Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La nature réelle du « polythéisme »

    Il est bien connu que selon les historiens bourgeois, le polythéisme a précédé le monothéisme. C’est entièrement faux et une telle affirmation correspond idéologiquement aux intérêts du monothéisme et de la bourgeoisie elle-même.

    Le monothéisme a besoin de présenter sa révélation comme une victoire sur les superstitions et la barbarie, afin de gagner en prestige. Il y a là quelque chose de pragmatique-machiavélique pour nier l’intérêt des formes religieuses concurrentes, pour se prétendre radicalement différent en nature des autres expressions religieuses.

    L’autre aspect est que le monothéisme représente un saut historique et forme une base authentiquement nouvelle désireuse de s’extirper de la période barbare qui la précédait, et dont elle est issue, à son corps défendant.

    La déesse de la lune Séléné sur un sarcophage romain, 3e siècle

    La bourgeoisie a également besoin de présenter la période précédent le monothéisme comme un polythéisme. Le mode de production capitaliste implique en effet un flux ininterrompu de marchandises s’écoulant dans la production et la consommation ; il ne peut pas concevoir un autre « flux » ou une autre conception en termes de « flux » valorisant un autre « flux ».

    Or, justement, le « polythéisme » est justement en réalité un animisme cosmique, avec la considération que l’univers consiste en un flux ininterrompu de choses en transformation. La vie, les péripéties, la mort, que ce soit pour les humains, les animaux ou les dieux, relèvent de ce flux.

    L’animisme cosmique est à ce titre perpétuellement agité, autant que le capitalisme l’est avec les marchandises, mais il ne l’est pas avec les marchandises. La bourgeoisie donc nier cette période et l’assimiler à un polythéisme chaotique.

    On remarquera ici deux choses importantes. Le romantisme idéalisant le moyen-âge et le romantisme idéalisant les petites tribus animistes vivant dans les forêts tropicales parlent, en réalité et sans le savoir, de la période de l’animisme cosmique.

    Le romantisme idéalisant le moyen-âge imagine celui-ci comme organisé, avec une importance religieuse-mystique pour chaque aspect de la vie ; le romantisme idéalisant les petites tribus animistes des jungles imagine celles-ci comme ayant une conception cosmique de l’univers. Dans les deux cas, c’est erroné.

    C’est en effet l’animisme cosmique qui exprime une vision cosmologique hyper-élaboré, où chaque instant de la vie relève d’un grand mouvement universel et possède partant de là une dignité en propre.

    L’animisme cosmique, qu’on caricature comme « polythéisme », ne tient pas en une société humaine superstitieuse et superficielle voyant des dieux pleins de défaut humains dans toute chose, et inventant des histoires abracadabrantes à leur sujet.

    Bien souvent on souligne d’ailleurs le caractère « ridicule » des dieux polythéistes, avec leurs aventures étranges, extraordinaires ou grotesques. Ganesh a ainsi une tête d’éléphant, car fils de Pârvatî, il gardait la porte alors qu’elle prenait un bain : Shiva rentrant chez lui coupa la tête à cet intrus, pour ensuite devant la colère de Pârvatî lui remettre la tête du premier « enfant » qu’il verrait, la tête originale ayant été perdue pour avoir été projeté trop loin. Ce fut un jeune éléphant.

    Représentation de Ganesha au début du 19e siècle ; on le voit traditionnellement avec des sucreries dans une main et un petit rat (ici grand) l’accompagne, lui servant de moyen de transport

    Tout cela semble absurde et il est courant de dire que les Grecs de l’Antiquité ne croyaient en réalité pas vraiment en leurs dieux, que tout cela était tradition, manipulations politiques et sociales, etc.

    Les choses sont bien différentes. Le « polythéisme » n’a en fait jamais existé ; il n’y a jamais eu de période avec des dieux super-puissants décidant du sort du monde. Ce qui a existé, c’est un animisme cosmique, où les dieux sont des acteurs au rôle limité au même titre que les humains et les animaux.

    Le polythéisme n’est plus un animisme. L’animisme est la vision du monde des êtres humains vivant en petites tribus, voyant des esprits à l’œuvre dans chaque phénomène naturel. On parle ici d’une humanité carencée sur le plan alimentaire, consommant des produits hallucinogènes afin d’expérimenter, jusqu’au « paradis », leur esprit en plein développement.

    L’animisme cosmique prolonge cette vision du monde, qui est même une « vision » au sens le plus direct du terme, mais on passe un cran au-dessus de l’époque où l’on attribue directement aux éléments naturels une dimension divine-mystique.

    On continue cette attribution, et c’est l’origine des multiples dieux. Cependant, ils ne sont pas tout puissants et toutes ces histoires rocambolesques des dieux du « polythéisme » ont une origine très simple : tous obéissent à l’ordre cosmique.

    Les dieux ne sont pas l’ordre cosmique, le « polythéisme » n’est pas un univers cosmique divin où des dieux auraient la place du futur dieu unique. Les dieux ne sont qu’un aspect de l’ordre cosmique.

    La déesse originelle japonaise Amaterasu sortant de la caverne, estampe de Shunsai Toshimasa, vers 1887

    Dans l’animisme, l’univers est saisi de manière fragmentaire, à travers l’immédiateté des choses, dans des rituels immédiatistes, de nature directement magique, où l’on s’adresse à tel esprit-dieu, tel esprit-dieu, selon les besoins.

    Dans l’animisme cosmique, il y a toute une cosmologie, l’univers est saisi de manière conceptuelle. On continue de s’adresser à tel esprit-dieu, pour la pluie notamment, mais on « sait » que ce n’est qu’un aspect d’un univers unifié et structuré.

    L’animisme cosmique est un animisme qui a universalisé son propos en proposant une lecture de l’univers, avec au passage un assemblage ininterrompu provoquant une accumulation énorme de dieux.

    On parle en effet d’une humanité dépassant le tribalisme-localisme pour former des grands ensembles, avec des mélanges où les dieux sont assimilés, mélangés, ajoutés.

    On sait comment il est parlé de la Grèce antique comme d’un monument de l’humanité, car celle-ci aurait atteint un degré élevé de compréhension « scientifique » des choses. C’est un raccourci. La Grèce antique exprimait bien une énorme avancée humaine, mais sous la forme d’un animisme cosmique, et non d’une compréhension « scientifique ».

    De nombreux autres peuples sont parvenus, à différents degrés, à un tel degré de développement qui se situe juste avant le monothéisme. D’où le prestige des Babyloniens, des Égyptiens, des Mayas, des Aztèques, des Indiens, des Chinois.

    La déesse bouddhiste Mārīcī, Tibet, 17e siècle ; elle fut particulièrement vénérée par la caste des guerriers en Chine, en Corée et au Japon

    L’animisme cosmique n’est déjà plus l’animisme se préoccupant uniquement des choses immédiates, dans une frénésie perpétuelle pour survivre. Il correspond à une période de l’humanité où le rythme de la vie quotidienne est déjà plus stabilisé.

    L’animisme correspond aux chasseurs – cueilleurs ayant commencé de manière extrêmement vague la domestication des animaux et l’agriculture ; l’animisme cosmique a déjà plus avancé en ce domaine, il peut se permettre d’avoir du temps pour l’élaboration de la culture.

    En systématisant l’agriculture et la domestication des animaux, il permet l’avènement du monothéisme.

    Ce dernier n’est pas la simple prise du pouvoir d’un Dieu unique qui effacerait les autres dieux ; il est le Dieu-Univers remplaçant l’univers divin de l’animisme cosmique. Car l’animisme cosmique dispose d’une très haute cosmologie.

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  • Un an de conflit armé en Ukraine: faire face à la guerre de repartage du monde, à l’exemple de Rosa Luxembourg !

    Cela fait désormais une année que la Russie intervient militairement en Ukraine. Une année de conflit armé, où chaque jour il y a eu des soldats qui meurent, des bombes qui tombent, où la destruction est devenue reine, dans un processus assassin qui ne semble pas vouloir s’arrêter.

    Et il n’y aura effectivement pas d’arrêt, car le conflit militaire en Ukraine est un aspect d’une troisième guerre mondiale qui a déjà commencé, avec en toile de fond l’affrontement entre la superpuissance impérialiste américaine hégémonique et son challenger, la superpuissance chinoise.

    Cette effroyable compétition entre les deux puissances majeures qui forment le premier monde entraîne dans son sillage toutes les puissances secondaires formant le second monde.

    Le troisième monde, le tiers-monde, forme quant à lui le butin.

    L’Ukraine est un pays du tiers-monde, c’est une part du butin.

    C’est cela la réelle raison du conflit militaire en Ukraine.

    Les superpuissances et les puissances se placent pour disposer de la meilleure position mondiale possible. La Russie a pris l’initiative pour replacer l’Ukraine dans son orbite historique, la superpuissance américaine voit la possibilité de démanteler la Russie, la France entrevoit le moyen de reprendre pied en Roumanie, le Royaume-Uni aimerait se placer en Mer Noire notamment à Odessa…

    Il faut se confronter à cette bataille pour le repartage du monde !

    Prolétaires de tous les pays, nations et peuples opprimés, unissez-vous !

    Un conflit militaire inéluctable dans le cadre de la crise générale du capitalisme

    Nous avons averti du caractère inévitable du conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine plus de six mois avant son commencement. Qui maîtrise le matérialisme dialectique est en effet capable de comprendre les tendances historiques.

    Le mode de production capitaliste est en crise depuis 2020. La machinerie capitaliste d’accumulation de capital s’est enrayée avec la pandémie. Tout le système de production et de consommation continue à tourner, mais de manière perturbée, voire détraquée.

    Cette crise générale a clairement modifié les mentalités, les points de vue, la situation économique, le rapport à la politique, la question militaire… Plus rien n’est pareil, et rien n’en finit plus de ne plus être pareil.

    Cela précipite la bataille pour le repartage du monde. Et que voit-on du côté occidental ? Quel est le point de vue à l’arrière-plan de toutes les initiatives concernant l’Ukraine ?

    Ce pays devrait devenir une base industrielle pour le capital financier occidental, en profitant des ressources d’une Russie démantelée en de multiples petits États et payant des sommes colossales de « réparations ».

    Une Ukraine vassalisée, une Russie colonisée, tel est le plan des impérialistes occidentaux, superpuissance impérialiste américaine en tête !

    Tel est leur souhait, afin de relancer le capitalisme !

    La guerre contre la Russie sert à renforcer la légitimité des régimes occidentaux

    L’espoir de se « sauver » de la crise générale en utilisant l’Ukraine, puis la Russie, est immense du côté occidental.

    C’est pourquoi nous avons pu voir, pendant cette première année de conflit militaire en Ukraine, que l’ensemble des forces politiques occidentales, à quelques très rares exceptions, a entièrement avalisé le discours comme quoi la Russie serait la seule menace et l’OTAN, à l’inverse, une force de paix et de concorde.

    Il serait dans l’ordre des choses que l’OTAN fournisse absolument tout le soutien matériel possible au régime ukrainien, et il en irait de même pour les gouvernements des États-Unis et de l’Union européenne. Des milliards de dollars et d’euros sont ainsi donnés ou prêtés, ainsi que des armements, des informations stratégiques et tactiques, des conseillers spéciaux.

    Les médias, dans leur totalité, déversent depuis une année, dans l’ensemble des pays impérialistes occidentaux, un tel bourrage de crâne que pour trouver un parallèle, il faut se tourner vers la guerre de 1914-1918.

    La convergence des sociétés occidentales avec les projets impérialistes est complète. C’est tellement vrai que du côté de la gauche politique, et de la gauche de la gauche, on chercherait pratiquement en vain la thématique de la guerre en Ukraine, de l’escalade militaire de l’OTAN, des objectifs impérialistes de repartage du monde.

    C’est véritablement l’Union sacrée, comme en 1914.

    Contre la métropole impérialiste et le 24 heures sur 24 du capitalisme

    Nous nous posons contre l’Union sacrée ; nous nous opposons à l’initiative de la superpuissance américaine de mise en place d’une structure militaire européenne homogène afin de participer à la guerre contre la Russie.

    Nous sommes en mesure d’avoir ce positionnement, car nous savons faire la part des choses et voir comment la « vie politique et sociale » dans les pays impérialistes ne sort pas du cadre du capitalisme.

    Les « événements » politiques ou sociaux qui se déroulent dans les pays impérialistes occidentaux n’entrent, absolument jamais, en conflit ou en rupture avec les bases fondamentales du régime.

    L’exemple du mouvement actuel en France contre la réforme des retraites est révélateur : malgré la mobilisation de millions de personnes, il n’y aucune dénonciation ni du capitalisme, ni de la guerre impérialiste.

    C’est inévitable, car le 24 heures du capitalisme exerce sa domination systématique sur la vie quotidienne des gens dans les pays impérialistes occidentaux.

    L’aliénation au travail est massive, l’exploitation encore plus approfondie que par le passé au niveau des nerfs, de l’intellect. La dépolitisation est massive, les syndicats sont totalement imbriqués dans les institutions, le niveau de vie est élevé et la corruption par la propriété est massive.

    Nous affirmons que, dans un tel cadre, celui des métropoles impérialistes, rien n’est possible sans rupture idéologique et culturelle, avec un poids accru de la subjectivité. Qui ne veut pas rompre sciemment avec le système resté lié à lui d’une manière ou d’une autre.

    Cela souligne deux aspects nécessaires à toute politique révolutionnaire : l’autonomie prolétarienne vis-à-vis des institutions capitalistes, l’anti-impérialisme avec les intérêts du tiers-monde comme aspect fondamental de toute orientation politique.

    C’est pourquoi il faut bien comprendre le sens de l’Histoire.

    Si le régime ukrainien s’effondre, alors seulement tout est possible

    Une victoire des pays occidentaux par l’intermédiaire du régime ukrainien, le démantèlement de la Russie, la fonctionnalisation de l’Ukraine et de la Russie dans le dispositif capitaliste occidental… relanceraient le capitalisme pour une période d’une, deux, plusieurs décennies.

    Un triomphe fournirait aux peuples du monde l’enseignement, temporaire mais effectif, de la supériorité militaire, technologique, stratégique des pays occidentaux. Ce serait un équivalent de la victoire occidentale sur l’Irak en 1990-1991.

    L’ordre mondial témoignerait alors de sa stabilité dans les faits, de sa possibilité de toujours se rattraper. Ce serait, après la neutralisation des effets économiques apparents de la pandémie, une preuve, formelle mais puissamment subjective, du caractère « invincible » du capitalisme occidental, de son mode de vie.

    Inversement, l’effondrement du régime ukrainien montrerait que les pays occidentaux ne sont pas tout-puissants. Cela indiquerait qu’un pays peut bien choisir de passer entièrement dans la subordination à la superpuissance américaine, mais que cela ne le sauverait pas pour autant.

    Si le régime ukrainien sauve sa tête, il servira d’exemple aux autres pays : la seule possibilité de « développement » serait l’intégration des initiatives impérialistes. Si le régime ukrainien tombe, cela exprimera l’impuissance occidentale et le fait que ce n’est pas une voie réalisable que de se vendre à la superpuissance américaine.

    La chute du régime ukrainien correspond ainsi à une exigence historique, à l’époque de la chute de la suprématie du bloc capitaliste occidental ! Et du point de vue communiste, cela correspond à une vague montante, nouvelle : celle de la révolution mondiale parallèlement à la décomposition de l’ordre mondial défini par l’impérialisme.

    Indépendance stratégique et lutte contre son propre impérialisme

    Les communistes doivent toujours se fonder sur l’indépendance stratégique. Des pays comme la Russie et la Chine ont leur propre agenda, qui correspond à leurs intérêts en tant que grandes puissances. La Chine veut être la superpuissance dominante, la Russie réussir à tenir son rang en forçant à une nouvelle configuration « géopolitique ».

    Cela peut sembler aller de soi, mais il est des forces politiques, qu’on dénomme souvent « campiste », qui ne maîtrisent en rien la dialectique et qui considèrent de manière unilatérale que tout ce qui s’oppose à la superpuissance américaine serait positif par essence. Ce sont souvent des gens qui en arrivent au raisonnement absurde que les attentats du 11 septembre 2001 auraient possédé une dimension « anti-impérialiste ».

    Ni la Russie, ni la Chine ne sont en réalité des acteurs directs ou indirects de la révolution mondiale. Leurs activités jouent simplement un rôle dissolvant dans le cadre de la dégénérescence historique du mode de production capitaliste et de l’ordre impérialiste.

    Il est significatif à ce niveau que face à la Russie, de nombreux pays ne s’alignent plus sur la superpuissance américaine, à l’instar du Brésil, de la Turquie, du Mexique, de l’Arabie Saoudite.

    Les initiatives politiques et militaires russe, chinoise, comme sud-africaine, brésilienne, turque, mexicaine, iranienne ou encore des pays du Golfe… correspondent à l’élévation particulière des forces productives à l’échelle mondiale depuis 30 ans et de toute une série de contradictions nouvelles qui apparaissent.

    C’est là une des expressions d’une situation mondiale où tout se dérègle en quantité : réchauffement climatique, développement exponentiel de la consommation de viande, expansion à marche forcée de l’urbanisation, destruction massive des écosystèmes, effondrement de la vie sauvage, accroissement de la pollution industrielle et chimique.

    Plus rien ne tient dans la situation mondiale. C’est l’effondrement du capitalisme comme « civilisation ».

    Et dans ce cadre, la fin du mode de vie occidental, de l’hégémonie occidentale, est un premier pas vers la grande remise en cause historique du capitalisme à l’échelle mondiale.

    L’isolement anti-guerre comme Rosa Luxembourg

    Il n’y a aucun mouvement de masse de dénonciation de l’OTAN dans aucun pays occidental ; tout au mieux y a-t-il des embryons de revendications pacifistes, qui assument toutefois de ne surtout pas se confronter à la question de fond, qui est celle de la situation mondiale, de la bataille pour le repartage du monde.

    C’est une situation catastrophique, mais cela ne change en rien la nécessité révolutionnaire, qui est de suivre l’exemple de Rosa Luxembourg pendant la première guerre mondiale.

    Isolée politiquement dans une Allemagne militarisée et militariste, trahie par une social-démocratie passée dans le camp de la guerre impérialiste, accusée de collaboration avec l’ennemi, frappée par la répression, elle n’en a pas moins levé le drapeau rouge et affirmé que l’ennemi était dans son propre pays.

    Nous devons suivre son exemple, se rappeler l’adversité qu’elle a connu. C’est à ce prix que peut être maintenue la ligne rouge pour la prochaine séquence historique.

    Il faut maintenir les fondamentaux. L’aspect politique principal dans les pays occidentaux est la lutte contre son propre impérialisme.

    Il ne s’agit pas, comme le font les opportunistes, de critiquer la guerre de temps en temps, comme un arrière-plan militariste qui serait somme toute secondaire. Il ne s’agit pas non plus de dénoncer la guerre en général, en évitant soigneusement de se focaliser essentiellement sur son propre impérialisme.

    Il ne s’agit certainement pas de faire le portrait neutre d’une situation où l’on met les forces dos à dos. Il s’agit d’oeuvrer à l’effondrement du régime en place, à sa défaite militaire.

    Arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme !

    L’adversité politique complète que connaît le camp révolutionnaire depuis le tout début des années 1990 tient au développement général des forces productives dans le cadre du capitalisme.

    L’intégration des pays de l’Est de l’Europe dans le capitalisme occidental à la suite de l’effondrement du social-impérialisme soviétique a joué un rôle essentiel. Le rôle majeur est bien sûr l’intégration de la Chine au marché mondial, dans le prolongement de la prise du pouvoir par le révisionnisme à la suite de la mort de Mao Zedong en 1976.

    Un autre aspect tient bien entendu au développement technologique, avec l’informatique, le numérique en général.

    Le 24 heures sur 24 du capitalisme s’est terriblement développé, approfondi, systématisé, enserrant encore plus les prolétaires dans le mode de production capitaliste. C’est également vrai, de manière plus relative toutefois, dans les pays du tiers-monde.

    Mais les choses se transforment en leur contraire. La situation mondiale actuelle est un chaos en développement, prix à payer pour ce développement du capitalisme depuis trente ans.

    C’est pourquoi nous affirmons que notre ligne est juste : ce qui compte, c’est le maintien de la proposition stratégique communiste, avec ses fondamentaux que sont le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie.

    Un immense espace s’ouvre, appelant à un saut qualitatif d’envergure historique, une rupture révolutionnaire exigeant la formation d’une nouvelle Humanité, d’une nouvelle Culture assumant le meilleur de l’héritage des siècles passés, en harmonie avec la Biosphère, les yeux tournés vers le Cosmos.

    Le 21e siècle appartient aux masses mondiales, qui vont mettre à bas le mode de production capitaliste à l’échelle de la planète.

    L’ennemi est dans notre propre pays : contre l’intervention politico-militaire intégrée du camp occidental contre la Russie !

    Contre les projets d’asservissement de l’Ukraine et de la Russie par la superpuissance américaine pour résorber la crise générale du capitalisme !

    Face à la troisième guerre mondiale, la guerre populaire mondiale !

    Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)

    Février 2023

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  • Le matérialisme dialectique et la dialectique du carré et du rond

    Le matérialisme dialectique considère que rien ne peut être statique, en équilibre, symétrique. Il y a forcément une nuance, une différence, une lutte, une contradiction, une transformation. C’est là qu’on comprend qu’il faut accorder une importance fondamentale au développement inégal, bien plus que cela ne l’a été fait au 20e siècle.

    Le carré présente ici un défi puissant. En effet, dans un carré, on semble chercher en vain une transformation, une contradiction, une lutte, une simple différence, ou même juste une nuance.

    Les côtés a, b, c, d d’un carré ont la même taille. Ils sont bien entendu différents, cependant ils ont une identité substantielle : on peut indifféremment les remplacer l’un par l’autre. On ne peut pas fonder une identité réelle, une différence authentique, simplement là-dessus.

    Les angles sont pareillement tous de 90°. On a beau chercher, on ne trouve rien ! Il faut bien pourtant que le carré obéisse à la dialectique !

    La solution est la suivante. La contradiction du carré tient à celle entre le tout et les parties. Ce n’est pas tant que les côtés du carré soient différents qui comptent, que le fait qu’il faille passer de l’un à l’autre. Ce passage est discontinu. C’est là l’aspect qualitatif.

    Et quel est l’opposé du carré ? C’est le rond, justement. Car chez lui, il n’y a pas cette discontinuité ! On passe en effet d’un point à un autre, sans rupture. Par contre, ce n’est pas en suivant une ligne que l’on « progresse », mais justement de manière discontinue.

    Inversement, il n’y a pas de contradiction entre le tout et les parties !

    Ainsi, le carré voit sa contradiction se poser entre le tout et les parties, la discontinuité se situant au niveau du passage d’un côté à un autre. Là est la différence permettant la lutte.

    Le rond voit quant à lui sa contradiction se poser dans le mouvement des points, qui n’est pas linéaire, qui n’est pas continu : il ne s’agit en effet pas simplement d’un point ajouté après un autre, mais d’une ligne connaissant une tendance à la courbe. Il n’y a par contre pas d’opposition entre le tout et les parties.

    Et les deux sont des opposés, dans une opposition correspondant à la contradiction entre le tout et les parties qui s’oppose à la discontinuité linéaire.

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  • Le matérialisme dialectique et l’expression d’une chose par ses contraires

    Le matérialisme dialectique considère que toute chose, tout phénomène repose sur une unité des contraires. La question qui se pose alors est de savoir comment exprimer correctement cette unité des contraires lorsqu’on parle d’une chose, d’un phénomène.

    Cette question ne peut pas avoir de réponse tant que le matérialisme dialectique n’est pas pratiqué à l’échelle des masses. Ce n’est qu’alors que la quantité fournira à la qualité l’opposé lui manquant pour une résolution productive de la question dans le langage lui-même.

    On peut cependant voir ce qui n’est pas possible, ce qui a justement été rejeté dans la pratique elle-même de l’humanité jusqu’ici.

    Le problème se pose de la manière suivante. Puisque chaque chose, chaque phénomène consiste en une unité des contraires, alors les contraires peuvent et doivent être présentés pour parler de la chose, du phénomène.

    Au lieu donc de parler d’une chose, d’un phénomène, on pourrait alors utiliser la paire de contraires.

    Par exemple, au lieu d’utiliser le mot électricité, on pourrait le remplacer par l’expression « pôle positif – pôle négatif ». Au lieu d’employer le mot ascenseur, on pourrait bricoler le mot « monteur – descendeur ».

    Il s’agit ici bien entendu d’abstractions, malhabiles qui plus est, mais il existe déjà des cas concrets. En anglais, un pompier se dit un « Fire-fighter », un « feu-combattant », soit un combattant du feu. C’est là une opposition dialectique.

    Et la problématique révèle sa nature si on regarde le mot français. Le pompier, c’est en effet celui qui avec ses bras actionne une pompe, un instrument pour pomper l’eau, afin de combattre le feu.

    C’est-à-dire qu’au lieu de mettre en avant les opposés, on a la considération que l’aspect principal est mise en avant de l’action, de la transformation qui a lieu. Le pompier apporte en effet, à la contradiction entre lui et le feu, de l’eau.

    C’est très intéressant car cela souligne qu’il faut étudier non seulement les opposés, mais leur rapport avec les différents aspects.

    Prenons un exemple où les opposés sont si sous-entendus qu’ils ne sont pas mentionnés. Au sens strict, si l’on dit d’un mur qu’il est blanc, on veut dire par là également qu’il n’est pas noir, ou d’ailleurs d’une autre couleur. Si on dit d’un mur qu’il est jaune, cela implique qu’il n’est pas blanc. C’est là facile à comprendre. Un mur est peint en couleur, ou pas. Quand on répond blanc ou une couleur, on sous-tend l’opposé, inévitablement.

    La question est par contre de savoir dans quelle mesure la conscience saisit la nature dialectique de son propos et si, dans certains domaines au moins, il ne faut pas exprimer les choses en témoignant directement de l’unité des contraires.

    Par exemple, il y a des gens qui dénoncent le capitalisme, mais qui en réalité n’assument pas le socialisme. C’est tellement vrai que le mot « anticapitaliste » a pris une valeur en soi.

    On pourrait alors parler à la place du capitalisme, de « capitalisme-socialisme », et pour socialisme, de « socialisme-capitalisme ». Or, il faudrait dire, de manière juste, « socialisme – dépassement du capitalisme – s’auto-dépassant dans le Communisme ».

    Si on parle de « capitalisme-socialisme », on oublie que le capitalisme est né contre le féodalisme ; si on parle de « socialisme-capitalisme », on oublie que le socialisme va être dépassé par le Communisme.

    On comprend ici le problème de fond. Outre que toutes ces formulations sont malhabiles, elles ont comme principal problème de figer la contradiction dans le sens historique, dans le sens de la production.

    Ces formulations figent également la contradiction sur le plan interne.

    Si on parle de la vie par exemple, on pourrait dire la « vie-mort », et pour parler de la mort, on dirait la « mort-vie ». On présenterait une contradiction en l’associant à son contraire, et on mettrait en premier le concept dont on veut parler en particulier.

    Or, si on parle de « vie-mort » pour la vie et de « mort-vie » pour la mort, on tend à séparer radicalement les deux notions, à nier la transformation, le fait que la vie devienne la mort et inversement.

    Si on utilisait « paix-guerre » et « guerre-paix », alors on ne pourrait pas concevoir que la paix devienne la guerre, et inversement.

    On oublierait qu’une chose peut se retourner en son contraire, que les contraires sont mutuellement dépendants au point que chaque opposé est, en même temps, son opposé.

    Une autre dimension, enfin, de l’utilisation d’opposés dans l’expression d’une chose, d’un phénomène, est qu’on s’y perdrait vite.

    Au lieu de dire « le réveil le matin », on dirait « l’esprit retrouvé au lever du soleil ». C’est plus poétique qu’autre chose. Encore est-ce clair, mais dans d’autres situations c’est intenable.

    Au lieu de la « vue », on parlerait par exemple de « l’oeil-reflet ». Et si on est aveuglé par une lumière, il faudrait encore trouver des opposés à l’aveuglement et à la lumière, et tout mettre en vrac. Ce serait trop peu pratique.

    Voilà pourquoi il n’est pas possible, dans le langage, d’utiliser directement des opposés. On nierait de manière trop prononcée l’unité des opposés, on séparerait arbitrairement les opposés, on effacerait le mouvement de la contradiction des opposés, on ne saisirait pas quel est l’aspect principal..

    Est-ce à dire alors que le langage n’obéit pas à la dialectique ? Absolument pas. Cependant, il l’a fait d’une manière non formelle justement. Déjeuner est un mot né pour désigner le repas du matin et s’est construit en associant le privatif – dé avec jeûner. Déjeuner, c’est dépasser le jeûne.

    Si l’on étudie l’étymologie, on peut voir comment toute la dialectique est à l’oeuvre dans la langue. C’est là qu’est exprimée, de manière créative, l’opposition des contraires.

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  • Le chauvinisme national et racial comme cannibalisme

    Le cannibalisme est le grand non dit de l’humanité. Pendant une très longue période de son histoire, elle s’est entredévorée, néanmoins aborder le sujet est un grand tabou. Des retours en arrière dans le cannibalisme, comme raconté dans la fameuse chanson « Il était un petit navire », se sont régulièrement produits.

    Le monothéisme a le cannibalisme en horreur et on peut facilement lire comment le sacrifice humain est transformé en allégorie, comme avec le sacrifice d’Isaac ou l’eucharistie catholique où l’on mange le corps du Christ et où l’on boit son sang.

    Cela explique l’obsession monothéiste contre les païens. De fait, de par le manque de forces productives, le cannibalisme est inévitable. Il est d’un côté un reflet du patriarcat débridé, mais également du manque de protéine.

    Jusqu’à la colonisation au 18e siècle, les Aborigènes d’Australie vivent dans une extrême précarité, nomade ou semi-nomade. Une femme ne pouvant pas porter plus d’un enfant, tout nouveau né avant que l’enfant précédent ne marche est tué, voire mangé. Les personnes trop âgées sont également massacrées.

    Tout cela forme un arrière-plan très inquiétant de l’humanité et il ne faut pas chercher ailleurs la fascination pour les films de zombie, les films Alien (le monstre de nature animale mange le cerveau, nourriture centrale de l’anthropophagie) et Predator (les victimes sont dépecées, même l’arrière-plan est un criminel assassin visant les criminels assassins uniquement).

    C’est ce qui explique l’analyse extrêmement juste de Staline concernant l’antisémitisme. Il répond comme suit à une question de l’Agence juive, en janvier 1931 :

    « Le chauvinisme national et racial est une survivance des mœurs misanthropiques propres à la période du cannibalisme.

    L’antisémitisme, comme forme extrême du chauvinisme racial, est la survivance la plus dangereuse du cannibalisme.

    L’antisémitisme profite aux exploiteurs, comme paratonnerre afin que le capitalisme échappe aux coups des travailleurs.

    L’antisémitisme est un danger pour les travailleurs, car c’est une fausse route qui les égare hors du droit chemin et les conduit dans la jungle.

    Aussi les communistes, en tant qu’internationalistes conséquents, ne peuvent être que les ennemis jurés et intransigeants de l’antisémitisme.

    En URSS, la loi punit avec la plus grande sévérité l’antisémitisme comme phénomène opposé au régime soviétique. Selon les lois de l’URSS, les antisémites actifs sont condamnés à la peine de mort. »

    L’analyse de Staline est indéniablement juste, la position de l’URSS de Staline parfaitement correcte. Il est évident que le chauvinisme national et racial, exprimant une tentative de « sortie » de crise par l’assassinat systématisé, produisant le meurtre industriel des nazis, est une résurgence de la démarche cannibale.

    On notera également que Staline dit cela en 1931, soit avant même la prise du pouvoir en Allemagne par les nazis, anticipant les crimes nazis constituant la Shoah.

    C’est une lecture matérialiste historique tout à fait puissante. Il existe tout un cannibalisme social par ailleurs chez les gangs, les lumpenprolétaires, dans toutes les couches sociales déclassées vivant, en quelque sorte, un immense retour en arrière historique.

    L’idéologie du vol est une forme atténuée de cannibalisme social, correspondant également à de l’exploitation capitaliste dans sa version raccourcie, mais sur le fond cela tend à une expression anti-travail, anti-historique, qui explique le mépris et le rejet par les masses de tout romantisme à ce sujet.

    Seuls les éléments déclassés éprouvent une fascination devant une telle entreprise que les masses sentent comme un risque de retour en arrière.

    Et lorsque la haute bourgeoisie cherche une voie pour sortir de la crise générale du capitalisme, elle se tourne fort logiquement vers cette idéologie néo-cannibale, y trouvant les moyens de développer son idéologie impérialiste.

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  • Le psychédélisme des années 1960 et Carlos Castaneda

    L’humanité, profitant de son développement, a accentué ses connaissances en chimie. Les drogues modernes en sont issues. L’héroïne a été conceptualisée à la fin du 19e siècle par la firme Bayer ; le LSD a été conceptualisé au milieu du 20e siècle par la firme Sandoz.

    Une figure particulièrement marquante est ici le Français René Daumal 1908-1944), intoxiqué massivement aux drogues les plus puissantes et se tournant vers le sanskrit et l’Inde. Cela aboutira naturellement à une production de poètes illuminés (dans la perspective inévitable d’Arthur Rimbaud et de Gérard de Nerval) et à un roman allégorie de la quête spirituelle : Le Mont Analogue.

    René Daumal

    Cependant, on parle ici d’une approche élitiste et littéraire, qu’on peut retrouver chez Pierre Drieu La Rochelle à la fin de sa vie ; il faut attendre les années 1960 et la société de consommation américaine pour avoir un véritable tournant.

    La figure principale est ici l’Américain Alexander Shulgin (1925-2014), de la firme Dow Chemical Co, qui a systématisé la découverte des drogues synthétiques dans la seconde moitié du 20e siècle.

    Ce « pape du psychédélisme » a écrit notamment deux « bibles » du consommateur de drogues synthétiques : « PiHKAL » (Phenethylamines I Have Known And Loved : A Chemical Love Story), soit Les phényléthylamines que j’ai connus et aimés. Une histoire d’amour chimique, et « TiHKAL » (Tryptamines I Have Known And Loved : The Continuation), soit Les tryptamines que j’ai connu et aimé. La suite.

    Il est ici tout à fait frappant que ce culte « nouveau » des hallucinations provoquées par les drogues se produise aux Etats-Unis, au coeur du capitalisme le plus avancé. Car, ce que cela implique, c’est que le mode de production capitaliste bloquant la perspective de développement humain, il y a une expression de ce blocage par une tentative de retour en arrière historique.

    Le mouvement hippie était un mouvement romantique au sens strict, idéalisant le passé, et c’est là qu’il faut bien comprendre que le culte des hallucinations n’est pas un simple produit de l’industrie moderne, mais un regard historique sur le culte des hallucinations amérindiens.

    Le grand vecteur idéologique passe ici par Carlos Castaneda (1925-1998), un personnage qui fut particulièrement connu et médiatisé aux États-Unis dans les années 1960, ses ouvrages se vendant par millions.

    Lui-même se présente comme un simple particulier ayant rencontré un chaman lui indiquant la voie à suivre pour atteindre une « réalité séparée ». Il n’a jamais été trop su si cette figure pittoresque était folle, mythomane ou un aventurier littéraire.

    Reste qu’il est dans les pays occidentaux la principale figure idéologique d’un « retour » aux hallucinations comme voie spirituelle. Car les consommateurs de drogues psychédéliques n’ont rien à voir avec les consommateurs de cannabis, bien que ces derniers soient une variante historique appauvrie, tout comme les consommateurs d’alcool cherchant à être grisé ou saoul.

    Le culte du psychédélique est culturellement et intellectuellement extrêmement recherché, avec une vision du monde qui ramène à l’humanité d’avant le monothéisme. C’est une résurgence historique d’un moment passé de l’humanité, et c’est d’autant plus fort que c’est un matérialisme dialectique inversé.

    Voici comment Carlos Castaneda présente par exemple le psychédélisme, en 1993, dans L’art de rêver. C’est tout à fait représentatif de l’idéologie chamanique d’une sorte de « troisième oeil », d’une vision mystique permettant de voir le monde au-delà de son apparence matérielle, etc., avec un panthéisme inversé, une lecture cosmique de la réalité se retournant en son contraire.

    « Au cours des vingt dernières années, j’ai écrit une série de livres relatant mon apprentissage avec un sorcier indien yaqui du Mexique, don Juan Matus.

    Dans ces ouvrages, j’ai expliqué qu’il m’avait enseigné la sorcellerie, non pas la sorcellerie telle que nous la comprenons dans le contexte de notre monde de tous les jours, c’est-à-dire la mise en œuvre de pouvoirs surnaturels à l’encontre d’autrui, ou bien l’invocation des esprits avec des amulettes, des sorts, ou des rituels destinés à produire des effets surnaturels.

    Pour don Juan, la sorcellerie était l’acte qui rend substantielles quelques prémisses particulières d’ordres pratique et théorique concernant la nature et le rôle de la perception dans notre saisie et notre modélisation de l’univers qui nous entoure.

    Pour définir sa connaissance j’ai évité, à la suggestion de don Juan, l’usage d’une classification anthropologique, le chamanisme. Je l’ai toujours désignée par le terme qu’il utilisait pour la nommer : sorcellerie.

    Sans aucun doute, don Juan était un intermédiaire entre le monde naturel de la vie de tous les jours et un monde invisible qu’il ne nommait pas le surnaturel, mais la ‘‘seconde attention’’.

    Son rôle de maître consistait à me permettre l’accès à ce monde. Dans mes ouvrages antérieurs, j’ai décrit ses méthodes d’enseignement permettant d’atteindre ce but, ainsi que les arts de la sorcellerie qu’il me faisait pratiquer, dont le plus important se nommait ‘‘l’art de rêver’’.

    Don Juan soutenait que notre monde, que nous croyons être unique et absolu, n’est qu’un parmi un groupe de mondes conjoints, disposés telles les couches d’un oignon.

    Bien que nous ayons été énergétiquement conditionnés à percevoir exclusivement notre monde, il affirmait que nous avons encore la possibilité d’entrer dans ces autres royaumes qui sont aussi réels, uniques, complets et accaparants que l’est notre monde (…).

    À de nombreuses reprises, don Juan insista sur le fait que tout ce qu’il m’enseignait avait été cerné et mis en œuvre par des hommes qu’il décrivait comme des sorciers de l’antiquité.

    Très clairement, il établit une distinction profonde entre ces sorciers et les sorciers d’aujourd’hui.

    Il définit les sorciers de l’antiquité comme des hommes qui vivaient au Mexique des milliers d’années avant sa conquête par les Espagnols, des hommes dont l’œuvre la plus grandiose avait été d’édifier les structures de la sorcellerie, en insistant sur sa réalité pratique et concrète.

    Il les décrivait comme des hommes brillants mais sans sagesse. À l’inverse, il peignait les sorciers modernes comme des hommes connus pour leur esprit sain et leur capacité à rectifier, s’ils l’estimaient nécessaire, le cours de la sorcellerie (…).

    Un jour, alors que nous nous promenions autour de la place de la ville de Oaxaca, don Juan me fournit, d’un point de vue de sorcier, la plus cohérente définition de rêver. ‘‘Les sorciers considèrent rêver comme un art très sophistiqué, l’art de déplacer à volonté le point d’assemblage de son habituelle position de façon à rehausser et à élargir la portée de ce qui peut être perçu.’’

    Selon lui, les sorciers d’antan fondèrent l’art de rêver sur cinq conditions qu’ils virent dans le courant d’énergie des êtres humains. En premier lieu, ils virent que seuls les filaments qui passent par le point d’assemblage peuvent être assemblés en une perception cohérente.

    En second lieu, ils virent que si le point d’assemblage est déplacé à un autre endroit, aussi infime que soit ce déplacement, des filaments d’énergie différents et inhabituels passent à travers lui.

    Ces filaments affectent la conscience et forcent l’assemblage de ces champs d’énergie inhabituels à former une perception stable et cohérente. Troisièmement, ils virent qu’au cours de rêves ordinaires, le point d’assemblage se déplace facilement de lui-même sur une autre position à la surface ou à l’intérieur de l’œuf lumineux.

    Quatrièmement, ils virent que l’on peut faire bouger le point d’assemblage en dehors de l’oeuf lumineux, dans l’immensité des filaments d’énergie de l’univers.

    Et, cinquièmement, ils virent qu’avec une certaine discipline il est possible de cultiver et d’accomplir, au cours du sommeil et des rêves ordinaires, un déplacement systématique du point d’assemblage. »

    Il est vraiment marquant que les propos forment une sorte de lecture matérialiste dialectique de la Nature comme grand ensemble, mais totalement inversée. Et c’est une véritable vision du monde, qui a beaucoup de déclinaisons, notamment dans les sciences physiques avec les théories les plus délirantes comme la « théorie des cordes », les « multivers » et autres idéalismes littéralement chamaniques.

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  • Le monothéisme et les prophètes hallucinés

    Les religions monothéistes parlent de leur prophète comme d’un être à part qui a choisi de vivre à l’écart dans un souci de quête spirituelle.

    Du point de vue matérialiste historique, il faut comprendre par là qu’il a choisi de se placer dans une situation de privation, de carences, d’épuisement, de manque de sommeil. C’est là absolument capital pour comprendre toute la question.

    Il faut bien voir la chose suivante. Lorsque les premiers chrétiens vont dans le désert, pour vivre en ermites, ils ne le font pas comme le dit une lecture a posteriori afin d’éviter une société pleine de tentation.

    En réalité, ils pratiquent une privation d’alimentation et de sommeil tendant à des expériences hallucinatoires, dont la tradition était restée. Cela change absolument tout. Et comme on le sait, par la suite, les religions monothéistes ont procédé à l’extinction de telles démarches hallucinées, de manière inégale naturellement.

    Regardons ce qu’il est dit des prophètes. L’évangile selon Luc raconte comment c’est au bout de quarante jours de jeûne – donc dans un état halluciné – que Jésus a assumé sa « vision » :

    « Jésus, rempli du Saint Esprit, revint du Jourdain, et il fut conduit par l’Esprit dans le désert,

    où il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, après qu’ils furent écoulés, il eut faim.

    Le diable lui dit : Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu’elle devienne du pain.

    Jésus lui répondit : Il est écrit : L’Homme ne vivra pas de pain seulement.

    Le diable, l’ayant élevé, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre,

    et lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux.

    Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi.

    Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul.

    Le diable le conduisit encore à Jérusalem, le plaça sur le haut du temple, et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; car il est écrit :

    Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet, Afin qu’ils te gardent ;

    Et : Ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre.

    Jésus lui répondit : Il est dit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu.

    Après l’avoir tenté de toutes ces manières, le diable s’éloigna de lui jusqu’à un moment favorable.

    Jésus, revêtu de la puissance de l’Esprit, retourna en Galilée, et sa renommée se répandit dans tout le pays d’alentour.

    Il enseignait dans les synagogues, et il était glorifié par tous.

    Il se rendit à Nazareth, où il avait été élevé, et, selon sa coutume, il entra dans la synagogue le jour du sabbat. Il se leva pour faire la lecture,

    et on lui remit le livre du prophète Ésaïe. L’ayant déroulé, il trouva l’endroit où il était écrit :

    L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé,

    Pour proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue, Pour renvoyer libres les opprimés, Pour publier une année de grâce du Seigneur.

    Ensuite, il roula le livre, le remit au serviteur, et s’assit. Tous ceux qui se trouvaient dans la synagogue avaient les regards fixés sur lui.

    Alors il commença à leur dire : Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. »

    Icône du 6e siècle du Christ pantocrator c’est-à-dire en gloire, on remarquera le visage séparé en deux (divin et rédempteur à gauche, humain et tourné vers la révélation de l’autre)

    On lit également dans le Nouveau Testament, dans l’Evangile selon Matthieu, au sujet de Jean Baptiste qui est celui qui a précédé Jésus :

    « En ce temps-là parut Jean Baptiste, prêchant dans le désert de Judée. Il disait : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche.

    Jean est celui qui avait été annoncé par Esaïe, le prophète, lorsqu’il dit : C’est ici la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers. Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.

    Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui ; et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain. »

    On a là tous les critères d’un mode de vie propice aux hallucinations. De la même manière, dans l’Islam, Mahomet est présenté comme hypersensible (par exemple aux sons, transpirant beaucoup, etc.) et il avait coutume d’aller dans une grotte comme le relate sa femme Aïcha dans une tradition relatée par l’une des principales figures de l’Islam sunnite, Mouhammad al-Boukhârî :

    «  Les premiers signe précurseur de la révélation consistait dans le rêve prémonitoire ; chaque fois qu’il faisait un rêve, le contenu se concrétisait de manière aussi claire que la clarté du matin.

    Il aimait à se retirer et se réfugiait dans la grotte du mont Hira. Il s’y livrait à des actes d’adoration pendant des nuits puis il rejoignait sa famille pour s’approvisionner et se rendait auprès de Khadija [sa première épouse].

    Il perpétuait cette conduite jusqu’au moment où la vérité lui parvint alors qu’il se trouvait dans la grotte du mont Hira.

    A ce moment, l’ange se présente à lui et lui dit : lis – je ne sais pas lire

    L’ange me prit, dit-il, et me serra péniblement contre lui puis me relâcha et me dit : lis – je ne sais pas lire

    Il me saisit encore et me serra péniblement contre lui puis me relâcha et dit :  lis – je ne sais pas lire.

    Il se saisit de moi et me serra contre lui une troisième fois puis il me relâcha et dit : Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. (Coran, 96 :1-2).

    Le Messager d’Allah (bénédiction et salut soient sur lui) retint cela et rentra chez lui, le cœur battant très fort. »

    Cette grotte où le jeûne aboutit à l’hallucination se retrouve pareillement chez Moïse, de manière masquée par contre ici. Dans le livre de l’exode, on a un Moïse serein rencontrant un phénomène exceptionnel, mais en réalité il est halluciné justement dans la grotte :

    « Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb.

    L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer.

    Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? »

    Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! »

    Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »

    Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. »

    S’il est parlé de se voiler la face en l’honneur de Dieu, c’est simplement à la base en raison de la situation physiquement délabrée d’un Moïse hallucinant.

    Moïse et le buisson ardent, Synagogue de Doura Europos, 3e siècle

    De la même manière, le Bouddha est censé avoir prôné l’abandon d’un ascétisme ultra-rigoriste plein de mortifications. Mais il a prôné cela après l’avoir lui-même vécu, et tout en continuant la « méditation » :  c’est sous un figuier qu’il atteint ainsi « l’Illumination suprême ».

    On a de toutes façons la preuve du caractère halluciné des prophètes avec le fait qu’aucun d’entre eux n’ait jamais rien écrit, qu’ils ont toujours vécu leur illumination sans aucun recul, les religions naissant par la suite sur la base d’une tradition fondée de manière arbitraire par d’autres figures.

    Miniature persane du 16e siècle montrant le voyage nocturne de Mahomet dans les cieux au moyen de la monture Bouraq

    Une autre preuve est que les monothéismes ont été prétextes à des phénomènes irrationnels de masse, montrant à quel point ils sont substantiellement en phase avec le désarroi psycho-physiologique des êtres humains.

    Et cela est vrai jusqu’à aujourd’hui, car le monothéisme ne dépend pas tant d’un mode de production que d’un niveau des forces productives et concrètement du rapport entre agriculture et domestication des animaux.

    Tant qu’un cap n’a pas été passé, les faiblesses des situations historiques peuvent provoquer des mouvements profonds où un vaste nombre de gens frappés par la famine ou des formes de carences basculent dans un irrationalisme à tendance hallucinée.

    L’Inde, par exemple, a jusqu’au 20e siècle connu des épisodes de dépression de masse particulièrement marquants, avec une prévalence significative de la religion sur un mode halluciné. Mais des phénomènes d’hallucinations même « encadrées » se retrouvent dans la religiosité catholique à Naples ou lors des pèlerinages à La Mecque.

    C’est littéralement le matériau humain qui n’est ici pas à la hauteur du matérialisme dialectique.

    Et ce matériau humain se forge dans le rapport aux forces productives, les transformant et se transformant.

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  • La dialectique de l’illuminé et du monothéisme

    Il y a un aspect important dans le passage du chamanisme au monothéisme, c’est qu’il y a un passage de la quantité à la qualité.

    Dans la première phase, les êtres humains sont hallucinés en masse. Puis vient la négation de ces hallucinations de masse par l’instauration d’un clergé chamanique vivant les hallucinations de manière « pure » et plus avancée.

    Puis vient la négation de la négation, comme eurent dit Karl Marx et Friedrich Engels, avec le monothéisme supprimant le chamanisme. Mais cela implique alors un « rétablissement » de l’hallucination dans sa suppression.

    Et effectivement, il y a un paradoxe toujours constaté, mais jamais expliqué. Les religions sont des formes extrêmement rigoureuses sur le plan intellectuel, avec une codification particulièrement marquée de leurs rites. On y trouve une attention systématique dans l’élaboration d’un système fermé de références, de codes, de valeurs, etc.

    Or, les fondateurs des religions sont toujours des illuminés, dont le mode d’expression est purement oral et se déroule à l’écart de tout processus de formalisation. Que ce soit Moïse, Jésus, Mahomet, Bouddha, Zoroastre, Chaitanya, etc., tous agissent de manière apparemment désordonnée, avec une image maniaco-dépressive, se revendiquant d’avoir été placé sous le signe de l’inspiration divine.

    Représentation du Bouddha dans le bouddhisme tibétain, 17e siècle

    Tous commencent leur vie spirituelle à l’écart de la société de leur époque, pour établir une religion qui devient ensuite l’ossature spirituelle de cette société. Il y a là un puissant paradoxe, une contradiction.

    Cette dialectique de l’illuminé socialement isolé forgeant une religion socialement absolutiste est un aspect d’un phénomène historique dont le second aspect est l’affirmation du monothéisme.

    Les religions fondées par les illuminés isolés vont en effet immanquablement dans le sens du monothéisme.

    Même les cas à part vont en ce sens : Zoroastre fait de Ahura Mazda le Dieu suprême, les variantes du bouddhisme forgeront un panthéon divin hiérarchisé et de toutes façons l’univers a une dimension spirituelle absolue.

    Les historiens bourgeois se contentent d’analyser cette réalité en disant que, dans une société païenne où plusieurs dieux se côtoyaient plus ou moins en concurrence, un illuminé a réussi, par inspiration divine réelle ou charisme personnel, à « inventer » une nouvelle religion surpassant toutes les autres.

    C’est là bien entendu un raccourci fondamental, faisant mine de constater un phénomène dont le caractère de loi historique semble net, et pourtant apparemment inexplicable.

    Mariage zoroastrien en Inde au début du 20e siècle

    Il est pourtant bien constaté que, après une première phase marquée par la ferveur, les religions monothéistes procèdent à la liquidation de toute démarche d’illumination, afin de se formaliser au maximum, de rationaliser socialement sa propre autorité.

    Plus une religion monothéiste est en place, plus elle s’éloigne de l’illumination, qu’elle combat même avec une grande ferveur, pour ne pas dire un fanatisme plus acharné.

    L’illumination est alors simplement conservée symboliquement pour des figures passées, ou bien valorisées de manière ultra-spécifique pour des figures particulières définies comme saintes et dans tous les cas en séparation radicale avec les masses.

    Les tentatives de rétablissement de l’illumination au sein des monothéismes sont systématiquement écrasées, comme dans le catholicisme romain avec la mystique rhénane des 13e-14e siècles, le jansénisme français au 17e siècle, etc., ou bien subjuguées, comme au sein de l’Islam sunnite avec les confréries soufies.

    Dans tous les cas, la situation historique ne permettait de toutes façons plus des hallucinations vécues en masse. Et pour cette raison, le statut du prophète fondateur du monothéisme se devait d’obtenir un caractère de plus en plus sacré, comme clef de voûte du « sceau » de la révélation.

    Autrement dit, les prophètes fondateurs se voient toujours plus présentés comme étant totalement en rupture avec leur époque. En réalité, ce ne fut justement pas le cas. Si les masses ont compris le prophète fondateur, c’est parce que leur propre vécu les y ramenait, et que c’était même valable à une échelle de plusieurs générations.

    Le saint hindou du 15e siècle Chaitanya et son disciple and Nityananda lors d’un kirtan dans les rues de Nabadwip au Bengale, 19e siècle

    On passe des hallucinations de masse au fétichisme des hallucinations avec le chamanisme, puis au monothéisme universalisant l’hallucination pour permettre individuellement de s’y tourner. Le monothéisme est, dans sa substance, une nécessité explicative pour donner une « origine » au monde, un outil des classes dominantes pour unifier et socialiser, mais également une formalisation de la croyance hallucinée en l’au-delà, avec un bien et un mal se confrontant.

    L’illumination des prophètes fondateurs consiste ainsi en réalité, sur le plan du développement historique, en ce que Karl Marx aurait appelé la négation de la négation.

    L’illumination des prophètes n’intervient pas en opposition à un monde sans illuminations, bien que ce soit le discours des religions a posteriori.

    L’illumination des prophètes apparaît comme l’illumination suprême, l’illumination des illuminations et ainsi comme l’illumination contre les illuminations.

    Les illuminations sont une négation spirituelle du monde matériel ; l’illumination donnant naissance au monothéisme est la négation matérielle de la négation spirituelle, en affirmant le caractère universel de la négation spirituelle aux dépens du caractère particulier de la négation spirituelle.

    Carl Bloch, Le sermon sur la montagne, 1877

    L’illumination du prophète fondateur n’est pas la première illumination, mais bien la dernière. C’est la dernière projection d’une humanité se débarrassant de l’hallucination due à une physiologie carencée, et cette illumination prend une dimension universelle.

    C’est pour cette raison que le monothéisme peut apparaître dans des sociétés relativement différentes sur le plan du développement. Il n’est pas lié en soi à tel ou tel moment du mode de production esclavagiste ou du mode de production féodal.

    Il est lié au niveau des forces productives concernant la vie quotidienne des êtres humains et ici tout se joue dans le rapport dialectique entre l’agriculture et la domestication des animaux.

    Ivan Kramskoï, Le Christ dans le désert, 1872

    Voilà la raison pour laquelle le chamanisme a reculé davantage dans certaines zones de la planète que d’autres. Les foyers agricoles étaient les matrices de ce rapport, se liant avec les populations nomades gérant les troupeaux de mammifères domestiqués.

    En Orient par exemple, mais cela est vrai ailleurs encore, les communautés agricoles ont commencé à s’organiser dès 10 000 avant notre ère, systématisant le patriarcat à mesure que les capacités de maîtrise de la production sociale agricole se développait, et avec elle, une nouvelle vision du monde, attentive à stocker l’information et les ressources.

    L’invention de l’écriture, littéraire et numéraire, à permis de franchir ici un cap déterminant sur ce plan : les premières mesures systématisées du temps, de l’espace et la classification des éléments de l’environnement humain ont permis de développer un riche lexique, enrichissant le langage et permettant de développer l’abstraction : de là, les substances alimentaires et leurs propriétés se sont vues nommées définitivement et classées en pharmacopées, le temps traduit dans des calendriers, et l’espace dans des cartes.

    L’empire inca, par exemple, avait rejeté l’écriture ; les Mayas et les Aztèques disposaient de l’écriture, ils avaient une connaissance approfondie des calendriers, mais les forces productives trop faibles les firent tourner en rond aux portes du patriarcat systématisant l’agriculture et la domestication des animaux.

    Les 26 premiers signes « Porteurs d’années » du « siècle » mésoaméricain

    Il faut bien comprendre ici que l’humanité est en transformation. Le développement des capacités d’abstraction a permis de pouvoir traduire par le langage et la mise en symbole, l’hallucination en spiritualité, et de produire une vision du monde à proprement parler.

    Les capacités humaines cognitives, transformées sans retour par ce lent travail d’accumulation quantitative, ont été alors mûres pour le développement d’un nouveau rapport religieux, tendant progressivement, mais implacablement, au monothéisme.

    Cependant, ce processus était aussi fondamentalement différencié, fragile notamment au début et cela sur toute une longue période. Et il pouvait être confronté à tout moment à des remises en cause, soit par une catastrophe naturelle, ou une crise sociale interne, soit par une invasion d’un peuple externe, plus arriéré dans le chamanisme. On en voit même encore l’exemple avec toutes les difficultés de la conversion des populations turco-mongoles à l’islam à partir du XIe siècle.

    Il faut voir donc ce processus de passage du fétichisme des hallucinations dans le chamanisme au monothéisme, comme se développant de manière différenciée et spiralaire sur des siècles et des siècles, mais avec des étapes marquantes.

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  • L’effacement du culte des hallucinations

    On sait aujourd’hui que la transformation de plantes en alcool, par le processus élémentaire de la fermentation, c’est-à-dire de pré-digestion de substances végétales, ou de lait animal, par des micro-organismes dans un récipient hermétique, a commencé de fait au moins dès la fin du Paléolithique.

    La plus ancienne trace de production d’alcool connue a ainsi été découverte dans une caverne au sud de Haïfa, sur un site datant de 11 000 ans, autour d’une nécropole de chasseurs-cueilleurs semi-sédentaires appelés les « Natoufiens » par les chercheurs.

    Sculpture natoufienne, 9 000 ans avant notre ère, surnommée « Les deux amoureux » (wikipedia)

    À mesure même que l’Humanité améliorait son alimentation, et dialectiquement ses capacités de compréhension et de production de celle-ci, elle a ainsi acquis la capacité à produire des aliments et des boissons lui permettant de domestiquer l’hallucination.

    Ce processus en lui-même a été complètement symétrique et intégré à celui de la domestication des céréales, des plantes et des animaux.

    Dès le néolithique, les quatre types de boissons fermentés (bières, vins, hydromels, laits fermentés) étaient acquis, et cela partout dans le monde selon les types d’aliments disponibles (riz, sorgho, teff, igname, taro, maïs…), sans même parler des autres plantes ou champignons hallucinogène, laissant de manière prolongée comme marque cette idée reçue que l’Humanité aurait toujours consommé des drogues.

    Partout aussi, la domestication de ces substances, de l’alcool ou des plantes hallucinogènes ou narcotiques, a entraîné le développement d’une culture ritualisée puis à proprement parler religieuse, à mesure que se systématisaient les pratiques, comme pour l’ensemble même du processus de domestication propre au développement du mode de production esclavagiste.

    Yagans à la fin du 19e siècle, tout au Sud de l’Amérique du Sud

    Et plus on avance dans la maîtrise de l’agriculture et de la domestication des animaux, plus le culte des hallucinations disparaît. D’une quête individuelle on passe à l’instauration d’une caste chamanique, puis à la négation de l’hallucination.

    Il y a ici une question essentielle à analyser. On peut dire, déjà, que lorsque les forces productives sont suffisamment développées dans une zone en particulier, le culte magique – animiste est amené à s’effondrer tel un château de cartes pour être immédiatement remplacé par le monothéisme.

    On a cherché dans l’émergence du monothéisme une raison qualitative, et c’est pourquoi on a tenté de la rattacher à la mise en place d’une période donnée suffisamment marquante, comme le moyen-âge, ou bien la naissance d’un empire, la suite d’une conquête, etc.

    
En réalité, l’émergence du monothéisme obéit à une réalité quantitative. Lorsque la physiologie passe un cap, où les hallucinations disparaissent au niveau des masses, il y a d’abord une phase de fétichisme de ces hallucinations, qui sont alors recherchées de manière artificielle par des individus faisant office de sorciers : c’est le « chamanisme ».

    Le chamanisme est un fétichisme historique du retard nutritionnel, propre à une société humaine encore relativement éparpillée. Puis, lorsqu’il y a centralisation et dans la foulée un renforcement des forces productives, tout cela cède la place au monothéisme.

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  • Hallucinations, cannibalisme, sacrifices et auto-mutilations

    Aujourd’hui, il existe une interprétation romancée des sociétés « chamaniques », vivant en tribus pacifiques, en quelque sorte à l’écart du monde. Mais, en réalité, les sociétés chamaniques sont ultra-violentes. Le chamanisme peut bien avoir une image « mystique » pacifique, elle reflète une immense précarité humaine et la guerre de tous les clans contre tous les clans.

    Si on prend une société « chamanique » livrée à elle-même, c’est le règne de l’ultra-violence. C’est une époque humaine où l’humanité est réduite aux clans et à ses alliances, tous les autres étant des ennemis. Parler de chamanisme, c’est parler de raids patriarcaux contre les ennemis, d’enlèvements et de viols, de tortures et de meurtres.

    Représentation d’un tzompantli aztèque, mais cette scène macabre est typique en Mésoamérique pré-colombienne

    Les Aztèques représentent à ce titre la société de type chamanique la plus développée. Une avancée historique aurait immanquablement conduit à une unification territoriale et produit une religion unifiée, monothéiste. Mais pour cela il aurait fallu un développement des forces productives, qui n’a pas été possible dans la zone géographique (production agricole trop faible, pas d’animaux à domestiquer pour le trait ou l’alimentation, pas de fer, etc.).

    Les Aztèques étaient donc condamnés à devenir le peuple dominant sur les autres, mais sans pouvoir passer un cap. Cela a produit une folie furieuse, meurtrière, qu’on peut comparer à la stabilité de l’empire inca.

    Le coeur arraché, le corps supplicié dégringole la pyramide alors que le prêtre projette du sang vers le soleil et place le coeur dans un récipient spécial

    Les Aztèques pratiquaient une domination guerrière-patriarcale, comme tous les peuples méso-américains dominants à tour de rôle. C’était une guerre permanente, avec des sacrifices humains permanents, afin d’asseoir la perpétuation de la domination.

    L’effondrement subit de certaines civilisations en Mésoamérique, comme les Olmèques, les Toltèques, les Mayas, etc., tient à ce qu’il s’agissait de cités-Etats : une défaite de celle dominante amenait la disparition des structures de pouvoir en place, la perte des hiérarchies économiques et religieuses, et un basculement vers un nouveau pouvoir concurrent.

    Le souverain maya Itzamnaaj B’alam II tient une torche et son épouse Dame Xoc fait passer à travers sa langue une corde hérissée de lames(wikipedia)

    Les Aztèques dominaient concrètement de manière précaire : très peu nombreux, les conquistadors n’ont pas eu de mal à soulever toute une série de peuples contre eux.

    L’empire inca consistait par contre en un Etat central accompagnant des communautés locales en s’appropriant tout le surplus productif pour le redistribuer. L’État était une structure ayant le rôle de maintenir un cadre à une multitude de petites structures agraires locales, ce qui a abouti à un intense questionnement sur le caractère socialiste, ou plus exactement socialiste primitif, d’un tel système.

    Autrement dit, l’empire inca était aussi une sans réelle dynamique, tout en reproduisant lentement mais sûrement la vie quotidienne, avec de lentes améliorations. Ce qu’on appelle l’empire aztèque était par contre un chaos de peuples se bataillant et cherchant à se dominer par la terreur.

    Momie d’un enfant drogué et sacrifié par les Incas lors d’un rite traditionnel, avec avec Grete Mostny, directrice du Musée national d’histoire naturelle de Santiago au Chili en 1954 (wikipedia)

    Cela aurait dû donner naissance à un empire unifié, mais pour des raisons historiques l’unification était impossible et on en restait à la guerre permanente.

    Pour cette raison, le chamanisme de l’empire inca était tempéré, celui des Aztèques entièrement débridé. Les sacrifices humains comptaient des formes très diverses (pendaison, écorchement afin que les prêtres se revêtissent de la peau, crémation, enfouissement, etc.), dont le fameux arrachage du coeur à un sacrifié encore vivant. Cela avait une fonction chamanique : le sang versé était un don aux dieux.

    Cela avait une fonction politique : la terreur. Cela avait une fonction démographique : limiter la population en général, affaiblir le nombre d’hommes des ennemis, procurer de la viande humaine aux élites.

    La démarche est chamanique : le meurtre permet la liaison avec les dieux ; il fallait sacrifier pour le dieu du feu, celui de la pluie, celui des eaux, pour empêcher la fin du monde, etc.

    On est dans le fétiche du sang versé. Pour cette raison, l’automutilation était également une tradition. Donner son sang, c’était se mettre en contact avec les dieux. Les automutilations visaient à faire couler le sang, dans la douleur et c’est là qu’on retrouve, comme pendant, la consommation de produits hallucinogènes.

    Il faut ajouter à cela un nombre significatif de superstitions : valoriser le fait de loucher au point de faire tenir un pendentif devant les yeux des bébés, pratiquer les modifications corporelles comme les scarifications, etc.

    Sacrifice aztèque d’enfants contre les inondations

    C’est là qu’on voit que la société aztèque était un patriarcat abouti, mais sans profiter de la domestication des animaux de manière suffisante, puisqu’il n’y avait pas d’animaux de trait ni d’élevage d’animaux autre que des poules et perdrix, de manière artisanale.

    La société aztèque était condamnée à halluciner, par les drogues, et par le sang versé. C’était une société condamnée historiquement.

    C’est en ce sens que l’exemple aztèque doit être étudié, en ce que son effondrement immédiat par les conquistadors indique que les massacres, mutilations et automutilations forcenées de la civilisation mésoaméricaine témoigne d’une humanité qui est encore en roue libre tant qu’il n’y a pas l’agriculture et la domestication des animaux.

    Et la combinaison dialectique de l’agriculture et de la domestication des animaux conduit à l’instauration du monothéisme.

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  • Le culte des hallucinations en Mésoamérique

    Les Indiens des grandes plaines ont un prolongement direct en Mésoamérique, un goulot d’étranglement géographique où l’emploi d’une plante utilisé comme céréale, le maïs, a permis une formidable avancée dans l’alimentation.

    La civilisation mésoaméricaine est littéralement une civilisation du maïs, base fondamentale de l’alimentation, avec une ancienneté d’environ 9 000 ans.

    La production de maïs est d’ailleurs liée à celle de courges et de haricots grimpants, dans une combinaison dialectique : le haricot fixe l’azote pour le maïs, le feuillage de la courge protège les plantations, le maïs sert de tuteur aux haricots.

    Cinteotl, dieu aztèque du maïs
    Chicomecoatl, déesse aztèque de la nourriture, de la fertilité et du maïs 

    L’ensemble de la production permet une alimentation équilibrée, d’autant plus que le maïs est nixtamalisé : les grains de maïs sont bouillis avec un mélange de cendres de bois, afin de fragiliser leur enveloppe. Cela permet une meilleure nutrition sur le plan des acides aminés.

    Les Indiens des grandes plaines ont récupéré cette utilisation du maïs à la Mésoamérique, sans toutefois atteindre le niveau de développement propre à cette zone avec l’architecture, les sciences, les arts, la production artisanale élaborée.

    Chicomecoatl, déesse aztèque de la nourriture, de la fertilité et du maïs 

    Les Mésoaméricains ont en fait systématisé la culture des Indiens des grandes plaines et l’ont développé sans commune mesure. Tout comme on trouve chez la tribu indienne des Lakotas un inipi, c’est-à-dire l’équivalent d’un sauna comme lieu de « purification », on trouve ainsi par exemple en Mésoamérique le temazcal, dont la fonction est similaire.

    Les parallèles et prolongements sont réguliers, et on retrouve le même culte des hallucinations. Le niveau de développement de la Mésoamérique était cependant bien plus élevé que celui des Indiens des grandes plaines.

    Alors que les Indiens des grandes plaines ou en général parvenaient avec grandes difficultés ou pas du tout à une confédération de tribus, en Mésoamérique cela devint une norme.

    Cela permit l’émergence de regroupements massifs de populations fondant des villes. On parle ici des Aztèques, des Mayas, des Olmèques, des Toltèques, des Mixtèques, des Totonaques, de la civilisation de Teotihuacan, les Zapotèques, etc.

    Tour à tour, ces confédérations triomphaient les unes des autres, sans parvenir toutefois à une unification générale. C’est là un paradoxe historique : les multiples mésoaméricains ont clairement les mêmes références mystico-religieuses, la même alimentation, la même esthétique malgré les nuances, le même jeu de balle, etc.

    Marqueur maya de la fin du terrain de jeu de balle (wikipedia)

    Cependant, les langues restent variées, les guerres internes permanentes, avec comme expression la plus marquée la norme des sacrifices humains systématisés. Il y a également une multitude de dieux, qui sont à mettre en parallèle avec le triomphe patriarcal : la dissolution de la gens permet à certains hommes d’apparaître comme des chefs, leur vie étant mythifiée.

    Dans ce cadre, le culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines a été systématisé. La prêtrise aztèque, dénommée tlamacazqui, utilisait des plantes hallucinogènes, des champignons hallucinogènes, avec notamment la plante Turbina corymbosa à la nature similaire au LSD et le champignon psilocybe. Le terme cérémoniel monanacahuia signifie littéralement se champignonner.

    Les Mayas utilisaient également des glandes du crapaud buffle, le tabac, l’alcool, etc.

    On est ici dans une véritable méthodologie des drogues, afin d’obtenir des hallucinations visuelles et une introspection mentale particulièrement puissante. Une des représentations du dieu « prince fleur » Xochipilli est tout à fait représentative de ce culte.

    Xochipilli (wikipedia)

    On a ici la solution à un problème fondamental. En effet, comme on le sait, la civilisation méso-américaine s’est effondrée comme un château de cartes en raison de la colonisation par quelques centaines de soldats espagnols partant à l’aventure. Le monothéisme catholique est alors devenu la norme, du jour au lendemain.

    Cela signifie que les masses étaient prêtes pour le monothéisme, et elles le sont d’autant plus devenues en fait que les Espagnols ont amené des animaux de trait en Amérique, et avec ceux-ci les virus et les zoonoses qui y sont associés et contre lesquels les méso-américains n’avaient aucune immunité, et ont systématisé une domestication des animaux alors totalement rudimentaire.

    Cela a révolutionné le mode de production en Mésoamérique, brisant le mode de production local et sa civilisation par un assaut culturel et biologique total, tout en unifiant au fur et à mesure tout le territoire.

    Cela signifie que le monothéisme correspond au moment où le patriarcat l’emporte dans tous les domaines par la combinaison dialectique de l’agriculture et de la domestication des animaux.

    On a le même phénomène plus au sud avec l’effondrement de l’empire inca. Celui-ci avait réussi la centralisation de tout un vaste territoire, à la différence de la situation en Mésoamérique. Mais les forces productives laissaient en place une dispersion religieuse malgré le culte forcé du soleil imposé par le pouvoir central.

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  • La périodisation du culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines

    Puisqu’il a existé un culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines, reste maintenant à étudier de quelle période historique on parle.

    On a ici l’avantage que la situation des Amérindiens a été étudié. On parle ici des Amérindiens de l’époque de la colonisation européenne, mais le culte des hallucinations y est encore présent, même si l’utilisation nouvelle des chevaux a bouleversé le mode de vie amérindien.

    Friedrich Engels, dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, nous dit la chose suivante au sujet des Amérindiens :

    « Le mot latin gens, que Morgan emploie d’une façon générale pour désigner ce groupe de consanguins, vient, tout comme le mot grec correspondant genos, de la racine aryenne commune gan (en germanique ou, d’après la règle, k remplace le g aryen, kan) qui signifie engendrer.

    Gens, genos, en sanscrit djanas, en gothique (selon la règle précitée) kuni, en norois et en anglo-saxon kyn, en anglais kin, en moyen haut-allemand künne veulent uniformément dire race, lignée.

    Mais gens en latin, genos en grec s’appliquent spécialement au groupe consanguin qui se vantent d’une descendance commune (ici, d’un ancêtre commun de la tribu), et qui est uni par certaines institutions sociales et religieuses en une communauté particulière, mais dont l’origine et la nature étaient cependant restées obscures jusqu’ici pour tous nos historiens (…).

    À l’époque de la découverte, les Indiens de toute l’Amérique du Nord étaient organisés en gentes, selon le droit maternel. Dans quelques tribus seulement, comme celle des Dakotas, les gentes avaient disparu, et dans quelques autres, chez les Ojibwas, les Omahas, elles étaient organisées selon le droit paternel. »

    Les Amérindiens étaient socialement organisés en clans, mais sur la base du droit maternel. Être du clan passe par la mère. On n’est plus dans le matriarcat, car les hommes décident, mais la femme a encore une place essentielle, étant le socle familial. Elle peut d’ailleurs chasser son mari, la tente étant à elle, etc.

    On n’est donc plus dans le matriarcat, mais pas encore dans le patriarcat avancé. Il n’y a pas encore d’État comme institution séparée, c’est la gens dans son ensemble qui gère toutes les questions sociales et les décisions à prendre. Cependant, les hommes ont pris les prérogatives. Dès que cela ira dans l’esclavagisme, ils prendront entièrement le dessus.

    La société amérindienne était ainsi une société de chasseurs cueilleurs avancés. Sur le plan matériel, c’est misérable, la seule richesse tenant en des vêtements, des bijoux grossièrement confectionnés, des outils, des armes. On n’est pas au niveau d’une société ayant systématisé la culture avec un niveau civilisationnel.

    On n’est toutefois plus dans le cas d’êtres humains isolés, vivant à l’écart dans un cadre matriarcal immédiat.

    Friedrich Engels dit au sujet de cette période charnière :

    « La constitution gentilice à son apogée, telle que nous l’avons vue en Amérique, impliquait une production tout à fait embryonnaire et, par suite, une population extrêmement clairsemée sur un vaste territoire, donc un asservissement presque complet de l’homme à la nature extérieure qui se dresse devant lui en étrangère et qu’il ne comprend pas, asservissement qui se reflète dans ses puériles représentations religieuses.

    La tribu restait pour l’homme la limite, aussi bien en face de l’étranger que vis-à-vis de soi-même : la tribu, la gens et leurs institutions étaient sacrées et intangibles, constituaient un pouvoir supérieur donne par la nature, auquel l’individu restait totalement soumis dans ses sentiments, ses pensées et ses actes.

    Autant les hommes de cette époque nous paraissent imposants, autant ils sont indifférenciés les uns des autres, ils tiennent encore, comme dit Marx, au cordon ombilical de la communauté primitive. »

    Friedrich Engels précise également à quoi conduit cette période charnière : à la confédération des tribus. Il dit :

    « Nous voyons, chez les Indiens de l’Amérique du Nord, comment une peuplade, unie à l’origine, se répand peu à peu sur un immense continent ; comment des tribus, en se scindant, deviennent des peuples, des groupes entiers de tribus.

    Comment les langues se transforment non seulement jusqu’à devenir incompréhensibles entre elles, mais aussi jusqu’à ce que disparaisse presque toute trace de leur unité primitive.

    Comment, par ailleurs, au sein des tribus, les différentes gentes se scindent en plusieurs tronçons, les gentes-mères se maintiennent en tant que phratries, et comment les noms de ces plus anciennes gentes se perpétuent dans des tribus fort éloignées les unes des autres et depuis longtemps séparées, – le Loup et l’Ours sont encore des noms gentilices dans la majorité des tribus indiennes.

    Et la constitution précédemment décrite s’applique en général à toutes ces tribus, – à cette différence – près que beaucoup d’entre elles ne sont pas arrivées jusqu’à la confédération entre tribus parentes. »

    Et là, justement, on a un exemple de confédération entre tribus parentes qui existe et qui va nous aider à établir une période de manière précise. Il s’agit des peuples mésoaméricains. Le culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines a en effet été repris par le prolongement historique des Amérindiens : les Aztèques, les Mayas, les Toltèques, les Mixtèques, etc.

    Et là on a des confédérations se faisant la guerre et organisant l’asservissement des peuples concurrents, ce qu’on n’a pas du tout chez les Amérindiens, qui vivaient à l’étape de développement pré-confédérationnel.

    On va ainsi savoir précisément jusqu’où le culte des hallucinations va aller historiquement, car comme on le sait la civilisation méso-américaine a été écrasée du jour au lendemain par la conquête espagnole, alors que la civilisation méso-américaine n’était justement pas parvenue à dépasser le stade pré-confédérationnel.

    Le fait que le monothéisme imposé par l’Espagne ait remplacé, littéralement du jour au lendemain, le culte des hallucinations de la civilisation méso-américaine montre qu’on avait là la dernière étape avant le saut – ce saut étant impulsé par la domestication des animaux importée d’Europe.

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  • Le culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines

    Il existe un moyen d’aller plus en avant dans la périodisation du culte des hallucinations ; pour ce faire il faut se tourner vers le continent américain. On y trouve en effet un phénomène qui est connu de très loin en Europe, mais particulièrement saisissant si on en cerne les contours de manière nette.

    Il existe au début du 21e siècle en Amérique du Nord un mouvement dénommé la Native American Church, une forme religieuse née en 1918 aux États-Unis, en Oklahoma. On pourrait traduire par Église amérindienne, bien que le terme employé parle de Native American, d’Américains natifs.

    Il y a actuellement 6,79 millions de personnes se définissant comme amérindiennes lors du recensement américain, 1,8 million au Canada, 23,2 millions au Mexique. Or, parmi ces gens 250 000 appartiennent à la Native American Church, ce qui en fait la religion « Native American » ayant le plus de partisans.

    Là où les choses perdent tout sens du point de vue européen, c’est que le noyau dur de la religion prônée par la Native American Church est… l’assimilation d’un cactus à Jésus-Christ. On parle ici d’un cactus dénommé peyotl en français, de son nom en nahuatl (la langue des Aztèques), dont la consommation a des effets hallucinogènes.

    Le peyotl

    Un observateur avisé comprendra immédiatement deux choses : tout d’abord, qu’on a ici affaire à des restes du culte des hallucinations ayant été la religion chamanique des chasseurs cueilleurs amérindiens. Ensuite, que le mouvement hippie aux États-Unis est en fait un romantisme se tournant vers cet arrière-plan historique.

    La Native American Church n’est, évidemment, pas directement un chamanisme. Déjà, elle intègre, pour la plupart de ses regroupements du moins, le christianisme à son système religieux. Ensuite, elle est monothéiste, vénérant le « grand esprit ».

    Cependant, il est évident que la démarche de la Native American Church repose sur la tradition amérindienne, qu’on trouve dans les grandes plaines, consistant en le culte des hallucinations.

    Les Amérindiens des grandes plaines, ce sont des tribus parfois connues en Europe en raison surtout des Westerns ; on a les Arapahos, les Sioux, les Shoshones, les Cheyennes, les Comanches, les Pieds-Noirs, les Crows…

    Le territoire des Indiens des grandes plaines (wikipedia)

    Cependant, à l’époque des westerns, le mode de vie des Amérindiens avait grandement changé, en raison de la découverte et de l’utilisation des chevaux avec la colonisation espagnole. Certaines tribus pratiquèrent alors le nomadisme, d’autre un début d’agriculture, alors qu’avant la colonisation européenne, on doit parler d’un mode de vie chasseurs cueilleurs s’entremêlant avec le mode de production esclavagiste.

    Les Amérindiens étaient ainsi isolés et divisés ; ils utilisaient 37 langues différentes, et pour communiquer entre eux au-delà des barrières linguistiques sur un territoire de 2,6 millions de km², ils utilisaient des langues des signes communes sur de grandes zones. On ne sait pratiquement rien sur leur origine, la plus ancienne version étant celle découverte par les Européens au début du 16e siècle au Texas et au Nord du Mexique.

    Le grand souci était en fait qu’il y a peu de précipitation dans la zone des grandes plaines, et cela implique une grande difficulté à faire pousser le maïs. On parle ici d’une population humaine ne connaissant ni les outils en fer, ni l’utilisation d’animaux de trait.

    Campement cri au 19e siècle

    Il a été analysé que dans le Nebraska, du 11e au 15e siècle, l’alimentation se fondait à 30 % sur la viande de bison, à 30 % sur le maïs et à 20 % sur le tournesol, les courges et les haricots, à 20 % sur la cueillette de plantes sauvages.

    C’est là représentatif d’une société de chasseurs cueilleurs ayant commencé l’agriculture de manière élémentaire, sans réelle domestication des animaux, avec ainsi une entrée particulièrement inégale dans le mode de production esclavagiste.

    Certaines tribus indiennes menaient de ce fait des razzias pour récupérer des esclaves, parfois mutilés pour les empêcher de s’enfuir. Ces esclaves ne restaient qu’une petite minorité de la population de la tribu, servant surtout en fait pour les tâches les plus ingrates.

    Illustration moderne du sacrifice rituel par strangulation au 10e siècle de 53 jeunes femmes au tertre 72 de Cahokia, à l’Est des Grandes plaines (wikipedia)

    Les sacrifices humains avaient également lieu, le dernier tenté étant sans doute empêché par le Pawnee Petalesharo sauvant en 1817 une jeune fille comanche devant être tuée à l’occasion de la cérémonie de célébration de l’étoile du matin. La jeune fille, après être « purifiée », était brûlée, frappée et la cible de flèches, etc.

    On a ici évidemment un culte patriarcal, avec en point de mire la soumission de la femme. C’est également le cas de la principale cérémonie de la zone des grandes plaines, la « danse du soleil », une fantasmagorie chamanique typique.

    Voici comment est raconté, par Frederick Schwatka à la fin du 19e siècle, le principe de la cérémonie :

    « Chacun des jeunes hommes se présentait à un homme-médecine. Celui-ci, prenait la peau de la poitrine du guerrier entre le pouce et l’index pour former un pli qu’il transperçait à l’aide d’un couteau à lame très étroite et tranchante, puis y insérait un os solide, de la taille d’un crayon de charpentier.

    Ce dernier était attaché à une longue corde fixée, à son autre extrémité, au sommet du mât du soleil situé au centre de l’arène.

    Le but à atteindre pour l’adepte était de se libérer de cette entrave. Pour cela, il devait faire en sorte que la peau de sa poitrine se déchire sous la traction des broches qui transpercent sa chair, atroce épreuve qui, même pour les plus résolus pouvait nécessiter de longues heures de torture. »

    Les femmes peuvent participer en se pratiquant une incision le haut du bras où est alors plantée une plume d’aigle. Surtout, elles sont celles qui coupent les branches de l’arbre formant le mât du soleil, qui va symboliquement être attaqué par les hommes, dans une cérémonie générale dont l’arrière-plan fondamental est le jeûne, l’absence de prise d’eau, l’automutilation, avec un chamane comme élément central.

    On est ici en plein culte des hallucinations pour se lier à ce que les Lakotas appellent Wakan Tanka, le « grand mystère », le « grand esprit ».

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  • Le dispositif chamanique

    Il est bien connu que le chamanisme s’est maintenu, sous différentes formes et en connaissant bien entendu des profondes modifications, jusqu’au 21e siècle. Tout un culte des hallucinations s’est maintenu très tardivement dans l’histoire de l’humanité dans certaines régions du monde. On parle là des zones où l’humanité est restée coincée à un niveau mêlant chasseurs cueilleurs, système esclavagiste, domination féodale ou semi-féodale, le tout s’enchevêtrant de manière très prononcée.

    Il s’agit de pays hors du champ du développement du capitalisme, hors d’Europe, et on sait que la colonisation du 15e au 19e siècle a largement bouleversé la situation mondiale. Cependant, le capitalisme ne s’est pas imposé, instaurant une situation coloniale, puis semi-coloniale, toujours en alliance dialectique avec un cadre féodal ou néo-féodal.

    Cela fait que les zones les plus isolées ont conservé jusqu’au début du 21e siècle un culte des hallucinations, que l’on désigne de manière la plus commune sous le terme de « chamanisme ».

    Cérémonie funéraire dogon au Mali en 1974, avec la société secrète des masques formant la caste chamanique d’hommes circoncis

    Le terme de « chamane » vient de la langue toungouse en Sibérie, une région du monde où le chamanisme a su se maintenir, tout comme au Tibet et en fait la plupart des zones hostiles tant à l’agriculture qu’à la domestication des animaux, ou à l’une des deux seulement.

    Par chamane, on entend une personne faisant office de guérisseur sur le plan médical et de voyant disposant d’intuitions supra-sensibles, d’accompagnateur des esprits des morts dans l’au-delà, ainsi que de prêtre pour les sacrifices destinés à avoir les bons offices des esprits.

    Toutes ces activités sont permises par des « visions », en fait des hallucinations. On parle ici d’un culte des hallucinations alors que l’humanité a atteint un certain niveau de stabilité : seul le chamane a le droit aux hallucinations.

    Chamane Yup’ik en Alaska pratiquant l’exorcisme d’un enfant, fin du 19e siècle

    Cependant, pour que les gens y croient, on comprend bien que leur situation physiologique était très problématique, les amenant à être crédules sur ce plan. Et s’ils en ont fait un fétiche, c’est qu’auparavant leur vécu correspondait à de telles hallucinations.

    La tradition des chamanes force d’ailleurs le trait sur ce plan élitiste. Le recrutement et la formation des chamanes sont des choses extrêmes. Être un chamane, ce n’est pas simplement halluciner, c’est être mis en situation de l’être.

    Les futurs chamanes sont ainsi sélectionnés parmi les gens hyper sensibles, ayant déjà des aspects psychologiques problématiques comme la colère, l’évanouissement, des crises de nerfs, des crises d’hystérie, etc.

    Femme Kwagu’ł au Canada, fin 19e siècle

    Ils passent ensuite par une formation s’appuyant sur des drogues très puissantes : les futurs chamanes sont ainsi drogués pendant plusieurs jours ; selon le chamanisme, il y a un processus de torture pour soi-disant faire face au démon, connaître une mort rituelle, pour aboutir à une résurrection ».

    Les descriptions des tortures « vécues » spirituellement parlent de yeux arrachés, d’os mis à nu avec la chair arrachée et bouillie, l’eau étant enlevée au corps qui est démembré et décapité.

    Dans la tradition yakoute, cet épisode de quelques jours est considéré comme durant spirituellement une année complète, et même trois pour les chamans de niveau supérieur. On imagine le degré de puissance des drogues employées ; il va de soi que ce « dérapage contrôlé » dans le rituel amène à massivement modifier la personnalité du futur chamane.

    Celui-ci est d’ailleurs censé, après sa « résurrection » et son intronisation qui en découle, être en mesure de communiquer avec les esprits, les dieux et les démons.

    Camazotz, esprit chauve-souris du sacrifice dans la civilisation mésoaméricaine

    Le monothéisme s’est acharné contre ce culte des esprits, des dieux, des démons, car lui-même reflétait une humanité au mode de vie plus développé. Le chamanisme a disparu dans les zones où le monothéisme a historiquement émergé et inversement, dans un rapport dialectique.

    Cela signifie donc qu’il s’est maintenu pendant une longue période en Australie et en Océanie, dans l’ensemble de l’Amérique pré-colombienne (donc l’Amérique du Nord, centrale et du Sud), en Sibérie, en Extrême-Orient, en Asie centrale, dans pratiquement toute l’Afrique.

    Toutes ces zones ont été bouleversées par les colonisations, néanmoins quelque chose nous aide ici : le maintien du chamanisme dans certaines zones. Si l’on regarde en effet, le chamanisme s’est systématiquement maintenu, même si de manière relative, auprès des populations dont le mode de vie relève de celui des chasseurs – cueilleurs, même si avec des modifications notables vue l’avancée générale de l’humanité.

    Peinture japonaise représentant un sacrifice d’ours par les Aïnous, fin 19e siècle

    Les traits communs des zones concernées sont : une grande aridité – qu’elle soit en raison du caractère polaire ou désertique -, une dispersion marquée de la population se maintenant à un niveau clanique, une tendance marquée au déplacement.

    On peut ajouter ici les peuples des forêts amazoniennes ou de certaines zones d’Asie-Océanie, comme la Papouasie Nouvelle-Guinée, où l’aridité est remplacée par une luxuriance sans bornes en fait strictement équivalentes concrètement.

    Il existe d’autres facteurs, restant souvent encore à déterminer, néanmoins ce sont là les traits généraux des zones marquées par la persistance de démarches « chamaniques », qui tournent toujours autour de groupes humains restés au niveau des chasseurs – cueilleurs, à un niveau faible de développement agricole ou de domestication d’animaux.

    Il est bien connu par exemple que la civilisation méso-américaine, avec notamment les Mayas et les Aztèques, ne connaissait pas la roue ; en fait, elle connaissait le principe, mais ne l’utilisait pas, en l’absence d’animaux de trait. Cette absence de domestication a joué un rôle majeur au niveau du faible développement des forces productives et c’est cela qui en a fait une zone particulièrement marquée par le chamanisme.

    Plus ancienne représentation connue du serpent à plumes, civilisation olmèque, 1200-400 avant notre ère (wikipedia)

    Il y a là une clef pour comprendre la nature historique du dispositif chamanique. Le chamanisme, qui pratique le culte des hallucinations, repose sur une arriération au niveau du développement de l’agriculture et / ou de la domestication des animaux.

    Le monothéisme s’impose, avec son Dieu patriarcal, lorsque le processus d’agriculture, de domestication des animaux est complété ou relativement complété, permettant la combinaison de l’agriculture avec la domestication.

    En fait, tant qu’il n’y a que l’un ou l’autre, le monothéisme ne peut pas s’imposer. C’est ce qui explique nécessairement l’échec du pharaon Akhenaton à instaurer le monothéisme.

    Cela veut dire aussi que l’instauration d’une dialectique agriculture / domestication des animaux est essentielle pour la mise en place d’un marché, qui comme on le sait va être la base des tout débuts du capitalisme, et le socle pour l’émergence d’une nation.

    C’est ce qui explique le maintien des Juifs comme communauté semi-nationale ou para-nationale, la religion servant de support à une alliance de l’agriculture et de la domestication des animaux qui a réussi à se mettre en place, sans être parvenu à se maintenir suffisamment, tout en étant bouleversé par des suites d’invasions, perses, grecques puis romaines.

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  • Le sens historique totémique du chamanisme

    Historiquement, il y a eu une période où, les hallucinations provoquées par la détresse physique et psychique s’estompent, en raison du développement des forces productives. Se tourner vers des plantes ou champignons hallucinogènes comme expérience personnelle suprême n’a plus de sens comme refuge, mais cela reste un fétiche.

    C’est pourquoi une caste a été formée comme prolongement l’expérience hallucinatoire, de manière organisée, religieuse. C’est le chamanisme.

    Un chamane en Russie au début du 20e siècle

    Il y a à la fois ici une manipulation liée aux couches dominantes en formation pour jouer de la crédulité des masses qu’une réelle mise en place de « fonctionnaires » de l’hallucination. Ainsi être un chamane passait très souvent par un apprentissage poussant à la folie (passer toute son enfance dans une grotte pratiquement sans lumière, consommer massivement des drogues, etc.).

    Ces deux aspects – manipulation et dimension mystico-religieuse – font du chamanisme véritablement la religion de la période où les chasseurs-cueilleurs se sont lancés loin du matriarcat et parviennent à un patriarcat systématisé à tous les niveaux, ce qui aboutit alors au « Dieu le père » du monothéisme.

    Les nuances et différences dans les approches chamanistes peuvent être particulièrement variées. On voit par exemple, en Asie centrale, des populations altaïques issues des forêts de la Sibérie orientale grimer en rênes des chevaux enterrés avec les guides des clans et tribus. Mais on a aussi les masques africains dogons, les dieux de l’hindouisme, les pyramides mayas, les dragons chinois, les fées et les génies de Méditerranée, les masques Kamen et la danse gagaku au Japon, etc.

    Masques dogons (wikipedia)

    C’est d’autant plus vrai que le chamanisme a comme base une humanité vacillante physiquement et psychiquement, connaissant une situation physiologique de détresse propice à l’altération des états de conscience, aux hallucinations. C’est cela la base du culte magique – animiste qu’on retrouve sur toute la planète pendant une longue période, et selon les situations matérielles bien différentes, les expressions en sont différentes.

    On peut considérer même qu’il s’agit alors de conceptualiser à travers le chamanisme, par le rite et la fable, un parcours historique d’une intense intensité personnelle, impossible à raconter de manière linéaire de par sa complexité et de par la perte des données en raison du manque de capacités à stocker et transmettre des informations nombreuses et précises.

    Plutôt que de pouvoir le raconter de manière linéaire et chronologique, l’effort de rationalisation réalisé par l’humanité primitive qui a accompagné relativement ce mouvement s’est concentré sur le sens et l’existence de ce nouveau rapport en fétichisant certaines des formes significatives, ou vues comme telles, qu’a pris le mouvement pour en faire des signes, des rites et des totems.

    Totems haïda au Canada (wikipedia)

    Le totem, c’est un esprit propre à un clan, avec au coeur de sa représentation la confusion entre animaux ou éléments naturels et humains, une confusion typique de l’hallucination et des sensations tourmentées d’une humanité affaiblie mentalement, psychiquement, physiquement.

    Que le chamanisme reflète, en son sens profond, la précarité humaine, cela se lit dans le combat fanatique menée par le monothéisme contre lui. Dès sa mise en place, le monothéisme a systématisé à l’extermination des restes du chamanisme. Il s’agissait de se débarrasser d’une période considérée comme littéralement maudite.

    À ce titre, l’acharnement monothéiste contre le chamanisme et ses restes est issu du long mouvement historique de dépassement de la situation arriérée des chasseurs-cueilleurs. Le monothéisme, c’est l’expression historique prolongée sur de longs siècles de l’extraction de l’humanité des conditions matérielles qui la ramenait régulièrement vers les souffrances et les privations alimentaires, de par la faiblesse des moyens de production.

    Tissu haïda au Canada, 19e siècle

    Le chamanisme correspondait, comme culte des hallucinations, aux carences alimentaires, au déficit calorique, au manque de chaleur, à l’absence de sommeil, aux blessures et aux maladies, à l’épuisement nerveux, à l’angoisse psychologique et à l’anxiété de l’esprit.

    Lorsque le monothéisme combat le chamanisme, il s’imagine combattre non pas tant l’expression païenne que cette odieuse situation de l’humanité passée. Si on ne comprend pas ça, on ne peut pas comprendre l’engouement immense des évangélisateurs, mais également pourquoi les masses colonisées d’Afrique, d’Amérique, d’Asie… se sont tournées aussi aisément vers les monothéismes, abandonnant le chamanisme.

    Le triomphe de l’Islam en Inde du Nord ne s’explique pas autrement, pas plus que la conversion des masses de l’Amérique devenue latine.

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