans le Comité Central du Parti et les deux autres tiers parmi les membres des plus importantes organisations locales les plus liées avec les masses ouvrières.

    Nous accordons une particulière importance à ce dernier point. Il faut qu’il y ait au 3e Congrès le plus grand nombre possible d’ouvriers reflétant immédiatement l’état d’esprit des masses prolétariennes.

    La préparation du Congrès n’a pas moins d’importance que le Congrès lui-même. Les décisions du troisième Congrès doivent avoir été préparées et réfléchies par les ouvriers de chaque pays au cours de dizaines et de centaines de réunions. À l’œuvre, car il nous reste peu de temps devant nous !

    Le Président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste : G. ZINOVIEV.

    Les membres du Comité Exécutif :

    Pour la Russie : Lénine, Trotsky, Boukharine, Radek ;

    Pour la Finlande : Kuussinen, Manner, Rania ;

    Pour la Norvège : Freiss ;

    Pour la France : Rosmer ;

    Pour l’Autriche : Steinhardt ;

    Pour l’Angleterre : Quelch, Bell ;

    Pour la Hollande : Janssen ;

    Pour la Hongrie : Bela Kun, Rudnianszky ;

    Pour la Géorgie : Varga, Tskhakaia ;

    Pour la Lettonie : Stoutchka ;

    Pour la Pologne : Valetsky

    Pour la Suisse : Itchner ;

    Pour la Bulgarie : Dimitrov, Popov, Chabline ;

    Pour la Perse : Sultanzade ;

    Pour l’Internationale de la Jeunesse : Chatskine.

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  • La question syndicale au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Au moment du troisième congrès de l’Internationale Communiste, une Internationale Syndicale Rouge est en train de se mettre en place et doit dans la foulée tenir son premier congrès. Elle a face à elle une internationale syndicale basée à Amsterdam et rassemblant tous les réformistes.

    Le symbole de l’Internationale Syndicale Rouge

    Grigori Zinoviev fait un long rapport de la question syndicale et dresse le portrait de trois courants auxquels il faut faire face :

    a) les réformistes, dont le Français Léon Jouhaux est une figure tutélaire ;

    b) le syndicalisme qu’on retrouve surtout en Suède et en Allemagne, faibles numériquement mais qui veulent aller dans le sens de l’Internationale Communiste, tout en ayant une ligne somme toute réformiste ;

    c) les syndicalistes révolutionnaires tenant de la charte d’Amiens, qui prône le « neutralisme » politique dans l’activité syndicale.

    Grigori Zinoviev dit au sujet de ce dernier courant notamment que :

    « On pouvait comprendre la Charte d’Amiens en 1906. On pouvait comprendre comment elle a émergé. Mais on ne peut vraiment que regretter qu’on vienne avec cela en 1921, 15 ans après, après la guerre, après la naissance de l’Internationale Communiste, après la révolution russe, après les luttes des syndicats russes qui ont joué un rôle si important dans notre révolution.

    Si on prend un ouvrier syndicaliste-révolutionnaire commun, il se sentirait insulté de mes explications comme quoi il est objectivement prisonnier de la bourgeoisie. C’est pourtant un fait. »

    La ligne des communistes russes était claire et dans le même esprit que lors du deuxième congrès : puisqu’il y avait un afflux dans les syndicats depuis 1918, ceux-ci avaient une nature de masse et il fallait donc y travailler.

    Mais le débat quant à la question syndicale fut à la fois long et prévisible, car il s’affrontait d’un côté les partisans du syndicalisme révolutionnaire avec comme représentant les IWW des États-Unis, et de l’autre la conception des communistes russes, finalement aisément accepter par tous, du moins en apparence.

    La résolution sur le rapport de l’Internationale Communiste et l’Internationale Syndicale Rouge se constituant montre bien la hiérarchie politique choisie :

    « Toute lutte économique est une lutte politique, c’est-à-dire une lutte menée par toute une classe. Dans ces conditions, Si considérables que soient les couches ouvrières embrassées par la lutte, celle-ci ne peut être réellement révolutionnaire, elle ne peut être réalisée avec le maximum d’utilité pour la classe ouvrière dans son ensemble que si les syndicats révolutionnaires marchent la main dans la main, en union et en collaboration étroite, avec le Parti Communiste du pays.

    La théorie et la pratique de la division de l’action de la classe ouvrière en deux moitiés autonomes est très pernicieuse, surtout dans le moment révolutionnaire actuel. Chaque action demande un maximum de concentration des forces, qui n’est possible qu’à la condition de la plus haute tension de toute l’énergie révolutionnaire de la classe ouvrière, c’est-à-dire de tous ses éléments communistes et révolutionnaires.

    Des actions isolées du Parti Communiste et des syndicats révolutionnaires de classe sont d’avance vouées à l’insuccès et à la débâcle. C’est pourquoi l’unité d’action, une liaison organique entre les Partis Communistes et les syndicats ouvriers, constituent la condition préalable du succès dans la lutte contre le capitalisme. »

    Désormais, la question de l’orientation à suivre dans le travail syndical allait devenir l’une des grandes actualités de l’Internationale Communiste et de son Exécutif.

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  • La question du Parti Socialiste Italien au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    A l’opposé d’une déviation gauchiste comme en Allemagne, le Comité Exécutif avait affaire en Italie à un positionnement centriste, avec Giacinto Menotti Serrati, dont les maximalistes n’ont pas voulu aller à la rupture au congrès de Livourne de janvier 1921 du Parti Socialiste italien, déjà membre de l’Internationale Communiste.

    Les votes donnèrent alors 98 028 aux maximalistes se présentant comme unitaires, 58 783 aux communistes et 14 695 aux réformistes de Filippo Turati qui était la hantise du Comité Exécutif. Les communistes partirent du congrès pour fonder dans un théâtre le Parti Communiste d’Italie.

    Il y avait là un énorme ratage, car le Parti Socialiste Italien était déjà membre de l’Internationale Communiste. Il avait un haut niveau, mais voulait procéder par étapes pour isoler son aile droite. Dans cette perspective, Giacinto Menotti Serrati désirait également que le Parti prenne le nom de Parti Socialiste-Communiste.

    Une place très importante du congrès fut par conséquent accordée à cette situation, avec une dénonciation acerbe de Giacinto Menotti Serrati pour son refus d’assumer la rupture avec les réformistes.

    Giacinto Menotti Serrati

    Ce qui posait encore plus souci, c’est que celui-ci était en fait d’accord sur le principe, mais considérait que c’était trop tôt. Les « maximalistes » du PSI se voyaient d’accord sur tout avec l’Internationale Communiste ; ils considéraient simplement que les modalités du processus d’exclusion de l’aile droite devaient prendre une tournure plus complexe, plus lente.

    Les délégués du PSI présents au troisième congrès cherchèrent à expliquer leur situation et leur souci d’aller dans le sens d’une large unification pour avancer, leur soumission aux 21 conditions, etc., tout en soulignant l’importance du mouvement d’isolement de l’aile droite.

    Dans une lettre d’explication faite pendant le congrès, les délégués soulignèrent notamment le fait suivant :

    « On ne doit pas oublier que dans les masses, qui n’ont pas de compréhension des discussions théoriques, les représentants de l’aile droite du PSI sont populaires.

    Ils se sont opposés à la guerre [mondiale], ils étaient déjà représentés à [la conférence anti-guerre de] Zimmerwald, ils appartiennent à l’Internationale Communiste.

    Ils ont défendu de manière enthousiaste la révolution russe, ils ont approuvé la remise des entreprises aux ouvriers [lors de la vague révolutionnaire italienne]. Il est vrai qu’ils n’ont pas approuvé l’élargissement de ce mouvement, mais c’était une position qu’on retrouvait chez beaucoup de socialistes.

    Ils ont pris dans les syndicats des postes à responsabilité et jouissent de la totale confiance des électeurs. Ce n’est pas une petite chose que de les remplacer.

    Les « communistes purs » qui se sont crus assez forts pour prendre l’entière direction du mouvement politique et syndical n’ont fait pour l’instant que des promesses, sur le terrain politique et économique ils ont été amenés soit à ne rien faire, soit à se précipiter dans des aventures désastreuses. »

    Cette position resta incompréhensible pour le congrès, qui rejeta unanimement le PSI. Les trois délégués du PSI présents firent un communiqué regrettant cette décision, considérant qu’il y avait une incompréhension de la situation italienne, mais soulignant l’importance de rejoindre l’Internationale Communiste.

    De fait, à son 19e congrès en janvier 1922, le PSI expulsa les réformistes et Filipo Turati, finissant par rejoindre l’Internationale Communiste.

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  • La question du KAPD au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    La question du Parti de masses était à l’arrière-plan de l’acceptation du KAPD comme observateur au troisième congrès, ou plus précisément comme organisation « sympathisante ». Le Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne avait déjà saboté sa participation au deuxième congrès, mais le Comité Exécutif considérait que toute organisation un tant soit peu active et volontaire méritait qu’on s’y attarde pour chercher à ce qu’elle rejoigne le Parti Communiste, afin de contribuer à atteindre la dimension d’un Parti de masse.

    Cela n’était pas du tout apprécié du KPD qui voyaient là une perte du temps avec des gauchistes et les délégués du KAPD ne cessèrent d’ailleurs de réagir alors du congrès comme de vraies caricatures sur ce point, allant régulièrement à l’affrontement, dénonçant tout le monde sauf les gauchistes comme eux, etc.

    Le programme du KAPD en 1920

    C’est que le KAPD est la principale organisation gauchiste de la période. Il rejette la primauté du Parti et a une démarche « conseilliste » : l’avant-garde n’est là que pour préparer le terrain à la prise du pouvoir à court terme par les conseils. Il est à ce titre totalement anti-parlementaire, anti-syndical, contre le rôle avant-gardiste du Parti, contre la notion de démocratie en général, considérée comme par définition bourgeoise.

    On a ici une approche « conseilliste » qui sera définie par la suite également comme gauche « germano-hollandaise », les principaux théoriciens gauchistes du KAPD étant alors en fait néerlandais : Anton Pannekoek et Herman Gorter.

    Voici une intervention de Max Hempel (en fait Jan Appel) au nom du KAPD lors du troisième congrès de l’Internationale Communiste, reflétant bien sa démarche urgentiste n’hésitant pas à aller au conflit, y compris avec Lénine :

    « Il manque aux camarades russes une compréhension des choses telles qu’elles se passent en Europe occidentale. Les camarades russes comptent avec une population telle que celle qu’ils ont en Russie.

    Les russes ont vécu une longue domination tsariste, ils sont durs et solides, tandis que chez nous le prolétariat est pénétré par le parlementarisme et en est complètement infesté.

    En Europe il s’agit de faire quelque chose d’autre. Il s’agit de barrer la route à l’opportunisme (cris: théorie Scheidemannienne)… Absurdité ! ce n’est pas une théorie Scheidemanienne ! Depuis quand Scheidemann veut-il barrer la route à l’opportunisme ?

    Il s’agit [pour lui] de barrer [la route] aux combattants prolétariens, aux partis communistes, qui doivent lutter en première ligne, l’échappatoire de l’opportunisme, et l’opportunisme chez nous, c’est l’utilisation des institutions bourgeoises dans le domaine économique; même chose pour la tentative d’utiliser les coopératives de consommation comme moyen de lutte pour aider la Russie, non avec des moyens révolutionnaires, mais avec les moyens du capitalisme, dans la mesure où le prolétariat en dispose.

    Oui, camarades, qu’est-ce que cela signifie ? On agit sur le prolétariat international ? Quand vous proposez à vos coopératives de consommation d’entrer en relations commerciales avec la Russie, faites-vous alors quelque chose pour la Russie ? Non, rien.

    Les coopératives de consommation doivent, exactement comme tut autre entrepreneur, compter en capitaux. Avec elles ça reviendra même plus cher. Cela détournera du droit chemin. C’est le point central.

    La 3ème Internationale doit veiller à ce que la Russie ne soit pas soutenue de l’extérieur par des moyens capitalistes, mais par le prolétariat, avec des moyens révolutionnaires. Là est le point central.

    Et cela ne se produira pas en adoptant la tactique que se donne la 3ème Internationale. Nous réclamons une ligne plus dure. (Hilarité).

    Les camarades peuvent bien rire. Le camarade Lénine rit aussi, nous ne pouvons pas dire mieux. Telle est notre honnête conviction. (Interruption: le camarade Boukharine dira pourquoi nous rions).

    Chacun peut rire. Je veux encore une fois indiquer ce point qu’en Allemagne, dans tous les pays du monde, à la suite du développement prolongé de la démocratie, démocratie qui n’est pas révolutionnaire, la classe ouvrière et avec elle le grand parti communiste de masse, dans lequel se trouvent beaucoup d’éléments opportunistes, va prendre sans autre façon la voie qui consiste à ne pas utiliser le moyen difficile, et il va utiliser pour aider la Russie le parlementarisme, les syndicats et autres moyens. Mais cela n’est pas une aide; c’est une déviation de la lutte. »

    Les conflits furent récurrents lors du troisième congrès. Il y eut notamment une salutation à Max Hölz de la part du congrès, ainsi qu’une petite réunion de soutien. Ce militant allemand venait d’être condamné à la prison à vie en Allemagne pour des actions armées. Or, le KAPD rua dans les brancards, car c’était l’un de ses membres. Le KAPD voyait donc une tentative de récupération de la part de l’Internationale Communiste… Qu’elle était censée pourtant vouloir rejoindre.

    A cela s’ajoute que pour l’Internationale Communiste Max Hölz est simplement un « rebelle contre la société capitaliste », tandis que pour le KAPD il était un activiste armé assumant l’actualité de la guerre civile, de manière volontariste.

    Cette situation était considérée comme délirante par le Comité Exécutif et Karl Radek résume bien sa position en disant :

    « Nous allons demander aujourd’hui aux éléments italiens oscillant : avec qui voulez-vous aller, avec l’Internationale Communiste ou bien les réformistes ? Et nous posons en même temps la question aux ouvriers du KAPD : avec qui voulez-vous aller, avec quelques revues mal écrites d’une prétendue école hollandaise et la petite poignée qui portent ces idées, ou bien avec les millions de prolétaires qui sont derrière l’Internationale Communiste et qui règlent leurs luttes communes telle une armée, qui mènent la lutte contre le capitalisme.

    Camarades, nous ne renonçons pas aisément au moindre groupe de travailleurs conscients, de travailleurs voulant lutter. »

    Les délégués du KAPD refusèrent même de prendre la parole le jour du congrès où un représentant du KAPD et un du KPD devaient prendre la parole pendant une demi-heure, pour clore le débat. La position du Comité Exécutif fut acceptée alors à l’unanimité moins les deux délégués mexicains. Le KAPD devait capituler ou rester étranger à l’Internationale Communiste.

    De fait, s’il avait 80 000 adhérents environ en 1920, il n’en avait déjà plus que la moitié en 1921. Il fonda en 1922 une Internationale Communiste Ouvrière qui provoqua une scission, alors qu’une partie était déjà allée dans une dynamique syndicaliste-révolutionnaire autour d’Otto Rühle (AAUE).

    Le « conseillisme » dans sa version allemande disparut alors pratiquement de la scène, une partie significative de ses cadres rejoignant les socialistes puis, après 1945, même les institutions de l’Allemagne de l’Ouest.

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  • Crise générale, parti de masse et révolution mondiale au dossier sur le troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Les sensibilités des délégués au troisième congrès de l’Internationale Communiste étaient à la fois différentes et à fleur de peau. Les cadres du KPD étaient outrés que le KAPD soit invité, alors que les militants de cette organisation gauchiste étaient justement en train de les rejoindre, un flot tari par l’invitation.

    Les tenants du gauchisme tiraient d’ailleurs à boulets rouges sur le Comité Exécutif et prônaient une ligne « dure », amenant les débats à se perdre dans des récriminations, des reproches, des querelles de détails, etc.

    Le fait que le Parti Communiste d’Italie soit né dans une rupture non organisée passait également pour certains pour quelque chose de forcé, alors que cela aurait pu être anticipé ou mené différemment.

    Une partie de la direction du KPD notamment prit cela comme prétexte, devint l’ennemi de l’Internationale Communiste et fut exclue. Paul Levi en faisait partie, il avait été le quatrième dirigeant du KPD (après Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, suivi de Leo Jogiches, tous les trois assassinés) mais avait notamment dénoncé la révolte armée de mars 1921 dans une optique de droite l’amenant finalement à rejoindre les socialistes.

    A ce panorama s’ajoute que des délégués d’un même pays ne sont pas nécessairement sur la même ligne, ce qui provoque là-aussi des conflits ajoutant à la confusion. Les uns reprochent au Comité Exécutif de chercher indirectement à rétrécir les partis de chaque pays à des sectes en les mettant trop sous pression, d’autres au contraire qu’il faut aller plus loin, etc.

    Affiche allemande appelant à voter pour le KPD en 1920, afin de démolir le parlement

    A l’arrière-plan, mais sans qu’au congrès on en soit conscient en tant que tel, il y a toute la problématique de savoir comment faire pour avoir un Parti Communiste de masse, tout en conservant une vraie qualité sur le plan des cadres. L’Internationale Communiste ne parviendra jamais à concrètement résoudre ce qui lui apparaît comme un dilemme, seuls les communistes chinois, au moyen de la pensée guide, sortiront de ce problème fondamental dans la construction et l’identité des partis communistes à la suite de la révolution d’Octobre 1917.

    Affiche allemande du KAPD appelant à boycotter les élections,
    à refuser le parlementarisme, à soutenir l’action directe
    pour le pouvoir aux conseils

    Cependant, lors du troisième congrès, il n’y a encore aucun recul par rapport à tout cela. On est dans l’urgence et la considération du Parti de masse va de pair avec la question de la crise à venir. Il faut faire vite, car la vague de la révolution mondiale n’est pas terminée, elle va connaître une nouvelle phase.

    Voici comment Karl Radek, qui présente la question de la tactique pour le Comité Exécutif au congrès, résume le sens de l’exposé initial et de l’évaluation de la situation :

    « L’Internationale Communiste doit se fonder sur l’analyse concrète de l’époque dans la définition de sa tactique.

    C’est pourquoi nous avons essayé, avec l’exposé au début du congrès du camarade Trotsky [et en fait de Varga] de donner une présentation la plus objective possible des forces agissantes en ce moment, une présentation qui permette de dire si la révolution mondiale se trouve de manière générale en phase ascendante ou descendante.

    Car il est tout à fait clair que l’Internationale Communiste existerait et agirait également dans le cas d’une défaite de la révolution mondiale.

    Dans le cas d’un long répit pour la société capitaliste, elle a d’autres tâches que dans une situation que nous voyons en général comme la tendance à la phase ascendante de la révolution.

    Elle n’aurait pas alors comme tâche d’organiser directement les prolétaires pour toutes les possibilités de la guerre civile. Elle aurait en premier lieu comme devoir l’organisation et l’agitation, la formation d’une armée pour les batailles à venir.

    Maintenant, camarades, l’exposé du camarade Trotsky a montré que nous sommes d’avis qu’il n’y a pas pour l’instant de forces apparentes nous amenant à considérer que le développement de la révolution mondiale serait interrompu par les forces en construction et en consolidation du capitalisme.

    Dans l’exposé de Trotsky et dans la discussion [qui s’en est suivie], il a été indiqué que lorsque nous prenons la ligne, le cours vers la révolution mondiale, cela ne signifie aucunement que de manière doctrinaire nous nous fermions à la possibilité qu’il puisse y avoir des intervalles, que la crise de l’économie mondiale puisse connaître une amélioration passagère.

    Mais comme ligne fondamentale, comme cours général, ce que nous prenons s’appuie sur le fait constaté que les forces de la révolution mondiale continuent de s’étendre et nous ne sommes pas devant un déclin de la révolution mondiale, mais nous sommes devant le rassemblement des forces révolutionnaires pour de nouvelles luttes. »

    Il n’est pas possible de comprendre le sens des débats et la nature des conflits sans saisir ce sens profond de l’urgence. Il y avait trois sensibilités prédominantes : les gauchistes voulant une avant-garde « pure » et directement combative, les centristes désireux de gagner au maximum une forte base avant d’assumer la bataille révolutionnaire, les communistes russes exigeant un Parti de masse mais ayant rompu clairement avec les réformistes.

    Cela se cristallise au troisième congrès avec les questions allemande (le KAPD gauchiste) et italienne (le Parti Socialiste Italien centriste).

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  • La question du rythme de la crise générale du capitalisme au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    La question qui se pose au troisième congrès de l’Internationale Communiste, c’est celle de savoir dans quelle mesure il y a un temps mort ou pas. Faut-il continuer à pousser et aller dans le sens de l’offensive, ou faut-il temporiser pour la prochaine initiative générale ?

    Il existe ainsi un profond décalage entre les communistes russes et les autres. Pour les premiers, la crise générale du capitalisme est telle qu’une tentative pour celui-ci de s’en sortir par la guerre est inévitable. La grande présentation de Trotsky de la situation économique de chaque pays – à partir des travaux d’Eugen Varga qui lui-même publiait des documents à ce sujet, notamment avant le congrès – rentre dans ce cadre.

    Délégués au 3e congrès de l’Internationale Communiste, en 1921. Tout à droite : la russe Alexandra Kollontaï. A sa gauche, Clara Zetkine.

    Pour les communistes russes, le tempo de la crise économique est le tempo de la crise révolutionnaire et le rapport à la guerre impérialiste la clef de tout.

    Les communistes des pays occidentaux ne saisissent pas cette question. Ayant rompu avec la social-démocratie qui a été chauvine, pro-guerre, ils font de la question des contradictions inter-impérialistes un lointain arrière-plan. Pour eux, l’insurrection réside dans l’affirmation politique, pratiquement de manière volontariste.

    Il y a donc incompréhension des préoccupations russes pour évaluer l’évolution économique. Le Polonais Ernest Brand (pseudonyme de Henryk Lauer) affirma qu’on était sur la défensive, qu’il pouvait y avoir des défaites, mais que la déroute du capitalisme était totale. Il ne s’agissait donc pas de prophétiser tous les aspects d’une crise arrivant rapidement à son terme :

    « Nous menons en ce moment une lutte défensive. Nous pouvons encore connaître des défaites dans cette lutte, mais il ne peut aucunement être parlé d’une prospérité du capitalisme. Il ne peut être parlé que d’une putréfaction du capitalisme et c’est de cette putréfaction qu’il faut faire sortir les travailleurs.

    Nous n’avons pas comme tâches de prophétiser les détails du développement, nous avons comme tâche d’intervenir dans le cours du développement. »

    Le Hongrois József Pogány allait dans le même sens. Pour lui la crise économique renforçait la résistance ouvrière et le refus de satisfaire les exigences de la bourgeoisie, qui militarisait par conséquent sa répression face aux revendications. C’est de là qu’il fallait partir pour aller à l’affrontement : la période était à la guerre civile. Il formula notamment la chose ainsi :

    « Nos leitmotivs devraient être : non pas prospérité et nouvelle guerre mondiale, mais nouvelles guerres civiles et crises. »

    Les représentants du KAPD Emil Sachs (« Erdmann ») et Bernard Reichenbach (« Seemann ») considéraient que la bourgeoisie avait conscience de la crise capitaliste et était en mesure de prendre des décisions pour chercher à l’éviter. Ils voyaient en les conseils d’entreprise un exemple d’une telle manœuvre de la bourgeoisie, tout comme ils professaient les mêmes thèses que les sociaux-démocrates sur le capitalisme censé être désormais organisé. « Seemann » dit ainsi :

    « Le capitalisme a compris que toutes les limitations nationales, tous les chauvinismes et impérialismes nationaux, qui lui sont pour ainsi dire innées, doivent être fait reculés pour le moment, qu’il faut combattre l’ennemi de manière déterminée, et que l’ennemi, c’est justement le prolétariat, dont les communistes sont la partie active la plus avancée du prolétariat (…).

    Les choses sont tellement avancées qu’objectivement et subjectivement, le capitaliste français et le capitaliste anglais ont intérêt à ce que réussisse la construction capitaliste de l’Allemagne. Lorsqu’on a 30 ou 25 % de parts dans une entreprise, alors on a intérêt à ce que cette affaire se mette sur pied. »

    L’Allemand August Thalheimer du KPD expliqua qu’il considérait que si avant on raisonnait trop en jours, on raisonnait désormais trop en années ; les choses iraient tout de même rapidement. Wilhelm Koenen du KPD également affirma pareillement que les thèses ne devaient pas se concentrer sur la guerre impérialiste de 1923-1924 mais sur les conflits en 1921.

    Léon Trotsky répondit longuement, et notamment de la manière suivante:

    « Je dis encore dans mon exposé et nous disons dans nos thèses avec le camarade Varga : si dans deux ou trois mois ou dans six mois il y a une amélioration de la situation, alors on peut naturellement dire cela [= la lutte défensive sur le terrain économique], à condition qu’entre-temps la révolution ne fasse pas irruption.

    Si elle fait irruption, alors ensemble avec le camarade Pogány, nous ne nous y opposerons pas, nous y participerons de toutes nos forces.

    Mais posons-nous la question : que se passera-t-il, si cela n’arrive pas, camarade Pogány ? Si au lieu de la révolution c’est une amélioration de la situation économique qui se déroule ?

    Le camarade Varga a en effet dans sa brochure noté certains symptômes de cette amélioration. Et même dans le cas où il ne peut pas être parlé d’amélioration, on doit dans tous les cas constater que le tempo de l’aggravation s’est ralenti. C’est certain (…).

    Cela ne dépend pas de moi, ni du camarade Pogány, ni des résolutions du congrès. »

    Le Suisse Erwin Schaffner résuma de la manière suivante la question en jeu à l’arrière-plan :

    « Camarades, je rejoins les propos que vient de tenir le camarade Frölich [comme quoi il faut une discussion sur la tactique à suivre selon l’interprétation du rythme de la crise actuelle]. Car il y a un point qui s’est vraiment montré prétexte à des divergences d’opinion, et c’est le point 39, où il est dit :

    « Le prolétariat, amené à reculer au cours de la crise actuelle suite à l’assaut du capital, va tout de suite passer à l’offensive à l’entrée d’une meilleur conjoncture. »

    (…) Je propose que prenions les lignes directrices mais que le congrès traite des thèses présentées par la commission [du congrès sur la situation économique mondiale] – cela sera une affaire de courte durée pour le congrès.

    Car les thèses ne peuvent pas se présenter au monde comme l’œuvre des camarades Trotsky et Varga et de la commission, mais comme œuvre de la IIIe Internationale. »

    Karl Radek exprima bien le sentiment des communistes russes :

    « Le camarade Fröhlich et d’autres camarades ont fait partie de la commission. Ils n’y ont pas exprimé de présentation fondamentale de la situation qui soit différente (…).

    J’entends une proposition : nous ne prenons pas les thèses comme principe, mais comme base, car il n’y a pas encore d’autres thèses. Ou alors vous avez d’autres thèses, ou bien vous ne les avez pas. Il n’y a pas de troisième solution. Je demande pour cette raison que le vote soit effectué.

    Le camarade Schaffner dit : oui, il y a eu une différence principale entre Trotsky et Pogány. Trotsky dit [au nom des communistes russes] : quand la prospérité arrive, les ouvriers passent à l’attaque ; Pogány défend l’autre point de vue : ils peuvent déjà attaquer.

    Il a été demandé à Trotsky de la part du congrès de travailler à un Manifeste, il a accepté. Camarades, il faut prendre les choses plus sérieusement lors d’un congrès international. »

    Le vote se déroula donc tout de même, le Bulgare Vasil Kolarov s’occupant de le gérer :

    « Suit maintenant le vote sur la proposition du camarade Radek comme quoi passent à la commission les thèses des camarades Trotsky et Varga, avec lesquelles le congrès est principiellement en accord. Qui est en faveur de cela lève sa carte [des cartes sont levées].

    Je constate que la majorité est pour cette proposition [appels à un contre-vote]. Je demande le contre-vote. Qui est contre lève sa carte [des cartes sont levées]. Minorité. »

    La question était réglée pour l’Internationale Communiste. Mais cette résolution par en haut du problème ne supprimait pas les vastes différences de sensibilité à la base, la problématique essentielle étant celle du rapport entre le Parti, les masses et la révolution mondiale, avec l’évaluation à l’arrière-plan de la crise générale du capitalisme.

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  • Gravité et pesanteur au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Le congrès s’ouvre sur un rappel par Zinoviev des communistes décédés dans la lutte l’année passée, une marche funèbre étant même joué à la fin de son propos. Il y mentionna notamment les Français Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat qui sont décédés sur le chemin du retour du deuxième congrès. Venus clandestinement en raison du refus du gouvernement français de leur fournir des passeports, ils furent obligés de prendre un bateau qui fit toutefois naufrage.

    Cependant, il y a en plus des milliers de tués dans les affrontements avec la réaction, également des milliers d’emprisonnés, notamment en Allemagne, aux États-Unis, en Finlande, en Hongrie, en Bulgarie. Grigori Zinoviev explique pour cette raison dès le départ que :

    « Cette année n’a pas été simple dans l’histoire de l’Internationale Communiste. »

    En sachant qu’on en est seulement au troisième congrès, c’est un semi-aveu d’échec, même s’il est toujours considéré que la victoire complète se produirait à court terme. Les expériences ont été très douloureuses.

    Le vaste mouvement ouvrier italien, avec occupation d’usines et qui dura deux semaines, avec la mise en place de milices armées, n’a pas abouti. Le soulèvement d’un million d’ouvriers tchécoslovaques s’est très rapidement enlisé et a échoué. Le soulèvement en Allemagne a pareillement mobilisé des centaines de milliers d’ouvriers, mais pour arriver au même résultat.

    Occupation d’usine en Italie en 1920

    On rentre en fait dans le dur et l’atmosphère du congrès est marquée par de la gravité, un sens de l’urgence, et une très grande pesanteur ressentie de tous les côtés en raison du travail d’organisation et de réorganisation à mener.

    C’est que les résultats positifs obtenus amènent avec eux d’autant plus de travail. En Italie, un Parti Communiste a été fondé. Cependant, Giacinto Menotti Serrati n’a pas suivi, considérant que c’était trop tôt ; il est resté dans le Parti Socialiste Italien et avec lui une large partie du mouvement. Le PCI naît donc sans l’élan profond qu’il aurait pu avoir. Grigori Zinoviev tiendra des propos acerbes dans un très long discours quant à Giacinto Menotti Serrati, considéré comme un traître ayant maquillé la réalité.

    La Grande-Bretagne connaît enfin un mouvement communiste, les organisations communistes s’unifiant enfin, mais le nombre des adhérents témoigne d’une profonde faiblesse : ils ne sont que 10 000. Il y a toutefois en toile de fond une très grande grève des mineurs.

    Un Parti Communiste de Tchécoslovaquie s’est fondé juste avant le congrès, avec 400 000 travailleurs, ce qui est un immense succès (le PCT sera toujours historiquement numériquement le plus important en rapport avec la population). Au second congrès, les délégués ne représentaient encore qu’une poignée de propagandistes. Cependant, au lendemain d’une grande défaite ouvrière et l’émergence d’une organisation de masse de cette ampleur, il y a encore plus une accentuation du travail à mener en termes d’orientation, de structuration, etc.

    L’excellente nouvelle est toutefois le congrès de Tours où la majorité des socialistes français rejoignent le Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste. Avec ses 120 000 membres, il est bien plus important que la SFIO maintenue. Grigori Zinoviev souligna lors d’une présentation de la France dans le rapport du Comité Exécutif qu’il a toujours été veillé à procéder lentement, afin de ne pas faire capoter processus et le mouvement vers l’Internationale Communiste.

    Le congrès de Tours en 1920

    La France était considérée comme un pays où le mouvement communiste devait avancer avec succès ; le premier orateur à parler après Gregori Zinoviev pour le Comité Exécutif et Lev Kamenev pour le Parti Communiste de Russie fut d’ailleurs Paul Vaillant-Couturier pour une salutation de l’armée rouge.

    Il prit ainsi même la parole avant le représentant du Parti Communiste d’Allemagne (unifié), Paul Fröhlich. Le premier syndicaliste à prendre la parole, alors que doit suivre après le troisième congrès de l’Internationale Communiste le premier de l’Internationale Syndicale Rouge, fut également un Français, Joseph Tommasi. Celui-ci fut également l’un des tout premiers à intervenir dès le second jour du congrès, pour demander que soit en priorité étudiée la question du rapport entre le Parti et le syndicat.

    La gravité et la pesanteur se lisent enfin dans le rapport sur la situation économique mondiale. Lors des premiers congrès de l’Internationale Communiste, c’est Eugen Varga qui se chargea à chaque fois de compiler de manière synthétique un bilan de la crise générale du capitalisme.

    Lors du troisième congrès, Léon Trotsky se chargea de résumer toutes les données dans le sens d’une présentation de la situation économique mondiale, pour un très long discours consistant typiquement à la Varga en une avalanche de statistiques.

    Dès le départ, on a les difficultés qui sont soulignées au sens où il est ouvertement dit qu’il y a comme un temps mort, qu’il va falloir approfondir les analyses des moments-clefs :

    « Dans nos manifestes des 1er et 2e Congrès, nous avons donné une caractéristique de la situation économique sans entrer néanmoins dans son examen et son analyse détaillée.

    Depuis lors, il s’est produit certains changements dans le rapport des forces, changement impossible à nier.

    La question est seulement de savoir si nous avons affaire à un changement radical ou de caractère superficiel.

    Il faut constater que la bourgeoisie se sent aujourd’hui sinon plus forte qu’il y a un an, du moins plus forte qu’en 1919.

    Il suffit de parcourir la presse capitaliste la plus influente pendant les derniers mois de cette année pour apporter une série d’extraits éloquents montrant à quel point a diminué sa panique devant le danger universel du communisme, bien qu’elle reconnaisse elle-même que les communistes de petits groupes isolés qu’ils étaient, se sont changés en un grand mouvement de masses. »

    On a là très exactement résumé la perception générale lors du troisième congrès : la victoire rapide a échoué, la révolution mondiale connaît un temps d’arrêt, mais il y a des partis de masse qui se forment.

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  • La mise en place du troisième congrès de l’Internationale Communiste

    Le troisième congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à Moscou, du 22 juin au 12 juillet 1921. Le Comité Exécutif a en pratique avancé sa tenue de deux mois par rapport à ce qui avait été prévu, en raison de l’intense actualité.

    Ce Comité Exécutif de l’Internationale Communiste existe concrètement depuis le second congrès, les communistes de Russie ayant géré le passage du premier au second congrès. De nombreux partis, comme le KPD allemand, aurait espéré d’ailleurs que cela continue ainsi et qu’ils n’aient pas à envoyer de délégués à Moscou pendant toute une année.

    Les communistes de Russie furent toutefois intransigeants quant à cette question. Dix partis se plièrent donc à cela, les autres ne le faisant somme toute que partiellement, ou très partiellement.

    Le Comité Exécutif s’était réuni 31 fois en onze mois depuis le congrès précédent, abordant 196 questions, dont pas moins de 68 concernant l’organisation.

    Pour les pays qui en furent le thème principal, on a l’Allemagne (21 fois), l’Italie, la Roumanie et les États-Unis (12 fois chacun), la Tchécoslovaquie et l’Orient (10 fois chacun), la Grande-Bretagne (9 fois), la Bulgarie et la France (7 fois chacun).

    Si le premier congrès tablait en fait sur un mouvement révolutionnaire se formant rapidement et avait une portée surtout symbolique, le second congrès a catalysé tout un processus d’organisation de chaque Parti Communiste, avec les fameuses « 21 conditions ».

    Le troisième congrès vise ainsi à concrétiser ces deux premières étapes en structurant l’Internationale Communiste de manière beaucoup plus avancée.

    Lénine au troisième congrès de l’Internationale Communiste

    L’appel du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste pour la tenue du congrès présente 15 points :

    1. Le rapport du Comité Exécutif ;

    2. La crise économique mondiale et les nouvelles tâches de l’Internationale Communiste ;

    3. La tactique de l’Internationale Communiste durant la révolution ;

    4. La période de transition (revendications partielles, actions partielles et lutte révolutionnaire finale) ;

    5. La lutte contre l’union des syndicats jaunes basée à Amsterdam ;

    6. Le rapport de l’Internationale Communiste avec le conseil international des syndicats rouges ;

    7. La construction organisationnelle des Partis Communistes, les méthodes et contenus de leur travail ;

    8. La construction organisationnelle de l’Internationale Communiste et ses rapports avec les Partis qui en sont membres ;

    9. La question de l’Orient ;

    10. L’appel du Parti Socialiste Italien à l’Internationale Communiste suite à la décision du Comité Exécutif à son sujet ;

    11. L’appel du KAPD à l’Internationale Communiste suite à la décision du Comité Exécutif à son sujet ;

    12. Le mouvement des femmes ;

    13. Le mouvement de la jeunesse ;

    14. L’élection du Comité Exécutif ;

    15. Divers.

    48 pays sont représentés. Il y a 291 mandats pour le congrès, à quoi s’ajoutent 218 mandats à valeur consultative lors des votes. Il y a également une centaine de figures politiques de différents pays invitées à assister au congrès.

    Les mandats ont été choisis par le Comité Exécutif de manière particulière, puisqu’il y a eu une prise en compte combinée :

    – du nombre de membres ;

    – de la signification politique du pays ;

    – de la possibilité de développement du mouvement ouvrier et du mouvement communiste.

    On a ainsi la répartition suivante :

    – avec 40 voix : l’Allemagne, la France, l’Italie, la Russie et la Tchécoslovaquie, ainsi que l’Union de la jeunesse, structure internationale regroupant 800 000 jeunes ;

    – avec 30 voix : l’Angleterre, la Bulgarie, les États-Unis, la Norvège, la Pologne, l’Ukraine, la Yougoslavie ;

    – avec 20 voix : l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la Hollande, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie, la Suisse ;

    – avec 10 voix : l’Azerbaïdjan, le Danemark, l’Estonie, la Lituanie, la Géorgie, le Luxembourg, la Perse, la Turquie ;

    – avec 5 voix : l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Arménie, l’Australie, l’Indonésie, l’Islande, le Mexique, la Nouvelle-Zélande.

    Sont également présents des représentants de Chine, du Japon.

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  • L’échec de SHAC

    L’ALF, en tant que produit de la lutte de classes, sur le terrain de la contradiction villes – campagnes, était invincible. Sa charge morale était inébranlable, l’engagement produit inlassable.

    La question révolutionnaire posée par l’ALF ne pouvait qu’aboutir à une confrontation authentique avec une société figée sur des valeurs dépendants des classes dominantes : c’était ce qu’avait compris Barry Horne.

    En ce sens, la mort de Barry Horne fut un épisode d’une importance capitale pour l’ALF britannique et pour les luttes de classes de ce pays. Ce que posait Barry Horne, c’est la nécessité de la constitution d’un noyau dur, sur une base d’avant-garde, capable de poser la rupture.

    Barry Horne ne disposait pas des outils idéologiques pour être à même de réaliser son projet, aussi s’est-il sacrifié en cherchant à ouvrir un espace pour cela, coûte que coûte. Cela fait de lui la point le plus haut de l’histoire de l’ALF britannique.

    Ronnie Lee, quant à lui, avait clairement reculé par rapport à cela, cherchant à contourner la question politique de manière complète. Il cherchait à faire triompher la cause des animaux parallèlement à la société, en refusant d’avoir une vue d’ensemble, échappant à la question sociale en exigeant simplement que l’humanité recule.

    Ronnie Lee

    Il y avait ainsi véritablement deux lignes : celle posant une offensive, exigeant de s’appuyer sur les fondamentaux et l’exigence de révolution, au nom de la morale, de la justice. Et celle faisant de l’ALF une composante d’un mouvement considéré comme parallèle à la société.

    On a alors un exemple à la fois éloquent et dramatique d’incompréhension de la question de l’opposition dialectique de deux lignes. Les activistes britanniques se sont en effet précipités dans une démarche puisant tant dans une ligne que dans l’autre et, malheureusement, faisant un fétiche des faiblesses de l’une et de l’autre.

    Cela abouti, inévitablement, à l’effondrement complet du mouvement. En 1994, il y eut près de 800 actions de l’ALF britannique, en 1999 il y en eut 1200. En 2003, il n’y en eut que 80, puis désormais leur nombre est entre 30 et 60 par an. Si certaines font de très importants dégâts, il n’y a plus de mouvement, ni aucune perspective.

    Le chemin de la catastrophe a été le suivant. Le mouvement a retenu de Ronnie Lee qu’il fallait être en mesure de faire une intervention dans la société au sujet de la question animale. Mais c’était là une lecture anti-politique, anti-culturelle. C’était un refus de ce que Barry Horne avait apporté comme dimension révolutionnaire.

    Le mouvement a, après la mort de Barry Horne, quitté entièrement le terrain d’une critique révolutionnaire de la société. C’était le prolongement d’un phénomène dénoncé par Barry Horne dès les années 1990 : le mouvement ne se place plus par rapport aux animaux dans le cadre de la société, mais par rapport à lui-même.

    Il ne prétend pas tout changer, de manière révolutionnaire, mais faire avancer les choses par lui-même.

    On aboutit à ce qui est puisé dans l’approche de Barry Horne : le volontarisme. Barry Horne justifiait cela par la nécessité morale de l’intervention, mais il se plaçait dans la logique d’un processus. En arrière-plan, il y a la formation d’une rupture subjective, la formation d’une proposition stratégique.

    Or, ne comprenant rien à cela, le mouvement s’est précipité dans un volontarisme totalement délirant, fondé sur le harcèlement, l’intimidation, l’esprit d’agression, etc. Tout cela donnait une impression de radicalité, mais c’était ni plus ni moins qu’un réformisme volontariste entièrement séparé des principes de violence révolutionnaire, auxquels il faut rattacher Barry Horne.

    La combinaison de cette double inspiration, essentiellement erronée, se révèla fatale au cours de plusieurs campagnes qui furent alors lancées par une même base d’activistes. Les plus importantes furent :

    – celle fondée en 1996 et visant à sauver les chiens beagles de l’élevage Consort les destinant à la vivisection ;

    – celle fondée en 1997 et intitulée Save the Hill Grove Cats, visant un élevage de chats destinés à la vivisection ;

    – celle fondée en 1999 et intitulée Save the Shamrock Monkeys, visant un centre de primates destinés à la vivisection ;

    – celle fondée en 1999 et intitulée Save the Newchurch Guinea Pigs, visant un élevage de cochons d’Inde destinés à la vivisection ;

    – celle fondée en 1999 et intitulée Stop Huntingdon Animal Cruelty, visant le plus centre de vivisection en Europe ;

    – celle fondée en 2003 et intitulée SPEAK et visant l’expérimentation animale en général.

    La campagne contre Consort fut victorieuse, l’élevage fermant en septembre 1997. Pendant dix mois, des initiatives quotidienne de propagande avaient lieu, accompagnées d’actions de l’ALF, dont une libération de 26 chiens en mai 1997.

    Un événement marquant fut une manifestation de plusieurs centaines de personnes prenant d’assaut l’élevage en découpant les barbelés, se retrouvant face à 300 policiers anti-émeutes, avec un chiens libéré tout de même, mais finalement récupéré par la police.

    La campagne Save the Hill Grove Cats fut également victorieuse, la SPA britannique récupérant les 800 derniers chats en août 1999. La lutte fut particulièrement ardue, au moins 350 personnes ayant été arrêtés pour leurs action et 21 condamnées à de la prison.

    La police fit même en sorte de mettre en place une « zone d’exclusion » de huit kilomètres autour de l’élevage. Les employés de l’élevage avaient également dispersé des pesticides toxiques sur les lieux des rassemblements, provoquant des nausées, vomissements, etc.

    L’éleveur avait déjà déjà reçu une lettre piégée en 1993, lui causant des brûlures au visage et au centre, et il reçut de multiples menaces, notamment de l’Animal Rights Militia au moment des grèves de la faim de Barry Horne.

    La campagne Save the Shamrock Monkeys fut un succès, le centre fermant en 2000 au bout d’une campagne de quinze mois. 350 primates y étaient en permanence, plus de 50 000 y étant passés dans les années 1990.

    La campagne Save the Newchurch Guinea Pigs fut un succès également, mais elle dura plus longtemps: six ans. Elle commença par une opération de l’ALF libérant 600 cochons d’Inde de cete élevage et diffusant une vidéo sur la situation là-bas.

    La campagne de harcèlement fut d’une dureté significative, visant toutes les entreprises et les lieux liés de près ou de loin au propriétaire. Les personnes concernées voyaient des rassemblement réguliers devant chez elles, étaient harassés d’appels téléphoniques, de lettres, d’emails, de spam, leurs poubelles étaient renversées, des menaces leur étaient envoyés, des feux d’artifice étaient projetés sur leur logement en pleine nuit, des dégradations à la peinture étaient commises, des taxis ou des pizzas étaient commandés, etc.

    L’Animal Right Militia allant jusqu’à déterrer le cadavre de la belle-mère du propriétaire en octobre 2004. Il ne sera retrouvé enterré dans une forêt qu’en mai 2006. Trois personnes furent condamnées à 12 ans de prison pour cela, une à quatre ans, alors qu’une autre fut condamné à deux années de prison pour intimidation.

    La campagne la plus célèbre reste cependant celle nommée Stop Huntingdon Animal Cruelty (SHAC). SHAC représentait le grand tournant, la tentative de former une action légale strictement parallèle à celle de l’ALF.

    C’était ni plus ni moins que jouer à quitte ou double et ce fut l’expression la plus pure de la double combinaison erronée issue de l’incompréhension de ce que Barry Horne avait tenté de formuler.

    Huntingdon Life Sciences (HLS) disposait de deux centres de tests, à Huntingdon et à Eye, utilisant 75 000 animaux par an, étant le plus grand organisme d’expérimentation animale d’Europe. De nombreuses infiltrations d’activistes eurent lieu, aboutissant à des compte-rendus écrits ou des vidéos sur les brutalités très importantes contre les animaux s’y déroulant.

    En 1997, l’association PETA diffusa une vidéo, amenant HLS à perdre sa licence pour six mois. Par la suite, HLS menaça PETA de procès et la campagne de SHAC prit en tant que tel le relais.

    Les méthodes furent les mêmes que celles contre l’élevage de Newchurch, mais cette fois décuplées et systématisées. Les cibles n’étaient même plus indirectes, mais doublement indirectes.

    L’intimidation, le harcèlement et les attaques visaient non seulement HLS, ses employés, mais également les partenaires économiques de HLS, les partenaires de ces partenaires, les assurances de ces entreprises, ainsi que les entreprises de nettoyage, etc., le tout étant déclinés à l’infini.

    Tout ce qui avait rapport avec HLS, ou avec des gens ayant un rapport avec HLS, était visé. C’était là une première erreur, empêchant de cibler de manière correcte l’ennemi, d’exprimer cela politiquement. C’était là un réformisme actif, parallèle à la société, qui était le prolongement des erreurs de Ronnie Lee.

    Pire encore, le pragmatisme était complet. La campagne allait même jusqu’à faire de fausses accusations de viol contre des personnes, des menaces du type « on sait où tes enfants vont à l’école », etc.

    De par sa nature, elle témoigne d’une gigantesque fuite en avant, d’une tentative de forcer l’histoire, en-dehors de tout lien avec la société, même si de très importantes sommes d’argent étaient reçues lors des campagnes.

    Le cadavre enlevé était déjà l’expression d’une démarche catastrophique : SHAC systématisa cette démarche, jusqu’à l’écœurement. Au lieu de la violence révolutionnaire et de la rupture subjective sur la base d’un projet politique bien délimité, l’action directe était menée tout azimut, sans délimitation morale, dans un esprit d’agressivité générale.

    De prime abord, cela put apparaître comme un succès.En 2000, SHAC fut en mesure de connaître la liste intégrale des gens ayant des parts dans HLS, et le parti travailliste fut obligé de vendre les 75 000 parts qu’ils possédait.

    Mais, surtout, 32 millions de parts furent mis en bourse à Londres suite à ces révélations, tandis qu’à celle de New York HLS fut éjecté en raison de sa trop faible capitulation. Cela se produisit également à Londres ensuite.

    L’action passa de 300 euros à 2 euros en janvier 2001, puis quelques centimes au milieu de l’année 2001. La valeur de l’entreprise passa de 400 à 5 millions d’euros.

    La Royal Bank of Scotland ferma le compte de HLS et le gouvernement britannique décida d’intervenir pour lui ouvrir un compte à la banque d’Angleterre. HLS devint ensuite une entreprise américaine et SHAC États-Unis fut alors fondé en 2004 pour élargir la campagne.

    Les actions, très nombreuses, se démultiplièrent. Mais les conséquences d’un positionnement erroné étaient inéluctables et la campagne SHAC fut alors littéralement broyé, emportant le mouvement pour la libération animale tant en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis.

    Les États de ces deux pays parèrent à toutes les activités de SHAC. Dans les deux pays, des lois furent instaurées interdisant les menaces, intimidations contre des entreprises liées aux animaux, transformant en terrorisme les actions contre elles.

    En Grande-Bretagne, les quêtes d’argent furent églament condamnées comme illégales ; la présence d’activistes étaient interdites dans un périmètre de 45 mètres autour des lieux ou employés des entreprises, sous la pression de HLS, Chiron UK, Phytopharm, Daiichi UK, Asahi Glass, Eisai, Yamanouchi Pharma, Sankyo Pharma, BOC.

    David Blenkinsop fut condamné à trois ans de prison pour une opération de tabassage du directeur du management de HLS ; le directeur du marketing de HLS avait également reçu des produits chimiques dans les yeux, le rendant temporairement aveugle. Donald Currie fut condamné à 12 ans de prison pour des incendies réalisés contre des clients de HLS.

    Mais la répression ciblait, donc, directement les activistes « légaux ». En 2006, six membres de SHAC États-Unis furent condamnés à entre 3 et 6 années de prison, ainsi qu’un million de dollars d’amende collective.

    L’opération policière « Achille » se déroula en mai 2007 en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas, avec 700 policiers, 32 activistes de SHAC étant arrêtés, sept étant condamnés à respectivement onze années de prison, neuf années pour deux, huit années, cinq années, quatre années pour deux.

    En 2009, 13 activistes de SHAC États-Unis étaient arrêtés par le FBI et condamnés à des peines allant de 15 mois à 6 ans de prison.

    Des activistes de SHAC condamnés à de la prison

    SHAC finit par capituler en août 2014. Par ricochet, la campagne SPEAK contre l’expérimentation animale s’effondra de manière similaire. Son porte-parole fut condamné à dix années de prison pour deux attaques à l’engin incendiaire contre l’université d’Oxford.

    L’histoire des campagnes est un mélange de confusion de la légalité et de l’illégalité, les mêmes gens agissant d’un côté dans les campagnes légales, de l’autre dans des actions illégales en tant qu’ALF ou ARM.

    C’était déjà le reproche fait par Barry Horne durant les années 1990 : le mouvement d’action directe s’est prolongé, mais il a vécu en vase-clos, combinant refus d’un mouvement de masse et élitisme séparatiste, pragmatisme total sur le plan des actions et absence d’élaboration d’un projet révolutionnaire.

    Malgré l’apparence de radicalité, SHAC n’était rien d’autre qu’un mouvement moraliste agressif entièrement réformiste, totalement dénué de proposition révolutionnaire.

    La stratégie du mégaphone et des voitures incendiées s’est avérée, dans les faits, le contraire exact de la ligne populaire de l’ALF britannique des débuts et la conséquence directe de l’incompréhension de la question de la rupture subjective posée par Barry Horne comme saut qualitatif nécessaire.

    Cela provoqua l’effondrement du mouvement à la base, l’ALF britannique étant happé de manière unilatérale dans une fuite en avant sans perspectives et aux pratiques incohérentes ou fausses.

    Non seulement le véganisme n’a alors pas connu de déferlante, mais qui plus est le nombre d’expérimentations animales avait augmenté de moitié, celui fait à Porton Down par l’armée ayant doublé. Tout cela renforça encore plus le repli, le défaitisme, que déjà Barry Horne avait deviné, devant le manque d’organisation stricte, d’esprit révolutionnaire.

    Une organisation stricte, un esprit révolutionnaire, qui ne pouvait être porté que par une avant-garde saisissant les luttes de classe, source de l’ALF : tel est l’enseignement qui découle de cet échec. SHAC a produit la figure de l’activiste séparé de la société, fonctionnant en cercle fermé, avec les animaux objets de la lutte et non plus au centre de l’identité.

    Le jusqu’au boutisme n’était que le masque de la retombée dans le réformisme du bien-être animal, avec toute sa passivité par rapport au consensus dominant dans la société, sans aucune perspective révolutionnaire, avec les animaux disparaissant derrière le discours sur eux.

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  • L’ALF britannique, Barry Horne et la tentative de rupture subjective

    L’ALF était né comme rupture révolutionnaire, en-dehors du consensus dominant et de l’encadrement des syndicats et du parti travailliste. Cependant, étant une forme de lutte de classes, liée à la contradictions villes-campagnes, il fallait inéluctablement qu’il y ait un conflit avec ce consensus et cet encadrement.

    Sans cela, il y aurait un mur. Ce mur, Ronnie Lee ne l’a pas vu ou n’a pas voulu le voir, espérant que la question animale reste parallèle à la société. Ce fut le rôle historique de Barry Horne de tenter de faire sauter le verrou.

    Barry Horne

    Barry Horne est né le 17 mars 1952 ; prolétaire de la ville de Northampton, il était un balayeur de rues. Il avait une conscience de gauche, avait participé à un rassemblement anti-fasciste, mais sans être engagé. Sa petite amie l’engagea à aller voir une conférence sur la libération animale et le déclic se produisit, à 35 ans.

    Il rejoignit alors un groupe local, Northampton Animal Concern, qui fit notamment avec succès des rassemblement devant le magasin Beatties, afin qu’il cesse de vendre de la fourrure. Il devint également végétarien et participa aux actions de Hunt Saboteurs.

    En 1988, il fut condamné avec plusieurs activistes pour la tentative de « vol » d’un dauphin, Rocky, du Marineland de Morecombe dans le Lacanshire. Rocky n’était qu’à 230 mètres de la mer, mais pesait 290 kilos et les activistes avaient mis en place tout un système de poulies avec une grande civière.

    Ils avaient également nagé plusieurs fois avec Rocky dans les nuits précédentes pour se familiariser avec lui. Mais lors de la tentative, les activistes durent renoncer en raison de la complexité de l’opération et lorsqu’ils furent contrôlés au retour, ne purent pas donner d’explication pour l’étrange matériel transporté.

    La tentative de libération du dauphin lui valut une amende et six mois avec sursis, mais l’impact populaire fut immense. Rocky, maintenu pendant 22 ans dans une petite piscine, devint un symbole ; les visites au Marineland chutèrent de 85 %, amenant sa fermeture et la vente de Rocky pour une forte somme aux associations.

    Celui-ci fut amené aux Îles Turques-et-Caïques, dans les Caraïbes, dans une zone fermée de 320 000 m² pour la réhabilitation des animaux marins enfermés.

    Pour le nouvel an de 1990, Barry Horne participa à un raid avec neuf autres personnes à Oxford contre un élevage d’animaux destinés à la vivisection, libérant 36 chiens beagles. Deux activistes furent condamnés pour cela à 9 et 18 mois de prison.

    En mars 1990, Danny Attwood, Keith Mann et Barry Horne démolirent le toit d’un laboratoire de Harlan Interfauna à Cambridge, libérant 82 chiens beagles et 26 lapins, récupérant au passage la liste des clients du laboratoire. John Curtin et Danny Attwood furent condamnés pour cela à respectivement neuf et dix-huit mois d’emprisonnement.

    Barry Horne fut de la partie par la suite lors du saccage de la conférence sur l’expérimentation animale à l’université d’Exeter, à Oxford.

    En octobre, cependant, Barry Horne fut arrêté près d’Alconbury, alors qu’il mettait en place un engin incendiaire contre Duncans, une entreprise de transport s’occupant d’amener les employés au laboratoire d’expérimentation de Huntingdon Life Sciences.

    Il fut condamné à trois années de prison, en 1991. Il commença à produire les bulletins du Support Animal Rights Prisoners (SARP), ce qui était pour lui le moyen de souligner l’importance centrale de l’activisme, à tout prix. Être en prison signifiait avoir compris qu’il en allait avant tout des animaux.

    Le point de vue qu’il exprime en juin 1993, dans la dernière édition du bulletin, est révélateur de sa philosophie :

    « Les animaux continuent de mourir et la torture continue de manière toujours plus grande.

    La réponse des gens à cela ? Plus de veggie burgers, plus de bières spéciales, et plus d’apathie. Il n’y a plus de mouvement libération animale. Cela est mort il y a bien longtemps.

    Tout ce qui reste, c’est une petite poignée d’activistes qui se préoccupent, qui comprennent et qui agissent.

    Pour certains d’entre nous, la libération animale EST une guerre que nous avons l’intention de gagner… Les larmes sont réelles, nos cœurs se brisent vraiment et nous SOMMES préparés à mourir pour cela, pas simplement à chanter cela. »

    Il est alors arrêté en juillet 1996, accusé d’avoir placé deux engins incendiaires devant agir la nuit dans le centre commercial Broadmead de Bristol. Sur lui, la police découvrit quatre autres engins du même type.

    C’est alors que commença l’épisode qui fit de Barry Horne un martyr de la cause.

    Le 6 janvier 1997, Barry Horne commença sa première grève de la faim, avec comme exigence que le gouvernement britannique cesse de financer l’expérimentation animale dans les cinq ans.

    Cela provoqua un mouvement d’activisme, avec des manifestations significatives contre les laboratoires Harlan, ainsi que Consort et Hilligrove, qui furent également la cible de raids de libération, ainsi que d’attaques.

    Cette grève de la faim dura 35 jours et apparut comme une victoire, car le parti travailliste, dont il était clair qu’il allait gagner les élections, engagea une forme de discussion, avec Elliot Morley, le responsable du bien-être animal pour les travaillistes, expliquant que « le Labour est engagé dans la réduction et une fin éventuelle de la vivisection ».

    Il faut bien saisir la nature particulière de la situation. Le parti travailliste avait un certain vent en poupe, se replaçant comme force centriste avec Tony Blair, mais développant l’espoir de mettre de côté une domination conservatrice particulièrement pesante.

    Margaret Thatcher avait été première ministre de 1979 à 1990, John Major de 1990 à 1997. Le parti travailliste, désormais New Labour et non plus Labour, avec une ligne de centre-gauche, se voulait le vecteur du « progrès ».

    Son manifeste électoral de 1996, New Labour, New Life for Britain, abordait la question des animaux, de manière inévitable vu le contexte idéologique et culturel. S’il défendait la pêche à la ligne, présenté comme le « sport britannique le plus populaire », il affirmait vouloir promouvoir le bien-être animal.

    Qui plus est, il escomptait faire un vote parlementaire sur la chasse à courre, et permettre un accès meilleur aux campagnes. C’était là cibler très précisément la contradiction villes-campagnes.

    Le New Labour mit également à la disposition de sa propagande électorale une brochure intitulée pas moins que New Labour, New Life for animals. Il promettait alors des commissions royales d’enquête sur l’expérimentation animale, ainsi que sur les animaux génétiquement modifiés.

    L’initiative de Barry Horne semblait alors aller dans une sorte de convergence générale vers un certain « progrès » pour les animaux, dont le New Labour serait un vecteur.

    Le travailliste Tony Blair devint ensuite premier ministre le 2 mai 1997 et Barry Horne commença une nouvelle grève de la faim, le 11 août 1997. Son initiative eut un impact énorme.

    Des manifestations eurent le 12 septembre à Londres et à Southampton, ainsi qu’à La Haye aux Pays-Bas, Cleveland aux Etats-Unis, Umea en Suède où les activistes tentèrent de forcer l’entrées des laboratoires de l’université.

    Des centaines de manifestants se rassemblèrent devant Shamrock Farm, un centre pour les primates destinés aux laboratoires, ainsi que devant les laboratoires Wickham, les locaux du parti travailliste, la maison de Jack Straw, ministre de l’intérieur.

    Un camp fut monté devant Huntingdon Life Sciences, avec des tunnels souterrains pour retarder leur délogement par la police, alors que l’élevage de cochons d’Inde Newchurch fut la cible d’un raid, 600 cochons d’Inde étant libérés.

    Barry Horne cessa sa grève de la faim le 26 septembre, au bout de 46 jours, lorsqu’un membre du gouvernement rencontra des représentants des partisans de Barry Horne, afin d’ouvrir des négociations.

    Cependant, dans la foulée commença le procès de Barry Horne, en novembre 1997. Malgré 14 parades d’identification qui n’aboutirent à rien, il fut condamné à 18 années de prison en raison du fait que les engins incendiaires en sa possession étaient du même type que ceux employés sur l’île de Wight.

    Barry Horne commença une nouvelle grève de la faim le 6 octobre 1998. Ses exigences étaient les suivantes : la fin des nouveaux permis pour des expérimentations animales, le non-renouvellement des anciens, une interdiction de l’expérimentation animale pour des buts non médicaux, une fin totale de l’expérimentation animale pour le 6 janvier 2002, une fin immédiate de l’expérimentation animale dans la base militaire de Porton Down, la disparition de l’Animal procedures committee, un organisme de conseil au gouvernement sur l’expérimentation animale, considéré comme favorable à celle-ci.

    Barry Horne expliqua alors :

    « Ce combat n’est pour nous, pour nos volontés personnelles et nos besoins. Il est pour chaque animal qui ait souffert et est mort dans les laboratoires de la vivisection, et pour chaque animal qui souffrira et mourra dans ces mêmes laboratoires, à moins que nous mettions maintenant un terme à ce commerce maléfique.

    Les esprits des morts torturés crient justice, le cri des vivants est liberté. Nous pouvons créer cette justice et nous pouvons accorder cette liberté.

    Les animaux n’ont personne d’autres que nous. Nous ne leur ferons pas défaut. »

    Dans une autre lettre, il expliquait :

    « Il est toujours plus facile de voir pourquoi nous ne pouvons pas réussir, toujours plus facile de hausser les épaules et de croire que le mieux que nous puissions faire est d’essayer, presque comme un acte de consolation.

    Sans croire au succès, le succès devient difficile à réaliser, presque une impossibilité. Tout comme la libération des animaux en fait, [est dit être] un concept impossible.

    Cependant, sachez que ce n’est pas le cas, ou bien pourquoi est-ce que nous combattons? Nous ne devrions jamais craindre le succès de nos actions ou cesser d’y croire. Et nous ne devrions jamais avoir peur de vouloir atteindre les étoiles, si c’est correct (…) Comment pourrions-nous demander moins?

    Cela revient à condamner tant d’animaux à une vie de souffrance et de mort. Croyez-moi, il est temps d’atteindre ces étoiles et de croire que c’est possible. »

    Si officiellement le gouvernement refusa toute négociation, il en entama finalement une, au 44e jour de la grève de la faim. Barry Horne décida alors de réduire ses revendications à une mesure promise par le Labour au moment des élections : la mise en place d’une commission d’enquête royale sur l’expérimentation animale.

    Il affirma alors :

    « Une commission royale ou quelque chose de similaire est le minimum que nous pouvons accepter. Nous faisons toujours des compromis, alors que le Labour joue avec la souffrance des animaux. Pourquoi des animaux devraient-ils souffrir en raison de négociations politiques? (…)

    Je ne fais pas de chantage au Labour. Le Labour a fait du chantage aux gens, afin qu’ils votent pour lui. J’essaie seulement de lui rappeler ses promesses. »

    Des négociations commencèrent et Barry Horne, à la limite du coma, décida de boire du jus d’orange et du thé sucré pendant trois jours, afin d’être en mesure de saisir les textes des négociations. Cela fut un prétexte pour les médias pour l’accuser de mener une fausse grève de la faim.

    Des nombreuses initiatives de soutien à Barry Horne se développèrent tout au long de la grève de la faim ; l’ARM menaça alors d’exécuter plusieurs dirigeants d’organismes liés à la vivisection, ceux-ci restèrent alors parfois pendant plusieurs années sous la protection de la police.

    Barry Horne cessa la grève de la faim au bout de 68 jours, mais devant le blocage de la situation, alors que lui-même était devenu isolé et extrêmement affaibli par ses actions, en recommença une nouvelle le 21 octobre 2001, mais décéda dès le 5 novembre, ne s’étant jamais réellement remis de la précédente grève de la faim.

    Plusieurs centaines de personnes participèrent aux funérailles, munies d’une banderole où était inscrit « Labour lied – Barry died » (le Labour a menti – Barry est mort). Il est enterré dans sa ville natale de Northampton, habillé d’un maillot de football du club local.

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  • Barry Horne : le monde réel

    Barry Horne

    Dans un article pour Arkangel, intitulé Le monde réel, Barry Horne formule une exigence qu’il affirme opposée à la ligne de Ronnie Lee. Selon lui, puisque moralement il est juste de défendre les animaux, alors cela suffit en soi pour exiger la rupture révolutionnaire.

    A la volonté de recul de Ronnie Lee – recul de l’humanité en général, recul de l’ALF au sein d’un Front -, Barry Horne affirme la nécessité de l’engagement existentiel pour la cause, avec la claire affirmation de renverser le système dominant.

    Il y a eu plusieurs articles dans les deux dernières parutions d’Arkangel qui ont condamné l’emploi de dispositif incendiaire et l’attaque à la voiture piégée de Bristol.

    Très sincèrement, je me demande qui peuvent bien être les auteurs de ces articles.

    Vivent-ils dans le monde réel ou seulement dans leur propre petit monde fantaisiste où tout le monde joue selon les règles de Queensbury [16 règles de la boxe anglaise, élaborées par le Marquis de Queensberry] ?

    L’exploitation animale est portée par des personnes perverses et malades qui ne se soucient jamais de bien ou de mal, mais seulement de profit et de plaisirs pervers.

    Ceci est le monde réel.

    Ce genre de personnes ne sera jamais découragé par les campagnes pacifiques, mais uniquement en frappant là où cela fait mal : au portefeuille.

    Les dispositifs incendiaires ont pour but d’infliger des pertes financières par la destruction de leurs biens, que ce soient des grands magasins ou des camions de bétail. Ceci est le seule langage qu’ils comprennent.

    En ce qui concerne la voiture piégée, l’idée derrière est évidente pour toute personnes avec les idées claires. Les articles de certaines personnes à ce sujet dans le dernier numéro me fascinent et me dégoûtent.

    Val Graham affirme qu’un « activiste des droits des animaux promenant un chien » aurait pu être blessé. Celle affirmation est ridicule. Une guerre est en cours Val et malheureusement dans toute guerre des civils innocents sont blessés.

    Bien sûr la bombe n’était pas placée pour cette raison, elle visait un vivisecteur. La seule chose mauvaise dans cette histoire est que le vivisecteur en est sorti indemne et continue de torturer et de tuer des animaux. C’est cela que tu veux Val ?

    Pourquoi ne pas lui laisser une brochure et lui demander de reconsidérer son point de vue ? Il te rirait au nez et tu le sais très bien.

    Val continue ensuite et dit « doit-on s’attendre à ce que les responsable aller encore plus loin et attacher des explosifs à des chiens ? ». Cette phrase est tellement ridicule et déroutante que je ne peux qu’assumer que l’auteur était en pleine hystérie à ce moment-là.

    Je me demande qui tu es vraiment Val. Tes commentaires sur le recul en arrière du mouvement de plusieurs années, des dommages causés au mouvement, etc. sont des arguments classiques de l’Animal Aid, la BUAV, etc. et n’ont aucune place dans une authentique revue dédiée aux droits des animaux.

    Les réactions de Ronnie Lee à propos de la voiture piégée qui serait à la fois « mauvaise moralement et tactiquement » doivent aussi être critiquée et remises en perspective.

    La tactique d’une action ne peut être jugée qu’en fonction de ses effets sur la lutte et sur le long terme. Dans ce cas précis, le vivisecteur a maintenant une idée de la terreur qu’il cause chaque jour à des animaux innocents et cette action doit donc être considérée favorablement.

    Quant à l’aspect moral, je demande à Ronnie s’il est mal, moralement, de ne rien essayer pour prévenir la vivisection.

    L’objectif de cette voiture piégée était de décourager ce vivisecteur de continuer son travail malfaisant.

    Cette action était donc juste sur le plan moral.

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  • La seconde ligne au sein de l’ALF britannique

    Lorsque Arkangel apparut, Ronnie Lee comptait donc établir une ligne multi-directionnelle, dont l’ALF serait une composante. Ce positionnement ne fut pas accepté par le noyau dur des activistes les plus impliqués dans le mouvement.

    Eux considéraient qu’il fallait, au contraire, appuyer l’élan initial dans ce qu’il a de plus radical comme affirmation d’une ligne de fracture.

    Aussi, au tout début des années 1990, c’est l’Animal Rights Militia qui forme la grande actualité du mouvement pour la libération animale. L’ARM mena une série d’actions et Ronnie Lee refusa formellement de s’en dissocier, tout en se cantonnant strictement à un positionnement pro-ALF.

    La montée en puissance imposait pourtant de ne pas se placer dans un entre-deux totalement inopérant, mais cela souligne la position intenable de Ronnie Lee, incapable de saisir l’exigence du passage à une formulation synthétique du principe de libération animale.

    De l’autre côté, privé de grille d’analyse, le noyau dur des activistes ne sut pas trouver d’autre perspective que la fuite en avant militariste, seul moyen selon lui de faire émerger une véritable identité révolutionnaire, en rupture.

    L’ARM était, dans les faits, clairement le prolongement de la fraction la plus décidée de l’ALF et elle exigeait de la clarté, une délimitation très nette. Les communiqués de l’ARM, toujours brefs, se concluaient d’ailleurs par un mot simple : « Révolution ».

    Plusieurs coups d’éclat placèrent l’ARM au centre du jeu. En février 1989, un bar de l’université de Bristol fut la victime d’une explosion. En juin 1990, une bombe explosa sous la voiture de la vétérinaire Margaret Baskerville, puis deux jours plus tard une autre explosa sous la voiture de Patrick Max Headley, professeur de physiologie de l’université de Bristol.

    L’événement marquant fut alors l’attaque à l’explosif militaire – une opération bien plus développée techniquement que la simple utilisation d’un engin incendiaire – du bâtiment de l’université de Bristol. Un bébé d’un an dans une poussette avait été légèrement blessée due au souffle de l’explosion, ce qui fut prétexte à une contre-campagne très importante de la part des médias.

    Du côté du mouvement, on fut très partagé quant à savoir si cette action avait été réellement issu de ses rangs : la manière d’opérer ne correspondait pas à sa base.

    De manière conforme aux principes développés jusque-là, l’ARM utilisa en juillet 1994 des engins incendiaires à Cambridge, amenant la destruction complète de la pharmacie Boots, ainsi que celle des stocks du magasin Edinburgh Woolen Mill. Par la suite, elle lança une vaste opération dans le sud du pays, sur l’île de Wight.

    Si un engin incendiaire fut trouvé avant sa mise en marche dans un magasin de pêcheurs, amenant la police à effectuer immédiatement de vastes recherches dans les magasins, les autres ne furent pas trouvés et provoquèrent cinq millions d’euros de dégâts, dans deux magasins spécialisés dans le cuir, un local de la recherche contre le cancer, ainsi que chez Halford, une filiale de Boots.

    L’ARM mena dans la foulée des actions à l’autre bout du pays, dans le Yorkshire du Nord, détruisant une pharmacie de Boots à Harrogate, ainsi que Fads, une autre filiale de Boots, ainsi qu’un local de la recherche contre le cancer et un magasin de chasseurs. Une autre action contre Boots fut menée à York.

    La même année, en avril 1994, une organisation proche de l’ARM, le Justice Department, attaqua à l’explosif Boots the Chemist à Cambridge, ainsi que le siège du parti d’extrême-droite, le British National Party, blessant le responsable de son siège.

    L’année précédente, en décembre le Justice Department avait développé le principe de bombes tuyaux, c’est-à-dire de mélanges explosifs placés dans des tuyaux en métal, ensuite placés dans des tubes pour protéger des affiches. Deux bombes de ce type furent envoyés à Shamrock Farm, le centre d’importation des primates pour la vivisection. Le centre a fermé en 2000 suite à une année de campagne des activistes.

    Onze autres bombes de ce type furent envoyés, mais interceptés par la police, sauf une qui explosa à la figure du manager du groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline. Par la suite, le Justice Departement informa qu’elle avait placé un engin incendiaire à la pharmacie Boots de Cornwall, que la police trouva effectivement.

    En 1994, le Justice Department envoya également des courriers avec des lames de rasoir empoisonnés aux quatre coins de l’enveloppe. Fut notamment visé le prince Charles après qu’il ait participé à une chasse à courre, alors que l’ancien secrétaire à la défense Tom King reçut un colis piégé pour avoir défendu la chasse au courre au parlement.

    Par la suite, le secrétaire d’État à l’intérieur, Michael Howard, fut visé également, tout comme à plusieurs reprises le responsable de la chasse à courre Nick Fawcett.

    Le Justice Department détruisit la même année deux bateaux appartenant au propriétaire d’un chenil pour chasse à courre, envoya deux colis piégés sous forme de vidéo au magasin Boots de Cambridge (qui furent interceptés).

    D’autres colis piégés furent envoyés à l’entreprise Stena Sealing, dans le Gloucestershire et le Kent, à Oxford et Edimbourgh, en raison du rôle des ferrys pour le transport des animaux, qui fut de mis côté devant les menaces.

    Le Justice Department mena des actions similaires en 1995, avec quatre lettres à des personnalités dont l’ancien ministre de l’agriculture William Waldegrave, à un stock de fourrures de Glascow, ainsi qu’un laboratoire d’expérimentation animale à Edimbourgh.

    Par la suite, le Justice Department ne se maintint vraiment qu’aux États-Unis, où il a été présent très tôt. En 1996, il envoya de nouvelles lettres contenant des lames de rasoir, censées être empoisonnées à la « mort aux rats », à 80 chercheurs et chasseurs, puis 87 autres colis piégés, un mode opératoire qui se répéta par la suite.

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  • Ronnie Lee : Libération animale, mais pas trop ?

    Dans un article pour ArkangelLibération animale, mais pas trop ?, Ronnie Lee expose son point de vue, visant à amener une radicalisation de l’ensemble du mouvement pour les animaux, par l’intermédiaire de la charge morale posée par l’ALF. Sa ligne se fonde sur le principe d’un repli de l’humanité, une ligne très marquée par les théories élaborées alors aux Etats-Unis dans la mouvance d’Earth First!, avec une utopie décentralisatrice.

    Ronnie Lee ne dérogera plus à cette ligne, prônant une sorte d’évolutionnisme allant dans le sens d’un vaste recul à une forme relativement primitive de société.

    Vous remarquerez que dans les sections locales et internationales d’Arkangel j’ai inclus des informations concernant des organisations environnementales (Greenpeace, Friends of Earth [ndt : « Les amis de la Terre »] etc.) en plus de celles, plus classiques, des droits des animaux et de protection animale.

    Je pense que cela est très important car leur travail a un rôle très important dans l’avènement de la libération animale, bien que que ces groupes n’agissent pas dans une optique de « droits des animaux ».

    Les activistes de la libération animale, très impliqués dans leur lutte constante contre la vivisection, l’élevage intensif, le commerce de la fourrure, etc. oublient dans quelle mesure les animaux sont persécutés à travers la destruction de leur environnement naturel. Les laboratoires de vivisection et les élevages intensifs pourraient bien être les camps de concentrations du Reich humain.

    Mais ils ne sont, d’une certaine manière, que la face émergée de l’iceberg de la persécution animale et s’en débarrasser ne serait pas suffisant pour redonner leur liberté aux animaux. La destruction de l’environnement produit probablement plus de souffrance aux animaux que toute autre cause.

    Il serait bon pour nous de parler d’impérialisme humain. Non contents d’avoir établi son propre partage de la Terre, l’espèce humaine a partout envahi et pillé des territoires appartenant à d’autres créatures. La pire parole jamais prononcée (si elle l’a vraiment été) est : « Va et multiplie-toi ». Un appel à une occupation humaine du monde semblable au « Lebensraum » nazi.

    Ainsi la fin des laboratoires de vivisection, des élevages intensifs ne seront jamais suffisants parce qu’ils laissent derrière eux l’injustice et l’occupation de l’occupation ennemie. La véritable libération animale ne viendra pas simplement de la destruction des Dachaus et des Buchenwald que les occupants ont construits pour leurs victimes, mais demande le recul de l’espèce humaine aux frontière d’avant l’invasion.

    Concrètement, quelles sont les implications ? La fin de la pollution environnementale et la société industrielle qui la produit.

    La fin des choses comme les voitures individuelles. La fin de méthodes d’agriculture reposant sur les pesticides, les fertilisants artificiels et autres poisons.

    La fin des villes et des vastes zones urbains qui sont comme des déserts pour la plupart des espèces sauvages. La fin de l’agriculture intensive qui ne leur laisse pas beaucoup plus d’habitat.

    Et surtout une chute radicale du nombre d’êtres humains. Le groupe écologiste radical Earth First! a estimé que le population humaine acceptable devrait être de 50 millions environ. Il y en a aujourd’hui plus dans le seul Royaume-Uni !

    La véritable libération animale ne demande un ajustement des des pires excès de l’oppression humaine mais un changement radical et total dans notre manière de vivre.

    La seule forme de société propice à tout cela est une société décentralisée, dans laquelle les personnes vivent au sein de petites communautés plutôt que dans dans petites villes ou des métropoles, dé-industrialisée, basée sur une agriculture biologique (et vegan) à petite échelle et avec une réduction significative du nombre de personnes (à travers des méthodes humaines, bien évidemment).

    Malheureusement, tout ceci est déjà trop pour de nombreux « protecteurs des animaux » qui voudront toujours leur emplois, les voitures, leurs familles nombreuses, leurs appareils ménagers.

    Mais une demi-libération n’est pas une libération.

    Le militantisme pour les droits des animaux doit s’élargir à d’autres domaines qui n’ont été qu’à peine touché jusqu’ici. Il faut se battre contre la pollution, l’industrialisation, la destruction des habitats naturels et pour le contrôle des surpopulation humaine.

    Ainsi il nous faut travailler main dans la main avec les organisations Vertes et environnementales, pas seulement pour offrir un monde meilleur « pour nos enfants et les enfants de nos enfants » (ce qui leur motivation), mais pour libérer, offrir la justice et la vie aux autres animaux et leurs petits.

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  • L’ALF britannique et la ligne d’Arkangel

    Toute la seconde moitié des années 1980 est marqué par l’alternance de sabotages de base (serrures remplies de colles, dégradations aux bombes de peinture, bris de vitrines, etc.) et actions plus marquantes sur le plan technique (incendies, actions de l’ARM, etc.).

    A la fin des années 1980, l’ALF dispose d’une base d’environ 5 000 personnes, avec en moyenne six actions chaque jour, ou plus précisément chaque nuit. Le point culminant fut l’année 1991, avec 2800 actions, dont 45 incendies, et sans doute l’opération de libération avec le plus d’animaux : 1400 souris et 4 chiens beagles sont arrachés à la Medical school de l’hôpital de Londres.

    L’ALF sut également faire face à la répression, même si bien entendu celle-ci marquait des points, comme en décembre 1984, 200 arrestations eurent lieu, avec 20 emprisonnements. L’arrestation en 1986 de sept activistes de l’ALF active à Sheffield fut un autre coup important, suivi du démantèlement de trois autres importantes cellules de l’organisation.

    En janvier 1987 où 33 années de prison furent distribuées, dont dix pour Ronnie Lee par un juge qui avait été membre de la British Union of Fascists dans les années 1930.

    Néanmoins, la force de frappe était intacte. Lorsque en 1991, la police écossaise mit en place des séries de perquisitions dans toute la Grande-Bretagne, l’ALF répondit en juillet 1992 en pénétrant dans le quartier-général de celle-ci et en détruisant les fichiers relatifs aux actes liés à la libération animale.

    Il fut alors décidé de procéder désormais par vagues, au moyen de campagnes, prolongeant celle qui avait été contre la fourrure et qui avait été un succès. L’une des premières cibles fut la très puissante chaîne de pharmacie et de produits de beauté Boots, qui menaient elles-mêmes des expériences sur les animaux et disposaient de centaines de magasins, l’ALF en attaquant une soixantaine par mois.

    Dans le nord-ouest du pays, ce sont les élevages qui étaient visés, cent poids lourds étant détruits. Ces campagnes avaient comme but de fédérer les actions, de les coordonner de manière plus approfondie, de les sortir d’un côté diffus.

    En ce sens apparut également la revue Arkangel en 1989, parallèlement à la mise de côté du principe des ALF Support Groups et de leur bulletin de masse, cette structure étant pratiquement mis en sommeil.

    Publié par Ronnie Lee alors en prison, Arkangel se présente dès le départ comme un projet global, devant publier une revue, former une agence de presse, mettre à la disposition du matériel de propagande, etc.

    Cette définition d’Arkangel – le projet échouera et en restera au niveau d’une revue – s’appuyait principalement sur la constatation de la très profonde division du mouvement en faveur des animaux. En fait, le constat était simple : la croissance avait provoqué une lourde crise et la scène avait littéralement implosé.

    Après la grande vague du milieu des années 1980, il ne reste qu’une petite scène largement repliée sur elle-même et Ronnie Lee pensait qu’en appelant à l’unité, tout se débloquerait et le mouvement se relancerait, au moyen de l’ALF comme référent parallèle à toute activité.

    Le numéro 1 d’Arkangel fait ainsi l’éloge d’un inspecteur de la SPA britannique, la RSPCA, qui a profité de son parcours en boxe amateur et de sa ceinture marron de karaté pour empêcher trois personnes de tuer les phoques vivant dans un refuge. Or, la particularité est que l’ALF et l’ALF SG n’ont cessé auparavant de dénoncer la RSPCA en raison de sa collaboration avec les institutions.

    La valorisation d’une action (par ailleurs juste) de quelqu’un de la RSPCA avait ainsi un caractère nouveau et la présentation de la revue soulignait l’importance du débat, de l’ouverture d’esprit, des échanges, etc.

    La revue présentait également les campagnes nationales des différentes associations, même de la CIWF, une association protégeant les « animaux de ferme » qui était auparavant dénoncé, tant pour son positionnement que pour sa dénonciation virulente de l’ALF.

    En présentant les activités des associations, les contacts des très nombreux groupes locaux, en même temps que les communiqués de la vingtaine d’actions de l’ALF britannique à l’hiver 1989, ainsi que celles à l’étranger, l’idée d’Arkangel était de souligner la convergence générale de la lutte pour les animaux, afin de fournir un espace à l’ALF.

    La présentation faite dans le numéro deux précisait encore davantage le choix de la revue :

    « Arkangel vise à promouvoir l’unité, le respect et la coopération à l’intérieur du mouvement du bien-être [welfare] animal / de protection animale / des droits des animaux / de libération animale.

    Il vise à encourager une approche positive et optimiste vis-à-vis de la lutte contre la persécution des animaux. Et il entend agir comme forum pour un débat sans censure au sein du mouvement. »

    Les dernières pages des numéros se concluaient par « Road to victory », la « route de la victoire », où sont assemblées en vrac des courts extraits de différents médias concernant les avancées dans la question animale, et censées montrée qu’il y aurait une tendance de fond, inarrêtable.

    Le souci, que la revue soulignait par ailleurs en même temps dès le premier numéro, était que les associations se positionnaient désormais très clairement anti-ALF, parce que l’État leur avait demandé et qu’elles avaient accepté de le faire. Il y avait bien quelques unes des associations qui répondent dans Arkangel, explicitant leur point de vue, mais cela resta marginal par rapport au positionnement ouvertement anti-ALF des structures profitant des rapports avec les institutions.

    Ronnie Lee tentait de formuler une solution, mais il était coincé entre sa ferveur morale et son refus d’assumer une rupture révolutionnaire, ayant fait un fétiche du caractère de lutte à la base existant à l’initial.

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