Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Statuts de l’Internationale Communiste établis en 1928

    1. Les principes fondamentaux

    §1. L’IC, association internationale des travailleurs, est l’organisation des PC des différents pays en un PC unique mondial.

    Guide et organisateur du mouvement révolutionnaire mondial du prolétariat, champion des principes et des buts du communisme, l’IC lutte pour la conquête de la majorité de la classe ouvrière et des grandes couches de paysans pauvres, pour les principes et les buts du communisme, pour l’instauration de la dictature mondiale du prolétariat, pour la création d’une Fédération mondiale des Républiques socialistes soviétiques, pour l’abolition complète des classes et la réalisation du socialisme, première étape de la société communiste.

    §2. Les Partis adhérant à l’IC portent le nom de : «Parti Communiste de … (Section de l’IC)». Dans chaque pays, il ne peut exister qu’u seul Parti adhérant comme Section à l’IC.

    §3. Est membre d’un PC et de l’IC celui qui accepte le programme et les statuts du PC du pays où il réside et de l’IC, adhère à l’une des organisations de base du Parti et y milite activement, se soumet à toutes les décisions du Parti et de l’IC et paye régulièrement ses cotisations.

    §4. La base d’organisation du PC est la cellule d’entreprise (cellule d’usine, de fabrique, de mine, de bureau, de magasin, de ferme, etc.) groupant tous les membres du Parti qui travaillent dans ladite entreprise.

    §5. L’IC et ses Sections sont fondées sur les principes du centralisme démocratique, dont voici les plus essentiels :

    a) Eligibilité de tous les organismes dirigeants du Parti, supérieurs et subalternes, par les assemblées générales des membres, les Conférences, les Congrès ;

    b) Obligation pour tous ces organismes de rendre compte périodiquement de leur activité à leurs électeurs ;

    c) Obligation pour les organismes subalternes d’appliquer les décisions des organismes supérieurs du Parti, stricte discipline dans le Parti, exécution exacte et sans délai des décisions de l’IC, de ses organismes et des centres dirigeants du Parti.

    Les questions ne sont discutées par les membres du Parti et les organisations que jusqu’à ce qu’une décision soit prise par les organismes compétents du Parti. Une fois qu’une décision a été prise par les Congrès de l’IC, les Congrès de ses Sections ou par leurs organes dirigeants respectifs, cette décision doit être obligatoirement appliquée, même si une partie des membres du Parti ou des organisations locales ne sont pas d’accord avec elle.

    Dans les conditions d’illégalité du Parti, la nomination des organismes subalternes par les organismes supérieurs, ainsi que la coopération ratifiée par les organismes supérieurs sont admissibles.

    §6. Dans toutes les organisations hors du Parti et groupant des masses d’ouvriers et de paysans (Syndicats, coopératives, sociétés sportives, associations des anciens combattants) dans leurs organismes dirigeants, leurs Congrès et Conférences ainsi que dans les Conseils municipaux, les Parlements, etc., une fraction communiste doit être organisée – s’il y a au moins deux membres du Parti – dans le but d’étendre l’influence du Parti et d’appliquer sa politique dans ces organisations et institutions.

    §7. Les fractions communistes sont subordonnées aux organismes respectifs du Parti.

    Remarque 1. – Les fractions communistes des organisations internationales (Internationale Syndicale Rouge, Secours Rouge International, Secours Ouvrier International, etc…) sont subordonnées au CEIC. Rermarque 2. – La structure des fractions communistes et la forme de direction de leur travail sont réglées par des instructions spéciales du CEIC et des Comités centraux des Sections de l’IC

    2. Le Congrès Mondial de l’IC

    §8. L’organisme suprême de l’IC est le Congrès Mondial des représentants de tous les Partis (Sections) et organisations affiliées à l’IC.

    Le Congrès Mondial examine et tranche les plus importantes questions ayant trait au programme, à la tactique, à l’organisation et à l’activité de l’IC et de ses Sections. Seul il peut modifier le programme et les statuts de l’IC.

    Le Congrès se réunit une fois tous les deux ans. La date de convocation et le nombre de représentants de chaque Section sont fixés par le CEIC.

    Le nombre des vois délibératives de chaque Section au Congrès, Mondial est fixé par une décision particulière du Congrès, d’après les effectifs de chaque Parti et l’importance politique du pays. Les mandats impératifs ne sont pas admis.

    §9. Un Congrès Mondial extraordinaire de l’IC doit être convoqué si plusieurs Partis ayant eu ensemble, au dernier Congrès, au moins la moitié des voix délibératives en font la demande.

    §10. Le Congrès mondial élit le Comité Exécutif (CEIC) et la Commission Internationale de Contrôle (C.IC).

    §11. Le siège du CEIC est fixé par le Congrès.

    3. Le CEIC et ses organismes

    §12. Le CEIC est l’organisme dirigeant de l’IC dans l’intervalle des Congrès. C’est cet organisme qui donne les directives à toutes les Sections de l’IC et qui contrôle leur activité.

    Le CEIC édite l’organe central de l’IC au moins en 4 langues.

    §13. Les décisions du CEIC sont obligatoires pour toutes les Sections et doivent être immédiatement appliquées par celles-ci. Les Sections peuvent faire appel des décisions du CEIC devant le Congrès Mondial, mais jusqu’à ce que ces décisions soient annulées par le Congrès, leur application est obligatoire pour les Sections.

    §14. Les Comités centraux des Sections de l’IC sont responsables devant leurs Congrès et devant le CEIC. Ce dernier a le droit d’annuler et de modifier les décisions des Congrès des Sections ainsi que de leurs Comités centraux et de prendre des décisions dont l’exécution est obligatoire pour eux. (Voir le §13).

    §15. Le CEIC a le droit d’exclure de l’IC des Sections entières, des groupes et des membres isolés, ayant violé le programme et les statuts de l’IC ou les décisions des Congrès Mondiaux et de CEIC.

    Les Sections, groupes ou membres exclus dont le droit de faire appel devant le Congrès Mondial.

    §16. Le CEIC ratifie le programme des diverses Sections de l’IC Dans le cas où le CEIC refuserait de ratifier le programme d’une Section, celle-ci a le droit de faire appel devant le Congrès Mondial de l’IC.

    §17. Les organes centraux de presse des différentes Sections de l’IC doivent publier toutes les décisions et documents officiels du CEIC.

    Ces décisions doivent autant que possible être publiées aussi dans les autres organes de presse des Sections.

    §18. Le CEIC a le droit d’admettre dans l’IC, avec voix consultative, les organisations et partis sympathisants au communisme.

    §19. Le CEIC élit un Présidium qui lui est subordonné et qui est un organisme permanent menant tout le travail du CEIC dans l’intervalle des séances de ce dernier.

    §20. Le CEIC et son Présidium ont le droit de créer des bureaux permanents (d’Europe Occidentale, d’Amérique du Sud, d’Orient, etc.), pour établir une liaison plus étroite avec les diverses Sections de l’IC et une meilleure direction de leurs actions.

    Remarque. – La sphère d’activité des Bureaux permanents du CEIC est fixée par ce dernier ou par son Présidium. Les Sections de l’IC qui entrent dans la sphère des Bureaux permanents doivent être mises au courant des pouvoirs de ces derniers.

    §21. Les Sections doivent appliquer les indications et les directives des Bureaux permanents respectifs du CEIC. Elles peuvent présenter leurs objections contre ces décisions devant le CEIC ou son Présidium. Mais cela ne les dispense pas de l’application des décisions des Bureaux permanents tant qu’elles ne sont pas annulées par le CEIC ou son Présidium.

    §22. Le CEIC et son Présidium ont le droit d’envoyer leurs représentants dans les Sections de l’IC Ces représentants reçoivent les instructions du CEIC et sont responsables devant lui de leur activité.

    Ils ont le droit d’assister à toutes les réunions et séances des organismes centraux et des organisations locales des Sections auxquels ils sont affectés. Ils remplissent leur mission dans leur contrat le plus étroit avec le CC de la Section intéressée. Mais, dans certains cas, leurs interventions dans les Congrès, les Conférences et les réunions des Sections, peuvent être dirigées contre ce CC, si sa ligne politique n’est pas conforme aux directives du CEIC. Les représentants ont, en particulier, pour fonction de veiller à l’exécution des décisions des Congrès et du CEIC.

    Le CEIC et son Présidium ont aussi le droit d’envoyer des instructeurs dans les diverses Sections de l’IC Les droits et les devoirs des instructeurs sont fixés par le CEIC, devant lequel ils sont responsables de leur travail.

    §23. Les séances du CEIC ont lieu au moins une fois tous les six mois.

    Les séances sont régulières lorsque la moitié au moins des membres sont présents.

    §24. Les séances du Présidium du CEIC ont lieu au moins une fois tous les quinze jours. Elles sont régulières lorsque la moitié au moins des membres sont présents.

    §25. Le Présidium désigne un Secrétariat politique qui est un organisme délibératif. Le Secrétariat politique prépare aussi les questions en vue des séances du CEIC et de son Présidium : il est leur organisme exécutif.

    §26. Le Présidium choisit la rédaction des publications périodiques et autres de l’IC.

    §27. Le Présidium du CEIC organise une Section de travail parmi les femmes, des commissions permanentes pour diriger le travail des différents groupes de Sections de l’IC (Secrétariat de pays) et les autres Sections qui sont nécessaires pour son travail.

    4. La Commission Internationale de Contrôle (CIC)

    §28. La CIC examine les questions relatives à l’unité et à la cohésion des Sections affiliées à l’IC et à la conduite des membres de telle ou telle Section en tant que communistes.

    À cet égard, la CIC :

    a) examine les plaintes portées contre l’action des Comités centraux des PC par des membres du Parti ayant subi des sanctions disciplinaires à la suite de divergences politiques ;

    b) étudie les affaires analogues concernant les membres des organismes centraux des PC ou les simple membres des Partis, lorsqu’elle le juge elle-même nécessaire, ou lorsque les organismes exécutifs du CEIC le lui proposent ;

    c) contrôle et vérifie les finances de l’IC.

    La CIC n’intervient pas dans les divergences politiques ni dans les conflits administratifs et d’organisation qui surgissent dans les Partis.

    Le siège de la CIC est fixé par cette dernière d’accord avec le CEIC.

    5. Les rapports entre les Sections de l’IC et le CEIC

    §29. Les Comités centraux des Sections affiliées à l’IC, de même que les Comités centraux des organisations admises en qualité de sympathisantes doivent envoyer régulièrement au CEIC des procès- verbaux de leurs séances et des comptes rendus de leur travail.

    §30. La démission de membres ou de groupes entiers de membres des Comités centraux est qualifiée de désorganisation du mouvement communiste. Tout poste dirigeant dans le Parti appartient non pas au détenteur de ce poste, mais à toute l’IC Les membres élus des organismes dirigeants centraux des Sections ne peuvent se démettre de leur mandat avant la réélection qu’avec l’assentiment du CEIC.

    Les démissions acceptées par les Comités centraux sans l’assentiment du CEIC ne sont pas valables.

    §31. Les Sections affiliées à l’IC, particulièrement les Sections des métropoles et celles de leurs colonies, ainsi que celles de pays voisins, doivent établir entre elles le contact le plus étroit en vue de l’organisation et de l’information, par une représentation mutuelle dans les Conférences et les Congrès et, avec l’assentiment du CEIC, par l’échange de militants dirigeants.

    §32. Deux ou plusieurs Sections de l’IC qui (comme les Sections des pays scandinaves et balkaniques) sont politiquement liées entre elles par des conditions communes de lutte, peuvent, avec l’assentiment du CEIC, et dans le but de coordonner leur action, s’unir en Fédération travaillant sous la direction et le contrôle du CEIC.

    §33. Les Sections de l’IC versent au CEIC des cotisations régulières dont le montant est fixé par ce dernier.

    §34. Les Congrès des Sections, tant ordinaires qu’extraordinaires, ne peuvent être convoqués qu’avec l’assentiment du CEIC.

    Au cas où une Section n’aurait pas convoqué un Congrès du Parti avant la réunion du Congrès Mondial, elle doit, avant d’élire les délégués au Congrès Mondial, réunir une Conférence du Parti ou une séance plénière du CC en vue de l’étude des questions qui se poseront au Congrès.

    §35. L’Association internationale de la Jeunesse communiste (ICJ.) constitue une Section de l’IC Elle jouit de tous les droits d’une Section et est subordonnée au CEIC.

    §36. Les PC doivent être prêts à passer dans l’illégalité ; le CEIC doit les aider à s’y préparer.

    §37. Les membres des Sections de l’IC ne peuvent émigrer de leur pays qu’avec l’autorisation du CC de la Section dont ils font partie.

    Les communistes qui ont émigré doivent adhérer à la Section du pays où ils viennent s’établir. Ceux qui quittent leur pays sans l’autorisation du CC de leur Section ne peuvent être reçus dans une autre Section de l’IC.

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    de l’Internationale Communiste

  • Programme de l’Internationale Communiste établi en 1928

    Adopté par le 6e Congrès mondial le 1er septembre 1928 à Moscou

    Introduction

    L’époque de l’impérialisme est celle du capitalisme mourant. La guerre mondiale de 1914-18 et la crise générale du capitalisme qu’elle a déchaînée furent le résultat d’une profonde contradiction entre le développement des forces productives de l’économie mondiale et les frontières des États.

    Elles ont montré et prouvé que les conditions matérielles du socialisme au sein de la société capitaliste sont déjà mûres et que, l’enveloppe capitaliste de la société étant devenue un obstacle intolérable au développement ultérieur de l’humanité, l’histoire a mis à l’ordre du jour le renversement du joug capitaliste par la révolution.

    L’impérialisme soumet les innombrables masses prolétariennes de tous les pays — dans les métropoles de la puissance capitaliste comme dans les coins les plus reculés du monde colonial — à la dictature d’une ploutocratie capitaliste financière.

    L’impérialisme met à nu et approfondit avec la force d’éléments déchaînés toutes les contradictions de la société capitaliste, développe à l’extrême l’oppression des classes, aiguise au plus haut degré la lutte entre les États capitalistes, engendre l’inéluctabilité des guerres impérialistes mondiales qui ébranlent tout le système des rapports existants et achemine la société, avec une irrésistible nécessité, vers la révolution prolétarienne mondiale.

    Enchaînant l’univers dans les liens du capital financier, contraignant, par le sang, par le fer et par la faim, les prolétaires de tous les pays, de toutes les nationalités et de toutes les races à se courber sous son joug, aggravant formidablement l’exploitation, l’oppression et l’asservissement du prolétariat qu’il met devant la tâche immédiate de conquérir le pouvoir, l’impérialisme crée la nécessité d’une étroite cohérence des ouvriers en une armée internationale unique des prolétaires de tous les pays, formée indépendamment des frontières d’États, des différences de nationalité, de culture, de langue, de race, de sexe et de profession.

    L’impérialisme, en développant et en achevant ainsi la création des conditions matérielles du socialisme, place le prolétariat en face de la nécessité de s’organiser en une association ouvrière internationale de combat et assure, par-là, la cohésion de l’armée de ses propres fossoyeurs.

    L’impérialisme détache, d’autre part, la partie la plus aisée de la classe ouvrière des grandes masses. Cette  «aristocratie » ouvrière, corrompue par l’impérialisme, qui constitue les cadres dirigeants des Partis social-démocrates, intéressée au pillage impérialiste des colonies, dévouée à  «sa » bourgeoisie et à  «son » État impérialiste, se trouva, à l’heure des batailles décisives, aux côtés de l’ennemi de classe du prolétariat.

    La scission du mouvement socialiste provoquée par cette trahison de 1914 et les trahisons ultérieures des Partis social-démocrates, devenus en fait des partis ouvriers bourgeois, ont prouvé que le prolétariat mondial ne peut remplir sa mission historique — briser le joug de l’impérialisme et conquérir la dictature prolétarienne — que par une lutte implacable contre la social-démocratie. L’organisation des forces de la révolution internationale n’est donc possible que sur la plate-forme du communisme. À la Deuxième Internationale opportuniste de la social-démocratie, devenue l’agent des impérialistes au sein de la classe ouvrière, s’oppose inéluctablement la Troisième, l’IC, organisation universelle de la classe ouvrière, incarnant l’unité authentique des ouvriers révolutionnaires de tous les pays.

    La guerre de 1914-18 provoqua les premières tentatives de créer une nouvelle Internationale révolutionnaire comme contrepoids de la Deuxième Internationale social-chauvine et comme instrument de résistance à l’impérialisme guerrier (Zimmerwald, Kienthal). La victoire de la révolution prolétarienne en Russie donna l’impulsion à la constitution de PC dans les métropoles capitalistes et dans les colonies.

    En 1919, fut fondée l’IC qui, pour la première fois dans l’histoire, unit effectivement dans la lutte révolutionnaire des éléments avancés du prolétariat d’Europe et d’Amérique aux prolétaires de Chine et des Indes, aux travailleurs nègres d’Afrique et d’Amérique.

    Parti international unique et centralisé du prolétariat, l’IC est la seule continuatrice des principes de la Première Internationale appliqués sur la base nouvelle d’un mouvement prolétarien révolutionnaire de masses.

    L’expérience de la première guerre impérialiste, de la crise révolutionnaire du capitalisme qui lui a succédé et des révolutions de l’Europe et des pays coloniaux, l’expérience de la dictature du prolétariat et de l’édification du socialisme en U.R.S.S, l’expérience du travail de toutes les Sections de l’IC, fixée dans les décisions de ses Congrès, et enfin, l’internationalisation de plus en plus grande de la lutte entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat, rendent indispensable l’élaboration d’un programme de l’IC, unique et commun à toutes ses Sections.

    Le programme de l’IC réalise ainsi la plus haute synthèse critique de l’expérience du mouvement révolutionnaire international du prolétariat, il est un programme de lutte pour la dictature mondiale du prolétariat, un programme de lutte pour le communisme mondial.

    L’IC, qui unit les ouvriers révolutionnaires et entraîne des millions d’opprimés et d’exploités contre la bourgeoisie et ses agents  «socialistes », se considère comme la continuatrice historique de la  «Ligue des communistes » et de la Première Internationale qui furent sous la direction immédiate de Karl Marx, et comme l’héritière des meilleures traditions d’avant-guerre de la Deuxième Internationale.

    La Première Internationale jeta les bases doctrinales de la lutte internationale du prolétariat pour le socialisme. La Deuxième Internationale, dans sa meilleure époque, prépara le terrain à une large expansion du mouvement ouvrier parmi les masses.

    La Troisième IC, continuant l’œuvre de la Première Internationale et recueillant les fruits des travaux de la Deuxième, en a résolument rejeté l’opportunisme, le social-chauvinisme, la déformation bourgeoise du socialisme, et a commencé à réaliser la dictature du prolétariat.

    L’IC continue par cela les traditions héroïques et glorieuses du mouvement ouvrier international : celles des chartistes anglais et des insurgés français de 1830, celles des ouvriers révolutionnaires français et allemands de 1848 ; celles des combattants immortels et des martyrs de la Commune de Paris ; celles des soldats valeureux des révolutions allemande, hongroise et finlandaise ; celles des ouvriers courbés naguère sous le despotisme des tsars et devenus des réalisateurs victorieux de la dictature du prolétariat ; celles des prolétaires chinois, héros de Canton et de Shanghai.

    S’inspirant de l’expérience historique du mouvement ouvrier révolutionnaire de tous les continents et de tous les peuples, l’IC se place entièrement et sans réserves, dans son activité théorique et pratique, sur le terrain du marxisme révolutionnaire dont le léninisme — qui n’est pas autre chose que le marxisme de l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes — est le développement ultérieur.

    En défendant et en propageant le matérialisme dialectique de Marx et d’Engels, en l’appliquant comme la méthode révolutionnaire de connaissance de la réalité dans un but de transformation révolutionnaire de cette dernière, l’IC combat activement toutes les variétés de la pensée bourgeoise et de l’opportunisme théorique et pratique.

    Demeurant sur le terrain de la lutte de classe prolétarienne conséquente, subordonnant les intérêts passagers, partiels, corporatifs et nationaux du prolétariat à ses intérêts permanents, généraux et internationaux, l’IC démasque impitoyablement, quels qu’en soient les aspects, la doctrine de la  «paix sociale » empruntée par les réformistes à la bourgeoise.

    Exprimant la nécessité historique de l’organisation internationale des prolétariens révolutionnaires, fossoyeurs du système capitaliste. L’IC est l’unique force internationale qui ait pour programme la dictature du prolétariat et le communisme et qui agisse au grand jour comme organisatrice de la révolution prolétarienne mondiale.

    1. — Le système mondial du capitalisme, son développement et sa ruine inévitable

    1. Les lois générales du développement du capitalisme et l’époque du capital industriel

    La société capitaliste, fondée sur le développement de la production des marchandises, est caractérisée par le monopole de la classe des capitalistes et des gros propriétaires fonciers sur les moyens de production les plus importants et décisifs, par l’exploitation de la main-d’œuvre salariée de la classe des prolétaires, privés des moyens de production et obligés de vendre leur force de travail, par la production des marchandises en vue d’en retirer des profits, par l’absence de plan et l’anarchie qui résulte de ces diverses causes dans l’ensemble du procès de la production.

    Les rapports sociaux d’exploitation et la domination économique de la bourgeoisie trouvent leur expression politique dans l’organisation de l’État capitaliste, appareil de coercition contre le prolétariat.

    L’histoire du capitalisme confirme entièrement la doctrine de Marx sur les lois du développement de la société capitaliste et sur les contradictions inhérentes à ce développement, qui mènent le système capitaliste à sa perte inéluctable.

    La bourgeoisie fut contrainte, dans sa course aux profits, de développer, dans des proportions toujours croissantes, les forces productives, de renforcer et d’étendre la domination des rapports capitalistes de production.

    Le développement du capitalisme, pour cette raison, reproduisit constamment sur une base élargie toutes les contradictions internes du système, avant tout, la contradiction décisive existant entre le caractère social du travail et le caractère privé de l’appropriation, entre la croissance des forces productives et les rapports capitalistes de propriété.

    La propriété des moyens de production et le fonctionnement spontané et anarchique de la production elle-même provoquèrent la rupture de l’équilibre économique entre les différentes branches de la production, par suite du développement de la contradiction entre la tendance de la production à une extension illimitée et la consommation limitée des masses prolétariennes (surproduction générale), ce qui entraîna des crises périodiques dévastatrices et livra des masses de prolétaires au chômage.

    La domination de la propriété privée s’exprima par une concurrence sans cesse croissante, aussi bien à l’intérieur de chaque pays capitaliste que sur le marché mondial. Cette dernière forme de rivalité entre capitalistes eut pour conséquence les guerres qui accompagnent inévitablement le développement capitaliste.

    Les avantages techniques et économiques de la grande production provoquèrent, d’autre part, par le jeu de la concurrence, l’élimination et la destruction des formes précapitalistes de l’économie, une concentration et une centralisation croissante du capital. Dans l’industrie, cette loi de concentration et de centralisation se manifesta avant tout par le dépérissement de la petite production ou par sa réduction au rôle d’auxiliaire subordonné des grandes entreprises.

    Dans l’agriculture, dont le développement est nécessairement retardataire par suite du monopole de la propriété du sol et de la rente absolue, cette loi s’exprima non seulement par la différenciation de la paysannerie et la prolétarisation de larges couches de paysans, mais encore et surtout par des formes visibles ou voilées de la domination du gros capital sur la petite économie rurale qui, dans ce cas, ne peut conserver une apparence d’indépendance qu’au prix d’une extrême intensité du travail et d’une sous- consommation systématique.

    L’utilisation croissante des machines, le perfectionnement constant de la technique et, sur cette base, la croissance incessante de la composition organique du capital accompagnées de la division croissante du travail, de l’augmentation de son rendement et de son intensité, signifiaient également un emploi plus large de la main-d’œuvre féminine et enfantine et la formation d’énormes armées industrielles de réserve, sans cesse grossies par les paysans prolétarisés, évincés des campagnes, et par la petite et moyenne bourgeoisie ruinée des villes.

    À l’un des pôles des rapports sociaux, formation de masses considérables de prolétaires, intensification continue de l’exploitation de la classe ouvrière, reproduction sur une base élargie des contradictions profondes du capitalisme et de leurs conséquences (crises, guerres, etc.), augmentation constante de l’inégalité sociale, croissance de l’indignation du prolétariat rassemblé et éduqué par le mécanisme même de la production capitaliste, tout cela sape infailliblement les bases du capitalisme et rapproche le moment de son écroulement.

    Un profond bouleversement se produisit en même temps dans tout l’ordre moral et culturel de la société capitaliste : décomposition parasitaire des groupes de rentiers de la bourgeoisie, dissolution de la famille, exprimant la contradiction croissante entre la participation en masse des femmes à la production sociale et les formes de la famille et de la vie domestique héritées dans une large mesure des époques économiques antérieures ; développement monstrueux des grandes villes et médiocrité de la vie rurale par suite de la division et de la spécialisation du travail ; appauvrissement et dégénérescence de la vie intellectuelle et de la culture générale ; incapacité de la bourgeoisie de créer, en dépit des grands progrès des sciences naturelles, une synthèse philosophique scientifique du monde ; développement des superstitions idéalistes, mystiques et religieuses, tous ces phénomènes signalent l’approche de la fin historique du système capitaliste.

    2. L’époque du capital financier (impérialisme)

    La période du capitalisme industriel fut, en général, une période de  «libre concurrence » pendant laquelle le capitalisme évolua avec une certaine régularité et se répandit sur tout le globe par le partage des colonies encore libres, conquises par la force des armes, le poids des contradictions internes du capitalisme sans cesse croissantes retombant principalement sur la périphérie coloniale opprimée, terrorisée et systématiquement rançonnée.

    Cette période fit place, vers le début du 20e siècle, à celle de l’impérialisme, caractérisée par le développement du capitalisme par sauts brusques et par conflits, la libre concurrence cédant rapidement le pas au monopole, les terres coloniales naguère  «libres » étant déjà partagées et la lutte pour un nouveau partage des colonies et des sphères d’influence commençant à prendre inévitablement et en premier lieu la forme de la lutte armée.

    Les contradictions du capitalisme acquirent ainsi toute leur ampleur mondiale et leur expression la plus nette à l’époque de l’impérialisme (capitalisme financier), qui représente une nouvelle forme historique du capitalisme lui-même, un rapport nouveau entre les différentes parties de l’économie capitaliste mondiale et une modification des rapports entre les classes fondamentales de la société capitaliste.

    Cette nouvelle période historique résulte de l’action des lois essentielles du développement de la société capitaliste. Elle mûrit avec le développement du capitalisme industriel, en est la continuation historique. Elle accentua la manifestation des tendances fondamentales et des lois du mouvement de la société capitaliste, ses contradictions et ses antagonismes fondamentaux. La loi de concentration et de la centralisation du capital aboutit à la formation de puissants groupements monopolistes (cartels, Syndicats, trusts), à une nouvelle forme d’entreprises géantes combinées, liées en un seul faisceau par les banques.

    La fusion du capital industriel et du capital bancaire, l’entrée de la grande propriété foncière dans le système général du capitalisme désormais caractérisé par les monopoles, transformèrent la période du capital industriel en celle du capital financier.

    La  «libre concurrence » du capitalisme industriel, qui remplaça autrefois le monopole féodal et le monopole du capital commercial, se transforma elle-même en monopole du capital financier. Les monopoles capitalistes, issus de la libre concurrence, ne la suppriment cependant pas, mais la dominent ou coexistent avec elle, provoquant ainsi des contradictions, des heurts et des conflits d’une acuité et d’une gravité particulières.

    L’emploi grandissant de machines compliquées, des procédés chimiques et de l’énergie électrique, la croissance de la composition organique du capital sur cette base et la chute du taux du profit qui en est la conséquence — et qui n’est enrayée qu’en partie, en faveur des plus grandes associations monopolistes, par la politique des hauts prix des cartels — provoquant la continuation de la course aux surprofits coloniaux et la lutte pour un nouveau partage du monde.

    La production en masse, standardisée, exige de nouveaux débouchés extérieurs. La demande croissante de matières premières et de combustibles provoque d’âpres rivalités pour en accaparer les sources. Enfin, le haut protectionnisme, empêchant l’exportation des marchandises et assurant un surprofit au capital exporté, crée des stimulants complémentaires à l’exportation des capitaux qui devient la forme décisive et spécifique de la liaison économique entre les différentes parties de l’économie capitaliste mondiale.

    En résumé, la possession monopolisée des débouchés coloniaux, des sources de matières premières et des sphères d’investissements de capitaux, accroît d’une manière extrêmement rapide l’inégalité du développement capitaliste et aggrave, entre les  «grandes puissances » du capital financier, les conflits pour un nouveau partage des colonies des sphères d’influence.

    La croissance des forces productives de l’économie mondiale conduit donc à une plus grande internationalisation de la vie économique et, en même temps, à la lutte pour un nouveau partage du monde, déjà partagé entre les grands États du capital financier ; elle provoque aussi un changement et une aggravation des formes de cette lutte : le remplacement de plus en plus fréquent de la concurrence au moyen de la baisse des prix, par appel direct à la force (boycottage, haut protectionnisme, guerres douanières, guerres au sens propre du mot, etc.).

    Le capitalisme, sous sa forme monopoliste, est, par conséquent, accompagné de guerres impérialistes inévitables, qui, par leur ampleur et la puissance destructive de la technique employée, n’ont pas de précédent dans l’histoire du monde.

    3. Les forces de l’impérialisme et les forces de la révolution

    La forme impérialiste du capitalisme qui exprime la tendance à la cohésion des diverses factions de la classe dominante, oppose les grandes masses du prolétariat non à un patron isolé, mais, de plus en plus, à la classe entière des capitalistes et à son État.

    D’autre part, cette forme de capitalisme brise les frontières des États nationaux devenues trop étroites et élargit les cadres du pouvoir capitaliste des grandes puissances, opposant à ce pouvoir les millions d’hommes des nationalités opprimées, des  «petites » nations et des peuples coloniaux. Enfin, cette forme de capitalisme oppose avec plus d’acuité les États impérialistes les uns aux autres.

    Dans cet état de choses, le pouvoir politique acquiert pour la bourgeoisie une importance particulière, il devient la dictature d’une oligarchie financière et capitaliste, l’expression de sa puissance concentrée. Les fonctions de cet État impérialiste qui comprend de nombreuses nationalités, se développent dans tous les sens. Le développement des formes de capitalisme d’État facilite à la fois la lutte sur les marchés extérieurs (mobilisation militaire de l’économie) et la lutte contre la classe ouvrière.

    Le développement monstrueux à l’extrême du militarisme (armée, flottes aérienne et navale, armes chimiques et bactériologiques), la pression croissante de l’État impérialiste sur la classe ouvrière (exploitation accrue et répression directe, d’une part, corruption systématique de la bureaucratie réformiste dirigeante, de l’autre), expriment l’énorme accroissement du rôle de l’État. Dans ces conditions, toute action plus ou moins importante du prolétariat se transforme en une action contre l’État, c’est-à-dire en une action politique.

    Ainsi, le développement du capitalisme et, plus particulièrement, l’époque impérialiste reproduisent les contradictions fondamentales du capitalisme à une échelle de plus en plus considérable.

    La concurrence entre petits capitalistes ne cesse que pour faire place à la concurrence entre grands capitalistes ; lorsque celle-ci se calme, se déchaîne la concurrence entre les formidables coalitions des magnats du Capital et de leurs États ; les crises locales et nationales s’étendent à divers pays et finissent par embrasser le monde entier ; les guerres locales font place aux guerres de coalitions et aux guerres mondiales ; la lutte de classes passe de l’action isolée de certains groupes d’ouvriers, à des luttes nationales, puis à la lutte internationale du prolétariat mondial contre la bourgeoisie mondiale.

    Enfin, se dressent et s’organisent contre les forces du capital financier puissamment organisé, deux grandes forces révolutionnaires : d’une part, les ouvriers des États capitalistes et, de l’autre, les masses populaires des colonies ployées sous le joug du capital étranger, mais luttant sous la direction et l’hégémonie du mouvement révolutionnaire prolétarien international.

    Cette tendance révolutionnaire fondamentale est cependant temporairement paralysée par la corruption de certains éléments du prolétariat européen, nord-américain et japonais, acquis à la bourgeoisie impérialiste et par la trahison de la bourgeoisie nationale des pays coloniaux et semi-coloniaux effrayée par le mouvement révolutionnaire des masses.

    La bourgeoisie des grandes puissances impérialistes recevant un profit supplémentaire, tant en raison de sa position sur le marché mondial en général (technique plus développée, exportation des capitaux, dans les pays où le taux du profit est plus élevé, etc.) qu’en raison du pillage des colonies et des semi-colonies, a pu élever, grâce à ces surprofits, les salaires d’une partie de  «ses » ouvriers, les intéressant ainsi au développement du capitalisme de leur  «patrie », au pillage des colonies et à la fidélité envers l’État impérialiste.

    Cette corruption systématique s’est particulièrement manifestée et se manifeste encore sur une large échelle dans les pays impérialistes les plus puissants ; elle trouve son expression la plus éclatante dans l’idéologie et l’action de l’aristocratie ouvrière et des couches bureaucratiques de la classe ouvrière, c’est-à-dire des cadres dirigeants de la social-démocratie et des Syndicats qui se sont révélés les agents directs de l’influence bourgeoise au sein du prolétariat et les meilleurs soutiens du régime capitaliste.

    Mais, après avoir développé l’aristocratie corrompue de la classe ouvrière, l’impérialisme en détruit en fin de compte l’influence sur le prolétariat, dans la mesure où l’accentuation des contradictions du régime, l’aggravation des conditions d’existence et le chômage de grandes masses ouvrières, les dépenses et les charges énormes provoquées par les conflits armés, la perte par certaines puissances des monopoles qu’elles détenaient sur le marché mondial, la séparation des colonies, etc., ébranlent dans les masses la base du social-impérialisme.

    De même, la corruption systématique de diverses couches de la bourgeoisie des colonies et des semi-colonies, leur trahison du mouvement national-révolutionnaire et leur rapprochement avec les puissances impérialistes ne paralysent que temporairement le développement de la crise révolutionnaire.

    Ce procès mène, en fin de compte, au renforcement de l’oppression impérialiste, à l’affaiblissement de l’influence de la bourgeoisie nationale sur les masses populaires, à l’aggravation de la crise révolutionnaire, au déchaînement de la révolution agraire des grandes masses paysannes et à la création de conditions favorables à l’hégémonie du prolétariat des pays coloniaux et dépendants dans la lutte des masses populaires, pour l’indépendance et pour une complète libération nationale.

    4. L’impérialisme et la chute du capitalisme

    L’impérialisme a porté les forces productives du capitalisme mondial à un haut degré de développement. Il a achevé la préparation des prémices matérielles pour l’organisation socialiste de la société. Il démontre par ses guerres que les forces productives de l’économie mondiale ont dépassées les cadres restreints des États impérialistes et exigent l’organisation de l’économie sur une échelle internationale mondiale.

    L’impérialisme s’efforce de résoudre cette contradiction en frayant, par le fer et par le feu, la voie à un trust capitaliste étatique mondial et unique qui organiserait l’économie mondiale. Cette sanglante utopie est glorifiée par les idéologues social-démocrates qui y voient la méthode pacifique du nouveau capitalisme  «organisé ». Elle se heurte, dans la réalité, à des obstacles objectifs insurmontables d’une telle ampleur que le capitalisme est appelé à s’effondrer inévitablement sous le poids de ses propres contradictions.

    La loi de l’inégalité du développement capitaliste, accentué à l’époque impérialiste, rend impossibles les groupements stables et durables de puissances impérialistes. D’autre part, les guerres impérialistes qui se transforment en guerres mondiales par lesquelles la loi de concentration du capital s’efforce d’atteindre son extrême limite — le trust mondial unique — s’accompagnent de telles dévastations, imposent à la classe ouvrière et aux millions de prolétaires et de paysans des colonies de telles charges, que le capitalisme périra inévitablement sous les coups de la révolution prolétarienne, bien avant d’avoir atteint ce but.

    Phase suprême du développement capitaliste, portant à un développement d’une formidable ampleur les forces productives de l’économie mondiale, recréant le monde entier à son image, l’impérialisme entraîne dans le champ d’exploitation du capital financier toutes les colonies, toutes les races et tous les peuples.

    Mais la forme monopoliste du capital développe en même temps à un degré croissant les éléments de dégénérescence parasitaire, de pourriture et de déclin du capitalisme. En détruisant, dans une certaine mesure, cette force motrice qu’est la concurrence, en menant une politique de hauts prix fixés par les cartels, en disposant sans restriction du marché, le capital monopoliste tend à entraver le développement ultérieur des forces productives.

    Prélevant sur des millions d’ouvriers et de paysans coloniaux des surprofits fabuleux et accumulant les énormes revenus de cette exploitation, l’impérialisme crée un type d’État rentier en voie de dégénérescence parasitaire et de putréfaction, et des couches entières de parasites vivant des coupons de rentes. Achevant le processus de la création des prémices matérielles du socialisme (concentration des moyens de production, immense socialisation du travail, croissance des organisations ouvrières), l’époque impérialiste aggrave les contradictions existant entre les  «grandes puissances » et engendre des guerres qui aboutissent à la dislocation de l’unité de l’économie mondiale.

    L’impérialisme est pour cette raison le capitalisme pourrissant et mourant et, en général, la dernière étape de l’évolution capitaliste, le prélude de la révolution socialiste mondiale.

    La révolution prolétarienne internationale découle ainsi des conditions du développement du capitalisme en général, et de sa phase impérialiste, en particulier. Le système capitaliste aboutit dans son ensemble à une faillite définitive. La dictature du capital financier périt, faisant place à la dictature du prolétariat.

    2. — La crise générale du capitalisme et la première phase de la révolution mondiale

    1. La guerre mondiale et le développement de la crise révolutionnaire

    La lutte entre les principaux États capitalistes pour un nouveau partage du monde provoqua la première guerre impérialiste mondiale (1914-18).

    Cette guerre ébranla le système capitaliste mondial et inaugura la période de sa crise générale. Elle mit à son service toute l’économie nationale des pays belligérants, créant ainsi la poigne de fer du capitalisme d’État ; elle entraîna de fabuleuses dépenses improductives, détruisit une quantité énorme de moyens de production et de main-d’œuvre, ruina les grandes masses populaires, imposa des charges innombrables aux ouvriers industriels, aux paysans et aux peuples coloniaux.

    Elle aggrava fatalement la lutte de classes, qui se transforma en action révolutionnaire de masses et en guerre civile. Le front impérialiste fut rompu dans son secteur le plus faible, en Russie tsariste. La révolution russe de février 1917 brisa le pouvoir, l’autocratie des gros propriétaires fonciers. La révolution d’Octobre renversa le pouvoir de la bourgeoisie.

    Cette révolution prolétarienne victorieuse expropria les expropriateurs, ôta à la bourgeoisie et aux grands propriétaires fonciers les moyens de production, établit et affermit, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la dictature du prolétariat dans un grand pays, réalisa un nouveau type d’État, l’État soviétique, et inaugura la révolution prolétarienne internationale.

    L’ébranlement profond du capitalisme mondial, l’aggravation de la lutte de classes et l’influence immédiate de la révolution prolétarienne d’Octobre, déterminèrent des révolutions et des mouvements révolutionnaires tant en Europe que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux : janvier 1918, révolution ouvrière en Finlande ; août 1918,  «émeutes du riz » au Japon ; novembre 1918, révolutions en Autriche et en Allemagne, renversant des monarchies semi-féodales ; mars 1919, révolution prolétarienne en Hongrie et soulèvement en Corée ; avril 1919, République des Soviets en Bavière ; janvier 1920, révolution nationale bourgeoise en Turquie ; septembre 1920, occupation des usines par les ouvriers en Italie ; mars 1921, soulèvement de l’avant-garde ouvrière en Allemagne ; septembre 1923, insurrection en Bulgarie ; automne 1923, crise révolutionnaire en Allemagne ; décembre 1924, insurrection en Estonie ; avril 1925, soulèvement au Maroc ; août 1925, soulèvement en Syrie ; mai 1926, grève générale en Angleterre ; juillet 1927, insurrection ouvrière à Vienne. Ces faits et des événements tels que l’insurrection de l’Indonésie, l’effervescence profonde de l’Inde, la grande révolution chinoise qui a ébranlé tout le continent asiatique, forment les chaînons de l’action révolutionnaire internationale et sont les éléments constituants de la grave crise générale du capitalisme.

    Ce procès de la révolution mondiale comprend la lutte immédiate pour la dictature du prolétariat, les guerres de libération nationale et les soulèvements coloniaux contre l’impérialisme, indissolublement liés au mouvement agraire des grandes masses paysannes. La masse innombrable des hommes s’est ainsi trouvée entraînée dans le torrent révolutionnaire. L’histoire du monde est entrée dans une nouvelle phase, celle de la crise générale et durable du système capitaliste.

    L’unité de l’économie mondiale s’exprime dans le caractère international de la révolution ; et l’inégalité de développement des diverses parties de l’économie mondiale dans le fait que les révolutions n’éclatent pas simultanément dans les différents pays.

    Les premières tentatives de révolution, nées de la crise aigüe du capitalisme (1918-21), se terminèrent par la victoire et l’affermissement de la dictature du prolétariat dans l’URSS et par la défaite du prolétariat dans divers autres pays.

    Ces défaites sont dues, avant tout, à la tactique de trahison des chefs social-démocrates et des leaders réformistes du mouvement syndical ; au fait que les communistes n’entraînaient pas encore la majorité de la classe ouvrière et que dans plusieurs pays, des plus importants, il n’existait pas encore de PC

    À la suite de ces défaites qui rendirent possibles l’exploitation accrue des masses prolétariennes et des peuples coloniaux, et une brusque réduction de leur niveau de vie, la bourgeoisie put réaliser une stabilisation partielle du régime capitaliste.

    2. La crise révolutionnaire et la social-démocratie contre-révolutionnaire

    Les cadres dirigeants des partis social-démocrates et des Syndicats réformistes et les organisations capitalistes de combat du type fasciste ont acquis, au cours de la révolution internationale, la plus grande importance comme force contre-révolutionnaire combattant avec ardeur la révolution et soutenant de même la stabilisation partielle du Capital.

    La guerre de 1914-18 fut accompagnée de la honteuse faillite de la 2e Internationale social-démocrate.

    En contradiction absolue avec la thèse du Manifeste du PC de Marx et d’Engels, qui affirme que les prolétaires n’ont pas de patrie en régime capitaliste, en contradiction absolue avec les résolutions adoptées contre la guerre par les Congrès socialistes internationaux de Stuttgart et de Bâle, les chefs des Partis social-démocrates nationaux, à quelques exceptions près, votèrent les crédits de guerre, se prononcèrent résolument pour la  «défense nationale » de leurs  «patries » impérialistes (c’est-à-dire des États de la bourgeoisie impérialiste) et, au lieu de s’opposer à la guerre impérialiste, devinrent ses fidèles soldats, ses propagandistes et ses thuriféraires (le social-patriotisme se transformait ainsi, par voie de croissance, en social-impérialisme).

    Dans la période suivante, la social-démocratie défendit les traités spoliateurs (Brest-Litovsk, Versailles); elle intervint activement aux côtés des généraux dans la répression sanglante des soulèvements prolétariens (Noske); elle combattit les armes à la main la première République prolétarienne (la Russie des Soviets); elle trahit honteusement le prolétariat au pouvoir (Hongrie); elle adhéra à la Société des nations impérialiste (A. Thomas, Paul-Boncour, Vandervelde); elle prit carrément le parti des esclavagistes impérialistes contre les esclaves coloniaux (le  «Labour Party » anglais); elle soutint activement les bourreaux les plus réactionnaires de la classe ouvrière (Bulgarie, Pologne); elle prit l’initiative des  «lois militaires » impérialistes (France); elle trahit la grande grève générale du prolétariat anglais ; elle aida à étouffer la grève des mineurs anglais ; elle aida et elle aide encore à opprimer la Chine et l’Inde (gouvernement Mac Donald); elle assume le rôle de propagandiste de la Société des nations impérialiste, de héraut du Capital et de force organisatrice de la lutte contre la dictature du prolétariat dans l’URSS (Kautsky, Hilferding).

    Poursuivant systématiquement cette politique contre-révolutionnaire, la social-démocratie opère au moyen de ses deux ailes : l’aile droite, ouvertement contre-révolutionnaire, indispensable aux négociations et à la liaison directe avec la bourgeoisie, et l’aile gauche destinée à tromper les ouvriers avec une subtilité particulière.

    La  «gauche » social-démocrate, usant volontiers de la phrase pacifiste et parfois même de la phrase révolutionnaire, agit en réalité contre les ouvriers, surtout aux heures les plus critiques (les  «indépendants » anglais et la  «gauche » du Conseil général des Trade-Unions pendant la grève générale de 1926 ; Otto Bauer et Cie pendant l’insurrection viennoise, etc.) et constitue pour cette raison la fraction la plus dangereuse des partis social-démocrates.

    Servant au sein de la classe ouvrière les intérêts de la bourgeoisie et se plaçant entièrement sur le terrain de collaboration de classes et de la coalition avec la bourgeoisie, la social-démocratie est, à certains moments, contrainte de passer à l’opposition et même de simuler la défense des intérêts de classe du prolétariat dans sa lutte économique ; elle le fait à seule fin d’acquérir la confiance d’une partie de la classe ouvrière et de trahir ses intérêts permanents, d’autant plus honteusement, à l’heure des batailles décisives.

    Le rôle essentiel de la social-démocratie est maintenant de saper l’indispensable unité de combat du prolétariat en lutte contre l’impérialisme.

    Scindant et divisant le front rouge unique de la lutte prolétarienne contre le Capital, la social-démocratie est le principal appui de l’impérialisme dans la classe ouvrière.

    La social-démocratie internationale de toutes nuances, la 2e Internationale et sa filiale syndicale, la Fédération syndicale internationale d’Amsterdam, sont ainsi devenues des réserves de la société bourgeoise, son plus sûr rempart.

    3. La crise du capitalisme et le fascisme

    A côté de la social-démocratie, à l’aide de laquelle la bourgeoisie réprime le mouvement ouvrier ou endort sa vigilance de classe, se dresse le fascisme.

    L’époque de l’impérialisme, l’aggravation de la lutte de classes et la croissance, surtout après la guerre impérialiste mondiale, des facteurs de guerre civile, ont provoqué la faillite du parlementarisme.

    De là, les  «nouvelles » méthodes et les nouvelles formes de gouvernement (le système des  «petits cabinets », la formation d’oligarchies agissant dans les coulisses, la déchéance et la falsification de la  «représentation populaire », les restrictions apportées aux  «libertés démocratiques », qui sont parfois abolies, etc.).

    Cette offensive de la réaction bourgeoise impérialiste prend, dans certaines conditions historiques, la forme du fascisme. Ces conditions sont : l’instabilité des rapports capitalistes, l’existence d’importants éléments sociaux déclassés, l’appauvrissement de grandes couches de la petite bourgeoisie des campagnes et, enfin, la constante menace d’action de masse du prolétariat.

    Afin de s’assurer une stabilité, une fermeté et une continuité plus grandes du pouvoir, la bourgeoisie est de plus en plus contrainte de passer du système parlementaire à la méthode fasciste, indépendante des rapports et des combinaisons de partis.

    Cette méthode est celle de la dictature directe, idéologiquement camouflée à l’aide de  «l’idée nationale » et de la représentation  «corporative » (qui est en réalité celle des divers groupes des classes dominantes); elle exploite le mécontentement des masses petite-bourgeoises, des intellectuels et d’autres milieux sociaux, au moyen d’une démagogie sociale assez particulière (antisémitisme, attaques partielles contre le capital usurier, indignation contre les  «parlotes parlementaires ») et de la corruption : création d’une hiérarchie solide et rétribuée des formations fascistes, création d’un appareil de parti et d’un corps de fonctionnaires ; le fascisme s’efforce, ce faisant, de pénétrer dans les milieux ouvriers où il recrute les éléments les plus arriérés en mettant à profit le mécontentement causé par la passivité de la social-démocratie, etc.

    Le fascisme s’assigne pour tâche principale la destruction de l’avant- garde ouvrière révolutionnaire, c’est-à-dire des éléments communistes du prolétariat et de leurs cadres. Démagogie sociale combinée avec la corruption et la terreur blanche et liée à une politique extérieure impérialiste très agressive, tels sont les traits caractéristiques du fascisme. Recourant pendant les périodes les plus critiques pour la bourgeoisie à une phraséologie anticapitaliste, le fascisme perd en route ses grelots anticapitalistes et se révèle de plus en plus, dès qu’il s’est affermi au pouvoir, comme la dictature terroriste du gros Capital.

    S’adaptant aux changements de la conjoncture politique, la bourgeoisie utilise tour à tour les méthodes du fascisme et celles de la coalition avec la social-démocratie, qui elle-même joue fréquemment, aux heures les plus critiques pour le capitalisme, un rôle fasciste.

    Elle manifeste dans son développement des tendances fascistes, ce qui ne l’empêche pas, dans d’autres conjonctures politiques, de fronder contre le gouvernement bourgeois, en qualité de parti d’opposition. Les méthodes fascistes et de coalition avec la social-démocratie, qui sont des méthodes inusitées du capitalisme  «normal » et qui attestent la crise générale du régime, la bourgeoisie s’en sert pour ralentir la marche ascendante de la révolution.

    4. Les contradictions de la stabilisation capitaliste et l’inéluctabilité de la chute révolutionnaire du capitalisme

    L’expérience de toute la période historique d’après-guerre démontre que la stabilisation du capitalisme, réalisée par l’impitoyable oppression de la classe ouvrière et l’aggravation systématique de ses conditions de vie, ne peut qu’être partielle, temporaire et précaire.

    Le développement fébrile et saccadé de la technique, confinant dans certains pays à une nouvelle révolution technique, l’accélération du procès de concentration et décentralisation du capital, la création de trusts gigantesques, de monopoles  «nationaux » et «internationaux », l’interpénétration des trusts et de l’État, la croissance de l’économie capitaliste mondiale, ne peuvent cependant, remédier à la crise générale du système capitaliste.

    La division de l’économie mondiale en secteurs capitaliste et socialiste, le rétrécissement des débouchés, le mouvement anti-impérialiste des colonies aggravent à l’extrême toutes les contradictions du capitalisme qui se développe sur sa nouvelle base d’après-guerre.

    Le progrès technique lui-même et la rationalisation de l’industrie qui ont pour revers la fermeture et la liquidation d’entreprises, la limitation de la production, l’exploitation impitoyable et rapace de la main-d’œuvre aboutissent à un chômage chronique d’une ampleur sans précédent. L’aggravation absolue des conditions de vie de la classe ouvrière, même dans les pays capitalistes très développés, devient un fait évident.

    La concurrence croissante entre les pays impérialistes, la menace constante de guerres et l’acuité grandissante des conflits de classes créent les conditions d’une phase nouvelle et supérieure du développement de la crise générale du capitalisme et de la révolution prolétarienne mondiale.

    À la suite du premier cycle des guerres impérialistes (guerre mondiale de 1914-18) et de la victoire remportée en octobre 1917 par la classe ouvrière dans l’ancien Empire des tsars, l’économie mondiale s’est scindée en deux parties irréductiblement opposées : les États impérialistes et la dictature du prolétariat dans l’URSS.

    La différence de structure sociale, la nature de classe du pouvoir, différent aussi, l’opposition fondamentale des fins poursuivies en politique intérieure et extérieure, comme en politique économique et culturelle, les tendances, différentes en principe, du développement des deux systèmes, opposent violemment le monde capitaliste à l’État du prolétariat victorieux.

    Deux systèmes antagonistes s’affrontent dans le cadre de l’économie mondiale, jadis unique : capitalisme et socialisme. La lutte de classes dans laquelle autrefois le prolétariat n’avait pas d’État à lui, se reproduit maintenant sur une échelle immense, vraiment universelle, la classe ouvrière internationale ayant déjà son État, sa seule patrie.

    L’existence de l’US et l’influence qu’elle exerce en tous lieux sur les masses laborieuses opprimées, sont la manifestation éclatante de la crise profonde du système capitaliste mondial, de l’extension et de l’aggravation sans précédent de la lutte de classes.

    Le monde capitaliste, incapable de surmonter ses contradictions internes, tente de créer des groupements internationaux (Société des nations) dont l’objet principal est d’arrêter le développement irrésistible de la crise révolutionnaire et d’étouffer par le blocus ou la guerre l’Union des Républiques prolétariennes.

    Toutes les forces du prolétariat révolutionnaire et des masses coloniales opprimées se concentrent en même temps autour de l’URSS : face à la coalition mondiale du Capital, précaire et rongée à l’intérieur, mais armée jusqu’aux dents, se dresse la coalition mondiale, unique, du Travail.

    Une nouvelle contradiction fondamentale d’une envergure et d’une signification historiques mondiales a surgi ainsi à la suite du premier cycle des guerres impérialistes : la contradiction entre l’URSS et le monde capitaliste.

    Les antagonismes se sont aussi aggravés dans le secteur capitaliste de l’économie mondiale. Le déplacement du centre économique de l’univers aux États-Unis d’Amérique, la transformation de la  «République du dollar » en exploiteur mondial ont tendu les relations entre les États-Unis et le capitalisme européen, celui de Grande- Bretagne en premier lieu.

    Le conflit entre le plus puissant des vieux pays impérialistes et conservateurs, la Grande-Bretagne, et le plus grand pays du jeune impérialisme, qui a déjà réussi à conquérir l’hégémonie mondiale, les États-Unis, devient l’axe des conflits mondiaux entre les États du capital financier.

    L’Allemagne, durement rançonnée par le traité de Versailles, s’est rétablie économiquement, rentre dans l’arène de la politique impérialiste, commence à reparaître sur le marché mondial comme un concurrent sérieux. Autour du Pacifique, s’enchevêtrent des antagonismes dont le conflit américano-japonais est l’axe principal. Parallèlement à ces antagonismes fondamentaux, des conflits d’intérêts se développent entre des groupements instables et changeants de puissances, les États de second ordre étant réduits, aux mains des géants impérialistes et de leurs coalitions, à un rôle accessoire.

    L’accroissement de la capacité de production de l’appareil industriel du capitalisme mondial, en face du rétrécissement des marchés intérieurs de l’Europe par suite de la guerre et de la sortie de l’US du domaine des échanges purement capitalistes, l’extrême monopolisation des principales sources de matières premières et de combustibles, ont pour conséquence le développement de conflits entre États capitalistes.

    La lutte  «pacifique » pour le pétrole, le caoutchouc, le coton, la houille, les métaux, pour un nouveau partage des débouchés et des sphères d’investissements de capitaux, conduit inévitablement à une nouvelle guerre mondiale, qui sera d’autant plus dévastatrice que la technique de guerre progresse à une allure folle.

    Les contradictions entre les métropoles et les pays coloniaux et semi-coloniaux croissent parallèlement.

    L’affaiblissement — dans une certaine mesure — de l’impérialisme européen, comme conséquence de la guerre, le développement du capitalisme aux colonies, l’influence de la Révolution soviétique, les tendances centrifuges au sein de la plus grande puissance navale et coloniale, la Grande-Bretagne (Canada, Australie, Afrique du Sud) ont facilité les soulèvements des colonies et des semi-colonies. La grande révolution chinoise qui a ébranlé des centaines de millions d’hommes du peuple chinois ouvre une brèche énorme dans le système de l’impérialisme.

    La constante effervescence révolutionnaire de centaines de millions d’ouvriers et de paysans des Indes menace de ruiner la domination de la Grande-Bretagne, citadelle de l’impérialisme mondial. La croissance des tendances hostiles au puissant impérialisme des États-Unis dans les pays de l’Amérique latine y constitue une force contraire à l’expansion du capital nord- américain.

    Le mouvement révolutionnaire des colonies qui entraîne dans la lutte contre l’impérialisme l’immense majorité de la population du globe assujettie par l’oligarchie financière et capitaliste de quelques  «grandes puissances » impérialistes, manifeste à son tour la profonde crise générale du système capitaliste. Mais aussi, en Europe, où l’impérialisme accable les petites nations sous son talon de fer, la question nationale est un facteur d’aggravation des contradictions internes du capitalisme.

    Enfin, la crise révolutionnaire mûrit irrésistiblement dans les centres mêmes de l’impérialisme : l’offensive de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, contre son niveau d’existence, contre ses organisations et ses droits politiques, et l’extension de la terreur blanche provoquent la résistance grandissante des grandes masses prolétariennes et l’aggravation de la lutte de classes entre le prolétariat et le Capital trusté.

    Les batailles grandioses entre le Travail et le Capital, la radicalisation grandissante des masses, l’influence et l’autorité croissantes des PC, l’immense mouvement de sympathie des masses ouvrières pour le pays de la dictature prolétarienne, tout cela signale nettement l’approche d’un nouvel essor révolutionnaire dans les métropoles de l’impérialisme.

    Le système de l’impérialisme mondial et la stabilisation partielle du capitalisme sont donc minés de divers côtés : contradictions et conflits entre les puissances impérialistes ; multitude des peuples coloniaux soulevés pour la lutte ; prolétariat révolutionnaire des métropoles ; dictature du prolétariat dans l’URSS détenant l’hégémonie du mouvement révolutionnaire mondial. La révolution internationale est en marche.

    L’impérialisme groupe ses forces contre elle. Expéditions coloniales, nouvelle guerre mondiale, campagne contre l’URSS sont à l’ordre du jour. Le déchaînement de toutes les forces de la révolution mondiale et la chute inévitable du capitalisme en résulteront inéluctablement.

    3. — Le communisme mondial, but final de l’IC

    Substituer à l’économie capitaliste mondiale le système du communisme mondial, tel est le but auquel aspire l’IC Préparée par tout le développement historique, la société communiste est l’unique issue pour l’humanité. Seule elle, détruira les contradictions du système capitaliste qui menacent l’humanité de dégénérescence et la poussent à sa perte.

    La société communiste abolira la division de la société en classes ; en d’autres termes, elle supprimera, en même temps que l’anarchie de la production, tous les aspects et toutes les formes d’exploitation et d’oppression de l’homme par l’homme.

    Il n’y aura plus de classes en lutte, mais les membres d’une seule et même association mondiale de travail. Pour la première fois dans l’histoire, l’humanité prendra son sort dans ses propres mains. Au lieu de détruire un nombre incalculable de vies humaines et de richesses immenses dans des luttes de classes et de peuples, l’humanité portera toute son énergie dans la lutte contre les forces de la nature, pour développer et accroître sa propre puissance collective.

    La propriété privée des moyens de production abolie et transformée en propriété collective, le système communiste mondial substitue aux lois élémentaires du marché mondial et de la concurrence, au procès aveugle de la production sociale, l’organisation consciente et concertée — sur un plan d’ensemble — tendant à satisfaire les besoins rapidement croissants de la société.

    Les crises dévastatrices et les guerres plus dévastatrices encore disparaîtront avec l’anarchie de la production et de la concurrence.

    Au gaspillage formidable des forces productives, au développement convulsif de la société, le communisme oppose l’emploi systématique de toutes les ressources matérielles de la société et une évolution économique indolore basés sur le développement illimité, harmonieux et rapide des forces productives.

    L’abolition des classes et de la propriété privée supprime l’exploitation de l’homme par l’homme. Le travail cesse d’être accompli au profit de l’ennemi de classe et de n’être qu’un moyen d’existence, il se transforme en un besoin primordial et vital ; la pauvreté, l’inégalité économique, la misère des classes asservies, le niveau misérable de la vie matérielle, en général, s’évanouissent ; la hiérarchie des hommes dans la division du travail et la contradiction entre le travail intellectuel et le travail physique disparaissent, comme aussi toutes les traces de l’inégalité sociale des sexes.

    Les organismes de la domination de classe, le pouvoir de l’État, en premier lieu, disparaissent en même temps. Incarnation de la domination de classe, l’État se meurt à mesure que disparaissent les classes et toutes les formes de contrainte.

    La disparition des classes est accompagnée de l’abolition de tout monopole de l’instruction. La culture devient le patrimoine de tous et les idéologies de classes d’antan cèdent la place à une conception matérialiste scientifique du monde. Toute domination de l’homme par l’homme devient dès lors impossible ; un champ illimité s’ouvre à la sélection sociale, au développement harmonieux de toutes les facultés de l’humanité.

    L’essor des forces productives ne se heurte plus à aucune borne sociale. La propriété privée des moyens de production, l’esprit de lucre, l’ignorance artificiellement entretenue dans les masses, leur pauvreté, obstacle au progrès technique de la société capitaliste, les dépenses improductives énormes, tout cela n’existe plus dans la société communiste.

    Utilisation aussi rationnelle que possible des forces de la nature et des conditions naturelles de la production dans les diverses parties du monde, abolition de la contradiction entre les villes et les campagnes (contradiction qui tient au regard systématique de l’agriculture sur l’industrie et au niveau inférieur de sa technique), union intime de la science et de la technique, des recherches et de leurs applications pratiques dans la plus large mesure sociale, organisation rationnelle du travail scientifique, emploi des méthodes les plus perfectionnées de statistique et de régularisation de l’économie selon un plan d’ensemble, accroissement rapide des besoins sociaux, puissants moteurs animant tout le système, tout cela assure le maximum de rendement au travail collectif et libère, à son tour, l’énergie humaine pour le plus grand essor de la science et des arts.

    Le développement des forces productives de la société communiste mondiale permet d’élever le bien-être de l’humanité entière, de réduire au minimum le temps consacré à la production matérielle et détermine ainsi un épanouissement de la culture, inconnu de l’histoire.

    Cette nouvelle culture de l’humanité, unifiée pour la première fois — toutes les frontières d’État étant détruites — reposera, contrairement à la culture capitaliste, sur des relations claires et lucides entre les hommes. Aussi enterrera-t-elle à jamais toute mystique, toute religion, tout préjugé, toute superstition et donnera-t-elle une puissante impulsion au développement de la connaissance scientifique qui ne connaîtra point d’obstacles.

    Cette phase supérieure du communisme, dans laquelle la société communiste se sera développée sur sa propre base, où le développement harmonieux des hommes s’accompagnera d’une croissance prodigieuse des forces productives, où la société aura inscrit sur son drapeau : «De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins» — suppose en tant que condition historique préalable une phase inférieure de son évolution, le socialisme. La société communiste ne fait ici que sortir de la société capitaliste ; elle en sort recouverte à tous égards dans la vie économique, morale, intellectuelle, des tares de la vieille société dont elle est née ; les forces productives du socialisme ne sont pas encore suffisamment développées pour assurer la répartition des produits du travail selon les besoins ; ils sont répartis selon le travail.

    La division du travail, c’est-à-dire l’attribution de certaines fonctions spéciales à des groupes déterminés de personnes, subsiste encore ; l’opposition entre le travail intellectuel et le travail physique en particulier n’est pas encore radicalement supprimée.

    Malgré l’abolition des classes, des vestiges de l’ancienne division de la société subsistent et, partant, des vestiges du pouvoir, de la contrainte, du droit. Il existe encore des survivances attardées de l’inégalité. La contradiction entre la ville et la campagne n’est ni abrogée, ni entièrement disparue.

    Mais aucune force sociale ne soutient ni ne défend ces vestiges de l’ancienne société. Liés à un niveau déterminé du développement des forces productives, ils disparaissent graduellement à mesure que l’humanité, libérée des chaînes du régime capitaliste, maîtrise rapidement les forces de la nature, se rééduque dans l’esprit du communisme et passe du socialisme au communisme intégral.

    4. — La période de transition du capitalisme au socialisme et la dictature du prolétariat

    1. La période de transition et la conquête du pouvoir par le prolétariat

    Entre la société capitaliste et la société communiste s’étend une période de transformation révolutionnaire à laquelle correspond une période de transition politique durant laquelle l’État ne peut être qu’une dictature révolutionnaire du prolétariat.

    La transition de la dictature mondiale de l’impérialisme à la dictature mondiale du prolétariat embrasse une longue période de luttes, de revers et de victoires du prolétariat, une période de crise continue du système capitaliste et de croissance des révolutions socialistes, c’est-à-dire de guerres civiles du prolétariat contre la bourgeoisie, période de guerres nationales et de soulèvements coloniaux qui, tout en n’étant pas eux-mêmes des mouvements socialistes du prolétariat révolutionnaire, deviennent objectivement, parce qu’ils ébranlent la domination impérialiste, parties intégrantes de la révolution prolétarienne mondiale ; période qui comprend la coexistence, au sein de l’économie mondiale, des systèmes sociaux et économiques capitaliste et socialiste avec leurs rapports  «pacifiques » et leurs luttes armées, période de formation d’unions d’États soviétiques socialistes et période de guerres des États impérialistes contre elles ; période de liaison toujours plus étroite entre les États soviétiques et les peuples coloniaux, etc.

    L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Cette inégalité s’accentue et s’aggrave à l’époque impérialiste. Il en résulte que la révolution prolétarienne internationale ne peut être considérée comme une action unique, simultanée et universelle. La victoire du socialisme est donc possible, au début dans quelques pays capitalistes, voire même dans un seul isolément.

    Mais chaque victoire du prolétariat élargit la base de la révolution mondiale et aggrave, par conséquent, la crise générale du capitalisme. L’ensemble du système capitaliste s’achemine ainsi à sa faillite définitive. La dictature du capital financier succombe, cédant la place à la dictature du prolétariat.

    Les révolutions bourgeoises consistaient dans la libération politique d’un système de rapports de production déjà dominant dans l’économie et le passage du pouvoir d’une classe d’exploiteurs à une autre.

    La révolution prolétarienne signifie, par contre, l’intervention violente du prolétariat dans le régime de propriété de la société bourgeoise, l’expropriation des classes exploiteuses et le passage du pouvoir à une classe qui se donne pour tâche fondamentale la refonte totale de la base économique de la société et la destruction de toute exploitation de l’homme par l’homme.

    Mais, si les révolutions bourgeoises ont mis des siècles à abolir la domination politique de la noblesse féodale dans le monde entier, brisant cette domination par des révolutions successives, la révolution prolétarienne internationale, quoiqu’elle ne soit pas un acte unique et qu’elle s’étende sur toute une époque, pourra, grâce à la liaison plus étroite entre les pays, accomplir plus rapidement sa tâche.

    Ce n’est qu’après la victoire complète du prolétariat dans le monde et l’affermissement de son pouvoir mondial que s’ouvrira une longue époque d’intense édification de l’économie socialiste mondiale.

    La conquête du pouvoir par le prolétariat est la condition préliminaire de la croissance des forces socialistes de l’économie et de l’essor culturel du prolétariat qui, se transformant consciemment lui- même, devient le dirigeant de la société dans tous les domaines de la vie, entraîne dans ce procès de refonte les autres classes et crée, par là même, un terrain favorable à la disparition des classes.

    Dans la lutte pour la dictature du prolétariat et pour la transformation ultérieure du régime social, l’union des ouvriers et paysans, base de la dictature du prolétariat réalisée sous l’hégémonie idéologique et politique des prolétaires, s’organise en face du bloc des propriétaires fonciers et des capitalistes.

    La période de transition est, dans son ensemble, caractérisée par l’implacable répression de la résistance des exploiteurs, par l’organisation de l’édification socialiste, par la rééducation en masse des hommes dans l’esprit du socialisme et par la destruction progressive des classes sociales. Ce n’est qu’en accomplissant ces grandes tâches historiques que la société de la période de transition commence à se transformer en société communiste.

    Ainsi, la dictature du prolétariat mondial est la condition préalable et nécessaire du passage de l’économie capitaliste mondiale à l’économie socialiste.

    Cette dictature ne peut s’instituer que par la victoire du socialisme dans différents pays ou groupes de pays, les nouvelles Républiques prolétariennes s’unissant par des liens fédératifs à leurs devancières et le réseau de ces unions fédératives s’élargissant et comprenant les colonies affranchies du joug de l’impérialisme, pour constituer finalement l’Union des Républiques socialistes soviétiques du monde et réaliser l’unification de l’humanité sous l’hégémonie internationale du prolétariat organisé en État.

    La conquête du pouvoir par le prolétariat n’est pas une  «conquête » pacifique de la machine toute prête de l’État bourgeois par une majorité parlementaire. La bourgeoisie use de tous les moyens de contrainte et de terreur pour défendre et affermir sa propriété conquise par le pillage et sa domination politique.

    Comme la noblesse féodale autrefois, elle ne peut céder sa place historique à une classe nouvelle sans lui opposer une résistance acharnée et désespérée. La violence de la bourgeoisie ne peut donc être brisée que par la violence implacable du prolétariat.

    La conquête du pouvoir par le prolétariat, c’est l’abolition violente du pouvoir de la bourgeoisie, la destruction de l’appareil d’État capitaliste (armée bourgeoise, police, hiérarchie bureaucratique, tribunaux, Parlement, etc.) remplacé par les nouveaux organes du pouvoir prolétarien qui sont, avant tout, des instruments de répression destinés à briser la résistance des exploiteurs.

    2. La dictature du prolétariat et sa forme soviétique

    Comme l’a démontré l’expérience de la révolution russe d’octobre 1917 et de la révolution hongroise, qui ont infiniment élargi l’expérience de la Commune de Paris de 1871, la forme du pouvoir prolétarien qui répond le mieux au but est le nouveau type d’État différent, en principe, de l’État bourgeois, non seulement par son essence de classe, mais encore par sa structure interne : l’État soviétique. Ce type d’État qui surgit directement du grand mouvement des masses leur assure le maximum d’activité et offre, par conséquent, le plus de garanties d’une victoire définitive.

    L’État du type soviétique qui réalise la forme supérieure de la démocratie, la démocratie prolétarienne, s’oppose nettement à la démocratie bourgeoise, forme voilée de la dictature de la bourgeoise.

    L’État soviétique c’est la dictature du prolétariat, la classe ouvrière détenant le monopole du pouvoir. Au contraire de la démocratie bourgeoise, il proclame hautement son esprit de classe et se donne ouvertement pour tâche de réprimer la résistance des exploiteurs dans l’intérêt de l’immense majorité de la population.

    Il prive de droits politiques ses ennemis de classe et peut, dans des conditions historiques particulières, donner au prolétariat des privilèges temporaires afin de l’affermir dans son rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie petite-bourgeoise infiniment disséminée. Désarmant ses ennemis de classe et brisant leur résistance, il considère la suppression de leurs droits politiques et une certaine limitation de leur liberté, comme des mesures temporaires destinées à combattre les tentatives des exploiteurs de défendre ou de rétablir leurs privilèges.

    Il écrit sur son drapeau que le prolétariat détient le pouvoir non pour le perpétuer, non pour en user dans ses intérêts étroitement corporatifs et professionnels, mais afin de grouper de plus en plus les masses arriérées et disséminées du prolétariat et du semi-prolétariat des campagnes et d’unir les paysans travailleurs aux ouvriers les plus avancés, en éliminant progressivement et systématiquement toute division de la société en classes.

    Forme d’unification et d’organisation universelle des masses sous la direction du prolétariat, les Soviets entraînent en fait les masses les plus grandes des ouvriers, des paysans et de tous les travailleurs dans la lutte, dans l’édification du socialisme et dans la gestion de l’État. Ils s’appuient dans tout leur travail sur les organisations de masse de la classe ouvrière et réalisent une large démocratie parmi les travailleurs ; ils sont plus près des masses que n’importe quelle autre forme du pouvoir.

    Le droit de procéder à de nouvelles élections et de révoquer les mandataires, l’union du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, les élections sur la base des entreprises (usines, ateliers, etc.) et non de circonscriptions territoriales, sont autant de facteurs qui assurent au prolétariat et aux grandes masses de travailleurs soumises à son influence une participation systématique constante et active à toutes les affaires publiques économiques, politiques, militaires et culturelles. Ils établissent, de ce fait, une profonde ligne de démarcation entre la République parlementaire bourgeoise et la dictature soviétique du prolétariat.

    La démocratie bourgeoise repose, avec son égalité purement formelle des citoyens devant la loi, sur une inégalité flagrante des classes dans le domaine matériel et économique.

    Dépendant et affermissant la possession exclusive et considérée comme intangible des moyens de production essentiels par la classe capitaliste et les grands propriétaires fonciers, la démocratie bourgeoise transforme par là même, pour les classes exploitées, et en premier lieu pour le prolétariat, l’égalité purement formelle devant la loi, les droits et les libertés démocratiques, d’ailleurs systématiquement limités dans la pratique, en une fiction juridique, et par conséquent, en un instrument de duperie et d’asservissement des masses.

    La prétendue démocratie exprime la domination politique de la bourgeoisie, elle est pour cette raison une démocratie capitaliste. L’État soviétique, en privant la classe exploiteuse des moyens de production qu’il monopolise entre les mains du prolétariat, classe dirigeante, garantit avant tout et surtout les conditions matérielles de réalisation des droits de la classe ouvrière et des travailleurs en général, la possession par celle-ci des immeubles et des édifices publics, des imprimeries, des moyens de locomotion, etc.

    Dans le domaine des droits politiques et généraux, l’État soviétique, en privant de ces droits les ennemis du peuple et les exploiteurs, détruit pour la première fois, complètement, l’inégalité des citoyens, fondée, dans les régimes d’exploitation, sur les différences de sexe, de religion, de nationalité ; il établit dans ce domaine une égalité qui n’existe dans aucun pays bourgeois ; la dictature du prolétariat bâtit inflexiblement la base matérielle sur laquelle se réalise cette égalité. Telles sont les mesures d’émancipation de la femme, d’industrialisation des anciennes colonies, etc.

    La démocratie soviétique est ainsi une démocratie prolétarienne, une démocratie des masses laborieuses, une démocratie dirigée contre les exploiteurs.

    L’État soviétique désarme entièrement la bourgeoisie et concentre toutes les armes dans les mains du prolétariat ; c’est l’État du prolétariat armé.

    L’organisation des forces armées y repose sur le principe de classe, dont s’inspire tout le régime de la dictature du prolétariat ; il assure le rôle dirigeant au prolétariat industriel. Cette organisation, étayée par la discipline révolutionnaire, établit en même temps que la participation des soldats de l’Armée rouge et des marins de la Flotte rouge à l’administration du pays et à l’édification du socialisme, leur liaison étroite et constante avec les masses laborieuses.

    3. La dictature du prolétariat et l’expropriation des expropriateurs

    Le prolétariat victorieux use du pouvoir conquis comme d’un instrument de révolution économique c’est-à-dire pour la transformation révolutionnaire du régime de propriété capitaliste en un régime de production socialiste.

    Le point de départ de cette profonde révolution économique est dans l’expropriation des gros propriétaires fonciers et des capitalistes c’est-à-dire dans la transformation de la propriété monopoliste de la bourgeoisie en propriété de l’État prolétarien. L’IC assigne dans ce domaine à la dictature du prolétariat les tâches fondamentales suivantes :

    A. Industrie, transports, P.T.T.

    a) Confiscation et nationalisation prolétarienne de toutes les grandes entreprises industrielles (fabriques, usines, mines, centrales électriques) appartenant au capital privé ; transfert aux Soviets de toutes les entreprises de l’État et des municipalités ;

    b) Confiscation et nationalisation prolétarienne des transports ferroviaires, automobiles et fluviaux, appartenant au capital privé, des transports aériens (flotte aérienne de commerce et de voyage); transfert aux Soviets de tous les moyens de transport appartenant à l’État et aux municipalités ;

    c) Confiscation et nationalisation prolétarienne des services de liaison appartenant au capital privé (télégraphe, téléphone, radio); transfert aux Soviets de tous ces services appartenant à l’État, aux municipalités, etc.;

    d) Organisation de la gestion ouvrière de l’industrie. Création d’organismes gouvernementaux de gestion avec participation directe des Syndicats, un rôle correspondant étant assuré aux Comités d’usines, de fabriques, etc.;

    e) Adaptation de l’activité industrielle aux besoins des grandes masses des travailleurs. Réorganisation des branches d’industrie qui produisaient pour la consommation des anciennes classes dirigeants (articles de luxe, etc.).

    f) Renforcement des branches d’industrie favorisant l’essor de l’agriculture, afin d’affermir la liaison avec l’économie rurale, d’assurer le progrès des domaines agricoles de l’État, et d’accélérer le développement de l’économie nationale en général.

    B. Agriculture

    a) Confiscation et nationalisation prolétarienne de la grande propriété foncière dans les villes et dans les campagnes (propriétés privées, propriétés de l’Église, couvents, etc. ); transfert aux Soviets des propriétés foncières de l’État et des municipalités, y compris les forêts, le sous-sol, les eaux, etc.; nationalisation ultérieure de tout le sol ;

    b) Confiscation de tous les biens constituant l’outillage des grandes propriétés foncières (bâtiments, outillage et matériel divers, bétail, entreprises de transformation des produits agricoles, grandes minoteries, fromageries, laiteries, sécheries, etc.);

    c) Transfert des grands domaines, et, plus particulièrement de ceux qui ont une grande importance économique ou peuvent servir d’entreprises modèles, aux organismes de la dictature du prolétariat ; organisation de domaines agricoles soviétiques ;

    d) Remise d’une partie des anciennes propriétés foncières et d’autres terres confisquées — notamment de celles qui étaient affermées par les paysans et servaient à les asservir économiquement —, en jouissance aux paysans (aux paysans pauvres et à une partie des paysans moyens). La part des terres transmises aux paysans est déterminée par les besoins économiques et par la nécessité de neutraliser les paysans et de les rallier au prolétariat ; elle varie donc selon les conditions ;

    e) Interdiction de la vente et de l’achat des terres, afin de conserver la terre aux paysans et d’empêcher qu’elle ne passe aux capitalistes, spéculateurs, etc.; répression énergique de toute infraction à cette loi ;

    f) Lutte contre l’usure. Annulation des contrats d’asservissement. Annulation des dettes des paysans exploités. Exemption des paysans les plus pauvres de l’impôt, etc.;

    g) Larges mesures d’ensemble, de la part de l’État, pour élever les forces productives de l’agriculture ; développement de l’électrification des campagnes, de la fabrication des tracteurs, de la production des engrais chimiques et des semences sélectionnées, élevage du bétail de race dans les domaines soviétiques, ample organisation du crédit agricole pour l’amélioration du sol, etc.;

    h) Appui général et financier à la coopération agricole et à toutes les formes de production collective dans les campagnes (associations, communes, etc.). Propagande systématique de la coopération paysanne (coopérative de vente, d’approvisionnement, de crédit) sur la base de l’initiative et de l’activité des masses paysannes : propagande en faveur du passage à la grande production agraire, qui, par son incontestable supériorité technique et économique et par ses grands avantages économiques immédiats, constitue le moyen de transition au socialisme le plus accessible aux grandes masses des paysans travailleurs.

    C. Commerce et crédit

    i) Nationalisation prolétarienne des banques privées (remise à l’État prolétarien de toutes les réserves d’or, valeurs, dépôts, etc.) et transfert à l’État prolétarien des banques nationales, municipales, etc.;

    j) Centralisation de toutes les opérations bancaires et subordination de toutes les grandes banques nationalisées à la Banque centrale de l’État ;

    k) Nationalisation et transfert aux organismes de l’État soviétique du commerce de gros et des grandes entreprises commerciales de détail (entrepôts, élévateurs, magasins, stocks de marchandises, etc.);

    l) Encouragement par tous les moyens de la coopération de consommation considérée comme une partie intégrante extrêmement importante de l’appareil de répartition ; unification du système de travail de la coopération et participation active des masses à son édification ;

    m) Monopole du commerce extérieur ;

    n) Annulation des dettes de l’État envers les capitalistes étrangers et nationaux.

    D. Protection du travail, conditions de vie des travailleurs, etc.

    a) Réduction de la journée de travail à sept heures — six heures dans les industries insalubres. Réduction ultérieure de la journée de travail et passage à la semaine de cinq jours, dans les pays à production développée. Journée de travail correspondant à l’augmentation du rendement du travail ;

    b) Interdiction, en règle générale, du travail des femmes la nuit et dans les industries insalubres.

    Interdiction du travail des enfants. Interdiction des heures supplémentaires ;

    c) Réduction de la journée de travail des jeunes (journée de six heures au maximum pour les adolescents jusqu’à 18 ans). Réorganisation socialiste du travail des jeunes, combinant la production matérielle avec l’instruction générale et politique ;

    d) Assurances sociales de toutes formes (invalidité, vieillesse, accidents, chômage, etc.) aux frais de l’État (aux frais du patronat, dans la mesure où subsistent les entreprises privées) et gérées d’une façon complètement autonome par les assurés ;

    e) Larges mesures d’hygiène sociale, assistance médicale gratuite, lutte contre les maladies sociales (alcoolisme, maladies vénériennes, tuberculose);

    f) Égalité sociale des sexes devant la loi et dans les mœurs, transformation radicale de la législation du mariage et de la famille, reconnaissance de la maternité comme fonction sociale, protection de la maternité et de l’enfance. Premières mesures tendant à l’entretien et à l’éducation des enfants et de la jeunesse par la société (crèches, jardins et maisons d’enfants, etc.). Création d’institutions permettant de réduire progressivement le travail domestique (restaurants et lavoirs publics), lutte systématique, dans le domaine de la culture générale, contre l’idéologie et les traditions qui asservissent la femme.

    D. Habitation

    a) Confiscation de la grande propriété immobilière ;

    b) Transfert des immeubles confisqués aux Soviets locaux qui en assureront la gestion ;

    c) Installation des ouvriers dans les quartiers bourgeois ;

    d) Mise à la disposition des organisations ouvrières des palais et des édifices privés et publics importants ;

    e) Réalisation d’un large programme de construction d’habitations.

    E. Questions nationale et coloniale

    f) Reconnaissance pour toutes les nationalités, sans distinction de race, du droit de disposer librement d’elles-mêmes jusqu’à former des États indépendants ;

    g) Unification et centralisation volontaires des forces militaires et économiques de tous les peuples affranchis du capitalisme pour la lutte contre l’impérialisme et l’édification de l’économie socialiste ;

    h) Lutte énergique, par tous les moyens, contre toute restriction ou limitation des droits d’un peuple, d’une nationalité ou d’une race, quels qu’ils soient. Égalité complète des nations et des races ;

    i) Garantie de développement et soutien par toutes les forces et tous les moyens de l’État soviétique, de la culture nationale des nations affranchies du capitalisme, poursuite d’une politique prolétarienne persévérante dans le développement du contenu de ces cultures ; j) Large assistance au développement économique, politique et culturel des  «régions » et des  «colonies » précédemment opprimées, afin d’y constituer les bases solides d’une égalité nationale effective et complète ;

    k) Lutte contre toutes les survivances du chauvinisme, des haines nationales, des préjugés de race et de tous les autres produits de la barbarie féodale et capitaliste.

    F. Moyens d’influence idéologique

    l) Nationalisation des imprimeries ;

    m) Monopolisation des journaux et des éditions ;

    n) Nationalisation des grandes entreprises de cinéma, des théâtres, etc.; o) Utilisation des moyens nationalisés de  «production intellectuelle » à des fins de large instruction politique et générale des travailleurs et d’édification d’une nouvelle culture socialiste sur une base prolétarienne de classe.

    4. Les bases de la politique économique de la dictature du prolétariat

    Il est nécessaire de prendre en considération les règles suivantes dans l’accomplissement de ces diverses tâches de la dictature du prolétariat :

    1. L’abolition complète de la propriété privée du sol et sa nationalisation ne peuvent avoir lieu immédiatement dans les pays capitalistes les plus avancés où le principe de la propriété privée est profondément enraciné dans les grandes masses paysannes. La nationalisation du sol ne peut être réalisée dans ces pays que progressivement, par diverses mesures transitoires.

    2. La nationalisation de la production ne doit pas s’étendre, en règle générale, aux petites et moyennes entreprises (de paysans, d’artisans, de petits et moyens commerçants, etc.). Premièrement, parce que le prolétariat doit établir une distinction rigoureuse entre la propriété du simple producteur de marchandises, fondée sur son travail même et qu’il est possible et nécessaire de faire entrer peu à peu dans la voie de l’édification socialiste, et la propriété du capitaliste, exploiteur d’autrui, dont la liquidation est la condition indispensable de toute édification du socialisme.

    Deuxièmement, parce que le prolétariat, arrivé au pouvoir, n’a pas assez de forces organisatrices, surtout pendant les premières phases de la dictature, pour détruire le capitalisme et organiser en même temps la liaison des unités individuelles de production — petites et moyennes — sur une nouvelle base socialiste ; ces petites exploitations individuelles (les exploitations paysannes avant tout) ne seront entraînées que peu à peu dans la voie de l’organisation socialiste générale de la production et de la répartition, grâce à l’appui systématique et puissant que l’État prolétarien prêtera à toutes les forces de leur collectivisation.

    Tout essai de transformation de leur régime économique par contrainte, toute collectivisation forcée ne donneraient que des résultats négatifs.

    3. L’existence d’un grand nombre de petites unités de production (en premier lieu, d’exploitations paysannes, de fermes, d’ateliers d’artisans, de fonds de petits commerçants, etc.), non seulement dans les colonies, les semi-colonies et les pays économiquement arriérés où les masses petite-bourgeoises forment l’énorme majorité de la population, mais encore dans les centres de l’économie capitaliste mondiale (les États-Unis, l’Allemagne et, jusqu’à un certain point, l’Angleterre), rendent, dans une certaine mesure, nécessaire au premier degré du développement le maintien du marché comme forme de liaison économique, le maintien du système monétaire, etc.

    La diversité des types économiques (de la grande industrie socialisée à la petite production artisanale et paysanne) qui ne peut manquer d’être accompagnée de leur lutte, la diversité des classes et des groupements de classe qui leur correspondent, qui ont des stimulants économiques différents dans leur activité et qui luttent pour leurs intérêts économiques, enfin l’existence, dans tous les domaines de la vie économique, de coutumes et de traditions héritées de la société bourgeoise qui ne peuvent disparaître d’emblée, — exigent que la direction économique du prolétariat combine dans de justes proportions, sur la base du marché, la grande industrie socialiste et la petite exploitation des simples producteurs de marchandises, réalise, en d’autres termes, une combinaison susceptible d’assurer en même temps le rôle dirigeant de l’industrie socialiste et l’essor maximum de la masse principale des exploitations paysannes.

    Plus est grande dans l’ensemble de l’économie nationale l’importance du travail des petits paysans disséminés, plus aussi est grand le rôle du marché, moindre est l’importance de la gestion directe d’après un plan établi, plus le plan d’ensemble de l’économie dépend de la prévision des rapports économiques spontanés.

    Inversement, moindre est le poids de la petite économie dans l’économie nationale, plus importante la part du travail socialisé, plus puissante la masse des moyens de production concentrés et socialisés, et moindre est l’étendue du marché, plus s’accroît l’importance du plan d’ensemble à l’égard du jeu spontané des lois de l’échange, et plus les méthodes de gestion directe de la production et de la répartition conformément à un plan établi sont importantes et universellement applicables.

    Les avantages techniques et économiques de la grande industrie socialisée, la centralisation par l’État prolétarien de tous les leviers de commande de l’économie (industrie, transports, grandes exploitations agricoles, banques, etc.), la gestion de l’économie selon un plan, la puissance de l’État dans son ensemble (budget, impôts, législation administrative et législation générale) conduisent, à condition que la dictature du prolétariat suive une politique juste — qu’elle tienne, en d’autres termes, un compte exact des rapports des forces sociales —, à l’élimination constante et systématique des vestiges du capital privé et des nouveaux éléments capitalistes qui, dans les villes comme les campagnes (paysans riches, koulaks), naissent du développement de la simple production marchande dans les conditions créées par une liberté de commerce plus ou moins grande et par le marché.

    La masse principale des exploitations paysannes (c’est-à-dire les petites et les moyennes exploitations) sont, d’autre part, systématiquement incorporées par la coopération et l’extension des formes collectives de l’agriculture au système général du socialisme en voie de développement.

    Les formes et les méthodes d’activité économique, d’apparence capitaliste, liées aux rapports économiques du marché (calcul de la valeur, rétribution du travail en argent, achat et vente, crédits et banques, etc.) jouent, dans la mesure où elles desservent de plus en plus les entreprises de type socialiste conséquent, c’est-à-dire le secteur socialiste de l’économie, le rôle de leviers du socialisme.

    Ainsi, les rapports économiques du marché portent — la dictature du prolétariat et une politique juste de l’État soviétique étant données — dans leur développement les germes de leur propre destruction : en contribuant à l’élimination du capital privé, à la transformation de l’économie rurale, à la centralisation et à la concentration des moyens de production aux mains de l’État prolétarien, ils facilitent l’élimination des rapports économiques du marché.

    Au cas probable d’une intervention militaire des capitalistes et d’une guerre contre-révolutionnaire de longue durée contre la dictature du prolétariat, la direction économique devra s’inspirer, avant tout, des intérêts de la défense de la dictature du prolétariat ; la nécessité peut s’imposer d’une politique communiste économique de guerre (communisme de guerre) qui n’est autre que l’organisation rationnelle de la consommation en vue de la défense, accompagnée d’une pression accrue sur les éléments capitalistes (confiscations, réquisitions, etc.), d’une abrogation plus ou moins complète de la liberté du commerce et des rapports du marché et d’un bouleversement profond des stimulants individuels de la petite production, toutes choses liées à une baisse des forces productives du pays. Cette politique de  «communisme de guerre », sapant la base matérielle des ennemis de la classe ouvrière à l’intérieur du pays, assurant la répartition rationnelle des stocks existants, secondant la défense armée de la dictature du prolétariat et trouvant en cela sa justification historique, ne peut être considérée comme un système  «normal » de politique économique de la dictature du prolétariat.

    [pas de « 4. »]

    5. La dictature du prolétariat et les classes sociales La dictature du prolétariat continue la lutte de classes dans de nouvelles conditions. C’est une lutte tenace, sanglante et sans effusion de sang, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de l’ancienne société, contre les capitalistes de l’extérieur, contre les débris des classes exploiteuses à l’intérieur du pays, contre les pousses d’une bourgeoisie nouvelle naissant de la production marchande pas encore éliminée.

    Dans la période de liquidation de la guerre civile, la lutte de classes opiniâtre continue sous des formes nouvelles et, avant tout, sous la forme de la lutte entre les vestiges et les nouvelles pousses des vieux systèmes économiques d’une part, et les formes socialistes de l’économie de l’autre. Les formes mêmes de cette lutte se modifient aux différentes étapes du développement socialiste, au début duquel elles peuvent revêtir une certaine âpreté.

    Au début de la dictature prolétarienne, la politique du prolétariat à l’égard des autres classes et groupes sociaux du pays est déterminée par les principes suivants :

    1. La grande bourgeoisie et les grands propriétaires fonciers, les officiers de carrière dévoués à ces classes, les généraux et la haute bureaucratie sont les ennemis irréductibles de la classe ouvrière ; contre eux la lutte la plus implacable. L’utilisation des capacités d’organisation d’une certaine partie d’entre eux n’est possible, en règle générale, qu’après l’affermissement de la dictature du prolétariat et la répression décisive de tous les complots et soulèvements des exploiteurs.

    2. En ce qui concerne les intellectuels-techniciens éduqués dans les traditions bourgeoises, et dont les couches supérieures sont étroitement attachées aux postes de commande du capital, le prolétariat, tout en réprimant avec la dernière énergie toute velléité de mouvement contre-révolutionnaire des intellectuels hostiles, doit tenir compte de la nécessité d’utiliser cette force sociale qualifiée dans l’œuvre d’édification socialiste et encourager par tous les moyens les neutres et plus encore ceux qui sympathisent avec la révolution ouvrière.

    Le prolétariat, développant les perspectives de l’édification économique, technique et culturelle du socialisme dans toute leur ampleur, s’efforce de conquérir systématiquement les intellectuels-techniciens, de les soumettre à son influence idéologique et de s’assurer leur étroite collaboration dans l’œuvre de transformation sociale.

    3. La tâche du PC à l’égard des paysans consiste à gagner à sa cause, en s’appuyant sur le prolétariat rural, toutes les populations exploitées et laborieuses des campagnes.

    Établissant une distinction entre les diverses couches paysannes et tenant compte de leur importance respective, le prolétariat victorieux doit soutenir par tous les moyens les paysans pauvres et les semi-prolétaires des campagnes, leur remettre une partie des terres des grands propriétaires fonciers, faciliter leur lutte contre le capital usurier, etc.

    Le prolétariat doit, en outre, neutraliser les paysans moyens et réprimer toute résistance de la bourgeoisie rurale alliée aux propriétaires fonciers. Le prolétariat doit passer, dans la mesure où il affermit sa dictature et développe l’édification socialiste, d’une politique de neutralisation de la masse des paysans moyens à une politique d’alliance durable avec elle, sans toutefois admettre aucun partage du pouvoir.

    Car la dictature du prolétariat exprime le fait que seuls les ouvriers industriels sont en mesure de diriger l’ensemble des travailleurs ; monopole prolétarien du pouvoir, elle est, d’autre part, une forme particulière de l’alliance du prolétariat, avant-garde des travailleurs, et de nombreuses catégories non prolétariennes de travailleurs, contre le Capital pour consommer son renversement définitif, pour réprimer à fond la résistance et les tentatives de restauration de la bourgeoisie et pour instaurer et affermir le socialisme.

    4. La petite bourgeoisie des villes, oscillant sans cesse entre la réaction la plus noire et la sympathie pour le prolétariat, doit également être neutralisée et, autant que possible, conquise par le prolétariat. On atteint ce but en lui conservant sa petite propriété et une certaine liberté de transactions économiques, et la libérant du joug du crédit usuraire, et en lui assurant l’aide multiple du prolétariat dans la lutte contre toutes les formes de l’oppression capitaliste.

    [pas de « 5. »]

    6. Les organisations de masses dans le système de la dictature du prolétariat

    Les objectifs et les fonctions des organisations de masses — et en premier lieu des organisations ouvrières —, changent radicalement dans l’accomplissement de toutes ces tâches de la dictature prolétarienne. Les Syndicats, organisations ouvrières de masses dans lesquelles s’organisent et s’éduquent pour la première fois les couches les plus étendues du prolétariat, sont, en régime capitaliste, le principal instrument de la lutte par la grève, puis de l’action de masses contre le capital trusté et son État. Ils se transforment sous la dictature prolétarienne en levier essentiel de la dictature, en une école du communisme qui entraîne les grandes masses du prolétariat dans l’œuvre de gestion socialiste de l’industrie, en organisations directement liées à tous les organes de l’État, agissant sur toutes les branches de son activité, veillant à la fois aux intérêts permanents et immédiats de la classe ouvrière et combattant les déformations bureaucratiques des organes de l’État soviétique.

    Les Syndicats fournissent les cadres dirigeants de l’édification, entraînent dans ce travail les grandes couches du prolétariat et luttent contre les déformations bureaucratiques qui naissent fatalement de l’influence des classes étrangères au prolétariat et de l’insuffisante culture de masses, ils forment ainsi l’ossature des organisations économiques et sociales du prolétariat.

    Les coopératives ouvrières sont, en dépit des utopies réformistes, condamnées en régime capitaliste à un rôle relativement modeste.

    Sous l’empire des conditions générales du système capitaliste et de la politique réformiste de leurs dirigeants, elles dégénèrent fréquemment en appendice du régime ; sous la dictature prolétarienne, elles peuvent devenir et deviendront les parties constitutives essentielles de l’appareil de répartition.

    Enfin, la coopération agricole des paysans (coopératives de vente, d’achat, de crédit, de production) peut et doit — si elle est bien dirigée, si elle combat systématiquement les éléments capitalistes et s’assure la participation effective de la grande masse des paysans travailleurs appuyant le prolétariat — devenir l’une des formes d’organisation fondamentales reliant la ville à la campagne.

    Les sociétés coopératives formées par les paysans et qui — dans la mesure où elles sont viables — se transforment fatalement, pour la plupart, dans les conditions capitalistes, en entreprises capitalistes (placées sous la dépendance de l’industrie capitaliste, des banques capitalistes, du milieu économique capitaliste, en général, et dirigées par des réformistes, par la bourgeoisie rurale, et parfois même par des propriétaires fonciers) — se transforment, en régime de dictature prolétarienne, dans un tout autre sens ; elles dépendent de l’industrie prolétarienne, des banques prolétariennes, etc.

    Si le prolétariat suit une politique juste, si les éléments capitalistes sont systématiquement combattus dans la coopération comme au dehors, si l’industrie socialiste exerce son rôle dirigeant, la coopération agricole devient l’un des principaux leviers de la transformation socialiste des campagnes et de la collectivisation de l’agriculture.

    Les coopératives de consommation et, plus particulièrement, les coopératives agricoles dirigées par la bourgeoisie et par ses agents sociaux-démocrates, peuvent être néanmoins au début, dans certains pays, des foyers d’activité contre-révolutionnaire et de sabotage de l’édification économique de la révolution ouvrière.

    Le prolétariat assure l’unité de volonté et d’action dans toute l’œuvre de lutte et d’édification de ses organisations les plus diverses appelées à constituer les leviers de l’État soviétique et à le rattacher aux grandes masses de toutes les couches de classe ouvrière par le rôle dirigeant du PC dans le système de la dictature prolétarienne.

    Le Parti du prolétariat s’appuie directement sur les Syndicats et sur les autres organisations englobant les masses ouvrières et, par leur intermédiaire, les paysans (Soviets, coopératives, Jeunesses communistes, etc.). Par ces leviers, il dirige l’ensemble du système.

    Le prolétariat ne pourra remplir son rôle d’organisateur de la société nouvelle que grâce à l’appui dévoué et absolu prêté au pouvoir des Soviets par toutes les organisations de masses animées d’une volonté de classe entièrement unanime dirigée par le Parti.

    7. La dictature du prolétariat et la révolution culturelle Ce rôle d’organisateur de la société nouvelle suppose, dans le domaine de la culture générale, la maturation culturelle du prolétariat lui-même, une refonte de sa propre nature par ses propres efforts, la formation incessante, dans ses rangs, de nouveaux cadres de militants susceptibles d’acquérir toutes les ressources de la science, de la technique et de l’administration et de les mettre en œuvre pour l’édification du socialisme et de la nouvelle culture socialiste.

    Si la révolution bourgeoise, accomplie contre le féodalisme, supposait l’existence au sein même de l’ancien régime, d’une classe nouvelle supérieure, par sa maturité culturelle, à la classe dominante et exerçant déjà l’hégémonie dans la vie économique, la révolution prolétarienne se développe dans d’autres conditions.

    Exploitée dans l’ordre économique, opprimée dans l’ordre politique, accablée dans le domaine de la culture en régime capitaliste, la classe ouvrière ne se transforme elle-même que dans la période de transition, après avoir conquis le pouvoir, en détruisant le monopole bourgeois de l’instruction, en s’assimilant la science, en profitant des leçons de l’œuvre édificatrice la plus vaste.

    La formation d’une conscience communiste de masse et la réalisation du socialisme exigent une transformation des masses humaines qui n’est possible que par l’action pratique, par la révolution ; la révolution est donc nécessaire, non seulement parce que la classe dominante ne peut être renversée par aucun autre moyen, mais encore parce que la classe qui la renverse ne peut sortir des ornières boueuses de la vieille société et devenir capable de créer la société nouvelle que par la révolution.

    La classe ouvrière, abolissant le monopole capitaliste des moyens de production, doit également abolir le monopole bourgeois de l’instruction, s’emparer en d’autres termes de toutes les écoles, y compris les écoles supérieures.

    La préparation, au sein de la classe ouvrière, de spécialistes de la production (ingénieurs, techniciens, organisateurs, etc.), de spécialistes militaires, de savants, d’artistes, etc., est pour la cause du prolétariat une tâche d’une importance particulière à laquelle il faut ajouter le développement général de la culture des masses prolétariennes, leur instruction politique, l’augmentation de leurs connaissances et de leur qualification technique, la création chez elles d’habitudes de travail social et administratif, la lutte contre les vestiges des préjugés bourgeois et petit-bourgeois, etc.

    Ce n’est que dans la mesure où le prolétariat formera ses propres forces d’avant-garde pour les placer à tous les  «postes de commande » de la culture et de l’édification socialiste, ce n’est que dans la mesure où ses forces grandiront entraînant sans cesse de nouveaux éléments de la classe ouvrière dans le procès de transformation révolutionnaire de la culture et supprimeront ainsi peu à peu au sein de la classe ouvrière même la division en éléments  «avancés » et  «arriérés », que le succès de l’édification victorieuse du socialisme sera assuré et garanti contre la gangrène bureaucratique et la dégénérescence de la classe ouvrière.

    Mais le prolétariat transforme aussi au cours de la révolution les autres classes, les nombreux éléments de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, en premier lieu et plus particulièrement les paysans travailleurs.

    Faisant concourir les grandes masses à la révolution culturelle, les entraînant dans l’édification socialiste, les unissant et les éduquant dans l’esprit communiste par tous les moyens qui sont à sa disposition, luttant avec énergie contre toutes les idéologies anti- prolétariennes et corporatives, combattant opiniâtrement et systématiquement l’obscurantisme des campagnes, la classe ouvrière prépare (sur la base du développement des formes collectives de l’économie) l’élimination de la division de la société en classes.

    Parmi les objectifs de la révolution culturelle intéressant les plus grandes masses, la lutte contre la religion, cet opium des peuples, tient une place spéciale ; cette lutte doit être poursuivie inflexiblement et systématiquement.

    Le pouvoir prolétaire doit supprimer tout appui de l’État à l’Église, agent des classes dominantes, mettre un terme à toute intervention de l’Église dans l’éducation et l’enseignement organisés par l’État et réprimer sans merci l’activité contre-révolutionnaire des organisations ecclésiastiques.

    Le pouvoir prolétarien, admettant la liberté religieuse et abolissant les privilèges de la religion naguère dominante, entretient en même temps, par tous les moyens à sa portée, une active propagande antireligieuse et reconstruit tout l’enseignement et toute l’éducation sur la base de la conception scientifique matérialiste du monde.

    8. La lutte pour la dictature mondiale du prolétariat et les principaux types de révolutions

    La révolution prolétarienne internationale résulte de procès divers et non simultanés : révolutions prolétariennes proprement dites ; révolutions du type démocratique-bourgeois se transformant en révolutions prolétariennes ; guerres d’émancipation nationale, révolutions coloniales.

    Ce n’est qu’en fin de compte que le procès révolutionnaire aboutit à la dictature mondiale du prolétariat.

    L’inégalité du développement capitaliste, accentuée dans la période impérialiste, cause la diversité des types de capitalisme de maturité inégale dans les divers pays et les conditions variées et spécifiques du procès révolutionnaire. Ces circonstances rendent historiquement inévitable la diversité des voies et de l’allure de la conquête du pouvoir par le prolétariat ; elles rendent nécessaires dans divers pays certaines étapes transitoires vers la dictature du prolétariat et la diversité des formes du socialisme en voie de construction.

    La diversité des conditions et des voies qui conduisent à la dictature du prolétariat dans les différents pays peut être schématiquement réduite à trois types principaux.

    Pays du capitalisme hautement développé (États-Unis, Allemagne, Angleterre, etc.) possédant de puissantes forces productives, une production fortement centralisée où la petite économie n’a qu’une importance relativement faible, jouissant d’un régime politique de démocratie bourgeoise formé depuis longtemps.

    Dans ces pays, le passage direct à la dictature du prolétariat est la principale revendication politique du programme. Dans le domaine économique, les points essentiels sont : l’expropriation de toute la grande production, l’organisation d’un grand nombre d’entreprises agricoles soviétiques d’État, et, inversement, la remise d’une partie relativement faible des terres aux paysans ; l’étendue relativement restreinte des rapports économiques spontanés du marché ; l’allure rapide de l’évolution socialiste en général et de la collectivisation de l’économie paysanne en particulier.

    Pays d’un développement capitaliste moyen (Espagne, Portugal, Pologne, Hongrie, Balkans, etc.) qui conservent des vestiges assez importants du régime semi-féodal dans l’agriculture, possèdent cependant un certain minimum de conditions matérielles indispensables à l’édification socialiste mais n’ont pas encore achevé leur transformation démocratique-bourgeoise.

    Dans certains de ces pays, une transformation plus ou moins rapide de la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste est possible ; dans d’autres, sont possibles divers types de révolutions prolétariennes ayant, cependant, à accomplir des tâches de caractère bourgeois- démocratique d’une grande ampleur.

    Ici, la dictature du prolétariat peut donc ne pas s’établir d’emblée ; elle s’institue au cours de la transformation de la dictature démocratique du prolétariat et des paysans en dictature socialiste du prolétariat ; quand la révolution revêt immédiatement un caractère prolétarien, elle suppose la direction, par le prolétariat, d’un large mouvement paysan-agraire ; la révolution agraire y joue, en général, un très grand rôle, parfois décisif ; au cours de l’expropriation de la grande propriété foncière, une grande partie des terres confisquées est mise à la disposition des paysans ; les rapports économiques du marché conservent une grande importance au lendemain de la victoire du prolétariat ; amener les paysans à la coopération puis les grouper dans des associations de production est une des tâches les plus importantes de l’édification socialiste.

    L’allure de cette édification est relativement lente.

    Pays coloniaux et semi-coloniaux (Chine, Indes, etc.) et pays dépendants (Argentine, Brésil et autres) possédant un embryon d’industrie, parfois même une industrie développée, insuffisante toutefois dans la majorité des cas pour l’édification indépendante du socialisme ; pays où prédominent les rapports sociaux du moyen-âge féodal ou le  «mode asiatique de production » tant dans la vie économique que dans sa superstructure politique ; pays enfin, où les principales entreprises industrielles, commerciales, bancaires, les principaux moyens de transports, les plus grands domaines, les plus grandes plantations, etc., sont aux mains de groupes impérialistes étrangers.

    La lutte contre le féodalisme et contre les formes précapitalistes de l’exploitation et la révolution agraire poursuivie avec esprit de suite, d’une part ; la lutte contre l’impérialisme étranger, pour l’indépendance nationale, d’autre part, ont ici une importance primordiale. Le passage à la dictature du prolétariat n’est possible dans ces pays, en règle générale, que par une série d’étapes préparatoires, par toute une période de transformations de la révolution bourgeoise démocratique en révolution socialiste ; le succès de l’édification socialiste y est, dans la plupart des cas, conditionné par l’appui direct des pays de dictature prolétarienne.

    Dans les pays encore plus arriérés (dans certaine partie de l’Afrique, par exemple), où il n’y a pas ou presque pas d’ouvriers salariés, où la majorité des populations vit en tribus, où subsistent encore les formes primitives de l’organisation sociale, où la bourgeoisie nationale fait presque défaut, où l’impérialisme étranger joue, avant tout, le rôle d’un occupant militaire qui s’empare des terres, la lutte pour l’émancipation nationale est au premier plan. Le soulèvement national et sa victoire peuvent ouvrir ici la voie à une évolution vers le socialisme sans passer par le stade du capitalisme, si une aide effective et puissante leur est apportée par les pays de dictature prolétarienne.

    Ainsi, à l’époque où la conquête du pouvoir par le prolétariat est à l’ordre du jour dans les pays capitalistes avancés, où la dictature du prolétariat existe déjà dans l’URSS et constitue un facteur d’importance mondiale, les mouvements de libération des pays coloniaux et semi-coloniaux, suscités par la pénétration du capitalisme mondial, peuvent aboutir, malgré l’insuffisante maturité des rapports sociaux de ces pays considérés isolément, à leur développement socialiste grâce à l’aide et à l’appui de la dictature du prolétariat et du mouvement prolétarien international en général.

    9. La lutte pour la dictature mondiale du prolétariat et la révolution coloniale

    Les conditions particulières de la lutte révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, l’inéluctabilité d’une longue période de luttes pour la dictature démocratique du prolétariat et des paysans et pour sa transformation en dictature prolétarienne, enfin, l’importance décisive des facteurs nationaux, imposent aux PC de ces pays diverses tâches particulières dont l’accomplissement doit préparer les voies à la dictature du prolétariat.

    L’IC estime que les principales sont les suivantes :

    1. Renversement de la domination de l’impérialisme étranger, des féodaux et de la bureaucratie agrarienne.

    2. Établissement d’une dictature démocratique du prolétariat et des paysans sur la base des Soviets.

    3. Complète indépendance nationale et formation de l’État national.

    4. Annulation des dettes de l’État.

    5. Nationalisation des grandes entreprises (industries, transports, banques, etc.) appartenant aux impérialistes.

    6. Confiscation des domaines appartenant aux grands propriétaires fonciers, aux églises et aux monastères. Nationalisation du sol.

    7. Journée de 8 heures.

    8. Organisation d’une armée révolutionnaire ouvrière et paysanne.

    Au cours de l’extension et de l’intensification de la lutte (sabotage de la part de la bourgeoisie, confiscation des entreprises appartenant aux éléments bourgeois qui sabotent, entraînant inévitablement la nationalisation de la grande industrie) dans les colonies et semi- colonies où le prolétariat joue un rôle dirigeant et prédominant, la révolution démocratique-bourgeoise se transformera en révolution prolétarienne.

    Dans les pays où le prolétariat fait défaut, le renversement du pouvoir des impérialistes doit signifier l’organisation du pouvoir des Soviets populaires (de paysans) et la confiscation au profit de l’État des entreprises et des terres appartenant aux étrangers.

    Au point de vue de la lutte contre l’impérialisme et de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, les révolutions coloniales et les mouvements de libération nationale jouent un rôle immense.

    L’importance des colonies et des semi-colonies dans la période de transition résulte également du fait qu’elles sont en quelque sorte la campagne mondiale, en présence des pays industriels qui jouent le rôle de la cité mondiale ; l’organisation de l’économie socialiste mondiale et la coordination rationnelle de l’industrie et l’agriculture dépendent dans une large mesure de l’attitude envers les anciennes colonies de l’impérialisme.

    La réalisation d’une alliance fraternelle et combative avec les masses laborieuses des colonies est donc un des objectifs principaux du prolétariat industriel du monde qui exerce l’hégémonie de la direction dans la lutte contre l’impérialisme.

    La marche de la révolution mondiale qui entraîne les ouvriers des métropoles dans la lutte pour la dictature du prolétariat, dresse également des centaines de millions d’ouvriers et de paysans coloniaux contre l’impérialisme étranger.

    Étant donné l’existence de foyers du socialisme organisés en Républiques soviétiques et la croissance de leur puissance économique, les colonies détachées de l’impérialisme se rapprochent dans le domaine économique des centres industriels du socialisme mondial auxquels elles s’unissent ; peu à peu elles sont entraînées dans l’édification socialiste, évitent la phase du développement capitaliste comme système dominant et acquièrent la possibilité d’un progrès économique et culturel rapide.

    En se groupant politiquement autour des centres de la dictature du prolétariat, les Soviets ouvriers et paysans des anciennes colonies plus développées s’intègrent au système grandissant de la Fédération des Républiques Soviétiques, et, par là même, au système mondial de la dictature du prolétariat.

    Le socialisme, nouveau mode de production, atteint ainsi dans son essor une envergure mondiale.

    5. — La dictature du prolétariat dans l’URSS et la révolution sociale mondiale

    1. L’édification du socialisme dans l’URSS et la lutte de classes

    La scission de l’économie mondiale en pays du capitalisme et pays du socialisme en voie d’édification est la manifestation essentielle de la profonde crise du système capitaliste.

    L’affermissement intérieur de la dictature prolétarienne dans l’URSS, les succès de l’édification socialiste, l’influence et l’autorité croissantes de l’URSS parmi les masses prolétariennes et les peuples opprimés des colonies attestent par conséquent la continuation, le renforcement et le développement de la révolution socialiste mondiale.

    Disposant dans le pays même des prémices matérielles nécessaires et suffisantes, non seulement au renversement des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie, mais aussi à l’édification du socialisme intégral, les ouvriers des Républiques soviétiques, aidés du prolétariat international, ont héroïquement repoussé les agressions des forces armées de la contre-révolution intérieure et étrangère, affermi leur alliance avec les grandes masses paysannes et obtenu des succès considérables dans le domaine de l’édification socialiste.

    La liaison de l’industrie socialiste prolétarienne avec la petite économie rurale, liaison qui assure à la fois la croissance des forces productives de l’agriculture et le rôle dirigeant de l’industrie socialiste ; la soudure de cette industrie avec l’agriculture, au lieu de la production capitaliste pour la consommation improductive des classes parasitaires ; la production, non en vue du profit capitaliste, mais en vue de la satisfaction des besoins rapidement croissants des masses qui constituent en fin de compte un stimulant puissant à la production ; enfin l’extrême concentration des principaux leviers de commande économiques aux mains de l’État prolétarien, l’importance croissante de la direction selon un plan d’ensemble, l’économie qui en résulte ainsi que la répartition la plus rationnelle des moyens de production, sont autant de facteurs qui donnent au prolétariat la possibilité d’aller rapidement de l’avant dans la voie de l’édification socialiste.

    Élevant les forces productives de toute l’économie du pays, poursuivant inflexiblement une politique d’industrialisation de l’URSS, industrialisation dont l’allure accélérée est dictée par toute la situation internationale et intérieure, le prolétariat de l’URSS, malgré les tentatives réitérées de boycottage financier et économique dont il est l’objet de la part des puissances capitalistes, augmente systématiquement l’importance du secteur socialisé (socialiste) de l’économie nationale, tant dans le domaine des moyens de production que dans ceux de la production globale et de la circulation des marchandises.

    L’industrie, les transports et le système bancaire de l’État socialiste entraînent ainsi sans cesse davantage à leur suite la petite économie rurale sur laquelle ils agissent au moyen des leviers du commerce d’État et de la coopération rapidement croissante, dans les conditions déterminées par la nationalisation du sol et l’essor de l’industrialisation.

    Dans l’agriculture plus spécialement, l’essor des forces productives a lieu dans des conditions limitant la différenciation sociale des paysans (nationalisation du sol et, par conséquent, interdiction d’acheter et de vendre des terres, impôts fortement progressifs, crédit à la coopération des paysans pauvres et moyens et à leurs associations de production, législation réglant l’emploi de la main- d’œuvre salariée, suppression de certains droits politiques et sociaux aux paysans riches — koulaks —, organisation de paysans pauvres, etc.).

    Mais les forces productives de l’industrie socialiste n’étant pas encore assez développées pour doter en grand l’agriculture d’une nouvelle technique et réunir rapidement dès à présent les exploitations paysannes en de grands domaines agricoles collectifs, les koulaks croissent dans une certaine mesure en nombre et établissent une liaison d’abord économique, puis politique, avec les éléments  «de la nouvelle bourgeoisie ».

    Maître des positions stratégiques dominantes de la vie économique ; évinçant systématiquement dans les villes les vestiges du capital privé, dont l’importance a été sensiblement réduite au cours de la dernière période de la  «nouvelle politique économique » ; limitant par tous les moyens l’action des exploiteurs de la population rurale, qui naissent du développement des rapports marchands et monétaires ; soutenant les domaines de l’État et encourageant leur création ; entraînant la masse essentielle des paysans simples producteurs de marchandises dans le système général de l’organisation économique soviétique et, par conséquent, dans l’œuvre d’édification socialiste au moyen de la coopération dont les progrès rapides, en régime de dictature prolétarienne et sous la direction économique de l’industrie socialiste, s’identifient avec l’essor du socialisme ; passant de la période de reconstruction à celle de la reproduction élargie de toute la base technique de la production du pays, le prolétariat de l’URSS se donne pour tâche — et en aborde d’ores et déjà la réalisation — une vaste édification fondamentale (production de moyens de production en général, industrie lourde et électrification en particulier) et, parallèlement au développement de la coopération de vente, d’achat et de crédit, l’organisation de plus en plus large des paysans en coopératives de production conçues sur une base collectiviste et nécessitant un puissant appui matériel de la part de l’État prolétarien.

    Le socialisme qui est déjà le facteur économique décisif du développement de l’économie de l’URSS, fait ainsi de grands progrès et surmonte d’un effort systématique les difficultés suscitées par le caractère petit-bourgeois du pays et liées à une aggravation momentanée des antagonismes de classes.

    La nécessité de renouveler l’outillage industriel et de créer de vastes entreprises nouvelles ne peut manquer de faire naître dans le développement du socialisme de sérieuses difficultés qui s’expliquent en fin de compte par l’état arriéré de la technique et de l’économie du pays et par les dévastations des années de guerre impérialiste et de guerre civile.

    La condition de la classe ouvrière et des grandes masses laborieuses ne cesse cependant de s’améliorer. Parallèlement à la rationalisation socialiste et à l’organisation scientifique de l’industrie, la journée de 7 heures est graduellement introduite. De nouvelles perspectives pour l’amélioration des conditions de travail et d’existence de la classe ouvrière sont ainsi créées.

    La classe ouvrière unie sous la direction d’un PC trempé dans les luttes révolutionnaires, appuyée dans les campagnes sur les paysans pauvres, solidement alliée aux masses de paysans moyens et combattant inlassablement les koulaks, entraîne des masses sans cesse élargies de dizaines de millions de travailleurs dans l’œuvre d’édification du socialisme sur la base de la croissance économique de l’URSS et de l’importance grandissante du secteur socialiste de son économie.

    Ses principaux moyens pour atteindre ce but sont : le développement de grandes organisations de masses (le Parti, comme force dirigeante, les Syndicats, assise du régime de la dictature du prolétariat, les Jeunesses communistes, la coopération sous toutes ses formes, les organisations des ouvrières et des paysannes, les associations diverses, les organisations de correspondants ouvriers et paysans de la presse, les organisations sportives, scientifiques, éducatives et culturelles), l’encouragement prodigué à l’initiative des masses, la désignation d’ouvriers et à des postes responsables dans tous les organes économiques et administratifs.

    La participation incessante et croissante des masses à l’édification du socialisme, le renouvellement constant de l’appareil de l’État, des organes économiques, des Syndicats et du Parti par de nouveaux militants prolétariens, l’enseignement supérieur donné à des ouvriers et, plus particulièrement, à de jeunes ouvriers, afin de former de nouveaux cadres de techniciens socialistes dans toutes les branches de l’édification, telles sont les principales garanties contre la bureaucratisation et contre la dégénérescence sociale des cadres prolétariens dirigeants.

    2. L’importance de l’URSS. Ses obligations révolutionnaires internationales.

    L’impérialisme russe terrassé, les anciennes colonies et les nationalités opprimées de l’Empire des tsars émancipées, la dictature du prolétariat assure une base solide au développement culturel et politique des nationalités, au prix d’un effort persévérant, par l’industrialisation de leurs territoires. Consacrant dans la Constitution de l’Union le droit des régions et des Républiques fédérées, réalisant intégralement le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, la dictature du prolétariat assure l’égalité non seulement formelle mais aussi effective des diverses nationalités de l’union.

    Pays de la dictature du prolétariat et de l’édification du socialisme, pays des immenses conquêtes de la classe ouvrière, de l’union des ouvriers et des paysans et d’une nouvelle culture en marche sous le drapeau du marxisme, l’URSS devient nécessairement la base du mouvement universel des classes opprimées, le foyer de la révolution internationale, le facteur le plus grand de l’histoire du monde.

    Le prolétariat de tous les pays trouve pour la première fois dans l’URSS une véritable patrie, et les mouvements coloniaux un puissant centre d’attraction.

    L’URSS est ainsi, au milieu de la crise générale du capitalisme, un facteur des plus importants, non seulement parce que, détachée du système capitaliste mondial, elle a posé les fondements d’un nouveau système économique socialiste, mais encore parce qu’elle joue un rôle révolutionnaire d’une importance exceptionnelle, énorme : moteur international de la révolution prolétarienne, incitant les prolétaires de tous les pays à la conquête du pouvoir, exemple vivant démontrant que la classe ouvrière, capable de détruire le capitalisme, sait aussi édifier le socialisme, prototype des relations fraternelles de toutes les nationalités au sein de l’Union des Républiques socialistes soviétiques de l’univers et de la réunion des travailleurs de tous les pays dans le système économique mondial unique du socialisme que le prolétariat international établira après la conquête du pouvoir.

    L’existence simultanée de deux systèmes économiques, le système socialiste de l’URSS et le système capitaliste des autres pays, impose à l’État prolétarien le devoir de repousser les attaques du monde capitaliste (boycottage, blocus, etc.), de manœuvrer dans le domaine économique et de mettre à profit les relations économiques avec les pays capitalistes (par le monopole du commerce extérieur constituant une des conditions essentielles d’une édification socialiste efficace, par les crédits, emprunts, concessions, etc.).

    Il s’agit d’abord et principalement de nouer des relations aussi larges que possible avec l’étranger, dans les limites où elles sont profitables à l’URSS pour consolider son industrie, jeter les bases d’une industrie lourde et de l’électrification et enfin de créer une industrie socialiste de construction mécanique.

    Ce n’est que dans la mesure où cette indépendance économique lui est assurée malgré l’encerclement capitaliste, que l’URSS se sent sérieusement prémunie contre la destruction éventuelle de l’œuvre d’édification socialiste et contre son inféodation au système capitaliste mondial.

    Les États capitalistes, quels que soient leurs intérêts en U.R.S.S, hésitent, constamment sollicités en sens contraire par leur intérêts commerciaux et par la crainte du développement de l’URSS qui est aussi celui de la révolution mondiale.

    La tendance à l’encerclement de l’URSS et à la guerre contre-révolutionnaire en vue de restaurer un régime universel de terrorisme bourgeois, est la tendance essentielle et fondamentale de la politique des puissances capitalistes.

    Les tentatives systématiques d’encerclement politique de l’URSS et le danger grandissant d’une agression n’empêcheront pas le PC de l’URSS, Section de l’IC, dirigeant la dictature du prolétariat en U.R.S.S, de remplir ses devoirs internationaux et de soutenir tous les opprimés : le mouvement ouvrier des pays capitalistes, le mouvement des peuples coloniaux contre l’impérialisme, la lutte contre toutes les formes d’oppression nationale.

    3. Les obligations du prolétariat international à l’égard de l’URSS Le prolétariat international, dont l’URSS est la seule patrie, le rempart de ses conquêtes, le facteur essentiel de son affranchissement international, a pour devoir de contribuer au succès de l’édification du socialisme dans l’URSS et de la défendre par tous les moyens contre les attaques des puissances capitalistes.

    «La situation politique mondiale met maintenant à l’ordre du jour la dictature du prolétariat ; tous les événements de la politique mondiale se concentrent fatalement autour de ce seul point central ; la lutte de la bourgeoisie mondiale contre la République des Soviets en Russie, appelée à grouper inévitablement autour d’elle, d’une part, les mouvements soviétiques des ouvriers avancés de tous les pays et, de l’autre, tous les mouvements d’affranchissement national des colonies et des nationalités opprimées». (Lénine)

    Le devoir du prolétariat international est de répondre à l’agression et à la guerre des États impérialistes contre l’URSS par les actions de masses les plus audacieuses et les plus résolues et par la lutte pour le renversement des gouvernements impérialistes sous les mots d’ordre de la dictature du prolétariat et de l’alliance avec l’URSS.

    Il sera nécessaire dans les colonies et plus particulièrement dans celles du pays impérialiste assaillant l’URSS de mettre à profit ce déplacement des forces armées de l’impérialisme pour développer au plus haut degré la lutte anti-impérialiste et pour secouer par l’action révolutionnaire le joug de l’impérialisme et conquérir l’indépendance complète.

    Le développement du socialisme dans l’URSS et la croissance de son influence internationale, s’ils mobilisent contre elle la haine des puissances capitalistes et de leur agence social-démocrate, suscitent d’autre part les plus vives sympathies des grandes masses des travailleurs du monde entier et font naître dans les classes opprimées de tous les pays la ferme volonté de se battre par tous les moyens, en cas d’agression impérialiste, pour le pays de la dictature du prolétariat.

    Ainsi, le développement des contradictions de l’économie mondiale, le développement de la crise générale du capitalisme et l’agression impérialiste contre l’URSS aboutiront infailliblement à une formidable explosion révolutionnaire qui ensevelira le capitalisme dans les pays  «civilisés », déchaînera la révolution victorieuse dans les colonies, élargira immensément la base de la dictature du prolétariat et constituera dès lors un grand pas vers la victoire définitive du socialisme dans le monde.

    6. — La stratégie et la tactique de l’IC dans la lutte pour la dictature du prolétariat

    1. Les idéologies hostiles au communisme au sein de la classe ouvrière

    Le communisme révolutionnaire se heurte, dans sa lutte contre le capitalisme pour la dictature du prolétariat, à de nombreuses tendances au sein de la classe ouvrière, exprimant à un degré plus ou moins grand la subordination idéologique de celle-ci à la bourgeoisie impérialiste ou la pression idéologique sur le prolétariat, de la petite et moyenne bourgeoisie qui s’insurge de temps à autre contre le dur régime du capital financier, mais est incapable de suivre une stratégie et une tactique fermes, fondées sur une pensée scientifique et de mener la lutte avec l’organisation et la stricte discipline qui sont propres au prolétariat.

    La formidable puissance sociale de l’État impérialiste et de toutes ses institutions auxiliaires — école, presse, théâtre, Église —, se traduit avant tout dans la classe ouvrière par l’existence de tendances confessionnelles et réformistes, obstacle principal à la révolution socialiste du prolétariat.

    Les tendances confessionnelles, teintées de religion, de la classe ouvrière trouvent leur expression dans les Syndicats confessionnels souvent liés aux organisations politiques correspondantes de la bourgeoisie et rattachés à telle ou telle organisation cléricale de la classe dominante (Syndicats catholiques, Jeunesses chrétiennes, organisations sionistes et autres).

    Toutes ces tendances qui manifestent avec éclat la captivité idéologique de certains milieux prolétariens, ont le plus souvent un aspect romantique féodal. Consacrant au nom de la religion toutes les infamies du régime capitaliste et terrorisant leurs fidèles par la menace des châtiments d’outre-tombe, les dirigeants de ces organisations forment au sein du prolétariat la cohorte des agents les plus réactionnaires de la classe ennemie.

    Le réformisme  «socialiste » contemporain constitue l’aspect commercial cynique, laïque et impérialiste de la soumission idéologique du prolétariat à l’influence de la bourgeoisie.

    Prenant ses commandements des tables de la loi impérialiste, le réformisme  «socialiste » a, de nos jours, son modèle accompli, consciencieusement antisocialiste et franchement contre-révolutionnaire, dans la Fédération américaine du travail.

    La dictature  «idéologique » de la bureaucratie syndicale américaine parfaitement domestiquée, exprimant elle-même la dictature  «idéologique » du dollar, est devenue, par l’intermédiaire du réformisme anglais et des socialistes monarchiques du Labour Party, partie intégrante essentielle de la théorie et de la pratique de la social-démocratie internationale et des leaders de l’Internationale d’Amsterdam.

    Les chefs de la social-démocratie allemande et autrichienne se bornent à revêtir les mêmes théories d’une phraséologie marxiste servant à dissimuler leur trahison complète du marxisme.

    Le réformisme  «socialiste », ennemi principal du communisme révolutionnaire dans le mouvement ouvrier, possède une large base d’organisation dans les Partis social-démocrates et, par leur intermédiaire, dans les Syndicats réformistes, il se manifeste dans toute sa politique et toute sa théorie comme une force dirigée contre la révolution prolétarienne.

    En politique extérieure, les Partis social-démocrates ont participé à la guerre impérialiste sous le drapeau de la  «défense nationale ».

    L’expansion de l’État impérialiste et la  «politique coloniale » ont leur appui de tous les instants ; l’orientation vers la  «sainte alliance » contre-révolutionnaire des puissances impérialistes (Société des nations), la prédication du  «super-impérialisme », la mobilisation des masses sous des mots d’ordre pseudo-pacifistes, l’appui actif aux menées et préparatifs de guerre de l’impérialisme contre l’URSS, tels sont les traits caractéristiques de la politique extérieure du réformisme.

    En politique intérieure, la social-démocratie se donne pour tâche de soutenir le régime capitaliste et de collaborer avec lui.

    Appui sans réserves à la rationalisation et à la stabilité du capitalisme, paix des classes,  «paix industrielle », politique d’intégration des organisations ouvrières aux organisations patronales et à l’État impérialiste spoliateur, application de la  «démocratie économique » qui n’est en réalité que la subordination complète au capital trusté, culte de l’État impérialiste et particulièrement de ses enseignes pseudo-démocratiques, participation à la formation des organes de cet État (police, armée, gendarmerie, justice de classe), défense de cet État contre toute attaque du prolétariat communiste révolutionnaire, rôle de bourreau de la social-démocratie dans les crises révolutionnaires, telle est la politique intérieure du réformisme. Simulant la lutte syndicale, le réformisme se donne pour tâche, dans ce domaine également, d’éviter tout ébranlement à la classe capitaliste et d’assurer en tout cas l’inviolabilité complète de la propriété capitaliste.

    Dans le domaine de la théorie, la social-démocratie, passant du révisionnisme à un réformisme libéral-bourgeois achevé et au social- impérialisme avéré, a complètement renié le marxisme : à la doctrine marxiste de contradictions du capitalisme, elle a substitué la doctrine bourgeoise du développement harmonieux du régime ; elle a relégué aux archives la doctrine des crises et de la paupérisation du prolétariat ; elle a transformé la théorie ardente et menaçante de la lutte de classes en prédication banale de la paix des classes ; elle a transformé la doctrine de l’aggravation des antagonismes de classes en la fable petite-bourgeoise de la  «démocratisation » du Capital ; à la théorie de l’inévitabilité des guerres en régime capitaliste ; elle a substitué la duperie bourgeoise du pacifisme et la prédication mensongère du super impérialisme ; elle a échangé la théorie de la chute révolutionnaire du capitalisme contre la fausse monnaie du capitalisme  «sain » se transformant paisiblement en socialisme, à la révolution elle substitue l’évolution ; à la destruction de l’État bourgeois ; la participation active à son édification ; à la doctrine de la dictature du prolétariat ; la théorie de la coalition avec la bourgeoisie ; à la doctrine de la solidarité prolétarienne internationale ; celle de la défense nationale impérialiste, au matérialisme dialectique de Marx, une philosophie idéaliste en coquetterie avec les déchets religieux de la bourgeoisie.

    On distingue au sein de ce réformisme social-démocrate plusieurs courants qui font particulièrement ressortir la dégénérescence bourgeoise de la sociale démocratie.

    Le  «socialisme constructif » (Mac Donald et C ie ), portant jusque dans son appellation l’idée de lutte contre la révolution prolétarienne et l’approbation du régime capitaliste, continue les traditions bourgeoises, libérales, philanthropiques et anti-révolutionnaires du Fabianisme (les Webb, Bernard Shaw, lord Ollivier et autres).

    Répudiant en principe la dictature du prolétariat et le recours à la violence contre la bourgeoisie, le  «socialisme constructif » concourt aux violences exercées contre le prolétariat et contre les peuples coloniaux.

    Apologiste de l’État capitaliste, préconisant le capitalisme d’État sous le masque du socialisme, proclamant — en même temps que les plus vulgaires idéologues de l’impérialisme des deux hémisphères —  «préscientifique » la théorie de la lutte des classes, le  «socialisme constructif » préconise en paroles un programme modéré de nationalisation avec indemnité, d’impôts sur la rente foncière, d’impôts sur les successions et les surprofits comme le moyen de détruire le capitalisme.

    Adversaire décidé de la dictature du prolétariat dans l’URSS, le  «socialisme constructif », étroitement allié à la bourgeoisie, est l’ennemi actif du mouvement communiste du prolétariat et des révolutions coloniales.

    Le coopératisme ou socialisme coopérateur (Charles Gide, Totomiantz et C ie ) repousse avec autant d’énergie la lutte de classes et préconise la coopération de consommation comme le moyen de vaincre pacifiquement le capitalisme, tout en contribuant en réalité par tous les moyens à son affermissement. Il est une variété du  «socialisme constructif ».

    Le  «coopératisme » qui dispose du vaste appareil de propagande des organisations de masses de la coopération de consommation exerce dans la vie quotidienne une influence systématique sur les grandes masses, combat avec acharnement le mouvement ouvrier révolutionnaire et entrave la réalisation de ses buts ; il représente actuellement un des facteurs les plus actifs de la contre-révolution réformiste.

    Le  «Guild Socialism » (Penty, Orage, Hobson, etc.) s’efforce avec éclectisme de réunir le syndicalisme  «révolutionnaire » et le Fabianisme libéral bourgeois, la décentralisation anarchiste (guildes industrielles nationales) et la centralisation du capitalisme d’État, le corporatisme artisanal, borné, médiéval et le capitalisme moderne.

    Procédant de la revendication verbale de  «l’abolition du salariat » considéré comme  «immoral » et qui devrait être remplacé par le contrôle ouvrier de l’industrie, le  «Guild Socialism » élude complètement la question essentielle : celle du pouvoir.

    S’appliquant à réunir les ouvriers, les intellectuels et les techniciens dans une fédération nationale industrielle de  «guildes » et à transformer pacifiquement celles-ci en organes d’administration de l’industrie dans les cadres de l’État bourgeois ( »contrôle intérieur ») le  «Guild Socialism » défend en réalité cet État, dissimule son caractère de classe, impérialiste, anti-prolétarien, lui assigne un rôle  «au-dessus des classes » de représentant des intérêts communs des  «consommateurs » en contrepoids aux  «producteurs » organisés dans les guildes.

    Par sa propagande de  «démocratie fonctionnelle », c’est-à- dire d’une représentation des classes de la société capitaliste sous la forme des professions et de leurs fonctions sociales dans la production, le  «Guild Socialism » fraie la voie à  «l’État corporatif » du fascisme. Répudiant le parlementarisme et  «l’action directe », la plupart des adeptes de ce mouvement vouent la classe ouvrière à une inaction complète et à la soumission passive à la bourgeoisie.

    Ce socialisme est une variété utopiste et trade-unioniste de l’opportunisme et ne peut, par conséquent, manquer de jouer un rôle contre-révolutionnaire.

    L’austro-marxisme est une autre forme particulière du réformisme social-démocrate. Partie intégrante de la  «gauche » social-démocrate, il représente la façon la plus subtile de duper les masses ouvrières.

    Prostituant la terminologie marxiste et rompant à la fois avec les principes fondamentaux du marxisme révolutionnaire (des austro- marxistes se déclarent, en philosophie, adeptes de Kant, de Mach, etc.), flirtant avec la religion, empruntant aux réformistes anglais la théorie de la  «démocratie fonctionnelle », se plaçant sur le terrain de l’édification de la République, c’est-à-dire de la construction de l’État bourgeois, l’austro-marxisme recommande la coopération des classes dans les périodes dites  «d’équilibre des forces sociales », c’est-à-dire précisément lorsque mûrit la crise révolutionnaire.

    Cette théorie n’est rien d’autre que la justification de la coalition avec la bourgeoisie pour le renversement de la révolution prolétarienne sous le masque de la défense de la  «démocratie » contre les attaques de la réaction.

    La violence admise par l’austro-marxisme en cas d’attaques de la réaction se transforme objectivement dans la pratique en violence de la réaction contre la révolution prolétarienne.

    Le  «rôle fonctionnel » de l’austro-marxisme consiste à tromper les ouvriers qui vont au communisme ; aussi l’austro-marxisme est-il un ennemi particulièrement redoutable du prolétariat, plus redoutable même que les partisans déclarés du social-impérialisme de forbans.

    Si toutes les tendances, parties intégrantes du réformisme  «socialiste », constituent une sorte d’agence de la bourgeoisie impérialiste au sein de la classe ouvrière, le communisme se heurte, d’autre part, à divers courants petit-bourgeois reflétant et exprimant les fluctuations des couches sociales instables (petite bourgeoisie urbaine, moyenne bourgeoisie en voie de dissolution, prolétariat en guenilles (lumpenprolétariat), bohème intellectuelle déclassée, artisans tombés dans la misère, certains groupes de paysans et maints autres éléments).

    Ces courants, qui se distinguent par une extrême instabilité politique, dissimulent souvent sous une phraséologie de gauche une politique de droite ou tombent dans l’aventurisme, substituent à la connaissance objective des forces en présence une bruyante gesticulation politique, passent fréquemment de la  «surenchère » révolutionnaire la plus insolente au plus profond pessimisme et à de véritables capitulations devant l’ennemi.

    Ces courants peuvent, dans certaines conditions, surtout au moment de changements brusques dans la situation politique et dans la nécessité de reculs momentanés, jouer dans les rangs du prolétariat un rôle désorganisateur des plus dangereux et entraver ainsi le mouvement ouvrier révolutionnaire.

    L’anarchisme dont les représentants les plus en vue (Kropotkine, Jean Grave et autres) trahirent et passèrent, pendant la guerre de 1914 à 1918, à la bourgeoisie impérialiste, nie la nécessité de grandes organisations centralisées et disciplinées du prolétariat et laisse ainsi ce dernier impuissant en présence des organisations puissantes du Capital. Sa propagande du terrorisme individuel détourne le prolétariat des méthodes d’organisation et de lutte de masses.

    Répudiant la dictature du prolétariat au nom d’une  «liberté » abstraite, l’anarchisme prive le prolétariat de son arme la plus importante et la plus efficace contre la bourgeoisie, contre ses armées et ses organes de répression. Éloigné de tout mouvement de masses dans les centres les plus importants de la lutte prolétarienne, l’anarchisme se réduit de plus en plus à une secte qui, par toute sa tactique, par toutes ses manifestations et notamment par ses manifestations contre la dictature de la classe ouvrière dans l’URSS s’intègre objectivement au front des forces anti-révolutionnaires.

    Tout comme l’anarchisme, le syndicalisme  «révolutionnaire », dont de nombreux idéologues passèrent aux heures les plus critiques de la guerre à la contre-révolution  «antiparlementaire » du type fasciste ou devinrent de paisibles réformistes du type social-démocrate, par sa négation de la lutte politique… (et particulièrement du parlementarisme révolutionnaire) et de la dictature révolutionnaire du prolétariat, par sa propagande d’une décentralisation corporative du mouvement ouvrier en général et du mouvement syndical en particulier, par sa négation de la nécessité du parti du prolétariat, par sa négation de la nécessité de l’insurrection et enfin par sa surestimation de la grève générale ( »tactique des bras croisés »), entrave partout où il exerce quelque influence la radicalisation des masses ouvrières.

    Ses attaques contre l’URSS connexes à la négation de la dictature du prolétariat le mettent, sous ce rapport, sur le même plan que la social-démocratie.

    Toutes ces tendances, toutes ces nuances rejoignent la social- démocratie, ce principal ennemi de la révolution prolétarienne dans la question politique fondamentale de la dictature du prolétariat.

    C’est pourquoi elles font toutes, avec plus ou moins de décision, front unique avec la social-démocratie contre l’URSS La social-démocratie, ayant complètement renié le marxisme, s’appuie d’autre part, de plus en plus, sur l’idéologie des  «fabiens », du socialisme constructif et du  «Guild Socialism ».

    Ainsi se forme une idéologie libérale-réformiste officielle du  «socialisme » bourgeois de la 2e Internationale.

    Dans les pays coloniaux et parmi les peuples et les races opprimés, le communisme se heurte, au sein du mouvement ouvrier, à l’influence de tendances particulières qui jouèrent, à une époque déterminée, un certain rôle positif, mais qui deviennent, dans une nouvelle étape, des forces réactionnaires.

    Le sun-yat-sénisme fut, en Chine, l’idéologie d’un  «socialisme » petit-bourgeois et populaire. La notion du peuple voilait et dissimulait dans la doctrine des  «trois principes » (nationalisme, démocratisme, socialisme) la notion des classes sociales ; le socialisme n’était plus un mode spécifique de production, réalisé par une classe déterminée, le prolétariat, mais il devenait un état indéterminé d’aisance générale ; la lutte contre l’impérialisme ne se rattachait pas au développement de la lutte de classes dans le pays.

    C’est pourquoi le sun-yat-sénisme, qui a joué, dans la première phase de la révolution chinoise, un très grand rôle positif, est devenu, par suite de la différenciation sociale ultérieure et de la marche de la révolution chinoise, un obstacle à cette révolution.

    Les épigones du sun-yat-sénisme, en exagérant précisément les caractères de cette doctrine devenus objectivement réactionnaires, en ont fait l’idéologie officielle du Kuomintang devenu ouvertement contre-révolutionnaire.

    La formation idéologique des masses du prolétariat et des paysans travailleurs de Chine doit, par conséquent, s’accompagner d’une lutte énergique contre le leurre du Kuomintang et surmonter les vestiges du sun-yat-sénisme.

    Les tendances telles que le gandhisme hindou, profondément pénétrées d’idées religieuses, idéalisant les formes les plus réactionnaires et les plus arriérées de l’économie sociale, ne voyant d’issue que dans le retour à ces formes arriérées et non dans le socialisme prolétarien, prêchant la passivité et la négation de la lutte des classes, deviennent, au cours du développement de la révolution, des forces franchement réactionnaires.

    Le gandhisme est de plus en plus une idéologie opposée à la révolution des masses populaires. Le communisme doit le combattre avec énergie. Le garvéisme, qui fut l’idéologie des petits propriétaires et des ouvriers nègres d’Amérique et qui a gardé une certaine influence sur les masses nègres, est devenu de même un obstacle à l’entrée de ces masses dans la voie révolutionnaire.

    Après avoir revendiqué pour les nègres une complète égalité sociale, il s’est transformé en une sorte de  «sionisme » nègre qui, au lieu de préconiser la lutte contre l’impérialisme américain, lance le mot d’ordre  «du retour en Afrique ».

    Cette idéologie dangereuse, qui n’a rien d’authentiquement démocratique et se plaît à agiter les attributs aristocratiques d’un  «royaume nègre » inexistant, doit se heurter à une résistance énergique, car, loin de contribuer à la lutte émancipatrice des masses nègres contre l’impérialisme américain, elle lui fait obstacle.

    A toutes ces tendances s’oppose le communisme prolétarien.

    Grande idéologie de la classe ouvrière révolutionnaire internationale, il se distingue de toutes et en premier lieu de la social-démocratie par la lutte révolutionnaire, théorique et pratique qu’il mène en plein accord avec la doctrine de Marx et d’Engels pour la dictature prolétarienne en utilisant toutes les formes de l’action de masse du prolétariat.

    2. Les tâches essentielles de la stratégie et de la tactique communistes

    La lutte victorieuse de l’IC pour la dictature du prolétariat suppose dans tous les pays l’existence d’un PC trempé dans les combats, discipliné, centralisé, étroitement attaché aux masses.

    Le Parti est l’avant-garde de la classe ouvrière, avant-garde formée des membres les meilleurs, les plus conscients, les plus actifs et les plus courageux de cette classe. Il incarne l’expérience de toute la lutte prolétarienne.

    Étayé par la théorie révolutionnaire marxiste, représentant les intérêts généraux et permanents de l’ensemble de la classe, le Parti incarne l’unité des principes, de la volonté et de l’action révolutionnaires du prolétariat.

    Il constitue une organisation révolutionnaire cimentée par une discipline de fer et par l’ordre révolutionnaire le plus strict du centralisme démocratique ; ces résultats sont obtenus par la conscience de l’avant-garde prolétarienne, par son dévouement à la révolution, par son contact permanent avec les masses prolétariennes, par la justesse de sa direction politique que l’expérience des masses même éclaire et contrôle.

    Le PC doit, pour accomplir sa tâche historique, conquérir la dictature prolétarienne — poursuivre et atteindre d’abord les fins stratégiques suivantes :

    Gagner à son influence la majorité de sa propre classe, y compris les ouvrières et la jeunesse ouvrière. Il est, à cet effet, nécessaire d’assurer l’influence décisive du PC sur les vastes organisations de masses du prolétariat (Soviets, Syndicats, Comités d’entreprises, coopératives, organisations sportives, culturelles, etc.).

    Il importe surtout, pour gagner la majorité du prolétariat, de conquérir les Syndicats, véritables organisations de masses de la classe ouvrière, liées à sa lutte quotidienne. Le travail dans les Syndicats réactionnaires, qu’il faut savoir gagner habilement, l’acquisition de la confiance des larges masses de syndiqués, le remplacement des dirigeants réformistes de ces Syndicats, constituent l’une des tâches les plus importantes de la période préparatoire.

    La conquête de la dictature du prolétariat suppose également l’hégémonie du prolétariat sur de grandes couches des masses laborieuses.

    Le PC doit, dans ce but, gagner à son influence les masses de la population pauvre des villes et des campagnes, les couches inférieures des intellectuels, les «petites gens» en un mot, c’est-à-dire la population petite-bourgeoise en général. L’action tendant à assurer l’influence du Parti sur les paysans a une importance particulière.

    Le PC doit s’assurer l’appui complet des éléments les plus proches du prolétariat dans les campagnes : ouvriers agricoles et paysans pauvres. La nécessité s’impose donc d’organiser comme tels les ouvriers agricoles, de les appuyer par tous les moyens dans leur lutte contre la bourgeoisie rurale et de poursuivre une action énergique parmi les petits paysans et les paysans parcellaires.

    La politique du PC doit s’efforcer de neutraliser les paysans moyens (dans les pays capitalistes développés). L’accomplissement de ces diverses tâches par le prolétariat, devenu le représentant des intérêts du peuple entier et le guide des grandes masses populaires dans leur lutte contre l’oppression du capital financier, est la condition préalable nécessaire d’une révolution communiste victorieuse.

    La lutte révolutionnaire dans les colonies, les semi-colonies et les pays dépendants constitue, du point de vue de la lutte mondiale du prolétariat, une des plus importantes tâches stratégiques de l’IC Cette lutte suppose la conquête, sous les drapeaux de la révolution, des plus grandes masses de la classe ouvrière et des paysans des colonies, conquête impossible sans une étroite collaboration entre le prolétariat, des nations oppressives et les masses laborieuses des nations opprimées.

    Tout en organisant la révolution contre l’impérialisme, sous le drapeau de la dictature du prolétariat, dans les puissances dites «civilisées», l’IC soutient toute résistance à la violence impérialiste dans les colonies, dans les semi-colonies et dans les pays dépendants (exemple : l’Amérique latine); elle combat par la propagande toutes les variétés du chauvinisme, tous les procédés impérialistes employés à l’égard des races et des peuples subjugués, grands et petits (attitude à l’égard des nègres, «de la main-d’œuvre jaune», antisémitisme, etc.); elle soutient la lutte de ces races et de ces peuples contre la bourgeoisie des nations oppressives.

    L’IC combat surtout avec énergie le chauvinisme des grandes puissances, prêché tant par la bourgeoisie impérialiste que par son agence social-démocrate, la 2 e Internationale ; elle oppose sans cesse à la pratique de la bourgeoisie impérialiste celle de l’US qui a su établir des relations fraternelles entre des peuples égaux en droits.

    Les PC doivent, dans les pays de l’impérialisme, venir systématiquement en aide aux mouvements révolutionnaires émancipateurs des colonies et de façon générale aux mouvements des nationalités opprimées. Le devoir de prêter à ces mouvements le concours le plus actif incombe en premier lieu aux ouvriers du pays dont la nation opprimée dépend politiquement, économiquement ou financièrement.

    Les PC doivent reconnaître hautement le droit de séparation des colonies et préconiser cette séparation, c’est-à-dire l’indépendance des colonies envers l’État impérialiste. Ils doivent reconnaître le droit de défense armée des colonies contre l’impérialisme (droit à l’insurrection et à la guerre révolutionnaire), et préconiser et appuyer énergiquement cette lutte par tous les moyens. Les PC ont le même devoir à l’égard de toutes les nations opprimées.

    Dans les colonies et semi-colonies, les PC doivent combattre opiniâtrement l’impérialisme étranger, tout en préconisant obligatoirement le rapprochement et l’alliance avec le prolétariat des pays impérialistes ; lancer, répandre et appliquer ouvertement le mot d’ordre de la révolution agraire en soulevant les grandes masses de paysans pour le renversement du joug des propriétaires fonciers et en combattant l’influence réactionnaire et médiévale du clergé, des missions et d’autres éléments analogues.

    La tâche fondamentale est ici de former des organisations indépendantes d’ouvriers et de paysans (P.C. comme parti de classe du prolétariat, Syndicats, ligues et Comités de paysans, Soviets dans les situations révolutionnaires, etc.) et de les soustraire à l’influence de la bourgeoisie nationale, avec laquelle des accords temporaires ne sont admissibles que dans la mesure où elle n’entrave pas l’organisation révolutionnaire des ouvriers et des paysans et où elle combat effectivement l’impérialisme.

    Tout PC doit tenir compte, dans la détermination de sa tactique, de la situation concrète intérieure et extérieure, du rapport des forces sociales, du degré de stabilité et de vigueur de la bourgeoisie, du degré de préparation du prolétariat, de l’attitude des couches intermédiaires, etc.

    C’est en s’inspirant de ces conditions générales et de la nécessité de mobiliser, d’organiser les masses les plus étendues au moment le plus aigu de la lutte que le Parti formule ses mots d’ordre et précise ses méthodes de combat. Lançant des mots d’ordre transitoires au début d’une situation révolutionnaire et formulant des revendications partielles déterminées par la situation concrète, le Parti doit subordonner ces revendications et ces mots d’ordre à son but révolutionnaire qui est la prise du pouvoir et le renversement de la société capitaliste-bourgeoise.

    Il serait également inadmissible que le Parti négligeât les besoins et la lutte quotidienne de la classe ouvrière ou se confinât au contraire dans les limites de ces besoins et de cette lutte. Sa mission est de prendre ces besoins quotidiens comme point de départ et de conduire la classe ouvrière à la bataille révolutionnaire pour le pouvoir.

    Lorsqu’une poussée révolutionnaire a lieu, lorsque les classes dirigeantes sont désorganisées, les masses en état d’effervescence révolutionnaire, les couches sociales intermédiaires disposées dans leurs hésitations à se joindre au prolétariat, lorsque les masses sont prêtes au combat et aux sacrifices, le Parti du prolétariat a pour but de les mener directement à l’assaut de l’État bourgeois.

    Il le fait par la propagande de mots d’ordre transitoires de plus en plus accentués (Soviets, contrôle ouvrier de la production, Comités paysans pour l’expropriation de la grande propriété foncière, désarmement de la bourgeoisie, armement du prolétariat, etc.) et par l’organisation d’actions des masses, auxquelles doivent être subordonnées toutes les formes de l’agitation et de la propagande du Parti, y compris l’agitation parlementaire.

    À ces actions de masses se rapportent : les grèves et les manifestations combinées, les grèves combinées avec les manifestations armées, enfin la grève générale liée à l’insurrection armée contre le pouvoir d’État de la bourgeoisie.

    Cette dernière forme supérieure de la lutte est soumise aux règles de l’art militaire ; elle suppose un plan stratégique des opérations offensives, l’abnégation et l’héroïsme du prolétariat.

    Les actions de cette sorte sont obligatoirement conditionnées par l’organisation des grandes masses en formation de combat, dont la forme même entraîne et met en branle le plus grand nombre possible de travailleurs (Soviets des députés ouvriers et paysans, Soviets de soldats, etc.) et par un renforcement du travail révolutionnaire dans l’armée et dans la flotte.

    Il est nécessaire de s’inspirer, en passant à des mots d’ordre nouveaux plus accentués, de la règle fondamentale de tactique politique du léninisme. Cette règle veut que l’on sache amener les masses à des positions révolutionnaires, en leur permettant de se convaincre par leurs propres expériences de la justesse de la politique du Parti.

    L’inobservation de cette règle mène inévitablement à la rupture avec les masses, au «putschisme», à la dégénérescence idéologique du communisme qui aboutit à un sectarisme de «gauche» et à un aventurisme «révolutionnaire» petit-bourgeois.

    Mais il n’est pas moins dangereux de ne pas mettre à profit l’apogée d’une situation révolutionnaire lorsqu’il est du devoir du Parti d’attaquer l’ennemi avec audace et décision. Manquer cette occasion, ne pas déclencher l’insurrection, c’est laisser l’initiative à l’adversaire et vouer la révolution à une défaite.

    Quand la poussée révolutionnaire fait défaut, les PC s’inspirant des besoins quotidiens des travailleurs doivent formuler des mots d’ordre et des revendications partielles en les rattachant aux objectifs fondamentaux de l’IC Ils se garderont cependant de donner des mots d’ordre transitoires spécialement appropriés à une situation révolutionnaire et qui, en l’absence de celle-ci, se transforment en des mots d’ordre d’intégration au système des organisations capitalistes (exemple : le contrôle ouvrier, etc.).

    Les mots d’ordre et les revendications partielles conditionnent absolument, de façon générale, une bonne tactique ; les mots d’ordre transitoires sont inséparables d’une situation révolutionnaire. Il est, d’autre part, incompatible avec les principes tactiques du communisme de renoncer «en principe» aux revendications partielles et aux mots d’ordre transitoires, ce serait condamner en réalité le Parti à la passivité et l’isoler des masses.

    La tactique du front unique, moyen le plus efficace de lutte contre le Capital et de mobilisation des masses dans un esprit de classe, moyen de démasquer et d’isoler les chefs réformistes, est un des éléments de la tactique des PC pendant toute la période prérévolutionnaire.

    La juste application de la tactique du front unique, et plus généralement la solution du problème de la conquête des masses, suppose à son tour une action systématique et persévérante dans les Syndicats et dans les autres organisations de masses du prolétariat.

    L’affiliation au Syndicat, fût-il le plus réactionnaire pourvu qu’il soit une organisation de masses, est de devoir immédiat de tout communiste. Ce n’est que par une action constante et suivie dans les Syndicats et dans les entreprises pour la défense énergique et ferme des intérêts des ouvriers — la bureaucratie réformiste étant parallèlement combattue sans merci —, que l’on peut se mettre à la tête de la lutte ouvrière et rallier au Parti la masse des syndiqués.

    A l’encontre de la politique scissionniste des réformistes, les communistes défendent l’unité syndicale sur la base de la lutte de classes, dans chaque pays, et à l’échelle internationale en soutenant et en affermissant de toutes leurs forces l’action de l’Internationale syndicale rouge.

    Prenant partout la défense des intérêts immédiats, quotidiens de la masse ouvrière et des travailleurs en général, exploitant à des fins d’agitation et de propagande révolutionnaire la tribune parlementaire bourgeoise, subordonnant tous les objectifs partiels à la lutte pour la dictature du prolétariat, les Partis de l’IC formulent des revendications partielles et donnent des mots d’ordre dans les principaux domaines suivants :

    Question ouvrière — au sens étroit du mot : questions se rapportant à lutte économique (lutte contre l’offensive du capital trusté, salaires, journées de travail, arbitrage obligatoire, chômage) qui deviennent des questions de lutte politique générale (grands conflits industriels, droits de coalition et de grève, etc.); questions nettement politiques (impôts, cherté de la vie, fascisme, répression contre les partis révolutionnaires, terreur blanche, politique générale du gouvernement); questions de politique mondiale (attitude envers l’URSS et les révolutions coloniales, lutte pour l’unité du mouvement syndical international, lutte contre l’impérialisme et les menaces de guerre, préparation systématique à la lutte contre la guerre impérialiste).

    Dans la question paysanne, le problème des impôts, des hypothèques, de la lutte contre le capital usurier, de la pénurie des terres dont souffrent les paysans pauvres, du fermage et des redevances, etc., suscitent des revendications partielles du même ordre.

    Le PC partant de là, doit accentuer et généraliser ses mots d’ordre jusqu’à réclamer la confiscation des domaines des grands propriétaires fonciers et le gouvernement ouvrier et paysan (synonyme de dictature du prolétariat dans les pays capitalistes développés et synonyme de dictature démocratique du prolétariat et des paysans dans les pays arriérés et diverses colonies).

    Il est également nécessaire de poursuivre une action systématique au sein de la jeunesse ouvrière et paysanne (principalement au moyen de l’ICJ. Et de ses Sections) ainsi que parmi les femmes ouvrières et paysannes, en s’inspirant de leurs conditions d’existence, de leurs luttes, et en rattachant leurs revendications aux revendications générales et aux mots d’ordre de combat du prolétariat.

    Dans la lutte contre l’oppression des peuples coloniaux, les PC formulent dans les colonies mêmes des revendications partielles dictées par la situation particulière de chaque pays : égalité complète des nationalités et des races ; abolition des privilèges des étrangers ; liberté d’association pour les ouvriers et les paysans ; diminution de la journée de travail ; interdiction du travail des enfants ; abolition des contrats spoliateurs et usuriers ; réduction et suppression du fermage ; diminution des impôts ; refus de payer les impôts, etc., etc.

    Tous ces mots d’ordre partiels doivent être subordonnés aux revendications essentielles des PC : indépendance complète du pays, expulsion des impérialistes, gouvernement ouvrier et paysan, la terre au peuple, journée de huit heures, etc.

    Dans les pays de l’impérialisme, les PC ont le devoir de soutenir cette lutte des colonies, de réclamer avec ténacité le rappel des troupes impérialistes, de défendre par la propagande dans l’armée et la flotte les pays opprimés luttant pour leur émancipation, de mobiliser les masses pour le boycottage du transport des troupes et des armes, d’organiser, en relation avec ces actions, des grèves et d’autres formes de protestations de masses, etc.

    L’IC doit porter une attention particulière à la préparation systématique de la lutte contre les dangers de guerre impérialiste.

    Démasquer impitoyablement le social-chauvinisme, le social- impérialisme, les phrases pacifistes qui dissimulent les dessins impérialistes de la bourgeoisie ; répandre les mots d’ordre essentiels de l’IC ; poursuivre chaque jour un travail d’organisation dans ce sens et en combiner obligatoirement les formes légales et illégales ; poursuivre un travail organisé dans l’armée et la flotte, telle doit être l’activité des PC Les morts d’ordre fondamentaux de l’IC doivent être les suivants : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, défaite de  «son propre » gouvernement impérialiste, défense par tous les moyens de l’URSS et des colonies en cas de guerre impérialiste contre elles.

    La propagande de ces mots d’ordre, la dénonciation des sophismes  «socialistes » et du camouflage  «socialiste » de la Société des nations, le rappel constant de l’expérience de la guerre de 1914-18, sont des devoirs impératifs qui incombent à toutes les Sections et à tous les membres de l’IC

    La coordination du travail et des actions révolutionnaires et leur bonne direction imposent au prolétariat international une discipline internationale de classe, dont la discipline internationale la plus rigoureuse dans les rangs des PC est la condition essentielle. Cette discipline communiste internationale doit se traduire par la subordination des intérêts partiels et locaux du mouvement à ses intérêts généraux et permanents, et par la stricte application de toutes les décisions des organes dirigeants de l’IC par tous les communistes.

    À l’inverse de la 2e Internationale social-démocrate où chaque parti se soumet à la discipline de  «sa propre » bourgeoisie nationale et de sa  «patrie », les Sections de l’IC ne connaissent qu’une discipline, celle du prolétariat international qui assure la lutte victorieuse des ouvriers de tous les pays pour la dictature mondiale du prolétariat.

    À l’inverse de la 2e Internationale, qui divise les Syndicats, combat les peuples coloniaux et s’unit à la bourgeoisie, l’IC est l’organisation qui défend l’unité des prolétaires de tous les pays, des travailleurs de toutes les races et de tous les peuples en lutte contre le joug impérialiste.

    Quelle que soit la terreur sanglante de la bourgeoisie, les communistes mènent ce combat avec abnégation et courage, sur tous les secteurs du front international de la lutte de classes, fermement convaincus de l’inévitabilité et de l’inéluctabilité de la victoire du prolétariat.

    «Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel».

    «Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner».

    «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !»

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    de l’Internationale Communiste

  • La question américaine au sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Ce qui apparaît, bien après le sixième congrès et en profitant du recul, c’est que la clef est la question américaine. Il y a deux aspects : d’un côté, la question de l’implantation réelle du Parti Communiste, de l’autre le développement du capitalisme qui y a lieu.

    Ce qui est marquant, déjà, c’est que dans ce pays marqué par un important chômage provoqué par la rationalisation de la production, le Parti Communiste n’arrive pas à avancer, alors que l’impérialisme américain a profité inversement de manière absolue de l’affaiblissement des capitalismes d’Europe de l’Ouest.

    L’impérialisme américain est agressif et progresse à pas de géants, cependant les communistes de ce pays ne parviennent pas à déborder la réforme malgré les énormes complications sociales provoquées par la dynamique capitaliste américaine.

    On l’aura compris, ils n’arrivent pas à saisir les États-Unis comme réalité historique et courent derrière des questions sociales, sans disposer d’une mise en perspective.

    Le Parti Communiste des États-Unis n’a de ce fait pas réussi à intégrer des afro-américains et il ne comprend pas pourquoi, alors qu’il a levé le drapeau de l’internationalisme.

    Il faudra attendre les années suivant le congrès pour un intense travail en ce domaine, sous l’impulsion de Harry Haywood théorisant cet aspect. Il résumera son point de vue en 1948 dans l’ouvrage Negro Liberation, Harry Haywood devenant la figure majeure de la question afro-américaine du point de vue communiste ; après 1953 il réfutera le révisionnisme et sera un ardent partisan de Mao Zedong.

    Harry Haywood

    Il y a ensuite la question de l’analyse de l’approfondissement du mode de production capitaliste, de son enracinement dans le 24 heures sur 24 de la vie quotidienne. L’Internationale Communiste passe complètement à côté de cette question ; pour eux, la question est pliée, le capitalisme n’aura de toutes façons pas le temps de se développer.

    Seul Boukharine cherche à analyser en profondeur ce qui se déroule aux États-Unis, mais il passe totalement à côté du sujet.

    Il prétend ainsi que :

    « Ces transformations techniques, qui, dans certains pays, en premier lieu aux États-Unis et en Allemagne, constituent presque un bouleversement technique, sont liées à la « trustification » de l’économie nationale, à la création de consortiums bancaires colossaux et à la progression des tendances au capitalisme d’État sous des formes diverses.

    Sous de nouvelles formes, se développe de plus en plus le processus d’unification des trusts, cartels, consortiums bancaires, avec les organes d’État de la bourgeoisie impérialiste.

    Nous le constatons en Italie au Japon, aux États-Unis, en Allemagne, sous les formes les plus diverses. C’est ainsi que (aux États-Unis) Hoover peut être appelé à juste titre le ‘’directeur général des trusts.’’ »

    C’est là considérer un « capitalisme organisé » et non pas voir le développement en écho du capital en activité dans des secteurs toujours plus divers. Il y a pour cette raison une lecture quantitative du décalage entre les États-Unis et les autres pays, sans compréhension de la qualité acquise par le développement capitaliste américain, qui ne connaît pas de limites.

    Pour lui, la crise aboutit à la disproportion entre le capitalisme américain et les autres capitalismes, et il ne voit pas l’autre aspect que la disproportion constitue également un développement inégal, que les États-Unis sont le lieu du capitalisme s’élançant librement.

    Boukharine se heurte très clairement à cette question :

    « J’ai déjà mentionné le fait du passage de la situation directement révolutionnaire d’Europe en Orient et dans la périphérie coloniale en général. C’est également le résultat de la crise d’après-guerre, mais les puissants troubles révolutionnaires, sur cette périphérie du capitalisme, ne sont-ils pas l’expression d’une crise profonde?

    Ensuite, que signifie la disproportion entre les États-Unis et l’Europe, qui essaye de se libérer de l’hégémonie américaine ? Cette disproportion signifie également un changement dans la structure du système de l’économie mondiale.

    Enfin, le rétrécissement des marchés à l’intérieur des pays capitalistes, la ruine et le paupérisme dans les colonies, en transformant la question des relations mutuelles entre la production et la consommation, sont loin de constituer des conditions « normales » pour le capitalisme. »

    Ainsi, la guerre est ici un produit mécanique d’un objectif : conquérir des territoires ; on retombe sur la conception erronée de Rosa Luxembourg. C’est particulièrement clair lorsque Boukharine dit que :

    « Nous observons à l’heure actuelle une série d’antagonismes des plus aigus, qui se développent dans diverses directions : Amérique-Grande-Bretagne, Allemagne-France, Italie-France, etc. (…).

    Prenons par exemple les États-Unis d’une part et l’Angleterre, d’autre part. Nous observons un fort développement du capitalisme américain, tandis que les États-Unis ne sont pas jusqu’ici une grande puissance coloniale.

    L’Empire mondial de la Grande-Bretagne est un empire colonial. Or, on peut précisément dire de l’Angleterre qu’elle subit une période de décadence, malgré son puissant monopole colonial.

    Un décalage similaire se retrouve également dans d’autres pays.

    Prenons l’Allemagne actuelle : au point de vue économico-technique, c’est un pays de « première rang » cependant elle n’a ni colonie, ni mandat, ni protectorat. Il est pareillement intéressant de comparer l’Italie avec l’Espagne, et ainsi de suite.

    Mais comme ces antagonismes sont liés à la croissance des forces productives, ils provoqueront un nouveau partage du monde, des colonies ou d’autres territoires. Et cela signifie la guerre.

    Il résulte de l’analyse économique générale de l’économie mondiale présente, du point de vue des rapports spécifiques entre les pays impérialistes, du point de vue de la crise générale du capitalisme, à partir de tous ces points décisifs, que la guerre constitue le problème capital du jour. »

    Boukharine rate en fait le développement américain, qu’il ne parvient à lire que dans ses rapports avec le reste du capitalisme mondial. Cela va empêcher d’analyser le capitalisme américain dans sa particularité, et donc de prévoir la crise de 1929, alors que l’Internationale Communiste anticipait déjà des troubles profonds à ce niveau aux États-Unis.

    De là viendra l’incapacité à voir comment la particularité américaine va se généraliser à l’ensemble des pays capitalistes après 1945.

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  • La question coloniale au sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Lorsque le sixième congrès de l’Internationale Communiste s’ouvre le 17 juillet 1928, la situation est à la fois totalement différente et entièrement similaire de lors du premier congrès. On vient de fêter les dix ans de la révolution d’Octobre 1917 et pourtant la vague révolutionnaire n’a pas abouti à la formation de nouveaux pays socialistes.

    Pourtant, les Partis Communistes se sont formés dans le monde entier et l’agitation révolutionnaire est puissamment active, alors qu’il est clair que les États capitalistes se précipitent dans une nouvelle guerre mondiale.

    Dès le départ, mentionnant la terrible répression anticommuniste dans les pays capitalistes, Boukharine mentionne un pays où une incroyable effervescence se produit : la Chine. Tel est le panorama : d’un côté, une défaite de la vague immédiate suivant la révolution russe, de l’autre un prolongement de la vague générale, impliquant cependant des complexités innombrables dans son processus.

    Et, dans ce cadre, la question coloniale apparaît comme ayant pris une importance capitale. C’était prévu, depuis le début l’Internationale Communiste cherche à être en mesure d’aborder correctement cette question, d’en faire un aspect solide de son identité. Le sixième congrès ici est un tournant, puisque c’est enfin chose faite.

    Une conférence de l’Internationale Communiste en 1927; sous le point rouge, Ho Chi Minh

    Si les trotskystes peuvent aussi aisément dénoncer le « recul » de la radicalité de l’Internationale Communiste, c’est parce qu’ils se focalisent sur les pays européens et nient les révolutions dans les pays dominés ; ils ne « voient » ainsi pas l’énorme activité de l’Internationale Communiste.

    C’est le japonais Katayama Sen qui, au début du sixième congrès, résume bien cet aspect, dans un manifeste sur la révolution chinoise rédigée par les communistes américains, anglais et japonais, soit ceux des principales puissances impérialistes alors :

    « Le sixième congrès voit comme une de ses principales tâches l’organisation des forces internationales du prolétariat en soutien de la lutte national-révolutionnaire et une accélération de la victoire de la révolution chinoise. »

    C’est le Finlandais Otto Kuusinen, lors de la 29e session (il y en eut 46 en tout), qui exposa les questions du mouvement révolutionnaire dans les colonies ; il explique à ce sujet que :

    « La Chine est le seul pays colonial où nous ayons un parti massif. Dans les autres colonies et semi-colonies, même dans les plus importantes, nous ne possédons pas de véritable parti. Notre tâche la plus importante, dans les pays coloniaux, consiste par conséquent à y créer des partis communistes (…) .

    Nous avons été témoins du soulèvement de la première grande vague du mouvement révolutionnaire colonial : d’abord dans l’ Inde et en Égypte, ensuite en Chine, en Indonésie, etc. Cette première vague a été repoussée.

    Mais déjà la seconde vague révolutionnaire approche.

    Elle doit aboutir à la libération des peuples coloniaux, grâce à la lutte des masses ouvrières et paysannes. Les décisions du VIe Congrès mondial serviront de guides au mouvement révolutionnaire ouvrier et paysan des pays coloniaux. »

    De fait, pour la première fois, un congrès de l’Internationale Communiste affronte réellement la question coloniale, et elle le fait de manière très approfondie. Il y a deux raisons pour cela. La première, c’est qu’il a fallu disposer de relais dans les pays coloniaux et si au départ il n’y avait que des éléments isolés, il y a désormais de vraies structures dans certains pays.

    De l’autre, la vague de la révolution mondiale s’était déportée en Asie. La Chine est en effervescence, mais l’insurrection de Canton en 1927 a échoué, scellant par là la tentative seulement urbaine et ouvrière et réfutant définitivement le trotskysme en Chine. L’avenir est désormais à la ligne de Mao Zedong.

    La question qui se pose justement alors est la suivante : si effectivement il faut bien mobiliser les paysans (et donc Trotsky a tort avec sa révolution permanente censée être purement ouvrière, sans étapes), comment faut-il interpréter la situation de la bourgeoisie nationale ?

    De plus, dans certains pays, il y a des mouvements nationaux-révolutionnaires aux velléités indépendantistes, et même des courants panislamiques. Comment les interpréter ?

    Ho Chi Minh

    Le congrès réfute déjà une théorie, celle de la « décolonisation ». Certains pensent que l’Inde s’industrialise ; selon les économistes bourgeois, elle serait déjà dans les huit principaux pays industriels. Cette conception nie que l’impérialisme parasite les pays opprimés, elle est réfutée.

    Il est également constaté que la social-démocratie n’a aucune ligne concernant la question coloniale. Elle a abandonné les positions d’avant 1914 et se contente désormais d’accompagner la modernisation impérialiste dans les colonies, sous des prétextes de réformes.

    Restait à savoir quelle ligne adopter. Concrètement, cela concerne quelques pays en particulier, là où il y a suffisamment de cadres communistes bien implantés pour avoir un impact national : la Chine bien sûr, mais également l’Inde et l’Indonésie, ainsi que l’Indochine. Il ressort, surtout de l’expérience chinoise, qu’il faut faire de la bourgeoisie nationale une alliée, mais nullement s’y subordonner.

    La question se posait pareillement en Amérique latine, où si les luttes de classes se développaient, elles n’avaient pas le niveau d’affrontement asiatique. Les communistes avaient des partis significatifs au Brésil et au Mexique désormais.

    Cependant, en Argentine les problèmes internes posaient un réel souci ; en Colombie il existe un Parti socialiste révolutionnaire qui deviendra le Parti Communiste Colombien en 1930, mais il existe en son sein une forte orientation syndicaliste-révolutionnaire.

    Au Pérou il se formera à la fin de l’année 1928, sous l’impulsion de José Carlos Mariategui, un Parti Socialiste péruvien adhérant à l’Internationale Communiste et devenant le Parti Communiste péruvien en 1930. Au Venezuela, le Parti se formera en 1931.

    José Carlos Mariategui

    Le souci est que ces pays étant formellement indépendants, les communistes avaient beaucoup de mal à saisir leur nature semi-coloniale. Pour eux, leur pays était réellement indépendant, même s’il était influencé. La lecture des rapports entre les classes était pour cette raison malaisée.

    La présence de l’impérialisme américain était pourtant flagrante ; entre 1912 et 1928, les investissements américains avaient augmenté de 82 % au Pérou, de 676 % au Brésil, de 1026 % en Argentine, de 2906 % au Chili, de 5300 % au Venezuela, de 6000 % en Colombie.

    L’Internationale Communiste constatait bien qu’il y avait d’un côté les grands propriétaires terriens, de l’autre une bourgeoisie. Mais elle distinguait en fait mal comment la bourgeoisie consistait en la bourgeoisie nationale, la bourgeoisie compradore servant d’intermédiaire et en la bourgeoisie bureaucratique qui est, elle, vendue à l’impérialisme.

    Elle ne maîtrisait pas encore le principe du capitalisme bureaucratique, capitalisme déformé au service de l’impérialisme. Cela ne sera lisible qu’avec le maoïsme et en attendant les communistes bataillent pour interpréter des mouvements bourgeois d’apparence libérale, voire même libéral en tant que tel, mais inconstant, oscillant, etc.

    Or, cela une conséquence fondamentale. En effet, si l’on ne comprend pas le capitalisme bureaucratique, on voit qu’un pays peut être une semi-colonie avec des grands propriétaires terriens, mais on ne sait pas où est l’aspect principal.

    Dans les faits, il s’agit du semi-féodalisme, car il est l’arriération permettant la domination impérialiste. Mais en l’absence de cette compréhension, on oscille alors entre une affirmation anti-impérialiste et une lutte anti-féodale, sans savoir quel est le fil conducteur.

    L’Internationale Communiste prônait ainsi bien une révolution en deux étapes ininterrompues : d’abord une phase révolutionnaire bourgeoise-démocratique, ensuite une phase prolétarienne. Mais la première était mal ou pas définie et le passage naturel de l’un à l’autre était encore peu clair et plus deviné qu’autre chose.

    Cela se relie particulièrement à la question de la mobilisation des masses opprimées par le colonialisme, notamment pour les pays dominés par un autre pays où il y a un Parti Communiste qui existe de manière relativement forte. La France est bien entendu concernée, avec la question du soutien aux communistes d’Afrique du Nord ; il y a également la Hollande avec l’Indonésie.

    À ce sujet, l’Italien Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) dit que :

    « J’estime que le défaut fondamental de l’activité de nos sections dans les colonies, défaut qui est peut-être une conséquence de tendances plus ou moins inspirées par la social-démocratie, est que nous ne cherchons pas suffisamment à établir la liaison avec les mouvements des indigènes.

    Dans les colonies elles-mêmes, nous devons lutter contre le réformisme et montrer au prolétariat des pays dits civilisés, au prolétariat naissant des colonies, nous devons leur montrer à tous, dans notre lutte quotidienne, le seul chemin qui les mènera à la libération.

    En même temps, ils doivent comprendre que la voie des compromis, proposés par la social-démocratie, conduit à la coopération avec l’impérialisme et que la victoire n’est possible que sous le drapeau du prolétariat, qui lutte sciemment pour la libération du monde entier, sous l’étendard de l’Internationale Communiste. (Applaudissements.) »

    Concrètement, le mouvement communiste international ne parviendra effectivement jamais à passer le cap et à se développer en Afrique, à part dans les pays d’Afrique du Nord, ainsi qu’en Afrique du Sud.

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  • Les foyers impérialistes de guerre et la question polonaise au moment du sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Au moment du sixième congrès de l’Internationale Communiste, les contradictions inter-impérialistes battent leur plein.

    La Grèce et la Bulgarie sont sous la coupe britannique, la Tchécoslovaquie et la Roumanie sous la coupe française. La Yougoslavie est au cœur d’une rivalité franco-britannique, l’Italie bien plus faible cherchant à s’y faire une place, tout en visant également l’Autriche.

    À cela s’ajoute en Europe des questions nationales multiples nées du découpage de 1918 (la Hongrie a perdu une partie significative de sa population, le Sud-Tyrol autrichien est désormais italien, la Macédoine est à cheval sur plusieurs pays, etc.).

    Le Bulgare Vassil Kolarov, membre du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, souligne d’ailleurs que dès que la guerre serait déclarée, il faudrait dans les zones des nations opprimées immédiatement aller dans les montagnes pour lancer la guerre de guérilla.

    L’Écossais Tom Bell présente comme suite le noyau dur de la dynamique conflictuelle inter-impérialiste :

    « L’ antagonisme anglo-américain est, à l’heure actuelle. l’antagonisme fondamental.

    Son développement futur conduira inévitablement à la guerre. Les années qui viennent seront remplies par les préparatifs militaires et politiques de la prochaine guerre.

    Ses principaux participants seront la Grande-Bretagne et l’Amérique. Cette préparation sera la clé fondamentale de la situation internationale dans la période qui vient. »

    Il souligne que la prochaine guerre sera d’une ampleur bien plus grande encore qu’en 1914-1918 ; c’est un exemple tout à fait parlant de comment, dès 1928, l’Internationale Communiste a parfaitement compris la tendance historique du moment :

    « Nous sommes témoins d’un développement ininterrompu du militarisme et d’une accélération gigantesque du rythme de la préparation à la guerre des pays dits grandes puissances.

    Les chiffres que nous possédons montrent nettement, que la prochaine guerre impérialiste dépassera en ampleur la guerre de 1914-18. que personne n’a plus l’audace d’appeler la dernière des guerres. »

    Il mentionne également un aspect essentiel, celui de la Pologne :

    « Pour conclure, je veux indiquer que, précisément au moment où nous débattons au Congrès la question de l’attitude de l’Internationale Communiste devant la guerre, nous apprenons que le conflit entre la Pologne et la Lituanie s’est considérablement aggravé.

    C’est le résultat inévitable des intrigues des puissances impérialistes. Ces événements doivent également nous rappeler la nécessité de renforcer notre action anti-militariste et d’exécuter les tâches, que le Congrès de l’Internationale nous impose.

    Nous devons, dans les circonstances actuelles, défendre le gouvernement soviétique plus délibérément que jamais. Les derniers événements en Pologne confirment notre tactique fondamentale dans la question de la guerre, qui constitue en ce moment le problème principal, qui se pose devant l’Internationale Communiste.

    Nous devons nous préparer à la crise qui vient, et qui sera indiscutablement une dure épreuve pour l’Internationale Communiste. »

    La question polonaise est effectivement essentielle, alors que dans les pays voisins de l’URSS, en Lettonie, en Lituanie, en Estonie et en Finlande, sous influence britannique (et sous pression polonaise), les organisations du mouvement ouvrier sont écrasées et qu’il y a une mobilisation sur une base nationaliste des forces armées, voire même de la population.

    La Pologne écrasa pareillement violemment la Hramada, une structure paysanne biélorusse regroupant 100 000 paysans.

    C’est que l’expansionnisme polonais est particulièrement violent ; à sa tête, on a Józef Piłsudski, dont l’obsession est la destruction de la Russie pour laisser la place à un empire polonais.

    Initialement socialiste, Józef Piłsudski prit le pouvoir par un coup d’État en 1926 et développa un régime autoritaire nationaliste anticommuniste, équivalent à celui de la Finlande. La différence était que l’expansionnisme polonais, dans la nostalgie de l’empire passée, était extrêmement violent.

    Józef Piłsudski en mai 1926 au moment du coup d’Etat

    La Pologne de Józef Piłsudski s’appuyait sur deux fondements :

    – le prométhéisme, c’est-à-dire l’appui aux forces centrifuges en URSS pour provoquer son éclatement, ce qui signifie argent, matériel et espions envoyés en soutien aux forces nationalistes ;

    – l’établissement de la Fédération entre Mers, sous l’égide de la Pologne bien entendu, englobant en plus d’elle la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine.

    Ce dernier point est essentiel. Si le discours polonais vise à présenter cette nation de manière unilatérale comme « martyr », en réalité elle a été un empire qui n’a pas tenu. La République des Deux Nations, avec la Lituanie et la Pologne, a été une grande puissance de 1569 à 1795 ; en 1610, les forces polonaises sont à Moscou et nomment un tsar catholique pour vassaliser la Russie.

    Ce fut un échec complet et la Pologne fut même ensuite rayée de la carte de 1795 à 1918, subissant alors une terrible oppression nationale autrichienne, prussienne et russe.

    Józef Piłsudski intervient ici comme expression du courant polonais revanchiste, voulant refaire de la Pologne une grande puissance au cœur de l’Europe de l’Est. Une grande polémique stratégique eut d’ailleurs lieu à l’époque chez les réactionnaires, alors que la Pologne avait 27 millions d’habitants, dont un tiers de non polonais occupant toute la partie est du pays.

    Le concurrent du socialiste « impérial » Józef Piłsudski était le « national-démocrate » Roman Dmowski, qui prônait une Pologne « ethniquement homogène », uniquement catholique, avec également une alliance avec la Russie. Le « camp de la Grande Pologne » de Roman Dmowski adopta toujours plus une ligne ouvertement fasciste, dans une version donc nationaliste étroite, à l’opposé de la lecture impériale de Józef Piłsudski.

    Ce dernier, avec sa vision expansionniste, était évidemment un levier formidable pour les pays capitalistes pour pousser à la déstabilisation de l’URSS ; d’innombrables campagnes d’espionnage et de sabotage partirent de Pologne.

    Le grand souci était qui plus est que dans toute cette fièvre nationaliste polonaise, le Parti Communiste ne parvenait pas à avancer, plafonnant en dessous de 20 000 membres, tout en se divisant en de multiples fractions scissionnistes, représentant une véritable catastrophe aux yeux de l’Internationale Communiste qui devait constamment faire la police.

    Celle-ci va d’ailleurs pas moins que dissoudre en août 1938 à la fois le Parti Communiste de Pologne, le Parti Communiste de Biélorussie occidentale et celui d’Ukraine occidentale, considérant qu’ils ont été infiltrés par les services secrets polonais.

    Cette situation polonaise joua un rôle immense dans la priorité stratégique soviétique de neutraliser à tout prix la Pologne en cas de guerre mondiale.

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  • Le sixième congrès de l’Internationale Communiste et la menace très concrète de guerre contre l’URSS

    Si l’Internationale Communiste est dominée en large partie par une approche techniciste, c’est que pour elle il y a urgence. Il y avait urgence, alors que la vague révolutionnaire mondial se lançait ; il y a désormais urgence par rapport à la menace d’une guerre contre l’URSS.

    La Pravda du 17 juillet 1928, le jour de l’ouverture du sixième congrès, pose ainsi dans son article sur Le Congrès communiste mondial, évidemment en tête de ce quotidien, que :

    « Premièrement, la question de la guerre se trouve posée, devant le VIe Congrès de l’Internationale Communiste, comme la plus importante de l’ordre du jour.

    La bourgeoisie prépare (et a déjà commencé sur certains points), de nouvelles guerres, tandis que la social-démocratie de chaque pays, en criant qu’elle lutte pour la paix, fait campagne contre ceux, que lui désigne la bourgeoisie de son pays.

    Elle attaque l’U.R.S.S., elle attaque la révolution chinoise, elle excite les antagonismes nationaux des peuples de l’Europe et des autres parties du monde.

    La question de la guerre ne saurait être posée devant le Congrès de l’Internationale Communiste, sans être liée à la question du renforcement de la lutte contre la social-démocratie et les réformistes.

    C’est la deuxième des questions qu’il aura à traiter. Le Congrès devra donc élaborer les mesures pratiques, que les partis communistes doivent prendre aussi bien avant la guerre qu’au début de la guerre. »

    La Pravda publia également à cette occasion un message d’Ernst Thälmann, dirigeant du Parti Communiste d’Allemagne, axant pareillement l’actualité par rapport à la menace de guerre contre l’URSS :

    « Le point central des tâches, qui s’imposent à tous les partis communistes, et en particulier à la section allemande de l’Internationale communiste, est la lutte contre le redoutable danger d’une nouvelle guerre impérialiste contre l’Union soviétique.

    Le capitalisme allemand, qui a repris des forces, prend également part avec zèle à la préparation de cette guerre.

    Le gouvernement socialiste actuel de l’Allemagne coopérera, dans le domaine de la politique extérieure, à la préparation de la guerre. A l’intérieur du pays, il mènera la politique réactionnaire des patrons, politique qui consiste à asservir les travailleurs.

    Le parti communiste, sans hésiter une minute, luttera de la manière la plus impitoyable et la plus acharnée contre ce gouvernement de social-traîtres. Il mettra en jeu tous les moyens pour déterminer les masses prolétariennes à lutter pour son renversement. »

    Dès le début du congrès, Ernst Thälmann insiste sur cet aspect :

    « Nous pensons que dans le moment historique présent l’Internationale Communiste saura passer sa grande épreuve du feu dans les tempêtes de la guerre à venir, tout comme le Parti russe s’est maintenue victorieusement durant la guerre mondiale. »

    La menace de guerre contre l’URSS, alors que la guerre impérialiste est inéluctable, est ainsi un leitmotiv du sixième congrès ; l’Ecossais Tom Bell, qui présente cette question, souligne que non seulement tout Parti Communiste doit lutter contre cette menace, mais que toutes les activités de chaque parti doit également posséder un rapport avec cela.

    Au sens strict, le sixième congrès définit le parti communiste de chaque pays comme la force révolutionnaire luttant contre la crise générale du capitalisme qui s’est transformée en élan vers une guerre impérialiste relativement imminente, avec l’URSS étant à protéger à tout prix.

    Eugen Varga résume le point de vue du congrès en disant :

    « Camarades ! Notre congrès a comme tâche de tirer les leçons stratégiques sur la base de l’analyse des périodes passées et de constater les tâches actuelles pour les prochaines années.

    Le point central du développement des prochaines années est sans aucun doute le danger de guerre : la tâche principale de l’ensemble du mouvement communiste dans ces prochaines années est de détourner le danger de guerre menaçant l’Union Soviétique. »

    Les délégués des différents pays, lors de leurs interventions, accordèrent une place significative à cette question, en présentant la situation relative à cela chez eux. Le communiste italien Garlandi (en fait Ruggero Grieco) nota par exemple la situation profondément instable dans son pays et expliqua ainsi avec justesse que :

    « Le fascisme ne peut plus désormais que tenter de sortir de la crise économique par la guerre. »

    L’Allemand Ernst Schneller constata que l’Allemagne profitait du soutien de l’impérialisme américain, ce dernier cherchant à empêcher la concurrence d’une alliance franco-britannique. Or, de par l’immense force des monopoles en Allemagne, cela aboutit à une redynamisation rapide de l’impérialisme allemand. La menace de guerre contre l’URSS est tout à fait réelle.

    Le Français Henri Barbé – quelques mois après il deviendra pratiquement le dirigeant du PCF, pour finalement rejoindre le fascisme aux côtés de Jacques Doriot – présenta les chiffres concernant la course française aux armements. Le budget de la marine avait quadruplé entre 1922 et 1928 ; le budget général des armées était en 1927/1928 le double d’avant 1914.

    Le nombre d’appelés chaque année s’élève à 240 000, à quoi s’ajoutent 150 000 soldats de métier, 30 000 officiers, 45 000 gendarmes, 200 000 hommes dans les troupes coloniales.

    L’Américain Jay Lovestone – qui devint par la suite rapidement un « oppositionnel » boukharinien puis un anticommuniste patenté – présenta de son côté la force incroyable de l’économie américaine, qui a pratiquement doublé en vingt ans avant 1914, puis encore doublé en dix ans depuis la fin de la guerre mondiale.

    30 % du budget allait pour le renforcement de sa marine militaire ; la doctrine Monroe faisait de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale un protectorat américain. Seuls l’Argentine, le Brésil et le Chili parviennent un tant soit peu à disposer d’une certaine autonomie.

    Dans ce cadre, les États-Unis se présentent comme une force de « paix » afin d’affaiblir les puissances coloniales et de conquérir des zones d’influence nouvelles. Ils sont particulièrement en concurrence avec l’empire britannique, qui a par ailleurs été chassé du Canada, passé sous la coupe américaine.

    Tous ces pays poussent naturellement également à une guerre avec l’URSS, mais le pays qui est en première ligne pour cela est la Pologne.

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  • Union et désunion dans les rangs au sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Dans la foulée de la présentation du bilan de la direction par Boukharine, pratiquement 90 orateurs prennent la parole. Cela est marqué par trois soucis.

    Tout d’abord, il y a des orateurs du même pays, du même Parti, qui interviennent et se dénoncent les uns les autres, ou bien la majorité, la minorité, etc. Ensuite, tous ces orateurs parlent comme si tout le monde connaissait en détail la situation chez eux, ce qui est vrai de la part de la direction de l’Internationale Communiste, mais naturellement pas des délégués en général.

    On a notamment les délégués américains qui intervinrent à de nombreuses reprises, s’étalant sur la situation dans leur pays et sur les problèmes internes du Parti, accaparant une énergie importante.

    Cela signifie ainsi que les orateurs prennent la parole, disent qu’ils soutiennent les thèses du rapport de la direction, puis se lancent dans leur interprétation de la situation dans leur pays, dénoncent X ou Y, les accusent d’être la source des maux du Parti, rentrent dans les détails, perdant de ce fait forcément tout le monde en cours de route.

    Cela ressemble, en apparence au moins, aux congrès précédents, sauf qu’il y a deux aspects bien différents. Il y a d’abord la quantité : bien plus de personnes ont prises la parole. Il y a ensuite la qualité : la présentation de la situation dans le pays et dans le Parti est à chaque fois très détaillée, très précise.

    Or, à partir du moment où l’on est désormais dans une capacité opérationnelle avec un certain niveau, une certaine dimension, tout cela n’est plus possible et il faut aller de l’avant. De fait, le ménage commence à être fait. Ainsi, Hans Tittel est le seul représentant de l’aile droite du KPD au VIe congrès ; il se fera qui plus est exclure du Parti à la fin de l’année. L’expulsion des éléments d’ultra-gauche ou déviant à droite a d’ailleurs en général déjà été lancé.

    Au VIe congrès, Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) souligne d’ailleurs qu’à part le parti italien ayant combattu tant l’ultra-gauche que les déviations droitières, tous les autres partis pratiquement ont changé de direction depuis le dernier congrès.

    Palmiro Togliatti

    Que ce soit Ercoli-Togliatti qui dise cela est lourd de sens ; on sait comment après 1953 il va devenir une figure de proue du révisionnisme. C’est à cela qu’on voit un point essentiel dans l’histoire du mouvement communiste international.

    L’Internationale Communiste n’est pas le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik), au sens d’un Parti avec une actualité unique, une direction solidifiée, une idéologie guide. L’Internationale Communiste se veut depuis le départ un Parti Communiste Mondial, sauf que son actualité a toujours reposé sur la constitution de Partis Communistes et leur développement tant pratique qu’organisationnel.

    Il y a ainsi une dimension techniciste de la part de la direction, amenant à des directives tendant au gauchisme, comme avec Zinoviev pour les cinq premiers congrès. Et lorsque la vague révolutionnaire semble passer par une période de relative stabilisation, le succès de la droite avec Boukharine amène un certain glissement pragmatique dans l’Internationale Communiste.

    Cela est évidemment plus aisément visible a posteriori. Cependant, cela explique le double caractère des dirigeants de l’Internationale Communiste.

    Il est en effet souvent considéré comme frappant que des figures communistes comme Maurice Thorez ou Palmiro Togliatti soient passés si facilement dans le camp révisionniste.

    Maurice Thorez

    Cela apparaît pourtant comme bien plus compréhensible lorsqu’on porte son attention sur l’Internationale Communiste. En effet, la formation des Partis Communistes dans le monde n’a pas été celle du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik). Le matérialisme dialectique était bien entendu transmis, ainsi que les principes fondamentaux, mais pour ainsi dire par la bande.

    La base de la formation des Partis Communistes dans le monde, c’est l’Internationale Communiste et principalement ses congrès. Or, ceux-ci portent sur l’actualité politique, les questions tactiques, parfois des questions de fond comme le rapport aux paysans, à la petite-bourgeoise… et jamais sur les questions idéologiques en tant que tel.

    C’est cela qui fait que lorsqu’on a des Partis Communistes avec une réelle base, des luttes concrètes de grande ampleur, avec un niveau idéologique élevé pour des raisons historiques, notamment avec la social-démocratie auparavant, on obtient l’Allemand Ernst Thälmann, le Bulgare Georgi Dimitrov, le Tchécoslovaque Klement Gottwald.

    Inversement, lorsqu’on a des Partis Communistes naissant dans un élan sérieux, mais ne parvenant pas à passer le premier cap en raison de lourdes traditions réformistes, syndicalistes révolutionnaires, ou bien une défaite… on a le Français Maurice Thorez, l’Italien Togliatti, le Finlandais Otto Kuusinen, le Hongrois Eugen Varga.

    C’est cela qui rend difficile à suivre l’Internationale Communiste, puisque des tendances erronées ou contre-révolutionnaires (comme le trotskysme) sont expulsés, sans que pour autant il y ait une base idéologique qui soit établie comme c’est le cas en URSS.

    L’Internationale Communiste vise avant tout à une « méthode » pour analyser les situations et organiser les tactiques correspondantes. Et justement Togliatti devint une figure dans l’Internationale Communiste en se posant comme au-delà des conflits internes, des oppositions entre minorité et majorité. Il le fait d’autant plus aisément qu’il est italien et que face au régime fasciste, les communistes sont réduits à la portion congrue et assument un esprit unitaire.

    Pareillement, Maurice Thorez va apparaître comme la figure autour duquel le ménage est fait dans la section française. Mais c’est un produit d’une exigence extérieure, venant de l’Internationale Communiste, et se réduisant à une dimension technique.

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  • La question de la social-démocratie au sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Si Boukharine a une conception du « capitalisme d’État » qui substantiellement est la même que celle de la social-démocratie, cela doit également beaucoup au fait que celle-ci ne s’est pas effondrée, comme l’Internationale Communiste l’avait déduit de la situation nouvelle.

    D’un côté Boukharine est influencé par la social-démocratie, de l’autre c’est un moyen d’expliquer le maintien de celle-ci.

    Selon Boukharine, le capitalisme est désormais caractérisé par des « tendances au capitalisme d’État » dans le cadre d’une centralisation du capital parallèle au développement des forces productives. Cela forme une stabilité réelle qui est, pour lui, la cause du maintien de la social-démocratie.

    Boukharine ajoute également un autre aspect à cette question de la corruption par un capitalisme qui fonctionne : il souligne l’imbrication de la social-démocratie dans des institutions nouvelles, dans le cadre du rapport capital-travail.

    Or, si l’on regarde bien là, on a la même thèse que la social-démocratie, qui n’a cessé d’affirmer que la situation « à l’ouest » de l’Europe était substantiellement différente de la situation « à l’est », qu’elle serait en mesure de jouer sur l’État et l’économie, etc.

    Boukharine

    Le problème à l’arrière-plan est en fait très simple à saisir. Comme le fait remarquer au congrès un délégué soviétique, il existe un profond décalage entre l’influence politique des Partis Communistes, qui grandit, et le travail organisationnel qui lui reste arriéré. Il donne plusieurs exemples, dont celui français : la SFIC a reçu en 1928 un million de voix, 300 000 travailleurs ont soutenu sa campagne, mais le nombre de membres n’est que de 52 000.

    En comparaison, le Parti Communiste de Tchécoslovaquie, pratiquement le modèle du genre, a obtenu également plus d’un million de voix dans un pays bien plus petit (1/7e des voix), mais lui s’appuie sur 150 000 membres.

    Dans les faits, il y a une grande sympathie ouvrière pour les communistes, avec pourtant une incapacité communiste à réaliser une ligne de masses, alors que la social-démocratie est quant à elle parvenue à se maintenir et à verrouiller de très nombreuses structures, notamment syndicales et sportives.

    En Allemagne, comme le constate Thälmann, le Parti Communiste a eu 550 000 voix aux élections, la social-démocratie 9 millions, alors que celle-ci se place entièrement dans le cadre constitutionnel et n’a pas hésité à chercher la confrontation physique avec les communistes lors de la campagne électorale.

    La maison Karl Liebknecht à Berlin, siège du Parti Communiste d’Allemagne de 1926 à 1933

    La social-démocratie parvient dans les faits à se maintenir et cela, du point de vue de l’Internationale Communiste, au moyen de son aile gauche, qui tout en légitimant l’aile droite, diffuse des illusions dans les masses sur les objectifs et la détermination à aller au socialisme.

    Les masses sont trompées par la social-démocratie, qui est pourtant un facteur de soutien au régime, voire une institution directe du régime comme en Pologne où avec Pilsudski la social-démocratie s’est convertie en une fraction nationaliste « de gauche » ultra-militariste et anti-communiste.

    Dans un tel contexte, Boukharine semble apporter la réponse au problème, en disant que la social-démocratie est devenue un appendice d’un capitalisme désormais organisé.

    Cela va produire une ligne dans l’Internationale Communiste qui va chercher la polarisation avec la social-démocratie, au lieu de chercher à dépasser celle-ci en étant plus dense, plus profonde qu’elle. Il faudra attendre le prochain congrès pour que le principe d’engloutissement de la social-démocratie, pour ainsi dire, soit mis en place.

    Il se formulera alors avec le Front populaire, puis pendant la guerre avec la Démocratie populaire.

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  • Boukharine et la stabilisation relative comme capitalisme transformé au sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Au sixième congrès de l’Internationale Communiste, Boukharine fait triompher l’évaluation de la situation comme quoi le capitalisme connaît une stabilisation relative.

    S’il a été nommé, c’est parce que contrairement aux courants ultra-gauchistes, lui assume que la crise générale du capitalisme connaît des modifications dans ses expressions. Loin de la phraséologie ultra-révolutionnaire coupée des réalités, il assume la complexité du travail à mener.

    Dans son allocution, il précise ainsi que :

    « Notre tâche s’est compliquée jusqu’à l’extrême.

    Le premier élan, la première grande vague révolutionnaire, qui s’est avancée à travers l’Europe, a abouti à la défaite de la classe ouvrière des pays capitalistes.

    Les perspectives de faillite immédiate du capitalisme ont été remplacées par d’autres perspectives quelque peu différentes.

    Nous avons vérifié la justesse des vues de Lénine, qui estimait que, pour la bourgeoisie, il n’y avait pas de situation sans issue : la bourgeoisie, dans un des pays qui ont été le plus soumis à l’influence du mouvement révolutionnaire, a su se tirer d’affaire.

    Le capitalisme se hâte actuellement de construire ses forteresses, le capitalisme s’arme avec précipitation. Il construit et s’arme en même temps.

    La chute du capitalisme ne s’est pas réalisée en ligne droite, mais suis un mouvement en zig-zag, par des améliorations partielles de certaines parties du système capitaliste, il passe par ce que nous appelons la stabilisation capitaliste partielle.

    Il s’en est résulté, pour le mouvement communiste, de nouvelles difficultés considérables ; de nouveaux problèmes se sont posés devant l’Internationale communiste.

    L’Internationale communiste en bloc et pour chacun des partis qui la composent, a dû imaginer et élaborer une tactique extrêmement complexe de préparation et de mobilisation des forces de la classe ouvrière.

    L’Internationale communiste a dû chercher dans la vie quotidienne, en se basant sur le développement des contradictions de la stabilisation capitaliste, les moyens de mobiliser les masses pour une nouvelle vague et de porter au capitalisme un nouveau coup cette fois encore plus grandiose et plus destructif. »

    Ce qui est dit là correspond au triomphe sur le trotskysme. Boukharine insère toutefois dans cette vision des choses sa propre interprétation d’un capitalisme qui, pour lui, a changé de forme.

    Boukharine utilise un argument très précis. Il dit que le principe d’une troisième période se justifie par le fait que le niveau d’avant-guerre a de nouveau été dépassé par la production capitaliste. Cela signifie pour lui qu’il y a eu une réorganisation de l’économie capitaliste, qu’une étape a été passée.

    Il explique que le capitalisme américain se développe incroyablement tout en employant moins d’ouvriers (production plus grande de 26 % entre 1919 et 1927, pour 11 % d’ouvriers en moins), qu’en Allemagne le capitalisme s’est relancé notamment grâce au progrès technique, que la France se transforme en puissance industrielle, que même la Grande-Bretagne a un capitalisme qui se relance dans certains secteurs malgré la fragilisation de son empire, etc.

    Compte-rendu des interventions des délégués au sixième congrès

    Boukharine souligne notamment comment les États-Unis développent le travail à a chaîne, utilisent de nouvelles machines et de nouveaux appareils, ont une production électrique qui a pratiquement quintuplé, etc.

    Il explique alors que le capitalisme reprend en général et ce de manière organisée. Il attribue cette « reconstruction » à la formation de monopoles, de consortiums bancaires immenses et, depuis la guerre, à des « tendances capitalistes d’État grandissantes de tout type ».

    Il assume ouvertement cette conception capitaliste d’État dans son bilan, dès le départ, au moment de l’évaluation de la situation. C’est une véritable thèse politique. Boukharine parle de :

    « l’excroissance des organisations économiques de la bourgeoisie impérialiste avec ses organes d’État ».

    Boukharine dit ainsi d’un côté qu’il y a une stabilisation du capitalisme, qu’elle est relative car la crise continue, mais de l’autre il affirme que cette stabilisation n’est pas momentanée et que la crise n’est plus là, mais va revenir de manière encore plus prononcée.

    Boukharine modifie concrètement la thèse de la crise générale du système capitaliste mondiale. Il dit : on pensait que le capitalisme était en train de s’effondrer, puis finalement on a constaté une stabilisation « relative », mais comme le capitalisme continue voire reprend sa marche, alors cette conception « relative » n’a plus de sens ou bien un sens forcément différent.

    Cela préfigure la thèse révisionniste, développée par Eugen Varga par la suite, du « capitalisme monopoliste d’État » dans les années 1950-1960.

    Qui plus est, la social-démocratie va dans les années 1920 exactement dans ce sens-là. Boukharine le sait très bien et il s’empresse de souligner que lui, à la différence de la social-démocratie ne dit pas que la crise générale est terminée ; selon lui elle se prolonge, mais sa forme a changé.

    La période de la guerre et de l’après-guerre aurait amené des « modifications essentielles » dans la construction du capitalisme. L’URSS serait elle-même une preuve, comme corps étranger, du changement de cette construction.

    On aurait donc une situation où les tensions s’aggravent de fait, car la moindre grève a un impact sur un État devenant une excroissance des monopoles.

    La révolution consiste alors en l’appropriation de ce capitalisme d’État, qui par ailleurs est en concurrence avec les autres capitalismes d’État, d’où l’inéluctabilité de la guerre.

    Cette lecture passée en contrebande au sein du congrès de l’Internationale Communiste ne tiendra pas longtemps ; il se fera débarquer en avril 1929.

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  • Le rôle et la position de Boukharine avec le concept de troisième période au sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Boukharine était une figure importante du Parti bolchevik et, qui plus est, un véritable théoricien. Il pensait que le socialisme pouvait se construire en URSS et à ce titre il a soutenu Staline dès le départ.

    Boukharine était cependant largement influencé par l’austro-marxisme et les conceptions social-démocrates d’un capitalisme « organisé ». Il raisonnait en termes d’« organisation » pour évaluer les phénomènes.

    N’ayant pas confiance dans l’alliance ouvrière-paysanne en URSS, il était favorable au maintien de la NEP permettant un certain capitalisme et s’opposait à la ligne d’une industrialisation rapide.

    Au sens strict, son accession à la direction de l’Internationale Communiste correspond à l’écrasement dans le PCUS(b) des forces d’ultra-gauche et lui-même, n’ayant pas une approche correcte, s’est transformé en porte-parole de l’aile droite, qui veut temporiser et refuse le jusqu’auboutisme liquidateur de Trotsky.

    On a un bon résumé de ce processus par Dmitri Manouïlski, dans le cadre de sa longue présentation de la situation en URSS, un moment classique de chaque congrès.

    Dmitri Manouïlski souligna que le combat mené contre le trotskysme en URSS a une incidence internationale et qu’il correspond à toute une séquence historique :

    « L’opposition trotskyste n’a pas été une apparition de signification simplement « nationale ». La lutte contre l’opposition trotskyste a été menée sur l’ensemble du front international.

    L’absence de croyance en la cause de la construction socialiste en Union Soviétique, qui est caractéristique de nos courants oppositionnels, était entrelacé de manière étroite avec des courants pusillanimes, défaitistes, qui ont été produits dans le mouvement ouvrier d’Europe de l’Ouest en raison des événements de 1923 en Allemagne, de la défaite de la grève générale anglaise et par le repli temporaire de la grande révolution chinoise.

    L’opposition trotskyste, pour cette raison, non seulement reflétait la pression des classes non prolétariennes de notre pays [qu’est l’URSS], mais reproduisait dans le zig zag historique de sa politique la pression plus élevée du capital mondial sur l’ensemble du prolétariat international et sur sa forteresse révolutionnaire ayant pris la forme de l’URSS.

    Les racines de l’idéologie trotskyste ne reposaient pas seulement dans les rapports de classe en Union Soviétique, mais bien plus profondément, elles reposaient dans la situation objective qui s’est produite après le reflux de la première vague révolutionnaire.

    La lutte contre l’opposition, partant de là, n’était pas une exportation artificielle de la question russe dans les sections ouest-européennes, mais le résultat d’une retombée autonome dans une social-démocratie revivifiée dans les Partis ouest-européens.

    L’offensive de l’opposition en URSS n’a fait qu’accélérer ce processus. »

    Le sixième congrès est ainsi marqué par le fait de surmonter un courant, le trotskysme (synonyme d’ultra-gauche avec différentes variantes), qui a été incapable de suivre le rythme de la révolution mondiale.

    Dmitri Manouïlski

    À ce titre, une partie très importante du congrès – plus d’un quart – est consacrée au bilan. Il est d’usage qu’un congrès s’ouvre par un compte-rendu de l’activité de la direction, compte-rendu validé (ou pas) par le congrès. Cependant, ici, un accent particulier est mis sur l’évaluation du bilan récent, prétexte à une analyse du bilan général.

    C’est Boukharine qui se charge du compte-rendu, en tant que chef de file de l’Internationale Communiste en remplacement de Zinoviev, et la première chose qu’il fait, c’est de souligner la différence entre plusieurs périodes.

    La première a consisté en la période de crise aiguë, culminant en 1920-1921 et se terminant en 1923. C’est la révolution d’Octobre, les soulèvements en Finlande, en Allemagne, en Hongrie, en Autriche, les événements révolutionnaires de Japon et de Corée, les occupations d’usine italiennes, etc.

    La seconde période part de l’échec de la vague révolutionnaire dans les pays d’Europe de l’Ouest et consiste en une offensive du capital. Il a été obtenu une stabilisation économique relative du capitalisme, alors que le centre de gravité passait dans les pays coloniaux (Maroc, Syrie, surtout la Chine, etc.).

    La troisième période, qui s’ouvre de fait de manière nouvelle, consiste pour Boukharine en la « reconstruction capitaliste », avec une réorganisation d’un côté, un développement technique de l’autre. Dans ce cadre, le capitalisme constate le formidable développement de l’URSS qui lui fait face, alors que les États-Unis deviennent son bastion. La vague révolutionnaire mondiale continue, dans ce cadre, en se situant désormais dans les pays dominés, principalement en Asie, notamment en Chine.

    Si l’on s’arrête à cela, tout est juste et Boukharine a été le levier pour parvenir à suivre correctement le processus de la crise générale du capitalisme.

    Cependant, Boukharine a sa propre vision des choses et ajoute un élément de plus : le capitalisme a, selon lui, changé de forme. La « reconstruction capitaliste » aurait modifié la situation du capitalisme, qui serait parvenu à un stade organisé.

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  • La nature du sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Le sixième congrès de l’Internationale Communiste présente deux aspects formant une contradiction préfigurant toute l’évolution à venir.

    D’un côté, on a pour la première fois des présentations vraiment denses de la situation de chaque pays par les délégués. Il ne s’agit pas de courts descriptifs, mais de présentation synthétique du niveau de développement économique et politique, de la situation et de ses enjeux, des questions de fond, etc.

    Cela repose sur une véritable activité communiste, avec une vraie recherche de mise en perspective, en se fondant sur l’expérience révolutionnaire russe. La vie des Partis Communistes a clairement commencé et un réel contenu se pose comme programmatique, analyse politique.

    Boukharine résume cela en disant que :

    « Actuellement, l’Internationale Communiste ne se contente plus de propagande ; cette organisation puissante est une organisation agissante.

    Elle s’appuie sur la dictature du prolétariat en Russie et sur les innombrables cohortes du prolétariat, qui luttent dans les autres pays; elle s’est déjà répandue dans le monde entier, elle est à la tête d’une lutte grandiose en Asie, elle représente une telle force, que la bourgeoisie mondiale organisée doit se protéger furieusement contre le danger communiste. »

    De l’autre côté, ce qu’on a gagné dans chaque pays a été perdu au niveau général. L’Internationale Communiste avait initialement cherché à faire le forcing à tout prix, en considérant que la vague de la révolution mondiale allait triompher à court terme.

    Cela a produit, en plus d’une situation déjà marquée par des courants éclectiques, un renforcement des courants droitiers et d’ultra-gauche.

    Or, alors que le congrès précédent s’était tenu en 1924, il était tout à fait clair, cette fois, que la vague révolutionnaire se prolongeait, mais n’avait pas eu l’effet escompté de succès rapides de grande ampleur.

    Le centre de gravité était passé dans les colonies et la révolution chinoise avait acquise une importance absolument fondamentale.

    Au congrès, avec ici notamment l’Ukrainien soviétique Dmitri Manouïlski, l’Américain William Foster, l’Allemand Ernst Thälmann

    Le sixième congrès de l’Internationale est ainsi un congrès charnière, où son initiative apparaît comme devant se prolonger, s’ancrer dans le temps. Pour cette raison, l’Internationale Communiste produit à ce congrès un programme et des statuts.

    C’est là quelque chose de nouveau, preuve d’une cimentation de l’initiative, ce qui provoquera une critique de la part des courants droitiers et gauchistes, qui y verront bien entendu une ossification, un dévoiement, un recul, etc.

    Cela implique également un regard différent sur le parcours de la crise générale du capitalisme et, pour ce faire, l’Internationale Communiste va développer le concept de stabilisation relative, tout en l’alliant avec le principe d’une prochaine guerre mondiale inéluctable.

    L’ordre du jour fut ainsi le suivant :

    a) Rapport du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste (avec comme rapporteur Boukharine) ;

    b) Rapport du Comité Exécutif de la Jeunesse Communiste Internationale (avec comme rapporteur l’Autrichien Richard Schuller) ;

    c) Rapport de la Commission Internationale de Contrôle (avec rapporteur le Letton Pēteris Stučka) ;

    d) Mesures contre le danger de guerre impérialiste (avec comme rapporteur l’Écossais Tom Bell) ;

    e) Le mouvement révolutionnaire dans les colonies (avec comme rapporteurs le Finlandais Otto Kuusinen et l’Italien Ercoli, c’est-à-dire Palmiro Togliatti) ;

    f) La situation de l’URSS et du Parti communiste russe (avec comme apporteurs le Hongrois Eugen Varga et l’Ukrainien Dmitri Manouïlski) ;

    g) Élections.

    C’est Boukharine qui ouvre et ferme le congrès ; c’est également lui qui pose le cadre.

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    de l’Internationale Communiste

  • L’organisation du sixième congrès de l’Internationale Communiste

    Entre le cinquième et le sixième congrès, il s’est déroulé plusieurs années. Le premier congrès avait eu lieu en 1919, le second en 1920, le troisième en 1921, le quatrième en 1922, le cinquième en 1924. Le sixième se tint quant à lui en 1928.

    Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l’Internationale Communiste ne fonctionnait pas ou que la direction était paralysée. Le Comité Exécutif s’était réuni cinq fois entre le cinquième et le sixième congrès, dont trois fois de manière élargie (soit avec successivement 281, 246 et 195 délégués, contre 75 et 72 délégués pour les deux sessions normales).

    Cependant, un écart de plusieurs années entre les congrès était une première et c’est très lourd de sens. Il s’est passé de nombreuses choses dans l’Internationale Communiste et la tenue du congrès s’en est vue d’autant repoussé.

    La raison principale est que l’élan de la vague révolutionnaire mondiale avait modifié son centre de gravité. Ce n’était plus l’Europe qui était en ébullition, mais certains pays asiatiques. Il fallait donc impérativement que l’Internationale Communiste parvienne enfin à concrétiser son orientation en faveur des peuples opprimés par les pays impérialistes.

    Cependant, cela allait de pair avec l’émergence d’un esprit de capitulation, tant en URSS que dans les rangs communistes des pays européens. Ce qu’on appelle le trotskysme était apparu et rejetait l’idée que l’URSS puisse se maintenir et la vague révolutionnaire se prolonger dans les pays d’Asie sous la forme de révolutions démocratiques anti-impérialistes.

    Le trotskysme prônait la « révolution permanente », c’est-à-dire la révolution socialiste comme objectif immédiat et mondial ; il se présentait ainsi comme ultra-révolutionnaire, alors qu’il ne reflétait que la capitulation devant les nouvelles tâches.

    Zinoviev, qui avait dirigé l’Internationale Communiste depuis ses débuts, n’était pas en accord avec le trotskysme, mais il avait porté lors des cinq premiers congrès un certain « urgentisme ». Cela le fit converger avec le trotskysme et, pour cette raison, il fut remplacé par Nicolas Boukharine. C’est ce dernier qui orchestra le congrès.

    Nicolas Boukharine

    Celui-ci se tint du 17 juillet au 1er septembre 1928 ; le mouvement communiste international avait alors atteint une dimension significative. Les Partis membres ou sympathisants de l’Internationale Communiste regroupaient alors 1 789 859 membres ; leurs organisations de jeunesse avaient 2 225 300 membres.

    Le congrès rassembla 515 délégués de 57 pays ; 372 eurent le droit de vote en tant que tel, 143 seulement un vote à valeur consultative.

    La répartition des voix obéissait encore à un savant calcul alliant l’importance du Parti, du pays, de la situation. On peut lire, à travers le nombre de voix, l’évaluation faite par l’Internationale Communiste de ses différentes sections.

    La partie russe de l’URSS dispose de 50 voix, l’Internationale Communiste de la Jeunesse 30 voix.

    La France a 31 voix (dont trois pour l’Indochine, trois pour l’Algérie, une pour la Tunisie) ; l’Allemagne a 25 voix, tout comme la Tchécoslovaquie.

    La Chine a 20 voix, tout comme les États-Unis. L’Angleterre a 19 voix, l’Italie a 18 voix, la Pologne a 14 voix. L’Ukraine soviétique a 9 voix, la Suède 8 voix, la Finlande 7 voix, la Bulgarie 6 voix, le Japon 5 voix.

    La Yougoslavie a 4 voix, tout comme l’Argentine, l’Autriche, la Belgique, le Canada, la Roumanie, et la Biélorussie soviétique.

    L’Inde a 3 voix, tout comme l’Indonésie et le Mexique, mais également comme les Pays-Bas, l’Union sud-africaine, le Danemark, la Suisse, ainsi que la Géorgie soviétique et l’Azerbaïdjan soviétique.

    Ont 2 voix la Grèce, la Perse, le Brésil, la Colombie, la Lituanie ; ont 1 voix le Chili, l’Arménie, l’Espagne, la Turquie, la Palestine, l’Irlande, la Lettonie et l’Uruguay.

    N’ont pas pu venir les délégués d’Australie, de Corée, de Cuba, d’Égypte et du Portugal.

    Ces délégués relèvent d’un certain renouvellement. 114 d’entre eux avaient été présents au Ve congrès, 82 au IVe, 71 au IIIe, 37 au IIe, 10 au premier. L’écrasante majorité a entre 20 et 40 ans, signe d’un élan dans la jeunesse.

    La moitié des délégués étaient des ouvriers, autour de 25 % des professions libérales, un peu moins de 20 % des employés, 3 % des paysans. Par contre, 96 % étaient des hommes, ce qui fut considéré bien entendu comme un problème de fond.

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    de l’Internationale Communiste

  • La seconde crise générale du capitalisme et le concept de « cycle »: la question de la négation de la négation

    Ce qui caractérise la crise générale du capitalisme, c’est que l’organisation de la production et de la consommation est profondément bouleversée. Il ne faut bien entendu pas prendre ce terme d’organisation au sens strict, car ce qui caractérise le capitalisme, c’est la concurrence, la compétition et, partant de là, la désorganisation.

    Pour trouver une « organisation » dans le capitalisme, et encore seulement de manière relative, il faut se pencher sur les crises qui amène une ré-adéquation par rapport à la réalité ; il y a également les situations marquées par la main-mise des monopoles.

    Tout cela n’est, cependant, que relatif. Du moment que les entreprises s’entrechoquent dans leurs activités, aucune organisation n’est possible. C’est là où le concept de cycle intervient.

    Karl Marx utilise à plusieurs reprises le terme de « cycle » dans Le capital. Par là, il parle de phénomènes qui se répètent de la même manière, de manière périodique. Cependant, il faut bien considérer ici que Karl Marx traite de ces cycles « toutes choses étant égales par ailleurs », c’est-à-dire qu’il les fige comme catégorie. Or, rien n’est figé, jamais.

    Karl Marx n’abuse donc jamais du concept de « cycle ». Il est pourtant courant de trouver le terme dans les présentations de l’analyse du mode de production capitaliste par Karl Marx. Cela est dû à une approche erronée de ce qu’est le mouvement.

    Rosa Luxembourg a pu faire cette erreur, par exemple. Figeant les cycles, elle s’est demandée comment le capital parvenait à s’accumuler toujours plus et elle a dû trouver un apport « extérieur » aux cycles, dans les pays non capitalistes qui sont colonisés.

    En réalité, les cycles se mêlent et s’entremêlent ; ils partent dans toutes les directions, comme ils viennent de toutes les directions. Le capitalisme n’est pas un assemblage de capitalistes individuels suivant le processus apport d’argent – production de marchandises – récupération de l’apport d’argent à quoi s’ajoute le fruit de l’exploitation des travailleurs.

    Ou bien c’est, si l’on veut, un assemblage qualitatif, pas mécanique ni simplement quantitatif. Il faut plus penser à une macédoine de légumes qu’à un gâteau aux strates bien délimitées.

    À l’arrière-plan, cela pose la question de la signification de la négation de la négation. En effet, la négation de la négation dit qu’une chose connaît un parcours où elle profite toujours plus de son mouvement en devenant plus complexe.

    Le capitaliste pratique la négation de la négation : il apporte a somme A, récupère la somme B, l’investit de nouveau pour obtenir la somme C, et ainsi C est la négation de B qui est elle-même la négation de A.

    La progression d’un phénomène semble correspondre ici, économiquement parlant, à la négation de la négation.

    Karl Marx lui-même présente la chose ainsi, ou du moins semble le faire, pour présenter le processus révolutionnaire. La petite propriété qui s’est généralisée se fait nier par la formation de grands capitalistes, qui exproprient les propriétaires. Mais les grands capitalistes se font eux-mêmes nier par le prolétariat et ils sont expropriés également. Il y a un processus de négation de la négation.

    Voici comment Karl Marx nous explique cela dans Le capital  :

    « L’appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste, constitue la première négation de cette propriété privée qui n’est que le corollaire du travail indépendant et individuel.

    Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature.

    C’est la négation de la négation.

    Elle rétablit non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur les acquêts de l’ère capitaliste, sur la coopération et la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol. »

    Cette question de la négation de la négation est très importante à saisir dans son rapport avec la question du cycle. Il apparaît en effet qu’on a ici une contradiction entre le processus général et la réalité particulière.

    Si l’on expose qu’il y a la négation de la négation, alors on a trois moments en particulier. On a le moment dont on parle, qui est la négation d’une chose précédente, qui est elle-même la négation d’une chose précédente. Notons d’ailleurs qu’on parle bien en fait d’une seule et même chose, qui s’est transformée.

    Or, qui dit parler de trois choses, même pour parler d’une seule chose – disons trois moments – sépare par définition ces phénomènes. Comment conjuguer cela avec le fait que les cycles s’emboîtent tous les uns dans les autres, qu’ils forment un jeu de va-et-vient où tout est lié et dont on ne peut rien séparer ?

    Comment peut-on, comme le fait Karl Marx, dire d’un côté qu’on ne peut analyser les phénomènes qu’en les isolant, ce qui est une abstraction, une considération « toutes choses égales par ailleurs », donc de manière limitée, et de l’autre qu’il y a la négation de la négation, avec une séparation tranchée ?

    On touche là un aspect très difficile de la dialectique, où il y a une séparation et en même temps il n’y en a pas. D’un côté il y a bien un mode de production féodal qui cède la place à un mode de production capitaliste… De l’autre côté il s’agit d’un seul et même phénomène.

    Mao Zedong nous apporte ici beaucoup, car il explique qu’il y a toujours un aspect principal. Comme c’est le même phénomène, car le même univers en mouvement, alors c’est l’aspect principal et la séparation est secondaire.

    C’est pour cela qu’il rejette la négation de la négation, qui est pour lui un concept obscurcissant que tout est va-et-vient à tous les niveaux, que tout est en inter-relation et par là-même affirmation et négation, tout le temps.

    Essayons de comprendre cela par rapport à la question du cycle. Si on prend un mouvement cyclique, on peut voir qu’on a une répétition ; on a un phénomène, puis le même phénomène qui revient, puis revient encore.

    Il y a alors deux possibilités. Soit le cycle existe vraiment et il n’y a que des différences quantitatives entre les éléments du cycle, au sens où un mouvement en suit un autre similaire, qui lui-même en précède un autre similaire, etc.

    Soit il n’y a pas de cycle en tant que tel et ce sont deux mouvements qui se suivent dont la différence est qualitative et dont les similitudes, rapprochements, etc. sont secondaires et non principales, mais suffisamment proches pour qu’on parle de cycle.

    Dans un premier cas, on a un schéma du type :

    2 / 4 / 8 / 16 / 32 / 64 / 128 etc.

    Ici soit il y a accumulation dans le cadre des éléments cycliques, soit il y a une répétition mécanique et donc augmentation du nombre d’éléments cycliques effectués.

    Dans le second cas, on a un schéma du type :

    a / b / c / d / e / f etc.

    Ici, b est de même nature que a, mais substantiellement différent, le fait que cela relève d’un même mouvement amenant à qu’on les place au sein d’un même cycle.

    Selon qu’on suive le premier ou le second schéma, on a une approche différente.

    Dans le premier cas, on analyse le cycle en général et les éléments cycliques en particulier. La définition principale est celle du cycle dans l’absolu ; les différenciations entre les éléments cycliques entre eux sont secondaires.

    Dans le second cas, on étudie les éléments « cycliques » en général et le « cycle » en particulier, ce dernier n’étant qu’un descriptif.

    On aura compris le problème. Imaginons qu’on parle du mode de production féodal se transformant en mode de production capitaliste. Il n’y a pas d’instant T. Il n’y a pas de moment où les cycles du mode de production féodal s’arrêtent et où ceux du mode de production capitaliste commencent. Les deux modes de productions sont fondamentalement imbriqués.

    Mais s’ils sont imbriqué… Comment les distingue-t-on ? Et s’ils se distinguent, c’est bien qu’ils sont différents !

    On est ici au cœur de la contradiction entre identité et différence. Et Mao Zedong considère ici qu’on peut bien saisir la chose, si on voit que l’aspect principal est l’unité des contraires, pas leur lutte.

    Il y a toujours lutte, mais s’il n’y avait que lutte et pas unité, il n’y aurait rien. Voilà pourquoi, selon lui, il ne faut pas considérer la négation de la négation comme une loi ; elle est une présentation particulière qui, somme toute, relève de la loi de la contradiction en général, qui est universelle.

    Cela a une grande importance, forcément, pour comprendre les cycles dans le capitalisme, avec à l’arrière-plan d’ailleurs la transformation des cycles capitalistes en cycles socialistes. Toute la transition du capitalisme au socialisme se joue à ce niveau-là.

    Prenons maintenant les cycles et voyons si leur évolution relève du qualitatif, avec modification substantielle, ou bien du quantitatif, avec une accumulation. Eh bien dans les deux cas, cela pose problème.

    En effet, que le changement soit qualitatif ou quantitatif, on a tout de même des phénomènes de nature, si ce n’est équivalente, au moins très proche. Comment les distinguer ? Est-il juste de le faire ?

    Un enfant grandit par exemple jusqu’à l’âge adulte : il n’y a pas de répétition pure et simple comme le cycle de la lune par rapport à la Terre, il y a bien eu un saut qualitatif, mais en même temps cela reste la même personne. On a un mouvement lunaire et un mouvement de l’enfant ; la lune reste la lune, l’enfant reste l’enfant. L’enfant a cependant changé… tout en restant lui-même.

    Cela semble pourtant incohérent de présenter les choses ainsi. Dire qu’un mouvement est uniquement quantitatif est anti-dialectique. Un mouvement quantitatif porte forcément en lui la qualité également, et inversement. Il est absolument impossible, dialectiquement, que le mouvement de la lune soit toujours tout le temps le même, ou du moins pour une période relativement longue.

    Pour qui ne comprend pas la dialectique, le tableau accroché au mur ne change pas, ne bouge pas, il est statique, il y a la répétition cyclique d’un mouvement toujours similaire. Cela est impossible du point de vue dialectique, pour qui tout se transforme tout le temps. Le tableau va de fait se dégrader, tout comme le mur, le clou le maintenant sur le mur, etc. etc.

    Aucun phénomène ne peut jamais être semblable à lui-même, jamais. Il l’est relativement, car il reste lui-même, mais en même temps il s’insère dans l’univers dont il n’est qu’un aspect. On a un bon exemple ici lorsqu’en Inde, dans les anciens temps, cette problématique a été perçue et qu’il a été tenté de la résoudre avec le principe de la réincarnation. Un être vivant est un être vivant et la réincarnation n’est que le constat idéaliste que chaque être vivant s’insère dans le vivant en général.

    C’est qu’il va de soi que si l’on prend la totalité, il est difficile de trouver un début et une fin, une entrée et une sortie. L’enfant n’est ainsi pas passé du jour au lendemain à l’âge adulte. Il en va de même pour le cycle de la lune par rapport à la Terre, dont les éléments sont imbriqués au point que la sortie de l’un est l’entrée dans l’autre. La lune ne s’arrête pas en cours de route ou ne traverse pas une banderole d’arrivée.

    C’est pour cela que Karl Marx est notre maître. Il a le premier saisi cette question d’absence du départ et de l’arrivée tout en parvenant, malgré tout, à présenter les phénomènes en mouvement. Le capital est une œuvre admirable précisément pour cette raison. Elle est un chef d’œuvre du matérialisme dialectique.

    Comment Karl Marx a-t-il trouvé une voie ? Il a en fait saisi de manière dialectique les contradictions entre unité et lutte, identité et différence, qualité et quantité. Il profitait d’une excellente lecture subjective de ces contradictions et a pu ainsi les retrouver objectivement. On retrouve à l’arrière-plan la question du développement inégal.

    La première chose à faire est de reconnaître la dignité du réel. On note alors des nuances entre les choses. Qui dit nuance dit différence, et une différence est en soi une contradiction. Mais quelle est la substance de cette contradiction ?

    Dans son Anti-Dühring, Friedrich Engels nous donne ici une indication. Il parle du mouvement biologique d’un brin d’orge et le caractérise comme négation de la négation. Cela rejoint le concept de cycle, car au sens strict un cycle est la négation du cycle précédent, qui lui-même est la négation du cycle précédent, etc.

    Pour qu’une chose soit une chose en étant une négation de quelque chose, il faut bien un rapport entre les deux, d’où le raisonnement de Friedrich Engels.

    Et cela est vrai qu’il s’agisse d’un cycle « qualitatif » comme d’un cycle « quantitatif », car dans tous les cas un cycle est une progression impliquant une définition et toute définition est négation. C’est pour cela que Friedrich Engels prend comme exemple un cycle biologique pour parler de négation de la négation.

    « Prenons un grain d’orge. Des milliards de grains d’orge semblables sont moulus, cuits et brassés, puis consommés.

    Mais si un grain d’orge de ce genre trouve les conditions qui lui sont normales, s’il tombe sur un terrain favorable, une transformation spécifique s’opère en lui sous l’influence de la chaleur et de l’humidité, il germe : le grain disparaît en tant que tel, il est nié, remplacé par la plante née de lui, négation du grain.

    Mais quelle est la carrière normale de cette plante ? Elle croît, fleurit, se féconde et produit en fin de compte de nouveaux grains d’orge, et aussitôt que ceux-ci sont mûrs, la tige dépérit, elle est niée pour sa part.

    Comme résultat de cette négation de la négation, nous avons derechef le grain d’orge du début, non pas simple, mais en nombre dix, vingt, trente fois plus grand. Les espèces de céréales changent avec une extrême lenteur et ainsi l’orge d’aujourd’hui reste sensiblement semblable à celle d’il y a cent ans (…).

    Qu’est-ce donc que la négation de la négation ?

    Une loi de développement de la nature, de l’histoire et de la pensée extrêmement générale et, précisément pour cela, revêtue d’une portée et d’une signification extrêmes ; loi qui, nous l’avons vu, est valable pour le règne animal et végétal, pour la géologie, les mathématiques, l’histoire, la philosophie (…).

    Il va de soi que je ne dis rien du tout du processus de développement particulier suivi, par exemple, par le grain d’orge, depuis la génération jusqu’au dépérissement de la plante qui porte fruit, quand je dis qu’il est négation de la négation.

    En effet, comme le calcul différentiel est également négation de la négation, je ne ferais, en renversant la proposition, qu’affirmer ce non-sens que le processus biologique d’un brin d’orge est du calcul différentiel ou même, ma foi, du socialisme.

    Voilà pourtant ce que les métaphysiciens mettent continuellement sur le dos de la dialectique. Si je dis de tous ces processus qu’ils sont négation de la négation, je les comprends tous ensemble sous cette loi unique du mouvement et, de ce fait, je ne tiens précisément pas compte des particularités de chaque processus spécial pris à part.

    En fait la dialectique n’est pas autre chose que la science des lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et de la pensée.

    On peut aussi faire cette objection : la négation ici accomplie n’est pas une vraie négation : je nie aussi un grain d’orge en le moulant, un insecte en marchant dessus, la grandeur positive a en la biffant, etc.

    Ou bien je nie la proposition : la rose est une rose, en disant : la rose n’est pas une rose; et qu’en résulte-t-il si je nie à nouveau cette négation et dis : la rose est pourtant une rose ?

    Ces objections sont en fait les principaux arguments des métaphysiciens contre la dialectique, et tout à fait dignes de cette façon bornée de penser.

    Nier, en dialectique, ne signifie pas simplement dire non, ou déclarer qu’une chose n’existe pas, ou la détruire d’une manière quelconque. Spinoza dit déjà : Omnis determinatio est negatio, toute limitation ou détermination est en même temps une négation .

    Et en outre, le genre de la négation est ici déterminé d’abord par la nature générale, deuxièmement par la nature particulière du processus. Je dois non seulement nier, mais aussi lever de nouveau la négation. Il faut donc instituer la première négation de telle sorte que la deuxième reste ou devienne possible.

    Et comment cela ? Selon la nature spécifique de chaque cas pris à part. Si je mouds un grain d’orge, si j’écrase un insecte, j’ai bien accompli le premier acte, mais j’ai rendu le second impossible.

    Chaque genre de choses a donc son genre original de négation de façon qu’il en sorte un développement, et de même chaque genre d’idées et de concepts. »

    Il y a ici un souci que Friedrich Engels n’a pas vu, ou plus précisément qu’il contourne. En effet, Friedrich Engels dit qu’il y a un cycle biologique, avec par exemple le développement de la plante, depuis sa génération jusqu’à sa fin, alors que ses graines vont donner donc des plantes connaissant le même parcours, et ce à l’infini.

    Or, on a perdu ici la qualité, car on n’a pas l’évolution de la plante sur le long terme. Mais surtout on a des éléments entièrement séparés, chaque plante étant un « cycle » de son début à sa fin.

    Friedrich Engels dit toutefois qu’il parle du mouvement général et qu’il n’étudie pas le caractère particulier de la plante elle-même dans son développement. Cependant, il tombe alors dans le général en tant que négation du particulier et il manque alors un pôle de la contradiction. Il ne saurait y avoir de général sans particulier et inversement.

    C’est ce qui amène au problème suivant. Un phénomène se définit comme négation d’un phénomène qui lui-même a été négation, et ce à l’infini. Mais si l’on parle de négation, alors on définit l’affirmation par la négation, et qui est plus seulement négation de la négation.

    Il manque l’affirmation comme pendant dialectique de la négation.

    Si on définit tout purement négativement, il n’y a plus d’affirmation, que des négations et alors le processus dialectique est, au sens strict, un mouvement de négation, ou plus précisément un mouvement de négation de la négation. C’est ni plus ni moins que le schéma thèse – antithèse – synthèse, avec l’antithèse n’existant que négativement.

    On sait comment Hegel a fait un fétiche de cela, voyant en le qualitatif la question clef et non plus la contradiction. Il s’appuyait lui-même sur Spinoza pour qui « toute définition est négation ». Tant Karl Marx que Friedrich Engels tenaient eux-mêmes en haute valeur cette affirmation.

    Or, ce que dit Spinoza ne suffit pas, même si on a déjà le principe de différence. Pourquoi cela ? Car on perd le rapport dialectique dans la différence. De fait, si on parle de négation de la négation, alors on n’a plus toute définition est négation, mais toute négation est définition.

    Que cette négation soit quantitative ou qualitative ne change rien à l’affaire.

    C’est pour cela que Friedrich Engels peut prendre le cycle biologique en exemple. Il dit : la graine est la négation de la plante morte qui l’a produite. La plante est la négation de la graine, qui elle-même a été négation. Et on n’a que de la négation de la négation de la négation de la négation. Un phénomène conserve du passé quelque chose qui est transporté à travers des mouvements de négation.

    Or, affirmer cela, c’est dire que la négation a une signification en soi, tout comme les éléments cycliques auraient un sens : celui d’être le moment d’une négation. On n’a plus la loi de la contradiction, mais la loi de la négation, avec des contradictions.

    Si l’on regarde bien, on peut s’apercevoir qu’on a ici la distinction entre l’URSS de Lénine et Staline et la Chine populaire de Mao Zedong. Dans le premier cas, on a le développement des forces productives comme suffisantes à la négation du capitalisme.

    Le socialisme est ici la négation du capitalisme ; il faut bien sûr l’accompagner d’une main de fer idéologique, mais le processus est négation. Les révisionnistes passeront par là en gommant la question idéologique et rétabliront de fait le capitalisme.

    Chez Mao Zedong, la négation est insuffisante, elle doit être aussi affirmation. D’où le grand bond en avant, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Durant cette dernière, les propos suivants de Mao Zedong ont largement été diffusés :

    « Engels a parlé au sujet des trois catégories, mais en ce qui me concerne je ne crois pas à deux de ces catégories (l’unité des opposés est la loi la plus fondamentale, la transformation de la qualité et de la quantité l’une en l’autre est l’unité des contraires [que sont] qualité et quantité, et la négation de la négation n’existe pas du tout).

    La juxtaposition, au même niveau, de la transformation de la qualité et de la quantité l’une en l’autre, la négation de la négation, et la loi de l’unité des opposés est « triplisme », pas le monisme.

    La chose la plus fondamentale est l’unité des opposés.

    La transformation de la qualité et de la quantité l’une en l’autre est l’unité des contraires [que sont] qualité et quantité. Il n’y a pas de telle chose comme la négation de la négation.

    Affirmation, négation, affirmation, négation… dans le développement des choses, chaque maillon de la chaîne des événements est à la fois affirmation et négation. »

    On a ainsi un aperçu suffisant pour comprendre la question et en saisir le rapport au niveau de la seconde crise générale du capitalisme.

    Au sens strict, tout est lié et le particulier relève de la totalité, auquel il est lié à tous les niveaux. Cela explique par exemple pourquoi la crise générale du mode de production capitaliste n’est pas seulement « économiques » et d’ailleurs pourquoi un mode de production ne se résume pas à une « économie ».

    Tout phénomène particulier connaît un processus de négation de la négation, au sens où il nie quelque chose qui lui-même a nié quelque chose. Ce n’est cependant qu’un aspect : à la négation correspond l’affirmation.

    Résumer les choses à une négation de la négation, c’est perdre de vue la dimension qualitative où le nouveau s’affirme. Cependant, on peut parler de négation de la négation en parlant d’un aspect du mouvement d’un phénomène. Il faut, cela étant, qu’il soit clair qu’on parle seulement d’un aspect de ce mouvement.

    Lorsqu’on parle d’un cycle au sein du mode de production capitaliste, il ne faut donc pas le résumer à une accumulation, c’est-à-dire à une négation de la négation. Il porte également en lui le nouveau, l’affirmation du dépassement. Au sens strict, l’accumulation capitaliste signifie la négation de la petite propriété, mais également l’affirmation de la socialisation.

    Et cela se lit, donc, dans chaque cycle ; chaque élément du cycle, aussi particulier soit-il, porte également l’universel. Si on parle d’un cycle ou bien d’un de ses éléments séparés en le présentant comme séparé du reste, on perd le fil conducteur, puisque tout est inter-relié.

    C’est cela seulement qui permet de voir en quoi le covid-19 est directement issu de l’expansion capitaliste et du caractère explosif donné à la contradiction villes-campagnes, comment la bourgeoisie en décadence produit des modes de vie parasitaires et antisociaux, etc.

    Ou, pour formuler cela plus simplement : le socialisme est la négation du capitalisme, mais le capitalisme est également l’affirmation du socialisme ; la seconde crise générale du capitalisme est la vague révolutionnaire mondiale et inversement.

  • Le rôle de la France dans le développement du sport mondial au XXe siècle

    Le régime grec envisageait d’organiser les jeux sur son territoire tous les quatre ans. Pierre de Coubertin dut mener, avec d’autre alliés, une large bataille pour qu’ils deviennent un événement mondial et partagé tour à tour par différentes nations.

    En tant que tels, les Jeux Olympiques suivant, à Paris en 1900, furent un échec de ce point de vue.

    Ils n’ont pas eu d’existence propre mais étaient simplement à la remorque de la Grande Exposition Universelle de Paris. C’était un événement parmi d’autre, éparpillé sur plusieurs sites sans visibilité d’ensemble. Ils n’ont fait qu’appuyer à la marge la prétention de modernité de la bourgeoisie française.

    Si cela avait déjà vacillé avec les Jeux Olympiques d’Athènes, Pierre de Coubertin avait totalement perdu la main avec ceux de Paris.

    Le départ du Marathon aux Jeux de Paris en 1900

    Ces échecs ont cependant permis de dépasser les erreurs, de se structurer différemment, pour profiter efficacement des luttes d’influence entre les pays.

    Pierre de Coubertin a fait des Jeux Olympiques et de son Comité International Olympique une structure au-dessus des États et des nations. Ils serviront alors durant le XXe siècle les prétentions des différentes puissances impérialistes et capitalistes.

    D’autre structures internationales ont ensuite vu le jour, dans le même esprit. Si ces structures ont été et sont supra-nationales, elles n’en sont pas pour autant hermétiques aux influences impérialistes, bien au contraire.

    L’aristocratie mondaine et la bourgeoisie libérale ont ainsi fait du sport un moyen de produire des marchandises culturelles pour l’industrie du divertissement, mais aussi un instrument politique de grand envergure pour les États.

    La France a été une place forte du développement du sport XIXe siècle. Elle a eu un rôle majeur pour le développement du sport mondial au tournant du XXe siècle

    Un grand nombre d’événements internationaux et de fédérations internationales trouvent leur origine en France. Le français est aujourd’hui encore la langue officielle, avec l’anglais, du Comité International Olympique (CIO).

    La Coupe du monde de Football a été mise en place à Paris en 1928, ainsi que le FIFA (Fédération internationale de football-association) en 1904. Les premiers Jeux Olympiques d’hiver eurent lieu en France en 1924. Le Tour de France, créé en 1903, est lui-même un des principaux évènements sportifs mondiaux.

    Nombreuses sont les fédérations internationales dont la dénomination officielle est encore en françaisVoici la liste, dans l’ordre de création, des structures dont le nom officiel est uniquement en français :

    – Fédération internationale de gymnastique (FIG), créée en 1881 ;

    – Fédération internationale des sociétés d’aviron (FISA) créée en 1892 ;

    – Union cycliste internationale (UCI), créée en 1900 ;

    – Fédération internationale de football-association (FIFA), créée en 1904 ;

    – Fédération internationale de l’automobile (FIA) créée en 1904 ;

    – Fédération internationale de motocyclisme (FIM) créée en 1904 ;

    – Fédération aéronautique internationale (FAI) créée en 1905 ;

    – Fédération internationale de natation (FINA), créée en 1908 ;

    – Fédération internationale d’escrime (FIE), créée en 1913 ;

    – Fédération équestre internationale (FEI), créée en 1921 ;

    – Fédération internationale de bobsleigh et de tobogganing (FIBT), créée en 1923 ;

    – Fédération internationale de Ski (FIS), créée en 1924 ;

    – Fédération internationale de roller sports (FIRS), crée 1924 ;

    – Fédération internationale de basket-ball (FIBA), créée en 1932 ;

    – Union internationale des associations d’alpinisme (UIAA), créée en 1932 ;

    – Fédération internationale de volley-ball (FIVB), créée en 1947 ;

    – Union internationale de pentathlon moderne (UIPM), créée en 1948 ;

    – Fédération internationale du sport universitaire (FISU), créée en 1949 ;

    – Fédération internationale de luge de course (FIL), créée en 1957 ;

    – Confédération mondiale des activités subaquatiques (CMAS), créée en 1959.

    =>Retour au dossier sur les origines de l’éducation physique,
    de la gymnastique et du sport en France

  • Les Jeux Olympiques d’Athènes en 1896

    Pierre de Coubertin n’envisageait pas les premiers Jeux Olympiques ailleurs qu’à Paris en 1900. Il dut cependant se plier à la volonté de ses alliés grecs d’organiser un premier événement à Athènes en 1896.

    Le président de la commission de rétablissement des Jeux Olympiques lors du congrès de 1894 Démétrios Bikélas a joué ici un rôle essentiel. Il était directement le relais de la famille royale grecque. Issus d’une famille de commerçants grecs installés à Londres et Marseille, il était une figure du nationalisme grec en Europe. Il a produit de nombreux écrits en grec moderne et en grec ancien, ainsi que traduit des romans européens en grec, et inversement.

    Démétrios Bikélas s’était installé à Paris en 1878 et menait une intense campagne culturelle et politique en faveur du régime grec et de l’expansion de la Grèce. Vice-président de l’Association pour l’encouragement des études grecques en France, il s’appuyait sur la ferveur ayant lieu pour la Grèce Antique dans les milieux intellectuels bourgeois.

    Démétrios Bikélas

    La Grèce au XIXe siècle était une nation isolée, à la merci des puissances impérialistes et en concurrence avec des pays voisins, principalement de l’empire ottoman. Son attitude était double : d’un côté elle se développait en tant que nation, de l’autre elle se soumettait aux puissances impérialistes pour lutter contre ses concurrents.

    La monarchie grecque participait ainsi à un véritable marchandage des vestiges antiques. Les puissances impérialistes s’appropriaient littéralement le patrimoine grec via les fouilles archéologiques et le rapatriement de nombreuses pièces.

    L’octroi des Jeux Olympiques d’Athènes était alors très utile pour le dispositif du Roi William Georges Oldenburg Ier, prince danois devenu roi grec sur ordre des grandes puissances alors. Les jeux devaient l’aider à légitimer son autorité, tant sur le plan national que sur le plan international. C’était un moyen pour le régime de s’approprier une partie du patrimoine culturel antique, tout en apparaissant comme moderne et « occidental » grâce au sport.

    Le roi de la Grèce William Georges Oldenburg Ier

    Les Jeux Olympiques de 1896 étaient également un moyen de mobilisation nationale. Ils furent organisés pendant la Pâques orthodoxe qui coïncidait avec le 75e anniversaire de la proclamation d’indépendance du pays. Les athlètes grecs étaient majoritaires et le public nombreux. La victoire de Spyrídon Loúis au marathon (épreuve inventée par le célèbre linguiste français Michel Bréal) fut le moment phare de l’événement, déclenchant une grande ferveur populaire.

    Ces Jeux Olympiques permettaient également de servir un but politique très précis : la tentative d’unification nationale grec (« Énosis ») avec l’intégration de plusieurs territoires méditerranéens. La sélection d’athlètes « grecs » dans des territoires que revendiquait le régime était un moyen culturel très efficace.

    Cérémonie d’ouverture des jeux de 1896 au Stade panathénaïque

    Charles Maurras, envoyé sur place pour décrire l’événement auquel il était hostile à la base, se félicitait finalement de ces manifestations nationalistes. Dans sa Quatrième lettre, Le Stade panathinaïque, il expliquait :

    « Bien loin d’étouffer les passions patriotiques, tout ce faux cosmopolitisme du Stade ne fait que les exaspérer. Je suis loin de m’en plaindre. »

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