5 mars 1949
I
A la suite des trois campagnes de Liaosi-Chenyang,
de Houai-Hai et de Peiping-Tientsin, le gros de l’armée du
Kuomintang se trouve anéanti.
Des troupes de combat du Kuomintang, il reste un
peu plus d’un million d’hommes seulement, dispersés dans de
vastes régions allant du Sinkiang au Taïwan, et sur des fronts très
étirés.
Désormais, il ne peut y avoir que trois procédés
pour régler le sort de ces troupes : celui de Tientsin, celui
de Peiping et celui du Soueiyuan.
Eliminer l’ennemi par le combat, comme nous
l’avons fait à Tientsin, doit rester l’objet premier de notre
attention et de nos préparatifs.
Les commandants et les combattants de l’Armée
populaire de Libération ne doivent en aucune façon relâcher leur
volonté de combat ; toute pensée qui tend à relâcher la
volonté de combat ou à sous-estimer l’ennemi est erronée.
La possibilité de résoudre la question par le
procédé de Peiping s’est accrue, c’est le procédé qui
consiste à forcer les troupes ennemies à se réorganiser par la
voie pacifique, rapidement et complètement en unités de l’Armée
populaire de Libération selon le système de celle-ci.
Cette solution atteint moins bien que la solution
par le combat le but d’éliminer rapidement les vestiges de la
contrerévolution et son influence politique.
Mais elle se présentera certainement après la
destruction des forces principales de l’ennemi, et elle est
inévitable ; d’ailleurs, elle est avantageuse pour notre
armée et le peuple, car elle permet d’éviter les pertes et les
destructions.
C’est pourquoi les camarades dirigeants des
différentes armées de campagne doivent tenir compte de cette forme
de lutte et apprendre à s’en servir.
C’est une des formes de la lutte, une forme de
lutte sans effusion de sang ; elle n’implique pas que les
problèmes puissent être résolus sans lutte.
Le procédé du Soueiyuan consiste à conserver à
dessein une partie des troupes du Kuomintang, intactes ou peu s’en
faut, c’est-à-dire à leur faire des concessions temporaires afin
d’obtenir plus facilement qu’elles se rangent de notre côté ou
restent neutres politiquement.
Nous pourrons alors concentrer nos forces pour
liquider d’abord la partie principale de ce qui reste des forces du
Kuomintang et procéder ensuite, après un certain temps (par
exemple, quelques mois, un semestre ou une année), à la
réorganisation des troupes ainsi conservées en unités de l’Armée
populaire de Libération selon le système de celle-ci.
C’est là une autre forme de lutte.
Elle laissera subsister plus largement et plus
longtemps que le procédé de Peiping les vestiges et l’influence
politique de la contre-révolution.
Mais il n’y a pas le moindre doute que ces
vestiges et cette influence seront finalement éliminés.
Il ne faut jamais croire qu’une fois soumises à
nous, les forces contre-révolutionnaires deviennent révolutionnaires
et que leurs idées et desseins contre-révolutionnaires
disparaissent.
Il n’en est rien. Parmi les
contre-révolutionnaires, beaucoup seront rééduqués, d’autres
exclus et certains éléments irréductibles réprimés.
II
L’Armée populaire de Libération sera toujours
une force combattante.
Même après la victoire sur le plan national,
pendant la période historique où les classes n’auront pas été
supprimées dans notre pays et où le système impérialiste
continuera à exister dans le monde, notre armée restera une force
combattante.
Il ne doit y avoir aucun malentendu, aucun
flottement sur ce point. L’Armée populaire de Libération est
aussi un corps de travail ; il en sera surtout ainsi lorsque le
procédé de Peiping ou celui du Soueiyuan sera appliqué dans
différentes régions du Sud.
Ce rôle de corps de travail s’accroîtra à
mesure que les combats diminueront.
Il est possible que d’ici quelque temps toute
l’Armée populaire de Libération devienne un corps de travail ;
il nous faut prévoir cette situation.
Les 53.000 cadres actuellement prêts à partir
avec l’armée pour le Sud sont loin d’être suffisants pour les
vastes régions nouvelles que nous tiendrons bientôt, et nous devons
nous préparer à faire de toutes nos armées de campagne, fortes de
2.100.000 hommes, un corps de travail.
De cette façon, les cadres seront en nombre
suffisant, et le travail pourra se développer dans de vastes
régions.
Nous devons considérer nos armées de campagne
avec leurs 2.100.000 hommes comme une vaste école de cadres.
III
De 1927 à aujourd’hui, le centre de notre
travail était situé dans les campagnes : nous rassemblions des
forces dans les campagnes, nous cernions les villes par les
campagnes, puis nous prenions les villes.
La période où cette méthode de travail était
applicable a pris fin.
Dès maintenant commence la période : «de
la ville à la campagne », la période où la ville dirige la
campagne.
Le centre du travail du Parti est passé de la
campagne à la ville.
Dans les régions du Sud, l’Armée populaire de
Libération prendra d’abord les villes et ensuite les campagnes.
Il faudra s’occuper à la fois des villes et des
campagnes et lier étroitement le travail dans les villes et le
travail dans les campagnes, les ouvriers et les paysans, l’industrie
et l’agriculture.
En aucun cas il ne faut laisser de côté les
campagnes pour s’occuper uniquement des villes ; une telle façon
de voir serait entièrement erronée.
Néanmoins, le travail du Parti et de l’armée
doit être centré sur les villes ; nous devons faire les plus grands
efforts pour apprendre l’administration et l’édification des
villes.
Nous devons apprendre à lutter, dans les villes,
contre les impérialistes, le Kuomintang et la bourgeoisie sur les
plans politique, économique et culturel, et contre les impérialistes
sur le plan diplomatique.
Nous devons apprendre à mener contre eux non
seulement des luttes ouvertes, mais aussi des luttes cachées.
Si nous ne prêtons pas attention à ces
problèmes, si nous n’apprenons pas à mener de telles luttes
contre ces gens et si nous ne parvenons pas à remporter la victoire
dans ces luttes, nous ne serons pas en état de garder le pouvoir,
nous ne pourrons pas nous maintenir, nous échouerons.
Après l’anéantissement des ennemis armés, il
restera encore des ennemis non armés ; ceuxci ne
manqueront pas de mener contre nous une lutte à mort ; nous ne
devons jamais les sous-estimer.
Si nous ne posons et ne comprenons pas maintenant
le problème de cette façon, nous commettrons de très graves
erreurs.
IV
Sur qui nous appuieronsnous pour mener nos
luttes dans les villes ?
Certains camarades aux idées confuses pensent que
nous devrons nous appuyer non sur la classe ouvrière, mais sur la
masse des indigents.
D’autres camarades, aux idées plus confuses
encore, pensent que nous devrons nous appuyer sur la bourgeoisie.
Quant à l’orientation du développement de
l’industrie, certains camarades aux idées confuses pensent que
nous devrons aider avant tout au développement des entreprises
privées et non à celui des entreprises d’État.
D’autres soutiennent au contraire qu’il
suffira de s’occuper des entreprises d’État et que les
entreprises privées seront de peu d’importance. Nous devons
critiquer ces idées confuses.
Nous devons nous appuyer de tout cœur sur la
classe ouvrière, unir à nous les autres masses laborieuses, gagner
les intellectuels et faire en sorte que le plus grand nombre possible
d’éléments de la bourgeoisie nationale et de ses représentants,
susceptibles de coopérer avec nous, se rangent de notre côté ou
restent neutres, afin que nous puissions mener une lutte résolue
contre les impérialistes, le Kuomintang et la bourgeoisie
bureaucratique et vaincre progressivement ces ennemis.
En même temps, nous commencerons notre œuvre
d’édification, nous apprendrons peu à peu à administrer les
villes, nous relèverons et développerons leur production.
En ce qui concerne le problème du relèvement et
du développement de la production, il faut spécifier ce qui suit :
en premier lieu vient la production de l’industrie d’État, en
second lieu la production de l’industrie privée, en troisième
lieu la production artisanale.
Du jour même où nous prenons possession d’une
ville, nos regards doivent être tournés vers le relèvement et le
développement de sa production.
Nous devons nous garder d’agir à l’aveuglette,
à tort et à travers, en oubliant la tâche principale, de telle
façon que, plusieurs mois après la prise de la ville, la production
et l’édification n’y soient pas encore dans la bonne voie et que
beaucoup d’industries y soient même arrêtées, provoquant le
chômage des ouvriers, l’abaissement de leur niveau de vie et leur
mécontentement envers le Parti communiste.
Un état de choses pareil serait tout à fait
inadmissible.
D’où la nécessité pour nos camarades de faire
les plus grands efforts pour apprendre les techniques de production
et les méthodes de gestion, de s’initier à toutes les activités
directement liées à la production, telles que le commerce et la
banque.
Ce n’est qu’avec le relèvement et le
développement de la production dans les villes, avec la
transformation des villes de consommation en villes de production,
que le pouvoir populaire pourra s’affermir.
Les autres tâches à accomplir dans les villes —
par exemple le travail d’organisation du Parti, le travail dans les
organes du pouvoir, les syndicats et autres organisations populaires,
le travail dans le domaine de la culture et de l’éducation, le
travail de liquide la contre-révolution, le travail dans les agences
d’information, les journaux et la radiodiffusion, toutes ces tâches
doivent être menées autour de la tâche centrale de production et
d’édification économique, et la servir.
Si nous ne connaissons rien à la production et
n’arrivons pas à acquérir rapidement les connaissances
nécessaires, si nous ne pouvons pas relever et développer la
production dans le plus bref délai et remporter des succès réels,
de façon à améliorer la vie du peuple en général, celle des
ouvriers en premier lieu, nous ne serons pas en état de garder le
pouvoir, nous ne pourrons pas nous maintenir et nous échouerons.
V
Dans le Sud, les conditions ne sont pas les mêmes
que dans le Nord, il faut par conséquent que les tâches du Parti y
soient différentes.
Le Sud est encore sous la domination du
Kuomintang.
Là, dans les villes et les campagnes, le Parti et
l’Armée populaire de Libération ont pour tâche d’anéantir les
forces armées réactionnaires du Kuomintang, d’établir les
organisations du Parti, d’instaurer les organes du pouvoir, de
mettre en mouvement les masses, de créer des syndicats, des unions
paysannes et autres organisations populaires, d’organiser des
forces armées populaires, de balayer les derniers vestiges du
Kuomintang, de relever et de développer la production.
Dans les campagnes, notre tâche consiste tout
d’abord à mener systématiquement la lutte pour liquider les
bandits, combattre les tyrans locaux, c’est-à-dire la fraction au
pouvoir de la classe des propriétaires fonciers, et à achever les
préparatifs pour la réduction des fermages et du taux d’intérêt,
afin de réaliser cette réduction un an ou deux ans après l’arrivée
de l’Armée populaire de Libération dans ces régions, et créer
ainsi les conditions préalables pour la répartition des terres.
En même temps, il faut avoir soin de maintenir
autant que possible le niveau actuel de la production agricole et de
l’empêcher de baisser.
Dans le Nord, à l’exception des quelques
régions nouvellement libérées, les conditions sont toutes
différentes.
Ici la domination du Kuomintang a été renversée,
la domination du peuple instaurée et le problème agraire
radicalement résolu.
La tâche principale du Parti est, ici, de
mobiliser toutes les forces pour relever et développer la
production, point central de tout notre travail ; il est
également nécessaire de rétablir et de développer les activités
dans les domaines de la culture et de l’éducation, d’éliminer
ce qui reste des forces réactionnaires, de consolider tout le Nord
et de soutenir l’Armée populaire de Libération.
VI
Nous avons déjà effectué un vaste travail
d’édification économique ; la politique économique du Parti
a été traduite dans la pratique et elle a obtenu des succès
marquants.
Cependant, sur la question de savoir pourquoi on
doit adopter telle politique économique plutôt que telle autre, sur
cette question de théorie et de principe, il existe dans le Parti
beaucoup d’idées confuses.
Comment fautil répondre à cette question ?
A notre avis, voici quelle doit être la réponse.
Avant la Guerre de Résistance contre le Japon, la
part de l’industrie et de l’agriculture dans l’économie
nationale de la Chine était, pour l’ensemble du pays, d’environ
10 pour cent pour l’industrie moderne et d’environ 90 pour cent
pour l’agriculture et l’artisanat.
C’est là le résultat de l’oppression exercée
par l’impérialisme et le féodalisme sur la Chine ; c’est
là l’expression, sur le plan économique, du caractère
semi-colonial et semi-féodal de la société dans l’ancienne
Chine ; et c’est également le point de départ fondamental
pour toutes les questions dans la période de la révolution chinoise
et pendant un temps relativement long après la victoire de celle-ci.
Toute une série de problèmes concernant la
stratégie, la tactique et la politique de notre Parti en découlent,
et c’est pour lui à l’heure actuelle une tâche importante que
de parvenir à une compréhension plus claire et à une solution
meilleure de ces problèmes.
Ils peuvent s’énoncer comme suit :
1. La Chine
dispose déjà d’une industrie moderne qui représente 10 pour cent
environ de son économie ; ceci est un facteur de progrès, un
élément nouveau par rapport à l’ancien temps.
Il en résulte que la Chine a de nouvelles classes
et de nouveaux partis politiques : le prolétariat et la bourgeoisie,
les partis prolétarien et bourgeois.
Ayant subi l’oppression de multiples ennemis, le
prolétariat et son parti ont été trempés par les épreuves, et
ils sont qualifiés pour diriger la révolution du peuple chinois.
Quiconque néglige ou minimise ce fait commettra
des erreurs d’opportunisme de droite.
2. La Chine a
encore une économie agricole et une économie artisanale dispersées
et individuelles qui représentent 90 pour cent environ de toute son
économie ; voilà qui est retardataire, qui n’est guère
différent des temps anciens — 90 pour cent environ de notre vie
économique restent encore au niveau des temps anciens.
La Chine antique avait connu la propriété
féodale de la terre ; maintenant, cette propriété est abolie
par nous ou va bientôt l’être.
A cet égard, nous sommes différents des anciens
ou le serons bientôt, et nous avons ou aurons bientôt la
possibilité de moderniser graduellement notre agriculture et notre
artisanat.
Toutefois, dans leur forme fondamentale, notre
agriculture et notre artisanat restent encore aujourd’hui, et
resteront pendant un temps relativement long, dispersés et
individuels, c’est-à-dire semblables à ce qu’ils étaient dans
les temps anciens.
Quiconque néglige ou minimise ce fait commettra
des erreurs d’opportunisme «de gauche ».
3. L’industrie
moderne chinoise est extrêmement concentrée, quoique la valeur de
sa production ne représente que 10 pour cent environ de la
production globale de l’économie nationale ;
la part la plus grande et la plus importante du
capital est concentrée entre les mains des impérialistes et de
leurs laquais, les capitalistes bureaucratiques chinois.
La confiscation de cette part du capital et son
transfert à la république populaire dirigée par le prolétariat
permettront à celleci d’avoir en main les artères vitales de
l’économie du pays et à l’économie d’État de devenir le
secteur dirigeant de toute l’économie nationale.
Or, ce secteur de l’économie est de caractère
socialiste, et non de caractère capitaliste. Quiconque néglige ou
minimise ce fait commettra des erreurs d’opportunisme de droite.
4. L’industrie
capitaliste privée de la Chine, qui occupe la seconde place dans
notre industrie moderne, est une force qu’on ne doit pas ignorer.
Opprimés ou limités dans leur activité par
l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique,
la bourgeoisie nationale de Chine et ses représentants ont souvent
participé aux luttes de la révolution démocratique populaire ou
sont restés neutres dans ces luttes.
Pour ces raisons, et du fait que l’économie
chinoise est encore retardataire, il sera nécessaire, pendant une
période assez longue après la victoire de la révolution,
d’utiliser autant que possible les facteurs positifs du capitalisme
privé des villes et de la campagne dans l’intérêt du
développement de l’économie nationale.
Pendant cette période, il faudra permettre à
tous les éléments du capitalisme urbain et rural qui sont
profitables et non nuisibles à l’économie nationale d’exister
et de se développer.
Ceci est non seulement économiquement inévitable,
mais encore économiquement indispensable.
Cependant, le capitalisme n’existera ni ne se
développera en Chine de la même façon que dans les pays
capitalistes, où il peut déborder librement sans être endigué.
Le capitalisme sera limité en Chine de plusieurs
façons : par la restriction de son champ d’activité, par la
politique fiscale, par les prix du marché et par les conditions de
travail.
Nous adopterons une politique appropriée et
souple pour limiter le capitalisme de plusieurs façons, selon les
conditions spécifiques de chaque lieu, de chaque branche et de
chaque période.
Il nous est nécessaire et utile de nous servir du
mot d’ordre de Sun Yat-sen «contrôle du capital ».
Cependant, dans l’intérêt de l’économie
nationale tout entière et dans l’intérêt actuel et futur de la
classe ouvrière et de tout le peuple travailleur, nous ne devons
absolument pas limiter l’économie capitaliste privée d’une
manière excessive ou trop rigide, mais lui laisser du champ pour
qu’elle puisse exister et se développer dans le cadre de la
politique économique et de la planification économique de la
république populaire.
La politique de limitation du capitalisme privé
se heurtera inévitablement, à des degrés différents et sous des
formes différentes, à la résistance de la bourgeoisie et surtout
des grands propriétaires d’entreprises privées, c’est-à-dire
des gros capitalistes.
La limitation et l’opposition à cette
limitation seront les formes principales de la lutte de classes dans
l’État de démocratie nouvelle.
Estimer qu’à l’heure actuelle nous n’avons
pas besoin de limiter le capitalisme et que nous pouvons rejeter le
mot d’ordre de «contrôle du capital » est tout à
fait faux ; c’est de l’opportunisme de droite.
Estimer au contraire que nous devons imposer des
limites des plus restreintes ou des plus rigides au capital privé,
ou que nous pouvons même éliminer le capital privé très
rapidement, est tout aussi faux ; c’est de l’opportunisme
«de gauche » ou de l’aventurisme.
5. L’agriculture
et l’artisanat dispersés et individuels, qui représentent les 90
pour cent de la valeur globale de la production de l’économie
nationale, peuvent et doivent dans leur développement être conduits
avec prudence,
progressivement, mais activement vers la
modernisation et la collectivisation ; le point de vue selon lequel
on peut les laisser aller à leur guise est faux.
Il est nécessaire d’organiser des coopératives
de production, de consommation et de crédit, et d’en constituer
les organes dirigeants à l’échelon national, provincial,
municipal, du district et de l’arrondissement.
De telles coopératives sont des organisations
économiques collectives des masses laborieuses, fondées sur la
propriété privée et placées sous la conduite du pouvoir d’État
dirigé par le prolétariat.
Le fait que le peuple chinois est en retard sur le
plan culturel et qu’il n’a pas de tradition en matière de
coopératives pourra nous créer des difficultés, mais nous pouvons
organiser des coopératives et il nous faut les organiser, les
généraliser et les développer.
Si notre économie ne comportait que le secteur d’État, sans secteur coopératif, il nous serait impossible de conduire pas à pas l’économie individuelle du peuple travailleur vers la collectivisation, impossible de passer de la société de démocratie nouvelle à la société socialiste future, et impossible de consolider la position dirigeante du prolétariat dans le pouvoir d’État.
Quiconque néglige ou minimise ce fait commettra
aussi des erreurs extrêmement graves.
L’économie d’État, de caractère socialiste,
l’économie coopérative, de caractère semi-socialiste, plus le
capitalisme privé, l’économie individuelle et l’économie du
capitalisme d’État, gérée en commun par l’État et le capital
privé, seront les secteurs principaux de l’économie de la
république populaire et constitueront la structure économique de
démocratie nouvelle.
6. Le relèvement
et le développement de l’économie nationale de la république
populaire seront impossibles sans une politique de contrôle du
commerce extérieur.
Même quand l’impérialisme, le féodalisme, le
capitalisme bureaucratique et leur expression concentrée, le régime
du Kuomintang, auront été éliminés en Chine, le problème de
l’édification d’un système industriel indépendant et complet
ne sera pas encore résolu ; il ne le sera définitivement que
lorsque notre pays aura connu un grand développement économique et
se sera transformé de pays agricole retardataire en pays industriel
avancé.
Or, il sera impossible d’atteindre ce but sans
contrôler le commerce extérieur. Quand la révolution chinoise aura
triomphé dans tout le pays et que le problème agraire aura été
résolu, deux contradictions fondamentales n’en subsisteront pas
moins en Chine.
La première, d’ordre intérieur, est la
contradiction entre la classe ouvrière et la bourgeoisie.
La seconde, d’ordre extérieur, est la
contradiction entre la Chine et les pays impérialistes.
C’est pourquoi, après la victoire de la
révolution démocratique populaire, le pouvoir d’État de la
république populaire sous la direction de la classe ouvrière ne
devra pas être affaibli, mais renforcé.
La limitation du capital à l’intérieur et le
contrôle du commerce extérieur seront les deux principes politiques
fondamentaux du pays dans sa lutte économique. Quiconque néglige ou
minimise ce fait commettra des erreurs extrêmement graves.
7. La Chine a
hérité d’une économie retardataire, mais le peuple chinois est
courageux et travailleur ; avec la victoire de la révolution
populaire chinoise et la fondation de la république populaire, avec
la direction du Parti communiste chinois, auxquelles s’ajoute
l’aide de la classe ouvrière des différents pays du monde,
principalement celle de l’Union soviétique, le rythme de
l’édification économique de la Chine ne sera pas lent, il pourra
même être assez rapide.
Le jour est proche où la Chine connaîtra la
prospérité. Tout pessimisme à l’égard de la renaissance
économique de la Chine est sans aucun fondement.
VII
L’ancienne Chine était un pays semi-colonial
sous l’emprise de l’impérialisme.
A cause de son caractère foncièrement
anti-impérialiste, la révolution démocratique populaire de Chine
s’est attiré la haine farouche des impérialistes qui ont fait
tout leur possible pour aider le Kuomintang.
Par cette attitude, ils ont soulevé une
indignation encore plus profonde chez le peuple chinois et ont perdu
le peu de prestige qui leur restait auprès de lui.
D’autre part, le système impérialiste tout
entier s’est considérablement affaibli après la Seconde guerre
mondiale, tandis que le front anti-impérialiste mondial, avec
l’Union soviétique à sa tête, est plus fort que jamais.
Toutes ces circonstances font que nous pouvons et
devons adopter une politique de destruction systématique et totale
de l’emprise impérialiste en Chine.
Cette emprise se manifeste dans les domaines
politique, économique et culturel.
Dans chaque ville et chaque lieu où les troupes
du Kuomintang sont anéanties et le gouvernement du Kuomintang
renversé, l’emprise politique des impérialistes est abattue du
même coup, leur emprise économique et culturelle l’est également.
Mais les établissements économiques et culturels
gérés directement par les impérialistes sont toujours là, le
personnel diplomatique et les journalistes agréés par le Kuomintang
sont toujours là.
Toutes ces questions, nous devons les régler de
manière appropriée par ordre d’urgence.
Refuser de reconnaître le statut légal de tous
les services diplomatiques étrangers de la période du Kuomintang et
de leur personnel, dénoncer tous les traités de trahison nationale
de la période du Kuomintang, supprimer tous les offices de
propagande créés par les impérialistes en Chine, contrôler
immédiatement le commerce extérieur et réformer le système
douanier, voilà les premières mesures que nous devons prendre en
entrant dans les grandes villes.
Quand il aura fait tout cela, le peuple chinois se
sera dressé face à l’impérialisme.
En ce qui concerne les établissements économiques
et culturels fondés par les impérialistes, nous pouvons les laisser
subsister provisoirement, en les plaçant sous notre surveillance et
notre contrôle, jusqu’à ce que la question puisse être réglée
après notre victoire dans tout le pays.
Pour ce qui est des simples ressortissants
étrangers, leurs intérêts légitimes seront protégés et ne
seront pas lésés.
Quant à la question de la reconnaissance de la
Chine par les pays impérialistes, nous ne devons pas nous presser de
la régler maintenant, et même après la victoire dans tout le pays,
pendant une période assez longue, nous n’aurons pas besoin de nous
presser de la régler.
Nous sommes disposés à établir des relations
diplomatiques avec tous les pays selon le principe d’égalité,
mais les impérialistes qui ont toujours été hostiles au peuple
chinois ne nous traiteront sûrement pas en égaux dans un bref
délai.
Tant que les pays impérialistes n’auront pas
abandonné leur attitude hostile, nous ne leur accorderons pas de
statut légal en Chine.
Pour le commerce avec les étrangers, cela ne fait
pas de question : quand il y aura du commerce à faire, nous en
ferons, d’ailleurs nous avons déjà commencé à en faire ;
et les commerçants de plusieurs pays capitalistes sont pour cela
entrés en concurrence.
Nous devons autant que possible commercer avant
tout avec les pays socialistes et les pays de démocratie populaire ;
mais en même temps nous commercerons avec des pays capitalistes.
VIII
Toutes les conditions sont mûres pour la
convocation d’une conférence consultative politique et la
formation d’un gouvernement démocratique de coalition.
Tous les partis démocratiques, toutes les
organisations populaires et tous les démocrates sans-parti se
rangent de notre côté.
La bourgeoisie de Changhaï et du bassin du
Yangtsé cherche à nouer des relations avec nous.
La navigation et les relations postales entre le
Nord et le Sud du pays commencent à reprendre.
Le Kuomintang. Déchiré en son sein, est
entièrement coupé des masses.
Nous nous préparons à négocier avec le
gouvernement réactionnaire de Nankin.
Du côté de celui-ci, les forces qui poussent aux
négociations sont les seigneurs de guerre de la clique du Kouangsi,
les groupes du Kuomintang qui sont pour la paix et la bourgeoisie de
Changhaï.
Leur but est d’avoir leur part dans le
gouvernement de coalition, de garder autant de troupes que possible,
de préserver les intérêts de la bourgeoisie de Changhaï et du
Sud, et de faire de leur mieux pour que la révolution prenne une
couleur adoucie.
Tous ces gens-là admettent nos huit conditions
comme base de négociation, mais ils cherchent à marchander pour que
leurs pertes ne soient pas trop grandes.
Ceux qui essaient de torpiller les négociations,
c’est Tchiang Kaï-chek et ses fanatiques.
Tchiang Kaï-chek dispose encore au sud du Yangtsé
de 60 divisions qui se préparent à continuer la guerre.
Notre politique est de ne pas refuser de négocier,
mais d’exiger que l’autre partie accepte intégralement les huit
conditions et de n’admettre aucun marchandage.
En retour, nous n’écraserons pas la clique du
Kouangsi ni les autres groupes du Kuomintang qui sont pour la paix,
nous irons jusqu’à retarder d’un an environ la réorganisation
de leurs troupes, nous autoriserons certaines personnalités du
régime de Nankin à participer à la Conférence consultative
politique et au gouvernement de coalition, et nous accepterons de
protéger certains intérêts de la bourgeoisie de Changhaï et du
Sud.
Ces négociations seront menées sur un plan
général ; si elles réussissent, elles auront le grand
avantage de réduire bien des obstacles à l’avance de notre armée
vers le sud et à l’occupation des grandes villes du Sud.
Si elles ne réussissent pas, des pourparlers
séparés, de caractère local, seront à mener après l’avance de
notre armée.
Les négociations sur un plan général sont
prévues pour la dernière décade de mars.
Nous espérons occuper Nankin en avril ou mai,
puis convoquer la Conférence consultative politique à Peiping,
former un gouvernement de coalition et établir la capitale à
Peiping.
Puisque nous avons accepté de négocier, nous
devons nous attendre à de nombreuses complications qui surgiront
après le succès des négociations ; nous devons avoir l’esprit
lucide pour faire face à la tactique qu’adoptera l’autre partie,
tactique de Souen Wou-kong, le roi des singes, qui se glissa dans
l’estomac de la Princesse à l’Éventail de Fer pour s’y
démener comme un diable.
Tant que nous aurons l’esprit suffisamment
préparé, nous pourrons vaincre n’importe quel singe diabolique.
Qu’il s’agisse de négociations de paix sur un
plan général ou de pourparlers de caractère local,
prémunissons-nous toujours de cette façon.
Nous ne devons pas refuser de négocier par
crainte des complications ou par souci de la tranquillité, nous ne
devons pas non plus y aller avec des idées brumeuses.
Nous devons être fermes sur les principes, et
aussi avoir toute la souplesse que permet et qu’exige l’application
de nos principes.
IX
La dictature démocratique populaire, dirigée par
le prolétariat et basée sur l’alliance des ouvriers et des
paysans, exige de notre Parti qu’il unisse consciencieusement toute
la classe ouvrière, toute la paysannerie et les larges masses
d’intellectuels révolutionnaires ; ce sont là la force dirigeante
et les forces fondamentales de cette dictature, qui, sans une telle
union, ne peut être affermie.
En même temps, elle exige de notre Parti qu’il
unisse autour de lui le plus grand nombre possible de représentants
de la petite bourgeoisie urbaine et de la bourgeoisie nationale,
susceptibles de collaborer avec nous, ainsi que leurs intellectuels
et groupements politiques, afin de pouvoir, au cours de la période
révolutionnaire, isoler les forces contre-révolutionnaires, abattre
complètement en Chine les forces contre-révolutionnaires et les
forces impérialistes, puis, après la victoire de la révolution,
relever et développer rapidement la production, faire face à
l’impérialisme étranger, transformer à pas assurés la Chine, de
pays agricole en pays industriel, et faire de la Chine un grand Etat
socialiste.
C’est pourquoi la politique de coopération à
long terme de notre Parti avec les démocrates en dehors du Parti
doit s’affirmer dans la pensée et le travail de tout le Parti.
Nous devons avoir les mêmes égards envers la
plupart des démocrates en dehors du Parti qu’envers nos propres
cadres, examiner et résoudre avec eux, en toute sincérité, en
toute franchise, les problèmes qui demandent examen et solution,
leur confier des tâches, leur donner effectivement les pouvoirs
attachés à leurs fonctions, et les aider à remporter des succès
dans leur travail.
Partant du désir de les unir à nous, nous devons
critiquer ou combattre de manière sérieuse et appropriée leurs
erreurs et leurs défauts, dans le but de réaliser l’unité.
Il serait faux d’adopter une attitude
accommodante envers leurs erreurs ou leurs défauts. Il serait
également faux d’adopter envers eux une attitude sectaire de
«porte close » ou une attitude purement formelle.
Dans chaque grande ville ou ville moyenne, dans
chaque région stratégique et chaque province, nous devons donner
une formation à un certain nombre de démocrates en dehors du Parti
qui aient du prestige et qui soient susceptibles de collaborer avec
nous.
L’attitude erronée qu’on prenait dans notre
Parti vis-à-vis des démocrates par suite du style de «porte
close » apparu pendant la Guerre révolutionnaire agraire n’a
pas été complètement corrigée pendant la Guerre de Résistance
contre le Japon, et elle s’est de nouveau manifestée en 1947 au
moment où la réforme agraire battait son plein dans nos bases
d’appui.
Cette attitude n’aboutirait qu’à isoler notre
Parti, à empêcher l’affermissement de la dictature démocratique
populaire, et à donner des alliés à l’ennemi.
Maintenant que la Conférence consultative
politique tenue pour la première fois en Chine sous la direction de
notre Parti va se réunir, que le gouvernement démocratique de
coalition va se former, et que la révolution va triompher dans tout
le pays, le Parti tout entier doit examiner sérieusement le problème
que nous venons d’aborder et en acquérir une juste compréhension ;
il doit combattre les deux déviations, celle de droite, l’attitude
accommodante, et celle «de gauche », l’attitude de
«porte close » ou purement formelle, et adopter une
attitude tout à fait juste.
X
Bientôt, nous remporterons la victoire dans tout
le pays. Cette victoire rompra le front oriental de l’impérialisme
et sera d’une grande portée internationale.
Pour remporter cette victoire, il ne faudra plus
beaucoup de temps et d’efforts, mais il en faudra beaucoup pour la
consolider.
La bourgeoisie met en doute notre capacité de
construire. Les impérialistes comptent que nous finirons par leur
demander l’aumône pour pouvoir subsister.
Avec la victoire, certains états d’esprit
peuvent se faire jour dans le Parti : orgueil, prétention
d’être homme de mérite, inertie et répugnance à aller de
l’avant, recherche des agréments de la vie et refus de mener
encore une vie difficile.
Avec la victoire, le peuple nous sera
reconnaissant et la bourgeoisie s’avancera pour nous flatter.
L’ennemi ne peut nous vaincre par la force des
armes, ceci a été prouvé.
Cependant, les flatteries de la bourgeoisie
peuvent conquérir les volontés faibles dans nos rangs.
Il peut y avoir de ces communistes que l’ennemi
armé n’a pu vaincre, qui se conduisaient devant l’ennemi en
héros dignes de ce nom, mais qui, incapables de résister aux balles
enrobées de sucre, tomberont sous ces balles.
Nous devons prévenir pareil état de choses. La
conquête de la victoire dans tout le pays n’est que le premier pas
d’une longue marche de dix mille lis.
Ce pas, même s’il mérite notre fierté, est
relativement minime ; ce qui sera plus digne de notre fierté
est encore à venir.
Dans quelques dizaines d’années, la victoire de
la révolution démocratique populaire de Chine, vue
rétrospectivement, ne semblera qu’un bref prologue à une longue
pièce de théâtre.
C’est par le prologue que commence une pièce,
mais le prologue n’en est pas l’apogée.
La révolution chinoise est une grande révolution,
mais après sa victoire la route à parcourir sera bien plus longue,
notre tâche plus grandiose et plus ardue.
C’est un point qu’il faut élucider dès à
présent dans le Parti pour que les camarades restent modestes,
prudents, non présomptueux ni irréfléchis dans leur style de
travail, pour qu’ils persévèrent dans leur style de vie simple et
de lutte ardue.
Nous avons en main l’arme marxisteléniniste
de la critique et de l’autocritique.
Nous sommes capables de nous débarrasser du
mauvais style et de conserver le bon. Nous réussirons à apprendre
tout ce que nous ne connaissions pas auparavant.
Nous ne sommes pas seulement bons à détruire le
monde ancien, nous sommes également bons à construire un monde
nouveau.
Le peuple chinois peut vivre sans demander
l’aumône aux impérialistes ; bien plus, il vivra mieux qu’on
ne vit dans les pays impérialistes.
NOTE SUR LE TEXTE
Le Comité central issu du VIIème Congrès du
Parti communiste chinois a tenu sa deuxième session plénière du 5
au 13 mars 1949 dans le village de Sipaipo, district de Pingchan,
province du Hopei. Trente-quatre membres et dix-neuf membres
suppléants du Comité central étaient présents.
Convoquée à la veille de la victoire nationale
de la révolution populaire chinoise, cette session fut extrêmement
importante. Dans le rapport qu’il présenta à la session, le
camarade Mao Zedong exposa les principes politiques destinés à
hâter la victoire nationale de la révolution et à organiser cette
victoire.
Il expliqua qu’elle obligeait le Parti à
déplacer de la campagne à la ville le centre de son travail ;
il définit la politique fondamentale que le Parti devait adopter,
après la victoire, dans les domaines politique, économique et
diplomatique ; il fixa les tâches générales et la principale
voie à suivre pour transformer la Chine, de pays agricole en pays
industriel, de société de démocratie nouvelle en société
socialiste.
Il analysa tout particulièrement les conditions
des différents secteurs de l’économie chinoise d’alors et la
juste politique que le Parti devait adopter en conséquence, indiqua
la voie que la Chine devait nécessairement prendre pour réaliser sa
transformation socialiste, critiqua les tendances «de gauche »
et de droite à ce sujet, et exprima la ferme conviction que
l’économie de la Chine se développerait à un rythme assez
rapide.
Le camarade Mao Zedong donna une appréciation sur
la nouvelle situation de la lutte de classes à l’intérieur et à
l’étranger après la victoire de la révolution démocratique
populaire de Chine, et il lança à temps l’avertissement que les
«balles enrobées de sucre » de la bourgeoisie
deviendraient le danger principal pour le prolétariat. Tout cela
confère au présent document une grande portée pour une longue
période historique.
Ce rapport et l’article «De la dictature
démocratique populaire », écrit en juin de la même année,
constituent la base de la politique énoncée dans le «Programme
commun », lequel, adopté par la première session plénière
de la Conférence consultative politique du Peuple chinois, devait
servir de constitution provisoire après la fondation de la Chine
nouvelle.
Sur la base de ce rapport du camarade Mao
Tsétoung, une résolution fut adoptée à la deuxième session
plénière du Comité central issu du VIIème Congrès du Parti.
Après la session, le Comité
central du Parti communiste chinois quitta le village de Sipaipo pour
s’établir à Peiping.