Lotta Continua: A propos du programme «Prenons la ville»

I. LES DÉBOUCHÉS POLITIQUES

Pour nous, « prenons la ville » n’est pas seulement un mot d’ordre mais un programme qui doit nous permettre d’interpréter toute une phase de la lutte de classe et de lui donner une orientation politique.

La lutte ouvrière a atteint un « plafond ». Dans les formes où elle s’est développée jusqu’à présent, l’autonomie ouvrière risque d’être étouffée par ses propres conquêtes. Les ouvriers ont pris conscience de leur force, de leurs intérêts matériels, de leur unité de classe.

Sur le plan des conquêtes matérielles, les patrons sont décidés à ne plus rien céder désormais. Sur le plan des rapports de force entre ouvriers et patrons, le capital a déchaîné sa contre-offensive. La crise, provoquée par l’offensive ouvrière contre la productivité patronale, se retourne sous nos yeux en une initiative du capital qui tend à étouffer l’autonomie ouvrière en lui reprenant le terrain de la lutte d’usine sur lequel elle a grandi et s’est consolidée.

Certains camarades (Potere Operaio) entrevoient une issue à cette situation dans une perspective directement insurrectionnelle. L’offensive ouvrière contre la production, disent-ils, ne suffit plus. La lutte de classe ne peut progresser que sur le terrain d’un affrontement direct entre prolétaires et patrons, qui mette en jeu le pouvoir d’Etat.

Les conquêtes de l’autonomie ouvrière sont, jusqu’à ce jour, aux yeux de ces camarades, un point de départ suffisant pour affronter le problème de la prise du pouvoir et du renversement du mode de production capitaliste. Pas pour nous.

Pour nous, la révolution est un processus de longue durée. 

Nous considérons que les masses en ont parcouru ces dernières années la première étape mais cela ne signifie pas que la prise du pouvoir et l’insurrection soient aujourd’hui à l’ordre du jour. L’unité, la conscience et la puissance que le pouvoir ouvrier a atteintes ces dernières années sont loin de constituer une base suffisante pour que la lutte armée en vue de détruire l’Etat bourgeois soit le premier point à l’ordre du jour.

D’autres camarades (Il Manifesto) qui sont d’accord avec nous pour prévoir un processus révolutionnaire à longue échéance, recherchent le « débouché politique » au niveau surtout institutionnel. Ils mesurent le développement de la lutte de classe à l’établissement et à la consolidation d’institutions nouvelles. Pour eux, la lutte de classe doit donner naissance – dans les usines, les écoles et les quartiers – à un réseau de contre-pouvoirs faisant pièce au pouvoir de l’Etat et des patrons. Dans cette conception, le problème de l’affrontement violent avec l’appareil répressif de l’Etat et de l’impérialisme n’est jamais posé, et sans doute s’imagine-t-on pouvoir l’éluder.

Nous ne sommes pas d’accord. Pour nous, les structures organisationnelles sont toujours les instruments d’une ligne politique et leur valeur se mesure aux tâches que la situation politique nous permet, à chaque fois, de définir. Ce que nous mettons au premier plan, parce que cela nous permet de fixer des échéances et des objectifs, cc sont les rapports de force entre ouvriers et patrons, c’est-à-dire les possibilités et les instruments dont disposent les uns et les autres pour combattre leur ennemi de classe.

LA « FONDATION DU PARTI »

Ces deux conceptions ont en commun (avec une troisième qui ne nous intéresse pas ici parce qu’elle voit le problème du parti complètement coupé des rythmes de la lutte des classes) une vision statique et bureaucratique du parti conçu comme une chose qui n’existe pas aujourd’hui et qui existera à un certain moment. C’est pourquoi une des étapes que doit atteindre la lutte est, selon elles, la « fondation » du parti.

Pour nous, au contraire, la fondation du parti n’est rien d’autre que la formation d’une direction politique révolutionnaire au sein de la lutte de classe, c’est-à-dire la capacité, à chaque phase, de faire progresser la lutte en direction de la prise du pouvoir et du communisme. Cette capacité doit croître et se donner des tâches toujours plus générales, sans qu’on puisse dire à tel moment : crac, ça y est, à partir de maintenant le parti existe.

Pour nous, le « débouché politique » de ces luttes doit être avant tout une extension progressive de l’initiative ouvrière et prolétarienne à tous les domaines de la vie sociale, de manière à transformer tout l’éventail des rapports sociaux en terrain d’affrontement et de lutte des classes. C’est sur ce plan que nous mesurons le développement ultérieur de la lutte de classe.

Dans l’usine aussi bien que dans certaines situations exemplaires – qui ont été jusqu’à ce jour le terrain privilégié sur lequel s’est développée l’autonomie du prolétariat – les ouvriers et les prolétaires ont pris l’initiative ces dernières années : ils ont su reconnaître leurs intérêts de classe, ils les ont fait passer avant les exigences de la production, les impératifs de la technique, les lois du marché, c’est-à-dire les intérêts du patron.

Mais dans bien d’autres domaines, l’initiative reste solidement tenue en mains par les patrons, soit que les ouvriers et les prolétaires, bien qu’ils aient reconnu ces domaines comme des terrains de lutte, ne sont pas encore en mesure de lutter pour les exploiter, soit qu’ils ne sont pas assez forts, soit qu’ils n’ont pas su résoudre les contradictions entre eux, soit qu’ils n’ont pas su traduire leur force et leur conscience en lutte et en organisation. Soit enfin pour toutes ces raisons réunies.

C’est là la limite majeure de leur autonomie et tant que cette limite ne sera pas surmontée, le patron conservera intactes ses possibilités de récupération ; il se servira du terrain sur lequel c’est encore lui qui décide et a l’initiative pour isoler et étouffer l’autonomie ouvrière dans les secteurs où il a perdu l’initiative.

IL Y A DEUX VOIES EN TOUTES CHOSES

L’école, la maison, les prix, les rapports entre les sexes, entre jeunes et vieux, entre parents et enfants ; le problème de l’information, la manière de se guérir des maladies, l’administration – et la conception – de la justice ; la manière de vivre, d’être en société, de s’amuser, d’employer son temps, le sens à donner à la vie : tout cela, sans parler de la division du prolétariat en couches diverses, forme l’ensemble des domaines dans lesquels les patrons gardent l’initiative, imposent leurs solutions que les prolétaires admettent et souvent font leurs. Mais ces solutions ne sont pas neutres.

Dans n’importe quel domaine, il y a deux voies, deux manières de poser et de résoudre les problèmes : une voie prolétarienne et communiste, l’autre bourgeoise et révisionniste. La première libère la créativité des masses, les rend protagonistes de la lutte de classe. La seconde livre les masses désarmées à l’ennemi, au patron ; et celui-ci ne reste pas les bras croisés mais exploite toute occasion qui lui est offerte pour combattre, diviser et abuser les prolétaires.

Il y a chez beaucoup de camarades la conviction que ces problèmes sont étrangers à la lutte de classe, ou du moins secondaires par rapport à un terrain privilégié qui serait aujourd’hui la lutte d’usine et, dans un avenir plus ou moins lointain, la lutte armée. C’est faux.

C’est faux parce que cette conviction naît d’une conception schématique, livresque et économiste, selon laquelle la lutte de classe ou la « politique » sont des choses séparées de la vie.

C’est faux par rapport à la manière dont s’exerce concrètement le pouvoir des patrons qui tirent précisément de la « société », de la façon dont ils ont organisé la vie des prolétaires, la force d’imposer leur domination dans l’usine et par l’Etat.

C’est faux par rapport à la conscience et au comportement des masses qui donnent autant, sinon plus d’importance à leur vie sociale qu’à leur travail.

Bien sûr, il existe une manière et une orientation par lesquelles se développe l’autonomie prolétarienne, laquelle part du point où les rapports d’exploitation sont les plus directs et immédiats et y trouve la force nécessaire pour investir tous les autres domaines.

C’est la raison pour laquelle, dans la lutte de classe, l’hégémonie et la direction politique reviennent à la classe ouvrière qui a la relation la plus directe et la plus brutale avec l’exploitation capitaliste.

Mais cela ne veut pas dire que tout le reste n’est pas important et décisif pour le développement d’un processus révolutionnaire.

LES PROLÉTAIRES DOIVENT SE TRANSFORMER AVANT MÊME DE PRENDRE LE POUVOIR

D’autres camarades pensent que ces problèmes sont importants, bien sûr, mais que cela n’a pas de sens de les aborder avant la prise du pouvoir.

Aujourd’hui, selon eux, toute initiative dans ces domaines, ne peut que déboucher sur le réformisme, c’est-à-dire sur une manière différente et moins contradictoire d’organiser l’exploitation et la domination de classe.

Cela aussi est faux. C’est vrai seulement si l’on pense qu’aborder ces problèmes, c’est les résoudre, adopter des solutions dans lesquelles les prolétaires trouvent la satisfaction de leurs besoins et qui atténuent, au lieu de les accentuer, les contradictions qui les opposent à la société capitaliste.

C’est le rêve éternel du réformisme : une exploitation dont toute le monde soit satisfait.

Mais c’est faux si nous comprenons qu’affronter ces problèmes, c’est les englober dans la lutte de classe, élargir la conscience qu’ont les prolétaires de leurs intérêts, séparer les solutions bourgeoises et individualistes des solutions prolétariennes et communistes, accroître l’autonomie des prolétaires face aux patrons.

Tant qu’il y aura des patrons, tant que l’exploitation subsistera, jamais les prolétaires ne seront « bien » et aucune lutte, ni à l’usine ni sur le plan social, ne pourra aboutir à une amélioration substantielle de leur condition, à une amélioration qui ne soit précaire et partielle.

C’est pourquoi toutes les luttes doivent être appréciées en fonction de la force, de la conscience, de l’unité, de l’autonomie que les prolétaires y acquièrent, c’est-à-dire en fonction des pas en avant effectués en direction de la prise du pouvoir.

Ce qui, pour nous, est fondamental dans le programme « prenons la ville », c’est qu’il ouvre une seconde phase : il représente l’unique direction dans laquelle peut se développer l’autonomie prolétarienne (c’est-à-dire l’unité, la force et la conscience communiste du prolétariat), tandis que le pouvoir des patrons est réduit et rendu plus précaire (c’est-à-dire que leur capacité d’intervenir dans notre vie diminue).

C’est seulement de cette manière que l’on peut espérer créer un point d’appui organisationnel et politique pour la défense duquel les prolétaires se voient contraints à un affrontement armé avec les patrons.

L’accroissement de l’autonomie prolétarienne dans tous les domaines de la vie sociale est une phase nécessaire et une voie obligatoire pour que se créent les conditions de la lutte armée, pour que le problème de la prise du pouvoir ait une base de départ.

LES « BASES ROUGES »

Construire une « base rouge » dans la société capitaliste ne peut vouloir dire, comme en Chine, au Viêt-nam et dans bien d’autres pays où la révolution a triomphé ou est en train de triompher, soustraire des zones au contrôle militaire de l’ennemi et y ouvrir la voie à la construction d’un pouvoir alternatif.

Les conditions historiques et sociales dans lesquelles se déroule la révolution en Europe sont différentes, et une chose de ce genre est impensable pour nous.

Mais la construction de « bases rouges », c’est-à-dire d’arrières politiques et organisationnels à partir desquels développer la lutte armée, est indispensable pour quiconque voit la révolution comme une « guerre du peuple », comme un processus de longue durée et non pas comme un soulèvement insurrectionnel qui attend la crise du pouvoir bourgeois au lieu de la provoquer.

Construire une « base rouge » dans la société capitaliste ne veut pas dire éliminer toutes les interférences du pouvoir bourgeois sur celle-ci, mais les réduire toujours plus jusqu’à contraindre les patrons à n’exercer ces interférences que sous la forme brutale et découverte de l’occupation militaire, toute forme de contrôle politique, idéologique et même économique se heurtant à la force organisée de tous les prolétaires.

C’est à partir de ce niveau que le problème de l’auto-défense débouche, pour les prolétaires, sur celui de la destruction de l’appareil répressif de l’Etat et de l’impérialisme qui se trouve absorbé toujours plus dans une tâche qu’il ne parvient pas à assumer.

Cette « base rouge », cet arrière de la lutte armée ne peut être l’autonomie ouvrière dans les formes dans lesquelles elle s’est développée jusqu’à ce jour, c’est trop peu pour que les prolétaires éprouvent le besoin de prendre les armes pour la défendre.

Elle est trop précaire pour résister à toutes les attaques que lance le patron en faisant usage du pouvoir qu’il a sur toute la société ; elle est trop limitée, comparée aux forces prolétariennes que la révolution devra mobiliser pour vaincre.

II. – LUTTE OUVRIÈRE ET LUTTE SOCIALE

Le programme « prenons la ville » pose le problème du rapport à établir entre la lutte ouvrière – telle qu’elle s’est exprimée jusqu’ici et telle qu’elle peut se développer – et la lutte de classe sur le terrain social.

On nous a reproché de vouloir abandonner le terrain des luttes d’usine, centre de gravité de l’offensive prolétarienne, en faveur d’un programme fumeux de lutte sociale infiniment plus pauvre dans ses contenus. Ces reproches sont faux.

C’est dans les usines que se réalise l’unité de la classe ouvrière.

La lutte d’usine, l’attaque contre la production restent pour nous la base et la condition indispensable de tout développement ultérieur de la lutte de classe ; et il en sera ainsi jusqu’à la prise du pouvoir. Cela pour deux raisons fondamentales :
C’est dans l’usine avant tout que se réalise l’unité de la classe ouvrière et que se présentent les conditions d’une direction ouvrière – c’est-à-dire d’une force sociale en antagonisme total avec la façon dont est organisée la société capitaliste – sur tout le reste du prolétariat.
Si la classe ouvrière perd du terrain ou se laisse diviser dans l’usine, elle ne pourra pas non plus être unie dans la société ni, a fortiori, imposer sa direction aux autres prolétaires.

L’attaque contre la production ruine le pouvoir patronal.

La lutte d’usine, l’attaque ouvrière contre la production sont décisives pour qui veut établir un nouveau rapport des forces dans l’ensemble de la société.

La lutte d’usine paralyse le développement capitaliste, détruit les possibilités d’accumulation du capital, réduit la liberté de manoeuvre des patrons, met en crise leur domination de classe en s’attaquant à sa racine : l’exploitation du travail salarié.

Dans tous les domaines, elle ouvre un champ immense à l’initiative du prolétariat : car le terrain que les patrons sont contraints à céder dans les usines pourra être occupé et exploité, mais aussi longtemps seulement qu’il leur sera interdit de rétablir leur pouvoir sur la classe ouvrière.
Pour deux raisons fondamentales au moins, l’usine doit donc demeurer au centre de nos préoccupations et de notre travail politique. Mais il nous faut comprendre aussi que si la lutte ouvrière ne déborde par le cadre de l’usine, la lutte d’usine risque d’être asphyxiée et de perdre le rôle que nous voulons lui voir jouer. Et cela pour deux raisons au moins:

Les patrons veulent battre les ouvriers sur le plan politique.

En premier lieu, les patrons semblent se désintéresser de la reprise immédiate de la production.

Ils sont aujourd’hui disposés à perdre des milliards et à se servir de la crise pour infliger une défaite à la classe ouvrière, pour en détruire l’autonomie, pour en casser l’organisation interne, pour rétablir le pouvoir despotique de la hiérarchie sans lequel l’usine capitaliste ne fonctionne pas.

Pour tenir tête à cette attaque patronale, il faut que les usines et leurs luttes cessent d’être isolées ; elles rompront leur isolement grâce, d’une part, à des liens directs et de masse entre les différents secteurs de la classe ouvrière ; d’autre part, en offrant aux ouvriers qui se battent dans les usines une perspective qui aille au-delà des luttes qu’ils ont déjà menées et des objectifs qu’ils ont déjà adoptés ou qu’ils savent ne pouvoir imposer que dans le cadre d’un affrontement plus général.

Seul un programme général peut consolider une organisation ouvrière de masse.

En second lieu, l’organisation de masse des ouvriers à l’intérieur des usines, indispensable pour défendre et développer le niveau d’autonomie qu’ils ont déjà atteint, ne peut croître que si elle se donne une perspective plus vaste.

C’est dans la mesure seulement, où ils savent utiliser l’unité et la force forgées dans l’usine dans une lutte embrassant tous les aspects de leur condition d’exploités, que les ouvriers ressentiront le besoin et l’importance d’une meilleure organisation, d’une attaque qui, partant des usines, ne vise pas seulement leur propre patron mais investit des objectifs plus généraux. (C’est là ce qui commence à se produire avec les luttes des « pendolari » [habitants des banlieues et cités-dortoirs contraints à des trajets quotidiens d’autant plus longs et coûteux que les transports collectifs sont misérables ou inexistants] de Milan et de Turin, par exemple, luttes qui sont souvent organisées directement à l’usine.)

Tels sont les thèmes sur lesquels peuvent se développer et se consolider les organismes de masse dans les usines et l’action d’avant-garde que nous accomplissons au sein de ceux-ci. Si nous n’attaquons pas ces problèmes, les organismes de masse restent une réalité épisodique : ils fonctionnent et se développent dans les moments de lutte ouverte mais sont voués à dépérir et a refluer dès que la lutte s’arrête.

Les objectifs ouvriers de l’usine à la société.

Le rapport entre usine et société implique les contenus de toute la lutte de classe ; c’est en diffusant et en développant les contenus qui s’expriment dans l’autonomie ouvrière que l’on étend la direction ouvrière à toutes les luttes sociales et donne à celles-ci une orientation anti-capitaliste, révolutionnaire et communiste, orientation sans laquelle elles risquent constamment d’être exploitées par les révisionnistes et par les bourgeois, voire par les fascistes.

Les grèves organisées pour réclamer les réformes, la révolte de Reggio Calabria montrent comment la combativité du prolétariat peut être utilisée contre les ouvriers lorsqu’elle est dépourvue d’autonomie et de direction politique.

La classe ouvrière et la direction politique dans la lutte de classe.

Mais le rapport entre lutte d’usine et lutte sociale n’est pas seulement une question de contenus. La question est avant tout de savoir qui est le protagoniste de la lutte.

Ce sont les ouvriers qui constituent la colonne vertébrale d’une organisation prolétarienne, dans les quartiers et dans le pays, capable de diriger la lutte sociale et de lui donner une continuité, d’y investir toute l’expérience et l’autonomie acquises dans l’usine, de relier entre elles les différentes luttes en se servant pour cela de l’usine.

Et ce sont les ouvriers immigrés, les ramifications de leurs familles et de leurs amitiés, leurs déplacements d’une ville à l’autre à travers l’Europe qui constituent le lien le plus puissant entre les luttes prolétariennes, le facteur de généralisation et d’unification des thèmes de lutte entre le « nord industrialisé » et le « sud sous-développé ».

La classe ouvrière immigrée a été durant toutes ces années le foyer central de toute la lutte de classe.

Objectifs prioritaires d’un programme.

Ce lien très étroit entre lutte d’usine et luttes sociales nous permet de fixer des échéances et des priorités dans notre programme « prenons la ville »; de ne pas considérer ce programme comme un fourre-tout donnant la même importance à tous les problèmes ; de ne pas glaner au hasard des occasions et des exemples de luttes sociales mais de distinguer au sein de celles-ci des protagonistes effectifs, une logique, une ligne de développement partant des problèmes qui, aujourd’hui, sont à la portée de l’initiative ouvrière, pour s’étendre progressivement à tous les autres domaines.

Nous sommes contre le « travail de quartier » fait au petit bonheur et qui consiste à s’implanter dans un endroit donné et d’aller à la pêche des occasions de lutte.

Nous sommes contre l’agitation et la propagande autour de certains thèmes – comme, par exemple, la « liberté sexuelle » et la libération de la femme – non seulement parce que leurs contenus sont le plus souvent abstraitement intellectuels et bourgeois mais surtout parce qu’ils ne tiennent pas compte des protagonistes réels de cette lutte, qui sont les masses prolétariennes dans la mesure où elles trouvent dans la classe ouvrière une direction politique effective et un pôle organisationnel.

Il y a une façon toute intellectuelle – ou paternaliste, selon les cas – de faire face à ces problèmes et il y a d’autre part une façon prolétarienne. Et celle-ci consiste à tenir compte des protagonistes de la lutte de classe, à savoir mesurer à chaque moment leur capacité d’initiative et leurs besoins les plus urgents, à savoir évaluer les forces disponibles, bref à regarder les problèmes avec les yeux des prolétaires eux-mêmes.

Contre le réformisme.

En troisième lieu, le programme « prenons la ville » soulève la question de notre attitude face à la politique des réformes et, plus généralement, du réformisme. La lutte ouvrière d’usine est déterminante pour l’établissement d’un rapport des forces entre prolétaires et patrons, mais elle n’est pas en mesure de couvrir tous les rapports d’exploitation et d’oppression sur lesquels se fonde la société capitaliste.

En en donnant des interprétations différentes, tantôt « de gauche » – quand les réformes sont conçues comme un moyen de mettre en crise les mécanismes de l’Etat bourgeois – et tantôt « de droite » – quand les réformes sont considérées comme un moyen d’ajuster la politique du pouvoir aux besoins des masses – le mouvement ouvrier a plus d’une fois proposé une politique de réformes qui était censée couvrir les terrains de la lutte de classe au dehors des usines et des lieux de travail.

Révolutionnaires et réformistes se sont trouvés d’accord pour mobiliser les masses autour du thème des réformes : les premiers utilisaient ces thèmes comme moyens d’agitation, les seconds utilisaient la mobilisation comme un argument dans la négociation.

Encore maintenant ce problème resurgit continuellement, au sein de la gauche révolutionnaire italienne, de manière plutôt confuse : il s’agit d’un problème qui – tout comme celui de l’attitude envers le syndicat, le parlementarisme, la nécessité de la lutte armée – doit être clarifié en traçant des lignes de démarcation précises.

Les masses luttent et les patrons décident.

Car tant dans sa version « de gauche y que dans sa version « de droite », la politique des réformes a un aspect fondamental : elle enlève l’initiative directe aux masses et transporte l’affrontement entre prolétaires et patrons sur un terrain où les masses n’ont aucune possibilité de gérer leur propre lutte, remettant ainsi l’initiative entre les mains des patrons, des bureaucrates et de l’Etat.

A cela on objecte que l’objectif des réformes vaut dans la mesure où il est porté par une mobilisation de masse et où les masses sont directement partie prenante dans son élaboration ; de cette façon, dit-on, il est possible de faire croître une organisation aux ramifications multiples prenant racine là où les masses vivent leurs contradictions quotidiennes.

Voilà ce que disent aussi bien les réformistes que beaucoup de révolutionnaires. Mais cette conception relève d’une vision de la lutte de classe dans laquelle l’initiative des masses se borne à exercer une pression – qui peut aller jusqu’à la rupture ouverte – sur les institutions du pouvoir bourgeois ; l’on ne conteste pas à l’Etat bourgeois le droit et le pouvoir de décider la façon dont les masses doivent vivre et satisfaire leurs besoins. Les masses luttent et les patrons décident.

La lutte ouvrière ne peut être mesurée par les objectifs qu’elle réussit à atteindre. 

La façon dont la lutte ouvrière – et pas ouvrière seulement – s’est développée jusqu’ici nous prouve que les choses ne se passent pas ainsi.

La liberté et le pouvoir que les ouvriers ont conquis, au cours de ces dernières années, dans les usines, ne découle pas d’un nouveau système contractuel ni d’une nouvelle forme d’organisation que les patrons auraient été contraints à appliquer – comme voudraient le faire croire les syndicalistes, les réformistes et les théoriciens du contre-pouvoir – mais du fait que les ouvriers se sont changés eux-mêmes, qu’ils ont non seulement des idées beaucoup plus claires au sujet de leurs intérêts et des mécanismes sur lesquels repose le pouvoir des patrons, mais qu’ils ont plus d’audace, plus d’initiative, plus de liens entre eux, plus d’expérience, une plus grande capacité d’agir et de lutter collectivement : c’est là qu’est leur force.

Les objectifs pour lesquels ils se sont battus ont servi à leur renforcement politique et organisationnel non pas parce que les patrons les ont accordés – ils n’ont rien accordé du tout – mais parce qu’ils ont été un formidable moyen d’unification de masse.

Les concessions que le patron a faites, les changements qu’il a effectués dans l’usine et dans la structure des salaires ne représentent pas en eux-mêmes une victoire ouvrière : ce ne sont jamais que des tentatives de rétablir à un niveau différent le contrôle sur la classe ouvrière ; c’est là leur but.

Toutes les tentatives d’imposer à travers un accord une nouvelle organisation de la vie dans l’usine ou une nouvelle organisation du travail se sont révélées bientôt des pièges patronaux destinés à détruire la force que les ouvriers avaient conquise : la triste fin qu’ont connue les délégués est typique à cet égard ou, pire encore, l’exemple de la plate-forme syndicale de la Fiat, qui devait imposer « une nouvelle façon de construire des voitures ».
Cela ne signifie évidemment pas que nous sommes contre les luttes et les mobilisations pour des objectifs généraux, où la partie adverse n’est pas un patron particulier ni l’ensemble des patrons mais l’Etat et le gouvernement bourgeois.

Les objectifs clairs et généraux ont toujours été le plus puissant instrument dont disposent les prolétaires pour unifier et généraliser la lutte. Mais nous savons qu’à eux seuls les objectifs ne suffisent pas à faire croître la force et l’autonomie du prolétariat. L’enjeu de toute lutte est la capacité des prolétaires à étendre leur initiative, à faire les choses par eux-mêmes, à prendre ce qu’ils veulent.

Tel est, sur le terrain social également, le critère selon lequel nous évaluons le développement de l’autonomie prolétarienne.

Les exemples dont nous disposons sont éloquents. Les luttes des prolétaires pour faire baisser ou ne pas payer les loyers, pour occuper les immeubles ; pour faire baisser ou ne pas payer les prix des transports ; les luttes pour occuper des zones vertes ou contre la pollution, les nuisances, la ghettoïsation de quartiers entiers ; les luttes étudiantes pour utiliser l’école comme centre d’organisation et de discussion ouvert à tous les prolétaires ; les mobilisations de masse pour chasser les fascistes et détruire leurs locaux, toutes ces actions, si épisodiques et limitées soient-elles, sont des pas infiniment plus importants vers l’émancipation des prolétaires que toutes les manifestations et initiatives organisées d’en haut et même que les grèves pour les réformes, et doivent leur importance et leur utilité non pas, certes, à leurs objectifs mais au fait que les prolétaires se sont trouvés unis dans les luttes et ont pu prendre conscience de leur force.

III. PRENONS LA VILLE

Que signifie alors « prenons la ville » ? Comment cette position doit-elle se refléter dans l’organisation de notre travail ? La propagande à l’usine et les noyaux d’une organisation prolétarienne autonome.

Avant tout, il faut savoir profiter de la lutte d’usine, des occasions qu’elle offre continuellement pour commencer par poser, discuter et propager ces thèmes et les objectifs qui les traduisent, au fur et à mesure qu’ils prennent une actualité pour les ouvriers dans leur lutte.

Il en va ainsi du problème des prix, de la hausse continuelle du coût de la vie, du logement, des loyers lesquels représentent le prélèvement le plus important sur le salaire ouvrier, du transport qui ne grève pas seulement le salaire mais allonge aussi la journée de travail.

Et il en va ainsi de l’école, de la qualification professionnelle et des différences de salaires entre ouvriers et employés ; du rapport entre jeunes et anciens, entre ouvriers, entre gens du nord et immigrés et des différentes raisons qui poussent ou retiennent les uns et les autres à lutter, raisons qui sont un réel facteur de division de la classe ouvrière.

II en va encore ainsi du problème des fascistes et de la nécessité de l’auto-défense, du problème de la violence pendant les luttes, de la nécessité de démasquer, de juger publiquement et de frapper les chefs, les jaunes de toutes sortes, la hiérarchie de l’usine qui sont autant d’instruments directs de l’oppression de classe.

Il en est de même des réformes, de la tentative d’opposer l’initiative de l’Etat et de la bourgeoisie à la volonté qu’ont les masses de faire face à tous leurs problèmes par la lutte.
Il en est ainsi du problème de la santé qui ne se pose pas seulement à l’usine mais aussi au dehors, pour nos femmes et nos enfants et renvoie au problème de notre alimentation, de notre mode de vie, du pouvoir des médecins sur nos corps.

Il en va ainsi du problème de l’information, de la presse bourgeoise et de la TV, etc. Tous ces problèmes doivent être discutés en partant des exigences de la lutte à l’usine, de ses contenus et de ses objectifs, en commençant par distinguer les solutions des patrons et celles des prolétaires.

Ces discussions n’auront évidemment pas une portée immédiate mais elles s’accumuleront dans la conscience des prolétaires et ne tarderont pas à revenir à la surface sitôt que l’occasion s’en présentera.

La liaison entre les luttes.

En second lieu, il s’agit d’être présents, d’orienter et de relier entre elles les initiatives que les ouvriers prennent spontanément à l’extérieur de l’usine : par exemple les luttes des usagers des transports et certaines luttes contre les loyers, les occupations d’immeubles, etc,.

Toutes initiatives qui ont été organisées directement à l’usine ou qui reflètent le degré d’autonomie, de confiance en soi que la lutte d’usine a produit.

Relier les luttes veut dire organisation, généralisation, propagande sur les mêmes thèmes. Ce sont là les premiers exemples d’organisation ouvrière autonome dépassant les murs de l’usine, la colonne vertébrale d’une organisation ouvrière territoriale à venir.

Mais relier les luttes veut dire avant tout utiliser l’usine comme caisse de résonance de ces luttes ; comprendre que celle-ci est le terrain où certaines initiatives peuvent être comprises et généralisées ; voir que le plus souvent c’est à l’usine, dans l’accueil que les ouvriers font à certaines luttes, que réside la puissance de celles-ci et l’impossibilité pour le patron de les briser.

La liaison entre usines.

En troisième lieu, il s’agit d’organiser des liens stables entre usines dont les fils soient directement entre les mains des ouvriers.

L’intervention aux portes des autres usines, le contact avec une réalité ouvrière différente sont la première forme de l’engagement propre des ouvriers eux-mêmes, de l’action militante de masse à l’extérieur.

Tous en ressentent fortement le besoin aujourd’hui, car l’isolement des luttes est l’obstacle le plus immédiat que doit surmonter la classe ouvrière. L a liaison territoriale.

Mais la forme la plus stable et durable de liaison est assurée par la capacité des ouvriers d’une même usine et de différentes usines de se réunir, de s’organiser sur le plan territorial pour faire face, avant tout, à leurs propres problèmes, et c’est là aussi le seul moyen de gagner à l’organisation, au travail politique et au travail militant une masse énorme d’ouvriers qui ne peuvent s’arrêter à la sortie de l’usine.

L’ouverture de sièges ou même simplement le choix de lieux de réunions réguliers est une condition indispensable pour récolter les fruits, sur le plan organisationnel, d’un « travail de porte » qui risque autrement de ne pas laisser de trace durable.

Il s’agit là aussi d’un moyen fondamental d’offrir un pôle de référence à l’immense masse d’ouvriers et de prolétaires des petites entreprises qui ne peuvent organiser de luttes spécifiques sur leurs lieux de travail ou n’y parviennent que très difficilement, mais sont disponibles pour la lutte et pour l’organisation et qui peuvent finalement trouver, par leur lien avec les ouvriers et les luttes des grandes usines, leur champ d’initiative autonome.

Enfin, c’est là le moyen d’offrir aux étudiants un lien direct avec les prolétaires des quartiers qu’ils habitent, de sorte que leur travail en dehors de l’Ecole puisse être, dès le départ, non pas une initiative extérieure par rapport à la masse, mais une action se développant sur la base d’une connaissance réelle des problèmes et des luttes prolétariennes.

Là où la classe ouvrière n’est pas la force hégémonique.

Dans la ville ou dans les quartiers où il n’y a pas d’usines ou où la classe ouvrière ne peut être de façon directe le pôle de référence de tous les prolétaires, ces noyaux d’organisation prolétarienne autonome naissent et se développent par la liaison entre les avant-gardes des luttes prolétariennes – luttes pour le logement, contre les conditions de transport, mais aussi mobilisations anti-fascistes, batailles de rues, etc. – parce que la liaison avec la classe ouvrière n’est pas immédiate et que l’usine n’est pas le terrain d’unification des expériences.

Le travail de discussion, d’éducation, de clarification des perspectives de la lutte de classe doit alors nécessairement avoir un champ beaucoup plus étendu.

Les sièges.

Avoir un siège, un lieu fixe où se retrouver est une chose indispensable non seulement pour nous-mêmes, pour nous enraciner de plus en plus profondément dans une situation locale, mais surtout pour les masses qui ont besoin d’un centre auquel se référer pour lotis les problèmes qu’elles rencontrent, où elles puissent se rencontrer, se connaître, passer leur temps libre, et aussi apprendre à se divertir de façon différente, non bourgeoise.

Sans ce réseau de contacts et de liens il ne peut y avoir d’organisation prolétarienne autonome. C’est pourquoi ces sièges territoriaux, s’ils doivent fonctionner, doivent être entre les mains des masses – et entre les nôtres seulement dans la mesure où nous sommes complètement enracinés et intégrés dans la masse – financés, gérés et utilisés par les prolétaires pour tous leurs besoins. Il n’y a pas d’activités privilégiées réservées au siège et d’activités privées qui en sont bannies.

Les sièges ne doivent pas servir seulement de lieux de réunion et de discussion mais aussi pour faire des choses : organisation de la contre-information – tracts, journaux prolétariens, affiches, pancartes – activités culturelles, livres, journaux projections, cours et débats.

Les activités qui peuvent sembler « paternalistes » ne le sont que si elles sont organisées d’en haut et non sous le contrôle, par la force et le concours directs de tous : écoles maternelles, cours de rattrapage ou de perfectionnement, crèches, infirmeries prolétarien tics, assistance juridique, collectes, toutes ces activités doivent être accomplies au siège, ou à l’intérieur de l’organisation prolétarienne, avec le concours direct des prolétaires.

Le siège doit aussi être un lieu de détente. Nous n’y installerons jamais une machine à sous mais nous sommes tout à fait d’accord pour que garçons et filles y viennent pour se rencontrer, faire connaissance et organiser leurs fêtes.

De même les anciens, dont cette société ne sait que faire et dont elle souhaite qu’ils meurent le plus vite possible, peuvent trouver en notre siège un lieu pour se réunir, se rendre et se sentir utiles et surtout pour mettre enfin à la disposition des jeunes leur capital d’expérience que les patrons aimeraient faire oublier au plus vite.

L’enquête.
Nous ne devons pas faire les enquêtes nous-mêmes mais les confier aux masses, car c’est leur expérience, leur vie quotidienne à l’usine et dans les quartiers qui doit fournir les critères pour distinguer les ennemis et permettre de réunir pour chaque groupe, chaque famille, chaque individu les éléments nécessaires à la définition de sa position de classe et à son mode d’insertion dans la lutte.

Par l’enquête et par l’action dont celle-ci doit fournir la matière, la vie d’un quartier, d’une usine, d’une école doit tomber dans le domaine public, tous doivent sentir sur eux les yeux des prolétaires, savoir qu’ils peuvent compter sur ceux-ci pour toute cause juste et qu’ils doivent les redouter s’ils se rendent coupables.

A quoi sert l’enquête ? A identifier la « gauche », les couches, groupes et individus les plus combatifs, ceux qui vivent les contradictions les plus fortes, d’un côté, et d’un autre côté à isoler les ennemis, les chefs, les parasites, les exploitateurs, les jaunes, les agents de l’ennemi. Pour pouvoir dénoncer publiquement ceux-ci, il s’agit de tracer une ligne de démarcation nette entre amis et ennemis.

Dénonciation et justice populaire.

L’enquête n’a aucun sens si elle reste confinée dans un groupe restreint. La dénonciation systématique des conditions d’oppression dans lesquelles vivent les prolétaires et des instruments de leur exploitation – en descendant jusqu’aux cas individuels – est la, méthode la plus efficace pour arracher les prolétaires à leur isolement, pour leur faire comprendre qu’ils peuvent compter sur quelqu’un qui connaît et partage leur sentiment et qu’ils sont dans la voie juste s’ils luttent et apprennent à corriger leurs erreurs.

Une action de dénonciation systématique de l’ennemi de classe doit viser les patrons et ceux qui gouvernent et englober toute l’armée de leurs serviteurs et parasites : chefs d’équipe, chefs d’atelier, hommes de main, jaunes, tauliers, négociants, firmes et entreprises qui exploitent le peuple, juges, professeurs, instituteurs, maires et conseillers communaux (professionnels de la politique), fonctionnaires du parti, syndicalistes, dirigeants et jusqu’aux individus qui habitent les quartiers et les maisons des prolétaires mais ne font pas partie du prolétariat.

De la sorte, les prolétaires apprennent à distinguer leurs propres intérêts et à ne pas les confondre avec ceux de leurs exploiteurs ; de la sorte, on interdit à l’ennemi de classe aux cent visages de s’abriter derrière le mur de silence, de mystère et d’esprit de clan qui entoure ses actions.

On le force à se montrer à découvert, a avoir peur, à perdre l’initiative.

Manifestes, inscriptions sur les façades – celles de leurs maisons – tracts, journaux prolétaires, brochures et assemblées exposant leurs méfaits et leur vie privée doivent être les instruments de cette action quotidienne et doivent avoir pour résultat que les murs d’une entreprise, d’une école, d’un quartier, les choses dont parlent les prolétaires qui y vivent, prennent finalement une coloration de classe.

Sitôt que tout cela sera fait systématiquement, les prolétaires eux-mêmes prendront l’initiative et fourniront spontanément les matériaux et les informations qui permettront d’aller de l’avant.

C’est pourquoi il est nécessaire que cette action ne soit pas désordonnée, qu’elle se concentre périodiquement sur des initiatives spectaculaires comme des procès publics faits par les masses aux principaux responsables du notre exploitation ou à une catégorie particulière de ceux-ci, par exemple les chefs dans les usines.

C’est sur cette base seulement qu’une lutte juste et nécessaire contre le parlementarisme et les élections peut trouver les moyens d’aller de l’avant. Car une campagne anti-électorale ne peut être menée seulement sur la base de principes abstraits ; et ne pas la mener signifie ne pas s’attaquer à l’un des principaux instruments d’oppression et d’exploitation : le système de clientèle sur lequel s’appuie la politique bourgeoise.

Identifier, dénoncer et isoler les institutions, les intérêts matériels et les personnes qui font partie de l’appareil de l’Etat bourgeois et organisent l’adhésion à celui-ci – des fascistes aux révisionnistes – est une condition indispensable pour tracer une ligne de démarcation entre l’ennemi et nous, et pour amorcer une analyse concrète des bases sociales du révisionnisme.

L’Assemblée prolétarienne.

En plus du siège, les prolétaires doivent disposer d’un instrument de classe dans lequel ils puissent se reconnaître et auquel ils puissent se référer. C’est pourquoi il faut que, partout ou nous travaillons, l’habitude soit établie de tenir périodiquement et à date fixe des assemblées où la parole soit donnée aux masses.

Peu importe si, au début – ou même pendant longtemps – peu de gens se rendent à ces assemblées dont la convocation doit être l’objet du maximum d’efforts. Ce qui importe, c’est que l’assemblée ait toujours lieu, à date fixe, et que les prolétaires soient informés de ce qui s’y dit.

A mesure que notre travail progresse ils apprendront à la considérer comme un moyen qui leur est offert pour exprimer leurs besoins, pour faire leurs propositions, pour s’éclaircir les idées.

Donner la parole aux masses n’est pas chose simple. Des siècles d’oppression leur ont désappris à s’exprimer en public, à écouter ce que disent les autres, à discerner le coeur des problèmes.

Pour aider les masses à s’exprimer, il faut que les assemblées soient dirigées, qu’elles soient centrées sur un problème et qu’elles se terminent par une décision qui engage tout le monde ou, au moins, par une clarification.

Deux écueils doivent être évités : l’assemblée ne doit pas être une succession désordonnée d’interventions isolées consacrées à des problèmes divers et individuels ; et la nécessité de tirer des conclusions ne doit pas la transformer en une manifestation à sens unique dans laquelle les nouvelles interventions seront étouffées sous un plan préétabli.

Dans une réunion on peut dire beaucoup plus de choses – et des choses parfois plus justes – que dans une assemblée ; mais elle n’ont pas la même portée.

Le but d’une assemblée est d’apprendre aux masses à s’exprimer et à décider, à se sentir les protagonistes et à se rendre compte que leurs problèmes sont importants pour tout le monde.

L’assemblée de quartier est le lieu où des prolétaires de condition différente – ouvriers, étudiants, employés, femmes, chômeurs, ouvriers travaillant ailleurs que dans les usines – peuvent se rencontrer, prendre conscience de leurs problèmes respectifs, discerner ce qu’ils ont en commun et ce qui les divise, préparer le terrain et élaborer des objectifs pour des luttes communes.

A défaut d’un moyen d’auto-éducation de ce genre, chaque prolétaire n’aura jamais de la société et du prolétariat lui-même qu’une connaissance de seconde main.

L’assemblée est, en outre, le principal instrument dont disposent les prolétaires pour contrôler la vie du quartier, pour dénoncer ou approuver chacune des initiatives qu’on y prend.

C’est pourquoi il importe que les prolétaires apprennent à reconnaître l’assemblée comme leur légalité, comme le lieu où ils décident ce qui est juste et ce qui n’est pas juste.

L’auto-défense.

Les heurts de plus en plus fréquents avec la police et, surtout, les mobilisations prolétariennes contre les fascistes – pour les chasser et détruire leurs sièges – nous montrent à quel point les masses prolétariennes sont déjà prêtes à l’action directe.

Ce potentiel d’intervention ne doit pas se manifester au gré du hasard ou de la pure spontanéité ; dès maintenant, il faut l’organiser, le discipliner et le développer au maximum, de manière à lui donner une continuité et une direction politique.

Car pour beaucoup de jeunes et beaucoup de prolétaires la lutte de classe est comprise avant tout comme un recours à la force. Il ne s’agit pas là d’une erreur ou d’une déformation : mais d’un aspect fondamental de la spontanéité des masses qui doit être comprise et organisée politiquement.

Offrir aux prolétaires d’une usine, d’une école, d’un quartier la possibilité de s’organiser militairement est une tâche indispensable : cette organisation ne doit pas être une force brute « au service » d’une ligne politique qui lui demeure étrangère, mais une des formes par lesquelles prend corps l’autonomie et la conscience de classe des masses.

C’est à nous de la promouvoir et d’y être totalement impliqués pour lui donner une orientation politique juste.

Le recours à la force ne peut avoir, chez les prolétaires, qu’un caractère défensif ; la question de la destruction de l’appareil répressif de l’Etat – destruction qui est la tâche de la guerre révolutionnaire – n’est pas et ne peut pas être à l’ordre du jour.

Mais cela ne signifie pas que l’on se défend seulement lorsqu’on est attaqué.

Se défendre veut dire qu’il faut sauvegarder par la force notre autonomie, notre liberté de nous organiser, la possibilité de prendre des initiatives à la mesure de la capacité de mobilisation des masses ; et pour ce faire, il nous faut nous organiser sur ce plan-là également.

Il y a toute une gamme d’objectifs en vue desquels peut se développer aujourd’hui une organisation permanente de masse, base nécessaire d’une future armée prolétarienne : auto-défense – et offensive – contre les groupes fascistes ; service d’ordre dans les manifestations ; organisation de la défense contre les perquisitions et les arrestations dans les quartiers ; expéditions punitives contre les ennemis du peuple dénoncés et identifiés publiquement…

La solidarité active.

Les prolétaires doivent avoir confiance en leur propre force et pour cela ils doivent retrouver cette estime réciproque que le capitalisme cherche continuellement à saper.

Tout ce qui tend à mettre en valeur la personnalité des prolétaires, à ne pas les laisser galvauder leur créativité, leur intelligence, leur temps ; à leur permettre de se sentir utiles, à se mettre à l’oeuvre, à vaincre les difficultés du moment, à résister au chantage et à l’humiliation, tout cela – même s’il s’agit seulement d’actions limitées ou exemplaires – a la plus grande importance.

Aussi faut-il que, dans les usines, les écoles, les quartiers, il se crée un réseau de solidarité entre prolétaires, fondé sur des actes et non pas seulement sur des paroles.

S’organiser sur ce plan, cela veut dire faire des choses, avec persévérance, méthode et esprit de continuité : par exemple des collectes pour aider ceux qui en ont besoin ou pour éviter que des gens se vendent ou deviennent briseurs de grève parce qu’ils sont sur le point de crever.

Il y a aussi les dispensaires organisés par des camarades, pour montrer que l’on peut se guérir autrement qu’en s’humiliant jour après jour devant un médecin, ou pour commencer à analyser collectivement les causes de nos maladies.

Il y a l’assistance juridique pour nous éviter d’être escroqués par les patrons, par les aigrefins, par les assureurs, par l’Etat et même par les avocats, ou pour aider les prolétaires qui risquent de pourrir pendant des années en prison pour une vétille.

Il y a les crèches pour permettre aux femmes prolétariennes de consacrer un peu de temps à elles-mêmes et à la politique, de ne pas être enchaînées à leurs enfants et à leur foyer, de travailler et de gagner leur vie, et pour faire comprendre à tous, hommes et femmes, que l’on peut s’occuper des enfants de manière collective et communiste, pour le plus grand bien des enfants et des parents.

Il y a la possibilité donnée aux vieux de se sentir utiles et de faire profiter les autres de leur expérience, en enseignant l’histoire de leur vie.

Il y a les activités post-scolaires et les cours de rattrapage par lesquels les enfants – mais aussi les adultes – s’aident mutuellement à apprendre et choisissent eux-mêmes ce qu’il leur paraît important de savoir.

Il y a la possibilité offerte aux jeunes de lier connaissance, de ne pas être seuls, de trouver des amis avec lesquels s’amuser sans qu’il soit besoin pour cela de quitter le quartier.

Il y a les centres d’accueil pour organiser les prolétaires débarquant du sud et les aider à trouver un logement, un emploi, des amis, sans qu’ils aient besoin pour cela de subir l’escroquerie et l’exploitation politique à laquelle se livrent sur eux les chacals qui s’en occupent actuellement, etc.

Toutes ces initiatives ne peuvent être mises en train que lentement, en surmontant maintes difficultés et contradictions. Elles sont essentielles pour la lutte de classe, car elles substituent l’initiative consciente et collective des prolétaires aux solutions imposées par les patrons dans toute une série de domaines où la lutte de classe n’a pas pénétré jusqu’ici de manière consciente et organisée.

Les luttes.

Toutes ces initiatives ne sont pas des fins en soi ; elles servent à préparer les luttes, à les organiser, à les rendre continues et politiquement signifiantes afin de donner aux actions une base organisationnelle qui permette de consolider à tous les niveaux l’autonomie conquise par les ouvriers.

Tout comme la lutte d’usine, la lutte prolétarienne sur le terrain social a ses objectifs propres qui sont d’autant plus valables qu’ils sont plus généraux, unificateurs, égalitaires, antagonistes par rapport à la façon dont les patrons ont organisé la vie des prolétaires.

Beaucoup de ces objectifs ont déjà été clairement définis au cours des luttes prolétariennes de ces dernières années, mais ils peuvent être rendus plus précis encore et des objectifs nouveaux seront mis en avant à mesure que la lutte s’étend et que l’autonomie prolétarienne s’affirme dans tous les domaines.

Il ne peut y avoir de division de principe entre objectifs d’usine et objectifs sociaux car la lutte de classe ne petit être divisée en compartiments étanches.

Nombre des objectifs que les ouvriers ont mis en avant au cours des luttes d’usine ne peuvent être effectivement poursuivis que par une généralisation de l’affrontement, reliant les différentes usines entre elles et embrassant d’autres secteurs du prolétariat.

D’une façon plus générale, à mesure que l’autonomie du prolétariat se développe, on voit s’effacer et disparaître la distinction entre usine, société et « vie privée », distinction qui est un produit de la société capitaliste, une arme des patrons pour perpétuer leur domination. Quels sont ces objectifs ?

Les objectifs.

S’emparer des choses, ne pas se faire exploiter doublement, tel est l’objectif de la lutte pour le logement, de la grève des loyers, de l’occupation des immeubles vides, de la lutte pour les transports ou contre l’augmentation des tarifs, de la grève des tickets, des luttes étudiantes contre les frais de scolarisation ou pour transformer l’Ecole en centre d’organisation ; le nombre de mobilisations dans le sud contre le paiement de l’impôt ; les luttes ouvrières et étudiantes pour des cantines gratuites, etc.

Tel est aussi le sens de beaucoup de luttes ouvrières contre les heures supplémentaires, pour la réduction de la durée du travail, contre les cadences, contre la nocivité du milieu de travail. etc.

Tel est le sens d’une lutte contre la hausse des prix et la tentative d’affamer les prolétaires ; de la lutte pour imposer la distribution gratuite – ou à des prix décidés par les prolétaires – des produits de première nécessité, et cela non pas de manière anarchique, par des pillages faits au hasard, mais sous la forme de réquisitions ordonnées et continues pour lesquelles les prolétaires ne se sentent pas encore assez forts, mais qui sont pourtant inévitables.

Défendre son droit de vivre, ne pas le laisser dépendre des exigences des capitalistes. Tel est l’objectif de toutes les luttes que mènent les journaliers agricoles pour ne pas être rayés des listes d’embauche ; des luttes que mènent les paysans pour des prix garantis ; des luttes que mènent les chômeurs pour obtenir des allocations, pour obtenir que les fonds des organismes publics servent à garantir le salaire de tous ; des luttes des ouvriers mis en congé et qui revendiquent l’intégralité de leur ancien salaire ; des luttes des étudiants qui réclament le pré-salaire indépendant de leurs performances.

Tel est, sous sa forme la plus générale, l’objectif des ouvriers réclamant que leur salaire ne soit pas lié à la productivité ; mais la tentative de traduire cet objectif en la revendication du salaire unifié garanti à tous – ou salaire social, ou salaire politique, etc. – s’est révélée trop abstraite par rapport à la spécificité des situations réelles : il s’agit non pas d’un objectif unificateur mais d’un mot d’ordre en l’air.

Car la force des objectifs réside dans leur capacité à faire fond sur des situations concrètes ou sur des formes sur lesquelles les prolétaires savent pouvoir compter.

Défendre son temps, afin d’avoir du temps pour soi-même et non seulement pour les patrons. C’est là l’objectif de la réduction de la durée du travail, des luttes contre la lenteur des transports, contre les temps morts, contre les queues devant les guichets et les dispensaires, des luttes prolétariennes pour des services collectifs efficaces, pour des crèches, etc., des luttes étudiantes contre les programmes surchargés…

Défendre sa santé. Lutte contre la nocivité du travail d’usine, qui porte sur tout le processus de travail, car tout travail fait pour un patron est nocif; luttes dans les quartiers contre la pollution, la saleté, le bruit, les taudis; luttes pour des soins convenables dans les hôpitaux et les dispensaires; l’objectif des prolétaires est toujours de ne pas tomber malades plutôt que d’être mieux soignés pour leurs maladies.

La destruction systématique de leur santé, dans les usines et les quartiers, leur fait prendre conscience de leur exploitation et leur volonté de mettre au premier plan leur droit de bien vivre, d’être en bonne santé est l’aspect le plus fondamental de la contradiction qui les oppose à l’exploitation capitaliste.

S’opposer à tout ce qui divise, différencie et met les prolétaires en concurrence les uns avec les autres.

Dans les luttes contre les classifications et la cotation par poste ; dans les luttes des employés contre les cotes d’amour ; dans les luttes des étudiants contre la sélection, les concours, les examens, les « diplômes au rabais » ; dans les luttes des chômeurs contre les indemnités liées au lieu de résidence, l’égalitarisme, puissamment affirmé par l’autonomie ouvrière, s’est révélé le plus puissant facteur d’unification des prolétaires, la substance même de leur force préfigurant la société communiste.

Cet égalitarisme – et c’est là son sens – consiste à affirmer inconditionnellement les besoins des prolétaires contre les exigences de la production, du marché, du mode de vie que le capitalisme cherche à imposer pour diviser les prolétaires.

On ne parviendra à comprendre la nature de classe des révoltes méridionales contre l’Etat, les partis, les barons de la politique que si l’on y distingue le besoin de tracer une ligne de démarcation nette vis-à-vis de l’ennemi.

C’est pour la même raison que les ouvriers cherchent à chasser les chefs et les dirigeants des usines.

Le fait que cette exigence se soit exprimée de manière déformée et ait souvent offert aux pires ennemis du prolétariat – par exemple aux fascistes à Reggio de Calabria – un terrain idéal pour prendre pied, ce fait montre les limites de la spontanéité prolétariennes abandonnée à elle-même et dépourvue de direction politique.

Ne pas comprendre cette composante fondamentale de la lutte de classe, la refuser ou ne pas savoir l’assumer – au nom d’une défense de principe de la « démocratie bourgeoise » – peut seulement conduire à se couper de plus en plus profondément de la lutte de classe et de ses exigences fondamentales.

La ville aux mains des prolétaires.
Dans quelle situation se trouvera le prolétariat au terme de cette seconde phase que nous avons résumée par le mot d’ordre « prenons la ville »?

Par l’extension de la lutte à tous les domaines et sa radicalisation, le prolétariat se sera conquis lui-même, son propre mode d’être, de vivre, de se dresser contre la société et l’exploitation capitalistes.

La société sera coupée en deux : d’un côté les prolétaires, leurs besoins non satisfaits, leurs intérêts de classe désormais clairs et bien perçus, leur force accumulée par des années d’expérience, de lutte, de discussion, leur organisation éprouvée dans sa capacité de faire face à tout problème ; de l’autre côté la bourgeoisie, les patrons, le pouvoir despotique de l’Etat bourgeois, les mécanismes d’exploitation désormais mis à nu, la force brute, devenue l’instrument unique sur lequel repose leur domination de classe.

Ce processus ne sera évidemment pas plus linéaire que ne l’a été la phase de la conquête de l’autonomie dans les usines.

Il subsistera des différences de niveau tranchées, des zones « en retard » et « en avance » du point de vue de l’autonomie prolétarienne, des phases de progrès et des périodes de stagnation et de reflux comme nous en avons connu durant les années écoulées.

Surtout, il n’y aura pas un moment précis où l’on pourra dire que ce processus est arrivé à son terme et qu’une nouvelle phase de lutte s’ouvre aux masses, sauf dans l’appréciation des avant-gardes à qui revient la tâche de réunir les indications fournies par les masses et de donner une stratégie à tout le mouvement.

Mais un changement fondamental sera intervenu dans la conscience et dans l’attitude de masse des prolétaires et c’est par rapport à lui qu’il faut savoir mesurer le développement de la lutte de classe : les prolétaires ne se sentiront plus étrangers dans un monde qui ne leur appartient pas, ils ne seront plus des hôtes mal venus dans une société qui ne les tolère que pour pouvoir les exploiter, des marchandises asservies aux intérêts des autres.

Ils se sentiront chez eux, maîtres de leur vie et de leur destin, capables de le dominer et ils ressentiront l’exploitation et la domination non pas comme la condition naturelle de leur vie, mais comme une contrainte arbitraire et un obstacle à la réalisation de leurs aspirations.

A partir de ce moment, seule la force brute, l’appareil répressif de l’Etat, l’occupation militaire des zones où les prolétaires se sont organisés pour lutter, pourra maintenir les vieux rapports d’exploitation.

Et c’est à partir de ce moment – en partant de ce nouveau rapport de forces entre prolétaires et patrons, rapport de forces qui interdit aux patrons et à l’Etat toute initiative autre que de répression militaire – que la violence de masse pourra devenir offensive et que l’objectif de la lutte pourra être la destruction de l’appareil répressif de l’Etat.

Mais sur ce point également il faut se garder du schématisme : tous les prolétaires ne seront pas d’un côté ni tous les bourgeois de l’autre. S’il en était ainsi le destin de ceux-ci serait déjà scellé.

Les phases de la lutte de classe – il faut le répéter – seront déterminées par ses combats les plus avancés, dans la mesure où ceux-ci ne seront pas des faits exceptionnels mais le reflet d’une tendance embrassant tout le prolétariat.

Comme dans toute nouvelle avancée de la lutte de classe, les lignes du front ne resteront pas inchangées lors du passage à la nouvelle phase, mais les nouvelles tâches du prolétariat – la lutte armée – feront apparaître des divisions profondes.

Et – il faut le répéter – seule une ligne de masse nous permettra de surmonter ces divisions et d’arracher continuellement de nouvelles forces au camp de l’ennemi.

Nous en aurons les moyens si nous avons fait du bon travail jusque-là. Le prolétariat et ses avant-gardes pourront alors compter sur une organisation de masse dans laquelle les masses sauront se reconnaître et qui sera seule à leur offrir une perspective d’avenir.

1971

>Sommaire du dossier

Lotta Continua: Brochure de juillet 1969

Est-ce que la lutte est terminée ?

Nous sommes maintenant à la veille des vacances, et nous attendons tous avec impatience le moment de quitter cet enfer.

Pour ceux qui depuis plus d’un an se crèvent de fatigue, ce désir est parfaitement justifié.

Mais que le patron ne s’imagine pas avoir imposé dans l’usine son « rythme de vie ».

Pour nous, la lutte n’est pas terminée.

Nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions, mais nous n’avons pas dit notre dernier mot.

Nous avons obtenu une grande victoire : en deux mois de lutte, nous nous sommes unis, nous avons pris conscience de notre force, nous nous sommes organisés tout seuls, à notre façon.

Le patron essaie bien de se venger, de reprendre le contrôle de nos luttes, de récupérer la production en augmentant les cadences et en menaçant les camarades les plus actifs ou en mettant ses menaces à exécution : mais tout cela ne se passe plus en douceur comme avant.

Il y a beaucoup d’équipes et d’ateliers qui débrayent chaque fois que la production augmente ou quand les cadences sont trop rapides ; dans certains ateliers, les ouvriers étaient tellement unis que la direction a été obligée de battre en retraite sur les mesures disciplinaires (aux ateliers 54 et 53, par exemple).

Ça veut dire que l’accord-bidon signé par les syndicats contre notre volonté, ou le chantage au manque d’argent pour les vacances, ça ne marche plus.

Ça veut dire que la lutte continue.

Mais la période qui nous sépare encore des vacances ne doit pas servir seulement à répondre aux contre-attaques du patron ou à l’augmentation de la production et à la répression.

Elle doit nous servir aussi à consolider notre organisation, et ànous préparera affronter les mois d’automne où nous reprendrons les grèves avec tous les autres ouvriers italiens.

En Septembre commencera la lutte pour le contrat national de travail des métallos, et tout de suite après pour celui des ouvriers de la chimie et du bâtiment.

La grande majorité des ouvriers sera en grève au même moment.

Nous savons ce que représentent les contrats pour les patrons et pour les syndicats.

Ce sont des accords pour une durée de trois ans, concernant le salaire de base, le nombre d’heures de travail, la classification et d’autres points importants pour nous.

Comme ça, les patrons veulent être sûrs que les ouvriers ne luttent qu’une fois tous les trois ans pour l’augmentation du salaire de base, les réductions d’heures de travail, etc.., au moment choisi par les capitalistes et les syndicats, et puis qu’après, ils restent bien tranquilles sans rien dire.

C’est-à-dire que le contrat est une espèce de cage dans laquelle on enferme à double tour la lutte des ouvriers, et les syndicats sont chargés de surveiller la cage pour qu’elle reste bien fermée.

Mais la lutte des ouvriers ne se laisse pas enfermer, ni par les patrons, ni par les syndicats.

Les ouvriers n’attendent pas le signal du patron pour lutter. Ils le font quand ils l’ont décidé.

Et de fait, à Mirafiori, nous n’avons pas attendu l’automne pour demander les augmentations de salaire et la classe supérieure ; nous avons commencé la lutte quand nous avons eu la force suffisante.

C’est exactement ce qu’ont fait les ouvriers de beaucoup d’autres usines italiennes, Pirelli, Olivetti, Fatme à Rome, Piaggio à Pontedera, Rese à Pordenone, Dalmine à Bergame et beaucoup d’autres.

Alors, la première chose à dire, c’est que:

Nous refusons de nous engager, avec les contrats, à planifier nos luttes sur le calendrier des patrons et des syndicats.

Les contrats, c’est des chiffons de papier, et rien de plus.

Ceci dit, nous devons ajouter que l’échéance des contrats est une occasion exceptionnelle pour notre lutte.

Si, jusqu’à maintenant, nous avons lutté chacun de notre côté, en automne, nous lutterons en même temps que tous les autres ouvriers.

Et rien que ça, ça veut dire que nous aurons une force extraordinaire.

Les patrons et leur gouvernement unis contre les ouvriers unis et leur organisation autonome : voilà en quels termes se pose la lutte de l’automne.

Mais pour utiliser véritablement cette force, il ne faut pas que nous attendions le dernier moment, il faut que nous nous préparions dès maintenant.

C’est-à-dire que nous devons discuter des objectifs que nous voulons atteindre en luttant, la façon dont nous voulons lutter, comment nous pouvons nous organiser mieux entre nous, et comment nous pouvons nous unir avec les ouvriers des autres usines et des autres villes.

A partir d’aujourd’hui et jusqu’aux vacances, nous devons tous nous engager à discuter de tout ça, dans l’usine et àl’extérieur de l’usine.

Ça aussi, c’est une façon de lutter.


Les objectifs des syndicats et ceux des ouvriers

La première chose à faire, c’est de décider, nous autres ouvriers, quels sont les objectifs de la lutte, sans laisser aux syndicats la possibilité de décider à notre place.

Au cours de notre dernière lutte, nous avons eu une nouvelle fois la preuve que les syndicats non seulement ne servent pas nos intérêts, mais qu’ils s’opposent à la lutte ou qu’ils cherchent à la faire dévier vers des objectifs qui ne nuisent pas du tout au patron ou qui lui sont même utiles.

Par exemple, leur revendication au sujet de l’augmentation du nombre des délégués.

D’une façon plus général e, nous avons constaté encore une fois que les syndicats sont ennemis de l’autonomie ouvrière, parce qu’ils ne s’occupent que d’aménager la façon dont le patron nous exploite.

Mais pour ce qui est de l’existence même des patrons et de l’exploitation, ils disent que ce n’est pas leur rayon.

Les syndicats acceptent les lois de l’organisation du travail telles que les ont faites les capitalistes, ils acceptent les lois de la productivité, les lois de la programmation patronale.

En revanche, les ouvriers, tous autant qu’ils sont, ne veulent qu’une seule chose : briser ces lois qui, pour la classe ouvrière, n’ont qu’un seul sens, toujours le même : misère et esclavage.

Tout cela est évident si on regarde la plateforme revendicative que les syndicats ont préparée en commun pour les contrats.

Il faut dire tout de suite que, comme d’habitude, les syndicats ont décidé des revendications de leur côté.

Aujourd’hui, ils font semblant de venir nous consulter en nous distribuant des bouts de papier sur lesquels nous pouvons répondre par oui ou par non aux questions auxquelles ils ont déjà répondu.

Comme ça, ils pourront dire qu’ils expriment nos désirs.

Comme si c’était nécessaire de faire des référendum par écrit pour connaître notre volonté alors que nous l’avons déjà exprimée très clairement, et pas chacun de son côté,avec un stylo à bille, mais tous ensemble, en débrayant, en faisant des assemblées, des manifestations, en luttant.

Le référendum des syndicats ne nous intéresse pas : ils le font pour mieux nous posséder.

Ces messieurs qui se disent nos représentants, parlent d’augmentations de salaire, mais ils se gardent bien de nous dire de combien elles doivent être, ces augmentations.

Ils n’ont pas le courage de venir nous dire qu’ils sont prêts à accepter des augmentations de cinquante lires, parce qu’ils savent bien que cinquante lires, ça nous fait rigoler.

Ils parlent d’augmentations, et ils refusent de demander une augmentation égale pour tous.

Comme ça, ils continuent à diviser les ouvriers au lieu de les unir.

Ils continuent à être partisans de la classification, et même, ils se préparent à inventer une nouvelle sous-classe, qu’ils appellent super, extra ou « sprint ».

Ils parlent de réglementer les heures supplémentaires, mais ils se gardent bien de parler de l’abolition des heures supplémentaires.

Es parlent des 40 heures, mais ils acceptent de les obtenir trois, quatre ans ou même plus après la signature du contrat.

Ils parlent de réajustement progressif avec les employés, ils se gardent bien de parler d’égalité.

Le réajustement qu’ils demandent ne s’applique qu’à quelques détails, et pas à l’essentiel.

Ils parlent de démocratie dans l’usine, mais ce qu’ils veulent, c’est des privilèges pour les syndicalistes.

iLs parlent de lutte, et ce qu’ils veulent dire par là, c’est deux ou trois journées de grève purement symboliques.

Tout ça, ça nous est étranger, c’est contraire à nos intérêts.

Nous, nous ne pouvons pas nous contenter de pleurnicher contre les syndicats, ou de les critiquer.

Nous avons démontré que nous sommes capables d’organiser nous-mêmes notre lutte, de décider de nos objectifs, de choisir la façon la plus efficace de lutter.

Et cela ne s’est pas passé seulement à Mirafiori, mais dans beaucoup d’autres usines italiennes.

C’est pourquoi aujourd’hui nous pouvons et nous devons décider nous-mêmes quels sont les objectifs que nous voulons atteindre en luttant en automne.

AUGMENTATIONS DE SALAIRES

Nous devons tous d’abord décider combien nous demandons.

Justement parce que nous ne sommes pas à la foire aux bestiaux, et parce que nous n’avons pas du tout l’intention de demander des augmentations qui sont tout de suite reprises par l’augmentation effrénée du coût de la vie, ça ne nous suffit pas de parler vaguement d' »augmentation », mais nous devons préciser de combien il faut qu’elle soit.

Et puis, ça sert à rendre les choses plus claires, et la clarté renforce la lutte.

Ensuite : les augmentations doivent être égales pour tous.

Ça, c’est ce que les ouvriers ont demandé au cours de toutes les luttes récentes les plus importantes.

Nous sommes tous exploités de la même façon, et le pain coûte le même prix pour tout le monde.

En ne nous augmentant pas tous de la même façon, le patron nous divise.

En demandant des augmentations égales pour tous, nous nous unissons, et nous nous renforçons.

Ensuite : toutes les rubriques différentes de la feuille de paye doivent être réduites aune seule : le taux de base.

En ce moment, la feuille de paye est divisée en un tas de colonnes : c’est bien utile au patron pour nous embrouiller et pour mieux nous voler.

La plupart du temps, pour comprendre sa feuille de paye, il faut être spécialiste.

Alors, le patron en profite pour nous embobiner.

Mais le plus important, c’est que nous ne travaillons pas pour avoir telle prime de vacances, telle classe, telle prime de nocivité, tel boni, tel salaire de base et ainsi de suite.

Nous sommes obligés de travailler tout simplement pour avoir un salaire, et pour qu’il soit aussi élevé que possible, compte tenu de nos exigences et de notre force organisée.

Le fait que notre salaire soit aussi fragmenté est une arme formidable dans les mains du patron.

Le forfait et la prime de production, par exemple, ne sont pas autre chose qu’une façon de nous rendre complices de l’exploitation que nous subissons : c’est une course suicide aux cadences qui augmentent toujours, et qu’on nous fait faire pour quelques lires de plus.

Autre exemple : quand on est au chômage « technique » – ça ne dépend pas de nous, mais du patron – les patrons font des économies sur notre dos.

Mais en étant payé au taux de base seulement, tel qu’il est maintenant, personne ne peut s’en tirer : d’autre part, la production, ça n’intéresse que le patron, sûrement pas nous.

Nous, ce qui nous intéresse, c’est le salaire.

Prenons encore un autre exemple : étant donné que le patron se fout complètement que nous crevions ou que nous nous esquintions la santé, la nocivité de certains travaux reste sans changement, et en échange de notre peau, on nous donne quelques lires de plus.

Comme ça, ils espèrent nous convaincre que nous sommes quittes: quatre sous de plus en échange de la silicose, d’une infirmité ou de la dépression nerveuse, et justice est faite.

Ils réussissent à envoyer trois couillons sur la lune, mais ils n’arrivent pas à éliminer la nocivité du travail.

Là aussi, il n’y a qu’une seule réponse : non âla nocivité, et en attendant, réduction des heures de travail, intégration des primes au salaire.

C’est comme ça que nous nous renforçons et que le patron s’affaiblit.

L’exploitation et la domination que le patron nous impose sont étroitement liés à la façon dont le travail est organisé, à l’utilisation qu’en fait le patron, pour contrôler et écraser les ouvriers : le salaire de poste, les augmentations au choix, les diverses indemnités, les forfaits, les primes et ainsi de suite.

Que tout ça soit intégré au salaire de base, ça veut dire s’opposer concrètement à la liberté de manoeuvre du patron sur notre dos.

TEMPS DE TRAVAIL

Nous voulons les 40 h. , nous les voulons sans perdre une seule lire, nous les voulons tout de suite.

On avait déjà demandé ça il y a 6 ans, pour les contrats de 1962, et on n’a encore rien vu venir.

La diminution des heures de travail est une revendication fondamentale, qui nous permet de nous unir concrètement avec les ouvriers des autres usines, et tout d’abord à ceux des usines que la logique capitaliste condamne au chômage croissant.

La diminution des heures de travail est une bonne façon de riposter à l’intensification du travail telle que nous la subissons à Fiat, et en même temps au chômage.

Mais tout d’abord, il faut dire que les 40 heures ne doivent pas servir au patron.

Les capitalistes les plus avancés sont tout à fait disposés à donner les 40 heures en échange d’une restructuration de la semaine de travail.

Par exemple, ils voudraient – comme l’a dit Pirelli – nous enlever le dimanche férié, et nous donner deux jours par semaine à tour de rôle.

Comme ça, ils peuvent faire fonctionner la production sans interruption pendant sept jours par semaine, dimanche compris, et utiliser les machines au maximum.

Pour nous, il n’y aurait plus de jours fériés, sauf quand le patron le voudrait bien.

Ou bien encore, toujours dans le même but, ils voudraient faire faire l’équipe de nuit à tous les ouvriers.

Mais la nuit est faite pour dormir.

Non seulement, nous n’accepterons pas de faire les équipes de nuit, mais nous demanderons partout où c’est possible l’abolition des équipes de nuit.

Cela ne doit plus se produire.

Mais nous savons aussi que la diminution des heures de travail, pour être effective, doit être liée à la question des heures supplémentaires.

Déjà maintenant les ouvriers italiens ne font pas les 43 ou 44 heures dont on parle dans les contrats.

Ils en font beaucoup plus.

Demander les 40 heures et ne pas supprimer les heures supplémentaires, ça veut dire se foutre de nous.

Maintenant, les patrons réussissent à nous imposer les heures supplémentaires – mis à part ceux qui les font uniquement parce qu’ils sont des salauds – parce que le salaire est trop bas et ne nous permet pas de nous en tirer.

C ‘est pourquoi toutes nos revendications sont liées :

– augmentations de salaire importantes

– les 40 heures

– suppression des heures supplémentaires

Il est inadmissible que dans les usines comme Fiat, où les conditions de travail sont épouvantables, il y ait des ouvriers qui fassent dix, onze heures de travail ou plus.

Il est inadmissible que cette surexploitation – qui rapporte énormément au patron et qui est payée une misère si ont tient compte des retenues – serve au patron à ne pas embaucher d’autres ouvriers.

Il est inadmissible que le patron se serve régulièrement des heures supplémentaires pour récupérer ce qu’il perd à cause des grèves que nous faisons.

CLASSIFICATION

Compte tenu de la production de l’usine, les classes n’ont pas de sens : nous sommes tous capables de tout faire.

Leur seul but est de nous diviser et de nous dresser les uns contre les autres, les jeunes contre les vieux, les ouvriers récemment embauchés contre les plus anciens, les ouvriers contre les ouvrières et ainsi de suite.

Nous devons avoir pour but de supprimer les classes, et, en attendant, demander la suppression des classes inférieures.

EGALITE COMPLETE AVEC LES EMPLOYES

Les employés et les ouvriers sont les esclaves du même patron.

Mais le patron réserve un « traitement de faveur » aux premiers, sur certains points, pour qu’ils continuent à croire qu’ils sont différents des ouvriers, et qu’ils se comportent en conséquence.

C’est exactement le même jeu que les patrons jouent aux Etats-Unis avec les ouvriers blancs et les ouvriers noirs.

Mais toutes les différences créées artificiellement par le patron doivent disparaître ; non seulement les différences de condition, mais les différences de salaire.

Commençons tout de suite par faire disparaître les différences de condition : cela doit donc signifier les mêmes droits pour les ouvriers et les employés (et pas seulement le vague « rapprochement » dont parlent les syndicats) ; cela doit signifier les mêmes droits pour tous : les vacances, les arrêts de travail, les indemnités et, non seulement en cas de maladie ou d’accident, mais tout le temps.

UNE LUTTE PROLONGEE

Voilà les objectifs qui- doivent être au centre de notre lutte et que nous ne sommes pas disposés à marchander contre d’autres concessions .

Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’il n’y a plus de problèmes : ça veut dire tout simplement que c’est sur la base de ces objectifs, du fait qu’ils répondent à nos besoins et à notre force, que l’organisation autonome des ouvriers peut grandir en ce moment.

Et cette organisation est bien celle qui nous permet d’affronter les autres problèmes, ceux qui ne peuvent être résolus après une seule lutte.

Elle s’est déjà constituée, bren que d’une façon encore incomplète, à Fiat.

C’est le cas pour le problème des cadences qu’aucune négociation ne permettra de résoudre.

Ce problème ne pourra être réglé que par une lutte prolongée et organisée, dans l’usine, pas seulement contre les augmentations de production, mais pour la réduction de la production.

C ‘est le cas pour le problème de la lutte à l’extérieur de l’usinera où le patron récupère ce que nous lui arra-chons par nos luttes, en augmentant les prix, là où le patron essaie de nous isoler et de nous imposer ses idées.

L’organisation que nous créons dans l’usine est le point de départ pour nous unir en dehors de l’usine aussi, là où nous habitons, pour lutter contre les loyers, contre l’augmentation des prix, contre l’école bourgeoise.

Nous voulons construire des formes d’organisation qui uniront les ouvriers de toutes les branches, les étudiants, les autres travailleurs, pour avoir toujours l’initiative.

Corso Traiano [Avenue de Turin où, le 3 juillet 1969, ouvriers et étudiants de la ville ont tenu tête à la police pendant près de 24 heures] et Nichelino en sont deux beaux exemples.

LES FORMES DE LUTTE

Il ne suffit pas de savoir pourquoi nous nous battons, il faut aussi savoir comment.

L’époque de la passivité, celle où nous attendions que les syndicats décrètent un jour de grève pour en faire un jour de congé, au mieux faire un tour aux piquets, cette époque-là est terminée.

En automne il est possible, c’est même sûr,que les luttes démarrent dans beaucoup d’usines, sans attendre le coup d’envoi des syndicats.

De toute façon, les grèves des syndicats nous serviront à expérimenter notre force.

Mais ces grèves que les syndicats ont l’intention de nous faire faire sont celles qui nous coûtent le plus cher.

Ce sont celles qui coûtent le moins au patron : il est prévenu si longtemps à l’avance qu’il a le temps de s’organiser pour les récupérer.

Ce sont celles qui nous sont le moins utiles pour nous unir et nous organiser.

Pendant la lutte de Mirafiori, comme pendant celle de Pirelli à Milan, et celles des luttes récentes les plus avancées, les ouvriers ont remporté une grande victoire.

Si le patron nous rassemble dans l’usine, c’est pour produire des profits ; pour celui qui regarde notre organisation et notre lutte, il se sert de tout pour nous diviser, il nous arrive de travailler côte à côte pendant huit heures et de ne pas arriver à échanger trois mots, encore moins d’arriver à nous connaître .

Notre lutte nous à fait comprendre que si l’usine est le centre du pouvoir patronal, elle peut et elle doit devenir le centre de notre force.

Nous avons compris que le fait de mener la lutte dans l’usine nous permet de nous unir, de discuter entre nous, de nous organiser, tout cela dix fois plus que pendant les grèves à l’extérieur.

Nous avons compris qu’avec cette organisation, en faisant passer la lutte d’un atelier à l’autre, nous pouvions porter des coups encore plus sévères au patron avec le minimum de pertes.

Les luttes de l’automne seront un occasion unique pour généraliser, grâce aux luttes à l’intérieur de l’usine, l’organisation autonome qui existe déjà dans quelques ateliers.

Ce sera une occasion unique pour renforcer la capacité de lutte dans les usines italiennes où elle est encore insuffisante.

C’est seulement la lutte dans l’usine qui nous permet d’envisager un combat prolongé contre le patron ; c’est là qu’il est le plus faible, là qu’il paie le prix fort.

Qu’il soit bien clair, à partir de maintenant, que nous n’accepterons plus d’arrêter des luttes pour des négociations, pour donner au patron une belle occasion de planifier les grèves comme il l’entend.

C’est pendant le déroulement de la lutte qu’on discute.

Bien entendu, ça ne veut pas dire qu’il faut enfermer la lutte entre les murs de l’usine, mais ça veut dire qu’il faut utiliser l’usine comme point de départ, comme l’endroit où se construit la force qui nous permet d’en sortir au bon moment, avec les formes correctes et en bon ordre.

Ça veut dire également que nous pourrons trouver la riposte ouvrière la plus efficace à toutes les tentatives du patron pour reprendre le dessus : le lock-out ou les licenciements par exemple.

La riposte, ce sera l’intensification de la lutte dans l’usine et l’occupation s’il le faut.

Agnelli, comme tous les autres capitalistes, préfère sûrement que les ouvriers aillent faire des dégâts Piazza Statuto.

Là au moins il peut leur envoyer ses bandes de flics.

Mais s’ils s’emparent de l’usine, les choses à détruire sont beaucoup plus précieuses.

Pendant la lutte de la Fiat et pendant bien d’autres luttes prolétariennes en Italie, c’est la masse des ouvriers qui a fait preuve d’une conscience révolutionnaire élevée en montrant qu’ils savaient qu’il n’y avait pas de solution à leurs problèmes de classe en dehors de la destruction du capitalisme, en dehors de la destruction des classes.

Dans l’étape actuelle, le problème qu’il nous faut résoudre, c’est de traduire cette richesse révolutionnaire en processus de lutte, en formes organisationnelles.

Pendant les luttes de l’automne, ce n’est pas le problème du combat entre les prolétaires et les forces armées du capital pour la conquête du pouvoir qui se posera.

Le problème qui se pose, c’est celui de l’organisation autonome des ouvriers.

Et pour cela, la lutte à l’intérieur de l’usine joue un rôle décisif.

SIGNIFICATION DE LA LUTTE

Quand des millions d’ouvriers partent ensemble au combat, comme c’est le cas pour le renouvellement des contrats collectifs, le danger est toujours énorme pour les patrons.

Mais ceux-ci espèrent bien s’en tirer en signant avant ou après un accord avec les syndicats.

Ensuite, ils collaboreront pour ‘le faire respecter » : c’est-à-dire pour réduire « les pertes » au minimum et pour arrêter toutes les luttes au nom de la signature.

Mais cette fois, le danger est plus grand que jamais pour les patrons.

Ces derniers temps, les ouvriers ont appris non seulement à mener une lutte prolongée,mais encore à lutter d’une manière autonome, à décider eux-mêmes pourquoi et comment lutter.

A la Fiat, comme dans beaucoup d’autres usines, c’est pour cela qu’ils ont commencé à s’organiser et à mener des luttes sans accepter quelque contrôle que ce soit.

Et dans ces luttes, les ouvriers ne sont pas seuls.

Depuis deux ans, les étudiants se battent contre les mêmes ennemis.

Les paysans et les ouvriers agricoles, en ce mo – ment même, mènent de dures batailles.

Même les employés et les agents techniques qui paraissaient jusque là les plus dociles au patron ont commencé à se mobiliser dans certaines usines de Milan et à la Fiat elle-même (grèves de la mécanographie, par exemple).

Ainsi, les patrons savent que ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement quelques lires d’augmentation en plus ou en moins.

Ils savent que ce qui est en jeu, c’est leur pouvoir.

Ils savent que pour la première fois depuis des années peut surgir de ces luttes une union organisée des travailleurs, capable de leur tenir tête et de balayer tous les compromis des syndicats et des partis.

C’est pourquoi ils utiliseront tous les moyens à leur disposition pour nous faire plier la tête et pouvoir nous narguer ensuite : « vous avez vu, vous vouliez n’en faire qu’à votre tête et vous avez pris une raclée ».

Ils ont beaucoup de moyens à leur disposition : l’Etat, la police, les tribunaux qui sont à leur solde.

Les syndicats ne mettent pas longtemps à se mettre d’accord pour freiner eux aussi la lutte des travailleurs au prix de quelques concessions : ces dernières semaines, à la Fiat, nous l’avons bien vu.

Ce sera donc un rude combat.

Mais nous sommes décidés à nous battre jusqu’au bout, parce que, dans ce combat, une seule victoire vaut plus que toutes celles du passé.

Nous pouvons sortir de cette lutte en ayant obtenu,non seulement plus que ce que nous voulions – et nous en avons bien besoin -, mais encore une force organisée qui soit vraiment la nôtre , et qui nous servira pour toutes les grèves que nous déciderons.

Cette force, elle ne se fait pas d’elle-même.

Elle est comme le combat futur : un combat dur et prolongé ; la victoire ne vient pas « d’elle-même », en comptant seulement sur l’élan spontané des masses.

Il faut que les ouvriers les plus conscients, les plus décidés ne s’arrêtent pas à quelques augmentations, mais pensent à l’objectif final : le renversement du pouvoir du patron. Qu’ils prennent la tête des luttes.

Il faut que des groupes de travailleurs se forment pour préparer la lutte, pour donner toutes les explications nécessaires à leurs camarades, pour les convaincre et les mobiliser.

D’une usine à l’autre, d’une ville à l’autre, il faut que ces groupes s’unissent.

C’est pourquoi, avant les vacances, nous avons organisé une rencontre nationale des travailleurs en lutte de différentes villes d’Italie : ce congrès sera un premier pas vers l’unité.

Turin

22 Juillet 69

Ouvriers et étudiants

>Sommaire du dossier

Georges Sorel : négatisme turbulent et militarisme socialiste

Il est ainsi possible de résumer la démarche de Georges Sorel par cet extrait des Réflexions sur la violence :

« Le danger qui menace l’avenir du monde peut être écarté si le prolétariat s’attache avec obstination aux idées révolutionnaires, de manière à réaliser, autant que possible, la conception de Marx. Tout peut être sauvé si, par la violence, il parvient à reconsolider la division en classes et à rendre à la bourgeoisie quelque chose de son énergie ; c’est là le grand but vers lequel doit être dirigée toute la pensée des hommes qui ne sont pas hypnotisés par les événements du jour, mais qui songent aux conditions du lendemain.

La violence prolétarienne, exercée comme une manifestation pure et simple du sentiment de lutte de classe, apparaît ainsi comme une chose très belle et très héroïque ; elle est au service des intérêts primordiaux de la civilisation ; elle n’est peut-être pas la méthode la plus appropriée pour obtenir des avantages matériels immédiats, mais elle peut sauver le monde de, la barbarie.

À ceux qui accusent les syndicalistes d’être d’obtus et de grossiers personnages, nous avons le droit de demander compte de la décadence économique à laquelle ils travaillent.

Saluons les révolutionnaires comme les Grecs saluèrent les héros spartiates qui défendirent les Thermopyles et contribuèrent à maintenir la lumière dans le monde antique. »

Une telle vision ne pouvait qu’être catégoriquement rejeté par la social-démocratie. L’éclectisme de Georges Sorel était bien trop bourgeois, trop permissif dans son absence de principes, pour ne pas apparaître comme un recul.

Dans la revue socialiste, en 1908, Louis Oustry résume très bien l’idéologie de Georges Sorel, dans un article intitulé Réformes – révolution, traitant de la question de la tactique dans la social-démocratie.

Voici ce qu’il en dit :

« Les vives discussions qui s’élèvent tant en Allemagne qu’en France, les circonstances toutes particulières de la politique actuelle mettent à l’ordre du jour le grave problème de la tactique et de l’action des socialistes français (…).

Comme je l’ai déjà dit, je le répète, qu’importe la route par laquelle on vient au socialisme pourvu qu’on acquière cette double conviction : renverser l’ordre des choses établi et lui substituer un ordre nouveau tout de justice et de liberté. « Tous les chemins mènent à Rome, dit le proverbe, toute investigation conduit aussi à la vérité » (Proudhon, Idée générale de la révolution au XIXe siècle).

Et c’est alors que se pose cette deuxième question : puisque je suis socialiste et que je me propose de substituer le régime socialiste au régime capitaliste, puisque je désire hâter, faciliter, préparer l’accouchement du régime nouveau, quels moyens employer ? Comment agir ? (…)

On pourrait croire que la violence soit uniquemennt un mode d’agir, un moyen, et en ce sens ne prendre en considération que ceux qui la pratiquent ou la préconisent comme telle. Jusqu’alors, blanquistes, marxistes, anarchistes avaient estimé qu’un catastrophe était nécessaire pour détruire l’ancien monde et engendrer le nouveau (…).

Aujourd’hui, un métaphysicien social, M. Georges Sorel, a considéré la violence non plus comme un moyen mais comme un but, qu’il pose devant les volontés humaines, comme une fin dernière, comme un agent de moralité et de civilisation.

Remarquable par son excès de fidélité à Marx et à sa théorie, — ne se distinguant de lui que par son amour de la lutte, sans terme ni réconciliation ultime, — il l’est aussi par son respect d’écolier pour les doctrines de M. Bergson et par son effort à y assouplir les faits.

Curieux aussi par son souci d’unir idéologiquement le principe de la lutte de classe avec les théories des syndicalistes révolutionnaires ainsi que par sa volonté de réduire encore la doctrine, l’action et les cadres du socialisme, il l’est encore, lui, l’intellectuel et l’idéologue par excellence, par sa haine féroce contre les intellectuels et le parlementarisme comme par sa critique acerbe, acariâtre et toujours lourde, contre tout penseur et tout talent.

Singulier, peut-être plus encore, par son désir d’être violent… en écrits, croyant que pour être terrible, il suffit de le paraître, il reste original entre tous par son Wagnérisme socialiste, son horreur de la clarté, de la logique, du bon sens et de la précision. 

Puritain dans sa reconstitution du dogme et de la religiosité, dans sa lutte contre la libre-pensée et le progrès; autoritaire et entier dans son système au point de manifester une certaine tendresse pour M. Clemenceau et pour les troupes de cavalerie qui l’appliquent vigoureusement ; a prioriste et exclusif, véritable moine mystique et guerrier, vaticinant et excommuniant, il donne le spectacle bizarre de la lutte contre l’idéologie par l’idéologie, contre l’utopie par l’utopie, contre la finalité par la finalité, contre la justice romanesque par la violence romanesque.

La violence qu’il définit suivant les besoins de sa thèse, est nécessaire, elle est belle, elle est une source d’énergies et peu s’en faut qu’il la déclare divine.

Elle exalte la force de l’individu, développe en lui l’esprit d’abnégation et de sacrifice ; elle est pour lui l’école du sublime ; elle concrétise le but révolutionnaire et socialiste qui n’est point la recherche du bonheur par la justice et de la liberté par l’égalité, non plus que l’organisation volontaire et méthodique d’un régime dont les lignes essentielles depuis longtemps dégagées par l’analyse et à laquelle il préfère le confusionnisme de l’inconscient.

Pour lui, la marche à la délivrance est la ruée de l’humanité dans la violence et le chaos.

A ce propos il exalte les guerres religieuses, l’état de prospérité des castes et des classes conquérantes, oubliant que tous luttaient pour des idées ou pour des richesses et non par amour de la lutte, méconnaissant l’état de misère où se trouvaient les classes vaincues, refusant de reconnaître, dans son explication idéalo-métaphysique, que tous les soubresauts de la révolte des opprimés n’étaient que l’explosion de leurs tendances, de leurs volontés entravées.

Oui, il est une marche à la délivrance, c’est celle des éternels opprimés et non celle des oppresseurs, qu’ils soient les moins guerriers de l’église conquérante, les hobereaux de la noblesse oisive, les jouisseurs du capitalisme parasite (…).

En retranchant l’homme de son milieu, en faisant volontairement abstraction des circonstances, – chose curieuse pour le grand pontife du Mouvement socialiste – en faisant appel au mythe, à l’inconscient, on risque fort d’obscurcir la conscience claire des militants, de les détourner de l’oeuvre d’organisation hardie et continue, de propagande et d’effort, de résistance et d’action (…).

Ce mouvement ne pourra être fructueux qu’avec un prolétariat conscient, éduqué, organisé et prêt à toutes les œuvres positives, généreuses, bienfaisantes, dont il devra assumer la direction et la responsabilité (…).

Puisque l’auteur des Réflexions sur la violence aime les organisations militaires, le bruit des armes et des combats, il devra se rendre compte que des troupes sans enthousiasme, sans autre but positif que de lutter sans limite pour que ce principe, essentielllement moral et beau, à son gré, ne prenne jamais fin, sont des troupes mûres pour la défaite et pour l’oppression.

Les « soldats des guerres de la liberté » – dont il est beaucoup parlé dans les Réflexions sur la violence – ne faisaient pasl a guerre pour la guerre ; ils défendaient un idéal et des avantages pratiques menacés. Là était le sens de leur mission morale, le sentiment du devoir (…).

M. Sorel, qui aime la violence comme on aime un vice, qui sacrifie tout pour sauver la lutte de classes, qu’il élève à la hauteur d’un principe immuable et qu’il vénère à l’égale d’une idole ; qui, en tant qu’ancien polytechnicien, admire sans réserve la « bataille napoléonienne » et son illustre inventeur, a paraît-il, fondé une « nouvelle école » : elle n’est pas, nous dit-il, celle qui fait les docteurs de la « petite science » ; je croirais plutôt qu’elle formera, si elle prospère, les docteurs de l’incompréhension.

II a fondé une doctrine que je ne pourrais mieux désigner que sous le nom de négatisme turbulent et de militarisme socialiste. Est-là le fin du fin ? On me permettra de croire que non. »

Georges Sorel n’eut donc aucun impact : il espérait briser la social-démocratie avec le syndicalisme révolutionnaire, devenir l’anti-Marx, il n’en fut rien.

Il continua alors son activité d’intellectuel, ayant de nombreux contacts et participant à différentes revues, se rapprochant même de l’Action française, sans pour autant abandonner ses idées.

L’origine de cette convergence est simple. Georges Sorel disait en 1908, dans La décomposition du marxisme, que :

« L’affaire Dreyfus peut être comparée fort bien à une révolution politique, et elle aurait eu pour résultat une complète déformation du socialisme, si l’entrée de beaucoup d’anarchistes dans les syndicats n’avait, à cette époque, orienté ceux-ci dans la voie du syndicalisme révolutionnaire et renforcé la notion de lutte de classe. »

Georges Sorel lui-même considérait l’antisémitisme comme une aberration, même s’il céda de plus en plus aux préjugés antisémites. La raison en est que l’affaire Dreyfus n’avait un sens que pour la social-démocratie, car la charge démocratique aidait le socialisme.

Georges Sorel défendait Dreyfus, mais rejetait la social-démocratie française et voyait que celle-ci profitait de l’affaire Dreyfus, capitalisant là-dessus. Il ne pouvait que converger vers l’extrême-droite, alors que de toutes façons ses conceptions pavaient la voie au principe du combattant.

Dans un premier temps, la convergence s’exprimera par la naissance du Cercle Proudhon, sous l’égide de l’Action française.

Puis le saut sera fait en tant que tel, avec le fascisme italien, assimilant le positionnement de Georges Sorel, en abandonnant la prétention au socialisme, tout simplement en appuyant la dimension unificatrice – civilisatrice, l’éclectisme et la figure du combattant.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel et l’éclectisme comme idéologie

Georges Sorel est un théoricien éclectique ; ses œuvres partent dans tous les sens, allant de l’antiquité à la période la plus récente, abordant la morale, le droit, l’économie, la politique, etc. sans aucune cohérence, et à cela s’ajoutent des notes longues, allant jusqu’à de véritables petites thèses intellectuelles.

C’est un style, classiquement français, avec l’idée de naviguer entre deux eaux pour assembler des idées ayant l’air différentes, voire opposées. Georges Sorel est un anti-intellectuel, dans le sens non pas où il nie la pensée, mais parce qu’il la considère en évolution perpétuelle, comme un flux. Il rejoint ainsi Bergson.

C’est la raison pour laquelle Georges Sorel a soutenu Eduard Bernstein dans sa polémique contre Karl Kautsky.

Dans Les polémiques pour l’interprétation du marxisme : Berstein et Kautsky, il s’évertue à expliquer que les thèses de Karl Marsxsont trop faibles, trop erronées.

Cela servirait au mieux à de la propagande, satisferait seulement des gens peu instruits, et n’aurait rien de scientifique, etc.

Kark Kautsky, en maintenant l’orthodoxie, aurait tort ; en cherchant à dépasser le marxisme, Eduard Bernstein aurait raison. Georges Sorel explique dans La crise du socialisme, en 1898, que :

« M. Bernstein a le grand mérite de mettre en pleine lumière que Marx a fait ses recherches scientifiques en vue de justifier des thèses socialistes préconçues et que ses prénotions l’ont empêché de faire un travail complètement satisfaisant.

« Lorsque Marx approche des points où le but final est sérieusement mis en question, il devient vague et incertain… Alors on voit que ce grand esprit scientifique était le prisonnier d’une doctrine. » Je crois qu’on pourrait aller plus loin et je me demande dans quelle mesure Marx était sérieusement communiste et dans quelle mesure il était d’accord avec Engels : je trouve dans ces deux doutes l’explication de beaucoup des obscurités qui déroutent le lecteur. »

Parvenir à se demander si Karl Marx était vraiment communiste en dit long sur l’approche de Georges Sorel, tellement éclectique qu’elle en arrive à relativiser l’identité politique de Karl Marx lui-même.

Dans ce même ouvrage, il salue, évidemment, les problèmes de la social-démocratie, qui ne peuvent être pour lui explicables que par une nécessaire remise en cause… 

« Les programmes socialistes perdent de leur simplicité, de leur logique, de leur cohérence ; M. Merlino insiste beaucoup sur les contradictions et les incertitudes que l’on rencontre aujourd’hui dans les déclarations des Congrès. Il voit là un aveu d’impuissance ; je ne partage pas cet avis ; je vois là une preuve de l’action lente, mais sûre, des conditions sociales actuelles sur l’esprit des théoriciens, qui ne sont pas encore parvenus à mettre leur terminologie et leurs propositions à la hauteur des faits. »

Il faudrait donc tout unifier au-delà des idéologies, refuser le principe d’une ligne, ne pas centraliser la pensée. C’est le sens du soutien de Georges Sorel au syndicalisme révolutionnaire, et il montre ici qu’il est un vrai agent de la bourgeoisie, cherchant à affaiblir culturellement et idéologiquement la classe ouvrière :

« Les anarchistes ont profité de cette situation et se sont lancés, avec l’ardeur qui les caractérise, dans les mouvements syndical et coopératif.

On connaît mal en France les groupes anarchistes ; ils se rattachent d’une manière très intime à la tradition socialiste française, comprenant beaucoup d’excellents ouvriers que les ruses des politiciens dégoûtent les étudiants révolutionnaires de Paris sont, en majorité, anarchistes le très distingué secrétaire de la fédération des Bourses, M. F. Pelloutier, est classé parmi les anarchistes.

À l’heure actuelle, anarchisme est synonyme d’organisation des classes ouvrières en dehors des coteries politiques. Le temps n’est probablement pas éloigné où les ouvriers s’apercevront que la division du socialisme en sectes n’offre qu’un intérêt bien médiocre pour eux ; que le socialisme des choses, comme dit M. Merlino, est bien autrement important que le socialisme des socialistes.

Les travailleurs n’ont pas grand’chose à apprendre des théoriciens ; mais ceux-ci ont beaucoup à apprendre en étudiant le mouvement syndical : c’est à cette conclusion que je suis arrivé dans un travail récent.

Dans la pratique, les dissidences théoriques s’effacent ; quand il s’agit de raisonner sur les réformes actuelles, les dogmes ne comptent guère ; les Bourses du travail renferment des hommes appartenant aux partis les plus opposés et ces hommes s’entendent ; c’est pourquoi les Bourses sont devenues des institutions d’une importance capitale pour l’avenir du socialisme en France.

Tandis que les chefs combinent des formules pour résoudre les contradictions logiques et nous apprendre comment la vraie liberté résulte de la parfaite adaptation au mouvement imprimé à la machine sociale pour l’État ; tandis que des abstractions sont manipulées avec subtilité par les dialecticiens du socialisme, – les ouvriers, en agissant, font la vraie science sociale ; ils suivent les voies qui correspondent aux thèses fondamentales et essentielles de Marx.

Déjà dans les rangs des idéologues a pénétré la notion de l’unité essentielle du socialisme ; tout dernièrement, on a parlé de réunir un grand congrès pour diriger le mouvement et un journal proposait d’y appeler les groupes anarchistes !

La fondation de L’Humanité nouvelle par M. Hamon est un signe remarquable de l’esprit nouveau : la liste des collaborateurs renferme des députés socialistes (comme MM. Vandervelde, Van Kol, E. Ferri), des anarchistes (comme MM. Grave, Kropotkine, Reclus), des marxistes (comme MM. B. Croce, H. Lagardelle et l’ancien directeur de la Revue socialiste, M. G. Renard).

Entre tous ces hommes existe une communauté générale de sentiments, qui les séparent de la société bourgeoise, même des radicaux les plus avancés ; on trouve chez tous ce que j’ai appelé la notion de la catastrophe morale, résultant de la nouvelle évaluation de toutes les valeurs morales par le prolétariat militant : un socialiste et un anarchiste, engagés tous les deux dans le mouvement syndical, ne diffèrent guère ; ils comprennent les rapports sociaux, la conduite privée et le droit à peu près de la même manière ; – on ne saurait en dire autant d’un avocat parisien devenu député socialiste et d’un travailleur d’usine. Il ne faut donc attacher qu’une importance très médiocre aux formules et aux revendications des programmes.

Bien loin de marquer la déchéance du socialisme, la crise actuelle du socialisme scientifique marque un grand progrès : elle facilite le mouvement progressif en affranchissant d’entraves la pensée. Longtemps on a cru que le socialisme pouvait déduire ses conclusions de thèses scientifiques et être une science sociale appliquée ; un interprète fort habile de Marx, M. B. Croce a montré qu’une pareille opération est impossible à réaliser.

La science doit se développer librement sans aucune préoccupation sectaire ; la sociologie et l’histoire existent pour tout le monde de la même manière ; il ne saurait y avoir une science appropriée aux aspirations de la social-démocratie, de même que les catholiques intelligents ne pensent plus qu’il puisse y avoir une science catholique (…).

Le travail fait par Marx ne sera point perdu, tout au contraire ; son œuvre mieux comprise, illuminée par l’expérience acquise, interprétée d’une manière philosophique, fournira des indications singulièrement profondes sur la portée des problèmes sociaux.

Quelques camarades et moi, nous nous efforçons d’utiliser les trésors de réflexions et d’hypothèses que Marx a groupés dans ses livres : c’est la vraie manière de tirer parti d’une œuvre géniale et inachevée. Au lieu de répéter des formules abstraites, nous nous instruisons librement.

Mais ce travail, pour important qu’il soit, est tout à fait accessoire dans le mouvement socialiste, comme tout travail idéologique d’ailleurs.

Le socialisme n’est pas une doctrine, une secte, un système politique ; c’est l’émancipation des classes ouvrières qui s’organisent, s’instruisent et créent des institutions nouvelles. C’est pourquoi je terminais par ces mots un article sur l’avenir socialiste des syndicats : « Pour condenser ma pensée en une formule, je dirai que tout l’avenir du socialisme réside dans le développement autonome des syndicats ouvriers. » [publié dans l’Humanité nouvelle, mai 1898] »

Georges Sorel veut renforcer le syndicalisme révolutionnaire, car ce dernier est anti-politique. Cela nuit à la conscientisation social-démocrate, et cela permet inversement l’éclectisme, où justement des intellectuels comme Georges Sorel (ou Benito Mussolini) peuvent tirer leur épingle du jeu.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel : il n’y a pas deux classes

Le positionnement de Georges Sorel n’est permis que pour une seule raison : il nie l’existence de lois historiques. On est dans le même schéma que chez Nietzsche, avec une loi immanente et l’absence de confrontation aux modes de production. Chez Georges Sorel, on raisonne en termes de situation.

Voilà pourquoi également Georges Sorel réfute catégoriquement toute élaboration d’un programme pour le socialisme, tout cela relevant à ses yeux d’un décor scolastique, comme il en accuse Karl Kautsky.

Cependant, s’il n’y a donc ici pas de loi historique, de mode de production, alors qu’est-ce que le socialisme, selon Georges Sorel ? Là aussi, le rapprochement avec le fascisme qui va naître en Italie est évident.

Georges Sorel admet que le socialisme vient de la classe ouvrière, mais ce n’est qu’une idée, la meilleure des idées, qui est à ce titre reprise par les classes sociales dans leur ensemble :

« Sans doute, le mouvement socialiste ne consiste pas seulement dans « le mouvement des ouvriers organisés pour la résistance, devenant, chemin faisant, un mouvement politique » (p. 35). Je reconnais, avec l’auteur, qu’il s’étend, aujourd’hui, sur toute la société, qu’il revêt des allures prodigieusement variées ; – mais je maintiens que si ce mouvement est socialiste, c’est parce que les conditions actuelles sont telles que tous ses adhérents ne peuvent rien sans la classe ouvrière (évoluant suivant le schéma donné par Marx) et qu’ils ont le sentiment de la position du vrai moteur social moderne.

C’est en cela que consiste l’unification des classes, que M. Merlino croit découvrir ; il y a non pas unification, mais passage de l’Esprit à la classe ouvrière.

Il y a un mouvement à direction bien déterminée ; les classes ne sont plus des choses mélangées, abandonnées à leurs mouvements naturels ; elles sont dominées par les énergies qui se développent dans une classe en nouvelle formation.

C’est celle-ci qui donne à la civilisation naissante les qualités qui vont la caractériser et que l’on ramènera au principe socialiste.

Elle réagit sur toute la structure sociale, mais elle n’en supprime pas, nécessairement, la variété : autre chose est de dire qu’une force est prépondérante, autre chose est de dire qu’elle existe seule : c’est cette simplification que l’on fait quand on réduit la société à deux classes.

Cette simplification, – commode pour faire comprendre théoriquement la lutte des classes, – nous empêche de voir les vrais mouvements et nous cache l’histoire dans laquelle nous vivons. »

On a ici un élément essentiel de pourquoi Georges Sorel amène à la formation de l’idéologie de la « révolution fasciste ». Tout d’abord, il nie la dialectique et la contradiction de deux classes : la révolution oppose deux camps seulement, pas deux opposés dialectiques.

Ensuite, la classe ouvrière transporterait l’Esprit de la révolution. C’est un vecteur, un outil. La classe ouvrière ne fait que porter l’idée.

Rien n’empêchera alors de faire de l’avant-garde une force entièrement séparée de la classe ouvrière et apportant une idée transmise par celle-là, du moins en apparence : cela sera ce que prétendra la « révolution fasciste », nationale-socialiste.

Mais en quoi consisterait justement la révolution, s’il n’y a plus deux camps ? Non pas, donc, en le pouvoir de l’un des deux camps ayant renversé l’autre, mais en le triomphe d’une « pression » :

« Il y a là une question qui mériterait d’être étudiée de près ; il me paraît certain que Marx n’a pas compris la dictature du prolétariat dans le sens d’une administration effective de la masse, mais dans le sens d’une pression si énergique et si tenace du prolétariat sur les pouvoirs – constitués en période révolutionnaire d’une manière toujours faible, incapables de s’organiser automatiquement – que les aspirations des classes ouvrières puissent se faire jour et l’essence du socialisme se réaliser. »

C’est là encore une vision petite-bourgeoise. Et comment alors interpréter le sens de ces pressions ? C’est là que Georges Sorel interprète Karl Marx comme une sorte de théoricien du syndicalisme révolutionnaire, où la science n’est ce qui ressort de l’action, du combat :

« Suivant le principe de Marx, la science doit sortir de l’action, le mouvement de la pensée exprimer le mouvement réel. »

Georges Sorel admet lui-même que, de toutes façons, Marx reste pour lui incompréhensible et que par conséquent il ne faut pas « trop chercher » non plus :

« Plus on va, plus on se débarrasse de tout le bagage aprioristique, légué par le passé.

Ce qui est spécifiquement la conception marxiste me semble assez large pour pouvoir contenir les nouvelles théories à élaborer ; mais il est évident qu’il ne faut pas aborder ces difficultés avec un esprit théologique ; il faut s’inspirer de l’esprit plutôt que des textes.

[En note à cet endroit] Cela est d’autant plus nécessaire que les textes de MARX sont, très souvent, d’une interprétation difficile : rien ne ressemble tant à la Philosophie de la nature de HEGEL que le Capital.

Marx a créé une terminologie ou plutôt plusieurs (la huitième section du premier volume du Capital diffère très sensiblement des autres) ; – les mots sont tantôt employés dans un sens technique étroit, tantôt comme signes collectifs, tantôt dans un sens symbolique, tantôt dans le sens vulgaire ; – des formules abstraites sont souvent présentées sans préparation ; -les formules symboliques ne sont pas rares ; – enfin il existe des différences assez notables entre l’édition française et la dernière édition publiée par Engels : – la traduction française n’est pas toujours sûre parce que notre langue se prête fort mal à représenter des abstractions d’une manière vivante, comme cherche souvent à faire Marx à l’exemple de Hegel.

Il serait à désirer qu’on publiât, à l’usage des lecteurs français, un fascicule contenant les variantes. Fin de la note]

M. Andler voit dans les recherches des marxistes actuels « les variations d’une orthodoxie sur son déclin » et les preuves de la décomposition du marxisme. Le tout serait, peut- être, de s’entendre sur le sens des termes : car la vitalité d’une doctrine scientifique se mesure moins à la fidélité à des formules qu’à la hardiesse et à l’indépendance des disciples. »

Au-delà de l’erreur théorique, il y a pire : Georges Sorel considère qu’il a le droit de s’inspirer, d’interpréter comme bon lui semble. C’est là typiquement petit-bourgeois et ce style va être précisément celui du fascisme.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel et le mythe mobilisateur

Georges Sorel a toujours été un disciple de Bergson. Ce dernier mettait en avant l’intuition ; il correspondait à l’expression de l’irrationalisme bourgeois de la Belle Époque. Étant éclectique dans son approche, coupé de la tradition social-démocrate, Georges Sorel a puisé librement dans le bergsonisme pour justifier sa démarche du combattant.

Georges Sorel s’est également largement inspiré du pragmatisme, un courant américain justifiant l’expérience la plus directe. Là encore, on avait une philosophie propre au capitalisme, cette fois dans les conditions américaines, avec son sens de l’action.

Afin de combiner le tout, au nom du syndicalisme révolutionnaire dont il se veut désormais le théoricien, Georges Sorel met en avant le mythe, c’est-à-dire une image nette permettant de transcender les combattants et d’unifier les efforts individuels. 

On lit donc, dans les Réflexions sur la violence :

« Les explications précédentes ont montré que l’idée de la grève générale, rajeunie constamment par les sentiments que provoque la violence prolétarienne, produit un état d’esprit tout épique et, en même temps, tend toutes les puissances de l’âme vers des conditions qui permettent de réaliser un atelier fonctionnant librement et prodigieusement progressif ; nous avons ainsi reconnu qu’il y a de très grandes parentés entre les sentiments de grève générale et ceux qui sont nécessaires pour provoquer un progrès continu dans la production.

Nous avons donc le droit de soutenir que le monde moderne possède le moteur premier qui peut assurer la morale des producteurs. »

La violence est ici l’expression de la puissance des forces nouvelles, une pureté dans un monde s’effondrant, la réactivation de la figure du combattant :

« Je m’arrête ici, parce qu’il me semble que j’ai accompli la tâche que je m’étais imposée; j’ai établi, en effet, que la violence prolétarienne a une tout autre signification historique que celle que lui attribuent les savants superficiels et les politiciens ; dans la ruine totale des institutions et des mœurs, il reste quelque chose de puissant, de neuf et d’intact, c’est ce qui constitue, à proprement parler, l’âme du prolétariat révolutionnaire ; et cela ne sera pas entraîné dans la déchéance générale des valeurs morales, si les travailleurs ont assez d’énergie pour barrer le chemin aux corrupteurs bourgeois, en répondant a leurs avances par la brutalité la plus intelligible.

Je crois avoir apporté une contribution considérable aux discussions sur le socialisme; ces discussions doivent désormais porter sur les conditions qui permettent le développement des puissances spécifiquement prolétariennes, c’est-à-dire sur la violence éclairée par l’idée de grève générale.

Toutes les vieilles dissertations abstraites deviennent inutiles sur le futur régime socialiste ; nous passons au domaine de l’histoire réelle, à l’interprétation des faits, aux évaluations éthiques du mouvement révolutionnaire.

Le lien que j’avais signalé, au début de ces recherches, entre le socialisme et la violence prolétarienne, nous apparaît maintenant dans toute sa force.

C’est à la violence que le socialisme doit les hautes valeurs morales par lesquelles il apporte le salut au monde moderne. »

Voici comment Georges Sorel salue par conséquent  les syndicalistes révolutionnaires dans ses Réflexions sur la violence :

« Ces observations nous conduisent à reconnaître l’énorme différence qui existe entre la nouvelle école et l’anarchisme qui a fleuri il y a une vingtaine d’années à Paris.

La bourgeoisie avait bien moins d’admiration pour ses littérateurs et ses artistes que n’en avaient les anarchistes de ce temps-là ; leur enthousiasme pour les célébrités d’un jour dépassait souvent celui qu’ont pu avoir des disciples pour les plus grand maîtres du passé ; aussi ne faut-il pas s’étonner si, par une juste compensation, les romanciers et les poètes, ainsi adulés, montraient pour les anarchistes une sympathie qui a étonné souvent les personnes qui ignoraient à quel point l’amour-propre est considérable dans le monde esthétique.

Cet anarchisme était donc intellectuellement tout bourgeois, et les guesdistes ne manquaient jamais de lui reprocher ce caractère ; ils disaient que leurs adversaires, tout en se proclamant ennemis irréconciliables du passé, étaient de serviles élèves de ce passé maudit ; ils observaient d’ailleurs que les plus éloquentes dissertations sur la révolte ne pouvaient rien produire, et qu’on ne change pas le cours de l’histoire avec de la littérature.

Les anarchistes répondaient en montrant que leurs adversaires étaient dans une voie qui ne pouvait conduire à la révolution annoncée ; en prenant part aux débats politiques, les socialistes devaient, disaient-ils, devenir des réformateurs plus ou moins radicaux et perdre le sens de leurs formules révolutionnaires.

L’expérience n’a pas tardé à montrer que les anarchistes avaient raison à ce point de vue, et qu’en entrant dans les institutions bourgeoises, les révolutionnaires se transformaient, en prenant l’esprit de ces institutions ; tous les députés disent que rien ne ressemble tant à un représentant de la bourgeoisie qu’un représentant du prolétariat.

Beaucoup d’anarchistes finirent par se lasser de lire toujours les mêmes malédictions grandiloquentes lancées contre le régime capitaliste, et ils se mirent à chercher une voie qui les conduisit à des actes vraiment révolutionnaires ; ils entrèrent dans les syndicats qui, grâce aux grèves violentes, réalisaient, tant bien que mal, cette guerre sociale dont ils avaient si souvent entendu parler.

Les historiens verront un jour, dans cette entrée des anarchistes dans les syndicats, l’un des plus grands événements qui se soient produits de notre temps ; et alors le nom de mon pauvre ami Fernand Pelloutier sera connu comme il mérite de l’être.

Les écrivains anarchistes qui demeurèrent fidèles à leur ancienne littérature révolutionnaire, ne semblent pas avoir vu de très bon mille passage de leurs amis dans les syndicats ; leur attitude nous montre que les anarchistes devenus syndicalistes eurent une véritable originalité et n’appliquèrent pas des théories qui avaient été fabriquées dans des cénacles philosophiques.

Ils apprirent surtout aux ouvriers qu’il ne fallait pas rougir des actes violents. Jusque-là on avait essayé, dans le monde socialiste, d’atténuer ou d’excuser les violences des grévistes ; les nouveaux syndiqués regardèrent ces violences comme des manifestations normales de la lutte, et il en résulta que les tendances vers le trade-unionisme furent abandonnées.

Ce fut leur tempérament révolutionnaire qui les conduisit à cette conception ; car on commettrait une grosse erreur en supposant que ces anciens anarchistes apportèrent dans les associations ouvrières les idées relatives à la propagande par le fait.

Le syndicalisme révolutionnaire n’est donc pas, comme beaucoup de personnes le croient, la première forme confuse du mouvement ouvrier, qui devra se débarrasser, à la longue, de cette erreur de jeunesse ; il a été, au contraire, le produit d’une amélioration opérée par des hommes qui sont venus enrayer une déviation vers des conceptions bourgeoises.

On pourrait donc le comparer à la Réforme qui voulut empêcher le christianisme de subir l’influence des humanistes ; comme la Réforme, le syndicalisme révolutionnaire pourrait avorter, s’il venait à perdre, comme celle-ci a perdu, le sens de son originalité ; c’est ce qui donne un si grand intérêt aux recherches sur la violence prolétarienne. »

Georges Sorel défend donc le syndicalisme révolutionnaire, se posant comme protecteur dans la mesure où, dit-il, il a vu l’aspect principal : celui de la violence. Seule la violence permet un décrochage avec le parlementarisme, et donc l’avènement de la révolution, vers laquelle on tend par l’affirmation non pas d’un programme, mais d’un mythe mobilisateur.

La social-démocratie française ne veut pas la révolution : elle s’est engluée dans le réformisme. Georges Sorel attribue cela à la nature même de la social-démocratie en général. Il voit donc dans l’anti-intellectualisme des syndicalistes révolutionnaires le remède à cette tentation réformiste.

Mais alors que les syndicalistes révolutionnaires font du syndicat la clef de l’opposition à la social-démocratie qui vante le Parti, Georges Sorel fait de la violence la clef de la transformation sociale. Il déplace le curseur, faisant de l’individu combattant la clef de voûte de sa vision du monde.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel et la violence : la vision petite-bourgeoise du combattant

Pour élaborer sa théorie de la violence, ou plus précisément du combattant, Georges Sorel en appelle à Nietzsche. Ce philosophe allemand a formulé, en effet, une conception de la réalité consistant en une bataille pour l’affirmation de sa propre puissance. Une fois qu’on y est parvenu, on est soi-même balayé par une nouvelle puissance, et cela à l’infini, dans un éternel retour.

On a vu que Georges Sorel ne raisonne pas en termes de classe, mais de forces historiques aux intérêts divergents. C’est donc une puissance et elle doit se réaliser. Le moyen pour cela est l’écrasement dans la violence, car c’est l’expression libre de ces forces.

Georges Sorel aborde la question de la manière suivante dans les Réflexions sur la violence :

« On sait avec quelle force Nietzsche a vanté les valeurs construites par les maîtres, par une haute classe de guerriers qui, dans leurs expéditions, jouissent pleinement de l’affranchissement de toute contrainte sociale, retournent à la simplicité de la conscience du fauve, redeviennent des monstres triomphants qui rappellent toujours « la superbe brute blonde rôdant, en quête de proie et de carnage », chez lesquels « un fond de bestialité cachée a besoin, de temps en temps, d’un exutoire ».

Pour bien comprendre cette thèse, il ne faut pas trop s’attacher à des formules qui ont été parfois exagérées à dessein, mais aux faits historiques; l’auteur nous apprend qu’il a en vue «l’aristocratie romaine, arabe, germanique ou japonaise, les héros homériques, les vikings scandinaves ».

C’est surtout aux héros homériques qu’il faut penser pour comprendre ce que Nietzsche a voulu expliquer à ses contemporains. »

Il est donc nécessaire, pour Georges Sorel, de procéder à l’héroïsation de l’individu pour qu’il soit prêt à la bataille. Il ne faut pas des cadres se sacrifiant pour le Parti, mais des individus affrontant la réalité pour eux-mêmes, dans le syndicat.

C’est une vision petite-bourgeoise et d’ailleurs voici le cadre dont parle Georges Sorel :

« Le problème que nous allons maintenant chercher à résoudre est le plus difficile de tous ceux que puisse aborder l’écrivain socialiste ; nous allons nous demander comment il est possible de concevoir le passage des hommes d’aujourd’hui à l’état de producteurs libres travaillant dans un atelier débarrassé de maîtres.

Il faut bien préciser la question ; nous ne la posons point pour le monde devenu socialiste, mais seulement pour notre temps et pour la préparation du passage d’un monde à l’autre ; si nous ne faisions pas cette limitation, nous tomberions dans l’utopie. »

Il est bien parlé d’atelier et de producteurs, c’est-à-dire d’individus dans le cadre de la petite production. La réalité post-révolutionnaire n’est pas analysée, car il ne serait pas possible d’en parler : là aussi on découvre la vision du monde petite-bourgeoise qui ne veut surtout pas planifier, cherchant simplement, en réalité, à faire reculer la bourgeoisie pour maintenir son existence.

C’est cette approche qui permet à Georges Sorel d’aboutir à la mentalité du soldat – ce qui est tout à fait conforme à l’idéal fasciste qui s’affirmera par la suite, Benito Mussolini saluant Georges Sorel qu’il a lu alors qu’il était encore un socialiste réfléchissant sur les syndicats, juste avant de fonder le mouvement fasciste en Italie. C’est l’idéal du légionnaire.

Dans les Réflexions sur la violence, on lit donc :

« On arrive à un résultat satisfaisant en partant des très curieuses analogies qui existent entre les qualités les plus remarquables des soldats qui firent les guerres de la Liberté, celles qu’engendre la propagande faite en faveur de la grève générale et celles que l’on doit réclamer d’un travailleur libre dans une société hautement progressive.

Je crois que ces analogies constituent une preuve nouvelle (et peut-être décisive) en faveur du syndicalisme révolutionnaire.

Pendant les guerres de la Liberté, chaque soldat se considérait comme étant un personnage ayant à faire quelque chose de très important dans la bataille, au lieu de se regarder comme étant seulement une pièce dans un mécanisme militaire confié à la direction souveraine d’un maître.

Dans la littérature de ces temps, on est frappé de voir opposer constamment les hommes libres des armées républicaines aux automates des armées royales ; ce n’étaient point des figures de rhétorique que maniaient les écrivains français ; j’ai pu me convaincre, par une étude approfondie et personnelle d’une guerre de ce temps, que ces termes correspondaient parfaitement aux véritables sentiments du soldat.

Les batailles ne pouvaient donc plus être assimilées à des jeux d’échec dans lesquels l’homme est comparable à un pion; elles devenaient des accumulations d’exploits héroïques, accomplis par des individus qui puisaient dans leur enthousiasme les motifs de leur conduite. »

Cela aboutit à la conception de la révolution comme soulèvement individualiste ; ce serait une exaltation de l’individualité de la vie du producteur. C’est la conception du guerrier, du combattant, hors de toute fusion collective, de ligne idéologique, d’organisation et de planification.

Georges Sorel est le théoricien d’une nouvelle forme d’intervention sociale, se fondant sur une mentalité de combattant affrontant la réalité afin de s’affirmer, sans que le contenu, ni l’objectif ne soient ce qui compte.

On lit, dans les Réflexions sur la violence, un justificatif de cela, sur la base de l’efficacité du pragmatisme :

« Jusqu’au moment où parut Napoléon, la guerre n’eut point le caractère scientifique que les théoriciens ultérieurs de la stratégie ont cru parfois devoir lui attribuer ; trompés par l’analogie qu’ils trouvaient entre les triomphes des armées révolutionnaires et ceux des armées napoléoniennes, les historiens ont imaginé que les généraux antérieurs à Napoléon avaient fait de grands plans de campagne : de tels plans n’ont pas existé ou n’ont eu qu’une influence infiniment faible sur la marche des opérations.

Les meilleurs officiers de ce temps se rendaient compte que leur talent consistait à fournir à leurs troupes les moyens matériels de manifester leur élan ; la victoire était assurée chaque fois que les soldats pouvaient donner libre carrière à tout leur entrain, sans être entravés par la mauvaise administration des subsistances et par la sottise des Représentants du peuple s’improvisant stratèges.

Sur le champ de bataille, les chefs donnaient l’exemple du courage le plus audacieux et n’étaient que des premiers combattants, comme de vrais rois homériques : c’est ce qui explique le grand prestige qu’acquirent immédiatement sur de jeunes troupes, tant de sous-officiers de l’Ancien Régime que l’acclamation unanime des soldats porta aux premiers rangs, au début de la guerre.

Si l’on voulait trouver, dans ces premières armées, ce qui tenait lieu de l’idée postérieure d’une discipline, on pourrait dire que le soldat était convaincu que la moindre défaillance du moindre des troupiers pouvait compromettre le succès de l’ensemble et la vie de tous ses camarades – et que le soldat agissait en conséquence.

Cela suppose qu’on ne tient nul compte des valeurs relatives des facteurs de la victoire, en sorte que toutes choses sont considérées sous un point de vue qualitatif et individualiste.

On est, en effet, prodigieusement frappé des caractères individualistes que l’on rencontre dans ces armées et on ne trouve rien qui ressemble à l’obéissance dont parlent nos auteurs actuels. Il n’est donc pas du tout inexact de dire que les incroyables victoires françaises furent alors dues à des baïonnettes intelligentes.

Le même esprit se retrouve dans les groupes ouvriers qui sont passionnés pour la grève générale ; ces groupes se représentent, en effet, la révolution comme un immense soulèvement qu’on peut encore qualifier d’individualiste : chacun marchant avec le plus d’ardeur possible, opérant pour son compte, ne se préoccupant guère de subordonner sa conduite à un grand plan d’ensemble savamment combiné.

Ce caractère de la grève générale prolétarienne a été, maintes fois, signalé et il n’est pas sans effrayer des politiciens avides qui comprennent parfaitement qu’une révolution menée de cette manière supprimerait toute chance pour eux de s’emparer du gouvernement.

Jaurès, que personne ne songera à ne pas classer parmi les gens les plus avisés qui soient, a très bien reconnu le danger qui le menace; il accuse les partisans de la grève générale de morceler la vie et d’aller ainsi contre la révolution.

Ce charabia doit se traduire ainsi : les syndicalistes révolutionnaires veulent exalter l’individualité de la vie du producteur ; ils vont donc contre les intérêts des politiciens, qui voudraient diriger la révolution de manière à transmettre le pouvoir à une nouvelle minorité; ils sapent les bases de l’État.

Nous sommes parfaitement d’accord sur tout cela ; et c’est justement ce caractère (effrayant pour les socialistes parlementaires, financiers et idéologues) qui donne une portée morale si extraordinaire à la notion de la grève générale.

On accuse les partisans de la grève générale d’avoir des tendances anarchistes ; on observe, en effet, que les anarchistes sont entrés en grand nombre dans les syndicats depuis quelques années et qu’ils ont beaucoup travaillé à développer des tendances favorables à la grève générale.

Ce mouvement s’explique de lui-même, en se reportant aux explications précé- dentes ; car la grève générale, tout comme les guerres de la Liberté, est la manifestation la plus éclatante de la force individualiste dans des masses soulevées. Il me semble, au surplus, que les socialistes officiels feraient aussi bien de ne pas tant insister sur ce point; car ils s’exposent ainsi à provoquer des réflexions qui ne seraient pas à leur avantage.

On serait amené, en effet, à se demander si nos socialistes officiels, avec leur passion pour la discipline et leur confiance infinie dans le génie des chefs, ne sont pas les plus authentiques héritiers des armées royales, tandis que les anarchistes et les partisans de la grève générale représenteraient aujourd’hui l’esprit des guerriers révolutionnaires qui rossèrent, si copieusement et contre toutes les règles de l’art, les belles armées de la coalition.

Je comprends que les socialistes homologués, contrôlés et dûment patentés par les administrateurs de l’Humanité aient peu de goût pour les héros de Fleurus, qui étaient fort mal habillés et qui auraient fait mauvaise figure dans les salons des grands financiers; mais tout le monde ne subordonne pas sa pensée aux convenances des commanditaires de Jaurès. »

On a ici toutes les bases de la mentalité fasciste.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel : un anti-Marx

Georges Sorel a suivi avec attention les débats dans la social-démocratie allemande. Mais il méconnaît clairement les bases du marxisme, les adapte à sa manière, indubitablement avec une grande mauvaise foi plus il s’avère que l’incohérence est évidente.

Le projet de Georges Sorel est d’une nature particulière : il ne cesse de dire que Karl Marx a raison. Mais cela est associé aux explications incessantes comme quoi les marxistes n’ont pas compris Karl Marx, comme quoi Karl Marx n’aurait pas fourni une vision scientifique, comme quoi il faut remettre en cause la plupart des thèses de Karl Marx, etc.

Georges Sorel, dans ses écrits, ne cesse de dénoncer Friedrich Engels et Karl Kautsky, les deux successeurs de Karl Marx, reconnus tels par la social-démocratie internationale. Il se pose en opposition complète au principe de rationalité et de conscience mis en avant par la social-démocratie, qui veut une classe ouvrière organisée, avec un parti d’avant-garde.

Il met en avant un Karl Marx déformé, défiguré, qui ne serait finalement qu’une sorte de proto-Georges Sorel. Il est évident, naturellement, que Georges Sorel veut conserver le prestige de Karl Marx, pour se l’approprier, afin d’apparaître comme son dépassement. 

Les thèses de Georges Sorel ne sont ici pas originales ; elles sont strictement celles du syndicalisme révolutionnaire, c’est-à-dire qu’elles se veulent une alternative révolutionnaire irrationnelle à une social-démocratie française rationnelle et considérée non-révolutionnaire.

C’est une réponse anti-réformiste, mais pas dans le sens de la social-démocratie, du marxisme, et par conséquent cela va dans le sens d’une démarche plébéienne.

C’était là exprimer une situation française où le 19e siècle avait connu de nombreuses révolutions, de nombreux soulèvements, avec les masses participant au premier chef au service de la bourgeoisie contre l’aristocratie, avec la déception qui va avec.

C’était là exprimer la vision du monde de la petite-bourgeoisie, si forte dans la France du 19e siècle, avec la petite propriété.

C’était là exprimer une approche anti-politique, dans le sens de la Charte d’Amiens qui fait de la CGT un bastion anti-politique.

Georges Sorel est, dans cette mesure, un anti-Marx. Il s’intéresse à ses conceptions économiques, qu’il pense juste, comme il le dit dans l’article « Science et socialisme » en 1893, mais il ne voit pas de philosophie, de justification.

Georges Sorel ne connaît, en fait, rien à la social-démocratie en tant que mouvement ; il ne connaît que le réformisme républicain français, qu’il imagine être social-démocrate. De Marx, il ne connaît que des bribes, qu’il interprète comme il l’entend, comme en témoigne ce qu’il affirme dans le long article « Pour ou contre le socialisme » paru dans sa revue Le Devenir social, en octobre 1897 :

« Si, comme l’assurent tant d’écrivains, la doctrine marxiste aboutit à un fatalisme économico-révolutionnaire (p. 16), M. Merlino a bien raison de se révolter ; mais la croyance à « l’existence de lois historiques et économiques, fatales et immuables », me semble être une de ces conceptions qu’on ne peut sans preuve attribuer à Marx. »

Cela signifie qu’en 1897, Georges Sorel ne connaît même pas le b-a-BA du matérialisme historique, ce qui sous-tend qu’il ne connaît rien non plus tant du matérialisme dialectique que de la social-démocratie. Il ne cessera d’affirmer qu’on ne trouve pas chez Karl Marx d’affirmation de lois historiques, d’un mouvement inévitable.

Ne comprenant pas ce qu’est par conséquent le principe du mode de production, il ne comprend pas ce qu’est une classe. A ses yeux, le marxisme n’apporte rien de nouveau à part quelques considérations sur l’économie et les privilèges ; le principe même de lutte de classes le dépasse totalement. Voici comment il dénonce ceux qui, à ses yeux, interpréterait Marx de manière erronée, dans le même article :

« Il nous faut, maintenant, examiner d’une manière approfondie la lutte des classes. J’accorde volontiers que cette portion de la doctrine marxiste a été fort obscurcie par les commentateurs, au moins autant que le matérialisme historique.

Si, pour éviter les difficultés, on adopte un sens très large, on aboutit soit à des banalités, soit à des propositions générales n’ayant rien de spécifiquement marxiste.

Les conflits d’intérêts, les oppositions entre les divers groupes, les influences économiques sont des moyens d’explication qui appartiennent à tout le monde. M. Tcherkésoff a raison quand il fait observer que Niebuhr a dirigé, il y a bien longtemps, l’étude de l’histoire romaine en tenant compte des conditions économiques ; – quand il rappelle l’œuvre colossale de Th. Rogers, qui ne connaissait rien de Marx et d’Engels. je pourrais aussi mentionner le Cours professé au Collège de France par M. J. Flach, sur les institutions primitives : l’éminent juriste a renouvelé toutes les recherches sur la famille en prenant pour base les conditions de production de la vie matérielle, et considé- rant tout l’ensemble du complexus social comme une unité indéchirable ; c’est une méthode qu’on pourrait appeler marxiste, bien que le professeur n’ait jamais lu Marx.

Les exemples pourraient être multipliés à l’infini. D’autre part, des disciples ont voulu étonner les lecteurs naïfs en leur révélant de prodigieuses inventions, et ils ont converti, comme le dit M. G. Richard, des vérités banales à force d’être répétées en des paradoxes audacieux.

« La société n’est pas un champ clos, dans lequel luttent patrons et ouvriers » ; le renouvellement général de la société est l’œuvre de toutes les classes ; on ne peut pas le circonscrire « dans les rapports des ouvriers industriels et des maîtres de fabrique » (p. 27). Je ne vois pas que dans le 18 Brumaire (que l’on cite d’ordinaire comme la meilleure application des théories historiques de l’école) Marx ait raisonné de la sorte ; il prend en considération tous les groupes qui existent.

Marx a donné, dans le 18 Brumaire, cette définition d’une classe : « En tant que des millions de familles vivent dans des conditions d’existence qui distinguent leur manière de vivre, leurs intérêts, leur éducation de ceux des autres classes qui leur sont opposées hostilement, ils forment une classe. » Il ajoute comme signes d’une classe, la solidarité, l’association nationale et l’organisation politique : ces caractères se trouvent dans les classes pleinement développées, étant devenues classes pour elles-mêmes ; mais il y a aussi des classes qui ne sont pas arrivées à ce plein épanouissement.

Dans la Misère de la philosophie, Marx a dit : « Au moment où la civilisation commence, la production commence à se fonder sur l’antagonisme des ordres, des états et des classes, enfin sur l’antagonisme du travail accumulé et du travail immédiat.

Pas d’antagonisme, pas de progrès. » Il ne semble donc pas que l’histoire doive être complètement expliquée par l’antagonisme sur lequel se fonde la production ; mais que cet antagonisme est seulement requis pour interpréter une partie de l’histoire, ce qui nous apparaît comme progrès, – à l’heure actuelle, le mouvement socialiste (…).

Avant d’abandonner ce sujet, il est nécessaire de dire quelques mots pour expliquer les causes de la persistance de l’erreur combattue par M. Merlino.

Cette erreur a été maintenue grâce à la fausse interprétation donnée au premier volume du Capital: on n’y voit que capitalistes-entrepreneurs et prolétaires ; mais on n’a pas pris garde que ce ne sont pas des patrons et des ouvriers vivants, mais seulement des abstractions empruntées à l’organisme historique et transformés en mécanismes dans la composition économique.

Ces masques scientifiques ne peuvent être confondus avec les êtres ayant de la chair sur les os, avec les hommes qui font l’histoire.

Mais notre esprit est ainsi fait qu’il croit toujours que le moins réel et le plus abstrait a une supériorité sur le réel et le concret.

La division en deux groupes a donc passé pour constituer le dernier mot de la sociologie, parce qu’on l’apercevait dans la partie la plus reculée d’une composition purement idéale (…).

Au point de vue marxiste, il ne saurait plus exister de philosophie de l’histoire.

L’histoire forme un mélange hétérogène dépendant de circonstances infiniment complexes ; ce mélange est donné et il nous est impossible de le penser autrement qu’il n’est donné.

Il est impossible de ramener chaque ensemble à un élément simple (qui le caractériserait et permettrait de le reconstruire) ; il est impossible de réunir tous les ensembles successifs par une connexion scientifique, par une loi qui, après avoir exprimé le passé, serait capable de nous donner l’avenir. Les ensembles successifs n’ont d’autre lien que l’ordre enregistré par la chronologie (…).

L’histoire est tout entière dans le passé ; il n’existe aucun moyen de la transformer en une combinaison logique, permettant de prévoir l’avenir. Tout ce que nous disons de l’avenir est pure hypothèse, mais hypothèse nécessaire pour fournir des bases à notre activité (…).

Bien que Marx ait, assez généralement, évité de parler des choses d’avenir, il n’a pu s’en dispenser quelquefois : ainsi, dans la lettre sur le programme de Gotha, il énonce cette proposition que l’évolution se fera en trois moments : capitalisme, semi-communisme (quelquefois appelé collectivisme) et communisme ; malheureusement il n’a pas fait connaître quelles étaient les raisons sur lesquelles il s’appuyait. »

Il n’y a donc pas de dialectique entre deux classes, pas de loi historique, pas de mode de production. Il n’y a que la possibilité de construire un affrontement, au nom d’une idée. C’est là qu’intervient la théorie de la violence, ou plus exactement l’esprit du combattant.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel : réactiver par la violence une bourgeoisie abrutie

Il est évident que si Georges Sorel avait limité sa critique à une dénonciation de la politique et de la corruption, il n’aurait pas eu d’impact ; il serait simplement un compagnon de route d’un syndicalisme révolutionnaire né et se développant sans lui.

Il fallait que s’ajoute une conception bien particulière, qui justement va dépolitiser le projet de Georges Sorel et permettre à son oeuvre de devenir une référence fasciste, ou plus exactement un apport à la genèse du principe de « révolution fasciste ».

C’est qu’il ne s’agit pas chez Georges Sorel simplement du fait qu’il y aurait une prise du contrôle du prolétariat par les intellectuels devenant politiciens, chef de parti. Il y a également, et c’est là la grande originalité de Georges Sorel, une prise d’assaut de la bourgeoisie elle-même.

Ce qu’il dénonce en la social-démocratie, en le parti d’avant-garde, c’est le fait de se proposer comme nouvel Etat, nécessairement parasite. Mais ce parasite n’est pas simplement effectif après la révolution – ce serait ici répéter simplement ce qu’a prétendu Bakounine. Il est également présent avant la révolution, dans le capitalisme lui-même.

Pourquoi cela? Parce que la bourgeoisie est une classe non pas qui exploite comme chez Karl Marx, avec la question du taux de profit, etc., mais simplement une classe qui, en quelque sorte, règne.

La bourgeoisie, devenue abrutie à force de domination, laisserait donc la place aux gestionnaires. Voici comment Georges Sorel voit les choses, dans Réflexions sur la violence :

« Si l’abrutissement de la haute bourgeoisie continue à progresser d’une manière régulière, à l’allure qu’il a prise depuis quelques années, nos socialistes officiels peuvent raisonnablement espérer atteindre le but de leurs rêves et coucher dans des hôtels somptueux.

Deux accidents sont seuls capables, semble-t-il, d’arrêter ce mouvement : une grande guerre étrangère qui pourrait retremper les énergies et qui, en tout cas, amènerait, sans doute, au pouvoir des hommes ayant la volonté de gouverner ; ou une grande extension de la violence prolétarienne qui ferait voir aux bourgeois la réalité révolutionnaire et les dégoûterait des platitudes humanitaires avec lesquelles Jaurès les endort.

C’est en vue de ces deux grands dangers que celui-ci déploie toutes ses ressources d’orateur populaire : il faut maintenir la paix européenne à tout prix ; il faut mettre une limite aux violences prolétariennes. »

Comme on le voit ici très bien, Georges Sorel met sur le même plan une guerre et la violence prolétarienne, car ce qui compte ce n’est nullement l’idéologie, mais la violence en soi. La violence est source d’énergie ; c’est elle qui fournit la substance de la révolution.

Cela est nécessaire, car la bourgeoisie est abrutie, elle n’apparaît plus sur le devant de la scène. Tout devient alors une question de gestion, tout est endormi sur le plan révolutionnaire aux yeux de Georges Sorel. Il faut donc, en quelque chose, chercher la casse.

Frapper fort, c’est ici réactiver la bourgeoisie, la forcer à être elle-même, à se montrer, à se présenter, et donc à affronter. La violence n’est pas un mouvement historique, elle est un choix forçant l’existence de protagonistes.

Georges Sorel dit donc :

« Marx supposait que la bourgeoisie n’avait pas besoin d’être excitée à employer la force ; nous sommes en présence d’un fait nouveau et fort imprévu : une bourgeoisie qui cherche à atténuer sa force.

Faut-il croire que la conception marxiste est morte ? Nullement, car la violence prolétarienne entre en scène en même temps que la paix sociale prétend apaiser les conflits ; la violence prolétarienne enferme les patrons dans leur rôle de producteurs et tend à restaurer la structure des classes au fur et à mesure que celles-ci semblaient se mêler dans un marais démocratique.

Non seulement la violence prolétarienne peut assurer la révolution future, mais encore elle semble être le seul moyen dont disposent les nations européennes, abruties par l’humanitarisme, pour retrouver leur ancienne énergie.

Cette violence force le capitalisme à se préoccuper uniquement de son rôle matériel et tend à lui rendre les qualités belliqueuses qu’il possédait autrefois.

Une classe ouvrière grandissante et solidement organisée peut forcer la classe capitaliste à demeurer ardente dans la lutte industrielle ; en face d’une bourgeoisie affamée de conquêtes et riche, si un prolétariat uni et révolutionnaire se dresse, la société capitaliste atteindra sa perfection historique.

Ainsi la violence prolétarienne est devenue un facteur essentiel du marxisme.

Ajoutons, encore une fois, qu’elle aura pour effet, si elle est conduite convenablement, de supprimer le socialisme parlementaire, qui ne pourra plus passer pour le maître des classes ouvrières et le gardien de l’ordre. »

Il va de soi que le marxisme dont parle Georges Sorel n’a rien à voir avec le marxisme authentique. C’est que, justement, Georges Sorel a son interprétation très personnelle des écrits de Karl Marx.

>Sommaire du dossier

Georges Sorel et la dénonciation anti-politique de la corruption

Le moyen le plus simple de saisir la démarche de Georges Sorel, c’est de voir la différence entre sa conception de la démocratie bourgeoise et celle de la social-démocratie. Cette dernière considère que le socialisme est un mouvement démocratique de l’époque du prolétariat ; la bataille pour la démocratie est la substance de celle pour le socialisme, le mode de production capitaliste étant en opposition fondamentale avec le communisme.

Or, bien entendu, il y a eu des courants pour réviser cela et remplacer le socialisme par une bataille pour la démocratie dans sa forme bourgeoise. C’est en France que ces courants ont été immédiatement les plus puissants, avec notamment la figure de Jean Jaurès.

Georges Sorel dénonce alors la social-démocratie réformiste, la démocratie bourgeoise, et finalement la démocratie tout court, car elle est une valeur propre à la social-démocratie comme à la bourgeoisie, et lui rejette les deux.

C’est ce qui l’amène à un discours violemment anti-démocratique, qui l’amènera entre autres à collaborer à des revues conservatrices, tout en se voulant un partisan du syndicalisme révolutionnaire.

Voici l’un des violentes charges anti-démocratiques propres à Georges Sorel, qu’on trouve ici dans ses Réflexions sur la violence :

« Dès qu’on s’occupe d’élections, il faut subir certaines conditions générales qui s’imposent, d’une manière inéluctable, à tous les partis, dans tous les pays et dans toits les temps.

Quand on est convaincu que l’avenir du monde dépend de prospectus électoraux, de compromis conclus entre gens influents et de ventes de faveurs, on ne peut avoir grand souci des contraintes morales qui empêcheraient l’homme d’aller là où se manifeste son plus clair intérêt.

L’expérience montre que dans tous les pays où la démocratie peut développer librement sa nature, s’étale la corruption la plus scandaleuse, sans que personne juge utile de dissimuler ses coquineries : le Tammany-Hall de New York [base du parti démocrate à New York et bastion du clientélisme et de la corruption] a toujours été cité comme le type le plus parfait de la vie démocratique et dans la plupart de nos grandes villes on trouve des politiciens qui ne demanderaient qu’à suivre les traces de leurs confrères d’Amérique (…).

La démocratie électorale ressemble beaucoup au monde de la Bourse; dans un cas comme dans l’autre il faut opérer sur la naïveté des masses, acheter le concours de la grande presse, et aider le hasard par une infinité de ruses ; il n’y a pas grande différence entre un financier qui introduit sur le marché des affaires retentissantes qui sombreront dans quelques années, et le politicien qui promet à ses concitoyens une infinité de réformes qu’il ne sait comment faire aboutir et qui se traduiront seulement par un amoncellement de papiers parlementaires.

Les uns et les autres n’entendent rien à la production et ils s’arrangent cependant pour s’imposer à elle, la mal diriger et l’exploiter sans la moindre vergogne : ils sont éblouis par les merveilles de l’industrie moderne et ils estiment, les uns et les autres, que le monde regorge assez de richesses pour qu’on puisse le voler largement, sans trop faire crier les producteurs ; tondre le contribuable sans qu’il se révolte, voilà tout l’art du grand homme d’État et du grand financier.

Démocrates et gens d’affaires ont une science toute particulière pour faire approuver leurs filouteries par des assemblées délibérantes ; le régime parlementaire est aussi truqué que les réunions d’actionnaires.

C’est probablement en raison des affinités psychologiques profondes résultant de ces manières d’opérer, que les uns et les autres s’entendent si parfaitement : la démocratie est le pays de Cocagne rêvé par les financiers sans scrupules. »

Il y a ici beaucoup de conceptions qui se mélangent. A la dénonciation de la corruption s’ajoute le rejet violent d’un parti politique organisé et s’affirmant l’avant-garde. Pour Georges Sorel, un tel parti ne peut être constitué que d’intellectuels qui font office de parasite dans le rapport prolétariat-bourgeoisie.

A la critique de la corruption s’associe un anarchisme petit-bourgeois viscéral, typique du proudhonisme. Georges Sorel se définira d’ailleurs à la fin de sa vie comme un « vieillard qui s’obstine à demeurer comme l’avait fait Proudhon un serviteur désintéressé du prolétariat ».

Toute avant-garde ne pourrait ici, par essence même, n’avoir qu’une nature manipulatrice, parasitaire. Penser, ce serait vouloir se servir d’autres, ce serait viser à manipuler. Dans ses Matériaux d’une théorie du prolétariat, Georges Sorel exprime de la manière suivante ce qui est, en fait, une peur viscérale, classiquement petite-bourgeoise, de l’Etat :

« La véritable vocation des Intellectuels est l’exploitation de la politique ; le rôle de politicien est fort analogue à celui de courtisan, et il ne demande pas d’aptitude industrielle.

Il ne faut pas leur parler de supprimer les formes traditionnelles de l’Etat ; c’est en quoi leur idéal, si révolutionnaire qu’il puisse paraître aux bonnes gens, est réactionnaire. Ils veulent persuader aux ouvriers que leur intérêt est de les porter au pouvoir et d’accepter la hiérarchie des capacités qui met les travailleurs sous la direction des hommes politiques. »

Mais, alors, quelle force opposer à la politique? Le syndicat, anti-politique, par définition révolutionnaire, car avançant nécessairement, mettant en même de temps de côté l’idéologie, comme il est expliqué ici dans L’avenir socialiste des syndicats :

« En France, ils [les intellectuels] prétendent que leur vraie place est dans le Parlement et que le pouvoir dictatorial leur reviendrait de plein droit en cas de succès. C’est contre cette dictature représentative du prolétariat que protestent les syndicaux. »

>Sommaire du dossier

Georges Sorel et la violence

Les Réflexions sur la violence de Georges Sorel forment une œuvre extrêmement célèbre dans l’histoire des idées. Celle-ci n’est pourtant pas devenue l’origine d’un mouvement politique ou social ; on peut même dire que, de par son contenu éclectique, entre digressions historiques et remarques intellectuelles, l’oeuvre est d’une profonde incohérence.

Par ailleurs, il est connu que les multiples textes de Georges Sorel se caractérisent justement par le fait de partir dans tous les sens, d’effectuer des remarques sans former un tout cohérent, unifié.

Mais c’est paradoxalement précisément cette dimension incohérente qui a fait le succès d’estime de Georges Sorel et des Réflexions sur la violence. Sa démarche répondait à une besoin très particulier, une approche sociale et culturelle bien déterminée.

Quel était ce besoin, d’où venait-il ?

Il faut saisir le contexte, qui est celui de la fin du 19e siècle, du début du 20e siècle. A l’Est de l’Europe, il existe une forte social-démocratie, qui vise la révolution et se revendique du marxisme le plus orthodoxe.

Son théoricien est Karl Kautsky et déjà des personnalités se profilent comme l’aile gauche de la social-démocratie : la polonaise Rosa Luxembourg, également active en Allemagne, et le russe Lénine.

En France, la social-démocratie est tout à fait différente. Union des courants socialistes, elle ne connaît pratiquement rien au marxisme, et ce qu’elle connaît, elle le connaît mal, s’imaginant que la dialectique signifie unifier les contraires. Son principal dirigeant, Jean Jaurès, est de toutes façons un républicain de gauche, pour qui le socialisme n’est somme toute qu’une République bien faite.

Or, le drame est que cette social-démocratie non-marxiste apparaît aux yeux des masses comme la représentante du marxisme, dans la mesure où elle profite de l’aura de la formidablement puissante social-démocratie allemande.

Pour cette raison, le marxisme apparaît comme un moyen pour des hommes politiques de s’appuyer sur les ouvriers et leurs luttes pour s’insérer dans l’administration, au gouvernement, etc.

Cela provoquera une réaction de dégoût s’exprimant par un rejet fondamental de la politique, d’abord par les « bombistes », les anarchistes jetant des bombes, dont la figure la plus connue est Ravachol, puis par la suite par le syndicalisme révolutionnaire.

A l’opposé de l’Est de l’Europe où les dérives réformistes d’une social-démocratie, bien différente par ailleurs, sont critiquées politiquement, par la gauche, ce qui donnera le mouvement communiste (avec les bolcheviks et les spartakistes), en France la critique est de droite, d’obédience anarchiste.

C’est là qu’intervient Georges Sorel. Celui-ci n’est pas au sens strict le théoricien du syndicalisme révolutionnaire : il ne l’a pas inventé, il ne l’a pas formulé. Il n’est en fait même pas un théoricien du syndicalisme révolutionnaire, courant qu’il soutient, mais dont il reste finalement extérieur.

Ce que fait Georges Sorel, c’est justement reprendre la critique syndicaliste-révolutionnaire de la social-démocratie, en proposant un nouveau modèle de révolution.

Georges Sorel

C’est une révolution qui serait anti-politique et proposerait une nouvelle civilisation, à travers un moyen essentiel car permettant de tout renouveler : la violence.

La classe ouvrière n’est pas ici le fruit d’une dialectique historique au sein d’un mode de production en crise, mais l’outil pour un projet de société utilisant la violence comme vecteur pour bouleverser l’ordre social.

Il ne manquait qu’un pas pour que, une fois la classe ouvrière mise de côté, on ait l’idée d’un projet révolutionnaire de régénération, qui sera justement la thèse de la révolution fasciste.

Georges Sorel ne fera pas ce pas. Si le Cercle Proudhon organisé dans la mouvance de l’Action française se revendique de lui, Georges Sorel restera cependant distant, conservant une option non nationaliste et opposé à l’armée, comme en témoigne son opposition à a première guerre mondiale.

Cependant, son parcours reste en même temps empreint d’antisémitisme ett de fréquentation de syndicalistes révolutionnaires basculant dans le nationalisme. S’il saluera Lénine, en qui il voit celui qui porte un « coup de force » comme justement il l’apprécie, ce sera Benito Mussolini qui s’en revendiquera.

En ce sens, Georges Sorel reste un auteur marginal ; il n’a été qu’un outil historique de l’affirmation de la « révolution fasciste » comme thèse politique. Mais il exprime également un véritable travers français, mêlant incompréhension du marxisme, l’éloge de la spontanéité et du coup de force par le mépris de l’intellect, la fascination pour l’union des contraires.

En ce sens, ces erreurs françaises ont contribué de manière essentielle à la genèse de l’idéologie de la contestation anti-parlementaire d’une classe dominante réduite à la ploutocratie, du culte de l’irrationalisme et de la fascination pour la violence, pour le coup d’éclat, le coup d’État.

>Sommaire du dossier

Brigades Rouges : A l’occasion de la mort de Mara Cagol

Aux camarades de l’organisation, aux forces sincèrement révolutionnaires, à tous les prolétaires. Est tombée en combattant MARGHERITA CAGOL, « MARA », dirigeante communiste et membre du comité exécutif des Brigades Rouges.

Sa vie et sa mort sont un exemple qu’aucun combattant pour la liberté ne pourra oublier.

Fondatrice de notre organisation, « MARA » a fait une inestimable contribution d’intelligence, d’abnégation et d’humanité à la naissance et la croissance de l’autonomie prolétaire et de la lutte armée pour le communisme.

Commandante politico-militaire d’une colonne, « MARA » a su guider victorieusement quelques unes des plus importantes opérations de l’organisation. Il y a notamment la libération d’un de nos camarades [Renato Curcio, dirigeant et compagnon de Mara Cagol, le 18 février 1975] de la prison de Casale Monferrato.

Nous ne pouvons pas nous permettre de verser des pleurs sur des nôtres qui sont tombés, mais devons apprendre de la leçon de loyauté, cohérence, courage et héroïsme !

C’est la guerre qui décide, en dernière analyse, de la question du pouvoir : la guerre de classe révolutionnaire. Cette guerre a un prix : un prix certainement haut, mais pas si haut pour faire préférer l’esclavage du travail salarié, la dictature de la bourgeoisie dans ses variantes fasciste ou social-démocrate.

Ce n’est pas le vote qui décide de la question du pouvoir ; ce n’est pas avec un bulletin que se conquiert la liberté.

Que tous les révolutionnaires sincères honorent la mémoire de « MARA », en méditant l’enseignement politique qu’elle a su donner avec son choix, avec son travail, avec sa vie.

Que mille bras se lancent pour saisir son fusil ! Nous, comme ultime salut, nous disons : « Mara » [c’est-à-dire Marguerite, comme la fleur] une fleur a fleuri, et cette fleur de la liberté les Brigades Rouges continueront à la cultiver jusqu’à la victoire !

LUTTE ARMÉE POUR LE COMMUNISME

Brigades Rouges

5 juin 1975

>Sommaire du dossier

Brigades Rouges: Condamnation de Roberto Peci (1981)

1juil1981

Brigades Rouges: Condamnation de Roberto Peci

LA RÉVOLUTION NE PEUT PASSER EN PROCÈS : LE PROLÉTARIAT FAIT LE PROCÈS DE LA BOURGEOISIE !

CONSTRUIRE LE PARTI COMMUNISTE COMBATTANT ET LES ORGANISMES DE MASSE RÉVOLUTIONNAIRES !

RÉPÉRER ET ANÉANTIR LES AGENTS DE LA CONTRE-RÉVOLUTION INFILTRÉS DANS LE MOUVEMENT RÉVOLUTIONNAIRE !

ATTAQUER LES APPAREILS DE GUERRE QUI PLANIFIENT LA CAPTURE ET LA TORTURE DES PROLÉTAIRES, ANÉANTIR SANS MÉDIATIONS LES FORCES CONTRE- RÉVOLUTIONNAIRES QUI LES GÈRENT !

L’UNIQUE RAPPORT DE LA RÉVOLUTION PROLÉTAIRE AVEC LES TRAÎTRES EST L’ANÉANTISSEMENT !


Camarades, prolétaires,

Avec la capture du traître Roberto Peci et le procès prolétaire auquel il est soumis, cette insidieuse stratégie contre-révolutionnaire qui se centre sur le « projet repentis » se trouve attaquée, démantelée et frappée au coeur.

Dans les plans des stratèges de la contre-révolution préventive (les Dalla Chiesa, Caselli, Neppi Modona, les Beria d’Argentine, les Pecchioli…), ce projet devait frapper la guérilla et la mettre en crise de l’intérieur, il devait représenter le « début de la fin » d’un processus historique désormais profondément enraciné et consolidé dans notre pays : la lutte armée pour le communisme.

1. CE PROJET INFÂME A DÉJÀ FAILLI PARCE QUE LES FORCES RÉVOLUTIONNAIRES SONT EN TRAIN DE LE BALAYER !
LE PROJET REPENTIS EST AUJOURD’HUI UNE CONTRADICTION DE PLUS POUR LA BOURGEOISIE, QUI DOIT PAYER LES CONSÉQUENCES DE SES SALES COMPLOTS ! ! !

Roberto Peci a eu un rôle précis dans le projet contre- révolutionnaire impérialiste, une fonction précise et de graves responsabilités.

Roberto Peci est un traître à la révolution. Les misérables déclarations de son infâme frère et de la famille ne peuvent plus cacher une vérité scandaleuse et les assassinats de communistes pour défendre, jusqu’au bout, un peu de tranquillité bourgeoise.

Tous les moyens de la contre-guérilla psychologique ne suffisent plus à couvrir l’immonde projet que les carabiniers ont planifié et mis en oeuvre avec la pleine collaboration des deux poux de la maison Peci. Le mouvement révolutionnaire et le prolétariat métropolitain ont aujourd’hui la possibilité d’imposer la justice prolétaire.

2. ROBERTO PECI EST UN TRAÎTRE, MORT AUX TRAÎTRES À LA RÉVOLUTION PROLÉTAIRE !
ROBERTO PECI EST UN AGENT DE LA CONTRE-RÉVOLUTION INTÉGRÉ AU PROJET REPENTIS. LES REPENTIS NE SONT QUE DES DÉLATEURS STIPENDIÉS. LES REPENTIS DOIVENT ÊTRE ANÉANTIS PAS LES FORCES RÉVOLUTIONNAIRES !

Dans le délire des contre-révolutionnaires, comme dans leurs rêves, le monde semble renversé.

C’est la révolution qui se charge de les remettre tous sur leurs pieds, bien ancrés en terre, et de mettre les contradictions en évidence de manière explosive.

Le projet « repentis » se révèle aujourd’hui tel qu’il est réellement : une tragique farce de foire dans laquelle les rôles et les fonctions sont définis depuis longtemps.

D’une part, une poignée de lâches traîtres, qui ont toujours vécu en marge et à la traîne du mouvement révolutionnaire, qui ont prétendu réduire la complexité et la richesse du processus révolutionnaire aux limites bornées de leur propre subjectivisme et de leur propre individualisme, et qui, face à l’élévation du niveau de l’affrontement de classe, ont cru pouvoir se vendre impunément à l’ennemi. Ces délateurs stipendiés doivent être repérés, démasqués et anéantis.

D’autre part, un régiment toujours plus vaste de stratèges et d’exécutants des projets de la contre-révolution préventive. Rien n’arrête ces vautours, comme le démontrent clairement les « deux arrestations » du pou Patrizio Peci et les assassinats de via Fracchia.

Contre ces louches personnages qui sont au centre du complot contre-révolutionnaire, la guérilla doit intensifier ses attaques et pratiquer continuellement une stratégie d’anéantissement qui ne laisse sur pied aucune de leurs constructions.

La structure intégrée des carabiniers, policiers, magistrats, avocats et experts qui planifient la capture et la torture des forces révolutionnaires doit être continuellement attaquée et démontée pièce après pièce. Aucune médiation, aucun retard n’est plus permis dans la guerre à la stratégie différenciée de l’impérialisme, qui recouvre des aspects toujours plus agressifs. Les opérations Peci, les opérations Buonavita ne doivent plus être possibles.

3. CE NE SONT PAS SEULEMENT LES BRIGADES ROUGES QUI RENDRONT LA SENTENCE À L’ÉGARD DU TRAÎTRE ROBERTO PECI, MAIS TOUT LE MOUVEMENT RÉVOLUTIONNAIRE ET LE PROLÉTARIAT MÉTROPOLITAIN.

Camarades, prolétaires,

Le problème de la délation et de la trahison n’est pas un problème des seules Brigades Rouges, mais un problème du mouvement révolutionnaire tout entier et de tout le prolétariat métropolitain. Parce qu’il n’existe pas le problème de « Roberto Peci : le traître », mais celui de « Roberto Peci : un traître », et qu’il apparaît derrière le problème historico-politico-militaire de fond.

Si aujourd’hui, la trahison est savamment construite et exploitée par la bourgeoisie, qui en a fait un axe portant de son projet de contre-révolution préventive, à travers un lent et constant travail de construction subjective du « repenti », il n’en est pas moins vrai qu’elle s’enracine profondément dans un terrain objectif qui a sa consistance historique dans la reproduction de l’idéologie bourgeoise à l’intérieur du prolétariat, et jusqu’au sein de son avant-garde et de sa direction historique : le Parti.

Vit aussi à l’intérieur du prolétariat et du parti lui-même la dialectique fondamentale de l’affrontement de classe entre l’affirmation de la conscience révolutionnaire et sa négation, entre l’affirmation de la juste ligne et la re-proposition de pratiques déviantes, subjectivistes, militaristes et organisativistes.

Et quand l’affrontement entre révolution et contre-révolution avance, quand les raisons de la révolution commencent à prendre corps, la trahison devient l’arme ultime aux mains de la bourgeoisie.

La crise du capitalisme accélère la restructuration impérialiste et élève le niveau de l’affrontement de classe. La stratégie de l’État impérialiste des multinationales est la contre- révolution globale préventive. Elle envahit chaque zone de la formation sociale et s’infiltre dans le processus révolutionnaire pour le détruire de l’intérieur.

La trahison a une explication historique et c’est celle-là ! C’est dans l’infiltration de l’idéologie bourgeoise dans le prolétariat, dans sa reproduction à l’intérieur du parti, que doivent être recherchées les causes politiques de la trahison et du sordide marché qu’il y a derrière.

LA LUTTE IDÉOLOGIQUE EST L’ARME PRINCIPALE CONTRE LA TRAHISON !

À travers la lutte idéologique, à travers la clarté et la fermeté sur la juste ligne, les armes de la critique contre l’infiltration de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise doivent être affinées et renforcées, afin de donner une juste résolution politico-militaire au problème.

Seul un débat à travers l’ensemble du mouvement révolutionnaire et à travers tout le prolétariat métropolitain sur ces questions pourra ramener le traître Roberto Peci à sa juste dimension politique, et seulement de cette manière, la sentence émise à son égard pourra exprimer cette humanité qui caractérise la justice prolétaire.

C’est dans la dialectique parti-masses que prennent place les éléments concrets de la croissance du pouvoir prolétaire armé, de l’avancée du processus révolutionnaire. Et c’est seulement en agissant en parti qu’il est aujourd’hui possible de faire vivre cette dialectique dans ces justes termes.

Agir en parti, cela signifie, entre autres choses, faire vivre dans le programme tactique de conjoncture les contenus essentiels du programme général de transition au communisme, c’est-à-dire la désarticulation des projets contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et la construction du système du pouvoir prolétaire armé. Parce qu’il ne peut y avoir désarticulation sans, dans le même temps, construction.

Aujourd’hui, la Campagne Peci s’articule selon ces lignes directrices, parce que, dans le même temps qu’elle désarticule, en attaquant en profondeur le projet repentis, elle construit, en posant la question des traîtres dans sa juste dimension politique, elle éclaire et renforce la lutte idéologique.

Nous avons dit que le mouvement révolutionnaire dans son ensemble et chaque secteur du prolétariat métropolitain devaient s’exprimer sur le débat en cours et, en conséquence, sur le sort qui en découle pour le traître Roberto Peci, dans la mesure où le problème de la délation intéresse chaque détermination du prolétariat métropolitain et chacune de ses instances organisées, précisément du fait de son caractère d’attaque globale au processus révolutionnaire.

Pour éviter toute confusion, et surtout pour empêcher que se greffent sur cette dialectique les habituelles sordides manoeuvres de la bourgeoisie, il vaut mieux être extrêmement clairs : nous faisons ci-après la liste des instances qui doivent s’exprimer sur le sort du traître Roberto Peci, et dont les évaluations et décisions doivent être intégralement publiées dans les organes de presse et dans les autres moyens de communication sociale.

a) Les communistes qui viennent d’être jugés et qui sont encore en procès au tribunal spécial de guerre de Turin ;

b) Les prolétaires prisonniers des Comités de Lutte, enfermés dans les prisons du régime, en lutte contre la stratégie différenciée, pour l’affirmation du pouvoir prolétaire armé (CdL de Nuoro, CUC de Palmi, CdL de Messina, CdL de Pianosa, CdL de Trani, CdL de Fossombrone, CdL de Cuneo, CdL de Rebbibia) ;

c) Les chômeurs organisés et le prolétariat marginal en lutte à Naples et à Rome contre la restructuration du marché du travail, pour la construction des organismes de masse révolutionnaires et du pouvoir prolétaire armé (les Chômeurs Communistes pour le Pouvoir Prolétaire de Naples et les organismes de lutte du prolétariat marginal dans l’aire métropolitaine romaine) ;

d) La classe ouvrière : les ouvriers en lutte contre les licenciements, le chômage partiel, l’exploitation, la nocivité des pôles industriels de Turin, Milan, Porto Marghera, Naples ; les ouvriers en lutte contre les licenciements et le chômage partiel à la Fiat de Turin, à l’Alfa Romeo d’Arese et à l’Alfasud de Pomigliano D’Arco, à la Pétrochimie de Porto Marghera (le Comité des Travailleurs de la Pétrochimie).

Un seul obstacle se pose à l’émission d’une juste sentence prolétaire : le ridicule black-out que l’Exécutif veut imposer, et que la presse de régime accepte passivement, sur les contenus et les objectifs de la Campagne Peci.

À tous, patrons et valets, politiques et militaires, les Brigades Rouges rappellent encore une fois une seule chose : seule la publication intégrale des communiqués et des déclarations du traître Roberto Peci peut permettre que s’exprime à son égard cette humanité qui caractérise la justice prolétaire !!!

POUR LE COMMUNISME !

Brigades Rouges. Front des Prisons. 1er juillet 1981 

>Sommaire du dossier

Collectif des prisonniers révolutionnaires des Brigades Rouges : L’Union Soviétique est une formation sociale de type capitaliste

[Après la grande bataille politique de la seconde moitié des années 1970, les Brigades Rouges se retrouvaient coincées : si elles avaient rejeté en pratique le révisionnisme du Parti « Communiste » italien, elle étaient loin d’avoir une base idéologique suffisamment développée pour être à même de le remplacer au cœur des masses.

Or, ne pas y parvenir, c’était basculer dans le militarisme et le subjectivisme. C’est dans ce cadre que les membres emprisonnés des « BR » rédigent en 1980 leur grand ouvrage d’économie politique, intitulée L’abeille et le communiste, sur le base du marxisme-léninisme reconnaissant Mao Zedong comme son représentant le plus avancé.

Le présent document appartient à ce contexte ; deux points sont aussi à souligner.

Tout d’abord, de manière propre à l’Europe de l’ouest alors, la thèse maoïste du capitalisme bureaucratique et du semi-féodalisme est inconnu.

A l’opposé de la Fraction Armée Rouge allemande qui considère que l’URSS a un rôle révolutionnaire passif et a un impact positif pour les « Etats nationaux » et leur développement, les BR voient bien que cela ne va pas du tout et que le social-impérialisme soviétique est une force d’exploitation et d’oppression.

Mais elles ne parviennent pas à voir autre chose qu’une « exportation » du « modèle soviétique », tout en comprenant en même temps que cela ne serait pas valable pour l’Italie capitaliste : c’est ici la problématique semi-coloniale des pays opprimés qui n’est pas vu.

Le second point concerne la restauration du capitalisme en URSS. Tout comme les autres forces progressistes en général en Europe de l’Ouest alors, les br ne connaissaient pas les débats idéologiques et culturels concernant le matérialisme dialectique lors de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ; c’est Gonzalo au Pérou qui a compris la question de la bataille idéologique et culturelle pour la superstructure.

Partant de là, les BR devaient reculer la date des problèmes en URSS et en Chine populaire, jusqu’à basculer dans le gauchisme traditionnel considérant que le « ver est dans le fruit » à la base, dès les années 1920, etc.

Cela fut l’un des aspects du basculement dans le gauchisme, un autre étant la réduction de la crise générale du capitalisme à une surproduction du capital.]

Collectif des prisonniers révolutionnaires des Brigades Rouges,
prison de Palmi, février 1980

L’Union Soviétique est une formation sociale de type capitaliste

Le sujet de notre travail n’est pas l’analyse-critique de l’U.R.S.S. « en tant que Pays socialiste » comme si l’Union Soviétique était une formation socio-économique inconnue et inexplorée encore à l’heure actuelle: en réalité une étude avec des prémisses pareilles rentre dans des domaines différents de ceux que nous posons à la base de notre enquête politique.

De ce point de vue, la critique pratique des camarades chinois, indépendamment des aboutissements contre-révolutionnaires de la Révolution chinoise, représente aujourd’hui encore un patrimoine, non seulement pas encore atteint ailleurs, mais définitivement acquis.

Et ce n’est pas non plus l’analyse du « social-mpérialisme », parce que même en y recourant, nous ne considérons pas la catégorie du « social-impérialisme » comme une catégorie valable, capable de rendre compte, de façon exhaustive, de la complexité de la formation soviétique.

Qu’est que c’est en effet, que le « social-impérialisme » ? Pour les camarades chinois, qui en premier ont utilisé ce terme, le « social-impérialisme est socialisme dans les paroles et impérialisme dans les faits ».

Cette définition est inadéquate au moins sous deux aspects: en premier lieu parce qu’elle laisse entendre que l’impérialisme est une politique, un comportement, et non comme il l’est, dans la réalité, une phase du développement du capitalisme (celle de la surproduction du capital).

Ce n’est donc pas par hasard que la critique chinoise du « modèle soviétique » soit devenue, surtout après la mort de Mao, une critique de la politique étrangère de l’U.R.SS., qui s’enracine et trouve ses motivations dans l’agressivité traditionnelle de l’« Ours russe » (sic !).

En second lieu parce que cette définition reconnaît comme principale contradiction de la formation soviétique celle entre une structure économique de type capitaliste et une superstructure idéologique de nature socialiste, ce qui, au moins, simplifie excessivement une réalité bien plus complexe et beaucoup moins schématique.

Même si l’idéologie joue, en U.R.S.S., un rôle dominant et spécifique, le fait de réduire l’originalité du « modèle soviétique » à la contradiction entre l’idéologie (à son tour conçu comme « Le parti ») et l’économie veut dire résoudre le problème de la restauration du capitalisme en Russie en faisant appel à la théorie bourgeoise du « complot », de la « conjuration de palais », qui aurait amené, par le seul meurtre de Staline et par la prise pure et simple du pouvoir à l’intérieur du Parti, à remplacer la dictature du prolétariat par celle de la bourgeoisie.

Même si cette interprétation saisit une partie de la vérité, elle est néanmoins largement insuffisante, en considérant que le matérialisme historique n’est pas une « théorie marxiste des coups d’Etats »….

Quel est, alors, l’objet de notre travail ?

Nous nous proposons, fondamentalement, d’analyser comment le mode de production capitaliste opère dans la formation socio-économique soviétique; dans quelles conditions spécifiques et avec quelles formes originales.

Du point de vue de la méthode, donc, notre enquête a pour but la démonstration d’une thèse politique qui représente à la fois notre point de départ et notre point d’arrivée: c’est-à-dire que l’U.R.S.S. est une formation de type capitaliste.

Mais tout cela n’est pas encore suffisant pour distinguer notre travail d’un travail avec des finalités purement théoriques, si nous n’ajoutons que la tache principale que nous nous posons est celle d’analyser comment le capitalisme agit en Union Soviétique, avec quels mécanismes et avec quelles caractéristiques.

A l’intérieur de cette problématique, une place centrale est occupée pas la question de la crise, en particulier le rapport entre l’existence de la crise et sa façon de se manifester. C’est, en fait, à partir de la compréhension de la nature de ce rapport qu’il devient possible de donner à notre étude sur le capitalisme en U.R.S.S. une orientation qui le rende fonctionnel aux intérêts et eux exigences politiques de la lutte révolutionnaire aujourd’hui dans notre pays.

Tachons de mieux nous expliquer.

Certains camarades pourraient répliquer que la question du « social-impérialisme » ne représente pas une question décisive pour la révolution en Italie, au moins parce que notre principal ennemi est l’impérialisme et que de toute façon notre pays ne rentre pas dans la sphère d’influence Soviétique.

Cette remarque, apparemment fondée et irréprochable, oublie en réalité soit que le cours de la lutte de classe en Italie dépend de mesure toujours croissante du cours de la crise capitaliste au niveau international et par conséquent de l’affrontement entre les deux superpuissances (mieux, entre les deux zones capitalistes fondamentales, celle dominée par les États-Unis et celle sous hégémonie de l’U.R.S.S. ), soit que la révolution doit forcement avoir une capacité de prévision, et partant d’anticipation de telle manière à pouvoir permettre, a travers une analyse rigoureusement marxiste, de repérer ce que sont les ennemis futurs, même s’ils n’apparaissent pas aujourd’hui en tant que tels.

En substance ce qui justifie notre intérêt pour l’U.R.S.S. est soit la certitude, fondée de manière marxiste, que la guerre inter-impérialiste, indépendamment des formes concrètes qu’elle prendra, sera le débouché inévitable à la crise actuelle de surproduction et que cet événement, directement ou pas, est destiné à nous impliquer; c’est-à-dire la conviction, appuyée sur l’expérience historique du prolétariat international, qu’il est illusoire de penser pouvoir battre un impérialisme en feignant que l’autre n’existe pas, ou encore pire en s’appuyant sur lui.

Ces prémisses une fois affirmées, il devient maintenant plus aisé de tracer les lignes générales de notre schéma concret de travail.

Il y a deux orientations que nous voulons privilégier: la première concerne le domaine de la théorie économique soviétique dans son processus contradictoire de formation; la seconde les étapes les plus significatives du déroulement historique de la formation sociale et politique russe.

La nécessité de définir ces domaines d’enquête principaux ressort de la complexité et en même temps de la spécificité du « modèle soviétique », comme de l’étroite interdépendance entre politique et économie, superstructure et structure qui se réalise originellement à l’intérieur de ce modèle (l’exemple soviétique est un exemple pratique non seulement de la relative autonomie de la sphère de la superstructure, mais aussi et surtout du caractère décisif qu’elle peut prendre dans des périodes déterminées dans des situations historiques déterminées).

En ce qui concerne le premier domaine de recherche, notre attention sera concentrée sur la catégorie de la planification et sur la façon dont elle opère concrètement en Union Soviétique. Ce choix n’est pas arbitraire, mais il dérive de notre intention de critiquer le révisionnisme soviétique en partant de son point de vue même et en retournant contre lui les mêmes instruments théorico-politiques qu’il utilise pour se justifier et pour se préserver.

Il est connu que les économistes soviétiques, ceux qui font partie de la dictature du prolétariat comme les économistes actuels, repèrent dans le plan la différence substantielle entre une économie capitaliste (dominée par l’anarchie de la production et du marché) et une économie de transition (économie planifiée).

S’il est vrai que c’est sa possibilité de planification qui contre-distingue une économie socialiste (ici et ailleurs nous utilisons indifféremment le terme « socialiste » et celui de « transition », même si seulement ce dernier nous apparaît correct vu que le socialisme existe seulement comme « phase inférieure du communisme », comme transition du capitalisme au communisme, donc il n’y a pas de sens à parler ni de société « socialiste » ni encore moins de « mode de production socialiste »), cela signifie que les économistes russes considèrent comme la contradiction principale et spécifique de tout mode de production celle entre production et consommation: tandis que dans le capitalisme cette contradiction opère réellement comme telle, dans le socialisme elle ne peut pas jouet un rôle décisif parce que le plan en étouffe les effets, en exerçant une fonction d’équilibre.

Ce genre de position théorique est tirée d’une lecture incorrecte et partielle du « Capital » de Marx et sous-tend une conception de la crise vue comme une « crise de disproportion » et non pas de surproduction absolue de plus-value – capital.

C’est à cause de cela que notre recherche partira des schémas de reproduction élargie et d’accumulation du IIe livre du « Capital », que nous étudierons avec le but de lire, dans l’interprétation qui a été donnée d’eux par les épigones de Marx et par les révisionnistes soviétiques, l’origine des modèles économiques qui sont appliqués en U.R.S.S., en vérité avec peu de succès.

Nous récupérerons aussi, en outre des schémas marxiens du IIe livre, les catégories de « valeur » et de « valeur d’usage », « composition technique et composition en valeur » et « fétichisme » pour voir dans quelle manière elles ont été interprétées et utilisées concrètement en Union Soviétique.

Mais comment voulons nous finaliser ce type de recherche-récupération des instruments fondamentaux de l’analyse marxiste?

Nous voulons démontrer qu’une économie basée sur la production de valeur d’échange et donc sur l’extraction de plus-value du travail salarié n’étant pas planifiable, celle soviétique est dans la réalité (et non seulement dans la conscience que ses théoriciens en ont) une économie capitaliste et par conséquent passible de crises périodiques de surproduction.

Le problème de repérer comment les crises se manifestent (et dans quels secteurs productifs) introduit et renvoie à l’exigence de saisir les racines structurelles de l’expansionnisme soviétique. L’impérialisme n’étabt pas une « politique », mais une nécessité économique, on en tire qu’il doit exister un rapport entre crises économiques internes et recrudescence de l’agressivité internationale de l’U.R.S.S. : ce réseau critique est utile soit pour la compréhension du passé (invasion de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de l’Afghanistan, etc.), soit pour la prévision du futur, c’est-à-dire des temps, des formes et des zones géographiques où se manifesterons les tentatives de pénétration soviétiques.

La question de la crise, nous disions, se rattache i la question de la politique étrangère russe.

Nous tâcherons d’aborder ce dernier sujet en n’ayant pas recours aux armes de la critique moraliste (nous ne reprocherons donc pas à l’U.R.S.S. d’entretenir des rapports économiques privilégiés avec l’Argentine de Videla ou des liens diplomatiques avec la clique fasciste de Lon Nol : ces critères de jugements sont appropriés aux idéalistes et malheureusement, aux camarades chinois qui, justement, les voient maintenant se retourner contre eux mêmes), mais plutôt à celles du matérialisme historique.

Comme tout impérialisme, de même l’impérialisme soviétique avec le capital excédant exporte aussi un modèle de société (et les contradictions qui lui sont propres). Le rapport préférentiel avec les Pays du Tiers Monde, rapport qui fait de certaines zones géographiques déterminées autant de zones de pénétration pour l’impérialisme soviétique, se justifie tout à fait avec la nature de ce modèle, avec sa supériorité, du point de vue des exigences et des problèmes des pays en voie de développement, par rapport aux modèles capitalistes « traditionnels ».

Le « modèle soviétique » est à la fois un modèle de développement économique accéléré et intensif, d’équilibre social et fortement justifié idéologiquement.

L’U.R.S.S., en fait, exporte sa propre expérience historique d’accumulation originaire (celle qu’un économiste russe des années 1920 -E. Preobrajenski – définit comme « accumulation socialiste ») valable, compte tenu des résultats obtenus, pour tous les pays qui veulent parcourir à marches forcées la voie de l’industrialisation sans dépendre des aides économiques de l’impérialisme occidental.

La supériorité du modèle soviétique, en outre, est donnée par sa stabilité sociale (par rapport aux Etats à « démocratie bourgeoise », ceux à soi-disant « démocratie populaire » sont indéniablement beaucoup plus « gouvernables » et beaucoup moins sujets aux déchirantes tensions de classe) et par le fait d’ être, du point de vue de la crédibilité et de l’organisation du consentement, idéologiquement motivé : ce n’est pas par hasard d’ailleurs que les dirigeants des Pays du Tiers Monde pro-soviétiques sortent des luttes de libération anticolonialistes et anti-impérialistes.

Mais, avec un modèle, l’ U.R.S.S. exporte aussi les contradictions qui lui sont propres, en premier lieu la tendance à la guerre qui naît du déséquilibre dû à la présence d’une industrie lourde développée de façon hypertrophique, périodiquement au-delà de la limite de la surproduction : Cuba, le Yémen du Sud, l’Éthiopie, la Libye, le Vietnam en étant que des confirmations.

Nous nous n’étendrons pas davantage sur ce sujet. qui sera l’objet d’une recherche spécifique. Néanmoins, avant de procéder plus loin, nous jugeons bien d’aborder un problème dont l’approfondissement sera notre tâche : si celles que nous avons esquissées auparavant, à grands traits, sont les caractéristiques du « modèle soviétique », comme il est exporté sur les tourelles des chars d’assaut russes, il est immédiatement évident que ce modèle est tout à fait inadéquat pour les pays capitalistes où le développement des forces productives a atteint des niveaux très élevés.

C’est-à-dire, si on avait une pénétration soviétique, par exemple en Europe, et en Italie en particulier, cette pénétration ne pourrait pas se dérouler par l’exportation du « modèle soviétique » désormais traditionnel, mais devra assumer d’autres formes, différentes même de celles « classiques » de l’impérialisme occidental (à cause du niveau très bas de l’industrie soviétique sur le marché international et de la présence presque inexistante du capital financier russe à l’étranger).

En d’autres termes, un groupe dirigeant national dans les pays occidentaux ne pourra probablement pas être attiré par l’exemple soviétique, pour ainsi dire, librement, sans être contraint avec la force des armes, c’est-à-dire, sans une occupation militaire de la part des envahisseurs. Mais celle-ci est seulement une hypothèse, qu’on doit vérifier ou qu’on doit démentir à partir de la démonstration d’une thèse alternative.

En résumé, en conclusion: notre enquise, sur la façon dont l’existence et la domination du capitalisme en U.R.S.S. se manifeste se concentrera surtout sur le problème de la planification (en termes théoriques cela entraînera de reprendre les schémas du deuxième livre du Capital et de les comparer à l’interprétation incorrecte que les économistes soviétiques en ont donnée, en répondant aux questions: une économie planifiée est elle exempte de crises ? Est-ce qu’on peut planifier une économie fondée sur la valeur d’échange ?) pour s’étendre à la question de la crise, des formes et de la périodicité de sa manifestation et à la détermination des secteurs productifs qui, avant les autres et plus directement, sont impliqués.

Il ne nous intéresse pas, par conséquent, de radiographier l’économie soviétique en soi, sinon dans la mesure où cela se révèle fonctionnel à la compréhension et à l’explicitation des thèmes que nous avons indiqués comme centraux et prioritaires.

Du point de vue historico-politique une position convaincante sur l’étude du capitalisme en U.R.S.S. doit, nécessairement, tenir compte, à partir des prémisses, de la question de comment a été possible la restauration de la domination de classe de la bourgeoisie après et malgré la révolution d’ Octobre, sans tomber dans l’historiographie « alternative » ou dans la reconstruction sans buts précis de la dégénérescence progressive de la « formation idéologique bolchevique ».

Tour cela dit, nous estimons d’importance fondamentale le fait de saisir les mécanismes et les moments de changement qui, à notre avis, sont décisifs pour comprendre correctement comment des limites objectives et des erreurs théoriques ont, par la suite, mené à la direction du pays les cliques révisionnistes de Khrouchtchev d’abord et de Brejnev-Kossyguine après.

En ce sens, le point de départ de notre enquête sera l’analyse de la nature et de la composition de classe du groupe dirigeant soviétique actuel, dont nous chercherons de reconstruire, remontant dans le temps, les lignes essentielles de formation et d’auto-reproduction.

Cette couche privilégiée est représentée par une bourgeoisie monopoliste bureaucratique (ce sera notre tache particulière que de motiver l’emploi et le sens de cette catégorie) qui connote la machine de l’État et qui occupe une position dominante dans le parti, dans le gouvernement et dans l’armée.

Du point de vue idéologique, la bourgeoisie soviétique a élaboré, en déformant le marxisme-léninisme, une conception qui la nie en tant que classe et qui affirme le franchissement des contradictions de classe par le concept de « peuple » à l’intérieur de la « nation ».

Dès maintenant, de toute façon, nous reconnaissons dans cette bourgeoisie bureaucratique-monopoliste trois composantes principales: l’appareil de l’année, important pour ses relations avec les secteurs de l’industrie plus directement reliés à la production de guerre (les scientifiques inclus): l’appareil du parti qui, en tant qu’instrument de la dictature du prolétariat est, d’une partie, le lien privilégié où se manifeste la lutte de classe entre la ligne capitaliste et la ligne socialiste (comme Mao disait: « …la bourgeoisie est même dans le parti communiste, ce sont les éléments au pouvoir au sein du parti qui se sont engagés dans la voie capitaliste et qui poursuivent leur chemin… »), et de l’autre, en tant que « dépositaire unique de l’idéologie », l’auteur principal et actif de la restauration capitaliste.

De ce dernier point de vue il faudra tenir compte de la critique théorico-pratique de quelques thèses caractéristiques de la formation idéo logique soviétique à l’époque de Staline, qui ont constitué les prémisses pour la reconquête du pouvoir par la bourgeoisie, même sur ce terrain.

C’est-à-dire: la thèse qui établit une identité entre les formes juridiques de propriété et les rapports réels de production pendant le socialisme; la thèse qui attribue aux forces productives et non pas à la lutte de classe le rôle de « moteur de l’histoire », et la thèse qui justifie le renforcement de l’Etat soviétique non pas à travers le durcissement de l’engagement de classe à l’intérieur, mais au contraire à cause de la menace extérieure de l’impérialisme et de l’encerclement international.

Et, finalement l’appareil d’Etat, surtout les techniciens et les managers.

Il est préliminaire et introductif dans ce genre de travail de recourir nécessairement à quelques catégories fondamentales du matérialisme historique, c’est-à-dire celles de « mode de production », de « formation économique-sociale déterminée », de « classe sociale », de « bureaucratie », de « société de transition » et de structure – superstructure ».

D’autre part, nous sommes conscients que la critique historique-politique-idéologique du « modèle soviétique » a atteint, sur les traces et à partir de l’exemple chinois, des niveaux relativement avancés et exhaustifs, en comparaison desquels notre contribution particulière risquerait de se révéler complètement insignifiante si elle se limitait à rabâcher les thèmes et les sujets déjà abordés abondamment par d’autres avant nous.

En réalité, nous répétons que notre objectif n’est pas de critiquer les thèses sur l’U.R.S.S. en tant que « pays à socialisme réalisé », mais plutôt de repérer les mécanismes et les modalités de fonctionnement (et par conséquent mime les contradictions pratiques) de la société soviétique.

Sur le plan de la méthode, nous formulons, comme hypothèse de départ, cette périodisation historique:

– 1926 – Débat sur l’industrialisation en U.R.S.S..
Le socialisme dans un seul pays.

– 1928-’32 – Premier plan quinquennal.

– 1936 – Approbation de la nouvelle constitution de l’U.R.S.S..

– 1946-’50 – Quatrième plan quinquennal.
– Le problème de la reconstruction de l’économie.

– 1953-’56 – Mort de Staline et coup d’Etat révisionniste.
XXe Congrès.

– 1961 – Adoption du troisième programme du P.C.U.S..
– Programme d’édification du communisme.

– de 1965 – Approbation de la loi sur la nouvelle réforme économique (réforme Kossyguine).
Chute de Khrouchtchev.

Cette schématisation rend nécessaire deux éclaircissements.

Avant tout, elle est tirée pas une périodisation plus générale entre la période de la dictature du prolétariat (de la Révolution d’Octobre jusqu’à la mort de Staline) et la période de la restauration bourgeoise (du XXe Congres jusqu’à présent).

En deuxième lieu les dates dont elle est formée ne sont pas choisies arbitrairement, mais elles correspondent aux moments décisifs de transformation de la formation socio-économique soviétique. Plutôt que de vérifier ce qui arriva dans ces périodes déterminées, il nous préoccupe d’étudier la cause de cela, quels furent les processus mis en mouvement et quel autres, au contraire, furent interrompus.

A l’intérieur de ces deux époques fondamentales, en outre, nous concentrons notre attention sur deux périodes de considérable importance : la période des années ’20-’30 à l’époque de la dictature du prolétariat ; celle après 1965 à l’époque de la dictature de la bourgeoisie.

Les années ’20-’30 sont décisives pour la constitution de la bourgeoisie soviétique en tant que classe, pour son développement et renforcement, pour son accès aux leviers essentiels de la direction économique, pour l’accroissement de son influence idéologique et politique : dans toute cette période la ligne suivie par le parti produisait et conservait en grande partie le terrain qui devait nourrir la bourgeoisie d’Etat actuellement au pouvoir.

Les années suivantes 1965 sont au contraire les années pendant lesquelles les réformes économiques à peine introduites commencent à obtenir une réalisation pratique : l’appareil productif soviétique est impliqué par la restauration capitaliste dans ses aspects plus qualifiants comme le profit, l’économie de marché, la libre fixation des prix, l’exploitation etc.

C’est pendant cette période que la bourgeoisie soviétique se consolide définitivement au pouvoir et commence à être en concurrence réciproque avec les positions de suprématie des groupes impérialistes occidentaux sur les marchés mondiaux.

L’extrême complexité des sujets que nous nous proposons d’aborder nous suggère maintenant de ne pas aller plus loin : celles que nous avons esquissées, plutôt que les lignes concrètes de notre travail sont nos intentions générales de départ d’où elles devraient jaillir et mieux se préciser (ou peut-être aussi se modifier) au fur et à mesure que notre activité d’étude et de recherche avancera et fera des progrès.

Si notre contribution limitée aidera de quelque sorte même un seul militant à prendre conscience d’une partie seulement, même si importante, des taches théoriques et pratiques que les forces révolutionnaires aujourd’hui dans notre pays doivent accomplir, alors nous pourrions dire d’avoir atteint le but que nous nous étions fixé au préalable.

>Sommaire du dossier

BR-PCC: Replacer l’activité générale des masses au centre de l’initiative (1983)

[Rome, 17 janvier 1983, les militants des Brigades Rouges pour la contruction du Parti Communiste Combattant.

Arreni Renato, Bella Enzo, Braghetti Laura, Gallinari Prospero, Iannelli Maurizio, Novelli Luigi, Padula Sandro, Pancelli Remo, Petrella Marina, Piccioni Francesco, Ricciardi Salvatore, Seghetti Bruno.]

Ce n’est pas un hasard si ce procès a été préparé en toute hâte à la suite de la libération de Dozier, des trahisons et des arrestations de masse, alors que jusque là, il semblait ne jamais devoir se dérouler.

L’Etat, qui, avant cela, n’avait pas la force politique d’affronter le procès du moment le plus significatif de 12 années de lutte armée, saisit l’occasion pour tenter de sanctionner de façon éclatante la défaite des B.R. et avec elles, de la lutte armée pour le communisme.

Cet objectif a envahi tous les raisonnements mis dans la bouche des traîtres, toutes les interventions de la partie civile: il est le coeur-même de chaque acte du procès et des déclarations du procureur Amato.

Un refrain obsessionnel qui voulait devenir un lieu commun, une vérité indiscutable acceptée par tous.

La nature de cet objectif est cependant de plus vaste portée. Il est une partie importante d’une attaque bien plus complexe que la bourgeoisie a porté à la classe ouvrière et au prolétariat métropolitain.

En ce sens, la ratification de la défaite des B.R. devait représenter un moment important pour réussir à effacer de la mémoire historique-même du prolétariat, la conscience de la révolution comme événement possible et nécessaire, le seul qui soit capable d’apporter une solution réelle aux besoins et aux intérêts prolétariens.

La publicité la plus grande au refrain de la défaite est garantie par l’amplification démesurée du moindre balbutiement du traître de service.

La thèse commune à tous les vautours qui se sont jetés sur la « pâture » politique que représente ce procès est celle selon laquelle « les B.R. sont un groupe au service de quelqu’un de bien plus important ». Chacun tente d’apporter de l’eau à son moulin.

Et actuellement, c’est l’histoire, le patrimoine, les militants-mêmes de la lutte armée qui constituent un butin sur lequel les diverses forces de la bourgeoisie mettent la main pour en tirer tout ce qui peut être utile à leurs propres jeux de pouvoir.

C’est ainsi que nous avons entendu une anthologie des thèses complotardes selon lesquelles les B.R. seraient des marionnettes au service des projets les plus divers.

A en croire les socialistes et une partie de la D.C., nous ne serions que des russes parlant bien l’italien car, comme le disait alors déjà Craxi: « il n’est pas pensable que les B.R. s’entraînent dans les basses-cours.

Pour le F.C.I., nous étions évidemment des agents de la C.I.A., puisque Moro avait été l’instrument suprême de son insertion dans l’aire du consensus de la majorité gouvernementale.

On a fait parier différents trai très afin de soutenir, partiellement, les diverses thèses complotistes en vogue. Mai s-même eux n’ont pas été très utiles.

C’est ainsi que chaque parti bourgeois a continué à fournir sa propre vérité.

Ce pour quoi les traîtres ont été le plus utilisés a été, par contre, la construction d’une campagne diffamatoire et provocatrice contre le peuple palestinien et les forces révolutionnaires qui luttent en Europe et en Méditerranée contre l’impérialisme américain.

Ce n’est pas un hasard, et nous l’avions dénoncé dans cette salle d’audience avant que cela ait lieu, si la campagne menée en Italie et en Europe contre le peuple palestinien a précédé l’invasion génocide du Liban par l’impérialisme, grâce aux bouchers sionistes et phalangistes.

Dans les faits donc, ce procès est un procès de guerre; une attaque, non seulement contre les B.R., mais aussi contre toute hypothèse politique révolutionnaire dans ce qui, pour les projets de l’impérialisme américain, doit être un terrain d’opérations pacifié à l’intérieur et agressif vers l’extérieur.

C’est un procès de guerre, parce que toutes les « entorses » faites à la législation courante, avec le5

diverses lois spéciales, ont trouvé un champ d’application dans ce procès, et ont par là ratifié un bouleversement global de la sphère juridique dans le sens d’une législation de « guerre civile ».

C’est un procès de guerre parce que, dans cette salle d’audience, la torture et les disparitions de prisonniers ont été officialisées, reconnues et revendiquées par l’Etat comme méthode « légale » d’enquête.

En effet, alors qu’un de nos camarades inculpé dans ce procès était séquestré et torturé plusieurs jours durant dans les locaux de la DIGOS, la Cour et le Procureur, tout en sachant cela, continuaient le procès, couvrant de la loi du silence ce qui était en train de se passer.

Après cela, l’ouverture par la Cour d’une soit disante enquête sur cet épisode n’en était qu’une couverture supplémentaire: à tel point que les photographies qui témoignaient des lésions subies par le camarade ont déjà disparu du dossier.

C’est un procès de guerre, parce qu’est devenu évident dans cette salle le rapport qu’établit l’Etat avec la société civile et les prolétaires en particulier.

Ce système n’offre plus aucune perspective d’expansion de la richesse sociale ni d’évolution des valeurs morales et culturelles.

L’évolution du politique vers la barbarie sanctionne l’isolement progressif de la bourgeoisie et de son Etat, son retranchement sur la défense de son pouvoir et de ses privilèges.

Elle ne peut plus rien garantir au prolétariat.

Le seul rapport que la bourgeoisie parvient à établir est représenté par les misérables figures qui servent à jeter de la boue sur l’histoire de la révolution prolétarienne: la trahison!

L’Etat bourgeois fait « l’acquisition » de quelques traîtres afin qu’ils « parlent » à la classe, qu’ils la dissuadent de la possibilité de la révolution prolétarienne. L’Etat bourgeois encense la figure de l’espion, en fait la figure utile idéale, un « modèle de vie ».

La misère humaine que met en évidence cette politique ne peut que renforcer la conscience prolétarienne de la nécessité d’abattre cet Etat.

MAIS QUELLE EST LA VERITE SUR L’AFFAIRE MORO?

Nous pensons que la seule vérité soit la vérité historique, qui est légitimée aux yeux des masses par l’avancement du processus historique réel.

Tout le reste n’est que bavardage, versions de parti, suivisme d’agitateurs. La vérité d’Amato et de Savasta peut-elle être considérée comme une nouveauté?

Que Moro ait été séquestré par hasard?

Soyons sérieux!

Ce n’est là qu’une version pour les Imbéciles, tout juste bonne à cacher le seul fait certain: la « Campagne de Printemps » a été l’exploitation d’un projet politique révolutionnaire mis en oeuvre par des avant-gardes communistes combattantes, qui visait à désarticuler le projet politique développé par la bourgeoisie sous le nom de « solidarité ».

Ce projet bourgeois se donnait pour objectif la pacification réactionnaire de l’affrontement social, par l’utilisation de l’appareil politique révisionniste comme contrôleur, constructeur du consensus par la force et espion à l’égard de l’antagonisme de classe.
Comme cette farce de procès semble ridicule, face à ces années de lutte de classe et de lutte armée!

Une farce construite autour de via Gradoli, au cours de fébriles réunions de parlementaires -autour des tables bancales de quelque devin en quête de réussite et, d’une manière générale, autour des fantasmes créés par le « syndrome du complot ».

Aujourd’hui, la vérité historique est sous les yeux de tous! Le projet de « solidarité nationale » est définitivement mort et enterré avec son créateur; emporté, non tant simplement par l’action militaire, que par les dynamiques de classe qui ont motivé cette action et qui, à partir d’elle, ont permis la maturation d’un développement plus avancé.

La mise en cage de la classe, de ses tensions et de sa force n’a pas été possible: le projet a échoué!

Et avec cet échec s’est développé toujours d’avantage dans la conscience de la classe qu’aucun compromis n’est possible entre exploiteurs et exploités, que le seul rapport entre prolétariat et bourgeoisie est l’affrontement de classe!

Nous revendiquons cependant le fait que les B.R. ai ent parti ci pé et contri bue de façon décisive à la destruction de ce projet politique antiprolétarien.

Il est donc indéniable que la Campagne de Printemps constitue un moment important du processus révolutionnaire en Italie et en Europe.

L’objectif de ce procès est maintenant de nier cela, ce qui s’est avéré impraticable.

Nous voulons être clairs sur un autre fait, relatif au mandat assigné à l’un de nos avocats de confiance dans ce procès.

Chacune de nos pratiques a pour effet de produire préoccupation et confusion chez la bourgeoisie.

Cela s’est vérifié quand quelque chose s’est mis à ne plus touner rond, après huit mois de déroulement des audiences.

Ce quelque chose, c’est la nouveauté du fait qu’un avocat, même de manière limitée, soit en condition d’intervenir sur des aspects déterminés présentés par ce procès.

Cette préoccupation et cette confusion se sont manifestés par la présence de gros bonnets de la contre-révolution notoires et importants et par la rumeur officieuse que ce que faisait notre avocat de confiance dans la salle d’audience constituait un délit.

Voilà qui est significatif du peu de solidité des nerfs de la bourgeoisie face à ce qui va dans une direction opposée à la sienne.

A partir de là, deux questions se sont posées: si cela constituait une nouvelle « stratégie » des B.R. dans les procès, ou bien si c’était un retour en arrière vers la pratique du « procès guérilla ».

Disons tout de suite que les B.R. n’ont jamais eu de stratégie de procès, mais qu’elles appliquent dans les situations concrètes et spécifiques, et donc aussi dans les procès, leur ligne politique.

Une ligne politique qui n’a jamais été et ne peut être la somme de stratégies particulières.

En effet, dans la phase où l’avant-garde devait affirmer la lutte armée comme rupture politique, et la guérilla comme moment de cette rupture, nous développions dans les tribunaux une pratique tendant à désarticuler l’appareil juridique de l’Etat.

Une pratique que nous avons appelée « procès guérilla », qui répondait aux objectifs fixés par la ligne politique dans la phase de la « propagande armée ».

Le changement du cadre politique général, et les tâches différentes découlant de la lutte entre prolétariat et bourgeoisie, imposent une redéfinition de la ligne politique et de l’activité de l’avant-garde dans toutes les situations concrètes, et donc aussi dans les procès.

Face à cette situation, et en présence de nouvelles tâches, le « procès guérilla » ne parvient à avoir une incidence efficace, ni sur le plan de la disfonctionnalisation du procès, ni sur celui de la propagande et de l’agitation: ainsi se réduit-il, justement parce que les conditions ont changé, à un simple témoignage du passé.

Au contraire, il s’agit dans les procès, tout en étant conscients de leur rôle secondaire, non de manifester un antagonisme idéaliste et abstrait, incompréhensible à la classe, mais d’être un point de référence concret, politiquement clair et reconnaissable par le prolétariat; une force révolutionnaire sachant utiliser sa capacité antagoniste non médiatisable avec les intérêts de l’Etat, pour être une indication de lutte et de programme.

Les procès peuvent donc être, même dans les conditions nouvelles, un moment significatif de l’affrontement politique avec la bourgeoisie.

Pour cela, il est nécessaire d’assumer la pratique de la politique révolutionnaire, en profitant de toutes les occasions pour ramener l’attention de la classe sur les problèmes concrets de la lutte de classe et de son développement, l’avant-garde se sert donc aussi des procès pour intervenir efficacement et désarticuler la manière dont la bourgeoisie voudrait actuellement les mener, en cherchant à donner d’elle-même une image de puissance et d’efficacité-.

Et pour, réciproquement, donner une image de défaite de l’avant-garde révolutionnaire et de la possibilité révolutionnaire-même.

Tout cel a peut être mené dans les procès par une présence politique active et articulée sur plusieurs niveaux, capable d’entrer dans le vif des contradictions que produit la nature politique-même de ces procès.

Nous clarifierons par la suite, afin qu’il n’y ait pas d’équivoques, qu’il ne s’agit pas d’accepter les lois de la bourgeoisie ni de se perdre dans les mécanismes juridiques et de procédures; mais de déterminer, à chaque fois, l’opportunité d’une intervention en fonction des diverses contradictions qui se présentent.

Le processus révolutionnaire, dans chaque pays et à chaque époque, ne suit jamais un parcours linéaire, géométriquement croi ssant, mais il est continuellement marqué par des sauts politiques, qui se traduisent par des ruptures avec les formes précédentes de l’affrontement.

Des moments où la classe et son avant-garde, porteurs d’un patrimoine consolidé de luttes et d’initiatives, doivent affronter une phase nouvelle de de bataille politique, d’expérimentation. Telle est aussi notre expérience.

La lutte armée naquit en Italie au début 70, comme hypothèse révolutionnaire pour le communisme. Elle naquit donc comme rupture subjective de quelques avant-gardes communistes d’avec 20 ans de révisionnisme, comme construction d’un point de référence stratégique révolutionnaire enraciné dans la classe.

La légitimation de ce choix stratégique provenait de la maturité de l’affrontement de classe qui, après les deux années 68-69, avait vu croître, d’une part, le besoin stratégique de la classe d’apporter une réponse au problème du pouvoir et, de l’autre, la nécessité de répondre à la violente contre-attaque bourgeoise mise en oeuvre pour réprimer le mouvement de classe (licenciements d’avant-gardes ouvrières, les massacres d ‘ Etat et les « chasses aux subversifs » qui s’en suivirent).

Ce choix de rupture se manifestait comme initiative combattante pour propager et enraciner dans le prolétariat la conscience de la nécessité et de la possibilité de la lutte armée pour le communisme.

Il s’agissait donc d’enraciner une idée-force parmi les avant-gardes de classe; d’une bataille politique parmi les communistes pour définir les contours essentiels d’un projet politique révolutionnaire absent depuis 20 ans.

Dans ce cadre, les B.R. ont repris les catégories fondamentales du marxisme-léninisme et mis au centre de leur initiative, justement, le fait d’agir en parti, tout en n’étant évidemment pas un parti; ainsi que la centralité de la classe ouvrière, comme expression du plus haut niveau d’antagonisme contre le capital.

Cela n’avait rien à voir avec une nostalgie livresque, mais était une réalité quotidienne et visible.

C’est en effet à partir du potentiel de lutte et de la conscience politique de la classe ouvrière, accumulés au cours de ces années dans les grandes usines du Nord, de la Pirelli à la Fiat, que s’exprime et se concrétise le saut à la lutte armée, le passage nécessaire pour porter cette force à problème du pouvoir.

Centralité ouvrière donc, comme synthèse de deux éléments de fond de notre analyse: la méthode marxiste-léniniste, qui considère comme centrale la production capitaliste de plus-value, et donc comme centrale la classe ouvrière au sein du prolétariat métropolitain; et l’accumulation matérielle de force et de capacité politique de proposition, exprimée par les luttes au cours de ces années, à leur point le plus élevé.

Cette capacité de rupture et d’affirmation d’une idée-force a marqué dès lors ces 12 dernières années de lutte.

Cette capacité, que nous avons appelée « propagande armée », est un patrimoine prolétarien que personne ne peut nier ni liquider.

L’accumulation de force réalisée à l’intérieur de l’usine par la rupture avec le révisionnisme imposait un nouveau saut politique pour porter cette force accumulée à un stade supérieur.

Un saut permettant de dépasser les limites des thématiques d’usine et les diverses déviations de l’opéraisme et du syndicalisme armé qui existaient aussi dans le mouvement révolutionnaire au cours de ces années.

Un saut politique qui transforme ce potentiel en projet global de pouvoir contre l’Etat.

La mise en évidence du projet néo-gaulliste et la séquestration de Sossi matérialisèrent pour la première fois le mot d’ordre d' »attaque au coeur de l’Etat », par lequel la lutte armée dépassa l’idée-force pour devenir hypothèse politique stratégique, point de référence révolutionnaire pour l’ensemble du prolétariat, en plus que pour la classe ouvrière.

S’il faut relever l’aspect positif de cette période de propagande armée: avoir posé au centre de l’initiative, l’axe stratégique d’attaque « au cœur de l’Etat »; en revanche, on négligea alors le problème de la tactique et d’une stratégie révolutionnaire qui puisse, dans ce contexte, orienter concrètement l’affrontement de classe.

Ou encore, on se limitait à une riposte au coup par coup contre les projets de l’ennemi, sans cependant expliciter un quelconque projet prolétarien.

Pendant ces années, cette limite était peu perceptible, du fait de la nature-même des tâches que la guérilla se fixait. Elle est devenue explosive après 1978.

Dans les années précédant la Campagne de Printemps, on assista à un développement incessant de l’antagonisme prolétarien.

Dans toutes les grandes villes italiennes, ce développement s’effectua hors des formes d’organisation prolétariennes traditionnelles et institutionnelles.

Ce phénomène, que nous avons appelé « autonomie ouvrière », allait bien au-delà du mouvement politique autonome.

Au cours de ces années, la propagande armée entra en un large rapport dialectique avec les avant-gardes prolétariennes de tous les secteurs de classe, en en influençant le débat, la formation politique, les pratiques politiques de lutte.

Les luttes ouvrières qui sortaient fréquemment des limites de l’usine, et le mouvement de 77, -avec la multiplicité et la radicalité de ses formes, donnaient corps et vitalité à un mouvement antagoniste et à un mouvement révolutionnaire de vastes dimensions.

Dans le même temps la bourgeoisie, aux prises avec la crise économique et la forte présence de l’antagonisme prolétarien, mettait au point un projet politique articulé permettant d’affronter la nécessité d’une restructuration globale de la production, en cherchant à contrôler l’affrontement de classe par toutes les médiations possibles.

C’est à cela que servait l’insertion des révisionnistes, à qui était confiée la tâche de construire le consensus prolétarien autour des choix du capital, en échange d’un « parfum » de participation au gouvernement.

En d’autres termes, en plus que dans la conscience subjective des B.R., c’est la réalité-même de l’affrontement qui mit sur le tapis l’exigence prolétarienne de « faire sauter » le projet néo-corporatiste baptisé « solidarité nationale » et de construire la force politique révolutionnaire de toute la classe, capable de rassembler autour d’une stratégie, tout le potentiel révolutionnaire existant-.

Avec la Campagne de Printemps, les B.R. opèrent la synthèse politique et la rupture subjective nécessaires permettant de donner une solution à ces deux exigences.

La D.C. est l’âme noire du système d’exploitation et de pouvoir en Italie, l’ennemi reconnu et attaqué lors de 30 années de lutte prolétariennes.

Moro était le stratège le plus important du projet de « solidarité nationale ».

Comment la bourgeoisie a-t-elle réagi pendant la Campagne de Printemps?

Elle était coincée entre deux possibilités, qui toutes deux étaient des défaites.

La Campagne de Printemps avait déjà détruit « le projet de « solidarité nationale ».

Pour cette rai son, toute possibilité de « sauver ou non Moro » n’était plus fonction que des différentes batailles en cours entre les partis pour récupérer, chacun à son profit, le « cadavre » de la « solidarité nationale ».

Avec la Campagne de Printemps, la capacité de désarticulation atteinte est telle qu’elle exalte et amplifie le rôle politique de la lutte armée: au point que de nombreuses avant-gardes, au sein desquelles sont représentées diverses couches du prolétariat métropolitain, font leur la pratique combattante, comme formé de lutte permettant de donner plus de force à leur « capacité contractuelle ».

L’ample développement de la pratique combattante et des luttes autour des B.R. crée un climat de profonde attente politique.

A la lumière de la Campagne de Printemps, les thèses qui défendent la lutte armée pour des secteurs de classe antagonistes particuliers, ou comme coordination de la guérilla diffuse, apparaissent clairement inadéquates.

Mais, plus que la bataille politique interne au mouvement révolutionnaire, le fait qui compte est que la critique de masse au révisionnisme et à la ligne liquidatrice du « compromis historique », posait le problème de la construction du Parti Communiste Combattant et de la définition d’une stratégie qui, mettant au centre l’intérêt général de la classe, engendre une tactique révolutionnaire adaptée au nouveau contexte.

La Campagne de Printemps posait donc le problème de dépasser la configuration limitative d’O.C.C., pour pouvoir commencer à occuper, grâce à une stratégie et une tactique révolutionnaires adéquates, l’espace politique que la conscience de classe elle-même, à des niveaux de maturité divers, avait contribué à ouvrir.

L’espace pour une force politique révolutionnaire et combattante en mesure de diriger l’ensemble de la classe et non seulement les avant-gardes déjà militantes.

Pour paraphraser Lénine, nous disons qu’une force politique démontre son sérieux en mettant en lumière sans réticences les erreurs’qu’elle a commises, sans craindre l’instrumentalisation que l’ennemi pourrait faire de cette autocritique.

Notre devoir révolutionnaire à l’égard du mouvement de classe est de faire ce bilan, afin que se construise une dialectique donnant vie aux contenus les plus avancés de cette expérience politique.

Il est de notre devoir de défendre ce patrimoine contre tous ceux qui veulent le liquider, quand bien même en se dissimulant derrière une phraséologie pseudo-transgressive, extrémiste, anarchiste.

La conclusion de la Campagne de Printemps nous a mis devant un très vaste antagonisme de classe, différencié par ses niveaux de conscience, ses pratiques de lutte et ses formes organisées, qui se tournait vers nous comme moment de référence et comme possible direction révolutionnaire.

Un mouvement qui nous demandait: « Que faire? » Nous avons répondu à cette question en lançant le mot d’ordre: « conquérir les masses sur le terrain de la lutte armée ».

Ou plutôt, non avons proposé à toute la classe les mêmes critères et formules organisationnels qui avaient caractérisé notre bataille politique parmi les avant-gardes communistes.

Nous avons simplement proposé l’extension quantitative de la lutte armée, selon une conception essentiellement guérillériste du développement du processus révolutionnaire dans notre pays.

La lutte armée dans les métropoles revêt certainement la forme de la guérilla, mais ne doit pas en assumer la conception. Assumer cette conception dans notre pays a été une erreur.

SUR QUOI REPOSAIT CETTE ERREUR?

La désarticulation complète du projet politique de « solidarité nationale » avait remis en question les équilibres entre les bourgeois et entre les classes.

Au-delà des déclarations belliqueuses des notables de la D.C., il apparaissait clairement que personne n’était en mesure de postuler au rôle de médiateur entre les coteries internes.

Mais surtout, personne n’était capable de formuler une proposition politique de longue haleine. Au cours des années suivantes, en effet, la « solidarité nationale » a toujours plus été un « esprit », évocateur d’un projet politique mort et enterré.

C’était un fait concret et indiscutable. Tout comme l’était la fin de l’illusion berlinguérienne. Une donnée de fait que nous interprétions cependant comme l’épuisement de l’usage de la médiation politique interclassiste par la bourgeoisie.

Nous en arrivions à dire: « dans les conditions nouvelles créées par la Campagne de Printemps, la bourgeoisie est contrainte de transférer ouvertement sur le terrain militaire le contrôle qu’elle réussissait jusque là à exercer à travers les appareils politico-syndicalo-idéologiques ».

Cette façon de raisonner revenait à nier que l’Etat, même gravement défait sur un projet politique précis, n’en continuait pas moins à remplir la fonction de régulateur bourgeois de l’affrontement soci al, grâce à un savant dosage d’interventions tant politiques que militaires.

Au point que la bourgeoisie, bien que ne réussissant pas à définir un projet politique global, réussissait malgré tout à prendre des initiatives, quand bien même contradictoires et à court terme, sur les noeuds des politiques économique et institutionnelle; et à rétablir l’unité des forces politiques autour des soi-disant lois « antiterroristes » ou sur l’ensemble des mesures d’attaque tant contre la lutte armée que contre les formes consolidées de l’antagonisme prolétarien (telles que la mobilisation de rue).

C’est ainsi que nous avons perdu toute capacité de découvrir et d’attaquer le projet politique constituant le véritable « coeur de l’Etat » et nous nous sommes engagés dans la voie de l’attaque aux structures de l’Etat, au réseau de ses articulations et de ses appareils.

Cette conception a produit deux erreurs symétriques et complémentaires: sur le terrain de la pratique combattante où elle a intensifié et fragmenté l’initiative, la conduisant à reproposer l’intervention contre la D.C., les corps militaires et les chefs d’ateliers; sur le terrain de la direction du mouvement antagoniste, où elle a limité aux niveaux uniquement des mouvements qui pratiquaient déjà des formes de lutte armée, la possibilité concrète d’une dialectique politique qui s’offrait à nous.

C’est ainsi que nous ne placions pas au centre de notre activité politique tous ces niveaux de conscience et d’organisation prolétariennes qui, tout en n’assumant pas encore de pratique armée, se situaient toutefois comme mouvement hors et contre les représentations parlementaires actuelles, hors et contre la politique bourgeoise.

Le rapport entre ceux qui, comme les B.R., agissaient en parti révolutionnaire et la classe, se dégradait et se limitait au rapport organisation-mouvement révolutionnaire; un rapport ne parvenant pas à concevoir le rôle décisif des masses dans l’affrontement politique général.

Notre analyse erronée de la crise capitaliste contribuait organiquement à cela. La vision de la crise comme crise irréversible, permanente, servait de toi le de fond à la fin de la fonction de la politique dans le rapport d’affrontement entre les classes.

La dégradation imminente des conditions de vie aurait contraint la classe à empoigner spontanément les armes pour défendre ses besoins immédiats.

Cela mène en fin de compte à une vision de la lutte armée comme le tout de la politique révolutionnaire dans la métropole. A la fin de cette pente idéaliste, on aboutit à cette conception déformée de la réalité actuelle comme « guerre sociale totale », si bien illustrée par la pratique du « Parti-Guérilla ».

C’est à ce point que l’idéalisme subjectiviste trouve à s’affirmer au sein des B.R. également.

Un fois perdue la possibilité de cerner le projet politique dominant de la bourgeoisie, la ligne politique « conquérir les masses sur le terrain de la lutte armée » se concrétise comme pratique combattante pour les besoins prolétariens particuliers, comme propagande pour vaincre sur ces besoins.

Un tel dispositif théorique a produit la conception dite du « système du pouvoir rouge ».

La caractéristique constante de toute cette construction théorique était la pratique armée, ce qui nous a amené à osciller continuellement entre le fait d’assumer comme réfèrent unique les aires de mouvement déjà combattantes, et le fait de considérer les mouvements de masse qui s’opposaient et s’opposent aux processus de restructuration de la bourgeoisie, comme « sur le point de s’armer ».

En d’autre termes, en parlant à tort et à travers de masses armées, nous nous limitions à des structures combattantes plus ou moins restreintes, ou bien nous voyions ces dernières comme l’anticipation du parcours qu’auraient emprunté les masses.

TEL N’EST PAS LE PARCOURS DE LA REVOLUTION DANS LES METROPOLES.

Concevoir la lutte armée comme une « forme de lutte », comme une méthode pour vaincre sur des besoins particuliers, est la base théorique qui a mené d’abord au morcellement des initiatives politiques, puis aux scissions organisationnelles. Voyons pourquoi.

Le prolétariat n’est pas une totalité homogène, une somme de figures indistinctes et équivalentes, mais un ensemble de figures différenciées par leur position propre dans le procès de production et reproduction des rapports sociaux capitalistes.

Ce sont des différences qui pèsent dans la compréhension des rapports réels existants, la disposition de chaque couche de classe particulière.

Chaque couche du prolétariat a donc un ensemble d’exigences matérielles, culturelles et politiques (que l’on appelle généralement besoins) qui, d’une part, l’identifient et la socialisent de manière précise et, de l’autre, la différencient de toute autre couche.

Le fait de mettre au centre de l’initiative les « besoins », plutôt que l’attaque au projet politique dominant, conduit à diviser les initiatives elles-même, en les calquant sur les différentes particularités.

C’est ce qui s’est vérifié.

A partir de 1980, chacune des colonnes de l’organisation situées dans les pôles métropolitains a abordé le problème de l’enracinement dans les situations en assumant certaines contradictions qui s’exprimaient localement; contradictions différant d’une ville à une autre. Un plus grand enracinement et la désagrégation de la ligne politique allèrent de pair.

Privée d’une ligne politique qui saisisse la contradiction principale (celle entre mouvement de classe et pratique de la bourgeoisie), et l’aspect principal de cette contradiction : le projet politique dominant dans une conjoncture donnée; privée donc d’une identité de ligne, de stratégie générale, mesurée sur une situation concrète, l’Organisation Brigades Rouges a fini par revêtir autant d’identités qu’il y avait de pôles principaux d’intervention.

Les scissions de 1981 sont le couronnement organisationnel d’un processus de fragmentation politique en œuvre depuis longtemps.

Pour renverser ce processus de désagrégation, il était donc nécessaire d’établir un rôle politique de direction qui se fonde principalement sur la détermination du projet politique dominant de la bourgeoisie.

Celui-ci se saisissant dans l’aggravation de la crise de l’impérialisme, contraignant celui-ci à une attitude toujours plus agressive dans les différentes aires de la chaîne impérialiste.

On déterminait donc à partir de la fonction de l’O.T.A.N, en Europe et en Italie, la fonction de ses liens politico-militaires, en particulier dans notre pays, qui devenaient par conséquent celle d’augmenter les dépenses militaires aux dépens des dépenses sociales et, d’une manière générale, celle d’attaquer les conditions d’existence du prolétariat.

Il a certainement été correct de jouer, avec l’opération Dozier, un rôle d’avant-garde qui a permis de restituer une identité politique aux « B.R. pour la construction du P.C.C. », et aussi parce que cette opération a eu lieu en liaison dialectique étroite avec les initiatives combattantes développées par les autres forces révolutionnaires dans toute l’Europe.

Mais, en attaquant l’OTAN, en privilégiant, conformément à l’ancienne orientation, le seul aspect de la désarticulation du projet ennemi, sans nous rapporter concrètement et politiquement à l’activité générale des masses, nous avons épuisé notre initiative dans un affrontement frontal (et dans ce cas perdant) avec l’appareil impérialiste.

Et sans assumer non plus la direction des mouvements de lutte qui, dans les usines et dans la rue, commençaient à revêtir une physionomie précise, objectivement anti-impérialiste. L’opération naquit et mourut dans la mer de problèmes mal posés qui l’accompagnait.

La défaite subie avec l’opération Dozier et la vague d’arrestations qui s’ensuivit grâce aux traîtres, la disparition simultanée d’autres hypothèses de guérilla, nous ont obligé en tant qu’O.C.C., à remettre en question l’ancienne configuration politique générale, des noeuds théoriques à la ligne politique.

En bref, la définition du rôle que doit avoir la lutte armée dans l’organisation et dans la direction du processus révolutionnaire en Italie.

Au cours de la dernière année, les « B.R. pour la construction du P.C.C. » ont commencé à prendre conscience de l’épuisement de la validité et de l’inadéquation générale d’une configuration théorico-politique qui, dans la pratique sociale, a laissé du champ aux principales variantes de l’idéalisme subjectiviste.

Elles ont donc commencé à rechercher le « Que faire? » pour construire une nouvel le configuration, en critiquant dans les faits le caractère linéariste et progressif de l’ancienne et en se réappropriant le concept de processus révolutionnaire ininterrompu et par étapes.

Un processus qui connaît des victoires et des défaites, des reculs et des avancées; un processus qui ne peut se mesurer uniquement au développement de la forme-guérilla.

D’une manière générale, nous n’avons pas placé au centre de l’autocritique les « écrits de l’Organisation », mais nous avons plutôt relu notre pratique sociale, notre rapport avec les masses, notre élaboration théori que, à partir de la réappropriation révolutionnaire du marxisme-léninisme.

L’initiative combattante est, aujourd’hui plus que jamais, la condition de l’existence et du déploiement de la politique révolutionnaire, justement parce que l’initiative armée, si elle se réfère exclusivement à la forme-guérilla, à ses projet et contenus révolutionnaires, n’a pas de capacité offensive concrète.

A la longue, elle devient endémique et peut donc être facilement anéantie par l’Etat.

Ce n’est pas un hasard si toutes les formes de guérilla qui ont glissé sur la pente de l’idéalisme subjectiviste, quand ce n’est pas tout bonnement du terrorisme pur et simple, ont été complètement anéanties, et si leur activité a été durement critiquée par le mouvement révolutionnaire et considérée comme étrangère par le mouvement antagoniste de masse.

Pour pouvoir construire une configuration théorique et politique et une nouvelle ligne, les « B.R. pour la construction du P.C.C. » ont proposé la « retraite stratégique » pour replacer au centre de l’initiative l’activité générale des masses.

La proposition de « retraite stratégique » était cependant adressée aux O.C.C. et non à la classe, justement parce qu’on en avait constaté l’arriération, et donc l’absence de direction réel le de ces organisations, à l’intérieur desquelles, comme le dit Lénine, « il y a des gens qui sont prêts à présenter les insuffisances comme des vertus, et même à tenter de justifier théoriquement leur propre soumission servile à la spontanéité ».

Une retraite, donc, d’une position qui n’était pas réellement avancée (comme on a pu bêtement le penser), qui était une position concrètement inadéquate aux nouvelles tâches de la phase et donc, en dernière instance, à la traîne des masses.

Se retirer dans les masses n’a cependant jamais signifié « se dissoudre dans le mouvement pour repartir a zéro », ni abandonner la stratégie de la lutte armée pour le communisme.

Cela signifie au contraire reconquérir la confiance et la solidarité de la classe.

Cela signifie lutter contre les projets de dissociation et de reddition, reconstruire une direction politico-militaire au sein de la classe, en se rapportant aux différents niveaux de l’antagonisme, sans pour autant perdre l’autonomie relative de notre Organisation.

Cela signifie éviter des erreurs encore pi us graves que celles commi ses précédemment en abandonnant une configuration qui, ne plaçant pas au centre l’activité générale des était évidemment arriérée par rapport à la croissante de direction révolutionnaire objectivement par le mouvement antagoniste.

En ce sens, l’Organisation a entamé un processus de critique-autocritique-transformation au sein du mouvement révolutionnaire et du mouvement antagoniste du prolétariat métropolitain.

Elle a analysé la nature des erreurs pour chercher à les dépasser et pour se mesurer, à travers la définition d’une politique révolutionnaire, à la réalité concrète dans laquelle vit, et dans laquelle est possible et nécessaire, le développement de la révolution prolétarienne.

Dans la dialectique continuité-rupture par rapport à la pratique sociale, l’Organisation a donné, ces dernières années, la priorité à la rupture, pour l’abandon d’une configuration théorico-politique traversée de profonds vices d’idéalisme subjectiviste, et qui n’était pas basée sur l’analyse concrète de la réalité concrète.

La rupture avec les erreurs du passé implique aussi de rétablir la continuité avec l’histoire des B.R., avec leur pratique sociale de combat, qui a marqué ces dix années de lutte de classe en Italie, par la réapropriation en particulier de cette pratique ô combien significative et efficace politiquement que fut la Campagne de Printemps, qui a donné force et originalité aux possibilités de développement du processus révolutionnaire dans la métropole impérialiste.

Cela ne veut pas dire continuer sur la ligne de la propagande armée, pratique dont cette campagne a marqué l’épuisement objectif.

Cela signifie réévaluer et exalter la force politico-militaire que représente le fait de porter l’attaque « au coeur de l’Etat dans cette conjoncture, de désarticuler un cadre politico-institutionnel .

Ce patrimoine ne peut être anéanti par la reddition d’une poignée de traîtres, et encore moins par la ligne ‘ liquidatrice portée par un régiment de « gurus » convertis au rôle de « nouveaux philosophes ».

On ne peut pas annuler un parcours historiquement déterminé de la lutte de classe gravé dans la mémoire du prolétariat.

Telle est la signification de notre choix de « retraite stratégique », pour reproposer aujourd’hui un dispositif actif et combattant au sein des tâches nouvelles et complexes de cette phase du processus révolutionnaire.

Les éléments acquis au cours de ce débat suffisent à permettre la reprise d’une initiative politique et combattante mettant au centre l’activité générale des masses.

Avant de poser des points de référence pour un projet politico-révolutionnaire, il faut entrer au coeur de l’analyse de cette phase, en analysant les vieilles confusions et approximations.

La crise actuelle est une crise générale du mode de production capitaliste.

C’est une crise de surproduction absolue de capital qui dure depuis plus d’une décennie.

La crise générale caractérise donc la phase historique actuelle, dans laquelle l’exigence capitaliste d’une reprise de l’accumulation, et en conséquence le saut de la composition organique du capital qui permette de valoriser au maximum la révolution technologico-industriel le contemporaine (déjà en oeuvre, du reste), ne peuvent être donnés que par la destruction des forces productives en surplus et des moyens de production dépassés, tant en termes de valeur qu’en termes physiques.

Les exigences du capital, mises à nu par la crise, induisent dans le système impéri ali ste une série de réponses économiques, politiques et militaires: en un mot, de projets politiques globaux visant à dépasser la crise même.

La mise en pratique de ces réponses globales provoque des oppositions et des affrontements qui témoignent de l’aiguisement de la contradiction principale entre bourgeoisie impérialiste et prolétariat international, et de toutes les contradictions interimpérialistes et, parmi elles, celle surtout entre l’aire à domination américaine et le social-impérialisme.

Un fois encore, la tentative bourgeoise de dépassement de la crise générale du capital prend la forme de la guerre; et donc aujourd’hui, de la perspective de la guerre interimpérialiste.

Si telle est la tendance, l’issue obligée, la perspective dans laquelle se meuvent l’ensemble des dynamiques de restructuration capitalistes dans cette crise, cette affirmation demande cependant à être précisée, en indiquant à quel stade de mûrissement de la perspective de guerre on se trouve.

En effet, la guerre n’est pas une explosion de violence improvisée et imprévisible, mais la conclusion obligée d’un processus complexe au cours duquel les caractéristiques fondamentales de chaque formation économico-sociale se modifient globalement-.

En d’autres termes, chaque guerre mûrit dans cet ensemble de modifications, même si le motif- de déclenchement ou le lieu d’explosion sont fortuits, non prémédités par les parties en cause.

Il est fondamental de définir en termes conjoncturels l’état concret de mûrissement de la tendance à la guerre pour esquisser une stratégie révolutionnaire et une tactique se basant sur l’analyse concrète d’une situation concrète.

Quand nous parions de « tendance à la guerre », nous entendons la guerre entre l’impérialisme à dominante américaine et l’aire à dominante soviétique-.

Nous estimons donc que toute concepti on pariant d’une guerre entre « système impérialiste mondi al » et « prolétariat mondial » est absurde et déviante.

Non parce qu’un impérialisme serait préférable à l’autre, mais parce que l’essence de l’impérialisme est d’être « l’époque de la guerre entre les grandes puissances pour l’intensification et l’accroissement de l’exploitation des peuples et des nations » (Lénine).

En considérant les éléments qui caractérisent la conjoncture internationale actuelle, nous constatons que c’est la récession productive qui constitue le principal phénomène économique.

Qui dit récession dit annulation, voire inversion, du taux de croissance des activités productives.

Et donc, diminution relative et absolue de la masse des marchandises produites, des usines en activité, des ouvriers employés, du capital opérant comme tel.

Une récession aggravée par la restructuration technologique contemporaine et par les politiques de réduction de l’inflation.

La gestion contrôlée de la récession est actuellement le « credo » économique de l’immense majorité des pays capitalistes avancés.

Comme toutes les politiques « anticycliques », elle peut aussi, dans l’immédiat, jouer un rôle de frein; mais à long ,terme, elle amplifie et multiplie les caractères fondamentaux de la tendance dominante: la guerre impérialiste.

La majeure partie des procès de restructuration en cours dans tout l’Occident, constitue un ensemble contradictoire d’initiatives dont la réalisation fait, de toute façon, effectuer des sauts en avant concrets dans la perspective de la guerre.

Nous le définissons comme « procès de restructuration en cours pour la guerre impérialiste ».

C’est donc un procès qui naît de la nécessité, pour chaque capital particulier, de se tailler sa propre part de marché et de profits dans le cadre d’une concurrence plus impitoyable et, pour cela, d’abaisser ses coûts à un ni veau moyen permettant de continuer à exister comme capital.

Mais dans le même temps, ce procès n’est pas purement spontané: il se ressent d’une concertation internationale sur les éléments fondamentaux des flux du commerce et des marchés financiers-.

Les Etats sont donc les centres névralgiques où les diverses fractions de la bourgeoisie (autochtone et multinationale), et les représentations plus ou moins institutionnalisées du prolétariat médiatisent leurs intérêts contradictoires en définissant les conditions générales, le « milieu économique » le plus favorable à l’exploitation de la classe ouvrière et l’extension de la concurrence.

La « restructuration pour la guerre impérialiste » n’est donc pas exclusivement économique, mais globale: elle bouleverse tout l’équilibre des formations économico-sociales de l’aire impérialiste.

En Italie les nœuds sur lesquels se définit le sens général de ces procès sont représentés par une restructuration de l’Etat:

– sur le plan économique: l’adoption d’une politique déflationniste détruisant les mécanismes de défense automatique des conditions d’existence du prolétariat (comme l’échelle mobile); une politique économique qui inverse la priorité des dépenses, en réduisant de manière drastique toutes les dépenses d’assistance, de la santé aux retraites, des allocations à la « cassa inteqrazione », dans le cadre d’une réduction des dépenses publiques et d’une augmentation, dans le même temps, des dépenses militaires et des investissements pour la restructuration.

– sur le plan militaire : le rôle impérialiste actif joué en Méditerranée, au Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique.

Ce qui implique, en plus de l’augmentation des dépenses militaires, la redéfinition d’une stratégie internationale de

l’Italie.

– sur le plan institutionnel: des modifications conformes à la nécessité de rendre de telles transformations générales opérationnelles.

Ce qui signifie la fin de la politique de médiation interclassiste entre accumulation et distribution sociale; ce qui se traduit immédiatement par un attaque générale contre la classe pour la battre, tant sur le terrain de ses conditions de vie que sur le terrain politique.

Cet aiguisement de l’affrontement a des conséquences sur le cadre politique institutionnel et bouleverse la structure même des institutions étatiques , la sphère juridique, le rôle des appareils préventive-répressifs, etc..

En conséquence, le scénario politique connaît lui aussi une polarisation autour des stratégies possibles.

D’un côté, nous voyons apparaître toujours plus clairement un amas de coteries qui se rassemblent autour d’une ligne politique globale en harmonie avec les exigences générales de l’impérialisme.

Le rapport entre cette ensemble et la politique reaganienne n’est pas, comme nous l’avons simplifié par le passé, un rapport de dépendance mécanique.

Il consiste plutôt à faire siens les intérêts impérialistes globaux, à tenter d’imposer dans la formation économico-sociale italienne les modifications déjà conformes à ces intérêts, à mettre sur pied un projet politique articulé.

Il ne s’agit cependant pas d’un groupe de « fonctionnaires de l’empereur », mais d’un personnel politique qui se propose comme régent et allié fidèle. C’est cet ensemble que nous appelons « parti de la guerre ».

Non qu’il soit identifiable à un parti ou banalisé en une série de structures et d’institutions.

Mais parce qu’il se polarise autour de quelques éléments généraux du projet politique grâce auquel il est possible d’harmoniser la politique italienne avec la perspective dominante, accélérée par la politique américaine actuelle.

Nous identifions dans les divers Merloni, De Mita, Craxi, Lagorio, Benvenuto, les chefs de file du « parti de la guerre »: certes pas en tant que secrétaires d’un « super-parti », mais comme les dirigeants politiques principaux qui, autour du projet impérialiste luttent (entre eux aussi) pour imposer l’hégémonie d’une ligne particulière.

La conquête du leadership du « parti de la guerre » est une bataille où tous les coups sont permis, et qui trouve un terrain fondamental dans le rapport privilégié avec l’administration Reagan, et avec la Maison Blanche, une destination de pèlerinage quotidien.

A ce jeu, De Mita et son équipe se taillent la part du lion; tout comme le P.S.I., qui en a même trop fait en attisant les polémiques sur les « pistes de l’Est ».

Sur le front intérieur, la D.C., alors qu’elle cherche un rapport organique avec le grand patronat et trouve en Merloni un répondant idéal, est à son tour contrainte de se restructurer comme parti et comme système de pouvoir; à pas comptés car elle doit rompre avec dix ans de recherche de la gouvernabilité par le consensus.

A ce tournant, elle impose au P.S.I. de se situer sur le fond, en l’attaquant et en lui rognant le terrain sur lequel Craxi et sa bande avaient fondé leurs prétentions au rôle de régents: le rapport privilégié avec la grande bourgeoisie financière et industrielle.

Les contenus essentiels du programme autour duquel se rassemble ce « parti de la guerre » sont sous les yeux de tous.

En effet, le gouvernement Fanfani lui-même, après une première fanfaronnade programmatique, n’a pas du tout fait marche arrière en opérant des médiations, mais il a réalisé au contraire, par de savants dosages, un pas en avant consistant dans le démantèlement de l’Etat providence.

Si, d’une part, ces dosages sont rendus nécessaires par la forte opposition de classe (avec qui l’affrontement de classe est toutefois anticipé et recherché); de l’autre, ils jouent le rôle de médiation avec la nécessité de sélectionner soigneusement les aires et les intérêts à frapper au sein même des blocs sociaux qui soutiennent les partis de gouvernement.

L’augmentation des dépenses militaires éclaire parfaitement la nature et la direction dans laquelle s’engagent les procès de restructuration en cours.

On cherche à construire une société « austère », où les coûts de reproduction sociale du prolétariat soient comprimés au maximum, et dont l’unique perspective soit la participation active à la guerre interimpérialiste.

L’armée italienne elle-même est conçue, dans cette perspective, comme une armée d' »expéditions » parfois sous l’étiquette de la « paix », et non plus comme les lignes arrières de l’O.T.A.N. avec pour tâche la « défense des frontières ».

Dans la logique du « parti de la guerre », la politique de la Confindustria et la politique du gouvernement tendent à coïncider dans leurs finalités et à se coordonner réciproquement dans leur gestion des compétences.

L’irrésistible affirmation du « parti de la guerre » a contraint la gauche institutionnelle à régler ses comptes avec la défaite de la ligne du « compromis historique », ligne qui a provoqué des dégâts incalculables dans le tissu prolétarien, en se faisant complice d’une furieuse attaque contre l’antagonisme prolétarien et la politique révolutionnaire qui, dans cette conjoncture, orientait la classe contre la D.C. et le projet néocorporatiste.

Cette nouvelle disposition du cadre politique déterminera et sera déterminée par l’affrontement de classe. Elle s’aiguisera sous la poussée des procès de restructuration.
La nouvelle stratégie du P.C.i, est l’alternative démocratique.

Cette hypothèse se base, dans son imprécision, sur la possibilité technique que s’affirme, dans le cadre des alliances de l’O.T.A.N, une ligne européenne, autonomiste et « de gauche », capable de pousser à ce que prévale une politique de détente entre l’Est et l’Ouest, pour rompre avec la bipolarisation.

Sur le plan inté-rieur, les éléments de programme, de politique économique, etc. contenus dans cette hypothèse, prétendent « faire face en créant, en même temps, des conditions nouvel les pour le développement des forces productives.

En substance, alors que l’on repropose les « réformes » (peut-être une nouvelle fois de « structure »), on part à la recherche d’une nouvelle disposition des forces pour les soutenir.

Pour ce faire, le P.C.I. pousse, d’un côte, à la recherche d’un rapport unitaire avec le P.S.I.; et de l’autre, il met en oeuvre des initiatives visant à récupérer les tensions du prolétariat et des mouvements antagonistes qui lui érodent la base sociale.

Le P.C.I. se trouve porté d’un côté, à reprendre un rapport avec le P.S.I., et de l’autre, à tenter d’hégémoniser, en soutien à son hypothèse,les mouvements et les contenus qu’ils expriment.

Et ceci, tant sur le terrain de l’opposition à la politique économique du gouvernement, que sur le terrain des contenus antiimpérialistes (paix, désarmement, etc.).

C’est ainsi que dans l’hypothèse même d’une alternative, un ensemble de contradictions se meut dès à présent, qui commencera bien vite à mûrir à l’intérieur du P.C.I., et entre le P.C.I. et les autres forces de la gauche institutionnelle, mais surtout entre le P.C.I. et la classe.

Du point de vue de la classe, la nouveauté qu’une telle situation politique introduira dans l’affrontement pour les prochaines années, doit être comprise et suivie. En premier lieu parce que la défaite (historique, celle-là) du compromis avec la D.C. imposera au P.C.I. et à une partie du syndicat une politique d’affrontement sur les nœuds principaux.

L’effritement simultané de la chape de plomb représentée par la solidarité nationale, créera des conditions favorables au développement de l’autonomie ouvrière, en ouvrant des espaces objectifs pour une politique révolutionnaire sachant définir son programme autour de ces noeuds et déterminer la force prolétarienne avec laquelle se dialectiser sur les terrains de l’affrontement actuel.

Dans le cadre général de l’attaque politique et matérielle portée par le « parti de la guerre » contre le prolétariat, l’affrontement de classe va donc au-delà des différents sectoriels de couches prolétariennes particulières, pour se situer au niveau où se redéfinit le rapport entre l’Etat et la classe.

C’est là une donnée objective que la classe a saisi ces jours-ci, en déplaçant l’affrontement du terrain spécifique de l’usine à celui de l’opposition générale à la bourgeoisie, pour construire un rapport de force qui pèse réellement sur l’ennemi principal en ce moment: la politique économique du gouvernement.

Face à l’attaque politique contre tout le prolétariat, la classe, et principalement la classe ouvrière, répond sur un terrain politique de pouvoir, fait apparaître dans la prati que la nécessité de s’opposer en tant que classe, et non en tant que secteurs particuliers et dispersés.

Contre les aspects immédiats de la restructuration politico-militaire, et donc contre les conséquences concrètes découlant du rôle confié à l’Italie dans le dispositif de l’O.T.A.N., un vaste mouvement de masse contre l’installation des euromissiles et le doublement des dépenses militaires s’est formé aussi en Italie.

Par sa valeur objecti vement anti impérialiste, ce terrain apparaît comme un obstacle important dressé par les masses devant la poli tique impérialiste dans la zone, et donc en opposition à l’Etat.

De ce fait, il est en même temps un terrain fondamental de développement d’une politique de classe révolutionnaire et antiimpérialiste, parce qu’il ne peut y avoir de stratégie qui ne tienne compte de l’appartenance à l’O.T.A.N., et donc qui ne mûrisse en son sein et dans la classe, la conscience que tout processus de libération du prolétariat métropolitain de l’exploitation ne peut intervenir que par une dure et longue lutte contre la guerre et la barbarie impérialistes, pour faire sortir l’Italie de la chaîne impérialiste.

Ce terrain est aussi celui où se reconstruit un authentique internationalisme prolétarien qui, par les caractéristiques de masse qu’il peut et doit recouvrir, ne peut être contenu et circonscrit dans les seules formes combattantes.

Le procès de restructuration en cours traverse aussi, évidemment, la sphère répressive-préventive, bouleversant le droit bourgeois lui-même, introduisant la torture et organisant la police et les carabiniers en bandes spéciales.

Cette redéfinition des appareils répressifs et préventifs est aujourd’hui dirigée contre le mouvement révolutionnaire. Mais elle sera orientée, dans l’affrontement de classe et en des termes différenciés, contre toute la classe.

Cette redéfinition dirige aujourd’hui ses initiatives vers la prison en particulier et oeuvre à la liquidation de l’hypothèse révolutionnaire de la lutte armée pour le communisme.

Le plan sur lequel se déroule l’affrontement est donc un plan politique général.

Par le contenu des politiques contre lesquelles lutte la classe, c’est un plan qui objectivement est un plan de pouvoir.

La conscience avec laquelle la classe descend sur ce terrain est cependant déterminée par la position politique qui y est encore hégémonique, et donc par le P.C.I. qui tente d’orienter la lutte prolétarienne vers le terrain démocratico-réformiste, voué à la faillite étant donné le cadre des relations intérieures et internationales.

Pour la classe, vaincre ou échouer dans cette conjoncture se mesure par sa capacité de généralisation de la résistance à l’attaque d’une part, par sa capacité, d’autre part à entraver et à s’opposer au projet de restructuration actuel afin qu’il ne passe pas.

Dès aujourd’hui donc, la spontanéité prolétarienne exprime son activité générale en luttant contre les mesures spécifiques de la restructurati on pour la guerre: contre la politique économique de l’Exécutif, contre le doublement des dépenses militai res, l’installation; des euromissiles et la perspective de la guerre ».

On peut prévoir l’aiguisement, dans un proche avenir, de l’affrontement de classe sur ces terrains étant donné que les mesures contre lesquelles on lutte aujourd’hui ne sont que des aspects d’une restructuration qui est encore toute à déployer comme attaque à venir contre l’emploi, le coût du travail et les dépenses sociales; des mesures qui auront pour contrepartie la multiplication des bases de l’O.T.A.N. et des bases de missiles, ainsi que la croissance de la militarisation et du contrôle social.

L’autre aspect auquel se mesurent les victoires et les défaites de la classe est la capacité de l’avant-garde communiste combattante à intervenir dans cette résistance pour faire effectuer un saut au mouvement de classe contre la politique impérialiste.

Agir dans cette résistance signifie en premier lieu cerner le projet politique dominant de la bourgeoisie impérialiste et la manière dont il se matérialise dans la conjoncture.

L’initiative combattante doit être dirigée contre ce projet, pour recomposer tout l’antagonisme prolétarien actuellement fractionné en divers mouvements aux contenus spécifiques et différenciés.

On peut et on doit réunifier et orienter le mouvement prolétarien antagoniste, afin qu’il s’oppose consciemment et unitairement à ce projet même contre lequel il lutte actuellement de manière partielle et sur des aspects spécifiques.

La politique révolutionnaire est alors précisément cette capacité à exercer une direction politique en plaçant au centre l’activité générale des masses, et en agissant sur les contradictions à partir de la pratique combattante.

Le travail parmi les masses ne doit donc plus partir de l’indication: « conquérir les masses sur le terrain de la lutte armée ».

Il se propose au contraire d’orienter toutes les pratiques de lutte possibles et déjà expérimentées ‘par la classe, en généralisant et reproposant les plus mûres d’entre elles dans leurs formes de masse, contre la contradiction principale dans la conjoncture.

La politique révolutionnaire est donc un ensemble complexe de pratiques différentes, comprenant le combat, la critique, l’élaboration théorique, l’agitation, le travail d’organisation des niasses aux niveaux et dans les formes historiquement possibles, etc.

Mais elle est un ensemble de pratiques révolutionnaires parce que se situant toutes et unitairement dans une stratégie de conquête du pouvoir politique et dans la tactique conjoncturel le qui en découle.

Le caractère global des procès de restructuration fait en sorte que, sous la poussée de la sphère économique, le « politique » tende, avec toujours plus de force, à assumer le caractère dominant: ainsi, alors que le rapport entre classe et Etat se transforme, ce dernier se profile avec netteté sur le devenir de l’affrontement, opposant avec clarté les intérêts impérialistes aux intérêts prolétariens.

Pour cela nous réaffirmons que, dans cette phase, la question de l’Etat se pose avec force et clarté, et donc aussi la question de la construction d’une stratégie révolutionnaire pour la conquête du pouvoir politique.

C’est justement cette prédominance du caractère politique de l’affrontement qui nous fait réaffirmer avec d’autant plus de force la validité et la nécessité pour la lutte prolétarienne révolutionnaire de construire le Parti Communiste Combattant.

Avec ces points synthétiques, points d’analyse de la phase et de la conjoncture, nous ne prétendons pas épuiser la compréhension des tâches révolutionnaires, et donc les assumer nous seuls, dans le cadre d’un projet défini et articulé à lancer aux masses.

Nous voulons plus simplement, avec une tangibilité révolutionnaire, établir un rapport avec les masses, avec leurs avant-gardes de lutte et avec le mouvement révolutionnaire: un rapport nouveau au sein duquel construire une proposition politique révolutionnaire adaptée à la phase, pour interpréter l’antagonisme prolétarien et l’orienter vers l’unique solution positive et historiquement possible: la conquête du pouvoir politique.

Nous voulons donc être extrêmement clairs sur ce point: notre Organisation ne constitue pas le « noyau fondateur du P.C.C., même si elle agit, et veut agir activement pour en promouvoir la constitution.

Multiples sont les forces et les aires révolutionnaires qui reconnaissent la nécessité d’un parti authentique du prolétariat métropolitain, et avec lesquelles la confrontation politique est non seulement possible, mais nécessaire.

Les formes et les structures du Parti découlent des tâches stratégiques et tactiques d’un processus révolutionnaire historiquement déterminé dans le maillon-Italie.

Il s’agit donc d’un Parti dont la pratique sociale et combattante générale est basée sur la politique révolutionnaire nécessaire pour donner vie au général dans chaque « particulier » de l’activité de la classe: c’est-à-dire pour faire vivre dans le prolétariat métropolitain un programme général qui, faisant siens les intérêts politiques généraux avancés par les masses, dirige et organise, dans chaque conjoncture, la lutte et le combat prolétariens contre les aspects principaux de la « restructuration pour la guerre impérialiste ».

Un programme qui, dans chaque conjoncture, construise et atteigne une étape du processus révolutionnaire.

En tant que militants des « B.R. pour la construction du Parti Communiste Combattant », nous proposons à une vaste aire de forces révolutionnaires et d’avant-gardes de la classe, une confrontation politique visant à redéfinir une politique révolutionnaire capable concrètement de généraliser et de réunifier les luttes prolétariennes; de développer et de renforcer les mouvements de masse; et d’orienter l’activité générale des masses contre les piliers fondamentaux de la « restructuration pour la guerre impérialiste » et contre le « parti de la guerre ».

Il s’agit, en pratique, de faire assumer par les masses un programme révolutionnaire et antiimpérialiste cohérent.

Et donc de réussir à synthétiser ce qui émerge et vit, même de manière dispersée, dans les mille expressions de lutte et dans les mots d’ordre spontanés des cortèges prolétariens.

Il s’agit de contribuer à construire une politique révolutionnaire capable d’intervenir avec un programme général dans les mille rigoles des spécificités en lesquelles s’exprime la conflictualité prolétarienne: pour que rien ne soit dispersé des potentialités de la classe dans ce moment où la bourgeoisie impérialiste cherche à en fragmenter la résistance; pour que même la plus petite miette de résistance prolétarienne contribue à exercer sa force maximum contre les pivots centraux de la politique de l’ennemi principal.


TRAVAILLER A L’UNITE DES COMMUNISTES POUR LA CONSTRUCTION DU PARTI COMMUNISTE COMBATTANT!

LUTTER ET COMBATTRE POUR REPOUSSER L’ATTAQUE CONTRE LA POLITIQUE REVOLUTIONNAIRE!

TRAVAILLER A UNIR, ORGANISER, ORIENTER LA LUTTE DE LA CLASSE ET LA PRATIQUE COMBATTANTE CONTRE LA POLITIQUE ECONOMIQUE DU GOUVERNEMENT, CONTRE LES POUSSEES AU REARMEMENT ET LES DEPENSES MILITAIRES, DANS LA PERSPECTIVE DE LA CONQUETE DU POUVOIR POLITIQUE!

>Sommaire du dossier