Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique: la tentative de former une vision du monde, le Parti pour le Parti

    Quelle est la conception dénoncée par la seconde position des Brigades Rouges, qui se fait exclure ? En quoi consiste le caractère « mouvementiste » des guérillas urbaines d’Europe occidentale ?

    Voici comment Simonetta Giorgeri, lors de son procès à Gênes en 1990, résume cela dans le cadre d’une déclaration typique des brigadistes lors de leurs procès, consistant à récuser ceux-ci et à réaffirmer la ligne de l’organisation.

    « Cette activité de formation/organisation des forces se meut parallèlement au processus de reconstruction.

    Dans le milieu ouvrier et prolétarien, des conditions politiques et matérielles endommagées et dispersées par la contre-révolution, pour un équilibre politique et de forces favorable au camp prolétarien, va avoir lieu un processus qui mûrit en référence à l’initiative de la guérilla destinée à rompre les équilibres politiques généraux se formant, entre classe et État, au sein duquel se met en évidence et s’affirme la contradiction dominante en antagonisme entre la classe et l’État.

    L’intervention sur ce plan, avec l’attaque au point le plus élevé de l’affrontement, pèse sur les équilibres de l’affrontement lui-même et se répercute, en conséquence, sur l’ensemble du panorama des rapports entre les classes, jusqu’au plan capital/travail, mettant en mouvement des dynamiques dans le tissu prolétarien et dans les composantes les plus matures de l’autonomie de classe en particulier, d’où il est possible de « libérer » l’énergie prolétarienne qui doit être formée, organisée et disposée de manière adéquate pour être en mesure de soutenir le niveau d’affrontement et se rendre fonctionnelle à l’approfondissement de la guerre de classe.

    Reconstruction et formation/organisation constituent le rail sur lequel se concrétise la nécessaire dialectique guérilla/autonomie de classe. »

    Il est évident que toute cette conception est « informatique ». Il suffit déjà de remplacer le terme « activité » et celui de « processus » par celui de programme. On a alors deux programmes :

    – le programme de formation/organisation des forces ;

    – le programme de reconstruction.

    Il est d’ailleurs dit que ces deux « programmes » fonctionnent en parallèle.

    Ils fonctionnent donc en même temps. Donc ils ont besoin d’un système d’exploitation pour les exécuter, les faire tourner.

    Ce système d’exploitation, c’est le capitalisme, composé :

    – du « milieu ouvrier et prolétarien » ;

    – des « conditions politiques et matérielles endommagées et dispersées par la contre-révolution » ;

    – l’ensemble formant la contradiction entre « la classe et l’État ».

    Mais ce n’est pas tout, on a un troisième « programme » fonctionnant en même temps que les deux premiers :

    – « l’initiative de la guérilla destinée à rompre les équilibres politiques généraux se formant, entre classe et État ».

    Ce programme consiste en l’intervention ciblée de l’avant-garde, intervention qui permet la formation de forces, la recomposition de la classe.

    Deux choses découlent ainsi de cette intervention. Déjà, on a un paquet d’informations envoyés, au sens où l’intervention « pèse » et se « répercute ».

    Ce paquet d’informations est envoyé :

    – « dans le tissu prolétarien et dans les composantes les plus matures de l’autonomie de classe en particulier ».

    Et ce paquet d’informations met en branle ce tissu prolétarien, telles des informations qui, envoyées à un programme, le font fonctionner :

    – « mettant en mouvement des dynamiques dans le tissu prolétarien et dans les composantes les plus matures de l’autonomie de classe en particulier ».

    Ce programme, une fois exécuté, amène un résultat :

    – « d’où il est possible de « libérer » l’énergie prolétarienne qui doit être formée, organisée et disposée de manière adéquate »

    De là vient l’idée de l’attaque au cœur de l’État, l’idée de taper au point le plus élevé. C’est ce qui amène le plus de répercussions. C’est là une non-généralisation du principe de programme mis en mouvement. Il n’en reste pas moins que la conception répond absolument à une lecture informatique de la réalité.

    On a d’ailleurs ici un « Parti pour le Parti », comme les Brigades Rouges pour le Parti Communiste Combattant se sont toujours définies.

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    La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique

  • La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique: la guérilla urbaine comme wargame

    Le fait de ne pas voir une vision du monde n’implique pas de ne pas voir en le capitalisme un « système ». Là est le paradoxe des guérillas urbaines occidentales. D’un côté, elles se définissent de manière « mouvementiste », se revendiquant comme existant par des actions, qui sont des programmes ou plutôt des contre-programmes.

    Elles récusent d’avoir une conception dogmatique, une vision du monde entièrement cohérente.

    Pourtant, en même temps, elles considèrent que leur existence même repose sur un système. Ce système consiste en l’illégalité et l’action contre le cœur de l’État, afin de désarticuler celui-ci et de recomposer le prolétariat dans une guerre de longue durée.

    Ce système ne se veut pas idéologique, mais forme un « patrimoine » qui définit, de différentes manières, chaque guérilla urbaine.

    Or, ce n’est pas cohérent, car on a alors un système totalement fermé, purement opératoire, coupé finalement de toute consistance idéologique.

    Cela revient à un « wargame », avec d’un côté l’État et le capitalisme cherchant à maintenir leurs positions, de l’autre un noyau communiste cherchant à conquérir des positions (c’est-à-dire recomposer le prolétariat).

    Il n’y a alors que deux possibilités.

    Soit les guérillas urbaines ont découvertes une nouvelle exigence, celle de concevoir de manière « informatique » le mode de production capitaliste, ainsi que le processus révolutionnaire. Ce faisant, elles ont raté que c’est la révolution qui forme le système, pas la contre-révolution, puisque le nouveau chasse forcément l’ancien.

    Soit leur approche relève du fantasme.

    Cette seconde interprétation a été contemporaine des guérillas urbaines d’Europe occidentale. Des groupes pratiquant l’illégalité et la lutte armée (au sens d’une technique utile, dans un sens pragmatique) reprochèrent aux « guérilleristes » d’avoir une lecture « mouvementiste », de se croire dans un wargame.

    Cette critique est notamment exprimée en Espagne dans le document « Deux lignes » de la Commune Karl Marx des militants emprisonnés du PCE(r) et des GRAPO, qui en 1987 résume les reproches faits aux « mouvementistes ». Le document eut un écho important alors.

    « Deux lignes » reproche somme toute aux guérillas urbaines « mouvementistes » d’être un « contre-programme » :

    « Les « anti-impérialistes » n’ont pas de programme politique communiste, que toute leur tactique repose sur l’activité « anti-impérialiste », anti-USA, anti- OTAN (…).

    Il est clair que, derrière des concepts comme la « prolétarisation militante », « l’aliénation et l’embourgeoisement des ouvriers », les « processus à la base », etc. se cache une dénaturation du marxisme (…).

    Ils affirment que l’élément subjectif est l’élément essentiel et l’élément « décisif pour la lutte dans les centres impérialistes », les centres impérialistes « ne produisant spontanément – à partir des contradictions objectives et des conditions existantes… – aucune condition révolutionnaire mais seulement destruction et pourriture ».

    C’est une grave erreur subjectiviste, propre au volontarisme, que d’affirmer et de maintenir ces positions car, pour que triomphe la révolution, certaines conditions révolutionnaires doivent exister et ce sont, en premier lieu, des conditions objectives (…).

    Le courant « anti-impérialiste » centre fondamentalement sa lutte autour de la préparation et l’exécution d’actions armées de toutes sortes contre les installations et les intérêts de l’Alliance Atlantique et de l’OTAN.

    Ces actions sont menées dans le cadre de ce qu’ils appellent «la stratégie contre leur stratégie» et «l’unité» supranationale des organisations de guérilla révolutionnaire – une interprétation fausse de l’internationalisme. »

    La seconde tendance des Brigades Rouges, en 1984, fait le même reproche : il ne saurait y avoir de « contre-programme ». Leur position aboutira à leur exclusion (on parle ici de la majorité des cadres mais cependant de la minorité de la base des Brigades Rouges d’alors).

    « L’application de la théorie de Mao Zedong d’une « guerre populaire prolongée » à la réalité sociale et historique dans les pays impérialistes amène selon nous inévitablement à une distorsion profonde du léninisme, jusqu’à atteindre son noyau dur.

    Cela est de fait facile à montrer et notre historique l’a montré en toute clarté : même si l’on essaie le plus possible d’être de sincères marxistes-léninistes, autant qu’on veuille éviter les schématisations, si l’on veut appliquer cette théorie dans les pays du capitalisme moderne, on en arrive de manière forcée à une optique non-léniniste concernant le rapport conscience – spontanéité et la mise en pratique de la lutte politico-économique.

    On en arrive à sous-estimer le rôle éducateur et politique du parti révolutionnaire et on le transforme, d’un sujet conscient de la lutte pour le pouvoir, en un simple organisateur d’une disponibilité révolutionnaire des masses considérée comme certaine (…).

    S’il est juste que la lutte armée modifie le rapport de forces entre les classes, elle ne réalise cela que dans le sens communiste, parce qu’elle contribue à élever la conscience et l’organisation révolutionnaire.

    Autrement considéré, le problème n’aurait que deux autres solutions et les deux ne sont pas marxistes :

    1. la lutte armée modifie le rapport de force, parce qu’il améliore les conditions de vie des masses : « interprétation réformiste » ;

    2. la lutte armée modifie le rapport de force, parce qu’il renforce le pouvoir des masses : cette interprétation, dans un pays comme l’Italie, où avant la conquête du pouvoir politique le vrai seul pouvoir aux mains des masses consiste en leur conscience et leur organisation révolutionnaire, sous-tend de manière inévitable à la pensée d’un « pouvoir croissant, un contre-pouvoir », un « système de pouvoir », qui n’a ici aucune base concrète à part dans le paradis hospitalier des idéologies dont nous cherchons – péniblement – à nous sortir (…).

    Si, cependant, la « contre-révolution préventive » (qui n’est rien d’autre que l’expression concrète de la conscience relative, que la bourgeoisie et sa force politique organisée, l’État, ont de la lutte des classes et de ses possibles développements) est conçue comme « constante structurelle fixe » de l’action de l’État, et même comme capacité de destruction « la légitimité même de la révolution prolétarienne », et si l’action communiste en soi ouvre la « phase révolutionnaire » et commence une « guerre », qui même s’il se veut particulier a en tout cas la « particularité » de n’exister que dans la volonté subjective des combattants, alors il faut reconnaître que les camarades de la « première » position interprètent le matérialisme d’une manière – comment dire – légère, et se présentent la lutte de classe comme lutte entre des sujets entièrement conscients et l’activité communiste comme étant en mesure de « décider » comme elle l’entend du déroulement de la révolution.

    Un peu comme dans les « war games » !

    Bref, la vision que nous propose la « première » position sur le processus révolutionnaire est volontariste dans ses motivations, aventurière dans ses conclusions politiques et idéaliste-subjectiviste sur le plan théorique.

    C’est justement la critique du subjectivisme qui est le socle pour la vision d’ensemble que la « seconde position » propose quant à notre révolution (…).

    En fin de compte, la signification sur le plan du contenu de la polémique « guerre prolongée – insurrection armée » est celle d’un choc entre idéalisme et matérialisme (…).

    Il ne devrait pas être difficile de remarquer qu’entre les deux positions il y a constamment une polémique quant à la question absolument importante : la fonction des avant-gardes communistes aujourd’hui est-elle « d’éduquer » les masses, d’élever leur conscience et leur organisation, ou bien est-elle autre ?

    Les camarades de la « première » position se débarrassent de la question dans la mesure où ils prétendent que « il n’en va pas du problème de la transmission de la conscience des communistes aux masses dans leur ensemble, mais de la nécessité et la possibilité de l’existence d’une politique révolutionnaire en soi ».

    Et pendant qu’ils présentent leurs réflexions, ils résument souvent nos positions comme ridicules, les définissant comme « dépassées », « dogmatiques », « étrangères aux expériences des Brigades Rouges », etc. »

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    La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique

  • La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique: le programme – mode de vie comme contre-stratégie qui n’est pas une vision du monde

    L’informatique est vue négativement par les guérillas urbaines d’Europe occidentale, puisqu’elle est un support à la répression et aux armées.

    Mais ce n’est pas le seul problème concernant la compréhension du rapport des guérillas urbaines à la question de l’informatique. Car toutes ces guérillas urbaines ne relèvent justement pas d’une lecture « informatique » du monde.

    Certaines virent en effet leur démarche comme une « méthode » révolutionnaire. Ce faisant, elles en restèrent à une conception « marxiste-léniniste » où des actions étaient comprises de manière pragmatique et certainement pas de manière programmatique.

    Cela se lit dans la présentation des guérillas urbaines. La seconde tendance des Brigades Rouges avec l’Union des Communistes Combattants, le PCE(r) et les structures du même type ont insisté sur le fait d’avoir un manifeste, un programme. Cela n’est pas du tout le cas des organisations de type « informatique » qui se voyaient comme en mouvement.

    Les Brigades Rouges pour le Parti Communiste Combattant se sont toujours définies comme un « Parti pour le Parti ». Elles ont toujours insisté sur le fait d’avoir une matrice – c’est-à-dire un système d’exploitation, en informatique – et d’agir en fonction des informations de la situation au moyen d’ interventions armées (c’est-à-dire de programmes informatiques définis selon les besoins).

    C’est une lecture « informatique » au sens strict, avec un système général, consistant en la vision du monde brigadiste, procédant à des requêtes dans le prolétariat afin de le recomposer, au moyen d’actions armées définies par des informations sur la situation concrète.

    Petra Schelm

    Simonetta Giorgeri, lors de son procès à Gênes en 1990, présente de la manière suivante cette opposition entre un fond qui ne change pas, tel un système d’exploitation, et une adaptation programmatique.

    « La matrice stratégique étant immuable, la position tactique est fonction de chaque phase du processus révolutionnaire afin de répondre aux finalités de chacune de ces phases, et elle influe sur la disposition tactique des forces en présence qui, de toute façon, a toujours un caractère dynamique en regard des caractéristiques politiques de l’affrontement. »

    Le document unitaire Fraction Armée Rouge – Brigades Rouges pour le Parti Communiste Combattant, de 1988, a la même lecture « mouvementiste », c’est-à-dire « informatique » avec l’insistance sur le fait de faire fonctionner un programme, ou plutôt un contre-programme, le communiqué définissant les actions par la négative (contre les politiques économiques, contre la formation de l’Union Européenne, etc.).

    « Les différences historiques dans le développement et la définition politique de chaque organisation, les différences (secondaires) dans l’analyse, etc., ne peuvent et ne doivent pas être un obstacle à l’unification nécessaire des multiples luttes et activités anti-impérialistes dans une attaque consciente et ciblée contre la puissance de l’impérialisme.

    Il ne s’agit pas d’une fusion de chaque organisation en une seule; le front se développe en Europe de l’Ouest dans un processus de reconnaissance direct et organisé, sur la base de l’offensive pratique, dans la mesure où les prochains moments rendent mûrs l’unité entre tes forces combattantes.

    L’organisation du front révolutionnaire combattant signifie l’organisation de l’offensive.

    Il ne s’agit ni d’une catégorie idéologique ni d’un modèle de révolution.

    Il s’agit au contraire du développement de la force politique et pratique qui combat la puissance de l’impérialisme de manière adéquate, qui approfondit la rupture dans la métropole impérialiste et en arrive au saut qualitatif de la lutte prolétarienne. »

    La Fraction Armée Rouge en Allemagne de l’Ouest et à Berlin-Ouest ne se voyait d’ailleurs pas comme une organisation. Elle n’a jamais répondu aux innombrables questions idéologiques qui lui ont été posé publiquement par d’autres organisations. Ce n’est pas qu’elle le voulait pas, mais qu’elle ne le pouvait pas.

    La matrice de la Fraction Armée Rouge était celle d’un collectif où les gens qui le rejoignent se considèrent comme subjectivement « déterminés ».

    Rejoindre la Fraction Armée Rouge n’était pas vu comme un « choix » mais comme une sorte de conclusion absolument logique et implacable. La Fraction Armée Rouge était le contre-programme et si subjectivement on se considérait comme contre-programme, alors on en était.

    Cette conception a été élargie en 1982 dans le document Guérilla, Résistance et Front Anti-impérialiste. La compréhension de soi-même comme contre-programme est entièrement assumée et élargie à une « Résistance » (en pratique la scène autonome et anti-impérialiste).

    « La situation objective qui se réduit simplement à la question de la survie de la guérilla, est devenue subjectivement pour tous ceux qui n’ont plus de perspective ici, le moment de l’expérience existentielle : à savoir que la disparition de la guérilla entraînerait celle de leurs espoirs et conceptions d’une autre vie.

    Que l’espoir n’existe que tant que dure la lutte. Qu’ils veulent la guérilla et en ont besoin, que notre échec est le leur.

    Cette nouvelle expérience de la nécessité de la guérilla facilite le saut vers une nouvelle conscience : lorsque la lutte de la guérilla est conçue par chacun comme sa propre lutte, la réaliser ne peut signifier que se placer – peu importe à quel niveau – politiquement et pratiquement dans le contexte de la stratégie de la guérilla.

    Le saut qualitatif est le moment intérieur, vivant, incarné dans des personnes concrètes, de la modification des conditions de la lutte ici : pour le développement du front révolutionnaire dans la métropole.

    Il s’est agi pendant sept années d’apporter dans ce désert politique où tout n’est que façade, marchandise, conditionnement, mensonge et tromperie, l’esprit et la morale, la pratique et l’orientation politique de la rupture sans retour et de la destruction du système (…).

    L’impérialisme ne dispose plus d’aucune perspective productive, positive; il n’est plus que destruction. C’est là l’essentiel de l’expérience où s’enracine la nouvelle militance dans tous les domaines de la vie.

    Cette expérience est vécue de façon matérielle dans la base économique de la vie, dans l’armement et la préparation de la guerre nucléaire, dans celle des conditions de vie naturelles et sociales, et à l’intérieur de l’individu lui-même, où l’aliénation et l’oppression s’expriment par une déformation massive et la destruction de toute la richesse individuelle de la pensée, de la sensibilité, de la structure de la personnalité.

    La plupart en perdent tout espoir.

    L’impérialisme dans les centres a perfectionné et systématisé sa domination au point qu’ils ne trouvent plus la force de résister.

    Taux de suicides en forte augmentation, fuite dans la maladie, l’alcool, les tranquillisants, les drogues, voilà la réaction à la réalité d’une longue histoire d’échecs, d’épreuves et de souffrances, de dépolitisation, alors que la violence extérieure n’est plus perçue comme la cause de tout cela.

    Mais de cette dimension de la misère vient aussi la profondeur existentielles des luttes et la haine. Ce n’est plus l’explosion de colère, brève, spontanée.

    Celle-ci s’est consumée au cours de ces années. Voilà le terrain sur lequel se développe maintenant le front révolutionnaire dans le centre.

    Car si le développement du système est vécu en dernière analyse comme aboutissant à la destruction et à l’extermination, la résistance, elle, porte en elle-même – consciemment ou non – l’élément qui fait qu’elle joue maintenant le tout pour le tout, et contre tout, à l’intérieur de luttes concrètes isolées, mais en les dépassant.

    L’unité de la lutte révolutionnaire devient possible et nécessaire.

    Voilà pour tous ceux qui veulent mener cette lutte, une ligne d’action sur laquelle la rupture avec l’état, la révolte et les combats militants peuvent converger partout en une politique – une stratégie de l’attaque contre le centre impérialiste.

    Ligne d’action qui, du fait de sa pratique, aboutira forcément à cette convergence.

    Pendant ces deux dernières années, il y a eu une foule de tracts et d’actions ayant comme mot d’ordre « un seul front avec la raf » et nous savons que le besoin et la volonté de le réaliser traverse tous les domaines politisés (…).

    FRONT signifie autre chose que d’entourer la guérilla d’une structure venant du terrain de la légalité. Nous avons dit qu’il n’y a pas de « bras légal de la raf » et qu’il ne peut pas y en avoir.

    Bien sûr, nous avons des contacts avec des gens un peu partout, et c’est aussi cela la politique concrète de la guérilla – mais ce n’est qu’en tant que développement autonome et spécifique sur ce terrain et en vue de l’objectif commun, que la résistance anti-impérialiste pourra devenir une partie du front anti-impérialiste.

    Et ce n’est que par-là que la séparation sera dépassée.

    Ce n’est que comme cela que la lutte sur ce terrain peut s’embraser politiquement, atteindre continuité et force – et de façon générale, autodétermination et responsabilité pleine et entière en chaque lieu du combat de la politique révolutionnaire dans le centre ouest-européen, en sont des éléments essentiels (…).

    Où l’on ne conçoit pas la vie comme une étape de transition de plus, ni la victoire comme la prise du pouvoir d’état, mais comme étant un processus homogène de résistance qui est contre-pouvoir et transformation pour la libération.

    La politique révolutionnaire ici est la stratégie qui conçoit l’ensemble de la résistance dans le cadre de la réalité quotidienne ici, comme processus de lutte de libération, et la comprend comme partie, secteur, et fonction des luttes mondiales dont seule l’action combinée permet d’atteindre le but.

    Cette politique n’a rien à voir avec une conception du monde.

    Elle n’échafaude pas un de ces modèles idéologiques qui se succèdent et dont on prétend qu’ils se réaliseront plus tard. Elle ne peut être qu’un processus réel.

    Signal de l’utopie, c’est une stratégie à long terme et directe – on peut dire aussi un mode de vie – dans laquelle le but stratégique de destruction du pouvoir impérialiste est lié à une réelle transformation maintenant – le processus qui, au fur et à mesure du développement du front, détruit l’occupation du terrain politique et de l’individu par l’état – qui crée, par la production d’un contre-pouvoir, les conditions nécessaires à l’offensive politico-militaire, et qui en tant que production, développement matériel, comprend en lui le rétablissement de la pleine dimension de l’homme dans les relations des combattants.

    Transformation immédiate, territoire libéré et révolution sont pleinement intégrés dans le processus de la résistance – et ce n’est qu’ainsi qu’ils trouvent leur vérité.

    La stratégie révolutionnaire ici, c’est la stratégie contre leur stratégie. »

    Il va de soi que questionner la « vision du monde » de la Fraction Armée Rouge, c’était passer à côté de sa matrice. Cela ne veut pas dire qu’elle n’avait pas de vision du monde, mais sa vision du monde était conçue comme insérée dans celle qui prédominait.

    Il y avait un système, l’impérialisme. Celui-ci avait des programmes, telle la guerre impérialiste, l’aliénation, les restructurations, etc. Les « résistants » naissaient comme contre-programmes et cherchaient à se systématiser. Ce n’était pas une vision du monde.

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    La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique

  • La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique: l’informatique vue négativement

    Pour les guérillas urbaines, l’informatique est un thème récurrent. Mais cela ne veut nullement dire qu’il y ait une réflexion sur la nature de cette technologie en tant que développement de la pensée humaine.

    L’informatique n’est jamais abordée que de deux manières, toutes deux négatives : comme support aux armées impérialistes, comme support au contrôle des masses.

    Ce n’est pas dans le discours sur l’informatique qu’il faut trouver la dimension « informatique » dans les guérillas urbaine d’Europe occidentale.

    Voici quelques exemples de ce discours.

    « QUE TOUTES LES FORMES DE MONSTRUOSITÉ SOIENT VAINCUES !

    Mercredi 24 mai 1972, deux bombes d’une charge de 200 kg de T.N.T. ont explosé au Quartier général des Forces armées américaines en Europe, situé à Heidelberg [détruisant l’ordinateur coordonnant les bombardements américains au Nord-Vietnam]. »

    Fraction Armée Rouge, 1972

    « Il faut analyser une bonne fois le projet militaire qu’ont les Américains en se servant de la social-démocratie : intégration des appareils chargés de la sécurité intérieure et extérieure (c’est-à-dire intégration des appareils policiers dans la structure de l’OTAN), transformation de l’ensemble de l’appareil d’État, y compris des appareils idéologiques (écoles, médias, ensemble des administrations), en un gigantesque réseau tentaculaire de renseignements.

    Un processus qui oblige tous les fonctionnaires et employés à faire des rapports au service de surveillance de la constitution [=aux services secrets]. Un seul journal en a parlé jusqu’à présent.

    Voilà la stratégie au niveau des institutions de ce nouveau fascisme qui fait de la justice politique un instrument de la counter-insurgency [contre-insurrection], de la police politique.

    Cependant que parallèlement on installe la machine du Conseil de Sécurité de l’État : le Bureau fédéral de la police criminelle (BKA), à l’intérieur de ce bureau le département « terrorisme » (TE), qui siège à Bonn, la police des frontières (BGS), les sections mobiles d’intervention (MEK).

    On développe la police encasernée, on homogénéise les polices des Länder [=régions] sous le commandement de la BKA, on multiplie les ordonnances de police.

    Et l’informatique représente encore un saut qualitatif : le fichier manuel devient un ordinateur électronique, qui permet pour la première fois des techniques nouvelles de répression empruntées au système de communication de masse et que la guerre psychologique met en application. »

    Andreas Baader et Ulrike Meinhof, document-projet pour l’intervention au procès pour l’occupation de Stockholm, 1976

    « La liquidation [des prisonniers de la RAF] a été depuis longtemps préparée dans l’opinion publique au moyen d’une information d’une campagne psychologique menée de manière précise par une information de masse offensive. »

    Brigades Rouges, La lutte ne fait que commencer, 1977

    « Enfin : frapper à tous les niveaux les analystes et les programmateurs des centres d’informations, les « techniciens clefs » dans le jargon militaire.

    Bombarder à coups de bazookas les systèmes informatiques, les banques de données et les réseaux de calculateurs… qui constituent la base matérielle « technique » de l’information et du contrôle total.

    Quand c’est possible, infiltrer des taupes rouges parmi le personnel spécialisé.

    S’il est vrai que l’informatique ne peut pas atteindre les objectifs « impensables » que la bourgeoisie impérialiste affamée et excitée s’assigne (c’est politiquement impossible, en plus que techniquement, sans compter que la « réduction mathématique » du réel que cela comporte amène dans un cul-de-sac le système en entier), il est vrai aussi que cela constitue un puissant instrument de guerre pour ses performances immédiatement répressives. »

    Brigades Rouges: Les vingt thèses finales, 1980

    « Nous avons attaqué cette nuit le centre informatique de la base des forces navales à Washington.

    Simulation de batailles navales, entraînement à la mort programmée de millions d’êtres humains pour protéger les intérêts de la classe dirigeante US.

    Ces ordinateurs sont une composante de la technologie de mort que le gouvernement US utilise afin d’écraser les combats des peuples qui luttent -pour une libération nationale, pour le Socialisme et pour la Paix. »

    Armed Resistance Unit, 1983

    « Cette nuit, des unités de l’United Freedom Front ont attaqué les bureaux et installations de la Motorola Corporation dans le quartier de Queens de la ville de New-York (…). Bien que la réputation publique de Motorola comme marchand de mort ne soit pas aussi évidente qu’elle ne l’est pour d’autres corporations tel Honeywell, elle a pour le moins un long passé sanglant de production de guerre. »

    United Freedom Front, 1984

    « Nos dernières attaques à la bombe étaient dirigées contre Siemens et la compagnie informatique Nixdorf.

    Ils promeuvent le développement d’une nouvelle technologie de domination pour créer des possibilités encore plus sophistiquées de guerre de production et de contre-révolution.

    Ils servent aussi à remodeler les conditions de travail, en particulier sur le dos des femmes du monde entier. La technologie de ces compagnies exploite les femmes ici en les faisant travailler isolées les unes des autres dans des boulots à temps partiel, sans sécurité sociale. »

    Rote Zora, Interview, 1984

    « L’attaque du QG d’HONEYWELL EUROPE, sis à côté de l’immeuble HONEYWELL SA qui limite ses activités à la Belgique, a été réalisée au moyen d’une forte charge que notre Cellule y a placée malgré le dispositif policier et les mesures de sécurité prises par HONEYWELL (caméras, vigiles, etc.).

    Cette action s’inscrit exactement dans l’esprit de la « Campagne anti-impérialiste d’octobre » que nous avons débutée le 2 de ce mois, car en effet le trust HONEYWELL, multinationale bien connue de l’électronique et de l’informatique, collabore activement au programme de construction des missiles Cruise en fournissant, entre autres, l’électronique du système de direction.

    Honeywell, c’est aussi le principal fournisseur dans la fabrication des missiles intercontinentaux de type « MX Peacekeeper », le fabricant des systèmes de navigation du bombardier géant B-52 (actuellement équipé de la version air-sol des missiles Cruise-type AGM86 ), et le producteur d’une gamme d’armements allant des torpilles aux radars, des ordinateurs militaires aux bombes à fragmentations ce qui place HONEYWELL parmi les 20 principaux collaborateurs militaires des USA.

    Et comme nous avons un peu de mémoire, nous rappellerons que c’est HONEYWELL qui avait fabriqué l’ordinateur qui coordonnait les bombardements massifs de 1972 sur le Nord Vietnam, et que la FRACTION ARMÉE ROUGE — Commando du 15 juillet — a détruit lors de son attaque contre le QG de l’armée américaine en Europe, Heidelberg.

    Le nouveau coup porté ce matin contre HONEYWELL permet maintenant d’exprimer un point de vue que nous n’avions pas encore soulevé et qui est essentiel. Voici quelques faits :

    — Le 14 octobre 1982, le groupe révolutionnaire « DIRECT ACTION » a attaqué à la bombe (un camion piégé de 200 kg d’explosifs ) la compagnie industrielle LITTON SYSTEM CANADA LTD, à l’endroit même où sont fabriqués les systèmes de guidage des Cruise, causant ainsi des dégâts très importants.

    — Le 23 juin 1983, à Düsseldorf, LITTON BUSINESS SYSTEM a été attaqué par des révolutionnaires qui y ont placé une bombe incendiaire.

    — Le 19 septembre 1983, les CELLULES RÉVOLUTIONNAIRES ont fait sauter le centre informatique de l’usine MAN de Mayence (RFA) où sont fabriqués les châssis des véhicules porteurs et lanceurs des missiles Pershing.

    — Le 20 novembre 1983, c’est HONEYWELL BULL à Düsseldorf qui est à son tour attaqué par les CELLULES RÉVOLUTIONNAIRES.

    — Le 14 décembre 1983, une Unité de I’UNITED FREEDOM FRONT a attaqué, également à l’explosif, les bureaux et les installations d’HONEYWELL à New York. »

    Cellules Communistes Combattantes, 1984

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    La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique

  • La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique: système, programme, contre-programme

    Si l’on regarde l’Histoire avec attention, on peut s’apercevoir de quatre choses qui, si on les relie, permettent d’avoir un regard matérialiste historique extrêmement lourd de sens et de signification.

    Ces quatre choses sont les suivantes :

    – les guérillas urbaines se forment en Europe occidentale au moment de l’émergence de l’informatique ;

    – l’informatique est un thème récurrent dans leur vision du monde ;

    – elles conçoivent le capitalisme comme un « système » et les gens encadrés par un programme ;

    – elles conçoivent leurs interventions comme une réécriture du programme.

    Ulrike Meinhof

    Les guérillas urbaines d’Europe occidentale ont la démarche suivante. Elles considèrent que le capitalisme s’est généralisé et qu’il forme un système complet. Partant de là, tout est verrouillé. L’intervention armée a une dimension qualitative qui permet de faire sauter un verrou.

    Il s’agit alors soit de faire sauter le plus de verrous possibles, soit au contraire de cibler particulièrement un verrou par étape, dans les deux cas afin d’établir un contre-système. Ce contre-système est alors censé se systématiser, dans une révolution ayant un caractère prolongé.

    La question qui se pose est alors la suivante : les guérillas urbaines reflètent-elles un moment particulier de la prise de conscience historique de la nature « systémique » du capitalisme ?

    Cela dépasse largement leurs propres définitions. La question est en effet de savoir dans quelle mesure, dans leur nature même, elles sont le reflet d’une saisie à la fois du capitalisme avancé et d’une lecture « informatique » de la réalité.

    Mara Cagol

    Il va de soi qu’il y a ici une double contradiction. Tout d’abord, les guérillas urbaines n’ont pas forcément eu conscience de leur lecture « programmatique » et moins elles en ont eu conscience, plus il devait y avoir de distorsions dans la compréhension de leur propre démarche.

    Ensuite, il est le propre du gauchisme de raisonner de manière unilatérale et donc en termes de « système ». Il va y avoir nécessairement un parasitage d’ultra-gauche qui risque par conséquent de masquer la dimension informatique.

    En quoi consiste cette dimension informatique?

    Le terme d’informatique vient de celui d’information. Il s’agit du principe d’automatiser des informations au moyen de programmes fonctionnant au sein d’un système, afin de mettre en branle des activités.

    Autrement dit, on a un système autonome capable, au moyen de programmes, d’acquérir des informations et d’agir alors en fonction d’une certaine manière.

    Dans une telle perspective, il n’y a pas de marge de manœuvre pour que le système agisse différemment et le programme traite les informations inévitablement de la même manière. C’est un système figé.

    Les guérillas urbaines d’Europe occidentale considèrent le capitalisme comme un tel système. Elles reprochent aux Partis « Communistes » ayant dévié dans le révisionnisme, mais également aux « marxistes-léninistes » cherchant à en revenir aux Partis Communistes tels qu’ils avaient été avant la déviation, d’avoir totalement raté la « mise à jour » du capitalisme.

    En clair, ils se tromperaient d’époque et leurs efforts seraient vains. Par contre, à ce niveau, les guérillas urbaines d’Europe occidentale ne cherchèrent pas à effectuer une « mise à jour » de la vision communiste du monde. Elles considéraient qu’il fallait entièrement refonder le logiciel révolutionnaire.

    Ou, dit plus simplement, elles considéraient que face au système capitaliste et à son programme, il fallait un contre-programme, pas un contre-système. Elles ne parvinrent jamais à établir une vision du monde « informatique » – elles en restèrent à la guérilla comme contre-programme.

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    La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique

  • La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique: révolution, contre-révolution, système contre système ?

    « Engels dit explicitement : « avec chaque découverte qui fait époque dans le domaine des sciences naturelles » (à plus forte raison dans l’histoire de l’humanité) « le matérialisme doit modifier sa forme » (Ludwig Feuerbach, p. 19, édit. allemande).

    Ainsi, la révision de la « forme » du matérialisme d’Engels, la révision de ses principes de philosophie naturelle, n’a rien de « révisionniste » au sens consacré du mot ; le marxisme l’exige au contraire. »

    Lénine, Matérialisme et empirio-criticisme

    La révolution consiste-t-elle en un affrontement entre la révolution et la contre-révolution ?

    Si la réponse est oui, alors cela implique que cet affrontement est toujours en mouvement, qu’il faut redéfinir les termes de l’affrontement du côté des révolutionnaires. Si ce n’est pas le cas, alors le panorama est fixé, il est statique.

    Si la réponse est oui, alors les plans de cet affrontement sont très nombreux, n’importe quel aspect social pouvant être un vecteur, à un moment donné, de celui-ci. Si ce n’est pas le cas, alors il n’y a qu’un seul terrain à l’affrontement.

    On aura reconnu les deux positions possibles. La première est la lecture maoïste, apparue dans les années 1960 notamment avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Les interactions au sein de la société sont désormais considérées avec attention, l’affrontement révolution/contre-révolution est en mouvement, tout comme en Chine populaire l’affrontement entre la restauration du capitalisme et la contre-restauration visant à maintenir le socialisme.

    La seconde est la lecture traditionnelle, de type « marxiste-léniniste », anarchiste, etc. c’est-à-dire en définitive syndicaliste révolutionnaire.

    Mao Zedong

    Dans le premier cas, la contre-révolution cherche par définition à neutraliser les antagonismes, à recomposer le capitalisme pour assécher les terrains de contestation, à empêcher autant que possible ce qui pourrait provoquer des frictions.

    Dans le second cas, la contre-révolution n’existe qu’en tant que réponse mécanique à la contestation. Elle n’est pas l’enjeu de toute une époque. Il suffirait de pousser les revendications et la lutte des classes triompherait mécaniquement.

    Dans le premier cas, il est très difficile de peser dans l’affrontement entre révolution et contre-révolution. Il faut bien cerner la situation, déterminer ce qui est favorable à la révolution et former un nouvel espace.

    Dans le second cas, il suffit d’intervenir de manière même réformiste pour exister et avoir un impact social et politique.

    Dans le premier cas, le parcours révolutionnaire est prolongé et non-linéaire.

    Dans le second cas, le parcours révolutionnaire est court et linéaire.

    La question qui se pose est la suivante : l’informatique permet-elle, en tant que science, d’apporter un éclairage sur l’affrontement entre révolution et contre-révolution ?

    Autrement dit, est-il possible de prendre le concept de « système d’exploitation » d’un ordinateur, et de l’appliquer à la contre-révolution ?

    Un système d’exploitation est en fait une gestion d’opérations au moyen des ressources d’un ordinateur. Le système d’exploitation, qui est lui-même un programme, fait fonctionner des programmes, qui profitent du matériel afin d’utiliser des informations, de les traiter, de fournir un résultat.

    On aurait alors le mode de production capitaliste comme un système, profitant du matériel qu’est la société pour faire fonctionner des programmes (la police, l’école, les syndicats, l’armée, les entreprises, les accords sociaux, etc.) en fonction d’informations.

    Ces informations sont la réalité de la lutte des classes perçue à travers le brouillard bourgeois. Le résultat est le maintien du capitalisme et même son expansion.

    Lorsque Maurice Thorez, dirigeant du Parti Communiste Français, met par exemple en place l’École Nationale d’Administration en 1945-1946, en tant que membre du gouvernement, il ne considère pas que son action s’insère dans un « programme » du capitalisme. Il pense que le terrain de l’affrontement révolution / contre-révolution ne se situe pas là.

    Inversement, lorsque le mouvement de mai 1968 assume une dimension culturelle à son agitation, il se voit comme un programme faisant face à un système gouvernemental devant être littéralement céder la place à un autre système. D’où d’ailleurs le rejet du mouvement par le Parti Communiste Français, au motif que la question serait mal posée, le terrain erroné.

    Cette question a été, sur le plan conceptuel, posé par les guérillas urbaines en Europe occidentale qui ont justement suivi mai 1968.

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    La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique

  • Les commissaires politiques de l’Armée rouge dans la grande guerre patriotique

    La figure du commissaire politique jouant un rôle au sein des unités combattantes de l’Armée rouge est bien connue ; en réalité, son existence obéissait à une double injonction dont la solution dialectique fut difficile à trouver.

    Le principe du commissaire politique fut initialement instauré en 1918. Sa fonction était de superviser une structure bien déterminée au sein de l’Armée rouge nouvellement fondée, que ce soit une unité militaire, des troupes en particulier, le travail sportif, les activités culturelles, l’agitation et la propagande.

    Concrètement, le commissaire politique sert de support et de relais du Parti dans l’Armée rouge. Il vérifie que la gestion et les décisions relèvent de l’idéologie du Parti ; il organise la mobilisation des masses et informe le Parti de la situation. Il joue le rôle d’éducateur politique, de formateur idéologique auprès des troupes. Il prend des initiatives afin de renforcer l’Armée rouge idéologiquement et en pratique.

    Cela exige un niveau hiérarchique aussi grand que les commandants et cela signifie qu’aucune décision au sein d’une entité de l’Armée rouge ne pouvait se faire sans l’aval du commissaire politique, elle devait également voir sa participation du début à la fin. C’était, pour le Parti bolchevik qui supervisait les commissaires, les moyens de s’assurer que les « experts » militaires agissaient conformément aux exigences révolutionnaires.

    C’était ainsi une décision politico-militaire et à ce titre ce fut le Conseil Militaire Révolutionnaire qui, par une décision du 5 décembre 1918, instaura ce principe en le généralisant à toute l’Armée rouge, sur le front comme à l’arrière et pour les activités connexes.

    Kouzma Petrov-Vodkine, La mort du commissaire, 1928

    Cela fut formalisé lorsque, en avril 1919, les commissaires politiques passèrent sous le contrôle du Politotdel, le Département politique du Conseil Militaire Révolutionnaire de la République, qui devint en 1924 le Département politique du Commissariat chargé de la Défense.

    Cela impliquait cependant une double direction et il fut rapidement considéré qu’il fallait dépasser cette perspective parfois paralysante. Dès janvier 1920 le poste de commissaire politique fut aboli sur le Front du Turkestan, à l’initiative de Mikhaïl Frounze. Le processus d’abandon du principe fut officialisé en 1922 et se termina en 1925.

    Il se produisit la situation suivante. Soit les commandants d’unités étaient directement formés et appartenaient de fait au Parti Communiste, soit ils se voyaient adjoindre un « pompolit », c’est-à-dire un « assistant aux questions politiques ».

    Le commissaire politique en tant que superviseur était ainsi remplacé par un instructeur-surveillant qui n’avait plus le même rang que le commandant : c’était la fin du double pouvoir.

    Il y avait trois grades de pompolit : pompolit cadet, pompolit et pompolit principal, à quoi s’ajoutaient pour les pompolits principaux les termes officiels de commissaires de bataillon, de régiment ou de division, bien que dans les faits cela restait une activité de pompolit.

    Cette situation se maintint jusqu’en mai 1937, où l’Armée rouge rétablit les commissaires politiques alors que la lutte de classes faisait rage dans le pays. Cela concernait principalement les écoles militaires et les centres de formation initialement, puis le décret du 25 janvier 1938 systématisa les commissaires politiques au niveau des unités militaires.

    Toutefois, en 1940, l’Armée rouge retourna de nouveau au principe des pompolits, les différents conflits menés les mois auparavant (avec le Japon, la Finlande…) montrant que les commissaires politiques ne disposaient pas assez de formation militaire.

    La situation se renversa ensuite de nouveau avec la guerre avec l’Allemagne nazie qui commença le 22 juin 1941. Le 27 juin, le Bureau Politique du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) adopta une résolution « sur la sélection des communistes pour renforcer l’influence politique des partis dans les régiments ».

    Cela aboutit à l’envoi par les comités régionaux du Parti de 18 000 cadres dans l’armée pour y jouer une activité politique ; le 30 juin il fut demandé d’en envoyer 23 000 dans les trois jours. Leur nombre total sera de 100 000 en six mois.

    Cette ligne fut formalisée par le décret du Présidium des Forces Armées de l’URSS du 16 juillet 1941 « sur la réorganisation des organes de propagande politique et l’introduction de l’institution des commissaires politiques dans l’Armée rouge ouvrière et paysanne ».

    Voici ce qu’il posait :

    « La guerre qui nous a été imposée a radicalement changé l’environnement de travail de l’Armée rouge.

    La guerre a élargi la portée du travail politique dans notre armée et a exigé que les travailleurs politiques ne se limitent pas à la propagande, mais assument également la responsabilité du travail militaire sur les fronts.

    D’un autre côté, la guerre a compliqué le travail du régiment et du commandant de division et exige que le régiment et le commandant de division reçoivent une pleine assistance des travailleurs politiques, non seulement dans le domaine du travail politique, mais aussi dans le domaine militaire.

    Toutes ces nouvelles circonstances dans le travail des travailleurs politiques, liées à la transition du temps de paix au temps de guerre, exigent que le rôle et la responsabilité des travailleurs politiques soient accrus – tout comme cela a eu lieu pendant la guerre civile contre l’intervention militaire étrangère.

    Conformément à cela, répondant aux souhaits du Comité de défense de l’État et des commandants en chef, le Présidium du Soviet suprême de l’URSS décide de :

    1. Réorganiser les administrations et les départements de propagande politique en directions politiques et départements politiques de l’Armée rouge ouvrière et paysanne.

    2. Introduire l’institution des commissaires militaires dans tous les régiments et divisions, les quartiers généraux, les établissements d’enseignement militaire et les institutions de l’Armée rouge, et l’institution des chefs politiques dans les compagnies, les batteries, les escadrons.

    3. Approuver le règlement sur les commissaires militaires dans les régiments et divisions de l’Armée rouge ouvrière et paysanne.

    Président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS
    M. KALININE

    Secrétaire du Présidium du Soviet suprême de l’URSS
    A. GORKINE »

    Un commissaire politique et des soldats de l’armée rouge sur le front de la Crimée en mai 1942

    Ce décret reposait cependant le problème de la double direction et pour cette raison il y eut six mois plus tard un Décret du Présidium des forces armées de l’URSS du 10 octobre 1942 « sur la mise en place d’un commandement unique et l’abolition de l’institution des commissaires militaires dans l’Armée rouge ».

    On repassait au système des pompolits. Le décret disait la chose suivante :

    « Le système des commissaires militaires, mis en place dans l’Armée rouge pendant la guerre civile, est né d’une certaine méfiance à l’égard des cadres de commandement, qui comprenaient de vieux spécialistes militaires qui ne croyaient pas à la force du pouvoir soviétique et lui étaient même étrangers.

    Pendant les années de la guerre civile, les commissaires militaires ont joué un rôle décisif dans le renforcement de l’Armée rouge et dans la sélection du personnel de commandement, en ce qui concerne son éducation politique et l’imposition de la discipline militaire.

    Dans les années qui ont suivi, après la guerre civile, le processus de formation continue et d’éducation du personnel de commandement a eu lieu. En conséquence et sous l’influence des succès et des victoires du système soviétique dans tous les domaines de la vie, la situation des cadres de commandement de l’Armée rouge a radicalement changé.

    La Grande Guerre patriotique contre les envahisseurs allemands a forgé nos cadres de commandement, a amené une énorme couche de nouveaux commandants talentueux, testés dans les batailles et fidèles à leur devoir militaire et à l’honneur de commandement jusqu’à la fin.

    Dans de féroces batailles avec l’ennemi, les commandants de l’Armée rouge ont prouvé leur loyauté envers notre patrie, ont acquis une expérience significative de la guerre moderne, ont grandi et sont devenus plus forts dans les relations militaires et politiques.

    D’autre part, les commissaires militaires et les travailleurs politiques ont augmenté leurs connaissances militaires, ont acquis une riche expérience de la guerre moderne, certains d’entre eux ont déjà été transférés à des postes de commandement et dirigent avec succès des troupes, beaucoup d’autres peuvent être utilisés dans des positions de commandement immédiatement ou après une certaine formation militaire.

    Toutes ces nouvelles circonstances associées à la croissance de notre commandement et de nos cadres politiques indiquent que le fondement de l’existence d’un système de commissaires militaires a complètement disparu.

    De plus, l’existence continue de l’institution des commissaires militaires peut freiner l’amélioration du commandement et du contrôle des troupes et produire une situation fausse pour les commissaires eux-mêmes.

    Ainsi, le besoin s’est fait sentir d’abolir l’institution des commissaires militaires dans l’Armée rouge, d’établir un commandement complet par un seul homme et de confier pleinement aux commandants la responsabilité de tous les aspects du travail des troupes.

    Sur cette base, le Présidium du Soviet suprême de l’URSS décide de :

    1. Établir un commandement complet par un seul homme dans l’Armée rouge et placer les commandants (chefs) entièrement responsables de tous les aspects du combat et de la vie politique des unités, formations et institutions de l’Armée rouge.

    2. Abolir l’institution des commissaires militaires dans les formations, les unités, les quartiers généraux, les établissements d’enseignement militaire, les directions centrales et principales des organisations du Commissariat du peuple à la défense de l’URSS et des institutions de l’Armée rouge, et l’institution des dirigeants politiques en divisions.

    3. Introduire l’institut des commandants adjoints aux affaires politiques dans les formations, unités, quartiers généraux, sous-unités, établissements d’enseignement militaire, dans les directions centrales et principales des organisations à but non lucratif et des institutions de l’Armée rouge.

    4. Intensifier le transfert des commissaires militaires, qui sont les plus formés au respect militaire et qui ont une expérience accrue de la guerre moderne, en tant commissaires politiques occupant des postes de commandement.

    5. Établir les grades et insignes militaires communs à tous les commandants de l’Armée rouge pour les commandants adjoints aux affaires politiques et pour tous les autres travailleurs politiques. »

    La ligne du Parti bolchévik était fort simple : l’idéal était que les commissaires politiques deviennent les commandants, par l’acquisition d’une formation militaire et, en attendant, il y eut la considération qu’il fallait satisfaire à l’exigence des commandants de se passer d’un double commandement nuisant à leurs activités.

    Un commissaire politique en Ukraine en 1942

    Toutefois, au début de l’année 1943, seulement 30 % des 122 000 commissaires politiques furent en mesure d’assumer une nouvelle position. Le Parti bolchevik prit alors l’initiative et le Commissariat du peuple à la défense de l’URSS réalisa ainsi en mars 1943 un décret « sur la mise en place d’un minimum de connaissances militaires obligatoires pour les travailleurs politiques de l’Armée rouge ».

    Parallèlement, donc la pression militaire fit que, conformément au décret de 1942, l’institution des commissaires politiques se vit remplacer par un retour aux pompolits, ces assistants des commandants n’étant également même pas présents dans toute l’Armée rouge.

    Ainsi, dans la marine, il n’y a pas de pompolits à bord des navires, ils sont présents dans les quartiers généraux des flottes, les services de renseignement, les services de communication, les services hydrographiques, les services techniques, les services des mines et des torpilles, les services des navires et des ports, les services arrière des bases, les zones et secteurs fortifiés, les services sanitaires, ceux d’artillerie et ceux d’ingénierie.

    Dans les faits, les commandants avaient exigé d’avoir les mains libres pour leurs initiatives et dès qu’il y a une exigence militaire à court terme, les pompolits sont chassés des structures opérationnelles. Le Parti bolchévik n’avait pas trouvé de solution adéquate pour maintenir sa direction.

    Il tenta alors de compenser en juin 1944 par la mise en place de départements politiques des administrations de huit districts militaires, avec également des unités d’enseignement pour des cours pour les cadres militaires moyens et supérieurs.

    Ce fut une énorme réussite mais aussi un énorme problème, car au lieu d’avoir des commissaires politiques devenant commandant, on obtenait l’inverse.

    Rien qu’en juin – décembre 1944, on avait 728 274 militaires devenant membres ou stagiaires du Parti bolchevik. On arrive alors à une proportion énorme de membres du Parti dans l’armée : à la fin de 1944, cela donne 23% dans l’armée et 31,5% dans la marine.

    52,6% des membres du Parti étaient des militaires : cela fut une source de forts troubles internes après 1945 et exigea une reprise en main.

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  • Constantin Tsiolkovski et la question de la matière

    Constantin Tsiolkovski était avant tout un visionnaire. Il se lançait dans différentes directions, avec des erreurs parfois, mais il défrichait le terrain.

    Il a laissé une grande littérature, très inégale, au sujet de la formation des étoiles doubles, de la stratosphère, des plantes du futur, de la nature des êtres vivants sur d’autres planètes, de la formation du système solaire, de la nécessaire existence d’êtres vivants ailleurs dans l’univers, de l’eau dans les déserts, de l’organisation des activités industrielles dans l’espace, de la gravitation, de la relativité d’Einstein (qu’il réfute y voyant un point de vue religieux), de la seconde loi de la thermodynamique (qu’il réfute), de l’énergie potentiellement obtenue par les vagues de l’océan, du rôle croissant de la réflexion aux dépens du corps, de l’utilisation de l’énergie solaire, du combat des êtres vivants pour se débarrasser de la douleur, de la structure de la matière, etc.

    Constantin Tsiolkovski

    Il faut ici se tourner vers sa compréhension de la matière. Dans Panpsychisme, ou tout sent, Constantin Tsiolkovski souligne qu’il ne raisonne qu’à partir du fait qu’il n’y a que la matière, mais selon lui celle-ci est intégrée dans un mouvement général :

    « Je suis un pur matérialiste. Je ne reconnais rien d’autre que la matière.

    Je vois seulement une mécanique à l’œuvre en physique, en chimie et en biologie. L’univers entiers est simplement une machine complexe infinie.

    Sa complexité est si grande qu’il a comme frontière l’arbitraire, l’inattendu et l’accidentel. Il génère l’illusion du libre-arbitre parmi les êtres conscients. »

    Constantin Tsiolkovski dit que les êtres humains ont des sensations, que les animaux en ont. Et il constate, comme Diderot et Lénine, qu’il n’y a pas de matière sans sensation, même si c’est à des degrés différents.

    Pour Constantin Tsiolkovski, toute frontière qu’on placerait pour dire qu’il n’y a pas de caractère sensible à la matière au-delà de celle-ci est « artificielle, comme toutes les frontières ».

    Constantin Tsiolkovski dans son atelier – laboratoire

    Seulement, il faut ici se tourner vers l’Histoire russe. La conception matérialiste russe telle qu’elle s’est développée à la fin du XIXe siècle reconnaissait l’ensemble de la réalité, tout en possédant une particularité : le fait de considérer l’être humain comme la forme la plus avancée de la matière.

    La preuve en serait son degré plus développé de conscience. Cette conception se focalise sur le particulier et non pas le tout ; l’humanité est prioritaire et cela se lit chez Vladimir Vernadsky, Constantin Tsiolkovski, Maxime Gorki, Staline.

    Partant de là, tout doit s’orienter par rapport à l’humanité. La matière se renforce sur le plan de la conscience et de l’organisation au moyen d’elle-même, en renforçant l’humanité.

    Autrement dit, l’humanité apparaît comme le fleuron du développement de la matière. Elle doit donc se généraliser.

    Dans Le futur de la Terre et l’humanité, Constantin Tsiolkovski,affirme ainsi que l’humanité peut passer, par la colonisation du système solaire (et au-delà de la Voie lactée), à un trillard de personnes, soit mille trillions, soit mille milliard de milliard, 1 000 000 000 000 000 000 000.

    La Terre serait la base de départ et il s’agit dans ce processus de l’organiser en ce sens, Constantin Tsiolkovski réfléchissant à un principe du défrichage à l’échelle continentale par des millions de personnes, ainsi qu’à l’organisation de radeaux géants pour occuper les océans.

    Il ne s’agit toutefois pas, au sens strict, d’un anthropocentrisme. On est dans une conception où la totalité de la matière s’unifie, s’élance pour permettre l’avènement de l’être humain et de sa conscience. L’être humain devient littéralement la visée du processus cosmique.

    Ce n’est toutefois qu’une étape : en fait la matière va en direction de la suppression de la douleur et de la mort. C’est un processus de complexification général.

    Dans ses Théorèmes sur la vie, où il précise sa conception du monisme, Constantin Tsiolkovski présente de la manière suivante cette lecture d’une totalité naturelle se concentrant en l’être humain comme première étape vers la suppression de la mort elle-même :

    « Je ne cesserai pas d’essayer de comprendre ce qui est le plus important pour un être conscient :

    (1) la continuité subjective de la vie ;

    (2) son caractère non limité dans toute direction qui soit ;

    et (3) son bonheur.

    Tout cela, pour ainsi dire, est réfuté par la vie biologique sur Terre.

    Ainsi, pour ne pas succomber à cette conception erronée, il faut regarder la vie depuis l’espace. »

    Or, dans les Théorèmes, Constantin Tsiolkovski dit également que « toute matière est vivante dans son noyau » et ce qu’on appelle « esprit » est présent partout, à toutes les échelles, avec plus ou moins d’organisation.

    Constantin Tsiolkovski déduit cet esprit des sensations : en fait, pour lui l’esprit consiste, comme chez Spinoza, en le fait de vouloir persévérer dans son être, dans le fait que tout élément matériel, tout atome est en mouvement.

    L’être humain apparaît donc comme une combinaison physico-chimique particulièrement développée. Et c’est une étape pour ce que les atomes se retrouvent, à terme, dans quelque chose qui dure, qui soit heureux, au-delà de la douleur, de la mort.

    =>Retour au dossier Constantin Tsiolkovski et la conquête spatiale

  • Constantin Tsiolkovski et la fusée spatiale

    Pour Constantin Tsiolkovski, la révolution russe est une libération. Elle permet enfin d’exprimer librement les conceptions scientifiques. Il donne des conférences à l’université du peuple de Kaluga, la petite localité d’où il vient et où termine sa carrière d’enseignant entre 1918 et 1921.

    Il est nommé membre de l’Académie communiste fondée en juin 1918 et il demande des financements à l’Académie socialiste des études sociales, arguant que sous le tsarisme il n’avait jamais pu librement exprimer ses conceptions, qu’il avait œuvré en autodidacte et qu’il devait désormais faire connaître ses conceptions au peuple soviétique.

    Constantin Tsiolkovski dans son atelier – laboratoire

    La réponse fut positive et Constantin Tsiolkovski approfondit son travail dans son petit atelier artisanal, qu’il n’abandonnera jamais, ne quittant que très rarement sa petite ville. Il obtint pour cette raison le surnom de « professeur de Kaluga », alors qu’il commence dès 1918 à obtenir un véritable succès à Moscou et dans les villes de province, notamment pour ses explications sur l’aviation, les dirigeables, les voyages interplanétaires, la colonisation spatiale.

    Il fut extrêmement aidé en cette tâche par Yakov Perelman, un professeur de mathématiques et de physique, auteur de plusieurs centaines d’ouvrages scientifiques, de vulgarisation scientifique, de manuels scolaires, tirés à des millions d’exemplaires. Yakov Perelman correspondait avec Constantin Tsiolkovski depuis 1913 et avait soutenu sa démarche déjà auparavant.

    Perelman joua un rôle essentiel dans l’organisation de la science soviétique, participant notamment à la fondation en 1931 du Groupe d’Étude de la Propulsion par Réaction, qui devint l’Institut de recherche scientifique sur les moteurs à réaction.

    Yakov Perelman

    On notera que le premier président du Groupe d’Étude de la Propulsion par Réaction fut Friedrich Tsander (1887-1933), qui travailla sur les vols interplanétaires et leurs trajectoires avec la question du champ gravitationnel, concevant la première fusée soviétique à ergols liquides, proposant également l’utilisation de voiles solaires.

    Yakov Perelman mourut de faim et d’épuisement en 1942 lors du siège de Leningrad, tout comme Nikolaï Rynine, un ingénieur jouant pareillement un grand rôle de vulgarisateur des voyages spéciaux et ayant compilé les recherches à ce sujet dans Communications et vols interplanétaires.

    L’œuvre forme neuf volumes publiés entre 1928 et 1932 : Rêves, légendes et premières fictions ; Les vaisseaux spatiaux dans la science-fiction ; Énergie rayonnante : Science-fiction et projets scientifiques ; Fusées ; Théorie de la propulsion par fusée ; Superaviation et superartillerie ; Constantin Tsiolkovski : vie, œuvres ; Théorie du vol spatial ; Navigation astronomique.

    Les vaisseaux spatiaux dans la science-fiction 

    Constantin Tsiolkovski se met alors également à écrire des nouvelles de science-fiction, une activité également menée de manière professionnelle par l’écrivain Alexandre Beliaïev, qui popularise la conquête de l’espace, s’appuyant notamment sur Constantin Tsiolkovski.

    Ce dernier a alors une renommée d’autant plus grande qu’il a mené un vrai travail de pédagogie populaire tout au long de sa vie. Il était tout à fait en phase avec le régime soviétique où la culture scientifique de masse se répand, parallèlement à un engouement général pour les voyages interplanétaires.

    Parmi les très nombreux participants à la démocratisation des connaissances, on trouve Vladimir Vetchinkin qui a le premier théorisé, au début des années 1920, le principe de l’orbite de transfert, où un vaisseau passe d’une orbite à une autre. On a également Yuri Kondratyuk, auteur en 1929 de La conquête des espaces interplanétaires, qui théorise le principe du rendez-vous en orbite lunaire qui sera utilisé par la NASA pour alunir.

    Yuri Kondratyuk en 1941 ; il meurt au front au début 1942 après s’être porté volontaire

    De 1926 à 1929, Constantin Tsiolkovski écrit des analyses sur le principe du vaisseau spatial. Il ne comprend le principe de plusieurs étages pour lancer la fusée qu’en 1929, soit après d’autres. En 1929, il écrit également Les buts de l’astronautique, où il présente le principe de stations spatiales hébergeant des colonies humaines, au début autour de la Terre.

    En 1932, Atteignant la stratosphère résume ses recherches sur l’énergie propre aux fusées. En 1933, il reprit ses travaux initiaux sur les dirigeables commencés dès sa jeunesse, ayant toujours été attiré par l’idée d’un dirigeable à structure métallique.

    Constantin Tsiolkovski dans son atelier -laboratoire

    Pendant toutes les années depuis 1917, il s’engage dans une énorme correspondance avec des ingénieurs ou des passionnés. On a ainsi Valentin Glouchko, né en 1908 (et qui donc a 15 ans), qui deviendra un des principaux responsables de l’aéronautique soviétique, qui conçoit en 1931 le premier moteur-fusée à ergols liquides soviétique, baptisé ORM-1, et devient le spécialiste des moteurs de fusée pour plusieurs décennies.

    Il y a ainsi toute une génération façonnée par Constantin Tsiolkovski comme visionnaire. Lors de sa maladie conduisant à sa mort, son état de santé est systématiquement publié dans la presse, avec une grande attention du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), avec qui il est d’ailleurs en correspondance.

    Il reçoit notamment le 17 septembre 1935, deux jours avant sa mort, ce message d’une grande dignité, pleine de retenue honorant l’immense visionnaire en train de mourir :

    « Au célèbre scientifique, le camarade K.E. Tsiolkovski

    Veuillez accepter ma gratitude pour la lettre pleine de confiance envers le Parti bolchevik et le régime soviétique.

    Je vous souhaite une bonne santé et un travail fructueux pour le bien des travailleurs.

    Je vous serre la main.

    J. STALINE »

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  • Constantin Tsiolkovski et l’astronautique

    Constantin Tsiolkovski devient professeur de mathématiques au collège après avoir passé le concours en autodidacte, une activité qu’il mène de 1880 à 1891, dans le district de Borovsk, au sud de Moscou, non loin de la province de Kaluga, d’où il vient. Il donne alors l’image d’un pédagogue enthousiaste, capable de transmettre les mathématiques par des exemples concrets.

    Constantin Tsiolkovski

    Il revient finalement dans la province de Kaluga, encore en tant qu’enseignant, puis en tant qu’enseignant pour une institution pour filles relevant de l’Église catholique orthodoxe de 1899 à 1918. Il est ensuite très content du passage à l’école soviétique.

    Il mène pendant toute cette période une intense activité de vulgarisation scientifique, appelant à développer les sciences et les scientifiques à se tourner vers des choses socialement utiles.

    Mais, surtout, parallèlement à cette activité, il mène une intense réflexion sur la colonisation spatiale. Il écrit déjà des recherches à l’âge de 19 ans sur la présence de l’homme dans l’espace, à 21 ans il étudie déjà les principes d’une machine rotative pour fournir de la gravité. Il fait systématiquement des dessins pour avoir une représentation de ses idées.

    Il écrit plusieurs manuscrits envoyés à la Société russe de physique-chimie de Saint-Pétersbourg : en 1881 une Théorie du gaz, ainsi que Représentations graphiques des sensations, en 1882 Sur les mécaniques théoriques de l’organisme vivant, une recherche sur la gravité et ses effets sur les êtres humains.

    Cela lui donne un certain succès d’estime, qui prend une autre ampleur avec son manuscrit de 1883, Espace libre. Il y traite de la question du mouvement dans l’espace, affirmant qu’il fallait une éjection de matière – c’est le principe de la fusée. Il réfléchit également à la stabilité d’une machine volante au moyen d’un gyroscope.

    L’atelier-laboratoire de Constantin Tsiolkovski

    Il se met alors à construire des tunnels afin de canaliser le vent et réaliser des expérimentations qu’il résume dans un article intitulé Pression de l’air sur des surfaces introduites dans un flux d’air artificiel, publié en 1898 dans le Messager de physique expérimentale et de mathématiques élémentaires. Cela lui permet d’avoir un soutien financier de l’Académie des sciences.

    Entre 1900 et 1903, il se met à calculer les rapports entre la vitesse d’une fusée, la vitesse des gaz sortant de la fusée, la masse de la fusée, la masse des matières premières pour former les gaz. C’est ce qui sera appelé l’équation de Tsiolkovski, formant le principe de base pour le mouvement des fusées spatiale.

    Il a utilisé une allégorie au moyen d’une barque pour la présenter simplement. Si on est sur une barque chargée de pierres mais sans avirons, on peut utiliser ces pierres pour atteindre la rive. Il suffit de projeter chaque pierre dans la direction contraire à la rive. Le mouvement de projection dans un sens fera avancer la barque.

    Constantin Tsiolkovski

    Il faut cependant bien saisir que dans l’équation, le principe est que, pour que la fusée ait une plus grande vélocité, il vaut mieux la qualité que la quantité, c’est-à-dire qu’il vaut mieux améliorer la vélocité des gaz que leur débit.

    Constantin Tsiolkovski a ainsi fourni les éléments de base de l’astronautique. L’Américain Robert H. Goddard découvrira indépendamment l’équation en 1912, l’Allemand Hermann Oberth en 1920 et il faut noter les travaux en ce domaine du Français Robert Esnault-Pelterie, qui fut largement incompris dans sa démarche.

    Il publie également en 1903 dans la revue russe Étude scientifique une Recherche sur les espaces et les véhicules réactifs, posant la question du voyage interplanétaire et de l’utilisation d’un carburant liquide et non solide, pensant à l’hydrogène liquide et à l’oxygène liquide.

    On notera que cette question du carburant liquide fut déjà soulevée par l’Ukrainien Nikolaï Kibaltchitch (1853-1881), lors d’une note sur un avion-fusée écrite en prison juste avant sa mort pour la participation à l’exécution du tsar Alexandre II.

    Il reprit cet article dans une version approfondie en 1912 pour la revue Le messager du vol, posant la question de la résistance de l’air, de la pression atmosphérique sur la fusée dans l’espace, de l’énergie atomique pour la propulsion.

    L’année précédente, il avait publié dans le Bulletin de l’aéronautique un article en deux parties sur « L’exploration de l’espace cosmique au moyen des engins à réaction ».

    Constantin Tsiolkovski : L’exploration de l’espace cosmique au moyen des engins à réaction ».

    Il commence alors à proposer la colonisation spatiale, avec l’établissement de l’humanité dans l’espace ; il participe en mai 1914 au troisième congrès panrusse de l’aéronautique à Saint-Pétersbourg, publiant la même année un article sur la seconde loi de la thermodynamique, où il remet en cause le principe d’une perte d’énergie dans l’univers.

    Cependant, la reconnaissance scientifique de Constantin Tsiolkovski se voyait restreinte par les possibilités pratiques et d’ailleurs la Société pour les sciences expérimentales lui refusa des fonds en septembre 1916.

    La révolution d’Octobre 1917 ouvrit une nouvelle perspective.

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  • Constantin Tsiolkovski et Nikolaï Fiodorov

    Constantin Édouardovitch Tsiolkovski est né le 5 septembre 1857 et décédé le 19 septembre 1935. Il vient d’une famille représentative de toute une tendance de l’empire russe : son père né en Ukraine est issue d’une petite chevalerie polonaise de Lituanie, sa mère a quant à elle en partie des origines tatares.

    Constantin Tsiolkovski

    Atteint de surdité partielle depuis un épisode de scarlatine à neuf ans après être tombé dans l’eau gelée en faisant du patinage, Constantin Tsiolkovski, qui a 17 frères et sœurs, se tourne vers les livres et profite ainsi de sa mère qui avait fait des études secondaires, son père étant quant à lui successivement instituteur, garde-forestier et fonctionnaire administratif.

    Il est expulsé de l’école à 14 ans pour son tempérament ; lui-même note au sujet des années 1868-1871 :

    « Je suis devenu maladroit dans mes relations avec les enfants de mon âge, je l’ai souvent été, et avec les gens en général.

    Ma surdité, due à ma scarlatine, m’a cependant amené à lire et à réveiller éveillé sans fin.

    Je me sentais isolé, même humilié, tel un paria de la société. Cela m’a fait me retirer au plus profond de moi-même, afin de poursuivre de grands objectifs pour mériter l’approbation et le respect des autres et ne pas être méprisé par mes pairs. »

    En raison de sa santé, Constantin Tsiolkovski vécut de fait à l’écart plusieurs années, apprenant à la maison, avant qu’à l’âge de 16 ans son père parvient à l’envoyer à Moscou où Constantin Tsiolkovski se lance dans un processus le conduisant à la géométrie analytique, la trigonométrie sphérique, l’algèbre, le calcul intégral et différentiel, la mécanique.

    Constantin Tsiolkovski racontera plus tard un épisode de cette période de sa vie, dans une anecdote résumant bien son approche visionnaire, à la fois scientifique et rêveur :

    « La doctrine de la force centrifuge m’intéressait, car je pensais l’appliquer au soulèvement dans l’espace. Il y a eu un moment où il m’a semblé que j’avais résolu ce problème (16 ans).

    J’étais tellement excité, même choqué, que je n’ai pas dormi toute la nuit – j’ai erré dans Moscou et j’ai pensé aux grandes conséquences de ma découverte.

    Mais le matin, j’étais convaincu de la fausseté de mon invention. La frustration était aussi forte que le charme.

    Cette nuit a marqué toute ma vie. Trente ans plus tard, je vois parfois dans un rêve que je monte dans les étoiles dans ma voiture et ressens la même excitation que lors de cette nuit immémoriale. »

    Constantin Tsiolkovski vit à Moscou de manière entièrement ascétique, afin de se procurer du matériel, de réaliser des expériences chimiques et de se procurer des ouvrages. Mais il en consulta de nombreux dans une bibliothèque de Moscou où travaille Nikolaï Fiodorov (1829-1903). C’est une rencontre capitale.

    Nikolaï Fiodorov était le fils illégitime de Pavel Gagarine, l’une des plus vieilles familles russes, (remontant soi-disant au fondateur mythique de la Russie, Rurik), ayant des postes de la plus haute responsabilité dans l’empire russe.

    Vivant quant à lui de manière extrêmement frugale voire de manière littéralement ascétique, Nikolaï Fiodorov eut toute sa vie une activité de bibliothécaire, refusant tout avantage matériel ou honorifique, développant une philosophie à la fois simple et complexe, extrêmement éloignée en tout cas par exemple des mentalités françaises.

    Nikolaï Fiodorov

    Fiodorov avait une conception du monde proche de celle de Spinoza ; pour lui, tout était lié dans l’univers.

    D’ailleurs il ne publia jamais rien sous son nom, considérant que le principe de propriété intellectuelle n’avait pas de sens, tout en écrivant énormément. Il s’opposait à la guerre, exigeait une agriculture relevant du travail collectif, considérait qu’il n’y avait qu’une seule humanité sur une Terre ne formant qu’une sorte de grand vaisseau.

    Pour Fiodorov, il fallait aller dans le sens de l’unité et cela signifiait dépasser l’individualisme. L’humanité était à concevoir comme un grand tout, qui avait comme devoir par conséquent de trouver la clef de l’immortalité afin de perpétuer l’aventure collective.

    Cela devait aller jusqu’à la capacité technique de procéder à la résurrection. Telle est l’œuvre commune à réaliser, chaque génération amenée à la résurrection devant contribuer à généraliser le processus.

    Après sa mort, ses écrits seront rassemblés et publiés en 1906 dans l’ouvrage justement intitulé La philosophie de l’œuvre commune.

    Dans ce cadre, il faudrait maîtriser les éléments météorologiques et même utiliser la planète Terre comme un vaisseau spatial pour voyager dans l’univers. Ce sont les projets mis en pratique vers la totalité qui donnent un sens à l’humanité pris comme collectif.

    On a ici de multiples aspects qui s’interpénètrent : la psychologie nationale russe, la vision du monde « cosmique » des peuples slaves, la religion catholique orthodoxe, cette dernière servant pour Fiodorov de base de réflexion pour sa vision « totale » de la réalité et l’espoir de l’immortalité, même de la résurrection des gens ayant vécu grâce au développement de la technologie.

    Konstantin Tsiolkovski ne fut pas le seul en relation avec Nikolaï Fiodorov, qui était une figure très connue. Il faut ici mentionner notamment :

    – le fameux écrivain Léon Tolstoï (1828-1910), qui a développé toute une vision universelle et pacifiste et respectait la sincérité des vues de Nikolaï Fiodorov même sans partager ses vues, à quoi s’ajoute d’ailleurs l’écrivain Fiodor Dostoïevski (1821-1881) ;

    – le poète Vladimir Soloviev (1853-1900), qui prôna une Église mondiale unique conforme à l’unité de toutes choses et se considérait comme un disciple de Nikolaï Fiodorov.

    Vladimir Soloviev

    En fait, la conception de Nikolaï Fiodorov était à moitié matérialiste, avec une lecture similaire à celle de Spinoza, à moitié idéaliste avec une base religieuse apocalyptique.

    La révolution russe témoignera d’une cassure. Il y eut alors ceux choisissant la science et l’URSS (le théoricien de la Biosphère, Vladimir Vernadsky, le théoricien de la colonisation spatiale Constantin Tsiolkovski, le botaniste Vassili Kouprevitch…) et ceux choisissant le « cosmisme » largement tourné vers le mysticisme catholique orthodoxe et le paganisme slave, principalement dans l’émigration.

    Vladimir Vernadsky

    Il y eut également des intermédiaires, qui soutinrent le régime soviétique avant de s’en détourner progressivement à la fin des années 1920 : le courant artistique du suprématisme avec Kazimir Malevitch, ainsi que d’ailleurs les courants cubistes-futuristes, notamment le « proletkult » d’Alexander Bogdanov avec sa « tectologie » comme « science universelle de l’organisation » et la perspective de l’immortalité…

    Il faut mentionner le « biophysicien » Alexandre Tchijevski (pour qui l’histoire du monde dépendait du degré d’émanation des radiations solaires), l’anarcho-futuriste Alexander Agienko et le « biocosmisme » (« Immortalisme et interplanétarisme »), …

    Il faut également nommer le théologien Paul Florensky avec le géocentrisme considérant que le nom de Dieu est Dieu, le philosophe Valerian Mouraviev et sa « cosmocratie » capable de la « maîtrise du temps », etc.

    C’est là véritablement une problématique nationale russe ; depuis 1990, la Russie connaît d’ailleurs une très importante vague de fond de cosmisme, de néo-paganisme pseudo slave, de cultes magiques et de mysticisme orthodoxe. L’une des figures majeures de la stratégie de l’État russe est d’ailleurs Alexandre Douguine, un mystique catholique orthodoxe imaginant le projet d’une Eurasie comme rencontre mystique de la Russie orthodoxe avec l’Asie pour réactiver spirituellement le monde.

    L’émigré russe Nicolas Berdiaev fut également en France après 1945 un promoteur de telles lubies mystiques, à quoi s’ajoute le courant de la « théosophie », fondé par la russe Helena Blavatsky (1831-1891) et considérant que toutes les religions ont une part de vérité universelle dans un devenir cosmique qu’on peut comprendre par le mysticisme, l’occultisme.

    On a un bon résumé de cette problématique « cosmique » avec un propos attribué à Nicolaï Fedorov lors d’une discussion avec Konstantin Tsiolkovski :

    « Je vais faire des mathématiques avec toi et toi tu aideras l’humanité à construire des fusées pour que nous puissions enfin connaître davantage que la terre et que nous puissions voir celle-ci de loin en voyageant dans les cieux.

    Les gens ont besoin d’un regard de plus loin, car uniquement ceux qui pensent à l’avenir sont réels et présents. »

    Il faut bien saisir toutefois qu’il s’agissait là d’un moment de la vie de Konstantin Tsiolkovski, qui par ailleurs ne fit par la suite pas de référence particulière à Nicolaï Fedorov.

    On est dans une atmosphère russe où, en général, il y a la question d’une vision du monde capable d’appréhender l’ensemble des questions, au niveau du cosmos lui-même. Le marxisme-léninisme est une de ces réponses et la seule juste.

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  • Constantin Tsiolkovski et le discours du premier mai 1935

    La Russie tsariste ne possédait pas d’industrie aéronautique. Cette dernière est encore inexistante en URSS en 1927. Mais en décembre 1932 est formée en URSS la première troupe de parachutistes au monde.

    Le 30 septembre 1933, le ballon soviétique USSR-1 atteint l’altitude record de 18 501 mètres. Du 10 au 12 septembre 1934, une équipe soviétique aux commandes d’un avion Tupolev ANT-25 parcourt 12 411 kilomètres non-stop.

    L’URSS s’élançait vers l’espace. Le 1er mai 1935, le savant Constantin Tsiolkovski, premier théoricien de la conquête de l’espace, était déjà trop âgé et trop malade pour se déplacer à Moscou, sur la Place Rouge, pour le défilé.

    Constantin Tsiolkovski

    Il fournit cependant un enregistrement fait la veille, qui fut retransmis aux masses présentes, ainsi qu’à la radio, formant un événement historique de grande ampleur en URSS.

    Le titre de son intervention était « Le rêve le plus ancien de l’humanité est en train de se réaliser ».

    « Depuis la calme et modeste ville de Kaluga, je me permets de me tourner avec des salutations chaleureuses et paternelles vers les colonnes des prolétaires et kolkhoziens du 1er mai.

    Salut à vous !

    Imaginez la Place Rouge de la capitale : des centaines de libellules d’acier progressent au-dessus des têtes de ceux qui marchent, les cigares des dirigeables flottent bas – le rêve de ma jeunesse, la réalisation de mon ardente imagination et précieuse, et, peut-être, un certain résultat de mes premiers travaux.

    Les oiseaux [métalliques] vont dans les airs.

    Et cela n’est devenu possible avec nous qu’au cours des dernières années, lorsque notre Parti, notre gouvernement et nos travailleurs, lorsque tous les travailleurs de notre patrie soviétique, tous, tout le monde, se sont unis pour réaliser le rêve le plus audacieux de l’humanité, la conquête de hauteurs célestes.

    Une montée sans précédent! Avant, rien de tel n’avait été vu.

    Il n’est donc pas étonnant que ce soit les pilotes soviétiques qui se soient frayé un chemin au-dessus des autres dans les couches mystérieuses de la stratosphère.

    Tous les enregistrements à haute altitude sont clairs.

    Les records du monde de nos parachutistes, les records pour la durée du vol et les nombreuses manifestations de l’héroïsme de nos glorieux conquérants aériens s’expliquent facilement.

    Maintenant, je suis sûr que mon autre rêve, le voyage interplanétaire, que j’ai théoriquement justifié, se réalisera.

    Pendant quarante ans, j’ai travaillé sur un moteur à réaction et j’étais sûr que la marche vers Mars ne commencerait qu’après plusieurs centaines d’années.

    Mais le délai change. Je ne peux pas me refuser le désir de partager les dernières nouvelles, ma joie comme cadeau du premier mai pour vous.

    Récemment, j’ai fait une découverte qui pourrait déjà faire de vous, les participants des célébrations du 1er mai, les témoins du premier voyage transatmosphérique.

    La réalisation de ma découverte accélérera sans aucun doute cette participation active de millions de personnes à gagner des sommets.

    Les jeunes pilotes, comme j’appelle les gamins installés dans des modèles réduits de planeurs, nous en avons des dizaines de milliers – j’ai les espoirs les plus audacieux pour eux.

    Ils aideront à réaliser mes découvertes, ils donneront les talentueux constructeurs du premier navire interplanétaire.

    Eux, héros, casse-cous, poseront les premières traces aériennes des routes suivantes : la Terre – l’orbite de la Lune, la Terre – l’orbite de Mars, et plus loin Moscou – la Lune, Kaluga [petite ville natale de Constantin Tsiolkovski] – Mars.

    Les orchestres de la place jouent probablement « de plus en plus haut » [chanson des aviateurs soviétiques, hymne des forces aériennes soviétiques].

    Superbe musique. De bons mots remarquablement véridiques.

    Oui, oui!

    De plus en plus haut, les bolcheviks grimpent au profit de toute l’humanité pour respirer plus facilement, vivre de manière plus heureuse, afin que chaque prolétaire, allemand, japonais, chinois, noir, aussi joyeusement, hardiment et gaiement que vous, puisse célébrer la fête prolétarienne du 1er mai.

    Je vous salue chaleureusement! »

    La découverte dont parle Constantin Tsiolkovski, pionnier de l’astronautique, grand théoricien du voyage spatial et de la colonisation spatiale, consiste en le principe de lanceurs multiples. Il décédera en septembre 1935 – mais l’URSS assumait entièrement sa perspective, la dimension cosmique de l’affirmation du communisme.

    Constantin Tsiolkovski était un visionnaire, un rêveur doublé d’un savant capable de contributions scientifiques, quelqu’un qui a posé la colonisation spatiale comme horizon, dans laquelle l’URSS de Lénine et Staline s’est reconnue, en faisant un aspect de son idéologie.

    La marche des aviateurs

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  • La force du droit dans la question des artisans et des commerçants

    La revue pdf Le salut public par la démocratie populaire vise quelque chose de très simple. Il s’agit de valoriser les rapports humains tout en faisant en sorte que, dans leur caractère multiple, ils permettent l’épanouissement des uns et des autres. Autrement dit, il s’agit de contribuer à l’établissement d’un droit qui soit à la fois celui des uns et celui des autres, et qui dans tous les cas permet à chacun de développer sa personnalité.

    Le problème qui existe ici à l’arrière-plan, et qui justifie l’expression démocratie populaire, est qu’il existe des avantages et des désavantages dans l’existence de monopoles, ou si l’on veut de très grandes entreprises. Ces avantages tiennent à la mise en branle de très nombreuses forces, à grande échelle. Cela permet d’atteindre un niveau d’exigence, de qualité, de rendement, qu’on ne peut pas trouver si les activités étaient dispersées.

    Inversement, on perd pratiquement tout sur le plan des rapports humains, on bascule dans un anonymat désespérant et les gens font face à des machines efficaces mais dénuées de compréhension de ce qu’est la chaleur humaine.

    Si l’on veut ainsi chercher à exprimer cela sous la forme d’une question, on pourrait dire : comment le droit peut-il profiter du potentiel humain des artisans-commerçants et de l’exigence des monopoles ?

    C’est que dans une société marquée par la domination des monopoles, les mentalités qui prédominent sont celles du pragmatisme. Il ne s’agit pas simplement d’un esprit bassement mercantile, propre au capitalisme. Le petit commerçant est par exemple tout à fait heureux d’avoir des rapports humains avec ses clients, et inversement. L’artisan est fier que son travail bien fait satisfasse la personne qui lui a demandé un travail. Le monopole est lui dans un rapport purement cynique ; son service à la clientèle est froid et anonyme.

    Or, cela dérange les gens. Commander quelque chose sur Amazon n’a pas la même chaleur qu’un achat dans une boutique et il y a tout un romantisme des échoppes, des petites rues commerçantes, des marchands pittoresques et des produits originaux, sélectionnés par un regard intelligent et cultivé.

    La question est alors de savoir comment le droit peut faire en sorte, non pas d’humaniser les monopoles, mais de généraliser les rapports humains, c’est-à-dire d’imposer, si l’on veut, le monopole du rapport humain authentique. La question se présente sous des traits philosophiques, elle a cependant une réponse tout à fait concrète.

    Un client a un avantage dans sa relation avec le monopole : il a la certitude d’un rapport formel, bien établi, pouvant être en sa défaveur mais relevant de normes. Il y a côté routinier, mécanique dans l’action du monopole. Il n’y a pas de surprises lorsqu’on établit un lien avec la FNAC, Darty, Orange, la SNCF, Ebay, Apple, etc.

    Un client ne peut pas avoir le même rapport avec le cafetier, le garagiste ou le plombier et cela semble ici en sa défaveur. Chaque rapport est différent et le cafetier, le garagiste ou le plombier peuvent tour à tour être honnête ou malhonnête, sincère ou hypocrite, compréhensif ou bourru, rendant à chaque fois le service plus ou moins différent.

    Il est évident que le droit doit ici intervenir, afin d’apporter à la fois de la cohérence et de la satisfaction. La cohérence, c’est de maintenir le niveau des monopoles établis, mais de les faire passer au service du peuple et, ce faisant, d’humaniser les rapports qui existent. Les artisans et commerçant ont ici un rôle à jouer. Ils peuvent contribuer à rétablir des relations meilleures de la part des monopoles, mais pour cela ils doivent cesser leur prétention à former des royaumes indépendants dans l’économie.

    Pour dire les choses concrètement en prenant un exemple, les cafetiers doivent être soutenus dans leur activité indépendante où c’est leur dimension personnelle qui est au premier plan. Cependant, la majeure part de leurs revenus doit être fixe et déterminés par l’État les intégrant dans un monopole des cafetiers et rémunérant ceux-ci, avec des exigences universelles de qualité.

    Cela signifie que le droit accorde aux cafetiers des assurances dans leur existence : ils ne relèvent plus des aléas du marché. Et en même temps le droit leur reconnaît des spécificités dans leur existence personnelle. Il faut alors une grille d’analyses, évidemment public, pour évaluer à leur juste mesure ces spécificités.

  • La démocratie populaire suppose que le peuple puisse participer sans intermédiaire à l’administration de l’État

    Le terme de peuple ne désigne pas ici la population de la France prise dans son ensemble. Car pour que l’intérêt général – c’est-à-dire l’intérêt commun au plus grand nombre, pratiquement l’intérêt de tous – puisse se réaliser, les forces anti-démocratiques doivent être écartées des institutions.

    Dans la démocratie bourgeoise, l’État est l’instrument du pouvoir de la classe dominante, si bien que, même si un compromis existe et que des concessions sont faites aux autres couches de la société, la bourgeoisie règne sans partage.

    Et du fait de la concentration toujours plus intense du capital et de la crise générale du capitalisme, la bourgeoisie est de plus en plus agressive, arc-boutée sur les instruments de sa domination. Dans le même temps, des pans toujours plus larges de la société se trouvent contraints de travailler pour une frange toujours plus étroite de celle-ci.

    La classe ouvrière est la classe de notre époque. Elle accueille, en son sein, de plus en plus les individus atomisés par le mode de vie qu’imprime le capitalisme sur le pays. Pour autant, les intérêts de la classe ouvrière ne sont pas opposés à ceux des autres travailleurs : des employés, des techniciens, des agriculteurs, des artisans, des commerçants, des fonctionnaires et des cadres…

    La classe ouvrière porte la collectivité. Elle affirme la démocratie du peuple, dans sa réalité concrète.

    La démocratie n’est pas une abstraction : elle s’incarne par le peuple, qui participe sans intermédiaire à l’administration de l’État. C’est pourquoi, en plus de la condition de résidence, ne peuvent être élus dans les organes décisionnels de la démocratie populaire que des personnes relevant du peuple travailleur au sens large.

    Cette orientation populaire définit le caractère, les traits de la démocratie populaire.

    La démocratie populaire n’est pas une démocratie parlementaire formelle. Dans celle-ci, des représentants des citoyens, députés ou sénateurs, décident en lieu et place du peuple sans contrôle. Des agents publics, fonctionnaires ou assimilés, coupés des masses travailleuses, exécutent quant à eux les décisions de l’État.

    Pour la république bourgeoise, le pouvoir législatif appartient aux citoyens, forme d’individus prétendument neutre vis-à-vis des intérêts de classe. Ils exercent leur pouvoir de créer les lois par l’intermédiaire de leurs représentants élus, eux-mêmes prétendument neutre des intérêts de classe.

    Ces représentants se sont les députés et les sénateurs. Ils exercent leurs mandats à Paris, sans connexion directe avec le territoire où ils se sont fait élire. De là, avec leurs pairs, ils décident de lois qui s’appliqueront à tous, sur tout le territoire national. Pour tout contrôle, les citoyens ne peuvent que décider de voter pour un autre.

    Le peuple travailleur n’est pas représenté dans ce pouvoir législatif car, quand bien même le député serait ouvrier, il est inféodé aux institutions de la bourgeoisie.

    La bourgeoisie exerce ainsi sa domination locale au travers des élus qu’elle place dans les conseils municipaux et intercommunaux, les conseils départementaux et régionaux, les conseils économiques, sociaux et écologiques régionaux. Les ministres, députés et sénateurs décident au niveau national des lois et des règlements que les préfets et leurs homologues de tous les ministères font appliquer – avec plus ou moins de rigueur en fonction des intérêts circonstanciés de la classe dominante – au plus près des citoyens par l’action des agents publics.

    L’administration de l’État, avec ses ministères, ses collectivités locales, ses hôpitaux et toutes les entreprises publiques, s’exerce par les missions de travailleurs maintenus à part. Les agents publics, fonctionnaires, contractuels des administrations ou salariés des établissements et entreprises publics, quel que soit leur statut, exécutent les décisions de l’État.

    Ils sont intégrés aux rouages d’une bureaucratie complexe et non-démocratique. Éloignés des citoyens, ils ne répondent de leurs actes que devant leur hiérarchie et, en dernier ressort, uniquement devant les juridictions internes de l’État bourgeois.

    En démocratie populaire, la réalisation des lois et décrets repose sur des gens choisis par le peuple pour une mission déterminée. Il y a donc fusion du mandat électif et de la mission de service public en une fonction démocratiquement supérieure.

    Aux institutions et administrations publiques présentes aux différentes échelles territoriales de la république bourgeoise se substituent les organes du nouveau régime démocratique-populaire. Par ces organes, la population décide des modalités de mise en œuvre des décisions de l’État et les exécute. De la commune à l’État national, le pouvoir démocratique populaire s’exerce par le peuple.

    Les masses travailleuses façonnent un espace réellement démocratique en décidant localement des moyens à mettre en œuvre pour appliquer leur politique. Ainsi, par exemple, s’il est décidé au niveau national de réduire par deux le nombres de nouveaux cas de diabète de type II dans les cinq années à venir, les organes locaux de la démocratie populaires pourront décider l’interdiction de la production et de la vente de tel produit sucré sur le territoire, de lancer une campagne de communication pour promouvoir la diététique, de la construction d’une installation sportive dans tel quartier, etc.

    Constitués par le peuple travailleur et élus par lui, ces organes sont sous son contrôle intégral. Tout membre peut ainsi être révoqué à tout moment. La réflexion quant à l’élaboration de ces organes, qui constituent le nouveau droit et que le nouveau droit met dialectiquement en place, est la grande tâche révolutionnaire.

    La démocratie populaire naît à travers les contre-pouvoirs populaires qui doivent, finalement, renverser l’ancien État et instaurer le nouveau régime. La démocratie se développe, porté par le peuple, qui prend enfin les commandes de la société.

  • Joachim du Bellay: un succès dépassé

    Du Bellay n’a rien contre les autres nations, mais il cherche à élever le niveau de la France où il vit, étant donné que c’est sa réalité matérielle. D’où cet appel qu’on trouve à la fin de sa Défense et illustration de la langue française.

    « Je suis content que ces félicités nous soient communes avec autres nations, principalement l’Italie : mais quant à la piété, religion, intégrité de mœurs, magnanimité de courages, et toutes ces vertus rares et antiques (qui est la vraie et solide louange), la France a toujours obtenu, sans controverse, le premier lieu.

    Pourquoi donc sommes-nous si grands admirateurs d’autrui ? pourquoi sommes-nous tant iniques à nous-mêmes ? pourquoi mandions-nous les langues étrangères comme si nous avions honte d’user de la nôtre ? »

    Il était le héraut d’un besoin historique et fut salué pour cela à sa mort par Pierre de Ronsard, Guillaume Aubert, Jacques Grévin, Robert de La Haye, Camille de Morel, Antoinette de Loynes, Adrien Turnèbe, Claude d’Espence, Hélie André, Léger du Chesne, Claude Roillet… sous des formes très variées (poèmes en latin ou en français, hendécasyllabes, distiques, ode, élégie, etc.).

    C’est le jeune roi François II qui demanda à ce que ses œuvres soient rassemblées de manière complète, ce qui se réalisa en 1569 en étant dédié à son frère devenu roi, Charles IX, après une petite période de réédition partielle. Six autres éditions complètes virent le jour avant la fin du XVIe siècle.

    Du Bellay était alors considéré comme le pendant de Ronsard : ce dernier est vu comme admirable, savant, alors que du Bellay est apprécié pour son ton doux, aimable, mêlé d’ingéniosité dans le cadre d’une réelle fluidité.

    De fait, à leur époque, du Bellay et Ronsard apparaissait comme les deux faces de la même médaille, avec le français s’instaurant par l’intermédiaire de la monarchie en voie d’absolutisation.

    Et il est notable que dans la Défense et illustration de la langue française on trouve une mise en valeur de la comédie et de la tragédie, qui furent si centrales au XVIIe siècle :

    « Quant aux comédies et tragédies, si les rois et les républiques les voulaient restituer en leur ancienne dignité, qu’ont usurpée les farces et moralités, je serais bien d’opinion que tu t’y employasses, et si tu le veux faire pour l’ornement de ta langue, tu sais où tu en dois trouver les archétypes. »

    Mais le succès de du Bellay impliquait, par nature, son dépassement de par la systématisation du français.

    La généralisation de la langue française au niveau national, par toute une élite se systématisant et s’élargissant numériquement, dans un contexte productif et culturel bien plus avancé… devait rendre littéralement antique le français de du Bellay.

    Il est vrai que, comparé à la poésie de Ronsard, la poésie de du Bellay, par la suite, n’en apparut que d’autant plus limpide claire, d’autant plus française, surtout que François de Malherbe (1555 – 1628), le grand organisateur de la langue française moderne, brisa la démarche élitiste, maniériste de Ronsard. Ce dernier vit ses œuvres tout simplement non publiées de de 1630 à 1828 !

    Mais les œuvres de du Bellay connurent le même sort, malgré la progression de sa valorisation comparée à celle de Ronsard. Avec sa poésie claire et accessible, et finalement mesurée en comparaison aux ornementations de Ronsard, il fut considéré comme un heureux précurseur, mais les choses s’arrêtaient là.

    Par la suite, lorsqu’au 19e siècle on fit un retour historique pour avoir une mise en perspective, la charge très violente de du Bellay contre le Vatican passa d’ailleurs inaperçue, de par la lecture idéalisée du 16e siècle dont les guerres de religion étaient effacées.

    De fait, si on ne voit pas que du Bellay est une figure historique relevant de la compensation de l’échec du calvinisme en France, on ne peut rien saisir d’authentique de lui.

    Du Bellay, tout comme la psychologie des œuvres de Racine, relève d’une compensation littéraire d’une incapacité à assumer le protestantisme et son affirmation de la vie intérieure.

    Si la France y a gagné en termes d’affirmation nationale avec une démarche de du Bellay jouant un rôle essentiel, cela révèle une faiblesse de fond se caractérisant par la prépondérance de la monarchie absolue et de l’État dans l’affirmation nationale, aux dépens de la culture populaire.

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