Catégorie : Non classé

  • L’attaque révisionniste contre l’architecture soviétique de l’époque socialiste

    L’architecture soviétique de l’époque socialiste fut dénoncée tout d’abord dans la conférence de la construction au niveau de l’Union en novembre 1954, avec Nikita Khrouchtchev en personne accompagné de la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique et du gouvernement, puis en deux temps avec d’abord un décret du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique le 4 novembre 1955, et ensuite le second congrès de la construction au niveau de l’Union, qui se tint du 26 novembre au 3 décembre 1955.

    On lit dans le décret, intitulé « Sur l’élimination des excès dans la conception et la construction », qu’il y aurait une nouvelle perspective en cours, que bien entendu Khrouchtchev est censé refléter. Il s’agit en fait ici d’une bourgeoisie arrivée au pouvoir et en phase de restauration généralisée du capitalisme, cherchant pour cette raison à développer les forces productives d’une manière bien particulière.

    « D’énormes travaux sont en cours dans notre pays pour la construction et la reconstruction de villes, de villages et d’entreprises industrielles. La construction agricole est réalisée à grande échelle, en particulier dans les zones où des terres vierges et en jachère sont en cours d’aménagement. De nombreux bons bâtiments résidentiels économiques et des bâtiments publics avec une disposition pratique ont été construits.

    Ces dernières années, des méthodes de construction industrielle ont été développées en utilisant des structures préfabriquées, des pièces et des matériaux de construction efficaces, et une technologie de pointe de production de bâtiments est de plus en plus introduite. De nombreuses organisations de conception et de construction utilisent des conceptions standard dans la construction, ce qui permet d’accélérer la construction et de réduire son coût.

    Récemment, le Parti au gouvernement a pris un certain nombre de mesures visant à améliorer radicalement l’industrie de la construction. Un personnel qualifié d’ouvriers, d’ingénieurs et d’architectes a été formé, qui comprend correctement leurs tâches de construction de bâtiments et de structures économiques répondant aux exigences modernes, et d’introduction de structures industrielles et de méthodes de travail progressives dans la construction. »

    Seulement voilà, il y a des obstacles au succès :

    « Nos succès en la matière auraient été plus significatifs s’ils n’avaient pas été entravés par les lacunes et les erreurs majeures existantes dans la conception et la construction. »

    Et le décret de dénoncer tout ce qui serait nuisible, inutile, un gâchis, à savoir les principes de l’architecture soviétique de l’époque socialiste, qui empêcheraient le pays de se développer réellement sur le plan des constructions.

    C’est une liquidation idéologique correspondant à la mise en place d’une nouvelle perspective productive, servant directement la bourgeoisie prenant le pouvoir en URSS.

    On lit ainsi :

    « Le Comité central du PCUS et le Conseil des ministres de l’URSS notent que dans le travail de nombreux architectes et organisations de design, le côté ostentatoire extérieur de l’architecture, rempli de grands excès, s’est répandu, ce qui correspond à la ligne du Parti et le gouvernement dans le domaine de l’architecture et de la construction.

    Emportés par le côté ostentatoire, de nombreux architectes s’occupent principalement de décorer les façades des bâtiments, ne travaillent pas à l’amélioration de l’aménagement intérieur et de l’équipement des bâtiments résidentiels et des appartements, négligent la nécessité de créer des équipements pour la population, les exigences de la l’économie et le fonctionnement normal des bâtiments.

    Les superstructures de tour injustifiées, les nombreuses colonnades et portiques décoratifs et autres excès architecturaux empruntés au passé sont devenus un phénomène de masse dans la construction de bâtiments résidentiels et publics, à la suite de quoi, ces dernières années, de nombreux fonds publics ont été dépensés en trop pour la construction de logements , qui aurait pu être utilisé pour construire plus d’un million de mètres carrés d’espace de vie pour les travailleurs. »

    Suivent alors plusieurs pages de dénonciation de tel ou tel architecte « ostentatoire », puis des mesures de réorganisation des postes de direction.

    L’URSS devenue social-impérialiste se précipita alors dans le modernisme architectural pour les bâtiments majeurs et la construction de blocs d’habitations en masse sans personnalité et à la marge des centres-villes de l’autre, les « Khrouchtchevka ». La partie construite du Palais des Soviets fut démantelée et une immense piscine mise en place.

    L’attaque révisionniste contre l’architecture soviétique correspondait à l’attaque contre le réalisme socialiste en général, et le matérialisme dialectique.

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • L’esthétique réaliste socialiste de l’architecture soviétique

    Le réalisme socialiste prône la synthèse de la réalité, afin que la dignité du réel prime, dans une démarche générale parvenant au typique. C’est une reconnaissance de la réalité et il va de soi que dans le cadre de la construction d’une société, de son industrialisation, l’architecture joue un rôle essentiel, tout en reflétant un processus en cours qui ne va lui-même pas en ligne droite.

    Palais de la culture à Kouïbychev
    Maison de l’industrie à Kouïbychev

    L’architecture soviétique de l’époque socialiste, grâce à Lénine et Staline, a cependant réussi, de par son appui fondamental dans les masses, dans la classe ouvrière, dans l’idéologie communiste, à se mettre à la hauteur des exigences historiques.

    Rue Karl Marx à Molotov
    Salle des officiers à Sverdlovsk

    Refusant une élaboration « pure » faite en laboratoire, se tournant vers les masses et non pas vers le culte de la « forme », l’architecture soviétique a su être une composante de la société soviétique.

    Habitations à Tcheliabinsk
    Usine de tracteurs à Tcheliabinsk, dans un esprit constructiviste comme en témoigne le bâtiment à gauche

    Son aspect le plus marquant est le refus de séparer les arts entre eux, la dimension affirmative, la considération qu’aucune oeuvre architecturale n’est séparée du reste. Tout cela relève de la même substance, de la vision communiste du monde.

    Hôtel Intourist à Gorki
    Institut de l’industrie à Sverdlovsk

    Si la nécessité a pu imposer un certain rythme, une certaine approche formatée, heureusement la dimension de masses de la société soviétique a préservé l’architecture soviétique d’une démarche indépendante – idéaliste.

    Maison du Comité exécutif régional du Conseil des députés des travailleurs à Novossibirsk
    La place du travail à Sverdlovsk

    C’est la vie des masses qui détermine l’architecture, la vie quotidienne des masses, la vie historique des masses.

    Théâtre de Sotchi
    Habitations et magasin à Stalinsk

    On retrouve dans l’architecture soviétique ce qu’entendait Staline lorsqu’il a affirmé dans les années 1930 que « la vie est devenue meilleure, camarades ; la vie est devenue plus joyeuse ».

    Salle d’occupation musicale dans un jardin d’enfants, Moscou
    Jardin d’enfants, Leningrad

    L’architecture soviétique de l’époque socialiste n’est en ce sens pas un modèle, mais un exemple historique du meilleur niveau, une indication fondamentale.

    Plan des habitations de la rue Mokhovaïa 
    Habitations de la rue Mokhovaïa par Ivan Joltovski, 1934, l’oeuvre est considérée comme « le clou dans le cercueil du constructivisme »

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • L’architecture de l’exposition agricole pansoviétique de 1939

    Un événement marquant et représentatif de la diversité nationale de l’architecture soviétique fut l’exposition agricole pansoviétique ouverte en août 1939, avec 250 pavillons, dont des pavillons principaux pour chaque république de l’Union.

    Le plan de l’exposition agricole pansoviétique
    Un pavillon agricole consacré à la production de fruits et légumes
    Un pavillon agricole, pour le houblon

    Il s’agissait à la fois de refléter l’expansion de l’agriculture soviétique, avec notamment les koklhozes et les Stations de Machines et Tracteurs, et de permettre des échanges, un esprit d’émulation.

    La statue de Staline a par la suite été critiquée pour exposer un Staline plus schématique que réellement humain

    On y trouvait notamment à l’entrée le fameux monument de l’ouvrier et de la kolkozienne, réalisé par Vera Moukhina, qui fut également présent à  l’Exposition universelle de 1937 à Paris, où il faisait face d’ailleurs au monument de l’Allemagne nazie.

    Dans la Revue d’architecture [soviétique] de 1938, elle explique que :

    « J’ai tout de suite senti que le groupe devait exprimer, d’abord, non pas le caractère solennel des personnages, mais la dynamique de notre époque, cet élan créateur que je vois partout dans notre pays et qui m’est si cher (…). Nous devons transmettre les idéaux de notre vision du monde, l’image d’un homme d’une pensée libre et d’un travail libre, nous devons transmettre tout le romantisme et l’ardeur créatrice d’aujourd’hui. »

    L’exposition était naturellement marquée idéologiquement, une affirmation des valeurs socialistes et du style architectural soviétique, en plus d’être un lieu de présentation et d’échange, avec le caractère particulier des républiques qui était souligné.

    Le pavillon principal
    Le pavillon Sibérie
    Le pavillon Sibérie

    Les pavillons sont conçus en soulignant les traits nationaux typiques de la culture architecturale des républiques.

    Le pavillon Moscou – Riazan – région de Tula
    Le pavillon de la Biélorussie
    Le pavillon de la Géorgie
    Élément du pavillon de la Géorgie
    Le pavillon de l’Azerbaïdjan
    Le pavillon de l’Azerbaïdjan

    Pour cette raison, toute étude de l’architecture soviétique, pour être concrète, doit se tourner également vers les traits spécifiques aux républiques. Il n’existe pas de style architectural soviétique « impérial » – cosmopolite, comme le prétendent les commentateurs bourgeois.

    Le pavillon de l’Arménie
    Le pavillon de Leningrad et du Nord-Est
    Le pavillon de l’Ouzbékistan
    Le pavillon de l’Ouzbékistan
    Salon de thé à côté du pavillon de l’Ouzbékistan
    Le pavillon de la Bachkirie
    Le pavillon du Tadjikistan
    Le pavillon du Turkménistan
    Le pavillon du Kirghizstan
    Le pavillon du Tatarstan
    Le pavillon du Tatarstan

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • La question nationale dans l’architecture soviétique de l’époque socialiste

    On ne saurait saisir la question de l’architecture soviétique de l’époque socialiste, avec Staline, sans s’attarder sur la question nationale. Chaque république de l’Union Soviétique avait en effet son propre style national, ce qui jouait sur la dimension architecturale.

    L’une des grandes figures de l’architecture soviétique est par exemple Alexandre Tamanian, à l’origine de la réorganisation urbaine d’Erevan, capitale de l’Arménie soviétique.

    Plan d’Alexandre Tamanian pour Erevan, 1932

    Alexandre Tamanian a construit ou établi les plan de nombreux bâtiments à Erevan, suivant le principe d’un art national dans sa forme, socialiste dans son contenu.

    Le Palais du gouvernement de l’Arménie soviétique
    Le Palais du gouvernement de l’Arménie soviétique
    L’Opéra d’Erevan  (source wikipédia)

    Chaque république possède son architecture soviétique qui lui est propre.

    Habitations, Bakou, République soviétique d’Azerbaïdjan
    Habitations, Erevan
    Siège du gouvernement de la République soviétique d’Azerbaïdjan à Bakou, par Lev Roudnev

    Maison de la culture de l’usine de laminage de tuyaux de Bakou
    Plan de la maison de la culture de l’usine de laminage de tuyaux de Bakou
    Siège du gouvernement de la République soviétique de Géorgie à Tbilisi par Viktor Kokorine et Giorgi Lezhava 
    Le stade du Dynamo Tbilisi par Archil Kurdiani
    Le stade du Dynamo Tbilisi par Archil Kurdiani
    L’Institut Marx Engels Lénine à Tbilisi par Alexeï Chtchoussev
    Maison de la culture d’un kolkhoze de la région d’Alma Ata en République soviétique du Kazakhstan
    Intérieur d’une maison de la culture d’un kolkhoze de la région d’Alma Ata en République soviétique du Kazakhstan
    L’opéra national de la République Soviétique d’Ouzbékistan à Tachkent par Alexeï Chtchoussev (Source wikipédia)
    Siège du gouvernement de la République soviétique d’Ukraine à Kiev par Ivan Fomine
    Siège du parlement ukrainien à Kiev par Volodymyr Zabolotnyi
    Siège du Parti Communiste d’Ukraine à Kiev par
    Iossif Langbard (Source wikipédia)
    Le théâtre d’opéra et de ballet de Novossibirsk par une équipe avec notament Alexeï Chtchoussev et Vladimirovitch Kourovsky (Source wikipédia)
    Le théâtre d’opéra et de ballet de Novossibirsk (Source wikipédia)
    Le théâtre d’opéra et de ballet de Novossibirsk (Source wikipédia)

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • La puissance de l’affirmation de l’architecture soviétique

    Les sept sœurs ont été construites à Moscou afin de donner à la ville un caractère marqué. Cependant, à petite échelle, c’est également le cas de l’ensemble des œuvres. Comme en fait, les bâtiments sont liés les uns aux autres, car la ville est planifiée, il faut se fonder sur la vie quotidienne des gens pour avoir un réel aperçu de ce qu’il en est.

    En ce sens, le plan pour la réorganisation urbaine de Moscou établi en juillet 1935 fit en sorte de bloquer tant la mise en place de petites maisons individuelles que d’ensembles en bloc à bas prix (comme cela deviendra inversement la règle dans le révisionnisme après 1953).

    Le plan prévoyait des bâtiments d’au moins six étages, de 7 à 14 sur les grandes artères, relevant d’ensembles d’au moins 9-15 hectares, avec une densité maximale de 400 personnes par hectare.

    Siège du Conseil des ministres de l’URSS, Moscou
    Pont de la Crimée, Moscou

    L’architecture soviétique possède ainsi toujours une visée affirmative. Une oeuvre architecturale ne peut tout simplement pas être « neutre ».

    Pont Bolchoï Krasnokholmski, Moscou

    On comprend que l’architecture soviétique joue sur les ornements de manière marquée, afin de fournir de manière adéquate cette puissance affirmative le cas échéant.

    Grand Pont de pierre (reconstruit)
    Grand Pont de pierre (reconstruit)

    Les œuvres, en plus d’être affirmative, ont donc également un poids idéologique ; dans le cadre de la lutte de classes, de la construction du socialisme, elles contribuent à faire pencher la balance du bon côté.

    Théâtre central de l’Armée rouge des ouvriers et paysans, Moscou
    Place soviétique, Moscou

    Moscou devint la ville emblématique d’une réorganisation dans le sens socialiste.

    Monument à Staline, Canal de Moscou
    Monument à Lénine, Canal de Moscou

    Chaque oeuvre architecturale majeure était ainsi, dans les années 1930, 1940 et au début des années 1950, un puissant marqueur avec toujours un contenu, jamais comme une fin en soi.

    Salle de concert Tchaïkovski (construit à l’occasion du centenaire de celui-ci), Moscou
    Salle de concert Tchaïkovski

    On a avec l’architecture soviétique de l’époque socialiste une insistance sur la capacité de l’architecture à à la fois s’insérer dans la vie et refléter celle-ci.

    Maison du Conseil des députés ouvriers de Moscou
    Bar à cocktails, Moscou

    L’architecture soviétique témoigne de l’esprit de bienveillance devant façonner la vie quotidienne des masses et la nécessité idéologique de l’affirmation de cette bienveillance.

    Ecole, Leningrad
    Fontaine, Moscou

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Les sept soeurs

    Le Palais des Soviets tel qu’il fut conçu dans les années 1930 devait être accompagné de huit grands bâtiments, donnant à Moscou des points d’ancrage urbain. Leur nombre fait référence au 800e anniversaire de la ville, fondée en 1147.

    Ici en 5 le Palais des Soviets, ainsi que : 1 – l’Université d’État de Moscou 2 – l’Hôtel Ukraine 3 – l’immeuble d’habitation sur la place Koudrinskaïa 4 – le Ministère des Affaires étrangères 6 – Bâtiment administratif à Zaryadye (qui ne sera pas terminé) 7 – l’Hôtel Leningrad 8 – le Ministère de l’industrie lourde 9 – l’immeuble d’habitation sur la berge Kotelnitcheskaïa

    Sept furent construits et les bâtiments sont connus comme « les sept sœurs ».

    On a le bâtiment principal de l’Université Lomonossov, commencé en 1949 et fini en 1953, faisant 240 mètres de haut avec 36 étages, avec l’emploi de 40 000 tonnes d’acier. Cela resta le bâtiment le plus haut d’Europe jusqu’en 1990.

    On a l’Hôtel Ukraine, commencé en 1947 et fin en 1957, faisant 198 mètres de haut avec 29 étages.

    Source wikipédia

    On a le siège du Ministère des Affaires étrangères, commencé en 1948 et fini en 1953, faisant 172 mètres de haut avec 27 étages ; son intérieur est très décoré.

    On a l’immeuble d’habitation sur la berge Kotelnitcheskaïa, commencé en 1947 et fini en 1952, faisant 176 mètres de haut avec 26 étages.

    Source wikipédia

    On a le siège du ministère soviétique de l’industrie lourde, commencé en 1947 et fini en 1953, faisant 133 mètres de haut avec 24 étages. L’entrée de la station de métro se situe au rez-de-chaussée de l’immeuble.

    Source wikipédia

    On a l’immeuble d’habitation sur la place Koudrinskaïa, commencé en 1950 et fini en 1954, faisant 160 mètres de haut avec 22 étages.

    On a l’Hôtel Leningrad, commencé en 1949 et fini en 1954, faisant 136 mètres de haut avec 17 étages. Il fut particulièrement dénoncé pour son « inefficacité » intérieure par le révisionniste Nikita Khrouchtchev.

    Source wikipédia

    Le huitième bâtiment, un bâtiment administratif à Zaryadye, fut bien commencé, 15 étages étant construit sur les 32 (pour 275 mètres au total), mais il fut interrompu à la mort de Staline, le révisionnisme de Khrouchtchev se lançant dans une vague de dénonciation des « excès » en architecture, de la « gigantomanie ».

    Le bâtiment administratif à Zaryadye

    Il faut également mentionner un cadeau de l’URSS à la Pologne : le Palais de la culture et de la science construit à Varsovie, de 230 mètres de haut, qui ouvrit ses portes en 1955.

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Le Palais des Soviets

    Lorsque le projet du Palais des Soviets est validé en tant que tel en 1939, on est dans une extrême effervescence. Il ne s’agit en effet pas d’un projet bureaucratique, mais d’une initiative générale engageant non seulement le Parti et les architectes choisis pour former l’équipe de base, mais également les meilleurs artistes en peinture, sculpture… ainsi que les techniciens dans de multiples domaines.

    C’est que d’un côté, les proportions du Palais des Soviets sont devenues titanesques : le bâtiment fait 300 mètres, la statue de Lénine 100 mètres.

    La statue représentait ici naturellement le plus grand défi technique et encore en 1939 il y a de très vastes débats sur le choix de la forme de Lénine, en rapport avec la perspective. Le bâtiment était prévu au centre de la ville de Moscou, la statue est en effet vue très différemment selon les endroits où on se place, et ce sur une très grande échelle. Or, il fallait que cela soit réussi où que l’on se place.

    Furent ainsi été étudiées des sculptures d’importance d’Inde, de Chine, la statue du Bouddha du temple Kōtoku-in au Japon, des statues de l’antiquité égyptienne, grecque, romaine.

    Mais ce n’était là qu’un aspect somme toute secondaire par rapport à l’immensité du travail à effectuer pour l’intérieur du Palais des Soviets. Celui-ci doit en effet abriter des lieux devenant le cœur même du socialisme soviétique. Voici comment le principal architecte, Boris Iofan, explique de quoi il en retourne:

    « Nous avons essayé de rendre claire la silhouette du Palais, facile à retenir, ce qui est particulièrement nécessaire pour un édifice monumental. 

    La richesse de la solution tridimensionnelle du Palais exige le caractère laconique de son traitement architectural. 

    Les groupes sculpturaux sur les côtés de l’emblème de l’Union et les bas-reliefs, avec lesquels les parties rectangulaires de la façade du palais sont traitées, saturent son architecture et la rendent humaine, proche du peuple – le créateur des remarquables victoires de notre époque. 

    Le thème des groupes sculpturaux et des bas-reliefs révèle le Palais des Soviets comme un monument de la Grande Révolution socialiste d’Octobre, un monument de l’ère stalinienne.

    La disposition interne du Palais des Soviets est déterminée par son contenu idéologique en tant que Palais du Peuple, Palais de la Démocratie Socialiste. 

    Au centre de tout l’intérieur se trouve la Grande Salle – un amphithéâtre grandiose pour 21 000 spectateurs, et la Petite Salle pour 6 000 spectateurs, la salle de la Constitution de Staline, la salle de l’Héroïsme de la Guerre Civile, la salle de l’Héroïsme de la construction du socialisme. 

    En outre, deux salles sont destinées au travail séparé des chambres du Soviet suprême de l’URSS – le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités. 

    Les autres locaux majeurs du Palais sont : la salle des ordres et la salle de réception du gouvernement de l’URSS. Un complexe spécial est le siège des travaux du Présidium du Conseil suprême. 

    De plus, le Palais dispose d’un immense complexe de locaux desservant l’ensemble du Palais. »

    Une peinture d’Alexandre Kotyagine mettant en scène le Palais des Soviets

    On a ainsi une petite salle, en forme de demi-cercle, destinée à 6000 personnes, sans balcon afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. La scène est peu profonde également, afin que les sièges latéraux disposent d’une bonne visibilité.

    Elle est destinée à des réunions, des conférences, des réunions du Soviet suprême de l’URSS (avec également deux salles annexes de 1200 personnes), des représentations théâtrales.

    Projet final de la petite salle
    Projet final de la petite salle

    On a une grande salle, qui elle est ronde, pour un diamètre de 140 mètres, profitant d’une hauteur de 100 mètres, avec un espace scénique central d’un diamètre de 42 mètres. Elle est destinée à 21 000 personnes pour des événements de nature solennelle. 

    Projet final de la grande salle
    Projet final de la grande salle
    Projet final de la grande salle

    Voici le bâtiment vu en coupe, avec la petite salle à gauche, la grande salle au centre.

    On voit qu’il y a également de nombreuses autres salles. Ce qui signifie que, concrètement, le Palais des Soviets exige 72 grandes sculptures, 650 bustes et petites sculptures,19 groupes sculpturaux dont la taille varie de 10 à 14 mètres, 11 000 m² de bas-reliefs externes et internes (représentant pas moins de 3 à 4 000 personnages), à quoi il faut ajouter des fresques, des panneaux, des mosaïques, des tapisseries.

    Cela demande un personnel nombreux et hautement qualifié, qui n’est justement pas disponible dans tous les domaines. Il faudrait en effet par exemple 530 sculpteurs épaulés de 630 assistants et de 500 ouvriers, or l’Union des sculpteurs soviétiques rassemble 300 personnes, à quoi on peut ajouter 150 semi-amateurs, 100 amateurs, 100 étudiants.

    C’est l’une des problèmes du projet de Palais des Soviets, alors qu’en plus, le choix des éléments picturaux demande à être encore réellement effectué.

    Les salles annexes illustrent bien cette question, puisqu’en 1939, on est pratiquement encore au stade des ébauches fondamentales.

    On a ainsi déjà le foyer principal, appelé salle de la Constitution stalinienne. C’est elle qui donne sur la façade du Palais des Soviets. Elle fait 75 mètres sur 26, pour une hauteur de 17 mètres.

    La salle de la Constitution stalinienne
    La salle de la Constitution stalinienne
    La salle de la Constitution stalinienne

    Les deux autres salles importantes sont consacrées à l’héroïsme de la guerre civile et à l’héroïsme de la construction socialiste. Elles font 52 mètres sur 20, pour une hauteur de 20 mètres. Elles donnent sur la rue historique de Volkhonka pour l’une et sur la rivière Moskova pour l’autre.

    La salle des héroïques de la guerre civile, avec la prise du palais d’Hiver comme thème central, sur une suggestion de Staline

    Le travail artistique à mener est gigantesque et, surtout, la combinaison des arts est considérée comme l’aspect central de la démarche. Tout le discours soviétique au sujet du Palais des Soviets présente comme la substance même de l’oeuvre sa capacité à faire s’entremêler les arts, témoignant du niveau historique atteint.

    Boris Iofan résume bien cette dimension historique de la coopération des arts dans le Palais des Soviets en disant en 1939 que :

    « La forme architecturale devient plus expressive lorsqu’elle est combinée avec la sculpture. La sculpture acquiert plus de monumentalité et de puissance en étant associée à l’architecture. 

    La peinture murale de la même manière enrichit l’architecture et s’enrichit elle-même intérieurement à travers l’architecture.

    L’étroite coopération des arts donne une variété et une richesse de possibilités artistiques, la puissance des techniques artistiques et assure la création d’images artistiques véritablement monumentales et profondément idéologiques.

    La recherche d’un grand art monumental dans le passé a souvent échoué et s’est soldée par de profondes crises créatives. 

    Ces échecs étaient dus à l’incohérence interne inhérente même aux périodes de plus haut épanouissement des arts à différentes époques.

    L’absence d’une vision intégrale du monde, le conflit de l’artiste avec l’environnement ont souvent donné lieu à des contradictions entre la forme et le contenu dans la créativité artistique.

    Ces collisions internes se sont parfois transformées en une tragédie de la créativité, une tragédie de l’art. Dans les meilleures œuvres de Michel-Ange, nous pouvons retracer les contradictions non résolues entre la forme et le contenu, entre l’artiste et l’environnement.

    L’intégrité de la vision du monde et la véracité de la créativité dans la vie, le lien de cette créativité avec le peuple, l’absence de contradictions entre l’artiste et la société – telles sont les conditions préalables au grand art, qui sont données à notre époque par notre culture socialiste , libre des contradictions de l’ancienne société. »

    Il faut ajouter à cela 90 escalators, 200 ascenseurs, la lumière intérieure demandant une grande complexité en fonction de ce qui est mis en valeur, la lumière extérieure pour illuminer la statue, un énorme travail jamais mené jusque-là sur l’acoustique, le départ et l’arrivée de 41 000 personnes présentes dans le bâtiment, la question des couleurs à employer en général (et les décalages des couleurs sur grande distance et avec la perspective), etc.

    Le projet du Palais des Soviets mettait ainsi en branle des artistes et des ingénieurs dans tous les domaines, servant d’émulateur idéologique et pratique.

    Le processus en cours eut toutefois déjà ses bases posées à partir de 1938. Deux anneaux concentriques en béton d’un diamètre de 140 et 160 mètres furent mis en place, chacun de 21 mètres de hauteurs, pour soutenir 34 colonnes en acier chacun devant permettre de porter la statue.

    Cela demanda le déblaiement de 160 000 m3 de pierre et de 620 000 m3 de terre. Au total, la construction du Palais des Soviets prévoyait l’emploi de 350 000 tonnes d’acier.

    L’invasion nazie vint cependant anéantir les travaux en cours, le matériel devenant nécessaire pour faire face à l’invasion.

    Un groupe de travail s’installa à Sverdlovsk afin de continuer à améliorer le projet, mais il fut gelé en 1945, cédant la place à d’autres projets de construction qui étaient justement prévues pour aller avec le Palais des Soviets : les « sept sœurs ».

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Le Palais des Soviets : vers le projet final

    Le concours du Palais des Soviets connut une troisième forme, en mars 1932, avec 12 architectes seulement, puis 5 seulement, en juillet 1932.

    Au cours de ce processus, long et particulièrement étudié, c’est finalment le travail de Boris Iofan qui fut considéré comme la direction la plus juste, le Comité de la construction du Palais des Soviets en faisant la base sur laquelle il fallait se fonder.

    Voici d’autres œuvres proposées également.

    Vladimir Helfreich et Vladimir Chtchouko, 1932
    Victor et Alexandre Vesnine, 1932
    Alexeï Chtchoussev, 1932
    Ivan Joltovski, 1932
    Victor et Alexandre Vesnine, 1933
    Alexeï Chtchoussev et Ivan Joltovski, 1933

    Le projet de Boris Iofan évolua alors en le sens de davantage de hauteur, en mai 1933, avec la statue d’un prolétaire « libéré » (de 18 mètres de hauteur) surplombant le bâtiment ayant acquis une dimension désormais monumentale.

    Boris Iofan se vit, au cours de ce processus d’élaboration toujours plus poussée, épauler de Vladimir Helfreich et Vladimir Chtchouko afin peaufiner le projet, qui commença à avancer jusqu’à son acceptation totale lorsque la tour prit encore plus hauteur, avec une statue de Lénine qui vint s’adjoindre.

    C’est le sculpteur Sergei Merkulov, qui avait par ailleurs connu Lénine personnellement et qui devint un artiste émérite dans la production de ses statues, qui la conceptualisa.

    Il y a ici une montée en puissance ; le premier Congrès de l’Union des architectes soviétiques se tient en juillet 1937, le projet de Palais des Soviets est validé en 1939. Il devient un projet majeur idéologiquement, le grand symbole de la construction du socialisme.

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Le Palais des Soviets : la première étape

    Le Palais des Soviets n’a jamais vu le jour à Moscou, sa construction étant interrompue par la deuxième guerre mondiale impérialiste, puis stoppée par le révisionnisme. Cela devait être le monument majeur de l’URSS sur le plan architectural, la Cathédrale du Christ-Sauveur étant détruite en 1931 pour lui céder la place à la suite de l’ouverture d’un concours d’architecture en ce sens.

    C’est Sergeï Kirov qui s’était occupé de lancer le projet, affirmant qu’il fallait un endroit suffisamment vaste pour les grandes réunions des responsables des Soviets, ainsi qu’un symbole de la construction du socialisme en URSS, notamment en direction du prolétariat européen « endormi » encore. Son discours, datant du 30 décembre 1922, fut également celui où fut proclamé la fondation de l’URSS.

    Voici ce que dit Sergueï Kirov :

    « Ce bâtiment devrait être un emblème du pouvoir à venir , le triomphe du communisme, pas seulement ici, mais même là-bas en Occident… Ils parlent beaucoup de nous, ils nous caractérisent par le fait que nous effaçons les palais des banquiers, des propriétaires terriens et des tsars de la surface de la terre avec la vitesse de l’éclair. C’est juste.

    Érigeons sur place le nouveau palais des ouvriers et des paysans laborieux, rassemblons tout ce dont les pays soviétiques sont riches, mettons toute notre créativité ouvrière et paysanne dans ce monument et montrons à nos amis et à nos ennemis que nous sommes capables de décorer la terre pécheresse avec de tels monuments dont nos ennemis n’ont jamais rêvé. »

    Un concours fut ainsi lancé pour le projet d’un Palais des Soviets. Une telle idée de concours pour un grand projet s’était déjà réalisée en 1922, avec un appel pour un « Palais du travail ». Le gagnant fut Noi Trotsky, alors que les frères Vesnine (Alexandre, Victor et Leonid) présentaient alors la première oeuvre « constructiviste » en architecture. Le projet de Palais fut rapidement abandonné.

    Le projet de Noi Trotsky
    Le projet des frères Vesnine, premier projet architectural de type constructiviste

    Le concours pour le Palais des Soviets fut lancé en février 1931 ; il devait amener la réalisation à l’horizon d’une décennie, sous la supervision du Conseil pour la construction du Palais des Soviets (le terme Soviet voulant dire Conseil, cela donne en russe le Soviet pour la construction du Palais des Soviets, d’où la dénomination raccourcie employée de Soviet pour la construction).

    Le concours reçut 15 propositions, mais acquit rapidement une réputation mondiale et s’ouvrit en juillet 1931 à l’international, débouchant sur la production de 136 soviétiques et 24 non-soviétiques, dont celles d’éminents architectes comme Walter Gropius, Armando Brasini , Le Corbusier… pour 112 projets sous la forme de concepts conceptuels,160 sous la forme de projets architecturaux.

    Le Corbusier et la maquette de son projet

    Le côté hangar du projet de Le Corbusier l’amena à être rejeté, revenant trop au formalisme constructiviste des années 1920, ce qui rendit l’architecte très mécontent, au nom d’un esprit prétendument d’avant-garde.

    L’oeuvre de Le Corbusier fut critiquée ainsi en 1939 :

    « Si la façade avant de la grande salle (avec un arc géant en face) peut encore revendiquer une signification architecturale, les façades de la petite salle et la façade latérale de l’ensemble de la structure révèlent toutefois clairement une sous-estimation de l’attention nécessaire à la bonne conception architecturale de l’ouvrage. »

    Les autres œuvres rejetées étaient souvent plus dans l’esprit soviétique, elles étaient plus travaillées, mais avaient des travers trop marquants.

    Armando Brasini
    Armando Brasini
    Alexeï Chtchoussev
    Heinrich Ludwig
    Georges Krasine et Alexandre Kutsaev
    Karo Alabyan et Vladimir Simbirtsev
    Moïsseï Ginzbourg
    Nikolaï Ladovski 
    Leonid, Victor et Alexandre Vesnine
    Georgy Golts et Ivan Joltovski
    Ilya Golosov
    Karo Alabyan, Georgy Kochar et Anatoly Mordvinov
    Alexandre Vlasov
    Vladimir Helfreich et Vladimir Chtchouko
    Ivan Joltovski (second projet)
    Vladimir Helfreich et Vladimir Chtchouko

    Les gagnants du concours en février 1932 furent les soviétiques Boris Iofane et Ivan Joltovski, ainsi que l’Américain d’origine britannique Hector Hamilton, dont l’oeuvre était intitulé Simplicité.

    Simplicité de Hector Hamilton
    Plan de Simplicité

    L’oeuvre de Hector Hamilton marqua les esprits, mais elle avait un souci : elle était fonctionnaliste en ce qui concerne les déplacements. Il y avait bien de multiples entrées, mais aucune place à l’extérieure où se rassembler ; il devait même y avoir des voies pour automobiles souterraines sous le Palais.

    Le projet de Boris Iofane n’était quant à lui pas d’esprit symétrique et avait plus d’allant, avec notamment un monument et l’idée d’un espace marqué entre les bâtiments.

    Le projet d’Ivan Joltovski était quant à lui tourné vers un élément central organisant l’ensemble sous forme d’une composition très prononcée.

    Il fut néanmoins considéré par le Conseil de construction qu’on n’était pas encore au point et le concours connut une seconde grande étape.

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Les fantaisies architecturales de Iakov Tchernikhov

    Le métro de Moscou est le symbole même d’une architecture soviétique ayant une perspective générale et concrète, à rebours de l’utopisme expérimental des années 1920, dont les tenants s’effacèrent devant les exigences des années 1930.

    Iakov Tchernikhov est justement ici emblématique du constructivisme architectural et de ses prétentions à la radicalité ultra, à ceci près que lui s’est toujours cantonné dans une démarche purement théorique, même s’il a réalisé quelques projets secondaires. Lui-même était professeur et tout au long des années 1930-1940, il a réalisé des dessins à la dimension fantastique, mais particulièrement inspirante, à côté de nombreux ouvrages.

    Il s’insère ainsi dans l’architecture soviétique en mettant de côté toute prétention utopiste généralisée, ce qui en fait un personnage intéressant.

    Iakov Tchernikhov est surtout connu pour ses Fantaisies architecturales de 1933, année où une exposition lui fut accordée, sous la supervision de Sergueï Kirov lui-même, au Palais Anitchkov à Leningrad. Deux autres de ses ouvrages ont la même approche, Les fondements de l’architecture contemporaine et La construction des formes architecturales et mécaniques, mais il a également écrit L’Art du tracé graphique, Le Tracé géométrique, Cours général de dessin technique, Recherches graphiques sur les lettres de l’alphabet, cette dernière oeuvre paraissant en 1950.

    Iakov Tchernikhov relève donc d’une approche de laboratoire, mais sous la forme d’un dérapage contrôlé, sans les prétentions fantasmagoriques des constructivistes entendant refaçonner la société toute entière avec leur architecture comme moyen absolu.

    Ses œuvres restent d’ailleurs des compositions se cantonnant dans une ouverture, dans la proposition d’une inspiration, sans aller dans le sens d’un projet fermé, fourni clef en main.

    De telles œuvres étaient d’ailleurs destinées aux étudiants, afin de les aider à saisir la logique compositionnelle. Il en restait toutefois à un certain formalisme, puisque pour lui tout passait par les lignes, les surfaces, les solides.

    En fait, Iakov Tchernikhov considère que l’architecture est prétexte à une démarche visionnaire, mais qui ne peut pas forcément déboucher sur quelque chose de concret en raison d’une époque trop arriérée. Aussi, pour les temps nouveaux, il tente de se reconnecter avec ce principe d’architecte comme visionnaire afin d’élargir le champ de la compréhension de ce qu’est l’espace.

    Il dit ainsi que :

    « Dans mes contes de fées, je me suis permis toutes sortes de digressions, d’accumulations, d’exagérations et d’hypothèses, mais j’ai ainsi pu révéler les défauts et les avantages des caractéristiques qui influencent la création d’une forme. »

    Il y a d’un côté une tendance à aller chercher une forme « pure » comme dans le suprématisme, de l’autre côté il y a une véritable tentative de mieux cerner les possibilités compositionnelles dans l’espace.

    Il avait d’ailleurs publié en 1920 un ouvrage intitulé « Aristographie », de facture cubo-futuriste dans le sens suprématiste.

    La dimension compositionnelle, architecturale au sens strict, l’a emporté ; il ne termina d’ailleurs sa formation d’architecte qu’en 1925.

    Iakov Tchernikhov, à côté de son travail de professeur, continua toute sa vie dans cette perspective, produisant 17 000 dessins. Il faut bien saisir à l’arrière-plan qu’il avait une sorte de quête à la fois démocratique et utopiste.

    D’un côté, il considérait que l’architecture était un langage graphique de portée universelle, de dimension civilisationnelle, penchant donc vers le formalisme, vers l’architecture comme forme suprême. De l’autre, son objectif était de rendre disponible pour tous la dimension graphique de l’architecture.

    Il faut bien saisir également que certaines libertés sont prises avec les perspectives, rendant plus marquantes les œuvres, mais les rendant impossibles. Cela est assumé entièrement, le côté imaginatif prenant le dessus. Pour Iakov Tchernikhov :

    « Il se peut que le matériel présenté n’ait pas ses aspects positifs. Les fantasmes architecturaux montrent de nouveaux processus de composition, de nouvelles techniques d’affichage, cultivent le sens de la forme et de la couleur, entraînent l’imagination, excitent les impulsions créatives, attirent de nouvelles créations et idées, aident à trouver des solutions aux nouvelles idées, etc. (…).

    Avec l’aide des moyens d’expression figuratifs présentés dans les fantasmes architecturaux, nous avons l’opportunité de les appliquer à leur utilisation directe dans notre pratique utilitaire et, ainsi, d’améliorer cette dernière.

    De plus, en tant que l’une des techniques méthodologiques, les fantasmes architecturaux devraient être utilisés dans la pratique éducative des architectes novices. Ainsi, tout ce qui précède convainc que le côté positif des fantasmes architecturaux est utile, diversifié et grand, et cette circonstance nous permet de parler de l’attitude la plus attentive et la plus prudente envers cette étape du travail de l’architecte. »

    Iakov Tchernikhov, comme l’ensemble des architectes à quelques exceptions près, prit le tournant réaliste socialiste du début des années 1930, mais prisonnier de son approche compositionnelle, il se tourna vers l’aspect monumentaliste seulement.

    Ici, ses idées pour le Palais des Soviets, dont le concours fut un moment marquant pour l’architecture soviétique de l’époque socialiste.

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Le métro de Moscou

    Le métropolitain de Moscou est une oeuvre majeure de l’architecture soviétique ; au début des années 1930, c’est un projet symbolique de très grande ampleur, aux côtés de la réorganisation urbaine de Moscou et du Canal de Moscou (faisant 128 km et reliant la Moskova à la Volga), les trois projets étant officialisés en juin 1931 par le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik).

    Le métropolitain de Moscou se vit accorder une attention significative, étant donné qu’il était considéré que cela doit être le symbole même de la citoyenneté soviétique.

    Station Sverdlov
    Passage entre la station de la place Sverdlov et celle de la Révolution

    Le métro de Moscou ouvrit ses portes en mai 1935, avec alors 13 stations pour une distance parcourue de 11,2 km. Là encore, la seconde guerre mondiale vint interrompre les travaux, néanmoins en 1950 il y a déjà 35 stations sur 5 lignes pour un parcours de 43,5 km.

    Station de la Maison des soviets
    Entrée de la station Krasnye Vorota (la porte rouge)

    La 5e ligne, de 1950, est circulaire et sert pour les correspondances ; c’est Staline qui a indiqué sa nécessité aux architectes en plaçant une tasse de café laissant une trace circulaire. Depuis, le symbole de la ligne est la couleur marron.

    Station de la place de la Révolution
    Entrée de la station de la Maison des soviets

    Les lignes sont particulièrement profondes, car il a été prévu dès le départ qu’il fallait que les stations puissent servir d’abri.

    Station Paveletskaïa
    Station Komsomolskaïa

    Le métro de Moscou s’appuie naturellement sur des mosaïques, des statues, des peintures, des bas-reliefs, etc. L’architecture soviétique unifie les arts de manière marquée.

    Station Komsomolskaïa
    Station Elektrozavodskaya
    Station Stalinskaïa
    Station Stalinskaïa

    Les stations s’appuient sur des thématiques. La station Kievskaïa, qui correspond à la gare de Kiev pour les trains à destination de l’Ukraine, thématise l’amitié russo-ukrainienne ; la station Belorusskaya, qui correspond à la gare de Biélorussie pour les trains à destination de celle-ci, thématise la Biélorussie et notamment les partisans (la station a ouvert en 1952), etc.

    Station Izmaylovskaya 
    Station Belorusskaya

    Il va de soi également que l’extérieur des stations elles-mêmes s’accorde justement avec les principes du métro lui-même.

    Station Dynamo

    Il est important de la souligner, car cette capacité d’unification des arts et de liaison systématiques des bâtiments dans leur nature est justement impossible pour le capitalisme.

    Station Izmaylovskaya 
    Station Paveletskaïa

    Le métro moscovite est l’exemple même d’un projet planifié, mais non pas formellement, ou fonctionnellement, mais justement bien avec une nature socialiste : c’est là l’exigence du réalisme socialiste.

    Station Izmaylovskaya 
    Station Sokol

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • L’architecture soviétique au service d’une réalité en construction

    Le sururbanisme et le désurbanisme représentaient les deux faces de la même médaille, celle d’une architecture coupée de la réalité des gens et de leur histoire à travers les siècles. La notion de personnes travaillant y a disparu au profit d’individus considérés comme des numéros ou bien comme des valeurs absolues. En réalité, l’architecture soviétique se devait de se placer au service d’une réalité en construction.

    Sanatorium à Sotchi
    Sanatorium à Sotchi

    L’architecture soviétique de l’époque socialiste, avec Staline, ne perdait pas ainsi de vue son utilité, sans faire de la fonction des œuvres construites un fétiche, car les bâtiments mis en place exprimaient un cadre particulier avec ses exigences. Le caractère directement heureux de Sotchi n’est pas la nature directement ordonnée d’un lieu de décision administrative.

    Gare de Matsesta près de Sotchi
    Maison du Conseil des députés ouvriers du district Volodarsky à Leningrad

    De la même manière, la dignité d’une habitation ne correspond pas au caractère marquant d’un cinéma, un genre en expansion alors et possédant la même valorisation que le théâtre.

    Habitations à Leningrad
    Cinéma « Moscou » à Leningrad

    Ce qui est marquant justement dans le sururbanisme, le désurbanisme et autres utopies faites en laboratoire, c’est leur incapacité à produire des œuvres affirmatives relevant d’une dimension de masse. L’architecture soviétique y parvient justement, car elle est orientée par le Parti guidant le processus général de construction.

    Maison des soviets à Leningrad
    Maison des soviets à Leningrad

    Le deuxième aspect très important est que l’architecture soviétique, un aspect du réalisme socialiste propre à l’architecture, assume le patrimoine historique, s’inscrit dans l’Histoire et par conséquent valorise les éléments positifs du parcours des peuples. Les projets « utopistes » sont de leur côté fonctionnalistes, systématiquement cosmopolites.

    Monument au savant Mikhaïl Lomonossov, Moscou
    Monument au dramaturge Alexandre Ostrovski, Moscou

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • Sur-urbanisme et désurbanisme

    La vague d’architecture constructiviste des années 1920, pour toute relative qu’elle ait été, avait frappé les esprits de par le côté « cube » ou « boîtes » des constructions et par le discours hyper révolutionnaire de leurs architectes, par le côté utopiste radical.

    Club des ouvriers Zouïev par Ilya Golossov
    Club ouvrier Roussakov à Moscou par Constantin Melnikov

    La plupart du temps, les projets constructivistes étaient de toutes façons irréalisables. On parle ici d’une idéologie au sens propre.

    Ville aérienne par Lazar Khidekel

    Le projet délirant de monument à la 3e Internationale de Tatline, imaginé en 1919-1920, signifiait par exemple une tour de 400 mètres de haut avec trois éléments en forme de double hélice en rotation permanente, un écran géant, des projections de texte sur les nuages, etc.

    De fait, même lorsque cela atteignait une certaine dimension sur le terrain, le côté formel l’emportait. Le bâtiment du Derzhprom (c’est-à-dire de l’industrie d’Etat) est ainsi efficace du point de vue constructiviste, il a été construit littéralement avec les moyens du bord, avec un état d’esprit très volontaire, au point que les ouvriers ukrainiens de Kharkiv, qui ne parlaient d’ailleurs pas russe, ont impressionné le poète Vladimir Maïakovsky.

    Cependant, s’il est mobilisateur abstraitement, une fois qu’il est mis en place, il n’y a pas d’esprit, pas d’âme. Si on est reste au point formel, c’est excellent, mais si on veut du fond, on ne trouve plus rien. Tout est sec.

    La construction du Derzhprom
    La construction du Derzhprom
    Le Derzhprom
    Le Derzhprom

    Dès le tout début des années 1930, le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) avait prévenu que des intellectuels petits-bourgeois utopistes se rêvaient prendre les commandes de l’Etat pour réaliser, du moins l’imaginaient-ils, leurs fantasmagories. Dans le décret du Parti Sur les travaux de restructuration du mode de vie, du 16 mai 1930, il est ainsi affirmé que :

    « Le Comité central note que, parallèlement à la croissance du mouvement pour un mode de vie socialiste, il y a des tentatives extrêmement infondées, semi-fantastiques et donc extrêmement nuisibles de la part de camarades individuels pour « sauter » par-dessus ces obstacles sur la voie de la réorganisation de la vie dans les socialisme, tentatives qui s’enracinent, d’une part, dans le retard économique et culturel du pays, et d’autre part, la nécessité actuelle de concentrer au maximum les ressources sur l’industrialisation rapide du pays, qui seule crée la conditions matérielles réelles pour un changement radical de vie.

    De telles tentatives de certains travailleurs, qui cachent leur essence opportuniste sous la « phrase de gauche », incluent des projets qui sont récemment apparus dans la presse pour replanifier les villes existantes et en construire de nouvelles, exclusivement aux frais de l’État. »

    Cette « replanification » absolue rêvée par les « utopistes » allaient très loin. Dans Les tâches de l’architecture soviétique, écrit en 1937, Karo Alabyan, dénonce justement deux tendances marquantes de l’architecture soviétique qui représentaient la pointe de la démarche formaliste-constructiviste : le sur-urbanisme et le désurbanisme, conceptions nées pour ainsi dire en laboratoire au fur et à mesure des années 1920.

    Voici ce qu’il en dit :

    « Nos constructivistes – les frères Vesnine, Ginzburg et d’autres, suivant la doctrine de leurs collègues d’Europe occidentale – Corbusier, Gropius et d’autres, se sont longtemps couverts de phraséologie de gauche et de phrases fortes sur la « nature révolutionnaire, socialiste et de principe » de leur art.

    Cependant, il ne fait aucun doute que nos constructivistes ont suivi l’exemple de leurs collègues d’Europe occidentale, représentants de l’architecture bourgeoise en décomposition.

    Ces camarades ont-ils tenté de se libérer de la captivité du constructivisme bourgeois ? Ils ont fait quelque chose dans ce sens. Mais c’étaient des hésitations, et des hésitations aléatoires et sans principes.

    En particulier, le groupe d’architecte autour de Ginzburg se précipita comme dans une fièvre du sur-urbanisme au désurbanisme, de la propagande de gigantesques complexes résidentiels – des maisons communales, avec près d’un million d’habitants, aux huttes sur cuisses de poulet, des principes de Corbusier dans la planification des villes industrielles, à la prédication de la destruction des villes et leur remplacement par des villages paysans idylliques.

    Engagés dans des expériences irresponsables, ils ont défiguré des villes avec des maisons-boîtes grises ternes, des maisons d’aquarium, des serres, des maisons pour voiture et d’autres curiosités similaires.

    Ces erreurs et ces hésitations sans principes sont le résultat d’une méconnaissance de l’essence de l’architecture soviétique et de son rôle dans la construction socialiste, une incompréhension des tâches que le parti et le gouvernement nous ont confiées. »

    C’est que le sur-urbanisme et le désurbanisme étaient des utopies formées dans les esprits d’ultra-gauchistes dans les cabinets d’architecture, une situation permise par la situation particulière des années 1920. Il n’y avait aucune production concrète, à part des réalisations architecturales formelles et prétentieuses. Il s’agissait, au sens strict, de projets idéologiques ultras, qui furent par conséquent rejetés.

    Le sur-urbanisme fut théorisé jusqu’à son comble par Leonid Sabsovich, le désurbanisme par Mikhail Okhitovich. Le premier voulait que les gens vivent les uns sur les autres, jusqu’à effacer leur individualité ; le second exigeait une indépendance la plus grande possible des gens, jusqu’à l’éloignement géographique maximal devant obligatoirement se servir de véhicules dans un environnement semi-rural.

    Au sens strict, on peut dire que la ligne de Mikhail Okhitovich était typiquement capitulationniste – trotskiste en ce qui concerne les possibilités de l’industrialisation, celle de Leonid Sabsovich étant au contraire triomphaliste – volontariste jusqu’à l’utopisme planiste ultra.

    Mikhail Okhitovich avait d’ailleurs initialement été un partisan de Trotsky et exclu du Parti en 1928, puis autorisé à le réintégrer en 1930, mais menant ensuite une campagne en faveur du constructivisme, puis du désurbanisme, et par conséquent liquidé.

    Pour Mikhail Okhitovich, les unités d’habitation devaient regrouper 3, 20, 50, 500 personnes, couvrant toute une zone géographique, chaque ménage vivant dans un préfabriqué modulable, alors que pour Leonid Sabsovich, on parle de grands blocs collectifs de 50 000 personnes où les personnes n’ont droit qu’à une petite chambre chacune et encore seulement pour y dormir.

    Mikhail Okhitovich prônait le désurbanisme comme fétichisme absolu de l’individu, Leonid Sabsovich comme sa négation la plus absolue. C’était des utopies faites en laboratoire, où l’architecture devenait le fond révolutionnaire par excellence.

    Des habitations le long de « rubans » comme projet pour la ville de Magnitogorsk selon Mikhail Okhitovich

    Les préfabriqués devaient être modulables selon Mikhail Okhitovich, afin de pouvoir être rassemblé par exemple pour une vie de couple, ou bien désassemblés en cas de divorce. Les transports seraient effectués par voiture , train ou avion. L’architecture devait suivre une individualité pour ainsi maximalisée, c’est une utopie ultra-individualiste.

    Des habitations modulables comme projet pour la ville de Magnitogorsk selon Mikhail Okhitovich

    Pour Leonid Sabsovich, la planification urbaine était strictement inverse, elle imposait un rassemblement généralisé et la suppression même de l’idée de ménage, les individus étant de purs rouages de la production, les enfants étaient « collectivisés », etc.

    Cela donnait une allure hyper-révolutionnaire à son communautarisme architectural, qui prétendait immédiatement appliquer des préceptes collectivistes, pour façonner les gens ; c’était en réalité une démarche mécanique – formelle.

    Voici une présentation de son utopie ultra-productiviste planiste dans son ouvrage Villes socialistes de 1930 :

    « Le problème de la ville devient extrêmement important. Car si le développement de l’industrie, de l’agriculture et des transports doit créer la base matérielle de la possibilité de construire le socialisme, alors la restructuration de nos villes et villages doit créer les conditions immédiates pour la réalisation d’un mode de vie socialiste, les conditions immédiates pour la réalisation du socialisme (…).

    Une autre voie s’est tracée récemment : c’est la voie d’une reconstruction socialiste radicale de la vie, la voie d’une restructuration complète de la vie sur la base de la socialisation complète du service aux besoins quotidiens et culturels de la population laborieuse, la voie de la construction les nouvelles villes socialistes et la reconstruction socialiste radicale des villes existantes. 

    Les partisans de cette voie soutiennent que nous devons nous éloigner de la voie des « réformes sociales » progressives dans le mode de vie des travailleurs, que nous devons immédiatement nous engager sur la voie d’une reconstruction radicale de la vie sur des principes socialistes (…).

    L’expansion de l’industrie dans les villes existantes, à son tour, conduit à un afflux encore plus important de personnes dans ces villes, à l’expansion de la construction de logements, à une augmentation de la capacité des voies de transport, à l’expansion des services publics, etc. la présence dans nos villes de travailleurs, surtout de travailleurs qualifiés, la présence de logements pour les travailleurs, la disponibilité d’équipements, d’institutions centrales, etc., tout cela nous oblige à construire des entreprises industrielles principalement dans les villes existantes. 

    L’expansion de l’industrie dans les villes existantes, à son tour, conduit à un afflux encore plus important de personnes dans ces villes, à l’expansion de la construction de logements, à une augmentation de la capacité des voies de transport, à l’expansion des services publics, etc.

    Ainsi, une chaîne sans fin est obtenue, ce qui conduit à la création de villes géantes, qui sont un produit typique de l’ère capitaliste du développement humain. 

    Nous suivons l’ancienne voie capitaliste éprouvée, sans tenir compte des changements économiques et sociaux radicaux que la période de reconstruction socialiste de l’économie nationale apporte à notre développement (…).

    Dans un avenir proche, nous n’aurons plus besoin des grandes villes, qui créent inévitablement des conditions très malsaines pour la vie et le travail de la population active. Le réseau de transport dense, que nous devrons créer d’ici 5 à 8 ans, nous permettra d’implanter beaucoup plus librement les entreprises industrielles sur l’ensemble du territoire de l’Union (…).

    Nous devons tirer des conclusions similaires en ce qui concerne le développement des grandes villes existantes. Il faut arrêter complètement d’y construire de nouvelles entreprises, déplacer ces entreprises sur un territoire à plusieurs dizaines de kilomètres de ces villes et construire de nouvelles villes socialistes autour de ces entreprises (…).

    Il faut esquisser un plan de décentralisation progressive des villes existantes en construisant leur périphérie le plus loin possible du centre-ville et en faisant ainsi de ces périphéries des villes nouvelles indépendantes. 

    Au lieu de plans d’expansion sans fin des villes existantes, au lieu de plans de création du « Grand Moscou », du « Grand Nijniy Novgorod », etc., nous devons créer des plans de décentralisation progressive et de reconstruction socialiste des villes existantes (…).

    Les villes nouvelles, créées au début comme des villes à prédominance purement agraire, nous nous transformerons progressivement en villes agraires-industrielles, créant dans ces villes des entreprises industrielles de transformation des produits agricoles, ainsi que toutes sortes d’autres entreprises industrielles. 

    De la même manière, nous transformerons progressivement les villes industrielles en villes industrielles-agraires, réunissant en elles la population travaillant à la fois dans les entreprises industrielles et dans les grandes entreprises agricoles adjacentes à la région industrielle . Certaines des villes que nous créerons immédiatement en tant que villes industrielles-agraires ou agraires-industrielles (…).

    Le ménage, cette base de la vie individualiste petite-bourgeoise, absorbe improductivement une énorme quantité de travail. Selon le RSFSR RCT, 36 millions d’heures de travail sont consacrées quotidiennement à la cuisine dans le ménage, soit environ 4,5 millions de journées de travail complètes (traduites par une journée de travail de 8 heures). 

    La cuisson centralisée dans nos cuisines d’usine imparfaites ne nécessiterait que 6 millions d’heures de travail par jour, c’est-à-dire qu’elle libérerait environ 4 millions de mains des dépenses de travail improductives. Nous avons la même dépense improductive de travail dans le ménage individuel dans le domaine de la lessive, de la garde des enfants, etc.

    Il suffit de souligner qu’en présence d’un ménage, seuls 30 % environ de la population totale peuvent être employés à un travail socialement productif, tandis que dans la socialisation de la vie quotidienne, plus de 60 % peuvent être employés à un travail productif (…).

    Ces maisons modernes, étant un produit de la vie individualiste, adapté à son entretien, à la fois nourrissent cette vie individualiste, petite-bourgeoise, l’inculquent à la nouvelle génération, qui devra achever l’édification du socialisme et continuer à vivre dans les conditions du système socialiste réalisé . 

    « Son coin à soi », ses meubles à soi, sa famille à soi, sa vie isolée, arrachée au collectif, tels sont les traits que le mode de vie individualiste petit-bourgeois qui règne dans les pays capitalistes et dans les nôtres instille dans les gens qui travaillent.

    Cela est encore plus vrai par rapport à la vie de nos villages, où chaque famille, menant sa propre petite économie paysanne séparée, a son propre domaine, sa propre hutte, adaptée (et très mal adaptée) pour répondre à tous les besoins domestiques de l’agriculture qui sont à un niveau très bas la population.

    Ce mode de vie petit-bourgeois et individualiste est en contradiction flagrante avec les tâches de construction du socialisme , avec les tâches de création d’un homme nouveau. Il est étranger au prolétariat en tant que classe édifiant le socialisme. 

    Asservissant la moitié féminine de l’humanité, déformant la jeune génération, elle est hostile au prolétariat et elle doit être détruite comme l’un des héritages les plus difficiles du système capitaliste, entravant la force des travailleurs, les empêchant de construire une société socialiste. 

    Les tâches de la révolution culturelle socialiste sont étroitement liées à la destruction de ce mode de vie petit-bourgeois et individualiste. Sans sa destruction, la révolution culturelle socialiste est impossible.

    Le fossoyeur de la bourgeoisie – le prolétariat – est appelé à enterrer le mode de vie individualiste petit-bourgeois et à créer à sa place un mode de vie socialiste basé sur le service socialisé des besoins quotidiens et culturels des travailleurs. , libérant les travailleurs – et surtout les femmes – des soucis du ménage, de la garde des enfants et de leur éducation individuelle (…).

    Nous ne devons pas construire de grandes villes avec une accumulation contre nature de masses gigantesques de la population. La taille des villes devrait mieux répondre à la tâche d’organiser systématiquement la vie et le travail collectifs des travailleurs et à la tâche de créer les conditions les plus saines pour la vie des travailleurs. 

    Il faut tenir compte du fait que dans une ville socialiste, la vie publique et l’auto-activité publique de la population seront développées dans une mesure infiniment plus grande que dans nos villes. Par conséquent, il n’est guère opportun de construire une ville socialiste pour une population de plus de 50 000 à 60 000 personnes (…).

    Les maisons d’habitation dans une ville socialiste doivent être construites de telle manière qu’elles offrent le plus grand confort pour la vie collective, le travail collectif, la récréation collective des travailleurs. Ils doivent également assurer les conditions les plus favorables au travail individuel et aux loisirs individuels. 

    Dans ces maisons, il ne devrait pas y avoir d’appartements séparés avec cuisines, garde-manger, etc. , adaptés aux ménages individuels, car le maintien des besoins quotidiens des travailleurs sera complètement socialisé. Ils ne doivent pas non plus contenir les prémisses de la vie isolée de chaque famille individuelle, car la famille telle qu’elle existe aujourd’hui disparaîtra certainement.

    La place de l’unité familiale fermée individuelle avec une vie séparée sera prise par la « famille collective » commune des travailleurs, dans laquelle il n’y aura pas de place pour un tel isolement (…).

    L’une des questions importantes est de savoir si les enfants doivent vivre dans la même maison (bâtiment) que les adultes, ou si les maisons communales doivent être destinées uniquement à la population adulte (à partir de 17 ans environ). La question de la résidence commune des enfants sur la même place avec leurs parents ne peut être résolue que négativement (…).

    Les enfants d’âge préscolaire et scolaire doivent passer la majeure partie de leur temps dans les locaux destinés à leur éducation, leur travail de production et leurs loisirs. Placer leur logement dans la même maison que des adultes, où ils doivent rentrer pour la nuit, semble également clairement inapproprié. Par conséquent, les bâtiments communaux résidentiels ne devraient être construits que pour la population adulte (…).

    Tout ce qui crée aujourd’hui la nécessité de l’existence d’un ménage individuel et y lie une femme doit être complètement détruit dans une ville socialiste. En plus de l’exemption de cuisiner à la maison, une femme devrait être complètement libérée des tâches ménagères telles que la lessive, le raccommodage des vêtements, etc. 

    Dans une ville socialiste, pour 60 000 habitants, le nombre d’adultes (à partir de 17 ans) sera de 40 à 42 000. Par conséquent, la ville entière sera composée de 15 à 20 complexes résidentiels et d’un certain nombre de grands bâtiments publics desservant l’ensemble population . Ainsi, dans une ville socialiste, selon le nombre d’étages, il n’y aura que 50 à 100 grands bâtiments. »

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • L’orientation concrète de l’architecture soviétique

    Il faut bien saisir comment, au début des années 1930, les architectes soviétiques ont su dépasser la dimension expérimentale – utopiste pour aborder de manière concrète la question du style socialiste.

    Les architectes soviétiques ont ainsi participé à des discussions artistiques les 9, 10 et 13 juillet 1933, ce qui fut un moment important, car à ce moment-là, l’ensemble des architectes avait été réunie en 1932 dans une Association unique, l’Association des architectes soviétiques tient son premier congrès en juin 1937.

    Son dirigeant fut l’ancien constructiviste Victor Vesnine ; ce dernier devint le principal architecte pour tout ce qui concernait l’industrialisation, ainsi que le président de l’Académie d’architecture de l’URSS.

    Victor Vesnine

    Il avait été ainsi mis fin aux regroupements divers et variés, dont les plus marquants au sens des plus bruyants furent les constructivistes de l’OSA (Organisation d’Architectes Contemporains), les « rationalistes » – en fait des formalistes – de l’ASNOVA (association de nouveaux architectes), les fétichistes de l’ARU (Association des architectes urbains) faisant du métier d’architecte le vrai planificateur de la société socialiste, les tenants gauchistes du proletkult de la VOPRA (Association panrusse des architectes prolétariens), etc.

    Lors des discussions de 1933, des documents avaient été mis à la disposition, comme illustrations, avec des mots d’ordre. On a ici des orientations fondamentales pour l’architecture soviétique.

    On a ainsi « Une planification complexe enrichit l’architecture avec de nouveaux moyens artistiques », accompagné par le Forum de Rome, l’Acropole et Versailles.

    On a « L’expérience artistique du passé nous arme dans la lutte pour la nouvelle architecture socialiste », accompagné de deux œuvres de la Renaissance italienne : la chapelle des Pazzi de Filippo Brunelleschi à Florence et le palais Contucci d’Antonio da Sangallo le Vieux à Montepulciano.

    La chapelle des Pazzi (source wikipédia)
    Le palais Contucci (source wikipédia)

    On a « Le problème de l’appropriation critique du meilleur que la culture mondiale a produit ne doit pas être feint par l’imitation passive d’anciennes formes architecturales et de systèmes stylistiques ». Le mot d’ordre est accompagné du Panthéon de Rome et de la cathédrale de Cologne.

    On a « Traitons l’expérience architecturale des époques antérieures dans le laboratoire créatif de l’architecture soviétique », accompagné du palais de la Chancellerie et de la cathédrale de Cologne.

    Le Panthéon de Rome
    Le palais de la Chancellerie à Rome

    On a « L’époque du socialisme doit rendre à l’architecture la plénitude du langage », accompagné du palais Chiericati d’Andrea Palladio à Vicence.

    Le palais Chiericati (source wikipédia)
    Le palais Chiericati

    On a « Que soit un mis un terme aux maisons-boîtes recopiées sur le modèle des casernes », avec l’illustration d’une ligne d’habitations à Leningrad.

    On a « Que soit mis un terme à l’abstraction sur papier du formalisme architectural », avec des exemples de projets fantasmagoriques des avant-gardes.

    On a également des citations de Lénine sur la culture, accompagnées du palais des doges à Venise et du Parthénon.

    Le palais des doges
    Le palais des doges

    On a ici des éléments essentiels de ce qui est la base de l’architecture soviétique de l’époque socialiste : la recherche d’une oeuvre concrète et non pas fantasmée, avec un travail s’orientant par rapport à l’idéologie socialiste tournée vers la vie réelle des masses, sur la base du meilleur de la culture humaine historiquement.

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique

  • L’ampleur et l’harmonie de l’architecture soviétique

    L’architecte soviétique doit être impliqué dans son oeuvre, s’engager lui-même en elle et non pas avoir un regard froid, extérieur, car il s’agit de la reconnaissance de la dignité du réel, au cœur du matérialisme dialectique.

    Ce n’est qu’ainsi qu’on est capable de suivre le cours réel des choses et de saisir le développement intérieur. Pour l’architecte, cela signifie être capable d’être un producteur et en même temps de comprendre de l’intérieur l’utilisation de ses œuvres, leur nature concrète.

    Habitations à Leningrad, 1936-1940
    Maison des stakhanovistes du chantier naval Krasnoïé Sormovo n°112 de la ville de Gorki, 1936-1939

    L’architecte soviétique travaille pour le peuple soviétique, tout en relevant du peuple soviétique ; son travail est le support pour l’activité du peuple soviétique. C’est pourquoi les productions architecturales doivent permettre de saisir le processus en cours, au sens où ils reconnaissent eux-mêmes la dignité du réel de la construction du socialisme. C’est cela qui explique le classicisme comme expression de l’ampleur, de l’harmonie de la société en construction.

    Opéra et ballet de Novossibirsk
    Habitations à Magnitogorsk

    L’architecture soviétique va dans le sens d’œuvres rassurantes et en même temps puissantes dans leur affirmation ; ces œuvres sont accessibles, elles n’écrasent pas, et en même temps elles sont un vecteur idéologique.

    Sanatorium pour enfants à Yalta
    Maison des bateliers à Kouïbychev

    Il va de soi ici que la question du pouvoir est incontournable ; l’existence même de ces œuvres produites par le socialisme exprime directement l’activité des ouvriers et des paysans, qui sont aux commandes de la société et profitent directement des avancées faites. C’est cela qui fait que l’architecture soviétique est une composante de la mentalité de la citoyenneté soviétique.

    Habitation à Gorki
    Club des cheminots à Sverdlovsk

    Il ne s’agit pas seulement de développer les forces productives, mais de le faire en restant aligné dans la perspective socialiste, dans les valeurs du socialisme.

    Habitation à Moscou
    Habitation à Moscou

    => Retour au dossier sur Le réalisme socialiste dans l’architecture soviétique