Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le rôle du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne

    Le prolétariat mondial est à la veille d’une lutte décisive. L’époque à laquelle nous vivons est une époque d’action directe contre la bourgeoisie. L’heure décisive approche. Bientôt, dans tous les pays où il y a un mouvement ouvrier conscient, la classe ouvrière aura à livrer une série de combats acharnés, les armes à la main. Plus que jamais, en ce moment, la classe ouvrière a besoin d’une solide organisation. Infatigablement la classe ouvrière doit désormais se préparer à cette lutte, sans perdre une seule heure d’un temps précieux.

    Si la classe ouvrière, pendant la Commune de Paris (en 1871) avait eu un Parti Communiste solidement organisé, bien que peu nombreux, la première insurrection de l’héroïque prolétariat français aurait été beaucoup plus forte et elle aurait évité bien des erreurs et bien des fautes. Les batailles que le prolétariat aura maintenant à livrer, dans des conjonctures historiques toutes différentes, auront des résultats beaucoup plus graves qu’en 1871.

    Le 2e Congrès mondial de l’Internationale Communiste signale donc aux ouvriers révolutionnaires du monde entier l’importance de ce qui suit :

    1. Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne diffère de la grande masse des travailleurs qu’en ce qu’il envisage la mission historique de l’ensemble de la classe ouvrière et s’efforce, à tous les tournants de la route, de défendre non les intérêts de quelques groupes ou de quelques professions, mais ceux de toute la classe ouvrière. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat.

    2. Tant que le pouvoir gouvernemental n’est pas conquis par le prolétariat et tant que ce dernier n’a pas affermi, une fois pour toutes, sa domination et prévenu toute tentative de restauration bourgeoise, le Parti Communiste n’englobera dans ses rangs organisés qu’une minorité ouvrière. Jusqu’à la prise du pouvoir et dans l’époque de transition, le Parti Communiste peut, grâce à des circonstances favorables, exercer une influence idéologique et politique incontestable sur toutes les couches prolétariennes et à demi-prolétariennes de la population, mais il ne peut les réunir organisées, dans ses rangs. Ce n’est que lorsque la dictature prolétarienne aura privé la bourgeoisie de moyens d’action aussi puissants que la presse, l’école, le Parlement, l’Église, l’administration, etc…, ce n’est que lorsque la défaite définitive du régime bourgeois sera devenue évidente aux yeux de tous, que tous les ouvriers, ou du moins la plupart, commenceront à entrer dans les rangs du Parti Communiste.

    3. Les notions de parti et de classe doivent être distinguées avec le plus grand soin. Les membres des syndicats « chrétiens » et libéraux d’Allemagne, d’Angleterre et d’autres pays, appartiennent indubitablement à la classe ouvrière. Les groupements ouvriers plus ou moins considérables qui se rangent encore à la suite de Scheidemann, de Gompers et consorts lui appartiennent aussi. Dans de telles conditions historiques, il est très possible que de nombreuses tendances réactionnaires se fassent jour dans la classe ouvrière. La tâche du communisme n’est pas de s’adapter à ces éléments arriérés de la classe ouvrière mais d’élever toute la classe ouvrière au niveau de l’avant-garde communiste. La confusion entre ces deux notions de parti et de classe peut conduire aux fautes et aux malentendus les plus graves. Il est, par exemple, évident que les Partis ouvriers devaient, en dépit des préjugés et de l’état d’esprit d’une portion de la classe ouvrière pendant la guerre impérialiste, s’insurger à tout prix contre ces préjugés et cet état d’esprit, au nom des intérêts historiques du prolétariat qui mettaient son Parti dans l’obligation de déclarer la guerre à la guerre.

    C’est ainsi, par exemple, qu’au début de la guerre impérialiste de 1914, les Partis socialistes de tous les pays, soutenant « leurs » bourgeoisies respectives, ne manquaient pas de justifier leur conduite en invoquant la volonté de la classe ouvrière. Ils oubliaient, ce faisant, que si même il en avait été ainsi, c’eut été plutôt la tâche du Parti prolétarien de réagir contre la mentalité ouvrière générale et de défendre envers et contre tous les intérêts historiques du prolétariat. C’est ainsi qu’au commencement du xxe siècle les mencheviks russes (qui se nommaient alors économistes) répudiaient la lutte ouverte contre le tsarisme parce que, disaient-ils, la classe ouvrière dans son ensemble, n’était pas encore en état de comprendre la nécessité de la lutte politique.

    C’est ainsi que les indépendants de droite en Allemagne ont justifié toujours leurs demi-mesures en disant qu’il fallait comprendre avant tout les désirs des masses, et ne comprenaient pas eux-mêmes que le Parti est destiné à marcher en avant des masses et à leur montrer le chemin.

    4. L’internationale Communiste est absolument convaincue que la faillite des anciens Partis « social-démocrates » de la 2e Internationale ne peut, en aucun cas, être considérée comme la faillite des Partis prolétariens en général. L’époque de la lutte directe en vue de la dictature du prolétariat suscite un nouveau Parti prolétarien mondial — le Parti Communiste.

    5. L’internationale Communiste répudie de la façon la plus catégorique l’opinion suivant laquelle le prolétariat peut accomplir sa révolution sans avoir son Parti politique. Toute lutte de classes est une lutte politique. Le but de cette lutte, qui tend à se transformer inévitablement en guerre civile, est la conquête du pouvoir politique. C’est pourquoi le pouvoir politique ne peut être pris, organisé et dirigé que par tel ou tel Parti politique. Ce n’est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un Parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis, et possédant un programme d’action susceptible d’être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n’est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d’un travail durable d’édification communiste de la société par le prolétariat.

    La même lutte des classes exige aussi la centralisation et la direction unique des diverses formes du mouvement prolétarien (syndicats, coopératives, comités d’usines, enseignement, élections, etc…). Le centre organisateur et dirigeant ne peut être qu’un Parti politique. Se refuser à le créer et à l’affermir, se refuser à s’y soumettre équivaut à répudier le commandement unique des contingents du prolétariat agissant sur des points différents. La lutte de classe prolétarienne exige une agitation concentrée, éclairant les différentes étapes de la lutte d’un point de vue unique et attirant à chaque moment, toute l’attention du prolétariat sur les tâches qui l’intéressent dans son entier. Cela ne peut être réalisé sans un appareil politique centralisé, c’est-à-dire en dehors d’un Parti politique.

    La propagande de certains syndicalistes révolutionnaires et des adhérents du mouvement industrialiste du monde entier (I.W.W.) contre la nécessité d’un Parti politique se suffisant à lui-même n’a aidé et n’aide, à parler objectivement, que la bourgeoisie et les « social-démocrates » contre-révolutionnaires. Dans leur propagande contre un Parti Communiste qu’ils voudraient remplacer par des syndicats ou par des unions ouvrières de formes peu définies et trop vastes, les syndicalistes et les industrialistes ont des points de contact avec des opportunistes avérés.

    Après la défaite de la révolution de 1905, les mencheviks russes propagèrent pendant quelques années l’idée d’un Congrès ouvrier (ainsi le nommaient-ils) qui devait remplacer le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière ; les « travaillistes jaunes » de toutes sortes en Angleterre et en Amérique veulent remplacer le Parti politique par d’informes unions ouvrières, et ils inventent en même temps une tactique politique absolument bourgeoise. Les syndicalistes révolutionnaires et industrialistes veulent combattre la dictature de la bourgeoisie, mais ils ne savent comment s’y prendre. Ils ne remarquent pas qu’une classe ouvrière sans Parti politique est un corps sans tête. Le syndicalisme révolutionnaire et l’industrialisme ne marquent un pas fait en avant que par rapport à l’ancienne idéologie inerte et contre-révolutionnaire de la 2e Internationale. Par rapport au marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire au communisme, le syndicalisme et l’industrialisme marquent un pas en arrière. La déclaration des communistes « de la gauche allemande K.A.P.D. » (programme élaboré par leur Congrès constituant d’avril dernier) disant qu’ils forment un Parti, mais « non pas un Parti dans le sens courant du mot » (keine Partei im überlieferten Sinne) est une capitulation devant l’opinion syndicaliste et industrialiste, qui est un fait réactionnaire.

    Mais ce n’est pas par la grève générale, par la tactique des bras croisés que la classe ouvrière peut remporter la victoire sur la bourgeoisie. Le prolétariat doit en venir à l’insurrection armée. Celui qui a compris cela doit aussi comprendre qu’un Parti politique organisé est nécessaire et que d’informes unions ouvrières ne peuvent pas en tenir lieu.

    Les syndicalistes révolutionnaires parlent souvent du grand rôle que doit jouer une minorité révolutionnaire résolue. Or, en fait, cette minorité résolue de la classe ouvrière que l’on demande, cette minorité qui est communiste et qui a un programme, qui veut organiser la lutte des masses, c’est bien le Parti Communiste.

    6. La tâche la plus importante d’un Parti réellement communiste est de rester toujours en contact avec les organisations prolétariennes les plus larges. Pour arriver à cela, les communistes peuvent et doivent prendre part à des groupes qui, sans être des groupes du Parti, englobent de grandes masses prolétariennes. Tels sont par exemple ceux que l’on connaît sous le nom d’organisation d’invalides dans divers pays, de sociétés « Ne touchez pas à la Russie » (Hands off Russia) en Angleterre, les unions prolétariennes de locataires, etc… Nous avons ici l’exemple russe des conférences d’ouvriers et de paysans qui se déclarent « étrangers » aux Partis (bezpartinii). Des associations de ce genre seront bientôt organisées dans chaque ville, dans chaque quartier ouvrier et aussi dans les campagnes. A ces associations prennent part les plus larges masses comprenant même des travailleurs arriérés. On mettra à l’ordre du jour les questions les plus intéressantes : approvisionnement, habitation, questions militaires, enseignement, tâche politique du moment présent, etc… Les communistes doivent avoir de l’influence dans ces associations et cela aura les résultats les plus importants pour le Parti.

    Les communistes considèrent comme leur tâche principale un travail systématique d’éducation et d’organisation au sein de ces organisations. Mais précisément pour que ce travail soit fécond, pour que les ennemis du prolétariat révolutionnaire ne puissent s’emparer de ces organisations, les travailleurs avancés, communistes, doivent avoir leur Parti d’action organisée, sachant défendre le communisme dans toutes les conjonctures et en présence de toutes les éventualités.

    7. Les communistes ne s’écartent jamais des organisations ouvrières politiquement neutres, même quand elles revêtent un caractère évidemment réactionnaire (unions jaunes, unions chrétiennes, etc…). Au sein de ces organisations, le Parti Communiste poursuit constamment son œuvre propre, démontrant infatigablement aux ouvriers que la neutralité politique est sciemment cultivée parmi eux par la bourgeoisie et par ses agents afin de détourner le prolétariat de la lutte organisée pour le socialisme.

    8. L’ancienne subdivision classique du mouvement ouvrier en trois formes (Partis, syndicats, coopératives) a fait son temps. La révolution prolétarienne en Russie a suscité la forme essentielle de la dictature prolétarienne, les Soviets. La nouvelle division que nous mettons partout en valeur est celle-ci : 1° le Parti, 2° le Soviet, 3° le Syndicat.

    Mais le travail dans les Soviets de même que dans les syndicats d’industrie devenus révolutionnaires doit être invariablement et systématiquement dirigé par le Parti du prolétariat, c’est-à-dire par le Parti Communiste. Avant-garde organisée de la classe ouvrière, le Parti Communiste répond également aux besoins économiques, politiques et spirituels de la classe ouvrière toute entière. Il doit être l’âme des syndicats et des Soviets ainsi que de toutes les autres formes d’organisation prolétarienne.

    L’apparition des Soviets, forme historique principale de la dictature du prolétariat, ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne. Quand les communistes allemands de « gauche » (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par « le Parti ouvrier communiste allemand ») déclarent que « le Parti doit, lui aussi, s’adapter de plus en plus à l’idée soviétique et se prolétariser » (Kommunistische Arbeiterzeitung, N° 54) nous ne voyons là qu’une expression insinuante de cette idée que le Parti Communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer.

    Cette idée est profondément erronée et réactionnaire.

    L’histoire de la révolution russe nous montre à un certain moment, les Soviets allant à l’encontre du Parti prolétarien et soutenant les agents de la bourgeoisie. On a pu observer la même chose en Allemagne. Et cela est aussi possible dans les autres pays.

    Pour que les Soviets puissent remplir leur mission historique, l’existence d’un Parti Communiste assez fort pour ne pas « s’adapter » aux Soviets mais pour exercer sur eux une influence décisive, les contraindre à « ne pas s’adapter » à la bourgeoisie et à la social-démocratie officielle, les conduire par le moyen de cette fraction communiste, est au contraire nécessaire.

    9. Le Parti Communiste n’est pas seulement nécessaire à la classe ouvrière avant et pendant la conquête, du pouvoir, mais encore après celle-ci. L’histoire du Parti Communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti Communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s’est considérablement accru.

    10. Au jour de la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti du prolétariat ne constitue pourtant qu’une fraction de la classe des travailleurs. Mais c’est la fraction qui a organisé la victoire. Pendant vingt ans, comme nous l’avons vu en Russie depuis une suite d’années, comme nous l’avons vu en Allemagne, le Parti Communiste lutte non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre ceux d’entre les socialistes qui ne font en réalité que manifester l’influence des idées bourgeoises sur le prolétariat ; le Parti Communiste s’est assimilé les militants les plus stoïques, les plus clairvoyants, les plus avancés de la classe ouvrière. Et l’existence d’une semblable organisation prolétarienne permet de surmonter toutes les difficultés auxquelles se heurte le Parti Communiste dès le lendemain de sa victoire. L’organisation d’une nouvelle Armée Rouge prolétarienne, l’abolition effective du mécanisme gouvernemental bourgeois et la création des premiers linéaments de l’appareil gouvernemental prolétarien, la lutte contre les tendances corporatistes de certains groupements ouvriers, la lutte contre le patriotisme régional et l’esprit de clocher, les efforts en vue de susciter une nouvelle discipline du travail, — autant de domaines où le Parti Communiste, dont les membres entraînent par leur vivant exemple les masses ouvrières, doit dire le mot décisif.

    11. La nécessité d’un Parti politique du prolétariat ne disparaît qu’avec les classes sociales. Dans la marche du communisme vers la victoire définitive il est possible que le rapport spécifique qui existe entre les trois formes essentielles de l’organisation prolétarienne contemporaine (Partis, Soviets, Syndicats d’industrie) soit modifié et qu’un type unique, synthétique, d’organisation ouvrière se cristallise peu à peu. Mais le Parti Communiste ne se dissoudra complètement au sein de la classe ouvrière que lorsque le communisme cessera d’être l’enjeu de la lutte sociale, lorsque la classe ouvrière sera, toute entière, devenue communiste.

    12. Le 2° Congrès de l’Internationale Communiste doit non seulement confirmer le Parti dans sa mission historique, mais encore indiquer au prolétariat international tout au moins les lignes essentielles du Parti qui nous est nécessaire.

    13. L’Internationale Communiste est d’avis que, surtout à l’époque de la dictature du prolétariat, le Parti Communiste doit être basé sur une inébranlable centralisation prolétarienne. Pour diriger efficacement la classe ouvrière dans la guerre civile longue et opiniâtre, devenue imminente, le Parti Communiste doit établir en son sein une discipline de fer, une discipline militaire. L’expérience du Parti Communiste russe qui a pendant trois ans dirigé avec succès la classe ouvrière à travers les péripéties de la guerre civile, a montré que sans la plus forte discipline, sans une centralisation achevée, sans une confiance absolue des adhérents envers le centre directeur du Parti, la victoire des travailleurs est impossible.

    14. Le Parti Communiste doit être basé sur une centralisation démocratique. La constitution par voie d’élection des comités secondaires, la soumission obligatoire de tous les comités au comité qui leur est supérieur et l’existence d’un centre muni de pleins pouvoirs, dont l’autorité ne peut, dans l’intervalle entre les Congrès du Parti, être contestée par personne, tels sont les principes essentiels de la centralisation démocratique.

    15. Toute une série de Partis Communistes en Europe et en Amérique sont rejetés par l’état de siège en dehors de la légalité. Il convient de se rappeler que le principe électif peut avoir à souffrir, dans ces conditions, quelques atteintes et qu’il peut être nécessaire d’accorder aux organes directeurs du Parti le droit de coopter des membres nouveaux. Il en fut ainsi naguère en Russie. Durant l’état de siège le Parti Communiste ne peut évidemment pas avoir recours au référendum démocratique, toutes les fois qu’une question grave se pose (comme l’aurait voulu un groupe de communistes américains) ; il doit au contraire donner à son centre dirigeant la possibilité et le droit de décider promptement au moment opportun, pour tous les membres du Parti.

    16. La revendication d’une large « autonomie » pour les groupes locaux du Parti ne peut en ce moment qu’affaiblir les rangs du Parti Communiste, diminuer sa capacité d’action et favoriser le développement des tendances anarchistes et petites-bourgeoises contraires à la centralisation.

    17. Dans les pays où le pouvoir est encore détenu par la bourgeoisie ou par la social-démocratie contre-révolutionnaire, les Partis communistes doivent apprendre à juxtaposer systématiquement l’action légale et l’action clandestine. Cette dernière doit toujours contrôler effectivement la première. Les groupes parlementaires communistes de même que les fractions communistes opérant au sein des diverses institutions de l’Etat, tant centrales que locales, doivent être entièrement subordonnées au Parti Communiste — quelle que soit la situation, légale ou non, du Parti. Les mandataires qui d’une façon ou d’une autre ne se soumettent pas au Parti doivent en être exclus. La presse légale (journaux, éditions diverses) doit dépendre en tout et pour tout de l’ensemble du Parti et de son comité central.

    18. Dans toute action organisatrice du Parti et des communistes la pierre angulaire doit être posée par l’organisation d’un noyau communiste partout où l’on trouve quelques prolétaires et quelques demi-prolétaires. Dans tout Soviet, dans tout syndicat, dans toute coopérative, dans tout atelier, dans tout comité de locataires, dans toute institution où trois personnes sympathisent avec le communisme, un noyau communiste doit être immédiatement organisé. L’organisation communiste est la seule porte permettant à l’avant-garde de la classe ouvrière d’entraîner derrière elle toute la classe ouvrière. Tous les noyaux communistes agissant parmi les organisations politiquement neutres sont absolument subordonnés au Parti dans son ensemble, que l’action du Parti soit légale ou clandestine. Les noyaux communistes doivent être classés dans une stricte dépendance réciproque, à établir de la façon la plus précise.

    19. Le Parti Communiste naît presque toujours dans les grands centres, parmi les travailleurs de l’industrie urbaine. Pour assurer à la classe ouvrière la victoire la plus facile et la plus rapide, il est indispensable que le Parti Communiste ne soit pas exclusivement un Parti urbain. Il doit s’étendre aussi dans les campagnes et, à cette fin, se consacrer à la propagande et à l’organisation des journaliers agricoles, des paysans pauvres et moyens. Le Parti communiste doit poursuivre avec un soin particulier l’organisation de noyaux communistes dans les villages.

    L’organisation internationale du prolétariat ne peut être forte que si cette façon d’envisager le rôle du Parti Communiste est admise dans tous les pays où vivent et luttent des communistes. L’Internationale Communiste invite tous les syndicats acceptant les principes de la 3e Internationale à rompre avec l’Internationale Jaune. L’Internationale organisera une section internationale des syndicats rouges qui se placent sur le terrain du communisme. L’Internationale Communiste ne refusera pas le concours de toute organisation ouvrière politiquement neutre désireuse de combattre la bourgeoisie. Mais l’Internationale Communiste ne cessera, ce faisant, de prouver aux prolétaires du monde :

    1° que le Parti communiste est l’arme principale, essentielle, de l’émancipation du prolétariat ; nous devons avoir maintenant dans tous les pays, non plus des groupes et des tendances, mais un Parti Communiste ;

    2° qu’il ne doit y avoir dans chaque pays qu’un seul et unique Parti Communiste ;

    3° que le Parti Communiste doit être fondé sur le principe de la plus stricte centralisation et doit instituer en son sein, à l’époque de la guerre civile, une discipline militaire ;

    4° que partout où il n’y a ne fut-ce qu’une dizaine de prolétaires ou de demi-prolétaires, le Parti Communiste doit avoir son noyau organisé ;

    5° que dans toute organisation apolitique il doit y avoir un noyau communiste strictement subordonné au Parti dans son entier ;

    6° que défendant inébranlablement et avec un absolu dévouement le programme et la tactique révolutionnaire du Communisme, le Parti doit rester toujours en relations étroites avec les organisations des grandes masses ouvrières et doit se garder du sectarisme autant que du manque de principes.

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    de l’Internationale communiste

  • Les tâches principales de l’Internationale Communiste décidées au second congrès

    1. Le moment actuel du développement du mouvement communiste international est caractérisé par le fait que, dans tous les pays capitalistes, les meilleurs représentants du mouvement prolétarien ont parfaitement compris les principes fondamentaux de l’Internationale Communiste, c’est-à-dire : la dictature du prolétariat et le gouvernement des Soviets, et se sont rangés à ses côtés avec un dévouement enthousiaste. Plus important encore est le fait que les plus larges masses du prolétariat des villes et des travailleurs avancés des campagnes manifestent leur sympathie sans réserve pour ces principes essentiels. C’est là un grand pas en avant.

    D’autre part, deux fautes ou deux faiblesses du mouvement communiste international, qui croît avec une rapidité extraordinaire, se sont fait remarquer. L’une, très grave et qui présente un grand danger immédiat pour la cause de la libération du prolétariat, consiste en ce que certains anciens leaders, certains vieux partis de la 2e Internationale, en partie inconsciemment sous la pression des masses, en partie consciemment — et alors les trompant pour conserver leur ancienne situation d’agents et d’auxiliaires de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier — annoncent leur adhésion conditionnelle ou sans réserve à la 3e Internationale, tout en restant, en fait, dans tout leur travail pratique quotidien, au niveau de la 2e Internationale. Cet état de choses est absolument inadmissible. Il introduit parmi les masses un élément de corruption, il empêche la formation ou le développement d’un Parti Communiste fort, il met en cause le respect dû à la 3e Internationale en la menaçant du recommencement de trahisons semblables à celle des social-démocrates hongrois hâtivement travestis en Communistes. Une autre faute, beaucoup moins importante et qui est bien plutôt une maladie de croissance du mouvement, est la tendance « à gauche » qui conduit à une appréciation erronée du rôle et de la mission du Parti par rapport à la classe ouvrière et à la masse, et de l’obligation pour les révolutionnaires communistes de militer dans les parlements bourgeois et dans les syndicats réactionnaires.

    Le devoir des Communistes n’est pas de taire les faiblesses de leur mouvement, mais d’en faire ouvertement la critique afin de s’en débarrasser promptement et radicalement. À cette fin, il importe tout d’abord de définir, selon notre expérience pratique, le contenu des notions de dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets ;en second lieu, en quoi peut et doit consister dans tous les pays le travail préparatoire, immédiat et systématique, en vue de la réalisation de ces mots d’ordre ; et en troisième lieu, quels voies et moyens nous permettent de guérir notre mouvement de ses faiblesses.

    1. — L’essence de la dictature du prolétariat et du pouvoir des Soviets.

    2. La victoire du socialisme (première étape du Communisme) sur le capitalisme exige l’accomplissement par le prolétariat, seule classe réellement révolutionnaire, des trois tâches suivantes :

    La première consiste à renverser les exploiteurs et, en premier lieu, la bourgeoisie, leur représentant économique et politique principal ; il s’agit de leur infliger une défaite totale, de briser leur résistance, de rendre impossible de leur part toute tentative de restauration du capital et de l’esclavage salarié.

    La deuxième consiste à entraîner à la suite de l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire, de son Parti Communiste, non seulement tout le prolétariat, mais aussi toute la masse des travailleurs exploités par le capital, à les éclairer, à les organiser, à les éduquer, à les discipliner au cours même de la lutte impitoyable et téméraire contre les exploiteurs, — à arracher dans tous les pays capitalistes cette écrasante majorité de la population à la bourgeoisie, à lui inspirer pratiquement confiance dans le rôle de directeur du prolétariat de son avant-garde révolutionnaire.

    La troisième, de neutraliser ou de réduire à l’impuissance les inévitables hésitants entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre la démocratie bourgeoise et le pouvoir des Soviets, de la classe de petits propriétaires ruraux, industriels et négociants, encore assez nombreux bien que ne formant qu’une minorité de la population et des catégories d’intellectuels, d’employés, etc…, gravitant autour de cette classe.

    La première et la deuxième tâche exigent chacune des méthodes d’action particulières à l’égard des exploités et des exploiteurs. La troisième découle des deux premières ; elle n’exige qu’une application habile, souple et opportune des méthodes appliquées aux premières et qu’il s’agit d’adapter aux circonstances concrètes.

    3. Dans la conjoncture actuelle, créée dans le monde entier, et surtout dans les pays capitalistes les plus avancés, les plus puissants, les plus éclairés, les plus libres, par le militarisme, l’impérialisme, l’oppression des colonies et des pays faibles, la tuerie impérialiste mondiale et la « paix » de Versailles, la pensée d’une paisible soumission de la majorité des exploités aux capitalistes et d’une évolution pacifique vers le socialisme, n’est pas seulement un signe de médiocrité petite-bourgeoise : c’est aussi une duperie, la dissimulation de l’esclavage du salariat, la déformation de la vérité aux yeux des travailleurs. La vérité est que la bourgeoisie la plus éclairée, la plus démocratique, ne recule pas devant le massacre de millions d’ouvriers et de paysans à seule fin de sauver la propriété privée des moyens de production. Le renversement de la bourgeoisie par la violence, la confiscation de ses propriétés, la destruction de son mécanisme d’État, parlementaire, judiciaire, militaire, bureaucratique, administratif, municipal, etc… jusqu’à l’exil ou l’internement de tous les exploiteurs les plus dangereux et les plus obstinés, sans exception, l’exercice sur leurs milieux d’une stricte surveillance pour la répression des tentatives qu’ils ne manqueront pas de faire dans l’espoir de restaurer l’esclavage capitaliste, telles sont les mesures qui peuvent seules assurer la soumission réelle de la classe entière des exploiteurs.

    D’autre part, l’idée coutumière aux vieux partis et aux vieux leaders de la 2e Internationale, que la majorité des travailleurs et des exploités peut, en régime capitaliste, sous le joug esclavagiste de la bourgeoisie — qui revêt des formes infiniment variées, d’autant plus raffinées et à la fois plus cruelles et plus impitoyables que le pays capitaliste est plus cultivé — acquérir une pleine conscience socialiste, la fermeté socialiste, des convictions et du caractère, cette idée, disons-nous, trompe aussi les travailleurs. En fait, ce n’est qu’après que l’avant-garde prolétarienne, soutenue par la seule classe révolutionnaire ou par sa majorité, aura renversé les exploiteurs, les aura brisés, aura libéré les exploités de leurs servitudes et immédiatement amélioré leurs conditions d’existence au détriment des capitalistes expropriés — ce n’est qu’alors, et au prix de la plus âpre guerre civile, que l’éducation, l’instruction, l’organisation des plus grandes masses exploitées pourra se faire autour du prolétariat, sous son influence et sa direction, et qu’il sera possible de vaincre leur égoïsme, leurs vices, leurs faiblesses, leur manque de cohésion, entretenus par le régime de la propriété privée, et de les transformer en une vaste association de libres travailleurs.

    4. Le succès de la lutte contre le capitalisme exige un juste rapport des forces entre le Parti Communiste comme guide, le prolétariat, la classe révolutionnaire et la masse, c’est-à-dire l’ensemble des travailleurs et des exploités. Le Parti Communiste, s’il est véritablement l’avant-garde de la classe révolutionnaire, s’il s’assimile tous ses meilleurs représentants, s’il est composé de Communistes conscients et dévoués, éclairés et éprouvés par l’expérience d’une longue lutte révolutionnaire, s’il a su se lier indissolublement à toute l’existence de la classe ouvrière et par son intermédiaire à celle de toute la masse exploitée et leur inspirer une pleine confiance, ce Parti seul est capable de diriger le prolétariat dans la lutte finale, la plus acharnée, contre toutes les forces du capitalisme. Et ce n’est que sous la direction d’un Parti semblable que le prolétariat peut annihiler l’apathie et la résistance de la petite aristocratie ouvrière, composée des leaders du mouvement syndical et corporatif corrompus par le capitalisme, et développer toutes ses énergies, infiniment plus grandes que sa force numérique parmi la population, par suite de la structure économique du capitalisme lui-même. Enfin, ce n’est que libérée effectivement du joug du capital et de l’appareil gouvernemental de l’État, ce n’est qu’après avoir obtenu la possibilité d’agir librement que la masse, c’est-à-dire la totalité des travailleurs et des exploités organisés dans les Soviets, pourra développer, pour la première fois dans l’histoire, l’initiative et l’énergie de dizaines de millions d’hommes étouffés par le capitalisme. Ce n’est que lorsque les Soviets seront devenus l’unique mécanisme de l’État, que pourra être assurée la participation effective des masses autrefois exploitées à toute l’administration du pays, participation qui, dans les démocraties bourgeoises les plus éclairées et les plus libres, était impossible quatre-vingt-quinze fois sur cent. Dans les Soviets, la masse des exploités commence à apprendre, non des livres, mais de son expérience pratique, ce qu’est l’édification socialiste, la création d’une nouvelle discipline sociale et la libre association des travailleurs libres.

    2. — EN QUOI DOIT CONSISTER LA PRÉPARATION
    IMMÉDIATE DE LA DICTATURE PROLÉTARIENNE

    5. Le développement actuel du mouvement communiste international est caractérisé par ce fait que dans nombre de pays capitalistes, le travail de préparation du prolétariat à l’exercice de la dictature n’est pas achevé et très souvent n’a pas encore été commencé de façon systématique. Il ne s’ensuit pas que la révolution prolétarienne soit impossible dans un avenir très prochain ; elle est, au contraire, tout ce qu’il y a de plus possible, la situation politique et économique étant extraordinairement riche en matières inflammables et en causes susceptibles de provoquer leur embrasement inopiné ; un autre facteur de la révolution, en dehors de l’état de préparation du prolétariat, est notamment la crise générale en présence de laquelle se trouvent tous les partis gouvernants et tous les partis bourgeois. Mais il résulte de ce qui a été dit que la tâche actuelle des Partis Communistes consiste à hâter la révolution, sans toutefois la provoquer artificiellement avant une préparation suffisante ; la préparation du prolétariat à la révolution doit être intensifiée par l’action. D’autre part, les cas signalés plus haut dans l’histoire de beaucoup de partis socialistes, obligent de bien veiller à ce que la reconnaissance de la dictature du prolétariat ne puisse pas rester purement verbale.

    Pour ces raisons, la tâche principale du Parti Communiste, du point de vue du mouvement international prolétarien, est à l’heure présente le groupement de toutes les forces communistes éparses, la formation dans chaque pays d’un Parti Communiste unique (ou le renforcement et le renouvellement des partis déjà existants) afin de décupler le travail de préparation du prolétariat à la conquête du pouvoir sous forme de dictature du prolétariat. L’action socialiste habituelle des groupes et des partis qui reconnaissent la dictature du prolétariat, est loin d’avoir subi cette modification fondamentale, ce renouvellement radical, qui est nécessaire, pour qu’on en reconnaisse l’action comme étant bien communiste et comme correspondant aux tâches de la veille de la dictature prolétarienne.

    6. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat n’interrompt pas la lutte de classe de celui-ci contre la bourgeoisie, mais au contraire, ne fait que la rendre plus large, plus acerbe, plus impitoyable. Tous les groupes, partis, militants du mouvement ouvrier qui adoptent en totalité ou en partie le point de vue du réformisme, du « centre », etc…, se placeront inévitablement, par suite de l’extrême exacerbation de la lutte, soit du côté de la bourgeoisie, soit du côté des hésitants ou (ce qui est plus dangereux) tomberont dans le nombre des amis indésirables du prolétariat victorieux. C’est pourquoi la préparation de la dictature du prolétariat exige non seulement le renforcement de la lutte contre la tendance des réformistes et des « centristes », mais aussi la modification du caractère de cette lutte. Celle-ci ne peut pas se limiter à la démonstration du caractère erroné de ces tendances, mais elle doit aussi démasquer inlassablement et impitoyablement tout militant du mouvement ouvrier qui manifestera ces tendances, le prolétariat ne pouvant pas savoir sans cela avec qui il marche à la lutte finale contre la bourgeoisie. Cette lutte est telle, qu’elle peut changer à tout instant et transformer, comme l’a déjà démontré l’expérience, l’arme de la critique en critique par les armes. Tout manque d’esprit de suite, ou toute faiblesse dans la lutte contre ceux qui se conduisent comme des réformistes ou des « centristes », a pour conséquence un accroissement direct du danger de renversement du pouvoir du prolétariat par la bourgeoisie, qui utilisera demain pour la contre-révolution ce qui ne paraît aux bornés qu’un « désaccord théorique » d’aujourd’hui.

    7. Il est impossible de se limiter à la négation habituelle de principe de toute collaboration avec la bourgeoisie, de tout « coalitionnisme ». Une simple défense de la « liberté » et de « l’égalité » avec le maintien de la propriété privée des moyens de production, se transforme dans les conditions de la dictature du prolétariat, qui ne sera jamais en état d’abolir d’un coup la propriété privée en entier, en « collaboration » avec la bourgeoisie qui sapera directement le pouvoir de la classe ouvrière. Car la dictature du prolétariat signifie l’affermissement gouvernemental et la défense, par tout le système d’État, non pas de « la liberté » pour les exploiteurs de continuer leur œuvre d’oppression et d’exploitation, non pas de « l’égalité » du propriétaire (c’est-à-dire de celui qui conserve pour sa jouissance personnelle certains moyens de production créés par le travail de la collectivité) et du pauvre. Ce qui nous paraît jusqu’à la victoire du prolétariat n’être qu’un désaccord sur la question de la « démocratie » deviendra inévitablement demain, après la victoire, une question qu’il faudra trancher par les armes. Sans transformation radicale de tout le caractère de la lutte contre les « centristes » et les « défenseurs de la démocratie » la préparation même préalable des masses à la réalisation de la dictature du prolétariat est donc impossible.

    8. La dictature du prolétariat est la forme la plus décisive et la plus révolutionnaire de la lutte de classes du prolétariat et de la bourgeoisie. Pareille lutte ne peut être victorieuse que lorsque l’avant-garde la plus révolutionnaire du prolétariat entraîne derrière elle l’écrasante majorité ouvrière. La préparation de la dictature du prolétariat exige pour ces raisons, non seulement la divulgation du caractère bourgeois du réformisme et de toute défense de la démocratie impliquant le maintien de la propriété privée sur les moyens de production ; non seulement la divulgation des manifestations de tendances, qui signifient en fait la défense de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ; mais elle exige aussi le remplacement des anciens leaders par des Communistes dans toutes les formes d’organisation prolétarienne, politiques, syndicales, coopératives, d’éducation, etc…

    Plus la domination de la démocratie bourgeoise a été longue et ferme, dans un pays donné, plus la bourgeoisie a réussi a amener aux postes importants du mouvement ouvrier des hommes éduqués par elle, par ses conceptions, par ses préjugés, très souvent directement ou indirectement achetés par elle. Il est indispensable, et il faut le faire avec cent fois plus de hardiesse qu’on ne l’a fait jusqu’ici, de remplacer ces représentants de l’aristocratie ouvrière par des travailleurs même inexpérimentés, proches de la masse exploitée et jouissant de sa confiance dans la lutte contre les exploiteurs. La dictature du prolétariat exigera la désignation de tels travailleurs inexpérimentés aux postes les plus importants du gouvernement, sans quoi le pouvoir de la classe ouvrière restera impuissant et ne sera pas soutenu par la masse.

    9. La dictature du prolétariat est la réalisation la plus complète de la domination de tous les travailleurs et de tous les exploités, opprimés, abrutis, terrorisés, éparpillés, trompés par la classe capitaliste, mais conduits par la seule classe sociale préparée à cette mission dirigeante par toute l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi la préparation de la dictature prolétarienne doit être partout et immédiatement commencée, entre autres par les moyens que voici :

    Dans toutes les organisations sans exception, — syndicats, unions, etc… — prolétariennes d’abord et ensuite non-prolétariennes, des masses laborieuses exploitées (qu’elles soient politiques, syndicales, militaires, coopératives, postscolaires, sportives, etc…), des groupes ou des noyaux communistes doivent être formés, de préférence ouvertement, mais, s’il le faut, clandestinement — ce qui devient obligatoire toutes les fois que leur mise hors la loi et l’arrestation de leurs membres sont à craindre ; ces groupes, rattachés les uns aux autres et rattachés au centre du Parti, échangeant le résultat de leur expérience, s’occupant d’agitation, de propagande et d’organisation s’adaptent à tous les domaines de la vie sociale, à tous les aspects et à toutes les catégories de la masse laborieuse, doivent procéder par leur travail multiple à leur propre éducation, à celle du Parti, de la classe ouvrière et de la masse.

    Il est, cependant, de la plus haute importance d’élaborer pratiquement, — dans leur développement nécessaire — des méthodes d’action, d’une part, à l’égard des leaders ou des représentants autorisés des organisations, complètement corrompus par les préjugés impérialistes et petits-bourgeois (ces leaders, il faut impitoyablement les démasquer et les exclure du mouvement ouvrier) et, d’autre part, à l’égard des masses qui, surtout depuis la tuerie impérialiste, sont disposées à prêter l’oreille à l’enseignement de la nécessité de suivre le prolétariat, seul capable de les tirer de l’esclavage capitaliste. Il convient de savoir aborder les masses avec patience et circonspection, afin de comprendre les particularités psychologiques de chaque profession, de chaque groupe au sein de cette masse.

    10. Il est un groupe ou fraction de Communistes qui mérite tout particulièrement l’attention et la surveillance du Parti : c’est la fraction parlementaire, autrement dit, le groupe des membres du parti élus au Parlement (ou aux municipalités, etc…). D’une part, ces tribunes sont, aux yeux des couches profondes de la classe laborieuse retardataire ou farcie de préjugés petits-bourgeois, d’une importance capitale ; c’est d’ailleurs la raison qui fait que les Communistes doivent, du haut de ces tribunes, mener une action de propagande, d’agitation, d’organisation, et expliquer aux masses pourquoi était nécessaire en Russie (comme il le sera, le cas échéant, dans tous les pays) la dissolution du Parlement bourgeois par le congrès panrusse de Soviets. D’autre part, toute l’histoire de la démocratie bourgeoise a fait de la tribune parlementaire, notamment dans les pays avancés, la principale ou l’une des principales arènes des duperies financières et politique, de l’arrivisme, de l’hypocrisie, de l’oppression des travailleurs. C’est pourquoi la haine vivace nourrie à l’égard des parlements par les meilleurs représentants du prolétariat est pleinement justifiée. C’est pourquoi les Partis Communistes et tous les partis adhérents à la 3e Internationale (dans les cas surtout où ces partis n’ont pas été créés par suite d’une scission des anciens partis après une lutte longue et acharnée, mais se sont formés par l’adoption souvent nominale d’une nouvelle position par les anciens partis) doivent observer une attitude très rigoureuse à l’égard de leurs fractions parlementaires, c’est-à-dire exiger : leur subordination complète au Comité Central du Parti ; l’introduction de préférence dans leur composition d’ouvriers révolutionnaires ; l’analyse la plus attentive dans la presse du Parti et aux réunions de celui-ci, des discours des parlementaires du point de vue de leur attitude communiste ; la désignation des parlementaires pour l’action de propagande parmi les masses, l’exclusion immédiate de tous ceux qui manifesteraient une tendance vers la 2e Internationale, etc…

    11. Un des obstacles les plus graves au mouvement ouvrier révolutionnaire dans les pays capitalistes développés dérive du fait que grâce aux possessions coloniales et à la plus-value du capital financier, etc…, le capital a réussi à y créer une petite aristocratie ouvrière relativement imposante et stable. Elle bénéficie des meilleures conditions de rétribution ; elle est, par-dessus tout, pénétrée d’un esprit de corporatisme étroit, de petite bourgeoisie et de préjugés capitalistes. Elle constitue le véritable « point d’appui » social de la 2e Internationale des réformistes et des « centristes », et elle est bien près, à l’heure actuelle, d’être le point d’appui principal de la bourgeoisie. Aucune préparation, même préalable, du prolétariat au renversement de la bourgeoisie n’est possible sans une lutte directe, systématique, large, déclarée, avec cette petite minorité, qui, sans aucun doute (comme l’a pleinement prouvé l’expérience) donnera nombre des siens à la garde blanche de la bourgeoisie après la victoire du prolétariat. Tous les partis adhérant à la 3e Internationale doivent, coûte que coûte, donner corps dans la vie à ce mot d’ordre, « plus profondément dans les masses », en comprenant par masse tout l’ensemble des travailleurs et des exploités par le capital, et surtout les moins organisés et les moins éclairés, les plus opprimés et les moins accessibles à l’organisation.

    Le prolétariat ne devient révolutionnaire qu’autant qu’il ne s’enferme pas dans les cadres d’un étroit corporatisme et pour autant qu’il agit dans toutes les manifestations et tous les domaines de la vie sociale, comme le chef de toute la masse laborieuse et exploitée. La réalisation de sa dictature est impossible sans préparation et sans la résolution de consentir aux pertes les plus grandes au nom de la victoire sur la bourgeoisie. Et sous ce rapport, l’expérience de la Russie a une importance pratique de principe. Le prolétariat russe n’aurait pas pu réaliser sa dictature, n’aurait pas pu conquérir la sympathie et la confiance générales de toute la masse ouvrière, s’il n’avait pas fait preuve de plus d’esprit de sacrifice et s’il n’avait pas plus profondément souffert de la faim que toutes les autres couches de cette masse, aux heures les plus difficiles des attaques, des guerres, du blocus de la bourgeoisie mondiale.

    L’appui le plus complet et le plus dévoué du Parti Communiste et du prolétariat d’avant-garde est tout particulièrement nécessaire à l’égard de tout mouvement gréviste large, violent, considérable, qui est seul en état, sous l’oppression du capital, de réveiller véritablement, d’ébranler et d’organiser les masses, de leur inspirer une confiance pleine et entière en le rôle directeur du prolétariat révolutionnaire. Sans une semblable préparation, aucune dictature du prolétariat n’est possible, et les hommes capables de prendre fait et cause contre les grèves comme le font Kautsky en Allemagne et Turati en Italie, ne doivent pas être tolérés au sein des partis qui se rattachent à la 3e Internationale. Ceci concerne certainement plus encore les leaders parlementaires et trade-unionistes qui, à tout moment, trahissent les ouvriers, en leur enseignant par la grève le réformisme et non la révolution (exemples : Jouhaux en France, Gompers en Amérique, G.-H. Thomas en Angleterre).

    12. Pour tous les pays, même pour les plus « libres », les plus « légaux », les plus « pacifiques » au sens de la plus faible exacerbation de la lutte de classe, le moment est venu où il est d’une nécessité absolue pour tout Parti communiste, d’unir l’action légale et illégale, l’organisation légale et l’organisation clandestine. Car dans les pays les plus cultivés et les plus libres, ceux du régime bourgeois-démocratique le plus « stable », les gouvernements, en dépit de leurs déclarations mensongères et cyniques, établissent déjà de secrètes listes noires de communistes, violent à tout instant leur propre constitution en soutenant plus ou moins secrètement les gardes-blancs et l’assassinat des communistes dans tous les pays, préparent dans l’ombre les arrestations des communistes, introduisent parmi eux des provocateurs, etc…

    Il n’est que le plus réactionnaire esprit petit-bourgeois, quelle que soit la beauté des phrases « démocratiques » et pacifiques dont il se pare, qui puisse nier ce fait et la conclusion obligatoire qui en découle : la formation immédiate par tous les partis communistes légaux d’organisations clandestines en vue de l’action illégale, organisations qui seront prête pour le jour où la bourgeoisie se mettra à traquer les communistes. Une action illégale dans l’armée, dans la flotte, dans la police est de la plus haute importance ; depuis la grande guerre impérialiste tous les gouvernements du monde ont pris peur de l’armée populaire et ont eu recours à tous les procédés imaginables pour constituer spécialement des unités militaires avec des éléments spécialement triés parmi la bourgeoisie et armés des engins meurtriers les plus perfectionnés.

    Il est d’autre part également nécessaire dans tous les cas, sans exception, de ne pas se borner à une action illégale, mais aussi de poursuivre l’action légale en surmontant à cet effet toutes les difficultés, en fondant des journaux légaux et des organisations légales sous les désignations les plus différentes, et le cas échéant en changeant fréquemment leurs dénominations. Ainsi agissent les partis communistes illégaux en Finlande, en Hongrie, en Allemagne et dans une certaine mesure, en Pologne, Lituanie, etc… Ainsi doivent agir les Travailleurs Industriels du Monde (I.W.W.) en Amérique, et devront agir tous les autres partis communistes légaux, au cas où il plairait aux procureurs de leur intenter des poursuites pour la seule acceptation des résolutions des Congrès de l’Internationale Communiste, etc…

    L’absolue nécessité d’unir l’action légale et illégale n’est pas déterminée en principe par l’ensemble des conditions de l’époque que nous traversons, période de veille de dictature prolétarienne, mais par le besoin de montrer à la bourgeoisie qu’il n’y a pas et qu’il ne peut pas y avoir de domaines et de champs d’action, que n’aient pas conquis les communistes, et aussi parce qu’il existe encore partout de profondes couches du prolétariat, et dans des proportions plus vastes encore une masse laborieuse et exploitée non prolétarienne, qui font toujours confiance à la légalité bourgeoise démocratique, et qu’il est très important pour nous de dissuader.

    13. L’état de la presse ouvrière dans les pays capitalistes les plus avancés montre de façon éclatante le mensonge de la liberté et de l’égalité en démocratie bourgeoise, de même que la nécessité d’unir systématiquement l’action légale et illégale. Tant dans l’Allemagne vaincue que dans l’Amérique victorieuse, toutes les forces de l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie et toute l’astuce des rois de l’or sont mises en mouvement pour dépouiller les ouvriers de leur presse : poursuites judiciaires et arrestations (ou assassinats commis par des spadassins) des rédacteurs, confiscation des envois postaux, confiscation du papier, etc… Et tout ce qui est nécessaire à un journal quotidien en fait d’information se trouve entre les mains des agences télégraphiques bourgeoises, les annonces sans lesquelles un grand journal ne peut pas couvrir ses frais sont à la « libre » disposition des capitalistes. En résumé, la bourgeoisie, par le mensonge, par la pression du capital et de l’État bourgeois dépouille le prolétariat révolutionnaire de sa presse.

    Pour lutter contre cet état de choses, les Partis Communistes doivent créer un nouveau type de presse périodique destiné à la diffusion en masse parmi les ouvriers, comportant :

    1° des publications légales qui apprendraient, sans se déclarer communistes et sans parler de leur dépendance du Parti, à tirer parti des moindres possibilités légales, comme les bolcheviks l’ont fait sous le tsarisme après 1905 ;

    2° des tracts illégaux, ne fût-ce que d’un format minime, paraissant irrégulièrement, mais imprimés par les ouvriers dans un grand nombre de typographies (clandestinement, ou si le mouvement s’est renforcé, par la mainmise sur les typographes) donnant au prolétariat une information libre, révolutionnaire, et des mots d’ordre révolutionnaires.

    Sans une bataille révolutionnaire, qui entraînera les masses, pour la liberté de la presse communiste, la préparation de la dictature du prolétariat est impossible.

    3. — MODIFICATION DE LA LIGNE DE CONDUITE,
    ET PARTIELLEMENT, DE LA COMPOSITION SOCIALE
    DES PARTIS ADHÉRANT OU DÉSIREUX D’ADHÉRER
    À L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

    14. Le degré de préparation du prolétariat des pays les plus importants, au point de vue de l’économie et de la politique mondiales, à la réalisation de la dictature ouvrière se caractérise avec le plus d’objectivité et d’exactitude, par le fait que les partis les plus influents de la 2e Internationale, tels que le Parti Socialiste Français, le Parti Social-Démocrate Indépendant Allemand, le Parti Ouvrier Indépendant Anglais, le Parti Socialiste Américain sont sortis de cette Internationale Jaune et ont décidé, sous condition, d’adhérer à la 3e Internationale. Il est ainsi prouvé que l’avant-garde n’est pas seule, que la majorité du prolétariat révolutionnaire a commencé, persuadée par toute la marche des événements, à passer de notre côté. L’essentiel maintenant est de savoir achever ce passage et solidement affermir par l’organisation ce qui a été obtenu, afin qu’il soit possible d’aller de l’avant sur toute la ligne sans la moindre hésitation.

    15. Toute l’activité des partis précités (auxquels il faut encore ajouter le Parti Socialiste Suisse si le télégramme nous informant de sa décision d’adhésion à la 3e Internationale est exact) prouve (et n’importe quelle publication de ces partis le confirme indubitablement), qu’elle n’est pas encore communiste et va fréquemment à l’encontre des principes fondamentaux de la 3e Internationale en reconnaissant la démocratie bourgeoise au lieu de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique.

    Pour ces raisons le 2e Congrès de l’Internationale Communiste déclare qu’il ne considère pas comme possible de reconnaître immédiatement ces partis ; qu’il confirme la réponse faite par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste aux indépendants allemands ; qu’il confirme son consentement d’entrer en pourparlers avec tout parti qui sortira de la 2e Internationale et qui exprimera le désir de se rapprocher de la 3e Internationale ; qu’il accorde voix consultative aux délégués de ces partis à tous ses Congrès et Conférences ; qu’il pose les conditions suivantes pour l’union complète de ces partis (et partis similaires) avec l’Internationale Communiste.

    1. Publication de toutes les décisions de tous les Congrès de l’Internationale Communiste et du Comité Exécutif dans toutes les éditions périodiques du Parti ;

    2. Examen de ces dernières à des réunions spéciales de toutes les organisations locales du Parti ;

    3. Convocation, après cet examen, d’un Congrès spécial du Parti afin d’en exclure les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale. Ce Congrès devra être convoqué aussi vite que possible dans un délai maximum de quatre mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste ;

    4. Expulsion du Parti de tous les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale ;

    5. Passage de tous les organes périodiques du Parti aux mains de rédacteurs exclusivement communistes ;

    6. Les partis qui voudraient adhérer maintenant à la 3e Internationale mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique doivent préalablement veiller à ce que les deux tiers des membres de leur comité central et des institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades qui, déjà avant le 2e Congrès, s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve aussi le droit de faire des exceptions en ce qui concerne les représentants de la tendance centriste mentionnés au paragraphe 7 ;

    7. Les membres du Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

    16. En ce qui concerne l’attitude des communistes qui forment la minorité actuelle parmi les militants responsables des Partis précités et similaires, le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que par suite de l’allure rapide du développement actuel de l’esprit révolutionnaire des masses la sortie des communistes de ces Partis n’est pas désirable, aussi longtemps qu’ils auront la possibilité d’y mener une action dans le sens de la reconnaissance de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique, de critiquer les opportunistes et les centristes qui y demeurent encore.

    Toutefois lorsque l’aile gauche d’un parti centriste aura acquis une force suffisante elle pourra, si elle le juge utile au développement du communisme, quitter le Parti en bloc et former un parti communiste.

    En même temps le 2e Congrès de la 3e Internationale approuve également l’adhésion des groupes et organisations communistes ou sympathisant au communisme au Labour Party anglais, bien que ce dernier ne soit pas encore sorti de la 2e Internationale. Aussi longtemps que ce Parti laissera à ses organisations leur liberté actuelle de critique, d’action, de propagande, d’agitation et d’organisation pour la dictature du prolétariat et pour le pouvoir soviétique, aussi longtemps qu’il conservera son caractère d’union de toutes les organisations syndicales de la classe ouvrière, les communistes doivent faire toutes les tentatives et aller jusqu’à certains compromis afin d’avoir la possibilité d’exercer une influence sur les grandes masses des travailleurs, de dénoncer leurs chefs opportunistes du haut des tribunes en vue des masses, de hâter le passage du pouvoir politique des mains des représentants directs de la bourgeoisie aux mains des lieutenants ouvriers de la classe ouvrière pour délivrer au plus tôt les masses des dernières illusions a ce sujet.

    17. En ce qui concerne le Parti Socialiste Italien, le 2e Congrès de la 3e Internationale, reconnaissant que la révision du programme voté l’année dernière par ce Parti dans son Congrès de Bologne marque une étape très importante dans sa transformation vers le communisme, et que les propositions présentées par la Section de Turin au conseil général du Parti publiées dans le journal l’Ordine Nuovo du 8 mai 1920 correspondent à tous les principes fondamentaux de la 3e Internationale, prie le Parti Socialiste Italien d’examiner, dans le prochain Congrès qui doit être convoqué en vertu des statuts du Parti et des dispositions générales sur l’admission à la 3e Internationale, les susdites propositions et toutes les décisions des deux Congrès de l’Internationale Communiste, particulièrement au sujet de la fraction parlementaire, des Syndicats et des éléments non communistes du Parti.

    18. Le 2e Congrès de la 3e Internationale considère comme inadéquates les conceptions sur les rapports du Parti avec la classe ouvrière et avec la masse, sur la participation facultative des Partis Communistes à l’action parlementaire et à l’action des syndicats réactionnaires, qui ont été amplement réfutées dans les résolutions spéciales du présent Congrès, après avoir été surtout défendues par « le Parti Ouvrier Communiste Allemand », et quelque peu par le « Parti Communiste Suisse », par l’organe du bureau viennois de l’Internationale Communiste pour l’Europe Orientale, Kommunismus, par quelques camarades hollandais, par certaines organisations communistes d’Angleterre (dont la « Fédération Ouvrière Socialiste »), etc…, ainsi que par les « I.W.W. » d’Amérique et par les « Shop Stewards Committees » d’Angleterre, etc…, etc…

    Néanmoins le 2e Congrès de la 3e Internationale croit possible et désirable la réunion à la 3e Internationale de celles de ces organisations qui n’y ont pas encore officiellement adhéré, car dans le cas présent, et surtout à l’égard des « Shop Stewards Committees » anglais, nous nous trouvons en présence d’un profond mouvement prolétarien, qui se tient en fait sur le terrain des principes fondamentaux de l’Internationale Communiste. Dans de telles organisations, les conceptions erronées sur la participation à l’action des Parlements bourgeois s’expliquent moins par le rôle des éléments issus de la bourgeoisie qui apportent leurs conceptions, d’un esprit au fond petit-bourgeois, telles que le sont souvent celles des anarchistes, que par l’inexpérience politique des prolétaires vraiment révolutionnaires et liés avec la masse.

    Le 2e Congrès de la 3e Internationale prie pour ces raisons toutes les organisations et tous les groupes communistes des pays anglo-saxons de poursuivre même au cas où les « I.W.W. » et les « Shop Stewards Committees » ne se rattacheraient pas immédiatement à la 3e Internationale, une politique de relations plus amicales avec ces organisations, de rapprochement avec elles et avec les masses qui sympathisent avec elles, en leur faisant comprendre amicalement du point de vue de l’expérience de toutes les révolutions russes du xxe siècle, le caractère erroné de leurs conceptions, et en réitérant les tentatives de fusion avec ces organisations dans un Parti Communiste unique.

    19. Le Congrès attire l’attention de tous les camarades, surtout des pays romans et anglo-saxons, sur ce fait : depuis la guerre une profonde division d’idées se produit parmi les anarchistes du monde entier au sujet de l’attitude à observer vis-à-vis de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique. Dans ces conditions, parmi les éléments prolétariens qui on souvent été poussés à l’anarchisme par la haine pleinement justifiée de l’opportunisme et du réformisme de la 2e Internationale, on observe une compréhension particulièrement exacte de ces principes, et qui ne fait que s’étendre davantage au fur et à mesure que l’expérience de la Russie, de la Finlande, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Pologne et de l’Allemagne est mieux connue.

    Pour ces raisons le Congrès croit du devoir de tous les camarades de soutenir par tous les moyens le passage de tous les éléments prolétariens de masses de l’anarchisme à la 3e Internationale.

    Le Congrès considère que le succès de l’action des Partis vraiment communistes doit être apprécié entre autres, dans la mesure où ils auront réussi à attirer à eux tous les éléments vraiment prolétariens de l’anarchisme.

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    de l’Internationale communiste

  • Conditions d’admission des partis dans l’Internationale Communiste décidées au second congrès

    Le premier Congrès constituant de l’Internationale Communiste n’a pas élaboré les conditions précises de l’admission des Partis dans la 3e Internationale. Au moment où eut lieu son premier Congrès, il n’y avait dans la plupart des pays que des tendances et des groupes communistes.

    Le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste se réunit dans de tout autres conditions. Dans la plupart des pays il y a désormais, au lieu des tendances et des groupes, des Partis et des organisations communistes.

    De plus en plus souvent, des Partis et des groupes qui, récemment encore, appartenaient à la 2e Internationale et qui voudraient maintenant adhérer à l’Internationale Communiste s’adressent à elle, sans pour cela être devenus véritablement communistes. La 2e Internationale est irrémédiablement défaite. Les Partis intermédiaires et les groupes du « centre » voyant leur situation désespérée, s’efforcent de s’appuyer sur l’Internationale Communiste, tous les jours plus forte, en espérant conserver cependant une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

    Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la 3e Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

    L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la 2e Internationale.

    En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la 2e Internationale.

    Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

    C’est pourquoi le 2e Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent.

    Le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que les conditions d’admission dans l’Internationale sont les suivantes :

    1. La propagande et l’agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la 3e Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d’une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d’éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l’autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la 3e Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

    2. Toute organisation désireuse d’adhérer à l’Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) les réformistes et les « centristes » et les remplacer par des communistes éprouvés, — sans craindre d’avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

    3. Dans presque tous les pays de l’Europe et de l’Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l’organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l’état de siège ou de lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l’action légale et de l’action illégale est indubitablement nécessaire.

    4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d’exception, elle doit être menée illégalement ; s’y refuser serait une trahison à l’égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l’affiliation à la 3e internationale.

    5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n’est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n’a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L’action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l’accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c’est renoncer à la révolution prolétarienne.

    6. Tout Parti désireux d’appartenir à la 3e Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s’agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l’humanité des guerres impérialistes.

    7. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d’une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L’action communiste conséquente n’est possible qu’à ce prix.

    L’Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L’Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, MacDonald et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la 3e Internationale, et qu’ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la 3e Internationale à la 2e.

    8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la 3e Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

    9. Tout Parti désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l’ensemble du Parti.

    10. Tout Parti appartenant à l’Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l’« Internationale » des syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l’idée de la nécessité de la rupture avec l’Internationale Jaune d’Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l’union internationale des syndicats rouges adhérant à l’Internationale Communiste.

    11. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d’en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d’exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l’agitation.

    12. Les Partis appartenant à l’Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. À l’époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

    13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d’en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

    14. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

    15. Les Partis qui conservent jusqu’à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d’élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l’Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d’en appeler au Congrès de l’Internationale Communiste.

    16. Toutes les décisions des Congrès de l’Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l’Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l’Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n’adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

    17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l’Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d’adhérer à l’Internationale Communiste doit s’intituler Parti Communiste de… (section de la 3e Internationale Communiste). Cette question d’appellation n’est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L’Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

    18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d’imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.

    19. Tous les Partis appartenant à l’Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2e Congrès de l’Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

    20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la 3e Internationale, mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2e Congrès s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

    21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

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    de l’Internationale communiste

  • Statuts de l’Internationale Communiste au second congrès de l’Internationale communiste

    En 1864, fut fondée, à Londres, la première Association Internationale des Travailleurs : la Première Internationale. Les statuts de cette Association portaient :

    Considérant :

    Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être obtenue par la classe ouvrière seule ;

    Que la lutte pour cette émancipation ne signifie aucunement une lutte pour la création de nouveaux privilèges de classe et de monopoles, mais pour l’établissement de l’égalité des droits et des devoirs et pour la suppression de toute domination de classe ;

    Que la soumission économique de l’homme au travail sous le régime des possesseurs des moyens de production (c’est-à-dire de toutes les sources de la vie) et l’esclavage sous toutes ses formes, sont les causes principales de la misère sociale, de la dégradation morale et de la dépendance politique ;

    Que l’émancipation économique de la classe ouvrière est partout le but essentiel auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ;

    Que tous les efforts en vue d’atteindre ce grand but ont échoué par suite de manque de solidarité entre les travailleurs des différentes branches du travail dans chaque pays et d’alliance fraternelle entre les travailleurs des pays différents ;

    Que l’émancipation n’est point un problème local ou national, mais un problème social embrassant tous les pays où le régime social moderne existe, et dont la solution dépend de la collaboration théorique et pratique des pays les plus avancés ; que la rénovation actuelle simultanée du mouvement ouvrier dans les pays industriels de l’Europe éveille en nous d’un côté de nouveaux espoirs, mais de l’autre, nous donne un avertissement solennel de ne pas retomber dans les anciennes erreurs, et nous appelle à la coordination immédiate du mouvement qui jusqu’à présent n’avait point de cohérence. »

    La 2e Internationale, fondée en 1889, à Paris, s’était engagée à continuer l’œuvre de la Première Internationale. Mais en 1914, au début de la guerre mondiale, elle a subi un krach complet. La 2e Internationale a péri, minée par l’opportunisme et terrassée par la trahison de ses chefs, passés dans le camp de la bourgeoisie.

    La 3e Internationale Communiste, fondée en mars 1919, dans la capitale de la République Socialiste Fédérative des Soviets, à Moscou, a déclaré solennellement à la face du monde qu’elle se chargeait de poursuivre et d’achever la grande œuvre entreprise par la Première Internationale des Travailleurs.

    La 3e Internationale Communiste s’est constituée à la fin du carnage impérialiste de 1914-1918, au cours duquel la bourgeoisie des différents pays a sacrifié 20 millions de vies.

    Souviens-toi de la guerre impérialiste ! Voilà la première parole que l’Internationale Communiste adresse à chaque travailleur, quelles que soient son origine et la langue qu’il parle. Souviens-toi que, du fait de l’existence du régime capitaliste, une poignée d’impérialistes a eu, pendant quatre longues années, la possibilité de contraindre les travailleurs de partout à s’entr’égorger ! Souviens-toi que la guerre bourgeoise a plongé l’Europe et le monde entier dans la famine et le dénuement ! Souviens-toi que sans le renversement du capitalisme, la répétition de ces guerres criminelles est non seulement possible, mais inévitable !

    L’Internationale Communiste se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république internationale des soviets, première étape dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental. L’Internationale Communiste considère la dictature du prolétariat comme l’unique moyen disponible pour arracher l’humanité aux horreurs du capitalisme. Et l’Internationale Communiste considère le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature du prolétariat qu’impose l’histoire.

    La guerre impérialiste a créé un lien particulièrement étroit entre les destinées des travailleurs d’un pays et celles du prolétariat de tous les autres pays.

    La guerre impérialiste a confirmé une fois de plus la véracité de ce qu’on pouvait lire dans les statuts de la Première Internationale : l’émancipation des travailleurs n’est pas une tâche locale, ni nationale, mais bien une tâche sociale et internationale.

    L’Internationale Communiste rompt pour tout jamais avec la tradition de la 2e Internationale pour laquelle n’existaient en fait que les peuples de race blanche. L’Internationale Communiste fraternise avec les hommes de race blanche, jaune, noire, les travailleurs de toute la terre.

    L’Internationale Communiste soutient, intégralement et sans réserves, les conquêtes de la grande révolution prolétarienne en Russie, de la première révolution socialiste, dans l’histoire, qui ait été victorieuse et invite les prolétaires du monde à marcher dans la même voie. L’Internationale Communiste s’engage à soutenir par tous les moyens qui seront en son pouvoir toute république socialiste qui serait créée en quelque lieu que ce soit.

    L’Internationale Communiste n’ignore pas que, pour hâter la victoire, l’Association Internationale des Travailleurs, qui combat pour l’abolition du capitalisme et l’instauration du communisme, doit avoir une organisation fortement centralisée. Le mécanisme organisé de l’Internationale Communiste doit assurer aux travailleurs de chaque pays la possibilité de recevoir, à tout moment, de la part des travailleurs organisés des autres pays, tout le secours possible.

    Tout cela considéré, l’Internationale Communiste adopte les statuts que voici :

    Art. 1. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs est fondée dans le but d’organiser une action d’ensemble du prolétariat des différents pays, tendant à une seule et même fin, à savoir : le renversement du capitalisme, l’établissement de la dictature du prolétariat et d’une république internationale des soviets qui permettront d’abolir totalement les classes et de réaliser le socialisme, premier degré de la société communiste.

    Art. 2. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs adopte le titre d’Internationale Communiste.

    Art. 3. — Tout les partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste portent le nom de Parti Communiste de tel ou tel pays (section de l’Internationale Communiste).

    Art. 4. — L’instance suprême de l’Internationale Communiste n’est autre que le Congrès mondial de tous les partis et organisations qui y sont affiliés. Le Congrès mondial sanctionne les programmes des différents partis qui adhèrent à l’Internationale Communiste. Il examine et résout les questions essentielles de programme et de tactique ayant trait à l’activité de l’Internationale Communiste. Le nombre de voix délibératives qui, dans le Congrès mondial, appartiendront à chaque parti ou organisation, sera fixé par une décision spéciale du Congrès ; il est, en outre, indispensable de s’efforcer de fixer, le plus tôt possible, les normes de représentation, en se basant sur le nombre effectif des membres de chaque organisation, et en tenant compte de l’influence réelle du Parti.

    Art. 5. — Le Congrès international élit un Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, qui devient l’instance suprême de l’Internationale Communiste durant les intervalles qui séparent les sessions du Congrès mondial.

    Art. 6. — Le siège du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste est désigné, à chaque nouvelle session, par le Congrès mondial.

    Art. 7. — Un Congrès mondial extraordinaire de l’Internationale Communiste peut être convoqué soit par décision du Comité Exécutif soit sur la demande de la moitié du nombre total des Partis affiliés lors du dernier Congrès mondial.

    Art. 8. — Le travail principal et la grande responsabilité, au sein du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste incombent principalement au Parti Communiste du pays où le Congrès mondial a fixé le siège du Comité Exécutif. Le Parti Communiste de ce pays fait entrer dans le Comité Exécutif au moins cinq représentants ayant voix délibérative. Outre cela, chacun des 12 partis communistes les plus importants fait entrer dans le Comité Exécutif un représentant, avec voix délibérative. La liste de ces partis est sanctionnée par le Congrès mondial. Les autres partis ou organisations ont le droit de déléguer auprès du Comité des représentants (à raison d’un par organisation) avec voix consultative.

    Art. 9. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste dirige dans l’intervalle qui sépare les sessions des Congrès, tous les travaux de l’Internationale Communiste, publie, en quatre langues au moins, un organe central (la revue : l’Internationale Communiste),publie les manifestes qu’il juge indispensables au nom de l’Internationale Communiste et donne à tous les Partis et organisations affiliés des instructions qui ont force de loi. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit d’exiger des Partis affiliés que soient exclus tels groupes ou tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne ; il peut exiger l’exclusion des Partis qui auraient violé les décisions du Congrès mondial. Ces Partis ont le droit d’en appeler au Congrès mondial. En cas de nécessité le Comité Exécutif organise, dans différents pays, des bureaux auxiliaires techniques et autres qui lui sont entièrement subordonnés.

    Art. 10. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit de coopter, en leur accordant voix consultative, les représentants des organisations et des Partis non admis dans l’Internationale Communiste, mais sympathisant avec le communisme.

    Art. 11. — Les organes de la presse de tous les Partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste, ou sympathisant avec elle, doivent publier tous les documents officiels de l’Internationale Communiste et de son Comité Exécutif.

    Art. 12. — La situation générale en Europe et en Amérique impose aux communistes l’obligation de créer, parallèlement à leurs organisations légales, des organisations secrètes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le devoir de veiller à l’observation de cet article des Statuts.

    Art. 13. — Il est de règle que toutes les relations politiques présentant une certaine importance entre les différents Partis affiliés à l’Internationale Communiste aient pour intermédiaire le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. En cas de nécessité urgente, ces relations peuvent être directes à la condition que le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste en soit informé.

    Art. 14. — Les Syndicats qui se placent sur le terrain du communisme et qui forment des groupes internationaux sous le contrôle du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, constituent une section syndicale de l’Internationale Communiste. Les Syndicats communistes envoient leurs représentants au Congrès mondial de l’Internationale Communiste, par l’intermédiaire du Parti Communiste de leur pays. La section syndicale de l’Internationale Communiste délègue un de ses membres auprès du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif a le droit de déléguer, auprès de la section syndicale de l’Internationale Communiste, un représentant qui a voix délibérative.

    Art. 15. — L’Union Internationale de la Jeunesse Communiste est subordonnée à l’Internationale Communiste et à son Comité Exécutif. Elle délègue un représentant de son Comité Exécutif au Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a la faculté de déléguer auprès du Comité Exécutif de l’Union de la Jeunesse, un représentant, qui a voix délibérative. Les rapports mutuels qui existent entre l’Union de la Jeunesse et le Parti Communiste, en tant qu’organisations, dans chaque pays, sont basés sur le même principe.

    Art. 16. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste sanctionne la nomination d’un secrétaire du mouvement féminin international et organise une section des Femmes Communistes de l’Internationale.

    Art. 17. — Tout membre de l’Internationale Communiste qui se rend d’un pays à un autre, y est fraternellement accueilli par les membres de la 3e Internationale.

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    de l’Internationale communiste

  • Les caractéristiques générales du «national-socialisme»

    Il y a lieu de préciser, pour conclure, les caractéristiques générales du national-socialisme.

    1. Le national-socialisme n’est pas une rencontre du nationalisme et du socialisme, mais une perspective idéaliste de réponse « nationale » aux questions sociales. Pour cette raison, l’anticapitalisme romantique est nécessaire, afin de « compenser » la non-remise en question du capitalisme.

    2. La réponse « nationale » à la question sociale présuppose le fait que la nation ne connaîtrait pas de contradictions internes ; la base est ainsi la négation de la lutte des classes et du principe de dialectique en général.

    3. Le « socialisme national » ne consiste pas en la nationalisation de secteurs économiques, le national-socialisme n’a jamais remis en cause la notion de propriété privée. Le seules différences idéologiques internes reposent sur le degré de corporatisme « nécessaire » à la société.

    4. Les courants « national-révolutionnaire » et « national-bolchevik » etc. ne représentent donc nullement une « gauche » du national-socialisme, mais ses tendances davantage orientés vers le corporatisme. Les tendances « racialistes » représentant les tendances expansionnistes et les plus militaristes.

    5. Les secteurs des masses qui passent dans le camp du national-socialisme ont comme moteur idéologique le nationalisme, pas le « socialisme ». Le socialisme exigé par ces masses est happé par le nationalisme comme réponse à la crise – face au « parasite » anti-national – puis seulement par le national-socialisme.

    6. La paralysie totale des masses une fois le national-socialisme instauré est précisément le fruit de ce mouvement en trois étapes : l’énergie révolutionnaire des masses est détourné vers le nationalisme prétendant unifier la communauté. L’élan idéologique donné alors est tourné en mobilisation national-socialiste.

    7. Les courants de la « révolution conservatrice » sont le pendant intellectuel et grand-bourgeois du nationalisme venant de la « base ». Dans le cas où un régime politique offensif est nécessaire, le courant national-socialiste prime nécessairement sur le courant de la « révolution conservatrice », et inversement pour les phases de réorganisation étatique et de réimpulsion du capitalisme.

    8. Le national-socialisme exprime de manière combinée les besoins de la bourgeoisie la plus réactionnaire et de la recherche des masses d’une « sécurité » où la forme nationale se voit privilégiée. Cette combinaison est un processus long, difficile et contradictoire sur les plans idéologique, intellectuel, social et culturel.

    9. Le national-socialisme est une tendance « naturelle » de la société capitaliste où s’installe un « froid social » dû à la crise générale du capitalisme. Les courants idéalistes d’ultra-gauche participent à la formation de cette tendance ; la social-démocratie lui donne les moyens matériels d’exister de par ses errements multiples.

    10. La seule réponse au national-socialisme est la combinaison de l’exigence de la démocratie populaire avec l’affirmation de la dimension réelle de la bataille pour le communisme, en tant que résolutions de la contradiction entre travail manuel et travail intellectuel, et de celle entre les villes et les campagnes.

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  • La prétendue «nuit des longs couteaux» en Allemagne nazie

    La date du 25 juin 1934 est davantage connue pour la liquidation, en même temps que les putschistes de la « révolution conservatrice », de nombreux dirigeants de la S.A.. Officiellement, du côté nazi, c’est une réponse à la tentative de putsch du dirigeant de la S.A., Ernst Röhm. L’expression la « nuit des longs couteaux » n’a jamais été employée en Allemagne, seulement en France, en Angleterre, etc. comme surnom donnée à une opération qui aurait servi à liquider la « gauche » nazie.

    Ce n’est pas le cas. Preuve en est que nulle part le programme du parti nazi ne prévoyait d’expropriations, à part dans le cas d’activités dites anti-nationales, et que de plus le responsable de la S.A. à ce moment-là était Ernst Röhm, placé en réponse aux agissements populistes de Walter Stennes.

    Quant à l’arrêt des violences de la S.A. comme prétexte, une telle interprétation n’a pas de sens, alors que l’Allemagne passe sous la coup de bouchers.

    En réalité, cette opération contre la direction de la S.A. allait dans le même sens que la liquidation de la ligne de la « révolution conservatrice ». Cette dernière refusait la mobilisation totale ; inversement, les responsables de la S.A. tablaient dessus pour s’imposer.

    En raison des traités internationaux d’après-guerre, l’armée allemande ne pouvait pas dépasser 100 000 personnes, alors que les S.A., par l’intégration d’autres structures juste après 1933, principalement nationalistes conservatrices, étaient passés à 4 millions de personnes.

    On peut se douter d’ailleurs que cette base ayant quadruplé grosso modo n’est plus du tout celle d’avant 1933, ce qui est un autre argument à l’encontre de la thèse d’une révolte « populaire » de la base de la S.A..

    Enfin, citons Gregor Strasser, frère d’Otto Strasser qui lui avait quitté le parti nazi. Gregor Strasser est toujours présenté comme le dirigeant de « l’aile gauche » du nazisme, notamment comme il fut exécuté en 1934. Voici ce qu’il dit on ne peut plus clairement dans une interview au journaliste Hubert Renfro Knickerbocker :

    « Nous reconnaissons la propriété privée. Nous reconnaissons l’initiative privée. Nous reconnaissons nos dettes et notre obligation de les payer. Nous sommes contre l’étatisation de l’industrie. Nous sommes contre l’étatisation du commerce. Nous sommes contre l’économie planifiée dans le sens soviétique. »

    En réalité, les S.A. étaient portées par l’idéologie du « socialisme national » dans une perspective relativement autarcique ; ce qu’on appelle la « gauche » nazie c’est en réalité la fraction la plus corporatiste.

    Par conséquent, mes S.A. poussaient pour être la base de l’armée « nouvelle », dans l’esprit « milicien » du « socialisme » prussien, tandis que l’armée comptait bien entendu conserver ses traditions et son caractère central. De ce côté, ce furent les généraux Walter von Reichenau (1884-1942) et Werner von Blomberg (1878-1946) qui poussèrent à l’intégration de l’armée dans le système nazi.

    Le président Paul von Hindenburg décéda alors opportunément le 2 août 1934, permettant à Adolf Hitler de devenir le chef du parti nazi, de l’État, du gouvernement et de l’armée, cette dernière instaurant un serment obligatoire au « Führer » dans ses rangs.

    Ce processus passa cependant par la liquidation au préalable tant du bloc de la « révolution conservatrice » ayant la conception d’une armée « prussienne » que des dirigeants de la S.A. ayant une conception plus décentralisée et conforme à leurs envies de carrière.

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  • Les contradictions au sein de l’Etat nazi

    L’Allemagne nazie connut bien entendu des contradictions, en fait elle ne connut que cela : contradictions entre elle et les pays conquis et opprimés, contradictions entre les larges masses et la grande bourgeoisie, contradictions entre l’armée allemande et les nouvelles factions dans l’appareil d’État, contradictions entre les factions nazies elle-même, etc. etc.

    La première grande contradiction visible fut celle entre la haute bourgeoisie et l’aristocratie partisanes de la « révolution conservatrice » et le parti nazi. Elle s’exprima par l’intermédiaire de Franz von Papen, qui avait lui-même joué un rôle essentiel pour qu’Adolf Hitler accède au rôle de chancelier.

    Franz von Papen tint un discours à l’université de Marbourg, le 17 juin 1934, qui fut ensuite publié malgré l’opposition farouche du parti nazi. Ce qui y est dit est d’une franchise politique impressionnante : Franz von Papen explique ouvertement que le camp de la « révolution conservatrice » a choisi, avec raison selon lui, de soutenir le national-socialisme. Franz von Papen dit ainsi de manière ouverte :

    « J’ai fait porté l’attention, le 17 mars 1933 à Breslau, sur le fait que dans les années d’après-guerre, un type de mouvement conservateur-révolutionnaire s’était développé, qui ne se différenciait du national-socialisme essentiellement que sur le plan de la tactique.

    Comme la révolution allemande combattait contre la démocratisation et ses conséquences fatales, le nouveau conservatisme refusait de manière conséquente toute démocratisation de plus, et croyait en la possibilité de mettre hors de fonction, par en haut, les forces pluralistes.

    Le national-socialisme, à l’opposé, alla sur la voie de la démocratie, jusqu’au bout, pour arriver ensuite devant les questions, de fait pas faciles, de savoir comment étaient à réaliser les idées de direction absolue, de principe de sélection aristocratique et d’ordre populaire organique.

    L’histoire a donné raison à la tactique national-socialiste, cette réalité comprise amenèrent les hommes d’État conservateurs à l’alliance avec le mouvement national-socialiste dans ces heures du début de l’année 1933. »

    Cependant, les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » étaient en désaccord avec un certain nombre de points, précisés par Franz von Papen dans le discours. Tout d’abord, il était considéré qu’il fallait former une élite issue d’une société corporatiste, et non pas donc sur la base d’un parti dirigeant. Ensuite, la religion chrétienne devait être au centre des valeurs, dans une optique traditionnelle, et non pas la mobilisation « permanente ».

    L’idéologie du discours est en fait celui de l’Etat clérical-corporatiste, tel qu’il se formera justement en Autriche. Celui qui l’avait écrit n’était d’ailleurs pas Franz von Papen lui-même, mais Edgar Julius Jung (1894-1934).

    On se situe ici – les services secrets nazis publieront tout un dossier à ce sujet – dans la mouvance idéologique de l’autrichien Othmar Spann (1878–1950), justement théoricien de l’État corporatiste dans l’esprit de la « révolution conservatrice », et qui menait une grande lutte d’influence idéologique en Autriche.

    Othmar Spann sera à ce titre mis de côté par les nazis ; Edgar Julius Jung sera lui arrêté dès le 25 juin 1934 et assassiné le 30 juin 1934. Les nazis avaient compris que les tenants de la « révolution conservatrice » s’étaient organisés en fraction et comptait s’appuyer sur l’armée pour mener un coup d’Etat militaire.

    Le même 25 juin 1934 furent ainsi assassinés notamment le représentant majeur du catholicisme politique Erich Klausener, le responsable de la jeunesse sportive catholique Adalbert Probst, le théologien Bernhard Stempfle, le général Ferdinand von Bredow, l’ancien chancelier Kurt von Schleicher, le politicien Herbert von Bose lui-même lié à Franz von Papen ; ce dernier ne dut sa vie qu’à Hermann Göring qui lui conseilla de « rester chez lui ».

    Les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » menèrent par la suite une politique clandestine, supervisée par deux comtes : Helmuth James Graf von Moltke (1907-1945) et Peter Graf Yorck von Wartenburg (1904-1944). Le premier sera arrêté, puis condamné à mort en raison de la tentative de coup d’Etat du 20 juillet 1944 à laquelle participa le second.

    Ce fut un troisième comte, Claus Schenk Graf von Stauffenberg (1907-1944), qui dirigea la tentative de coup d’État combinant attentat contre Adolf Hitler et prise de contrôle de « l’opération Valkyrie », un état d’urgence prévue par l’État nazi lui-même en cas de soulèvement populaire.

    Il s’agit ainsi d’un coup d’Etat au sens strict, pas d’une participation à un soulèvement démocratique. Voici d’ailleurs le programme de ce coup d’Etat, formulé par Claus von Stauffenberg comme dénominateur commun :

    « Nous nous sommes engagés en esprit et dans les faits aux grandes transmissions de notre peuple qui ont donné naissance à l’humanité occidentale par la fusion des origines helléniques et chrétiennes dans l’essence germanique.

    Nous voulons un nouvel ordre, qui rend porteurs de l’Etat tous les Allemands, et leur garantit le droit et la justice, mais méprisons le mensonge de l’égalité et exigeons la reconnaissance des rangs naturels.

    Nous voulons un peuple enraciné dans le sol de la patrie, qui reste proche des forces naturelles, qui trouve dans l’agissement dans ses cercles de vie donnés sa chance et sa satisfaction suffisantes, et dépasse dans la fierté libre les impulsions inférieures de l’envie et de la jalousie. »

    Parmi les 200 personnes exécutées pour la tentative de coup d’État, on trouve 20 généraux, 26 colonels, deux ambassadeurs, sept diplomates, un ministre, trois secrétaires d’Etat dont le chef de la police criminelle, etc.

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  • L’absence de contradictions réelles au sein des S.A.

    Les S.A. ne connurent pas de réel bouleversement à partir de 1933. Cela peut sembler paradoxal, et ce problème théorique a été « résolu » de manière totalement idéaliste au moyen d’une interprétation fondamentalement erronée de la « nuit des longs couteaux » en juin 1934.

    La liquidation de dirigeants S.A. qui a eu lieu alors ne tient pas spécifiquement à la base de la S.A., et d’ailleurs la répression frappe autant les milieux de la « révolution conservatrice ». La thèse d’une « gauche » de la S.A. se révoltant et exigeant une « seconde révolution » n’a pas de fondements.

    La base des S.A. n’était pas unifiée, même si elle provenait de couches populaires. Dans les zones ouvrières les S.A. étaient en bonne partie eux-mêmes d’origine ouvrière, alors que dans les grosses villes du sud comme Munich ou Francfort sur le Main, il n’y avait pratiquement pas de S.A. faisant partie de la classe ouvrière.

    Cette base populaire des S.A. n’avait, dans tous les cas, pas du tout la culture des grands centres ouvriers, où la classe ouvrière ne céda jamais aux nazis. Les S.A. se plaçaient donc dans une perspective assez « lumpen » ; par ailleurs au-delà des apparences « strictes », porter l’uniforme n’était pas une nécessité absolue ; en ville on était alors relégué au fond des défilés, et dans les campagnes il ne fut pas généralisé systématiquement.

    De la même manière, les S.A., pourtant l’armée d’Adolf Hitler, avaient la moitié de leurs membres n’appartenant pas au parti nazi. Les S.A. fonctionnaient en fait par affinité, formant des rassemblements d’hommes exprimant une idéologie « virile », une culture militariste issue de la première guerre mondiale où ils n’avaient pas combattu en raison de leur jeune âge.

    L’idéologie des S.A. tenait ainsi à un style, comme dans le hooliganisme, et pour cette raison, toutes les entreprises idéologiques concernant les S.A. ont échoué.

    Ainsi, lorsque la fraction portée par Otto Strasser, quitta les S.A. en lançant un manifeste le 4 juillet 1930, signé « Les national-socialistes révolutionnaires », elle n’eut pratiquement aucun impact.

    Cette rupture fut le prolongement d’une discussion houleuse, les 21 et 22 mai 1930, entre Adolf Hitler et les partisans d’Otto Strasser, qui réclamaient davantage de décentralisation dans le parti nazi et surtout qui considéraient que le concept de « communauté populaire » était central, et pas celui de « Führer ».

    Otto Strasser opposait en pratique le fascisme italien, avec son principe du dictateur, au national-socialisme compris comme « socialisme national », autarcique avant tout. Pour cette raison, Otto Strasser critiquait le non soutien à Gandhi en Inde, à ses yeux, le nationalisme devait soutenir tous les nationalismes. Par la suite, Otto Strasser soutint ensuite une ligne ethno-différentialiste, considérant « les Juifs » comme une race à part, mais devant être reconnue.

    Malgré toutes ces questions débattues et qui purent être prétexte à des batailles de fraction, seulement quelques milliers de personnes quittèrent les S.A. pour rejoindre Otto Strasser qui fonda le National-Sozialistische Kampfgemeinschaft Deutschlands (« Communauté de combat national-socialiste d’Allemagne »), structure tentant de lancer différentes publications (« Le national-socialiste », « La révolution allemande », « Le front noir »).

    Très rapidement la moitié des effectifs rejoignirent les communistes ; Otto Strasser se retrouva totalement isolé, quittant l’Allemagne en 1933, pour finalement se retrouver au Canada.

    Malgré cet épisode anecdotique dans l’histoire des S.A., et la base corporatiste d’Otto Strasser, cela fut prétexte à un « mythe » d’une « gauche » des S.A..

    En réalité, s’il faut chercher un événement d’importance dans les S.A. ayant une certaine dimension sociale, et certainement pas socialiste, ce fut la révolte organisée par Walter Stennes, « héros » de la première guerre mondiale puis corps-franc, ayant rejoint le parti nazi 1927 et immédiatement devenu le responsable pour Berlin.

    Walter Stennes avait exigé que des S.A. fassent partie des élus du parti nazi, que les gens du service d’ordre de protection soient payés, etc. Le 30 août 1930 il occupa en rébellion le bâtiment central du parti nazi à Berlin, ainsi que la rédaction du journal nazi berlinois « Der Angriff » (« L’attaque »), bastonnant les S.S. de garde présents.

    Adolf Hitler dut intervenir en catastrophe et rechercher un compromis. A cette occasion, il évinça Franz Pfeffer von Salomon du poste de direction des S.A., pour y placer Ernst Röhm avec comme tâche de contrôler Walter Stennes.

    Ce dernier réédita les occupations de bâtiment en février 1931, refusant d’accepter l’ordre d’Adolf Hitler de cesser les combats de rue, afin d’obéir à l’état d’urgence prononcé régionalement par le gouvernement. Walter Stennes attaqua à ce moment là idéologiquement violemment les « bonzes » au sein du parti nazi, et il fut alors exclu du parti nazi et des S.A..

    Walter Stennes réussit toutefois à gagner un tiers des S.A. berlinois et fonda le Nationalsozialistische Kampfbewegung Deutschlands(« Mouvement de combat national-socialiste d’Allemagne »), s’opposant totalement au parti nazi et exigeant la prédominance complète des S.A.. A ses yeux, l’existence du parti nazi était une concession intolérable au « système » et il visait particulièrement Joseph Goebbels comme représentant du courant « idéologique ».

    Selon Walter Stennes, les S.A. devaient s’opposer catégoriquement au « système » et viser le coup d’État. Le mouvement de Walter Stennes échoua cependant totalement ; arrêté en 1933, il dut sa liberté grâce à son ami Hermann Göring et à son oncle qui était cardinal. Il partit en Chine où il devint conseiller militaire de Jiǎng Jièshí (Tchang Kaï-chek).

    Enfin, il existait une autre structure indépendante du parti nazi, appelée Gruppe sozialrevolutionärer Nationalisten (« Groupe des Nationalistes sociaux-révolutionnaires  »), autour de Karl Otto Paetel et proche d’Ernst Niekisch. Cette organisation était de type « national-bolchevik », prônant une Allemagne nationaliste s’opposant aux grandes entreprises et s’alliant avec l’URSS.

    L’organisation finit par soutenir la lutte du Parti Communiste d’Allemagne contre le mouvement nazi, mais son importance idéologique et culturelle était pratiquement nulle. Il en alla de même avec Gregor Strasser, frère d’Otto Strasser, qui perdit toute responsabilité au sein du parti nazi en décembre 1932.

    Les nazis avaient perdu deux millions de voix aux élections un mois auparavant et Otto Strasser prônait une politique de compromis gouvernemental, ligne qui échoua devant celle d’Hermann Göring et Joseph Goebbels prônant qu’Adolf Hitler devienne chancelier.

    Dans tous les cas, il n’y eut jamais de scission de masse dans les S.A., ni d’expression politique ; sur le plan idéologique, on en resta toujours au niveau du hooliganisme.

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  • L’idéologie S.S. comme excroissance et superstructure

    Lors de la destruction de la population juive d’Europe par les nazis, seulement la moitié environ des personnes assassinées le furent de manière industrielle, au moyen des camps d’extermination, les sinistres Auschwitz, Treblinka, Bełżec, Sobibor, Chełmno, Majdanek.

    Les nazis procédèrent à la « Shoah par balles », sur le tas, parallèlement à leurs conquêtes militaires. Cet aspect est totalement négligé et incompris en France, ce qui fut largement employé par les négationnistes niant qu’il y ait eu un « plan » d’extermination et niant les chambres à gaz, sans jamais parler et pour cause de la « Shoah par balles ».

    Ce qu’il s’agit de comprendre, c’est que les S.A. avaient comme base idéologique un « socialisme national » prônant l’unité de l’Allemagne sur une base pangermaniste et sa « purification » du pouvoir de « l’argent ». Les choses s’arrêtaient là en termes de dynamique idéologique ; il s’agissait d’un anticapitalisme romantique, d’une sorte de « repli sur soi » absolu.

    Or, la dynamique avait naturellement servi l’expansionnisme impérialiste des monopoles, qui profitèrent de cet élan. Seulement, une fois conquis de vastes territoires, une idéologie uniquement « allemande » ne suffisait pas : il fallait disposer de leviers pour profiter de mobilisations pro-nazies dans les autres pays, il fallait une idéologie justifiant le rôle « mondial » de l’Allemagne nazie.

    Cela, c’est la S.S. qui lui fournira ; le passage de la « Shoah par balles » au génocide industriel reflète la montée en puissance de la S.S. qui, contrairement à la S.A., agissait directement dans une perspective « mondiale ».

    A la base, la S.S. est l’escadron de protection (Schutzstaffel) d’Adolf Hitler, qui devint une structure nationale en janvier 1929, dirigée par Heinrich Himmler. Le rôle de la S.S. était à la base de protéger Adolf Hitler ; le recrutement puisait dans les « meilleurs » éléments de la S.A..

    Toutefois, la S.S. surveillait par ailleurs la S.A., servant de la « police militaire » de celle-ci le cas échéant, et également de système secret de surveillance au sein du parti nazi ; ici on retrouve le « Service de sécurité » (Sicherheitsdienst) de la SS, qui surveillait également les opposants et soutenait les forces nazies d’autres pays (Autriche, Tchécoslovaquie…).

    La S.S. fut ainsi un appareil technique, sur une base élitiste – elle n’a que 4 000 membres en 1931, 52 000 membres en 1933 – et c’est ainsi qu’avec la prise du pouvoir, elle se charge d’organiser la police allemande (Ordnungspolizei – police de l’ordre), ainsi que de gérer les camps de concentration.

    Par la suite, la S.S. forma des troupes militaires d’élite, la Waffen-SS, qui organisa ensuite notamment des regroupements militaires internationaux sous sa supervision (Divisions « Charlemagne » composée de Français, « Landstorm Nederland » de Néerlandais, « Hunyadi » de Hongrois, etc.), s’appuyant pour recruter sur le concept de « Volksdeutsche » (« Membres du peuple allemand », sans être allemand de nationalité, avec une définition « raciale »).

    La Waffen SS passa de 16 000 personnes en 1937 à 90 000 en 1940, 236 000 en 1942, 500 000 en 1943, 600 000 en 1944 ; son recrutement devint de plus en plus ouvert, et dans tous les cas les troupes étaient connues pour leur brutalité extrême et leurs massacres innombrables.

    Ce sont d’ailleurs les « Einsatzgruppen » (groupes d’intervention) de la SS qui menèrent la « Shoah par balles », liquidant par ailleurs des cadres politiques ennemis d’autres pays, des prisonniers de guerre, etc. ; bien entendu, c’est la S.S. qui supervisa le génocide industriel des populations juives, rom et sinti.

    La S.S. est ainsi la S.A. de l’époque de la conquête impérialiste ; au « socialisme national » allemand a succédé la bataille pour la suprématie mondiale « aryenne ». L’idéologue nouveau sur ce plan – toujours considéré comme non officiel par le parti nazi – est Alfred Rosenberg (1898-1946), par l’intermédiaire de son ouvrage « Le mythe du XXe siècle ».

    Toute la camelote mystique nazie puise son origine ici. Alfred Rosenberg ne s’intéresse pas à l’Allemagne historique, comme le faisaient les théoriciens nationaux-socialistes, Rudolf Jung en premier lieu. Alfred Rosenberg dresse en effet un tableau général de l’histoire du monde comme conflit entre les « Aryens » et les « races » inférieures.

    Cette idéologie totalement idéaliste alla de pair avec toute une série de fantasmes occultistes (la terre serait « creuse », l’univers « fermé », le Tibet hébergerait le « roi du monde », etc.)

    Alfred Rosenberg, à côté donc de son rôle essentiel de propagandiste antisémite, a ici synthétisé une idéologie prônant un retour au folklore païen, une « âme » aryenne traversant les époques et resurgissant – ce qui ici sert bien entendu de justificatif aux conquêtes nazies.

    Le fascisme tournait ici en roue libre, l’idéologie S.S. était une excroissance liée à l’organisation du pouvoir de manière adaptée à la guerre impérialiste, comme nouvelle superstructure historique.

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  • La remise du pouvoir au parti nazi

    Adolf Hitler fut nommé chancelier d’Allemagne par le président Paul von Hindenburg, le 30 janvier 1933, à la suite d’un long processus de tractations. Le parti nazi était alors financièrement exsangue et la base des S.A. toujours plus pressée d’obtenir des résultats concrets.

    En pratique, il s’agit donc d’une alliance entre le parti nazi et la fraction ultra-conservatrice, regroupant notamment le DNVP (Deutschnationale Volkspartei – Parti national-allemand du Peuple) et la « Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten » (« Casque d’acier », ligue des soldats du front).

    Affiche anti-républicaine du DNVP aux élections de 1920 : un sous-marin aux couleurs impériales cherche à couler un navire aux couleurs républicaines. « Électeur! Il doit toucher juste! »

    Le DNVP faisait grosso modo entre 9 et 15 % des voix aux élections, quant au Stalhelm, c’était une milice d’un million de personnes. Ces structures, avec d’autres, s’étaient déjà alliées aux nazis dans le « Front de Harzburg » en 1931.

    En arrière-plan de cela, on trouve la « Industrielleneingabe », pétition en novembre 1932 de vingt représentants de l’industrie, de la finance, et de l’agriculture au président Paul von Hindenburg, appelant à la nomination de Adolf Hitler en tant que chancelier. D’autres clubs industriels firent de même en automne 1932, comme le Hamburger Nationalklub, ainsi que des clubs aristocratiques, comme le Berliner Nationalklub von 1919.

    Cela se déroulait alors que la guerre civile larvée propagée par les S.A. faisait des centaines de mort. La justice bourgeoise allemande était d’ailleurs ici « aveugle de l’oeil droit » comme il était dit en Allemagne.

    Adolf Hitler en 1932

    C’était le prolongement de l’esprit qui avait régné lors de l’effondrement de la monarchie et la révolution de 1918. Alors, 90% des meurtres par des corps-francs n’amenèrent pas à des enquêtes. Sur 314 condamnations pour meurtres, la moyenne était de deux mois de prison. Pour 15 révolutionnaires, surtout communistes, emprisonnés pour les mêmes faits, il y eut huit condamnations à mort et sept à en moyenne 14 années de prison.

    En ce qui concerne les années 1930, la situation était similaire. Par exemple, pour la période du 7 août au 7 décembre 1932, la justice allemande prononça 2297 condamnations à mort contre les antifascistes, aucune contre les nationaux-socialistes.

    Durant la même période, les condamnations d’antifascistes au pénitencier, en termes d’années, s’élevaient à 405 années, contre 21 aux nationaux-socialistes ; pour les années de prison, le total était de 827 années pour les antifascistes, de 108 ans pour les nationaux-socialistes. Enfin, pour les condamnations à une prison consistant en une sorte de résidence surveillée (« festunghaft »), les condamnations furent de 32 années au total pour les antifascistes, et rien pour les nationaux-socialistes.

    Défilé de SA, sous le mot d’ordre « Mort au marxisme »

    Cela concernait les tribunaux réguliers ; pour les tribunaux spéciaux, les condamnations au pénitencier formaient 457 années pour les antifascistes, 99 pour les nationaux-socialistes, et 498 années de prison pour les antifascistes, 149 pour les nationaux-socialistes.

    Après la nomination d’Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, le parlement fut dissous le premier février, et le 4 février les droits de presse et de réunion furent supprimées. Le 20 février, Adolf Hitler rencontra de manière secrète 25 industriels lui fournissant plusieurs millions pour les prochaines élections.

    Alors, le 22 février, la S.A., ainsi que la S.S., furent nommés comme auxiliaires de police. C’est le début d’une terrible vague de terreur, principalement « justifiée » par l’incendie du parlement, le Reichstag, le 27 février par un militant d’ultra-gauche.

    A partir de cette date, les activités politiques progressistes publiques sont impossibles, mais ce n’est pas tout. Non seulement la police et les services secrets procédèrent à l’arrestation de milliers d’activistes – au moins 10 000 communistes -, mais les S.A. firent de même.

    Les nazis défilent devant la centrale du KPD,
    où on reconnaît une grande affiche avec Rosa Luxembourg

    Des milliers de personnes furent enlevées et amenées dans les bases des S.A., ainsi que dans les locaux socialistes et communistes pris d’assaut par les nazis. Elles furent placées dans les caves ou des cellules improvisées, torturées de manière terrifiante, avec par exemple les cheveux arrachés et des croix gammées gravées dans la tête, toutes les dents brisées une par une, etc., voire violées.

    Malgré cela, les élections du 5 mars 1933 n’apportent pas la majorité absolue aux nazis. Le Parti Communiste d’Allemagne obtint 12,3 % des voix, la social-démocratie 18,3 % des voix, dans des conditions pourtant terrifiantes.

    Dans le prolongement de cet élan, le 22 mars 1933, le camp de concentration de Dachau fut ouvert ; 49 autres suivront durant l’année.

    En avril, 30 000 personnes étaient déjà en camp. 300 personnes au moins ont été assassinées, chiffre très faible mais les chiffres sont ici difficile à connaître bien entendu, particulièrement concernant la vague menée par les S.A..

    150 000 personnes ont subi la torture à différents degrés, 350 000 perquisitions ont eu lieu, 600 journaux ont été interdits. En février 1934, le nombre de gens en camp passe déjà à 170 000, le nombre de personnes tuées est au moins de plusieurs milliers. La terreur nazie était instaurée.

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  • Le parti nazi et le grand capital

    Le parti nazi disposait en réponse à cette tendance à la guerre et à la réaction de pas moins de trois organisations concernant l’économie, tissant des liens avec les grands capitalistes.

    Le 31 janvier 1931 avait été fondé le « département de politique économique du NSDAP » (Wirtschaftspolitische Abteilung der NSDAP), où l’on retrouvera à la fois le directeur général de la Deutsche Bank Emil Georg von Stauß et le théoricien nazi de l’usure Gottfried Feder…

    De cette structure sortit, d’octobre 1930 à octobre 1931, un « service de presse de politique économique » du NSDAP, à destination de 60 grands industriels, dont Fritz Thyssen, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, Peter Klöckner, ou encore le responsable d’IG Farben Carl Duisberg par ailleurs chef de l’association nationale des industriels de 1925 à 1931.

    Gustav Krupp von Bohlen und Halbach en 1931

    Ce fut d’ailleurs Fritz Thyssen qui permit au parti nazi d’acheter son siège central à Munich, quant à l’association nationale des industriels – chapeautant 1000 unions industrielles, elle avait publié en décembre 1929 un manifeste intitulé pas moins que « Élévation ou effondrement ? » (Aufstieg oder Niedergang ?). En 1933, elle fera une grand donation financière à Adolf Hitler, instaurant le soutien officiel au régime dans ses rangs, avec y compris le salut nazi.

    Fritz Thyssen en 1928

    La seconde organisation touchant l’économie était le « Bureau du travail » (« Arbeitsstelle ») gérée par Hjalmar Schacht (1877-1970). Ce dernier avait été notamment le responsable de la banque centrale allemande et avait refusé de céder aux exigences lors de la conférence parisienne sur le plan Young. Obligé de le faire par le gouvernement social-démocrate, il démissionna et soutint le bloc national conservateur / nazi, puis le mouvement nazi lui-même.

    Hjalmar Schacht en 1931

    Il jouera un rôle central en redevenant responsable de la banque centrale allemande, avec les bons « Mefo », des bons de paiement garantis par l’Etat mais indirectement, servant à relancer l’industrie de l’armement sans exister officiellement dans les données monétaires et financières.

    En concurrence avec Hjalmar Schacht à l’initial existait également le « cercle d’études des questions d’économie » (« Studienkreis für Wirtschaftsfragen ») autour de Wilhelm Keppler (1882-1960), qui rassemblait des industriels le plus souvent de second rang.

    Wilhelm Keppler en 1943 à Berlin saluant la formation d’un pseudo-gouvernement
    provisoire indien pro-allemand pro-japonais

    C’est de là que vint la lettre du 19 novembre 1932 signé par des industriels et appelant à ce qu’Adolf Hitler soit nommé chancelier. Le cercle jouera un rôle essentiel, sous le nom de « Cercle d’amis du Reichsführer-SS [Himmler] », dans la déportation de masses et l’intégration à l’économie allemande des entreprises conquises par les nazis. Heinrich Himmler était ici aussi « arrosé » par des comptes secrets.

    On rejoint ici un aspect particulier, celui où une sorte d’oligarchie nazie construisait des empires économiques à côté des grands capitalistes. Le cas le plus connu est celui de Hermann Göring (1893-1946). Dépendant aux drogues, vivant de manière luxueuse et décadente, au point de posséder sept lionceaux comme « animaux de compagnie », Hermann Göring était souvent ridiculisé pour son goût pour le faste et tout ce qui était brillant.

    Hermann Göring

    A partir de 1942, il ne joue plus aucun rôle en Allemagne nazie, dépensant une fortune en biens luxueux, pillant massivement des tableaux, passant son temps à la chasse, etc. tout en profitant de multiples entreprises, dont le monopole des préservatifs pour toute l’Allemagne nazie, notamment l’armée.

    Enfin, parmi les soutiens à Adolf Hitler, il faut noter le monopole anglais des machines-outils et de l’armement Vickers, le richissime fondateur néerlandais de Shell Henri Deterding, le richissime suédois Ivar Kreuger qui obtint le monopole des allumettes (cela fut valable en RFA jusqu’en 1983), le plus grand marchand d’armes d’Europe et ultra-richissime Basil Zaharoff, l’association industrielle française le « Comité des Forges », etc.

    De manière intéressante, le dirigeant politique du centre catholique, Heinrich Brüning qui fut également chancelier, écrivit ainsi le 28 août 1937 à Winston Churchill :

    « La véritable ascension de Hitler commença seulement en 1929, lorsque les grands industriels allemands et d’autres refusèrent de continuer à distribuer de l’argent à une foule d’organisations patriotiques qui avaient jusque-là mené tout le travail pour le « Risorgimento » [« résurrection », allusion à l’Italie du 19e siècle s’unifiant] allemand.

    Leur point de vue était que ces organisations étaient trop progressistes dans leur point de vue social. Ils étaient contents que Hitler voulait radicalement priver de droit les travailleurs. Les donations d’argent retenues aux autres organisations s’en allèrent à l’organisation de Hitler. C’est naturellement tout à fait le traditionnel début du fascisme. »

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  • L’appui logique du grand capital au national-socialisme

    « L’ennemi est à gauche ! », tel était le titre du « journal des employeurs allemands » du 17 octobre 1929. Si en 1918 le régime monarchique s’était effondré, l’appareil d’État était lui resté le même et les généraux pesaient de tout leur poids sur le régime républicain, dans une sorte d’alliance contre-nature avec la social-démocratie qui avait été aux premières loges pour écraser la révolution de 1918 dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

    Les dirigeants de la social-démocratie étaient aux premières loges de la répression contre les communistes, avec notamment le ministre national de l’intérieur Carl Severering, le ministre prussien de l’intérieur Albert Grzesinski, le chef de la police berlinoise Karl Zörgiebel.

    Interdictions, répressions sanglantes de rassemblement furent la règle, dont le fameux « mai sanglant » à Berlin, ville sous hégémonie ouvrière (en mai 1928, la social-démocratie y faisait un score électoral de 32,9 %, les communistes de 24,7%).

    Les manifestations du premier mai 1929 avaient été interdites, et la marche du Parti Communiste d’Allemagne fut réprimée dans le sang (au moins 32 personnes tuées et 200 blessées), puis le Rote Frontkämpferbund (Union des combattants du front rouge) interdit dans la foulée.

    Le Rote Frontkämpferbund

    Cette dynamique de soutien au régime par la social-démocratie divisa bien entendu totalement la classe ouvrière, dont une partie soutenait historiquement la social-démocratie et une autre le Parti Communiste d’Allemagne ; aux élections de mai 1928, la social-démocratie avait obtenu 9,1 millions de voix soit 29,8 %, le Parti Communiste d’Allemagne 3,3 millions de voix soit 10,6 %.

    De l’autre côté, la bourgeoisie restait sur des positions particulièrement dures ; lors du conflit ouvrier de novembre 1928, la Ruhreisenstreit, 240 000 travailleurs furent licenciés pendant le mois de lutte ; par la suite un accord fut trouvé mais leurs revendications ne furent pratiquement pas satisfaites.

    Cette situation conflictuelle devint d’une complexité totale avec le plan Young, fruit d’une conférence parisienne du 5 février au 11 juin 1929 et décidant de l’organisation du paiement des « réparations » allemandes pour la guerre de 1914-1918, qui avait été décidé lors du Traité de Versailles de 1919. Le paiement devait aller jusqu’en 1988 ; l’État allemand s’endetta de son côté jusqu’en 1965 à 5,5 % d’intérêts.

    Les forces nationalistes et nazies menèrent une très vaste campagne à ce sujet, alors que la social-démocratie dans un esprit gouvernemental soutenait le plan Young, ce qui s’avéra catastrophique sur tous les plans avec l’irruption de la crise de 1929 et le recul qui a suivi de la production industrielle de 41,8 %.

    La population allemande prit la crise de plein fouet, dans le prolongement de la crise de l’après-guerre : 1 mark de juillet 1914 en valait 100 en juillet 1922, 1000 en octobre 1922, 10 000 en janvier 1923, 100 000 en juillet 1923, un million en août 1923 10 millions en septembre 1923, un milliard puis 10 milliards en octobre 1923, mille milliards en novembre 1923.

    En 1932, la crise se refait général, il y a six millions de personnes au chômage, pour 12 millions qui travaillent.

    Les communistes d’Allemagne, mais aussi de France, s’opposèrent au plan Young, mais avec retard, et n’eurent pas l’initiative, malgré une position très franche. De manière juste, on lit dans l’Humanité du 23 avril 1931, dans l’article « Un 1er Mai sous le drapeau de l’Internationale » (signé Maurice Thorez) :

    « C’est aussi plus particulièrement la solidarité active avec les prolétaires d’Allemagne écrasés sous les charges du plan Young et du système de Versailles, et soumis à la double exploitation des capitalistes allemands et des impérialistes français. »

    C’est cette mise en perspective qui permet de comprendre l’adhésion et le soutien au parti nazi de la part des grands capitalistes, oscillant souvent entre celui-ci et le parti nationaliste conservateur appelé DNVP (parti national-allemand du peuple). C’est le cas du « vieux monsieur » Emil Kirdorf, figure éminente des industriels du bassin de la Ruhr, qui aida à la diffusion dans le milieu industriel de la brochure de 1927 de la brochure d’Adolf Hitler « La voie au renouveau » (« Der Weg zum Wiederaufstieg »).

    Emil Kirdorf aura droit par la suite aux plus hauts honneurs nazis, à la plus haute décoration civile, et même au deuil national à sa mort en 1938, Adolf Hitler étant lui-même présent officiellement à l’enterrement.

    Emil Kirdorf et Adolf Hitler

    Emil Kirdorf faisait également partie d’un des nombreux « clubs » nationalistes conservateurs, en l’occurrence l’« Association économique pour le soutien aux forces morales de la reconstruction » (Wirtschaftsvereinigung zur Förderung der geistigen Wiederaufbaukräfte).

    On trouve également parmi ces clubs le « Gäa », une association de grands bourgeois et d’aristocrates, de capitaines d’industrie et d’intellectuels ; on retrouve ici tant Oswald Spengler qu’Alfred Hugenberg, le chef du parti nationaliste conservateur DNVP.

    Il y a aussi le « Hamburger Nationalklub » (Club National Hambourgeois), pareillement nationaliste conservateur et militariste, qui invitait de nombreux représentants ultra-nationalistes et nazis à ses colloques, mais également le « Deutscher Herrenklub », le « Club allemand des Messieurs », qui continua même à exister jusqu’en 1944 sous le nom de « Club allemand ».

    C’est précisément à ce club que, dix jours après avoir été nommé lui-même chancelier, Franz von Papen (1879-1969) prononça le 10 juin 1932 une conférence. Parmi les personnes présentes, on trouvait 100 des principaux industriels et banquiers, 62 grands propriétaires terriens, 94 anciens minitres, mais également des dirigeants nazis, dont l’ancien militaire Hermann Göring, le propagandiste Joseph Goebbels et le responsable des S.A. Ernst Röhm.

    Franz von Papen en 1933

    Franz von Papen prôna comme mot d’ordre franco-allemand « Mort au bolchevisme », appelant à une coalition pour une intervention militaire. Le 20 juillet il supprima l’existence du gouvernement social-démocrate en Prusse ; en novembre il comptait modifier la constitution.

    En ce sens, le 4 janvier 1933, Franz von Papen et Adolf Hitler eurent une discussion secrète chez le banquier Kurt Freiherr von Schröder, lui-même membre du « Club » et dont la banque J. H. Stein était largement présente dans IG Farben et le monopole industriel Vereinigte Stahlwerke.

    C’est cette discussion qui servit de base à la nomination de Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, Franz von Papen devenant vice-chancelier.

    Le 20 février, une réunion d’Adolf Hitler, Hermann Göring et 27 industriels permit le financement des prochaines élections du côté nazi, asseyant la vague instaurant la terreur et la mise en place du nouveau régime.

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  • Gottfried Feder et l’usurier comme figure générale internationale et particulière locale


    Gottfried Feder a « découvert » une « clef » pour que le national-socialisme ne soit pas simplement un nationalisme allemand opposé aux autres pays, mais également une force capable de mobiliser à l’intérieur du pays même, dans un sens de « réconciliation » des classes sociales.

    L’ajout de Gottfried Feder, essentiel pour le national-socialisme, est le proudhonisme, c’est-à-dire l’affirmation qu’il existe un capital, même petit, dont l’activité est purement parasitaire. Que le capitalisme, en soi, n’est pas mauvais, s’il est relié au travail, alors que s’il existe de manière « autonome », alors il relève de l’usure.

    Comme solution, Gottfried Feder propose les « recettes » traditionnelles du proudhonisme. Tout d’abord, la banque centrale devait être nationalisée et le paiement des intérêts des dettes de l’État – pas le remboursement des dettes en lui-même – stoppé.

    Ensuite un système de crédit gratuit pour l’État devait être proposé. C’est exactement la conception de Pierre-Joseph Proudhon, sauf qu’elle est adaptée à l’État, et non plus simplement aux individus.

    Est-ce que Gottfried Feder prône le proudhonisme classique pour les individus ? Non, à ses yeux, la banque centrale doit accorder des concessions étatiques pour que de l’argent puisse être prêté, à intérêt, aux individus et aux entreprises produisant des biens.

    Gottfried Feder modernise en pratique le romantisme économique traditionnel, dont Lénine parle dans « Pour caractériser le romantisme économique », où il critique Jean de Sismondi et les populistes russes. En effet, au lieu d’opposer les campagnes à la ville, le petit producteur paysan au capitaliste industriel, Gottfried Feder oppose le petit producteur industriel au grand capitaliste qui ne vit que des intérêts du crédit.

    Le romantisme traditionnel regrette un moyen-âge idéalisé, où chaque paysan aurait été indépendant ; Gottfried Feder forme un romantisme plus avancé, où il défend l’entrepreneur contre le monopoliste, sauf qu’il ne l’appelle pas monopoliste, mais « capital financier ».

    Il ne peut en effet pas l’appeler monopoliste, car le capitalisme aboutit nécessairement aux monopoles, comme notamment Lénine l’a expliqué, en 1916, dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ».

    Comme tous les romantiques – d’extrême-droite ou d’« extrême-gauche » – Gottfried Feder ne voit pas que le capital financier est lié au capital industriel ; comme Lénine l’a formulé :

    « Concentration de la production avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion. »

    « Le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels. »

    Et Lénine, d’expliquer également, préfigurant la critique de Gottfried Feder :

    « Le développement du capitalisme en est arrivé à un point où la production marchande, bien que continuant de « régner » et d’être considérée comme la base de toute l’économie, se trouve en fait ébranlée, et où le gros des bénéfices va aux « génies » des machinations financières.

    A la base de ces machinations et de ces tripotages, il y a la socialisation de la production ; mais l’immense progrès de l’humanité, qui s’est haussée jusqu’à cette socialisation, profite… aux spéculateurs. Nous verrons plus loin comment, « sur cette base », la critique petite-bourgeoise réactionnaire de l’impérialisme capitaliste rêve d’un retour en arrière, vers la concurrence « libre », « pacifique », « honnête ». »

    La position de Gottfried Feder est précisément cette critique petite-bourgeoise prônant un retour en arrière. Le national-socialisme n’a jamais prôné la socialisation d’entreprises, à part dans le cas spécifique où celles-ci agissent contre les intérêts de la nation. Son objectif a toujours été l’assainissement.

    En romantique économique traditionnel, Gottfried Feder considère que le capitalisme consiste en la production de biens et leur consommation et la croissance ne peut provenir que de marchés extérieurs conquis. C’est cela la base justificative pour la négation intérieure des luttes de classe et l’affirmation extérieure des conquêtes territoriales – d’où le fait de porter objectivement les intérêts du grand capital allemand.

    Gottfried Feder ne pouvait pas voir cela. Défendant le point de vue petit-bourgeois écrasé par les monopoles et refusant la prolétarisation, il pensait avoir un point de vue « national ». Il faut se souvenir de ce qu’enseignait Karl Marx sur ce plan :

    « Il ne faudrait pas partager cette conception bornée que la petite bourgeoisie a pour principe de vouloir faire triompher un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne peut être sauvée et la lutte des classes évitée. »

    Pour cette raison, Gottfried Feder ne s’est pas contenté de voir en le « capital financier » simplement un ennemi extérieur, comme le faisait le nationalisme. Il l’a placé à l’intérieur du pays lui-même.

    Au lieu de dénoncer simplement l’oligarchie « étrangère » exigeant des intérêts sur les crédits, il a affirmé l’existence d’une sorte de tendance maléfique existant dans le pays lui-même. C’est cela qui manquait à Adolf Hitler au départ.

    Gottfried Feder a la même vision qu’Adolf Hitler : à ses yeux, les forces d’argent anglo-américaines sont à l’origine du revanchisme français, du panslavisme, de la guerre de 1914-1918 et également de la défaite « intérieure » allemande, etc. Mais il en fait une « vision du monde » et plus seulement des forces ennemies :

    « La guerre mondiale est véritablement au fond une des très grandes décisions dans le processus de développement de l’humanité dans la bataille décisive de savoir si à l’avenir la vision du monde mammonististe-matérialiste ou la vision du monde socialiste-aristocratique déterminera le sort du monde. »

    Cette vision du monde n’est évidemment, selon Gottfried Feder, pas produit par le mode de production capitaliste, c’est une « idée », un principe meurtrier, une « malédiction » :

    « Nous reconnaissons clairement que le fléau de l’humanité n’est pas l’ordre économique capitaliste, le capital en soi en tant que tel. L’insatiable besoin d’intérêts du grand-capital de prêt est la malédiction de l’ensemble de l’humanité travailleuse ! »

    Le « socialisme » est ici l’attitude « simple » reconnaissant l’existence de la société, du peuple, bref s’opposant à la « folie » de la course à l’argent, à cette « maladie » qui amène « l’envasement et la contamination de la mentalité de notre époque ».

    Le véritable « socialisme » consisterait ainsi ici, pour Gottfried Feder, en la lutte contre les « puissances d’argent » :

    « Notre législation fiscale toute entière est et restera, aussi longtemps que nous n’avons pas la libération de l’esclavage des intérêts, uniquement un tribut obligatoire au grand capital, mais pas, ce que nous nous imaginons parfois, le sacrifice volontaire à la réalisation d’un travail collaboratif.

    Par conséquent, la libération de l’esclavage des intérêts de l’argent est le mot d’ordre clair pour la révolution mondiale pour la libération du travail réalisant des entraves des puissances financières supra-étatiques. »

    Mais au sein même du pays, ces forces ont des agents, à savoir tous ceux qui vivent pareillement de l’usure. L’usurier devient ici non seulement une figure générale internationale, mais une figure particulière locale.

    Bien entendu, dans l’anticapitalisme romantique, cette figure est portée par « le juif ». Il y a ici selon cette idéologie une « substance » commune à la « ploutocratie internationale » et à toute personne juive, même pauvre.

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  • Le «national-socialisme» et le proudhonisme de Gottfried Feder

    L’anticapitalisme romantique des S.A. et du parti nazi s’appuie sur la conception de l’oppression et de l’exploitation comme venant de « l’extérieur ». C’est la conception de Eugen Dühring, critiquée par Friedrich Engels dans l’Anti-Dühring, ou encore de Pierre-Joseph Proudhon et du proudhonisme qui a suivi.

    Cependant, il a bien fallu que cette conception soit adaptée aux conditions allemandes, et elle a été formulée par Gottfried Feder (1883-1941), principalement dans une oeuvre intitulée « Manifeste pour briser l’asservissement aux intérêts de l’argent », publiée en 1919.

    Gottfried Feder en 1930

    Pour bien comprendre le rôle de Gottfried Feder, il faut voir qu’il fait partie dès le départ du « Deutsche Arbeiterpartei » (Parti Allemand des Travailleurs), fondé par Anton Drexler en janvier 1919. Il prononça notamment en septembre 1919 à Munich une conférence intitulée « Comment et par quels moyens éliminer le capitalisme ? ».

    Or, Adolf Hitler y fut présent et Gottfried Feder le convainquit alors de rejoindre le parti. Adolf Hitler en deviendra alors rapidement le « Führer », le parti prenant par la suite le nom de « Parti des travailleurs allemand national-socialiste » (NSDAP – Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei).

    Adolf Hitler explique directement dans Mein Kampf  le rôle essentiel de Gottfried Feder :

    « Quelque approfondie qu’ait été jusque-là mon attention sur le problème économique, elle s’était plus ou moins maintenue dans les limites de l’examen des questions sociales.

    Plus tard seulement, mon horizon s’élargit en raison de mon étude de la politique allemande à l’égard de ses alliés. Elle était en très grande partie le résultat d’une fausse appréciation de la vie économique et du manque de clarté dans la conception des principes de l’alimentation du peuple allemand dans l’avenir.

    Toute ces idées reposaient dans l’idée que, dans tous les cas, le capital était uniquement le produit du travail et, par conséquent, était, comme ce dernier, modifiable par les facteurs susceptibles de favoriser ou d’entraver l’activité humaine.

    Donc l’importance nationale du capital résultait de ce que ce dernier dépendait de la grandeur, de la liberté et de la puissance de l’État, c’est-à-dire de la nation ; et cela si exclusivement que cette dépendance devait uniquement conduire le capital à favoriser l’État et la nation par simple instinct de conservation ou par désir de se développer.

    Cette orientation favorable du capital à l’égard de la liberté et de l’indépendance de l’État devait le conduire à intervenir de son côté en faveur de la liberté, de la puissance et de la force, etc., de la nation.

    Dans ces conditions, le devoir de l’État à l’égard du capital devait être relativement simple et clair : il devait simplement veiller à ce que ce dernier restât au service de l’État et ne se figurât point être le maître de la nation.

    Cette position pouvait donc se maintenir entre les deux limites suivantes : d’une part, soutenir une économie nationale viable et indépendante ; d’autre part, assurer les droits sociaux du travailleur.

    Précédemment, je n’étais pas. à même de reconnaître, avec la clarté désirable, la distinction entre ce capital proprement dit, dernier aboutissement du travail producteur, et le capital dont l’existence et la nature reposent uniquement sur la spéculation.

    J’en étais capable dorénavant grâce à un des professeurs du cours dont j’ai parlé, Gottfried Feder. Pour la première fois de ma vie, je conçus la distinction fondamentale entre le capital international de bourse et celui de prêt.

    Après avoir écouté le premier cours de Gottfried Feder, l’idée me vint aussitôt que j’avais trouvé le chemin d’une condition essentielle pour la fondation d’un nouveau parti.

    A mes yeux, le mérite de Gottfried Feder consistait en ceci, qu’avec une tranchante brutalité il précisait le double caractère du capital : spéculatif, et lié à l’économie populaire ; et qu’il mettait à nu sa condition éternelle : l’intérêt.

    Ses déductions, dans toutes les questions fondamentales, étaient tellement justes que ceux qui, a priori, voulaient le critiquer, en contestaient moins l’exactitude théorique qu’ils ne mettaient en doute la possibilité pratique de leur mise à exécution. Ainsi, ce qui, aux yeux des autres, était un point faible dans l’enseignement de Gottfried Feder, représentait à mes yeux sa force. »

    Ce que dit Adolf Hitler est simple : à la base, c’est un nationaliste, il veut exalter la nation et s’aperçoit que le capitalisme national a par définition intérêt à exister dans un pays puissant.

    Or, dans la situation de l’Allemagne – entre les réparations exorbitantes à la France et la crise économique – le pays est rendu en quelque sorte dépendant en raison des emprunts effectués.

    Gottfried Feder, La lutte contre la haute finance

    Adolf Hitler aboutit par conséquent à une séparation de « nature » entre les deux capitalismes, l’un national, l’autre étranger. Cela n’a rien d’original et c’est précisément là où l’Action française en était restée, malgré la tentative du « Cercle Proudhon » de trouver une « clef » concernant les contradictions internes au pays lui-même.

    C’est là que Gottfried Feder intervient : c’est lui qui participa à la rédaction du Programme en 25 pointsau tout début du parti nazi, qui rédigea en 1927 le « Programme du NSDAP et les bases de sa vision du monde », en 1931 le « Programme du NSDAP » ainsi que « Que veut Adolf Hitler ? ».

    Sa « clef » était une théorie de « l’usure », relevant du proudhonisme, où la « finance » devient une « maladie » qui « contaminerait » la rationalité industrielle.

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  • Clausewitz et les milices «nationales» par en haut

    C’est Carl von Clausewitz (1780-1831) qui théorisa toute la conception militaire prussienne, dans son ouvrage De la guerre, écrit surtout pendant les guerres napoléoniennes. Lorsque Carl von Clausewitz y affirme que « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », il souligne l’importance de la fusion de l’armée et de la direction politique, de l’offensive militaire et de la société toute entière.

    Lorsqu’il explique que « La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », il exprime la vision aristocratique du principe hiérarchique.

    C’est une conception directement pré-fasciste, directement issue de la Prusse où l’aristocratie s’est octroyée l’ensemble des postes de direction de l’armée, formant une sorte de caste, alors que pareillement le capitalisme était imposé par le haut.

    Carl von Clausewitz (1780–1831),
    Copie d’un tableau de
    Karl Wilhelm Wach  (1787–1845)

    De la guerre de Carl von Clausewitz fut d’ailleurs historiquement popularisé par Helmuth von Moltke, chef d’Etat-major de l’armée prussienne notamment lors des guerres victorieuses face à l’Autriche (1866) et la France (1870-1871).

    L’ouvrage de Carl von Clausewitz est une sorte de manuel pour général, rempli d’indications techniques, avec en perspective la gestion absolument totale du pays, sur la base de la fusion du pays et de l’armée, sous direction bien entendu de l’aristocratie.

    Selon Carl von Clausewitz, la guerre s’est élargie au XIXe siècle, elle touche des domaines qu’elle n’atteignait pas auparavant, elle concerne désormais, de par son ampleur, toute la population, et plus seulement des armées composées par l’Etat, de manière nettement séparée du peuple. Carl von Clausewitz considère ainsi que :

    « C’est ainsi que depuis Bonaparte, tout d’abord chez les Français, puis partout en Europe la guerre est devenue une cause nationale, a pris une autre nature ou plus exactement est revenue à sa vraie nature, s’est approchée de son absolue perfection.

    Les moyens à y mettre en œuvre n’eurent désormais plus de limites visibles et ne dépendirent plus que de l’énergie et de l’enthousiasme des gouvernements et de leurs sujets. »

    Bien entendu, la différence fondamentale que Carl von Clausewitz feint d’oublier est que la révolution française était une révolution populaire. Il considère que ce serait simplement un nouveau principe militaire : il « oublie » la dimension sociale.

    Il en tire une théorie de la mobilisation par en haut, une mobilisation prétendument nationale, mais en fait au service de l’aristocratie, qui par ailleurs s’appropria ainsi le contrôle de l’Allemagne qu’elle unifiera.

    Carl von Clausewitz considère ainsi, dans De la guerre, que la guerre concerne désormais également l’armement de parties de la population. La guerre atteint une dimension complète au point que Carl von Clausewitz traite même directement de la « guerre populaire », c’est-à-dire de l’imbrication des masses dans la guerre elle-même.

    Le peuple en armes doit être utilisé pour agir tel un « brouillard » insaisissable afin d’agir sur les périphéries des forces ennemies, un « nuage » qui peut se former à n’importe quel moment, par surprise.

    De la guerre

    Carl von Clausewitz ne conçoit l’action des masses armées que dans une situation où c’est l’armée classique qui prime : le peuple ne sert que de force d’appoint. Il a une perspective totalement « utilitaire » et le peuple en action a ici une fonction d’outil. Les masses en action sont d’ailleurs forcément paysannes : c’est le point de vue aristocratique qui s’exprime ici.

    Lénine notera l’aspect intéressant de la démarche de Carl von Clausewitz, qui « trahit » la dimension éminemment politique de la guerre. Avec sa mobilisation complète, totale, par en haut, Carl von Clausewitz comprend que la guerre est forcément politique, en cela il démontre la totale validité de la thèse matérialiste dialectique sur la nature de l’Etat, de la bourgeoisie.

    L’Allemagne nazie reprendra logiquement, de manière la plus franche, la plus cynique, la conception de Carl von Clausewitz de mobilisation populaire, par en haut, de mobilisation générale, totale.

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